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Bureau de recherches - Lieu-dit la Manufacture des Œillets 31 rue Raspail - 94200 - Ivry-sur-Seine - Tél. : + 33 (0) 1 46 72 77 60 http://www.amenites-developpementdurable.net Les valeurs et principes de l’aménagement durable Analyse et perspectives par et pour les éco-quartiers en France Rapport Final Guillaume Faburel Maître de conférences – Institut d’Urbanisme de Paris Université Paris Est Créteil Val-de-Marne Camille Roché Chargée de projet Bureau de recherches Aménités : Aménagement, Environnement, Territoires Juin 2012 Pour le Ministère de l’Ecologie, du Développement Durable, des Transports et du Logement (Bureau AD4)

Les valeurs et principes de l’aménagement durable

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Bureau de recherches - Lieu-dit la Manufacture des Œillets 31 rue Raspail - 94200 - Ivry-sur-Seine - Tél. : + 33 (0) 1 46 72 77 60

http://www.amenites-developpementdurable.net

Les valeurs et principes de l’aménagement durable

Analyse et perspectives par et pour les éco-quartiers en France

Rapport Final

Guillaume Faburel Maître de conférences – Institut d’Urbanisme de Paris

Université Paris Est Créteil Val-de-Marne Camille Roché

Chargée de projet Bureau de recherches Aménités : Aménagement, Environnement, Territoires

Juin 2012 Pour le Ministère de l’Ecologie, du Développement Durable, des Transports et du Logement (Bureau AD4)

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Sommaire

Introduction...................................................................................................................4  La question des transformations de l’agir territorial par les éco-quartiers ....................................4  La question orpheline des valeurs et principes de la durabilité ......................................................6  

Partie 1 – La démarche EcoQuartier : à la recherche d’un socle commun de valeurs et principes ? ..................................................................................................10  

1.1 Un référentiel en mal d’axiologie : les réflexions autour de la préfiguration du label......... 10  

1.2 De quelques premières réflexions… à la nécessité d’appréhender vie de quartier et appropriation : les positions du comité scientifique et du club EcoQuartier.............................. 12  

1.3 Une première tentative d’élaboration de socle : le poids des finalités conventionnelles de l’action (et donc du tour de table de l’atelier) ............................................................................ 15  

1.4 Une vision classique mais de plus en plus instable pour l’évaluation des projets : le rôle des savoirs et savoir-faire techniques ............................................................................................... 18  

1.5 Entre deux conceptions asymétriques de l’action territoriale… ou la cause première d’un défaut d’échanges sur l’axiologie des éco-quartiers ? ................................................................ 20  

Partie 2 – Démarche méthodologique mise en œuvre face à la diversification des ambitions de la démarche EcoQuartier ....................................................................23  

2.1 Méthode mise en œuvre : de la hiérarchie des valeurs/principes à une pré-grammaire des modèles en jeu ............................................................................................................................ 23  

Première étape : la lecture par occurrences de 5 familles de mots-clefs pour l’élaboration d’une première hiérarchie de valeurs et principes...................................................................................23  Seconde étape : analyse compréhensive de 16 projets pour stabiliser une pré-grammaire des modèles en jeu ................................................................................................................................25  

2.2 La grille EcoQuartier : la diversification des ambitions et des attentes axiologiques attenantes .................................................................................................................................... 28

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Partie 3 - Modèles axiologiques en jeu : des valeurs comme principes instrumentaux pour l’organisation des conduites sociales ?...................................32  

3.1 Entre trois familles de valeurs et principes : la mixité en surplomb, la responsabilité en injonction, et la cohésion en (re)construction............................................................................. 32  

3.2 L’opérateur substantif : la fonction fédératrice de l’espace public pour la proximité.......... 36  

3.3. L’opérateur procédural : l’accompagnement comme mot d’ordre pour l’organisation des conduites sociales ....................................................................................................................... 38  

3.3 L’implication habitante par les (seuls) usages… ou la question orpheline des modes de vie.................................................................................................................................................... 39  

3.4 Vers une première typologie : le maintien d’une culture instrumentale et managériale (habitudes principielles et outils sectoriels) de projet ................................................................ 41  

Partie 4 – D’une axiologie instrumentale à un répertoire naissant de l’action territoriale : la question de la participation et des modes de vie............................45  

4.1 Entre une conception dominante de la participation visant l’acceptabilité de l’action territoriale et une conception de signal faible appelant l’autonomie et l’engagement des habitants...................................................................................................................................... 45  

4.2 Essai de typologie de projets pour renseigner l’axiologie socio-écologique : éco-citoyenneté (et non – responsabilité) et compétences habitantes (et non d’usages) ...................................... 48  

Eco-citoyenneté et « vivre ensemble » par l’implication des habitants dans des projets ruraux coopératifs ......................................................................................................................................49  La reconnaissance des compétences habitantes par des dispositifs inclusifs dans les grands projets de rénovation urbaine (notamment d’anciennes friches industrielles) ..............................51  

4.3 De l’accompagnement stratégique des usages… à la capacitation : vers la construction d’un nouveau répertoire de l’action territoriale ? ............................................................................... 52  

4.4 Vers un modèle axiologique de cohésion socio-écologique : le rôle dual de la sobriété et de son habiter................................................................................................................................... 55  

Conclusion : Les écoquartiers, de l’accompagnement des usages à une projection collaborative autour des modes de vie ......................................................................60   Références bibliographiques................................................................................................................67  

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Introduction La question des transformations de l’agir territorial par les éco-quartiers L’entrée progressive du développement durable en politique sur ces 20 dernières années en France découle en grande partie de l’envergure des défis imposés à priori à nos sociétés, particulièrement pour la ville. Puisque toutes les projections indiquent une croissance continue de nombre d’agglomérations à l’échelle planétaire, il ne peut manquer de devenir incontournable pour quiconque s’intéresse aux faits et devenirs urbains.

C’est notamment sous son égide que plusieurs enjeux sont aujourd’hui appréhendés. Il s’agit par exemple de l’évolution des formes urbaines, et notamment du mot d’ordre de la densification, voire plus récemment de l’intensification, et de ses effets prétendument positifs pour la durabilité. Il en va aussi, pour autres exemples, des stocks de ressources face à la transition énergétique souhaitée des villes ou encore des modes, dits alternatifs, par exemple de production et de consommation agricoles aux périphéries voire dans les agglomérats urbains. Ou encore, de la construction de nouvelles gouvernances territoriales, le développement d’une démocratie plus dialogique, et, dedans notamment, de la place accordée à la pluralisation de l’expertise (ex : locale), dans les conduites, plus incertaines, de l’action urbaine et territoriale.

Comme l’énoncé de ces quelques enjeux très différents en atteste, le développement durable constitue en fait un vecteur très actuel de réflexivité sur la pensée et l’agir territorial, particulièrement orientée vers la finitude des ressources et l’irréversibilité de certaines de nos interventions, que les orientations techniques et les pressions écologiques font peser sur nos sociétés et leurs devenirs. Et bien moins une solution clef en mains (Puech, 2010). C’est en ce sens qu’il serait « ambition et posture programmatiques » (Godard, 2003), « principe normatif sans norme » (Theys, 2002).

Dès lors, postulant une portée réflexive du développement durable face à une somme de défis premiers posés à la modernité occidentale… urbaine (Salomon Cavin et Bourg, 2010), qu’elle soit tardive ou avancée, qu’elle préfigure une postmodernité (Lyotard, 1979) heureuse (cf. Giddens) ou malheureuse (cf. Beck, Lash…), « Que change ce mot d’ordre dans les dispositifs d’action collective, dans les logiques du débat public et, au final, dans le contenu et l’idéologie des politiques urbaines ? » (Béal, Gauthier, Pinson, dir., 2011, p.11).

Par leur profusion rapide, les éco-quartiers (ou quartiers durables, cf. Boutaud, 2009 ; et Lefèvre et Sabard, 2009) tendent à être promus, sinon comme une des formes majeures, tout du moins comme figures premières de l’aménagement urbain et de l’urbanisme. Ce sont même les seuls objets à ce jour réellement concrets de la ville dite durable. Ces morceaux de ville deviendraient en effet les vecteurs, les prototypes de modèles urbains dont la généralisation serait dorénavant escomptée. L’échelle visée conviendrait pour une appropriation par les habitants, une lisibilité des projets urbains, un enrôlement des différents acteurs dans une visée pragmatique… tout ceci tendu vers une révision de nos modes de pensée et d’agir.

Toutefois, des questions demeurent entières : comment cette visée de généralisation, ou plutôt simple juxtaposition d’éco-quartiers, ferait-elle durabilité ? N’est-il pas paradoxal de confier de plus en plus au local la gestion de ces questions, inscrites dans des perspectives de long terme, quand les problématiques et enjeux sont a priori tenues pour et présentées comme dorénavant plus globaux ? Que pourrait révéler cette diffraction, notamment pour un local dorénavant moteur expérimental dans une pensée sinon globale tout du moins porteuse de généralité ?

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Bref, s’ils viennent trouver place, en tout cas dans les discours, comme modèles idéaux d’une gestion urbaine, une « nouvelle façon de penser et d’agir » (PUCA, 2008), de nouveaux paradigmes en construction (et lesquels ?) en matière d’aménagement urbain, « les éco-quartiers, considérés comme un laboratoire de la ville du futur – une ville qui serait parvenue à entrelacer urbain et rural, à articuler enjeux écologiques, sociaux et économiques – sont-ils effectivement les embrayeurs d’un changement de paradigme ou persiste-t-il, dans leur “génétique”, quelque chose d’un inéluctable retour du même ? » (Bonard et Matthey, 2010). Pour certains, il conviendrait, sinon de répondre par l’affirmative, tout du moins de fixer plausiblement l’hypothèse du changement (Da Cunha, 2007 ; Emelianoff, 2007 ; Souami – coord., 2011), et ce en ouvrant l’analyse à des expériences étrangères (Emelianoff et Stegassy, 2010). « (…) Le discours sur « la ville durable » apparaît comme un nouveau grand discours urbanistique sous tendu par un métarécit de légitimation écologique nouveau à prétention universelle et à vocation planétaire. Mais contrairement aux précédents discours urbanistiques de la modernité (charte d’Athènes, 1933), il ne propose pas un modèle formel général à appliquer, pas de solution globale à retranscrire de façon identique partout, chaque territoire doit trouver sa formule (charte d’Aalborg, 1994) et autre originalité du discours, provient d’ONG, élus, associations… et non de professionnels. » (Levy et Emelianoff, 2011 p. 13).

Cependant, il demeure que l’éco-quartier a d’abord, en France, privilégié l’entrée technico-écologique (Faburel et Roché, 2012a), basée sur une gestion raisonnée de tout un ensemble de thématiques : flux de personnes par une organisation performante et multimodale (favorisant les modes doux) des mobilités, économie des ressources énergétiques (chaleur, eau, etc.), collecte et traitement des déchets (recyclage, tri, compost etc.) et gestion du végétal… le tout rendu possible essentiellement par des innovations élaborées par des professionnels de la conception savante (architectes, écologues, designers, ou autres entreprises de construction et AMO techniques). En ce sens, s’il a indéniablement amplifié la prise de conscience de la vulnérabilité des écosystèmes et plus largement des environnements et cadres de vie (Theys, du Tertre et Rauschemayer, 2010), le développement durable n’a pas encore globalement permis de revisiter en profondeur registres et répertoires de l’action urbaine, à l’exception de quelques instruments et outils de l’action publique, notamment pour y déceler la transformation des politiques locales (Hamman coord., 2008). Ceci implique donc a priori un corsetage par la seule mutualisation du génie écologique, et ce faisant, des expertises techniques dont héritent l’action territoriale et son analyse (Theys, 2010). Ce génie aurait en fait, par son universalisme, d’abord réduit tout territoire urbanisé à ses propres caractéristiques physiques et morphologiques, oubliant de ce fait globalement le fonctionnement même des sociétés qui les peuplent et leur donnent vie, et donc sens, comme Habermas a pu le montrer dans l’analyse qu’il fait du modernisme : les sciences analytiques ont pu conduire au détachement de la société par rapport à elle-même, ont pu œuvrer au déficit d’ancrage des savoirs officiels (1973). Car, « À l’heure de la ville en mode durable – et de la montée en puissance des outils pédagogiques à destination des futurs usagers, réunions d’habitants, livrets d’accueil, guides des bonnes pratiques, éducation au développement durable – il semblerait bien que ce soient les usages et habitudes, c’est-à-dire la réalité des pratiques sociales en ville, qui constituent la principale résistance au développement des éco-quartiers. » (Renauld, 2011).

Cet entre deux du tropisme technique et de cette réalité des pratiques sociales est peut-être la raison première pour laquelle bien des sujets demeurent clairement orphelins des analyses menées et des expériences urbaines décrites (Faburel et Roché, op. cit.), ou alors simplement conjecturales, à l’exemple notamment :

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des potentiels prétendument ségrégatifs des quartiers durables (attraction de certains types de populations et comportements écologiques dits vertueux1),

ou encore de réflexions critiques sur les modifications encore largement fantasmées des modes de vie par les dispositifs (régulateurs) pédagogiques et éducatifs (Renauld, 2011).

Et ce, alors même que les éco-quartiers et les discours sur la durabilité seraient naturellement amenés à faire émerger, par la réflexivité vantée et la diversité des enjeux impliqués pour les futurs urbains, nombre d’autres questionnements. Il s’agit, pour rebondir sur les pratiques sociales comme « résistance » (Renauld, op. cit.), des modes de vie et d’habiter le quartier, enchâssés dans des fonctionnements sociaux historicisés et localisés. Or, ces modes peuvent être portés par certaines valeurs et par certains principes, dont l’analyse est longtemps concomitamment demeurée en retrait, pour ne pas dire absente, dans la littérature. Alors même que cette entrée axiologique devrait également être actualisée lorsque les pouvoirs centraux souhaitent accompagner (et ainsi codifier par un pilotage stratégique) des initiatives, croissantes, et ce faisant doivent justifier politiquement une telle ambition auprès des porteurs locaux de projets, par-delà le simple suivi du respect des dispositions réglementaires.

La question orpheline des valeurs et principes de la durabilité Force est ainsi de constater que les discours officiels se sont, sur cette question des valeurs (références morales, sociales et/ou esthétiques historiquement situées) et principes (règles et normes, cf. Encadré 1.), longtemps cantonnés aux horizons prophétiques promus par l’articulation des (trop) fameux piliers écologique, économique et social. Encadré 1. De quelques qualifications disciplinaires des « valeurs » et « principes »

Les valeurs sont associées à des objets de jugement. Ces jugements fonctionnent comme des idéaux collectifs (d’ordre moraux ou éthiques) qui déterminent les critères du désirable. Les valeurs sont ainsi proches de fins (liberté, solidarité, savoir, égalité, efficacité, accomplissement…) et forment une certaine vision du monde propre à une société donnée ou à une de ses composantes.

La sociologie propose plusieurs approches. La conception durkheimienne pose l’adhésion à des valeurs communes comme l’élément essentiel de l’intégration de l’individu à la société, c’est le fondement de la « solidarité sociale » partagée entre la solidarité mécanique et la solidarité organique. M. Weber distinguera le champ de la science de celui des valeurs en accordant à ce dernier une importance dans le changement social. À ce titre, pour T. Parson, les valeurs représentent les données ultimes qui expliquent la cohérence et la spécificité d’une culture. Enfin, la sociologie pragmatique de Boltanski et Thévenot, permet de faire évoluer les acceptions wébérienne et durkheimienne des valeurs qui agissaient comme systèmes dominants dans une société donnée, au profit de l’émergence d’idéaux dès lors plus personnalisés et variés qui apparaissent comme des principes de « justification » que les acteurs, formels et informels, donnent à leurs comportements.

Les principes agissent quant à eux comme les règles fondamentales de l’action ou de la pensée. Relatifs à la connaissance, ils fonctionnent comme des normes, alors que les valeurs, plus sensibles et subjectives, fonctionnement plus souplement comme des références morales et éthiques guidant l’action. Dès lors, les valeurs s’incarnent dans les principes. La philosophie de Hans Jonas propose par exemple le « principe de responsabilité » qui permet de nourrir les réflexions sur le développement

1 « Dans quelle mesure certains objectifs centraux des politiques de développement urbain durable – densification urbaine, lutte contre l’étalement urbain, articulation transport et urbanisme, mixité sociale etc. – contribuent-ils à accentuer des processus de ségrégation sociale, de relégation spatiale ou de gentrification ? » (Béal, Gauthier, Pinson, dir., 2011, p. 235).

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durable, en ce qu’il impose une action qui procède de l’avenir. Il établit pour ce faire que la prise de conscience d’une croissance continue et potentiellement destructrice pour la nature, et par conséquent pour l’humanité, de l’innovation technologique impose une nouvelle éthique de vie, celle de devoirs de préservation de l’humanité.

Vivable, viable… et équitable, voilà ce dont le développement durable devrait être garant, en écho à quelques ambitions largement relayées ces 20 dernières années pour les devenirs urbains :

La viabilité de notre modèle de développement engage la nature même de la croissance économique urbaine et du développement des et dans les agglomérations ;

L’équité de traitement, entre et au sein des sociétés, implique inégalités/injustices sociales et environnementales, avec leurs ségrégations résidentielles et enclavements urbains d’ores et déjà existants ;

La vivabilité environnementale des espaces de vie et de leurs milieux urbains renvoie quant à elle à la protection de l’environnement en ville, à la préservation de la nature, au maintien de la diversité du vivant, à l’écologie des flux de matière…

Toutefois, en France notamment, ceci a très largement conduit à l’accolement fréquent des cadres et orientations de l’axiologie des politiques sectorielles historiques… au rang desquelles figurent en bonne place celles de la ville, de l’aménagement, comme de l’urbanisme. Au détriment souvent de réelles réflexions et de véritables innovations en la matière, en tout cas dans la mise en place des agendas 21 locaux, des chartes et indicateurs de développement durable… et autres instruments pour la « durabilité » des territoires.

Pourtant, comme le montre F. Choay au sujet de l’urbanisme du XXe siècle, « Il faut cesser de répéter des formules figées qui transforment le discours en objet, pour définir des systèmes de rapports, créer des structures souples, une pré-syntaxe ouverte à des significations non encore constituées » (Choay, 1965, p. 81). Ici, singulièrement, comme énoncés modernistes de nos rapports aux temps et à l’espace, les valeurs et principes de l'action urbaine, de même que plus récemment territoriale, ne sont encore largement pas discutés (donc discutables) par la durabilité, alors même que « À la racine de toute proposition d’aménagement, derrière les rationalisations ou le savoir qui prétendent la fonder en vérité, se cachent des tendances et des systèmes de valeurs. » (Choay, op.cit, p. 74) : Quid par exemple de l’équité intergénérationnelle lorsque les générations futures sont absentes dans les arbitrages ? Quid des solidarités inter-territoriales lorsque tout espace aspire à être durable, ceci le faisant entrer dans un « nouveau » jeu concurrentiel ?...

Comme vecteur très actuel de réflexivité sur l’agir territorial, pourquoi donc le développement durable peine-t-il tant à faire émerger ce thème dans les écrits officiels ? Et quel(le)s seraient donc ces valeurs et principes propres à un développement durable perçu certes comme impératif catégorique mais à la doctrine incertaine (Boissonade, 2011), une fable d’un grand récit encore en manque d’écriture (Rumpala, 2010), voire un creuset reproductif des mythes fondateurs et de la visée prométhéenne de l’aménagement (Faburel et Roché, 2012b) ? De quelle durabilité sont porteurs les mots d’ordre comme la mixité, la densité, l’équité, la solidarité… ? Les objets éco-quartiers/quartiers durables permettent-ils, par le foisonnement très actuel de leurs projets, de même que par leur concrétude annoncée, d’en repérer l’évolution, voire une pré-grammaire ? Pour quel référentiel (nouveau ?) de l’action publique, et quels répertoires en émergence ? Par quelle éventuelle portée au changement ? Et ce faisant selon quelles codifications de la part des systèmes constitués et prérogatives d’acteurs plus historiques (Villalba coord., 2009) ? ...

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Les valeurs et principes de la durabilité seront donc placés au cœur de notre propos, à la suite de quelques écrits récents et très généraux, en France comme à l’étranger, dans lesquels par exemple la solidarité (par d’autres formes d’entraide), la précaution (en lien à l’irréversibilité) ou encore la proximité et la participation (sous l’angle premier de la capacitation citoyenne), commencent lentement à être mises sinon en lumière, tout du moins en débat (Seghezzo, 2009 ; Buclet, 2011).

Pour ce faire, il s’est agi d’abord d’analyser la démarche EcoQuartier 2011 dans ses différents dispositifs, puis de décrypter les valeurs et principes portés par les projets. Une attention particulière a été accordée aux 78 projets pré-sélectionnés au Palmarès, pour leur capacité moins à représenter les fameuses « bonnes pratiques » qu’à témoigner tant du cadre cognitif hérité que des éventuelles volontés axiologiques du moment. Ici, compte tenu du manque d’énoncés clairs sur ce thème, nous avons sans cesse cherché à confronter l’analyse à :

des ouvrages et autres écrits scientifiques dédiés au développement durable, singulièrement ceux, encore peu nombreux, privilégiant récemment les approches socio-politiques (et notamment tous ceux cités jusqu’à maintenant) ;

et à des « signaux faibles » sinon remarqués tout du moins semble-t-il remarquables (projets coopératifs, initiatives habitantes et citoyennes, modes de vie et d’engagement, pratiques remontantes…), eux-mêmes parfois repérés au sein du corpus de projets étudiés.

Tout ceci également afin d’ouvrir, outre le décryptage visé, quelques pistes de réflexion, tournant pour beaucoup autour des savoirs, de l’expertise, et plus largement des compétences dans les métiers du projet.

Le travail, qui a alterné lectures statistiques et documentaires, observations participantes et analyses de discours, schémas récapitulatifs et quelques projections, donne lieu à un document en 4 parties.

La première partie a permis de revenir sur le déroulement de la démarche EcoQuartier par une analyse des discours et une observation des réunions et échanges qui l’ont composée. Ceci dans le but d’évaluer in vivo comment principes et valeurs sont éventuellement abordés, comment les critères d’évaluation sont potentiellement élaborés (sur la base de quels champs de connaissance et expériences de projets…), voire déployés (selon quelles interactions et échanges, entre quels types de savoirs et compétences, pour quelles visées évaluatives…). Il s’agissait ici de caractériser le contexte d’émanation de la demande en la matière, ses enjeux et dynamiques.

Les constats tirés de cette première analyse discursive, et au premier chef les effets provoqués par les tours de table des différents dispositifs d’échanges ainsi que les cultures évaluatives et référentiels en présence, ont alors déterminé notre approche et nos choix méthodologiques pour l’étude des projets d’éco-quartiers.

Cet exposé de la méthode constitue la deuxième partie. Nous privilégions ici une analyse en deux étapes, la première, d’approche plus statistique, sur les 78 dossiers du pré-palmarès, la seconde dédiée à 16 cas, retenus ou mis de côté à l’issue de ce premier tri officiel, mais potentiellement porteurs de quelques innovations axiologiques… Cette deuxième partie expose aussi les biais potentiels d’induction liés à la grille d’évaluation elle-même (dimensions, thèmes et sujets) pour l’exploration menée ici.

Il s’est agi, alors, dans les troisième et quatrième parties, de rendre compte statistiquement de l’analyse du corpus des 78 projets et d’une analyse impliquant une lecture moins cursive de 16 cas resserrés. Ceci afin de recenser, dans la troisième partie, les qualifications, types et

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contenus des valeurs et principes plus ou moins défendus, et d’asseoir une première entrevue de leur mise en cohérence et ce faisant des grands modèles axiologiques défendus, ainsi que de spécifier le poids du référentiel instrumental et managérial dès lors mis en lumière.

