92
N° 155 - juin 2010 trimestriel - 18 ISSN 0153-6184 www.iau-idf.fr Les villes face à l’insécurité IAU île-de-France

Les villes face à l'insécurité. Cahier n° 155€¦ · N° 155 - juin 2010 trimestriel - 18 € ISSN 0153-6184 Les villes face à l’insécurité IAU île-de-France

  • Upload
    others

  • View
    1

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Les villes face à l'insécurité. Cahier n° 155€¦ · N° 155 - juin 2010 trimestriel - 18 € ISSN 0153-6184  Les villes face à l’insécurité IAU île-de-France

N° 155 - juin 2010trimestriel - 18 €ISSN 0153-6184www.iau-idf.fr

Les villes faceà l’insécurité

IAU île

-de-F

rance

Page 2: Les villes face à l'insécurité. Cahier n° 155€¦ · N° 155 - juin 2010 trimestriel - 18 € ISSN 0153-6184  Les villes face à l’insécurité IAU île-de-France

PUBLICATION CRÉÉE EN 1964

Directeur de la publicationFrançois DUGENY

Directrice de la communication Corinne GUILLEMOT (01 77 49 76 16) [email protected]

Responsable des éditionsFrédéric THEULÉ (01 77 49 78 83) [email protected]

Rédactrice en chefSophie MARIOTTE (01 77 49 75 28) [email protected]

CoordinateursSylvie SCHERER (01 77 49 75 60) [email protected] LE GOFF (01 77 49 79 61) [email protected] MALOCHET (01 77 49 75 54) [email protected]

Secrétaire de rédactionAgnès FERNANDEZNathalie RACHLINE

PresseCatherine BRAMAT (01 77 49 79 05) [email protected]

FabricationSylvie COULOMB (01 77 49 79 43) [email protected]

Maquette, illustrationsOlivier CRANSAC (01 77 49 75 16) [email protected]

CartographieJean-Eudes TILLOY (01 77 49 75 11) [email protected]

Notes de lectureChristine ALMANZOR (01 77 49 79 20) [email protected] DESCAMPS (01 77 49 79 66) [email protected] GALLET (01 77 49 79 63) [email protected] JAGU [email protected]

Médiathèque – photothèqueClaire GALOPIN (01 77 49 75 34) [email protected]élie LACOUCHIE (01 77 49 75 18) [email protected]

ImpressionPoint 44

CouvertureOlivier CRANSAC (01 77 49 75 16) [email protected] : Claire Cocano/Picturetank

Commission paritaire n° 811 ADISSN 0153-6184

© IAU île-de-FranceTous droits de reproduction, de traduction et d’adaptation réservés. Les copies, reproductions, citationsintégrales ou partielles, pour utilisation autre que strictement privée et individuelle, sont illicites sansautorisation formelle de l’auteur ou de l’éditeur. La contrefaçon sera sanctionnée par les articles 425 etsuivants du code pénal (loi du 11-3-1957, art. 40 et 41).Dépôt légal : 2e trimestre 2010

Diffusion, vente et abonnement :Olivier LANGE (01 77 49 79 38) [email protected]

France ÉtrangerLe numéro : 18 € 20 €Le numéro double : 30 € 32 €Abonnement pour 4 numéros : 72 € 84 €(Étudiants, photocopie carte de l’année en cours, tarif 2009) : 50 €

Sur place : Librairie ÎLE-DE-FRANCE, accueil IAU - 15, rue Falguière, Paris 15e (01 77 49 77 40)

Par correspondance :INSTITUT D’AMÉNAGEMENT ET D’URBANISME DE LA RÉGION D’ÎLE-DE-FRANCE15, rue Falguière - 75740 Paris Cedex 15Abonnement et vente au numéro : http://www.iau-idf.fr

Bulletin d’abonnement annuelSouhaite s’abonner pour un an (3 numéros + 1 numéro double)

aux Cahiers de l’IAU île-de-France

Nom

Organisme

Adresse

Code postal Localité

Pays

Mél.

Tarifs abonnementFrance : 72 € Étranger : 84 €

Étudiant : 50 € (photocopie de la carte de l’année en cours)

Commande d’anciens numéros France : 18 € – n° double : 30 € Étranger : 20 € – n° double : 32 €

N° 154 (n° double) N° 153 N° 152 N° 151

N° 150 (n° double) N° 149

PrésidentM. Jean-Paul HUCHONPrésident du conseil régional d’Île-de-France

• Bureau1er vice-présidentM. Daniel CANEPAPréfet de la région d’Île-de-France, préfet de Paris

2e vice-présidentM. Jean-Claude BOUCHERATPrésident du conseil économique et social régional d’Île-de-France

3e vice-présidenteMme Mireille FERRI, conseillère régionale

Trésorier :Mme Françoise DESCAMPS-CROSNIER

Secrétaire :M. François LABROILLE

• Conseillers régionauxTitulaires : Suppléants : Jean-Philippe DAVIAUD Judith SHANChristine REVAULT d’ALLONNES Aurore GILLMANNFrançoise DESCAMPS-CROSNIER Halima JEMNIMuriel GUÉNOUX Daniel GUÉRINJean-Luc LAURENT Éric COQUERELFrançois LABROILLE Marie-José CAYZACAlain AMÉDRO Thibaud GUILLEMETMireille FERRI Marc LIPINSKIClaire MONOD Jean MALLETPierre-Yves BOURNAZEL Frédéric VALLETOUXJean-Pierre SPILBAUER Martine PARESYSDenis GABRIEL Sophie DESCHIENSFrançois DUROVRAY Patrick KARAM

• Le président du conseil économique et social régionalM. Jean-Claude BOUCHERAT

• Deux membres du conseil économique et social régionalTitulaires : Suppléants :M. Michel LANGLOIS M. Jean-Pierre HUBERTM. Pierre MOULIÉ Mme Nicole SMADJA

• Quatre représentants de l’ÉtatM. Daniel CANEPA, préfet de la Région d’Île-de-France, préfet de Paris ;Mme Sylvie MARCHAND, directrice régionale de l’Insee, représentant le ministrechargé du Budget ;M. Jean-Claude RUYSSCHAERT, représentant du ministre chargé de l’Urbanisme ;Monsieur le représentant du ministre chargé des Transports : N.

• Quatre membres fondateursLe gouverneur de la Banque de France, représenté par M. Bernard TEDESCO ;Le directeur général de la Caisse des dépôts et consignations,représenté par M. Patrick FRANÇOIS, directeur interrégional ;Le gouverneur du Crédit foncier de France,représenté par M. Florent LEGUY ;Le président du directoire du Crédit de l’équipement des PMEreprésenté par M. Christian FOURNET.

• Le président de la chambre de commerce et d’industrie de Paris, représenté parMme Valérie AILLAUD

Composition du conseil d’administration au 2 juillet 2010

IAU île

-de-F

rance

Page 3: Les villes face à l'insécurité. Cahier n° 155€¦ · N° 155 - juin 2010 trimestriel - 18 € ISSN 0153-6184  Les villes face à l’insécurité IAU île-de-France

La sécurité de proximité pour tous les Franciliens : un enjeu majeur

L’Île-de-France a pour ambition de faire face aux enjeux de la sécurité et du bien-être de toutes et de tous sur le territoire francilien.

Considérant la problématique de la sécurité comme une nécessité au regard de la vie quotidienne, la Région a souhaité s’engager dès 1998.

Sans se substituer aux fonctions régaliennes de l’État, les élus régionaux ont cherché à mettre en œuvre une politique de coproduction de sécuritéconstruite sur le triptyque «prévention, répression, réparation» en faveurde la sécurisation des Franciliens dans ses secteurs d’interventions(transports, lycées…). Cette politique a été basée sur la collaboration entre les collectivités locales, les institutions et les partenaires locaux, sur l’aide aux victimes, la médiation et l’accès au droit, sur la constructionde solidarités de proximité afin de construire des actions de citoyenneté et de prévention.

Depuis 2001 et à l’instigation de la Région, une enquête est menée tous les deux ans afin de mesurer le sentiment d’insécurité et les atteintesdont les Franciliens sont victimes. Il ressort de la dernière enquête que les préoccupations des habitants concernent aujourd’hui davantagel’insécurité sociale (pauvreté et chômage) que la délinquance ; dans unmême temps, la relation entre le sentiment d’insécurité et le cadre de vies’est renforcée.

C’est la raison pour laquelle, en ce début du XXIe siècle et après onze ansd’engagement régional, il apparaît nécessaire que tous les partenaires de la Région s’impliquent à la hauteur des exigences pour construire une région robuste et agréable, où la différence est créatrice de richesses et non synonyme de peur.

De fait, il est pertinent de s’interroger sur les réponses qu’apportent la politique régionale de sécurité pour lutter contre les inégalités en la matière. Ce numéro des Cahiers nous aide à mieux saisir les enjeux et les pistes de travail pour répondre d’une manière intelligente, collectiveet complémentaire à l’ambition régionale du «mieux vivre ensemble»aujourd’hui et demain.

Jean-Paul HuchonPrésident du conseil régional d’Île-de-FrancePrésident du Syndicat des transports d’Île-de-FrancePrésident de l’IAU île-de-France

Éditorial

1

IAU île

-de-F

rance

Page 4: Les villes face à l'insécurité. Cahier n° 155€¦ · N° 155 - juin 2010 trimestriel - 18 € ISSN 0153-6184  Les villes face à l’insécurité IAU île-de-France

2

La sécurité : mieux comprendre pour mieux agir

En 2000, l’IAU île-de-France créait en son sein une mission«Études Sécurité », ouvrant ainsi un nouveau champ pour sesréflexions, complémentaire des thèmes traditionnellementtournés vers les questions d’aménagement et dedéveloppement, de population et de logement, d’économie,d’environnement, de transports… Cette création faisait suiteà la délibération du conseil régional d’Île-de-France fixant

le cadre de sa contribution à l’amélioration de la sécurité en Île-de-France.Après avoir mis en place une commission de la sécurité, le conseil régionala confié à l’IAU île-de-France le soin de mener les analyses relatives à ces questions, pour l’accompagner dans ses prises de décisions et évaluer l’impact des actions menées.

Quatre objectifs lui ont été confiés : apporter une aide à la décision,organiser les échanges sur les pratiques de sécurité urbaine, animer la réflexion sur les métiers et les formations dans ce domaine, contribuer àrendre lisible l’action régionale. Il s’agissait également d’élaborer des outilsméthodologiques pour que la Région soit un acteur majeur du dialogueavec l’État et les partenaires impliqués dans les politiques locales desécurité. Le croisement des travaux ainsi menés avec les autres thèmestraités par l’institut constitue un laboratoire expérimental qui, en l’absenced’équivalent, a un rôle pilote innovant sur le territoire français.

En complément des données officielles des services de police et de gendarmerie (l’insécurité «connue») est rapidement née la nécessité de mener des enquêtes portant sur la victimation et le sentimentd’insécurité des Franciliens (l’insécurité «vécue»). Cinq enquêtes – une tous les deux ans – ont été menées, donnant une connaissance fine du vécu des Franciliens. Des travaux plus opérationnels ont été développéssur l’urbanisme et la sécurité, les métiers et politiques de sécurité locale,l’impact de la vidéosurveillance dans les transports, dans les lycées oudans l’espace public…

L’objectif est d’analyser les phénomènes de délinquance et les politiques etpratiques développées pour y répondre. Toutes ces approches participentà une «coproduction de sécurité » qui doit associer les domaines de la police, de la justice, de l’emploi, du social, de l’éducation. La démarche de l’aménageur et de l’urbaniste doit être associée aux autres démarches,en particulier celle des acteurs sociaux.

Ce numéro des Cahiers donne la parole à des acteurs, à des chercheurs, àdes experts de ce domaine complexe et sensible. Je souhaite qu’il répondeà nombre de vos questionnements et qu’il ouvre des pistes de réflexionnovatrices vous permettant de mieux appréhender les différents outilsutiles à la création d’espaces favorisant le mieux vivre ensemble.

François DugenyDirecteur général de l’IAU île-de-France

Avant-proposC. Lauté

IAU île

-de-F

rance

Page 5: Les villes face à l'insécurité. Cahier n° 155€¦ · N° 155 - juin 2010 trimestriel - 18 € ISSN 0153-6184  Les villes face à l’insécurité IAU île-de-France

ComprendreLe thème de « l’insécurité » dans la société françaiseLaurent Mucchielli . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6

Comprendre la délinquance : les cadres d’analyse sociologiqueVirginie Malochet . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10

L’évolution des délinquances sur le long termePhilippe Robert . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13

Victimation et sentimentd’insécurité en Île-de-FranceHélène Heurtel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 16

Les enquêtes de délinquance auto-déclaréeInterview de Sebastian Roché . . . . . . . . . 19

Gouverner la sécurité dans les villesTanguy Le Goff,Jacques de Maillard . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21

L’influence de la sécurité sur la conception urbaineCéline Loudier-Malgouyres, Bertrand Vallet . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25

AgirComment rendre la sécuritéacceptable dans l’urbanisme ?Bilel Benbouzid . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 30

Sécurité : un nouveau défipour les concepteurs ?Interview de Paul Landauer . . . . . . . . . . . 33

Les habitants et le projet de territoire des ChaufourniersInterview de François Guillotte . . . . . . . . 36

La vidéosurveillance : un outil de prévention efficace ?Tanguy Le Goff . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 38

La police de proximité : quel bilan ?Christian Mouhanna . . . . . . . . . . . . . . . . . . 41

Les polices municipales, « vraies » polices de proximité ?Virginie Malochet . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 45

Retour sur la justice de proximitéInterview de Nicole Maestracci . . . . . . . 48

Le traitement en temps réel des affaires pénales Benoit Bastard . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 50

L’expérience des médiateursde quartierInterview de Nathalie Nivault . . . . . . . . . 53

Le site de la Villette :miser sur le bien-être des usagersInterview de Christian Brulé . . . . . . . . . . . 55

Une intervenante socialedans un commissariatInterview de Sandra Mollo,Francis Galloy, Didier Soules . . . . . . . . . . 57

Mutations de l’intervention socialedans les quartiers populairesManuel Boucher . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 59

La prévention spécialisée, un outild’accompagnement éducatifInterview de Rachida Azougue . . . . . . . . 62

AnticiperDu Grand Paris institutionnelau Grand Paris de la sécuritéSylvie Scherer . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 64

Le « Grand Paris de la sécurité » :une réorganisation indispensableInterview de Michel Gaudin . . . . . . . . . . . 67

Le « Grand Paris de la sécurité » :une nécessaire concertationInterview de Abdelhak Kachouri . . . . . . 68

L’emprise invisible et survisible de la sécurité privée dans les villesFrédéric Ocqueteau . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 69

Les lotissements fermés : effets de contexteRenaud Le Goix . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 73

Commerces et insécurité, les incertitudes de l’action publiqueBrigitte Guigou . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 77

Les deux faces de l’insécurité dans le « ghetto »Didier Lapeyronnie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 80

Ressources

À lire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .863

SommaireÉditorial : La sécurité de proximitépour tous les Franciliens : un enjeu majeurJean-Paul Huchon . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1

Avant-propos : La sécurité : mieux comprendre pour mieux agirFrançois Dugeny . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2

Prologue : Les villes face à l’insécuritéSylvie Scherer . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4

IAU île

-de-F

rance

Page 6: Les villes face à l'insécurité. Cahier n° 155€¦ · N° 155 - juin 2010 trimestriel - 18 € ISSN 0153-6184  Les villes face à l’insécurité IAU île-de-France

Au cours des trente dernières années, l’insécurité est devenue un enjeu majeur dansle débat métropolitain. Elle est apparue sur les devants de la scène alimentée pardes images de violence urbaine ou encore lors des échéances électorales. Elle estmême aujourd’hui partie intégrante des critères définissant la qualité du cadre devie, et est devenu un des éléments prédominants favorisant ou non l’implantationd’entreprises, ou la venue de nouveaux habitants.Cette préoccupation a directement impacté les finances locales par la mise enœuvre de nouvelles politiques tant en investissement pour les équipements qu’enfonctionnement par les moyens humains déployés sur le terrain. Nombre de collec-tivités territoriales se dotent ou financent différents personnels assurant des tâchesde surveillance et de dissuasion dans les espaces publics. L’apparition des nou-velles technologies, principalement la vidéosurveillance, dans cette production desécurité, a entraîné des coûts supplémentaires d’équipement et de maintenancequi pèsent sur ces mêmes budgets. Cette préoccupation a généré une activité éco-nomique florissante et diversifiée d’entreprises de sécurité spécialisées en conseil,gardiennage et maintenance.Si les acteurs publics et privés dans la production locale de sécurité se sont multi-pliés, cette compétence reste celle de l’État notamment par ses pouvoirs de sanc-tion et de réglementation. Par la loi d’orientation et de programmation relative à lasécurité du 21 janvier 1995 (LOPS), l’État a ainsi reconnu la légitimité de la partici-pation de différents acteurs locaux à la politique de sécurité. Si les politiquespubliques développées en matière de sécurité ont connu des évolutions de doc-trines, l’émergence de la gouvernance locale de la sécurité semble être confirmée.La LOPS a aussi donné naissance aux études préalables de sécurité dans les opé-rations d’urbanisme, disposition développée douze ans plus tard à travers les étudesde sûreté et de sécurité publique. Cet outil permet au Préfet de rejeter un projetd’aménagement s’il le considère insuffisant au regard des objectifs fixés. Cettedimension a suscité des craintes chez les professionnels de l’aménagement et de l’ur-banisme. Mais ne peut-elle pas leur fournir, s’ils s’en saisissent, la meilleure assu-rance d’une réflexion sur l’usage et l’ambiance des lieux, sur l’aménagement, lefonctionnement et la gestion du projet présenté?L’ordonnance de 1945, centrée sur l’éducatif et l’insertion, a été maintes fois révisée.Face à ces évolutions, un nouveau modèle pénal se dessine-t-il ?Ce Cahiers interpelle les différents champs de la connaissance afin de faire le pointsur la façon dont s’opère aujourd’hui le partage des rôles dans la production desécurité urbaine entre les différents acteurs publics et privés mais propose aussid’analyser les orientations des politiques de sécurité. Il apparaît qu’un glissements’est opéré d’un traitement des causes sociales de la délinquance à une interven-tion publique qui s’adresse plutôt à l’individu et qui considère que le traitementurbanistique des quartiers sensibles peut leurs permettre de se réintégrer au restede la ville.Ce numéro des Cahiers souhaite montrer que poser la question de la sécurité dansl’espace urbain ne renvoie pas systématiquement à une forme urbaine fermée, pla-cée sous le contrôle des caméras de vidéosurveillance et reléguant à sa frange unepartie de sa population. L’objectif poursuivi est la présentation des pistes deréflexions aujourd’hui existantes pour fabriquer une ville hospitalière, offrant à seshabitants les garanties d’une bonne qualité de vie dans les espaces publics.

Sylvie SchererIAU île-de-France

Les villes face à l’insécurité

4

Les villes face à l’insécuritéPrologueLes Cahiers n° 155

IAU île

-de-F

rance

Page 7: Les villes face à l'insécurité. Cahier n° 155€¦ · N° 155 - juin 2010 trimestriel - 18 € ISSN 0153-6184  Les villes face à l’insécurité IAU île-de-France

Le débat sur l’insécurité n’est pas un fait nouveau, mais revêt aujourd’hui une acuité toute particulière dans la société française, notamment en Île-de-France. Il s’est installé sur le devant de la scène politique et médiatique, durablement inscrit sur les agendas nationauxet locaux. Cette construction de l’insécurité comme catégoriede l’action publique s’appuie sur des outils permettant de quantifier les délinquances et leurs évolutions. Par-delà les statistiques officielles, la connaissance de ces phénomènes s’est consolidée avec le développementd’enquêtes en population générale : les enquêtes de délinquance auto-reportée et les enquêtes de victimation,à l’instar de celle que mène l’IAU îdF à l’échelle régionaledepuis 2001. S’il importe de mesurer et d’expliquer les problèmes d’insécurité dans leurs manifestationsobjectives et subjectives, il convient aussi de comprendrequelles sont les actions mises en œuvre pour y répondre.Assurément, ce n’est plus l’affaire des seuls services de l’État.Outre l’essor du secteur privé, on assiste au retour en forcedes pouvoirs locaux dans le gouvernement de la sécurité des villes. Parallèlement, on observe une prise en compteaccrue des questions de sécurité dans le champ de l’urbanisme. Telles sont les deux grandes tendancescaractéristiques des politiques actuelles de lutte contre l’insécurité et de prévention de la délinquance.

5

Comprendre

IAU île

-de-F

rance

Page 8: Les villes face à l'insécurité. Cahier n° 155€¦ · N° 155 - juin 2010 trimestriel - 18 € ISSN 0153-6184  Les villes face à l’insécurité IAU île-de-France

«L’insécurité est à la mode, c’est un fait ».Cette phrase ouvrant un article de pressen’a pas été écrite en 2010, mais en 1907

[KALIFA, 1995]. Le débat sur « l’insécurité » n’estdonc pas une spécificité de notre époque. Lesingrédients qui le composent ont déjà été réu-nis par le passé. Après en avoir caractérisé leséléments de base depuis le début du xxe siè-cle, on analysera les conditions de son retour àpartir de la seconde moitié des années 1970,puis on réfléchira sur les raisons de sa persis-tance inédite depuis le début des années 1990dans le débat politico-médiatique et, plus large-ment, dans la société française.

Les trois composantes des périodes de dénonciation de « l’insécurité »Depuis le début du xxe siècle, trois périodes ontvu le thème sécuritaire dominer le débat publicavec, à chaque fois, des figures de dangerositéassociées, au premier rang desquelles les«bandes de jeunes ». Durant les années 1905-1910, c’est la figure des Apaches qui cristalliseles peurs et incarne cette dangerosité suppo-sée. Au tournant des années 1950-1960, c’estcelle des Blousons noirs. Et depuis le début desannées 1990, c’est celle des « jeunes des cités ».Pour schématiser, on peut dire qu’à chacun deces trois moments, le débat sur « l’insécurité »s’est installé par la conjonction de trois élé-ments constitutifs [MUCCHIELLI, 2006]. Le premier est bien entendu l’existence de phé-nomènes de délinquance pas uniquementjuvénile. Ces phénomènes doivent être suffisam-

ment nombreux pour alimenter la chroniquequotidienne des faits divers. Mais comme onne connaît aucune époque de l’histoire dumonde industriel où il n’en a pas été ainsi, cecine suffit pas à distinguer les périodes sécuri-taires. Il faut aussi que ces phénomènes bienréels soient déformés par une dramatisation[HILGARTNER, BOSK, 1988], présentés commeexceptionnellement graves, plus nombreux,plus violents, etc. Le deuxième élément tient àl’instrumentalisation politique de ces phéno-mènes délinquants [BONELLI, 2008 ; MUCCHIELLI,dir., 2008]. Le débat sur « l’insécurité » est tou-jours porté par des acteurs politiques qui pen-sent y trouver un intérêt électoral, au plan natio-nal comme au plan local. Ce sont d’abord despartis politiques, mais parfois aussi des groupesde pression qui peuvent chercher à dramatiserles problèmes pour promouvoir leur «cause».Enfin, le troisième élément est la mise en scènemédiatique quotidienne de cette délinquance,soit par le biais des faits divers soudainementtransformés en faits de société [SECAIL, 2010],soit en offrant une caisse de résonnance per-manente aux effets d’annonce politiquesrelayés sans distance d’analyse. Parmi ces troiscomposantes, l’élément politique est moteur. Ilfaut donc partir de celui-ci pour analyser lapériode dans laquelle nous sommes plongés.

ComprendreLes Cahiers n° 155

Les villes face à l’insécurité

Le thème de « l’insécurité » dans la société française

Les « jeunes des cités », figure de dangerosité supposéeautour de laquelle se cristallise le débat actuel sur l’insécurité.

Laurent Mucchielli(1)

CNRS - Cesdip

Loin d’être une spécificitécontemporaine, le thème de « l’insécurité » a, par le passé, déjà dominé le débat public en France.Après avoir resurgi dans la secondemoitié des années 1970, il s’estnéanmoins installé de manière inéditesur la scène politico-médiatique depuis le début des années 1990.Pour quelles raisons?

6

M.Lacom

be/IAU îdF

(1) Directeur de recherches au CNRS, Centre de recherchessociologiques sur le droit et les institutions pénales (Cesdip,UMR 8183 : CNRS-ministère de la Justice-Université VersaillesSaint-Quentin), Guyancourt, France. Courriel : [email protected]. Site : www.laurent-mucchielli.org

IAU île

-de-F

rance

Page 9: Les villes face à l'insécurité. Cahier n° 155€¦ · N° 155 - juin 2010 trimestriel - 18 € ISSN 0153-6184  Les villes face à l’insécurité IAU île-de-France

Le retour de « l’insécurité » dans la seconde moitié des années 1970À la fin des années 1960, les guerres de décolo-nisation sont terminées, la Guerre froide estapaisée, les enjeux nationaux redeviennentcentraux dans le débat politique. Aprèsmai 1968, à côté du parti communiste, lagauche est éclatée en d’innombrables organisa-tions concurrentes et la droite gaulliste peutgouverner au centre droit. En 1969, GeorgesPompidou est élu facilement à la présidencede la République et nomme Jacques Chaban-Delmas Premier ministre. Ce dernier prononceun retentissant discours sur la « nouvellesociété» qu’il souhaite «prospère, jeune, géné-reuse et libérée». On est bien dans l’après 1968,et le gaullisme présente aussi une aile gauche.La croissance économique industrielle est àson apogée, de même que la «société salariale»et l’« État- providence ».La situation politique change toutefois à partirde 1971, avec la création du parti socialiste et laprise de pouvoir par François Mitterrand, parti-san de l’union de la gauche. En 1974, Valéry Giscard d’Estaing est élu président de la Répu-blique avec seulement 50,8 % des suffragesexprimés. Passé « l’état de grâce» et les grandesréformes libérales, son projet de gouverner aucentre va être pris entre deux feux : d’une partla montée continue de la gauche (et surtoutdu parti socialiste), d’autre part le durcissementde la droite après la démission de Jacques Chirac de son poste de Premier ministre en1976 et la création du RPR. Pour s’affirmercontre le parti de Valéry Giscard d’Estaing, leRPR va prendre des positions anti-européenneset sécuritaires, avant d’investir le thème de l’im-migration après 1981.Cette évolution politique est décisive. En effet,en matière de sécurité intérieure, ce qui préoc-cupe l’État depuis les années 1960 n’est pas lamontée des vols et cambriolages qui touchentles particuliers, mais le maintien de l’ordre faceaux grèves et aux manifestations qui dégénè-rent parfois (dès cette époque, on dénonce les«casseurs»). Toutefois, le débat politique se radi-calise dans la seconde moitié des années 1970avec, pour point d’orgue, la longue discussionparlementaire sur la loi Sécurité et libertés, pré-sentée par le garde des Sceaux Alain Peyrefitteen 1980. Ce dernier s’appuie en partie sur lestravaux du Comité d’études qu’il a présidé etqui a publié en 1977 un rapport alarmiste(«Réponses à la violence(2) ») dénonçant une«soudaine montée de la violence en France» etestimant qu’«un sentiment d’insécurité géné-rale est apparu». La loi Sécurité et liberté estadoptée malgré l’opposition forte de la gauchequi l’abrogera en 1981.Le thème de l’insécurité s’est donc réinstallé

dans la vie politique et ne la quittera plus, d’au-tant qu’en 1983-1984, l’extrême droite a resurgisur la scène électorale. Le thème n’a cessé,depuis lors, d’être utilisé du côté droit de l’échi-quier politique dans les campagnes électorales,depuis les élections législatives de 1986 jusqu’àce jour, en passant bien entendu par l’électionprésidentielle de 2002. Il déborde même lesélections nationales pour s’étendre aux élec-tions locales, comme les municipales de 2001[FERRET, MOUHANNA, 2005], ou tout récemmentles régionales de 2010. Les années 2002-2010,marquées par la domination politique de ladroite au plan national, ont enfin vu ce thèmeenvahir le débat public en dehors des périodesélectorales, sous le coup notamment d’une acti-vité législative quasi permanente [MUCCHIELLI,dir., 2008] et d’une série ininterrompue d’alertespolitiques lancées sur les bandes de jeunes, surles violences à l’école, sur les violences conju-gales, sur la circulation des armes à feux, etc.Comment expliquer cette omniprésence iné-dite du thème de « l’insécurité» ?

Un débat politico-médiatique de plus en plus monocordeLes dénonciations fréquentes du rôle desmédias reposent le plus souvent sur un constatjuste, mais insuffisant : le goût du spectacle etdes faits divers, la recherche de la sensation etde l’indignation, l’impératif du « faire court » etde la « réactivité », au détriment de l’enquête,de l’analyse et de l’explication. Le constat est

7

(2) Rapport à Monsieur le président de la République pré-senté par le Comité d’études sur la violence, la criminalité etla délinquance, juillet 1977.

Le débat sur l’insécurité n’est pasune spécificité de notre époque.Extrait du quotidien Le Petit Journal,juin 1901.©

Roger ViolletIA

U île-de

-Fran

ce

Page 10: Les villes face à l'insécurité. Cahier n° 155€¦ · N° 155 - juin 2010 trimestriel - 18 € ISSN 0153-6184  Les villes face à l’insécurité IAU île-de-France

indéniable, mais ne dit rien des raisons d’unetelle évolution. En réalité, il semble que lemétier de journaliste traverse une crise. À la« tyrannie de l’Audimat » s’ajoutent des phéno-mènes de concentration industrielle, d’emprisecroissante du politique, de réduction du lecto-rat pour la presse écrite payante, de précarisa-tion des formes d’emploi [NEVEU, 2004]. Par ail-leurs, en particulier depuis le début des années1990, les journalistes sont confrontés à au moinsdeux phénomènes d’ampleur nouvelle quicontribuent à appauvrir plus encore le débatsur la sécurité :- la place prise par la communication dans lefonctionnement de l’ensemble des organisa-tions qui structurent la vie sociale. Toutegrande entreprise, toute organisation poli-tique, tout grand service de l’État soigne dé-sormais sa communication afin de « faire pas-ser des messages » voire de « raconter lesbelles histoires» de son choix [SALMON, 2007].Et cette communication prend d’autant plusd’importance dans la production de l’infor-mation que les journalistes perdent parallèle-ment toute capacité d’enquête. En termesconcrets, convoqués à des «conférences depresse», les journalistes se voient remettre des«dossiers de presse» qui offrent l’information«clefs en main» ;- la disparition croissante du débat politiquecontradictoire. Comment organiser un débatlorsque les participants disent tous plus oumoins la même chose ? En effet, les années1990 ont été celles de la « conversion à lasécurité » de la gauche, et surtout du partisocialiste. Après en avoir fait la seconde prio-rité de son gouvernement en 1997 (colloquede Villepinte), le Premier ministre Lionel Jos-pin finira par « s’excuser de sa naïveté» dans

la lutte contre « l’insécurité » lors de la cam-pagne présidentielle de 2002, manifestantainsi une sorte de soumission intellectuelleface aux arguments de ses adversaires. Or, dèslors qu’il n’y a plus vraiment de débat contra-dictoire, il n’est plus non plus besoin d’inves-tiguer très en profondeur pour bâtir analyse,explication et propositions. La droite pourraalors transformer l’essai en interdisant mora-lement toute remise en question de sa poli-tique sécuritaire. Ce que résume la formulede Nicolas Sarkozy après 2002 : «À force devouloir expliquer l’inexplicable, on finit parjustifier l’injustifiable ». Le débat public, en2010, ne s’en est toujours pas remis.

Sentiment d’insécurité, vulnérabilités et lien socialCela étant, la question ne serait pas aussi pré-sente sur les agendas nationaux et locaux sielle ne rencontrait pas, sinon une «demandesociale de sécurité », du moins un « sentimentd’insécurité ».Dans un débat public dominé par les représen-tations manichéennes du discours politicien,on entend souvent dire que « l’insécurité » soits’oppose au « sentiment d’insécurité », soit s’ysuperpose. Les choses sont plus compliquées(3).Les enquêtes montrent que le sentiment d’insé-curité exprime autre chose que la seule expé-rience de la victimation, il exprime d’abord unevulnérabilité. La peur est ainsi liée à l’âge (lespersonnes âgées), au sexe (les femmes) et auniveau social (la précarité). Par ailleurs, lesenquêtes indiquent que, s’agissant de leur quar-tier, la peur d’une partie de nos concitoyens estalimentée par ce qui leur apparaît comme dessignes extérieurs de désordre et d’abandon :d’abord le bruit, la saleté, les tags, les dégrada-tions, ensuite les regroupements de jeunes etla présence de drogue. La peur est ainsi plusforte chez les habitants des quartiers populairesoù sont concentrés ces signes.Plus profondément, cette vulnérabilité noussemble liée à l’évolution de nos modes de vieen général, et à leurs conséquences sur les lienssociaux et les solidarités de proximité. Histori-quement, le sentiment d’insécurité apparaîtcomme une composante de l’anonymat et dela solitude de la ville, par opposition à l’inter-connaissance et à la solidarité communautairedu village rural : en ville, ne pas connaître sesvoisins est courant et l’anonymat est la règledans les transports en commun. Dès lors la soli-darité (y compris face au vol ou à l’agression)

ComprendreLes Cahiers n° 155

Le thème de « l’insécurité » dans la société française

8

(3) On utilise notamment dans cette section les enquêtessur la victimation et le sentiment d’insécurité réalisées par l’IAU îdF : http://www.iau-idf.fr/nos-etudes/themes/theme/surete-securite.html

Le thème de « l’insécurité » est omniprésent

dans le débat public. Affiche du film DELITS FLAGRANTS de RAYMOND DEPARDON

©Palmeraie et désert avec l’aimable autorisation de Palmeraie et désertIA

U île-de

-Fran

ce

Page 11: Les villes face à l'insécurité. Cahier n° 155€¦ · N° 155 - juin 2010 trimestriel - 18 € ISSN 0153-6184  Les villes face à l’insécurité IAU île-de-France

ne fonctionne plus. Depuis plusieurs décennies,l’urbanisation se poursuit en raison non pas del’accroissement de la taille des grandes villes,mais du développement de la périurbanisationdans les zones anciennement rurales à proxi-mité des métropoles. Ces modes de vie périur-bains séparent toujours plus le lieu d’habitatfamilial du lieu de travail et souvent des équi-pements scolaires et des lieux de consomma-tion (loisirs, hypermarchés, etc.). Souvent ano-nyme, la vie périurbaine ne s’accompagneguère de reconstruction de dynamiques com-munautaires.Si ce point semble capital, c’est parce qu’ilexplique à la fois l’une des origines les plus pro-fondes du sentiment d’insécurité et du proces-sus de judiciarisation qui traversent toute lasociété française. Selon qu’ils surviennent dansun univers où l’interconnaissance leur donnedu sens, les personnifie et en limite la portée, oubien dans un univers anonyme, impersonnel etperçu comme menaçant, les désordres et lesviolences n’ont pas le même statut ni lesmêmes répercussions sociales [MUCCHIELLI,2008]. Autant, sinon plus, que le marketing du« risque zéro», l’élévation des niveaux de vie etdes exigences d’une partie des habitants, ou levieillissement de la population, ce sont proba-blement cet anonymat et cet isolement desindividus et des familles qui les rendent de plusen plus vulnérables face à des risques d’acci-dents de la vie ou de délinquance qui, globale-ment, ne sont pourtant pas plus nombreux niplus graves depuis le début des années 1990.Une récente recherche sur les mineurs auteursde violences (verbales, physiques ou sexuelles)l’a montré : l’augmentation du nombre d’af-faires traitées par la justice ne correspond nul-

lement à une aggravation des problèmes. Aucontraire, elle est due à la judiciarisation d’af-faires de faible gravité, telles que des bagarresde cours de récréation, des insultes à ensei-gnants, des querelles familiales ou de voisinage[LE GOAZIOU, MUCCHIELLI, 2009]. Autant de faits eneux-mêmes bénins et classiques, mais que lesadultes n’ont pas été en mesure de gérer defaçon infra-judiciaire. Telle est l’évolution pre-mière des vingt dernières années, la secondeétant la poursuite d’un processus de ghettoïsa-tion touchant certains territoires bien particu-liers qui concentrent une «délinquance d’ex-clusion», liée d’abord à l’absence d’insertionsocio-économique d’une partie de la jeunesse.Concluons en signalant que cette situationinterroge directement les politiques locales deprévention et de sécurité en ce qu’elles cher-chent aussi à répondre au sentiment d’insécu-rité. Se contenteront-elles de rassurer la popula-tion par la visibilité d’une présence policièreet d’une vidéosurveillance qui, pourtant, dépla-cent les problèmes au lieu de les résoudre, oubien prendront-elles au sérieux cette questiondu lien social pour aider à reconstruire des soli-darités communautaires, à sortir les acteurs deleur isolement et, par ailleurs, pour favoriser l’in-sertion socio-économique sans laquelle nul nepeut avoir le sentiment d’être un citoyen res-pectable et ne peut en retour respecter lesbiens communs de la collectivité ?

9

Références bibliographiques

• BONELLI Laurent, La France a peur. Une histoire sociale de l’insécurité,Paris, La Découverte, 2008.

• FERRET Jérôme, MOUHANNA Christian, Peurs sur les villes, Paris, PUF, 2005.

• HILGARTNER Stephan, BOSK Charles, «The Rise and Fall of Social Problems : a Public Arena Model », American Journalof Sociology, vol. 94, n° 1, 1988.

• KALIFA Dominique, L’encre et le sang.Récits de crime et société à la Belle Époque,Paris, Fayard, 1995.

• LE GOAZIOU Véronique, MUCCHIELLILaurent, La violence des jeunes enquestion, Nîmes, Champ social, 2009.

• MUCCHIELLI Laurent, « La violence des jeunes : peur collective et paniques morales au tournant du XXe et du XXIe siècles », dans LEVY René,MUCCHIELLI Laurent, ZAUBERMAN Renée,dir., Crime et insécurité : un demi-siècle de bouleversements, Paris, L’Harmattan,2006.

• MUCCHIELLI Laurent, «Une société plusviolente ? Une analyse socio-historiquedes violences interpersonnelles en France, des années 1970 à nos jours », Déviance et société,vol. 32, n° 2, 2008.

• MUCCHIELLI Laurent, dir., La frénésie sécuritaire. Retour à l’ordre et nouveau contrôle social, Paris, La Découverte, 2008.

• NEVEU Erik, Sociologie du journalisme,Paris, La Découverte, 2004.

• ROBERT Philippe, L’insécurité en France,Paris, La Découverte, 2002.

• SALMON Christian, Storytelling. La machineà fabriquer des histoires et à formater les esprits, Paris, La Découverte, 2007.

• SECAIL Claire, Le crime à l’écran, Paris,Ina/Nouveau Monde éditions, 2010.

Le sentiment d’insécurité semble lié à l’affaissement des solidaritésde proximité dans la ville et ses extensions périurbaines.P.

Guignard/Air-images.net/IAU îdF

IAU île

-de-F

rance

Page 12: Les villes face à l'insécurité. Cahier n° 155€¦ · N° 155 - juin 2010 trimestriel - 18 € ISSN 0153-6184  Les villes face à l’insécurité IAU île-de-France

La délinquance et la criminalité consti-tuent un champ d’investigation privilé-gié pour la sociologie qui s’intéresse plus

largement aux phénomènes de « déviance ».Cette notion sert à désigner les écarts auxnormes sociales, les actes de transgression dansleur diversité, qu’il s’agisse d’infractions aux loisou d’atteintes aux règles communémentadmises. Pour expliquer ces phénomènes, lasociologie se concentre sur les facteurs d’or-dre social. Elle propose néanmoins plusieursgrilles de lecture de la déviance et de la délin-quance. Par commodité, on peut dégager sixprincipales perspectives théoriques.

Perspective classique : le défautd’intégration et de contrôle socialDans la tradition d’Émile Durkheim(1), l’ap-proche classique insiste sur le fonctionnementde la société dans son ensemble: les problèmesde déviance et de délinquance résultent d’undéfaut d’intégration et de régulation sociale. Ilssurviennent quand le sentiment d’apparte-nance à la collectivité est trop ténu, le liensocial trop lâche et l’encadrement moral insuf-fisant, quand les instances de socialisation etde contrôle sont défaillantes. Dès lors, les indi-vidus se trouvent livrés à eux-mêmes et les bar-rières normatives tombent ; la société ne par-vient pas à limiter les pulsions des individus,elle souffre d’une absence de repères (ano-mie). Les thèmes récurrents de la démissionparentale, de la démobilisation éducative, del’inefficacité policière et du laxisme judiciaire

illustrent, dans le débat public actuel, cette idéede crise morale.

Perspective culturaliste : la socialisation différentielleL’approche culturaliste souligne combien lemilieu socioculturel conditionne les comporte-ments délinquants. Elle s’inscrit peu ou proudans la mouvance des études de sociologieurbaine menées par l’École de Chicago dans lapremière moitié du XXe siècle. Le constat dedépart concerne la distribution spatiale de ladélinquance. Dans les grandes villes améri-caines de l’époque, celle-ci se déploie dans lazone située entre le quartier central des affaireset les banlieues résidentielles. Ces espaces inter-stitiels forment une ceinture de pauvreté où seconcentrent les populations d’immigrationrécente. Ils constituent le territoire des gangs(2)

et délimitent des «aires de délinquance»(3) mar-quées par la désorganisation sociale, le délite-ment des formes conventionnelles de contrôle,l’affaissement des solidarités et l’instabilité desrepères normatifs(4).

ComprendreLes Cahiers n° 155

Les villes face à l’insécurité

Comprendre la délinquance : les cadres d’analyse sociologique

La déviance, notion centrale en sociologie, désigne toutcomportement qui échappe aux règles admises par la société.

Virginie MalochetIAU île-de-France

Les grilles de lecture que la sociologie propose pour comprendre les phénomènes de déviance et de délinquance sont plurielles. Crise morale, influencedu milieu, inégalités sociales,processus d’étiquetage, rapports de domination, choix rationnel : cet article dresse un panoramasynthétique des principaux cadresd’analyse sociologiques de la dévianceet de la délinquance.

10

S. Scherer/IAU îdF

(1) DURKHEIM Émile, Le suicide. Étude de sociologie [1897],Paris, PUF, 1969.(2) TRASHER Frederic Milton, The Gang. A Study of 1313 Gangsin Chicago [1927], Chicago, The University of Chicago Press,1968.(3) SHAW Clifford, MAC KAY Henry, Juvenile Delinquency andUrban Areas, University of Chicago Press, Chicago, 1942.(4) THOMASWilliam, ZNANIECKI Florian, Le paysan polonais enEurope et en Amérique, Récit de vie d’un migrant [Chicago1919], Paris, Nathan, 1998.

IAU île

-de-F

rance

Page 13: Les villes face à l'insécurité. Cahier n° 155€¦ · N° 155 - juin 2010 trimestriel - 18 € ISSN 0153-6184  Les villes face à l’insécurité IAU île-de-France

L’explication par les conflits de culture estparallèlement mobilisée pour analyser lesdéviances dans ces quartiers multiculturels. Ellemet l’accent sur la variabilité des règlesmorales, sur les contradictions objectives quipeuvent exister entre les normes du pays d’ori-gine et celles du pays d’accueil(5). Elle se rap-porte aussi à l’interprétation subjective que lespersonnes issues de l’immigration ont de leurculture d’origine à travers le regard des autres.Lorsqu’elles ont le sentiment d’appartenir àune communauté disqualifiée, la délinquancepeut être une façon d’exprimer ces conflits decultures(6).Dans ces «aires de délinquance», tous les habi-tants ne sont cependant pas délinquants. Pourcomprendre pourquoi certains le deviennentet d’autres pas, Edwin H. Sutherland développeune théorie de la transmission culturelle : lecomportement délinquant est appris au seind’un groupe restreint de relations personnelles.L’individu y acquiert les techniques pour com-mettre des infractions, mais aussi les attitudes etmanières de voir défavorables au respect deslois. Autrement dit, il devient délinquant parcequ’il s’associe à des modèles délinquants(7).

Perspective «mertonienne» : inégalités sociales et frustrationLa question que soulève Robert K.Merton autournant des années 1950 n’est pas tant celle del’intégration culturelle que celle de l’intégra-tion socioéconomique et de l’inégalité desperspectives d’accomplissement selon lesmilieux sociaux. Les voies légitimes d’insertion(école, travail, etc.) ne permettent pas à tousd’accéder de manière égale, et légale, à la réus-site sociale. Aussi les moins favorisés sont-ilstentés d’emprunter des voies interdites pour yparvenir. Mais s’ils recourent à des moyens illé-gitimes, c’est bien parce qu’ils adhèrent aumodèle culturel dominant, dans le but de s’yconformer. En ce sens, la délinquance peut s’ap-parenter à un mode d’adaptation innovateurpour pallier les inégalités sociales(8).En d’autres termes, les aspirations se heurtentaux possibilités réellement offertes par lasociété. Cette disjonction entre les objectifs etles moyens alimente les frustrations indivi-duelles et génère des phénomènes dedéviance. Pour Albert K. Cohen, c’est ce senti-ment d’injustice sociale qui conduit les jeunesdes classes défavorisées à se réfugier dans lasous-culture délinquante des bandes. Non-utili-taires et malintentionnées, leurs conduitesobéissent à un principe d’opposition systéma-tique aux normes établies(9). Selon RichardA. Cloward et Llyod E. Ohlin, l’univers de ladélinquance n’est toutefois pas homogène. Ilrevêt plusieurs formes, plus ou moins codifiées

ou désordonnées. Effectivement, n’intègre pasle milieu de la criminalité organisée qui veut. Sil’accès aux moyens conventionnels est inégal,l’accès aux moyens illégitimes l’est toutautant(10).

Perspective interactionniste : la réaction socialeLes théories interactionnistes de la déviances’intéressent moins à l’acte commis qu’à laréaction sociale qu’il suscite. Elles considèrentqu’une conduite ne devient pleinementdéviante qu’à partir du moment où elle estpubliquement désignée et traitée commetelle(11). Ce qui importe, c’est le jugement del’acte dans l’interaction, « l’application par lesautres de normes et de sanctions à un trans-gresseur». Avec Howard S.Becker, on peut ainsidire que « le déviant est celui auquel cette éti-quette a été appliquée avec succès(12).» Les fron-tières entre déviance et conformisme ne tien-nent donc pas tant aux caractéristiques desindividus qu’à leur exposition différentielle àla réaction. Une fois étiquetés comme déviants(même à tort), il leur devient plus difficile depoursuivre leurs activités quotidiennes dans lanormalité. La stigmatisation a ceci de pervers

11

(5) SELLIN Thorsten, Conflits de culture et criminalité, [1938],Paris, Pédone, 1984.(6) WIRTH Louis, Le ghetto, [1928] Grenoble, PUG, 1980.(7) SUTHERLAND Edwin Hardin, CRESSEY Donald Ray, Principesde criminologie [1939], Paris, Cujas, 1966.(8) MERTON Robert King, Éléments de théorie et de méthodesociologique [1938], Paris, Arnaud Colin, 1997.(9) COHENAlbert K., Delinquent Boys. The Culture of the Gang,Glencoe, The Free Press, 1955.(10) CLOWARD Richard Andrew, OHLIN Lloyd Edgar, Delinquencyand Opportunity, Glencoe, The Free Press, 1960.(11) LEMERT Edwin, Human Deviance, Social Problems andSocial Control, Englewoods Cliffs, Prentice Hall, 1967.(12) BECKER Howard Saul, Outsiders. Études de sociologie dela déviance [1963], Paris, Métailié, 1985.

C’est à Chicago, dans la premièremoitié du XXe siècle, qu’est né tout un courant de sociologie urbaine auquel les analyses de la délinquance font aujourd’hui encore référence.

Margan Zajdowicz/sxc.hu

IAU île

-de-F

rance

Page 14: Les villes face à l'insécurité. Cahier n° 155€¦ · N° 155 - juin 2010 trimestriel - 18 € ISSN 0153-6184  Les villes face à l’insécurité IAU île-de-France

qu’elle affecte l’identité sociale de ceux qui ensont victimes et favorise leur enracinementdans la déviance(13). Dans cette perspective, l’en-gagement dans une carrière délinquante doitêtre envisagée comme l’aboutissement d’unprocessus dynamique d’interactions.

Perspective critique : les rapports de dominationLes théories relevant de la criminologie critiqueen vogue dans les années 1970 ont pour pointcommun de se centrer sur les rapports de pou-voir et de domination. De ce point de vue, ladélinquance est le produit d’un système écono-mique et politique fondamentalement inégali-taire. Les élites bourgeoises accaparent lecontrôle des institutions et imposent auxclasses dominées un ordre tenu pour seul légi-time dont la finalité est de maintenir chacundans sa position. Les délinquants sont considé-rés comme des victimes de cet ordre social,des sujets oppressés qui, par leurs actes trans-gressifs, manifestent leur opposition et luttentpour une impossible reconnaissance. EnFrance, cette pensée radicale s’est notammentillustrée au travers des travaux de Michel Fou-cault sur la prison(14), de Robert Castel sur lapsychanalyse(15) ou de Jacques Donzelot sur lapolice des familles(16) : chacune dans sondomaine, les différentes institutions de contrôlesocial sont accusées d’imposer un pouvoir nor-malisateur et de concourir au dispositif d’assu-jettissement des individus.

Perspective actionniste : le choix rationnelLa perspective actionniste propose une touteautre vision, dans la lignée des théories écono-miques utilitaristes : le fait délinquant résulted’une décision rationnelle prise par un individuqui cherche à satisfaire ses intérêts et choisit lesmoyens les mieux adaptés pour obtenir lesbiens qu’il convoite. Avant de passer à l’acte, ilpèse le pour et le contre, considérant le risqued’être empêché, arrêté et puni. De ce point devue, les activités délinquantes répondent auxmêmes logiques que les autres activités de lavie courante. Elles sont notamment fonction desopportunités délinquantes, définies comme « laréunion en un lieu et à un moment donné descirconstances matérielles favorables à la réus-site d’un délit(17) ». A minima, il faut qu’il y aitune cible attractive pour le délinquant potentielet que cette cible soit mal protégée(18). Cetteapproche insiste donc sur l’idée que le déviantest un acteur ordinaire qui fait des choix ens’adaptant au contexte. Centrée sur les préda-tions, elle échoue cependant à rendre compted’un certain nombre d’actes délinquants, ceuxqui semblent irréfléchis, gratuits, impulsifs, ceux

qui ont une dimension symbolique ou protesta-taire, en somme tous ceux qui ne relèvent pasd’une pure rationalité instrumentale.

Au terme de ce rapide panorama, force est desouligner la portée relative des théories socio-logiques de la déviance. Chacune permet decomprendre un spectre plus ou moins large deconduites, de dévoiler certaines de leurs causesmultiples, mais aucune n’a de valeur explicativetotale tant les phénomènes de délinquancesont complexes à décrypter dans leur ensem-ble. Aussi n’y a-t-il pas forcément d’incompatibi-lité entre ces différentes approches qui souventse complètent plus qu’elles ne s’opposent. Dansle fond, les controverses portent surtout sur lesconclusions politiques qu’il est possible d’entirer pour l’action publique.Les théories du choix rationnel préconisent dejouer sur les paramètres de la situation dans lebut de décourager le passage à l’acte délin-quant. Les politiques qui en dérivent reposentd’une part, sur le raffermissement des sanctionspour accroître les coûts du délit, d’autre part,sur le renforcement des mesures de protectionpour réduire les opportunités délinquantes.Assurément, ce sont des répertoires d’actiondans lesquels puisent massivement les pouvoirspublics aujourd’hui. Le durcissement pénal etla prévention situationnelle ont cependantleurs limites. S’ils visent à impacter les circons-tances propices à la commission d’infractions,ils n’affectent en rien les raisons profondes quipoussent un individu à se tourner vers la délin-quance, quels que soient les risques encourus.Les théories fondées sur des explications plusproprement sociales invitent à développer despolitiques préventives dont l’objectif est juste-ment de s’attaquer aux problèmes à la source,en misant sur l’éducation, l’accès à l’emploi, lalutte contre les discriminations, l’animation desquartiers, la mobilisation des populations, etc.À l’évidence, ce sont des politiques de plus longterme, plus difficiles à mettre en œuvre, maiselles seules peuvent permettre d’infléchir lesmécanismes sociaux générateurs de délin-quance. S’il peut être utile de traiter les symp-tômes, il importe aussi, et surtout, d’agir sur lescauses véritables des problèmes.

ComprendreLes Cahiers n° 155

Comprendre la délinquance : les cadres d’analyse sociologique

12

Références bibliographiques

• FAGET Jacques, Sociologie de ladélinquance et de la justice pénale,Ramonville St-Agne, Erès, 2002.

• MAUGER Gérard, Sociologie de ladélinquance juvénile, Paris, LaDécouverte, 2009.

• MUCCHIELLI Laurent, « La déviance :normes, transgression etstigmatisation», Sciences humaines,n° 99, 1999.

• OGIEN Albert, Sociologie de la déviance,Paris, Arnaud Colin, 1995.

(13) GOFFMAN Erwing, Stigmate. Les usages sociaux des han-dicaps [1963], Paris, Éditions de Minuit, 1975.(14) FOUCAULT Michel, Surveiller et punir, Paris, Gallimard, 1975.(15) CASTEL Robert, Le psychanalysme, Paris, Maspéro, 1973.(16) DONZELOT Jacques, La police des familles, Paris, Éditionsde Minuit, 1977.(17) CUSSON Maurice, Croissance et décroissance du crime,Paris, PUF, 1990.(18) COHEN Lawrence E., FELSON Marcus, «Social Change andCrime Rates Trend : a routine activity approach», AmericanSociological Review, vol. 44, 1949.

