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LES TROIS MODÈLES PHILOSOPHIQUES DU RAPPORT ENTRE FOI ET RAISON Michaël F?ssel Editions Esprit | Esprit 2007/3 - Mars/avril pages 279 à 281 ISSN 0014-0759 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-esprit-2007-3-page-279.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- F?ssel Michaël, « Les trois modèles philosophiques du rapport entre foi et raison », Esprit, 2007/3 Mars/avril, p. 279-281. DOI : 10.3917/espri.0703.0279 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Editions Esprit. © Editions Esprit. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - National Chung Hsing University - - 140.120.135.222 - 11/04/2014 21h41. © Editions Esprit Document téléchargé depuis www.cairn.info - National Chung Hsing University - - 140.120.135.222 - 11/04/2014 21h41. © Editions Esprit

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LES TROIS MODÈLES PHILOSOPHIQUES DU RAPPORT ENTRE FOIET RAISON Michaël F?ssel Editions Esprit | Esprit 2007/3 - Mars/avrilpages 279 à 281

ISSN 0014-0759

Article disponible en ligne à l'adresse:

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-esprit-2007-3-page-279.htm

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Pour citer cet article :

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------F?ssel Michaël, « Les trois modèles philosophiques du rapport entre foi et raison »,

Esprit, 2007/3 Mars/avril, p. 279-281. DOI : 10.3917/espri.0703.0279

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Distribution électronique Cairn.info pour Editions Esprit.

© Editions Esprit. Tous droits réservés pour tous pays.

La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites desconditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votreétablissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière quece soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur enFrance. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit.

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Du discours prononcé par Benoît XVI à Ratisbonne le 12 septembre2006, on a surtout retenu la polémique avec l’islam1. Or ce texte, venantaprès beaucoup d’autres, est de part en part traversé par une préoccupa-tion qui est aussi une constante du dogme catholique : celle de ne pas disso-cier la foi et la raison. Une foi qui se prétend authentiquement « univer-selle » ne peut en effet s’offrir le luxe d’une rupture avec la raison humaine,qui doit elle-même être considérée comme un «don de Dieu ». Dieu n’étantpas trompeur, il est de la plus haute importance de montrer que la raisonn’éloigne pas de Dieu, mais y ramène, à condition toutefois d’être définiedans ses prérogatives et limitée dans ses prétentions.On peut donc bien parler, à propos de la position du pape, d’un acte de

foi rationaliste. L’adversaire n’est pas ici l’islam, mais beaucoup plus clai-rement la Réforme soupçonnée d’avoir défait le lien naturel entre Dieu et laraison (la « putain du diable » selon Luther). Les rapports entre foi et raisontémoignent ainsi du degré de confiance qu’une confession est prête à accor-der à la connaissance humaine : « optimisme catholique » contre « pessimis-me protestant », insistance sur les «œuvres » (y compris celles de la science)contre primauté du péché. Mais les choses se compliquent lorsque l’on com-prend que le discours de Ratisbonne a une deuxième cible : les Lumières.Elles aussi sont accusées de jouer la raison contre la foi, mais cette fois-ci auprofit de la première, et dans l’oubli d’un autre rapport à la vérité que celuidéfini par les sciences.Cette filiation entre la Réforme et le rationalisme du XVIIIe siècle n’est pas

nouvelle puisqu’elle date au moins de Hegel qui a présenté sa propre philo-sophie comme une synthèse entre la profondeur luthérienne et l’optimismedes Lumières. Il n’est pas hasardeux que l’un des premiers livres de Hegels’intitule précisément Foi et savoir (1802) et que son objectif soit de réconci-lier la Révélation et la philosophie à l’intérieur d’un « savoir absolu ». Cetype de réconciliation (au profit du savoir philosophique) est ce queBenoîtXVI semble vouloir rejeter en prônant un retour à l’unité entre foi etraison d’avant la scission, c’est-à-dire d’avant Hegel, Kant et Luther. C’estdonc en amont de la Réforme qu’il faut se situer pour établir à quel type derapport entre foi et raison se réfère le pape.En première approche, on pourrait être tenté d’inscrire la relation entre

foi et raison à l’intérieur de deux modèles antagonistes : le modèle de la com-plémentarité et celui de la scission. Mais, dans aucune des traditions mono-théistes, on ne trouvera énoncée une scission telle qu’elle refuse toute espèced’intelligibilité à la foi. Il faut probablement partir de l’énoncé de saintAnselme selon lequel fides quaerens intellectum (« la foi requiert sa compré-hension »). Cet énoncé stipule simplement que la foi demande à être clari-fiée, approfondie et explicitée, mais il n’est encore nullement décidé par làsi c’est à la raison qu’il revient d’énoncer le sens de la foi. La position d’An-selme est elle-même ambiguë : si la foi en l’existence de Dieu appelle soncomplément sous la forme d’une preuve « rationnelle » de cette existence,cette preuve n’est aucunement autonome par rapport à la foi qui l’exige.

