12
BOIS ET FORÊTS DES TROPIQUES, 2008, N° 298 (4) 77 VÉGÉTAUX DU QUOTIDIEN / LE POINT SUR… Elisabeth Leciak 1 Oumar Bah 2 1 Umr Ades/Cnrs, Maison des Suds 12, esplanade des Antilles 33607 Pessac France 2 Lycée Ibrahima Bah Direction préfectorale de l’éducation de Kissidougou Inspection régionale de l’éducation de Faranah Kissidougou République de Guinée Les végétaux du quotidien : usages des ligneux dans les terroirs de Guinée maritime En Guinée maritime, le bois de service nécessaire aux populations n’est pas uniquement prélevé dans la mangrove mais également dans les jachères ou sur les nombreuses espèces plantées aux alentours des villages. Ce jeu sur les espèces et les espaces montre une adaptation au système économique local. En réduisant les pressions sur des espèces cibles, il se présente comme un atout de la durabilité. Photo 1. Construction d’une cuisine. Photo E. Leciak.

Les végétaux du quotidien : usages des ligneux dans les ...bft.cirad.fr/cd/BFT_298_77-88.pdf · un transfert entre activités qui opti-mise la charge de travail. Par ailleurs, de

  • Upload
    others

  • View
    3

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Les végétaux du quotidien : usages des ligneux dans les ...bft.cirad.fr/cd/BFT_298_77-88.pdf · un transfert entre activités qui opti-mise la charge de travail. Par ailleurs, de

B O I S E T F O R Ê T S D E S T R O P I Q U E S , 2 0 0 8 , N ° 2 9 8 ( 4 ) 77VÉGÉTAUX DU QUOTIDIEN / LE POINT SUR…

Elisabeth Leciak1

Oumar Bah2

1 Umr Ades/Cnrs, Maison des Suds12, esplanade des Antilles33607 PessacFrance

2 Lycée Ibrahima BahDirection préfectorale de l’éducation de KissidougouInspection régionale de l’éducation de FaranahKissidougouRépublique de Guinée

Les végétaux du quotidien :usages des ligneux dans

les terroirs de Guinée maritime

En Guinée maritime, lebois de service nécessaire auxpopulations n’est pas uniquementprélevé dans la mangrove maiségalement dans les jachères ousur les nombreuses espècesplantées aux alentours desvillages. Ce jeu sur les espèces etles espaces montre uneadaptation au systèmeéconomique local. En réduisantles pressions sur des espècescibles, il se présente comme unatout de la durabilité.

Photo 1. Construction d’une cuisine. Photo E. Leciak.

Page 2: Les végétaux du quotidien : usages des ligneux dans les ...bft.cirad.fr/cd/BFT_298_77-88.pdf · un transfert entre activités qui opti-mise la charge de travail. Par ailleurs, de

RÉSUMÉ

LES VÉGÉTAUX DU QUOTIDIEN :USAGES DES LIGNEUX DANS LESTERROIRS DE GUINÉE MARITIME

De la région de la Guinée maritime sedégage souvent l’image d’une vasteétendue de mangrove, milieu fragileet menacé de surexploitation. Or,dans les villages de cette zone litto-rale, où plus de 143 espèces végé-tales sont utilisées dans la vie quoti-dienne, la mangrove est certes d’unetrès grande importance pour la four-niture en bois de service mais ellen’est pas l’unique milieu pourvoyeurde matériaux. Les jachères sont éga-lement utilisées, via un transfertentre activités qui optimise la chargede travail, et de nombreuses espècessont plantées aux alentours des vil-lages. Ce jeu sur les espèces et lesespaces montre une adaptation ausystème économique local ; en rédui-sant les pressions sur des espècescibles, il se présente comme un atoutde la durabilité. Cette prise encompte de la diversité par les popula-tions locales fournit des élémentsmajeurs pour une réflexion appliquéeau développement.

Mots-clés : usage de végétal, habitatd’espèce utile, développementdurable, Guinée, Afrique de l’Ouest.

ABSTRACT

EVERYDAY TREE USESIN COASTAL GUINEA

At first sight, Guinea’s coastal land-scape appears to be a vast tract ofmangroves, a habitat which is seen asfragile and in need of protection fromover-exploitation. But villagers in thearea use over 143 botanical specieson a daily basis, and although theyrely heavily on mangroves for fuelwood and construction timbers, theyalso use other sources of materials.Many tree species are planted aroundthe villages, and fallow lands are alsoput to use, through a system of activ-ity transfers that optimises people’sworkloads as well as their use of theland and its resources. Overall, thesystem is well-suited to the localeconomy, and by reducing pressureson the local environment, it is a poten-tial asset for sustainability. The popu-lation’s awareness of the diversity ofavailable resources is an importantaspect that needs to be taken intoaccount in thinking on development.

Keywords: plant uses, useful specieshabitat, sustainable development,Guinea, West Africa.

RESUMEN

LOS VEGETALES COTIDIANOS: USOSDE ESPECIES LEÑOSAS EN TIERRASCOSTERAS DE GUINEA

La región de Guinea Marítima sueleasociarse a una vasta extensión demanglares: un medio frágil y amena-zado por la sobreexplotación. Sinembargo, en los pueblos de estazona litoral, donde hay más de 143especies vegetales utilizadas en lavida diaria, el manglar sin duda tieneuna gran importancia para el sumi-nistro de madera de construcción,pero no es el único medio naturalque proporciona materiales. Los bar-bechos también se utilizan, medianteuna transferencia entre actividadesque optimiza la carga de trabajo, yademás se plantan numerosas espe-cies en las cercanías de los pueblos.Esta dinámica articulatoria entreespecies y espacios evidencia unaadaptación al sistema económicolocal y, al reducir las presiones sobrelas especies-meta, constituye un fac-tor de sostenibilidad. Esta integra-ción de la diversidad por parte de laspoblaciones locales proporcionaimportantes elementos para unareflexión aplicada al desarrollo.