Surveiller et punir, ouvrage majeurde Michel Foucault sur la naissancede la prison, a profondémentmarqué la pensée critiquecontemporaine.

Luke Partridge/sxc.hu

IAU île

-de-F

rance

Page 15: Les villes face à l'insécurité. Cahier n° 155€¦ · N° 155 - juin 2010 trimestriel - 18 € ISSN 0153-6184  Les villes face à l’insécurité IAU île-de-France

Seule une observation de l’évolution desdélinquances sur le long terme permetde dégager des tendances. On se réfèrera

d’abord aux statistiques de police(2) qui exis-tent depuis 1950. Mais comme une source neprend sens que confrontée à d’autres, on mobi-lisera aussi les enseignements des enquêtes devictimation(3), des recherches sur le « coût ducrime», des enquêtes sur la consommation deproduits prohibés, et d’autres statistiquespubliques comme celles relatives aux causesde décès.

Vols et cambriolages : un risque fort répanduLe trait le plus marquant de ce grand demi-siècle est constitué par une véritable explosiondes vols et cambriolages entre 1960 et 1985, sui-vie par une stagnation, voire une érosion, à unniveau toujours très élevé dans le dernier quartde siècle.Les enquêtes nationales de victimation [ROBERTet al., 2008 ; ZAUBERMAN et al., 2009 ; MICELI et al.,2009] font découvrir des ordres de grandeurbien plus élevés encore, en raison de la pro-pension variable des victimes à rapporter leurvictimation à la police ou à la gendarmerie ;elles confirment aussi une tendance globale àl’érosion en seconde partie de période.Pour le moment de fort accroissement – 1960-1985 – on ne dispose pas d’enquêtes de victi-mation. On peut montrer cependant que lagénéralisation de l’assurance vol se situe en finde période, qu’elle ne peut donc être la causede la croissance observée. L’effondrement destaux d’élucidation par la police de ce type dedélinquance permet d’exclure l’hypothèsed’une plus grande vigilance policière en lamatière. Par déduction, l’accroissement enre-gistré dans la statistique officielle semble tra-

ComprendreLes Cahiers n° 155

Les villes face à l’insécurité

L’évolution des délinquances sur le long terme

Les villes sont exposées au développement d’une petite violence.

Philippe Robert(1)

CNRS - Cesdip

Les chiffres de la délinquancealimentent abondamment le débatpublic. Mais que nous révèlent-ils ?Seule une observation sur le longterme permet de dégager destendances. En croisant les statistiquespolicières avec les autres donnéesdisponibles, Philippe Robert nous dresse un panorama de l’évolution des délinquances de 1950 à nos jours.

13

O. Pasquiers/Le Bar Floréal/IAU îdF

(1) Directeur de recherches émérite au CNRS, Centre derecherches sociologiques sur le droit et les institutionspénales (université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines,CNRS, ministère de la Justice).(2) Produites pour la police et la gendarmerie par la direc-tion centrale de la police judiciaire (DCPJ) du ministère del’Intérieur sur la base d’un état dit «4001».(3) Introduites en France à partir du milieu des années 1980.

Taux pour 10 000 habitants

10

100

1 000

19501954

19581962

19661970

19741978

19821986

19901994

19982002

2006

vols infractions économiques autres (ordre public, stupéfiants) atteintes aux personnes

Sourc

e : M

inistè

re de

l’Inté

rieur

Évolution des taux de crimes et délits entre 1950 et 2008

Échelle semi-logarithmique

Note : La série «ordre public & stupéfiants» présente une importante rupture en 1963

probablement due aux réajustements occasionnés par le transfert en contraventions de

5e classe d’une série de délits exclus désormais de la statistique policière.

IAU île

-de-F

rance

Page 16: Les villes face à l'insécurité. Cahier n° 155€¦ · N° 155 - juin 2010 trimestriel - 18 € ISSN 0153-6184  Les villes face à l’insécurité IAU île-de-France

duire une plus grande fréquence du nombrede vols et de cambriolages. On y lit générale-ment un effet latéral de l’entrée dans unesociété de consommation qui crée de fortestensions chez ceux qui n’y ont pas ou malaccès.Les enquêtes de victimation confirment un trèsfaible taux d’élucidation qui confine à l’aban-don du traitement de ce contentieux par lesinstitutions policières.

Les atteintes aux personnes : le développement d’une petite violenceSi l’on en vient maintenant aux atteintes contreles personnes, la statistique policière suggèreune croissance qui commence à devenir sensi-ble à partir du milieu des années 1980 et qui sepoursuit sans relâche depuis, tout en demeu-rant à des niveaux plus modestes que celui oùse situent les délinquances contre les biens.Pour les homicides, la statistique policière laisseà voir un ordre de grandeur très faible qui aplutôt tendance à s’éroder depuis le milieu desannées 1980. La statistique sanitaire des causesde décès enregistre des pointes dans les années1940 et autour de 1960 avec la fin de la décolo-nisation, un léger soubresaut dans lesannées 1970 et 1980, et une tendance à l’éro-sion par la suite.Pour le reste, la statistique policière n’a pas suse protéger des perturbations suscitées par desinitiatives législatives à répétition qui sontvenues élargir considérablement le champ dudélit de coups et blessures volontaires au-delàde sa définition du début des années 1980.Quand bien même la violence n’aurait pas aug-

menté, cette statistique aurait cependant crûmécaniquement par l’effet de ces interventionsdu législateur. Il faut donc chercher ailleurs unindicateur pertinent de l’évolution de la délin-quance violente.Pour les violences ayant entraîné une incapa-cité de travail supérieure à huit jours, lesenquêtes de victimation montrent une oscilla-tion à un niveau très faible et sans tendanceclaire.Pour les coups et blessures de moindres consé-quences, elles laissent voir une croissancemodérée depuis le milieu des années 1980, plu-tôt concentrée en début de période.Enfin, elles montrent un niveau très élevé deviolences sans contact physique, telles que lesinjures, les menaces, les rackets, voire les vols àl’arraché simples sans coup ni blessure.Elles montrent aussi que les victimes de vio-lence sont concentrées dans certaines zoneset dans certains groupes d’âge et qu’elles sontsouvent atteintes à répétition.Au total, la statistique policière surestime l’évo-lution de la violence sérieuse et sous-estimecelle d’une violence de basse intensité qui pèsepar son caractère répétitif plutôt que par la gra-vité de chaque acte pris isolément.La propension des agressés à informer la policeou la gendarmerie n’est systématique que dansles cas d’actes violents aux conséquencesgraves ; elle est très faible dans les autres, desorte que la plus grande part des agressions debasse intensité reste ignorée des institutionsofficielles.Le taux d’élucidation par la police est élevépour les agressions physiques qui lui sont rap-portées ; il est très faible quand il s’agit de volsviolents.On lit dans cette évolution de la violence ledéplacement vers une forme plus brutale d’unefraction de la prédation sous l’effet d’une meil-leure protection des logements et des véhi-cules. On y voit aussi une rugosité accrue desrelations sociales.

La délinquance économique etfinancière : une sous-estimation policièreLa statistique policière montre, en matière d’in-fractions économiques, une vive croissancejusqu’en 1980, suivie d’une lente décroissance.Ce mouvement est en partie marqué par la mul-tiplication, puis par la décriminalisation desinfractions en matière de chèques sans provi-sion. Pour le surplus, on trouve peu de termesde comparaison permettant de lui découvrirun sens. Des organismes internationaux et lapresse ont appelé l’attention sur le poids de lacriminalité organisée transfrontières en avan-çant des estimations monétaires faramineuses,mais leur validité a été critiquée, de même que

ComprendreLes Cahiers n° 155

L’évolution des délinquances sur le long terme

14

F. Huijbregts/IAU îdF

Le développement d’une petite violencetémoigne d’une rugosité accrue

des relations sociales.

IAU île

-de-F

rance

Page 17: Les villes face à l'insécurité. Cahier n° 155€¦ · N° 155 - juin 2010 trimestriel - 18 € ISSN 0153-6184  Les villes face à l’insécurité IAU île-de-France

la pertinence qu’il y aurait à confondre délin-quance économique et financière et crimeorganisé [CARTIER-BRESSON et al., 2001]. On dis-pose au mieux d’estimations sectorielles s’agis-sant des secteurs les plus consistants, l’écono-mie de la drogue [KOPP, 2006] en ce quiconcerne le crime organisé, les fraudes contreles finances publiques [PALLE, GODEFROY, 1998]en ce qui concerne la délinquance écono-mique et financière. Ces travaux – souventanciens – avaient montré en tout cas une dis-proportion entre l’importance économique decertains de ces contentieux et la faiblesse deleur enregistrement policier, d’autant que leurtraitement est souvent assuré par d’autresagences, comme le fisc, la douane ou l’Autoritédes marchés financiers (AMF).

Le contentieux routier : une délinquance de masseLes recherches sur « le coût du crime» avaientaussi mis l’accent sur le relief des homicideset blessures par imprudence, singulièrement enmatière d’accidents du travail et surtout de cir-culation routière. Paradoxalement, la statistiquepolicière exclut cette délinquance par impru-dence. On en trouve cependant trace sur le sitedu ministère de l’Intérieur, qui fait apparaîtreun niveau d’infractions six fois plus élevé quele total mentionné par ailleurs dans la statis-tique policière ordinaire. Il est vrai toutefois quecelle-ci exclut de son comptage les contraven-tions, tandis que la statistique relative à la circu-lation routière est composée, en grande partie,de contraventions. Pour autant, le contentieuxroutier enregistre un nombre de délits routiersqui représente, en 2008, 15 % de l’ensemble descrimes et délits ordinaires.Dans cette délinquance de masse, l’élucidationne pose pas de problème. On pourrait choisircomme terme de comparaison le nombre – enchute rapide – de tués et de blessés sur la route:l’amélioration de la sécurité routière constitueen effet le justificatif de ce recours massif auxsolutions pénales en matière de circulation,même si rares sont les infractions au code de laroute qui occasionnent un accident mortel.

Les délinquances d’ordre public : uneforte progression sur la période récenteLe dernier groupe de statistiques policièresconcerne les délinquances d’ordre public. Troisd’entre elles ont pris, ce dernier quart de siè-cle, une importance remarquable.D’abord, l’immigration irrégulière, contrepartiede la fermeture des frontières à partir du milieudes années 1970 quand on est passé d’un mar-ché du travail avide de main-d’œuvre non spé-cialisée à un chômage chronique. Mais il estdifficile d’allier une économie ouverte et des

frontières fermées, surtout quand la pressionmigratoire est fouettée par la désorganisationéconomique des pays du cône sud et aussi del’Est européen. Ici, on peinerait à trouver destermes crédibles de comparaison : toutes lestentatives pour estimer les migrants clandestinsont fait fiasco.Un autre grand contentieux d’ordre publicconcerne la prohibition de produits stupé-fiants. La législation prévoit une criminalisationtant du distributeur que du consommateur,mais c’est l’usage qui représente la plupart desenregistrements policiers. Les termes de com-paraison sont à chercher dans les enquêtes detype auto-reporté du Centre français d’éduca-tion par la santé (CFES), de l’Institut nationalde la santé et des études médicales (Inserm),et enfin de l’Observatoire français des drogueset toxicomanies (OFDT). Si le recours auxautres substances psychoactives prohibées estresté minoritaire, l’usage du cannabis s’est géné-ralisé dans la jeunesse : à 17 ans, près d’un ado-lescent sur deux l’a déjà expérimenté. Si l’oncompare aux substances psychoactives nonprohibées mais seulement gérées par le prix etles campagnes d’information – tabac, alcool –on ne voit pas bien quelle est ici la supérioritéde la répression pénale. On se heurte en fait auredoutable cercle vicieux des prohibitions :quand la loi réprime la distribution d’un pro-duit par ailleurs très demandé, sa distributionclandestine peut être facturée au prix que jus-tifie le risque pris par celui qui brave l’interdit ;elle attire, d’une part, ceux qui font métier degagner de l’argent en contournant l’ordre juri-dique – soit le crime organisé qui trouve dansde telles situations l’occasion de bénéficesimportants –, d’autre part, ceux qui n’ont pasaccès au marché légitime pour se procurer desressources. Par une sorte de paradoxe, la prohi-bition crée la rentabilité de ce qu’elle réprime.Ici, les comptages policiers ne rendent pas dutout compte de la fréquence des comporte-ments, mais seulement de l’intensité d’unerépression qui permet aisément de faire duchiffre.La statistique policière fait encore apparaîtreun autre contentieux d’ordre public en rapidecroissance sur la période la plus récente : lesoutrages et rébellions. Leur croissance traduitune conflictualité élevée dans les rapportsentre les fonctionnaires de police et la popula-tion, notamment les jeunes de quartiers de relé-gation ; elle est aussi le signe d’une judiciarisa-tion accrue de ces conflits [JOBARD, NEVANEN,2007]. À ces deux titres, l’augmentation de cegenre d’affaires manifeste probablement unebaisse de la légitimité reconnue aux institutionspolicières.

15

Références bibliographiques

• CARTIER-BRESSON Jean, JOSSELIN Christelle,MANACORDA Stefano, Les délinquanceséconomiques et financières transnationales et globalisation ; analyses et mesures du phénomène, Paris, Institut des hautesétudes de la sécurité intérieure, 2001.

• JOBARD Fabien, NÉVANEN Sophie,« La couleur du jugement.Discriminations dans les décisionsjudiciaires en matière d’infractions à agents de la force publique (1965-2005)», Revue française de sociologie, vol. 48, n° 2, p. 243-272, 2007.

• KOPP Pierre, L’économie de la drogue,Paris, La Découverte, 2006.

• MICELI Lisa, NÉVANEN Sophie, ROBERT Philippe, ZAUBERMAN Renée,«De l’instantané au long métrage.L’enquête Cadre de vie dans la série des données sur la victimation»,Économie et Statistique n° 426, p.3-28, 2009.

• PALLE Christophe, GODEFROY Thierry, Coûts du crime. Une estimation monétairedes délinquances, 1992-1996,Guyancourt, Centre de recherchessociologiques sur le droit et les institutions pénales (Cesdip), 1998.

• ROBERT Philippe, ZAUBERMAN Renée,NÉVANEN Sophie, DIDIER Emmanuel,« L’évolution de la délinquance d’aprèsles enquêtes de victimation. France,1984-2005», Déviance et société,vol. 32, p. 435-471, 2008.

• ZAUBERMAN Renée, ROBERT Philippe,NÉVANEN Sophie, DIDIER Emmanuel,« L’acteur et la mesure. Le comptage de la délinquance entre donnéesadministratives et enquêtes », Revue française de sociologie,vol. 50, p. 31-62, 2009.

IAU île

-de-F

rance

Page 18: Les villes face à l'insécurité. Cahier n° 155€¦ · N° 155 - juin 2010 trimestriel - 18 € ISSN 0153-6184  Les villes face à l’insécurité IAU île-de-France

Les enquêtes de victimation (victimizationsurveys) consistent à interroger un échan-tillon de personnes issues d’une popula-

tion ciblée sur les faits dont elles ont pu êtrevictimes au cours d’une période donnée. Àl’échelle nationale, régionale ou locale, l’objec-tif est d’améliorer la mesure de la délinquance,en complément des statistiques administratives(policières et judiciaires notamment) dont leslimites bien connues tiennent, entre autresmotifs, à la propension variable des victimes àrapporter les atteintes subies aux autorités offi-cielles. Assurément, de nombreuses infractionséchappent à la connaissance des institutionspénales. Communément appelé «chiffre noir »de la délinquance, le volume de ces faits peutêtre, en partie, apprécié au travers des enquêtesde victimation. Après s’être développées auxÉtats-Unis dans les années 1970, elles sont appa-rues en Europe à partir de la décennie suivante(Angleterre, Pays de Galles, Pays-Bas, Suisse, Cata-logne…) [ZAUBERMAN, 2008]. En France, elles ontété introduites au début des années 1980 par leCentre de recherches sociologiques sur le droitet les institutions pénales (Cesdip). C’est cemême Centre qui a mis au point la méthodolo-gie de l’enquête conduite par l’IAU îdF àl’échelle francilienne.

Une enquête menée à l’échellefrancilienne depuis 2001Depuis 2001, la Région finance effectivementune vaste enquête dite «Victimation et senti-ment d’insécurité en Île-de-France». Il s’agit de

la seule de ce type produite en France àl’échelle d’un territoire régional. Répliquée tousles deux ans, elle permet de suivre l’évolutiondes phénomènes d’insécurité et apporte unesérie d’informations utiles à la conduite despolitiques régionales de sécurité et de préven-tion de la délinquance.

En premier lieu, l’enquête permet d’estimer lesvictimations subies par les Franciliens (y com-pris les simples tentatives) au cours des troisdernières années. Elle fournit des données surla nature et la prévalence des atteintes, lescaractéristiques des populations touchées, lesterritoires les plus exposés, la fréquence desrecours aux services de police, etc. Les victima-tions étudiées se répartissent en deux grandescatégories :- les victimations personnelles : agressionssexuelles, agressions par des proches autresque sexuelles, agressions tout venant (regrou-pant toutes les autres agressions, y comprisles vols avec violence), vols sans violence ;- les atteintes aux biens du ménage : cambrio-lages, vols de voitures, vols à la roulotte, dégra-dations et destructions de véhicules, vols dedeux-roues (motorisés ou non).En second lieu, l’enquête apporte un éclairagesur le sentiment d’insécurité des Franciliens.Suivant la distinction établie par Franck Furs-tenberg [FURSTENBERG, 1971], il s’agit de savoir,d’une part, s’il leur arrive d’avoir peur dans leurenvironnement quotidien, d’autre part, si ladélinquance constitue pour eux un problème

ComprendreLes Cahiers n° 155

Les villes face à l’insécurité

Victimation et sentimentd’insécurité en Île-de-France

La dernière enquête montre que les Franciliens se sentent davantage en sécurité en 2009 qu’en 2001.

Hélène HeurtelIAU île-de-France

L’enquête « Victimation et sentimentd’insécurité en Île-de-France » apporte des éclairages inédits sur la prévalence des atteintes subies,le profil des victimes, les peurs et le niveau de préoccupation pour la délinquance, etc. C’est, en France, la seule enquête de ce type à êtreréalisée à l’échelle d’une région.Reconduite tous les deux ans depuis 2001, elle permet de suivre les évolutions des phénomènesd’insécurité sur le territoire francilien.

16

O. Pasquiers/Le Bar Floréal/IAU îdF

L’enquête «Victimation et sentimentd’insécurité en Île-de-France», données clés :- financée par la Région Île-de-France ;- reconduite tous les deux ans depuis2001, la cinquième enquête ayant étémenée en janvier et février 2009 ;

- questionnaire globalement inchangé sur la période ;

- échantillon de taille importante (tiragealéatoire) : 10500 ménages franciliensinterrogés par téléphone à chaqueenquête ;

- une seule personne par ménage, choisie aléatoirement, est interviewéeparmi les membres âgés de 15 ans et plus qui le composent.

IAU île

-de-F

rance

Page 19: Les villes face à l'insécurité. Cahier n° 155€¦ · N° 155 - juin 2010 trimestriel - 18 € ISSN 0153-6184  Les villes face à l’insécurité IAU île-de-France

préoccupant d’un point de vue moral et poli-tique. L’enquête retient donc deux types d’indi-cateurs pour mesurer le sentiment d’insécuritédes personnes interrogées :- les peurs personnelles éprouvées en diffé-rents lieux, considérant le risque d’être soi-même victime (dans les transports en com-mun, au domicile, dans le quartier le soir) ;- la préoccupation à l’égard de la délinquancecomme problème de société, dont le gouver-nement devrait s’occuper prioritairement,comparé à d’autres problèmes de société(chômage, pauvreté, pollution, sida).Au terme de la cinquième enquête, avec prèsd’une décennie de recul, quels sont les princi-paux résultats à retenir ?

Les principaux résultats de la dernière enquête

Les victimations sont en baisseTous types d’atteintes confondus, le taux de vic-timation(1) révélé par l’enquête de 2009 est leplus bas observé sur toute la période. Il s’établità 48,4 %, ce qui représente une baisse de 5points par rapport à l’enquête de 2001.S’agissant des atteintes aux biens des ménages,on constate une chute particulièrement mar-quée en ce qui concerne les véhicules. Parmiles ménages équipés interrogés en 2009, la pro-portion de ceux qui ont été victimes descend à:- 11 % pour les vols de voiture, soit une baissede 7,5 points par rapport à 2001 ;- 16,6 % pour les vols à la roulotte, soit unebaisse de 6,8 points ;- 14,7 % pour les vols de deux-roues, soit unebaisse de 4,5 points ;- 21,4 % pour les dégradations et les destruc-tions de véhicules, soit une baisse de 2,2points.Quant à la part des ménages victimes de cam-briolages, après avoir augmenté en 2005 et en2007, elle retombe à 9 % en 2009, soit un niveaucomparable à celui de 2001.S’agissant des victimations personnelles, lesécarts observés entre les différentes enquêtessont bien moindres. Les derniers résultats sem-blent toutefois marquer un retournement detendance: les taux, qui étaient en légère haussejusqu’à l’enquête de 2007, retrouvent desvaleurs proches de ceux observés en 2001.Ainsi, 6,4 % des personnes interrogées en 2009déclarent avoir été victimes d’agressions toutvenant et 7,8 % de vols sans violence – notonsque les vols visant les téléphones mobiles etles ordinateurs portables ont cessé d’augmen-ter significativement. Concernant le profil desvictimes, force est de souligner le poids desvariables «âge» et « sexe».Parmi les victimes d’agressions tout venant :

- les jeunes sont les plus exposés, le risque dimi-nuant avec l’âge ;- les hommes sont un peu plus touchés que lesfemmes (7,1 %, contre 5,7 %).Parmi les victimes de vols sans violence :- les jeunes âgés de 15 à 19 ans sont surrepré-sentés (11,1 %), le risque diminuant ensuite,pour augmenter à nouveau un peu après 50 ans ;- les femmes sont un peu plus touchées queles hommes (8,9 % contre 6,6 %).

Le sentiment d’insécurité est en reculLes résultats de la dernière enquête montrentaussi que les Franciliens se sentent plus ensécurité en 2009 qu’en 2001.Premier constat : dans le contexte actuel decrise économique et financière, « l’insécuritésociale » (chômage et pauvreté) préoccupedavantage les Franciliens que les problèmes desécurité publique, ce qui n’était pas le cas huitans plus tôt. En 2009, seuls 12,6 % des enquêtésplacent la délinquance en tête des prioritésassignées au gouvernement, alors qu’ils étaient39,2 % en 2001. Si leur part n’a cessé de décroî-tre au fil des enquêtes, en revanche celle despersonnes mentionnant les problèmes d’em-ploi et de revenus n’a cessé d’augmenterdepuis 2001 : en 2009, 40,9 % des Franciliensinterrogés citent le chômage (+ 16,3 points) et39,8 % la pauvreté (+ 13,9 points).Deuxième constat : dans leur ensemble, lespeurs personnelles ont, elles aussi, sensiblementdiminué tout au long de la période considérée.En 2009, 48,3 % des enquêtés déclarent avoirpeur, au moins de temps en temps, dans leurenvironnement proche ou dans les transportsen commun, alors qu’ils étaient 53,8 % en 2001.En particulier, la peur ressentie dans le quartierle soir a fortement reculé : 21,8 % des enquêtésy sont sujets, taux inférieur de 7 points à celuide 2001. Cette amélioration de la perceptiondu cadre de vie ressort parallèlement au tra-vers des opinions exprimées par les Francilienssur leur quartier. Ils sont, en proportion, signifi-cativement moins nombreux à évoquer desproblèmes de drogue, d’actes de vandalismeou encore la présence de bandes de jeunesgênantes près de chez eux.Dans les transports en commun, la part desenquêtés sujets à la peur a également diminué.Elle atteint 40,6 % en 2009, soit une baisse de 3points par rapport à 2001. Le détail des résul-tats indique toutefois que si le bus, le train et lemétro paraissent significativement plus rassu-rants qu’auparavant, ce n’est pas le cas pour leRER.

17

(1) Le taux de victimation correspond au pourcentage d’en-quêtés ayant déclaré avoir subi au moins une victimation aucours de la période considérée.

0,7 %1,3 %

6,4 %7,8 %

11,0 %9,0 %

16,6 %

14,7 %21,4 %

0 % 5 % 10 %15 %20 %25 %

vols de 2 roues*

* Seuls les ménages équipés sont pris en compte.

dégr./destr. de véhicules*vols à la roulotte*vols de voitures*

cambriolagesagressions sexuelles

agressions par un procheagressions tout venant

vols sans violence

39,8 %

40,9 %

12,6 %

4,9 %

1,8 %

0 % 10 % 20 % 30 % 40 % 50 %

le sida

la pollution

la délinquance

la pauvreté

le chômage

26,1 %

26,3 %

7,8 %21,6 %

23,7 %

21,1 %

21,8 %

0 % 10 % 20 % 30 % 40 %

voisinage bruyant

quartier pas propre

problèmes de drogue

vandalisme

bandes de jeunes gênantes

peur chez soi

peur dans le quartier le soir

33,3 %

25,8%

15,5 %

24,3 %

0 % 10 % 20 % 30 % 40 %

peur dans le bus

peur dans le train

peur dans le métro

peur dans le RER

enquête 2001enquête 2009

enquête 2001enquête 2009

enquête 2001enquête 2009

enquête 2001enquête 2009

Source : enquêtes « Victimation et sentiment d’insécurité en Île-de-France » de 2001 et 2009, IAU îdF.

Taux de victimation au cours des trois années précédant l’enquête

Répartition des enquêtés en fonction du problème de sociétédont le Gouvernement devrait, selon eux, s’occuper en priorité

Part des enquêtés qui déclarent avoir peur et/ou évoquent des nuisances dans leur quartier

Part des enquêtés qui déclarent avoir peur dans les transports en commun

IAU île

-de-F

rance

Page 20: Les villes face à l'insécurité. Cahier n° 155€¦ · N° 155 - juin 2010 trimestriel - 18 € ISSN 0153-6184  Les villes face à l’insécurité IAU île-de-France

Les disparités se creusent entre les départementsPar-delà les tendances dégagées à l’échelle del’Île-de-France dans son ensemble, l’examendétaillé des résultats fait apparaître d’impor-tantes disparités entre départements.En 2009, toutes catégories d’atteintes confon-dues, c’est en Seine-Saint-Denis que le taux devictimation est le plus élevé (53,7 %), supérieurà la moyenne régionale de 5,3 points. En parti-culier, les chiffres révèlent une surexposition auxvols de voitures, aux vols à la roulotte et auxdégradations/destructions de véhicules. Pour lesautres types de vols et les agressions, c’est enrevanche Paris qui se positionne en tête, avecun taux de victimation de 22 %, supérieur à lamoyenne régionale de 7,2 points. Paradoxale-ment, les Parisiens n’expriment pas pour autantun sentiment d’insécurité plus marqué.S’agissant des peurs personnelles, les inégali-tés départementales se sont creusées. En 2009,l’écart s’élève à 9,6 points entre les départe-ments les plus et les moins touchés (Seine-Saint-Denis et Val-d’Oise versus Yvelines).Depuis la première enquête, ce sont, à chaquefois, les habitants de Seine-Saint-Denis qui sesentent le moins en sécurité. En 2009, 53,8 %d’entre eux déclarent qu’il leur arrive d’avoirpeur (toutes peurs confondues), ce qui repré-sente 5,5 points de plus que la moyenne régio-nale. Quant à la préoccupation à l’égard de ladélinquance, elle a certes fléchi en Seine-Saint-Denis (de 40,4 % en 2001 à 18,0 % en 2009),mais reste plus ancrée que dans les autresdépartements franciliens (+ 5,4 points par rap-port à la moyenne régionale).

Une information inédite en 2009 : que pensentles Franciliens de la vidéosurveillance?En 2009, pour la première fois, face à la diffu-sion des caméras de surveillance, l’enquête aintégré des questions sur le sujet. Les opinionsrecueillies concernent la vidéosurveillancedans les espaces publics et dans les transportsen commun.60,6 % des Franciliens interrogés déclarent êtretout à fait ou plutôt d’accord pour dire quel’installation de caméras de surveillance dansles lieux publics permet de lutter contre ladélinquance. Notons que ce taux est sensible-ment inférieur à ceux issus de deux précédentssondages réalisés par Ipsos pour le ministèrede l’Intérieur (en novembre 2007) et pour laCommission nationale de l’informatique et deslibertés (en mars 2008), desquels il ressort queplus de 70 % des Français sont favorables outrès favorables à l’installation de caméras desurveillance.63,9 % des Franciliens interrogés estiment sesentir davantage en sécurité dans les transportsen commun en présence de caméras. Parmieux, plus de quatre sur dix (41,8 %) déclarentnéanmoins y avoir peur au moins de temps entemps. Ces données mettent en évidence l’am-bivalence des résultats quant à l’impact de lavidéosurveillance sur le sentiment de sécurité,ambivalence dont rendent bien compte lesétudes évaluatives conduites à l’étranger [GILLet SPRIGGS, 2005].

ComprendreLes Cahiers n° 155

Victimation et sentiment d’insécurité en Île-de-France

18

Références bibliographiques

• FURSTENBERG Franck, «Public Reactions toCrime in the Street », American Scholar,vol. 40, 1971.

• GILL Martin, SPRIGGS Angela, «Assessingthe CCTV impact », Home Office Research Study n° 292,London, 2005.

• HEURTEL Hélène, Victimation et sentimentd’insécurité en Île-de-France. Enquête de 2009 : les premiers résultats,IAU île-de-France, juin 2009.

• ZAUBERMAN Renée (dir.), Victimation et insécurité en Europe. Un bilan des enquêtes et de leurs usages,Paris, L’Harmattan, 2008.

• Les résultats des enquêtes «Victimation etsentiment d’insécurité en Île-de-France»sont consultables en ligne sur le site del’IAU îdF. http://www.iau-idf.fr/nos-etudes/themes/sous-themes/sous-theme/enquetes-de-victimation.html

43,8 %

45,4 %

49,2 %

48,7 %

50,6 %

53,7 %

46,6 %48,9 %

49,7 %

42,2 %

48,0 %

53,8 %

46,6 %

53,8 %

46,4 %46,0 %

Source : enquêtes « Victimation et sentiment d’insécurité en Île-de-France » de 2009, IAU îdF.

Taux de victimation (toutes catégories de victimations confondues)

Part d’enquêtés déclarant avoir peur au moins de temps en temps (tous types de peurs confondus)

IAU île

-de-F

rance

Page 21: Les villes face à l'insécurité. Cahier n° 155€¦ · N° 155 - juin 2010 trimestriel - 18 € ISSN 0153-6184  Les villes face à l’insécurité IAU île-de-France

19

ComprendreLes Cahiers n° 155

Les villes face à l’insécurité

Les Cahiers – Qu’est-ce qu’une enquête de délinquance auto-déclarée ? Sebastian Roché – Dans les enquêtes de délin-quance auto-déclarée, les participants sont invi-tés à indiquer dans l’anonymat les infractionsdont ils sont les auteurs. Ils sont beaucoup plussincères que devant un policier ou un magis-trat : face à l’enquêteur, ils ne risquent pas desanction à dévoiler leurs méfaits. Grâce à cetteméthode initiée par Short et Nye [1957], ildevient possible de comparer la prévalencedes conduites délinquantesentre divers milieuxet groupes sociaux, en limitant le risque de nemesurer que la réaction sociale différentielleaux infractions connues des services policiersou judiciaires. En effet, un des principaux biaisdes statistiques de police est qu’elles dépen-dent de la propension des victimes à déclarerles atteintes et de celle de la police à les enre-gistrer, donc de considérations professionnelles(charge de travail) ou politiques (pression pouravoir de «bons chiffres »).Les enquêtes sur les victimes, qui ont uneincontestable utilité, donnent finalement peud’indications sur les manières d’organiser laréponse à la délinquance. Car ce sont les délin-quants qui commettent les délits, pas les vic-times (même si ces deux catégories ne sont pasétanches). Pour améliorer les réponsespubliques, il est donc important d’avoir desindications directes sur les comportementsdélinquants (modes opératoires des délits, tailledes groupes, versatilité des délits commis parun même auteur, risque de se faire prendre parla police, perception de la sanction, etc.). Par exemple, en Grande-Bretagne, l’enquête«Youth Lifestyles Survey » a été utilisée par leHome Office comme un élément d’aide à ladécision sur la question de la pénalisation/dépénalisation du cannabis.

L. C. – Quelle est la méthode utilisée pour mener ce type d’enquête ?S. R. – On constitue des échantillons représen-tatifs des populations que l’on veut observer,comme pour un sondage sur les opinions poli-tiques ou les habitudes de consommation.Mais, compte tenu du caractère sensible del’étude, un protocole d’anonymisation est misen place. Ensuite, on interroge de façon métho-dique et détaillée toutes les personnes poursavoir si elles ont commis ou non différentsactes, qui sont décrits de manière neutre, sansporter de jugement moral ou pénal (par exem-ple : «prendre quelque chose dans un magasin

sans le payer »). Différents outils sont utiliséspour que le répondant n’ait pas à nommer sescomportements. On utilise notamment desfiches qui mettent en correspondance desactes et des numéros. Par exemple, celui qui apris quelque chose dans un magasin sans lepayer déclare le « comportement 11 ». Cettetechnique limite la honte ou la vantardise.Ensuite, à chaque fois qu’un auteur se déclare,il répond à un sous-ensemble de questions trèsdétaillées (avec qui ? quand? où? comment ?a-t-il été surpris par la police? etc.).Le principe de la mesure de la délinquance parauto-déclaration implique de faire confiance àla mémoire et à la sincérité des participants.Sur ces points, la validation des instruments demesure est multiple. Des études ont évalué lacorrélation entre un premier questionnaire etun second, présentés aux mêmes sujets, à plu-sieurs semaines ou mois d’intervalle. Elles ontmis en évidence une forte cohérence. D’autresétudes ont cherché à comparer les réponsesdes participants à diverses sources externes,comme les statistiques officielles de police etde justice, ou des informateurs extérieurs telsque des amis, des parents ou des enseignants.Les comparaisons contrôlées réalisées entredes sujets qui ont eu affaire à la justice (judicia-risés) et des sujets non-judiciarisés confirmentque les premiers ne sont pas arrêtés par hasard:ils commettent beaucoup plus de délits. L’unedes études de validité les plus fameuses estcelle de Clark & Tift. Ces auteurs ont demandéà des étudiants volontaires de remplir un questionnaire de délinquance composée de 35 items. En soumettant par la suite ces mêmessujets à un polygraphe, les auteurs ont observéune stabilité des réponses de 81,5 %. Nousl’avons également observé en France.Certes, d’aucuns restent critiques sur lesmesures d’auto-déclaration. Aujourd’hui, ellesconstituent néanmoins une approche validéedans la recherche criminologique au niveauinternational. Il est simplement nécessaire debien connaître les limites de l’outil. On saitnotamment qu’il mesure mal les délits oucrimes rares et très graves comme l’homicide,le viol, l’usage d’arme à feu : les auteurs sontmal représentés car ils échappent souvent ausystème scolaire ou à l’autorité de leursparents, et les enquêteurs ont difficilementaccès à de tels profils. Souvent appliquéeauprès d’adolescents scolarisés, cette méthodea également été employée auprès d’étudiantset même d’adultes. En France, même si elle

Sebastian Roché est directeurde recherches au CNRS, Pacte,Institut d’études politiques de Grenoble. Ancien secrétairegénéral de la Sociétéeuropéenne de criminologie(2001-2003), il est notammentl’auteur de La délinquance des jeunes : les 13-19 ansracontent leurs délits, Paris,Seuil, 2001, et de Le frisson de l’émeute. Violences urbaineset banlieues, Paris, Seuil, 2006.

Les enquêtes de délinquance auto-déclarée

Interview

HANN

AH/Opale

IAU île

-de-F

rance

Page 22: Les villes face à l'insécurité. Cahier n° 155€¦ · N° 155 - juin 2010 trimestriel - 18 € ISSN 0153-6184  Les villes face à l’insécurité IAU île-de-France

n’est pas banalisée, son développement est pro-metteur. Par exemple, nous l’avons utilisée pourla délinquance de rue, pour la délinquance rou-tière et le projet Escapad(2) l’utilise pour laconsommation de psychotropes.

L. C. – Quels résultats ressortent de vos enquêtes ?S. R. – Globalement, dans la population géné-rale des 13-18 ans, les actes (a fortiori les actesgraves : cambriolages, vols de voiture, coups etblessures, incendies) sont plus souvent com-mis par les garçons, par les jeunes qui man-quent l’école, fraudent dans les transports, quiont des parents ne surveillant pas leur emploidu temps, qui sont d’origine modeste et dontles familles sont plus nombreuses. Les délin-quants les plus actifs sont également ceux quipensent que commettre un délit est peu grave :on voit que les croyances ont leur importance.L’environnement compte aussi : on trouve lesplus délinquants dans les banlieues, dans lesvoisinages les plus marqués par les incivilitésou les désordres. L’enquête permet de montrerquels délits sont commis en premier au coursde la vie. Il s’agit des choses les plus simples àréaliser (vol à l’étalage) dans des lieux quin’ont guère de garant (dégradations desespaces publics). Avec l’âge, les actes changent.À 13 ans, les dégradations sont 2,7 fois plus fré-quentes que les vols. À 19 ans, on ne constateplus que 0,6 dégradation pour 1 vol. Bref, entre13 et 19 ans, filles et garçons abandonnent lescomportements désordonnés et très visibles auprofit d’actes discrets qui leur procurent desobjets et de l’argent.Pour les auteurs identifiés, on recense beau-coup plus de délits commis que ceux qui leursont reprochés. On retrouve un phénomèneconnu avec les enquêtes de victimation quiidentifient plus de victimes que les statistiquesde police. Entre 15 % et 20 % des auteurs disentavoir été surpris par la police (sans pour autantavoir été identifiés). Les actes commis sont peudétectés par un tiers, que ce soit par la police,une autre organisation ou un particulier. Lesactes les plus détectés se déroulent dans deslieux où une présence humaine existe (bus,magasins), qui font des victimes personnelles(agressions) ou touchent des objets personnelsde valeur (maison, voiture). Les actes les moinsvus sont ceux qui ne font pas de victime per-sonnelle non consentante, ou pas de victimedu tout (consommation de stupéfiants, com-merce illégal) ; ce sont encore les dégradationsde l’espace public ou semi-collectif sans sur-veillance (hall, places). Les auteurs sont détec-tés dans une proportion de 0,5 % à 5 %.Une large part des délits est commise par unpetit pourcentage de 13-19 ans. Quel que soit le

type de comportement (dégradation, vol, agres-sion), parmi les jeunes d’une ville, les 5 % lesplus actifs commettent de 50 % à 60 % du totaldes actes commis. Parmi ceux qui ont commisau moins un délit, les 5 % les plus actifs ontcommis environ 35 % du total des délits décla-rés. Plus que de noyaux durs, il faut parler denoyaux suractifs, car cette suractivité n’est pasdurable et les groupes sont à géométrie varia-ble. Nous avons réalisé le même type d’enquêtechez les jeunes judiciarisés (placés par la jus-tice dans un centre fermé ou un foyer à pleintemps). Ils sont 7 fois plus souvent auteurs dedélits graves que la population générale des 13-18 ans. Et lorsqu’ils commettent ces délitsgraves, ils le font en plus grand nombre (2 foisplus). Les actes commis par les jeunes judicia-risés sont plus divers. Ceci révèle que, pour eux,la délinquance s’apparente à un mode de vie.De manière significative, 41,9 % des jeunes judi-ciarisés déclarent 3 délits graves ou plus contre1,3 % des scolaires. La différence est spectacu-laire.

L. C. – Quels enseignements peut-on en tirer pour l’action publique ?S. R. – Première chose à souligner: les enquêtesde délinquance auto-déclarée constituent unapport important à la connaissance de la délin-quance et un outil très utile pour les politiquespénales et de prévention. Elles mériteraientd’être développées et répétées dans le cadred’un observatoire.Que nous apprennent-elles ? D’abord, qu’il n’ya pas de cause simple et unique à la délin-quance. Ensuite, que les délinquants suractifssont un réel défi aux politiques locales de sécu-rité. Enfin, que la réponse pénale ne saurait suf-fire pour lutter contre la récidive des nouveauxentrants dans la délinquance. Elle peut rappe-ler les règles et tenter de coordonner lesréponses aux problèmes associés à la délin-quance (scolaires, familiaux, économiques).Mais en pratique, elle le fait peu et sans réelleefficacité. Elle est déjà saturée par le traitementdes cas très lourds des jeunes judiciarisés.La délinquance est multifactorielle, la réponsedevrait l’être également, ce qui suppose uneapproche partenariale. La coordination la plusefficace ne peut être conduite que par les éluslocaux qui représentent un territoire. Comptetenu de la structuration institutionnelle du sys-tème français, cela n’a pourtant rien d’évident.

Propos recueillis par Tanguy LE GOFF

ComprendreLes Cahiers n° 155

Les enquêtes de délinquance auto-déclarée

20

Références bibliographiques

• BÈGUES Laurent, «Attachements sociaux,croyances conventionnelles etdélinquance», rapport de recherchepour l’Institut des hautes études de lasécurité intérieure (Ihesi), Grenoble,université Pierre Mendès France, 2000.

• CLARCK John P., TIFT Larry L., « Polygraphand Interview Validation of Self-ReportedDeviant Behavior », American SociologicalReview, vol. 31, 1966.

• DENTLER Robert A., MONROE Lawrence J.,« Social Correlates of Early AdolescentTheft », American Sociological Review,vol. 26, 1961.

• ERICKSON Maynard L., EMPEY Lamar T.«Class Position, Peers and Delinquency», Sociology and SocialResearch, vol. 49, 1965.

• GOLD Martin, «Undetected DelinquentBehavior », Journal of Research in Crimeand Delinquency, vol. 3, 1966.

• PALMER Emma J., HOLLIN Clive R., «TheInfluence of Perceptions of ownParenting on Sociomoral Reasoning,Attributions for Criminal Behaviour, andSelf-Reported Delinquency», Personalityand Individual Difference, vol. 23 (2),1997.

• SHORT James F., NYE F. Ivan, «ReportedBehavior as a Criterion of DeviantBehavior », Social problems, vol. 5, 1957.

(2) Enquête sur la santé et les comportements lors de l’ap-pel de préparation à la défense.

C.Dégrem

ont/IAU îdF

Les enquêtes auto-déclaréesprésentent beaucoup plus d’auteursde délits que les sources policièresou judiciaires.

IAU île

-de-F

rance

Page 23: Les villes face à l'insécurité. Cahier n° 155€¦ · N° 155 - juin 2010 trimestriel - 18 € ISSN 0153-6184  Les villes face à l’insécurité IAU île-de-France

Depuis une vingtaine d’années, onassiste en France au retour des mairesdans le jeu de la sécurité locale.

Il faut bien parler de retour car, contrairementà un contresens tenace, le modèle républicainfrançais de sécurité fondé sous la TroisièmeRépublique s’appuie sur les pouvoirs locaux.

Le maire «patron de la sécurité » : un rôle oubliéIl ne faut pas oublier que, dans une optique deconsolidation du pouvoir local, la loi du 5 avril1884, sur laquelle reposent encore aujourd’huiles pouvoirs de police des maires, leur a attri-bué la tâche d’assurer dans leur commune « lebon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubritépubliques », par répression des atteintes à latranquillité publique qui troublent l’ordrepublic local. Sur cette base juridique, les mairesdes grandes et moyennes villes se sont dotés, àl’exception de certaines villes où la policeurbaine se trouvait sous un régime juridiqued’État (Paris, Lyon, Marseille), d’une policemunicipale assumant des missions de policedu quotidien à finalité de prévention et derépression de la petite et moyenne délin-quance. À cette époque, le maire était le patronde la sécurité dans la ville [LE GOFF, 2008]. Ildemeurait toutefois sous surveillance de l’Étatvia un acteur clé du système policier local : lecommissaire de police. Chef du service munici-pal de police, ayant à ce titre sous ses ordresdes fonctionnaires municipaux, le commissairede police était également un agent de l’État,

mis à disposition de la ville, pour veiller à labonne application des directives émanant de laSûreté générale à laquelle il était statutairementrattaché. L’État disposait, de la sorte, d’un moyende contrôle sur les polices locales, tout parti-culièrement celles des municipalités tenuespour hostiles à la République. Ce n’est que sousle régime de Vichy que se réalise, par la loi Dar-lan du 23 avril 1941(2), l’étatisation de l’ensem-ble des polices urbaines. Cette loi autoritairenationalise l’ensemble des polices locales (lespolices municipales et les quelques policesd’État placées sous l’autorité d’un préfet) sanscependant mener ce processus à son terme, lesmaires conservant leurs pouvoirs de police.Pour plusieurs raisons, la nationalisation n’a pasété remise en cause à la Libération. Toutd’abord, l’État apparaît alors comme un gagede modernité de l’action publique, de protec-tion face aux «archaïsmes locaux» et aux sup-posées pratiques clientélistes. Ensuite, dans cet« âge d’or » de l’urbanisation où les mairesendossent le rôle de «maires bâtisseurs», ils ontd’autres préoccupations. Avant d’assurer le«confort social » dans l’espace public, ils doi-vent reconstruire les villes et donner l’accès au«confort minimal » pour chacun (eau, électri-cité). Enfin, la nationalisation s’est d’autant plusaisément imposée que les tenants d’une ges-tion étatique de la police urbaine ont su

ComprendreLes Cahiers n° 155

Les villes face à l’insécurité

Gouverner la sécurité dans les villes

Les maires affirment leur rôle en matière de sécurité.

Tanguy Le GoffIAU île-de-France

Jacques de Maillard(1)

Université de Saint-Quentin-en-Yvelines

Gouverner la sécurité dans les villesfrançaises n’est plus l’affaire des seulsservices de l’État. Le retour des mairessur ce champ d’action publique, la montée en puissance des structuresintercommunales et, surtout, le développement du secteur privé de la sécurité, conduisent l’État à gouverner en négociant et en composant avec ces acteurs.

21

J-C. Pattacini/Urba Images/IAU îdF

(1) Jacques de Maillard est professeur de science politique.(2) Loi du 23 avril 1941 portant organisation générale desservices de police en France dans les communes de plus de10000 habitants.

IAU île

-de-F

rance

Page 24: Les villes face à l'insécurité. Cahier n° 155€¦ · N° 155 - juin 2010 trimestriel - 18 € ISSN 0153-6184  Les villes face à l’insécurité IAU île-de-France

construire et diffuser une légende noire despolices municipales de la Troisième Répu-blique, stigmatisant leurs dérives vers despolices politiques. Couplée à l’action du cor-poratisme policier, cette légende, déconstruitepar des historiens et des sociologues de lapolice [BERGES, THOENIG, 1993 et VOGEL, 1993], acontribué à discréditer le rôle de «patron de lasécurité» des maires et à le placer dans l’ombrede la mémoire nationale.De la Libération à la fin des années 1970, le sys-tème de sécurité publique était géré par l’Étatsur un mode centralisé où les maires n’avaientque peu d’influence. Derrière l’apparente «uni-formité» du système [GATTO, THOENIG, 1993], il yavait cependant des modes de gestion différen-ciées de la sécurité. Selon les contextes locauxet le poids politique du maire, il pouvait existerdes relations régulières entre un maire et lecommissaire de police facilitant la gestion de lasécurité locale. Mais une chose est sûre : lesmaires n’avaient pas de moyens propres pouragir sur les problèmes de « tranquillitépublique ». Au milieu des années 1970, cemodèle étatisé de sécurité publique entre encrise pour plusieurs raisons indissociables.Une envolée de la délinquance d’appropria-tion au cours des Trente Glorieuses, face à laquelle les services de l’État ne répondentqu’imparfaitement, va contribuer à changer la donne. On assiste, des années 1950 à aujour-d’hui, à un affaissement de la prise en chargeinstitutionnelle de la délinquance. L’effondre-ment des taux d’élucidation pour toutes les pré-dations le montre bien. Les chiffres oscillentselon les types de faits entre 7 % et 20 %[ROBERT, 1999]. Par exemple, le taux d’élucida-tion des vols est passé de 40 % en 1950 à guèreplus de 14 % en 2008. Cette baisse a été cou-plée à une double distanciation entre police etvilles [MONJARDET, 1997] :- une distanciation fonctionnelle: centralementadministrée par le ministère de l’Intérieurdepuis son étatisation en 1941, la policeurbaine n’a plus de comptes à rendre ni à lapopulation ni à son représentant, le maire ;- une distanciation sociale: les agents de policeétant recrutés à l’échelle nationale, ils se trou-vent affectés dans des villes qu’ils ne connais-sent pas, où, bien souvent, ils ne résident paset desquelles ils souhaitent partir le plus rapi-dement possible.La faible réponse institutionnelle à la délin-quance du quotidien entraîne un sentimentd’impunité et d’abandon qui participe à l’infla-tion d’une demande de sécurité à l’adresse desmaires. Elle a favorisé la politisation de l’insécu-rité au niveau local, qui ne s’est pas démentiejusqu’à aujourd’hui, et sa construction en enjeude politiques municipales [LE GOFF, 2005].

Un nouveau paysage institutionnelLes maires se remobilisent le champ de la sécu-rité au début des années 1980, tout d’abordessentiellement en tant qu’animateurs de dis-positifs de prévention sociale de la délin-quance – conseils communaux de préventionde la délinquance (CCPD) – investis par la poli-tique Bonnemaison (1982). Progressivement, ilsse dotent aussi d’agents assurant des missionsde surveillance et de régulation sociale dansles espaces publics : des policiers municipauxdont le nombre a été multiplié par trois en l’es-pace de trente ans mais aussi des agents locauxde médiation sociale (ALMS). Ces derniers ontpour mission de réinvestir les espaces publics,d’empêcher qu’ils ne soient « confisqués » etsurtout de désamorcer les conflits d’usage dontils peuvent être l’objet. Pour protéger lesespaces publics, les maires recourent conjoin-tement à la vidéosurveillance qui tend à segénéraliser dans les villes françaises quelle quesoit leur taille. Plus largement, on assiste à unéquipement et un aménagement des villes entechnologies ou mesures relevant de la doc-trine criminologique anglo-saxonne dite de laprévention situationnelle. Cela ne signifie pasque les mesures relevant du traitement socialde la délinquance (mesures éducatives, activi-tés d’animation) aient disparu de l’arsenal desréponses des municipalités. Mais elles sontaujourd’hui marginalisées, parce que considé-rées comme peu efficaces et peu visibles parrapport aux attentes de populations subissantquotidiennement des désordres et une petitedélinquance (bris de vitres, boîtes aux lettressouillées, occupation de halls d’immeubles).De même, les travailleurs sociaux se voient relé-gués au second plan au profit de nouveaux pro-fessionnels : des « ingénieurs » spécialisés dansla «gestion du risque» et des «experts munici-paux de la sécurité » [DE MAILLARD, 2006]. Parlà, on désigne des professionnels disposantd’un corpus de connaissances et d’outils cogni-tifs relatifs aux questions de sécurité, ainsi quede la maîtrise des procédures techniques etfinancières nécessaires au montage de projets.Sur la base de ce savoir, ils se posent en inter-prètes des phénomènes de délinquance et dusentiment d’insécurité (capacité à lire et à don-ner sens aux statistiques policières). Et ils jouentun rôle de porteur des intérêts du politiquedans les lieux du partenariat local. Ces profes-sionnels assurent ainsi le lien entre le territoire(les demandes de sécurité de la population), letechnique (les partenaires) et le politique. Fortsde cette expertise municipale, et de ces moyenstechniques et humains, les maires disposentdésormais d’atouts pour peser sur la produc-tion de la sécurité et interpeller les services del’État sur leur action.

ComprendreLes Cahiers n° 155

Gouverner la sécurité dans les villes

22

IAU île

-de-F

rance

Page 25: Les villes face à l'insécurité. Cahier n° 155€¦ · N° 155 - juin 2010 trimestriel - 18 € ISSN 0153-6184  Les villes face à l’insécurité IAU île-de-France

Sur ce champ d’action publique, un autreacteur émerge: les structures intercommunales.Elles peuvent, en effet, gérer des dispositifs devidéosurveillance et créer des polices munici-pales à caractère intercommunal. Celles-ci sonttoutefois peu nombreuses – une petite dizainesur l’ensemble du territoire français, dont cinqdans la région francilienne. On est encore loind’une «métropolisation de la sécurité», considé-rée par certains analystes comme l’échelled’action publique la plus pertinente pourconduire une politique locale de sécurité[ROCHÉ, 2004]. La récente création du «GrandParis de la sécurité » ne préfigure-t-elle pas cescénario? À l’évidence, non. Si ce projet est biensous-tendu par l’idée de métropolisation de lasécurité, il demeure un simple dispositif de réor-ganisation administrative des services policiersde l’État, qui n’accorde pas de nouveaux pou-voirs aux élus locaux. Autrement dit, le GrandParis de la sécurité n’est qu’un échelon admi-nistratif supplémentaire et non un territoired’action politique, tout du moins pour l’instant.La «police d’agglomération de Paris », commecelle envisagée à Lyon ou Toulouse, ne visedonc pas à engager une décentralisation de lasécurité publique. S’il est encore tôt pour seprononcer, elle pourrait conduire, au contraire,à une forme de recentralisation en renforçantle rôle de pilote de la préfecture de police deParis aux dépens d’une gestion plus localisée etnégociée de la sécurité avec les élus locaux.Symboliquement, le Grand Paris de la sécuritéest aussi une manière de restaurer la puissancede l’État incarnée par le préfet de police.Enfin, la production de la sécurité des espacesdes villes est aussi fortement dépendante desressources d’un acteur au rôle souvent minoré:

le secteur privé de la sécurité. Pourtant, lesagents de sécurité privée exerçant des missionsde surveillance d’espaces publics ou privésouverts au public constituent la première forcede police de nos villes. Peu reconnus, ils assu-ment aujourd’hui nombre de missions délé-guées par l’État, qui préfère focaliser les moyensde ses services sur les tâches jugées les plusprioritaires : le maintien de l’ordre et la répres-sion plutôt que la surveillance dissuasive.