Le 4ème et dernier temps du rapport propose une analyse plus approfondie du modèle pointé comme émergent, dessinant alors vraisemblablement un « nouveau » répertoire de l’action territoriale, appuyée sur une axiologie différente.

L’ensemble de la recherche implique l’élaboration d’une grille d’analyse, impliquant plusieurs critères d’évaluation : enjeux identifiés par les porteurs de projets, sujets thématiques proposés pour la mise en pratique des valeurs et principes, moyens de mise en œuvre par les outils … Celle-ci sera présentée en conclusion sous forme de deux tableaux synthétiques. Ce dernier temps sera aussi l’occasion de synthétiser l’ensemble des résultats et d’exposer quelques propositions à destination des champs de savoirs et de compétences dans l’ « accompagnement » de projet.

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Partie 1 – La démarche EcoQuartier : à la recherche d’un socle commun de valeurs et principes ? 1.1 Un référentiel en mal d’axiologie : les réflexions autour de la préfiguration du label La démarche EcoQuartier mise en place par le MEDDTL a permis plusieurs avancées. Tout d’abord, dans le foisonnement du moment sur l’aménagement et la ville durable, et singulièrement dedans des réflexions sur les éco-quartiers, elle a permis de faire connaître et de confronter un grand nombre d’initiatives de projets, leurs motivations et ambitions, leurs visées et finalités, leurs portages et acteurs... Elle a donc rassemblé. Ce qui manquait grandement au champ évanescent des initiatives territoriales concrètement promues par le développement durable.

Elle a en outre sans conteste permis, par cette fonction ensemblière, de poser les jalons de réflexions plus collégiales sur les enjeux, thèmes, critères et indicateurs pour leur évaluation et leur suivi. À cette fin, les différents rendez-vous se complétaient avantageusement sur certains points (critères moins quantitatifs de lecture par exemple), et permettaient d’approfondir plusieurs questions non posées lors de la consultation 2009.

Enfin, non le moindre, cette démarche a donné lieu à une entente minimale sur quelques points de vue, dès lors partagés parmi tous les acteurs présents : besoin d’une contextualisation de l’évaluation, d’une territorialisation et d’une transversalité des projets… En somme, la construction progressive d’un espace d’échanges et de mise en cohérence…

Mais pas encore de référentiel commun, c’est-à-dire :

non pas au sens de critères projectuels par retour comparé d’expériences (définition habituelle du référentiel dans les métiers et leurs productions documentaires cf. guides, benchmark…),

mais sous l’angle d’un système de valeurs communes, explicitant les liens établis par chaque acteur entre sa vision du monde, ses activités et les modes de justification qui leurs sont liés (Müller, 2004, p. 373),

généralement au fondement des doctrines d’intervention par les logiques, conduites et dispositifs que ces référentiels cognitifs orientent.

Pour preuve, voici quelques exemples, s’affranchissant toutefois, pour la commodité de la présentation, de la chronologie des réunions. Il s’agit de livrer ici les positions prises ou simplement les discours émis par les membres des différents comités (rendus ici anonymes par règle méthodologique), lors de multiples réunions composant la démarche d’ensemble sur l’année 2011. Ces positions et discours appellent peu ou prou toutes et tous à la construction d’un socle commun de valeurs et principes dans la démarche EcoQuartier, mais selon des justifications et modalités souvent fort différentes.

La réunion du 22 avril 2011 sur la préfiguration du label EcoQuartier (qui réunissait le ministère, quelques agences d’État, des services déconcentrés…) a permis de discuter la nature même du label, au travers de son utilité, de son contenu et donc de sa forme. Cette question a été posée par quelques participants, mais la réunion a surtout servi à déterminer ce que le contenu devait être plutôt que la portée régulationniste même d’une telle démarche. Dans ce cadre, un compromis assez ample a émergé sur la mise en valeur d’un processus, pour laisser place à l’innovation. L’intégration à un projet de territoire et l’évaluation qualitative sont alors ressorties comme deux critères essentiels d’appréciation, avec comme notions de vigilance : l’évolutivité, la transversalité, la gouvernabilité.

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En ce sens, le débat a fait ressortir une volonté de produire un label non pas normatif, mais souple, en mesure d’apprécier une démarche plutôt que de juger un produit fini selon les seuls canons techniques de l’évaluation quantitative. Dès lors, comme critères d’appréciation, il s’agirait de mettre également en avant les valeurs et principes portés par les projets.

Il est vrai que, comme dispositif d’intervention, toute labellisation s’inscrit aujourd’hui dans l’orientation, voire parfois pilotage, stratégique à distance de l’action locale (de même que les chartes de bonne conduite ou encore les indicateurs de suivi). Dès lors, assez logiquement, la justification politique par les porteurs de l’instrument est (re)posée, ce qui (re)place au cœur de la démarche le rôle et la portée des principes défendus. Mais, de quel(le)s valeurs et principes s’agit-il et à quelles fins axiologiques pour l’action territoriale ?

Les 30 juin et 1er juillet 2011 ont de nouveau réuni le comité de préfiguration du label. Ce temps d’échanges a été une nouvelle fois l’occasion pour les participants de redonner du sens à la démarche. Les deux journées de travail ont été de nouveau traversées par la question de son utilité, de ses objectifs et de la stratégie à adopter, c’est-à-dire des questions laissées en suspens au cours des précédents rendez-vous. Ces interrogations ont indéniablement traversé les discussions dans les ateliers thématiques qui devaient encore une fois servir à réfléchir sur « ce qu’on met dans le label ».

Les participants ont parfois souligné leur incapacité à définir ce que devait être le label sans connaître son objectif précis ni la stratégie mise en œuvre par le Ministère (remarque redondante dans l’ensemble des rendez-vous du Comité de préfiguration). À l’issue de ces temps d’échanges, il a alors été décidé de revenir sur le terme de label et de réfléchir à la possibilité de créer un « contrat », un « engagement mutuel », une « logique d’alliance » qui seraient contextualisés. L’idée principale qui s’est dégagée des discussions a été de créer un référentiel (cette fois-ci au sens professionnel du guidage opérationnel de l’action par le retour comparé d’expériences), co-construit avec les échelons locaux des projets, référentiel pour lequel les parties seraient tenues de définir ensemble les critères d’évaluation à adopter. Ici donc, les acteurs mobilisés ont certes souhaité une dynamique réflexive, de même que confirmé une prise de distance par rapport à l’idée même d’un label, mais sans plus d’indications et d’échanges directs sur les valeurs et principes éventuellement attendus comme moteurs des projets.

À l’occasion cette fois-ci du dernier rendez-vous du comité de préfiguration, qui s’est tenu en septembre, les trois scenarios de label (Charte, Qualification, Contrat) ont été présentés et discutés à partir des éléments recueillis lors des précédents travaux du comité. Les réflexions ont donné lieu à l’émergence d’un quatrième scenario, reprenant finalement les trois propositions du Ministère. Concernant les valeurs et principes, il est alors ressorti de ces deux dernières journées de travail du comité une volonté de promouvoir un socle commun de valeurs, arrêté au niveau national par un référentiel professionnel, mais aussi contextualisé par une appropriation locale des collectivités (dans la mise en œuvre), rôle que pourrait endosser la Charte.

Cependant, toujours pas de précisions, ni de réflexion réellement amorcée sur ces dites valeurs, ou les dits principes.

Le référentiel technique EcoQuartier semble donc faire office de cadre commun déjà instauré, à l’aune du foisonnement de référentiels opérationnels de la durabilité, type Agendas 21 existants. Et pourtant, selon les interventions recensées, la charte comme label pose question par son manque de garantie des engagements de principes, le caractère non-quantifiable des valeurs à plus ou moins prescrire, ou encore le peu d’avancés réelles par rapport à ce qui se fait déjà en la matière. Nonobstant, la charte pouvait finalement apparaître dans le scenario retenu, comme première étape de labellisation, permettant d’évaluer avant tout une démarche

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de projet, sur un socle commun de principes, valeurs, engagements et intentions… très rarement mis en débat.

Le scénario retenu à l’issue du comité de préfiguration s’apparente alors à un « label à trois pétales » (permettant des comparaisons entre les opérations) : d’abord un dossier ou « label projet » (stade du dossier, et garanti la promotion des enjeux Grenelle) – puis une phase chantier (stade 30 % des chantiers finis et 50 % des espaces publics livrés, suivi de l’ambition des objectifs et qualité du chantier) – enfin, phase vie de quartier (stade de 3 ans de vie, évaluation des performances gestion).

=> La question des valeurs et principes a certes traversé les débats du label EcoQuartier, mais de manière descendante et instrumentale. L’idée était de promouvoir un socle commun de grandes valeurs sociétales devant permettre l’appropriation par les acteurs locaux, mais également une souplesse du label tout en garantissant de grandes orientations pour l’action. Il s’agit en fait ici de développer un référentiel professionnel, sous forme de guide pour accompagner l’action territoriale durable.

1.2 De quelques premières réflexions… à la nécessité d’appréhender vie de quartier et appropriation : les positions du comité scientifique et du club EcoQuartier C’est en fait suite à la première consultation EcoQuartier lancée par le MEDDTL en 2009 que la question des valeurs et principes des projets a commencé à traverser les discours officiels des porteurs de la démarche. M. Yenbou, dans son rapport réalisé en 2010 à l’occasion d’une mission au sein des services du MEDDTL en charge de cette démarche, avait analysé les problématiques sociales décrites par les projets soumis à cette consultation, en les abordant notamment sous l’angle des principes/valeurs et outils censés les porter. Elle proposait ainsi un « cadre d’objectifs à destination des principaux acteurs-initiateurs des éco-quartiers » (p. 63). Elle déclinait alors, en dépendance étroite avec les récits des projets déposés, cette ambition en trois enjeux axiologiques :

la justice, certes par la mixité sociale et fonctionnelle, mais aussi intergénérationnelle ;

la solidarité et le partage par la cohésion sociale ou encore la convivialité au sein du quartier et les liens inter-quartiers ;

la responsabilité (ou éco-responsabilité) par les nouveaux habitats, modes de consommation, rapports à la mobilité…

Sous cet angle, les initiatives que l’auteure identifiait comme remarquables dans les dossiers déposés (environ 15 %), renvoyaient pour beaucoup à la participation citoyenne, au partenariat entre acteurs privés et publics, et aux outils de la maîtrise d’œuvre. Et ce souvent de manière strictement instrumentale, rappelant le poids des conceptions et exercices démocratiques dans l’émergence ou l’affirmation - somme toute limitée à cette époque - d’autres ambitions axiologiques, regroupées ici en justice, responsabilité et solidarité. En outre, des rabattements classiques sont de mise. Ainsi, la justice s’incarne ici avant tout à travers un propos sur la mixité sociale, alors que le rapport précise justement le (fameux) travail de sociologues comme J-C. Chamboredon et M. Lemaire, qui dès les années 1970, remettaient en question l’idée préconçue d’un rapprochement social par la proximité spatiale. En outre, à l’utilisation trop systématique et normative de l’ambition de mixité dans les projets d’aménagement urbain, et surtout de rénovation urbaine, ce rapport posait un enjeu de taille pour les éco-quartiers, qui devaient « aller outre les dispositifs existants et permettre

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d’apporter des réponses à ces questionnements en interrogeant sur les modalités de rassembler, de faire partager et communiquer, de faire évoluer ensemble » (p. 43). Or le lien ici établi entre mixité et justice, la mixité devenant le grand principe d’action pour rendre la ville plus juste, interroge sur la capacité des éco-quartiers à revisiter, voire à dépasser, quelques traditions et habitudes bien ancrées dans les modes de faire, laissant de côté des questions bien plus liées aux modes de vie locaux en rapport au vécu de cette mixité, de l’acceptabilité par les habitants et de sa capacité à créer du lien et à renforcer une vie de quartier…

La responsabilité, quant à elle, s’incarne dans l’encouragement aux comportements éco-citoyens, par l’incitation (et notamment l’information) moins que par l’inclusion sociale. Dès lors, l’engagement citoyen apparaît secondaire face à la responsabilisation de l’usager par l’éducation, la sensibilisation et la pédagogie, dispositifs moins tournés vers d’autres modes de vie que vers l’éducation, voire même une forme d’assujettissement, par les comportements dits vertueux, notamment dans le domaine de l’énergie. S’agit-il alors ici de redonner sa place au citoyen par la mise à disposition de lieux de participation à la vie quotidienne (gestion des espaces partagés, définition de règles de vie commune…) ou de faire accepter la portée performative escomptée du projet (par la communication, l’information, les réunions publiques…) ?

Enfin, la solidarité et le partage s’incarnent dans l’instauration d’une cohésion sociale, qui elle-même induit classiquement espaces de rencontre (jardins, espace public…), mixité, mobilisation associative… tout ceci orienté vers la fameuse identité de quartier... Mais sans plus d’interrogation sur les types de solidarité en jeu, ou encore sur la cohérence recherchée, le modèle de cohabitation visée ou encore ce qui fait « commun », par l’entraide notamment.

=> Le rapport de M. Yenbou, identifiait des valeurs et principes encore largement rabattus sur des partis pris historiques des politiques urbaines sectorielles, sans véritable mise à l’épreuve, dans les projets eux-mêmes, au contact des enjeux de l’« éco » (quartier, village, hameau, habitat, citoyenneté, responsabilité…) et du « co » (-working, -voiturage, -habitat…) et, ainsi, de leur articulation (ex : par les modes de vie).

Les réunions du comité scientifique ont ce faisant permis de livrer un regard complémentaire sur la démarche de création d’un label, notamment en adressant les questions du pourquoi et du pour qui, ainsi que de ses effets rebonds en termes de gouvernance ou encore de légitimité d’action. Surtout, les discussions ont mis en avant la nécessité de questionnements axiologiques, c’est-à-dire visant aussi à rendre compte de manière opérationnelle des valeurs et principes défendus par ledit projet, ceci notamment, c’est à remarquer, en s’ouvrant aux modes de vie et d’engagement des habitants. « Quelles valeurs on définit autour du programme d’un projet ? Comment intégrer les valeurs dans le projet ? Comment les valeurs perdurent avec l’appropriation des habitants pour assurer une continuité dans les modes de vie et d’habiter ? Comment l’habitant donne à voir le quartier en fonctionnement ? Comment ça fait mode de vie ? Comment le quartier fait sens par l’habiter ? » (F. Faucheux, chargé de projet Ecoquartier au MEDDTL).

Ce questionnement (réunion du 11 mai 2011) manifeste tant un intérêt nouveau pour des considérations socio-politiques, qu’une volonté commune d’approfondir les connaissances sur un quartier en fonctionnement, autrement dit… une vie de quartier. Il s’agit ici de se demander comment les habitants interagissent avec leur environnement tant matériel, que naturel ou social. Ainsi, la discussion a montré qu’un label pourrait renseigner aussi, par ce

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biais, de « grandes visées sociétales partagées » et de « grands mots et desseins », dépassant le rabattement fréquent de l’implication habitante sur les dispositifs dits participatifs, pour par exemple mieux croiser problématiques sociales et environnementales. C’est alors aussi dans cette perspective que, selon le comité scientifique, le label véhiculerait valeurs et principes : « il doit construire une valeur par rapport au projet politique de la ville ». Il a donc également, au-delà de l’évaluation qu’il procure, une portée performative : il apporte à la relation citoyens-élus-professionnels dans la fabrique de la ville.

=> C’est ainsi que le label n’aurait plus seulement une visée pédagogique mais permettrait de définir des valeurs et un langage commun, d’où l’importance soulevée ici de créer une grammaire sur les valeurs et principes tirée tant des projets que, concomitamment, portés par la démarche de labellisation et d’expertise.

Ayant pour but de favoriser la diffusion des bonnes pratiques vers les collectivités à partir de celles repérées dans le Palmarès ainsi que structurer et accompagner la maîtrise d’ouvrage publique2, le club EcoQuartier constitue quant à lui un autre dispositif essentiel de la démarche globale. Il a plus particulièrement posé la question des critères d’évaluation des projets, qu’il souhaiterait moins techniques, et de nouveau plutôt orientés par des valeurs et principes véhiculés par un éco-quartier ; ce particulièrement une nouvelle fois pour motiver l’engagement des habitants dans des modes de vie différents, et ainsi, par exemple, assurer la viabilité du projet et, ce faisant, l’intérêt de quelques investisseurs/promoteurs. Des réponses devraient ainsi être apportées par ce dispositif à des questions telles que « Quelle création de valeur par l’éco-quartier ? Pourquoi l’habitant accepterait de vivre dans un éco-quartier ? Quel est le consentement à faire pour vivre dans un éco-quartier ? Y-a-t-il une valeur économique pour l’habitant à vivre dans un éco-quartier ? ». Dans ces cadres d’échanges que représentent le comité scientifique et le Club, l’« appropriation » habitante, avec tout ce qu’elle véhicule également d’instabilité notionnelle et donc de diversité de sens, a ainsi très tôt été placée au cœur des discussions, avec notamment des ateliers déconcentrés dédiés. Le Club cherchait par exemple à comprendre comment par cette appropriation se manifestent des valeurs collectives dans les espaces et/ou comment en favoriser l’émergence à partir des aménagements. Ainsi, la question des critères plus qualitatifs d’évaluation pour apprécier cette « appropriation », et donc analyser les pratiques, ont été ici reposées avec insistance.

Partant tant de cette orientation particulière que de celle, non moins convergente, centrée sur la vie quartier, ou encore des appels répétés dans le comité de préfiguration du label, le groupe évaluation du Club a alors tenté d’élaborer une grille de valeurs visant à apprécier aussi tout projet d’éco-quartier. Et ce, en répondant à la question suivante : « Quels critères permettent de garantir auprès des investisseurs (usagers, collectivités, privés) l’attractivité, la durabilité et la résistance aux stress (économiques, climatiques, sociaux, etc.) de l’EcoQuartier ? » (cf. Compte-rendu réunion du groupe évaluation). Cette grille de valeurs élaborée en 2011 a cherché à s’éloigner, partiellement, du premier agencement proposé en 2010 (Yenbou, op. cit.).

2 http://www.developpement-durable.gouv.fr/Le-Club-National-EcoQuartier.html

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1.3 Une première tentative d’élaboration de socle : le poids des finalités conventionnelles de l’action (et donc du tour de table de l’atelier) Du travail mené sur plusieurs séances avec une quinzaine d’acteurs, est ressorti une liste de 6 termes annoncés comme valeurs, affichées comme incontournables pour tout éco-quartier (la notion de gouvernance n’apparaissant pas comme une valeur en soi, mais traversant les 6 entendues) :

Accessible : un éco-quartier est un quartier accessible physiquement (interne ou collé à la ville, bien desservi en transports, etc.) et financièrement (caractère abordable du foncier, des coûts de consommation et des coûts de maintenance) ;

Attractif : l’éco-quartier doit être un endroit appropriable, où l’on a envie de vivre, de travailler ou simplement de passer ; cela se traduit par une certaine « facilité d’usage », une animation et une diversité (fonctionnelle, sociale, générationnelle) suffisante pour garantir l’attractivité du quartier ;

Evolutif/Durable : il est essentiel qu’un éco-quartier soit capable de s’adapter aux inévitables perturbations opérant à l’échelle de la ville ; pour cela, il doit présenter une souplesse dans sa conception et sa réalisation, voire un caractère réversible ;

Intégré à l’écosystème urbain : une ville est le siège de multiples échanges entre ses différentes composantes et l’éco-quartier doit s’intégrer à ces flux (économiques, écologiques, de ressources, de personnes, de véhicules, etc.) ;

Sûr : l’éco-quartier doit assurer un niveau de sécurité satisfaisant face à des risques de natures diverses (climatiques, sanitaires, criminels, etc.) ;

Solidaire : un éco-quartier est un lieu où les ressources (équipements, matières premières, ressources financières, compétences, etc.) sont mutualisées, dans un souci d’efficacité économique, sociale et environnementale.

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Les résultats de ce court travail de groupe, présentés au Comité scientifique (réunion du 20 septembre 2011), ont vu leur intérêt et pertinence largement remis en question, et ce pour plusieurs raisons. D’abord, la fonction de ces valeurs, et notamment leur articulation avec les finalités de l’Agenda 21 ou la loi Grenelle, reste flou aux yeux de certains participants, et le rôle du ministère dans leur définition apparaît intrusif, voire même re-centralisateur. Ici, elles seraient enceintes dans un référentiel d’action publique encore largement guidé par le commandement, visant les conditions pour rendre un projet acceptable, notamment par l’État. En outre, elles ne devraient pas nécessairement être accolées à l’évaluation, ni même à des ambitions trop figées, toujours pour laisser au local une certaine autonomie. Or, ces 6 valeurs signent indubitablement les espaces et temps de l’action ministérielle, autant que ses répertoires historiques d’action.

Il est vrai que, pour nombre orientés vers des finalités assez conventionnelles de l’action (attractivité, sécurité, accessibilité…), mais toutefois justifiés par quelques questions très contemporaines comme l’évolutivité ou la prévision/précaution, ces 6 adjectifs conçus ici comme des valeurs, rappellent en premier lieu le tâtonnement de l’aménagement dit durable, partagé entre héritage normatif et besoin d’innovation. Par ailleurs, les termes accolés et finalités visées relèvent en apparence d’un certain classicisme : gestion de ressources, flux, usages, services techniques ; garantir l’efficacité, l’accessibilité… Ce constat vient renforcer les conclusions précédentes, qui pointaient l’existence d’un recyclage conceptuel (mixité, cohésion, justice…), au sein duquel la dite innovation passait par des outils assez conventionnels (pédagogie, implication habitante par la gestion d’espaces partagés, sensibilisation pour responsabiliser…), mais sans véritable ouverture à l’expérimentation locale.

Ici, figure en arrière-plan général de cette liste une culture du risque comme nouveau paradigme (ex : sécurité), qui actualise la tentation de la maîtrise, la nécessité de le prévenir en (re)faisant :

lien (social… avec le danger de la fragmentation et des ségrégations),

couture (spatiale avec notamment l’insertion voire l’intégration territoriale, ou encore la diversité des usages pour l’attractivité du lieu),

et synchronisation (des temps de la décision, du projet, de ses effets socio-environnementaux… avec l’évolutivité - mutabilité des espaces publics par exemple).

=> Cette première liste de valeurs et principes indique donc a priori certes une attention grandissante pour le développement d’une évaluation plus qualitative des projets pour une meilleure intégration des dimensions sociales du développement durable et un meilleur accompagnement des territoires locaux à cette fin (notamment par l’appropriation). En ce sens, ce système cherche à répondre à l’habituel défaut de prise en compte des enjeux sociaux de la durabilité. Ceci se fait toutefois selon des cultures et habitudes de penser héritées du fonctionnement historique de l’arrangement politico-administratif, et de ses évolutions managériales et instrumentales de ces 30 dernières années (Gaudin, 2004).

En fait, à l’aune de ce qui a été admis en introduction comme résistance au développement durable (i.e. les pratiques sociales), ces tentatives butent pour beaucoup sur un absent de marque pour envisager la dite innovation : l’habitant. Alors même que « vie de quartier », ou encore « appropriation » sont apparus au creuset d’attentes exprimées dans les différents dispositifs de la démarche, pour faire des valeurs et principes un sujet de réflexion.

