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Les Wikis Espace de l'intelligence collective Jérôme Delacroix

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Les espaces de l'intelligence collective.Créer, travailler, découvrir ensemble sur Internet.Premiers indices: les wikis sont des sites Web librement modifiables par leurs visiteurs, sans difficulté technique. Leurs multiples applications vont des encyclopédies aux intranets d'entreprise en passant par la vie associative et l'enseignement... Sur un wiki, l'internauire ne se contente plus de surfer: il devient créateur d'une oeuvre commune. Des liens sociaux se créent et le rapport à la connaissance évolue vers une capitalisation globale du savoir.Sommaire1. Les wikis, des sites Web pas comme les autres2. Les wikis pour créer et organiser des connaissances : l’exemple de Wikipédia3. Les wikis dans l'entreprise4. Apprendre à apprendre à l'ère de la coopération5. Les livres ont la parole6. Wiki or not wiki ? Comparaison avec les autres logiciels7. Comment faire vivre un wiki ?8. Installer et héberger un wiki9. L'avenir des wikis

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Découverte des wikis

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Jérôme Delacroix

Les Wikis

Espaces de l’intelligence collective

M2 Editions

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V1.0 - ISBN: 2-9520514-4-5

Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés pour tous pays.

Copyright (c) M2 Editions 2005

M2 Editions

Paris m2editions.com

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Jérôme Delacroix est un consultant et journaliste passionné par les nouvelles technologies, leur diffusion auprès du grand public et leur influence sur les rapports humains. Comme consultant, il est intervenu sur des projets de refonte de la stratégie, de l’organisation et des systèmes d’information auprès d’organisations variées : grandes entreprises, établissements scolaires, collectivités locales… Parallèlement, il a développé une activité de journaliste et de vulgarisateur technologique. Jérôme Delacroix propose également des formations et des conférences sur les démarches et technologies coopératives.

Il est diplômé de HEC et de l’Ecole Centrale Paris.

Pour toute remarque sur ce livre, vous

pouvez contacter l’auteur sur www.leswikis.com ou par mail à : [email protected].

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« C’est en les pénétrant d’explication tendre,

En les faisant aimer, qu’on les fera comprendre. »

Victor Hugo, Les Contemplations,

Livre premier (Aurore), "A propos d'Horace".

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Remerciements Un grand merci à :

• Ward Cunningham, l'inventeur des wikis, sans qui ce livre n'aurait pas existé

• mes parents et amis, notamment Alexandra, Christophe, Effie, Eldon, Jean-Marc et Udy, pour leurs encouragements

• mon éditeur, M2, qui a fait le pari de publier un livre pour populariser les wikis auprès du plus grand nombre

• Christophe Ducamp et Arnaud Fontaine pour l'organisation des WikiSchools

• Henri Ly, Aiqing Zheng, Yann Gourvennec, Fabrice Deblock, pour leur relecture

• Mario Asselin, Pierre Lachance, Helmut Leitner, Mark Guzdial pour leurs témoignages sur les wikis dans l'éducation

• Charles Nepote, Crawford Currie, Ludovic Dubost, Pierre Bernard pour leurs éclaircissements sur la technologie

• Laurent Jacques, Benoît Audouard, Cyril Fiévet pour leurs explications sur les usages en littérature

• Joe Krauss, Dominique Quatravaux, Markus Egger, Gilles Lemaire pour leur expérience des wikis professionnels

• Isabelle Vodjdani pour ses connaissances juridiques

• Nicolas Weeger, Florence Devouard, Valentina Paruzzi pour leurs travaux sur Wikipedia et tous ceux que je n'ai pas la place de

citer ici mais dont l'appui a été très précieux !

Jérôme Delacroix

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les Wikis Sommaire

1. Découverte des wikis ................... 21 1.1. Présentations ...................... 21 1.2. "Et pourtant, ils tournent !" ...... 22 1.3. Un wiki, pour quoi faire ? ......... 28

2. L’exemple de Wikipédia ................. 35 2.1. Une encyclopédie libre et

collaborative .............................. 36 2.2. Que trouve t-on sur Wikipedia ? .... 37 2.3. Les objectifs du projet ............ 40 2.4. Une progression fulgurante ......... 41 2.5. Vingt-quatre heures dans la vie d’un

Wikipédien ................................. 41 2.6. Quand Wikipédia se décline ......... 43 2.7. Quelques principes de l'étiquette

wikipédienne ............................... 44 2.8. Les débats autour de Wikipédia ..... 48 2.9. Conclusion ......................... 55

3. Les wikis dans l'entreprise ............ 60 3.1. Les usages en interne .............. 61 3.2. Les usages avec les partenaires

extérieurs ................................. 68 3.3. Les principaux avantages pour

l'entreprise ............................... 69 3.4. Le WikiBusiness a le vent en poupe . 76

4. Apprendre à apprendre .................. 79 4.1. Le management d’une équipe éducative80 4.2. L’utilisation avec les étudiants ... 82 4.3. Les nouveaux rôles du professeur ... 87 4.4. Les bénéfices pour les apprenants .. 89 4.5. Conditions nécessaires de succès ... 91 4.6. La rédaction collective de manuels

scolaires .................................. 92 4.7. De l’apprentissage coopératif à

l’apprentissage de la coopération .......... 95 5. Les livres ont la parole .............. 100 5.1. Les wikis stimulent les neurones :

essais, documents et prospective .......... 101 5.2. Des romans à mille mains .......... 104

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5.3. Traduction collaborative .......... 117 6. Wiki or not wiki ? ................... 122 6.1. Le paysage des outils coopératifs . 122 6.2. Les avantages des wikis ........... 136 6.3. Quelques inconvénients des wikis .. 141 6.4. Quand utiliser un wiki ? .......... 150

7. Comment faire vivre un wiki ? ........ 155 7.1. Le wiki pour fédérer une communauté155 7.2. L’animation du wiki ............... 159 7.3. La « Wiki Etiquette » ............. 163 7.4. La « douce sécurité » des wikis ... 166 7.5. Typologie des acteurs sur un wiki . 170

8. Installer et héberger un wiki ........ 177 8.1. Héberger son wiki dans une « ferme »

ou installer son propre moteur ? ......... 178 8.2. Quelle ferme choisir ? ............ 184 8.3. Quel moteur choisir ? ............. 191 8.4. Pour aller plus loin : des offres

commerciales à valeur ajoutée ............ 199 9. L'avenir des wikis ................... 202 9.1. Les wikis, une technologie en phase

d'adoption ............................... 203 9.2. Les wikis du futur ................ 205 9.3. Le lent apprentissage de la

participation ............................ 211 10. Conclusion .......................... 216 11. Le wiki du livre .................... 219 11.1. leswikis.com : présentation ...... 219 11.2. Les différentes rubriques ........ 220 11.3. Comment participer ? ............. 222 11.4. Fonctionnalités avancées ......... 228 11.5. Autres fonctions utiles .......... 233

12. Les mots du Wiki .................... 236 13. Bibliographie ....................... 243 14. Webographie ......................... 245

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Introduction Lorsque Ward Cunningham, informaticien de

Portland (Oregon) crée son site portail sur le développement de logiciels (le Pattern Repository Project) en 1995, il était loin de se douter qu’il enclenchait une révolution. Passionné de programmation, il voulait partager ses découvertes avec ses amis et collègues développeurs, sur un site où tout le monde pourrait participer. Petit à petit, les contributions se sont accumulées. Les programmeurs échangeaient leurs idées, commentaient, corrigeaient, biffaient, comme sur un gros bloc note partagé. Comme ce site était vraiment simple et rapide à utiliser, Ward, amoureux sans doute des plages ensoleillées de Hawaii, eut l’idée de l’appeler « Wiki », ce qui signifie « vite » dans la langue de l’île.

Dix ans plus tard, les wikis se sont

multipliés. On en trouve des milliers sur Internet ; les universités, les entreprises, les associations en installent en interne pour gérer des projets. Des wikis d’envergure mondiale, comme l’encyclopédie Wikipedia, voient le jour. En d’autres termes, les wikis ne sont plus réservés aux informaticiens, ils sont utilisés par un public de plus en plus large.

Cet engouement est révélateur d’un nouvel

état d’esprit qui déferle sur la Toile : celui de la coopération généralisée. Aujourd’hui, les internautes s’unissent pour créer une force qui fait voler en éclats les cadres conventionnels de l’économie et de la culture. Les échanges de fichiers musicaux sur les réseaux peer-to-peer obligent les maisons de disques à revoir leurs

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modèles économiques ? La communauté du logiciel libre s’empare de marchés jusque là réservés à des éditeurs de logiciels ayant pignon sur rue ? Ce ne sont que les prémisses d’un monde en construction, massivement coopératif, dans lequel la collaboration de milliers de personnes réparties sur la planète permet de mener à bien des projets inimaginables auparavant. C’est cela, les wikis : des outils permettant à l’intelligence collective de se déployer et d’appliquer des démarches coopératives dans le domaine de la connaissance, de l’organisation, de l’écriture…

Une initiative globale de type Wikipedia est

en fait emblématique d’une nouvelle approche de la coopération, de nouvelles manières de travailler ensemble, que l’on retrouve aussi dans des structures plus petites, de type entreprise ou université. L’objectif de ce livre est de faire connaître au grand public ce que sont les wikis, de décrypter comment ils fonctionnent et ce qu’ils changent dans la manière dont les gens coopèrent, communiquent et vivent ensemble, en ligne et hors ligne.