Vers une gestion négociéeFace à ces mobilisations institutionnelles(publiques et privées), l’État s’efforce de gar-der la main en se dotant d’instruments decontrôle plus ou moins souples : convention decoordination entre polices, agrément pour lerecrutement des agents de police municipaleou des vigiles, dispositifs partenariaux, etc. Inu-tile de refaire ici l’historique des dispositifs par-tenariaux initiés depuis trente ans, de leur sédi-mentation, voire de leur superposition.Soulignons simplement qu’un même principeguide les conseils communaux de préventionde la délinquance (CCPD) initiés en 1982 et lesactuels conseils locaux de sécurité et de pré-vention de la délinquance (CLSPD) : la copro-duction. Dans le discours institutionnel, lacoproduction vise, au travers d’échanges et dela mutualisation des moyens, à rendre plus effi-cace l’action publique. Indiscutablement, lesdispositifs partenariaux avec leurs scènes denégociation, leurs lieux de concertation et leurscadres de travail en commun favorisent deslogiques de reconnaissance mutuelle. Laconnaissance du rôle des autres partenaires,de leur mode de fonctionnement, doubléed’une confiance mutuelle, facilite, à n’en pas

23

Ville de Longjumeau, service com

munication

La renaissance des policesmunicipales en France.

IAU île

-de-F

rance

Page 26: Les villes face à l'insécurité. Cahier n° 155€¦ · N° 155 - juin 2010 trimestriel - 18 € ISSN 0153-6184  Les villes face à l’insécurité IAU île-de-France

douter, des échanges plus réguliers de données,d’informations et de statistiques.Le partenariat peut aussi prendre la formed’opérations communes. Il n’est pas rare désor-mais que les services de police municipaleviennent en appui aux policiers nationauxpour réaliser des opérations conjointes decontrôle de vitesse ou d’alcoolémie, de surveil-lance de manifestations sportives ou encorepour des opérations de surveillance de hallsd’immeubles. Trois niveaux d’échange peuventêtre distingués [DOUILLET, DE MAILLARD, 2008] :- le « consentement mutuel », où les acteurss’emploient surtout à ne pas exprimer leursdivergences et à approuver publiquement lesactions conduites par le partenaire, sans pourautant transformer leurs logiques d’action ;- la «coordination», qui suppose l’identificationd’un problème commun et une forme d’ajus-tement des activités, sans que les frontièresorganisationnelles soient pour autant trans-formées ;- la « collaboration», qui prend la forme d’uncontrat implicite ou explicite par lequel cha-cune des parties s’entend pour mettre enœuvre certaines activités qui s’écartent du tra-vail habituel de son organisation.

On ne saurait toutefois surévaluer l’influencede ces dispositifs. Mot magique, le «partenariat»renvoie bien souvent à une rhétorique de l’ac-tion publique plus qu’à une réalité dans la pra-tique des acteurs. Deux raisons peuvent l’expli-quer. Tout d’abord, le partenariat se heurte àdes cultures professionnelles, des logiques d’ac-tion et des intérêts parfois divergents. Entre unmaire et un procureur de la République, le typede priorité et les logiques d’action ne sont pasles mêmes. Les maires cherchent à répondre àl’ensemble des faits qui nuisent à la tranquil-lité publique et alimentent le sentiment d’insé-curité. Ils sont particulièrement préoccupés parles petits désordres qui relèvent bien souventde l’infrapénal – aussi bien la présence oisivede jeunes, de chiens errants dans l’espacepublic, les dégradations sur les bâtiments muni-cipaux ou encore les nuisances sonores desbars de nuit. Les magistrats ont une conceptionplus restrictive tenant à leur champ d’interven-tion – celui des crimes et délits. Pas questiondonc se préoccuper de faits qui ne seraient paspénalement répréhensibles [DOUILLET, DE MAIL-LARD, 2008].Ensuite, il peut exister des résistances profes-sionnelles. Un policier national peut, par exem-ple, être réticent à jouer le jeu du partenariat,n’en voyant pas bien les bénéfices immédiats.Le travail policier est, plus que jamais, marquépar une série d’évaluations chiffrées, quanti-fiées. Or le travail en partenariat ne s’inscrit pas

aisément dans ce schéma : aller en réunion,c’est perdre du temps, c’est parfois même par-tir dans de longues discussions alors que le tra-vail attend sur le bureau. Dans une institutionpolicière où la «culture du résultat » est au cen-tre de la nouvelle politique de management, levolet partenarial apparaît rapidement commeétant secondaire quand bien même il pourrait,à plus long terme, être utile pour l’améliorationde l’efficacité dans la conduite d’enquêtes. Lescommissaires de police, très attachés depuis laLibération à leur indépendance vis-à-vis desélus locaux, doivent de plus en plus composeravec eux. Une tâche d’autant plus difficile queles attentes des maires correspondent de moinsen moins aux missions d’une police urbainequi a, semble-t-il, oublié que l’essence mêmede son travail n’est pas d’arrêter les délinquantsmais de prévenir la délinquance.

L’État est donc conduit à gouverner la sécuritéautrement. De maître d’œuvre, il est de plus enplus amené à accompagner, déléguer, externa-liser, pour utiliser à ses propres fins les res-sources des autres acteurs, privés ou publics. Ilexternalise la vidéosurveillance aux collectivi-tés locales, mais il les incite financièrement àopérer un transfert d’images vers ses servicespoliciers pour renforcer leur travail d’élucida-tion et de répression. De même, des tâches sontdéléguées aux polices municipales ; l’État lesinstrumentalise pour appuyer ses missions enmatière d’encadrement de manifestation ou depolice de la route. On peut, dès lors, faire l’hypo-thèse d’une différenciation partielle du rôle del’État. D’un côté, il détient dans le domaine dela gestion des effectifs de sécurité publique unmonopole à peine atténué, ce qui lui permetde conserver des ressources étendues et unetrès large responsabilité dans la gestion de lasécurité. De l’autre, pour ce qui relève desformes plus larges de contrôle et de préven-tion, l’État est un acteur parmi d’autres des pro-cessus de négociation localisée. S’agit-il pourautant d’un affaiblissement de l’État ? Ce n’estpas sûr. On peut aussi lire ces changementscomme l’invention d’un nouveau mode degouvernement de la sécurité. Il reposeraitmoins sur un pouvoir hiérarchique des institu-tions régaliennes que sur un contrôle à dis-tance de missions déléguées par l’État à desacteurs avec lesquels les services régaliens doi-vent apprendre à négocier la production de lasécurité dans la ville. Dans cette nouvelle confi-guration des pouvoirs, les maires ne sont pasredevenus les «patrons », mais ils sont assuré-ment des acteurs incontournables de la pro-duction de la sécurité des villes.

ComprendreLes Cahiers n° 155

Gouverner la sécurité dans les villes

24

Références bibliographiques

• BERGES Michel, THOENIG Jean-Claude,L’étatisation des polices municipales.Bordeaux et le pouvoir central, rapportIHESI, Paris, 1993.

• DOUILLET Anne-Cécile, DE MAILLARDJacques, « Le magistrat, le maire et la sécurité publique : action publiquepartenariale et dynamiquesprofessionnelles », Revue française de sociologie, 49 (4), p. 793-818, 2008.

• GATTO Dominique, THOENIG Jean-Claude,La Sécurité publique à l’épreuve du terrain.Paris, L’Harmattan, 1993.

• LE GOFF Tanguy, « L’insécurité saisie par les maires. Un enjeu de politiquesmunicipales », Revue française de sciencepolitique, 55 (3), p. 415-444, 2005.

• LE GOFF Tanguy, Les maires : nouveauxpatrons de la sécurité ? Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2008.

• DE MAILLARD Jacques, « Les services de prévention-sécurité à l’épreuve du politique», Politiques et managementpublic, 24 (2), p. 23-39, 2006.

• MONJARDET Dominique, Ce que fait la police. Sociologie de la force publique,La Découverte, Paris, 1997.

• ROBERT Philippe, Le citoyen, le crime et l’État, Genève-Paris, DROZ, 1999.

• ROCHÉ SÉBASTIEN, « La métropolisation etla privatisation de la sécurité en France»,Réformer la police et la sécurité,Paris, Odile Jacob, p. 242-258, 2004.

• VOGEL Marie, «Politiques policières et systèmes locaux : les polices des villesdans l’entre-deux-guerres », Revue française de sociologie, XXXV,p. 414-434, 199.

IAU île

-de-F

rance

Page 27: Les villes face à l'insécurité. Cahier n° 155€¦ · N° 155 - juin 2010 trimestriel - 18 € ISSN 0153-6184  Les villes face à l’insécurité IAU île-de-France

La mise en relation entre l’urbanisme etla sécurité est aujourd’hui encouragéepar un dispositif législatif qui rend obliga-

toire la réalisation d’études préalables de sécu-rité pour certains projets urbains. Au-delà decette impulsion officielle, la diffusion de la thé-matique de la sécurité des biens et des per-sonnes s’observe indéniablement dans les pra-tiques, les réflexions, voire les réflexes, desconcepteurs urbains. Mais quelle est la réelleincidence d’une préoccupation pour la sécu-rité sur la façon de fabriquer la ville ? Si obses-sion sécuritaire il y a, génère-t-elle des formesurbaines particulières ?

L’incitation prudente du cadre législatifParmi les acteurs professionnels intervenantdans la production de sécurité, ceux de l’amé-nagement urbain s’y sont investis en mêmetemps que certaines formes urbaines ont étéaccusées d’engendrer certains dysfonctionne-ments sociaux. Si les liens entre formesurbaines et manifestations d’insécurité restentlargement en débat, la position consistant àconsidérer que la sécurité est une responsabi-lité partagée fût largement approuvée en ceciqu’elle permettait de sortir d’une approcheexclusivement régalienne et centrée sur l’ac-tion policière et judiciaire pour s’ouvrir à d’au-tres approches et d’autres acteurs (collectivi-tés, secteur associatif ou privé). Le débat sur lalégitimité de l’urbanisme à se saisir de cettethématique est pourtant vif depuis le départ,essentiellement face au risque de favoriser

l’émergence d’un urbanisme sécuritaire qui,d’une part, engendrerait une ville ultra-sécuri-sée et surveillée, d’autre part, nierait l’aspectsocial du traitement de la délinquance.Quoi qu’il en soit, les urbanistes ont, de fait,acquis un rôle dans la lutte contre l’insécuritépuisque, depuis le 1er octobre 2007, les projetsd’équipement et d’aménagement les plusimportants font l’objet d’une étude préalablede sécurité. Celle-ci permet d’évaluer lesrisques pesant sur l’opération et de prévoir lesmesures correspondantes en matière deconstruction, d’aménagement et de gestion desespaces. Issues de la loi du 5 mars 2007 relativeà la prévention de la délinquance(2), ces nou-velles obligations en matière de sécurité ontcependant une origine bien plus anciennepuisque les premières références à ces étudespréalables de sécurité apparaissent dans la loid’orientation et de programmation pour lasécurité du 21 janvier 1995 dite « loi Pasqua».Mais, compte tenu des débats entre acteurs del’urbain et de la sécurité [VALLET, 2008], il aurafallu plus de dix ans aux pouvoirs publics pourmettre en place une politique publique en lamatière.

ComprendreLes Cahiers n° 155

Les villes face à l’insécurité

L’influence de la sécurité sur la conception urbaine

Un espace public,Place Louis Pradel, Lyon.

Céline Loudier-Malgouyres

IAU île-de-FranceBertrand ValletPlan urbanisme

construction architecture

Quelles sont les incidences de la montée en puissance de la préoccupation sécurité sur la conception des villes? Répondre à cette question supposetout autant de cerner l’« empreinte des risques »(1) sur la ville que d’évaluerles éventuels risques que prend la villeà se préoccuper de sécurité.

25

GUY F./Agence d’urbanisme de Lyon

(1) Pour reprendre l’expression de Valérie November dansson intervention lors du colloque «La ville du risque» coor-donné par Paul Landauer, à l’École d’architecture de la villeet des territoires de Marne-la-Vallée, jeudi 1er avril 2010.(2) Précisées par le décret n° 2007-1177 du 3 août 2007 et parla circulaire d’application NOR : I NT/K/07/00103/C du1er octobre 2007.

IAU île

-de-F

rance

Page 28: Les villes face à l'insécurité. Cahier n° 155€¦ · N° 155 - juin 2010 trimestriel - 18 € ISSN 0153-6184  Les villes face à l’insécurité IAU île-de-France

Dans ses principes fondamentaux, le dispositifopérationnel retenu dans la loi de 2007 consti-tue finalement un dénouement aux contro-verses portées par la confrontation entre lesministères de l’Intérieur et de l’Équipement etdémontre une position « tempérée» du législa-teur. Trois éléments l’illustrent. D’abord, le carac-tère obligatoire des études de sécurité est limitéaux opérations les plus importantes par la taille,ce qui réduit clairement sa portée dans un pre-mier temps. Sont concernés, dans les agglomé-rations de plus de 100000 habitants, les établis-sements recevant du public (ERP) de1e catégorie (capacité d’accueil de 1500 per-sonnes au moins), ainsi que les opérationsd’aménagement créant une surface hors d’œu-vre nette (SHON) supérieure à 100 000 m2.Ensuite, le caractère coercitif de ces études estégalement limité : pour les projets d’aménage-ment, l’obligation est avant tout une obligationde dialogue entre le maître d’ouvrage et la« sous-commission départementale pour lasécurité » mise en place pour évaluer lesétudes, l’objectif étant de «définir, avec la com-mission, les éléments à prendre en comptedans l’étude»(3). Enfin, cette commission reflèteun équilibre volontaire entre préoccupationsurbaines et sécuritaires puisque sa composi-tion doit être mixte et équilibrée entre acteursde l’urbain et acteurs de la sécurité.Ces caractéristiques témoignent, pour l’instantdu moins, d’une certaine «prudence» du légis-lateur quant à la mise en place d’une politiquede prévention urbanistique de la malveillance.Il reste néanmoins que nous pouvons nousinterroger sur les effets réels de cette obligationet sur ses conséquences en matière de concep-tion des espaces. Quelle sera son influence surle contenu des projets urbains à venir(4) ? Et cedispositif va-t-il encourager ou conforter unevision sécuritaire de la conception des espacescomme certains le craignent ?

L’angoisse de la fermeture généraliséeD’aucuns estiment que les logiques particu-lières de la sécurité (contrôle, surveillance,capacité d’intervention des autorités) engen-drent des formes urbaines orientées : affirma-tion des domanialités, fermeture, privatisation,séparation, points de contrôle… Dans cetteperspective, les principes fondamentaux d’unevie urbaine, énoncés classiquement à traversles notions génériques d’ouverture et de mixité,seraient contrariés.Mais la principale critique concerne la ferme-ture. La nécessité, imposée ou consentie, deprendre en compte la sécurité dans un projeturbain fait ainsi craindre l’émergence d’uneville fonctionnant sur la juxtaposition d’en-claves fermées. Les lotissements et résidencessécurisées (les gated communities à l’améri-caine) sont alors pointés comme les nouvellesfigures urbaines de ce scénario redouté etredoutable pour la ville. Avec un espace publicréduit à la fonction de circulation, la réalité dela ville serait ainsi détruite(5).Depuis quelques années, les recherches et lesétudes se multiplient donc pour, d’une part,mesurer l’ampleur du phénomène, et d’autrepart, établir son lien avec la préoccupationsécuritaire. Nous barricadons-nous réellementet est-ce vraiment par souci de protection?En France, l’état actuel de la recherche montreque la fermeture résidentielle est une tendanceréelle de la production immobilière. Le phéno-mène semble même se banaliser, sans pourautant générer de discours particulier chez lesacteurs concernés que sont les promoteurs, lesrésidents ou même les élus locaux (à l’inversedes milieux des médias et de la recherche)[BILLARD et al., 2009]. Cependant, on observeune réelle différence dans l’ampleur du phé-nomène dès lors qu’on distingue l’habitat col-lectif de l’habitat individuel. Les ensembles indi-viduels sont en effet beaucoup moinsnombreux dans le paysage français. Certes, ceslotissements ont toujours existé, à l’origine dansune version bourgeoise au début du siècle.Mais une étude réalisée en Île-de-France mon-tre que la production immobilière récente d’en-sembles d’habitat individuel fermés représenteune part tout à fait mineure du volume globalde construction de logements [LOUDIER-MAL-GOUYRES, 2010]. Moins de 3 % des logementsindividuels construits en Île-de-Franceentre 1992 et 2006 l’ont été dans un ensemblefermé. L’étude montre parallèlement que lagrande majorité de ces ensembles correspond

ComprendreLes Cahiers n° 155

L’influence de la sécurité sur la conception urbaine

26

(3) Circulaire du 1er octobre 2007.(4) Depuis l’entrée en vigueur de ce dispositif, les projetsurbains concernés, encore rares, sont à un stade qui n’auto-rise pas encore les retours sur expérience.(5) À ce sujet, voir par exemple [MANGIN, 2004].Chacun son couloir. P.

Lecroart/IAU îdF

Origines, théories et méthodes d’une approche spatiale de l’insécuritéEn observant les mutations des métropolesaméricaines dès les années 1920, les sociologues de l’École dite de Chicagomontrent l’influence de l’environnementurbain sur les comportements des usagers,et notamment certaines déviances.Quarante ans plus tard, Jane Jacobs,architecte, fait la critique d’un urbanismegénérateur de fortes polarisations socialeset responsable de la montée de l’insécurité dans l’Amérique de la findes années 1950. Pour assurer la sécurité,elle plaide alors pour la vitalité urbaine et sociale des quartiers, dont la mixitéurbaine et l’usage des espaces publicssont les conditions. Plus pragmatique,l’architecte Oscar Newman développe le concept de l’espace défendable dans les années 1970. Loin de se réduire à une solution de fermeture des espaces,son concept met l’accent sur une façond’aménager les espaces résidentiels, de manière à affirmer la « territorialité » des résidents pour aider à leur implicationet une meilleure gestion des lieux. À partir de ces approches fondatrices, desméthodologies, plus ou moins théorisées,sont développées. Par exemple, le CPTED(Crime Prevention Through EnvironmentalDesign) propose un ensemble de principesd’aménagement susceptibles de réduireles opportunités de passage à l’acte du délinquant potentiel. Parallèlement, un certain nombre de théories relevant du champs de la criminologie cherchent à expliquer les faits de délinquance, auniveau des conditions de leurs occurrenceet de leur développement : choix rationnel,activité routinière, ou « vitre brisée »(«broken windows »). Le Home Office de Londres a ainsi institué, et popularisé,une politique de prévention situationnelle,centrée sur une liste de techniquesdissuasives, dont le durcissement des cibles, le contrôle des accès, ou la vidéosurveillance. Toutes ces approchessont parfois cataloguées, abusivement,sous le terme de prévention situationnelle.En fait, leur divergence dans leursintentions et leurs applications font qu’elles sont de fait portées par des champs de compétencesdifférents : services d’ingénierie, de sécurité ou d’urbanisme notamment.IA

U île-de

-Fran

ce

Page 29: Les villes face à l'insécurité. Cahier n° 155€¦ · N° 155 - juin 2010 trimestriel - 18 € ISSN 0153-6184  Les villes face à l’insécurité IAU île-de-France

à des petits programmes (entre 10 et 20 loge-ments), à la morphologie dense (maisons jume-lées ou en bande), construits dans un mouve-ment de renouvellement urbain, participantdonc à la densification du tissu urbain existant.En outre, ils correspondent plutôt à des loge-ments moyen de gamme pour une populationde classe moyenne, primo-accédante. On estloin de l’image de la gated community à l’amé-ricaine, modèle anti-urbain construit auxfranges de la ville pour cadres supérieurs auxenvies d’exclusivité, participant à l’étalementurbain et à la ségrégation territoriale. Parallèle-ment, les analyses sociologiques relativisentencore beaucoup l’impact du critère sécuritésur cette production. La volonté d’habiter cetype d’ensemble, fermé et sécurisé, ne serait pastant liée à une demande explicite de sécurité,qu’à différentes attentes plus ou moins forma-lisées (néanmoins indirectement liées) :d’abord la tranquillité résidentielle, dans le sensd’une quiétude et d’une jouissance paisible deson lieu d’habitat ; ensuite, la volonté d’habiterune maison individuelle mais dans une rési-dence collective, c’est-à-dire un milieu partagépar d’autres habitants aux attentes similaires ;enfin, la préservation de la valeur du bienimmobilier, en tant qu’objet d’épargne, d’autantmieux assurée que le système de gestion parcopropriété semble garantir une meilleure qua-lité d’entretien.Ces constatations invitent à relativiser le dis-cours ambiant. Les gated communities ne mena-cent pas encore les villes françaises. Pourautant, au-delà de l’influence éventuelle de lasécurité sur la production urbaine, ce type d’ha-bitat soulève des interrogations sur le plan plusgénéral de la question urbaine. La fermeturerésidentielle fait écho à deux mécanismes. Lepremier concerne la privatisation des espacesurbains. Fermés, ils sont dès lors soumis à deslogiques gestionnaires propres, différentes desespaces publics ouverts au passage. Le secondconcerne la séparation sociale. Les habitants,regroupés et organisés entre eux, entrent poten-tiellement dans des logiques d’entre-soi. Peut-être plus que la fermeture, ces deux méca-nismes témoignent du risque d’une villeexcluante. Or, il n’est pas besoin de fermeturepour engendrer privatisation et entre-soi. Eneffet, 40 % de la surface des espaces consacrésà l’habitat individuel du tissu périurbain franci-lien se composent d’ensembles à la morpho-logie enclavée, c’est-à-dire configurés sur lesmodèles de l’impasse ou de la raquette, et doncconçus pour éviter le passage public. Enclavés,ces ensembles sont gérés par des copropriétésprivées(6) et constituent des espaces plus oumoins homogènes socialement. Pour le coup, ils’agit bien là d’un phénomène dominant, et

qu’on ne remarque pas seulement dans leslotissements pavillonnaires [DONZELOT, 2006].

L’«hyper aménagement » de l’espace publicParallèlement à ce risque souvent pointé, maisnéanmoins discutable, de la fermeture desespaces, la préoccupation sécuritaire seremarque peut-être davantage dans certainestendances de l’aménagement de l’espacepublic urbain. Celles-ci ne relèvent pas forcé-ment de l’application de règles de conceptionni même de gestes volontaires de sécurisation.Elles traduisent souvent plus des choix réaliséspar les concepteurs ou les maîtres d’ouvrage àun moment du projet urbain et du dessin del’espace. Quel gabarit donner à cette voie, com-ment réaménager cette place? Que faire de cetespace entre deux immeubles? Autant de ques-tions concrètes qui donnent lieu à des arbi-trages où l’argument de la sécurité s’entend ouse devine.Ainsi, Paul Landauer attire l’attention sur unefaçon de fabriquer la ville qui se fixe commeobjectif la réduction des lieux potentiels deconflits(7). Au-delà de la «ville forteresse», qui sebarricade pour se défendre contre l’insécurité,de « nouvelles conceptions urbaines de lasûreté » ou des « figures spatiales de l’insécu-rité » visent à « la différenciation des flux [qui]constitue un moyen simple et économique delimiter les risques d’accident». Ces conceptions,

27

(6) Ce qui ne signifie pas automatiquement que les ruessoient de statut privé. Elles sont d’ailleurs généralement rétro-cédées au domaine public. Mais ce n’est pas parce que le sta-tut des voies est public que l’ensemble de la résidence estgéré par la ville.(7) Voir [LANDAUER, 2008, 2009], ainsi que dans ce numéro desCahiers l’interview de Paul LANDAUER, p.33.

Ensemble résidentiel de Montévrain (77) : la morphologie enclavée est bien plus présente que la fermeture.

© Interatlas, 2008

IAU île

-de-F

rance

Page 30: Les villes face à l'insécurité. Cahier n° 155€¦ · N° 155 - juin 2010 trimestriel - 18 € ISSN 0153-6184  Les villes face à l’insécurité IAU île-de-France

issues de l’expérience des grands équipementscomme les stades, ont le « souci d’éviter leslieux d’agrégation en général, en tant qu’ilsgénèrent toutes sortes d’actes de malveil-lance ». C’est la ville de l’hyper-mobilité, uneville passante mais sans frottement. À cetteséparation des flux et des parcours, s’ajoutentdes principes d’organisation du contrôle desespaces, à travers notamment des points decontrôle. « Il n’est plus question de tout voir,mais de bien voir, au bon moment, le peu quidoit être vu », ce qui nous fait sortir de lalogique du Panopticon de Bentham pour nousentraîner dans celle de l’Oligoptic, telle quedéveloppée par Bruno Latour (qui, soit dit enpassant, se fond dans la logique de la mise sousvidéosurveillance des espaces publics) [LAN-DAUER, 2009].Moins radical, l’aménagement des espacespublics ordinaires des villes, comme les ruesou les avenues, répond néanmoins parfois àdes objectifs de fonctionnalité qui rejoignentcette vision. Ainsi, les pistes cyclables, les chemi-nements piétons, les bacs à fleurs, les mar-quages au sol par des dégradés de matériauxneufs (granit, marbre), le mobilier et l’ensembledes barrières et des potelets qui séparent cesdifférents espaces, chargent aujourd’hui l’es-pace public pour ordonner ses usages. Le trot-toir se retrouve divisé en longueurs dédiées auxmarcheurs, aux poussettes, aux fauteuils rou-lants, aux vélos ; les places de stationnementsont encadrées par un vocabulaire riche designes de délimitation; la chaussée est, elle, plussimple, mais réduite à un canal étriqué… Bref,on canalise les usages. Ces hyper-aménage-ments, comme on pourrait les nommer, parta-gent avec les « figures spatiales de l’insécurité »l’objectif de la réduction des risques de conflits.Dans ces pratiques, l’espace public, dessinépour séparer les usages, permet, sinon d’évitertoute interaction sociale, du moins de limiterles tentatives d’appropriation, de détourne-ments et de conflits. Cette façon de fabriquer laville permet de rendre acceptable la coexis-tence de groupes sociaux différenciés précisé-ment parce qu’il n’existe plus de lieux d’inter-actions, de lieux «à risques».

L’acceptation du jeu de l’espace publicUn point de difficulté dans le débat sur la miseen relation entre urbanisme et sécurité pour-rait être, alors, l’objectif final de la réductiondes risques de conflits. On cherche à éviter leconflit, via des aménagements qui le rendraientimpossible. Peut-être faut-il, comme le plaidentcertains, réorienter le propos et opter pour unobjectif de gestion du conflit, ce qui signifiequ’on l’accepte, le prévoit, et suppose que l’onsoit en capacité de le gérer.

Dans ce débat, il semble alors pertinent de rap-peler que l’on peut mobiliser la capacité del’espace public, sous certaines conditionsd’aménagement et de gestion, à se réguler parla présence de ses usagers(8). La co-présencedes usagers d’un espace engendre un méca-nisme de contrôle social spontané producteurd’autorégulation des usages. « L’étrangetémutuelle des passants » [QUERE, BREZGER, 1999],le «civisme ordinaire » sont presque des outilsdans le projet de sécurité d’un espace, à condi-tion de faire confiance aux usagers, de « recon-naître [qu’ils] ont des capacités de régulationméconnues » [WYVEKENS, 2006]. Pour autant, ilfaut admettre que cette autorégulation passeaussi par des frictions, des tensions, en sommeun minimum de conflits.En effet, si l’occupation de l’espace public estimportante, ce n’est pas tant parce qu’elle dis-suade le passage à l’acte par crainte de l’arres-tation, que parce qu’elle introduit un autre typede relation entre usagers. Dans ce cadre, lesgestes de civilité ne traduisent pas tant unecompétence à l’évitement du conflit, mais unereconnaissance de la légitimité de la place del’autre dans un espace partagé. Cet espace n’estpas celui de la pure circulation (là, on est dansl’évitement), mais celui du quartier urbain, dece «civisme ordinaire» qui reconnaît à l’autre ledroit d’être là sans avoir à lui demander de ren-dre des comptes. Il permet de favoriser l’acces-sibilité mutuelle des êtres sociaux. Il est lacondition du contact et de l’échange, mais n’yinvite pas nécessairement. Ce faisant, on voit sedessiner la possibilité d’une conception de lasécurité dont l’enjeu serait de restaurer cettedisposition à l’autre, disposition dont l’espaceserait le gardien, gardien de l’autre en quelquesorte, et non gardien contre l’autre.Dans les discours actuels, les démarches de«sûreté-sécurité » mises en place dans les pro-jets urbains mettent en avant des objectifs deconciliation de la sécurité et de la qualité desespaces, ce qui sous-entend l’expression d’unevie urbaine(9). Mais cette volonté s’ouvre-t-elleréellement à la complexité des interactionssociales dans l’espace public ? À notre sens,l’urgence est donc moins dans la lutte contreune fermeture généralisée des espaces de laville que dans la vigilance quant à la qualité etau fonctionnement de « véritables » espacespublics.

ComprendreLes Cahiers n° 155

L’influence de la sécurité sur la conception urbaine

28

Références bibliographiques

• BILLARD Gérald, CHEVALIER Jacques, MADORÉ François, TABURET Aurélien,VUAILLAT Fanny, RAULIN François,«Typologie et représentations desensembles résidentiels fermés ousécurisés en France», Cahiers de lasécurité, n° 8, avril/juin 2009, pp. 63-73.

• DONZELOT Jacques, Quand la ville se défait. Quelle politique face à la crisedes banlieues ? Paris, Seuil, 2006.

• LANDAUER Paul, Ordre dispersé. Les nouvelles conceptions urbaines de la sécurité, Paris, Puca, 2008.

• LANDAUER Paul, L’architecte, la ville et la sécurité, Paris, PUF, coll. « La Ville en débat », 2009.

• LOUDIER-MALGOUYRES Céline, Les ensembles d’habitat individuel ferméset enclavés : étude des aspectsmorphologiques en Île-de-France, IAU île-de-France, à publier, 2010. Étudeparticipant au programme de recherchefinancé par l’ANR « Interactions public-privé dans la production du périurbain»,porté par l’UMR Géographies-Cités 8504CNRS, Paris-1 Panthéon-Sorbonne.

• LOUDIER-MALGOUYRES Céline, La sûreté dans les espaces publics urbains.L’apport des méthodes nord-américaines à la situation française et francilienne,IAU îdF, 2002.

• MANGIN David, La ville franchisée. Formeset structures de la ville contemporaine,Paris, Éditions de la Villette, 2004.

• OBLET Thierry, Défendre la ville. La police, l’urbanisme et les habitants,Paris, PUF, 2008.

• QUÉRÉ Louis, BREZGER Dietrich,« L’étrangeté mutuelle du passant », Les Annales de la recherche urbaine,n° 57-58,1999.

• VALLET Bertrand, « L’épreuve juridique dela sécurité urbaine», Pouvoirs locaux,2008, n° 78, pp. 66-70.

• WYVEKENS Anne (dir.), Espace public et sécurité, Paris, La Documentationfrançaise, coll. « Problèmes politiques et sociaux», n° 930, 2006.

(8) Idée présente dans l’ensemble de la littérature traitant dulien entre urbanisme, architecture et sécurité, depuis lesapproches sensibles de Jane Jacobs jusqu’aux démarchespragmatiques de la prévention situationnelle développéespar Ronald Clarke. Voir [LOUDIER-MALGOUYRES, 2002].(9) Sur l’articulation entre la culture urbaine et celle de « l’or-dre public», voir dans ce numéro des Cahiers, BENBOUZID Bilel« Comment rendre la sécurité acceptable dans l’urba-nisme?», p.30.

IAU île

-de-F

rance

Page 31: Les villes face à l'insécurité. Cahier n° 155€¦ · N° 155 - juin 2010 trimestriel - 18 € ISSN 0153-6184  Les villes face à l’insécurité IAU île-de-France

Les modes de production de la sécurité urbaine sont en pleine recomposition. Une redistribution des rôless’opère entre les institutions étatiques, les collectivitéslocales, le monde associatif et le secteur privé, à l’articulation de différentes stratégies de lutte contrel’insécurité. Dans le champ de l’aménagement et de l’urbanisme, la prise en compte de ces enjeux ne se réduit pas forcément à des démarches technicistes de prévention situationnelle et de protection défensive des espaces, fondées sur l’application de normes de gestiondes risques et le déploiement de la vidéosurveillance. Elle donne aussi l’opportunité de repenser la valeur des espaces publics, pour leur capacité à déclencher une dynamique urbaine positive favorable à la sécurité.Dans le champ pénal, les politiques engagées reflètentégalement des orientations plurielles. Les modèles de policeet de justice de proximité, promus à la fin des années 1990,semblent toutefois mis en cause face à la prédominanceactuelle d’une logique de durcissement de la répression de la délinquance et de la criminalité. Dans le champ de l’intervention sociale, des actions de médiation et de prévention, à visée socio-éducative, sont parallèlementmises en œuvre dans une perspective de pacification des territoires urbains.

29

Agir

IAU île

-de-F

rance

Page 32: Les villes face à l'insécurité. Cahier n° 155€¦ · N° 155 - juin 2010 trimestriel - 18 € ISSN 0153-6184  Les villes face à l’insécurité IAU île-de-France

En mettant sur pied un dispositif expéri-mental chargé d’examiner des projetsde sécurisation des territoires urbains

ou les nouveaux projets de construction etd’aménagement de la ville sous l’angle de leurincidence sur la sécurité, la ville de Lyon aautant forgé un savoir-faire en matière de pré-vention situationnelle qu’un espace de discus-sion et de cadrage de la critique. En effet, depuissa création, la commission communale consul-tative de prévention situationnelle de la villede Lyon est le théâtre d’une querelle opposantdes professionnels autour des représentationsdu «bien commun» en jeu dans la fabricationde la ville – par commodité d’analyse, on distin-guera deux groupes: les urbanistes d’un côté, etles professionnels de la sécurité de l’autre. L’op-position tient, pour l’essentiel, au fait que laprise en compte de la sécurité dans la fabrica-tion de la ville passe nécessairement par l’ap-propriation d’un certain nombre de questionspolitiques et morales que l’on ne peut disso-cier de la pratique et de la forme des étudesde sûreté et de sécurité publique(2).

Ville, urbanisme et sécurité : une question politique et moraleAvec la création de la commission, la préven-tion situationnelle est devenue un catalyseurdu débat autour du sens de la ville. En traitant,par exemple, de la lutte contre le vandalismedes équipements publics, des moyens de limi-ter les dégradations (skates, rollers, etc.), de laconsommation d’alcool sur certaines places

du centre-ville, des lieux de passe de la prosti-tution, des phénomènes de squat par certainsgroupes marginaux, du deal et du trafic dansl’espace public, etc., la prévention situationnellesuscite de vifs débats. Du côté des personnes encharge de la sécurité, on justifie les techniquesde la prévention situationnelle (surveillanceélectronique, minéralisation, fermeture tempo-raire, éclairage de sécurité, etc.) en s’appuyantsur des repères républicains (liberté et égalité)et en faisant référence à la loi qui apporte dé-sormais une définition officielle à la notion desécurité dans la pratique d’urbanisme. Le pro-jet politique de la prévention situationnelledevient légitime pour les professionnels de lasécurité car il apparaît comme un ensemblede mesures prises par les pouvoirs publics pourdéfendre une série d’objets sociaux dignes d’in-térêt : les équipements, le mobilier urbain, lesvoitures, les personnes, etc. Du côté des urba-nistes, ces mesures sécuritaires génèrent desréactions passionnées dont nous avons relevéles formules les plus significatives : «ce n’est pasça la ville » ; « la ville, c’est l’espace du conflit » ;« la commission soulève de vrais problèmespolitiques qu’on ne peut pas résoudre avec dessolutions techniques » ; « il faut penser qualitéet usage et non pas sécurité», etc. Ces réactions

AgirLes Cahiers n° 155

Les villes face à l’insécurité

Comment rendre la sécuritéacceptable dans l’urbanisme ?

Nouvel aménagement des berges du Rhône, Lyon : le résultat d’une concertation autour de la prévention situationnelle.

Bilel Benbouzid(1)

RIVES - ENTPE

Depuis le milieu des années 1990,l’apparition en France du thème de la prévention situationnelle dans le monde des gestionnaires de la ville et de l’urbanisme a soulevéde vives critiques. Cette réceptioninvite à s’interroger sur les conditionsde son acceptabilité. La création en 2001 de la commission communaleconsultative de préventionsituationnelle de la ville de Lyon est un observatoire intéressant de ce point de vue.

30

RUCH MP/Agence d’Urbanisme de Lyon

(1) Doctorant en aménagement et urbanisme, laboratoireRIVES-ENTPE UMR5600, Université de Lyon.(2) Cet article s’inscrit dans le cadre de notre travail de thèsede doctorat à l’Agence d’urbanisme pour le développementde l’agglomération lyonnaise, en partenariat avec la ville deLyon et le Grand Lyon.

IAU île

-de-F

rance

Page 33: Les villes face à l'insécurité. Cahier n° 155€¦ · N° 155 - juin 2010 trimestriel - 18 € ISSN 0153-6184  Les villes face à l’insécurité IAU île-de-France

d’opposition ne veulent pas dire que les urba-nistes considèrent que la fabrication de la villene doit comporter aucune restriction. Laconception et l’organisation des espacespublics s’imposent en premier lieu comme unprojet politique dont la matérialité cherche àorganiser un «espace commun» pour l’activitéordinaire des citadins (les usages, donc). Lesurbanistes s’appuient non pas sur des repèresjuridiques (lois), mais sur des références issuesde la philosophie politique pleinement inté-grées dans la pensée des aménageurs ; en par-ticulier l’idée d’un «droit à la ville », dévelop-pée par Henri Lefèbvre [LEFÈBVRE, 1 968]. Àtravers la notion de droit à la ville, les urbanistescherchent à organiser, pour tous, non seulementl’accès à l’ensemble des espaces publics et leurappropriation, mais aussi la participation descitadins aux décisions relatives à la fabricationde l’espace urbain, et à sa transformation selonles besoins et les désirs de chacun. C’est à cetunivers normatif que les personnes en chargede la sécurité doivent se plier pour parvenir àse mettre d’accord.Dans ce contexte, les professionnels de la sécu-rité proposent une «conception plus démocra-tique» de la fonction sécurité, en faisant réfé-rence aux travaux du Forum européen pour lasécurité urbaine qui, depuis sa création, travailleà préciser la manière de désigner la sécuritéurbaine : «Trois notions ont été successivementutilisées comme référence et moyen de discer-nement. Tout d’abord la notion d’intérêt géné-ral, sitôt énoncée, a été récusée. […] Ensuite lanotion de bien public. La sécurité est-elle undroit ? Est-elle un bien économique ? Ou est-elle un bien public? […] La question reste per-

tinente. Nous avons cependant préféré ne pasretenir la notion de bien public. […] Enfin lanotion de bien commun (common good) :termes universels, banals, sans attache avec uneforme institutionnelle précise, évoquant unevaleur commune à plusieurs, potentiellement àtous. » [MARCUS, VOURC’H, 1998]. Dans cettelogique de justification, la prévention situation-nelle devient acceptable à condition d’êtrepensée dans un contexte où le droit à la sécu-rité rejoint les autres composantes essentiellesdu droit à la ville : les droits à l’autonomie, àl’appropriation et à la différence. Mais l’organi-sation concrète de la complémentarité de cesdroits est souvent difficile. Ils contiennent descontradictions, des tensions et des conflits inso-lubles : «L’autonomie de la ville en tant que lieudu social s’oppose à la tendance à l’appropria-tion ; sa valorisation de la différence s’oppose àson aspiration à la sécurité ; sa tendance à l’ap-propriation engendre une multiplication desdifférences et de la revendication de ces diffé-rences ; ces différences désirent l’autonomie ;mais son autonomie peut se traduire par uneindifférence vis-à-vis de l’autre; son indifférenceproduit de l’indépendance, sa dépendancegénère de l’uniformité ; son uniformité désirela sécurité. Ce sont ces tensions qui font de laville un lieu d’affrontements dont l’objectif estd’articuler des droits à la ville» [ISIN, 2009]. Maiscomment?

Deux formes d’étude, deux manièresd’envisager les situationsCes composantes du droit à la ville n’existentpas seulement dans l’énonciation de principes,elles prennent corps dans des dispositifs bien

31

La prévention situationnelle estdevenue un catalyseur du débatautour du sens de la ville.Place des Terreaux, Lyon.GU

Y F./Agence d’Urbanisme de Lyon

IAU île

-de-F

rance

Page 34: Les villes face à l'insécurité. Cahier n° 155€¦ · N° 155 - juin 2010 trimestriel - 18 € ISSN 0153-6184  Les villes face à l’insécurité IAU île-de-France

réels qui permettent d’en débattre : les études,les comités techniques, les commissions, les dis-positifs techniques, etc. Là, la divergence entreles deux groupes professionnels se prolongedans un débat autour de la bonne pratique dece que l’on nomme désormais « l’étude desûreté et de sécurité publique»(3).Du côté des professionnels de la sécurité, ontend à mobiliser des savoirs issus de l’ingénie-rie de gestion des risques. Les études de sûretéet de sécurité publique, réalisées dans le cadredes projets de sécurisation des espaces publics,sont structurées en quatre objets d’analyse : lestypes de délinquance de voie publique(atteintes aux biens, aux personnes ou à l’or-dre public) ; les publics délinquants (résidentset non résidents, majeurs et mineurs, récidivisteset primo-délinquants) ; les lieux sensibles à par-tir d’analyses par îlots, puis plus précisémentpour les rues repérées comme les plus sensi-bles ; les moments délinquants (distinctionsemaine/week-end et jour/nuit). Du côté desurbanistes, on tend à mobiliser des savoirs issusdes sciences sociales. Leurs études s’apparen-tent à des monographies de lieu : on s’intéresseaux «communautés», on décrit longuement lesinteractions, on analyse les représentations, onobserve les cohabitations et la place de lafamille dans l’appropriation des espacespublics.Les principaux reproches que les tenants de laméthode statistique et technique adressent àces monographies concernent leur incapacitéà produire des études simples, capables degénéraliser, c’est-à-dire d’inférer avec un certaindegré de probabilité, les risques localisés, afind’apporter des mesures correspondantes, debon sens, pour les limiter. Dans leurs études, lesurbanistes ne songent guère à totaliser pourcomparer des taux de délinquance. Les étudesont plutôt le souci de l’expérience immédiate,de la description plus que du comptage, de latraduction des espaces urbains en sociabilitéou en usages plutôt qu’en faits codés et quan-tifiés [DESROSIÈRES, 1989].On peut ainsi distinguer deux manières d’ap-préhender les situations. Les personnes encharge de la sécurité traitent les situations –l’espace – dans une perspective fonctionna-liste. En s’appuyant sur des études de sécuritépublique, l’objectif est de dessiner des zones,des fonctions, en relation avec les risques esti-més en préalable. Il s’agit de repérer l’incidenceet la localisation des faits de délinquance enfaisant l’hypothèse que certaines situations sontplus favorables que d’autres. Traduites dans lespratiques d’urbanisme, la prévention situation-nelle se rapproche des savoirs issus des métiersde l’ingénierie technique : une logique de laproduction en série où les choses peuvent être

produites selon des normes, des standards,consignés dans des codes, des dessins tech-niques, permettant la reproduction à l’iden-tique de projet de sécurisation.Du point de vue des urbanistes, le traitementdes situations est culturaliste. Il s’agit de porterattention aux situations d’hybridation desformes et des cultures urbaines. En ce sens, l’ex-pertise des urbanistes s’appuie sur les pré-ceptes de l’écologie urbaine de l’École de Chi-cago pour qui l’espace «n’est ni une enveloppe,ni un vide dans lequel prend place un drameou une intrigue. C’est un milieu plein danslequel l’activité d’adaptation et de coopérationdes individus ou des collectifs trouve ses res-sources ; c’est un univers de plis et de nichesqui gardent une opacité relative et qui sont ins-trumentés comme tels […], l’idée que touteactivité trouve dans son environnement desprises. D’où l’importance d’un traitement qua-litatif et sensible des espaces urbains, garantd’un sens et d’une pertinence pour les usagesqu’en font les citadins » [JOSEPH, 2003].Les études des professionnels de la sécurités’attachent aux effets de l’espace et des dispo-sitifs techniques sur les comportements enconsidérant la vulnérabilité matérielle de l’es-pace public et sa dangerosité. Celles des urba-nistes s’attachent au rapport social à l’espacepour organiser les conditions d’un espace com-mun et lutter contre le déclin de la sociabilitéet de la vie publique. La juxtaposition des deuxformats d’études reste artificielle car elle bornesoudain le débat à la question de la pertinence,de l’utilité et de la fiabilité des études. Là, lesurbanistes comme les professionnels de lasécurité échouent dans l’articulation des droitsà la ville car ils oublient les effets que cesétudes induisent et le cadrage politiquequ’elles opèrent dans leur propre vision dumonde.Cette dimension charnière entre le monde dupolitique et celui de la connaissance estconsubstantielle à l’étude de sûreté et de sécu-rité publique. En ce sens, à l’inverse d’uneconception qui voudrait que les uns étudienten amont pour que d’autres puissent déciderensuite, étudier c’est déjà agir. Voilà qui plaidepour que le monde naissant des producteursd’étude de sûreté et de sécurité publiquetrouve le moyen de mettre en politique sonexpertise [BENTAYOU, BENBOUZID, 2009].

AgirLes Cahiers n° 155

Comment rendre la sécurité acceptable dans l’urbanisme?

32

Références bibliographiques

• BENTAYOU Gilles et BENBOUZID Bilel,« L’urbanisme et ses études : réflexions à partir de deux exemples de politiques d’aménagement urbain à Lyon», dossier : Les mesures de la ville,Histoire et Mesure, vol. XXIV, n° 2, pp.71-108, 2009.

• DESROSIÈRES Alain, «Opposition entredeux formes d’enquêtes », dans BOLTANSKI Luc, THÉVENOT Laurent(dir.), Justesse et justice dans le travail, Paris, PUF, coll. «Cahiersdu Centre d’études de l’emploi », n° 33, pp. 1-10, 1989.

• ISIN Engin, « La ville comme lieu du social », dans Droit de Cité, Paris PUF, coll. « Rue Descartes », pp. 52-62, 2009.

• JOSEPH Isaac, « La notion de public :Simmel, l’écologie urbaine et Goffman»,dans CEFAÏ Daniel et PASQUIER Dominique(dir.), Les Sens du public. Publicspolitiques, publics médiatiques, Paris, PUF,pp. 329-346, 2003.

• LEFEBVRE Henri, Le droit à la ville, Paris,Anthropos, 1968.

• MARCUS Michel, VOURC’H Catherine, « La sécurité comme bien commun»,Esprit, pp. 76-100, décembre 1998.

(3) Le décret n° 2007-1177 du 3 août 2007 définit l’étude desûreté et de sécurité publique (ESSP).

IAU île

-de-F

rance

Page 35: Les villes face à l'insécurité. Cahier n° 155€¦ · N° 155 - juin 2010 trimestriel - 18 € ISSN 0153-6184  Les villes face à l’insécurité IAU île-de-France

33

AgirLes Cahiers n° 155

Les villes face à l’insécurité

Les Cahiers – On pense souvent que les réponses spatiales à l’insécuritétournent autour de la « ville forteresse ».Vous en évoquez d’autres. Lesquelles ?Paul Landauer – Je suis parti d’un constat quiconcerne la façon dont on sécurise les stades.La maîtrise des flux des spectateurs, l’empêche-ment des débordements, en d’autres termes lecontrôle du comportement des spectateurs, serèglent avec des dispositifs spatiaux qui ne sonten rien ceux de la protection. Il s’agit bien plu-tôt d’organiser des fluidités, d’éviter les croise-ments, de limiter les opportunités de rencontreentre des groupes de personnes susceptiblesde s’agresser ou de s’affronter. Dans ce cadre, onest à l’inverse des dispositifs de fermeture. L’idéeserait même d’effacer les limites de propriétéou du moins de les assouplir. Les clôtures ser-vent à autre chose qu’à protéger, elles servent àcanaliser les flux. Cette façon de sécuriser leslieux n’est peut-être pas nouvelle. Ce que jetrouve intéressant, c’est qu’elle répond à uneproblématique très actuelle. Car, du point devue de la sécurité, l’organisation des matchs defoot constitue certainement un avant-goût dece à quoi l’aménagement des villes va bientôtdevoir se confronter. Car les dangers sont demoins en moins cantonnés à quelques lieux ouquartiers. Les crimes et les délits se dilatent,leurs auteurs s’organisent en réseaux de plusen plus souples et mouvants. Pour les forces del’ordre et les autres responsables de la sécurité,il ne s’agit plus tant de surveiller un territoiredonné et de le protéger d’éven-tuels assauts extérieurs par unmur, une clôture ou une fortifi-cation, que de contrôler lesmouvements qui vont et vien-nent entre intérieur et extérieur,ces deux dernières notions tendant même às’effacer sous la pression des stratégies sécuri-taires. Nous serions ainsi passés de la notion depanoptique à ce que Bruno Latour appelle leprincipe d’oligoptique(1). Il ne s’agit plus de toutvoir, mais de bien voir ce qui passe en un cer-tain nombre de points de passage. C’est trèsclair, depuis une quinzaine d’années, dans lesstades ou les aéroports. Ce qui est plus nou-veau, c’est que ces nouvelles méthodes com-mencent à se voir en ville où les limites cadas-trales sont de plus en plus souvent remplacéespar une distinction entre des «zones ouvertes »et des «zones réservées» entre lesquelles sontménagées ce que l’on appelle de plus en plussouvent des «périmètres de sécurité». La vidéo-

surveillance participe bien sûr de cette organi-sation, mais il y a d’autres signes, comme la mul-tiplication des portiques de sécurité ou, plussimplement, des barrières Vauban qui dédientcertaines portions d’espace à des activités trèsidentifiées. De même, on voit émerger, dans uncertain nombre de projets urbains récents, lesouci d’éviter les lieux d’agrégation en géné-ral, dont on pense qu’ils peuvent engendrertoutes sortes d’actes de malveillance. Il s’agit,par exemple, de la répartition des stations detransport autour des lieux à desservir, de la mul-tiplication de bornes ou de barrières amoviblesou, très directement, de l’enlèvement des bancs.L’espace public s’aménage ainsi, de plus enplus, autour du corps individualisé des usagers.

L. C. – L’observation de ces nouvellesconceptions de la sécurité vous font repositionner le débat sur le rapport entre l’urbanisme et la sécurité. Comment ?P. L. – Si certains dispositifs spatiaux se retrou-vent dans des situations a priori aussi différentesque les stades, les espaces de transports ou lesespaces publics, c’est bien que la sécurité estdéjà en train de conditionner la manière donton fabrique ou transforme aujourd’hui nosvilles. Il faudrait bien sûr y regarder de plus près,étudier comment ces dispositifs se généralisent,qui les véhicule, etc. Mais cela nécessiterait queces dispositifs soient reconnus. Or, nous n’ensommes même pas là ! Le débat sur les rapports

entre conception de l’espace etorganisation de la sécurité resteextrêmement simpliste. Il netient absolument pas comptedes manières de sécuriser ! Oncontinue d’opposer une forme

urbaine ouverte, moderne et accueillante, à uneforme fermée, protégée et portée à l’entre-soi.Or, on pourrait tout aussi bien interpréter lesnouvelles conceptions de la sécurité commeun mode de ce que David Mangin appelle la« ville passante » : il s’agit bien de favoriser lamobilité, d’effacer les clôtures quand il y en abesoin, etc. L’opposition de l’« ouvert » et du« fermé » ne constitue donc plus la bonnemanière de poser la question. Le mode de sécu-risation des stades, sans barrière ni protection,n’est pas mieux pour la vie urbaine que celuides gated communities. Ce mode tend, en effet,

Paul Landauer est architecte et urbaniste. Il exerce dans son agence, enseigne à l’Écoled’architecture de la ville et des territoires à Marne-la-Valléeet développe une activité de recherche au sein de l’Observatoire de la condition suburbaine (OCS).Il est engagé depuis de longuesannées dans une réflexion et dans une pratique du rapportentre l’urbanisme et la sécurité.Il a notamment publié Ordredispersé. Les nouvellesconceptions urbaines de la sûreté [Puca, 2008] et L’architecte, la ville et la sécurité [PUF, 2009].

Sécurité : un nouveau défi pour les concepteurs ?

Interview

H. Ballet/IAU îdF

(1) LATOUR Bruno, Changer de société, refaire de la sociolo-gie, Paris, La Découverte, 2006.

» Concilier sécurité et partage

de l’espace public. «IAU île

-de-F

rance

Page 36: Les villes face à l'insécurité. Cahier n° 155€¦ · N° 155 - juin 2010 trimestriel - 18 € ISSN 0153-6184  Les villes face à l’insécurité IAU île-de-France

vers un «urbanisme de l’évitement» qui n’a rienà envier à l’«urbanisme de la sécession», donton a beaucoup accusé les résidences et autreséquipements grillagés et contrôlés.