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Juste pour rappel, voici de nouveau les questions posées lors des réunions de ces groupes :

Comité scientifique : « Comment les valeurs perdurent avec l’appropriation des habitants pour assurer une continuité dans les modes de vie et d’habiter ? Comment l’habitant donne à voir le quartier en fonctionnement ? Comment ça fait mode de vie ? Comment le quartier fait sens par l’habiter ? »

Club : « Pourquoi l’habitant accepterait de vivre dans un éco-quartier ? Quel est le consentement à faire pour vivre dans un éco-quartier ? Y-a-t-il une valeur économique pour l’habitant à vivre dans un éco-quartier ? »

D’ailleurs, la conférence intitulée « Co-construire la ville aujourd’hui » qui s’est tenue à Strasbourg le 19 mai 2011, relative au « cycle innovation » du Club ÉcoQuartier, insistait sur la place de l’habitant comme partenaire dans la fabrique de la ville, et véhiculait l’idée première d’une co-construction dans laquelle l’action des habitants pourrait mener à des innovations sociales ou du moins des propositions inhabituelles sur la vie d’un quartier, correspondant alors à une réelle participation habitante.

La conférence s’est organisée autour de la table ronde intitulée « Participation citoyenne active dans les projets urbains » et s’est déroulée en deux temps d’échanges : « Associer les habitants et l’ensemble des acteurs de la construction de la ville aux projets urbains » et « L’habitat participatif : initiatives pionnières pour une forme innovante de logements ».

La première partie de la conférence a montré que les démarches participatives se réalisaient aujourd’hui de façon assez homogène dans l’aménagement local et les projets urbains. Elle a ainsi révélé une vision relativement commune de la forme, des règles et des principes de la participation habitante :

Le discours des acteurs de Strasbourg présents au rendez-vous a montré une volonté de la ville d’associer les habitants dès l’amont des projets grâce à des dispositifs de sensibilisation et d’échanges (ateliers, forums, réunions, débats). Un point fort est ressorti de la discussion comme condition à une mobilisation effective des habitants : l’organisation de séances de travail ou d’échanges regroupées dans le temps.

La question des usages a été abordée dans la présentation du projet « Darwin-Ecosystème » de Bordeaux (regroupement d’entreprises voulant fonctionner en vertu de leur responsabilité sociale et environnementale), dans lequel il est prévu de garantir le respect de règles éco-responsables à travers une charte d’adhésion, ainsi que le choix des occupants par l’organisme fondateur, et la mise à disposition d’espaces communs d’échanges internes et externes.

Dans l’optique de la mise en œuvre de la participation, le directeur de proximité de la ville de Strasbourg a évoqué des impératifs comme la transparence, et l’établissement de règles du jeu de la participation claires dès le commencement de la dite concertation.

Toutefois, il est aussi ressorti que ces visions communes correspondaient à des modes de penser et de faire certes peut-être moins institutionnels qu’auparavant, mais encore très descendants.

=> Dans ce cadre de réflexion, la dernière intervention de Cécile Cuny, chercheuse à Paris 8, a montré qu’il existait un type de dispositif participatif correspondant moins à ce que les politiques publiques tentaient de mettre en place. Il s’agissait d’un nouveau modèle de développement durable passant par une politisation de la vie sociale quotidienne, un

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dispositif plus complexe qui échapperait peut-être aux politiques publiques et qui s’inscrirait dans le long terme.

Cette vision précisait-elle, résulterait d’une prise de conscience des limites des réponses techniques proposées par les experts scientifiques. Cette intervention a donc, dans le cadre de la démarche d’ensemble ici analysée, permis de poser les termes d’une problématique essentielle, absente des expériences et/ou initiatives présentées par les interventions précédentes. La distinction entre une démarche de projet urbain sur le court terme (qui apparaît jusque-là dans le discours de tous les intervenants) et une démarche transversale d’ordre politique portée par les citoyens eux-mêmes, dans leur vie quotidienne, et sur le long terme.

La seconde partie de la conférence a alors abordé une forme de participation plus concrète qui résultait d’initiatives habitantes : l’autopromotion. Les intervenants ont présenté successivement leur expérience du domaine et leurs convictions pour cette manière « nouvelle » de faire la ville. La notion d’autopromotion a été utilisée à la place d’habitat participatif, de façon à faire consensus lors de la conférence, et désignait selon les discours, une forme d’habitat initiée par les habitants comme alternative à l’état inégalitaire du marché du logement. La notion intégrait aussi une volonté d’agir sur le système du logement lui-même, dans lequel les promoteurs et les constructeurs ont tendance à produire des objets de consommation plus que de vie et de partage.

Il est ainsi apparu que l’autopromotion était un exemple d’innovation sociale par l’engagement habitant. Elle ne se limite pas, loin s’en faut, aux réponses techniques, et surtout développerait un système de valeurs, tendues vers une alternative à la seule régulation marchande. De fait, sans généraliser, les projets d’autopromotion invitent (idéalement) à repenser la fabrique de la ville, les manières d’habiter dans une visée de partage et de convivialité, tout en revendiquant une prise d’autonomie face à un marché insatisfaisant. (ex : http://www.metropolitiques.eu/Effervescences-de-l-habitat.html).

=> Il semble qu’une conception de l’habitant capable d’évaluer lui-même les projets par son expérience ordinaire de la vie de quartier et, donc, par ses propres compétences et modes d’appropriation, ne traverse pas encore véritablement la démarche réflexive engagée par le MEDDTL. Du fait, au premier chef, de l’absence de représentants de la société civile, d’habitants d’écoquartiers, de militants associatifs… les discussions ont donc, sous cet angle, eu tendance à valoriser des modes de faire encore classiques car assez institutionnels et descendants, où l’évaluation devrait encore se faire par des professionnels et techniciens de la « chose savante ».

C’est ce qu’enseigne également le déroulement et les échanges lors de la réunion du comité inter-experts pour l’évaluation des projets déposés à la consultation 2011.

1.4 Une vision classique mais de plus en plus instable pour l’évaluation des projets : le rôle des savoirs et savoir-faire techniques Les deux journées (21 et 22 juin 2011) dédiées à l’expertise de dossiers remis en discussion pour stabiliser leur statut (pré-sélectionnés ou retirés du pré-palmarès) s’est organisée autour d’ateliers de discussion d’une quinzaine d’experts (ministère, agences d’État, services déconcentrés, collectivités territoriales, agences d’urbanisme, métiers de l’AMO…), chaque

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atelier ayant été constitué autour d’un prix du Palmarès.

Les dossiers remis en débats pour leurs évaluations divergentes ont été présentés à partir des synthèses d’experts, ne révélant qu’une partie des projets et devant être discutés dans un temps relativement court (2 heures). En outre, les experts ayant jugé les dossiers n’étaient pas toujours présents, laissant dès lors certes la place à d’autres avis de s’exprimer, mais souvent selon des interprétations très rapides, de même que parfois orientées.

L’exemple du groupe « milieu rural » est représentatif de la dynamique d’ensemble. Les échanges entre les différents acteurs présents se sont focalisés en grande partie sur deux critères : l’avancement des projets présentés et la présence de documents graphiques (plans masses, coupes…), répondant aux types de lecture des grandes catégories d’acteurs en présence. Les projets non retenus à l’issue des discussions de ce groupe se sont vu reprochés d’être trop peu avancés et trop dans l’intention, mais aussi de ne pas proposer de projet global ou encore de ne pas correspondre à un projet rural. Sans autre véritable temps d’échanges sur ce que serait un tel projet (notamment dans ses rapports à la mutation d’espaces agricoles, à la densification des espaces…).

Il ressort alors des échanges et des classements proposés un positionnement des experts sur les projets mettant en priorité :

le stade d’avancement et les études préalables effectuées, et, ce faisant, les documents graphiques, les expressions diagnostiques chiffrées…

de même que, pour les cas ne répondant pas à de tels critères d’énoncé, de représentations visiblement partagées non pas sur ce que devrait être le développement durable, mais sur ce qu’il ne devrait pas être (ex : par nature, non extensif spatialement).

=> Ces échanges traduisent le rôle de la composition des tours de table, et particulièrement ici le poids de savoirs professionnels et techniques dans l’expertise collective réalisée.

Dès lors, logiquement, dans l’ensemble des réunions en sous-groupes, peu d’attention a été portée aux dimensions axiologiques et processus d’émergence participative des projets, entrées qui avaient commencé à être mises en avant au sein des autres dispositifs de la démarche comme nous l’avons montré précédemment. De même, et certainement en conséquence, exception faite d’une rapide discussion sur les dispositifs affichés de concertation dans les dossiers, peu d’échanges sont à remarquer sur des thèmes difficiles à saisir comme la « vie de quartier », parce que dépendants des sociétés locales, de leurs histoires et aspirations, alors même que certains des dossiers s’y ouvraient assez considérablement.

En fait, les thèmes de qualité de vie, vie de quartier, valeurs et principes, modes de vie… n’ont pas passé l’étape du regard proposé par le système-expert, car, selon les propos recueillis :

les critères d’évaluation, et ce faisant les outils techniques requis, ont été considérés comme non suffisamment fiables ou maîtrisés pour juger d’un projet à cet égard,

ou, autre raison invoquée, pas encore suffisamment normés dans la grille d’évaluation.

Toutefois, le retour sur ce processus collectif d’expertise a notamment permis, tant en petit groupe qu’en plénière, l’expression d’une réflexivité certaine par rapport au processus même,

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et notamment le souhait de faire évoluer la grille. Or, ce retour réflexif redouble les manques pointés. Les remarques ont porté sur :

Une impossibilité de pouvoir juger réellement les projets trop amont a été évoquée ainsi que la façon trop « artificielle » dont la gouvernance, la mixité sociale ou encore la vie solidaire auraient été traitées dans les dossiers. Une remarque sur la richesse des lettres fictives qui ont été demandées dans les dossiers a permis de pointer l’utilité d’outils d’évaluation plus qualitatifs tout comme le manque d’un prix « Démarche » qui répondrait à un besoin de reconnaissance des collectivités sur les processus pluriels engagés, les dispositifs participatifs mis en place... Cet effort vise particulièrement les projets ruraux ou encore d’Outre-Mer.

Une frustration a été exprimée notamment par les acteurs locaux de n’avoir pu donner un avis qualitatif sur les projets. La grille s’est ainsi vue critiquée pour sa tendance à trop normer les réponses et à proposer une analyse ponctuelle ne laissant pas suffisamment transparaître la démarche de projet. Aussi a-t-il été discuté de proposer un prix « Projet d’avenir » ou « Prix d’avenir ».

Les séances plénières ont quant à elles mis encore davantage en lumière un décalage (et non pas un désaccord puisque ce n’était pas un espace d’expression mais plutôt de restitution) entre les deux visions qui au final se sont côtoyées :

certains acteurs (surtout les assistances techniques à la maîtrise d’ouvrage - AMO) déploraient le manque de formalisme et de documents graphiques pour opérer des tris, et effectuer des choix,

lorsque d’autres souhaitaient voir des dossiers mettant mieux en avant la démarche d’ensemble, exploiter plus avant les mises en récit, voire préconisaient des visites de terrain pour recueillir quelques paroles et expériences locales.

=> Ainsi, malgré une avancée affichée comme recherchée sur les valeurs et principes, les modes de vie/d’engagement, l’appropriation habitante, la qualité de vie, l’innovation sociale, les dispositifs/outils qui les porteraient… la démarche évaluative est restée partagée entre une vision assez classique mais de moins en moins pleinement admise, avec quelques appels de plus en plus audibles sur la nécessité de revoir les cadres cognitifs du référentiel encore prégnant.

1.5 Entre deux conceptions asymétriques de l’action territoriale… ou la cause première d’un défaut d’échanges sur l’axiologie des éco-quartiers ? Au final, si les dispositifs se complétaient avantageusement sur certains points et permettaient indéniablement d’approfondir plusieurs questions en comparaison de la précédente consultation du même ministère, force est donc bien de constater que la démarche d’ensemble n’a pas su bâtir un référentiel commun, au sens de l’analyse de la science politique, rappelé en début de propos : système de valeurs communes, explicitant les liens établis par chaque acteur entre sa vision du monde, ses activités et les modes de justification qui leurs sont liés (Müller, 2004, p. 373), généralement au fondement des doctrines d’intervention par les logiques, conduites et dispositifs que ces référentiels cognitifs orientent.

Pourquoi ? Et quelles en sont les conséquences concernant le dit socle commun de valeurs et principes.

Crise de croissance sans doute, dans le fonctionnement même de la pluralité des dispositifs

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(comité scientifique, comité de préfiguration du label, conférence inter-experts, réunions du club…) et l’organisation des moments d’échanges, il a pu être noté parfois un manque de passerelles entre les temps et contenus de débats, avec ici par exemple pour effet une valse-hésitation (par exemple sur la place des démarches participatives avec les habitants), pour ne pas dire souvent confusion, sur certains thèmes, pourtant devenus centraux dans les discours d’acteurs : « vie de quartier », « appropriation », « nouveaux modes de vie »… ou encore les « valeurs et principes » portés par les projets, en premier lieu lors de la conférence inter-experts du 21 et 22 juin 2011.

Certains experts eux-mêmes ont exprimé leurs doutes, voire confusion, à l’issue de ces deux journées de travail consacrées à l’expertise des dossiers, particulièrement lorsqu’il s’agissait de traiter d’évaluations divergentes, et ce par-delà la seule orientation (fréquente) des discussions, voire des dynamiques d’échanges, par quelques points de vue personnels et professionnels – rendant alors la démarche logiquement dépendante de la variabilité des tours de table entre les différents temps d’échanges. Ne se prêtant guère à la seule évaluation formalisée, ces thèmes requièrent peut-être plus de confrontations d’idées et d’expériences (y compris en dehors du domaine des éco-quartiers), justifiant alors de bâtir d’autres collectifs, sur le modèle d’ateliers participatifs ou de séminaires de co-production, dont les tours de table seraient composés.

=> En fait, la démarche EcoQuartier, comme d’ailleurs nombre d’initiatives prises à ce jour dans le champ évanescent de la ville durable, oscille globalement entre deux mouvements, qui traduisent de notre point de vue un entre-deux de plus en plus prégnant dans les sphères décisionnelles.

D’une part, les conférences inter-experts et séminaires de préfiguration du label ÉcoQuartier s’inscrivaient pour beaucoup encore dans une vision institutionnelle et historiquement technico-normative de l’action publique (ici dans le domaine de la durabilité). Les grands acteurs y ayant contribué y défendent beaucoup des visions et doctrines descendantes, pour nombre inspirées des politiques sectorielles : de l’habitat, de la ville, des grands projets urbains ou encore de l’aménagement… De l’autre, les réunions du Comité scientifique et les ateliers déconcentrés du Club EcoQuartier traduisaient une vision peut-être plus pragmatique, et plus orientée vers la transformation des cadres axiologiques et instrumentaux de l’action territoriale : une logique plus remontante dans laquelle l’expérience de l’habiter et, donc des habitants, est appelée à être mieux prise en compte, comme ressort et position première du changement (solidarité, responsabilité, sobriété, citoyenneté…).

Et, cette instabilité d’un référentiel commun de l’action renvoie pour beaucoup à quelques imprécisions notionnelles (ainsi qu’à quelques attentes déçues par exemple d’une grille de lecture en la matière), mais aussi à d’autres instabilités, qui impliquent certes les processus dialogiques ainsi mis en œuvre (la diversité des dispositifs de la démarche), mais surtout, fait remarqué, l’absence constatée (malgré l’effet club et l’antériorité du Grenelle) de représentants de la société civile, d’habitants d’écoquartiers, de militants associatifs… (à l’exception du Club EcoQuartier).

=> Toutes choses qui, particulièrement par l’absence des publics destinataires des éco-quartiers, conduisent inévitablement l’expertise à induire notamment une évaluation

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grandement basée sur les langages professionnels et le formalisme technique de leurs connaissances (cartes, coupes, croquis, chiffres, schémas, photographies…).

Malgré le besoin d’approches plus qualitatives, largement relayées lors des différents temps d’échanges, ceci se fait alors assez logiquement au détriment de certains thèmes qui, à l’exemple de la vie de quartier, sont moins du ressort des savoirs logico-formels de l’expertise technique et parfois architecturale (très présentes en France dans les conduites de l’action et circuits de la décision, cf. Grand Paris), que :

d’autres registres de connaissances (phénoménologique, praxéologique, esthétique…),

d’autres démarches (empiriques et qualitatives de la sociologie pragmatique, de la psychologie sociale, de la géographie culturelle, d’un certain type d’architecture…),

et dès lors… d’autres justifications/légitimations axiologiques des projets (non plus le seul principe de la mixité et ses outils des politiques sectorielles, mais les régimes de solidarité en jeu dans les politiques territoriales)

C’est au fait de ces différents effets de contexte et processus à l’œuvre, mais également conscients des quelques première initiatives plus ou moins collaboratives en matière de qualification axiologique, de même que, pour ne pas dire surtout, de l’asymétrie persistante des champs de vision et types de savoirs en jeu, que nous avons conçu une démarche méthodologique. Celle-ci repose sur une analyse méthodique des valeurs et principes traversant les dossiers déposés à la consultation 2011.

Cette démarche méthodologique est exposée dans la partie suivante.

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Partie 2 – Démarche méthodologique mise en œuvre face à la diversification des ambitions de la démarche EcoQuartier 2.1 Méthode mise en œuvre : de la hiérarchie des valeurs/principes à une pré-grammaire des modèles en jeu Première étape : la lecture par occurrences de 5 familles de mots-clefs pour l’élaboration d’une première hiérarchie de valeurs et principes Partant du constat d’un référentiel tendu entre deux grandes conceptions de l’action territoriale, mais aussi de l’émergence d’un discours sur les valeurs et les principes, il nous a semblé que l’analyse des projets d’éco-quartiers ici proposée devait se concentrer sur les 78 pré-sélectionnés au Palmarès 2011. Pour plusieurs raisons. Il s’agissait d’abord de travailler à partir d’une première sélection opérée par les experts eux-mêmes, soit un échantillon non neutre, traduisant une représentation particulière de ce que seraient des projets dits de qualité. Ceci permettait ensuite, une fois l’échantillon de travail réduit, d’en exposer plus précisément les logiques argumentatives, les répertoires mobilisés pour l’action et leurs registres de connaissances. Pour alors, par la cohérence (ou non) mise en lumière en matière de valeurs et principes, comprendre l’éventualité des mouvements et dynamiques dont ce thème serait potentiellement l’objet, en tout cas, d’abord ceux jugés comme de qualité.

Pour la réalisation de cette première étape, il s’agissait de lire les dossiers de candidature sans opérer immédiatement de distinction entre les types de projets, les étapes d’avancement ou encore les espaces dans lesquels ils s’inséraient. Il s’agissait avant tout de mener une analyse synoptique et transversale des dossiers à partir d’un champ lexical commun. Pour ce faire, nous avons opté pour une lecture par occurrences, sur la base d’une liste stabilisée de termes, mots-clés renvoyant tantôt à des valeurs/principes, tantôt à des acteurs, dispositifs ou encore outils d’intervention.

Cette liste se compose de 5 familles de termes. Certes, logiquement, une pré-liste de valeurs et principes, tirée des initiatives et écrits antérieurs, a été en premier lieu constituée et testée :

1) solidarité, mixité, équité, sobriété…

Toutefois, plusieurs autres ont été ajouté(e)s, directement impliqué(e)s par les autres familles de termes retenus (cohésion, responsabilité…).

En premier lieu, puisque la définition des valeurs et principes renvoie pour beaucoup à la composition des systèmes d’acteurs, des équipes projets et aux procédures/conduites de l’action, les termes rendant compte de la pluralisation des acteurs et de l’évolution de leurs rapports et métiers ont constitué une deuxième famille de termes essentiels à l’approche transversale. Il s’agissait ici d’identifier les collectifs porteurs, de qualifier les processus d’organisation, ou encore d’éclairer les postures défendues… toutes choses qui marquent de leur empreinte les valeurs et principes affichés dans les dossiers :

2) gouvernance, transversalité, participation, concertation, pédagogie, sensibilisation, accompagnement, apprentissage.

De même, si les usages et habitudes, c’est-à-dire la réalité des pratiques sociales en ville, représentent la résistance première au développement des éco-quartiers (cf. Introduction), résistance relayée par les appels réitérés à la compréhension de ce qui fait vie de quartier (comité scientifique) ou encore appropriation (club EcoQuartier), et que, dans le même temps, l’absence d’habitants, dans leurs différentes figures de représentation colore selon nous d’une manière certaine la démarche EcoQuartier (Partie 1.), alors deux autres familles de termes devaient être incluses, renvoyant chacune à ces deux constats préalables :

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3) espace public, usage(r)s, pratiques, convivialité, vivre ensemble, cohésion, identité.

4) habitant, engagement, appropriation, modes de vie, mode d’habiter, responsabilité.

Enfin, la démarche EcoQuartier ayant elle-même identifié des signaux plus faibles (ex : Atelier du Club EcoQuartier sur l’autopromotion), susceptibles de développer des innovations axiologiques, nous avons également retenu une famille de termes renvoyant à la prise d’autonomie, comme raison première à l’énoncé d’autres valeurs et principes. Il s’agissait en outre de préparer la deuxième phase de l’analyse, impliquant également une lecture moins cursive de 16 cas plus expérimentaux :

5) co-construction, co-conception, co-production, habitat participatif, autopromotion, auto-construction, coopérative.

Afin de recenser les valeurs et principes, outils, dispositifs et acteurs, nous avons élaboré un tableau type, appliqué à chacun des 78 projets étudiés, comprenant trois entrées :

une entrée, logique, par les 32 mots-clés finalement retenus,

une autre par les quatre dimensions de la grille EcoQuartier, en vue de neutraliser un éventuel effet d’imposition due à la grille EcoQuartier elle-même (infra)… qui a d’ailleurs obligé à la pondération de certains thèmes, redondants, comme la mixité, l’espace public, les mobilités douces… (infra)

une troisième, non moins essentielle, recensant également les façons dont les termes étaient utilisés et insérés dans les dossiers (par analyse sémantique des corps de texte).

L’analyse d’occurrences de ce premier corpus a ainsi fait apparaître non seulement statistiquement des grandes tendances et polarités de principes et valeurs, mais aussi, plus qualitativement, une série d’outils, acteurs, types de thèmes et d’espaces concernés. Ces tendances ont surtout pu être établies par les associations que les tableaux ainsi remplis ont livrées :

soit en partant d’une valeur ou d’un principe revendiqué (ex : « responsabilité » renvoyant dans le projet analysé à « contrat », « gouvernance », « partenariat », « concertation »… donc impliquait directement des dispositifs d’action) ;

soit, à l’inverse, partant d’un type d’outil mis en œuvre, de thème revendiqué ou d’acteur impliqué, vers des valeurs et principes (ex : « espace public » renvoyant par exemple à « convivialité », « solidarité », « partage »… donc impliquant une conception non instrumentale de ce qui fait commun).

Cette distribution a permis d’éclairer les groupes dominants de valeurs et principes, pour en proposer une première liste hiérarchisée. Toutefois, et ce du fait de la méthodologie choisie,

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ces tendances restaient à ce stade quantitatives. Il nous semblait nécessaire de les compléter d’une lecture plus compréhensive et donc attentive au sens même livré par chacun des dossiers, pris dans leur ensemble. Seconde étape : analyse compréhensive de 16 projets pour stabiliser une pré-grammaire des modèles en jeu A priori, l’ensemble des 78 projets pré-sélectionnés ne permettait pas d’entrevoir un modèle d’EcoQuartier figé dans la mesure où coexistaient :

des projets de grande envergure, avec des opérations en milieu rural de plus petite taille d’une part,

mais aussi des types de projets différents, allant de la reconversion, requalification, ou rénovation… à des projets en extension urbaine d’autre part,

et enfin, des projets inscrits dans des temporalités diverses, tant en phase amont qu’en phase opérationnelle voire livraison / gestion.