Les wikis font émerger des paradoxes qui

obligent à mettre en doute des opinions répandues et à sortir des sentiers battus. Comme nous le verrons en détail, un wiki est en substance un site Web dont le contenu peut être modifié par tous ses visiteurs. Le postulat est que chacun possède une parcelle de connaissance et que si l’on donne les moyens aux individus de partager cette parcelle avec la collectivité, on obtiendra au final une somme de connaissances non seulement plus importante que par les moyens traditionnels, mais aussi riche de pépites jusqu'alors ignorées. Cette conception de la connaissance, quelque peu subversive, est aussi à l’opposé de

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l’individualisme. Sur les wikis, les idées prévalent sur les individus qui les expriment. C’est pourquoi il y est non seulement admis mais encore encouragé de retravailler les contenus déposés par d’autres, en les reclassant, complétant, clarifiant, quitte à en modifier la forme (expression). Les contributions anonymes permises sur certains sites témoignent même de l’envie de faire progresser le savoir global, sans revendication de paternité sur les idées. Un autre paradoxe, remettant en cause les postulats de la sécurité informatique, c’est qu’un système ouvert peut être sûr. Les wikis substituent la « sécurité douce », régnant grâce à la surveillance constante exercée sur les contenus par le groupe, à la « sécurité dure » reposant sur les identifiants et autres mots de passe. Le sentiment de sécurité sur un wiki provient donc de la dynamique communautaire et de ses ressorts psychologiques, et non de verrous techniques. Bien sûr, cette dynamique repose nécessairement sur de bonnes pratiques que l’animateur de la communauté doit veiller à faire respecter, pour gérer les conflits qui peuvent survenir. Mais l’idée force est qu’il y a davantage à gagner à favoriser la participation du plus grand nombre en minimisant l’impact des dégradations pouvant survenir, plutôt que de sécuriser à tout crin le système en le rendant hermétique à 80% des utilisateurs.

Les wikis matérialisent donc une vision

optimiste des rapports humains, et cette vision s’avère efficace. A tel point qu’ils sont désormais utilisés dans les entreprises, plus préoccupées de rentabilité que d’expérimentations philosophiques.

Parcours de lecture

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Dans ce livre, nous mettrons toujours en regard les principes à l’œuvre dans les wikis et leurs usages.

Après une présentation du concept au chapitre 1, nous verrons comment il est appliqué dans différents projets, qu’il s’agisse de Wikipédia, le site qui a poussé le plus loin la logique des wikis, ou d’initiatives en entreprise, à l’école ou dans le domaine littéraire (chapitres 2 à 5).

En un deuxième temps, nous nous pencherons sur les aspects pratiques : quels sont les avantages et les inconvénients des wikis par rapport aux autres outils (chapitre 6), comment s’utilisent-ils concrètement, comment installer et faire vivre un wiki (chapitres 7 et 8).

Finalement, nous essaierons de distinguer les évolutions possibles de cette technologie (chapitre 9).

Pour vous lancer sur le site associé au livre (www.leswikis.com) et pratiquer les wikis, c’est au chapitre 11.

Ainsi, il n’y a pas qu’une seule manière d’utiliser ce livre. Si les wikis sont une chose nouvelle pour vous, vous pouvez vous laisser guider en suivant l’enchaînement des chapitres et faire progresser en douceur vos connaissances ; si vous connaissez déjà la technologie et êtes curieux de savoir tout ce que l’on peut en faire, vous pouvez vous concentrer sur les chapitres 2 à 5 ; enfin, si c’est l’aspect pratique qui vous intéresse le plus, rien ne vous empêche de commencer votre lecture par les chapitres 7 et 8, puis de revenir au début.

Quel que soit le parcours que vous choisirez, vous êtes invités, tout au long de votre lecture, à participer sur le wiki associé à l’ouvrage : www.leswikis.com. Vous pourrez y acquérir ou développer une expérience concrète des wikis, prolonger le livre avec vos propres

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exemples et analyses, et entamer un dialogue avec la communauté des lecteurs. Nous sommes impatients d’y découvrir vos contributions.

S’intéresser aux wikis, c’est constater que

le monde ne doit pas être nécessairement régi par un « principe de précaution » poussé à l’extrême et paralysant l’action. Ces sites d’un nouveau genre illustrent au contraire une philosophie selon laquelle l’important, c’est vraiment de participer, avec un précepte : « toutes les contributions sont importantes, aucune dégradation n’est grave ». Les mots d’ordre y sont « principe de confiance », « correction tranquille des problèmes » et « outils de coopération massive ». Nous ne parlons pas d’un monde idéal ou possible, mais d’un monde qui est ici et maintenant, construit jour après jour par des utilisateurs, des auteurs, des informaticiens, des cadres, des professeurs, etc. Venez nous rejoindre...

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1. Découverte des wikis Dans ce chapitre… Découverte du concept de wiki Les wikis : un regard paradoxal sur la connaissance et la dynamique de groupe Un wiki, pour quoi faire ?

1.1. Présentations

nternet fait désormais partie du quotidien. Que ce soit pour rechercher des informations ou pour vous distraire, il vous arrive certainement de « surfer sur le Web » ; peut-être même que la

navigation sur ce réseau des réseaux vous est très familière. Vous êtes habitué à cliquer sur des liens, des images, et à voyager de page en page, sur cet océan de données. Bref, rien de nouveau sous le soleil numérique…

Erreur !

I

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Nous avons le plaisir de vous présenter les WikiWikiWebs ou plus simplement « wikis », des sites d’un nouveau genre qui vont révolutionner votre usage du Web.

Pour simplifier, un wiki est un site Internet que tout le monde a le droit de modifier à sa guise. C’est un site que l’on ne se contente pas de lire, mais sur lequel on a le droit d’écrire. Son nom provient de l’Hawaïen « WikiWiki » qui signifie « vite ».

Imaginez…Vous visitez un site sur l’un de

vos auteurs favoris, et au détour d’un clic, vous vous apercevez d’une erreur dans sa biographie. Immédiatement, vous cliquez sur un bouton « Modifier la page » et vous corrigez l’erreur. Vous en profitez pour ajouter une ou deux anecdotes et quelques liens. Un dernier clic sur « Enregistrer », et voilà ! vous venez de modifier le site en direct.

Vous pouvez même créer de nouvelles rubriques sur le site, sous la forme de nouvelles pages, par exemple pour faire le portrait de l’un de vos personnages préférés, ou faire des comparaisons avec d’autres écrivains…

Tout l’esprit des wikis est là : donner la

parole aux visiteurs et les inciter à contribuer. Les wikis font passer l’internaute qui le souhaite du statut de lecteur à celui de coauteur, très simplement, de manière immédiate, sans aucune formalité.

1.2. "Et pourtant, ils tournent !" « Un site Web modifiable d’un simple clic

par le premier venu, et puis quoi encore ?» Et pourtant…Les wikis fleurissent sur la Toile à un rythme effréné, et en plus ils produisent

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souvent du contenu incroyablement riche, divers et de qualité. Demain, ils seront peut-être la forme normale des sites Internet, et vous vous demanderez comment l’on a pu utiliser des sites monolithiques et intouchables avant.

Vous avez des doutes ? Vous pensez que "ça

ne marchera jamais" ? Voici ci-dessous une FAO (Foire Aux Objections) et quelques réponses pour vous rassurer.

« Si tout le monde peut modifier le site,

ça va devenir n’importe quoi » Le premier réflexe est en effet de se dire

qu’un site écrit par tous ses visiteurs ne pourra pas avoir un contenu de qualité. Les réserves qui viennent immédiatement à l'esprit sont que les participants ne maîtriseront pas leur sujet, que des plaisantins ne manqueront pas de détériorer le site, ou encore tout simplement que personne ne participera. Et pourtant, on trouve sur la Toile de plus en plus de réalisations absolument stupéfiantes de richesse et d’intérêt, sous la forme de wikis. L’exemple le plus frappant est Wikipedia1, une encyclopédie en ligne libre et gratuite. Ecrite par des milliers de bénévoles à travers le monde, dans plus de quarante langues, elle compte à l’heure où sont écrites ces lignes plus d'un million d'articles, couvrant tous les champs du savoir : sciences, art, géographie, histoire, techniques, politique, littérature, religion…Il suffit de la consulter pour être effaré de la variété des sujets abordés et de la qualité de nombreux articles. C’est d’autant plus impressionnant que tout a commencé en février 2001, avec seulement mille pages, et

1 http://www.wikipedia.org

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que la qualité de l’ensemble s’améliore avec le temps2.