Palabras clave: usos de vegetales,hábitat de especie útil, desarrollosostenible, Guinea, África Occidental

78 B O I S E T F O R Ê T S D E S T R O P I Q U E S , 2 0 0 8 , N ° 2 9 8 ( 4 )

FOCUS / EVERYDAY TREE USES

E. Leciak, O. Bah

Page 3: Les végétaux du quotidien : usages des ligneux dans les ...bft.cirad.fr/cd/BFT_298_77-88.pdf · un transfert entre activités qui opti-mise la charge de travail. Par ailleurs, de

Introduction

Au nord-ouest de la Républiquede Guinée, la Guinée maritimes’étend sur la zone littorale du paysjusqu’à la frontière avec la Guinée-Bissau. Dans la bande d’environ150 km de largeur moyenne qu’oc-cupe cette région, un réseau dense etsinueux de chenaux pénètre dans lesterres, se raccorde aux drains del’amont, découpant une côte à riascouverte de forêts de palétuviers.Avec une superficie virtuelle avoisi-nant les 2 900 km2 (Bertrand, 1991),les mangroves guinéennes comptentparmi les plus étendues du continentafricain et sont au cœur des préoccu-pations du gouvernement guinéen etl’objet de nombreux projets de déve-loppement (Rue, 1998 ; Geslin,2002). Ressource planétaire, la man-grove est un enjeu majeur de la pré-servation de la biodiversité, et, ainsi,relayant la posture internationale,dans les cercles institutionnels natio-naux et les documents de projet,cette formation forestière fait l’objetde nombreuses inquiétudes. Parmiles menaces citées, les prélèvementsvillageois sont très souvent dénoncéscomme des risques importants(République de Guinée, 1990).Néanmoins, si la mangrove couvred’importantes surfaces, le paysagelocal est constitué d’une mosaïque dedifférents milieux ; il forme l’unionentre le domaine atlantique et ledomaine continental et offre une jux-taposition de palmeraies à Elaeis gui-neensis, de savanes arborées sou-dano-guinéennes et de formationsarbustives du domaine guinéen.Ainsi, si depuis Conakry, la capitale,ou depuis l’étranger, l’image de laGuinée maritime est celle d’une vastemangrove, pour les habitants, le terri-toire local offre, au contraire, de nom-breux espaces-ressources.

Dans le cadre du programme« Observatoire de Guinée maritime »,les modes locaux de gestion de la bio-diversité ont été analysés dans troissous-préfectures de Guinée maritime(Observatoire de Guinée maritime,

2006). Lors de ce travail, une atten-tion particulière portée à l’usage desvégétaux ligneux a permis de mettreen évidence les principales espècesutilisées ainsi que leur provenance.

Les rapports avec les plantes sedéploient dans le quotidien commeautant de rapports matériels quis’inscrivent dans les pratiques d’utili-sation de l’espace local (Leciak et al.,2006). Pour les usages courants, lechoix des végétaux est étroitementlié à la fréquentation des espaces,dessinant un principe de complé-mentarité où les activités paysannesqui se déroulent dans plusieursfacettes du terroir se conjuguent pourune utilisation rationnelle des res-sources. Dans cette région littorale,la mangrove est certes d’une trèsgrande importance pour la fournitureen bois de service mais elle ne consti-tue pas l’unique milieu pourvoyeurde matériaux. Les jachères, forma-tions arbustives secondaires exploi-tées pour l’agriculture sur défriche-

brûlis et laissées en repos de 5 à10 ans, sont également utilisées, viaun transfert entre activités qui opti-mise la charge de travail. Par ailleurs,de nombreuses espèces sont plan-tées aux alentours des villages. Cejeu sur les espèces et les espacesmontre son adaptation au systèmeéconomique local ; il se présentecomme un atout de la durabilité, ins-crit dans les dynamiques contempo-raines. L’objectif de l’étude, ici pré-sentée, est de montrer ladiversification développée locale-ment par les villageois dans leursstratégies d’utilisation des res-sources naturelles, une diversifica-tion souvent négligée par desapproches globales et que des pro-jets de développement durable,orientés désormais vers la participa-tion des communautés, gagneraientbeaucoup à prendre en compte.

B O I S E T F O R Ê T S D E S T R O P I Q U E S , 2 0 0 8 , N ° 2 9 8 ( 4 ) 79VÉGÉTAUX DU QUOTIDIEN / LE POINT SUR…

Figure 1. Localisation des sites d’enquête (*) et principales villes de la Guinée maritime.

Page 4: Les végétaux du quotidien : usages des ligneux dans les ...bft.cirad.fr/cd/BFT_298_77-88.pdf · un transfert entre activités qui opti-mise la charge de travail. Par ailleurs, de

Méthodologie

L’ensemble de l’étude a étémené, entre 2003 et 2005, dans troissous-préfectures de Guinée mari-time : Kanfarandé, Mankountan etBoffa. Parmi les sites pilotes du pro-gramme de l’Observatoire de Guinéemaritime, cinq villages de la sous-pré-fecture de Boffa ont été choisis pourl’enquête sur les usages : Madya enzone continentale, Dominya, Tukéréet Thya sur le littoral et Marara enzone insulaire (figure 1). Pour tousces villages, la densité rurale est infé-rieure à trente habitants par kilomètrecarré (Rossi, 2001).

En parallèle aux informationsissues des enquêtes, l’ensemble desdonnées présentées est issu d’unelongue étude de terrain durantlaquelle plusieurs méthodologies ontété utilisées.