Néanmoins, par notre observation statistique, des grandes tendances se dégagent.

On y note une prégnance de projets lourds de type rénovation urbaine, requalification, réhabilitation, reconversion de friches existantes…, en somme des projets travaillant sur l’existant (71,8 % des cas sur friches existantes, 20,5 % des projets en extension urbaine maîtrisée, et pour les 8 % restant, de type intermédiaire combinant le travail sur l’existant et l’extension maîtrisée).

Ces projets majoritaires sont en outre le plus souvent en phase opérationnelle (57,7 %, auxquels on peut ajouter les 7,7 % en phase livraison). Tout ceci face à une sous-représentation de petites initiatives, de projets ruraux et en phase amont, c’est à dire au seul stade de l’intention. Sur les types d’espaces, 64 % se trouvent d’ailleurs en agglomération, lorsque seuls 13 % sont situés dans des espaces ruraux.

Concernant enfin les portages d’opération, seul le projet de Villaines-Les-Rochers - La Martinière, se veut coopératif entre la commune et ses habitants (ainsi que Limans dans l’un de ses scénarios), c’est à dire excessivement marginal sur le plan de la gouvernance si l’on s’en tient au pré-palmarès. Le reste du corpus met en avant des projets portés par les collectivités, ou en partenariat plus classique public-privé.

Face à de tels déséquilibres propres au corpus d’origine, et souhaitant ne pas omettre à ce stade des initiatives qui ne seraient pas passées sous les fourches caudines de la grille et des expertises qui l’ont appliquée, la sélection pour l’analyse plus compréhensive s’est réalisée en deux temps.

Tout d’abord, sur la base de l’analyse d’occurrences par la première étape, nous avons cherché à ouvrir la lecture à différents types de gouvernance, d’étapes et d’espaces, rééquilibrant alors les disparités remarquées. Nous avons donc introduit un critère de diversité. En outre, lors des débats autour des projets (Comité inter-experts pour l’évaluation des dossiers, les 21 et 22 juin 2011), nous avions été attentifs aux avis et synthèses d’experts. Nous y avions relevé une quinzaine de projets qui étaient traversés de propositions moins conventionnelles ou plus attentives à la vie de quartier, aux initiatives habitantes, à une gouvernance peut-être plus collaborative… toutes choses pouvant renvoyer à des positions axiologiques différentes.

Nous avons donc particulièrement été vigilants à ces cas : Montpellier – Les Grisettes ; Pantin - EcoQuartier Gare de Pantin ; Villaine Les Rochers - La Martinière ; Bertignat – Ecohameau

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de Bertignat ; Graulhet – EcoQuartier Les Résidences du Parc ; Ile St-Denis – EcoQuartier Fluvial ; Vitry-Sur-Seine – ZAC RN 305 Sud ; Grenoble – Bouchayer Viallet ; Grenoble – Teisseire ; Lys-Lez-Lannoy – S. i. Energie ; Bordeaux- Darwin ; Saint Nolff – Ecocité du Pré-vert ; Novion Porcien – EcoQuartier des Crêtes ; Gennevillier – Chandon République ; Orvault – Le Vallon des Garettes ; Echirolles - Village 2 ; Chelles – ZAC EcoQuartier Castermant ; Montreuil le Gast – nouvel Air Le Pommier.

Au final, à la croisée de deux corpus ainsi constitués, le premier plus dépendant des critères officiels mais néanmoins équilibré en vue de garantir la diversité, le second revendiquant une ouverture à l’expérimentation, la liste retenue pour l’analyse compréhensive comprend 16 projets d’éco-quartiers :

Bertignat – Ecohameau de Bertignat ; Clermont-Ferrand - Champratel ; Graulhet - Les Résidences du Parc ; Grenoble - Bouchayer-Viallet ; Grenoble –Teisseire ; Ile-Saint-Denis – EcoQuartier Fluvial ; Limans – L’Esprit Village ; Lyon – la Duchère ; Lys-Lez-Lannoy - S.I. Energie ; Montpellier – Les Grisettes ; Nancy – Plateau de Haye ; Pantin – EcoQuartier Gare de Pantin ; Roubaix – L’Union ; St Etienne – Manufacture Plaine Achille ; Villaine-Les-Rochers - La Martinière ; Vitry-Sur-Seine - ZAC Rn305.

Chacun de ces 16 dossiers de candidature du corpus resserré a fait l’objet d’une lecture intégrale attentive, en relevant au fur et à mesure de l’examen, son propre système de valeurs et principes. Nous cherchions ici à mettre à l’épreuve la hiérarchie produite statistiquement par l’étape précédente, quant à elle plus soumise aux critères officiels d’évaluation.

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Une fois réunis, les différents critères de choix et donc les corpus constitués répondent de deux corps d’hypothèses.

Le premier, testé par la première étape de lecture (statistique) implique la possible prégnance de certains thèmes et concepts dans les dossiers, la récurrence de certains termes (voire familles de mots-clefs), notamment liée à un effet d’imposition de la grille. Ainsi, malgré l’ouverture terminologique privilégiée, le décryptage des valeurs de l’action et principes d’intervention mobilisés dans les dossiers traduirait ostensiblement l’asymétrie des champs de visions et de savoirs mis en lumière par l’analyse préalable de la démarche globale EcoQuartier (cf. Partie 1).

Le second corps d’hypothèses requiert une analyse plus fine des énoncés. Il sera testé dans le cadre de la seconde étape méthodologique visant à stabiliser le système de valeurs et principes. Il consistera à révéler quelques mouvements dans les référentiels d’acteurs, par une attention portée sur la (ré)émergence rapide de signaux faibles, au profit de cadres et justifications axiologiques différentes, impliquant vraisemblablement d’autres types de savoirs et compétences pour l’action.

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2.2 La grille EcoQuartier : la diversification des ambitions et des attentes axiologiques attenantes Les ambitions du premier appel à projet EcoQuartier, lancé en 2009, à la suite du Grenelle de l’Environnement, ont considérablement évolué lors du deuxième concours, en 2011. Alors que le premier appel à projet avait récompensé des projets sur des critères essentiellement éco-techniques, valorisant une innovation d’ordre technologique en faveur de la préservation environnementale et des ressources énergétiques, « Les réflexions menées par le ministère et ses partenaires ont conduit à élargir la grille EcoQuartier 2009 à d’autres perspectives : la conception des EcoQuartiers doit (aujourd’hui) tendre vers une gouvernance participative impliquant les habitants ou futurs habitants (… ) » (Notice explicative de la grille EcoQuartier 2011, p. 10).

La grille EcoQuartier, support à la constitution des dossiers de candidature des collectivités, mais également support pour l’évaluation réalisée par les experts, répond aux orientations définies dans le cadre des politiques publiques nationales et européennes en termes de développement durable et d’aménagement. Elle a permis de situer l’éco-quartier (français) au sein d’un registre officiel d’ambitions, articulées autour de quatre dimensions :

« démarche et processus », comme axe transversal pour la gouvernance du projet ;

avec « cadre de vie et usages » pour les ambitions sociales et sociétales,

« développement territorial » pour l’activité,

et enfin « préservation des ressources et adaptation au changement climatique » pour les enjeux proprement du champ environnemental.

Tout éco-quartier doit dorénavant articuler de façon équilibrée l’ensemble de ces thèmes. La grille impose ainsi une série de prérequis orientant les candidatures vers une représentation renouvelée de la ville (durable) par l’éco-quartier. Mais, quelles valeurs, a priori moins tournées vers l’effort technologique et la seule protection écologique, sous-tendent la constitution des dossiers de candidature ? À quelle axiologie répond le dit concours et quel éventuel changement donne-t-il à voir en la matière par rapport à la consultation précédente ?

Il s’agit d’abord pour le ministère à travers la dimension « démarche et processus », d’engager très en amont de la phase opérationnelle une réflexion sur les moyens d’inscrire le projet dans la durée. Ici, transversalité des approches et gouvernance de la conception/suivi apparaissent comme des mots récurrents

Cette dimension implique notamment :

de réunir des équipes dites pluridisciplinaires qui s’engagent par contrats,

mais aussi d’organiser une concertation avec la société civile,

et de favoriser la participation à toutes les étapes du projet (de la conception à la gestion),

de réaliser une diversité d’études en vue de maîtriser l’opération (études de faisabilité, analyse de risques, évaluation d’impacts, observation de pollutions…),

ou encore de réfléchir à des méthodes d’évaluation, de suivi, et de gestion…

=> La grille met ainsi, dans une perspective plus instrumentale, en avant une nécessité d’associer un maximum d’acteurs (autant professionnels, qu’élus ou habitants) par des contrats et dispositifs bien définis pour faire de l’éco-quartier une opération partagée et une

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démarche co-construite. Ces collaborations étant évidemment envisagées au-delà du seul espace de l’éco-quartier, et impliquant théoriquement l’essentiel des acteurs territoriaux directement ou non concernés par le projet.

Dans ce cadre, les compétences habitantes, usagères, citoyennes, riveraines et associatives sont largement appelées à être intégrées et valorisées, « il est important que les habitants (futurs habitants, usagers et riverains) soient impliqués dès la conception de l’EcoQuartier. En prenant part à la conception de leur futur lieu de vie, les habitants pourront plus facilement en respecter les principes de fonctionnement EcoQuatier. Une volonté d’adhésion la plus large possible doit animer sa création, dans le but d’éviter un phénomène de rejet ultérieur ou l’ « effet vitrine » de certaines constructions "avant-gardistes" ». (Ministère de l’Ecologie, du Développement Durable, des Transports et du Logement – MEDDTL, http://www.developpement-durable.gouv.fr/Piloter-et-concerter-dans-une.html).

En outre, la co-production, qui s’affirme comme maître mot, une attention particulière est donnée à la transparence de la démarche par un travail de communication, d’information, voire de « pédagogie » ou de « sensibilisation » au projet. C’est le deuxième grand registre du thème « démarche et processus » : visant l’engagement responsable. Ainsi, l’éco-quartier doit particulièrement se prêter à une appropriation par tous les acteurs du projet, qu’ils soient techniciens, politiques, ou habitants, et faciliter par ce biais une pérennisation de l’opération. La réalisation d’un éco-quartier est alors pensée comme une opération fédératrice sur un périmètre donné entre une diversité d’acteurs, autour d’objectifs communs, d’abord socio-écologiques.

Dans ce même cheminement, la dimension « cadre de vie et usage » vise des modes de vie solidaires et responsables, et en ce sens, promouvoir le « vivre-ensemble », terme se voulant ici fédérateur. Notamment par la valorisation d’une identité (sociale, culturelle, patrimoniale, paysagère, architecturale) déjà ancrée dans le territoire. Ainsi, l’éco-quartier doit repartir avant tout de l’existant et des pratiques et dynamiques du territoire pour créer un développement urbain localisé, contextualisé, et cohérent avec son environnement.

Le « vivre-ensemble » est mobilisé dans la grille à travers l’aménagement des espaces publics, la création d’espaces communs et de rencontre favorisant la cohésion et le lien social (locaux associatifs, jardins partagés, espaces verts, espace public hiérarchisé et privilégiant les déplacements doux…). Il passe aussi par l’anticipation des usages et pratiques futures (par l’évolutif et le modulable, autres termes consacrés) notamment par la question de vieillissement des populations.

L’espace public fait, dans ce champ social, l’objet d’une attention toute particulière, dans la mesure où son traitement qualitatif permettrait de favoriser convivialité et partage (traitement paysager, hiérarchisation et lisibilité des espaces, délimitation des espaces privés et publics…). Il est aussi envisagé comme espace et outil pédagogique pour favoriser l’émergence de modes de vie plus durables (jardins partagés, animations, évènements, parcours santé, découverte de la biodiversité, parcs urbains…). Dans ce cadre sociétal, la mixité sociale et intergénérationnelle apparaît comme l’autre manifestation axiologique forte porté par le « vivre-ensemble » des éco-quartiers. Celle-ci devant passer, en priorité, par une diversité de programmes de logements et de types de populations accueillies.

Dans le prolongement de cette mixité vantée, pour le « développement territorial » maintenant, l’éco-quartier doit largement encourager la mixité fonctionnelle, horizontale (activités, commerces et services en rez-de-chaussée) et verticale (immeubles intégrant des logements, des écoles et autres services et activités) dans la mesure où elle serait un moyen

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d’animer le quartier par une vie de proximité reposant sur une diversité de fonctions et aménités urbaines.

En effet, par opposition à des pratiques de zonage où l’on séparait les zones résidentielles des zones d’activités par exemple (typiquement, les grands ensembles), il s’agit pour les éco-quartiers de donner la possibilité aux habitants de se loger, de travailler, et de se distraire sur un même espace de vie, avec comme but essentiel de diminuer les dépendances automobiles quotidiennes induites par la distance domicile/travail (pour des raisons écologiques évidentes). Ici l’espace public est alors de nouveau mobilisé afin de susciter des changements de comportements dans la mobilité, par l’incitation aux déplacements doux :

trames vertes parfois intercommunales avec pistes cyclables,

réduction de l’espace dédié à l’automobile par une diminution des chaussées ou des limitations de vitesse,

réduction voire même suppression du nombre de places de stationnements sur l’espace viaire,

développement de services de co-voiturage ou pedibus…

Dans ce cadre où la proximité redevient un principe fort, au fronton de cette 3ème dimension de la grille, le recours à des « circuits courts » c’est-à-dire un rapprochement entre les producteurs et les consommateurs (l’exemple le plus connu étant les AMAP), pour limiter les intermédiaires (donc des coûts et des pollutions) est recommandé. Mais c’est vrai aussi pour des activités pédagogiques et sensibilisatrices (potagers, vergers et jardins partagés…), dans une perspective de rapprochement entre l’habitant et son environnement. Ces rapprochements ne se limitent pas à des buts purement écologiques, puisque par l’incitation à la valorisation des savoir-faire locaux (vigne, bois, optique, design, numérique…), des milieux agricoles et forestiers, il s’agit aussi de redonner une importance aux identités locales par leur propres spécificités culturelles et patrimoniales.

Enfin, dernière étape de ce cheminement axiologique des dimensions de l’évaluation, les thèmes plus strictement environnementaux s’inscrivent dans la dimension « ressources et climat ». Ils incitent, dans les recommandations accompagnant cette grille d’évaluation de 2011, à la sobriété énergétique par le recours à des moyens techniques, notamment en matière de logement. Ils invitent par ailleurs à responsabiliser les habitants et usagers à un changement de comportement par une sensibilisation à la biodiversité (parcs urbains, trames vertes, panneaux pédagogiques), au tri des déchets, et à l’usage des logements principalement (guides, notices explicatives, partage des bonnes pratiques). La mobilisation et l’implication directes des habitants est donc, de nouveau, recherchée à travers des pratiques quotidiennes : apport volontaire des déchets, recyclage, mutualisation des services et des biens (chambre d’ami ou laverie commune à un immeuble, pédi-bus, co-voiturage), gestion citoyenne de jardins et espaces partagés…

=> Ici donc se dessine une axiologie donnant à voir une évolution des modes de pensée et d’agir par une série de principes d’intervention et valeurs pour l’action, qui veulent établir un développement urbain durable a priori en droite opposition des expériences de l’urbanisme moderne : animer une vie de quartier par une diversité de services, de populations et d’accessibilités. Le changement s’incarne ici principalement dans la volonté de se réapproprier des politiques classiquement marquées de sectorisations fortes (politique de la ville, transport, mobilités, énergie). Il s’agit alors semble-t-il de reconquérir la ville à

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travers l’engagement institutionnel et politique dans l’accomplissement de pratiques responsables et participatives, corrigeant le développement historique des territoires.

Le schéma qui suit synthétise le champ de valeurs d’action et de principes d’intervention constitué par la composition discursive des quatre dimensions de la grille EcoQuartier.

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Partie 3 - Modèles axiologiques en jeu : des valeurs comme principes instrumentaux pour l’organisation des conduites sociales ?

3.1 Entre trois familles de valeurs et principes : la mixité en surplomb, la responsabilité en injonction, et la cohésion en (re)construction

Ici, sans grande surprise, la mixité ressort comme le terme le plus souvent mobilisé (presque 10 fois par dossier). En outre, cette surreprésentation de l’usage du terme implique chaque dimension de la grille. Elle y apparaît également de façon équilibrée, à l’exception de la dimension « ressources et climat » bien plus centrée sur l’abord technique des questions écologiques. À la fois sociale et fonctionnelle, la mixité revoie principalement à l’établissement de programmes d’habitat divers tant dans leurs régimes que dans leurs typologies ; et à l’exigence d’une diversité d’activités et de fonctions du quartier.

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Vient ensuite, mais assez loin derrière, un ensemble réunissant deux binômes de poids comparables : engagement / responsabilité et responsabilité / solidarité. Cette famille, dont l’agencement et la cohérence sont décrits ci-dessous, renvoie pour beaucoup dans les discours écrits à la gouvernance ou aux modes de vie.

D’abord, l’engagement est bien plus cité au sein de la dimension « démarche et processus » (plus de 50 % de ses occurrences), ce qui l’adosse d’abord à la gouvernance, et surtout en fait certainement le produit direct d’une induction terminologique de la grille d’évaluation EcoQuartier (supra). Dans les dossiers, cet engagement désigne surtout les relations entre acteurs du projet (contrats), et qualifie les discours (portages) politiques en faveur du développement durable… tout ceci par voix essentiellement instrumentale : chartes, plan climat, Approche Environnementale de l’Urbanisme, agenda 21 local…

Toutefois, par-delà cette facture instrumentale, l’engagement est aussi proche dans son usage au sein des dossiers du terme responsabilité, également dominant au sein de la dimension « démarche et processus ». Il y renseigne à la fois le statut et le rôle des acteurs du projet mais aussi les bonnes pratiques et intentions, comme l’anticipation des usages futurs par le recours au modulable, l’engagement par la signature de chartes, les chantiers verts, les politiques de mobilité douce… Il désigne en fait globalement ainsi une éco-responsabilité, dont les porteurs du projet seraient les incitateurs.

Ensuite, la responsabilité est quant à elle, dans les discours, souvent associée à la solidarité, formant alors un autre couple axiologique. Ceci se fait majoritairement par le biais de l’expression « modes de vie solidaires et responsables », thème directement appelé à être traité au sein de la dimension « cadre de vie et usages ». Les comportements ou aménagements dits éco-responsables et solidaires renvoient dans les dossiers à des thèmes divers : l’espace public (lisible, hiérarchisé, convivial, partagé), la mobilité (douce), les espaces partagés (gestion collective), la consommation (raisonnée), le lien social (mixité), les services (accessibles, mutualisés)… Responsabilité et solidarité renvoient surtout en fait aux pratiques quotidiennes (escomptées) par l’éco-quartier.

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C’est donc surtout à travers l’incitation voire l’injonction par les aménagements, par la programmation, par les dispositifs de sensibilisation et la pédagogie (de projet), et bien moins par un engagement spontané des habitants, fruit de leurs seuls savoir-faire et expériences, qu’est d’abord envisagée voire pensée cette ambition d’instaurer des modes de vie solidaires et responsables.

Ce faisant, cette autre forme, adjointe à l’éco-responsabilité des porteurs de projet, désigne une même conception de la responsabilité, même si portant sur des sujets et outils différents : l’accompagnement direct, pour ne pas dire la stricte organisation des conduites et usages. Cette polarité de sens axiologique, ainsi que sa facture encore largement descendante des visions des pouvoirs régulateurs et des métiers techniques associés, est, ici, en phase de codification active, voire annonciatrice d’une autre phase de régulation. Serait-ce le pendant en devenir de la mixité d’aujourd’hui ? Nous y reviendrons en conclusion.

La sobriété, faiblement représentée statistiquement est quasi-exclusivement reléguée à son acception technique. Statistiquement prédominante dans la dimension « ressources et climat », elle y endosse un rôle de principe relatif à la responsabilité plutôt que celui d’une valeur transversale plus largement relative aux modes de vie constitutifs de l’éco-quartier. Nous verrons cependant que la sobriété peut endosser un rôle plus transversal lorsqu’elle est adossée à la question habitante (partie 4).

Ensuite, cohésion, équité et convivialité forment une troisième famille relevée statistiquement. Plus faible en volume que la précédente, elle livre néanmoins une autre cohérence, par association dans les différents fragments de discours répertoriés dans les dossiers. Cette association implique, majoritairement, la dimension cadre de vie et usages. La cohésion est essentiellement associée à des dispositifs mis en place par la Politique de la Ville (Contrats de Cohésion Sociale).

Mais, par-delà cette culture instrumentale que l’on retrouve beaucoup au creuset des différents énoncés axiologiques, elle est aussi mobilisée (moins souvent) pour désigner les rapports pacifiés entre les quartiers par l’intermédiaire d’aménagements fédérateurs (espaces verts, espaces publics, équipements…). Ce rôle fédérateur est aussi joué par l’équité qui agit principalement à travers l’accessibilité (sociale et physique) ainsi que par un juste partage de

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l’espace entre des fonctions diversifiées. La pacification (relative aux liens sociaux, fonctions, usages et pratiques), qui émane de ces deux conceptions du quartier implique alors la convivialité et le vivre-ensemble comme types de lien sociaux et de pratiques de l’espace projetés et, ce faisant, escomptés.

C’est ici une conception fonctionnaliste qui se dégage : l’organisation spatiale crée un certain type de relations sociales. Ces deux notions sont elles aussi essentiellement présentes dans la dimension « cadre de vie et usages », au sein de laquelle elles sont majoritairement associées à l’espace public et à son rôle moteur et support… de bonnes pratiques. Cette famille renvoie donc aux modes de vie fantasmés, mais appelle une conception tout aussi organisatrice et régulatrice que la responsabilité, cette fois-ci par des aménagements et dispositifs spatiaux.

=> Les valeurs relevées au sein des dossiers agissent comme principes instrumentaux de l’action : (1) la mixité surplombe beaucoup les énoncés axiologiques des dossiers, avec pour thèmes somme toute classiques de mobilisation : l’habitat (mixité sociale) et l’activité locale (mixité fonctionnelle). Nous sommes là indéniablement au contact des habitudes de la justification de l’action (et de leur fondement règlementaire dans différents champs professionnels), donc aussi au contact de quelques inductions de la grille d’évaluation elle-même. En outre, (2) la responsabilité s’impose quant à elle comme principe d’action en devenir, toutefois largement orienté vers la régulation de pratiques professionnelles, plutôt que vers les modes de vie. Plus modestement, (3) la cohésion et l’équité apparaissent en (re)construction, toutefois là aussi avec quelques énoncés régulateurs tendus vers un modèle aménagiste pour le vivre ensemble. (4) Enfin, la sobriété s’affirme comme principe de responsabilisation par son caractère avant tout technique.

À ce titre, précisons que le (fameux) « vivre ensemble », assez largement imposé par la grille comme thème à traiter dans la dimension « cadre de vie et usages », apparaît comme un fourre-tout, alternativement vanté pour :

assurer mixité sociale et fonctionnelle,

défendre la solidarité,

accroître la responsabilité,

densifier le lien social (échange, écoute, rencontre, entraide),

faciliter l’insertion pour la cohésion…

Il mobilise non moins indistinctement l’espace public (espaces partagés…), la mutualisation des services, des projets d’initiative habitante (autopromotion…)…

Surtout, au-delà de ce constat statistique qui relaye une asymétrie des champs de valeurs ainsi que quelques mouvements semble-t-il engagés (ex : une responsabilité en devenir rapide), deux points apparaissent ici communs à ces polarités mises en lumière.

Tout d’abord, la forte instabilité des usages terminologiques, donnant à voir factuellement des conceptions différenciées dans l’emploi d’un même terme. Ce qui indique en retour l’existence de partis pris renvoyant à plusieurs mots d’ordre réglementaires, au final très peu justifiés par quelques horizons, imaginaires, ou encore mises en récit de devenirs territoriaux par les projets défendus.