L. C. – Pour reprendre votre expression,« que risque la ville à se préoccuper de sécurité » ?P. L. – Ces nouvelles figures spatiales de l’évite-ment remettent en cause l’existence d’unespace public. Car elle réduisent d’autant lesoccasions d’immobilité et de rencontre. On nepeut faire aujourd’hui l’économie de cettequestion lorsqu’il s’agit d’aménager les villes. Ilfaut surtout prendre garde à ce que les meil-leures intentions d’accueil et d’hospitalité nesoient pas mises à mal par l’organisation de lasécurité. C’est la raison pour laquelle je plaidepour que les architectes et les urbanistes semêlent directement de cesquestions. Si l’on s’en tient au« partage spatio-temporel »,dont la ville de Paris s’est unpeu fait la pionnière, il y al’idée que l’espace est à tout lemonde, mais, d’une certainefaçon, à chacun son tour. Pourpouvoir avoir accès à l’espacepublic, il faut avoir, en préala-ble, officialisé l’usage et la pra-tique qu’on veut en faire. Il faut, soit réserver saplace, soit faire partie d’une association, soitmettre en place une animation pour accompa-gner ces mêmes usages ou ces mêmes pra-tiques. On crée ainsi des espaces multifonc-tions, mais dans l’idée que ces fonctions restentencadrées. Dans un contexte où ce qui garan-tit la sécurité des espaces relève de leur capa-cité à mettre en mouvement les usagers, à limi-ter les opportunités de croisement et à

préserver une capacité d’adaptation selon lesniveaux de risque, de tels dispositifs peuventêtre particulièrement destructeurs de la spon-tanéité et de l’aventure que nous sommes endroit d’attendre de nos villes. Surtout, ils renfor-cent l’idée que les réseaux de sociabilité tradi-tionnelle ne suffisent plus à animer l’espacepublic. Or, il me semble qu’un défi principal dela ville aujourd’hui est de maintenir un espacepublic de partage, où l’on a le droit de s’arrêter,au risque d’être « insécure».

L. C. – Quelles peuvent être les réponsesdes concepteurs urbains ?P. L. – Une des manières de répondre à ce dan-ger pour l’espace public, pour la vie urbaine,que constitue la nouvelle organisation sécuri-taire c’est, paradoxalement, de revendiquer lasécurité comme un objectif, voire un outil, desprojets. Je pense qu’il faut assumer la prise encompte de la sécurité dans l’architecture etdans l’urbanisme, l’assumer comme unedemande sociale. En d’autres termes, il ne fautpas laisser cette question aux seuls spécialistesdu maintien de l’ordre et de la technique sécu-ritaire. Et trouver des alternatives aux disposi-tifs d’évitement. Comment ? Il me semble, enpremier lieu, qu’il s’agit de reconnaître les phé-nomènes contre lesquels on chercheaujourd’hui à se protéger. Si la sécurité estrevendiquée aujourd’hui comme un paramè-tre nécessaire, au même titre que la sécuritéincendie ou l’accessibilité des personnes àmobilité réduite, on reste le plus souvent assezmuet sur la réalité des phénomènes et sur lesraisons pour lesquelles on souhaite parfois leseffacer du paysage. À partir du moment oùcette prise en compte devient explicite, lesréponses peuvent être très différentes.

C’est, très modestement, l’expé-rience que j’ai menée à Brestdans le cadre d’une opérationde sécurisation de deux quar-tiers d’habitat social(2). Deuxchoses me paraissent intéres-santes à retenir. La première,c’est que la commande portaitexplicitement sur la résolutionspatiale de problèmes d’insé-curité : des squats de halls très

importants liés à des trafics de drogue. Et quenotre réponse n’a pas porté sur une protectiondes immeubles, mais sur la création d’unespace public de partage, là où les habitants etles acteurs ne disposaient d’aucun lieu vérita-ble pour se retrouver. Dans les deux cas, nous

AgirLes Cahiers n° 155

Sécurité : un nouveau défi pour les concepteurs ?

34

(2) Le prix Prévention délinquance 2008, du Forum françaispour la sécurité urbaine, a été attribué à Brest MétropoleHabitat et à l’Atelier Landauer Architecture + Urbanismepour cette opération.

» Les urbanistes ont des inquiétudes et, parfois, tendance à fermer, à clôturer,

à ne pas oser imaginerun espace public trop généreux. «

Le site de Ground zeroà New York. P.

Landauer

IAU île

-de-F

rance

Page 37: Les villes face à l'insécurité. Cahier n° 155€¦ · N° 155 - juin 2010 trimestriel - 18 € ISSN 0153-6184  Les villes face à l’insécurité IAU île-de-France

avons créé des places avec des bancs. Et cesréponses ont véritablement fonctionné. Ledeuxième point à retenir, me semble-t-il, c’estle décloisonnement des maîtrises d’ouvrage.Parce qu’au départ, le problème concernait uni-quement un bailleur social. En démontrantqu’il fallait animer le lieu plutôt que le protéger,la commande s’est ouverte tout de suite à l’es-pace public et nous avons travaillé avec laCommunauté urbaine de Brest. Un bailleur etune collectivité ont donc considéré, à unmoment donné, qu’ils avaient le même pro-blème et que la réponse n’était pas «chacunchez soi et l’espace public pour tout lemonde». C’est ainsi que nous avons évité uneréponse de type « résidentialisation». Dans lesdeux cas, il n’y a pas eu de clôtures. Même pasde clarification foncière. Ce qui est intéressantau final, c’est qu’aujourd’hui, on a l’impressionque ces places ont toujours été là.Cette expérience menée à Brest montre que levrai débat sur le rapport entre l’urbanisme etla sécurité, n’est pas « pour ou contre », maisbien plutôt «quelle forme pour répondre à quelproblème»? Quand on tient compte de l’insé-curité d’une manière extrêmement standardi-sée, parfois à mille lieues de la réalité des pro-blèmes, je m’interroge. Le débat sur un éventueldéterminisme des formes proposées sur lescomportements est vain. La question reste tou-tefois de savoir quel espace nous voulons etquels sont les seuils de tolérance que nous vou-lons appliquer. À partir du moment où l’onprend la demande de sécurité comme unevraie question sociale, le champ des réponsess’élargit grandement.

L. C. – Au moment où la législationencourage la réalisation d’études de sécurité en préalable à certains projets urbains, comment travailler pour faire avancer ces considérations ?P. L. – Qu’il s’agisse des études de sécurité oud’autres procédés, je crois qu’un accompagne-ment des projets du point de vue de la sécu-rité peut leur être bénéfique. Car il y a beau-coup de tabous, voire d’autocensure sur cesquestions. Les espaces publics ouverts et pro-pices à l’immobilité inquiètent souvent parprincipe, alors qu’ils peuvent aussi permettred’apporter une vie sociale et un contrôle natu-rel des espaces. Les urbanistes ont des inquié-tudes et, parfois, tendance à fermer, à clôturer, àne pas oser imaginer un espace public tropgénéreux. Ils se sentent souvent un peu empê-chés vis-à-vis de ce risque de l’insécurité. Cesont ces empêchements qu’il faut lever et c’està cela, je pense, que peut servir une éventuelleexpertise du point de vue de la sécurité. Envisa-gée de cette manière, l’expertise peut alorsdevenir utile pour donner plus de poids, mêmepolitiquement, aux projets. Ce poids est néces-saire pour qualifier l’espace public comme unvéritable espace public, et pas uniquementcomme un lieu qu’on ne sait pas toujours trèsbien assumer et sur lequel on a parfois ten-dance à laisser les dispositifs d’évitement s’ins-taller.

Propos recueillis par Céline Loudier-Malgouyres

35

Création d’une place dans le cadre de l’opération de sécurisation d’un quartierd’habitat social à Brest.P.

Landauer

IAU île

-de-F

rance

Page 38: Les villes face à l'insécurité. Cahier n° 155€¦ · N° 155 - juin 2010 trimestriel - 18 € ISSN 0153-6184  Les villes face à l’insécurité IAU île-de-France

AgirLes Cahiers n° 155

Les villes face à l’insécurité

36

Les Cahiers – Qu’est-ce que le projet de territoire des Chaufourniers ?François Guillotte – Le site des Chaufourniersa été identifié comme site sensible dans le Planstratégique du patrimoine de Paris Habitat-OPH. Tous les critères d’alerte étaient réunis etla situation était jugée explosive. Nous avonsdécidé de lancer un projet ambitieux en nousappuyant sur les outils acquis en politique de laville dans le cadre de la première expérimenta-tion d’une démarche « projet de territoire »menée sur le site Danube-Solidarité (3000 loge-ments), également dans le XIXe arrondissement.La complexité de la situation justifiait ladémarche, car la seule réponse technique nepeut suffire.L’objectif et la démarche d’un «projet de terri-toire» se situent dans une recherche de coopé-ration. Les habitants sont, de fait, acteurs de lavie de leurs immeubles, à nous de créer lesconditions pour qu’ils deviennent acteurs duprojet. Et ce projet consiste à définir les condi-tions d’amélioration de la vie dans ces immeu-bles, en impliquant tous les habitants, lesmétiers du bailleur en équipe projet sur le ter-rain, les partenaires locaux.Une telle démarche s’inscrit dans la durée pourintégrer les temps des différents acteurs. Celanous amène à superposer des temporalités dif-férentes, entre actions à court et moyen terme– la modestie du quotidien – et ambition dulong terme – l’objectif d’un cap connu. Uneconsultation participative a d’abord été menéetout au long du second semestre 2006, commeétape préparatoire, pour identifier les besoins etles responsabilités de chacun autour de laquestion de « l’amélioration de la vie aux Chau-fourniers ». Il s’agissait de demander aux parti-cipants ce qui leur semblait le plus caractéris-tique de la réalité du site en termes de viesociale et de qualité du bâti. Entre 2007 et 2008,le projet de territoire est entré dans sa phaseopérationnelle, suivant un plan d’actions établien concertation avec les différents acteurs :habitants, partenaires locaux et nos servicesinternes. Lors d’une à deux réunions publiquespar semestre, huit objectifs prioritaires ont étédéfinis : sur des travaux d’urgence (sécurisationdes circulations et des accès, éclairage, ferme-ture des caves, embellissement des espacesextérieurs) et des actions sur le lien social(création d’un collectif d’habitants, d’un jour-nal des immeubles, d’un local associatif, d’unjardin partagé, de fresques murales). En 2009, un«atelier urbain» a été mené pour programmer,

avec les habitants, les axes de la rénovationlourde du site qui devrait concerner, à l’hori-zon 2012, les cours et les logements.

L. C. – Pourquoi est-ce si importantd’associer les habitants sur des sites comme celui-ci ?F. G. – Dans un tel projet, les seules prioritésqui ont un sens dans le temps, c’est-à-dire donton pense qu’elles vont tenir, sont des prioritéspartagées avec les gens concernés. Mais pourcela, il a fallu convaincre les habitants du lienentre la démarche du projet et la résolution desproblèmes. Ce n’était pas simple car au départ,ils nous ont dit : «Vous êtes peut-être de bonnevolonté, vous avez peut-être de gros moyens,mais vous nous fatiguez pour rien parce quecela va durer longtemps et on a autre chose àfaire que de se réunir le soir. Nous, on veut vivrepaisiblement dans nos immeubles, vous nous ledevez». Ils n’étaient donc pas tout à fait prêts àentendre la démarche qui consiste à dire : «Onvient vers vous, comme les rois mages, avec, enprésent, un projet de territoire, un budget dédié,de la volonté et de la méthode». Une des clefsde la réussite du projet a été de toujours lancerles actions de travaux (par exemple les locauxpoubelles avec collecte sélective), comme delien social (par exemple le local associatif) unefois qu’elles ont acquis leur légitimité au vu desattentes exprimées par les habitants, leur satis-faction sur l’étape précédente, leur compréhen-sion du dispositif global. Le mieux est l’ennemidu bien. Vouloir à leur place serait contre-pro-ductif. Il ne s’agit pas de se faire plaisir en tantque professionnel.Chemin faisant, dès que l’on coconstruit, on estamené à distinguer où sont les responsabilitésde chacun, celles des habitants comme lesnôtres, dans une attitude coopérative. C’est unefaçon d’apprendre à trouver des compromis,de faire l’apprentissage de la négociation. Celas’est révélé particulièrement vrai dans le travailmené sur la compréhension et l’application durèglement intérieur, autour du thème majeurde la propreté.L’insécurité a été évoquée dès le départ du pro-jet, au tout premier jour. Face à l’ampleur desproblèmes, et à l’incapacité générale à lesenrayer, les habitants souffraient d’un sentimentd’abandon. Ils avaient, par ailleurs, des rapportsconflictuels entre eux et faisaient preuve d’unetrès grande force d’opposition et d’inertie. Pourfaire d’eux des acteurs du projet, il était indis-pensable de retrouver la confiance, de se

François Guillotte est architecte.Il a notamment construit et réhabilité des logementssociaux en bureau d’études et en agence. Il a, en particulier, réalisé un certain nombre dediagnostics de sûreté urbaine,en creusant la relation entre la morphologie de l’espace et les comportements sociaux. Il est aujourd’hui chef de projets de territoires à la direction territoriale Nord-Est de Paris Habitat-OPH. Il témoigne, à titre personnel,sur le rapport entre lacoopération avec les habitantset la sécurité.

Le site des Chaufourniers, dans le XIXe arrondissement de Paris, fait parti dupatrimoine de Paris HabitatOPH. Il accueille environ 1150habitants. Il est composé d’un immeuble à habitations à bon marché – HBM – de 1930 (464 logements) et d’un immeuble des années1980 (54 logements).

Les habitants et le projet de territoire des Chaufourniers

Interview

C. Loudier-Malgouyres/IAU îdF

IAU île

-de-F

rance

Page 39: Les villes face à l'insécurité. Cahier n° 155€¦ · N° 155 - juin 2010 trimestriel - 18 € ISSN 0153-6184  Les villes face à l’insécurité IAU île-de-France

connaître mutuellement. Pour cela, il fallaitqu’ils libèrent leur parole. Mais c’est délicatdans certains cas, d’autant qu’ils s’entendentdire parfois par les institutions : «Vous avez uneresponsabilité dans l’affaire ». Il faut quandmême reconnaître que cela fait trente ansqu’on ne s’est pas véritablement occupé descités comme les Chaufourniers, qui sont dessites complexes au départ. Nous avons collec-tivement créé les conditions du désordre etnous les avons offertes à des gens qui ne vontpas bien. Ce n’est pas l’espace qui rend malade,mais si on cumule les handicaps, cela ne peutpas marcher.Face à cette complexité, il nous fallait l’apportd’une méthode rigoureuse, éprouvée. Nousnous sommes appuyés sur l’association Cultureet Liberté, issue du mouvement d’éducationpopulaire, qui travaille sur l’animation dedémarches participatives et la création de coo-pérations. Nous avons utilisé en particulier l’ou-til de l’abaque de Régnier, par transfert de com-pétences, qui est un facilitateur d’expressionde ce que pensent les gens sur un sujet donné,pour mettre en évidence leurs désaccords,leurs préjugés, et les dépasser. Cela permet devraiment écouter, entendre, comprendre en pro-fondeur la façon dont les gens vivent une situa-tion. Et, du coup, de débloquer, par cette com-préhension, des moyens d’actions que l’onn’aurait pas trouvés autrement. Concrètement,c’est très simple. On pose la même question àtout le monde, la plus ouverte possible, en l’oc-currence : « Que pensez-vous des immeublesdes Chaufourniers ? », et on réunit les acteursdu projet en collèges séparés (locataires,métiers du bailleur, acteurs locaux) sur unmême questionnement et un même déroule-ment. Au cours de ces réunions, tout le mondeest mis à égalité, et la parole, accompagnéeméthodiquement, se libère au fur et à mesure,une parole libre étant une parole sécurisée. Etfinalement, on les a nommés, les désordres. Onen a eu des séances d’exutoire et on en aappris, des choses ! Les six mois de consulta-tion ont permis d’aller plus loin collectivement,de construire une intelligence collective.

L. C. – Comment le rapport des habitantsà l’insécurité a-t-il évolué avec le projet ?F. G. – À la question de savoir si le projet arésolu les problèmes d’insécurité du site, jeréponds non. En revanche, les habitants seconnaissent, se parlent, s’investissent dans lesimmeubles. Le jardin partagé n’a jamais étédégradé ni aucune des fresques réalisées. Dupoint de vue de la sociabilité sur le site, c’estune métamorphose.La constitution d’une amicale des locataires, deplusieurs associations, l’implication partagée,

sont des réussites du projet. Parallèlement, laconfiance, la connaissance mutuelle entre leshabitants et nous, Paris Habitat-OPH, la visibilitéet la compréhension du projet sur le court et lelong terme en sont aussi. Nous avons tout demême réussi à faire adhérer les habitants à undispositif aussi complexe qu’un projet de terri-toire, avec une chaîne de responsabilités qui vajusqu’à la direction générale, la mairie de Parisou les financements de la Région. D’ailleurs,quand il a été question de choisir une équipepour mener l’atelier urbain (avec sociologue,urbaniste, architecte, paysagiste, économiste dela construction), les habitants ont exprimé lesmêmes attentes et les mêmes choix que le gar-dien, le gérant et le pilote, et ça, ça parle !Tout simplement, ils ont repris confiance enleur capacité à faire quelque chose eux-mêmeset à être entendus. C’est sans doute aussi parceque certaines des actions menées ont eu unepetite implication sur la sécurité. Les habitantssont, de fait, moins tendus vis-à-vis de ces ques-tions d’insécurité. D’ailleurs, à l’origine du pro-jet, ils voulaient des grilles partout. Au bout decinq ans de travaux d’amélioration et d’un and’atelier urbain, la décision, partagée, a été delaisser le site ouvert la journée et de le fermerla nuit. De mon point de vue, cette évolutiondans la demande de sécurité est significative.Je garde en tête l’utopie de voir un jour les habi-tants accompagner eux-mêmes les touristesétrangers qui visitent les HBM parisiens, fiersd’y vivre et non plus cachés. On viendra voirautant l’habitant que l’habitat. Nous auronsainsi fait la preuve de l’adaptation d’un patri-moine formidable. D’ailleurs s’il n’avait pas cesqualités spatiales et techniques, vu comme il aété entretenu et habité, il ne serait plus debout !

Propos recueillis par Céline Loudier-Malgouyres

37

Inauguration du jardin partagé dans la cité des Chaufourniers.

F. Guillotte

IAU île

-de-F

rance

Page 40: Les villes face à l'insécurité. Cahier n° 155€¦ · N° 155 - juin 2010 trimestriel - 18 € ISSN 0153-6184  Les villes face à l’insécurité IAU île-de-France

Selon le ministère de l’Intérieur, en 2009,plus de 1000 communes étaient équipéesde dispositifs de vidéosurveillance des

espaces publics alors qu’elles n’étaient qu’unedizaine en 1995. Cet essor rapide de la vidéosur-veillance n’est pas propre à la France mais il yprend une ampleur inégalée hormis en Angle-terre. Comment l’expliquer ?

Les raisons du développement de la vidéosurveillance

Un cadre juridique assoupliLa constitution d’un cadre juridique par la loid’orientation pour la sécurité du 21 janvier 1995(LOPS) a permis de délimiter un champ despossibles réglementaires et d’encadrer sonapplication en instaurant des dispositifs decontrôle. Ainsi, l’installation d’un système devidéosurveillance visionnant les espacespublics est conditionnée à l’obtention d’uneautorisation administrative préalable délivréepar le préfet, après avis d’une commissiondépartementale également chargée d’exercerdes contrôles a posteriori. La multiplication desdispositifs de vidéosurveillance et les avancéestechnologiques rendent toutefois ce cadre juri-dique obsolète. De récents textes réglemen-taires ont d’ailleurs simplifié les conditionsd’installation de la vidéosurveillance sans pourautant renforcer les moyens de contrôle, jugésinsuffisants par la Commission nationale infor-matique et libertés (Cnil).

Une politique d’aide incitativePar la loi du 5 mars 2007 relative à la préventionde la délinquance est créé un fonds intermi-nistériel de prévention de la délinquance(FIPD) dont la majorité des sommes est allouéeau financement de systèmes de vidéosurveil-lance. Ainsi, en 2010, 61 % de l’enveloppe glo-bale de ce fond est reversé à la vidéosurveil-lance. Avec cette incitation financière forteauprès des collectivités locales, le Gouverne-ment entend doter la France de 60000 camérasdans les espaces publics à l’horizon de la fin2010. L’effet « levier » de cette aide à l’investissementinitial est manifeste. Son revers est le développe-ment tous azimuts de la vidéosurveillance, àl’instar de la politique conduite par le HomeOffice anglais qui a encouragé les villes à s’équi-per sans avoir à justifier leurs besoins, selon leprincipe « take the money now or lost it ».

Un intérêt économique certainLes «marchands de sécurité » ont su promou-voir et vendre la vidéosurveillance auprès desélites politiques nationales et des élus locaux,notamment via l’Association nationale pour lesvilles vidéosurveillées (AN2V). Couplé à la pres-sion des assurances auprès des maires pourqu’ils protègent leur patrimoine communalavec cet outil, sous peine d’une augmentationde leurs franchises, ce lobbying contribue forte-ment à la diffusion de la vidéosurveillancedans les villes et au développement de ce seg-ment du marché de la sécurité privée.

AgirLes Cahiers n° 155

Les villes face à l’insécurité

La vidéosurveillance : un outil de prévention efficace ?

Plus de 1 000 communes françaisessont désormais équipées en vidéosurveillance.

Tanguy Le GoffIAU île-de-France

Places, rues, squares… les camérasdes systèmes de vidéosurveillance font désormais partie du mobilierurbain des espaces publics de nos villes. Le rapide essor de cette technologie est d’autant plus remarquable qu’aucune étuden’en a encore démontré l’efficacitédissuasive. Ses coûts financiers et sociaux sont, en revanche,indiscutables.

38

P. Thiot/IAU îdF

IAU île

-de-F

rance

Page 41: Les villes face à l'insécurité. Cahier n° 155€¦ · N° 155 - juin 2010 trimestriel - 18 € ISSN 0153-6184  Les villes face à l’insécurité IAU île-de-France

Une opinion publique favorableOn observe une évolution des représentationsrelatives à la vidéosurveillance, dont l’imagesemble aujourd’hui plus positive: 60 % des Fran-ciliens interrogés dans le cadre de l’enquête «Victimation et sentiment d’insécurité » menéepar l’IAU île-de-France en 2009 se disent ainsifavorables à cet outil (HEURTEL, 2009). La miseen scène de son efficacité supposée dans lesséries télévisées policières et la littérature anglo-saxonnes (NELLIS, 2009) et dans les médias aulendemain des attentats de Londres de juil-let 2005, a indiscutablement participé à la valo-risation de la vidéosurveillance. Son image posi-tive prend appui sur la croyance dans lepouvoir de la technologie, que l’on retrouvetout autant chez les défenseurs que chez lespourfendeurs de la vidéosurveillance. Elleconduit à une surestimation des capacités tech-niques et de l’efficacité de cet outil, dont lesétudes évaluatives étrangères soulignent pour-tant les limites (LE GOFF, FONTENEAU, 2008).

L’impact de la vidéosurveillance : que sait-on?Si la vidéosurveillance a acquis une légitimitépolitique et sociale – de manière étonnante auregard des coûts (financiers et sociaux) impor-tants de cette technologie –, aucune étude éva-luative de son efficacité pour prévenir la délin-quance n’a été réalisée en France. À défaut, onpeut s’appuyer sur les quelque cinquanteétudes réalisées à l’étranger (Angleterre, Aus-tralie, États-Unis ou Suisse). De ces études, troisprincipales conclusions se dégagent(1).

Une dissuasion plus grande dans les espaces fermés qu’ouvertsL’efficacité dissuasive de la vidéosurveillanceest variable selon le type de lieu (espace ouvertou espace fermé). La vidéosurveillance n’aqu’un faible impact dans les espaces étendus etcomplexes comme les rues. Les caméras ne dis-suadent pas les délinquants de passer à l’actedans la mesure où le risque de se faire identi-fier, et plus encore interpeller, est jugé faible.Les statistiques des faits enregistrés mettentd’ailleurs en évidence une absence ou unediminution non significative des vols à la tire(commis par les pickpockets) et des vols à l’ar-raché.En revanche, la vidéosurveillance a une réelleefficacité dissuasive dans des espaces ferméscomme les parkings ou les hôpitaux. Dès 1993,Nick Tilley constatait une baisse significativede près de 60 % des vols dans les voitures dansdes sites équipés. Cet enseignement est corro-boré par les conclusions d’une vaste étude por-tant sur 14 sites, réalisée sous la conduite deMartin Gill et d’Angela Spriggs en 2005. L’ana-

lyse de 58 parkings londoniens, comptant autotal 556 caméras, révèle une baisse de 73 %des vols de véhicules et dans les véhicules aucours des douze mois suivant l’installation; unebaisse qui atteint même 80 % dans les parkingsles plus touchés par les vols avant d’être équi-pés. Trois raisons peuvent expliquer l’efficacitéde cet outil dans ce type d’espace fermé :- la quasi intégralité du quadrillage des par-

kings (de 95 % à 100 % de l’espace est couvertpar les caméras) ;

- l’unique finalité de l’opérateur chargé deregarder les images est de repérer les délin-quants potentiels qui commettent des vols devoiture ou dans les voitures ;

- l’évaluation du risque par le délinquant quimesure bien que, dans ces espaces où il n’y aguère de possibilité d’échapper à l’œil descaméras et de fuir, le risque est très élevé. Ilaura donc tendance à changer de cible et delieu.

Une efficacité plus grande pour les atteintes aux biens que pour les atteintes aux personnesL’efficacité dissuasive de la vidéosurveillanceest variable selon le type de délit. On constateparfois une baisse des atteintes aux biens, géné-ralement peu significative (vols à l’étalage, cam-briolages). En revanche, la vidéosurveillancen’a qu’un impact très limité sur les délits impul-sifs, notamment ceux commis sous l’emprisede stupéfiants (agressions sexuelles, bagarres,rixes). On aurait même tendance à constater

39

(1) Pour une synthèse de ces études, voir la méta-analyse deWELSH Brandon and FARRINGTON David, «Effects of Closed Cir-cuit Television Surveillance on Crime», Campbell SystematicReviews, 2008.

J.-C.Pattacini/Urba Images/IAU îdF

Les opérateurs soumis à une pluralité d’objectifs et d’informations visuelles.

IAU île

-de-F

rance

Page 42: Les villes face à l'insécurité. Cahier n° 155€¦ · N° 155 - juin 2010 trimestriel - 18 € ISSN 0153-6184  Les villes face à l’insécurité IAU île-de-France

des hausses pour ce type de délits. Martin Gillet Angela Spriggs relèvent ainsi que dans troisdes quatre centres-ville qu’ils ont étudiés, lenombre de délits avec violence a sensiblementaugmenté après l’installation des caméras [GILL

ET SPRIGGS, 2005]. Ceci tient, expliquent-ils, aufait que la présence des caméras peut accroîtrele nombre de faits repérés par les opérateurset, en conséquence, les statistiques criminelles.

Un instrument d’élucidation peu probantL’efficacité de la vidéosurveillance en tantqu’instrument d’élucidation mérite d’être for-tement nuancée. À Londres, la ville la mieuxdotée en caméras, le responsable policier dela vidéosurveillance, Mick Neville, a déclaré queseuls 3 % des délits sur la voie publique ont étérésolus grâce au système vidéo en 2006. Ilestime que l’effet dissuasif de la vidéosurveil-lance s’estompe dans le temps. Ce qui ne signi-fie pas, ajoute-t-il, que l’outil soit inefficace, maisqu’en l’état actuel de son mode d’exploitationle bilan est dérisoire en matière judiciaire.En France, il n’existe pas d’indicateur spéci-fique permettant d’isoler parmi les affaires réso-lues celles qui l’ont été grâce à de la vidéosur-veillance. Des inspecteurs généraux del’administration se sont néanmoins lancés danscet exercice. Sur la base d’un échantillon de 63brigades de gendarmerie couvrant une ou plu-sieurs communes disposant d’un tel dispositif,ils isolent 770 faits élucidés grâce à cet outilpour l’année 2008, soit moins d’un fait élucidépar mois et par dispositif. Au vu de ces élé-ments, l’efficacité de la vidéosurveillance n’ap-paraît donc pas plus probante en matière d’élu-cidation que pour la prévention de ladélinquance.La mesure de l’efficacité de cette technologiepasse également par une analyse de ses effetssur les comportements des principales ciblesdes caméras : les délinquants. Sur la base d’en-tretiens auprès de délinquants, de rares étudesinternationales ont été réalisées. Elles montrentque, dans leur majorité, les délinquants ne

considèrent pas les caméras comme un élé-ment entravant leur passage à l’acte. Cela lesoblige simplement à adopter des stratégies dedissimulation, à changer de cible ou de lieu. Deleur enquête auprès de délinquants(2), MartinGill et Karynn Loveday concluent ainsi que « lamenace potentielle qu’est la vidéosurveillancen’a que peu d’effets en raison des différentesmanières et de la rapidité avec laquelle peuts’opérer un délit. Le point positif, ajoutent-ils,est que ceux qui ont été arrêtés grâce auximages perçoivent plus fortement la vidéosur-veillance comme une menace».

De lourds coûts sociauxAu-delà de l’impact sur la délinquance, lamesure des effets de la vidéosurveillancenécessite de s’intéresser aux coûts sociauxqu’elle génère. Par coûts sociaux, on entendnotamment ce que cette technologie de sur-veillance des espaces et des individus induitcomme pratiques discriminatoires liées au tra-vail des opérateurs situés derrière les écrans.Soumis à une pluralité d’objectifs et d’informa-tions visuelles, les opérateurs sont enclins à sefocaliser sur une gamme étroite de caractéris-tiques facilement repérables plutôt que sur descomportements suspects. Ils tendent à se portersur différentes catégories de population enfonction de stéréotypes. Gary Armstrong et CliveNorris [ARMSTRONG ET NORRIS, 1999] ont ainsi misen évidence que les opérateurs de vidéosur-veillance opéraient un véritable « tri social » enciblant une fois et demi à deux fois plus lespopulations noires que les autres présentes surun même site. Ceci signifie que même si ellesn’ont rien à se reprocher, certaines personnesressentent plus fortement que d’autres les effetsde la vidéosurveillance en raison de leur genre,de leur origine ethnique, de leur classe ou deleurs codes vestimentaires susceptibles d’êtreperçus comme déviants [FUSSEY, 2008]. Sur labase d’une enquête ethnographique du travaild’opérateurs affectés à la vidéosurveillanced’une université, Gavin Smith montre bien com-ment les opérateurs tendent à considérer cer-taines modes vestimentaires avec une sous-cul-ture associée au crime et à la déviance [SMITH,2007].Au regard des études évaluatives étrangères, lesrésultats en matière de prévention de la délin-quance sont donc très mitigés pour des coûtsfinanciers et sociaux indiscutablement lourds.Ils devraient inviter à une grande prudencedans le recours à un instrument dont la moder-nité technologique n’est pas forcément syno-nyme d’efficacité.

AgirLes Cahiers n° 155

La vidéosurveillance : un outil de prévention efficace ?

40

(2) GILL Martin, LOVEDAY Karynn, «What do Offenders Thinkabout CCTV?», in CCTV, Martin Gill (dir.), London, PalgraveMacmillan, p.81-92, 2003.

Références bibliographiques

• ARMSTRONG Gary ET NORRIS Clive, «CCTVand the social structuring ofsurveillance», Crime Prevention Studies,vol. 10, 1999.

• GILL Martin, LOVEDAY Karryn, «What doOffenders Think about CCTV?», dansCCTV, Martin Gill (dir.), London, PalgraveMacmillan, p. 81-92, 2003.

• GILL Martin, SPRIGGS Angela, «Assessing the impact of CCTV», Home Office Research Study n° 292.Home Office, London, 2005.www.homeoffice.gov.uk/rds/pdfs05/hors292.pdf

• HEILMANN Éric, « La vidéosurveillance, un mirage technologique et politique»,La Frénésie sécuritaire, Laurent Muchielli(dir.), Paris, La Découverte, 2008.

• HEURTEL Hélène, «Résultats de l’enquête2009. Victimation et sentimentd’insécurité », IAU île-de-France, 2009.

• Inspection générale de l’administration,de la gendarmerie et de la policenationale, Rapport sur l’efficacité de la vidéoprotection, ministère de l’Intérieur, de l’Outre-Mer et des collectivités territoriales, juillet 2009.

• LE GOFF Tanguy, FONTENEAU Mathilde,Vidéosurveillance et espaces publics. Étatdes lieux des évaluations conduites enFrance et à l’étranger, IAU île-de-France,Paris, octobre 2008.

• NELLIS Mike, «Since Nineteen EightyFour : representations of surveillance inliterary fiction», New Directions inSurveillance and Privacy, Benjamin Gooldand Daniel Neyland (dir.), London,Willan Publishing, p. 178-203, 2009.

• SMITH Gavin, « Exploring Relationsbetween Watchers and Watched inControl (led) Systems : Strategies andTactics », Surveillance and Society, 2007.http://www.surveillance-and-society.org

• TIILLEY Nick, Understanding Car Parks,Crime and CCTV : Evaluation Lessons from safer cities, London, Crime Prevention Unit, n° 42, 1993.

• WELSH Brandon, FARRINGTON David,« Effects of closed circuit televisionsurveillance on crime?», CampbellSystematic Reviews, 2008.

T. Le Goff/IAU îdF

Les caméras : une faible efficacité dissuasive.

IAU île

-de-F

rance

Page 43: Les villes face à l'insécurité. Cahier n° 155€¦ · N° 155 - juin 2010 trimestriel - 18 € ISSN 0153-6184  Les villes face à l’insécurité IAU île-de-France

La «proximité » est devenue un leitmotivdans les débats sur la sécurité, aussi bienpour dénoncer ce que ses détracteurs

qualifient volontiers de « politique laxiste » àl’égard des délinquants que pour défendre uneautre façon de faire de la police. Or l’examentant des discours que des politiques antérieuresmenées avec l’intention de « faire de la proxi-mité » montre que beaucoup de commenta-teurs peinent à définir clairement ce que recou-vre cette notion. Elle est vaguement assimilée àl’idée de police de prévention, de police faibleet inefficace, de police à l’image de la popula-tion, voire aujourd’hui de police municipale.Tour à tour dénommée « îlotage », « police deproximité » sous son appellation officielle, puis« Uteq »(2), cette pratique policière a connu destraductions diverses. Elle a également consti-tué l’un des fondements essentiels du fonction-nement concret de la gendarmerie nationale. Àtravers l’examen des expériences françaises, dudébut des années 1990 jusqu’à aujourd’hui, etla comparaison avec des expériences étran-gères, il est possible de mieux cerner les avan-tages et les limites d’une police de proximité àla française. Pour cela, il ne suffit pas de secontenter de suivre les annonces officiellesdécrétant la transformation d’une force desécurité en unité de proximité. Il faut regarderles pratiques concrètes des professionnels etsurtout en mesurer l’impact auprès des popula-tions. C’est à travers ce regard que l’on peutdépasser les polémiques stériles et envisagerde nouvelles politiques de sécurité.

Dépasser les idées reçuesAvant tout, il convient de rompre avec tous lesponcifs qui entourent le concept de police deproximité. La première confusion courante quirègne à ce sujet est due à l’amalgame fait entrel’idée générale d’une police plus proche desdivers publics qu’elle est amenée à côtoyer etla désignation officielle d’une politiquepublique menée de 1998 à 2003(3). En ce quiconcerne le second point, il s’agit d’une formeparticulière de proximité, fondée sur l’implan-tation de policiers dans des quartiers à partir depostes de police, qui sont amenés à traiter judi-ciairement des affaires. Mais d’autres modèlesont jalonné les trente dernières années de poli-tique policière.

En effet, avant l’instauration de la police deproximité par le gouvernement Jospin à la findes années 1990, l’idée d’une police plusproche des citoyens a connu diverses déclinai-sons. C’est à Alain Peyrefitte et aux équipes qui

AgirLes Cahiers n° 155

Les villes face à l’insécurité

La police de proximité : quel bilan ?

La proximité, une stratégie policièrealternative au modèle classiqued’intervention-répression.

Christian Mouhanna(1)

CNRS - Cesdip

La police nationale a aujourd’huipratiquement abandonné toutestratégie de reconquête pacifique des zones sensibles pour privilégierune logique d’affrontement. Certes, force doit rester à la loi et il n’est pas question de remettre en cause la punition ou la sanction. Mais n’est-on pas allé trop loin dans une police univoque qui, au lieu de renforcer sa légitimité, est de plus en plus fragilisée?

41

C.Galopin/IAU îdF

(1) Chercheur au CNRS - centre de recherches sociologiquessur le droit et les institutions pénales.(2) Unité territoriale de quartier, instaurée en 2008 parMichèle Alliot-Marie, alors ministre de l’Intérieur.(3) La médiatique déclaration de Toulouse, le 3 février 2003,viendra sonner officiellement le glas de la police de proxi-mité. Nicolas Sarkozy vient en personne fustiger les policiersqui s’investissent dans les quartiers en dénonçant ceux quifont «du sport » ou qui jouent les « travailleurs sociaux». Maisl’offensive a débuté plus tôt : une circulaire du ministère del’Intérieur du 24 octobre 2002 demande aux responsablespoliciers d’adapter les modalités de la mise en œuvre de lapolice de proximité en donnant la priorité aux missions d’in-vestigation et de répression.

IAU île

-de-F

rance

Page 44: Les villes face à l'insécurité. Cahier n° 155€¦ · N° 155 - juin 2010 trimestriel - 18 € ISSN 0153-6184  Les villes face à l’insécurité IAU île-de-France

ont travaillé avec lui sur les causes de la vio-lence(4) que l’on doit une première analyse dela dégradation des rapports police-citoyen et larecommandation de la création – ou de larelance – d’une ancienne forme de police, l’îlo-tage. Policier en tenue, qui effectue l’essentiel deson service en patrouille pédestre, l’îlotier doittout à la fois sanctionner, informer, mais aussiassister. Son objectif essentiel est de «connaî-tre le milieu dans lequel il exerce» afin d’y ins-taurer un climat de sécurité. Pour cela, il estaffecté en permanence à un seul secteur, ce quilui permet de «personnaliser ses interventionset sa surveillance(5) ». Sa qualité essentielle estl’esprit d’initiative.

Encouragé par la nouvelle majorité de gauchequi gouverne la France, l’îlotage connaît un réelengouement à plusieurs reprises. Il est difficilede résumer et de synthétiser les multiples pra-tiques locales extrêmement diverses et variées.Signalons simplement qu’à côté des circons-criptions de police où personne ne s’investitréellement dans cette politique et où l’on faitsemblant d’avoir des îlotiers, de nombreux poli-ciers de terrain, aussi bien dans de petites villesde province que dans certaines zones urbainessensibles, s’investissent considérablement dansle tissu local et parviennent à maintenir uneprésence rassurante tout en limitant, par leurconnaissance des jeunes et de leurs familles,l’accroissement de la délinquance et du senti-ment d’insécurité.

Mais plusieurs freins vont ralentir le dévelop-pement de l’îlotage, puis remettre en cause sonmaintien. On observe une évidente mauvaisevolonté d’une partie des policiers qui voientdans cette forme de police une atteinte à leur

autorité et à leur virilité (on parle alors dansles commissariats d’îlotiers «majorettes » de lapolice) et qui n’acceptent pas que des col-lègues fassent de la police autrement que dansun rapport de force. La plupart des commis-saires supportent mal que les priorités soientfixées par les demandes du public et non pluspar eux, ce qui, de leur point de vue, remet encause leur pouvoir. Le même phénomène seretrouve tout au long de la chaîne pénale. Ostra-cisés au sein de leur propre administration, lesîlotiers ne fonctionnent qu’avec leurs parte-naires qui, eux aussi, se lassent parfois des ini-tiatives prises. En effet, loin de se contenter de« faire de la sécurité », les meilleurs îlotiers ontcompris, au contact de leurs administrés, que lanotion de sécurité dépasse le simple travailpolicier. Dès lors, ils se mêlent de scolarité,d’aménagement des immeubles, d’éclairagepublic ou de ramassage des ordures. Ces cri-tiques agacent les services locaux ainsi mis encause. D’où la revendication de disposer depoliciers qui se cantonnent à la gestion de lasécurité stricto sensu.

Il est important de signaler ces obstacles quivont ressurgir à chaque fois qu’on parlera d’unepolice plus proche des citoyens, quelles quesoient ses formes. Car, contrairement à la policeclassique d’intervention-répression, qui apportedes réponses simples et sans débats à des situa-tions parfois très complexes, le policier àl’écoute de la population participe à la mise enlumière de problèmes complexes auxquelsaucune réponse n’est fournie. Par exemple, lalancinante question de l’occupation des hallsd’immeubles montre l’opposition de fond entre,d’une part, des politiques de sécurité qui cher-chent juste à répondre sporadiquement auxsymptômes et, d’autre part, des démarches pluscomplexes. Pour la police de proximité, ou, pourreprendre la terminologie toujours très envogue en Amérique du Nord et dans les paysanglo-saxons, la «police de résolution de pro-blème», il ne suffit pas d’évacuer ces halls, il fautse demander ce que vont faire ces jeunes unefois chassés et quelles réponses élaborer pour leplus long terme. À défaut, les politiques sécuri-taires ne sont que des coups d’épée dans l’eau.

La police de proximité : une démarche riche d’enseignementsLa mise en place de la police de proximité parle gouvernement Jospin, en 1997-1998, s’inscritelle aussi dans une volonté de rapprocher lapolice du public. Elle s’affiche en rupture par

AgirLes Cahiers n° 155

La police de proximité : quel bilan?

42

(4) PEYREFITTE Alain, Réponses à la violence, Paris, La Docu-mentation française, 1977.(5) Ibid.

© Préfecture de police

L’objectif de l’îlotier est de connaître le milieu

dans lequel il exerce.

IAU île

-de-F

rance

Page 45: Les villes face à l'insécurité. Cahier n° 155€¦ · N° 155 - juin 2010 trimestriel - 18 € ISSN 0153-6184  Les villes face à l’insécurité IAU île-de-France

rapport aux pratiques antérieures en se focali-sant sur l’activité judiciaire et la sanction. Ce«recentrage» sur le judiciaire n’est pas une pre-mière : à maintes reprises, notamment en 1994,les autorités avaient réorienté les îlotiers vers« la fonction première de la police». On retrou-vera d’ailleurs le même discours officiel lorsde la mise en place des Uteq en 2008 : il s’agitde montrer que la nouvelle politique annon-cée est en rupture par rapport à la précédente,et surtout qu’elle sera plus dure avec les délin-quants. Il faut faire table rase du passé. Chaqueministre croit que les déclarations martiales etla surenchère vont résoudre la question de ladélinquance. L’expérience de 1998 débute parun dispositif expérimental, mais s’emballe bien-tôt à la fois sous « les coups de sang» du minis-tre de l’Intérieur de l’époque et face auxdemandes des élus locaux qui réclament tousleur police de proximité.Cette réforme met en lumière l’incapacité struc-turelle de la machine policière à s’engagerdans un dispositif qui, par essence, devrait êtredéconcentré. En effet, quelle que soit la bonnevolonté des promoteurs de cette « nouvelle »police, l’administration française de la policenationale et le ministère, dans leur volonté detout régenter, freinent le développement desinitiatives locales. Tout le monde s’inquièted’une véritable ouverture au public, aussi bienles policiers qui acceptent mal la notion de ser-vice au public et les contraintes qu’elleentraîne, que les chefs policiers qui n’ont plusl’impression de diriger leurs troupes, sanscompter l’échelon central.

La question des statistiques policières illustreparfaitement cette rigidité. Car finalement,l’échec essentiel de la police de proximité,jamais véritablement évaluée, est d’ordre poli-tique et médiatique. Si, localement, certainspoliciers, par leur investissement personnel, par-viennent à améliorer l’ambiance générale dansle quartier où ils sont affectés, si des enquêteslocales montrent une satisfaction grandissantedans de nombreux secteurs, les médias et l’op-position politique de l’époque se focalisent surles mauvais résultats statistiques de la délin-quance. Le nombre de délits constatés par lesservices de police s’accroît considérablement.Or, on peut montrer localement que cet accrois-sement, loin de signifier une augmentation dela criminalité qui serait imputable à la police deproximité alors même que l’on n’a pas amputéles dispositifs répressifs classiques, est, para-doxalement, dû, en grande partie, à un meilleurservice rendu par la police. En effet, l’ouverturede postes de police dans les quartiers, le meil-leur accueil de la part des policiers et laconfiance accrue en eux ont incité les habi-

tants à déclarer de nombreux faits auparavantrestés inconnus des services de police. À l’in-verse, aujourd’hui, la pression pour produire debons chiffres a entraîné la fermeture de nom-breux postes de quartier et de nombreux refusde prise de plaintes par des fonctionnaires.C’est ainsi que l’on fait baisser les taux de cri-minalité(6).

Plus généralement, le bilan de la police deproximité n’a jamais réellement été tiré : cer-tains de ses concepteurs ont été renvoyés pré-maturément, et les travaux d’évaluation effec-tués n’ont jamais été exploités. Personne n’acherché à faire la part des choses entre lesquartiers où elle a été une vraie réussite, dupoint de vue des policiers engagés comme decelui des habitants, et d’autres territoires où ellen’a été qu’une réforme cosmétique. Sa mise àmort résulte donc d’une décision purementpolitique : elle ne convient pas à un gouverne-ment décidé, à partir de 2002, à « montrer sapuissance» à travers la force de sa police.

Quel bilan de l’abandon de la proximité policière?Si le bilan de la police de proximité n’a jamaisété fait, celui de la politique de sécurité actuellemérite que l’on s’y arrête. Le « fossé» entre lespoliciers et leur public n’a cessé de s’accroî-tre, de l’avis même des professionnels engagésdans des rapports de force de plus en plus durs.Le ministère de l’Intérieur s’est rendu comptede la nécessité d’une autre politique et a cher-ché à ressusciter, sans le reconnaître, une cer-

43

(6) MATTELY Jean-Hugues et MOUHANNA Christian, Police, deschiffres et des doutes, Paris, Michalon, 2007.

© Préfecture de police

Le policier de proximité est à l’écoute de la population.

IAU île

-de-F

rance

Page 46: Les villes face à l'insécurité. Cahier n° 155€¦ · N° 155 - juin 2010 trimestriel - 18 € ISSN 0153-6184  Les villes face à l’insécurité IAU île-de-France

La gendarmerie incarnehistoriquement la vraie police de proximité à la française.

taine forme de proximité à travers les Uteq.Mais, parallèlement, l’accent est toujours missur le rapport de force, puisque de plus en plusde policiers relèvent d’unités de lutte telles queles compagnies d’intervention, véritables com-pagnies républicaines de sécurité (CRS) dépar-tementales, qui, comme leurs homologuesnationaux, sont de plus en plus détachés de ter-ritoires. Il faut séparer le policier de touteattache territoriale pour éviter toute empathieavec les populations. Aujourd’hui, c’est désor-mais à la vraie police de proximité à la fran-çaise que s’attaque le gouvernement, c’est-à-dire à la gendarmerie. Sous des prétextesd’économies, on assiste à un démantèlementdu maillage territorial par la fermeture des bri-gades territoriales. Et, surtout, on impose à lagendarmerie de satisfaire à des critères de pro-ductivité, quitte à abandonner son ancragedans le territoire. Les problèmes résolus par lamédiation des gendarmes ne sont pas compta-bilisés ; les interpellations, y compris pour despetits délits, le sont.

Pour les gestionnaires nationaux de la police,l’objectif majeur est de faire baisser les effectifs,jugés trop coûteux, au profit de dispositifs tech-niques supposés plus économiques et surtoutplus contrôlables. Ainsi espère-t-on substituerde la vidéosurveillance à des policiers qui hési-tent, discutent, négocient, au lieu d’appliquerdes sanctions. Car la fin de la police de proxi-mité et de toute velléité de réforme en ce sens,c’est avant tout l’affirmation du désir de dispo-ser d’une police de contrôle inflexible, quelsque soient les résultats concrets qu’elle pro-duit. C’est la volonté de sanctionner les petits

délits, les plus visibles, au lieu de remonter lesfilières de trafics exigeant savoir-faire et ancragelocal pour obtenir des renseignements. Le poli-cier débonnaire ou le gendarme, qui faisait par-tie du tissu local et avait l’intelligence des situa-tions, est condamné à disparaître, à moins qu’ilne se retrouve dans des forces locales.

Malgré un bilan très négatif, de l’avis des poli-ciers de terrain comme de celui des habitants,y compris et surtout les jeunes des quartiers lesplus défavorisés, le ministre de l’Intérieuraffirme ne plus avoir les moyens de continuerà soutenir les Uteq qui, malgré leurs limites,constituaient, à long terme, une possibilité deredéploiement avec un fort ancrage territorial,préalable indispensable à une reconquête paci-fique. En revanche, il maintient des effectifsnombreux dans des unités de contrôle et degestion des affrontements (plus de 30000 CRSet gendarmes mobiles, sans compter les diverscorps locaux d’intervention et de sécurisation).

Le bilan est ainsi négatif, non seulement parceque les habitants de ces secteurs se sententmoins en sécurité, mais aussi parce que les poli-ciers eux-mêmes constatent, malgré les dis-cours politiques d’autosatisfaction, qu’ils n’ontplus prise sur des zones de plus en plus largeset sur des populations de plus en plus nom-breuses. Et plus on attend, plus il sera difficile derevenir à des stratégies plus équilibrées, asso-ciant répression, prévention et compréhen-sion… et surtout à une vraie recherche de solu-tions complexes que les politiques répressivesne font qu’écarter provisoirement.

AgirLes Cahiers n° 155

La police de proximité : quel bilan?

44

Références bibliographiques

• PEYREFITTE Alain, Réponses à la violence,Paris, La Documentation française, 1977.

• MATELLY Jean-Hugues ET MOUHANNAChristian, Police, des chiffres et des doutes,Paris, Michalon, 2007.

Sirpa Gendarmerie

IAU île

-de-F

rance

Page 47: Les villes face à l'insécurité. Cahier n° 155€¦ · N° 155 - juin 2010 trimestriel - 18 € ISSN 0153-6184  Les villes face à l’insécurité IAU île-de-France

En réponse aux préoccupations sécuri-taires, sur fond de décentralisation del’action publique, les polices munici-

pales se développent en France. En l’espaced’une vingtaine d’années, leur nombre a dou-blé : près de 3500 communes disposent désor-mais de ce type de service. Sur la mêmepériode, les effectifs des policiers municipauxont triplé: ils sont environ 18000 aujourd’hui, cequi représente 6 % des services policiersconjoints de l’État et des collectivités territo-riales(1). Parallèlement, plusieurs textes législa-tifs et réglementaires sont venus encadrer laprofession et consolider le statut des policiersmunicipaux : organisation des recrutements,mise en place de la formation initiale et conti-nue, renforcement des pouvoirs, adoption d’uncode de déontologie, etc. Les polices munici-pales s’institutionnalisent et se professionnali-sent. Mais quel rôle jouent-elles concrètementdans nos villes ? N’incarneraient-elles pas cettefameuse police de proximité que la policenationale n’a pas su mettre en œuvre et dont lagendarmerie s’éloigne toujours plus ? En toutcas, c’est le point de vue majoritairementdéfendu par les acteurs des polices munici-pales, qu’il s’agisse des responsables politiquesou des professionnels de terrain.

Dans les discours, un argument delégitimation politique et professionnelleLorsque l’on interroge les élus locaux sur cequ’ils attendent de leur police municipale, ilsinsistent effectivement sur l’idée de proximité.

L’objectif, disent-ils, est d’apporter une réponseaux demandes de sécurité, de s’adapter auxattentes de la population et aux besoins locale-ment repérés. Par-delà les affiliations partisanes,cette position est communément partagée etconcourt à la valorisation d’un rôle politiquedans le champ de la lutte contre l’insécurité.Ce rôle, les maires ne l’interprètent pourtantpas tous de la même manière. Derrière lesdéclarations convenues sur la proximité, ils attri-buent des fonctions plus ou moins extensives àleur police municipale. Certains l’utilisent dansun cadre essentiellement préventif et s’atta-chent à lui donner une image douce, rassu-rante ; ils refusent de l’employer pour des mis-sions qu’ils estiment relever de la policenationale et de la gendarmerie, considérantque la protection des biens et des personnesdoit rester l’affaire de l’État. Plus offensifs, d’au-tres sont favorables à une forme de municipa-lisation de la sécurité, et sont prêts à investirpour garantir le bon ordre dans leur commune.Ceux-là mobilisent leur police municipale pourcombattre la délinquance et l’inscrivent dansun registre d’action plus vertement sécuritaire.Lorsque l’on interroge les policiers municipauxsur le sens qu’ils donnent à leur métier, ils seréclament eux aussi de «la seule vraie police deproximité». Ils font ainsi valoir la spécificité etla dignité de leur activité. Cette posture profes-

AgirLes Cahiers n° 155

Les villes face à l’insécurité

Les polices municipales,« vraies » polices de proximité ?

Les policiers municipaux,acteurs à part entièrede la sécurité quotidienne.