Une étude floristique, qui per-mit l’identification et la réalisationd’un herbier de plus de 680 espècesvégétales (Hutchinson, Dalziel,1954-1972), a constitué la phasepréliminaire. Suite à cette prospec-tion, des relevés de végétation ontété menés dans des stations dont lenombre et la localisation ont étéchoisis en fonction de l’hétérogé-néité des sites. Pour les formationsligneuses arbustives, basses, à fortrecouvrement, la taille des relevésétait de 100 m2. Pour les formationsboisées, les savanes ou les forêts, etles formations plus hétérogènes,cette surface a été augmentée, soiten comptabilisant l’ensemble desindividus sur un relevé de 180 m2,soit en réalisant un second relevéemboîté de 1 000 m2 pour les ligneuxde plus de 2 m de hauteur. Lors desrelevés, chaque individu a été identi-fié à l’espèce. La hauteur et la circon-férence des ligneux (à 1,30 m du sol)furent également mesurées. Sur l’en-semble de la zone d’étude, 87 rele-vés de végétation ont contribué à ladéfinition d’une typologie des princi-pales formations végétales et à l’ana-lyse de leur dynamique (Leciak,2006) : savanes arborées, galeriesforestières, îlots boisés et, dans l’es-

pace agricole, la zone arbustive desjachères « actives » qui rend comptede la reconstitution de la végétationaprès le brûlis. Les principales forma-tions végétales identifiées ont étéensuite cartographiées après classifi-cation sur images Landsat (en colla-boration avec Didier Bazzo, Ogm,2005). À partir de cette carte, les sur-faces respectivement couvertes parchaque type de formation végétalesont déterminées.

L’étude de végétation a été cou-plée avec des entretiens en « parcoursde brousse » et au village. Ce travail sys-tématiquement mené avec l’appui deséchantillons ou en situation a permis dedresser une liste des terminologieslocales et de les mettre en correspon-dance avec les identifications bota-niques (220 noms soussou recueillis),puis de mettre à jour les connaissancesvernaculaires et l’usage des plantes.Ainsi, complémentaires des discussionset du temps passé à partager le quoti-dien des villageois, les données ethno-botaniques recueillies ont fourni lesbases pour la structuration de l’enquêtesemi-dirigée qui a été guidée par unquestionnaire articulé autour de quinzecatégories d’usages des végétauxregroupées suivant cinq thèmes(tableau I), à l’exception du groupe desplantes médicinales (qui concerne aubas mot plus d’une centaine d’espèceset fut étudié séparément).

L’enquête a été menée auprèsde 64 ménages dans les cinq villagesde Boffa cités précédemment, sitesqui présentent des caractéristiquesgéographiques différentes. Les entre-tiens avec questionnaires se sontdéroulés à l’intérieur des conces-sions, chaque plante désignée pourun usage particulier pouvant ainsiêtre montrée (donc son identificationvérifiée) et commentée par les enquê-tés. Selon la méthode du consensusdes informateurs (Martin, 1995 ;Alexiades, 1996), l’importance dechaque espèce est calculée directe-ment d’après le nombre de personnesqui la mentionnent.

Résultats

Manipuler la diversité est un acte quotidien

En participant aux actes de lavie quotidienne, dans la satisfactionde besoins matériels de base, lesespèces végétales sont omnipré-sentes. Lors de l’enquête, qui n’in-cluait pas les plantes médicinales,143 espèces, sauvages ou cultivées,furent citées comme faisant l’objetd’un usage courant. Chaque villa-geois, lors de ses actes journaliers,lors d’usages domestiques parfoisd’une grande banalité, vit au contactdirect de plus d’une cinquantained’espèces végétales différentes.

La catégorie d’usages permetune première organisation d’après lesqualités du matériel requis. Suivantl’usage, certaines parties de végétalsont utilisées, des tailles, des formesou des aptitudes particulières sontnécessaires, l’impact sur les peuple-ments végétaux est en conséquencetrès variable. Ainsi, certains usagesnécessitent la coupe d’un arbreentier ; d’autres usages, à l’inverse,sont satisfaits par des perches plusfines, éléments de rejets de souche, etne mettent pas en péril la survie duvégétal (tableau I). Seules la construc-tion des charpentes, la fabrication desmortiers et du gros mobilier nécessi-tent l’abattage des arbres. Néanmoins,ces différents éléments de l’habitat vil-lageois sont renouvelés avec unefaible fréquence pour chacun desménages (tous les 5 à 10 ans).

Pour la plupart des utilisations,de 10 à 40 espèces différentes sontcitées et seules quelques catégoriesnécessitent des matériaux particuliers(la vannerie, la couverture des toits oula fabrication d’huile alimentaire).Cette absence d’espèce cible et l’utili-sation d’une grande diversité de taxonspermettent la répartition des pres-sions, réduisant ainsi considérable-ment les risques de surexploitation.

80 B O I S E T F O R Ê T S D E S T R O P I Q U E S , 2 0 0 8 , N ° 2 9 8 ( 4 )

FOCUS / EVERYDAY TREE USES

Page 5: Les végétaux du quotidien : usages des ligneux dans les ...bft.cirad.fr/cd/BFT_298_77-88.pdf · un transfert entre activités qui opti-mise la charge de travail. Par ailleurs, de

B O I S E T F O R Ê T S D E S T R O P I Q U E S , 2 0 0 8 , N ° 2 9 8 ( 4 ) 81VÉGÉTAUX DU QUOTIDIEN / LE POINT SUR…

Alimentation

Habitat

Annexesde l’habitat

Outillageset ustensiles

Énergie

Aliments crus

Fabrication des huilesalimentairesPréparation des sauces

Charpente

Gros mobilier (porte,lit, armoire…)

Piliers des cuisines

Charpente des cuisines

Toiture des cuisines

Greniers et poulaillers

Clôtures et haies vives

Pilons

Mortiers

Ustensiles de cuisine et outilsVannerie et confectionde nattes

Principauxcombustibles

Cueillette de feuilles et fruits

Cueillette de fruits

Cueillette de feuilles et de fruits

Arbres de plus de 8 m de hautet de diamètre supérieur à 30 cmArbres de plus de 8 m de hautet de diamètre supérieur à 30 cm