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Surtout, deuxième point commun, la culture instrumentale se retrouve beaucoup au creuset des différents énoncés axiologiques, qu’elle passe par les moyens mobilisés pour parler de la mixité, par les cibles professionnelles de la responsabilité, les dispositifs aménagistes pour susciter la cohésion, convivialité et l’équité, ou encore les dispositifs techniques pour la sobriété.

3.2 L’opérateur substantif : la fonction fédératrice de l’espace public pour la proximité

Toutes dimensions de la grille confondues, les termes les plus mobilisés sont « espace public », « habitant » et « usage ». Cette prégnance dépasse même largement la fréquence d’emploi des termes caractéristiques des énoncés sur les valeurs et principes. À titre d’exemple, « espace public » a été comptabilisé à 1 574 reprises quand « solidarité » apparaît seulement 184 fois. Surtout, il apparaît comme l’opérateur premier de plusieurs des axiologies différemment vantées, avec cependant un poids déterminant (régime de la proximité) dans la responsabilité… des usages.

En fait, si l’utilisation du terme d’espace public est associée à une diversité de thèmes et d’objets, il est toutefois pour 50 % de ses occurrences présent dans la dimension « cadre de vie et usages ». À l’aune des nouvelles ambitions de la grille d’évaluation, il y apparaît comme le lieu d’animation d’une vie de quartier, et cet emploi soutient pour beaucoup la cohésion sociale intra et inter-quartiers. Surtout, dans cette perspective axiologique, il est conçu dans une perspective d’incitation à de nouveaux usages (éco-responsables et solidaires), présenté comme espace commun de sociabilité phare, symbole de modes de vie renouvelés : ceux de la proximité (par de « nouveaux » liens sociaux et une amplification de rapports renouvelés à la nature). Dans les dossiers, l’espace public est ainsi utilisé en référence à :

la qualité d’usage et la convivialité par des aménagements sécurisés, un partage lisible et hiérarchisé de l’espace pour une coexistence pacifiée des usages, l’accessibilité et la priorité donnée aux modes de déplacements doux, mais encore par l’adaptabilité qui permet de faire évoluer l’espace en fonction des usages, ou la place donnée à l’animation de la vie de quartier par l’organisation prévue d’évènements festifs, pédagogiques, participatifs…

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la possibilité de constituer un support à une gestion écologique du quartier par l’imperméabilité des sols, le traitement différencié, les trames vertes… et ce faisant la nature et le paysage par leur mise en valeur, à la fois par l’ouverture de perspectives visuelles et le traitement esthétique de la nature (voulue « sauvage » et « naturelle »), mais aussi l’aménagement et la mise à disposition d’espaces naturels partagés, collectifs, pédagogiques qui sensibilisent à l’écologie et la biodiversité pour inciter à de nouvelles pratiques.

Ce faisant, l’espace public est d’abord pensé comme organisateur de nouveaux usages : « Dans son mode de vie de proximité, l’habitant imaginé de l’écoquartier ne se déplace pas en scooter, rollers, skate ou encore trottinette. Il évite aussi de prendre sa voiture. L’éco-habitant aime plutôt être à pied, à bicyclette, et prend les transports en commun. Dans l’espace public, il pratique la promenade au bord de l’eau et la contemplation paysagère. Il se repose au soleil, écoute les oiseaux chanter dans la canopée et regarde ses enfants jouer dans les herbes hautes. C’est donc toute la morphologie de l’espace public qui se modifie. » (Renauld, 2011).

Et ici, les termes d’ « usage » et « pratiques » renvoient principalement à l’incitation au changement des comportements quotidiens, avec dans son sillage quelques énoncés sur de nouvelles valeurs de solidarité et de sobriété orientées vers le vivre-ensemble :

comportements éco-responsables par la pédagogie et les dispositifs de sensibilisation divers à la mobilité douce, le tri des déchets, ou encore l’usage des composts et des techniques liées aux logements.

pratiques solidaires et conviviales, notamment par l’aménagement fédérateur et pacificateur de l’espace public, mais aussi la mutualisation des services et des espaces, la gestion collective des espaces partagés…

Cette conception des usages de l’éco-quartier renvoie à ce que certains ironisent de « l’éco-habitant rêvé (qui) s’investit dans son quartier et crée du lien social. Il va à la maison polyvalente, la maison de quartier, discute avec son voisin au détour d’une venelle et de ses boîtes aux lettres communes et se rend régulièrement aux jardins partagés du quartier, non pour récolter la terre qu’il cultive mais bien pour rencontrer des gens différents. » (Renauld, op. cit.).

=> L’espace public comme support d’une vie de quartier Il ressort ainsi globalement de cet autre temps d’analyse statistique que l’espace public est omniprésent dans les discours et sert quasi exclusivement d’opérateur substantif de l’axiologie décrite plus haut (mixité, responsabilité, solidarité…), en écho à l’ambition principale défendue par la grille d’évaluation EcoQuartier : animer une vie de quartier par une diversité de services, de population et d’accessibilité. Sa fonction fédératrice se noue surtout autour de deux termes plus ou moins accolés : les usages de la proximité. En ce sens, ce thème d’intervention oriente le propos vers la responsabilité (des usages) et ainsi colore d’une certaine manière la culture instrumentale révélée plus haut par l’analyse des discours axiologiques : il offre des moyens (organisateur des usages) pour une incitation forte au changement de certaines pratiques (dès lors aussi parfois qualifiées de solidaires et conviviales).

Cette inclinaison usagère se fait alors peut-être au détriment de l’implication des habitants autrement que comme consommateurs de l’espace, et plus comme co-gestionnaires, voire

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citoyens de plein droit dans les projets et leurs productions. Ce constat est amplifié par le temps d’analyse suivant. 3.3. L’opérateur procédural : l’accompagnement comme mot d’ordre pour l’organisation des conduites sociales C’est par le terme d’accompagnement que l’analyse livre quelque sens intéressant pour la poursuite de notre lecture axiologique des projets. Car, on retrouve ce terme largement utilisé et surtout distribué dans toutes les dimensions et rubriques de dossiers. Et, il est largement référé aux usages et pratiques dont la fréquence a été analysée plus haut.

Il s’agit en fait par l’accompagnement d’inciter à l’éco-responsabilité :

(1) par la diffusion des « bonnes » pratiques et l’incitation aux nouveaux usages : sobriété, consommation raisonnable, tri sélectif, mobilité douce, rapprochement avec la nature et le paysage, activités sportives, agriculture urbaine, gestion collective, participation (gestion)… (2) Diffusion d’informations et connaissances : développement durable, biodiversité, climat, énergie, eau, agriculture urbaine. (3) L’accompagnement est aussi utilisé pour parler de dispositifs d’assistance sociale (arrivée dans le logement, insertion sociale dans le quartier…).

par des outils : chartes, agenda 21, guides d’utilisation, équipements (compteurs individuels…), livrets verts, évènements (semaine du développement durable, intervention dans les écoles), traitement de l’espace public (paysage, vues, traitement différencié, espaces partagés).

visent un enjeu de pérennisation : faire comprendre aux habitants/usagers, élus et professionnels les enjeux d’un écoquartier pour faciliter l’adaptation des usages et pratiques, en l’insérant plus globalement dans la thématique du développement durable et la pérennisation de la démarche.

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Nous sommes donc ici au contact d’une acception particulière de l’accompagnement, d’abord inclus dans le registre de la sensibilisation / pédagogie, voire de l’apprentissage de bonnes attitudes et de bons comportements. Et ce par des outils essentiellement tournés vers :

l’information écologique ou la connaissance de la sobriété énergétique,

l’appropriation du quartier qui passe par des aménagements d’espaces partagés (créations de verger, potager ; nettoyage de mares et aménagement de parc ; réhabilitation de fermes, sentiers, parcours en tous genres),

et des interventions ou animations visant surtout les publics scolaires (maraîchage, jardinage, visite de chantiers…).

=> L’accompagnement comme encadrement des pratiques pour un développement durable des territoires Ainsi ressort-t-il de ce temps de l’analyse que, au croisement des espaces publics (support du vivre ensemble et autre convivialité) et de la responsabilité (-sation) qui en était l’une des cibles, l’accompagnement s’affirme comme le principal mot d’ordre de la cohérence identifiée précédemment autour des usages. D’abord incluse dans le registre de la sensibilisation / pédagogie, voire de l’apprentissage de bonnes attitudes et de bons comportements, cette notion souhaite accompagner l’organisation des conduites sociales.

Cette orientation confirme la culture instrumentale et la facture encore largement descendante des visions des pouvoirs régulateurs, des codes réglementaires de référence et des métiers techniques associés. Ce faisant, elle maintient aux franges une notion qui peine à être utilisée dans le sens d’initiatives plus spontanées et autonomes : les modes de vie.

3.3 L’implication habitante par les (seuls) usages… ou la question orpheline des modes de vie Au terme de cette première analyse, nous pouvons dire que c’est par une vision très largement emprunte d’injonction, d’encadrement et de régulation que sont projetés de nouvelles façons de façonner la ville et les rapports sociaux qui s’y jouent. Il semble en fait que par ces séquences axiologiques, se dessine une conception de ce que devrait être le mode de vie dans l’éco-quartier : une grande convivialité entre tous les habitants et usagers, une mixité de personnes et d’usages se faisant dans une entente optimale, une volonté de chacun de contribuer à la vie collective par l’adoption de comportements solidaires et responsables...

Une telle projection, ne livre-t-elle pas une perception désincarnée et passive de l’habitant… comme consommateur de l’espace. Et dans le même temps, une conception enchantée de l’habitant ? Comment garantir la « bonne » appropriation tant recherchée par les dispositifs d’accompagnement pour les « bonnes pratiques » ? N’est-ce pas une manière de penser l’habitant comme simple récepteur (néanmoins très appliqué), traduisant dans ses « bons » usages l’éducation à l’éco-responsablité qu’il aura reçu ? Dans ce cadre, quelle place est accordée à la quotidienneté des territoires ? Quelle autonomie est accordée à l’innovation par l’habitant lui-même ? Ne faudrait-il pas penser des dispositifs permettant de donner voix aux opérations habitantes par leurs pratiques du territoire ? Et ainsi mettre en dialogue des modes d’appropriation diversifiés, car relevant de logiques (référentirels) elles-mêmes diversifiées ?

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=> Des pratiques nouvelles, pour quel(s) mode(s) de vie ? Le décryptage des valeurs au sein des dossiers donne à voir une tendance lourde d’organisation des pratiques (professionnelles et habitantes). C’est en fait par un recours au principe d’accompagnement, qu’est envisagé un changement possible des modes de penser, d’agir et de pratiquer les territoires… Cependant, par une telle orientation des pratiques (descendantes), ne risque-t-on pas de voir se produire un encadrement social ? Et dans cette logique, de quel(s) mode(s) de vie s’agit-il ?

Cette inclinaison vers des nouveaux usages se fait, nous semble-t-il, au détriment de la pluralisation des pratiques... Il faut constater en effet la relative homogénéité thématique avec laquelle les dossiers traitent les défis de l’éco-quartier (mobilité douce, accessibilité multiple, nature en ville, espace public pacifié et hiérarchisé, sobriété énergétique…). Une redondance des mêmes types de propositions relatives aux dispositifs évolutifs, partagés, sobres, éducatifs, sensibilisateurs… invite à prendre conscience du fait qu’une manière de faire est d’ores et déjà intégrée par les professionnels et leurs AMO, et ce visiblement aux dépens d’une réelle pluralisation des savoirs et savoir-faire (notamment habitants, spontanés, ordinaires, pratiques, locaux… et non techniques).

« Si les principes du développement urbain durable ont trouvé une véritable consécration dans les pratiques et les discours de l’aménagement urbain, ce fut au prix d’une certaine limitation du « pluralisme » en terme de choix dans la production de l’urbain. (…) l’apparition du développement urbain durable et sa diffusion ont contribué à naturaliser certaines solutions plutôt que d’autres dans les choix d’aménagement urbain. » (Béal, Gauthier, Pinson, dir. 2011, p. 247). Ici, la lutte contre l’étalement urbain, les politiques de transport, la construction d’éco-quartiers ou la recréation du lien par la mixité sociale sont présents dans la plupart des documents stratégiques et de planification publiés en France et au Royaume-Unis depuis une dizaine d’années (op. cit.). Or, ce traitement homogène de l’espace urbain pour (r)établir une ville durable marque particulièrement un défaut de prise en compte d’une pluralité de pratiques. Nous l’avons mentionné dès l’introduction de ce travail, pour le développement durable en général ; il existe des sujets clairement orphelins des analyses menées et des expériences urbaines décrites (au rang desquels figurent les réflexions axiologiques), et ce en raison d’une asymétrie persistante des attentions portées entre la réalité des pratiques sociales et la quête encore largement majoritaire de solutions techniques aux problèmes posés. Pour rappel, « À l’heure de la ville en mode durable – et de la montée en puissance des outils pédagogiques à destination des futurs usagers, réunions d’habitants, livrets d’accueil, guides des bonnes pratiques, éducation au développement durable – il semblerait bien que ce soient les usages et habitudes, c’est-à-dire la réalité des pratiques sociales en ville, qui constituent la principale résistance au développement des éco-quartiers. » (Renauld, 2011).

Or, ceci a été de nouveau remarqué lors de notre analyse des discours et c’est également ce que met empiriquement en évidence J. Boissonade lorsqu’il montre à travers l’exemple de l’éco-quartier Grand large à Dunkerque, les tensions qui existent entre les pratiques quotidiennes habitantes et la mainmise des pratiques institutionnelles dans le projet : « La dimension durable n’incarne donc pas seulement un horizon imposé comme seul légitime, mais redéfinit les normes du quotidien par un systémisme urbain qui, sans s’interroger sur l’origine des prescriptions, fait de la conception et de la gestion de ces espaces des points aveugles. C’est cette incapacité à prendre en compte la diversité des acteurs et des modes de vie et à leur donner une place dans la décision, qui durcit selon nous les épreuves auxquelles sont ou seront confrontés les éco-quartiers. » (Boissonade, 2011, p. 63).

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=> Le défaut de prise en compte de la pluralité des modes de vie La manière dont est traitée la question des usages et des pratiques au sein des dossiers témoigne d’une relative homogénéité. Certes, les propositions abondent et les innovations semblent prégnantes, mais les thèmes moteurs de ces propositions ne montrent pour leur part qu’une faible hétérogénéité. Ceci résulte de la conception encore instrumentale de l’aménagement que nous avons pu observer par le précédent décryptage des valeurs. Celles-ci agissaient en effet comme principes instrumentaux de l’action, orientant dès lors l’action territoriale et son appropriation vers la responsabilité, la cohésion, l’équité, la mixité, la convivialité, la sobriété. Dans ce cadre, ce sont des pratiques et usages encadrés et régulés qui émergent des prescriptions aménagistes. Quelle liberté praxéologique ? Quelle place au conflit d’usages ? Quel droit à la ville ? Quelle acceptabilité pour des pratiques plus marginales ?...

3.4 Vers une première typologie : le maintien d’une culture instrumentale et managériale (habitudes principielles et outils sectoriels) de projet En guise de conclusion intermédiaire, nous admettrons, suite à ce premier temps d’analyse qu’il existe en premier lieu quelques confusions, flottements, approximations concernant les valeurs et principes de la durabilité. Ces approximations affectent pour beaucoup la mixité foisonnante, dont les détails et précisions apportés se limitent le plus souvent simplement aux adjectifs classiques : sociale, générationnelle, fonctionnelle… Pour autre preuve de cette valse hésitation, le vivre ensemble. Celui-ci, largement imposé par a grille même d’évaluation, apparaît comme fourre-tout, alternativement vanté pour assurer mixité sociale et fonctionnelle, défendre la solidarité, accroître la responsabilité… sans véritable énoncé sur le commun qui se jouerait.

Plus largement, force est de constater un certain conformisme sur les termes rencontrés le plus souvent au cours de la lecture. Mixité, sobriété, cohésion, diversité, transversalité… alimentent largement les discours, sans toutefois mettre en discussion les arrière-plans conceptuels, normatifs voire idéologiques, perpétuant ainsi quelques idées reçues : la mixité permet la cohésion et le lien social ; la concertation permet l’appropriation ; la gouvernance permet la co-production ; l’éducation et la pédagogie permettent la sobriété… Bref, encore beaucoup de doctes applications locales des valeurs cardinales de l’axiologie républicaine et de leur outillage politique.

Cependant, par-delà flottements et allants de soi, quelques régularités discursives ressortent, porteuses d’autres traits saillants faisant aussi résultats d’analyse.

Tout d’abord, si le contenu de la mixité souffre de non dits dans les dossiers (quel lien est pensé ?), elle surplombe malgré tout les énoncés axiologiques analysés, avec pour thèmes somme toute conventionnel de mobilisation : l’habitat (mixité sociale) et l’activité locale (mixité fonctionnelle). Les fondements réglementaires des habitudes de l’action territoriale (cf. Solidarité et Renouvellement Urbain), dont attesterait leur présence forte dans la grille d’évaluation, expliquent en grande partie cette récurrence. En outre, la responsabilité s’impose quant à elle comme principe en devenir, toutefois largement orienté vers la régulation de pratiques, principalement professionnelles (et peu vers les modes de vie). Et, plus modestement, la cohésion et l’équité apparaissent en (re)construction par des supposées vertus aménagistes (surtout techniques).

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Dans le détail, voici la typologie tirée de l’analyse croisée entre les mots les plus fréquemment relevés, et les thèmes et actions les plus souvent associés. Celle-ci est présentée selon un ordre décroissant de mobilisation. Elle livre une première étape dans l’analyse, un résultat intermédiaire, qui découle du premier temps méthodologique. Celui-ci consistait en une lecture des dossiers par occurrence. Les valeurs et principes sont donc ici présentés selon un critère statistique, sans distinction entre ce qui joue le rôle de valeur et ce qui ressort du principe. En revanche, cette typologie sera mise à l’épreuve par la suite de l’analyse (Partie 4), enrichie du second temps méthodologique (lecture attentive d’une quinzaine de dossiers). Les deux temps méthodologiques permettront d’arrêter en conclusion générale, un système axiologique organisé entre des valeurs et des principes nommés comme tels.

Encadré 2. Typologie des valeurs et principes (ordre décroissant de mobilisation)

La mixité comme principe dominant. Fonctionnelle, sociale, intergénérationnelle, ou encore urbaine, la mixité est présente dans la quasi-totalité des dossiers. Elle y apparaît : (1) comme facteur de solidarité, de convivialité, de vie de quartier, de lien social, (2) mais avant tout dans une perspective instrumentale et normative (par le logement et la suppression du zonage), (3) comme besoin/nécessité supposé du fameux « vivre ensemble » et de la (re)création du lien.

La responsabilité : repose fondamentalement sur la gouvernance, par la pluridisciplinarité des équipes, le partenariat de projet, la transversalité de la démarche, la dite concertation avec les habitants... (1) La responsabilité est le plus souvent associée aux relations contractuelles qui lient de façon pérenne les différents partenaires des projets, les engageant dans une répartition spécifique des rôles. (2) Incarnant l’engagement des équipes et porteurs de projet, la responsabilité passe aussi par des discours, positions politiques ou pratiques (eco)responsables à travers des chartes, des formations pour les élus et professionnels, la garantie des chantiers verts, la prise en compte des risques dans les études d’impacts, la maîtrise du foncier, l’évaluation de suivi, (3) voire, mais plus rarement annoncé, la co-production avec la société civile… (4) enfin elle est associée à l’incitation aux comportements éco-responsables et solidaire des habitants par l’accompagnement, la pédagogie, l’éducation, l’aménagement, l’organisation de l’espace public…

La cohésion sociale (pour une vie de quartier conviviale) : la cohésion émane d’abord et avant tout : (1) de la mixité (tant fonctionnelle que sociale ou intergénérationnelle) et autres dispositifs de la politique de la ville lorsqu’il s’agit de projets en renouvellement urbain (CUCS), (2) mais aussi de l’espace public (hiérarchisé, pacifié, vert, partagé, libre…), et donc de l’animation, de la valorisation d’une identité de quartier par le patrimoine dans toute sa diversité. (3) Les dossiers esquissent majoritairement l’éco-quartier comme espace animé et convivial, dans lequel domine le postulat d’un habitant désireux d’interagir avec les autres du fait de la diversité de lieux, populations, ambiances, équipements et services.

L’équité (par l’accessibilité et le partage de l’espace) : passe par (1) un partage de l’espace public pour une juste répartition/distribution des usages, (2) une gestion foncière pour garantir l’accès au logement, une maîtrise financière pour l’accès aux services, équipements, (3) une démocratisation de la nature par des espaces partagés, des espaces végétalisés et des vues et perspectives ouvrant sur les paysages, (4) l’action sociale pour l’insertion, l’apprentissage de la langue, l’assistance… (5) L’équité se situe également dans une vision du développement territorial maîtrisé, intégré, contextualisé… équilibré.

La sobriété : lorsqu’il apparaît dans les dossiers, le terme de sobriété est (1) largement rapporté aux questions énergétiques et aux innovations techniques pour une gestion raisonnée des ressources, des sols, l’optimisation de la performance énergétique des bâtiments et équipements, mais aussi de l’espace par la densité... Toutefois, (2) la sobriété se rapporte autrement (lorsque qu’elle n’est pas nommée comme telle, mais apparaît en filigrane) aux modes de vie (Partie 4). L’écoquartier est alors pensé comme un lieu d’incitation au changement, vers des comportements « responsables et solidaires » (ainsi nommés dans la

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grille EcoQuartier). Il s’agit néanmoins là, comme indiqué précédemment, (3) d’éduquer les habitants, usagers, riverains à l’écologie par un processus d’accompagnement (sensibilisation, pédagogie, contrats et chartes éco-citoyennes, manuels des bonnes pratiques par les promoteurs…) dans leur appropriation quotidienne du quartier (tri volontaire, participation à la gestion d’un jardin partagé, consommation raisonnée, préférence pour les déplacements doux…).

L’engagement par la citoyenneté : repose sur (1) les gestes et faires de l’habitant dans la production même du quartier ou de certains de ses espaces mis à disposition. Il s’agit ainsi de redonner à la citoyenneté un espace d’expression par (2) la conception autonome ou coopérative de l’habitat (autopromotion, habitat participatif, habitat coopératif…), (3) d’espaces publics (espaces libres pour une appropriation habitante…), ou (4) par l’implication lors de la concertation du projet (démocratisation des outils, co-construction, valorisation de la maîtrise d’usage par l’évaluation et la gestion…).

Par-delà l’instabilité remarquée dans les usages terminologiques, la culture instrumentale se retrouve beaucoup au creuset des différents énoncés axiologiques et de leur hiérarchie latente. L’éclosion de la responsabilité, traduit par exemple la prégnance de l’entrée principielle, au détriment peut-être de valeurs telles que la solidarité ou la convivialité, comme horizons axiologiques, bien plus en retrait dans les discours.

C’est donc une facture encore largement interventionniste et descendante des visions des pouvoirs régulateurs, de leurs codes réglementaires et des savoir-faire techniques associés qu’il nous est donné à voir par ces différentes polarités, instables (valeurs) ou en voie de reproduction/stabilisation (principes). Ici, les politiques de la ville, du logement ou encore d’environnement et d’énergie marquent grandement de leurs habitudes et empreintes les dossiers examinés.

Le changement prôné en arrière plan de la grille EcoQuartier trouve alors sa limite principale : une difficulté à se réapproprier des politiques classiquement marquées de sectorisations fortes.