1.Voir les trois articles publiés dans Esprit en novembre 2006 : Christian Jambet,«Les malentendus de Ratisbonne : l’islam, la volonté et l’intelligence » ; Olivier Abel,«Une division occidentale au sein du christianisme ? » ; Hervé Legrand, «Quel dialogueislamo-chrétien dans le contexte de l’élargissement de l’Europe à la Turquie ? ».

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«Ce n’est pas pour croire que je cherche à comprendre : c’est pour com-prendre que je crois » (Proslogion, I).Les thèses de la complémentarité entre foi et raison se développent à par-

tir d’une certaine interprétation de ce rapport entre foi et explicitation phi-losophique de ce qui est cru. À cet égard, la position la plus « rationaliste »émane incontestablement de l’islam, plus précisément d’Averroès. Le Dis-cours décisif est une fatwa, c’est-à-dire un avis légal relatif à la juridictionreligieuse : il s’agit de déterminer si l’étude de la philosophie et l’exercice dela raison, sont autorisés par la Loi révélée. La réponse d’Averroès est sansambiguïté : la philosophie est une exigence qui émane de la Révélation elle-même et la raison humaine est en mesure d’énoncer par ses propres moyensdes vérités qui sont « voilées » dans le Coran. La philosophie (aristotéli-cienne) est « chose bénéfique par nature et par essence » parce qu’elle per-met de clarifier les énoncés de la foi. Dans cette perspective, c’est la théolo-gie qui devient suspecte puisqu’elle sacralise des textes qui s’adressent àl’imagination du peuple sans chercher à en reconstruire le sens rationnel.Averroès lègue d’ailleurs à la philosophie un principe qui orientera de

manière tout à fait décisive les réflexions sur le rapport entre foi et raison.L’idée est simple : «La vérité ne peut être contraire à la vérité ». On laretrouvera aussi bien chez saint Thomas que chez Leibniz. La conciliationentre les vérités démontrées par la raison et les vérités révélées à la foi estune exigence logique doublée d’un refus : celui de voir la foi cantonnée audomaine indistinct du « sens ». Pour Thomas (qui est de toute évidence l’ins-piration première de Benoît XVI dans ce contexte), Dieu n’est pas étrangerà la raison parce que l’acte le plus profond de l’intelligence humaine est larecherche des causes et que celle-ci culmine dans la remontée vers une causeultime. Si la raison humaine est naturellement prédisposée à Dieu, elle n’ac-cède pourtant pas à la substance de Dieu puisque son point de départ estsensible. C’est pourquoi il faut distinguer deux types de vérités : les véritésaccessibles à la raison naturelle et celles qui « dépassent toute la capacité dela raison humaine » et qui relèvent de la foi. Mais, aussi distinctes soient-elles, ces vérités ne se contredisent aucunement. Dieu a donné la raison auxhommes pour qu’ils comprennent la nécessité d’un Créateur ; la Révélationest le second (et principal) « don » de Dieu, celui dans lequel il s’énonce.Leibniz écrira encore, au début du XVIIIe siècle, un «Discours de la

conformité de la raison avec la foi » qui servira de préface aux Essais dethéodicée. Si le principe reste inchangé par rapport à Thomas (une vérité nepeut contredire l’autre), le contexte s’est radicalement transformé : la scis-sion déplorée par Benoît XVI a eu lieu. Pour Leibniz, elle prend d’abord lafigure des Lumières puisque son principal interlocuteur est Bayle, sa reven-dication des « droits de la conscience errante » et la discontinuité qu’il intro-duit entre les dogmes de la foi et les vérités de la raison. Tout l’effort deLeibniz (le dernier de la modernité) consiste à montrer que ce qui« dépasse » la raison (l’Incarnation, la Trinité et plus largement les «mys-tères ») ne va pas « contre » la raison. On peut démontrer que la foi n’énoncerien de contradictoire (car rien de ce qui est contradictoire n’est vrai) etqu’elle ne contrevient donc pas non plus aux progrès de la science.Mais les Lumières ne sont pas seules en cause dans la tendance moderne à

distinguer radicalement foi et raison. Il n’y a pas que Descartes et Spinozapour considérer que la Bible n’est pas un traité de cosmologie et que la foiest extérieure aux démonstrations de la science. C’est aussi, on l’a dit, l’avisde Luther et celui de Pascal. Pour ce dernier, « la foi est différente de lapreuve : l’une est humaine, l’autre est un don de Dieu […] cette foi est dansle cœur, et fait dire non scio, mais credo » (Pensées, fr. 248). Foi et raison se