Rejet de souche de diamètre moyen (à partir de 8 cm)Rejet de souche de diamètre moyen (à partir de 8 cm)Cueillette des feuillesChaume de graminéesRejet de souche de diamètre moyen (à partir de 8 cm)Rejet de souche de faible diamètre(inférieur à 8 cm)Rejet de souche de diamètre moyen (à partir de 8 cm)Rejet de souche de faible diamètre(inférieur à 8 cm)

Rejet de souche de diamètre moyen (à partir de 8 cm)Arbres de plus de 8 m de haut et dediamètre supérieur à 30 cmRejet de souche de faible diamètre(inférieur à 8 cm)Rejet de souche de faible diamètre(inférieur à 8 cm)Cueillette des feuilles sans abattage de l’arbre

Bois mortRejet de souche de diamètre moyen (à partir de 8 cm)Rejet de souche de faible diamètre(inférieur à 8 cm)

Régénération,dissémination, plantationPas d’abattage de l’arbre

Pas d’abattage de l’arbre

Abattage de fût entier

Abattage de fût entier

Régénération par rejet

Régénération par rejet

Pas d’abattage de l’arbre

Régénération par rejet

Régénération par rejet

Régénération par rejet

Abattage de fût entier

Régénération par rejet

Régénération par rejet

Régénération par rejet

42 (31)

4 (2)

17 (7)

26 (2)

21 (6)

28 (0)

24 (1)

10 (1)

38 (2)

40 (3)

14 (3)

17 (3)

39 (5)

6 (1)

31 (4)

Tableau I. Catégories d’usages des végétaux et nombre d’espèces utilisées.

Partie du végétal utilisée Reproductibilité Nombre d’espècesde la ressource ligneuse utilisées (dont

nombre d’espècescultivées)

Page 6: Les végétaux du quotidien : usages des ligneux dans les ...bft.cirad.fr/cd/BFT_298_77-88.pdf · un transfert entre activités qui opti-mise la charge de travail. Par ailleurs, de

Les matér iaux l igneuxutil isés dans la

construction

L’habitat familial est générale-ment constitué d’un ensembledomestique composé d’une habita-tion principale et d’unités annexes.Pour les cuisines, des rondins debois disposés verticalement, de1,2 m de haut environ, régulière-ment espacés, forment les piliers quisoutiendront la charpente circulairecouverte de chaume de graminées(Rottboellia cochinchinensis ouImperata cylindrica, par exemple) oude feuilles de palmier (Elaeis gui-neensis, Borassus aethiopum ouCocos nucifera) (photo 1). Presquetous les matériaux utilisés dans laconstruction sont issus de prélève-ments directs dans le milieu par lesusagers eux-mêmes. Seules les char-pentes des maisons requièrent desqualités de bois particulières et desligneux entiers sont utilisés.Souvent, ne disposant pas eux-

mêmes de lourds outils pour lacoupe (tronçonneuses, par exem-ple), les villageois achètent les che-vrons principaux auprès de menui-siers professionnels (il en est demême pour les meubles).

Pour l’ensemble des sites,Anisophyllea laurina, Rhizophoramangle, R. harrisonii et Parinariexcelsa sont les espèces les plus uti-lisées pour les charpentes (photo 2).Prosopis africana, Lophira lanceo-lata, Anisophyllea laurina et Ptero-carpus erinaceus sont choisis commebois de soutien (tableau II). Pour cesusages, les espèces répondent auxqualités exigées : la solidité, la résis-tance aux termites et aux insectesforeurs, l’imputrescibilité, et un mini-mum de 10 cm de diamètre de tronc,pour des longueurs de fûts droitsallant de 2 à 6 m.

Les exigences techniques desmatériaux seraient, d’après la listed’espèces utilisées, remplies par aumoins 28 espèces différentes.Chaque personne utilise en moyenne

5,2 espèces pour ses constructions(écart-type = 2,6), avec un maximumde 13,1 espèces. Pour la construc-tion des charpentes de l’habitat, 18espèces sont citées et, à titre de com-paraison, une enquête ethnobota-nique de même type, menée auSénégal dans une région de savanedu delta du Saloum, revèle une listede 10 espèces (Lykke, 2000).

La provenance des espèces uti les

Les espèces se développent,pour la majorité d’entre elles, dansune formation végétale préférentielle,où elles se trouvent être exclusive-ment rencontrées, systématiquementrencontrées, et/ou rencontrées enabondance. Dans le traitement del’enquête, en remplaçant l’espècecitée par son milieu préférentiel, il estpossible d’évaluer l’importance dechaque formation végétale dans l’ap-provisionnement en espèces utiles àpartir des fréquences de citations.

82 B O I S E T F O R Ê T S D E S T R O P I Q U E S , 2 0 0 8 , N ° 2 9 8 ( 4 )

FOCUS / EVERYDAY TREE USES

Tableau II. Principales espèces utilisées pour la construction.

Charpente de l’habitation Charpente des cuisines Piliers des cuisines

Anisophyllea laurina (40) Anisophyllea laurina (40) Prosopis africana (27)

Rhizophora mangle, R. harrisonii (33) Rhizophora mangle, R. harrisonii (27) Lophira lanceolata (26)

Parinari excelsa (26) Parinari excelsa (19) Anisophyllea laurina (23)

Avicennia germinans (11) Diospyros heudelotii (17) Pterocarpus erinaceus (20)

Anacardium occidentale (6) Anthonotha macrophylla (13) Avicennia germinans (17)

Anthonotha macrophylla (6) Avicennia germinans (7) Rhizophora spp. (14)

Gmelina arborea (6) Dialium guineense (4) Dialium guineense (13)

Dialium guineense (5) Raphia hookeri (3) Parinari excelsa (10)

Diospyros heudelotii (5) Smeathmannia pubescens (2) Anthonotha macrophylla (5)

Garcinia polyantha (4) Uvaria chamae (2) Indéterminée « konkolonyi » (4)

Harungana madagascariensis (4) Lophira lanceolata (2) Diospyros heudelotii (3)

Afzelia africana (4) Holarrhena floribunda (2) Phoenix reclinata (3)

Elaeis guineensis (2) Allophylus africanus (2) Albizia zygia (2)

Detarium senegalense (2) Pterocarpus erinaceus (2) Sterculia tragacantha (2)

Indéterminée « dondoli » (2) Anacardium occidentale (2) Dichrostachys glomerata (2)

Pterocarpus erinaceus (2) Ochthocosmus africanus (2)

Indéterminée « kalambé » (2)

Holarrhena floribunda (2)

Chiffres entre parenthèses : nombre de citations.