« Vous ne sécurisez pas l’accès en

modification du site ? C’est de la folie ! » Une grande partie des wikis sont

effectivement modifiables par tout un chacun. Souvent, il n’est même pas nécessaire de s’identifier. Et quand il est demandé de s'identifier, il arrive qu'aucun mot de passe ne soit demandé ! Cela peut paraître risqué. Et c'est vrai qu'il arrive périodiquement qu’un « vandale » s’aventure sur un wiki et soit efface le contenu, soit écrive des textes stupides ou grossiers. C’est là qu’intervient une caractéristique essentielle des wikis, sur laquelle nous aurons l’occasion de revenir : la conservation de l’historique. Sur un wiki, les versions successives des pages sont mémorisées, ce qui fait qu’il est toujours possible de ramener une page dans un de ses états antérieurs. Alors, pourquoi s’embarrasser de processus d’identification ou de protection compliqués ? Les wikis préfèrent la « douce sécurité »3, consistant à laisser le système le plus ouvert possible. En cas de vandalisme, il sera toujours temps de le réparer en revenant à une version précédente.

Ainsi, c’est un principe d’économie qui est

à l’œuvre : inutile de consacrer beaucoup d’effort à blinder le système, sachant que « rien n’est jamais grave » sur un wiki, puisque l’on peut toujours revenir en arrière.

Par ailleurs, on constate à l’usage que les

actes de vandalisme sur les wikis sont assez rares. D’abord parce que les contributeurs

2 Wikipedia fera l'objet d'une étude détaillée au

chapitre 2. 3 Voir le chapitre 7, « Comment faire vivre un

wiki ? »

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habituels les nettoient systématiquement, un peu comme si dans votre cuisine des milliers de mains invisibles nettoyaient la moindre tache dès son apparition ; ensuite, parce que vandaliser un wiki n’est pas très intéressant pour les plaisantins, qui se lassent vite. Non seulement parce que "taguer" un wiki est trop facile (aucune sécurité à franchir, donc aucune gloire à tirer), mais en plus c’est inutile puisque le dégât sera immédiatement effacé.

Cependant, ce principe d’ouverture

généralisé peut être aménagé en fonction des besoins. Certains wikis choisissent par exemple de rendre la page d’accueil modifiable seulement par l’administrateur ou le propriétaire du wiki ; d’autres préfèrent autoriser uniquement les commentaires sur les pages ; d’autres encore réservent l’accès en édition à des utilisateurs identifiés. Tous les cas sont possibles, pour s'adapter au contexte d'utilisation.

« Je ne vais quand même pas me permettre de

modifier le texte écrit par un autre.» Et pourquoi pas ? Les wikis reposent sur une

conception non individualiste de la connaissance. Il ne s’agit pas de revendiquer la propriété d’un contenu, mais de contribuer à une aventure collective. C’est la raison pour laquelle les contenus sur les wikis sont souvent soit libres de droits, soit propriété d'une communauté (entreprise, association... ).

L’idée est que si vous constatez une erreur,

une approximation, dans un texte, vous êtes le bienvenu pour la rectifier. Vous êtes aussi encouragé à le compléter, ajouter des exemples, des notions proches, à créer les pages manquantes, etc.

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Le participant initial qui adhère à cette

philosophie vous sera reconnaissant d’avoir amélioré le texte. Parfois, des discussions peuvent s’engager, en cas d’opinions divergentes. Au final, l’objectif est de progresser vers une conception commune, dépassant les contradictions.

Idéaliste, tout cela ? Pas vraiment. Mais il

est vrai que cette démarche repose sur une conception optimiste de l’être humain et de la dynamique des groupes. Une conception selon laquelle « nous sommes tous plutôt bien équipés pour écrire et pour communiquer les uns avec les autres, nous avons tendance à ne pas interférer sur l’espace des autres, nous avons tous plutôt tendance à ne pas dire de sottises, et nous avons plutôt tendance à vouloir contribuer »4 si l’occasion nous en est donnée. Nous ne sommes pas tous aussi positifs, et nous ne le sommes pas tout le temps. Mais en tendance, les attitudes constructives domineront, ce qui permet au système de fonctionner.

« Moi aussi, je peux m’exprimer ? » Bien sûr, allez-y. La grande force du wiki,

c’est de briser l’inhibition que nous pouvons avoir avant de contribuer. Souvent, nous sommes timides, nous sous-estimons la portée de nos contributions ou au contraire la surestimons et cherchons donc à peaufiner notre texte avant de le mettre en ligne… Les excuses et les freins sont nombreux, qui font que nous hésitons à publier un article sur Internet ou à poster un message sur un forum. D’autant que s’ajoute

4 « We all know quite a bit about writing and

talking together; we tend not to mess up one another's space, we tend not to talk trash, and we tend to try to contribute. », http://nomos.zhwin.ch:8000/esn-winterthur/help

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parfois une difficulté technique. Les moyens traditionnels de publication sur Internet ne sont pas simples, loin s'en faut. D'abord, des connaissances en HTML sont souvent nécessaires ; ensuite, il faut savoir comment envoyer ses fichiers sur son serveur d’hébergement, comment faire apparaître des images, etc. Les wikis facilitent grandement la tâche. Un seul clic ouvre la page en édition ou permet de créer une nouvelle page. Certains wikis permettent aussi d’insérer des images de manière très aisée. L’obstacle technique est donc grandement levé. L’obstacle psychologique aussi, puisque personne ne vous en voudra sur un wiki de n’écrire que quelques lignes, de poster une anecdote ou un petit commentaire à un texte existant. Toutes les contributions, petites et grandes, ne serait-ce qu’orthographiques, sont les bienvenues, puisque c’est leur somme qui fera la qualité finale du contenu.

« Si tout le monde peut créer des pages, ce

sera vite un beau désordre » Le principe du wiki est de n’imposer au

départ qu’une armature légère, un plan de site rudimentaire, avec par exemple une page d’accueil, et une série de pages standards installées par défaut, variable selon le logiciel ( « moteur ») de wiki utilisé5. Ensuite, les utilisateurs (à la fois lecteurs et contributeurs) du wiki peuvent laisser libre cours à leur imagination pour créer de nouvelles pages. Il n’y a donc pas de plan de site fixé au départ. Le site se construit au fur et à mesure. Parfois, des pages sont créées et restent presque vides quelque temps, avant

5 Voir le chapitre 6, « Wiki or not wiki ? »

pour plus de détails

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qu’un « wikiste » ou « wikinaute » ne vienne la remplir ; parfois, des doublons peuvent apparaître. C’est pourquoi il est nécessaire de nettoyer régulièrement le wiki, de supprimer les pages vides depuis très longtemps, de réorganiser pour supprimer les redondances, etc. C’est ce que l’on appelle le « jardinage » ou la « refactorisation » dans le jargon du wiki. Ce point sera lui aussi évoqué en détail dans les chapitres suivants. Ce qu’il faut retenir à ce stade, c’est que le wiki se structure petit à petit, un peu comme un être vivant qui grandit.

« D’accord, pour des projets artistiques et

communautaires. Mais ça ne marchera jamais en entreprise… »

Les wikis seraient-ils réservés à des

happenings artistiques sur Internet, ou des expériences communautaires comme Wikipedia, sans applications professionnelles ? Au contraire. Non seulement ils trouvent aussi des applications dans le milieu associatif et universitaire, mais les entreprises s’en servent de plus en plus pour piloter des projets ou gérer leur base de connaissances. Des sociétés comme Disney, British Telecom, Michelin, mais aussi des PME, les utilisent dans leurs équipes. Ceci sera vu en détail dans le chapitre 3, consacré aux wikis en entreprise.

1.3. Un wiki, pour quoi faire ?

La voix de la communauté

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Les wikis sont le moyen idéal pour partager

des informations entre des personnes appartenant à un même groupe ou partageant un même centre d’intérêt. Il peut s'agir d'une communauté réelle, comme une association ou un club, ou purement virtuelle. Dans le premier cas, on peut citer les wikis d'étudiants permettant à ceux-ci d'organiser des événements sur leur campus, par exemple6. Un club de football local peut aussi utiliser un wiki pour informer les joueurs des dates et lieux des entraînements, pour analyser collectivement des rencontres passées et transmettre en ligne la convivialité des terrains par des discussions libres. A une échelle plus large, un wiki peut être un outil d'information pour les habitants d'une ville. Ils peuvent partager des renseignements pratiques (plans de quartiers ou de transports, horaires des administrations), relayer des événements locaux (marchés, expositions, ouverture d'un nouveau magasin), apporter un contenu utile aux touristes (anecdotes sur la ville, photos...)7. Deuxièmement, de nombreuses communautés virtuelles ont déjà choisi un wiki comme plate-forme pour leurs échanges, en raison de la spontanéité qu'ils favorisent8. Le wiki peut aussi se décliner en webzine (magazine en ligne) sur un thème donné. Des fans de cinéma pourront écrire des critiques de films, rédiger des fiches biographiques de réalisateurs, échanger des potins. Des amateurs de poésie pourront soumettre leurs textes sans censure sur des wikis dédiés, recevoir les commentaires

6 Voir le chapitre 4, « Apprendre à apprendre » 7 cf. le projet OpenGuides :

http://openguides.org/ 8 Voir le chapitre 7, « Comment faire vivre un

wiki ? »

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de leurs lecteurs, dans un processus éditorial complètement décentralisé9.