Toutefois, la typologie fait-elle également ressortir une tendance différente, plus discrète à travers l’engagement par la citoyenneté. Celle-ci montre qu’il est possible de concevoir l’habitant autrement que comme simple usager et consommateur d’espace, cible des dispositifs d’accompagnement, d’éducation environnementale, de pédagogie, d’injonctions etc. Il est alors parfois considéré comme co-gestionnaire, voire citoyen de plein droit dans les projets et leurs productions. De la même manière, l’habitat est parfois réinvesti autrement que par le respect premier des exigences réglementaires.

Cette articulation, bien que proportionnellement moins représentée et faisant l’objet de peu d’énoncés axiologiques, vient selon nous directement, de manière dialectique, questionner les moyens mobilisés pour la visée instrumentale du modèle qui s’est prioritairement dégagé de l’analyse, autant qu’elles interrogent valeurs et principes conviés. Elle redouble notamment l’attention qu’il y aurait à porter sur les conceptions en jeu de l’habitant, qui ressortait déjà de l’analyse de la démarche EcoQuartier (cf. Partie 1.). C’est donc sur ce type d’initiatives de signal faible, saisies comme pierre de touche du modèle dominant mis en lumière, que nous avons choisi de porter le regard en 4ème et dernière partie de ce rapport.

=> Des signaux faibles par l’engagement citoyen

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L’apparition de quelques énoncés axiologiques autour de l’engagement habitant constitue une autre source pour l’analyse, par les signaux faibles. Ils permettent de questionner l’analyse d’un modèle instrumental dominant, car ils livrent une vision plus autonome (-isante) des pratiques et usages de l’éco-quartier passant par des canaux moins institutionnalisés.

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Partie 4 – D’une axiologie instrumentale à un répertoire naissant de l’action territoriale : la question de la participation et des modes de vie La typologie dressée et la hiérarchie qui la sous-tend donnent à voir une attention à des thématiques nouvelles de la doctrine du moment (refaire la ville sur la ville). C’est indéniable. Toutefois, au-delà des seuls thèmes mobilisés, les intentions axiologiques projetées dans les dossiers en termes de mixité, de responsabilité, de cohésion, d’équité, et de sobriété renvoient à une conception de la ville encore largement éloignée de sa quotidienneté. La fameuse « vie de quartier » ou encore son « appropriation » y demeurent fort éparses, et, quoiqu’il en soit, jamais véritablement situées dans quelques projets axiologiques. Malgré des efforts constatés pour ouvrir les/aux pratiques (ouverture souvent comprise comme une organisation des usages de l’espace public notamment, supra), ces intentions maintiennent en fait par différentes opérations des modes d’agir territoriaux inscrits dans une conception instrumentale et managériale de l’aménagement. Nous l’avons montré.

Or, à ceci se lit particulièrement au travers de deux critères, qui serviront d’entrée pour l’examen d’initiatives de faible signal : le rabattement fréquent de la participation sur la concertation et la pédagogie et, effectivement (cf. Introduction), le délaissement général des modes de vie comme sujet et portée du changement.

Ce dernier temps de l’analyse s’appuie sur l’occurrence et l’organisation des autres termes de la liste des mots retenus pour examen, relatifs à l’inclusion habitante, thème fort de cet appel à projet (cf. grille EcoQuartier).

4.1 Entre une conception dominante de la participation visant l’acceptabilité de l’action territoriale et une conception de signal faible appelant l’autonomie et l’engagement des habitants En premier lieu, la « participation » et la « concertation » sont des termes très fréquemment employés, voire redondants, dans la dimension « démarche et processus » des dossiers. En fait, ils sont majoritairement mobilisés pour la description du portage de projet. Ils renvoient à des dispositifs plus ou moins classiques comme les ateliers participatifs, les réunions publiques, les forums de discussion, les outils d’information et de communication... Généralement mobilisés dans la phase de définition du projet.

Ensuite, « gouvernance » et « transversalité » sont d’autres termes mobilisés par cette même dimension « démarche et processus », dans laquelle ils jouent le rôle de principes fédérateurs pour la dite participation. Pour la gouvernance, il s’agit d’associer un maximum d’acteurs allant des techniciens aux habitants, usagers, riverains, citoyens. Ce partenariat technique/politique/habitant doit se faire alors surtout pour la conception du quartier, en amont par des consultations (réunions publiques, information, expositions, ateliers participatifs). La transversalité concerne quant à elle surtout la composition des comités (techniques, pilotage…), et bien moins des ambitions substantives, i.e. contenu transversal des actions. En fait, guère de véritable innovation sous cet angle dit « participatif ».

Le faible degré constaté d’innovations en matière de participation ou de concertation dites citoyennes, notions globalement omniprésentes mais maintenues confinées dans le giron de la gouvernance (ex : partenariats entre acteurs) et de sa quête de transversalité (au sein des comités divers), représente sans conteste le premier critère d’analyse. Attestent également de cette faiblesse bien d’autres discours du moment, et notamment le rapport rédigé par l’association Décider Ensemble, aux larges échos (positifs) en 2011 : Ecoquartiers : la concertation au service de l’action.

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On ménage finalement des mises en dialogue pour faciliter l’action des porteurs de projet, mais on ne questionne pas les processus et les espaces délibératifs ni les valeurs attachées aux différents types de participation et processus de conception. Ce qui se joue est avant tout la question de l’acceptabilité des projets par les habitants, c’est-à-dire une quête de légitimité de l’action, comme le soulignait B. Pancher, directeur de l’association qui insistait lors du 3è colloque des rencontres parlementaires sur la capacité de la concertation à légitimer l’action publique par l’instauration d’une « relation de confiance et de responsabilité durable entre les acteurs de la ville ». Ainsi, « La concertation se résume le plus souvent à une participation associative en trompe l’œil, à un exercice visant l’acceptabilité sociale des décisions ainsi qu’à des mécanismes visant à prévenir et à gérer les conflits et les oppositions. » (Frère in Béal, Gauthier, Pinson, 2011, p. 36).

L’enjeu semble pourtant dorénavant être dans la mise en tension par le débat de positions contradictoires, et/ou dans l’action fédératrice autour d’enjeux et de mondes communs. C’est d’ailleurs ce que de rares projets présentés ont dit parfois vouloir rechercher.

Encadré 3. Quelques signaux faibles autour de la participation habitante

« Dans le projet présenté ici, la concertation est conçue comme une ressource au service du projet de rénovation et de renouvellement du quartier des Izards d’un triple point de vue : d’une part, elle doit accompagner et nourrir les réflexions urbanistiques (dans le cadre règlementaire et au-delà) ; d’autre part, elle a pour vocation de fédérer les différentes populations du quartiers autour de projets constitutifs d’un monde commun au sein duquel elles seront actrices et deviendront peu à peu motrices ; enfin elle se fixe comme obligation d’intégrer les populations nouvelles qui viendront occuper le quartier au fur et à mesure de son développement. » (EcoQuartier Les Izards à Toulouse, dossier de candidature, p. 4). Il ne s’agit donc plus ici d’une incitation forte aux pratiques usagères par l’accompagnement hissé au statut de mot d’ordre pour l’aménagement durable, mais d’une interrogation vive autour de l’implication directe et l’inclusion sociale des habitants pour la définition même d’un éventuel modèle de cohérence axiologique.

À titre d’illustration de cette double tendance, on relève d’abord au sein du dossier de candidature de l’éco-quartier Baudens à Bourges (opération de 5 ha en reconversion et rénovation urbaine située en pôle urbain), un exemple de cette façon classique d’entrevoir l’appropriation usagère par l’accompagnement des pratiques et comportements, sans plus de questionnements sur l’adéquation des outils mobilisés : « L’information aux habitants et usagers est essentielle et une vigilance particulière doit y être apportée. C’est notamment le cas pour les constructions en B.B.C. qui devra donner lieu notamment lors de la livraison des logements aux habitants d’une sensibilisation et d’une information afin de communiquer sur l’exemplarité d’un tel type de bâtiment. L’enjeu sera de créer un sentiment d’appartenance et d’appropriation par ces locataires vis-à-vis de leur habitat et de leur quartier. Un travail conjoint entre l’Office Public de l’Habitat et la société Eiffage (mais peut être également avec les autres partenaires publics comme l’Agglomération de Bourges pour le tri des déchets) pour leur remettre un document pédagogique de sensibilisation. Il en ira de même pour le prestataire qui devra entretenir les chaufferies des locaux afin de maximiser les solutions mises en place. » (Dossier de candidature p. 11). Du fait de la domination de ce type d’approche, cette appréhension instrumentale est très loin d’être isolée.

Or, a contrario, on relève également l’exemple de l’éco-quartier Lancre de Lune à Trilport (opération de 9ha en reconversion de friche et extension urbaine en couronne périurbaine) qui au moins dans le discours livre un questionnement : « Comment dépasser le stade de la simple information, pour aller jusqu’à une véritable co production, en y intégrant de futurs habitants, qui par définition n’existent pas encore ? La question mérite d’être posée, afin de ne pas limiter l’apport citoyen aux seuls riverains actuels. ». Puis toujours au sein du même dossier, « À quoi sert d’avoir un label très performant, s’il impose un mode de vie rejeté par les habitants. À quoi sert de choisir des technologies très performantes en théorie, si l’on ne dispose pas des professionnels pouvant en assurer le réglage et la maintenance ? Ces questions peuvent sembler provocatrices dans le cadre d’une candidature à

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un appel à projet national, mais la réalité du terrain, les visites effectuées, les contacts noués, les échanges amènent à penser que le sentier vertueux menant vers la ville durable doit tenir compte de la réalité du terrain. Limiter la pérennité de la performance environnementale d’un éco-quartier, à la simple lecture d’un livret d’accueil ou à quelques réunions, est trop réducteur. » (Dossier de candidature p. 8).

Toutefois, face à une participation surtout enceinte dans le registre « démarche et processus », on trouve une mise en œuvre plus transversale de l’accompagnement qui ressortait comme pendant de la conception managériale dominante (Partie 3.). Quelles en sont les justifications premières ?

C’est ici que deux autres termes clefs donnent à voir les principaux desseins axiologiques des dossiers déposés.

Tout d’abord, l’ « appropriation » (surtout dans « démarche et processus » et « cadre de vie et usages ») vise l’eco-responsabilité et la pérennisation de la démarche par des modes de vie et un cadre de vie renouvelés. Favoriser l’appropriation passe certes par les dispositifs de concertation et de gouvernance assez classiquement évoqués, mais surtout par des visites de chantiers (pour comprendre les temps de l’écoquartier), une diffusion d’informations, ainsi que la création/réhabilitation de lieux dédiés (maison de quartier, locaux associatifs…) et des aménagements spécifiques sur l’espace public, comme organisation des conduites (Partie 3.) : rues étroites, hiérarchisation et lisibilité des espaces, interventions sur les paysages…

La notion d’ « identité » apparaît alors en soutien, comme la deuxième notion clef, venant également opérationnaliser l’accompagnement. Très fréquemment utilisée dans et par la rubrique « cadre de vie et usages », elle repose sur la valorisation du patrimoine existant, sur une meilleure prise en compte de la topographie des sites, mais également sur les cultures locales, des évènements festifs, des animations écologiques et conviviales... Toutes choses devant permettre d’accompagner le sens de l’appropriation.

« Appropriation » et « identité » comme modalités d’accompagnement instrumental des conduites (identifié précédemment comme mot d’ordre de l’aménagement dit durable au travers des écoquartiers) mettent alors de côté une notion qui peine à être utilisée dans un sens plus spontané et autonome : les modes de vie. Les modes de vie, lorsqu’ils sont évoqués, poursuivent la visée instrumentale révélée.

Ils renvoient en premier lieu à des dispositifs des politiques d’habitat, de même qu’aux techniques de l’aménagement réversible (dans le but d’anticiper), à la mutualisation par l’offre de services, ou encore à la communication et à l’information des populations. En ce sens, leur utilisation soutient l’organisation recherchée des conduites par l’accompagnement, rabattant de nouveau, comme d’autres notions le font également, les habitants sur les figures de l’usage (espace public) et de la consommation (filières courtes)… tout ceci tendu vers l’éco-responsabilité (et, mais plus modestement, la solidarité).

=> Ainsi une ligne de partage continue traverse-t-elle bien le corpus entre : - d’une part la culture instrumentale et managériale dominante de la maîtrise par l’accompagnement et ses principes (sinon directement portés par l’Etat, tout du moins à ce jour par les savoir-faire et métiers de l’accompagnement territorial), - et, de l’autre, quelques velléités expérimentales par certains acteurs locaux d’une « innovation » axiologique (toutefois à forte teneur morale ou esthétique, et bien moins sociale, comme nous le verrons).

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Et, cette ligne de partage repose pour beaucoup sur l’attitude adoptée par rapport à l’impératif catégorique que constitue dorénavant la participation, et sur la place accordée aux modes de vie dans les projets, ainsi que, en arrière plan, sur les savoir-faire et compétences dès lors mobilisés sur ces deux sujets dans les logiques et portages de projet.

Cette coexistence asymétrique des modèles axiologiques aurait donc bien (cf. Partie 1.), communément, l’habitant comme pierre de touche, qu’elle s’exprime par les registres classiques de la participation très souvent rabattue sur la sensibilisation et l’éducation, ou qu’elle transite par l’approche très partielle des modes de vie et de leur prise d’autonomie (et non des seuls usages).

Or, si l’urbanisme de dispositifs (Ascher, 2004) et la culture des (grands) projets font encore ainsi leur office, dans la typologie énoncée des valeurs et surtout des principes, seul en fait l’engagement par la citoyenneté donne peut-être à voir une attention pour une autre axiologie, dont témoigne, le plus souvent ailleurs que dans les éco-quartiers, la floraison d’initiatives d’auto-construction, d’inclusion sociale par l’écologie, ou encore mues par l’acception vivrière de la nature (cf. retour remarqué de l’auto-gestion et de l’habitat groupé).

Trouverait-on pour autant un nouveau répertoire en construction pour l’action territoriale, porté par un autre cadre axiologique ?

4.2 Essai de typologie de projets pour renseigner l’axiologie socio-écologique : éco-citoyenneté (et non – responsabilité) et compétences habitantes (et non d’usages) Dans son dossier consacré à l’appel à projet EcoQuartier 2011, Le Moniteur donnait la parole à Benoist Apparu, secrétaire d’État chargé du logement : « La ville de demain pour le citoyen de demain ». À la lecture de cette communication, nous nous étonnions de ne pas trouver mention du citoyen, pourtant surligné dans le titre. À la fin peut-être apparaissait-il en terme de « grand public », traduisant une vision faiblement accordée à cette notion de co-construction que la démarche EcoQuartier avait pourtant tenté de mettre en avant (par l’incitation à la bonne gouvernance, transversalité…), au moins dans la grille et les discours. « Cette dynamique nous invite à prolonger l’ambition pour demain, en continuant à encourager et valoriser les projets des collectivités en matière de développement urbain durable, en « garantissant » la qualité des projets auprès du grand public, et en rendant plus accessible et plus visibles les projets d’Ecoquartiers les plus emblématiques. » (Communication B. Apparu, p. 3). Nous sommes ici au contact direct du rabattement fréquent de la participation sur une pédagogie de projet.

Cette déclaration nous semble devoir être confrontée aux signaux faibles qui rendent compte de démarches dont les ambitions ne sont pas de garantir la seule qualité du projet (que tout grand modèle d’urbanisme poserait comme préalable) mais bien plus la co-production et l’émergence de conditions favorables à un développement du territoire par et pour les habitants, par et pour l’environnement, par et pour la sobriété…

Ici, le traitement analytique d’une quinzaine (infra) de dossiers permet, en croisant les deux critères énoncés (participation et modes de vie), de lister plus précisément encore les initiatives, leurs thèmes d’enjeux, leurs réalisations annoncées… tout ceci en concevant différemment la matière sociale et ce faisant en considérant autrement la portée au changement évoquée en introduction. Ainsi, pour mieux saisir la présence et la portée de ces signaux faibles au sein des dossiers, nous présentons une typologie construite à partir de cas représentatifs de ces signaux. Elle donne à voir deux grands types de projets dont les degrés

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de dialogue sont variables entre des ambitions institutionnelles (mixité, densité, mobilité douce, biodiversité…) et des (micro)projets/dispositifs émanant de l’initiative ou de l’inclusion habitante (autopromotion, gestion partagée, actions citoyennes…).

Pour mémoire, l’examen compréhensif qui suit repose sur l’étude détaillée de 16 projets dont la liste est rappelée ci-dessous :

Bertignat – Ecohameau de Bertignat ; Clermont-Ferrand - Champratel ; Graulhet - Les Résidences du Parc ; Grenoble - Bouchayer-Viallet ; Grenoble –Teisseire ; Ile-Saint-Denis – EcoQuartier Fluvial ; Limans – L’Esprit Village ; Lyon – la Duchère ; Lys-Lez-Lannoy - S.I. Energie ; Montpellier – Les Grisettes ; Nancy – Plateau de Haye ; Pantin – EcoQuartier Gare de Pantin ; Roubaix – L’Union ; St Etienne – Manufacture Plaine Achille ; Villaine-Les-Rochers - La Martinière ; Vitry-Sur-Seine - ZAC Rn305.

Eco-citoyenneté et « vivre ensemble » par l’implication des habitants dans des projets ruraux coopératifs « La Martinière », projet coopératif situé en Ille-et-Vilaine sur la commune de Villaines-Les-Rochers, est un projet d’éco-lotissement qui repose sur une démarche partenariale entre la commune, les futurs habitants et les professionnels associés. L’idée étant de transférer, dès que le groupe de futurs habitants sera stabilisé et les études pré-opérationnelles avancées, le portage du volet opérationnel à une structure coopérative regroupant les trois collèges d’acteurs susmentionnés. Le projet, par la valorisation affichée d’un engagement citoyen dans un habitat écologique, véhicule le vivre-ensemble par des modes de vie plus sobres, des principes de partage et de cohésion sociale.

Le projet de la commune de Limans, « L’Esprit Village », situé en haute Provence, a été primé dans la catégorie « milieu rural » au Palmarès 2011. Il présente une volonté forte de construire un projet social fondé sur la participation citoyenne. Encore au stade pré-opérationnel, deux hypothèses sont aujourd’hui avancées pour la maîtrise d’œuvre : une concession d’aménagement à un bailleur social (qui assurera le suivi de la maîtrise d’œuvre) ou le conventionnement d’une coopérative d’habitants (qui assurera le choix de la maîtrise d’œuvre). La commune exclut le choix d’un aménageur privé pour ne pas déroger à l’idéologie d’un projet qui se veut d’intérêt commun. En attendant, la commune a déjà mis en place un dispositif coopératif par une Commission Extra-municipale réunissant 11 élus, 14 non élus, et un salarié, afin de réfléchir au développement de la commune et d’assurer le pilotage technique. L’autre idée force du projet réside dans la volonté de greffer l’eco-quartier, non comme une nouvelle entité exemplaire par ses performances et modes de vie,

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mais comme continuité identitaire du village existant. Il s’agit ainsi de concevoir en étroite cohérence avec l’existant, tout en associant à des enjeux durables.

La force de ces deux projets réside dans leur originalité au sein du concours EcoQuartier ; ils apparaissent parmi les rares qui s’appuient sur une large inclusion citoyenne ou habitante, comme moteur premier d’un projet, autrement que par les propositions foisonnantes de gestion d’espaces partagés ou encore de concertation officielle (présente dans tous les autres projets déposés). Toutefois, bien que leur taille restreinte et leur caractère rural soient des avantages pour de telles innovations démocratiques, ils témoignent néanmoins de possibilités intéressantes de recentrer un projet sur la cohésion, le vivre-ensemble, le partage, la convivialité… à travers les modes de vie et la participation. Y compris dans le champ urbain plus ou moins dense, comme en atteste le cas étranger rappelé ci-dessous.

Encadré 4. Mise en perspective de ces expériences rurales par l’exemple d’un quartier urbain entièrement fondé sur l’autopromotion : Tübingen (Allemagne)

En 1991, la municipalité de Tübingen achète à l’Etat Fédéral des casernes militaires libérées par l’armée française en 1990 (Hindenburg et Loretto), situées en périphérie sud de la ville. Celle-ci lance alors un concours d’urbanisme sur le thème de « La ville des courts chemins », pour la restructuration du site. Il s’agissait alors de changer l’image de ces quartiers peu attractifs (grandes infrastructures de transports, friches militaires et industrielles…) et de proposer des logements à prix raisonnable à des personnes travaillant à Tübingen. Finalement le projet a aussi attiré des gens travaillant dans la banlieue sud de Stuttgart, située à une trentaine de km et n’a donc pas permis d’arrêter les déplacements automobiles domicile/travail (Lefevre, Sabard, 2009). C’est une jeune équipe d’architectes tout juste sortie de l’Université de Stuttgart, qui remporte le concours en proposant un projet attentif à l’identité du site, de la ville de Tübingen, et prévoyant des parcelles destinées à l’auto-promotion. Ainsi, la ville s’est tournée vers les futurs habitants, et pour faciliter l’arrivée de certaines populations (jeunes, faibles revenus), s’est engagée à vendre les terrains à un prix inférieur à celui du marché local.

Le projet repose sur la responsabilité des habitants réunis en groupes d’auto-promotion (Baugruppen) puis de co-propriétaires pour assurer la maîtrise d’ouvrage puis la gestion de leur îlot. Des bailleurs sociaux et des promoteurs immobiliers se sont aussi investis afin de diversifier l’offre de logements par l’accès au locatif, mais la priorité a été systématiquement accordée aux groupes d’auto-promotion. Dans une optique de mixité fonctionnelle, les rez-de-chaussée ont été destinés à des locaux d’activités, gérés par les habitants de l’immeuble ou loués à une tierce personne.

L’originalité de cet exemple réside dans la création d’un partenariat entre la ville et les futurs habitants, l’équipe municipale et le service d’urbanisme agissant comme bureau de renseignement en direction des personnes intéressées, comme interface entre les particuliers et les groupes d’auto-promoteurs en formation, comme négociateur pour permettre une cohérence territoriale entre les divers îlots, bref comme facilitateur. L’auto-promotion a servi d’outil pour la réalisation des objectifs d’urbanisme envisagés par la ville (densité, diversité architecturale et paysagère, mixité sociale et fonctionnelle, animation…) et permettait de répondre directement aux besoins et envies des habitants. En revanche, largement reléguée pour son innovation économique et sociale induite par l’auto-promotion, la dimension écologique (autre que classiquement par la réduction de la place de la voiture ou l’éco-construction par exemple) semble moins imprégner l’identité du site développé.

En outre, les autres projets insérés dans des espaces ruraux n’ont pas été aussi loin dans leurs propositions, et bien qu’ils aient souvent mis en avant le recours à des dispositifs d’inclusion par l’autopromotion et la gestion collective d’espaces partagés (Bertignat, ZAC Biancamaria, La Petite Condémine, Ecoquartier des Vignes), ils n’en n’ont pas fait les principes mêmes de la conception du quartier.

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La reconnaissance des compétences habitantes par des dispositifs inclusifs dans les grands projets de rénovation urbaine (notamment d’anciennes friches industrielles) Le projet de l’Union à Roubaix, 1er prix au Palmarès 2011, joue le rôle d’éco-quartier pilote de la métropole lilloise. Situé à la jonction de trois villes, Roubaix, Tourcoing et Wattrelos, le quartier de l’Union se veut unificateur et par là même, porteur d’une identité propre. Le projet se présente dans son dossier de candidature comme une opportunité de faire la synthèse de plusieurs tentatives inabouties de requalification du site depuis les années 1970, toutes finalement reconnues comme porteuses d’une vision trop restreinte et partielle du territoire.