Page 7: Les végétaux du quotidien : usages des ligneux dans les ...bft.cirad.fr/cd/BFT_298_77-88.pdf · un transfert entre activités qui opti-mise la charge de travail. Par ailleurs, de

Dans la figure 2, sont considé-rées les espèces utilisées pour lapetite construction et celles utiliséescomme combustible domestique, end’autres termes les espèces préle-vées par les villageois pour un usagecourant. Les prélèvements se réali-sent dans les differents milieux de lazone et se répartissent assez équita-blement entre les jachères, lessavanes et les mangroves. Il estremarquable, d’autre part, que de 10à 25 % des espèces utilisées sontdes espèces « domestiques », plan-tées dans le village et aux alentours.

Si la mangrove représente unespace fournisseur, surtout pour le vil-lage insulaire de Marara, la proportiond’espèces de jachère dans les cita-tions pour les cinq sites mérite d’êtresoulignée. Pour les constructions àfaibles exigences techniques (les clô-tures, les poulaillers, les greniers), laliste des taxons utilisés (plus de 40espèces) est essentiellement compo-sée d’espèces provenant des secteursde jachère. Au bout de 8 ans de repos,une jachère peut fournir des densitésde 30 perches de plus de 8 cm de dia-mètre pour 100 m2 (6 perches pourdes jachères de 6 ans, 3 perches pourdes jachères de 4 ans) (photo 3).

Les espèces les plus citées sontAnisophyllea laurina, Diospyros heu-delotii, Anthonotha crassifolia,Sterculia tragacantha, Uvaria cha-mae, Dialium guineense. Ces arbresou arbustes sont aussi parmi lesespèces les plus communes et lesplus abondantes (figure 3).

Les jachères puis les champs,qui ont pour fonction principale d’as-surer la production alimentaire debase et le revenu, sont habilementutilisés via un transfert entre activi-tés. L’optimisation de l’effort et dutemps est à l’œuvre. Le bois estcoupé afin d’enrichir le sol par apportde cendres, mais ni tous les troncs,ni toutes les perches ne sont consu-més. Les meilleurs matériaux sontrécupérés pour la construction et unecertaine quantité de bois est extraitepour servir de combustible (ménagerou pour la saliculture traditionnelle)– « après la défriche nous mettons le

Photo 2. Charpente construite avec Anisophyllea laurina. Photo E. Leciak.

Photo 3. Jachère après sept ans d’abandon. Photo E. Leciak.

B O I S E T F O R Ê T S D E S T R O P I Q U E S , 2 0 0 8 , N ° 2 9 8 ( 4 ) 83VÉGÉTAUX DU QUOTIDIEN / LE POINT SUR…

Page 8: Les végétaux du quotidien : usages des ligneux dans les ...bft.cirad.fr/cd/BFT_298_77-88.pdf · un transfert entre activités qui opti-mise la charge de travail. Par ailleurs, de

feu et le bois qui s’y trouve nous sertà faire la cuisine » –, à l’image de cequi peut être observé dans lesrégions savanicoles de l’Afrique del’Ouest (Nouvellet et al., 2003). Cesutilisations secondaires de la jachèrereprésentent une importante moda-lité dans la gestion des ressources.

Les espèces uti les et le terroir vi l lageois

Il a été possible d’estimer l’im-portance de chaque type de milieusur un site d’étude en calculant unesurface relative à partir du rapportentre les surfaces couvertes parchaque type de formation (figure 4) etla superficie totale du district (unitéadministrative correspondant au terri-toire villageois). La mise en relationde la représentativité des milieuxavec l’utilisation des espèces montrecomment s’organisent les prélève-ments. La surface relative occupéepar chaque type de milieu est mise enperspective avec l’importance de laformation végétale en tant que four-nisseur d’espèces utiles, tous usagespris en compte (figure 5).

Les points notés A montrent quedes milieux, bien que représentés surles sites, abritent des espèces qui ne

sont pas ou peu utilisées. C’est le caspar exemple des forêts-galeries ou desîlots boisés. Ici, résultat des croyanceslocales en l’existence de diables etd’entités surnaturelles habitant lesforêts, certains milieux ne seront pasou que très peu fréquentés.

À l’inverse, le nuage autour del’ellipse B montre que des espècesdont l’habitat est peu représenté sontutilisées. En effet, certains usages, telsque la construction des charpentes oudes meubles, demandent l’interven-tion de professionnels du bois. Ainsi,Pterocarpus erinaceus ou Parinariexcelsa sont très appréciés pour leurqualité (résistance mécanique, résis-tance aux insectes xylophages...) parles menuisiers, et les villageois possé-deront des objets fabriqués dans cesmatériaux quel que soit le site.L’approvisionnement en bois d’œuvrese fait parfois dans le territoire villa-geois, parfois sur les marchés.

Mais, pour une grande majoritéde points (ellipse C), qui représen-tent également les valeurs les plusélevées, bien que le coefficient decorrélation soit peu significatif, unecorrespondance est visible. Lesmilieux les mieux représentés sontles principaux pourvoyeurs d’es-pèces utiles.