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distinguent par leur origine et par leurs objets. Mais, là encore, il ne fautpas se hâter de conclure à l’irrationalisme des tenants de la foi. Le christia-nisme n’est pas pour Pascal une doctrine de l’absurde, mais la religion quienseigne la nature humaine, c’est-à-dire une nature contradictoire puis-qu’elle réunit grandeur et misère. Seule la foi « rend raison de ces étonnan-tes contrariétés » (Pensées, fr. 430) puisqu’elle établit à la fois la corruptionde l’homme et la rédemption en Jésus-Christ. Pour ce qui concerne vérita-blement l’individu (à savoir, son salut), la foi se substitue donc à une raisonimpuissante, ce qui démontre bien qu’elle possède un contenu cognitif. Pas-cal ne rompt pas avec le présupposé qui était déjà celui de saint Thomas, àsavoir que la foi délivre une vérité. Il insiste simplement sur le fait que cettevérité est inaccessible aux procédures logiques suivies par la raison.C’est Kant (et Benoît XVI ne s’y est pas trompé) qui marque la véritable

rupture entre foi et raison. On connaît la célèbre phrase du philosophe alle-mand : « J’ai dû abolir le savoir pour laisser une place à la croyance. »Encore faut-il la comprendre. Il ne s’agit en aucun cas de l’énoncé d’unfidéisme irrationaliste (le fameux «piétisme » de Kant). Le « savoir » qu’il afallu abolir est celui de la métaphysique dogmatique qui prétend accéder àune connaissance de Dieu par des voies proprement rationnelles. Quant à la« foi » qui se voit ici promue, il s’agit de la « foi rationnelle », c’est-à-dired’une foi autorisée par la raison théorique et suscitée par la raisonpratique : ce que je ne puis connaître (Dieu, l’immortalité de l’âme), et dontj’ai néanmoins besoin pour espérer, je peux y croire.C’est l’acte inaugural d’une certaine tendance antithéologique, mais pas

irréligieuse, des Lumières : la croyance et la raison humaine (ce que Kantappelle l’« entendement ») ne portent pas sur les mêmes objets. La premièrea pour horizon ce qui dépasse l’expérience, tandis que la seconde s’épuisedans l’acte de connaître. Il y a un sens philosophique de la religion puisqueles hommes sont amenés à croire dans ce qu’ils ne peuvent connaître. Maisla foi elle-même est totalement étrangère à la recherche de la vérité et audevenir de la science : elle est une réalité proprement subjective qui, commeon le dirait communément, n’engage que celui qui y croit.Il y a donc, en réalité, au moins trois modèles philosophiques du rapport

entre foi et raison et non pas deux : le modèle de la complémentarité (Tho-mas, Leibniz), celui de la séparation, soit au profit de la foi (Luther, Pascal)soit au profit de la raison (Bayle, les Lumières antireligieuses), enfin celuide l’indifférence mutuelle (Kant, mais déjà Spinoza, c’est-à-dire ce que l’onpourrait appeler les «Lumières athéologiques »). Si Benoît XVI réagit expli-citement contre le deuxième modèle (au nom du lien «naturel » entre la rai-son et la foi), c’est vraisemblablement le troisième qui est le plus éloigné dela conception catholique puisqu’il vise tout simplement à arracher la foi auregistre de la vérité. Or c’est là ce qui est le plus difficile à entendre pourtoutes les confessions, quelle que soit la confiance qu’elles accordent à laraison humaine. Ce qu’il faudrait ici reconnaître, et qui n’a été reconnu quepar bien peu de philosophes « croyants » (à l’exception notoire de PaulRicœur), c’est que la philosophie ne peut être qu’agnostique, autrement ditqu’elle doit rompre aussi bien avec la théologie révélée qu’avec la théologierationnelle. La foi est alors renvoyée soit à la conscience subjective en quêted’un sens (et non d’une vérité) soit à l’exégèse des textes, mais elle n’estjamais identifiée à un « supposé savoir » qui la mettrait inéluctablement enconcurrence avec la raison.

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