La voix de l’individu

Vous pouvez utiliser un wiki en mode

individuel, sur votre ordinateur de bureau, votre portable, voire votre assistant personnel (PDA), comme un bloc-notes virtuel. Comme sur votre vieux bloc papier habituel, vous pourrez y jeter vos idées, très rapidement, mais avec l’avantage supplémentaire de la navigation hypertexte. En cliquant de lien en lien sur votre wiki personnel, vous pourrez ainsi naviguer d’une note à une autre. Peu à peu, ce journal de bord va se structurer, vous permettant de cartographier votre pensée. Les liens entre les pages wikis seront une matérialisation de vos associations d'idées. Peut-être même ferez-vous de surprenantes découvertes... Rien ne vous empêche non plus de déposer ce bloc-notes électronique sur un serveur. Dès lors, il vous accompagnera partout, et vous ne laisserez plus jamais s’échapper l’éclair de génie. Eventuellement, vous pourrez choisir de laisser votre wiki personnel accessible aux internautes, et les laisser apporter leurs propres commentaires ou contributions, pour enrichir vos réflexions et entamer une discussion.

Le mariage de l'intelligence et de l'imagination

Certains wikis se sont spécialisés dans la

collecte et la culture des idées. Leur mission est d'encourager les internautes à partager leurs idées, des mieux formulées aux plus balbutiantes, dans le but de les faire se

9 cf. Interface Magazine :

http://interface.dreamhost.com/InterFaceMagazine

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confronter, mais aussi se croiser et se reproduire. Un exemple d'un tel laboratoire d’«ICM » (Idées Coopérativement Modifiées) est i-Generator10. Il s'agit d'un wiki francophone destiné à stimuler la créativité, quel que soit son domaine d’expression (technologie, art, création d’entreprise, vie associative). Les innovateurs sont invités à contribuer en présentant leurs initiatives et en participant à celles des autres. Ils ont le choix de développer complètement leur projet sur le site, ou de l'utiliser comme une vitrine leur permettant de recevoir des avis extérieurs. L'objectif est de susciter et d'encourager les projets imaginatifs, pour qu'ils se réalisent concrètement. Parmi les initiatives en cours, on peut citer la démarche philosophique, artistique et politique de Mathieu Coste, Les Ateliers du Soleil11, dont l'un des aspects consiste à fabriquer des objets communicants, qui racontent l'histoire des hommes et des femmes qui ont contribué à leur existence ; ou bien encore MiNiNet12, construction d'un dispositif simple et peu coûteux pour favoriser l'usage du numérique et de l'Internet.

Le wiki peut aussi servir de réceptacle et

de catalyseur pour une réflexion coopérative, qu'elle soit théorique ou appliquée. C'est ainsi que la FING (Fondation Internet Nouvelle Génération) utilise un wiki pour différents groupes de travail, notamment celui sur l'Intelligence Collective (IC), cette "capacité humaine de coopérer sur le plan intellectuel pour créer, innover, inventer."13 Les membres

10 http://www.igenerator.net 11 http://www.lesateliersdusoleil.com 12 http://igenerator.net/index.php/MiniNet 13 Source : wiki du groupe de travail IC de la

FING,

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peuvent y apporter leurs contributions en termes d'idées, de liens intéressants à visiter, de livres à lire, et en retirer de nouvelles connaissances. Cette intelligence collective, qui était restée longtemps difficile à appréhender, peut enfin être étudiée en pratique grâce à des outils comme les wikis.

Comment devenir plus riche en échangeant des

idées Les idées sont des entités bien

particulières…Plus on les échange, plus elles se multiplient !

Si vous et moi avons chacun un objet, en

faisant un échange, nous nous retrouvons toujours chacun avec un objet.

Mais si chacun de nous a une idée et

l’échange avec l’autre, à la fin, nous nous retrouvons avec deux idées chacun.

Décidément, la coopération a bien des

attraits… Maintenant que les présentations sont

faites, que diriez-vous d'explorer sur le terrain comment des milliers de personnes utilisent quotidiennement les wikis dans leurs projets ? Tel est l'objet des chapitres qui suivent...

http://www.fing.org/wikini/wakka.php?wiki=PresentationDuGroupeIC

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Découverte des wikis

33

--------------- Modifier le chapitre --------------------

Espace de notes, de commentaires pour leswikis.com, de réflexions…

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34

Page 28: Les Wikis Espace de l'intelligence collective Jérôme Delacroix

L’exemple de Wikipédia

35

2. L’exemple de Wikipédia Dans ce chapitre… Une encyclopédie en ligne, libre et

collaborative Un projet particulièrement ambitieux L’étiquette wikipédienne Une encyclopédie en questions

es wikis sont des outils de choix pour appliquer des démarches de coopération dans la production de connaissance. L’exemple phare de cet usage est l’encyclopédie mondiale

Wikipedia. Ce projet mérite qu’on s’y arrête car il soulève énormément de questions sur ce qu’est la connaissance, la vérité, la confiance, l’autorité…Par ailleurs, si les wikis permettent de découvrir le monde et de cartographier l’état actuel du savoir, ils peuvent aussi être un catalyseur pour imaginer le monde de demain.

L

Page 29: Les Wikis Espace de l'intelligence collective Jérôme Delacroix

36

2.1. Une encyclopédie libre et collaborative Wikipedia est certainement le wiki le plus

visible et le plus célèbre sur la Toile. Une recherche sur « wiki » dans Google ramène directement sa page d’accueil comme premier résultat. Ce n’est guère étonnant, si l’on songe qu’il s’agit aujourd’hui du plus gros wiki du monde ! Il s’agit en substance d’une encyclopédie, traitant, comme telle, des sujets les plus divers : histoire, sciences, arts, politique, géographie…Ses deux principales caractéristiques sont la liberté et son caractère massivement collaboratif.

La liberté, c’est d’abord celle qui est

offerte à tout internaute visitant le site d’en modifier le contenu. S’il est possible de participer plus activement à la communauté des « Wikipédiens » en s’enregistrant, cela n’est pas obligatoire : il est tout à fait possible de contribuer de manière anonyme. Deuxièmement, tous les contenus sont ici publiés sous une licence libre (voir encadré). En éditant les pages et en sauvegardant leurs modifications, les contributeurs occasionnels ou réguliers acceptent donc de voir leurs apports repris sur d’autres sites, amendés ou complétés par d’autres utilisateurs. Ils s’engagent également à ne déposer que du contenu dont ils sont l’auteur ou pour lequel ils ont l’accord des ayants-droits. Troisièmement, la liberté de Wikipedia s’entend aussi financièrement. Bien que l’accès au site soit totalement gratuit, il est exempt de publicité. Les ressources du projet proviennent exclusivement de dons, et la communauté est particulièrement efficace dans

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L’exemple de Wikipédia

37

leur collecte14. Enfin, la liberté pénètre les rouages mêmes du site, dont le moteur, Wikimedia, est un logiciel libre.

L’autre caractéristique de Wikipedia est sa

dimension massivement collaborative. La communauté wikipédienne « officielle », forte de 100 000 membres enregistrés, ne représente qu’une infime partie des contributeurs. Lorsque l’on visite le site, il se révèle en effet particulièrement difficile de résister à la tentation de corriger ici une faute d’orthographe, de rectifier là une erreur ou d’ajouter un élément d’information. Wikipedia est le produit de ces millions de contributions15 d’utilisateurs répartis sur toute la planète. Ce caractère global s’étend d’ailleurs au domaine des langues : il existe plus de 40 versions linguistiques actives de Wikipedia (y compris l’espéranto !). Il ne s’agit pas de traductions, mais vraiment de versions régionales, et si certains sujets sont communs, d’autres n’existent que dans une seule langue, car plus spécifiques.

2.2. Que trouve t-on sur Wikipedia ? Wikipedia propose des articles accessibles

selon différents modes de catégorisation, et notamment par grande discipline (Histoire,

14 Sur le premier semestre 2004, ce sont en

moyenne 190 USD qui ont été collectés quotidiennement (source : http://wikimediafoundation.org/wiki/Wikimedia_Quarto/1/Fr-3)

15 40 000 éditions par jour en moyenne (source : ibid.)

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38

Géographie, Sciences…), avec chaque jour un article mis en vedette sur la page principale. On trouve également sur celle-ci une éphéméride et un fil d’actualité. C’est là une originalité de Wikipedia, qui est aussi une encyclopédie du temps présent, avec des articles sur les événements et les personnalités contemporains.

Origine de Wikipédia Wikipedia est né de la rencontre de deux

idées, incarnées par deux hommes : l’encyclopédie collaborative sur Internet, représentée par Larry Sanger, et le wiki, concept amené par Ben Kovitz. La naissance de Wikipedia remonte à une conversation entre ces deux protagonistes en janvier 2001.