Discussion

Les résultats obtenus montrenttout d’abord la très grande diversitéd’espèces utilisées dans les villagesde Guinée maritime. Cette diversitéest due à la multiplicité des usages.Avec un très faible recours aux objetsde confection industrielle, les villa-geois dépendent étroitement des res-sources naturelles pour leurs activi-tés, l’artisanat et la construction del’habitat. Mais également de 10 à 40espèces différentes peuvent corres-pondre à chaque usage. De ce fait, denombreuses espèces répondent auxdivers besoins ou nécessités et l’utili-sation de la diversité disponibleréduit ainsi les risques de pressionsur des espèces très ciblées.

Cette diversification est liée à larichesse du terroir autant qu’à un prin-cipe opportuniste dans le choix desligneux et à des stratégies de réductionde l’effort et du temps passé à la coupe.Au regard de la distribution des espècesutiles entre les différents milieux pré-sents, s’observe une équitable réparti-tion entre savanes arborées, jachères etmangroves. Le choix des plantes résulted’un parcours quotidien dans le terroirlocal et de l’exploitation des différentscompartiments de l’espace.

11

9

36

7

36

26

16

3

26

3

26

22

7

5

24

12

29

17

7

10

27

13

27

25

25

18

18

21

Madya, villagecontinental

Dominya, villagelittoral

Thya, villagelittoral

Tukéré, villagelittoral

Marara, villageinsulaire

Jachères

Autres (espèces ubiquistes)

Savanes arborées

Galeries forestières

Mangroves et milieux associés

Plantations

Figure 2. Répartition (%) des espèces utilisées comme combustible et bois de petiteconstruction selon les types de milieux.

84 B O I S E T F O R Ê T S D E S T R O P I Q U E S , 2 0 0 8 , N ° 2 9 8 ( 4 )

FOCUS / EVERYDAY TREE USES

Page 9: Les végétaux du quotidien : usages des ligneux dans les ...bft.cirad.fr/cd/BFT_298_77-88.pdf · un transfert entre activités qui opti-mise la charge de travail. Par ailleurs, de

Les savanes arborées, dudomaine soudano-guinéen, sont géné-ralement peu fréquentées, sinon pourla chasse et les prélèvements. Maiselles abritent des espèces aux qualitéstrès prisées pour le bois d’œuvre (che-vrons et gros mobilier) que les villa-geois vont très spécifiquement recher-cher. Les bois de Rhizophora mangle,R. harrisonii et Avicenia germinansprélevés en mangrove ont des qualitéstrès appréciées pour de nombreuxusages, et ces taxons sont véritable-ment polyvalents. Néanmoins, lesespaces de mangrove restent difficilesd’accès et l’effort de coupe, face à l’al-ternative, ne se justifie pas systémati-quement. Ainsi, même en zone litto-rale et insulaire où la ressource en boisde mangrove est importante, lesjachères constituent toujours unimportant milieu pourvoyeur de maté-riaux ligneux. En effet, à part le grosœuvre, pour tous les autres usages,annexes de l’habitat, clôture, artisa-nat, bois de chauffe, les espèces de lajachère sont très satisfaisantes, et l’es-pace agricole représente toujours lelieu le plus fréquenté.

0

5

10

15

20

25

30

35

40

45

50

55

Ant

hono

tacr

assi

folia

Dio

spyr

oshe

udel

otii

Com

bre

tum

mic

rant

hum

Dia

lium

guin

eens

eA

ncyl

obot

rys

sp.

Leca

niod

iscu

sA

niso

phy

llea

laur

ina

Sab

ase

nega

lens

isA

lbiz

zia

adia

nthi

folia

Land

olp

hia

heud

elot

iiB

aiss

eam

ultif

lora

Ant

hono

tha

cras

sifo

liaB

yrso

carp

ussp

.La

ndol

phi

ad

ulci

sS

alac

iase

nega

lens

isA

llop

hyllu

saf

rican

usD

ichr

osta

chys

glom

erat

aS

orin

dei

aju

glan

difo

liaC

nest

isfe

rrug

inea

Con

naru

saf

rican

usFi

cus

exas

per

ata

Hol

arrh

ena

florib

und

aN

aucl

eala

tifol

iaU

ster

iagu

inee

nsis

Sp

ond

ias

mom

bin

Nom

bre

d'in

div

idus

Jachères actives

Jachères anciennes et îlots boisés

Forêts-galeries

Plantations et forêts villageoises

Savanes boisées

Savanes arborées mixtes

Savanes claires et herbeuses

Formations hautes à Rhizophora spp.

Formations basses à Rhizophora spp.

Formations mixtes de palétuviers

Formations à Avicenia germinans

Tannes

VillagesLimites de secteurPistes

0 1 km

Toukéré

Thya

Boffa

Figure 3. Illustration de la représentativité des espèces (nombre d’individus) de lajachère. Comptage des ligneux sur 100 m2, jachère de sept ans, 227 rejets.

Figure 4. Extrait de la carte des formations végétales de Guinée maritime, sous-préfecture de Boffa. Source : image Lansat, 2002 ; réalisation D. Bazzo et E. Leciak, 2005.

B O I S E T F O R Ê T S D E S T R O P I Q U E S , 2 0 0 8 , N ° 2 9 8 ( 4 ) 85VÉGÉTAUX DU QUOTIDIEN / LE POINT SUR…

Page 10: Les végétaux du quotidien : usages des ligneux dans les ...bft.cirad.fr/cd/BFT_298_77-88.pdf · un transfert entre activités qui opti-mise la charge de travail. Par ailleurs, de

Exercés sur différents milieux etsur des espèces capables de régéné-ration, les prélèvements domes-tiques courants ont dès lors unimpact très faible sur les peuple-ments végétaux. Les usages sontsatisfaits par les espèces les plusrépandues et le principe ici estproche de la notion de « plantes duparcours », bien connue des ethno-botanistes (Lieutaghi, 1998). Cespetits prélèvements ligneux parfoisdécriés comme une menace pour la

biodiversité montrent en vérité leurinscription dans la multifonctionna-lité des espaces, l’opportunisme et ladistribution de l’effort et des pres-sions. Les menaces sur des milieuxreconnus fragiles comme les man-groves sont nuancées par ce principede répartition.