Virginie MalochetIAU île-de-France

Sous l’autorité des maires, les polices municipales jouent un rôle croissant dans les systèmeslocaux de sécurité. Quelle est leurvaleur ajoutée dans le paysage policierfrançais? Le thème de la police de proximité est au cœur des discours de légitimation politiqueet professionnelle. Reste à savoir si ces discours résistent à l’épreuve des pratiques concrètes et aux évolutions tendancielles de l’activité.

45

Ville de Mantes-la-Jolie - CS

(1) Sans compter les 1 800 gardes champêtres, les 3 000agents de surveillance de la voie publique, ni les autres per-sonnels rattachés aux services de police municipale (assis-tants temporaires, opérateurs de vidéosurveillance, etc.).

IAU île

-de-F

rance

Page 48: Les villes face à l'insécurité. Cahier n° 155€¦ · N° 155 - juin 2010 trimestriel - 18 € ISSN 0153-6184  Les villes face à l’insécurité IAU île-de-France

sionnelle leur permet de sortir de l’ombre de lapolice nationale, alors qu’ils ont longtempssouffert de la comparaison. Ils veulent s’affran-chir de l’étiquette de « sous-police » qui leurcolle à l’uniforme et, sur ce plan, l’identifica-tion à la police de proximité est une stratégiegagnante dont ils peuvent tirer des bénéficesen termes d’image et de reconnaissance profes-sionnelle. Mais, là encore, l’apparente unité dumessage masque des différences d’approcheentre les agents. Pour les «bobbies» dans l’âme,«proximité» rime avec prévention, dialogue etmédiation: il s’agit d’intervenir au plus près desgens et de leurs problèmes, dans une logiquede régulation sociale et de tranquillité urbaine.Pour les « flics» en puissance, «proximité» revêtune connotation plus policière : il s’agit d’inter-venir au plus près de la délinquance locale,dans une logique de contrôle et de répression.Au fond, l’usage du terme «proximité» s’est tantgénéralisé qu’il ne dit plus grand-chose de lamanière dont est effectivement conçue l’actiondes services. Polysémique sinon galvaudée, lanotion est suffisamment large pour recouvrirune pluralité d’interprétations et de traductionsopérationnelles.

Dans la pratique, une diversité de déclinaisons localesLa police de proximité relève pourtant d’unedoctrine spécifique et renvoie à un référentield’action particulier(2). C’est une police généra-liste, bien intégrée dans le territoire, sensibleaux préoccupations des administrés. Ellerepose sur une bonne connaissance des quar-tiers, l’ouverture aux partenariats locaux, l’ins-tauration d’une relation de confiance avec leshabitants et l’adoption d’une démarche proac-

tive d’anticipation et de résolution des pro-blèmes. À l’aune de ces critères, comment lespolices municipales se situent-elles ? Il est diffi-cile de répondre de manière univoque tantelles présentent des visages différents. Leurchamp d’intervention potentiel est si vaste qu’illaisse une grande marge dans la définition desmissions prioritaires. Sécurisation des sortiesd’école, îlotage, encadrement des manifesta-tions publiques, stationnement payant, régula-tion du trafic routier, contrôles de vitesse, rondesnocturnes, interpellations en flagrant délit, etc. :entre police «douce» et police «dure», la naturede l’activité varie considérablement d’une villeà l’autre.Partant de ce constat, on peut plus préciséments’intéresser aux stratégies mises en œuvre poursatisfaire aux exigences d’une réelle police deproximité. Manifestement, dans certains ser-vices, rien n’est engagé à cet effet. Au contraire,quand les orientations d’action sont avant toutcentrées sur la répression, elles laissent peu deplace pour le dialogue et se répercutent néga-tivement sur la qualité des rapports avec lepublic. Par contraste, d’autres services prennentdes initiatives pour conforter l’ancrage de lapolice municipale dans la ville, promouvoir sonimage et améliorer le service rendu à la popu-lation. Implantation de postes de quartier, fidé-lisation des personnels sur des zones ciblées,renforcement de l’îlotage pédestre, création debrigades « VTTistes » ou équestres, suivi desrequêtes adressées par les administrés, impli-cation soutenue dans les réseaux partenariaux,etc. Les mesures prises sont diverses… et les

AgirLes Cahiers n° 155

Les polices municipales, « vraies » polices de proximité ?

46

(2) Institut des hautes études de la sécurité intérieure (Ihési),Guide pratique de la police de proximité, Paris, La Documen-tation française, 2000.

La patrouille pédestre,un mode d’occupation du terrain

qui favorise les contactsavec la population. J.-

C. Pattacini/Urba Images/IAU îdF

IAU île

-de-F

rance

Page 49: Les villes face à l'insécurité. Cahier n° 155€¦ · N° 155 - juin 2010 trimestriel - 18 € ISSN 0153-6184  Les villes face à l’insécurité IAU île-de-France

expériences s’avèrent plus ou moinsconcluantes. Elles butent sur des difficultésorganisationnelles, des problèmes récurrentsd’effectifs, mais aussi sur des résistances cultu-relles au sein du groupe professionnel, notam-ment chez les jeunes agents souvent plus moti-vés par les « missions qui bougent » et les«belles affaires », que par les tâches de surveil-lance générale et de police administrative quiconstituent pourtant l’essentiel de l’activité.Bref, l’affichage d’une politique policière deproximité est une chose, la réalité du terrain enest une autre. Sans adhésion de la base, les dis-positifs mis en place restent de faible portée.En somme, ce n’est pas parce que les policesmunicipales sont d’essence locale qu’ellesjouent nécessairement et pleinement le jeu de« la seule vraie police de proximité ». Le faitqu’elles soient organisées à l’échelle de la com-mune ne prédétermine ni les directives poli-tiques ni l’orientation des pratiques profession-nelles. Sur ce double plan, les logiques d’actionne se déclinent pas partout à l’identique, l’es-pace des possibles reste ouvert et les cas defigure sont divers. De fait, il faut parler despolices municipales au pluriel.

Le glissement d’un modèle à l’autre?En dépit des différences, des tendances com-munes se dégagent pourtant, permettant detirer quelques conclusions d’ordre général.Alors que la police nationale et la gendarmeriese recentrent sur les interventions réactives etles investigations judiciaires, les polices munici-pales investissent les espaces laissés vacants ets’imposent sur le terrain de la tranquillité quo-tidienne. Dans leur ensemble, elles misent sur lavisibilité de la présence policière, privilégient lasurveillance préventive, connaissent plutôt bienla population et témoignent d’une certaine sen-sibilité à l’idée d’un service policier étendu. Ence sens, elles s’inscrivent dans la filiation d’unmodèle policier de proximité. Mais pour com-bien de temps encore ? Au regard des évolu-tions récentes, on peut légitimement se poser laquestion.Effectivement, force est de constater que lespolices municipales se mobilisent toujours plussur les opérations de contrôle, la verbalisation,les « flags» et les interpellations. Elles accordentune place croissante au travail judiciaire, consé-quence logique de l’extension de leurs pou-voirs. Et plus elles prennent de l’envergure, plusles services policiers de l’État sont tentés deleur abandonner davantage de missions. Parvoie de conséquence, les polices municipalesdélèguent à leur tour et se déchargent d’unepartie de leurs tâches antérieures auprès desagents de surveillance de la voie publique,agents locaux de médiation sociale, correspon-

dants de nuit et autres intervenants du secteurde la prévention/sécurité. Ce faisant, leur acti-vité se resserre sur un champ d’action plus stric-tement policier, au risque d’évacuer une partsubstantielle du travail de proximité. Ce sontpourtant l’enracinement territorial et la densitédes réseaux tissés avec les populations localesqui font la force des polices municipales. Sanscela, elles pourraient finir par se couper de leurpublic et par perdre prise dans la localité.À cet égard, les dispositions du projet de loid’orientation et de programmation pour la per-formance de la sécurité intérieure (Loppsi)(3)

interrogent. Elles prévoient notamment d’attri-buer la qualité d’agent de police judiciaire auxdirecteurs de police municipale, ce qui leurconférerait des pouvoirs d’enquête. Elles pré-voient également d’autoriser les policiers muni-cipaux à procéder aux dépistages d’alcoolé-mie à titre préventif, ainsi qu’aux contrôlesd’identité sous couvert d’un officier de policejudiciaire. Assurément, ces mesures viennentréaffirmer « le rôle indispensable» des policesmunicipales en matière de prévention de l’insé-curité, mais elles sont aussi significatives d’unglissement, d’un mouvement de « judiciarisa-tion» des missions, et peuvent en ce sens inflé-chir les priorités d’action. La police municipaledoit-elle avant tout servir l’institution pénale oula collectivité locale ? Doit-elle devenir uneforce auxiliaire de la police nationale et de lagendarmerie, focalisée sur l’arrestation desdélinquants? Ou doit-elle rester, en premier lieu,une police de tranquillité publique qui contri-bue à la qualité de vie dans la ville et dont l’uti-lité se mesure à l’aune des réponses apportéesaux attentes émanant de la population ? Laquestion est bien de savoir quel type de policemunicipale les élus, les professionnels et lescitoyens veulent pour demain.

47

Références bibliographiques

• LE GOFF Tanguy, Les polices municipalesen Île-de-France, Paris, IAU île-de-France,avril 2009.

• MALOCHET Virginie, Les policiersmunicipaux, Paris, PUF/Le Monde, 2007.

• MALOCHET Virginie, POUCHADON Marie-Laure, VÉRÉTOUT Antoine, Les policesmunicipales. Institutionnalisation, logiquesd’action et inscription dans les systèmeslocaux de sécurité, rapport pour l’Institutnational des hautes études de la sécurité(Inhes), Paris, mai 2008.

(3) Le projet de Loppsi, en cours d’examen parlementaire, aété adopté en première lecture à l’Assemblée nationale enfévrier 2010 et devrait être prochainement discuté au Sénat.

Le contrôle routier de vitesse,exemple significatif de l’accroissement des pouvoirsrépressifs des policiers municipaux.J.-

C. Pattacini/Urba Images/IAU îdF

IAU île

-de-F

rance

Page 50: Les villes face à l'insécurité. Cahier n° 155€¦ · N° 155 - juin 2010 trimestriel - 18 € ISSN 0153-6184  Les villes face à l’insécurité IAU île-de-France

AgirLes Cahiers n° 155

Les villes face à l’insécurité

48

Les Cahiers – Comment s’est construite cequ’on appelle « la justice de proximité » ?Nicole Maestracci – Avant les années 1980 etla décentralisation, l’idée de partenariat étaitpeu répandue et ne concernait pas la justice. Ily avait un peu comme une chape de plomb surla justice, plutôt conservatrice, enfermée danssa tour d’ivoire, et peu impliquée dans la cité. Àpartir des années 1980, dans le cadre de la poli-tique de la ville, beaucoup d’instances parte-nariales se sont mises en place, auxquelles ontété invités les juges, sur la base du concept de« justice dans la ville » plus que de justice deproximité. Cela a été vécu comme une ouver-ture formidable. Est-ce que cela a pour autantcréé de la justice de proximité? Je dirais quec’est autre chose. Ce n’est pas parce que lesjuges allaient dans toutes ces réunions que celamodifiait le fonctionnement de l’institution.Cette démarche changeait peut-être le regarddes juges et celui des autres sur la justice, dumoins partiellement, mais il n’est pas évidentque cela ait changé fonda-mentalement la manièrede rendre la justice.En outre, la participationdes magistrats aux réu-nions locales pouvaitposer des problèmes d’impartialité. Et la mon-tée de la jurisprudence de la Cour européennedes droits de l’homme a fortement contribuéau retour des juges dans les palais de justice. Ilest certain, en effet, que la participation d’unmagistrat à une réunion publique peut être unpeu contradictoire avec l’idée d’impartialité.C’est du moins vrai pour les juges, la situationne se posant pas de la même manière pour lesprocureurs qui peuvent recevoir des instruc-tions des pouvoirs publics. Les juges rendentdes décisions indépendantes et ils ne peuventse trouver en situation de les justifier dans desréunions locales. Dans un univers où il existeune sorte de confusion entre magistrats du par-quet et magistrats du siège, entretenue par lesresponsables politiques, il faut rappeler que lesjuges du siège, pour rendre des décisions indé-pendantes, doivent préserver une certaine dis-tance à l’égard de la pression sociale, celle desélus ou celle de la population. Il est aussi impor-tant de dire qu’ils n’ont pas à réagir dans l’ur-gence et dans l’instant. Le parquet est celui quimène des politiques publiques. Les juges dusiège, eux, ne sont pas comptables d’une poli-tique publique. Cette différence est, aujourd’hui,importante à rappeler.

Dans ce contexte, il est très difficile d’expliquerl’idée que l’indépendance des juges fait partiedu bien commun, de faire comprendre quecette indépendance protège non pas les jugeseux-mêmes mais l’ensemble de la société. C’estcette idée que j’essaie de défendre dans ledépartement où j’exerce mes fonctions. C’estmon rôle de présidente de tribunal de grandeinstance de protéger l’indépendance dechaque juge de ma juridiction, tout en rendantcompte en toute transparence de l’activité glo-bale de celle-ci. Ce qui ne veut pas dire, pourautant, que les juges du siège sont insensibles àl’intérêt général et à ce qui se passe à l’exté-rieur des palais de justice. Ils doivent aucontraire écouter et comprendre ce qui sepasse sur un territoire. Ils doivent connaître lamanière dont vivent les personnes qu’ils aurontà juger, ainsi que le contexte économique etsocial. En revanche, ils ne peuvent se rendre àdes réunions où ils seraient conduits à expli-quer leur propre décision. Les demandes qui

s’adressent à la justice sontimpatientes et infinies. Ilest à cet égard difficile defaire comprendre qu’unejustice trop rapide n’estpas forcément une bonne

justice. Ainsi, bien juger un mineur nécessiteque des mesures éducatives soient ordonnéesau préalable. Cela prend du temps et c’est sou-vent mal compris. Mais il est important dedéfendre l’idée d’un pouvoir judiciaire indé-pendant des effets de balancier des annoncespolitiques. Encore une fois, nous ne sommespas comptables d’une politique publique, maisd’une justice indépendante, équitable et impar-tiale.

L. C. – Les maisons de la justice et du droit (MJD) sont-elles le dispositifqui incarne le mieux cette « justice de proximité » ?N. M. – Je dirais qu’elles incarnent un accèsplus proche à la justice et au droit. Au départ, audébut des années 1990, les substituts du procu-reur venaient dans ces maisons où ils rencon-traient directement les justiciables et exerçaientl’action publique. Cela ne s’est pas poursuivipar la suite, le volet «accès au droit » prenantl’essentiel de la place dans les maisons de jus-tice, au détriment de l’aspect «prévention dela délinquance».Quoi qu’il en soit, la politique d’accès au droitconstitue sans doute l’une des mesures les plus

Avocate au barreau de Paris en 1974, Nicole Maestraccientre à l’École nationale de la magistrature en 1977,avant d’être nommée, deux ansplus tard, juge des enfants au tribunal de Melun (Seine-et-Marne). Premier jugede l’application des peines à Bobigny (Seine-Saint-Denis) à partir de 1992, elle dirigeensuite, de 1998 à 2002, la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (MILDT). Elle est aujourd’hui présidentedu tribunal de grande instance(TGI) de Melun. Elle estégalement présidente de la Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale(Fnars).

Retour sur la justice de proximité

Interview

Alain Elorza

» Une justice de proximité, c’est une justice qui se préoccupe

de la manière dont viventconcrètement les gens. «

IAU île

-de-F

rance

Page 51: Les villes face à l'insécurité. Cahier n° 155€¦ · N° 155 - juin 2010 trimestriel - 18 € ISSN 0153-6184  Les villes face à l’insécurité IAU île-de-France

positives adoptées ces dernières années par leministère de la Justice. Il est dommage quecette politique, faute de moyens suffisants, soitrestée artisanale et mal évaluée. Compte tenude la situation budgétaire du ministère de laJustice, l’arbitrage pour l’attribution des moyenshumains s’est fait plutôt en faveur des juridic-tions. Pour les mêmes raisons de contrainteséconomiques, les collectivités territoriales,notamment les municipalités, qui étaient pour-voyeuses de moyens importants, se sont égale-ment désengagées progressivement. Pour main-tenir le fonctionnement des maisons de justice,il faut donc un engagement municipal très fort,ce qui pose le problème de l’égalité entre lesterritoires.Cela dit, et malgré ces difficultés, le dispositifdes maisons de justice et du droit et des pointsd’accès au droit fonctionne. Il suffirait d’assurerun petit peu de pérennité dans l’organisation etles financements pour qu’il donne encore demeilleurs résultats. Je pense qu’on peut vrai-ment parler de justice de proximité, ou plutôtd’accès au droit et à la justice facilité. Car il nes’agit pas seulement d’accès à la justice. CesMJD permettent d’orienter correctement lesgens, en définissant ce qui vaêtre de l’ordre du judiciaire, del’ordre du social ou du renvoivers une autre institution. Leurbon fonctionnement reposedonc sur la qualité du premieraccueil : l’agent d’accueil doitconnaître à la fois les res-sources de la MJD (perma-nences des associations, des auxiliaires de jus-tice, des médiateurs, des conciliateurs, descorrespondants de la Halde), le fonctionne-ment de la juridiction dont il dépend, maisaussi le fonctionnement de toutes les autresinstitutions communales et départementales(CCAS, centres sociaux, services de l’État, etc.).C’est la qualité de ce partenariat qui permettrade répondre à l’ensemble des problèmes querencontrent les personnes (droit de la famille,du travail, des étrangers ou du logement). Celapermet d’éviter le recours à la justice dans uncertain nombre de situations, mais aussi auxjusticiables qui ne peuvent éviter un procès del’aborder plus sereinement, en sachant plusclairement ce qu’ils peuvent obtenir. Il me sem-ble donc que nous aurions grandement intérêtà renforcer le dispositif.

L. C. – Au final, que signifie pour vous« justice de proximité » ?N. M. – Je ne sais pas ce que veut dire leconcept de « justice de proximité». J’ai encoremoins su ce que cela voulait dire quand ontété créés les juges de proximité, qui n’avaient

rien de proche puisqu’il fallait qu’ils soient desjuristes déjà un peu aguerris, donc plutôt desnotables que des personnes issues de la cité. Deplus, le texte de répartition des compétencesétait absolument incompréhensible pour le jus-ticiable moyen. La justice n’y a certainementpas gagné en proximité ni en simplicité.De même, je dirais qu’une justice proche nesignifie pas qu’elle soit proche géographique-ment. La proximité géographique n’est plus uneexigence aussi prégnante qu’autrefois. En outre,la plupart des gens n’iront devant la justicequ’une ou deux fois dans leur vie. Ils ont surtoutbesoin d’une justice compétente, compréhen-sible, qui prend le temps d’écouter et de juger,et qui rend des décisions intelligibles et exécu-tables. Une justice de proximité, c’est une justicequi se préoccupe de la manière dont viventconcrètement les gens. Une justice proche estdonc une question de compétence et de tempsjuste. Le temps que les gens comprennent, letemps de la maturité d’une décision et de l’ex-plication.Une décision judiciaire ne doit pas être bradée.Le justice sert à cela : prendre de la distance,organiser un débat contradictoire qui permette

à chacun de s’exprimer. Dansune société qui va très vite, oùles parquets sont soumis àune pression importante au fildes événements médiatiques,les juges du siège doiventsavoir prendre de la distance.Les logiques de l’impatiencepolitique, par exemple autour

de la tolérance zéro ou de l’augmentation dutaux de réponse pénale, appellent à une pres-sion statistique très forte s’exerçant surtout surles parquets, mais aussi sur les magistrats dusiège. Les pouvoirs publics attendent donc unejustice très rapide qui rende un maximum dejugements dans les délais les plus brefs. Il nousappartient aussi de résister à cette pression etd’imposer l’idée que c’est la qualité de la jus-tice, et non seulement la quantité des décisionsrendues, qui contribue à la paix sociale.C’est le problème de la juste posture. Les gensn’ont pas besoin d’avoir un juge qui leur tapesur l’épaule, mais d’un juge qui les respecte. Jecrois que les gens ont besoin d’écoute et d’unjuge qui ne soit pas si proche et, qu’ils puissentrespecter. De ce point de vue, le decorum del’audience est important. Surtout, ce qu’atten-dent les citoyens de la justice, c’est qu’elle soitjuste.

Propos recueillis par Tanguy Le Goff et Virginie Malochet

49

» C’est la qualité de la justice, et non

seulement la quantité des décisions rendues, qui contribue à la paix

sociale. «

San de Sénart/Rico de la Hoya

La maison de la justice et du droit de Sénart, Seine-et-Marne.IA

U île-de

-Fran

ce

Page 52: Les villes face à l'insécurité. Cahier n° 155€¦ · N° 155 - juin 2010 trimestriel - 18 € ISSN 0153-6184  Les villes face à l’insécurité IAU île-de-France

Le traitement en temps réel, dispositifvisant à accélérer la prise de décisionpar le parquet, s’inscrit dans un mouve-

ment de modernisation de la justice.

La modernisation de la justice et le sens des changements en coursL’activité judiciaire était naguère réputée lenteet les juges supposés retirés dans leur tourd’ivoire. La lenteur était justifiée par le tempsde la réflexion, comme une garantie de la qua-lité des décisions. Quant à l’isolement, il étaitassimilé à la distance nécessaire à l’impartialitédu juge. Mais l’institution judiciaire a connudepuis vingt ans des changements radicaux quitransforment son fonctionnement sans néces-sairement améliorer son image. Dans un pre-mier temps, ces changements ont pris la formed’initiatives locales émanant de magistrats envue d’améliorer leur cadre de travail et demieux répondre aux sollicitations venues de lasociété. L’institution judiciaire s’est ainsi ins-crite, progressivement, dans le mouvement demodernisation de l’État et de «débureaucratisa-tion» de la société française. Ont été touchésla configuration des locaux des palais de jus-tice, leur équipement et les modalités pratiquesdu travail. De même, l’accueil des justiciables aété amélioré et le souci des victimes est devenuplus présent. La dynamique engagée a étérelayée par le ministère de la Justice : de nou-veaux palais de justice ont été construits ; l’in-formatisation, balbutiante dans les débuts, a étémenée à une échelle plus large.

L’effet des changements ne s’est pas limité à latransformation du cadre de l’activité judiciaire.La prise de décision elle-même et le sensdonné à la justice se sont trouvés profondé-ment affectés. La massification de certainscontentieux – au civil, les ruptures conjugalesou, au pénal, les affaires comme les conduitesen état alcoolique – a imposé un rythme dedécision et une productivité qui n’avaient pascours dans l’institution. De nouvelles théma-tiques se sont imposées dans le champ poli-tique et social – celle de l’insécurité avec, encontrepoint, celle de l’attention aux victimes.Ces évolutions ont été engagées alors mêmeque les ressources du pouvoir judiciaire – qu’ils’agisse du nombre des magistrats ou desmoyens nécessaires aux investigations enga-gées – n’augmentaient guère. La pression s’estencore accrue lorsque le nouveau manage-ment public a touché la justice comme lesautres services de l’État, via la loi d’orientationpour la loi de finances (LOLF) notamment,venant réduire les moyens des juridictions.Dans ce contexte de crise permanente, lesmagistrats et les fonctionnaires de justice sontsoumis à des contraintes fortes. Les tribunauxconnaissent une activité «à flux tendu» de sorteque se repose constamment, à leur sujet, laquestion de savoir si les principes même quidevraient gouverner l’activité judiciaire ne setrouvent pas malmenés par les impératifs dunombre et de l’efficacité.

AgirLes Cahiers n° 155

Les villes face à l’insécurité

Le traitement en temps réel des affaires pénales

La logique de l’urgence modifie la prise de décision des magistratsdu parquet.

Benoit Bastard(1)

CNRS - ENS Cachan

La justice a connu des changementssans précédent au cours des dernièresdécennies, touchant non seulement le cadre de travail et l’organisation des services, mais aussi le cœur de l’activité des tribunaux : l’activité décisionnelle des magistrats.L’exemple du traitement en temps réelmontre que ces changementsconduisent à une modification, sans même que le droit change, de la politique pénale et du sensprofond de la production judiciaire.

50

Hans Splinter/Flickr

(1) Sociologue, directeur de recherche au CNRS, membrede l’Institut des sciences sociales du politique, Cachan.

IAU île

-de-F

rance

Page 53: Les villes face à l'insécurité. Cahier n° 155€¦ · N° 155 - juin 2010 trimestriel - 18 € ISSN 0153-6184  Les villes face à l’insécurité IAU île-de-France

Le traitement en temps réel des affaires pénalesC’est dans ce contexte que le traitement entemps réel (TTR) des affaires pénales est nédans les grands tribunaux, au début des années1990, à l’initiative de quelques magistratsinfluents. Ce dispositif consiste à remplacer unepartie des circuits de décision existants – danslesquels toute décision résulte de la transmis-sion d’un dossier « papier » sur lequel le par-quet rend une décision dans un temps plus oumoins long – et à doter le parquet d’un service,à la compétence plus ou moins étendue, dontle rôle consiste à répondre en direct aux ser-vices de police et de gendarmerie. Ceux-ci ontpour instruction d’appeler le parquet lorsqu’unauteur d’infraction est identifié, et à plus forteraison s’il est appréhendé, pour soumettre lecas au substitut de permanence et obtenir unedécision sur la suite à donner à l’affaire immé-diatement exécutable.Au regard des résultats obtenus dans lesquelques juridictions où il est expérimenté(Bobigny, Pontoise), le dispositif a été rapide-ment étendu à l’ensemble des tribunaux degrande instance. Pour autant, sa généralisationn’a pas été un succès – peut-être parce que sonlancement s’est effectué, dans un premiertemps, à moyens constants. Ce n’est qu’audébut des années 2000, avec une relance beau-coup plus «musclée» du TTR et la nominationde procureurs spécialement mobilisés, que ledispositif s’est enraciné. En 2005-2006, commeon a pu le constater lors de notre enquête ausein d’une dizaine de tribunaux de grande ins-tance(2), il était en place et fonctionnait avecdes configurations variables selon la taille desjuridictions.Souvent, les services du TTR occupent despièces du parquet situées non loin des geôlesdu tribunal. Les substituts s’y relaient, sept jourssur sept, et ils assurent des permanences de nuitet de week-end. Ils passent leurs journées autéléphone, répondant un à un aux appels pro-venant des services de police, prenant décisionaprès décision, dans un laps de temps trèscourt. Dans les grands parquets, il arrive que lessubstituts – souvent des magistrats dont c’estl’un des premiers postes – travaillent à plusieursavec des écouteurs comme dans un call cen-ter et comparent leur nombre d’appels du jour,comme s’il s’agissait d’une performance spor-tive. Difficile, stressant et répétitif, leur travailsuppose une attention constante tout en étantpeu gratifiant.Le traitement en temps réel ne se résume pas àun dispositif technique, il s’est accompagnéd’un ensemble de réformes élargissant lapalette de réponses des substituts. Auparavant,les choix du parquet se résumaient à l’ouver-

ture d’une instruction, à la citation directe – lerenvoi vers le tribunal correctionnel – ou auclassement sans suite. Aujourd’hui, le substitutdispose d’une dizaine de voies procéduralesparmi lesquelles il doit se déterminer rapide-ment. L’ouverture d’une instruction et la cita-tion directe sont limitées autant que possible.La convocation par officier de police judiciaire(COPJ) a constitué l’une des premières innova-tions de la justice rapide. Elle permet de délivrerune date d’audience sur le champ. S’y sontajoutées des solutions alternatives décidéessous la responsabilité du seul parquet : rappel àla loi, médiation pénale. Plus récemment, l’or-donnance pénale délictuelle, la compositionpénale et la comparution sur reconnaissancepréalable de culpabilité (CRPC) – « le plaider-coupable » – sont venues renforcer les res-sources à disposition du parquet. Ces mesuressont préférées car, à la différence des alterna-tives aux poursuites, elles constituent desréponses proprement judiciaires. Enfin, la com-parution immédiate s’impose comme l’une despièces maîtresses du traitement en temps réeldes affaires pénales. Elle est la voie par laquellele parquet, face à des actes de délinquanceurbaine notamment, mais parfois aussi devantdes situations autrement complexes et graves,prétend obtenir des condamnations rapides,incluant généralement des peines de prisonferme.

L’urgence peut-elle tenir lieu de logique d’action?Sans doute ce dispositif a-t-il permis à l’institu-tion judiciaire de faire face aux sollicitationsqui lui étaient adressées, mais ce « succès »n’est-il pas en train de se retourner contre elle?L’urgence qui prévaut aujourd’hui dans l’insti-tution judiciaire a des implications considéra-bles sur la prise de décision des magistrats duparquet, notamment pour les affaires concer-nant la petite délinquance. La multiplicationdes voies de traitement, associée à la pressionen faveur d’un traitement rapide des procé-dures, se traduit par une tendance à l’automa-tisation des modalités de décision. Elle s’ac-compagne de la diffusion, dans les services duparquet, de normes et de pratiques visant à sys-tématiser et à uniformiser la réponse auxaffaires présentées : consignes, «barèmes, voire«mémentos », qui indiquent aux magistrats lasuite à donner aux affaires pour une gammede situations répertoriées. Ces règles de pra-tique s’imposent pour pouvoir réagir dans l’ins-tant tout en évitant une trop grande disparitédes décisions.

51

(2) BASTARD Benoit, MOUHANNA Christian, Une justice dans l’ur-gence. Le traitement en temps réel des affaires pénales, Paris,PUF, 2007.

IAU île

-de-F

rance

Page 54: Les villes face à l'insécurité. Cahier n° 155€¦ · N° 155 - juin 2010 trimestriel - 18 € ISSN 0153-6184  Les villes face à l’insécurité IAU île-de-France

La pression qu’exerce le parquet avec ce dispo-sitif de prise de décision rapide suscite desréactions chez les magistrats du siège. Certainsdéveloppent un discours extrêmement critiqueà l’égard du TTR. Ils dénoncent l’usage excessifde la comparution immédiate, ainsi que l’auto-maticité de la mise en détention dès lors quecette voie est utilisée. Ils indiquent que lescharges retenues sont parfois minces et lesenquêtes peu approfondies. Ils font état des pro-blèmes qui résultent à l’audience de l’ajout deces comparutions à un programme déjàchargé : ne donne-t-on pas la priorité au traite-ment de la petite délinquance au détrimentd’affaires plus importantes, « audiencées »depuis longtemps? Cependant, ces réticencesne se traduisent guère dans des actions qui lesmatérialiseraient – renvois en enquête ourelaxes dans les comparutions immédiates. Toutse passe comme si les magistrats du siègereconnaissaient un certain mérite à l’action duparquet. De fait, ces nouvelles formes de travailallègent la charge des juridictions de jugementet permettent de traiter les affaires en tenantcompte des contraintes du service et des impé-ratifs pratiques des magistrats et du greffe (parexemple, finir les audiences à une heure rai-sonnable). On a donc affaire à une sorte d’ac-ceptation à la fois critique et contrainte.De même, les responsables des barreaux et lesavocats spécialistes du pénal développent àl’égard du TTR un discours extrêmement néga-tif. Ils dénoncent notamment une justice expé-ditive qui automatise les processus de décisionet ne donne pas aux personnes mises en causele temps ni les ressources nécessaires à unevéritable défense. Ainsi, en comparution immé-diate, sont renvoyées des affaires d’une gravitéaccrue (qui pourraient justifier une instruc-tion) ; dans les mêmes audiences, c’est demanière systématique que de petites affaires

débouchent sur des peines d’emprisonnement.Toutefois, au-delà de ce discours, les avocats –notamment ceux pour qui les affaires du TTRconstituent une part de leur activité – sont asso-ciés à ces pratiques et valorisent la prestationqu’ils parviennent à offrir dans ce cadrecontraignant.

La question du sens du traitement en temps réelL’affirmation et la diffusion du paradigme dela justice rapide conduisent à une standardisa-tion du traitement des affaires et renforcent unetendance à la «barémisation » des décisions,aux dépens d’une individualisation de leur trai-tement. La prise en compte des aspects singu-liers de chaque dossier pénal et la revendica-tion d’indépendance des magistrats s’effacentau profit d’un souci de formalisation et d’ho-mogénéisation des décisions. L’exigence derapidité et le manque de temps conduisent lesacteurs à rechercher des solutions précons-truites et normalisées. Ainsi, l’opportunité despoursuites, qui exprimait l’essence du métierde parquetier, s’efface au profit d’une réponsede plus en plus automatique. Les effets du TTRsont particulièrement saillants dans le cas descomparutions immédiates. Dès lors que cettefilière de traitement est valorisée par les procu-reurs, les juridictions s’organisent pour propo-ser davantage d’audiences où juger les procé-dures. Lorsque ces audiences existent, leparquet est encore davantage poussé à recou-rir à cette formule. La comparution immédiatesert désormais aussi bien à traiter, en les sim-plifiant, de gros dossiers qui échappent ainsi àl’instruction, que toutes les petites affaires dedélinquance de rue. En définitive, le traitementen temps réel constitue un outil de mobilisa-tion des acteurs du système pénal, mais aussil’une des pièces maîtresses d’une transforma-tion en profondeur qui touche le cœur mêmede l’activité pénale.

AgirLes Cahiers n° 155

Le traitement en temps réel des affaires pénales

52

Une institution judiciaire malmenée par les impératifs du nombre et de l’efficacité.

Jimmy Harris/Flickr

IAU île

-de-F

rance

Page 55: Les villes face à l'insécurité. Cahier n° 155€¦ · N° 155 - juin 2010 trimestriel - 18 € ISSN 0153-6184  Les villes face à l’insécurité IAU île-de-France

53

AgirLes Cahiers n° 155

Les villes face à l’insécurité

Les Cahiers – Comment le dispositif des médiateurs de quartier est-il né ?Nathalie Nivault – Le dispositif a été mis enplace au début de l’année 2009. Il couvreaujourd’hui la quasi-totalité des quartiers d’ha-bitat social de Nantes. Il repose sur une équipede vingt médiateurs et de quatre chefs de sec-teur, que nous gérons en lien étroit avec le com-manditaire et financeur: la ville de Nantes. Pointimportant à rappeler, ce dispositif remplacecelui des correspondants de nuit qui fonction-nait ici depuis une dizaine d’années. Plusieurséléments expliquent cette évolution souhaitéepar le commanditaire. Le principal est qu’hier,avec les correspondants de nuit, on n’avait pasla possibilité d’assurer de façon satisfaisantenotre mission le soir. Pour plusieurs raisons,dont l’une des plus évidentes tient aux horairesauxquels nous étions sur l’espace public : entre17h00 et 24h00 ou 19h00 et 2h00 du matin,sept jours sur sept ; on setrouvait donc, dans le cadredes médiations, avec desgens qui n’étaient pas enétat d’entrer en dialogue. Eton ne rencontrait qu’unecertaine partie de la popu-lation et pas forcément cellequi avait le plus besoin de médiation. De plus,nous ne rencontrions quasiment aucun autreacteur institutionnel dans ces créneauxhoraires. En fait, nos missions étaient principa-lement de l’assistance aux personnes en souf-france psychologique ou en situation conflic-tuelle. On allait chez les personnes, dans leurespace privé. Une autre de nos missions étaitla veille technique pour garantir l’état desimmeubles et du mobilier urbain. Face à cesdifficultés, le choix a donc été de réorienterl’organisation du travail, et les missions desmédiateurs ont été revisitées. Pour autant, laréflexion sur des complémentarités d’acteurssociaux, de médiation ou de police pour assu-rer une présence de nuit serait idéale pour uneville comme Nantes. Désormais, toute une plagehoraire (de 22h00 à 6h00) n’est plus couvertepar nos équipes ni par d’autres acteurs.

L. C. – Quelles sont les missions des médiateurs de quartier ?N. N. – Leurs trois grandes missions sont lamédiation, la prévention et la régulation. Lamédiation, elle est «à chaud», en fonction de lasituation, quand une partie est en difficulté. Elleest «navette » lorsque les deux parties ne veu-

lent pas se rencontrer. Elle est aussi «à froid»lorsque l’on propose et accompagne les per-sonnes, dans un lieu neutre et un temps dédié,avec un tiers qui permet la triangulation. La pré-vention se fait principalement en direction dupublic jeunes, qui est notre public cible de pré-vention, l’objectif étant d’éviter qu’ils commet-tent des actes dangereux pour eux commepour les autres. La prévention se fait soit « àchaud » sur le terrain, soit sous forme demodules de prévention qu’on va réaliser dansdes espaces socioculturels ou dans des établis-sements scolaires. Par exemple, on a un moduleCitoyenneté visant à faire comprendre ce qu’estun acte citoyen et, a contrario, ce qui ne l’estpas (violence, incivilité). À partir de ce module,on dérive ensuite sur les problèmes dansl’école, puis dans le quartier. Quant à la régula-tion, c’est une présence sur les manifestations,lors des temps festifs et occasionnels, pour favo-

riser un climat pacifié. Cequ’il faut bien comprendre,c’est que l’on ne fait pas «àla place de ». Même s’il y ades manques, des carences,on n’a pas vocation à lescombler. On permettra quele bien-vivre s’installe dans

les cités et nos actions pourront peut-être allermomentanément plus loin. Mais nous faisonsen sorte que les acteurs sociaux et de terrainprennent rapidement le relais.

L. C. – Comment le travail des médiateurs est-il organisé et sur quels outils s’appuient-ils ?N. N. – Les médiateurs de quartier travaillent dumardi au samedi, de 15 h 00 à 22 h 00. Pointimportant, ils sont sectorisés par quartier, mêmesi on envisage de les faire tourner au bout d’uncertain temps. Dans les quartiers, ils sont tou-jours par deux en déambulation pédestre, voireen transports en commun lorsqu’il y ena. Aujourd’hui, ils sont davantage en relationavec les partenaires (bailleurs sociaux, Éduca-tion nationale) que ne l’étaient les correspon-dants de nuit.Concrètement, une journée de travail d’unmédiateur se passe de la manière suivante : lorsde la prise de service, il y a un briefing desmédiateurs dans le local de l’association. Leurresponsable de secteur leur donne desconsignes orales ou écrites, par exemple d’assu-rer une présence à la sortie des écoles et descollèges ou de rencontrer les structures asso-

Nathalie Nivault est responsable du service de médiation de l’associationOptima à Nantes.

Pionnière dans les métiers de la médiation sociale,l’association Optima intervientaujourd’hui dans les villes de Nantes, Orvault, Clermont-Ferrand et Rennes. À Nantes,vingt médiateurs interviennentdans quatre quartiers depuisdécembre 2009. Ils ontremplacé les correspondants de nuit.

L’expérience des médiateurs de quartier

Interview

Optim

a

» La force de ce dispositif est qu’il offre un espace

d’écoute, de parole et de priseen compte que la populationn’aurait pas autrement. «

IAU île

-de-F

rance

Page 56: Les villes face à l'insécurité. Cahier n° 155€¦ · N° 155 - juin 2010 trimestriel - 18 € ISSN 0153-6184  Les villes face à l’insécurité IAU île-de-France

ciatives. On déroule la journée suivant la vie duquartier. Quand il n’y a rien de spécial, on fait lasortie des écoles et des collèges : régulation,échanges avec les parents, les directeurs d’éta-blissements par rapport aux retours à la mai-son, à la connaissance de situations familiales.On passe également une fois par semaine dansles mairies annexes et dans les structures d’em-ploi et d’insertion. Le travail des médiateurs estd’observer, d’aider et d’orienter. De ce fait, unmaillage partenarial très fin est nécessaire pourdonner l’information, l’orienter, voire même ladiagnostiquer. Leur force est d’être sur le ter-rain plus de 70 % du temps. En dehors desmoments dédiés au briefing ou aux réunionsavec des partenaires, ils sont dans l’espacepublic à pied ou en visite. On en tire une bonneconnaissance de certains publics.Chaque jour, de retour à Optima, les médiateursdoivent rendre compte de leurs activités décli-nées selon les trois axes, de ce qu’ils ont fait etvu, à travers un rapport journalier. Ce rapportest autant narratif que quantitatif, en fonctiondes indicateurs que l’on a créés (type d’inter-ventions effectuées notamment). Ces rapportssont synthétisés par le responsable de secteurqui réalise une note hebdomadaire. Elle estadressée à la mission Prévention de la ville deNantes, qui la fait suivre auprès de ses princi-paux partenaires (bailleurs, équipes de quar-tier). Cela leur permet ainsi d’avoir un retoursur l’ambiance générale dans un quartier et surles principaux problèmes rencontrés parl’équipe de professionnels d’Optima. Tous lesdeux mois, les responsables de secteur fontensemble une analyse du climat social de cha-cun de leur territoire, avec une identificationdes adresses spécifiques pointées à étudier.Nous sommes donc beaucoup dans l’analyse.Dans l’exercice du métier de médiateur, l’écritest un outil indispensable et doit être de qua-lité. Il faut qu’on capitalise l’information pourl’analyser et la retranscrire.

L. C. – Quel bilan tirez-vous de cette action ?N. N. – Le bilan est très positif même si onmanque de recul, l’expérience n’ayant qu’un

an. Ce que l’on peut dire, c’est que noussommes reconnus par la population et par lespartenaires des quartiers. Mais je pense qu’ilfaut qu’on réfléchisse à la nature de notreréponse. Aujourd’hui, même si on fait de lamédiation à froid, on est avant tout dans unelogique de traitement immédiat pour permettrele «bien-vivre ensemble» et éviter que des situa-tions ne dégénèrent. On gère des situations deconflits, notamment de voisinage, on prévientégalement en faisant en sorte que le cadre devie du quartier ne se dégrade pas. Par exemple,lorsqu’une voiture est laissée à l’abandon, sielle n’est pas retirée rapidement, il y a un risquequ’elle soit brûlée et en fasse brûler d’autres, cequi générera un sentiment fort d’insécurité. Onfait donc des relances régulières par courrielauprès des services pour qu’elle soit rapide-ment retirée. De la même manière, on interpelleles services techniques de la ville si l’onconstate par exemple que les portes d’un trans-formateur sont cassées… et on relance régu-lièrement s’il le faut. On estime que l’état dumobilier urbain est un élément extrêmementimportant dans la qualité de vie d’un quartier.Notre action en la matière est donc centrale,mais le problème est que tout ne peut pas serésoudre dans l’urgence, dans l’immédiateté. Ily a des travaux de fond à mener, une cohérenceglobale des acteurs sociaux à trouver pourapporter une réponse efficace, rapide etpérenne. Bref, il me paraît nécessaire de combi-ner les deux, la réponse immédiate et laréponse à plus long terme.

L. C. – Quelle est la plus-value de cetteexpérience et quelles en sont les limites ?N. N. – La force de ce dispositif est qu’il offre unespace d’écoute, de parole et de prise encompte, que la population n’aurait pas autre-ment. Cette force réside aussi dans « l’allervers », posture que peu d’autres acteurs adop-tent… Les acteurs sociaux, comme les repré-sentants institutionnels, sont sur le traitementou la résolution de problèmes. Nous, non. L’en-trée est totalement différente. On n’est pas« jugeant », on ne négocie pas, on n’est jamaisdonneur de leçons. C’est un élément favorablepour être un « tampon», capable de renvoyervers les autres institutions. Cette posture peutperdre certains jeunes qui ont du mal à posi-tionner le rôle des médiateurs, mais c’est notreforce. La priorité est aujourd’hui dédiée à l’es-pace public, ce qui est bien. Mais je pense qu’àun moment donné, la misère de l’espace privéviendra ronger l’espace public. Il faudrait doncaussi travailler davantage en amont.

Propos recueillis par Tanguy Le Goff

AgirLes Cahiers n° 155

L’expérience des médiateurs de quartier

54

Le travail des médiateurs estd’observer, d’aider et d’orienter. As

sociation OPTIMA Nantes

IAU île

-de-F

rance

Page 57: Les villes face à l'insécurité. Cahier n° 155€¦ · N° 155 - juin 2010 trimestriel - 18 € ISSN 0153-6184  Les villes face à l’insécurité IAU île-de-France

55

AgirLes Cahiers n° 155

Les villes face à l’insécurité

Les Cahiers – Quelle est la philosophie de la politique de sécurité du site de la Villette ?Christian Brulé – La Villette est un site de 55hectares, qui emploie 2 000 salariés et reçoit10 millions de visiteurs par an, englobant à lafois la Cité des sciences, le Conservatoire, la Citéde la musique, le Zénith, un grand parcurbain… C’est un lieu unique qui exige unepolitique spécifique. Les principes de base sontnéanmoins simples et transférables. Notre pro-jet est un peu à l’image des maisons antisis-miques : cela n’empêche pas les tremblementsde terre, mais contient les effets autant que fairese peut, en toute modestie. Sur le site, nousavons construit une structure antisismiquesociale, avec des amortisseurs pour limiter lesproblèmes en cas de secousses.Nous travaillons avant tout sur un sentiment debien-être. Notre démarche se concentre sur l’ac-cueil du public. Elle n’est pas réductible à lasurveillance des délinquants ni aux notions desécurité passive et de prévention situationnelleque l’on brandit habituellement. Notamment, iln’y a pas de vidéosurveillance sur le parc. Cequi nous importe plus fondamentalement – etc’est l’une des forces de la Villette –, c’est queles gens viennent de partout et se sentent bien.C’est la fonction de maître de maison : quandvous recevez des gens chez vous, vous veillez àce qu’ils soient bien traités. Ici, nous offrons unservice pour le public : ce n’est donc pas aupublic de s’adapter au lieu, c’est à nous de nousadapter au public. Nous nous devons de bienl’accueillir.Nous sommes aussi très attentifs au vivreensemble. Cela soulève un enjeu majeur d’ex-traterritorialité, c’est-à-dire que la Villette est ungrand espace où tout le monde est le bienvenumais où personne n’est chez soi. Il n’y a pasune bande qui s’installe et s’approprie l’espaceexclusivement. Un banc par exemple : il n’estpas question que certains disent « c’est notrebanc!». Ce n’est ni le banc des jeunes ni le bancdes vieux, c’est un banc pour tous. Il ne fautpas qu’il y ait une privatisation de l’espace. Ilfaut encourager la mixité des publics et la poly-valence des espaces, sans affectation trop ser-rée. C’est un lieu pour vivre ensemble.

L. C. – Sur quels axes cette politiqued’accueil et de bien-être repose-t-elle ?C. B. – Le sentiment de bien-être et de sécuritédépend à la fois de la propreté du site, de laqualité de l’accueil, de la politique des familles,

des groupes et de la jeunesse, de la politiquetarifaire, du contenu culturel, etc. La vision doitêtre globale et transversale. Elle doit égalementêtre permanente et cohérente. Au départ, nousavons dû construire et ancrer le projet afin qu’ilsoit partagé par tous. Aujourd’hui, il nous fautl’entretenir dans la durée. Être présent, réajustersi nécessaire. Le site de la Villette demande uneattention et une réactivité permanentes car lesproblèmes de sécurité évoluent perpétuelle-ment. Mais cela ne veut pas dire qu’on changede politique à chaque nouveau problème. Ongarde le même fond. Simplement, on s’adapte.Autre point important : il faut que la politiquesoit lisible, visible et compréhensible. Les règlesdoivent être claires pour tous. Il existe un règle-ment intérieur, écrit, qui a été promulgué par lepréfet de police et qui a force de loi. Alors,quand un usage est interdit, il faut le dire et réa-gir en conséquence. Je pense qu’il faut êtreferme. Pas rigide, mais ferme. Un site commecelui-ci, vous ne pouvez pas le laisser partir àvau-l’eau.En revanche, il ne s’agit pas de déloger les gensn’importe comment. Par exemple, si les gardienstrouvent un clochard qui s’installe pour passerla nuit dans le parc, ils lui disent «Monsieur, vousne pouvez pas rester là», ils lui expliquent. Il y aune prise en charge du public, qui peut êtreréorienté vers l’APSV. Lorsqu’il y a des pro-blèmes de stationnement avec des groupes dejeunes, un éducateur peut aller à leur rencontreet voir avec eux que faire. On propose à certainsde travailler sur le site, à d’autres un accompa-gnement vers des démarches de soins, etc.Mais s’il doit y avoir une répression, il y a répres-sion. Il ne faut jamais laisser les problèmes s’ins-taller. Au moindre comportement délinquant,c’est la police qui vient récupérer les auteursimmédiatement, et ils peuvent rapidement être

Christian Brulé est médecinpsychiatre. Depuis plus de 20 ans, il est responsable de la politique de prévention de la délinquance sur le site de la Villette, dont il préside la Commission stratégique de sûreté. Il est égalementprésident de l’Association de prévention du site de la Villette (APSV).

Créée en 1986, l’APSV initiedes actions de prévention,d’insertion socioprofessionnelleet d’accès à la culture à destination des populationsrencontrant des difficultéssociales. Elle a développé une double identité d’outil de régulation sociale au sein du parc urbain et d’acteurressource du territoire sur les problématiques sociales.Elle est notamment habilitée à recevoir et accompagner des jeunes condamnés à une peine de travail d’intérêtgénéral ou s’étant engagés à une réparation pénale.L’équipe de l’APSV est animéepar une douzaine de formateurs, d’éducateurs et de personnel administratif.

Le site de la Villette : miser sur le bien-être des usagers

Interview

H. Ballet/IAU îdF

J-G. Jules/Aerial/IAU îdF

La Géode – Piétons et cyclistes.

IAU île

-de-F

rance

Page 58: Les villes face à l'insécurité. Cahier n° 155€¦ · N° 155 - juin 2010 trimestriel - 18 € ISSN 0153-6184  Les villes face à l’insécurité IAU île-de-France

condamnés à des peines. Nous travaillons enrelation étroite avec le parquet, il importe qu’iln’y ait pas de classement sans suite. Il faut unechaîne cohérente.

L. C. – Ce qui nous amène à vous poser laquestion de la coordination : qu’en est-il ?C. B. – La question de la coordination est trèsimportante car le site est complexe. La Villette,c’est un ensemble d’établissements, avec cha-cun son responsable de sécurité, et une sommed’espaces plurifonctionnels, avec des territoria-lités multiples. Par exemple, au nord du site,vous trouvez sur une même zone la Cité dessciences, le parc, des logements privés, la RATPet les services de l’État. En l’espace de quelquesmètres, un délinquant qui se trouve là peutavoir affaire à plusieurs services de sécurité dif-férents, et donc vous échapper très vite. C’est laraison pour laquelle il faut une vraie coordina-tion, bien identifier lesresponsabilités respec-tives, pour éviter les lieuxde déshérence sur les-quels plus personne n’in-tervient faute de savoir qui est en charge dequoi.C’est pourquoi nous avons une commissionstratégique de sûreté, qui se réunit tous les deuxmois avec l’ensemble des acteurs concernés.Cela fait 20 ans que je la préside. Je précise queje n’ai aucune compétence opérationnelle – jene traite pas les problèmes en temps réel, il y aune direction sécurité pour cela, structurée,commune à l’ensemble des établissements quisont juridiquement indépendants. Moi, je m’oc-cupe de la politique, de la stratégie. Mais il nes’agit aucunement de tout diriger. La commis-sion stratégique de sûreté est une réunion deconcertation, qui fonctionne sur un principed’horizontalité. Police, services de sécurité, édu-cateurs, tous se parlent et chacun peut recaler.Ce n’est pas du tout la coordination par le haut,c’est la coordination par le bas.

L. C. – Et l’APSV ? Quelle est sa valeurajoutée en matière de prévention de ladélinquance et de sécurisation du site ?C. B. – Ce n’est pas une valeur ajoutée, c’est lajustification même de l’association ! L’APSV aété créée dans deux buts complémentaires :éviter l’exclusion sociale et favoriser l’insertion.D’une part, il s’agit de préserver l’harmonie dusite en y intégrant le maximum de populations,notamment issues de l’environnement proche,de telle sorte qu’il n’y ait pas de dégradationset d’incivilités liées à un sentiment d’exclusion.D’autre part, il s’agit de promouvoir l’insertionde jeunes défavorisés au travers des actionsque nous menons sur ce site, de leur offrir dutravail, de leur proposer des activités innovantesdans le champ de la formation, de l’accès à laculture, etc. Et ce, selon un principe de subsi-diarité : l’APSV ne fait pas ce que font les autresstructures, elle intervient dans les interstices.

Dans le fond, notre poli-tique consiste à dire auxjeunes : «À la Villette, vousêtes nos invités privilégiés.Certes, à nos conditions –

vous avez des droits et des devoirs –, mais vousêtes nos invités privilégiés. Et, d’une certainemanière, vous défendrez cette image du siteauprès de vos copains, et vous compterez aussiparmi ceux qui vont protéger la Villette».Et cela fonctionne. Les responsables des éta-blissements de la Villette ont vite compris l’in-térêt de cette démarche : le XIXe arrondissementn’est pas un environnement simple, et, pourtenir le site, l’APSV leur coûte bien moins cherque de renforcer le gardiennage ou d’installerde la vidéosurveillance! Qui plus est, sur le plansocial, l’APSV est en pointe. Elle développe desactions expérimentales qui intéressent beau-coup. Elle sert de boîte à idées d’ingénieriepour les établissements du site comme pourl’extérieur.

Propos recueillis par Céline Loudier-Malgouyres

et Virginie Malochet

AgirLes Cahiers n° 155

Le site de la Villette : miser sur le bien-être des usagers

56

Les moyens humains dédiés à la surveillance du siteOuvert sur la ville, le parc de la Villettetémoigne d’une volonté marquée dèsl’origine du projet d’intégrer le site auquartier pour ne pas en faire un espaceréservé. L’absence de clôture répond d’un parti d’aménagement assumé, non sans conséquence sur la gestion du site, impliquant de fortes pratiques de surveillance, de maintenance et de service public.La politique de la Villette, centrée sur la qualité de l’accueil et le bien-êtredes usagers, inclut des moyens humainsdédiés à la surveillance du site. Ceux-ci relèvent à la fois :- des ressources internes : un dépar-

tement sécurité, avec une équiped’opérateurs chargés du poste de contrôle ;

- des prestations externes : recours au secteur privé pour assurer la couverture physique du site (agents de médiation en journée,maîtres-chiens la nuit).