A cette époque, Larry Sanger était éditeur en chef de Nupedia16, une encyclopédie collaborative en-ligne née quelques mois plus tôt. La notion de liberté était déjà présente, puisque les articles publiés par Nupedia étaient librement réutilisables, mais des contraintes de taille avaient été imposées par les fondateurs : une stricte sélection des auteurs d’articles, qui devaient idéalement posséder un doctorat, et un processus de relecture et de validation des articles systématique. Ces mesures créaient des problèmes difficiles à résoudre : quels auteurs sélectionner comme faisant autorité dans un domaine ? Comment traiter les sujets récents pour lesquels il n’y a pas d’expert largement reconnu ? La chaîne éditoriale était également très complexe puisque pas moins de sept étapes séparaient le moment où un article était confié à un auteur et sa mise en ligne. En conséquence, le nombre d’articles restait très limité.

16 Le site a été définitivement fermé le 26

septembre 2003.

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L’exemple de Wikipédia

39

C’est alors que Ben Kovitz exposa à Larry Sanger le concept de wiki, au travers de sa propre expérience de contributeur actif au Portland Pattern Repository de Ward Cunningham. Larry Sanger a compris immédiatement qu’un wiki pourrait constituer une solution souple pour relancer le projet d’encyclopédie collaborative. Il réussit à convaincre son employeur, Jimmy Wales, PDG du portail Internet Bomis.com, de financer en grande partie cette nouvelle initiative, qui fut baptisée Wikipedia en contraction de « Wiki » et de « Nupedia ». Le site wikipedia.com fut mis en ligne le 15 janvier 2001, avec une adresse en propre pour bien le distinguer de son parent Nupedia.

En tant que salarié de Bomis, Larry Sanger a exercé la double responsabilité de rédacteur en chef de Nupedia et de dirigeant non officiel de Wikipedia jusqu’en mars 2002. A cette date, Bomis, victime comme beaucoup d’autres sociétés, de l’éclatement de la « bulle » Internet, a été contraint à se séparer d’un certain nombre de collaborateurs. Larry Sanger a dû ainsi quitter ses fonctions de rédacteur en chef de Nupedia et de co-leader de Wikipedia. Depuis lors, cette dernière opère par consensus, utilisant les règles et recommandations créées au cours du temps par les différents contributeurs, au nombre desquels figure toujours Larry Sanger.

En août 2002, sous l’impulsion de Jimmy Wales, qui avait pris entre temps le plein leadership sur le projet, l’adresse du site fut changée de Wikipedia.com à Wikipedia.org, pour souligner l’aspect non commercial. Le 20 juin 2003, la Wikimedia Foundation a été instituée pour piloter et financer Wikipedia et ses projets affiliés. Elle poursuit l’objectif d’encourager la naissance et la croissance d’initiatives visant à diffuser sur des wikis, gratuitement et sans publicité, des contenus

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40

librement réutilisables. Jimmy Wales a transféré la propriété des noms de domaine Wikipedia, Wiktionary et Nupedia, entre autres, à la fondation, ainsi que les droits de tous les contenus relatifs à ces projets créés par Bomis ou Wales lui-même.

2.3. Les objectifs du projet Jimmy Wales, co-fondateur de Wikipédia et

directeur de la Fondation Wikimedia qui gère les destinées du projet, décrit la mission de Wikipedia en ces termes : « distribuer gratuitement la totalité du savoir mondial à chaque être humain sur notre planète, dans la langue de son choix, sous une licence libre qui permet de le modifier, de l'adapter, de le réutiliser et de le redistribuer à volonté. Et quand je dis ‘chaque être humain’, c'est exactement ce que je pense. Nous devons donc nous souvenir qu'une grande partie de notre public potentiel n'a pas encore un accès fiable à l'Internet, quand il en a un.17» Ce dernier point explique les mesures prises pour distribuer Wikipedia autrement que sur le Web, sur CD-ROM par exemple18, ou encore, pourquoi pas, sur papier. Deux expériences ont déjà été menées en ce sens en Allemagne, avec la commercialisation sous forme papier de

17 Numéro inaugural de la lettre d’information de

la Wikimedia Foundation, Wikimedia Quarto : http://wikimediafoundation.org/wiki/Wikimedia_Quarto/1/Fr-1

18 A l’heure où sont écrites ces lignes, un accord serait en cours entre la Wikimedia Foundation et Mandrakesoft pour inclure une version hors-ligne de Wikipedia dans la prochaine distribution de Mandrakelinux.

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L’exemple de Wikipédia

41

compilations d’articles de Wikipedia, les WikiReaders19.

2.4. Une progression fulgurante Le contenu de l’encyclopédie connaît une

croissance exponentielle : débutant avec 1000 pages en février 2001, elle a dépassé le million d’articles toutes langues confondues en septembre 2004, soit largement plus que de prestigieuses concurrentes, comme l’Encyclopaedia Britannica (environ 65 000 articles)20. Actuellement, 2 500 nouveaux articles sont ajoutés chaque jour, et dix fois plus sont modifiés21.

2.5. Vingt-quatre heures dans la vie d’un Wikipédien

S’il y a autant de façons d’utiliser

Wikipedia que d’individus, c’est devenu pour certains une vraie passion. Au point que la communauté a forgé le néologisme « wikipédiholisme »22 pour désigner la

19 Deux WikiReaders sont actuellement disponibles

sous forme papier, l’un sur la Suède, l’autre sur Internet : http://shop.wikipedia.org/

20 C’est bien le nombre d’articles toutes langues confondues qui est un bon indicateur de la vitalité de l’encyclopédie, car, comme nous l’avons vu, les articles sur un même sujet ne sont pas identiques d’une langue à l’autre et constituent à chaque fois des articles originaux.

21 Wikimedia Quarto n°1 22http://fr.wikipedia.org/wiki/Wikip%C3%A9dia:Wik

ip%C3%A9diholisme

Page 35: Les Wikis Espace de l'intelligence collective Jérôme Delacroix

42

pathologie dont seraient atteints les contributeurs les plus acharnés ! Sans en arriver à ces extrêmes, la journée d’un wikipédien moyennement actif pourrait ressembler à ceci23 :

• Le matin : lever, toilette, éventuellement

petit-déjeuner et démarrage du navigateur Internet qui s’ouvre évidemment sur la page d’accueil de Wikipédia.

• Prise de connaissance de l’article du jour, de l’éphéméride, du fil d’actualité. Ajouts, correction et demandes de précisions.

• Lecture des messages laissés par d’autres membres sur sa page de discussion. Vérification également de sa « liste de suivi », où le wikipédien peut prendre connaissance des dernières modifications apportées aux articles qui l’intéressent. Au fil de sa navigation, corrections orthographiques mineures, ajouts de références, corrections de liens cassés …

• Visite au Bistro24, page de discussion sur les sujets intéressant les wikipédiens.

• Au cours de la journée, au bureau, chez lui ou à l’école, le Wikipédien reste en contact avec les autres membres de la communauté sur des salons de discussion instantanée.

23 Ce déroulé ignore volontairement les activités

sociales qui ne manquent pas, fort heureusement, d’occuper notre wikipédien dans la « vraie vie » !

24 http://fr.wikipedia.org/wiki/Wikip%C3%A9dia:Le_Bistro

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L’exemple de Wikipédia

43

• Enfin, après sa journée, il peut profiter de la tranquillité du soir pour écrire de nouveaux articles !

2.6. Quand Wikipédia se décline L’ambition de Wikipedia est d’être une

encyclopédie au sens plein du terme, et pas autre chose. Mais ses principes directeurs ont donné lieu à des projets apparentés, dont sept sont rentrés dans une phase active :

• Wiktionary25, dictionnaire et thesaurus

multilingue.

• Wikiquote26, pour recenser les citations d’auteurs et les proverbes de toute la planète.

• Wikibooks27, pour mettre en ligne gratuitement des textes à visée pédagogique au contenu libre. (Voir le chapitre 4, «Apprendre à apprendre» )

• Wikisource28, une collection de textes dans le domaine public ou sous licence GFDL

• Wikicommons29, un répertoire centralisé d’images, enregistrements et textes réutilisables dans tous les projets Wikimedia. 25 http://www.wiktionary.org 26 http://www.wikiquote.org 27 http://www.wikibooks.org 28 http://www.wikisource.org 29 http://commons.wikimedia.org

Page 37: Les Wikis Espace de l'intelligence collective Jérôme Delacroix

44

• Wikispecies30, un annuaire des espèces vivantes

• Wikinews31, réalisation et mise en ligne collaborative de reportages sur des faits d’actualité.