En parallèle à l’usage optimisédes jachères, qui s’appuie sur l’utili-sation d’une grande diversité dematériel, certaines espèces trèsappréciées font l’objet de mesuresde conservation. En effet, des pra-tiques favorisant la dissémination oula concentration dans l’espace exis-tent et c’est le cas, par exemple,d’Anisophyllea laurina. Ce petitligneux indigène ubiquiste est trans-planté au sein des espaces agrofo-restiers ceinturant les villages et estsystématiquement épargné lors desdéfriches ou lors de la préparationdes terrains pour la plantation frui-tière (Elaeis guineensis, Anacardiumoccidentale, Mangifera indica…). Parailleurs, la plantation ou la transplan-tation de Ceiba pentandra (espèceutilisée pour la fabrication despirogues) est très couramment prati-

quée, et de nouvelles espècesligneuses à croissance rapide com-mencent également à être cultivées.C’est le cas de Terminalia ivorensisou de Gmelina arborea, une espèceintroduite d’Asie orientale. Ici, l’as-pect remarquable est que l’agrofores-terie traditionnelle, principalement àvocation fruitière, se voit enrichie parde nouveaux taxons, répondant àd’autres usages (photo 4).L’installation des grands ligneux àproximité de l’habitat ou dans ledomaine d’approvisionnement fami-lial, qu’on assimilerait à une domes-tication, dessine une tendance aucontrôle familial des bois deconstruction. Il est difficile deconclure cependant qu’une appro-priation d’espèces exogènes et lesprémices d’une plantation villageoisesoient une mesure de compensationà la raréfaction des ressources. Ellesapparaissent moins comme uneréponse à des contraintes environne-mentales qu’à des contraintesd’ordre économique.

-5

0

5

10

15

20

25

30

35

40

45

50

55

60

-5 0 5 10 15 20 25 30 35 40 45

°° °°

°°° °°°

°

°

°

°°

°

°

°

°

°°

°

°

°

°

°°

°°

°

°

°° °

°°°° °

°

°

°

°

°

°

°

°

°°°

°

°

°

°°

A

B

C

Exemple :Madya, savane boisée,29,1 % de la superficie totale10 % de citations

Importance des habitats dans les citations par site (%)

Rep

rése

ntat

ivité

des

hab

itats

(%)

Figure 5. Relation entre les surfaces d’habitat au sein d’un terroir villageois et l’utilisation des espèces.

Photo 4. Agroforêt. Photo E. Leciak.

86 B O I S E T F O R Ê T S D E S T R O P I Q U E S , 2 0 0 8 , N ° 2 9 8 ( 4 )

FOCUS / EVERYDAY TREE USES

Page 11: Les végétaux du quotidien : usages des ligneux dans les ...bft.cirad.fr/cd/BFT_298_77-88.pdf · un transfert entre activités qui opti-mise la charge de travail. Par ailleurs, de

Conclusion

En Afrique de l’Ouest, en raisonde son étendue et de ses caractéris-tiques géographiques, la Guinée estcertainement un pays qui recèle unedes plus fortes diversités biolo-giques. Mais cette diversité est aussiune des moins connues. Commel’illustre l’inventaire national dont lasynthèse fut publiée en 2005 par leministère de l’Environnement, seule-ment 3 062 espèces végétales sontaujourd’hui référencées (Républiquede Guinée, 2005). Ce seul chiffrelaisse percevoir le travail qui reste àfournir mais il s’explique aussi pardes efforts d’inventaire très inégale-ment répartis selon les différentesrégions du pays et essentiellementconcentrés dans les régions desMonts Nimba et du Fouta Djalon(Adam, 1971-1983). Dans le nord-ouest, en Guinée maritime, les tra-vaux précédents (Cormier-Salem,1994 ; Rossi, 2001) et les attentionsont essentiellement porté sur le casdes mangroves. Aucune véritableétude botanique n’avait été menéedepuis les travaux de floristique des-criptive de Raymond Schnell dans lesannées 1950 (Schnell, 1950, 1952).

Les connaissances acquiseslors de cette étude décrivent unegrande diversité de milieux et mon-trent comment les villageois exploi-tent l’ensemble du potentiel de leurterroir. Loin de la spécialisationqu’on attendrait de la part de popula-tions littorales, les Guinéens vonttrouver dans la mosaïque offerteleurs moyens de subsistance. Ladiversification, le transfert entre acti-vités et l’opportunisme observé dansle choix des espèces utiles (qui n’estautre qu’optimisation de l’effort) per-mettent, dans cette région, la repro-ductibilité des ressources.

Néanmoins, les formes de ges-tion locale, aujourd’hui à l’œuvredans les villages de l’étude, s’obser-vent dans un contexte de faible den-sité rurale et où les échanges com-merciaux de bois ne sont que trèsrécents. Vivant dans une zone enpleine dynamique et connaissant l’in-

fluence urbaine depuis seulementquelques années, les habitants dunord de la Guinée maritime réagis-sent progressivement aux change-ments et inscrivent leurs pratiques etleurs relations avec les végétauxdans ce contexte mouvant. Des initia-tives, telles que le développementdes plantations de bois d’œuvre, letransfert des bois de brousse dansles espaces domestiques, l’adoptiond’espèces introduites, viennent sefondre dans des pratiques agrofores-tières plus anciennes et maîtrisées.