À travers ses actions, l’APSV contribueégalement à la sécurité et à la préservation de l’harmonie du site de la Villette.

» Nous sommes très attentifsau vivre ensemble. «

La Villette, un site unique qui exige une politique de sécurité spécifique. Fo

lies de B. Tschumi ©

PE. Rastoin

IAU île

-de-F

rance

Page 59: Les villes face à l'insécurité. Cahier n° 155€¦ · N° 155 - juin 2010 trimestriel - 18 € ISSN 0153-6184  Les villes face à l’insécurité IAU île-de-France

57

AgirLes Cahiers n° 155

Les villes face à l’insécurité

Les Cahiers – Une intervenante socialedans un commissariat. Comment cette initiative est-elle née ?Francis Galloy – Ce projet fait l’objet d’unefiche thématique dans le contrat local de sécu-rité (CLS). Il part du constat suivant : une délin-quance identifiée sur le territoire de Sénart, plu-tôt endogène, avec une forte proportion demineurs mis en cause. Dès 2006, une réflexions’est engagée avec les différents partenaires duCLS, notamment sur la prise en charge et la pré-vention de la récidive. Cette fiche a été validéedans le cadre du CLSPD(1), des budgets ont étédégagés, dont des financements du FIPD(2) etdu San(3). La direction Prévention-Sécurité duSan de Sénart a porté le projet. Au départ, notreassociation s’est demandé si elle devait s’yinvestir, si le commissariat était bien le lieu poureffectuer un travail de prévention. Dans lamesure où il s’agissait d’une action en direc-tion des mineurs mis en cause, nous avonsestimé que c’était le cœur de notre métier quede répondre aux problé-matiques posées par cespopulations. C’est sur cetargument que nous noussommes engagés.Lorsqu’il y a un actedélinquant, la fonction d’un policier est de l’ar-rêter. Mais derrière, si on veut éviter la réitéra-tion, il s’agit de mettre le jeune et sa famille surla piste d’une réflexion pour voir ce qui a été àl’origine de cela. C’est l’hypothèse qui fonde leprojet : derrière l’acte délictueux, il y a un sens.À nous de trouver le chemin qui permettra aujeune et à sa famille de sortir de là. C’est tout letravail de Sandra, avec sa compétence éduca-tive et sa connaissance de l’ensemble duréseau de partenaires. Chaque personne ren-contrée va pouvoir être remobilisée, peut-êtreplus particulièrement pour l’un autour de laformation, pour d’autres autour du sport, desloisirs ou d’autres supports.

L. C. – Comment avez-vous défini un cadre d’intervention commun ?Didier Soules – Nous avons vraiment travailléensemble dès le départ : San de Sénart, associa-tion Espoir et police nationale. Nous noussommes tous impliqués pour mettre en placece projet innovant qui s’intéresse aux mineursauteurs d’infractions. Le dispositif du travailleursocial en commissariat n’est pas nouveau, maisd’ordinaire la mission est orientée en directiondes victimes. Un protocole opérationnel a été

établi pour préciser le fonctionnement, les thé-matiques prises en compte, la ligne deconduite. Le protocole a permis de poser deslimites. Ces limites portaient à la fois sur lamanière dont nous envisagions de travailleravec l’intervenante sociale et sur la manièredont elle allait gérer sa mission par rapport à sadéontologie professionnelle. Nous lui avonsgaranti le respect des règles de fonctionnementdu monde social.Sandra Mollo – En général, nos deux culturesprofessionnelles cohabitent mais ne travaillentpas ensemble. Par rapport à la déontologie etau cadre de travail de chacun, il fallait bien bali-ser les choses. Les informations que nouséchangeons restent limitées. Ce qui se passedans mon bureau reste dans mon bureau. Parcontre, un fonctionnaire de police peut savoirque je suis une famille et, si des éléments trèsparticuliers sont nécessaires à la compréhen-sion de la problématique, nous pouvons éven-tuellement en échanger. Mais chacun reste

dans son rôle. Si je veuxêtre reconnue par lesfamilles et les jeunes, je nepeux pas me permettre dedonner des informationsà la police. Soyons clairs,

je ne suis pas une « taupe». Il fallait aussi clari-fier mon rôle en externe, vis-à-vis de tous mescollègues partenaires du monde social. Pourcertains, un travailleur social dans un commis-sariat de police, c’était vraiment étrange. Ilsavaient besoin de savoir où mon travail com-mence et où il s’arrête. C’est pourquoi nousavons organisé des réunions pour leur expli-quer comment s’inscrit l’intervention socialedans la chaîne post-commissariat. À partir dumoment où l’on n’empiète pas sur le travail desautres, cela fonctionne.

L. C. – Concrètement, en quoi consistecette intervention sociale en direction des mineurs ?S. M. – Lorsqu’un mineur est interpellé, le poli-cier qui s’occupe de l’affaire propose à lafamille de me rencontrer, pour faire un point.C’est une proposition, pas une injonction, maisc’est très rare que les gens refusent d’avoir uncontact avec moi. Dans un premier temps, j’ac-

Sandra Mollo est éducatricespécialisée. Salariée de l’association Espoir CFDJ(centres familiaux de jeunes),elle assure, depuis le 1er septembre 2009, la fonction d’intervenantesociale au commissariat de police de Moissy-Cramayel,ville nouvelle de Sénart.

Francis Galloy est directeur dupôle de Melun de l’associationEspoir CFDJ, qui intervient dans le champ de la protectionde l’enfance.

Didier Soules est commissairede police en poste au commissariat central deMoissy-Cramayel, responsabled’une circonscription de sécurité publique qui couvre 12 communes et 118000 habitants.

Une intervenante sociale dans un commissariat

Interview

V. Malochet/IAU îdF

(1) Conseil local de sécurité et de prévention de la délin-quance.(2) Fonds interministériel de prévention de la délinquance.(3) Syndicat d’agglomération nouvelle.

»Derrière l’acte délictueux, il y a un sens. À nous de trouver le chemin qui permettra au jeune et à sa famille de sortir de là. «

IAU île

-de-F

rance

Page 60: Les villes face à l'insécurité. Cahier n° 155€¦ · N° 155 - juin 2010 trimestriel - 18 € ISSN 0153-6184  Les villes face à l’insécurité IAU île-de-France

cueille les parents et le jeune pour évaluer lasituation et essayer de comprendre les raisonsde cet acte. Mon intervention reste ponctuelle,les suivis ne sont pas longs. Je peux voir les per-sonnes quatre ou cinq fois maximum, mais par-fois ce n’est qu’une fois. Quand les jeunes sontdéjà suivis par des services judiciaires, éducatifsou sociaux, je prends contact avec ces servicessi la famille est d’accord, et je fais le point aveceux, je leur passe le relais et, si besoin, on serencontre à nouveau, en particulier lorsque lejeune revient au commissariat. Quand lesjeunes ne sont pas suivis, je dispose de toutmon réseau de partenaires et je fais des propo-sitions. Parfois un entretien suffit, l’acte posé estisolé. Mais je voudrais dire que, même s’ils reve-naient, ce ne serait pas un échec pour moi àpartir du moment où ils donnent du sens à leuracte. Des jeunes ont besoin de venir se re-confronter à la loi, c’est aussi une manière de seconstruire dans la vie. Ensemble, avec les parte-naires, on essaie de trouver la meilleureréponse possible, une réponse concrète etcohérente pour ce jeune. Parallèlement, il m’ar-rive aussi de voir des mineurs victimes, qu’ilsviennent directement se plaindre au commissa-riat ou après un signalement au parquet. Lapolice engage alors tout un travail dans lequelje peux être un soutien. Mon bureau n’est pascelui d’un policier et c’est aussi le travail del’intervenant social que d’accompagner lesjeunes victimes ou leurs parents.

L. C. – Après six mois, quel premier bilantirez-vous de cette expérience ?D. S. – Il ne fait aucun doute que cettedémarche répond à des attentes au sein de lapolice. La police est le réceptacle d’une sommed’éléments sur la vie des familles. Quand onintervient chez les gens, qu’on accède à leurintimité, quand ils nous appellent parce qu’ilsne savent plus vers qui se tourner, on perçoit

des situations problématiques. Mais on n’est pasforcément en capacité de tout traiter. Certainscomposent le 17 pour dire : «Venez à la mai-son, je n’en peux plus, je ne peux pas tenir mongamin, il casse tout, je ne sais pas quoi en faire !»Mais nous sommes policiers, et dès lors quecela ne relève pas du domaine pénal, noussommes moins en capacité d’intervenir, sou-vent par méconnaissance des structures et desinterlocuteurs. Et pourtant, nous sentons bienqu’il y a des choses à faire. Jusqu’alors, il y avaitdonc une vraie frustration des policiers à ceniveau-là. Aujourd’hui, avec Sandra, on aquelqu’un vers qui se tourner, c’est important.Le policier n’est plus tout seul à devoir gérer, ilpeut passer le relais à quelqu’un dont c’est lemétier. L’autre intérêt majeur de l’expérience :pour ces jeunes que l’on voit régulièrement aucommissariat, c’est ce travail de lien qu’ils per-çoivent entre les acteurs et que Sandra peutmener à partir d’un cas précis. Elle joue un rôled’accélérateur de prise en charge. Elle est encapacité de réunir autour de la table tous lesprofessionnels s’occupant déjà de la famille etde demander : « Qu’est-on capable de faire,ensemble, et dans quel but ? »S. M. – L’enjeu, c’est de faire du lien entre lesdifférentes institutions qui ont une place dansla vie d’un individu afin d’éviter de morcelerles gens. Ils ne sont déjà pas bien, alors si onest quinze autour d’eux et qu’on ne commu-nique pas les uns avec les autres, c’est pire, etpersonne ne fait le boulot essentiel.F. G. – Effectivement, cette fonction a l’avan-tage de questionner des institutions qui agis-sent un peu en vase clos. Chacune a une légiti-mité d’intervention sur un champ défini, maispersonne ne circule à travers ces différentschamps. L’atout de Sandra est d’être en inter-face. Elle interroge la capacité des institutionsà parler entre elles à propos des populationsqu’elles sont censées aider. C’est une fonctionimportante, une fonction de passeur, que d’êtreintervenant social en commissariat. Et aveccette expérience, on est en train de montrerque cela fonctionne. Il y a une légitimité, unintérêt, à ce que l’intervention sociale parte ducommissariat. Pour le reste, avec à peine sixmois de recul, c’est un peu juste pour faire unepremière évaluation, et il va nous falloir travail-ler sur des indicateurs. La récidive sera l’un desindicateurs, mais pas le seul. Dans le cadre dupartenariat avec les services vers lesquels lesjeunes sont envoyés, peut-on avoir une trace dece qu’il est advenu? C’est ce à quoi il faut pen-ser. L’évaluation ne devra pas être seulementquantitative mais aussi qualitative.

Propos recueillis par Tanguy Le Goff et Virginie Malochet

AgirLes Cahiers n° 155

Une intervenante sociale dans un commissariat

58

Le commissariat de Moissy-Cramayel.

San de Sénart

IAU île

-de-F

rance

Page 61: Les villes face à l'insécurité. Cahier n° 155€¦ · N° 155 - juin 2010 trimestriel - 18 € ISSN 0153-6184  Les villes face à l’insécurité IAU île-de-France

Ces dernières décennies, dans l’espacemédiatique et politique traitant desquartiers populaires, l’analyse sociolo-

gique des questions urbaines a, dans une largemesure, été remplacée par une exploitation par-tisane, politicienne et commerciale. Dévelop-pement du sentiment d’insécurité, processusde fragmentation sociale et culturelle, étique-tage négatif des personnes d’origine étrangère,des «banlieues» et de leurs habitants : les quar-tiers populaires seraient des territoires de désor-ganisation sociale à haut risque, ethnicisés etpeuplés de jeunes violents. Contrairement auxpréjugés, ces quartiers ne se réduisent pourtantpas à des espaces anomiques où seule la loidu plus fort a droit de cité. Ce sont des lieux decréativité sociale et culturelle, des lieux deconflictualité en transformation permanente.Cœur de cible de la politique de la ville, ils sontaussi marqués par le redéploiement des dispo-sitifs institutionnels et des modes d’interven-tion en matière de régulation ou de contrôlesocial. En ce sens, nous soutenons qu’au seindes quartiers d’habitat social, la « société durisque» ne se caractérise pas par la décompo-sition du contrôle social, mais par sa diversifica-tion et sa recomposition. Une nouvelle «policedes villes » se développe, composée d’une mul-titude d’acteurs (État, collectivités locales,monde associatif, etc.) chargés de coproduirela paix sociale [OBLET, 2008]. On assiste à unprocessus d’hybridation de la régulationsociale, au sein duquel les intervenants sociauxtiennent une place importante [BOUCHER, 2003].

L’hybridation de l’intervention sociale

La dualisation du champ socialL’espace de l’intervention sociale ne doit pasêtre confondu avec celui du travail social pro-fessionnel : c’est un espace plus flou, regrou-pant une pluralité d’intervenants plus ou moinsqualifiés, aux logiques d’actions moins claire-ment établies. Autrement dit, une dualisationdes emplois s’opère dans le champ social. Deuxtypes de «marchés du travail » coexistent désor-mais, en référence à deux modèles d’actionsociale hiérarchiquement et politiquement dis-tincts.Le secteur «classique» du travail social, relative-ment fermé, s’est historiquement constitué surune logique de qualification collective. Réservéaux diplômés du travail social, il correspondau noyau dur des professions sociales (handi-cap, protection de l’enfance, aide aux famillesen difficulté). Il se caractérise par la recompo-sition d’une politique sociale héritée de l’après-guerre, pilotée par l’État et les départements,chargée d’une part de traiter les dysfonction-nements sociaux (aide sociale, enfance en dan-ger, traitement de la délinquance), d’autre partde combattre les effets néfastes d’une sociétéinégalitaire (traitement social du chômage, poli-

AgirLes Cahiers n° 155

Les villes face à l’insécurité

Mutations de l’intervention socialedans les quartiers populaires

Dans les quartiers populaires,on assiste à un processusd’hybridation de la régulationsociale des turbulences.

Manuel Boucher(1)

Institut du développement social

Dans les banlieues défavorisées, au-delà des idées reçues sur la désorganisation sociale, il existe des formes renouvelées de régulation des désordres. Les dispositifs de contrôle social se diversifient, engageant une multituded’acteurs dans une logique de pacification des territoires. En regard du débat actuel sur la « police des villes », cet article interrogeles mutations des modes d’interventionsociale dans les quartiers populaires.

59

F. Huijbregts/IAU îdF

(1) Sociologue, directeur scientifique (HDR) du Laboratoired’étude et de recherche sociales (Lers) de l’Institut du déve-loppement social (IDS-IRTS, Canteleu, Rouen), membre asso-cié du Centre d’analyse et d’intervention sociologiques(Cadis) à l’École des hautes études en sciences sociales, pré-sident de l’Association des chercheurs des organismes de laformation et de l’intervention sociales (Acofis).

IAU île

-de-F

rance

Page 62: Les villes face à l'insécurité. Cahier n° 155€¦ · N° 155 - juin 2010 trimestriel - 18 € ISSN 0153-6184  Les villes face à l’insécurité IAU île-de-France

tique du logement social, lutte contre les dis-criminations).Le secteur « périphérique » de l’interventionsociale, plus ouvert aux recrutements externes,concerne des sous-secteurs en expansion (aideà domicile) ou en émergence (médiationurbaine, insertion, accompagnement des immi-grés, etc.). Il est marqué par l’expansion d’unepolitique de pacification sociale hétérogène etpragmatique, essentiellement portée par desélus locaux, dont la fonction principale est demaintenir l’ordre dans les quartiers ségrégués.Dans cette perspective, ce qui compte au pre-mier chef, ce n’est pas la capacité des interve-nants sociaux à analyser des « situations pro-blèmes », mais leur capacité à contenir desdésordres potentiels, au détriment des réfé-rences déontologiques et des pratiques éman-cipatrices [BOUCHER, 2004]. D’un point de vueinstitutionnel, on peut affirmer que l’interven-tion sociale tend à devenir un « auxiliaire depacification» sociale et culturelle [CASTEL, BOU-CHER, 2009].

Après les émeutes de l’automne 2005, sur fondde crainte exacerbée des violences, nos der-nières enquêtes montrent qu’un certain nom-bre d’acteurs publics et parapublics, dont unepart de travailleurs sociaux, développent desstratégies d’évitement, de mise à distance desjeunes des cités et/ou ne sont tout simplementpas en contact avec eux. Ces acteurs socio-éducatifs sont comme dépassés par l’ampleurde l’exclusion sociale qui frappe les habitantsdes quartiers populaires, auxquels ils n’ont pasgrand-chose à proposer. Ils ne disposent pas desressources suffisantes pour répondre au prin-cipal problème des jeunes: « l’employabilité sta-ble ». Dès lors, ils sont en difficulté pour affron-ter les mécontentements et les rapports deforce qui en découlent. Ils limitent les interac-tions potentiellement conflictuelles avec lesjeunes du quartier, en travaillant avec les mèresde famille par exemple. L’action sociale et édu-cative auprès des publics les plus turbulents estalors volontairement « sous-traitée» à quelquesintervenants sociaux «autochtones», des «paci-ficateurs indigènes» agissant au sein d’associa-tions de proximité précaires.

L’ethnicisation de l’intervention socialeLa question des discriminations ethnoracialesn’est pas exogène à l’espace professionnel del’intervention sociale [BOUCHER, 2009]. Dans lesecteur « périphérique » de la régulation desdésordres urbains, mais aussi dans des sous-secteurs du travail social «classique» commecelui des centres éducatifs fermés, il existe unphénomène d’ethnicisation des intervenantssociaux «d’origine étrangère » ou considérés

comme tels, souvent perçus par leursemployeurs comme des éléments directementopérationnels pour pacifier les jeunes des quar-tiers populaires et les familles immigrées. End’autres termes, la «différence culturelle » estinstrumentalisée dans un objectif de conten-tion des populations « risquées », elles-mêmessouvent « racisées ». Mais cette catégorisationethnique des intervenants sociaux d’origineétrangère alimente un cercle vicieux: pour légi-timer leur utilité et opérer une contre-stigmatisation, ils peuvent être contraints demobiliser des caractéristiques « communau-taires », voire raciales, ce qui vient renforcer lesfrontières ethnoculturelles.La reconnaissance de la «différence culturelle»ne devient une véritable ressource qu’à partirdu moment où elle s’articule, d’un côté avecl’affirmation d’une certaine distanciation/sub-jectivation (rapport de soi à soi), de l’autre avecl’appropriation de valeurs universelles et profes-sionnelles, notamment transmises par la quali-fication [WIEVIORKA, 2001]. Pourtant, nos obser-vations indiquent que, dans la plupart des cas,la «différence culturelle » n’est pas reconnuecomme une dimension importante de l’actionsociale parmi d’autres compétences profession-nelles et techniques. La prise en compte du cri-tère ethnique dans le recrutement des interve-nants sociaux sert d’abord une double logique:celle du précariat et de la pacification sociale.Quand la «compétence ethnique» remplace laqualification nécessaire à l’accession à un sta-tut, cette logique participe à la racisation, à l’es-sentialisation des individus plutôt qu’à leur pro-motion.

L’internalisation de l’action socialeNombre d’intervenants sociaux sont fortementprécarisés, notamment dans le champ de l’ani-mation socioculturelle, de la médiationurbaine, de l’encadrement de la délinquanceou de l’accompagnement des populationsétrangères et précaires. Face aux difficultésqu’ils ont à penser les transformations socialeset le sens de leur action, certains tendent alorsà personnaliser les causes des problèmes ren-contrés par leurs usagers, se replient sur desmissions de contrôle social et de moralisationdes conduites et, surtout, sont en proie aux ins-trumentalisations politiques et institutionnelles.En fait, les intervenants sociaux sont face à unparadoxe: on leur demande de promouvoir l’in-tégration sociale de leurs usagers (finalité poli-tique) en agissant au niveau individuel (traite-ment psychorelationnel), alors que, trèssouvent, les personnes accompagnées sont endifficulté parce qu’elles subissent les mutationssocio-économiques, et non parce qu’elles sontdes « individus souffrants » affectés par des pro-

AgirLes Cahiers n° 155

Mutations de l’intervention sociale dans les quartiers populaires

60

IAU île

-de-F

rance

Page 63: Les villes face à l'insécurité. Cahier n° 155€¦ · N° 155 - juin 2010 trimestriel - 18 € ISSN 0153-6184  Les villes face à l’insécurité IAU île-de-France

blèmes psychologiques [CASTEL, 2009].Dans ces conditions, les interventions socialesrisquent pourtant de renforcer la norme d’inter-nalité qui conduit les individus à intérioriserl’idée qu’ils seraient les premiers responsablesde leurs difficultés, indépendamment de leurcondition sociale [DUBET, 2002]. Mais ce traversn’est pas nouveau. Lorsque K. Clark décrit leghetto noir de Harlem au début des années1960, il n’est pas tendre à l’égard des assistantssociaux dont il dépeint la « froideur objective».À force de simplifier les problèmes de leurs«clients » assistés, de les classer dans des caté-gories sociales spécifiques, ces professionnelsfinissent par pratiquer une sorte de déshumani-sation [CLARK, 1966].

Les capacités de mobilisation des intervenants sociauxCette analyse critique de l’intervention socialecomme «auxiliaire de pacification» doit êtremodulée si l’on regarde non plus du côté dusystème, mais du côté des acteurs sociaux.

Des acteurs sociaux « rebelles »En pratique, des intervenants de terrain résis-tent aux logiques de pacification sociale pro-mues par les pouvoirs publics [BOUCHER, 2009].Ils les contrecarrent en développant des moda-lités d’intervention et d’interaction singulières,basées non pas sur l’imposition d’un pouvoirnormalisateur, mais sur des relations de respectet de reconnaissance réciproque favorables àl’émancipation des personnes. Á partir de leursexpériences propres, ils ont compris que la ges-tion autoritaire de rapports sociaux de domi-nation était contre-productive et génératrice deviolence, d’abord pour les populations viséespar les dispositifs de responsabilisation indivi-duelle, mais aussi pour les professionnels char-gés de les mettre en œuvre, notamment quanddes usagers se révoltent. Cependant, pour briserle cercle vicieux de ces « politiques d’activa-tion» des «cas sociaux» [DONZELOT, 2008], cesacteurs de terrain sont contraints de produire

une forme de surengagement personnel extrê-mement épuisant. En tout cas, l’orientation deleurs pratiques professionnelles montre qu’ilest possible de dissocier intervention socialeet pacification sociale.

Au-delà de la lutte contre les préjugésDans les faits, combattre les préjugés à l’égarddes «cas sociaux» ne suffit pas. Comme le noteW.Benn Michaels, ce n’est pas parce que nouschangeons notre attitude à l’égard des pauvresque la pauvreté va disparaître : « Ce qu’onattend de nous, aujourd’hui, c’est que nousnous montrions plus respectueux envers lespauvres et que nous arrêtions de les considérercomme des victimes – car les traiter commedes victimes, c’est faire preuve de condescen-dance à leur égard et nier leur « individualité ».Or, si nous parvenons à nous convaincre queles pauvres ne sont pas des personnes qui man-quent de respect, alors c’est notre «attitude» àl’égard des pauvres, et non leur pauvreté, quidevient le problème à résoudre[…] Plus géné-ralement, cela revient à analyser l’inégalitécomme une conséquence de nos préjugés plu-tôt que de notre système social » [BENN

MICHAELS, 2009]. Au-delà des discours politique-ment corrects contre les préjugés sur les «pau-vres », c’est donc bien sur le système écono-mique et social qu’il faut agir, en même tempsqu’il faut redonner du sens et des capacitésd’action à l’intervention sociale.

Reconflictualiser et reprofessionnaliserl’intervention socialeRefuser les logiques d’instrumentalisation et desegmentation à l’œuvre dans l’espace de l’inter-vention sociale n’est pas impossible, maisnécessite l’articulation de deux mouvements :- une dynamique de « reconflictualisation» du

secteur par les intervenants sociaux eux-mêmes. C’est à eux de faire émerger desespaces de négociation et de médiation plu-tôt que de pacification, dans lesquels lesréflexions et propositions de tous les acteurs,directement ou indirectement concernés par

61

Références bibliographiques

• BENN Michaels Walter, La diversité contrel’égalité, Paris, Raisons d’agir, 2009.

• BOUCHER Manuel, «Turbulences, contrôleet régulation sociale. Des modèlessécuritaires et démocratiques dans desquartiers impopulaires », Déviance etsociétés, vol. 27, n° 2, 2003.

• BOUCHER Manuel, «Travail social,intervention sociale et pacificationsociale. D’un projet d’intégration et decontrôle à une action d’émancipation?»,Recherches sociologiques, vol. XXXV, n° 3,Louvain, 2004.

• BOUCHER Manuel, « L’ethnicité au servicede la pacification sociale », Diversité(Ville, École, Intégration), n° 158, 2009.

• BOUCHER Manuel, « L’expérience dughetto. Stomy, Roger, Abou et leur clan :rebelles et débrouillards », Déviance etsociété, vol. 33, n° 2, 2009.

• CASTEL Robert, La montée des incertitudes,Paris, Seuil, 2009.

• CASTEL Robert, BOUCHER Manuel, « Letravail social au risque de la pacificationsociale ? », Actualités socialeshebdomadaires, n° 2627, 2009.

• CLARK Kenneth, Ghetto Noir, Paris, RobertLaffont, 1966.

• DONZELOT Jacques, « Le social decompétition», Esprit, n° 349, 2008.

• DUBET François, Le déclin de l’institution,Paris, Seuil, 2002.

• LAPEYRONNIE Didier, Ghetto urbain, Paris,Robert Laffont, 2008.

• OBLET Thierry, Défendre la ville, Paris, PUF,2008.

• WIEVIORKA Michel, La différence, Paris,Balland, 2001.

Ville de Longjumeau, service com

munication

Les médiateurs, nouveaux auxiliaires de « pacification sociale » dans les quartiers ?

IAU île

-de-F

rance

Page 64: Les villes face à l'insécurité. Cahier n° 155€¦ · N° 155 - juin 2010 trimestriel - 18 € ISSN 0153-6184  Les villes face à l’insécurité IAU île-de-France

les questions sociales, pourraient s’exprimeret se confronter en vue de trouver des solu-tions humaines aux problèmes posés ;

- une dynamique de « professionnalisation »tendue vers la définition d’un «référentiel par-tagé». La qualification reste primordiale pourproduire des professionnels capables de com-biner des compétences fondamentales, asso-ciées à des références déontologiques, seulesgarantes du respect de la complexité des per-sonnes, et gages d’autonomie professionnelleface aux tentations d’instrumentalisation àdes fins de pacification sociale.

En somme, nous ne considérons pas que laquestion centrale dans les quartiers populaires

soit liée aux capacités de contrôle des interve-nants sociaux, avant tout pensés comme desagents de domestication des classes populaireset des personnes en souffrance. Il nous sembleplutôt que la priorité est de favoriser la repoli-tisation ainsi que l’autonomie d’action et deréflexion des intervenants sociaux, coproduc-teurs des capacités d’émancipation de per-sonnes en situation vulnérable. En ce sens, nousconclurons par cette interrogation fondamen-tale de K.Clark : «En ce qui concerne les prati-ciens du social, l’adaptation par l’indifférencedevant l’injustice n’est-elle pas un symptômede névrose alors que la rébellion, au contraire,serait un signe de santé? » [CLARK, 1966].

AgirLes Cahiers n° 155

Mutations de l’intervention sociale dans les quartiers populaires

62

Rachida Azougue est directriced’une association de préventionspécialisée de l’Est parisien,l’Association des jeunes amisdu Marais (Ajam). Titulaire d’un master politiques socialeset stratégies de direction, elle travaille dans le secteur de la prévention spécialiséedepuis 1984 et a une grandeexpérience de la banlieue.

Interview

Les Cahiers – Qu’est-ce que la préventionspécialisée ?Rachida Azougue – C’est une action à viséesocio-éducative qui relève de la protection del’enfance. Notre mission consiste à aller à larencontre des jeunes en difficulté sur leur lieude vie, et à les accompagner pour les aider àconquérir leur autonomie. Mais ce qui poseproblème dans le contexte actuel, c’est qu’onest sollicités tous azimuts, avec la tentation denous faire jouer un rôle qui n’est pas le nôtre.Dans le cadre de la contractualisation avec lesdépartements et les communes, les orientationsfixées peuvent dévier vers la prévention de ladélinquance, notamment dans les quartierspopulaires. Il y a des tensions entre les objectifséducatifs des équipes de prévention spéciali-sée et les objectifs plus politiques d’équipesmunicipales soucieuses de faire régner la tran-quillité dans les espaces publics. Quand il y a lefeu dans les quartiers, certains élus voudraientque les éducateurs soient présents la nuit, etsoient un peu «urgentistes» pour régler des pro-blèmes qui relèvent de la sécurité publique oud’autres formes de médiation urbaine, mais pasde la prévention spécialisée.

L. C. – Comment votre action s’inscrit-elledans les dispositifs territoriaux dedéveloppement social et de préventionde la délinquance ?R. A. – On a tout intérêt à impulser des dyna-miques de travail partagées. On ne peut pasdire : «Nous, on fait notre métier d’éducateurspécialisé de notre côté et on est hors disposi-

tif ». Il faut être présent dans tous les dispositifsliés à la politique de la ville. Si l’on veut queces dispositifs évoluent, il faut être à l’intérieurpour défendre notre point de vue, se position-ner comme des experts en matière de jeunesseen difficulté et refuser la stigmatisation d’unejeunesse prétendument dangereuse. Quand ils’agit de produire du diagnostic territorial, onrépond donc présent aux côtés des partenaires.Mais sans confusion des rôles, on n’est pas làpour faire le travail de la police. Vis-à-vis desjeunes, on agit dans le cadre d’un accompa-gnement éducatif.

L. C. – À ce titre, la prévention spécialiséen’est-elle pas un levier de la préventionde la délinquance ?R. A. – Si, bien sûr ! On cherche à générer de laplus-value sociale, à établir une meilleure façonde vivre ensemble dans la cité et, de ce fait, oncontribue à fabriquer de la sécurité. À l’Ajam,on privilégie le travail social communautairepour faire une vraie place aux jeunes et à leursfamilles. À travers des actions sur le milieu parexemple, on les rend acteurs. Quand on travailleensemble sur une cage d’escalier, que lesjeunes y tiennent un café d’été pour financerun raid au Maroc, ils se mettent en situation decoopération avec des adultes, le regard qu’onporte sur eux change. Et dans cette cage d’esca-lier, on apaise les tensions, on recrée du liensocial, de la confiance, du dialogue. Et celagénère de la sécurité.

Propos recueillis par Virginie Malochet

La prévention spécialisée, un outil d’accompagnement éducatif

V. Malochet/IAU îdF

IAU île

-de-F

rance

Page 65: Les villes face à l'insécurité. Cahier n° 155€¦ · N° 155 - juin 2010 trimestriel - 18 € ISSN 0153-6184  Les villes face à l’insécurité IAU île-de-France

Au regard des recompositions en cours, quelles perspectivesd’avenir pour le gouvernement de la sécurité dans nos villes?Pour le Grand Paris, un nouveau mode de gestion se dessine :la police de l’agglomération parisienne, couvrant sous une même direction la capitale et les trois départements de petite couronne. Il est légitime de s’interroger sur son articulation avec le projet urbain du Grand Paris etsur les enjeux en termes de «métropolisation » de la sécurité.Plus largement, au-delà des réorganisations de la sécuritépublique, s’achemine-t-on vers une privatisation de la protection des biens et des personnes? En tout cas, le secteur marchand de la sécurité est en plein essor. Et sur le plan urbain, dans quelle mesure les contextesnationaux influencent-ils le développement d’espacesrésidentiels sécurisés, centrés sur un entre-soi protecteur ?Effectivement, la problématique de l’insécurité urbaine reflèteles processus de ségrégation socio-spatiale en même tempsqu’elle les alimentent. Dans les banlieues « sensibles », les délinquances juvéniles sont avant tout le symptôme d’une condition sociale dégradée. L’insécurité ne pèse pas moins sur l’attractivité des commerces, la qualité des espaces et l’expérience vécue des habitants dans ces quartiers populaires qui s’apparentent à maintségards à de véritables « ghettos urbains ».

63

Anticiper

IAU île

-de-F

rance

Page 66: Les villes face à l'insécurité. Cahier n° 155€¦ · N° 155 - juin 2010 trimestriel - 18 € ISSN 0153-6184  Les villes face à l’insécurité IAU île-de-France

Le 26 juin 2007, le chef de l’État prononceun discours-programme sur sa vision duGrand Paris(2).

Du lancement du Grand Paris…Cette orientation, qui semble marquer un retouren force de l’État dans l’aménagement de larégion Île-de-France(3), est basée sur quatreorientations : les transports, l’urbanisme, larecherche et l’enseignement supérieur, et uneréflexion institutionnelle sur la gouvernance dela Région capitale.Dans le même temps, l’arrêt du processus d’ap-probation du Sdrif(4) (Schéma directeur de larégion Île-de-France) est annoncé. Ce docu-ment de planification donne une vision straté-gique à 20 ans du développement de la Région,il fait des choix d’organisation de l’espacerégional pour résoudre la crise du logement,développer les transports publics, accompa-gner de nouveaux pôles de développement etd’emplois, préserver l’environnement et amé-liorer les cadres de vie. Il inscrit l’avenir de larégion dans et hors de ses limites. Il a donnélieu, entre 2004 et 2008, à une mobilisation degrande ampleur de nombreux acteurs (asso-ciations, habitants, élus).À l’occasion de l’inauguration de la Cité de l’ar-chitecture et du patrimoine le 17 septembre2007, le président de la République, dans sondiscours, souhaite une réflexion «au-delà desclivages des uns et des autres, […] un nouveauprojet d’aménagement global du Grand Paris »et lance la « consultation internationale sur

l’avenir de la métropole parisienne ». Dixéquipes pluridisciplinaires dirigées par desarchitectes et des urbanistes sont missionnéespour réfléchir à l’aménagement de la Régioncapitale.

Le constat de la gouvernance complexe de lamétropole parisienne semble partagé, maisselon les acteurs, des modalités divergentessont envisagées. La première s’est développéeà partir des institutions existantes : dans lecadre de la concertation pour réviser le Sdrif,la Région a cherché à promouvoir une coopé-ration basée sur la solidarité entre tous les ter-ritoires(5). La seconde envisage la création d’unenouvelle entité institutionnelle à même derépondre aux enjeux induits par un nouveaumode d’organisation(6). Dans le cadre de cette

AnticiperLes Cahiers n° 155

Les villes face à l’insécurité

Du Grand Paris institutionnel au Grand Paris de la sécurité

Le Préfet de police a aujourd’hui autorité sur la nouvelle policed’agglomération.

Sylvie SchererIAU île-de-France

Un groupe de réflexion sur la sécuritéau quotidien a été mis en place par le ministère de l’Intérieur afin de dresser un bilan et de formuler des propositions relatives à la sécuritéde proximité. Dans le rapport(1), Michel Gaudin et Alain Bauersoulignent que « le niveau del’agglomération est désormaispertinent pour assurer la sécurité de bassins de vie dans lesquels les flux de personnes et de biens sont de plus en plus mobiles. »

64

© Préfecture de

police

(1) GAUDIN Michel, BAUERAlain, Vers une plus grande efficacitédu service public de sécurité au quotidien, ministère de l’Inté-rieur, rapports officiels, La documentation française, 2008.Ce rapport a été remis au président de la République le 21mars 2007.(2) Discours du président de la République, inauguration duSatellite n° 3 Roissy-Charles-de-Gaulle, le 26 juin 2007.(3) MONGIN Olivier, «Le Grand Paris et la réforme des collec-tivités territoriales, Esprit, mars-avril 2010.(4) « [...] Je ne souhaite pas que l’on adopte un nouveauschéma directeur de la région Île-de-France avant d’être alléau bout de ces questions et d’avoir défini une stratégie effi-cace dans ces domaines. », 26 juin 2007.(5) GAILLOT Jean-Claude et MANCRET-TAYLORValérie «La straté-gie de planification durable de la Région Île-de-France», LesCahiers, n° 151 «Stratégies métropolitaines», juin 2009.(6) CHEMETOV Paul et GILLI Frédéric, Une région de projets :l’avenir de Paris, collection travaux (n° 2), DIACT, octo-bre 2006.

IAU île

-de-F

rance

Page 67: Les villes face à l'insécurité. Cahier n° 155€¦ · N° 155 - juin 2010 trimestriel - 18 € ISSN 0153-6184  Les villes face à l’insécurité IAU île-de-France

dernière réflexion, les modalités de gouver-nance des autres métropoles mondiales ont étéanalysées et plus spécifiquement celle duGrand Londres, considéré comme le concur-rent le plus direct du Grand Paris(7).

En parallèle, l’Observatoire de la décentralisa-tion confie au sénateur de Seine-Saint-DenisPhilippe Dallier une mission sur l’avenir institu-tionnel du Grand Paris.Le rapport de l’Observatoire de la décentralisa-tion(8) trouve dans l’exemple du Grand Londresdes indications pertinentes sur les échelles depérimètre et de population ainsi que sur lescompétences : transport, développement, éner-gie, logement, mais aussi police et secours.Le scénario, retenu par le rapporteur, est basésur trente propositions qui s’articulent à partirde la création d’une nouvelle collectivité,regroupant les quatre départements de la petitecouronne, ayant son propre statut juridique.Cette construction est proposée en étape, lapremière accorde le statut de conseil général àce Grand Paris, la seconde étape doit lui per-mettre de devenir une collectivité sui generisdotée de compétences limitées aux transports,logement, développement économique, socialet sécurité et ne disposant pas de la clause decompétence générale.Deux de ces trente propositions concernent lasécurité. La première porte sur l’extension despouvoirs du préfet de police au Grand Parisdans l’objectif de mieux coordonner lesmoyens humains et d’être plus réactif face àdes violences urbaines dont les auteurs sontoriginaires de la région parisienne. La secondepromeut la création d’une police métropoli-taine qui regrouperait l’ensemble des servicesmunicipaux existants, les agents de surveil-lance de la voie publique (ASVP) et les agentsde surveillance de la ville de Paris (ASP). Sonfinancement serait assuré par le Grand Paris etles communes. Les compétences correspon-draient à celles des polices municipales, l’or-ganisation et la gestion des réseaux de vidéo-surveillance ainsi que la circulation. Cettepolice métropolitaine pourrait être placée sousl’autorité du préfet de police à l’occasiond’événements exceptionnels tels que des mani-festations de grande ampleur (événementssportifs) ou des crises. Dans cette hypothèse, sile choix des priorités sur le territoire communalreste dévolu au maire, la perte de la maîtrisepar ce dernier d’un des outils nécessaires àl’exercice de ses missions de sécurité publiquen’est pas évoquée. Cette question n’est pas ano-dine quand, en 2007, on dénombre 377 policesmunicipales (communales ou à caractère inter-communal) en Île-de-France dont 80 en petitecouronne(9).

… au Grand Paris de la sécuritéSi Colbert crée la fonction de lieutenant depolice de Paris en 1667, c’est la loi du 28 plu-viôse an VIII (17 février 1800) qui instaure le pré-fet de police, nommé et révoqué par le pouvoircentral, chargé du maintien de l’ordre public àParis. Cette situation perdure et elle constituel’un des éléments majeurs qui distinguent lestatut de Paris de celui des autres communes.Le préfet de police est compétent pour l’ordrepublic dans Paris intra-murosmais son autorités’étend à la petite couronne en matière depolice judiciaire et de sapeurs-pompiers, et àla région en matière de renseignements géné-raux. La préfecture de police est financée surdeux budgets. Celui de l’État couvre lesdépenses de la police administrative, le «budgetspécial de la préfecture de police » alimentépar les contributions des collectivités territo-riales et de l’État finance ses missions départe-mentales et communales. Ce budget spécial estadopté annuellement par le Conseil de Paris.Une partie des personnels (ASP) placée sousl’autorité du préfet, sont des fonctionnaires ter-ritoriaux.L’extension des pouvoirs du préfet de policeest concrétisée par la mise en place de lapolice de l’agglomération parisienne (PAP),effective depuis le 14 septembre 2009. Il exerceun commandement fonctionnel sur les effec-

65

Depuis 2003, le service régional de la police des transports assure la sécurisation des transports franciliens.

(7) LEFEVRE Christian, Étude de la gouvernance des métro-poles mondiales : Londres, New-York, Tokyo, des référencespour la métropole Parisienne? Agence de Développementdu Val de Marne, novembre 2006.(8) DALLIER Philippe, Les perspectives d’évolution institution-nelle du Grand Paris, rapport d’information, Observatoire dela décentralisation n° 262 (2007-2008), 8 avril 2008.(9) LE GOFF Tanguy, Les Polices municipales en Île-de-France,IAU île-de-France, 2008.

© Préfecture de

police

IAU île

-de-F

rance

Page 68: Les villes face à l'insécurité. Cahier n° 155€¦ · N° 155 - juin 2010 trimestriel - 18 € ISSN 0153-6184  Les villes face à l’insécurité IAU île-de-France

tifs départementaux avec la responsabilité de lasécurité sur Paris et la petite couronne. De cefait, toute unité de police peut intervenir endehors de son territoire d’affectation. Déjà en2003, avec la création du service régional de lapolice des transports (SRPT), le Préfet de policeavait vu son influence territoriale s’élargir auxhuit départements franciliens. En effet, la mis-sion de ce service consiste à patrouiller chaquejour dans le plus grand nombre de trains,métros et RER, mais aussi sur les plates-formeset dans les couloirs d’interconnexion du réseauferré parisien.En juin 2009, le ministre de l’Intérieur rappellel’inscription de cette nouvelle direction depolice dans le cadre du Grand Paris(10), et en jus-tifie la création comme une réponse de l’adap-tation du bassin de délinquance à l’extensionprogressive de l’agglomération parisienne.Cependant, en absence de définition territo-riale du Grand Paris, reste ouverte la questionde la pertinence du zonage de cette nouvelledirection. Par ailleurs, si le commandement uni-fié sur les quatre départements fonde la capa-cité de la police nationale de mener des opéra-tions de grande envergure, la sécurité auquotidien dans les quartiers demeure de la res-ponsabilité des commissaires dont les moyensen effectifs sont en diminution. La mutualisa-tion prônée va-t-elle permettre de répondre auxpréoccupations en matière de sécurité desFranciliens?

Un pari en devenir…De l’annonce de l’ambitieuse réforme d’ensem-ble de l’agglomération parisienne et des diffé-rents scenarii présentés, imbriquant plusieursniveaux d’interventions, seules deux proposi-tions ont été initiées. Cependant, il faut souli-gner la limite de ces mises en œuvre enabsence de volets complémentaires. En sebasant sur les transports domicile-travail quireprésentent une infime part des déplacements

en Île-de-France, la loi du Grand Paris du 5 juin2010 ignore largement le social(11). Philippe Dal-lier analysait dans les émeutes de 2005 une desconséquences de la persistance des phéno-mènes de ségrégation territoriale et la stigmati-sation des populations, ce qui justifiait la néces-sité de la création d’une nouvelle organisationinstitutionnelle pour résoudre « les problèmesde la ville dans l’agglomération parisienne. »[DALLIER, 2008]. Ce sentiment de relégation estperceptible dans les propos tenus à l’occasiond’entretiens, menés suite aux émeutes, par lesjeunes des quartiers défavorisés d’Aulnay-sous-Bois. Même si aucun discours construit enterme de revendication n’émerge de leur pro-pos, ils affirment qu’ils souhaitaient se faireentendre et sortir du sentiment d’abandondans lequel ils se sentaient enfermés(12). Dèslors, les relations avec les institutions, et particu-lièrement la police, se sont traduites par desprovocations permanentes et donc un climatde tension exacerbé. Le lancement, en 2008,des unités territoriales de quartier (Uteq) nerépond sans doute que partiellement à cetteproblématique. Leurs missions consistent enpremier lieu à lutter contre la délinquance etles violences urbaines, et dans un secondtemps à développer le lien de confiance entrela police et la population. Ce lien ne pourravéritablement exister que s’il est construit enréciprocité.Il est prématuré d’évaluer l’impact de l’actionde la police de l’agglomération parisienne. Maisle risque que son intervention se limite à desopérations «urgentes » existe, ce qui ne man-quera pas d’augmenter la fracture avec la popu-lation s’identifiant comme reléguée.Ce qui était à ce jour une exception parisienneen matière de gestion de la sécurité est confir-mée et sa zone d’influence est renforcée. Il n’estpas anodin de constater que la seule mesureopérante mise en œuvre dans le cadre duGrand Paris concerne la sécurité alors que lesautres opérations en sont encore au stade dudébat contradictoire. La création de cette direc-tion de police vient confirmer ce que pressen-taient différents acteurs dans les débats entou-rant le Grand Paris : l’État est dans une phasede reconquête face aux collectivités territo-riales.

AnticiperLes Cahiers n° 155

Du Grand Paris au Grand Paris de la sécurité

66

Références bibliographiques

• CHEMETOV Paul et GILLI Frédéric, Une région de projets : l’avenir de Paris,collection travaux (n° 2), DIACT,octobre 2006

• DALLIER Philippe, Les perspectivesd’évolution institutionnelle du Grand Paris,rapport d’information, fait au nom de l’Observatoire de la décentralisationn° 262 (2007-2008) - 8 avril 2008.

• LEFEVRE Christian, Étude de la gouvernancedes métropoles mondiales : Londres, New-York, Tokyo, des références pour la métropole Parisienne ? Agence de Développement du Val de Marne,novembre 2006.

• «Paris-Île-de-France. Commentgouverner la métropole régionale ? »,Pouvoirs locaux, Les cahiers de la décentralisation, n° 73, mai 2007.

(10) LA PRÉFECTURE DE POLICE ET L’AGGLOMÉRATION PARISIENNE, Unprojet de service public pour la sécurité du Grand Paris, dos-sier de presse, juin 2009.(11) BÉHAR Daniel, « Le projet du grand Paris peut-il ignorer laquestion sociale ? »,Esprit, décembre 2009.(12) DE MAILLARD Jacques, « Les émeutes en Île-de-France :entre inégalités territoriales et stratégies institutionnelles »,Pouvoirs locaux, Les cahiers de la décentralisation, n° 73,mai 2007.©

Préfecture de

police

La création d’un lien de confianceentre la police et la populationreste incontournable.IA

U île-de

-Fran

ce

Page 69: Les villes face à l'insécurité. Cahier n° 155€¦ · N° 155 - juin 2010 trimestriel - 18 € ISSN 0153-6184  Les villes face à l’insécurité IAU île-de-France

67

AnticiperLes Cahiers n° 155

Les villes face à l’insécurité

Les Cahiers – Pourquoi avoir mis en placela police d’agglomération parisienne? Michel Gaudin – Paris et les trois départementsde petite couronne (Hauts-de-Seine, Seine-Saint-Denis et Val-de-Marne) concentrent, sur6,5 % du territoire francilien, 60 % des emplois,80 % des logements sociaux et 90 % des dépla-cements régionaux. Cet ensemble urbain à ladensité unique en France est confronté à unedélinquance de plus en plus mobile. Moins dela moitié des personnes mises en cause à Parispar les services de police pour crime ou délitrésident dans la capitale, tandis que plus de20 % vivent en petite couronne. Parallèlement,un nombre croissant de phénomènes de délin-quance (agressions en bandes, trafics de stu-péfiants, vols, etc.) se déploie sur l’ensemble dece territoire. L’extension progressive du bassinde délinquance est ainsi allée de paire aveccelle de l’agglomération parisienne.Quelle efficacité peut avoir une stratégie desécurité si elle ne porte que sur un quart ou untiers du bassin de délinquance, si elle fait l’im-passe sur le centre ou, à l’inverse, sur la cou-ronne de l’agglomération ? La vocation de lapolice d’agglomération est d’apporter uneréponse organisationnelle et opérationnelle àcette question. C’est donc à l’échelle de Paris,des Hauts-de-Seine, de Seine-Saint-Denis et duVal-de-Marne qu’est, depuis septembre 2009,menée une stratégie d’intégration et de mutua-lisation de l’action policière, sous l’autoritéunique du préfet de police.Elle repose sur quatre grands principes : demeilleurs échanges d’informations opération-nelles entre départements grâce à un véritablecentre d’information et de commandement del’agglomération parisienne ; la création d’uni-tés de renfort projetables en temps réel àl’échelle des quatre départements ; la mise enœuvre de stratégies d’agglomération pour com-battre avec plus d’efficacité les évolutions decertains phénomènes délinquants transver-saux ; une habilitation d’officier de police judi-ciaire étendue au ressort des quatre départe-ments pour s’adapter à la grande mobilité desdélinquants.

L. C. – Quelles sont les articulations entre ce « Grand Paris de la sécurité » et la nouvelle organisation territoriale de la métropole ?M. G. – Les missions de la police de l’agglomé-ration parisienne s’exercent dans le cadre dedirections interdépartementales placées sous

un commandement unifié, dont le ressort cou-vre l’ensemble de l’agglomération et concerneses 6,4 millions d’habitants.En particulier, la lutte contre la petite etmoyenne délinquance est confiée à la direc-tion de la sécurité de proximité de l’aggloméra-tion parisienne (DSPAP), qui regroupe l’an-cienne direction de la police urbaine deproximité de la préfecture de police, compé-tente sur Paris intra-muros, et les trois directionsdépartementales de sécurité publique de lapetite couronne, transformées en quatre direc-tions territoriales de ce nouvel ensemble. Maissi l’intégration porte sur la mutualisation desrenforts projetables, le partage des fichiers etl’échange d’informations en temps réel pourmieux réagir face à l’événement, le maillagelocal de sécurité de proximité, c’est-à-dire lesbureaux de police et les commissariats, est pré-servé par la réforme. Il n’est pas nécessairementfigé pour l’éternité, mais ce sont des raisons defond qui justifieront son éventuelle évolution :des impératifs immobiliers liés à des locauxinadaptés, des opérations de renouvellementurbain localisées, la création à terme du métrodu Grand Paris, etc.Par ailleurs, la préfecture de police, qui a intégréles quatre compagnies républicaines de sécu-rité autoroutières d’Île-de-France, a pour mis-sion de fluidifier au maximum la circulationsur les grands axes reliant Paris à sa banlieue.Elle se voit également confier une compétenceen matière de maintien de l’ordre public surcertains sites sensibles comme le Stade deFrance, et prendra progressivement en chargel’escorte de tous les déplacements officiels àdestination ou en provenance des grands aéro-ports parisiens.La direction régionale de la police judiciaireconserve le bénéfice de sa compétence territo-riale, mais peut désormais mieux coopérer avecles autres directions puisqu’elles ont le mêmepérimètre d’action. Elle pilote le plan « stups» àl’échelle de l’agglomération et développe lalutte contre l’économie souterraine avec des«groupes cités » spécialisés.Enfin, dans le domaine du renseignement d’in-formation générale et de la lutte contre l’immi-gration clandestine, la direction du renseigne-ment de la préfecture de police se voit rattacherles anciens services départementaux de l’infor-mation générale, qui deviennent des antennesterritoriales.

Propos recueillis par Sylvie Scherer

Michel Gaudin est le préfet de police, préfet de la zone de défense et de sécurité de Paris (8 départements d’Île-de-France) depuis le 25 mai 2007.

Né le 9 août 1948 à Cosne-Cours-sur-Loire, dans la Nièvre, il est titulaire d’une maîtrise de droit, d’un D.E.S et est un ancien élève de l’ENA. M. Gaudin est Commandeur dela Légion d’honneur et Officier de l’Ordre national du Mérite.

Dans le cadre de sesattributions, il est :- Responsable de la sécuritédans la capitale et dans les 3 départementsde la petite couronne ;

- responsable de certainespolices administrativesexercées au nom de l’État ou de la ville dans la capitale ;

- responsable del’administration de la policeen Île-de-France, il disposedes secrétariats généraux pourl’administration de la policede Paris et de Versailles ;

- responsable ducommandement opérationnelunique de la sécurité dans les transports ferrés en Île-de-France.