2.7. Quelques principes de l'étiquette wikipédienne

Pour faciliter la vie commune sur les pages de Wikipédia, les participants sont invités à respecter une certaine philosophie, ainsi que des règles de bonne conduite ou étiquette, dont les caractéristiques les plus importantes sont les suivantes :

La neutralité de point de vue (NPOV32, Neutral Point Of View)

La neutralité de point de vue est peut-être

le principe le plus important dans l’éthique wikipédienne. Il s’agit d’une notion très subtile. Sur un sujet donné, il ne s’agit pas d’exposer un point de vue neutre, mais plutôt d’être neutre dans l’exposé de tous les points de vue. Autrement dit, la ligne adoptée consiste à être le plus exhaustif possible dans l’exposé des thèses en présence, sans en favoriser aucune et sans donner l’impression qu’une interprétation est plus correcte que les autres. Non seulement cet idéal est difficile à atteindre, mais il est également difficile de s’accorder sur le fait qu’il a été atteint ou non. Par souci de responsabilité et de transparence, les Wikipédiens ont donc choisi

30 http://species.wikipedia.org 31 http://en.wikinews.org/wiki/Main_Page 32 http://fr.wikipedia.org/wiki/NPOV

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L’exemple de Wikipédia

45

de faire précéder certains articles controversés d’un avertissement concernant sa neutralité : s’il s’avère que celle-ci soit contestée par certains contributeurs, cela est clairement indiqué, et les lecteurs sont invités à beaucoup de vigilance et d’esprit critique, et à lire la page de discussion de l’article en question33.

Le respect du copyright

Par honnêteté intellectuelle et pour se

prémunir des attaques juridiques, une grande attention est portée au respect du droit d’auteur. Avant d’apporter tout contenu, il est ainsi demandé aux contributeurs de s’assurer que ce contenu est libre de droits, soit parce qu’ils en sont l’auteur, soit parce qu’il est régi par la licence GFDL (voir encadré), soit parce qu'ils ont obtenu l’autorisation de l’auteur, et dans tous les cas d’être bien sûr que l’auteur comprend et accepte les règles de publication énoncées par la GFDL.

Le respect d'autrui

Les contributeurs à Wikipedia sont

encouragés à nourrir un esprit de convivialité sur le site. Cela implique notamment de respecter les contributions des autres et de ne pas confondre amélioration du contenu avec censure. Deux contributeurs en désaccord sur un point seront invités à régler leur différend sur la page de discussion de l’article, plutôt que de se livrer à des guerres d’édition

33 Voir par exemple l’article sur les sectes :

http://fr.wikipedia.org/wiki/Sectes

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46

stériles34. Dans les échanges, la courtoisie et de rigueur, et les attaques personnelles sont à proscrire.

Quand l'esprit du libre souffle sur la Toile L’invention du système d’exploitation libre

Linux en 1984 et la création de la Free Software Foundation un an plus tard sous l’égide de Richard Stallman ont donné un élan considérable au courant de pensée de l’informatique libre. L’idée était de donner le droit aux utilisateurs d’utiliser, étudier, copier, modifier et redistribuer des programmes informatiques. A cette fin, une licence spéciale, dite GPL (General Public License), a été créée. En vingt ans, cette démarche a connu des succès majeurs : outre Linux, on peut citer le langage PHP, la base de données MySQL, plus récemment le navigateur Internet Firefox…Comme les logiciels sont accompagnés de documentations, il est apparu évident que les logiciels libres devaient être accompagnés de documentations libres. C’est ainsi que la notion de liberté s’est naturellement étendue des programmes aux contenus. Différentes licences sont actuellement proposées aux auteurs pour publier leurs travaux (textes, graphismes, œuvres sonores)…en toute liberté. Parmi les principales, on peut citer :

• GFDL (GNU Free Documentation License)

C’est la licence qui a été choisie, entre autres, par Wikipedia. Elle garantit que les contenus qui y sont publiés puissent être copiés et redistribués, avec ou sans

34 On entend par guerre d’édition le fait pour

deux ou plusieurs contributeurs à un article de continuellement effacer puis remettre leurs contenus respectifs.

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L’exemple de Wikipédia

47

modifications, à des fins commerciales ou non. Par ailleurs, toute reproduction, éventuellement modifiée, d’un document placé sous GFDL, doit elle-même être placée sous licence GFDL35. L’usage de cette licence est recommandé principalement pour les travaux destinés à l’enseignement ou pour des documents de référence.

• Art Libre

La Licence Art Libre36 (LAL) « autorise sans restriction, la copie de l’œuvre, la modification des copies et leur diffusion (gracieuse ou onéreuse). Elle fait obligation de transmettre l’œuvre avec la même licence, la mention de son auteur (et si c’est le cas, des auteurs des versions précédentes), et les références précises permettant de situer la source du travail. Les œuvres ‘conséquentes’ (c’est à dire résultant de la modification d’une autre œuvre) doivent être placées sous la même licence. » (Isabelle Vodjdani, Transactive-exe.org37 ) Cette licence a été conçue pour s’appliquer à des œuvres artistiques, d’où l’importance de la notion d’original : celui-ci est préservé, seules les copies peuvent être modifiées. « La LAL est rédigée en français, et se distingue de bien des licences par la rigueur et la concision de son écriture. Elle est lisible par les non

35 Voir la traduction française de la GNU GFDL

sur Wikipedia : http://fr.wikipedia.org/wiki/GNU_FDL (traduction non officielle, seule la version anglaise fait foi : http://www.gnu.org/copyleft/fdl.html).

36 http://artlibre.org/ 37 http://www.transactiv-

exe.org/article.php3?id_article=95i

Page 41: Les Wikis Espace de l'intelligence collective Jérôme Delacroix

48

juristes. En outre, une très bonne FAQ38 y est associée. » (ibid.)

• Creative Commons

Les licences Creative Commons (CC) sont parties de la volonté de lever les inhibitions créées par l’approche « tous droits réservés », en laissant la possibilité aux créateurs de mettre à disposition leurs créations comme matériau pour d’autres œuvres. Moyennant « certains droits réservés », une œuvre régie par CC peut être redistribuée et modifiée librement. Les licences CC jouissent d’un grand succès sur la Toile, à en juger par la floraison de logos et petites étiquettes les signalant sur des sites Web. Cette popularité ne doit pas masquer leur complexité. Tout d’abord, c’est bien de licences au pluriel dont il faut parler, puisque les CC regroupent six licences généralistes, fruits de la combinaison d’options modulables, ainsi qu’une série de nouvelles licences plus spécifiques. A tel point que le site39 des Creative Commons propose même un outil en ligne40 pour aider les auteurs à choisir leur licence ! Les licences Creative Commons françaises41 ont été lancées officiellement le 19 novembre 2004.

2.8. Les débats autour de Wikipédia Wikipedia constitue une rupture de paradigme

dans la manière dont nous abordons le savoir, et comme telle suscite à la fois un grand enthousiasme et des critiques sévères. Passons en revue les principaux avantages et les

38 Foire Aux Questions, liste des questions les

plus souvent posées, avec leurs réponses. 39 http://creativecommons.org/ 40 http://creativecommons.org/license/ 41 http://fr.creativecommons.org/index.htm

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L’exemple de Wikipédia

49

inconvénients de cette encyclopédie d’un nouveau type.

Les avantages

• La liberté

Le modèle de Wikipédia repose sur la

liberté : d’accéder à la connaissance, de la créer, de la discuter et de la diffuser. Une telle combinaison est unique dans le domaine des outils de savoir.

• Une encyclopédie réellement gratuite

La gratuité de Wikipédia est un atout non

négligeable. Il s’agit d’une gratuité réelle, puisque l’encyclopédie est financée uniquement par des dons, et non par de la publicité ou du sponsoring, que l’utilisateur – consommateur paye toujours finalement au travers des produits qu’il achète. On est ainsi dans une situation très différente des autres encyclopédies en ligne comme Encarta42 de Microsoft (payante) ou même WebEncyclo43 des éditions Atlas.

• Des mises à jour disponibles immédiatement

Contrairement aux encyclopédies classiques,

il n’y a pas besoin d’attendre une prochaine édition pour découvrir les nouveaux articles de Wikipédia, ni les ajouts et corrections aux articles existants. Parce que c’est un wiki, toutes ces modifications sont accessibles dans l’instant.

42 http://fr.encarta.msn.com/ 43 http://www.webencyclo.com

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50

• Le traitement des sujets rares De même que certaines pathologies, dites

« maladies orphelines », ne sont guère étudiées par les laboratoires pharmaceutiques car trop peu de malades en sont atteints pour qu’il soit rentable de les traiter, de même certains sujets de connaissance sont ignorés par les encyclopédies classiques parce qu’ils intéressent trop peu de personnes. On pourrait les qualifier de « sujets orphelins ». Il peut s’agir par exemple d’un sujet sur une petite ville, un compositeur obscur, un dialecte local…Ces sujets ont une chance d’être traités sur Wikipédia : il suffit qu’une personne s’y intéresse et crée un article pour qu’ils rentrent dans l’encyclopédie. Peut-être un jour quelqu’un d’autre aura besoin de cette information, et ne pourra la trouver que sur Wikipédia.

• Une quantité d’information plus grande

La conséquence directe de l’avantage

précédent c’est que l’on trouve potentiellement plus d’information sur Wikipédia que dans les autres encyclopédies. On est donc plus proche de l’idéal d’exhaustivité dans le recensement du savoir.

• Un plus grand nombre d’amendements sur les

articles Parce que chaque lecteur peut devenir

éditeur en quelques secondes, l’activité de relecture et de correction est considérablement plus importante sur Wikipédia que sur un ouvrage classique. C’est autant de filtres permettant d’éviter les erreurs.