Dans une perspective d’aide audéveloppement durable, ces observa-tions invitent les projets à diversifier,eux aussi, leurs approches. Sansperdre de vue les enjeux mondiaux dela biodiversité, l’adaptation aucontexte des programmes permetd’aller au plus près des perceptions etdes inclinaisons des populations rési-dentes, s’appuyant d’abord sur despratiques existantes, et faisant de l’in-tervention un accompagnement desdynamiques locales plutôt qu’uneinnovation extérieure dont l’appro-priation reste toujours incertaine.

RemerciementsCes recherches ont été conduitesdans le cadre du programme del’Observatoire de Guinée maritime,dirigé par G. Rossi et financé par leFonds français pour l’environnementmondial, l’Agence française pour ledéveloppement, l’Association fran-çaise des volontaires du progrès etl’Université de Bordeaux-III.

Nous remercions Mme Annette Hladik duMuséum national d’histoire naturelle,qui a supervisé le volet biodiversité del’Observatoire de Guinée maritime,ainsi que les membres de l’équipe deterrain, Alousseny Dabo, KonéN’falidjou, Thierno Alassane Diallo,Mélanie Lunel et Claude Bigourd.

Bibliographie

ADAM J. G., 1971-1983. Flore descrip-tive des Monts Nimba. Paris, France,Mémoires du Muséum national d’his-toire naturelle B, vol. 1-6, tome 20,p. 1-527, tome 22, p. 529-908.

ALEXIADES M., 1996. Selected guide-lines for ethnobotanical research : Afield manual. New York, États-Unis,New York Botanical Garden, 306 p.

BERTRAND F., 1991. L’originalité desmangroves de Guinée dans le mondetropical humide. Les Cahiers d’Outre-Mer, 176 : 365-378.

CORMIER-SALEM M.-C. (éd.), 1994.Dynamique et usages de la mangrovedans les Pays des Rivières du Sud (duSénégal à la Sierra Leone). Paris,France, Orstom, coll. Colloques etséminaires, 353 p.

GESLIN P., 2002, L’amitié respec-tueuse : production de sel et préserva-tion des mangroves de Guinée. Bois etForêts des Tropiques, 273 : 55-67.

HUTCHINSON J., DALZIEL J. M., 1954-1972. Flora of West Tropical Africa.Vol. 1, part. 1, 295 p. ; 1958, vol. 1,part. 2, p. 297-828 ; vol. 2, 544 p. ;1968, vol. 3, part. 1, 276 p. ; 1972,vol. 3, part. 2, p. 277-574. Londres,Royaume-Uni, Crown Agents for Over-sea Governements and Administra-tions, Millbank.

LECIAK E., 2006. De l’espèce au terri-toire, la gestion locale de la biodiver-sité en Guinée Maritime. Thèse dedoctorat, université de Bordeaux-III,360 p. Disponible sur : http://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00124792.

LECIAK E., HLADIK A., ROSSI G., 2006.Biodiversité et développement : lespaysans de Guinée Maritime. Annalesde Géographie, 651 : 508-527.

LIEUTAGHI P., 1998. La plante com-pagne. Arles, France, Éd. Actes Sud,301 p.

B O I S E T F O R Ê T S D E S T R O P I Q U E S , 2 0 0 8 , N ° 2 9 8 ( 4 ) 87VÉGÉTAUX DU QUOTIDIEN / LE POINT SUR…

Page 12: Les végétaux du quotidien : usages des ligneux dans les ...bft.cirad.fr/cd/BFT_298_77-88.pdf · un transfert entre activités qui opti-mise la charge de travail. Par ailleurs, de

LYKKE A. M., 2000. Local perceptionsof vegetation change and prioritiesfor conservation of woody-savannavegetation in Senegal. Journal ofEnvironmental Management, 59 (2) :107-120.

MARTIN G. J., 1995. Ethnobotany : amethods manual. Londres, Royaume-Uni, Chapman and Hall, 268 p.(People and Plants ConservationManuals : vol. 1).

NOUVELLET Y., SYLLA M. L., KASSAM-BARA A., 2003. La production de boisd’énergie dans les jachères du Mali.Bois et Forêts des Tropiques, 276 : 5-15.

Observatoire de Guinée maritime,2005, Programme de gestion intégréedes ressources naturelles. Étudespréliminaires. Conakry, ministère duPlan, Afvp, Bordeaux-III, 662 p.+ cartes.

République de Guinée, ministère del’Agriculture et des Ressources ani-males, 1990. Étude et élaboration duschéma directeur d’aménagement dela mangrove guinéenne (SDAM).Bruxelles, Belgique, Cce, Montpellier,France, Seca, 92 p.

République de Guinée, ministère del’Environnement, 2005, Monogra-phie nationale sur la diversitébiologique. Disponible sur :http://www.environnement-gn.org/.

ROSSI G. (éd.), 2001. Atlas infogéo-graphique de la Guinée Maritime.Projet Observatoire de la mangrove,Talence, Cnrs-Ird-Umr Regards,Cnshb, Bordeaux-III. Paris, France,Ird, Conakry, Guinée, ministère del’Agriculture et de l’Élevage, 179 p.

RUE O., 1998. L’aménagement du lit-toral de Guinée (1945-1995) :mémoires de mangroves, desmémoires de développement pour denouvelles initiatives. Paris, France,L’Harmattan, 316 p.

SCHNELL R., 1950. Contributionpréliminaire à l’étude botanique dela Basse-Guinée Française. Ifan,Études Guinéennes, 6 : 29-72.

SCHNELL R., 1952. Contribution àl’étude phytosociologique et phyto-géographique de l’Afrique occiden-tale : les groupements et les unitésgéobotaniques de la région gui-néenne. Mémoires Ifan, 18,Mélanges Botaniques, p. 41-234.

88 B O I S E T F O R Ê T S D E S T R O P I Q U E S , 2 0 0 8 , N ° 2 9 8 ( 4 )

FOCUS / EVERYDAY TREE USES