Le « Grand Paris de la sécurité » :une réorganisation indispensable

Interview

Préfec

ture de Po

lice

IAU île

-de-F

rance

Page 70: Les villes face à l'insécurité. Cahier n° 155€¦ · N° 155 - juin 2010 trimestriel - 18 € ISSN 0153-6184  Les villes face à l’insécurité IAU île-de-France

AnticiperLes Cahiers n° 155

Les villes face à l’insécurité

68

Les Cahiers – Comment les élus locauxperçoivent-ils la mise en œuvre de la police d’agglomération parisienne? Abdelhak Kachouri – Le mot perception estle mot juste puisque les élus locaux n’ont pasété associés à cette décision. Ils sont restés exté-rieurs au processus. Le syndicat Paris Métro-pole, constitué de collectivités locales qui s’ysont volontairement engagées, n’a ainsi pas étéconsulté. La Région Île-de-France a été, de lamême manière, écartée alors qu’elle est laseule région liée à l’État par le biais de conven-tions passées en 1998 et 1999 et reconduitesen 2005 et 2006 avec le ministère de l’Intérieuret celui de la Défense. Cette absence de concer-tation est difficilement compréhensible, mêmesi - je dois le reconnaître - elle est en parfaitecohérence avec la méthode suivie pour le dos-sier du Grand Paris. Sur le fond du sujet, maposition est très claire : le renforcement et laconcentration des pouvoirs ne produisentaucun des effets escomptés. Sauf à penser quele but unique est justement de combler à moin-dre frais les déficits humains et matérielsactuels. Surtout, alors que le service public desécurité est avant tout une responsabilité réga-lienne de l’État, aucun signe manifeste d’unréengagement de sa part, comme par exemplede nouvelles affectations de fonctionnaires depolice, n’est visible. Les 34 commissariatsconstruits ou rénovés grâce au déblocage parla Région de 19 millions d’euros en 2007-2008,et à la volonté de Jean-Paul Huchon, restentdésespérément en manque d’effectifs. La miseen place d’une police d’agglomération pari-sienne n’est pas la bonne réponse à la criseactuelle du modèle territorial de sécurité envigueur à ce jour. Alors que notre pays n’est plusle pays hypercentralisé et pyramidal des années1960, le gouvernement continue à penser lasociété avec de vieux modèles. Il persiste àignorer l’exigence de sécurité des Franciliens.Même si notre rôle n’est pas de pallier lescarences de l’État, comme semblent pourtant lelaisser penser nos programmes de constructionet de rénovation des commissariats, je croisnécessaire de poser la question d’unedémarche pensée, partagée et respectée, sur ledéploiement des effectifs en Île-de-France. Leministère de l’Intérieur ne peut ainsi continuerà évoquer l’installation de caméras supplémen-taires dans les bus franciliens et laisser le Syn-dicat des transports d’Île-de-France (Stif), doncles collectivités territoriales, payer seul la fac-ture. L’amélioration de la qualité du service

rendu à nos concitoyens doit passer par unemutualisation réelle des moyens de sécurité etune concertation au plus près des territoiresavec l’ensemble des acteurs locaux, au premierrang desquels les collectivités territoriales. Ceserait, je le crois, le meilleur moyen de répondreefficacement aux besoins de protection desFranciliens.

L. C. – Quelles sont les articulations entre ce «Grand Paris de la sécurité» et la nouvelle organisation territoriale de la métropole ?A. K. – Ces deux projets ont en commun d’avoirété voulus par et pour l’État. C’est la seule arti-culation génétique perceptible entre l’exten-sion des pouvoirs du préfet de police au-delàdes limites géographiques de Paris et la créa-tion d’une Société du Grand Paris. Sur le fonddu sujet, ma position est là aussi très claire :cette police d’agglomération parisienne est unoutil qui ne correspond ni aux attentes despopulations franciliennes, ni à celles desacteurs économiques (sur les bassins d’emploipar exemple), ni encore à celles des éluslocaux (notamment ceux issus des départe-ments les plus exposés). Elle repose sur unmodèle de police uniquement réactive, à la foisobsolète et inadapté à la situation. Alors quetout le monde s’accorde sur la nécessité des’appuyer sur une vraie police de proximité,l’État continue à défendre une doctrine où lapolice n’intervient qu’au coup par coup. Pro-mouvoir le seul déploiement de forces projeta-bles, c’est privilégier une réponse instantanéeau détriment du travail à long terme. L’action dela police ne peut pourtant résumer à elle seuleune politique de sécurité. Il faut penser ensem-ble prévention et répression. Une politique desécurité efficace et protégeant réellement nosconcitoyens doit s’incarner dans une conti-nuité d’action fondée en priorité sur la fidélisa-tion des agents dans les commissariats, la fami-liarisation aux réalités locales et lerenforcement des relations avec les collectivitésterritoriales (je pense tout particulièrement auxconseils locaux de sécurité et de préventionde la délinquance). C’est donc dans cecontexte que la Région Île-de-France appellel’État à une approche plus pragmatique des exi-gences de tranquillité et de sécurité publiquesdes Franciliennes et des Franciliens.

Propos recueillis par Sylvie Scherer

Abdelhak Kachouri a 33 ans. Il est vice-président de la Région Île-de-France en charge de la citoyenneté, de la politique de la ville et de la sécurité, depuis le 26 mars 2010. Après avoiracquis une expérience et une connaissance aigües des quartiers populaires et de leurs problématiques en étant animateur socio-éducatif, puis conseillerspécialiste des violencesurbaines, il devient en 2008maire-adjoint chargé des politiques de prévention et de sécurité à Saint-Ouen en Seine-Saint-Denis.

Le « Grand Paris de la sécurité » :une nécessaire concertation

Interview

B. Bas

set/IAU îdF

IAU île

-de-F

rance

Page 71: Les villes face à l'insécurité. Cahier n° 155€¦ · N° 155 - juin 2010 trimestriel - 18 € ISSN 0153-6184  Les villes face à l’insécurité IAU île-de-France

Alors que la sécurité privée représentedepuis plus d’une décennie la pre-mière des forces(2) de gardiennage et de

surveillance des biens, des personnes et de l’in-formation, par le nombre des agents de proxi-mité voués aux alertes et signalements des per-turbations affectant les villes et les espacesprivés recevant du public, elle n’est jamais exac-tement perçue dans sa juste contribution à lasécurité générale. Comment ce phénomène,typiquement français, peut-il s’expliquer ?L’une des principales raisons réside dans l’ato-misation et la précarité de leur condition pro-fessionnelle et, par suite, dans leur incapacité àdéfendre une identité d’action qui les démar-querait nettement des autres forces de policede l’État et municipales. Les missions des agentsde sécurité privée (voir l’encadré) continuentd’être définies par d’autres, ce qui rend du restemalaisée l’évaluation de leur contribution pro-pre dans le policing de tel espace ou périmètreurbain. Les pouvoirs publics encadrent demanière tatillonne le statut de ces personnels etdes entreprises « réglementées », tout en leurassignant les missions les plus contradictoiresau sein d’espaces de plus en plus morcelés etde pouvoirs «concédés» dans des statuts parti-cularisés. Les rapports de forces qui président àla négociation contractuelle entre donneursd’ordre publics et privés et employeurs presta-taires de services engendrent des mécanismesde sous-traitance et de corruption inavouables,ce qui ne favorise pas l’amélioration de l’imagedu secteur. La précarité des personnels issus,

pour une large part, de la «diversité », selon unsystème d’exploitation d’une main-d’œuvrebon marché, achève de rendre les agents peusolidaires. Le phénomène d’apparente « sortiepar le haut » ne concerne qu’une minorité, quidéserte le secteur au titre de la promotionsociale, ou entre dans le piège du statut d’auto-entrepreneur autorisant la sortie du salariat dela sécurité pour mieux y retomber.

Structuration de la sécurité privée par les pouvoirs publicsLe 29 décembre 2009, deux vigiles de l’hyper-marché Carrefour de Lyon Part-Dieu interpel-lent un voleur de canettes de bières et l’inci-dent tourne mal. Le voleur meurt, les vigiles sontpoursuivis pour homicide involontaire. Lapresse se déchaîne : de quel droit et pouvoird’arrestation disposent donc les vigiles ? Per-sonne n’établit de lien avec un autre fait diversdu même acabit, survenu le 24 décembre 1981,lorsqu’un SDF est battu à mort par des vigilesdans une galerie commerciale du Forum desHalles de Paris. Cette affaire et quelques autresont pourtant inauguré une loi fondatrice(12 juillet 1983) protectrice des libertéspubliques, loi qui régit encore droits et devoirsdes agents de sécurité privée, patrons et person-nels salariés de ce secteur de services. Enca-drant les activités privées de surveillance, gar-

AnticiperLes Cahiers n° 155

Les villes face à l’insécurité

L’emprise invisible et survisible de la sécurité privée dans les villes

Les agents de sécurité privée,acteurs incontournables de la sécurité dans les villes.

Frédéric Ocqueteau(1)

CNRS - Cersa

Les agents de sécurité privée assurentun rôle irremplaçable dans les villes et les espaces privés recevant dupublic. Alors que les pouvoirs publicsen font des coproducteurs de la sécurité générale et les employeurs un bassin d’agents promoteurs de la diversité ethnique, un regard moinsenchanté sur les logiques du marchémontre au contraire la persistance de puissants mécanismesd’« invisibilisation » sociale, empêchantla constitution d’une identitéprofessionnelle stabilisée.

69

M. L

acom

be/IAU

îdF

La sécurité privée en chiffresNous n’entrons pas dans les débats pour baliser le spectre réel des activités de sécurité privée. Nous nous concentronsici sur la seule surveillance humaine(gardiennage, incendie, protectionrapprochée, cynophilie, intervention sur alarme), à l’exclusion du transport et traitement d’argent, de la sûretéaéroportuaire, de la sécurité électronique,de la sécurité industrielle, de l’intelligenceet de la formation. En 2007, la surveillancehumaine est couverte par 150000 per-sonnes travaillant dans 4000 entreprisesqui dégagent un chiffre d’affaire de 3,08 milliards d’euros, avec un taux de capitaux étrangers de 45 %. D’après l’Insee, 28 entreprises de plus de 500 salariés (soit 84700salariés) concentrent à elles seules 56 %du chiffre d’affaires ; les 4572 autresentreprises inférieures à 50 salariés (soit 65300 personnes) se répartissentgrosso modo en 2000 « entreprisesindividuelles » et 2000 PME, se divisant pour moitié en entreprises de 21 à 49 salariés et pour l’autre de moins de 20 salariés.

(1) Directeur de recherche au Cersa-CNRS.(2) Si l’on dissocie les forces de police (officiant dans lesespaces urbains) des forces de gendarmerie.

IAU île

-de-F

rance

Page 72: Les villes face à l'insécurité. Cahier n° 155€¦ · N° 155 - juin 2010 trimestriel - 18 € ISSN 0153-6184  Les villes face à l’insécurité IAU île-de-France

diennage, transport de fonds et garde du corps,elle a subi d’innombrables refontes et ajoutsréglementaires, sans que jamais depuis 29 ansun nouveau débat national d’envergure ait per-mis de prendre l’exacte mesure des mutationsayant affecté les modalités plurielles de gouver-nance de la sécurité dans les espaces urbains.Les années 1980 et 1990 sont encore très large-ment marquées par un contexte de méfiance,sinon d’hostilité. La production de sécurité doitrester une prérogative monopolisée par lesagents de l’État. Face à l’émergence des mar-chés de la sécurité, les blocages culturels del’élite politico-administrative, relayés par lesvaleurs de libéralisme culturel, sont encore demise. Ils demeurent très réticents à l’épanouis-sement des « polices privées », toujours soup-çonnées d’attenter aux libertés fondamentalesdu droit de grève et de la liberté d’expressiondans l’entreprise. Mais une lente évolution desmentalités des acteurs aux commandes del’État et d’une population de plus en plus crain-tive envers des menaces, des risques et des vul-nérabilités de toutes sortes, se dessine progres-sivement au point d’ébranler les inhibitionsinitiales.Le milieu des années 1990 marque une étapeimportante dans ce processus de reconnais-sance du secteur privé qui voit consacré leterme de «coproduction», que d’aucuns assi-milent à l’entrée dans une ère officielle de «pri-vatisation» de la sécurité. La loi d’orientationdu 21 janvier 1995 fait de l’État le garant dumonopole de production de la sécurité collec-tive, mais le consacre également organisateurdes partenariats des acteurs de la sécuritépublique, avec les polices municipales et lessociétés de gardiennage. Depuis, la contribu-tion de la sécurité privée à la sécurité généraleest mieux admise, en même temps que lespolices municipales se refont une virginité per-due à la veille de la Seconde Guerre mondiale[MONJARDET et OCQUETEAU, 2004]. Des élus

apprennent à recourir aux ressources du mar-ché pour mieux protéger le patrimoine urbain.Globalement, le secteur privé, par l’ampleur dela mobilisation des ressources humaines et lamaîtrise des technologies de surveillance quiles accompagnent, apprend à contractualiseravec un nombre toujours accru d’entreprisesprivées et publiques en quête de protection.Les pouvoirs publics sont obligés d’en appelerà la vigilance privée car leurs ressources enfonctionnaires sont limitées, tandis que lademande de protection des personnes, desbiens et de l’information ne cesse de croître.Mais l’État ne désarme pas. Face à la montéedes technologies de la prévention situation-nelle, de la vidéosurveillance et de l’expertisedes risques, les pouvoirs publics cherchent àorganiser et à tirer profit au mieux de ces res-sources pour améliorer les rendements de lasécurité publique.C’est au cours de la décennie 2000, à la suitedes attentats du 11 septembre 2001, que la fré-nésie réglementaire va s’emballer et montrerun État de plus en plus attentif à finaliser lespartenariats dans des espaces vulnérables à lamenace terroriste ou aux violences collectives(entreprises, aéroports, stades, transportspublics). Un décret du 9 février 2009, très long-temps attendu, institue le principe d’une carteprofessionnelle délivrée à tous les agents pri-vés, trois ans après les recommandations duLivre blanc sur la sécurité privée de 2006 qui enavait fait son principal cheval de bataille.Au total, si seulement deux lois (une de gauche,une de droite) ont concerné le secteurentre 1980 et 2000, pas moins de sept lois (dedroite) l’ont concerné plus ou moins directe-ment depuis 2001. Sur vingt-cinq ans, unerécente étude a répertorié 23 décrets d’applica-tion, 8 arrêtés et 16 circulaires liées à la sécuritéprivée jusqu’en septembre 2006, [GADPRIS etINHES, 2008, p.104]. C’est dire les préoccupationsdes pouvoirs publics.

Déstructuration de la sécurité privée par les lois de l’offre et de la demandeLes analystes ont montré de longue date les rai-sons de la persistance de l’immaturité du sec-teur, pour ne pas parler d’une «profession sinis-trée» [HAAS, 2008, p.285-295]. En ligne de mire,l’hypocrisie du comportement de maints «don-neurs d’ordre » (entreprises publiques et cir-cuits de la grande distribution notamment) quirecourent, à cause de la pression sur les prix,aux mécanismes de la sous-traitance en cas-cade mis en lumière par le Service central deprévention de la corruption [SCPC, 2001]. Endépit de l’invocation par les syndicats patro-naux – Syndicat national des entreprises desécurité (Snes), Union des entreprises de sécu-

AnticiperLes Cahiers n° 155

L’emprise invisible et survisible de la sécurité privée dans les villes

70

Dans les centres commerciaux,les équipes de sécurité privéesont notamment chargées de luttercontre les vols à l’étalage.

C.Tarquis/

IAU îdF

IAU île

-de-F

rance

Page 73: Les villes face à l'insécurité. Cahier n° 155€¦ · N° 155 - juin 2010 trimestriel - 18 € ISSN 0153-6184  Les villes face à l’insécurité IAU île-de-France

rité privée (USP) – de nombreuses règles dedéontologie et de l’élévation des qualificationsprofessionnelles, le secteur reste toujoursentravé par les perversions d’une guerre desprix sans merci qui engendre une incapacité àrépercuter sur les clients les coûts inhérentsaux investissements dans les standards sociauxpour un personnel restant sous-formé et sou-vent hors circuit de la protection sociale mini-male. Le cycle induit de la sous-traitance en cas-cade vers les «moins-disants » se négociant àla vacation horaire. Pour survivre économique-ment, une myriade de micro-entreprises (dusalariat déguisé en entrepreneurs individuelspar le biais de l’auto-entreprenariat) reste dansla dépendance des plus grandes, qui ont seulesla capacité d’emporter des contrats importantsen acceptant elles-mêmes d’enrôler cette main-d’œuvre précaire et peu formée. Les contratsse négocient, comme souvent dans le domainede la propreté ou du nettoyage, par les direc-tions des achats, la « garantie du service » nepouvant alors que laisser à désirer [SÉGOL, 2006,p.20]. Même si les valeurs de sécurité et de pro-tection dans nos sociétés vulnérables sont tou-jours orientées à la hausse, la confiance desclients envers ces acteurs supposés partenairesn’est que très rarement au rendez-vous dans lemonde de la sécurité privée : les niveaux dequalification les plus bas demeurent la règle(3)

et le taux de rotation (turnover) des personnelstrès conséquent(4). Tout porte à croire que lesformations initiales prévues (soit100000 heures) et les recyclages dans des qua-lifications plus nobles – tels le passage desagents ERP/IGH (qualifiés « Entreprises rece-vant du public – Immeubles de grande hauteur») en SSIAP (qualifiés « Service de sécuritéincendie et d’assistance aux personnes ») –,massivement envisagées par le protocole d’ac-cord et devant toucher 11 770 personnes surtrois ans (46000 heures de formation) [DURNEZ,2006, p. 22], furent un pari loin d’être tenu àl’heure actuelle.Une sorte de malédiction semble toujourspeser sur le sort des agents de première ligne,stigmatisés comme étant d’un «professionna-lisme toujours douteux » [OCQUETEAU, 2004 ;PÉROUMAL, 2008], d’autant que les contrôles pré-fectoraux, souvent basés sur l’extraction de ren-seignements non mis à jour de fichiers poli-ciers – le système de traitement des infractionsconstatées (Stic) par exemple –, condamnentmaints d’entre eux à rester injustement exclusdes circuits du travail légal [CNIL, 2009 ; PICHON

et OCQUETEAU, 2010]. Alors que les surveillants etles gardiens privés sont conçus comme les«yeux » indispensables des agents publics,puisqu’ils leur fournissent des informations depremière main pour leur permettre de procé-

der correctement aux interpellations et demieux fonder leurs arrestations(5), tout se passeau contraire comme si ce pouvoir de voir et designaler, d’abord à leur employeur, les plaçaitdans un conflit de loyauté perpétuel ne satisfai-sant personne.À quoi s’ajoutent parfois des délégations demissions de médiation dangereuses dans l’es-pace urbain, et surtout la détention de clés demaisons ou d’entreprises, les interventions surappel ou en l’absence des propriétaires, la ges-tion d’appels téléphoniques ou de téléalarmes,de réseaux informatiques, la circulation internede véhicules, le tri entre les personnels autori-sés ou non à pénétrer dans telle ou telleenceinte… Bref, d’innombrables prestations lesengageant juridiquement à des «obligations demoyens», alors que pour la plupart des clients(et derrière eux, les compagnies d’assurance)sont exigées de véritables «obligations de résul-tats » (zéro risque) qui ne seraient jamais aurendez-vous.

Précarité et ethnicisation de la vigilance : d’une faiblesse un atout ?Les tensions liées aux injonctions contradic-toires auxquelles sont soumis les agents de sur-veillance et de sécurité privée sont redoubléespar l’enjeu de leur ethnicisation dans lesespaces mixtes – on évoque aujourd’hui pareuphémisme des agents « issus de la diver-sité » –, comme c’est le cas dans les métiers dubâtiment, de la restauration et du nettoyage.Dans le domaine de la sécurité privée, on peutsoutenir, ironiquement, que ces métiers appar-tiennent virtuellement à des «majorités visi-bles ». Lorsque la politique de la ville, encoretriomphante dans la décennie 1990, s’était avi-sée de retourner le stigmate du « sale boulot »

71

Les surveillants privés sont les yeuxindispensables des agents publics.

C.Do

utre/B

aSoH

/IAU

îdF

(3) Lors de la renégociation de la convention collective de1985 pour l’actualisation de l’accord du 28 juin 2005, il estapparu que le «niveau VI » de la grille du Centre d’études etde recherches sur les qualifications (Cereq) – c’est-à-dire leplus bas niveau de qualification – rassemblait encore 47,6 %du personnel concerné.(4) On décomptait 27 % d’entrées nouvelles chaque annéedans le secteur, pour une mobilité interne de 56 % au sein desentreprises de gardiennage.(5) On organise leur pouvoir formel de rétention d’auteursinterpellés pour vols à l’étalage (art. 73 du code de procédurepénale) dans l’attente de l’arrivée d’un officier de policejudiciaire (OPJ) dans les grandes surfaces [OCQUETEAU et POTTIER, 1995]. On les oblige de plus en plus souvent à faireappel à la vidéosurveillance dans les espaces de commercehybrides et à intervenir pour « lever le doute» sur l’origine desfaits. Les «vidéosurveilleurs» privés gèrent les alarmes la nuiten remplacement des équipes de policiers municipaux etinterviennent sur les sites du patrimoine de la ville. On leurconfie des tâches de contrôle des foules au sein desenceintes récréatives et sportives (« stadiers »), des pouvoirsde fouille de bagages et de palpation dans les aéroports sousla supervision théorique de policiers, quand on ne leur sous-traite pas les tâches, délicates entre toutes, de régulation desflux et des incidents publics dans les espaces de transportspublics (gares).

IAU île

-de-F

rance

Page 74: Les villes face à l'insécurité. Cahier n° 155€¦ · N° 155 - juin 2010 trimestriel - 18 € ISSN 0153-6184  Les villes face à l’insécurité IAU île-de-France

des vigiles en une composante de «proximité»plus noble(6), on en vit une traduction dans lapolitique des « emplois-jeunes » initiée par legouvernement Jospin dès 1998, qui entendittransformer les précaires dans ces emploisaidés où s’étaient illustrés quelques « grandsfrères» d’origine maghrébine dans les quartiersles plus en difficulté [CAHIERS DE LA SÉCURITÉ INTÉ-RIEURE, 2000]. Les agents locaux de médiationsociale (ALMS) furent le dispositif le plusachevé de cette tentative généreuse, quoiqueun peu naïve, visant à faire correspondre le pro-fil des agents de sécurité à celui de leur «clien-tèle» turbulente, considérant qu’il revenait auxacteurs économiques plongés dans un tissuurbain difficile de les accompagner dans cesmissions d’insertion ou d’intégration écono-mique. Cette expérience tourna rapidementcourt au vu de la corruption induite et surtoutde l’hostilité de l’opinion au sujet des impli-cites de cette politique de «discrimination posi-tive» [ZAUBERMAN, LÉVY, 2003].Depuis dix ans, ce dossier a mûri, bien qu’il sesoit totalement déplacé. Les syndicats patro-naux de la surveillance et du gardiennage,s’abritant derrière le nouveau slogan de la pro-motion de la «diversité», entendent désormaisparticiper à « l’intégration des différences» deleurs employés. Les métiers de la surveillance etdu gardiennage sont massivement investis pardes Français beurs dits de la deuxième ou troi-sième génération, et plus encore par des per-sonnes originaires d’Afrique subsaharienne.Une aubaine pour des cercles d’employeurs tra-vaillés par le conflit autour de l’enjeu « intégra-tion-assimilation » et/ou « reconnaissance del’apport de la diversité et de la lutte contre ladiscrimination ethnique ». Compte tenu descontraintes du marché de la main-d’œuvre pré-caire précédemment dégagées, il faut se deman-der si c’est « l’immigré subsaharien qui va versle gardiennage ou le gardiennage qui va versl’immigré» [HUG, 2002, 2000]. Un récent travailde thèse fouillé [GANDAHO, 2010] a montré à cesujet que nombre de candidats à l’émigrationinvestissaient massivement dans ce métier à lafois difficile, modeste, peu regardant et provi-soire, en espérant à la clé un titre de séjour régu-lier sur le territoire français : se vivre comme gar-dien de normes sociales, avoir le sentiment deprotéger et de réassurer, détenir des petitssecrets sur « les voleurs blancs aux yeux bleus»ne suffit sans doute pas à se donner un stockde compétences monnayables quand on n’estmême pas titulaire d’un brevet professionnelquelconque. Mais, entre le « rien» du pays d’ori-gine et le «quelque chose» de la condition pré-caire dans le pays d’accueil, il y aurait, chez lesagents étudiés, comme une «capacité instable àconstruire son propre outil cognitif entre néces-

sité de s’appuyer sur la tâche d’identificationdes «populations à risque» (par les apparencesphysiques) et une « débrouillardise » person-nelle (imposée quoique non prescrite) tenant àun savoir-faire propre de l’agent avançant ensituation d’incertitude à cause du caractèreimprévisible des conduites humaines ». Peud’entre les agents concernés donnent sponta-nément à comprendre cette facette de leuridentité précaire, floue et bloquée. Et pourtant,leur quête de dignité est bien présente, qui lesincite à s’approprier des morceaux de fonctionssocialement légitimes en les empruntant aumonde des policiers, des pompiers ou des tra-vailleurs sociaux, sans jamais pouvoir espérerjouir pour autant d’une reconnaissance socialeidentique à ces métiers stabilisés(7).Les agents de sécurité privée sont aujourd’huitrès visibles et indispensables dans d’innom-brables espaces de la ville, où font de plus enplus défaut les «garants des lieux» traditionnelspour assurer l’ordre en public [ROCHÉ, 1996].Leurs apparences phénotypiques sont de plusen plus instrumentalisées par ceux-là mêmesqui n’hésitent pas à évoquer l’entrée dans unesociété multiraciale. Et pourtant, leur identitésociale demeure totalement invisible, parcequ’au lieu d’être écoutée, elle est parlée defaçon tonitruante par des acteurs plus légitimesqui prétendent défendre les intérêts sociaux deces agents de sécurité privée, alors qu’ils nefont, sauf exception, que défendre leurs propresintérêts sur le dos de ces derniers.Nous avons affaire à des hommes et desfemmes contraints qui acceptent de remplir,par une occupation visible, des espaces déser-tés par les forces légitimes, sans jamais êtrereconnus pour le mérite de leurs actes préve-nant la survenue des risques ou barrant desconduites malveillantes. Imaginons pourtantqu’ils prennent un jour conscience collective-ment de leur utilité sociale et organisent alorsleur disparition soudaine du paysage urbain,comme par enchantement. Nul doute que lasociété des villes serait immédiatement paraly-sée et tétanisée par la peur de se découvrir tota-lement nue, encore plus fragile et vulnérable. Etl’on dirait alors : mais que n’avons-nous pasessayé de les comprendre plus tôt, nous quin’entendions pas nous charger de leursbesognes?

AnticiperLes Cahiers n° 155

L’emprise invisible et survisible de la sécurité privée dans les villes

72

Références bibliographiques

• AUBENAS Florence, Le quai de Ouistreham,Paris, L’Olivier, 2010.

• Cnil, «Contrôle du Stic : les propositionsde la Cnil pour une utilisation du fichierplus respectueuse du droit despersonnes», site Internet de la Cnil,20 janvier 2009, http://www.cnil.fr

• DURNEZ Jean-Luc, « Formation», dans Livre blanc de la sécurité privée, USP,Paris, 2006.

• GANDAHO Tchéhouénou P., La mise sous surveillance du « client roi ». Analyse sociologique des dispositifs et pratiques d’encadrement des clients-usagers dans les centres commerciaux,Thèse de doctorat de sociologie, Évry,université Paris XIII, 2010.

• HAAS Patrick, « Le marché de la sécuritéprivée en France », rapport final, GADPRIS-Paris X et INHES, ronéo, 2008.

• HUG Pascal, Entreprendre pour desmigrants d’Afrique subsaharienne à Paris.Logiques d’entrée en affaire et stratégie de management de l’entourage proche et lointain. Le cas de la restauration et de la sécurité privée, thèse de doctoratd’anthropologie sociale, Paris, universitéParis V, 2002.

• HUG Pascal, « Les agents de sécuritéprivée noirs : un exemple dediscrimination dans le monde de lasécurité », Les Cahiers de la sécuritéintérieure, n° 40, p. 93-118, 2000.

• « Les emplois jeunes, la sécurité au prixde l’insertion», dossier, Les Cahiers de lasécurité intérieure, n° 40, 2000.

• MONJARDET Dominique, OCQUETEAUFrédéric, « La police : une réalitéplurielle », Problèmes politiques et sociaux,n° 905, La documentation française,2004.

• OCQUETEAU Frédéric, Polices entre État et marché, Paris, Presses de sciences po,2004.

• OCQUETEAU Frédéric, POTTIER Marie-Lys,Vigilance et sécurité dans les grandessurfaces, Paris, La documentationfrançaise, 1995.

• PÉROUMAL Frédéric, « Le monde précaireet illégitime des agents de sécurité »,Actes de la recherche en sciences sociale,n° 175, p. 4-17, 2008.

• PICHON Philippe, OCQUETEAU Frédéric, Une mémoire policière sale, le fichier Stic,Paris, J.-C. Gawsewitch, 2010.

• ROCHÉ Sebastian, La société incivile, Paris,Seuil, 1996.

• SÉGOL Bernadette, « Social », dans Livre blanc de la sécurité privée, USP,Paris, 2006.

• SERVICE CENTRAL DE PRÉVENTIONDE LA CORRUPTION (SCPC), « Sécurité privée : émergence d’un cercle vertueux?» dans Rapport2001, Paris, Editions des journauxofficiels, p. 83-105, 2001.

• ZAUBERMAN Renée, LÉVY René, «Police,Minorities and the French RepublicanIdeal », Criminology, vol. 41, n° 4, p. 1065-1100, 2003.

(6) Une image valorisante s’était même imposée pourdétruire l’image négative du « gros bras » violent, brutal etsans cervelle, à la lumière de l’expérience des « grandsfrères», férus d’arts martiaux, et alors capables d’imposer desstratégies de pacification par leur aptitude à faire diminuerla tension dans les espaces urbains problématiques : la stra-tégie dite «de l’éponge contre celle du parpaing».(7) Concernant les travailleurs précaires de la propreté etleur quête pathétique de dignité, voir [AUBENAS, 2010].

IAU île

-de-F

rance

Page 75: Les villes face à l'insécurité. Cahier n° 155€¦ · N° 155 - juin 2010 trimestriel - 18 € ISSN 0153-6184  Les villes face à l’insécurité IAU île-de-France

Les ensembles résidentiels fermés, privésou enclavés ont acquis une certaineimportance, peut-être plus dans le débat

public et scientifique que dans les faits. En pre-mière analyse, l’enquête menée par l’IAU îdF,conjointement aux travaux du programmefinancé par l’Agence nationale de la recherche(« Interactions public-privé dans la productiondu périurbain »), montre en Île-de-France lepetit nombre d’ensembles résidentiels fermés[LOUDIER-MALGOUYRES, 2010]. On note, d’une part,la petite taille de ces ensembles, et d’autre part,leur surreprésentation dans les communes depetite couronne, dans le cadre d’un renouvelle-ment ou d’une densification du tissu urbain.Cette situation est pourtant à lire au regard desévolutions observées dans d’autres contextes :en Californie du Sud, qui fait figure de labora-toire de la gouvernance urbaine privée résiden-tielle depuis les années 1960 avec de nombreuxet grands lotissements privés, mais aussi auRoyaume-Uni, où ces formes - plus modestesde par leur taille - se sont développées récem-ment. Ces différences d’évolution s’expliquenten partie par des effets de contextes attachésaux législations et aux politiques de développe-ment urbain de chaque pays.

La fermeture résidentielle et la gouvernance urbaine privéeDeux dimensions coexistent pour définir lesensembles résidentiels fermés [LE GOIX, WEBS-TER, 2008].Sur le plan juridique, les gated communities et

les lotissements privés sont intégrés dans lacatégorie des ensembles résidentiels en copro-priété. Ils sont régis sur la base de droits de pro-priété collectifs et d’arrangements contractuelsportant sur l’usage et la gestion des partiescommunes (routes d’accès, équipements col-lectifs et de loisirs, aménités), ainsi que sur desrestrictions imposées aux non-résidents («Rueprivée, défense d’entrer »). Bien que les détailsvarient selon les contextes (Common InterestDevelopments aux États-Unis, Community LandTrust and Commonhold Associations auRoyaume-Uni, copropriété ou association syndi-cale libre en France), la définition de la privati-sation de l’espace résidentiel repose sur la ges-tion de l’espace ainsi construit sur une basecontractuelle entre résidents. Ce faisant, la ges-tion des espaces collectifs de l’ensemble rési-dentiel relève d’un triptyque «droit de propriété– gouvernance contractuelle -– gestion privée»,loin des principes de gestion publique desespaces communs.Sur le plan morphologique, on considère sou-vent que c’est l’existence de portails, barrières,systèmes de sécurisation de l’accès, quiimporte. Le débat se déplace alors des modesde gouvernance privée vers l’impact de la fer-meture. Celle-ci peut être perçue comme lamanifestation d’une stratégie d’évitement de ladélinquance et de l’insécurité (perçue ou

AnticiperLes Cahiers n° 155

Les villes face à l’insécurité

Les lotissements fermés : effets de contexte

Ensemble individuel fermé neuf à Cormeilles-en-Parisis, Val d’Oise.

Renaud Le Goix(1)

Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

Les gated communities constituent un phénomène présent dans les différents pays du monde.Cependant, les réalités de la fermeture résidentielle,s’articulant sur la gouvernance urbaine privée, dépendent des contextes comme des dynamiqueslocales. France, États-Unis, Royaume-Uni sont ici présentés pour montrer les contrastes, mais aussi certaineslogiques communes.

73

C. Lou

dier-M

algo

uyres/

IAU îdF

(1) Maître de conférences à l’UMR Géographie-cités 8504CNRS, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Université Paris 7Diderot. Courriel : [email protected].

IAU île

-de-F

rance

Page 76: Les villes face à l'insécurité. Cahier n° 155€¦ · N° 155 - juin 2010 trimestriel - 18 € ISSN 0153-6184  Les villes face à l’insécurité IAU île-de-France

réelle) et révéler le souci d’un entre-soi visantà protéger les valeurs immobilières au risqued’une ségrégation. Il est évident que les deuxdimensions sont intrinsèquement liées : la fer-meture résidentielle détermine l’appartenancedu lotissement aux catégories de la gouver-nance urbaine privée et, ce faisant, détermine –contractuellement – les modalités d’organisa-tion sociale au sein de l’ensemble résidentiel,ainsi que la manière dont celui-ci s’inscrit dansl’espace local et interagit avec son environne-ment proche.Si l’on voit bien dans quelle mesure la ferme-ture et la mise en place de dispositifs de sécu-rité peuvent répondre à une demande socialede protection de l’espace résidentiel, un autrevolet mérite d’être développé, qui associe lesdifférents aspects de la sécurité de l’habitatdans un outil de gestion collective.

Fermeture, gestion contractuelle et intérêt financierDu point de vue de l’habitant, la désirabilitéd’un achat dans une enclave résidentielle estsuspendue à l’équilibre entre les coûts supplé-mentaires que devra consentir l’acquéreur(gestion privée et entretien des réseaux viairespar exemple, en lieu et place d’une rétroces-sion au domaine public ; financement des ser-vices de sécurité), et l’intérêt potentiel qu’ilespère en retirer. En toute hypothèse, cet intérêtrelatif se traduira en termes de valorisation dupatrimoine immobilier. Deux lectures complé-mentaires du phénomène viennent soutenircette hypothèse.Les ensembles résidentiels fermés relèvent d’unarrangement social destiné à réguler une «éco-nomie de club». La mise en place d’une régu-lation du droit d’accès est une manière de régu-ler la rareté des ressources collectives ; cela sefait couramment pour les infrastructures de loi-sirs publiques (réservées selon les horaires àdes clubs de sport, ou soumises à des droitsd’accès payants). En théorie, ces espaces rési-dentiels régis par des droits de propriété fonc-tionnent comme des «clubs», fournisseurs deservices collectifs et d’espaces communs(parcs, golfs, rues) à ses membres. Ces clubs ter-ritoriaux ne sont ni totalement privés, puisquepartagés, ni totalement publics. Quand il s’agitd’un lotissement, à l’instar du domaine du Golfde Saint-Germain-lès-Corbeil (où le golf muni-cipal est enclavé dans un lotissement privé etsécurisé de plus de 400 résidents), ces mor-ceaux de ville agissent comme une manièreefficace d’allouer et de réguler les ressourcesrares de l’espace public. Ils garantissent à la foisla non-congestion de l’espace collectif, tout enpréservant les riverains des effets indésirablesliés aux allées-et-venues des non-résidents qui

seraient amenés à utiliser les rues pour garerleur véhicule. D’ailleurs, la gestion du parking etde la régulation du trafic est souvent un argu-ment cité par les résidents pour justifier de lafermeture de leur rue, afin d’éviter les passa-gers clandestins(2). Ce mode de gestion de l’es-pace collectif s’inscrit dans une rationalité éco-nomique individualiste : le mécanisme exclusifde membre du club s’appuie sur une relationdirecte entre le paiement des frais (de copro-priété et de jouissance des aménités de loisirs)et les bénéfices induits, et ce, de manière plusdirecte que dans le cadre des relations entrecontribuable local et bénéfices indirects del’action publique dans les espaces résidentiels.Il y a bien là une substitution de fait à la puis-sance publique locale dans la gestion desespaces résidentiels, qui s’allie assez bien avecles logiques économiques de la rente de site : laprivatisation des rues, la régulation des phéno-mènes de «passagers clandestins », permettentde capitaliser dans la rente foncière les investis-sements réalisés par la copropriété. Non seule-ment les résidents de ces enclaves ont une inci-tation à investir dans leur environnement local,mais cette incitation peut se traduire par unegarantie sur la valorisation de leur patrimoineimmobilier.

Le rôle des contextes nationaux dans la diffusion des ensembles fermésLe contexte, tant entrepreneurial qu’institution-nel, est déterminant dans la diffusion de cesformes d’enclavement sécuritaire. Aux États-Unis par exemple, les autorités publiques ontfavorisé, par leur action conjointe, l’émergencedes gated communities.À l’échelle nationale, le contexte est celui d’unmarché qui a bien accepté ce type de biens enutilisant (abusivement peut-être) les dérivés desthéories d’Oscar Newman et des pratiques del’espace défendable – promues d’ailleurs auniveau fédéral par des recommandations duministère du Logement (Federal Housing Autho-rity) dans les années 1990.À l’échelle locale, le développement des gatedcommunities est, d’une part, une forme d’urba-nisation soutenue par les collectivités locales,destinée à faire porter le coût de l’étalementurbain sur le secteur privé (promoteurs, et infine, acquéreurs du logement), et d’autre part,un moyen efficace de protéger à long termel’investissement immobilier. Les lotissementsfermés, espaces enclos et privés, conduisent àun report des coûts d’aménagement et d’entre-tien collectifs sur une entité privée, tout en assu-

AnticiperLes Cahiers n° 155

Les lotissements fermés : effets de contexte

74

(2) Il s’agit par exemple de personnes de passage utilisant lesplaces de parking dans la rue privée, ou les aménités (parc,plage) dont les résidents revendiquent un usage privatif.

R. Le Go

ix

Entrée automatique d’une gated communityprès de Phoenix, Arizona.

IAU île

-de-F

rance

Page 77: Les villes face à l'insécurité. Cahier n° 155€¦ · N° 155 - juin 2010 trimestriel - 18 € ISSN 0153-6184  Les villes face à l’insécurité IAU île-de-France

rant aux collectivités locales un certain nombrede ressources fiscales, issues de la taxe foncièreet des immatriculations de véhicules. Dans lesgated communities, l’essentiel des charges esttransféré au privé, en échange de la jouissanceexclusive du lieu. La clôture garantit aux rési-dents la privatisation et la jouissance exclusivedes lieux au-delà des seuils domestiques, ajou-tant ainsi à la valeur propre de l’investissementimmobilier la valeur ajoutée de la rente de site,comme par exemple une plage, un golf, unparc, un paysage. Ainsi interprété, le dévelop-pement de ces ensembles devient un élémentactif du système de la croissance métropoli-taine, où des collectivités publiques morcelées,contestées et appauvries, transfèrent le déve-loppement urbain au secteur privé. Dans desvilles en forte croissance, les lotissements privéssont devenus une forme privilégiée du frontd’urbanisation, là où les densités sont faibles etles coûts d’urbanisation élevés. Dans le droit,l’association de propriétaires – organe de régu-lation privée contractuelle – se substitue auxpouvoirs publics pour la gestion et l’entretiend’équipements de type public, afin de favoriserles intérêts particuliers des propriétaires. Enconséquence, le développement des lotisse-ments privés est largement désiré par les collec-tivités locales, en raison de la base fiscaleimportante qu’ils génèrent, alors que les équi-pements nécessaires à ces quartiers (routes,éclairage, égouts, réseaux divers) sont financéssur des fonds privés, et utilisés en toute exclusi-vité par les seuls résidents. De tels processusont été identifiés dans des métropoles affec-tées par de fortes dynamiques de croissance(Las Vegas, Los Angeles) [MC KENZIE, 2006 ; LE

GOIX, 2006]. Selon les régions urbaines, entre11 % et 30 % des biens neufs se situent dansdes lotissements fermés, et 50 % de la promo-tion résidentielle s’opèrent dans des lotisse-ments privés (régime de copropriété), sous l’im-pulsion majeure de la législation, qui a créé lescadres juridiques permettant à la fois d’enca-drer et de promouvoir ce type de développe-ment (The Davis-Stirling Common Interest Deve-lopment Act, 1985, État de Californie).La mise en place d’une législation permettantla copropriété horizontale est un facteur fon-damental de la diffusion des lotissements privéset/ou fermés. Le cas du Royaume-Uni en est unbon révélateur. Ce n’est qu’en 2002 qu’y futadoptée une forme comparable de copropriété(Commonhold), permettant d’associer la pleinepropriété de certaines parties d’un immeuble àl’appartenance à une société, la CommonholdAssociation, qui est propriétaire des autres par-ties de l’immeuble et qui en assure l’entretien.Même s’il est trop tôt pour tirer un bilan desformes résidentielles ainsi produites, cette loi,

destinée à réformer le traditionnel leasehold(3)

britannique, entrée en vigueur en 2004, permet-tra le développement de lotissements privés etfermés. Cette adoption tardive explique en par-tie la faible diffusion des gated communities auRoyaume-Uni. Une étude publiée en 2004[ATKINSON et al., 2004] a dénombré un millierde gated communities, essentiellement dans leSud-Est du pays et autour de Londres ; mais ladynamique est récente et se renforce puisque38 % des collectivités locales enquêtées rap-portent la présence d’un lotissement ou d’unensemble résidentiel fermé, dont 62 % ont étéconstruits depuis 1995.

Une diffusion limitée du phénomène en France et en Île-de-FranceDans le contexte français, l’adoption du régimejuridique ad hoc est ancienne (1804 pour lacopropriété), et la diffusion des enclaves rési-dentielles fermées s’est opérée sous la formedésormais patrimonialisée des villas pari-siennes dès la seconde moitié du XIXe siècle(Parc de Montretout à Saint-Cloud, Villa Mont-morency ou Villa Boileau dans le XVIe arrondis-sement pour les plus remarquables). Les petitesrues privées en impasse en banlieue parisienneconstituent une autre forme fréquente, souventdes lotissements mis en place avant la loi de1924 destinée à réguler les lotissements défail-lants (les «mal-lotis»). Dans les faits, la diffusiondes lotissements privés (mais rarement fermés)est donc ancienne et importante [CALLEN, LE

GOIX, 2007]. Les formes contemporaines sontnéanmoins limitées à des formes spectacu-laires, mais peu significatives. Les résidencespour retraités, du type Sénioriales(4), s’apparen-tent aux résidences états-uniennes par leur réfé-rence à l’entre-soi, mais à une tout autre échelle(plusieurs dizaines de milliers de résidentsdans les Sun City ou Leisure World à Phoenix etLos Angeles, contre quelques dizaines de lotsdans les exemples français). La diffusion desimmeubles destinés au marché locatif (régimesdéfiscalisés Besson, Robien, Scellier) d’unepart, aux résidences secondaires, d’autre part, aété l’apanage des quelques promoteurs qui ontmis ces produits sur le marché avec un grandsuccès, notamment dans des villes comme Tou-louse, Dijon, Nantes, Marseille [BILLARD etMADORÉ, 2009 ; BILLARD et al., 2009]. Situés essen-tiellement dans le quart Sud-Est, ils sont conçussur la base de la résidence fermée sécurisée

75

(3) Leasehold : bail à très long terme, d’une durée supérieureà 21 ans. Dans les faits, la durée du leasehold est en générald’une centaine d’années.(4) Résidences intégrées sécurisées pour retraités, fournis-sant à la fois un habitat résidentiel pavillonnaire ou en petitcollectif, ainsi que des services de loisirs associés : countryclub, piscine, animation, transports. On pourra se référer ausite : http://www.senioriales.com/.

IAU île

-de-F

rance

Page 78: Les villes face à l'insécurité. Cahier n° 155€¦ · N° 155 - juin 2010 trimestriel - 18 € ISSN 0153-6184  Les villes face à l’insécurité IAU île-de-France

3

très forte spécialisation dans larésidence des ménages très aisésspécialisation dans la résidencedes ménages aisés

spécialisation dans la résidencedes plus pauvresforte spécialisation dans la résidencedes plus pauvres

légère spécialisation dans la résidencedes classes moyennes supérieureslégère spécialisation dans la résidencedes classes moyennesprofil proche du profil francilien(répartition uniforme)

1

Ensembles fermés(par commune)

Profil socio-économique descommunes de la région Île-de-France

0 10 kmSources :- Base de données ensembles résidentiels fermés, IAU îdF, 2008.- Dreif, Filocom 1999 - Typologie d’après François J.-C., Mathian H., Ribardière A., Saint-Julien T. (2007).- «Riches et pauvres en Île-de-France : formes et sens des voisinages». in La métropole parisienne. Centralités, inégalités,proximités. Saint-Julien T. et Le Goix R., Eds. Paris : Belin (Mappemonde). 113-137, avec leur aimable autorisation. Co

ncep

tion

: R. L

e Go

ix ; C

arto

grap

hie

: G. A

verla

nt©

201

0, P

roje

t ANR

IP4

/ UM

R Gé

ogra

phie

-cité

s Un

ivers

ité P

aris

1, U

nive

rsité

Par

is 7,

CNR

S

avec services intégrés (piscine, tennis). Le dis-cours sur la fermeture de ces produits est alorssurtout destiné à l’acquéreur – résident sou-vent dans une autre ville – qui y voit une garan-tie de pérennité de son investissement immobi-lier.C’est, au final, la diffusion relativement faible –toute chose égale par ailleurs quant à la taillede la région métropolitaine – des enclaves rési-dentielles fermées en Île-de-France qui retientl’attention. Seulement 64 ensembles individuelsfermés ont été recensés dans la vente immobi-lière entre 1992 et 2006 par l’enquête de l’IAUîdF. Cela montre bien le caractère d’exceptionde ces formes qui, soit s’adressent à des nichesde clientèle, soit correspondent à des logiquesde renouvellement urbain, par la densificationdes espaces vacants ou sous-occupés du tissuexistant.La carte illustre la diversité des contextes socio-économiques d’implantation des ensemblesfermés : au regard d’une typologie des com-munes en fonction des revenus des ménages,on observe que les résidences fermées sesituent tout aussi bien dans les communes lesplus aisées que dans les communes les pluspauvres, avec une forte représentation dans lescommunes de la classe moyenne, dans sesdiverses composantes.Finalement, ces ensembles résidentiels sont plu-tôt sous-représentés dans le périurbain, résul-tat contre-intuitif si l’on s’en tient aux discoursclassiques sur l’adoption des modalités de

construction de la ville « à l’américaine ». Aulieu des fermetures axées sur une attitude indi-viduelle et collective de protection par rapportà « l’autre », on ne trouve le plus souvent quedes lotissements enclavés (en impasse,raquettes et autres boucles), mais ouverts. Celamontre le résultat de formes de régulationlocale qui dénotent un changement de naturede l’espace périurbain, où des fermeturesmoins spectaculaires, mais tout aussi significa-tives, s’opèrent en fait à diverses échelles : muni-cipalités recherchant l’isolement, mise en placed’un plan d’urbanisme restrictif, recherched’appariement par le biais de la carte scolaire[CHARMES, 2005, 2009]. Dans le périurbain,l’échelon communal, avec des populations fina-lement peu nombreuses, permet cette gestionlocale de l’homogénéité résidentielle et cetteconstruction de l’entre-soi qui, dans d’autrescontextes nationaux, prend la forme des rési-dences privées à grande échelle.

AnticiperLes Cahiers n° 155

Les lotissements fermés : effets de contexte

76

Références bibliographiques

• ATKINSON R., BLANDY S., FLINT J., LISTER D.,«Gated cities of today? Barricadedresidential development in England»,Town Planning Review, vol. 76, n° 4,p. 417-437, 2005.• BILLARD Gérald, CHEVALIER Jacques, MADORÉ François, TABURET A., VUAILLATFanny, RAULIN François, «Typologie et représentations des ensemblesrésidentiels fermés ou sécurisés en France», Cahiers de la sécurité, n° 8,p. 63-73, avril-juin 2009.• CALLEN Delphine, LE GOIX Renaud,« Fermeture et entre-soi dans les enclavesrésidentielles », dans SAINT-JULIENThérèse, LE GOIX Renaud, La métropoleparisienne. Centralités, inégalités,proximités, Paris, Belin, p. 209-232,2007.• CHARMES Éric, «On the Residential«Clubbisation» of French PeriurbanMunicipalities », Urban Studies, vol. 46,n° 1, p. 189-212, 2009.• LE GOIX Renaud, «Gated Communities asPredators of public resources : theoutcomes of fading boundaries betweenprivate management and publicauthorities in southern California », dansPrivate Cities : Global and localperspectives, GLASZE Georg, WEBSTER Chriset FRANTZ Klaus, London, Routledge,p. 76-91, 2006.• LOUDIER-MALGOUYRES Céline,

Les ensembles d’habitat individuel ferméset enclavés : étude des aspectsmorphologiques en Île-de-France, IAU île-de-France, à publier, 2010.

La présence des ensembles fermés en Île-de-France, une diversité des contextes socio-économiquesIA

U île-de

-Fran

ce

Page 79: Les villes face à l'insécurité. Cahier n° 155€¦ · N° 155 - juin 2010 trimestriel - 18 € ISSN 0153-6184  Les villes face à l’insécurité IAU île-de-France

En Île-de-France, l’impact de l’insécuritésur l’attractivité des commerces n’estpas un fait nouveau.

Un problème identifié dès les années 1990Au début des années 1990, une enquête del’IAU île-de-France sur neuf centres commer-ciaux situés dans des quartiers en politique dela ville fait état de problèmes de sécurité plusimportants qu’ailleurs, et pointe la récurrencedes vols et leur impact sur le chiffre d’affaires[IAURIF, 1993]. À la fin de la décennie, un rap-port de l’instance régionale d’évaluation de lapolitique de la ville [1999] insiste sur l’aggrava-tion récente de la situation en matière de sécu-rité dans les commerces, soulignant l’appari-tion de vols à main armée et la situation parfoistrès délicate des petits pôles commerciaux. Lesentiment d’insécurité et les tensions avec desgroupes de jeunes du quartier auraient unimpact négatif sur la fréquentation des com-merces et favoriseraient le développement dela vacance. Des faits divers tragiques et média-tisés, notamment celui qui s’est soldé par lamort d’un jeune tué par un vigile dans la café-téria du centre commercial de la cité des Indesà Sartrouville en 1991, ont, par ailleurs, contri-bué à renforcer l’idée d’un lien fort entre délin-quance et activités commerciales.Qu’en est-il aujourd’hui ? Les commerces dansles quartiers en politique de la ville sont-ilsconfrontés à des situations singulières d’insé-curité ? Peut-on en évaluer l’impact sur leur

attractivité ? Quelles sont alors les actionsmenées? En retour, quel bilan peut-on en tirer,à l’heure où les pouvoirs publics investissentdans la rénovation urbaine de quartiers en poli-tique de la ville, y compris sur le volet «com-merces», tout en affichant une volonté de luttercontre la délinquance dans ces quartiers(1) ?

La victimation réelle sans doute sous-estiméeSoulignons d’abord qu’il n’existe pas d’outil demesure de portée nationale des problèmesd’insécurité affectant les commerces ou lesactivités économiques dans les quartiers en dif-ficulté(2). Dans ces espaces qui relèvent de lasécurité privée, il semble pourtant que les statis-tiques relatives aux dépôts de plainte soient lar-gement inférieures aux victimations réelles(règlement direct des litiges par les sociétés pri-vées de gardiennage et les exploitants, craintedes représailles pour des commerçants isolés,sentiment de l’inutilité de la procédure). Defait, l’ampleur, la gravité et la nature des pro-blèmes sont, en l’état actuel des sources dispo-nibles, difficilement quantifiables.

AnticiperLes Cahiers n° 155

Les villes face à l’insécurité

Commerces et insécurité, les incertitudes de l’action publique

L’insécurité : un des problèmesmajeurs des commerces en politique de la ville.

Brigitte GuigouIAU île-de-France

Dans les quartiers en politique de la ville, la délinquance et le sentiment d’insécurité sont perçus comme l’une des causesdes dysfonctionnements affectant les commerces, les marchés, mais aussi les locaux tertiaires, les entrepôts, les zones d’activités, etc.Quel est l’impact de l’insécurité sur l’attractivité commerciale? Qu’en est-il des actions menées en ce domaine et de leur pérennisation?

77

B. Guigo

u/IAU îdF

(1) Cet article s’appuie aussi sur des entretiens menés enmai 2010 auprès de Véronique Beguel (CCI 94), Maxime Bou-chind’homme (Épareca), Christelle Jubin (Épareca), OlivierMandon (IAU îdF), Béatrice Moreau (ACSÉ), Arnaud Noulin(CCI 91), Isabelle Schlauder (CCI 93). Nous les en remercions.(2) Signalons toutefois la mise en place, en 1997, d’un obser-vatoire de l’activité commerciale dans les quartiers sensiblesde l’Essonne. La dernière enquête publiée date de 2007. Unenouvelle publication est prévue fin 2010.