• Le plurilinguisme, gage d’une information

étendue

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L’exemple de Wikipédia

51

Parce qu’il est possible, pour un article donné, de passer en un clic à la version en une autre langue, il est possible de trouver dans les wikipédias nationales des informations qui se complètent.

• L’interactivité à l’œuvre

Wikipédia, en tant que wiki, est par essence

interactive. Les lecteurs peuvent poser des questions dans la page de discussion des articles, et obtenir une réponse rapide, chose évidemment impossible avec les encyclopédies traditionnelles. Ils peuvent aussi demander des articles, ou échanger des connaissances grâce au système de la WikiMonnaie (voir encadré).

La WikiMonnaie44, ou l'économie du don Wikipedia repose sur les contributions

bénévoles de chacun, mais celles-ci ne sont pas forcément désintéressées ! Un astucieux système de WikiMonnaie permet aux Wikipédiens de commander des articles ou d’être rétribués pour leurs contributions. Le ψ (prononcez wikipiastre ou wikiro ou wikar ) est une monnaie virtuelle. Tout Wikipédien enregistré, actif depuis plus d’un mois et ayant à son actif plus de 200 contributions peut prétendre à l’ouverture d’un compte dans la WikiBanque et se voir créditer de 20 ψ. Il peut alors lancer des « appels d’offre» pour qui écrira ou complétera un article et proposer un certain

44

http://fr.wikipedia.org/wiki/Wikip%C3%A9dia:WikiMonnaie

Page 45: Les Wikis Espace de l'intelligence collective Jérôme Delacroix

52

nombre de ψ en échange. A l’inverse, il peut également gagner des ψ en répondant aux demandes des autres. Un moyen amusant pour obtenir les connaissances que l’on cherche et stimuler les contributions.

Les inconvénients

Nous nous intéresserons ici aux critiques

spécifiquement relatives à Wikipédia, et non pas à celles concernant les wikis en général, qui ont été abordées au premier chapitre.

• La variabilité du contenu

Le contenu de chaque page est toujours

susceptible d’être modifié. Ceci peut constituer un obstacle à l’utilisation de Wikipédia comme référence. En toute rigueur, lorsque l’on cite un extrait d’un article de Wikipédia, on devrait toujours préciser la version de la page.

• La variance de la qualité des articles45

On trouve sur Wikipédia des articles de

grande qualité côtoyant des ébauches ou même des pages à créer. La qualité n’est donc pas du tout homogène. C’est là un inconvénient majeur, qui rend difficile les comparaisons avec les encyclopédies traditionnelles.

• Le manque de recul

Wikipédia est encore très jeune : elle

rentre à peine dans sa quatrième année. C’est pourquoi ses processus ne sont pas encore stabilisés, ni sa structure. Si l’ensemble du

45 Cf. : http://www.freedom-to-

tinker.com/archives/000675.html

Page 46: Les Wikis Espace de l'intelligence collective Jérôme Delacroix

L’exemple de Wikipédia

53

projet est sous l’égide d’une fondation de droit américain, la Wikimedia Foundation, les entités juridiques locales sont juste en cours de constitution. Surtout, les articles ne bénéficient pas encore du recul des années, contrairement à de prestigieuses consœurs comme l’Encyclopaedia Britannica (sa première édition remonte à 1768 !). Cette jeunesse explique un travail réflexif encore insuffisant, sur ce qu’est Wikipédia, la manière dont elle fonctionne et les orientations qu’elle doit prendre, même si des travaux universitaires commencent à permettre d’y voir plus clair46.

• La porte ouverte aux groupes de pression

Des groupes organisés (lobbies, entreprises,

sectes) pourraient intervenir sur Wikipedia pour défendre leurs intérêts, subrepticement, contrevenant ainsi à la neutralité de point de vue. C’est tout à fait possible en théorie, mais il n’y a pas besoin d’un groupe de pression pour cela : un seul individu suffit. Jusqu’à présent, la communauté wikipédienne est parvenue à contenir le péril. Inversement, la plupart des grands médias (chaînes de télévision, journaux, radios…) appartiennent à des groupes industriels, qui pourraient également intervenir sur le contenu éditorial. Le risque est encore plus grand, puisque les lecteurs, auditeurs ou téléspectateurs ne peuvent pas rectifier d’eux-mêmes, et immédiatement, un propos qui serait biaisé ou une information manipulée. L’indépendance de l’information, ou plus précisément dans le cas de Wikipédia, la neutralité dans la

46 Notamment la thèse de sociologie de Valentina

Paruzzi : http://wikisource.org/wiki/Produrre_sapere_in_rete_in_modo_cooperativo_-_il_caso_Wikipedia

Page 47: Les Wikis Espace de l'intelligence collective Jérôme Delacroix

54

présentation de la connaissance, est un problème général. Sa protection est un combat de tous les instants. Cette nécessité est simplement plus visible dans le cas de Wikipédia, en raison de sa nature ouverte.

• Le risque de l’amateurisme

Tout le monde peut écrire sur Wikipédia,

ceux qui savent, et ceux qui croient savoir. De nombreuses inexactitudes ou approximations peuvent être repérées par des spécialistes de certains domaines sur certains articles. Certains sujets pointus ne sont maîtrisés que par des experts, et le processus de relecture par les pairs peut s’avérer inopérant, car rien ne garantit qu’un expert va relire tel ou tel article pour rectifier des erreurs. On peut même arguer que plus il y aura d’articles, plus des erreurs risquent de rester non corrigées, car le nombre d’articles augmente plus vite que le nombre de contributeurs et le temps de chacun n’est pas extensible à l’infini47.

Avantages Inconvénients

• La liberté • Une encyclopédie

réellement gratuite• Des mises à jour

disponibles immédiatement

• Le traitement des sujets rares

• Une quantité d’information plus grande

• Un plus grand nombre d’amendements sur les articles

• La variance de la qualité des articles

• La variabilité du contenu

• Le manque de recul • La porte ouverte

aux groupes de pression

• Le risque de l’amateurisme

47 Cf. ibid., commentaire attribué à Jeremy Rosen

Page 48: Les Wikis Espace de l'intelligence collective Jérôme Delacroix

L’exemple de Wikipédia

55

• Le plurilinguisme, gage d’une information étendue

• L’interactivité à l’œuvre

Tableau 1 : les avantages et les inconvénients de Wikipédia

2.9. Conclusion L’existence de Wikipédia renouvelle des

questions anciennes. Qu’est-ce que le savoir ? A qui faire confiance ? Qu’est-ce que la vérité ? Si la réalité est immuable, dans le sens que ce qui est, est, et qu’on ne peut pas faire que ce qui fut n’ait jamais été, la connaissance de la réalité, elle, peut varier. Les plus hautes autorités et le bas peuple se sont rejoints pendant des centaines d’années pour dire que la Terre était plate. Et puis finalement, la science nous a montré qu’elle était ronde. Notre planète n’avait pas changé ; c’est notre regard sur elle qui avait évolué.

De la même façon, sur Wikipédia, tout peut

toujours changer. N’y a-t-il pas quelque chose d’orwellien dans cette plasticité des écrits ?

Non, et pour plusieurs raisons. La première,

c’est que Wikipédia est respectueuse de l’Histoire, qui prend ici la forme de l’historique des versions. On peut toujours consulter les versions précédentes d’un document. Deuxièmement, le contrôle des documents appartient à tout le monde. Le savoir n’est pas ici aux mains d’une autorité suprême qui exercerait un pouvoir qui ne le serait pas

Page 49: Les Wikis Espace de l'intelligence collective Jérôme Delacroix

56

moins ; il est produit et administré par la collectivité.

Cette absence d’autorité sur la connaissance

contenue dans Wikipédia en garantit la liberté, mais en constitue également une limite. La connaissance peut-elle faire l’économie d’une autorité qui la certifie ? Ne parle-t-on pas d’une référence « faisant autorité » ? Dès lors qu’il n’y a pas d’autorité, peut-il y avoir une connaissance ?

On peut répondre que sur Wikipédia, le

groupe se justifie lui-même, en s’auto-régulant. C’est la dynamique de groupe, qui, par un système de corrections mutuelles, évite la présence d’erreurs et de contrevérités. Autrement dit, c’est l’intelligence du groupe qui fait autorité. Et, fait nouveau par rapport aux instances traditionnelles de savoir, chacun peut appartenir à ce groupe et donc participer de cette autorité.

On serait donc en présence d’une production

immanente du savoir, d’une connaissance qui émanerait de la foule des esprits. Cette idée mériterait d’être étudiée en profondeur, et l’on ne peut que se réjouir que des sociologues commencent à se pencher sur la question.

En tout état de cause, cela ne peut

fonctionner qu’avec un processus parfaitement au point. Or la quantité de données traitées par Wikipédia ne doit pas faire illusion : pour l’instant, son processus reste expérimental, et en l’absence d’études et de résultats scientifiques probants, on ne saurait affirmer qu’une démarche de ce type peut produire une base de connaissances valable, voire supérieure aux formes traditionnelles. La page d’accueil du site exprime d’ailleurs clairement dans ses

Page 50: Les Wikis Espace de l'intelligence collective Jérôme Delacroix

L’exemple de Wikipédia

57

« avertissements » que « Wikipédia ne fournit aucune garantie de validité »48.