Un des caractères particuliers de ce territoire réside dans son histoire participative marquée par une forte présence militante depuis les années 1970. Le projet d’écoquartier lui-même a fait l’objet de mobilisation, notamment la résistance devenue emblématique sur le quartier des habitants de l’Îlot Stephenson. Les 300 habitants de l’Îlot Stephenson se sont regroupés au sein de l’association « Rase pas mon quartier », en refus de leur expropriation que devait entraîner l’arrivée du projet. À travers cette mobilisation, un rapport de force négocié entre les habitants, l’aménageur et un médiateur technique, l’architecte Patrick Bouchain, a été engagé, et a permis une réhabilitation collective par une démarche participative. L’atelier électrique, à la fois baraque de chantier, lieu de travail et de concertation, lieu d’accueil, de vie des habitants de l’îlot Stephenson, est devenu, depuis son inauguration en avril 2009, un espace de rencontres et d’échanges entre tous acteurs du projet, et, ce faisant, un espace emblématique de cet écoquartier.

Le projet Manufacture-Plaine Achille, grand projet de requalification d’une zone en friche (107 hectares) en continuité du centre-ville de St Etienne, s’affiche parmi les lauréats du prix Rénovation urbaine, catégorie Requalification urbaine. Le projet oriente ses ambitions vers la lutte contre la détérioration du centre-ville, le retour des classes moyennes parties en zones péri-urbaines et le rayonnement de St Etienne à l’échelle régionale, voire même nationale par le développement de pôles d’excellence, d’innovation et de création, par une série de partenariats avec des acteurs locaux (ex : Cité du Design).

Le projet s’articule autour d’une identité forte portée par le choix de l’architecte Alexandre Chemetoff pour assurer la maîtrise d’œuvre. En effet, l’éco-quartier s’appuie sur le concept de ville-parc animée et pensée comme support d’une multiplicité de fonctions. L’évolutivité du projet insiste sur la conception d’aménagements non figés pour s’adapter aux pratiques. Un plan guide (plutôt qu’un plan masse) a servi d’outil de travail évolutif et participatif afin de construire la démarche collaborative « chemin faisant ». Enfin, une place a la co-conception et l’appropriation du projet a été pensée par le dispositif « carte sur table » qui visait à rendre les documents techniques accessibles à tous et à les mettre en dialogue par leur caractère évolutif.

Ces deux exemples (auxquels on peut ajouter les Grisettes, Le Plateau de Haye, Pantin, l’Ile St Denis, ZAC Rn305, Pantin…), dont les objectifs devront être vérifiés dans le fonctionnement même des quartiers, se caractérisent par des démarches de conception attentives à la question de la participation, où l’habitant n’est plus pensé comme simple consommateur/usager de l’espace mais bien capable d’initiatives par ses propres actes, notamment ceux insérés dans des modes de vie (autopromotion, pedibus, gestion partagée, mutualisation…). Ces projets témoignent donc de la possibilité d’inclure l’habitant dans des projets de grande envergure, notamment par une volonté des porteurs de projets d’initier des démarches volontairement expérimentales pour trouver les modalités adaptées au dialogue et à la co-production.

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Ainsi, les signaux faibles identifiés et leur cohérence axiologique (socio-écologique) autour de l’éco-citoyenneté et des compétences habitantes ne sont pas l’apanage de petites initiatives du domaine de l’action en milieu rural. Certes, nous n’avons pu trouver dans le pré-palmarès étudié de projets à l’image de Türbingen où la rénovation d’un quartier de ville a été entièrement fondée sur l’autonomie et la responsabilité habitante. Néanmoins, on peut évaluer à 1/3 du pré-palmarès le nombre de dossiers qui ont su inscrire quelques microscopiques expérimentations, marquant un changement des pratiques en cours par l’ouverture des porteurs de projets à quelques dispositifs réellement inclusifs ou coopératifs.

4.3 De l’accompagnement stratégique des usages… à la capacitation : vers la construction d’un nouveau répertoire de l’action territoriale ? C’est, de prime abord, ce que certains cas étrangers permettent de fonder comme hypothèse d’analyse (cf. Encadré 5.).

Encadré 5. Hjorshoj (Danemark) : quartier d’innovation sociétale portée par des initiatives habitantes sur l’habitat écologique, la coopération et les nouvelles solidarités de voisinage

À proximité d’Aarhus, deuxième plus grande ville du Danemark, l’écoquartier d’Hjortshoj prend la forme d’un village coopératif et écologique. D’initiative citoyenne, il compte aujourd’hui environ 200 habitants. Il a été conçu progressivement et de façon autonome par ses habitants depuis 1987, et évolue au gré des décisions prises collectivement par tous les membres du village.

La singularité de cet éco-village repose tout d’abord sur son organisation en cinq groupes d’habitations, correspondant aux différentes étapes de construction du village et permettant une diversité des constructions et types de logement (propriété privée, collectif, social). C’est aussi et surtout une vision intégrée et équilibrée des dimensions sociales, économiques et écologiques qui rend cet exemple intéressant, en se basant notamment sur l’idée que le développement durable permet de viabiliser tant les ressources que les liens sociaux. Ainsi, plusieurs principes d’aménagement et d’organisation de la vie sociale permettent l’adoption de nouveaux modes de vie et d’habiter par le quotidien : mutualisation (laverie, chambres d’amis, cuisines, courses, garde d’enfant), travail bénévole (autopromotion, autoconstruction, groupement d’achats de matériaux écologiques, une cinquantaine de groupes de travail bénévole pour la gestion et l’animation de la vile collective), utilisation des ressources locales (vergers, potagers, poulailler, agriculture locale), espaces collectifs (jardins, espaces de jeux, vergers…), formation de cycles naturels (toilettes sèches, dont les matières sont réutilisées sur les terres agricoles où le village produit ses légumes…), recours aux énergies renouvelables...

Développé autour du faire et du vivre ensemble, cet exemple est d’autant plus intéressant qu’il affiche une volonté d’éviter l’entre soi en intégrant une population mixte d’un point de vue social et intergénérationnel, tout en permettant à chacun de participer à la vie collective selon ses propres moyens et compétences. C’est donc ici bien plus la solidarité et le respect de la vie collective qui animent les modes de vie et non le repli communautaire, « Ce qui nous sauve de l’homogénéisation, c’est l’apport des nouveaux groupes d’habitants et aussi le fait que la plupart des gens ont un travail à l’extérieur. Mais un sentiment communautaire s’est tout de même forgé (…) Ce ne sont pas vraiment des amis, ce ne sont pas des voisins, ce sont des gens avec qui on a construit sa maison (…) On se connaît très bien, mais on ne vit pas en communauté, on a chacun sa vie. » (Pierre Lecuelle, membre fondateur de l’association, in Emelianoff et Stegassy, 2011, p. 229).

C’est surtout ce que font ressortir les signaux faibles tirés des dossiers de candidature (supra), et ce particulièrement par un autre champ lexical et, ce faisant, d’autres grilles axiologiques : depuis la mutualisation et la réversibilité jusqu’à de nouvelles formes de coopérations

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(portées par exemple par l’autopromotion), en passant par de nouveaux partages dans les espaces publics, par les formes sociales et participatives des solidarités locales…

L’encadré qui suit livre quelques dispositifs et, parfois, leurs justifications axiologiques, concernant ce second « modèle » identifié (les quelques velléités expérimentales, ou autrement dit, les signaux faibles).

Encadré 6. Exemples de dispositifs relatifs à un nouveau répertoire d’actions

a) Mutualisation – Gestion partagée

« Pour permettre aux habitants de se rencontrer, il est prévu quelques petits équipements ou services à l’échelle du quartier. Le principal est l’aménagement de jardins partagés, sur le modèle des jardins ouvriers, confiés à des habitants du quartier ou de la ville, installant ainsi une activité sociale partagée sur l’espace public. La construction d’une serre de rencontre autour des semis et plantations est envisagée sur ce thème. Le projet prévoit également la possibilité de voir s’installer 1 ou 2 commerces sur des rez-de-chaussée d’immeubles bien placés et une petite salle de quartier proche du parc central. » (La petite Condémine, Dossier de candidature p. 5)

b) Autopromotion – Coopération

« L’association « Escapades » est le maître d’ouvrage d’une opération d’habitat groupé solidaire sur l’îlot BO4c. Les futurs résidents partagent le même projet de vie, intégrant l’expression des solidarités habitantes autour des questions de l’altérité et de la mixité sociale, un niveau élevé de confort d’usage ainsi que la mutualisation et la gestion de certains espaces et services. » (Erdre Porterie, Dossier de candidature p. 7)

« L’auto promotion permettra de décliner les différentes approches du mieux vivre ensemble. Par rapport, à une formule d’habitat classique, avec un modèle standardisé, cette formule permet une prise en compte des besoins spécifiques en donnant au propriétaire l’opportunité de concevoir avec ses futurs voisins son propre modèle et de réaliser en s’aidant mutuellement les projets du groupe d’auto-promoteurs. L’auto promotion, par la recherche en commun de solutions d’habitat, de résolution d’attentes sociales, de partage de services, est basée sur le dialogue, la convivialité consentie, habituellement non traités dans les formes d’habitat formatés où chacun découvre et s’adapte à ses voisins une fois dans son logement. Les auto-promoteurs pourront réaliser des équipements et espaces mutualisés et cette mutualisation réduira sensiblement la taille des habitations au profit d’espaces communs, qui favoriseront les rencontres, les échanges. Ces espaces communs constitueront des lieux de convivialité (chambres d’amis, potager, aire de jeux…). La rencontre avec les futurs voisins bien avant l’emménagement permet d’appréhender les personnalités de chacun et leur compatibilité. Cette connaissance préalable des voisins avant l’emménagement assure une meilleure vie et cohésion sociale par l’apprentissage des autres avant, pendant et après les travaux de construction. » (ZAC Biancamaria, Dossier de candidature p. 11)

c) Réversibilité – Adaptabilité

« En partant de l’existant pour construire un projet itératif et flexible, l’agence A. Chemetoff & Associés, la ville et l’EPASE inscrivent la durabilité par la modularité et l’adaptabilité. Celle-ci s’incarne à la fois dans le principe d’action (Plan Guide, démarche de projet chemin faisant), dans la conception des espaces publics laissant place au spontané et à l’enrichissement progressif des usages, ou encore dans la conception du bâti qui valorise la modularité et l’adaptabilité (développement de loft office dans le bâtiment de l’Imprimerie affirmant le parti pris auprès des investisseurs en immobilier tertiaire d’un aménagement léger mettant en valeur des espaces modulables ; développement d’une offre de logements dont le T3 peut se transformer en T4 pour l’accueil d’un nouveau-né ou d’un parent dépendant , …). » (Manufacture Plaine Achille, Dossier de candidature p. 18).

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Concernant ces dossiers de candidature, les signaux (faibles) repérés renvoient à une diversité de situations, loin de la seule intuition visant à les considérer comme relatifs à des projets de très faible taille, dans des contextes ruraux. Toutefois, même si concernant des types de projet de champs et d’ampleur différents, il s’agit ici de propositions très souvent « microscopiques », puisque limitées à des sous-espaces et intentions. Clairement expérimentales, elles concernent néanmoins une partie non-négligeable des dossiers.

Sur les 78 pré-sélectionnés, on recense en fait 21 projets qui mentionnent dans leur dossier de candidature l’intention de mettre en place un dispositif d’autopromotion, d’habitat participatif ou de coopérative d’habitat groupé. Et, ces 21 dossiers se répartissent de façon équilibrée entre des petits projets localisés en milieu rural (7), des projets de grande envergure (8) et de taille moyenne (6) répartis entre les pôles urbains et périurbains. Plus amplement encore, c’est une petite trentaine de dossiers (comptant les 21 précédents) qui émettent des propositions inclusives par différents dispositifs d’implication (encadré 7). Encadré 7. De quelques exemples de dispositifs inclusifs (hors autopromotion – auto-construction- habitat participatif)

- Plateau de Haye - Nancy : Les aventures partagées, atelier d’auto-réhabilitation, coopérative gestionnaire de jardins partagés.

- Wolf-Wagner - Mulhouse : projets artistiques collectifs dans la concertation, « chantier enchanté », maquette participative, imaginer le quartier comme un jardin.

- Les Grisettes - Montpellier : agri-parc comme élément structurant de la vie de quartier à la fois inclusif par le rapprochement à la nature, et convivial.

- Angers - Plateau des Capucins : participation habitante par les conseils consultatifs et de suivi + vulgarisation de la technique et action pédagogique par la nature.

- La Ravine Blanche - St Pierre (La Réunion) : un fond de soutien financier aux initiatives habitantes « Fonds de participation habitante ».

- Teisseire - Grenoble : un des bailleurs a proposé un poste d'accompagnement à la gestion des unités résidentielles qui incitait les habitants à désigner des référents d'immeuble, interlocuteurs du bailleur sur la gestion des partie communes et espaces extérieurs.

- ZAC EcoQuartier Méricourt : se veut un laboratoire de participation habitante en créant un poste dédié et en déclinant trois figures : habitant-usager, habitant-client, habitant-citoyen.

Finalement, cette autre articulation axiologique, bien moins visible et pensée comme telle par les équipes projet, repose :

sur la convivialité comme valeur de cohésion (qui vise à pacifier les rapports entre les quartiers par l’intermédiaire d’aménagements fédérateurs),

et ce, non plus seulement par les usages, mais par la citoyenneté, l’autonomie et l’entraide comme vecteurs premiers de son entrevue,

passant par un répertoire d’action émergent : co-construction, co-conception, co-production, l’habitat participatif, l’autopromotion, l’auto-construction, mise en coopérative, mutualisation, réversibilité, espaces partagés et participatifs (co-gestion),

mais taisant encore globalement les modes de vie en jeu, dont le terme était pourtant impliqué pour l’évaluation.

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4.4 Vers un modèle axiologique de cohésion socio-écologique : le rôle dual de la sobriété et de son habiter Ces ouvertures (auto-construction, auto-promotion, auto-réhabilitation, mutualisation, autogestion, coopérative, gestion partagée, co-construction…), minoritairement distillées dans les projets comparativement à la fréquence d’autres dispositifs, montrent un volontarisme des porteurs de projets pour expérimenter et encourager d’autres manières de faire. Selon les dossiers de candidature, elles impliquent directement l’idée d’une plus grande proximité des ressources pour satisfaire à d’autres besoins, celle d’une alternative possible au marché, particulièrement en matière de logement, par une prise d’autonomie habitante… Ces initiatives seraient autrement porteuses de solidarité, d’entraide, de convivialité, de partage… et ainsi, peut-être, d’un autre modèle de cohésion… ici clairement socio-écologique.

Par-delà ce qu’il adviendra véritablement de ces discours, la ligne de partage évoquée plus haut, et dès lors quelques signaux faibles identifiés par la citoyenneté, impliquent singulièrement une valeur dans les catégories proposées : la sobriété. Pour rappel, la ligne de partage de la typologie des valeurs et principes correspondait :

d’une part à la culture instrumentale et managériale dominante de la maîtrise par l’accompagnement et ses principes (sinon directement portés par l’État, tout du moins à ce jour par les savoir-faire et métiers de l’accompagnement territorial),

et, de l’autre, à quelques velléités expérimentales par certains acteurs locaux d’une « innovation » axiologique (toutefois à forte teneur morale ou esthétique, et bien moins sociale, comme nous le verrons).

C’est par la sobriété que la bascule semble s’opérer entre une application descendante de principes plus ou moins hérités et remontée de quelques initiatives plus expérimentales autour de l’engagement, et ce entre :

d’une part, une facture strictement énergétique de l’économie vertueuse (verte) et de l’arraisonnement des comportements par les moyens technologiques,

et, de l’autre, des modes de vie plus alternatifs qui, s’ils ne sont pas sans être fort modestes et sans poser des questions (notamment d’accès social), n’en conduisent pas moins à d’autres conceptions de l’implication dans et par la citoyenneté.

Bien que faiblement représentée, cette partition témoignerait néanmoins d’une marche vers le changement. Non seulement de la part des porteurs de projets qui s’ouvrent, du fait de leur propre trajectoire (ex : souvent des carrières sociales) alors culturellement à des expérimentations de co-construction, voire de délégation de la responsabilité (aux habitants), restituant une marge de pouvoir/savoir profane… mais aussi de la part des habitants eux-mêmes qui s’engagent dans d’autres modes de vie porteurs de sens (solidarité, sobriété, partage). Car, « l’essence de l’éco-quartier ne se trouve pas dans la (quasi) disparition des besoins en énergie fossile et dans la sobriété énergétique permise par les nouvelles technologies et infrastructures, mais dans une nouvelle façon d’‘être au monde’ » (Raineau, p. 74, in Dobré et Juan, 2009).

Les deux schémas qui suivent illustrent et mettent en perspective les systèmes axiologiques propres à ces deux types de cultures, correspondant aux référentiels que nous avons relevés et explicités tout au long de ce travail. Ils articulent tous deux systèmes de valeurs (au centre) et principes de mise en action (autour).

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À tire d’illustration de la bascule qui traverse la sobriété, exposons deux façons de l’intégrer dans les projets.

D’un part, une attention quasi systématique est portée à l’incitation aux bonnes pratiques (préalablement déterminées par des experts), par l’accompagnement que constituent les guides, chartes, notices explicatives, moyens de communication, sensibilisations… Ici la sobriété relève d’une approche positiviste, où l’injonction devrait aboutir à une responsabilité collective. En transmettant un savoir dores et déjà constitué (et admis comme solide car justifié par une croyance scientifique), il est alors présupposé une adhésion et une appropriation habitante, conformément à l’accompagnement stratégique des usages. « À chaque livraison, les futurs habitants seront réunis pour une information sur leur logement et le quartier. À cette occasion, un livret d'accueil leur sera remis. Ce document reprendra les engagements des promoteurs sur les objectifs de performance environnementale obligatoires et indiquera les éco-gestes à destination des utilisateurs permettant de favoriser un usage environnemental et économique adapté du logement. » (Erdre Porterie, dossier de candidature, p. 5).

D’autre part, bien plus modestement, l’identification de signaux faibles par l’engagement citoyen dans d’autres modes de vie (plus sobres) autorise la mise en perspective de projets (pour des cas étrangers) ou micro-dispositifs (pour le cas de l’appel à projet) pensés autrement que par l’injonction incitative/accompagnatrice à l’appropriation de dispositifs techniques. Ces signaux permettent de questionner le lien quasi systématiquement fait dans les discours entre développement de techniques écologiques, à l’échelle du quartier, et évolution des représentations, usages voire engagements de ses habitants. Il s’agit en fait d’intégrer de nouveaux modes de vie, dans le cadre d’un volontarisme citoyen généralement prégnant (autopromotion, espaces collectifs co-gérés, pédi-bus, mutualisation, coopérative, apport volontaire, AMAP, simplicité volontaire, entraide…) engageant une transformation consubstantiellement écologique et sociale de lieux, s’adressant moins comme modèles et plus comme expériences du « vaste monde » . Ces expériences sont surtout représentées en dehors des sentiers officiels des éco-quartiers et dans des cas étrangers dont nous avons livré deux exemples plus haut.

D’un côté la sobriété résulterait de l’injonction, de la responsabilisation individuelle (conformément à l’accompagnement stratégique des usages) et, de l’autre, elle entrerait plutôt dans un processus d’engagement, de compréhension et de (re)découverte d’un monde commun. Nous sommes bien ici au point de bascule entre les deux modèles identifiés impliquant directement les lignes de partage relatives à la participation et aux modes de vie.

Pourtant, par-delà ces signaux faibles, l’ensemble des valeurs, et surtout principes désignés dans les dossiers renvoient à une lignée et à un régime d’actions descendantes, fondées sur les démarches et dispositifs du projet urbain, sur leur logique managériale, où l’évolution des modes de vie procèderait d’une conception encore largement déterministe de l’habiter (Encadré 8.), donc une approche encore instrumentale de ses premiers concernés, les citoyens-habitants :

les principes de précaution, de réversibilité et de cohérence devraient permettre aux éco-quartiers de durer dans le temps sans dépérir, et pour ce faire prendraient d’abord appui sur une conduite des comportements et usages (fameuse maîtrise d’usage pour la régénération des savoirs techniques dans la logique de projet) ;

les dispositifs d’application de la mixité, et de la cohésion favoriseraient des modes de vie solidaires, mais à travers lesquels les habitants exprimeraient leur supposé désir de vivre ensemble dans la seule pratique et gestion des espaces partagés, le seul respect

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des hiérarchies fonctionnelles dans l’espace public (néanmoins dorénavant plus souple, mutable…) ;

ou encore, la diversité des tissus et types de logement, programmes et populations, ambiances et paysages etc. favoriserait une vie harmonieuse de quartier, perçue comme capable de faire revenir les classes moyennes installées dans le périurbain, mais en véhiculant une certaine idéologie du quartier (cf. Henri Lefebvre) et une certaine idéalité du local comme moteur expérimental, sans en interroger la généralité polytopique.

Ainsi, les valeurs et principes recensés déploient très majoritairement un régime d’actions reposant sur un ordre de justification qui, par des présupposés moraux rarement discutés, consiste plus à encourager par une éducation des usagers au changement des modes de vie ou à une incitation par des « dispositifs par omission » (Boissonade, 2011), et moins à impliquer par et pour l’engagement direct d’habitants dans des modes de vie et une participation directe dès lors revisités.

En creux, c’est bien une conception même de ce qui fait habiter et, dedans, de ce que seraient les habitants qui se joue, avec toutefois pour éclairage nouveau, certes un paradigme du risque, mais un risque d’abord tendu vers quelques inquiétudes, voire craintes, face au foisonnement du social et aux mobilisations locales potentielles. « Il nous faut principalement questionner (…) mettre en perspective cette floraison massive de projets d’écoquartiers dans une longue lignée de tradition urbanistique : depuis les doctrines de Cerdà, de l’hygiène ou du progrès, organiser au mieux l’espace permettrait d’organiser au mieux les mœurs. Ainsi, face à des habitants gaspilleurs, déviants, inconséquents et imprévisibles, l’habitat et le quartier devraient se charger d’éduquer et de normaliser les comportements sociaux. » (Renauld, 2011, p. 3).

Encadré 8. « Habiter, le propre de l’humain » (Paquot, Lussault, Younès (dir), 2007)

Le terme habitat est une déclinaison de la notion d’habiter, qui provient du latin habitare, et signifie à la fois « avoir souvent » et « demeurer » dans le sens de « rester ». Progressivement il désigne le fait de « rester », « d’occuper une demeure » et implique, aussi et surtout, l’existence d’une relation entre l’habitant et l’habitat. Habiter, c’est alors la « manière dont les mortels sont sur la terre (...) (et le) rapport de l’homme à des lieux et, par des lieux, à des espaces » (Heidegger, 1958, pp. 175 et 188). Ainsi, « L’expérience la plus fondamentale de notre rapport au monde est celle de l’habiter. » (Pattaroni, Kaufmann, Rabinovich, 2009, p. 5).

Apparu au début du 19ème siècle, le terme habitat revoyait d’abord au vocabulaire botanique et zoologique. Il a fallu attendre le début du 20ème siècle pour que cette notion intègre l’homme et désigne alors les milieux dans lequel celui-ci évolue. Dès lors, « pour les sciences sociales, la notion d’habitat traite des rapports construits entre un individu ou un groupe et l’espace. » (Lévy, 2008, p. 99). Il s’agit alors par l’habiter d’un certain rapport au monde qui ne peut se réduire à des lieux fonctionnels et à une approche pratique de l’espace. Pourtant une tendance largement répandue, qui a d’ailleurs contribué à élaborer le sens commun actuel de la notion d’habitat, consiste à restreindre cette notion au seul espace résidentiel, limité à la cellule logement. Cette restriction de l’habitat au seul espace du domicile se base sur l’idée que « les autres types d’espaces, communément rattachés aux fonctions de travail, de loisirs... ne sont pas tant habités que pratiqués », cette conception étant la résultante « de la domination d’une vision fonctionnaliste de l’espace, chaque type d’espace étant caractérisé par une fonction principale, habiter, travailler, circuler, se récréer, commercer... » (Lévy, 2008, p. 99).