IAU île

-de-F

rance

Page 80: Les villes face à l'insécurité. Cahier n° 155€¦ · N° 155 - juin 2010 trimestriel - 18 € ISSN 0153-6184  Les villes face à l’insécurité IAU île-de-France

Un facteur de fragilisation du commerceparmi beaucoup d’autresPour avancer dans la réflexion, il est utile dedécomposer cette notion d’insécurité quiagrège des réalités diverses. Elle désigne sou-vent des situations qui relèvent du sentimentd’insécurité davantage que de faits de victima-tion : présence massive et visible, même si ellen’est pas agressive, de jeunes dans les espacescollectifs privés ; incivilités ; tensions entrejeunes, commerçants et agents de gardiennage;«accrochages» avec des habitants ; ambianceinsécurisante… Un état des lieux, réalisé en2008 à l’initiative de l’Établissement publicd’aménagement et de rénovation du com-merce et de l’artisanat (Épareca), sur le senti-ment d’insécurité dans les polarités commer-ciales de 195 sites en rénovation urbainemontre que le sentiment d’insécurité est élevéen Île-de-France (44 %), beaucoup plus qu’ail-leurs en métropole (29 %)(3). La mise en placed’un observatoire de l’activité commercialedans les quartiers sensibles de l’Essonneconfirme que la sécurité représente une préoc-cupation majeure et spontanément abordéepar les commerçants au cours des entretiens.Le rapport récuse toutefois l’existence d’une«culture de la peur » : «Globalement, les com-merçants jugent la situation très délicate, maisrefusent de céder au pessimisme et à l’alar-misme. Ils sont en revanche dans une très forteattente vis-à-vis des pouvoirs publics, État etmaires». Le rapport précise qu’un commerçantsur quatre réclame plus de sécurité, ce qui estloin d’être négligeable sans être aussi massifque l’on aurait pu s’y attendre au vu des com-mentaires précédents.Mais la notion d’insécurité désigne aussi desproblèmes concrets de victimation, tels que desdégradations matérielles (bris de vitrine, tags),des paiements frauduleux, des vols sans vio-lence ou des délits violents (braquages, vols àmain armée, agressions ou rackets). En 2007,l’observatoire essonnien fait état d’un taux devictimation des commerçants élevé (47 % horsincivilités) et en augmentation par rapportà 2000 et 2003. Est-il pour autant plus élevé quedans d’autres quartiers d’Île-de-France? S’il estdifficile de répondre en l’absence d’enquêtesrégionales, remarquons que la situation descommerçants en zones urbaines sensibles(Zus) est économiquement plus fragile qu’ail-leurs. Soulignons aussi que ces commerçantssont souvent plus isolés géographiquement etinstallés dans des polarités commercialesdégradées, peu attractives, mal gérées etconfrontées à des problèmes complexes d’or-dre juridique et financier. L’insécurité est doncun facteur de fragilisation supplémentaire,parmi beaucoup d’autres…

Rappelons aussi que l’insécurité varie forte-ment au sein des quartiers en politique de laville, et que des infractions telles que lesatteintes aux biens ou aux personnes sontconcentrées dans un nombre restreint de Zus[ONZUS, 2009]. Des témoignages récents [BRON-NER, 2010] insistent sur la montée des violencesau sein de certains quartiers – quelquesdizaines sans doute sur les 750 Zus françaises –impliqués dans des trafics (stupéfiants, écono-mie illégale) qui pèsent au quotidien sur la viede ceux qui y habitent ou y travaillent, et ont unimpact sur les activités commerciales. Dans cer-tains de ces quartiers, des témoignages, relayéspar des articles de journaux, déplorent racketset intimidations. Pour l’observatoire de l’Es-sonne, plutôt que de racket organisé, il serait«plus juste de parler de commerçants résignésqui ferment les yeux devant des vols répétés, depeur des représailles. Ces situations nous sem-blent malheureusement assez fréquentes». Ellessont sans doute d’autant plus délicates à gérerque les commerçants vivent dans le quartieroù ils travaillent (ce qui est le cas de 55 % descommerçants en Zus de l’Essonne) et que leursclients sont aussi des voisins ou des parentsd’enfants qui fréquentent la même école queles leurs.

Dès les années 1990, des démarches efficacesd’accompagnement des commerçantsL’entrée par la prévention/sécurité est unemanière de comprendre les situations vécuespar les commerçants, condition préalable à lamise en place d’un plan d’actions efficaces.Certaines chambres de commerce et d’indus-trie (CCI) proposent, au travers de leur serviceCommerce et politique de la ville, des diagnos-tics individualisés auprès et à la demande descommerçants. Dans le Val-de-Marne, cettedémarche a l’intérêt de mettre en évidence laglobalité des problèmes auxquels les commer-çants sont confrontés. Elle permet égalementde mettre en œuvre des actions adaptées, ens’appuyant sur des financements croisés : fondsd’intervention pour les services, l’artisanat et lecommerce (Fisac) ; fonds de la région Île-de-France ; fonds interministériel de prévention dela délinquance (FIPD) ; subventions du contraturbain de cohésion sociale (Cucs). Certainesactions relèvent de la sécurisation technique(installation d’un système de vidéosurveillancerelié au commissariat, amélioration de l’éclai-rage, etc.), d’autres visent l’acquisition de savoir-faire (formations, conseils en marketing, etc.)ou répondent des questions connexes mais

AnticiperLes Cahiers n° 155

Commerces et insécurité, les incertitudes de l’action publique

78

(3) Nous remercions l’Épareca qui nous a transmis ces chif-fres franciliens. Pour en savoir plus : [ONZUS, 2009].

Une initiative dans le Val-de-MarneSur un site du Val-de-Marne, la sécuritéétait mal assurée du fait d’une multiplicitéd’interventions non coordonnées entre desentreprises de gardiennage missionnéespar plusieurs donneurs d’ordre privés, lesforces de l’ordre publiques et la justice.Interpellée par des commerçants avec quis’était nouée une relation de confiance, la CCI du Val-de-Marne s’est appuyée sur le conseil local de sécurité et de prévention de la délinquance(CLSPD) pour faire reconnaître l’existenceet les conséquences du problème et ouvrir des échanges entre les intéressés.Ceci a permis la mise en place d’un processus d’intervention plus cohérent et efficace – car fondé sur une meilleure connaissance des tâcheset contraintes des uns et des autres –, etsur des accords ponctuels sur la manièrede traiter les problèmes rencontrés.

B. Guigo

u/IAU îdF

L’entrée par la prévention/sécurité :une manière de comprendre les situations vécues par les commercants.

IAU île

-de-F

rance

Page 81: Les villes face à l'insécurité. Cahier n° 155€¦ · N° 155 - juin 2010 trimestriel - 18 € ISSN 0153-6184  Les villes face à l’insécurité IAU île-de-France

importantes, telles que la mise à plat de la situa-tion en matière d’assurance ou l’anticipationde la retraite et la recherche de repreneurs.Mais c’est aussi le fait de parler et d’être écoutéqui aide certains commerçants isolés et désem-parés…

L’impact positif d’une coordination des intervenants publics et privés…Vu la pluralité des facteurs expliquant l’insécu-rité et influant sur l’attractivité des pôles com-merciaux, l’action individuelle est insuffisante.Elle doit être couplée à des démarches collec-tives. Dans le Val-de-Marne, des cellules de veillepartenariale, généralement reliées aux conseilslocaux de sécurité et de prévention de la délin-quance (CLSPD), réunissent, sous l’égide desélus, les partenaires locaux de la préventionsécurité : services des collectivités locales,police nationale et polices municipales, Justice,Éducation nationale, bailleurs sociaux, associa-tions d’habitants et, pour le volet commercial,CCI et associations de commerçants. Pour laCCI du Val-de-Marne, l’objectif est d’être le relaisdes attentes et des difficultés des commerçants,par exemple concernant des demandes desécurisation passive (pose de volets roulants),d’amélioration de la gestion des pôles commer-ciaux (davantage de signalétique, d’éclairage,de maintenance et d’entretien) ou de renfor-cement de la présence humaine (davantagede policiers et d’éducateurs de prévention). Undes enjeux est d’améliorer la coordinationentre acteurs publics et privés de la sécurité.Les agents privés garantissent la sécurité desespaces commerciaux (grandes et moyennessurfaces, galeries), mais sont rarement impli-qués dans les dispositifs partenariaux et tropsouvent considérés comme peu légitimes parles acteurs publics locaux. En ce sens, le contratdépartemental de sécurité pour les espacescommerciaux de l’Essonne, signé en 2003 parl’État, le conseil général et la CCI, prévoyait desactions pour renforcer la complémentaritépublic/privé : mise en place d’un groupe de tra-vail, d’une conférence annuelle, d’une politiquepénale en cas d’agression des agents de sécu-rité privée, d’un stage au tribunal de grande ins-tance d’Evry pour les responsables des servicesde sécurité, etc.

…mais l’absence de pérennisation des démarchesMais les actions de ce type n’ont pas été soute-nues dans la durée par les institutions. Cellesqui ont été menées depuis le milieu des années1990, et particulièrement dans la période qui asuivi le Pacte de relance pour la ville de 1996 etun appel à projet de la Direction interministé-rielle à la ville (DIV) intitulé «Sécurité et com-

merces», ont été peu diffusées, rarement péren-nisées et, peu à peu, remplacées par d’autresdispositifs(4).

En ce domaine, les solutions désormais privilé-giées sont la vidéosurveillance et la restructura-tion en profondeur de pôles commerciauxcumulant des handicaps (enclavement,conception obsolète, dysfonctionnements dubâti, offre inadaptée, insécurité, etc.). Facilitéespar le Programme national de rénovationurbaine (PNRU) lancé par la loi du 1er août2003, parfois avec le soutien de l’Épareca, cesopérations de réhabilitation lourde, de démoli-tion/reconstruction, de travail sur l’accrocheurbaine, mettent en œuvre les principes de laprévention situationnelle (lisibilité, accessibi-lité, visibilité, etc.). La restructuration permetainsi la suppression des galeries commercialeset des espaces de statut privé ouverts au publicjugés « insécures » et coûteux en charges loca-tives, au profit d’un accès direct des commercesà l’espace public. L’intérêt de ce type d’opéra-tions, qui restent quantitativement marginales etcomplexes à monter(5), est de permettre uneintervention globale et simultanée jouant surplusieurs leviers (juridiques, fonciers, maîtrisede la commercialisation des surfaces).

Toute la difficulté est de pérenniser ces investis-sements utiles et nécessaires. Ceci supposequ’ils s’accompagnent à terme d’une gestionlocative, technique et urbaine adaptée, de dis-positifs de soutien aux commerçants (créationd’associations, formations, etc.), d’un travail par-tenarial entre acteurs impliqués dans la sécu-rité et d’une politique à la fois préventive etrépressive vis-à-vis des auteurs des délits. Fac-teur d’attractivité commerciale parmi d’autres,le maintien de la sécurité ne peut se faire sansles commerçants, les habitants et, plus large-ment, les institutions locales. Il n’est pas sûr queces conditions soient aujourd’hui réunies.

79

(4) Un guide de bonnes pratiques sur «La sécurité des com-merces dans les quartiers relevant de la politique de la ville»sera publié par l’Acsé fin 2010. Son objectif est de capitaliserles actions, souvent éparses, mal connues et peu valorisées,menées localement sur ces thèmes.(5) Depuis 2009, l’objectif de l’Épareca est de travailler sur dixnouveaux centres commerciaux par an (contre 6 par an de2006 à 2008 et 3 par an de 1998 à 2005).

Références bibliographiques

• BRONNER Luc, La Loi du ghetto. Enquêtedans les banlieues françaises, Paris,Calmann-Lévy, 2010.

• IAURIF, CONSEIL REGIONAL D’ÎLE-DE-FRANCE, Le développement des activitéséconomiques et commerciales dans les quartiers en difficulté en Île-de-France.Bilan de neuf opérations. Rapport desynthèse, janvier 1993.

• IAU ÎLE-DE-FRANCE, La mixité fonctionnelledans les quartiers en rénovation urbaine,tome I et II, étude pour le CES de l’Anru,octobre 2009.

• OBSERVATOIRE NATIONAL DES ZONES URBAINESSENSIBLES (Onzus), Rapport 2009,Éditions des CIV, décembre 2009.

• PRÉFECTURE D’ÎLE-DE-FRANCE, Conseilrégional d’Île-de-France, instanced’évaluation de la politique de la ville enÎle-de-France, Aide à la requalification descentres commerciaux, dossier thématique,février 1999.

F. Hu

ijbregts/

IAU îdF

L’attractivité des commercescontribue à l’amélioration de la qualité de vie dans les zones urbaines sensibles.

IAU île

-de-F

rance

Page 82: Les villes face à l'insécurité. Cahier n° 155€¦ · N° 155 - juin 2010 trimestriel - 18 € ISSN 0153-6184  Les villes face à l’insécurité IAU île-de-France

L’insécurité est une réalité ancienne etgénérale dans les quartiers populaires.Elle est vécue quotidiennement par une

grande partie de la population. Elle correspondaussi à une réalité évidente : les habitants desquartiers pauvres ont plus de risques d’être vic-times d’actes délictueux et souffrent plus del’insécurité réelle. Mais l’insécurité à l’intérieurdes quartiers est très variable et n’est pas direc-tement liée à la victimisation. Autrement dit,elle désigne une expérience plus large et pluscomplexe que la simple victimisation, expé-rience dans laquelle s’insère le rapport à l’en-vironnement social, au quartier, mais aussi lesressources dont disposent les individus, lesfamilles et la collectivité. Si le quartier n’est pasen lui-même l’explication de l’insécurité, le pro-blème social se place dans cet espace et naîtde cet espace. En quelque sorte, le quartier cris-tallise le problème social et en fait un problèmeurbain. Ainsi, les variations dans les formes queprend la sous-culture délinquante sont liéesaux modes de structuration sociale et cultu-relle des quartiers populaires [CLOWARD etOHLIN, 1960, p.159-160]. Corrélativement, la sous-culture et les conduites sociales délinquantescontribuent ainsi à façonner l’espace urbain: ladélinquance devient un problème pour ceuxqui en sont les victimes directes. Il en est demême pour l’insécurité. Elle est l’expressiond’un problème tout en contribuant à la structu-ration et à l’inscription territoriale de ce mêmeproblème. Elle ne peut donc être compriseindépendamment des modes de fonctionne-

ment des quartiers populaires. De ce point devue, l’évolution de nombreux quartiers popu-laires, de plus en plus marqués par des logiquesde ghetto, semble être profondément liée à l’in-sécurité, en ce qu’elle en est un élément struc-turant. En d’autres termes, l’insécurité est à lafois un problème et une « solution» : elle contri-bue à la mise en place d’une forme d’organisa-tion sociale particulière, le ghetto.Le ghetto est une forme d’organisation sociale,un ensemble de conduites sociales, et non unlieu. Il est porté par une population pauvre, relé-guée et ségrégée, population qui a fini parconstruire un mode d’organisation particulier,une sorte de contre-société avec son écono-mie, ses normes et valeurs, mais aussi son sys-tème « politique ». Le ghetto protège ainsi lapopulation contre les blessures infligées par lasociété. Il travaille à se fermer au monde exté-rieur en accroissant sans cesse l’interconnais-sance interne. Mais en même temps, cette ghet-toïsation constitue un handicap pour chacun etpour tous à l’extérieur, dans le reste de lasociété. Il en résulte une profonde ambiva-lence: les individus construisent collectivementun mode d’organisation sociale auquel ils vou-draient échapper personnellement. Dans cetteconstruction, l’insécurité doit être envisagéeavec la même ambivalence : elle est à la fois unproblème que subissent les habitants, mais elleest aussi un élément de la construction dughetto, de sa structuration interne et de sa fer-meture vis-à-vis de l’extérieur. À partir d’unelongue enquête qualitative menée dans une

AnticiperLes Cahiers n° 155

Les villes face à l’insécurité

Les deux faces de l’insécuritédans le « ghetto »

L’insécurité dans les quartierspopulaires, une expérience plus large et plus complexe que la simple victimation.

Didier LapeyronnieUniversité Paris 1

Panthéon-Sorbonne

L’insécurité est liée à la ghettoïsationd’un certain nombre de quartierspopulaires dans les banlieuesfrançaises. Pour les habitants, elle est une réalité qui s’impose à tous et qui s’attache au « ghetto », en faisant un lieu stigmatisé et dangereux, favorisant son isolementet sa fermeture. Mais elle est aussi une ressource collective, notammentpour certains groupes, participant d’un ordre interne qui permet de se protéger du monde extérieur.

80

F. Hu

ijbregts/

IAU îdF

IAU île

-de-F

rance

Page 83: Les villes face à l'insécurité. Cahier n° 155€¦ · N° 155 - juin 2010 trimestriel - 18 € ISSN 0153-6184  Les villes face à l’insécurité IAU île-de-France

cité de banlieue d’une ville de province, nousvoudrions montrer ces deux faces de l’insécu-rité dans le ghetto(1).

Les sources d’insécurité dans le ghettoÀ l’intérieur du ghetto, les sources du sentimentd’insécurité sont liées à un certain nombre decomportements qui se manifestent essentielle-ment dans l’espace public et touchent plus oumoins directement la population. Sur la basedes témoignages recueillis et des observations,quatre sources d’insécurité sont clairementidentifiées : les violences spectaculaires, les tur-bulences et la petite délinquance, les compor-tements policiers, le climat général d’isolementet d’agressivité.

Les violences spectaculaires et les « embrouilles »De façon évidente, les habitants sont d’abordconfrontés à une violence spectaculaire. Elleest souvent grave mais ne les concerne pas per-sonnellement, même s’ils peuvent en subir desconséquences indirectes. Les affrontements etbagarres entre bandes de jeunes en sont unbon exemple. Les règlements de comptes lorsde conflits qui peuvent mettre aux prises plu-sieurs familles, avec l’usage d’armes à feu, fontaussi partie de ces événements auxquels nom-bre de personnes assistent impuissantes, don-nant l’impression de vivre à proximité ou mêmeavec des individus susceptibles d’user d’uneviolence incontrôlée. Les expéditions « puni-tives », elles aussi marquées très souvent parl’usage d’armes à feu, montées par une citéadversaire, font aussi partie de ces événementsréguliers. Dans le ghetto, où tous les habitants seconnaissent, ces événements font l’objet denombreuses conversations, de récits de la partdes témoins directs ou indirects qui amplifientainsi un climat général de crainte, d’incertitudeet de peur. Ces conflits peuvent avoir pour pointde départ des problèmes d’intérêts liés à destrafics en tout genre. Mais ils ne sont que la par-tie émergée d’une logique plus générale, celledes embrouilles, qui marque la vie quotidiennedu ghetto.Les embrouilles, terme utilisé par les habitants,sont des conflits qui peuvent impliquer denombreux individus et durer de longuespériodes. Leur origine est souvent incertaine ettrès ténue (une parole mal interprétée, un diffé-rend amoureux), mais elles prennent parfoisune grande ampleur dans une logique incon-trôlée de vengeances et de contre-vengeances.Les embrouilles débouchent ainsi sur desaffrontements, parfois sur des violencesextrêmes, à l’intérieur même de la cité. Per-sonne ne paraît en mesure de les contenir. Lesembrouilles sont omniprésentes. Elles s’inscri-

vent dans l’histoire du quartier et finissent parconstituer une part de son identité. Leur déve-loppement engendre une forte insécurité pourles habitants mais crée aussi de nombreusessolidarités internes et externes. Dans leur dérou-lement, elles impliquent souvent de nom-breuses personnes les unes contre les autres,bien au-delà des familles ou des groupes dejeunes qui peuvent en être à l’origine. Ces soli-darités partielles et conflictuelles fabriquent unmonde commun, difficilement perceptible etcompréhensible de l’extérieur du quartier tantles embrouilles paraissent absurdes. De cepoint de vue, elles contribuent fortement à laréputation et à l’isolement du ghetto. D’autantque, quand elles menacent trop l’unité géné-rale, elles se résolvent par des embrouilles avecles cités alentours, ce qui permet de recréerune unité interne. Il faut comprendre la logiquedes embrouilles comme une logique d’intégra-tion.

La petite délinquanceÀ côté de ces violences plus ou moins specta-culaires liées aux embrouilles qui ne les attei-gnent pas directement, sauf s’ils se trouventimpliqués dans l’une d’entre elles, les habitantssont aussi victimes d’une petite délinquanceomniprésente dans l’espace public, affectantaussi leurs espaces privés. Les vols, parfois avecviolence, les cambriolages, et tout un ensem-ble de comportements incivils, les touchent

81

Omniprésentes, les embrouillesmarquent la vie quotidienne du ghetto.F.

Huijb

regts/

IAU îdF

(1) On trouvera une présentation générale de cette enquêtedans Ghetto urbain. Ségrégation, violence, pauvreté en Franceaujourd’hui [LAPEYRONNIE, 2008]. L’enquête a été menée pen-dant quatre ans à partir d’observations ethnographiques,d’entretiens et de discussions collectives.

IAU île

-de-F

rance

Page 84: Les villes face à l'insécurité. Cahier n° 155€¦ · N° 155 - juin 2010 trimestriel - 18 € ISSN 0153-6184  Les villes face à l’insécurité IAU île-de-France

directement dans la vie quotidienne. Certainescatégories de personnes sont particulièrementvulnérables, notamment celles qui ont peu deressources relationnelles et sociales à l’intérieurdu ghetto: les adolescents, les femmes isolées etles personnes âgées notamment. Mais les per-sonnes qui vivent au rez-de-chaussée desimmeubles ou dans les étages inférieurs sontparticulièrement exposées. Sur ce plan, les habi-tants se sentent très vulnérables : chacun estseul pour faire face et, en cas de difficulté, il estdifficile voire quasi impossible d’obtenir unemanifestation de solidarité. Un cambriolage ouun vol de sac par exemple ne sont en généralpas suivis de plainte par peur des représailles,même si la personne connaît ses agresseurs.De même, la pression exercée par les dealerssur tel ou tel espace de la cité engendre évite-ment et silence mais jamais recours à la policeou à la justice. Cette logique explique l’aban-don de l’espace public aux jeunes les plus«chauds » et les plus «déviants », et une sorted’inversion du pouvoir entre les générations,les jeunes des bandes prenant le pas sur lesadultes [BRONNER, 2010, p.115]. Les adultes ontperdu la capacité et la légitimité pour interve-nir dans la rue. Leur statut d’adulte ne les pro-tège pas et ils se sentent particulièrementdémunis, tant toute intervention ou même toutgeste de défense de leur part peut enclencherun processus d’escalade qu’ils ne pourront passtopper. Et ce d’autant qu’ils ont un fort senti-ment d’abandon : les autorités, notamment lapolice, ne les protègent guère.

Les comportements policiersLes comportements de la police sont en effetune troisième source d’insécurité. Dans les des-criptions qu’ils en font, les habitants insistent

sur l’incapacité des policiers de les protéger. Ilssont souvent absents, trop loin et indifférents.Tous insistent sur le fait que les policiers eux-mêmes ont peur et préfèrent se tenir à l’écartou ne pas voir plutôt que d’intervenir efficace-ment. Mais plus encore, ils soulignent l’incivi-lité des conduites policières telles le non-res-pect de la signalisation routière, l’arrogance, letutoiement, faisant le portrait d’une police quise «pense au-dessus des lois » et se comportecomme si les lois ne la concernaient pas. Sou-vent très visibles, ces conduites sont vécues à lafois comme une mise à distance de l’ensem-ble de la population, abandonnée sans distinc-tion à son sort, mais elles accroissent aussi sen-siblement le sentiment d’insécurité : les jeunesharcelés ou contrôlés sont aussi les enfants deshabitants. Ainsi, par exemple, les adolescents etles jeunes préfèrent-ils s’enfuir à la vue d’unepatrouille de police. Mais plus encore, lors dessorties de fin de semaine, les parents conseillentà leurs enfants d’éviter la police, pour ne pass’exposer à un contrôle qui pourrait dégénérerou à une garde à vue. Le sentiment général estévidemment que, par ces conduites, la policeexerce une «pression» sur la population dansson ensemble et ne protège pas les habitants.Ces conduites sont aussi vécues comme uneforme d’humiliation collective, tout le mondeétant bien persuadé que la police ne se per-met pas de tels comportements dans les quar-tiers riches. De fait, par ses comportements, lapolice valide l’image négative du quartier et larenforce, accroissant à son tour son isolementet son enfermement. Pour les habitants, lapolice ne constitue pas une ressource, elleméprise et rabaisse. Elle fait régner un surcroîtd’insécurité par l’incertitude et l’arbitraire deses comportements. Bref, personne ne peut luifaire confiance.

Le climat d’oppression quotidienneEnfin, il faut insister sur la dernière source d’in-sécurité, moins visible, qui est le climat géné-ral. Les habitants vivent une sorte de pressionconstante ou d’oppression quotidienne, consé-quence du mélange d’agressivité et d’isolementauquel ils ont à faire face. Les jeunes sont évi-demment désignés comme les responsablesdirects de ce climat qu’ils font peser sur l’es-pace public. Le sentiment d’insécurité s’installeaussi dans les cages d’escalier quand celles-cisont squattées, notamment l’hiver où elles ser-vent de refuge à des groupes plus ou moinsimportants. Ils y parlent, fument et boivent, par-fois détériorent les lieux. Leur seule présencecrée un climat de tension: les habitants n’osentpas les déranger, entrer chez eux ou protestercontre le bruit. Quand ces cages sont le lieud’un trafic, la pression est bien plus forte et la

AnticiperLes Cahiers n° 155

Les deux faces de l’insécurité dans le « ghetto »

82

P. Le

croa

rt/IAU

îdF

L’insécurité contribue à l’isolement du quartier par l’image qu’elle en donne.

IAU île

-de-F

rance

Page 85: Les villes face à l'insécurité. Cahier n° 155€¦ · N° 155 - juin 2010 trimestriel - 18 € ISSN 0153-6184  Les villes face à l’insécurité IAU île-de-France

peur est amplifiée. Mais il faut aussi incluredans ce climat les relations de voisinage ouentre familles. Les habitants décrivent unmonde où la communication est difficile, par-fois impossible, ou la moindre remarque peutenclencher un conflit violent. L’insécurité estainsi une expression de l’incapacité des institu-tions locales ou communautaires de contrôlerla « désorganisation sociale » perçue par leshabitants. Elle est une réaction au «déclin d’unezone urbaine» quand les habitants ou les pou-voirs publics ne peuvent engager un processusde « revitalisation», voire simplement de « stabi-lisation». De fait, « l’insécurité semble plus avoirà faire avec la perte de contrôle sur l’espacequ’à la vulnérabilité réelle au crime», même sila croissance de la délinquance explique cesentiment de perte de contrôle. En poussantces observations jusqu’à leur terme logique, larelation entre délinquance croissante et insé-curité peut être inversée: c’est l’insécurité ou lapeur, en ce qu’elle génère un repli sur le privé,la désorganisation sociale et la perte ducontrôle social sur l’espace public, qui ouvrela porte à la montée de la délinquance, commedans un cercle vicieux sans fin [WILSON et KEL-LING, 1982]. C’est pourquoi, au-delà des faitsspectaculaires liés aux explosions de violenceou à une délinquance solidement implantée,l’insécurité est liée de manière privilégiée àcette «oppression quotidienne» dont parlentles habitants, ce climat de crainte et parfois de«peur» qui engendre angoisse et isolement. «Àforce d’avoir peur, on ne communique plus eton a peur », dit une habitante.

Les ambivalences de l’insécuritéÀ l’intérieur du quartier, ces manifestations del’insécurité peuvent s’expliquer par l’additionde ces comportements et par l’insuffisance desressources de la communauté locale pour faireface à la dégénération urbaine, à laquelles’ajoute le sentiment général d’abandonéprouvé par la population. Mais l’insécuritévécue est aussi un des moteurs de la construc-tion du ghetto : elle contribue à l’isolement duquartier par l’image qu’elle en donne et elleest une ressource pour certaines catégories depopulation, participant directement de sonfonctionnement interne.

Un facteur de ségrégationL’insécurité est d’abord inséparable du senti-ment vécu et omniprésent d’abandon par lapopulation. Elle est associée à l’absence desinstitutions ou à leur peu d’efficacité, à leurincapacité de s’imposer face aux bandes, auxtrafics et aux comportements incivils de nom-breux jeunes et habitants. C’est bien parcequ’ils sont des «petits », qu’ils n’ont pas de pou-

voir et qu’ils ne sont pas considérés comme devrais citoyens, que les habitants estiment vivredans un tel climat et doivent faire face à de telscomportements institutionnels et policiers.D’ailleurs, pour eux, cette insécurité se déclineplus largement dans leur vie quotidienne. Ilssoulignent combien elle accroît leur isolement.Très souvent, ils ont des difficultés à obtenir desservices : le livreur de pizzas, comme le facteur,ne veulent plus venir, quand ce n’est pas l’infir-mière ou le médecin. Les assistantes socialespréfèrent les recevoir en dehors du quartier etcertains services ou commerces ont fermé. Plusencore, l’insécurité s’attache à la réputation duquartier à l’intérieur de l’agglomération etengendre un surcroît de problèmes. Dès qu’ilssont identifiés comme habitants du quartier, ilssuscitent la méfiance, parfois une franche hos-tilité. Les jeunes hommes notamment sont lespremières victimes de cette méfiance quandils cherchent du travail, quand ils ont affaire àla police ou aux institutions, mais aussi dans lavie quotidienne, dans les magasins ou les bus.Beaucoup soulignent à quel point, très souvent,ils sont dans des situations où ils sentent que lesgens présents ont peur d’eux, la peur leur signi-fiant leur extériorité à la communauté. Au-delàdes jeunes hommes, l’insécurité gangrène aussila vie sociale de l’ensemble des habitants.Beaucoup expliquent les difficultés qu’ils ren-contrent pour « faire venir la famille ledimanche», tant le quartier fait peur. De fait, defaçon générale, l’insécurité leur « colle à lapeau» et les contraint à rester dans leur espace.Elle contribue puissamment à la ségrégationurbaine, comme si, dans la ville, une formed’écologie de la peur, validée par les comporte-ments institutionnels, s’était mise en place, parle jeu des événements et des réputations, iso-lant progressivement le quartier et la popula-tion qui l’habite. Pour chacun, l’insécurité qu’ilsubit en même temps qu’il la porte accroît sin-gulièrement le coût des transactions sociales.L’habitant est une personne dont on se méfie.

Une ressource participant du fonctionnement du ghettoMais l’insécurité possède aussi des dimensions« internes» en ce qu’elle participe du fonction-nement général du ghetto et de sa construc-tion. Le rejet extérieur crée de fait une unité,imposée de l’extérieur, mais unité tout demême. C’est sur cette base qu’est construite uneorganisation collective fondée sur une impor-tante interconnaissance. Enfermés dans leurquartier, les habitants finissent par se connaîtrepersonnellement et par former une sorte de«village urbain ». Dotés de peu de ressourcessociales, ils bénéficient dans cet espace d’unereconnaissance et d’une identité qui leur est le

83

IAU île

-de-F

rance

Page 86: Les villes face à l'insécurité. Cahier n° 155€¦ · N° 155 - juin 2010 trimestriel - 18 € ISSN 0153-6184  Les villes face à l’insécurité IAU île-de-France

plus souvent déniée à l’extérieur. Surtout, cetteinterconnaissance est pour eux un gage deforte sécurité : comme dans l’espace communtout le monde se connaît, la présence d’un« étranger » ou d’une personne inconnue esttoujours l’objet d’un soupçon ou d’uneméfiance. Il n’y a aucune raison a priori quecette personne vienne dans un tel espace. C’estpourquoi les intrus font toujours l’objet d’uneinterrogation directe ou indirecte, qui peut allerjusqu’à une demande de carte d’identité ou decarte professionnelle pour vérifier leurs dires(2).Cette pratique est évidemment associée auxtrafics et activités illégales. Mais elle est plusgénérale et fonde la sécurité collective. Celle-cirepose sur l’interconnaissance, la capacitéd’identifier les individus. En ce sens, elle estinverse de celle qui règne traditionnellementdans la ville où la sécurité est fondée sur l’ano-nymat et le respect d’un code de civilité com-mun. Dans le ghetto, la civilité importe peu dansla mesure où c’est l’interconnaissance quiassure la place de chacun. Cette inversion deslogiques entre l’intérieur et l’extérieur crée del’incompréhension réciproque, mais aussi sou-vent des conflits quant à l’usage de l’espacecommun.En même temps, cette interconnaissance est àla source d’une pression constante sur chacun.Chaque individu est doté d’une réputation etd’un statut à l’intérieur du ghetto, ce qui induitune hiérarchie forte et partagée par tous. Cha-cun sait qui a du «pouvoir » et qui est en hautde la hiérarchie : les familles de «dealers réfé-rencés», les pères de certaines familles, certainsjeunes des bandes. Les hiérarchies qui seconstruisent reposent sur une pression descen-

dante, permanente et omniprésente, à la foispour le respect de la place de chacun et pourle maintien de l’exclusivité du pouvoir. Per-sonne ne peut faire appel à l’extérieur pourrégler un conflit. L’insécurité vécue «en bas »par le biais de cette pression est donc une res-source importante pour les sommets des hiérar-chies, notamment pour les trafiquants maisaussi pour les « chauds » dans les bandes dejeunes qui occupent l’espace public ou lescages d’escalier. La « réputation» des uns et desautres, qui leur permet de maintenir leur pou-voir et l’ordre interne du ghetto, tient aux vio-lences qu’ils se montrent capables de mettreen œuvre, aux « folies » qu’ils peuvent commet-tre, notamment à l’occasion d’une embrouilledont tout le monde parlera [SAUVADET, 2006]. Ilscréent ainsi une insécurité « interne », qui estleur principale ressource pour maintenir etgarantir l’ordre collectif ou la « loi du ghetto»,loi que tout le monde subit mais aussi àlaquelle tout le monde participe de façon plusou moins volontaire. Elle permet en effet demaintenir un ordre social et moral, notammenten matière de contrôle de la sexualité desjeunes femmes, mais aussi des hiérarchies indi-viduelles et collectives claires et bien définiesqui offrent, paradoxalement, une certaine sécu-rité collective. C’est ce qui explique l’ambiva-lence de la plupart des habitants qui à la foiscondamnent ce qu’ils jugent souvent intoléra-ble, mais peuvent aussi en tirer un profit directou indirect et sont amenés à défendre leur«quartier ».L’insécurité est une des expériences fondamen-tales des habitants du ghetto qui la vivent quo-tidiennement sous diverses formes. De façonexterne, elle contribue, par le jeu de la stigma-tisation et des comportements délinquants etpoliciers, à accroître la ségrégation et l’isole-ment de la population. De façon interne, elleest une ressource collective pour certainsgroupes qui peuvent la mettre au service de laconstruction d’un ordre collectif par le moyend’une pression permanente, ordre avec lequella plupart des habitants entretiennent une rela-tion ambivalente, faite d’adhésion plus oumoins subie et de rejet plus ou moins contraint.L’insécurité est ainsi un élément central de laformation et du fonctionnement du ghetto.

AnticiperLes Cahiers n° 155

Les deux faces de l’insécurité dans le « ghetto »

84

Crédits photographiques p. 85A. Lacouchie/IAU îdFP. Lecroart/IAU îdFB. Guigou/IAU îdFJason Antony/Sxc.huA. Lacouchie/IAU îdF© Sophie Chivet/EPPGHVJ.C. Pattacini/Urba Images/IAU îdFBenjamin Earvicker/Sxc.huRatp/Bruno MargueritteB. Guigou/IAU îdF© Sophie Chivet/EPPGHV

Références bibliographiques

• BRONNER Luc, La loi du ghetto. Enquêtedans les banlieues françaises, Paris,Calmann-Lévy, 2010.

• CLOWARD Richard, OHLIN Lloyd E.,Delinquency and Opportunity, Glencoe,Ill. The Free Press, 1960.

• LAPEYRONNIE Didier, Ghetto urbain.Ségrégation, violence, pauvreté en Franceaujourd’hui, Paris, Robert Laffont, 2008.

• SAUVADET Thomas, Le capital guerrier.Concurrence et solidarité entre jeunes de cité, Paris, Armand Colin, 2006.

• WILSON James Q., KELLING George L.,«Vitres cassées », Les Cahiers de lasécurité intérieure, n° 15, 1er trimestre1994 (1e parution : 1982).

P. Le

croa

rt/IAU

îdF

(2) Le journaliste Luc Bronner explique ainsi qu’il n’a jamaisété autant «détronché» et «contrôlé» que dans certains quar-tiers de la banlieue parisienne [BRONNER, 2010].

L’insécurité, à la foisfacteur de ségrégationet ressource collectivepour certains groupes

dans la cité.

IAU île

-de-F

rance

Page 87: Les villes face à l'insécurité. Cahier n° 155€¦ · N° 155 - juin 2010 trimestriel - 18 € ISSN 0153-6184  Les villes face à l’insécurité IAU île-de-France

Ressources

IAU île

-de-F

rance

Page 88: Les villes face à l'insécurité. Cahier n° 155€¦ · N° 155 - juin 2010 trimestriel - 18 € ISSN 0153-6184  Les villes face à l’insécurité IAU île-de-France

86

À lire

Paru en 2003, ce numéro hors-série desCahiers de la sécurité intérieure a étédirigé par Jean-Paul Brodeur (1944-

2010) et Dominique Monjardet (1943-2006),deux grands chercheurs auxquels la sociolo-gie de la police doit beaucoup. Ils ont ici ras-semblé quinze textes majeurs de la rechercheanglo-saxonne sur la police, qui ne constituent«ni un échantillon représentatif, ni un palma-rès », mais permettent au lecteur «d’être au faitdes avancées majeures de la recherche etd’être honnêtement outillé pour en suivre parlui-même les développements actuels ».Connaître la police s’articule en quatre parties.La première est dédiée aux travaux pionniersde William A. Westley et d’Egon Bittner. Laseconde traite des grandes études de terrain,centrées sur les relations entre la police et sespublics. La troisième met en cause les straté-

gies policières classiques et s’intéresse à lapolice de communauté dans ses diversesvariantes. La dernière porte sur les territoiresles moins visibles de l’activité policière, le tra-vail d’enquête et les dispositifs de surveillance.On pourra notamment lire à profit la traduc-tion française du fameux article sur les vitrescassées (Broken Windows) ou encore des ana-lyses sur l’organisation sociale des arrestations,la question de l’impartialité des policiers, lapatrouille préventive, l’approche en termes derésolution des problèmes, la société de sécu-rité maximale, etc. Outre la richesse des textessélectionnés, ce recueil vaut aussi pour les pré-sentations éclairantes de Jean-Paul Brodeur etDominique Monjardet. C’est un document deréférence qui nous permet effectivement demieux connaître la police.

D éfendre la ville prend le parti d’analyserles politiques de sécurité en regard dela question urbaine. Au-delà des

controverses simplistes, ce court ouvrage contri-bue à renouveler le débat sur la police desvilles, considérée comme «l’art de faire conver-ger la conception des lieux, le rôle des agentset l’engagement des habitants». Pour amorcer la réflexion, Thierry Oblet revientsur la problématique de l’insécurité urbaine,d’abord apparue comme la contrepartie nor-male des libertés offertes par la mobilité etl’anonymat des grandes villes. Aujourd’hui, l’in-sécurité n’est pourtant plus perçue comme unedimension constitutive de la modernitéurbaine, mais davantage comme un symptômepréoccupant de la crise urbaine, révélateur desprocessus de ségrégation socio-spatiale qui frag-mentent la ville. «Réponse ostentatoire des pluspauvres à l’égard de ceux qui les fuient», lesincivilités et les violences urbaines sont vécuestelle une menace qui pèse sur l’urbanité, sur lacapacité de la ville à favoriser les rencontres etsur la pérennité du vivre-ensemble.L’auteur se penche ensuite sur les réponsesapportées pour lutter contre l’insécurité etdégage deux grandes stratégies caractéristiquesdes trente dernières années. La premièreconcerne la territorialisation des politiques desécurité urbaine : sous l’égide des élus, elle enappelle à un traitement plus transversal des pro-blèmes, dans un souci d’ajustement des poli-

tiques nationales aux réalités locales. Laseconde tient à la normalisation sécuritaire del’urbanisme : elle vise à prévenir la malveil-lance par l’aménagement des espaces et lerecours aux technologies de protection. Loind’être antagonistes, ces deux stratégies s’intè-grent, de fait, dans un nouveau régime de gou-vernement de la sécurité urbaine et montrentque les pouvoirs publics régaliens n’ont plusle monopole en la matière. Au final, Thierry Oblet nous invite à dépasserles clivages artificiels entre prévention et répres-sion, prévention sociale et prévention situation-nelle, considérant qu’il y a désormais consen-sus sur la nécessité d’articuler ces différentsleviers. Sans nier pour autant le tournant puni-tif qu’emprunte la refonte des politiquessociales, il refuse de céder à la thèse réductricede la substitution d’un État pénal à un Étatsocial. De son point de vue, l’examen desrecompositions en cours gagne à reprendre ladistinction chère à Jacques Donzelot entre lespolitiques visant à «traiter les lieux», prépondé-rantes en France, et les politiques visant à «agiravec les gens», qu’il faudrait promouvoir. L’au-teur plaide en faveur d’une conception «libé-rale» de la police des villes, au sens d’uneaction publique plus politique et civique, quivalorise la compétence des maires, prend appuisur le «capital social» et encourage la participa-tion «mêlée» entre habitants et pouvoirs publicsdans la production de la sécurité.

BRODEUR Jean-PaulET MONJARDET Dominique (DIR.)Connaître la police. Grands textesde la recherche anglo-saxonne.Hors-série de la revue Les Cahiers de la sécurité intérieureParis, IHESI/Documentation française, 2003.

OBLET ThierryDéfendre la ville. La police,l’urbanisme et les habitants.Paris, Presses Universitaires de France, coll.« La ville en débat », 2008.

IAU île

-de-F

rance

Page 89: Les villes face à l'insécurité. Cahier n° 155€¦ · N° 155 - juin 2010 trimestriel - 18 € ISSN 0153-6184  Les villes face à l’insécurité IAU île-de-France

87

Cet essai historique et sociologique pas-sionnant du sociologue anglais DavidGarland se structure autour d’une ques-

tion: comment expliquer l’émergence, au coursdes trente dernières années, de politiquespénales répressives similaires aux États-Unis eten Angleterre?Pour David Garland, les raisons du glissementdes politiques pénales d’un « type welfare à untype nettement plus répressif », qualifié de« virage punitif », résident dans des change-ments d’ordre structurel sur les plans sociaux,économiques et culturels qui tient à « deuxforces historiques dominantes ». La premièreest la «modernité tardive» qu’il définit commeun ensemble de facteurs ayant modifié nosmanières de vivre. Celles-ci se sont accompa-gnées d’une augmentation de la délinquance,de sa perception et de sa place dans notre viequotidienne et dans l’organisation sociale,autant de caractéristiques significatives, selonDavid Garland, de «sociétés à forte criminalité»La seconde est la prédominance de politiqueslibérales et néo-conservatrices du type law andorder, éléments plus spécifiques aux États-Uniset au Royaume-Uni, qui ont réintroduit la disci-

pline morale dans le champ pénal.Partant de ce constat, toute la force de The cul-ture of control est d’analyser comment les Étatset leurs structures pénales se sont adaptés à ceschangements, comment ils ont mis place denouvelles stratégies de réponse, mais aussi com-ment les individus ont modifié leurs comporte-ments. Cet ouvrage met ainsi en lumièrel’étroite interaction entre l’évolution des per-ceptions de l’insécurité par la population, sesadaptations à la délinquance considéréecomme «un risque quotidien qui doit être sys-tématiquement évalué et géré » et celles despolitiques pénales. Conjuguant une histoire cul-turelle des comportements des individus faceau crime et une histoire gouvernementale ducontrôle de la délinquance, David Garlandmontre que les politiques pénales actuellementdominantes aux États-Unis et au Royaume-Unine sont pas le produit de simples forces poli-tiques mais d’une «culture du contrôle » pré-sente dans la plupart des pays occidentaux.Son analyse a donc toute sa pertinence pourcomprendre les changements dans les poli-tiques de sécurité en France.

Ce dossier réalisé par Anne Wyvekensprésente des extraits choisis d’une cen-taine de textes portant sur le thème

«espace public et sécurité». Notion complexe et plurielle, l’espace publicest un lieu d’échange et de circulation des per-sonnes, des biens et des informations. Long-temps nié par l’urbanisme qui l’a réduit à safonction de soutien à la mobilité, il est enrevanche investi par le secteur privé au traversdes «espaces ouverts au public» ou «propriétéprivée de masse». Ainsi devient-il un espaceambigu, oscillant entre ouverture et fermeture,dont le caractère «public» tient plus aux usagesqu’au statut juridique. L’insécurité y est elle aussi multiforme, plus sou-vent liée aux incivilités affectant la qualité del’espace vécu qu’à la délinquance proprementdite. En réponse, on observe l’essor de la sécu-rité privée, la multiplication d’agents aux sta-tuts divers et le développement de partenariatslocaux : la police étatique n’a plus le mono-pole de la sécurité publique. Parallèlement àl’hybridation des espaces, on assiste à l’hybrida-tion des modes de gestion de la sécurité.L’approche américaine ouvre d’autres perspec-

tives quant à la manière d’envisager la sécuritésous l’angle de l’espace public, associant laqualité de l’environnement urbain, l’aménage-ment et la surveillance par les citoyens. La théo-rie de la vitre brisée encourage la police à s’ap-puyer sur la population ; celle de l’espacedéfendable invite à aménager les lieux de tellesorte qu’ils soient occupés et pris en chargepar un maximum d’usagers responsables. En France, les implications de la vitre brisée ontété inexactement traduites en tolérance zéro, etle concept d’espace défendable, souvent assi-milé aux techniques de prévention situation-nelle, a trouvé un champ d’application avec lesopérations de résidentialisation dans l’habitatsocial. Les théories américaines ont donc ététransposées de manière réductrice, négligeantles objectifs de prévention communautaire. Laproduction de la sécurité pose pourtant laquestion des réappropriations citoyennes etpolitiques de l’espace public, pour un ordre dulieu négocié avec les usagers. Au fond, l’enjeuest d’inventer un «autre contrôle social», dansun espace que l’on s’efforcerait de rendre nonpas seulement «public» mais avant tout «com-mun».

À lire

WYVEKENS AnneEspace public et sécuritéProblèmes politiques et sociaux n° 930,novembre 2006, 120 p.IA P.748

GARLAND David The Culture of ControlCrime and Social Order inContemporary SocietyOxford University Press, New York, 2001.

IAU île

-de-F

rance

Page 90: Les villes face à l'insécurité. Cahier n° 155€¦ · N° 155 - juin 2010 trimestriel - 18 € ISSN 0153-6184  Les villes face à l’insécurité IAU île-de-France

88

À lire

Comment comprendre les évolutionsactuelles de la délinquance en Franceet analyser les réponses qui y sont

apportées ? Voilà la question constituant le filrouge de cet essai de Hugues Lagrange qui,pour mieux éclairer la spécificité du contextefrançais, s’appuie sur une approche compara-tive des politiques menées depuis une ving-taine d’années en Europe et aux États-Unis.Hugues Lagrange part d’une convergence defond entre les États-Unis et l’Europe : le glisse-ment, depuis le milieu des années 1980, d’unedélinquance d’opportunité liée à la croissanceet la consommation, à une délinquance d’ex-clusion, plus violente, plus jeune et liée au traficde drogues. Ces violences se sont accompa-gnées d’un accroissement du sentiment d’insé-curité, indissociable des craintes suscitées parl’insécurité sociale (explosion du taux de chô-mage, précarité sociale…). L’effritement del’État-providence conduit ainsi à nourrir unedemande de protection, notamment des classessociales modestes, à l’égard des pouvoirspublics. Face à ces demandes de sécurité, lesÉtats ont répondu de manière différente. AuxÉtats-Unis, une politique répressive d’enferme-ment a primé sans que l’inflation carcérale n’aitgénéré une baisse de la criminalité violente. Si

la tentation carcérale a également gagné l’Eu-rope, Hugues Lagrange souligne néanmoinsque, sur ce plan, l’Europe a du « retard» et sur-tout qu’il existe des différences notables entrepays tenant à la force de l’État social. Plus il esttraditionnellement faible, plus les taux d’incar-cération seraient élevés.Conjointement à ces politiques pénales, denouveaux dispositifs de prise en charge de ladélinquance ordinaire ont été développés : sur-veillance des espaces par des agents privés,équipement en caméras, alarmes, barrières, etc.Relevant de la prévention dite situationnelle,ces dispositifs visent à réduire les opportunitésdélinquantes en durcissant les «cibles». Ils révè-lent l’introduction, dans le champ de la préven-tion de la délinquance, d’une logique assuran-tielle se préoccupant «moins des causes quede la probabilité d’occurrences fâcheuses». Laprincipale critique qu’Hugues Lagrange for-mule à l’encontre de cette réponse assuran-tielle est qu’elle renonce, comme la détentionde masse, à réintégrer les délinquants dans lasociété. À l’inverse, il plaide pour un renouvel-lement en profondeur des stratégies d’interven-tion sociale selon une perspective inclusivetenant compte des limites actuelles des poli-tiques socio-éducatives.

Avec la périurbanisation, le rôle desvilles dans ce qu’elles permettentd’échanges, de mélange social, de ren-

contres inattendues, semble remis en cause.Mais les périurbains ne sont pas seulementaccusés de rejeter l’espace public, on les soup-çonne aussi de tourner le dos à l’espace publicpolitique. Les communes périurbaines sem-blent se sentir peu concernées par les devoirsde solidarité. Ainsi, en refusant de construiredes logements sociaux, ou en se contentantd’offrir à leurs administrés des services mini-maux, les communes périurbaines affichent unégoïsme qui s’étend à leurs habitants.L’apparition de barrières et clôtures à l’imagedes gated communities américaines, semble tra-duire la manifestation de la peur de l’autre, dela privatisation rampante des villes ou encorede l’aggravation de la ségrégation sociale. Maisces craintes doivent être relativisées. Les bar-rières autour des lotissements pavillonnaires nesont qu’une déclinaison des dispositifs de «rési-dentialisation» autour des immeubles collec-

tifs des logements sociaux. La division socialede l’espace n’est pas non plus un phénomènerécent. La protection d’un espace n’est pas sys-tématiquement synonyme de refus ou d’évite-ment de la mixité sociale, la multiplication desbarrières tient plus souvent d’un désir de régu-ler des troubles automobiles ou de traiter laquestion de l’incivilité, c’est en tout cas ce quesemble montrer l’enquête menée par l’auteur.Par ailleurs, le quartier n’est pas l’horizon despériurbains, le repli sur l’entre-soi n’est qu’appa-rent, il est compensé par la mobilité. Les périur-bains fréquentent eux aussi de nombreuxespaces et groupes sociaux hors du lieu de rési-dence. S’ils défendent tous leurs choix résiden-tiels, l’attrait de la maison individuelle, le refusdu rural profond, la mise à distance de la ban-lieue, ils présentent cependant des situationssociales diverses.À partir de ces questions spécifiques, l’auteurinterroge les notions d’altérité, de domesticité,d’intimité, de sociabilité, et remet en cause leslieux communs sur la vie périurbaine.

LAGRANGE HuguesDemandes de sécurité France, Europe, États-Unis Éditions du Seuil, Paris, 2003, 109 p.

CHARMES ÉricLa vie périurbaine face à la menace des gated communitiesParis : L’Harmattan, 2005.- 219 p., phot., bibliogr.

IAU île

-de-F

rance

Page 91: Les villes face à l'insécurité. Cahier n° 155€¦ · N° 155 - juin 2010 trimestriel - 18 € ISSN 0153-6184  Les villes face à l’insécurité IAU île-de-France

Un espace ouvert sans interruption de 10 heures à 17 heuresqui offre au public :• une bibliothèque de 60 000 ouvragessur l’aménagement et l’urbanisme,dont 5 000 en libre accès• 5 000 études et rapports publiéspar l’IAU île-de-France depuis sa création• une collection de 100 000 imageset de 800 cartes et plans• 600 collections de revues disponibles, ainsique 2 800 documents d’urbanisme locaux• un accès au système d’information géographique régional (création, impressionet téléchargement de cartes à la demande)

La Médiathèque de l’IAU île-de-France

15, rue Falguière - Paris 15e

Tél. : 01 77 49 79 17

Mél. : [email protected]

L. G

alle

t/Ia

u îd

F

Retrouvez la sélection complète des références bibliographiques et iconographiques de ce Cahierssur le www.iau-idf.fr

IAU île

-de-F

rance

Page 92: Les villes face à l'insécurité. Cahier n° 155€¦ · N° 155 - juin 2010 trimestriel - 18 € ISSN 0153-6184  Les villes face à l’insécurité IAU île-de-France

Le Maroc s’ouvre au XXIe sièclemai 2010France : 30 €Étranger : 32 €

Le Bassin parisien,une méga-région ?février 2010France : 18 €Étranger : 20 €

Composer avec l’environnementoctobre 2009France : 18 €Étranger : 20 €

Stratégies métropolitainesjuin 2009France : 18 €Étranger : 20 €

Vers une mobilité durable enEuropemars 2009France : 30 €Étranger : 32 €

Envies de villesdécembre 2008France : 18 €Étranger : 20 €

En vente à l’IAU île-de-France15, rue Falguière, 75740, Paris Cedex 15 - Tél. : 01 77 49 79 38 - www.iau-idf.fr

Derniers Cahiers parus

n° 152

n° 149

n° 153

n° 150

n° 154

n° 151

IAU île

-de-F

rance