La notion d’« habiter » permet de dépasser cette conception fonctionnaliste de l’espace (habiter, circuler, se récréer, commercer…), pour alors constituer un véritable territoire de vie capable d’être investi physiquement et symboliquement par les individus. L’habiter renvoie en fait à la capacité d’un individu ou d’un groupe d’individus à s’approprier un lieu de travail, à se sentir à l’aise dans un espace

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public ou dans un transport en commun, à s’attacher aux différents lieux qu’il fréquente dans son quotidien... L’habiter implique une relation à l’espace ; « c’est entretenir des relations affectives fortes, fussent-elles invisibles ou muettes, à un lieu. » (Lévy, 2008, p. 11).

Michel Roux propose de considérer l’habitat comme référence à l’ensemble des espaces matériels et immatériels, faisant appel à une approche physique, à un rapport palpable au lieu, ainsi qu’à une approche imaginaire et symbolique, où se déroule notre vie d’habitant, d’usager, de citoyen. « Il suffit pour s’en convaincre, d’écouter ses proches évoquer leur bureau, leur grenier, leur jardin, leur ville, leurs randonnées, leurs voyages ou de les voir occuper leurs espaces familiers ou encore de s’abandonner à la contemplation d’une ligne d’horizon, pour voir sourdre une émotion, une intensité dont rien ne nous dit qu’elle ne constitue pas l’essentiel. » (Roux, 2002, pp. 48-49). Mais cette notion essentielle se doit d’être complétée par une approche intégrant la qualité de vie et les modes de vie associés. « On parle beaucoup de développement durable ; et très souvent on associe cette ambition à une multitude de mesures, de règles et de codes. Je ne prétends pas que ces dernières soient inutiles, mais il me semble que (l’) attachement à un territoire aimé est un moteur plus puissant pour nous conduire sur cette voie qu’une politique basée sur l’adoption de nouvelles normes » (Roux, 2002, p. 106).

Vivre ensemble, faire société, créer de la convivialité et des solidarités sont devenus des thèmes récurrents dans les discours sur la ville durable, et touchent particulièrement le domaine de l’habitat. Resituer l’habitat, dans ses rapports à l’habiter, comme lien, nouveau, entre l’individu et les collectifs, l’individu et l’espace, constitue alors un enjeu premier de la ville durable. Dans ce cadre, la participation des habitants, considérés comme acteurs et créateurs de leur cadre de vie, représente un sujet fort. L’habitat durable ne peut plus se cantonner à la construction bâtisseuse et aux techniques écologiques, au sens de maisons performantes énergétiquement ou économes. D’autres aspects doivent être pris en compte (engagement, modes de vie, attachement, identité…), pour ne pas réduire la durabilité à de seules considérations technico-normatives. Voici exposé ici une des conditions du changement auquel le développement durable doit, en théorie, conduire.

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Conclusion : Les écoquartiers, de l’accompagnement des usages à une projection collaborative autour des modes de vie

La démarche EcoQuartier a permis de rassembler les professionnels autour d’enjeux et d’initiatives communes pour des actions territoriales se voulant durables. Cependant aucun référentiel commun n’a su émerger des rencontres et échanges observés. Pour rappel, par référentiel, on entend un système de valeurs communes, explicitant les liens établis par chaque acteur entre sa vision du monde, ses activités et les modes de justification qui leurs sont liés (Müller, 2004, p. 373).

Les positions et discours entendus ont certes assez souvent appelé à la construction d’un socle commun de valeurs et principes, mais selon des justifications et modalités fort différentes. Et finalement, le référentiel formel EcoQuartier semble avoir endossé le rôle de cadre commun pour orienter l’action territoriale. Les grandes tendances le traversant renvoient à une tentative de rupture avec des modes de penser et d’agir antérieurs à travers l’orientation de l’action vers l’animation et la durabilité d’une vie de quartier. Et pour rappel, le changement s’incarne ici principalement dans la volonté de se réapproprier des politiques classiquement marquées de sectorisations fortes (politique de la ville, transport, mobilités, énergie). Il s’agit alors semble-t-il de reconquérir la ville à travers l’engagement institutionnel et politique dans l’accomplissement de pratiques responsables et participatives, corrigeant le développement historique des territoires.

En creux des réflexions menées autour des valeurs et principes au cours de la démarche EcoQuartier (ex : travail du groupe évaluation du club), figure en fait une culture du risque comme nouveau paradigme, qui actualise la tentation de la maîtrise et la nécessité d’une conception instrumentale et managériale de l’action. En outre, la démarche, dans sa globalité, a révélé un double positionnement oscillant entre une vision institutionnelle et historiquement technico-normative de l’action publique, d’une part, et une vision plus pragmatique et plus orientée vers la transformation des cadres axiologiques et instrumentaux de l’action territoriale d’autre part. La première position est ramenée à une conception descendante de l’action inscrite dans un cadre logico-formel alors que la seconde appelle une logique plus remontante ouverte à l’expérience locale et dans laquelle l’habiter et les habitants sont bien plus considérés comme ressorts directs du changement.

Sur cette base, donc après l’observation et l’analyse in vivo de la démarche EcoQuartier, le second temps méthodologique consistait à analyser les valeurs et principes défendus dans les 78 projets sélectionnés pour le palmarès 2011, enrichie de l’approfondissement d’un sous échantillon de 16 dossiers. Cette étape de l’analyse a effectivement fait apparaître la cohabitation asymétrique de régimes de l’action, registres de justification et répertoires d’intervention assez différents, faisant écho aux premiers constats tirés de l’observation de la démarche EcoQuartier. Ces régimes se déploient de manière très asymétrique dans les discours projectuels sur l’aménagement des éco-quartiers, tendus entre :

(A) d’un côté un régime descendant, très largement dominant, surtout marqué par un héritage de mythes fondateurs (développement, progrès technique, mobilité, mixité…), leurs codifications institutionnelles (plutôt inscrits dans le champ des grands projets urbains) et savoirs logico-formels (ex : AMO techniques) d’une construction urbaine encore à forte assise normative et réglementaire ;

régime néanmoins actualisé par le paradigme du risque, son référentiel (institutionnel) de l’adaptation, ses modalités instrumentales et injonctions comportementales ; dans ce cadre reproducteur, les allants de soi du principe de mixité pour exemple,

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perpétuent la centralité des valeurs de cohésion, mais sans plus d’interrogation sur les types de solidarité en jeu, sur le modèle de cohabitation visé, sur la cohérence démocratique recherchée, ou encore sur ce qui fait biens et surtout mondes communs, par l’entraide notamment.

(B) Et, de l’autre, un régime, expérimental et ascendant, de signal faible, aux marges voire extérieur aux projets officiels d’éco-quartiers, véhiculant d’autres imaginaires socio-environnementaux3 ; régime qui semble s’écarter des seules injonctions morales et des logiques de projet pour non pas conduire l’adaptation mais penser la transformation, composer le changement et ses mondes communs plus directement avec les habitants, donc par les sociétés locales, plutôt inscrites cette fois-ci dans le champ de l’habitat coopératif et écologique ;

avec ici, dans la trentaine de dossiers s’y ouvrant (mais le sens pragmatique donné et la concrétude des actes demeurent à étudier), sans conteste la sobriété dans les modes de vie comme valeur (déclarée) de refondation, la transition (et non plus l’accompagnement stratégique) comme mot d’ordre actuel, ou encore, un principe annoncé et partagé d’inclusion des savoirs habitant (dans la diversité de leurs compétences et de leurs sens ordinaires, cette ontologie de la vie quotidienne pour reprendre les termes Schutz, à la fois pratiques – trop fameux usages – mais aussi techniques, cognitives et politiques… Sintomer, 2008 ; Faburel, 2011).

Afin de mieux comprendre cette fracture asymétrique, deux illustrations sont proposées. Elles fonctionnent de façon complémentaire et forment une grammaire de valeurs et principes. Ces deux illustrations exposent les résultats des deux temps méthodologiques qui ont façonné ce rapport : lecture synoptique des 78 dossiers (calculs d’occurrence, associations terminologiques…) et lecture approfondie d’une quinzaine de dossiers également tirée du pré palmarès (à laquelle s’est ajoutée une 10aine d’autres retenus pour les expériences annoncées). Les signaux faibles relevés dans la lecture approfondie ont permis de pondérer l’analyse statistique d’origine. Ainsi, les valeurs et principes sont ici identifiés comme tels mais ne sont pas livrés sous forme de hiérarchie, car le but visé n’est plus de comprendre une quelconque domination, mais plutôt de livrer au lecteur le sens de ces référentiels par un système articulé de valeurs et des registres de principes.

Pour rappel, les valeurs sont associées à des objets de jugement. Ces jugements fonctionnent comme des idéaux collectifs (d’ordre moraux ou éthiques) qui déterminent les critères du désirable. Les valeurs sont ainsi proches de fins (liberté, solidarité, savoir, égalité, efficacité, accomplissement…) et forment une certaine vision du monde propre à une société donnée ou à une de ses composantes. Les principes agissent quant à eux comme les règles fondamentales de l’action ou de la pensée. Relatifs à la connaissance, ils fonctionnent comme des normes, alors que les valeurs, plus sensibles et subjectives, fonctionnement plus souplement comme des références morales et éthiques guidant l’action. Dès lors, les valeurs s’incarnent dans des principes.

Le premier tableau permet d’identifier l’ensemble des principes relevés au cours des lectures. Celui-ci recense les types d’interventions auxquels renvoient les principes, c’est à dire les façons dont les dossiers EcoQuartiers les ont mis en discours.

3 Cf. Autre recherche en cours (coord. Aménités), réunissant 4 universités françaises et 5 agences d’urbanisme, visant une Analyse critique des imaginaires environnementaux de la recherche sur la ville durable… et de leurs impensés socio-démocratiques. Vers une autre prospective pour les formations et métiers de l’urbain ?, dans le cadre du programme ADEME (2012-2013) « Observation de la recherche sur le développement durable de la ville : analyse critique et dynamique de l’offre et de la demande ».

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Le second schéma identifie des valeurs à partir du sens livré par les principes au sein du précédent tableau.

Afin de resituer ce système, rappelons que nous avions identifié par le premier temps méthodologique (Partie 3) des valeurs agissant comme principes instrumentaux d’action par la mixité, la responsabilité, et la cohésion. La sobriété avait été quant à elle d’abord identifiée comme principe instrumental lié à l’éco-responsabilisation. Le second temps méthodologique a permis de nuancer quelques acceptions (Partie 4). D’abord la sobriété a trouvé un autre rôle comme valeur transversale permettant la bascule entre les deux registres d’action identifiés, et l’émergence d’un nouveau répertoire d’action. Ensuite, la cohésion a pu être identifié comme principe de ce nouveau répertoire. D’un côté, elle s’inscrivait dans un registre instrumental

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comme principe visant la régulation des comportements (Partie 3), de l’autre elle fondait un nouveau répertoire, passant notamment par l’entraide et la convivialité comme vecteurs premiers de son accomplissement (Partie 4).

En fait, l’asymétrie presque caricaturale (faisant prédominer le premier modèle sur le second) montre que le changement prôné en arrière plan de la grille EcoQuartier trouve sa limite dans la difficulté à se réapproprier des politiques classiquement marquées de sectorisations fortes, et dans une vision de l’habitant acteur par ses seuls usages. Il est alors beaucoup relégué à son rôle de consommateur d’espace, de formes et d’esthétiques. C’est en fait cette conception sectorielle de l’aménagement et passive de l’habitant que l’on retrouve en arrière-plan des deux opérateurs, procédural et substantif, que nous avons identifiés (cf. Partie 3). Ces deux opérateurs orientent les nouvelles pratiques de l’aménagement vers l’organisation sociale, la régulation des comportements et l’encadrement des pratiques, laissant une place plus restreinte à la libre appropriation/mobilisation des habitants.

L’opérateur substantif correspond aux enjeux liés à l’espace public. Ils sont omniprésents dans les propos liant valeurs et principes et on les retrouve dans toutes les entrées de la liste hiérarchisée établie. Nul doute également ici que l’ambition principale défendue par la grille d’évaluation EcoQuartier (animer une vie de quartier par une diversité de services, de population et d’accessibilité) joue un rôle de premier plan. C’est une nouvelle vision de l’espace public fédérateur qui se noue, comme nous l’avons vu, autour de deux termes plus ou moins accolés, livrant le sens de cette association : les usages de la proximité.

Rappelons que dans les dossiers, l’espace public était utilisé en référence à :

la qualité d’usage et la convivialité par des aménagements sécurisés, un partage lisible et hiérarchisé de l’espace pour une coexistence pacifiée des usages, l’accessibilité et la priorité donnée aux modes de déplacements doux, mais encore par l’adaptabilité qui

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permet de faire évoluer l’espace en fonction des usages, ou la place donnée à l’animation de la vie de quartier par l’organisation prévue d’évènements festifs, pédagogiques, participatifs…

la possibilité de constituer un support à une gestion écologique du quartier par l’imperméabilité des sols, le traitement différencié, les trames vertes… et ce faisant la nature et le paysage par leur mise en valeur, à la fois par l’ouverture de perspectives visuelles et le traitement esthétique de la nature (voulue « sauvage » et « naturelle »), mais aussi l’aménagement et la mise à disposition d’espaces naturels partagés, collectifs, pédagogiques qui sensibilisent à l’écologie et la biodiversité pour inciter à de nouvelles pratiques.

Et ici, les termes d’usages et pratiques renvoient principalement à l’incitation au changement des comportements quotidiens, avec dans son sillage quelques énoncés sur de nouvelles valeurs de sobriété, responsabilité, solidarité, de cohésion et de vivre ensemble Le thème de l’espace public oriente ainsi les propos vers la responsabilité (des usages) et dès lors colore d’une certaine manière la culture instrumentale : il offre des moyens (organisateur des usages) pour une incitation forte au changement de certaines pratiques locales (dès lors aussi parfois qualifiées de solidaires et conviviales). D’où le poids supérieur revêtu par les principes en comparaison aux valeurs, et le rôle assigné aux outils offerts par les politiques historiquement sectorielles.

Puis, deuxième opérateur de cette inclinaison instrumentale et principielle encore largement descendante, l’accompagnement s’affirme comme la principale justification, hissée au rang de mot d’ordre, de la cohérence dessinée par un principe (la responsabilité – ou plutôt responsabilisation) et son thème de prédilection (les usages de l’espace public). D’abord inclus dans le registre de la sensibilisation / pédagogie, voire de l’apprentissage de bonnes attitudes et de bons comportements, l’accompagnement souhaite lui-même accompagner l’organisation des conduites sociales, usant alors pour son opérationnalisation des termes d’appropriation et d’identité pour relayer certainement le nouveau dessein axiologique de nombre des dossiers déposés : l’(éco)responsabilité.

Or, cette cohérence axiologique d’ensemble (que l’on pourrait simplifier à l’extrême en : quête de responsabilité/sation dans et par l’accompagnement de – nouveaux – usages), se fait également en opérant quelques tris et délaissements.

L’innovation pour ne pas dire l’expérimentation, toutes deux largement affichées dans la plupart des dossiers, perpétuent en fait un certain conformisme, constat qui a été par exemple effectué par A. Maugard, invité à donner son avis sur les propositions de scenarios pour le label lors du séminaire de clôture du Comité de préfiguration du label EcoQuartier (15 novembre 2011). Il y avait exprimé l’importance d’ouvrir le label aux innovations sociétales (ou « projets qui décoiffent »). Il posait le contexte actuel comme moment de changement de civilisation urbaine. Et à ce titre surtout, l’innovation et l’ouverture à de nouveaux modes de faire apparaissaient, selon lui, nécessaires. Ce faisant, il proposait de créer un « Palmarès qui ose manifester un lieu innovant porté par les habitants ». Car, si la transformation vers la ville durable peine à se déprendre d’une logique encore dominante d’instrumentation, ces tris et délaissements livrent, par effet miroir, non pas une autre cohérence, tout du moins des signaux bien plus faibles d’une articulation émergente (en réaction ?).

Ces signaux faibles ont fait l’objet de la dernière partie de ce rapport. Celle-ci a permis de montrer qu’un tiers des 78 dossiers pré-sélectionnés s’ouvraient à une conception plus nuancée de l’habitant, de l’accompagnement et de la régulation des pratiques. Cette inclinaison passait par des dispositifs inclusifs divers, et s’insérait dans une diversité de

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projets, allant des grands projets de renouvellement urbain aux petits projets situés dans l’espace rural. Fait remarqué cependant, la collaboration, co-construction du projet (intégral) ne s’est retrouvée qu’au sein de projets effectivement petits en taille et situés dans l’espace rural. Des exemples étrangers peuvent néanmoins mettre en perspective cette situation collaborative au sein d’espaces plus urbanisés et donner à voir un autre type d’innovation, plus sociale, socio-écologique portée par des valeurs et principes de vie (et non plus d’action, d’aménagement, d’organisation de l’espace) autour de la convivialité, la solidarité, la sobriété, l’entraide, ou encore le partage (Faburel et Roché, 2012a).

Ce qui semble en fait ici être fondamentalement en question par les régimes, registres et répertoires relayés, c’est le passage maintes fois annoncé ces 30 dernières années dans le monde occidental d’un paradigme de la gouvernementalité à un paradigme de l’habiter. Le « modèle » éco-quartier accompagnerait-il un tournant urbanistique, y compris dans les modèles axiologiques ? Il est vrai que, concernant l’habiter, l’un des faits marquants de ce qui est proposé par la littérature scientifique est une lente mais tendancielle évolution des consciences des populations urbaines, livrant par l’environnement d’autres rapports aux territoires : une réflexivité nouvelle des groupes situés, instituant par l'action un mode de relation particulier avec un espace (Melé, 2007).

La pertinence et la capacité heuristique d’un recours à l’habiter dans le champ actuel de l’action urbaine et territoriale trouveraient cependant leur limite première dans le modèle dominant ici identifié (instrumental), au point que, dans sa portée interrogative, pour ne pas dire résistante aux modèles de l’aménagement et de leurs visées gestionnaires, cet habiter demeurerait encore largement angle mort de la transformation affichée par nombre de projets.

Plus précisément, si force est d’admettre que plusieurs des questions orphelines de la durabilité institutionnelle (et notamment les nouveaux registres de l’inclusion sociale, la légitimation des savoirs dits « profanes », « locaux », « pratiques », « amateurs »…) sont le produit du maintien vif de valeurs et principes cardinaux du pacte républicain. Et si, non moins important, malgré une terminologie officielle foisonnante en liens directs à l’habiter tel que déployé dans le monde de l’architecture (« habitant », « appropriation », « vie de quartier », « usages », « modes de vie »…), ces valeurs et principes perpétuent quelques mythes historiques de la vision encore irénique et de sa logique prométhéenne (Flahaut, 2008)4 - en actualisant toutefois le paradigme de la gouvernementalité par une culture du risque et par une révision des modalités instrumentales de la régulation managériale : le mot d’ordre de l’adaptation aux défis socio-écologiques. Alors, en fait, deux grands impensés persistent selon nous dans les sphères décisionnelles des différentes échelles territoriales, véhiculant encore largement le « mythe du citoyen passif » (Rosanvallon, 2008) :

des valeurs collectives en devenir écologique, donc un habiter en mouvement, développant autrement l’engagement dans un régime du proche (la proximité socio-spatiale) ;

et une pluralisation (encore largement indéterminée) d’expérimentations socio-démocratiques, locales et singulières (cf. habitat écologique), et donc des modes de vie.

Si un tour des initiatives européennes en termes d’habitat écologique, de quartiers durables, d’engagements communautaires… renseignent d’ores et déjà l’ouverture du champ des possibles et propose parfois une meilleure appréhension de ce type de modes de vie, des méthodes et des dispositifs collaboratifs devraient selon nous être expérimentés comme 4 « L’erreur fondamentale du prométhéisme qui consiste à se représenter l’être humain comme ne faisant pas partie de la nature » (Flahault, 2008, p. 240).

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approfondissement de cette recherche exploratoire sur les principes et les valeurs de l’action territoriale.

Plus précisément, il nous semble essentiel d’adosser la figure habitante à la démarche EcoQuartier, par exemple par l’organisation de groupes de discussions avec des habitants de quelques projets jugés innovants sur les modes de vie, avec pour thème d’échanges les visions et imaginaires de la ville idéale (trajectoires d’évolution, nouveaux besoins, formes de l’implication…). Ceci pourrait s’inscrire dans un dispositif plus ample, d’organisation de séminaires d’échanges entre acteurs, chercheurs et société civile sur les thèmes de la co-construction, de la prise d’autonomie, de la reconnaissance des savoirs profanes et leur inclusion dans les projets... à la suite de quelques thèmes déjà abordés par le Club EcoQuartier.

De même, compte tenu du poids des savoirs et savoir-faire techniques dans l’asymétrie des « modèles » axiologiques, donc l’habitude des pratiques professionnelles, il conviendrait selon nous d’interroger les formations en urbanisme et aménagement (ainsi qu’en environnement). Il s’agirait de mobiliser des promotions d’étudiants pour proposer des idées, dispositifs et outils visant à nourrir les thèmes d’échanges proposés, que ce soit sous l’angle de la démocratisation des processus, de la prise en compte d’autres formes de savoir, mais aussi pour appareiller la réflexion sur les visions et imaginaires de la ville, peut-être sous la forme de ce que la Région Ile-de-France mène depuis 5 ans avec plusieurs formations de spécialisation en urbanisme, aménagement et/ou environnement (Ateliers de création urbaine).

Dans le deux cas, il s’agirait alors de mener ce type d’approfondissement sur 5 à 7 projets en cours de réalisation ou cas achevés, jugés remarquables et identifiés dans le cadre de cette recherche exploratoire. Il conviendrait alors également d’y réaliser des visites de terrain, des entretiens avec les acteurs, en vue de calibrer les groupes de discussions, d’y préparer les séminaires qui y seraient accueillis, tout ceci dans le cadre de l’élaboration des chartes de suivi de la Démarche EcoQuartier. Ici, les promotions d’étudiants pourraient être investis de certaines de ces tâches et temps méthodologiques (diagnostics, entretiens, organisation des échanges, analyse des contenus…).

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Colloques

Les quartiers durables en Méditerranée : pourquoi et comment faire ?, Colloque international – 8 et 9 décembre 2011, Aix en Provence, Maison Méditerranéenne des Sciences de l’Homme, Emmanuelle Moustier, Eliane Coppola

Les jeudis du génie urbain, « Eco-quartier : un territoire et une démarche pour concrétiser la ville durable ? », 24 novembre 2011, Université Paris-Est Marne-la-Vallée, animé par Philippe Cers, Bruno Tondon, Gilles Hubert, Joël IDT et Yuna Conan

3è Rencontres parlementaires sur l’Urbanisme durable, « Ville durable : réalité ou idéal ? », 10 janvier 2012, Maison de la Chimie, organisée par Bertrand Pancher et Philppe Tourtelier, sous le haut patronage de Nathalie Kosciusko-Morizet et Thierry Mariani

Séminaires au MEDDTL

Réunions du Comité de Préfiguration du Label Ecoquartier

Réunions du Comité inter-experts

Réunions du Comité Scientifique

Conférence « Co-construire la ville aujourd’hui », 19 mai 2011, Strasbourg