Les wikipédiens travaillent d’ailleurs à une

amélioration du processus, qui pourrait passer par des « moyens de sélectionner et d'améliorer les meilleures versions de chaque article »49 mais « toujours sans aucune garantie » 50.

On ne saurait donc qu’appeler au plus vif

esprit critique par rapport aux textes de Wikipédia. On préférera notamment les articles citant des sources et références permettant de croiser l’information.

Finalement, on est en droit de se demander

si l’objectif de la production libre et collaborative de la connaissance peut réellement faire l’économie d’un processus de validation un peu formalisé. En attendant une éventuelle évolution dans ce sens, Wikipédia nous rappelle qu’il faut être vigilant face aux sources d’information. A une époque où les médias jouent un rôle de plus en plus important dans la vie politique et sociale, c’est une prise de conscience salutaire.

Wikipedia est vraiment exemplaire de ce que

les wikis permettent de réaliser à très grande échelle, sur le Web. Mais ils trouvent également leur utilité à l’intérieur de structures délimitées, comme une entreprise. Ils servent alors de catalyseurs pour favoriser

48http://fr.wikipedia.org/wiki/Wikip%C3%A9dia:Ave

rtissements_g%C3%A9n%C3%A9raux, version du 5 novembre 2004, 17 :05

49 ibid. 50 ibid.

Page 51: Les Wikis Espace de l'intelligence collective Jérôme Delacroix

58

le déploiement de son intelligence collective, comme nous allons le voir au chapitre suivant.

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L’exemple de Wikipédia

59

----------------- Modifier le chapitre --------------------

Espace de notes, de commentaires pour leswikis.com, de réflexions…

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60

3. Les wikis dans l'entreprise Dans ce chapitre… Coopérer, communiquer, gérer la connaissance

et manager avec les wikis Les wikis comme moyen de relation avec les

partenaires extérieurs Un secteur économique en émergence

es wikis sont des outils d’expression collective, et, comme tels, trouvent de nombreux champs d’applications dans les entreprises. Ce rôle d’outil de communication est très important,

mais les wikis vont plus loin en étant de réels outils de coopération, c’est-à-dire permettant la réalisation de tâches en commun. Leur utilité ne s’arrête pas à l’entreprise elle-même : les wikis sont également utilisés dans les relations avec l’environnement, avec les clients et les partenaires par exemple.

La créativité et la coopération sont devenus des avantages compétitifs clefs pour les entreprises, les wikis y participent activement.

L

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Les wikis dans l'entreprise

61

3.1. Les usages en interne

Réaliser en commun des tâches complexes

Les processus d’une entreprise sont

complexes : raison de plus pour les gérer avec des outils simples dans leur conception et faciles dans leur utilisation, comme les wikis. C’est ce qu’a compris et mis en pratique la société pharmaceutique britannique Cmed Ltd51, qui utilise un wiki depuis le début de 2003.

D’abord utilisé par le département informatique pour conserver une trace structurée de leurs conversations, il a été graduellement étendu à l’ensemble de l’entreprise en remplacement de l’intranet traditionnel. Le wiki est maintenant utilisé pour produire collaborativement une documentation plus étoffée et de meilleure qualité. Autre impact positif : la bonne habitude de numéroter et conserver les versions successives des documents a pu être assimilée par l’ensemble des salariés, alors qu’elle était jusque là plutôt le fait des seuls informaticiens.

Communiquer sans entrave

51 http://www.cmedltd.com. Voir le témoignage sur

l’utilisation de Twiki à : http://twiki.org/cgi-bin/view/Main/TWikiSuccessStoryOfCmed

Page 55: Les Wikis Espace de l'intelligence collective Jérôme Delacroix

62

Les wikis sont une plate-forme de communication intéressante pour les équipes d’une entreprise, qui peuvent tenir informées les autres de leurs travaux. Chaque membre de l’équipe peut s’y exprimer, ce qui est particulièrement motivant car il voit son rôle, ses compétences et ses connaissances reconnus. Ils peuvent également servir pour créer un environnement de travail convivial.

La société Cmed Ltd utilise ainsi également

son wiki pour organiser des événements informels permettant aux salariés de se rassembler de manière décontractée. En France, la direction des filiales métropolitaines du Cetelem a mis en place un wiki sur lequel une trentaine de cadres peuvent publier des informations. La moitié de ces utilisateurs ne sont pas des informaticiens, ce qui montre encore une fois la simplicité d’utilisation de l’outil52.

Suivre les projets

Les outils de planification et de suivi de

projet classiques sont adaptés à des processus industriels établis et récurrents, même complexes, qu’il s’agisse du développement d’un nouveau modèle de voiture ou du déploiement d’un progiciel de gestion. En revanche, pour des projets plus innovants, sans précédent, ils rencontrent des limites. Comment structurer une base des questions ouvertes quand on ne sait pas à l’avance la nature des questions qui vont se poser ? Comment diviser le projet en une série de tâches alors qu’il est encore embryonnaire ? Dans ces phases très en amont d’un projet novateur, le wiki permet d’y voir

52

http://www.indexel.net/1_6_3640__3_/5/17/1/Des_Wikis_poussent_sur_l_intranet_du_Cetelem.htm

Page 56: Les Wikis Espace de l'intelligence collective Jérôme Delacroix

Les wikis dans l'entreprise

63

plus clair en favorisant l’échange d’informations entre les acteurs.

Il est intéressant de constater que de grands groupes industriels utilisent des wikis pour apporter de la souplesse et de la réactivité à des projets informatiques massifs, très structurants, qui pouvaient en manquer jusque là. Ainsi, pour la mise en place de son ERP53, Michelin China a choisi d’utiliser un wiki pour faciliter la circulation d’information à la fois à l’intérieur de l’équipe projet, mais aussi avec les partenaires54.

Améliorer le suivi commercial, le marketing

Un wiki peut être utilisé par des

commerciaux pour documenter leurs relations avec des clients ou l’état des négociations en cours. Il peut servir à enregistrer les réactions de consommateurs lors de réunions préparatoires au lancement d’un produit (focus groups). Couplé à un centre d’appel, il peut permettre d’enregistrer les doléances, remarques ou suggestions de consommateurs, de manière souple et ouverte.

C’est aussi une plate-forme privilégiée pour

aider un département marketing, une entreprise

53 Entreprise Resource Planning, ou progiciel de

gestion intégré : suite logicielle permettant de gérer les processus de l’entreprise, dans les domaines comptables, financiers, Ressources Humaines, etc.

54 http://twiki.org/cgi-bin/view/Main/TWikiSuccessStoryOfMichelinChina

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64

en création à structurer son offre, préciser son positionnement et rédiger son argumentaire commercial. C’est ainsi que « l’utilisation d’un wiki nous à aidé à définir notre proposition de valeur, nos documents marketing en trois fois moins de temps que ce qui aurait été nécessaire avec des moyens traditionnels », nous a confié Xavier Maury, co-fondateur de PubliCooperation.

Organiser la vie de l’entreprise

Que ce soit pour préparer l’ordre du jour

d’une réunion à plusieurs, établir le compte rendu avec les remarques des uns et des autres… les wikis se révèlent être des outils de productivité efficaces. Un exemple détaillé en est fourni dans la suite du chapitre.

Recueillir et partager la connaissance

La gestion de la connaissance en entreprise

est un enjeu stratégique, car celle-ci devient un élément crucial de compétitivité. Les solutions classiques de gestion de la connaissance, ou knowledge management, reposant sur des bases de données, sont bien adaptées à l’enregistrement et la diffusion de données techniques sur les produits de l’entreprise, ou sur les processus, meilleures pratiques et méthodologies. En d’autres termes, ce sont des outils utiles pour conserver et rendre accessible le savoir structuré de l’entreprise. Les wikis permettent également de classer ce genre d’informations, mais de manière plus légère.

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Les wikis dans l'entreprise

65

La société IDEALX55, spécialisée dans les solutions open source pour les entreprises, a pris ainsi l’habitude d’ouvrir un nouveau wiki pour chaque projet client. « Nous y indiquons d’abord les détails pratiques, explique Dominique Quatravaux, ingénieur senior, comme les coordonnées téléphoniques des correspondants ou des adresses d'hôtels par exemple, puis de gestion (lien vers la proposition commerciale, chiffrage des développements) et enfin techniques (emplacement des sources, configuration requise sur le poste de travail du développeur etc.) »

Les wikis sont aussi un moyen de capitaliser

le savoir, même après le départ des collaborateurs de la société. En encourageant leur utilisation, le management préserve la mémoire de l’entreprise. En effet, les wikis font merveille pour recueillir, pérenniser et diffuser les connaissances implicites. Il s’agit essentiellement des savoir-faire des salariés, des observations issues de leur expérience : participation à des projets, relations avec la clientèle, relations sociales, etc.

Les caractéristiques de la connaissance implicite

• Hautement personnalisée Le savoir-faire d’un salarié dépend en

grande partie de sa personnalité, de son savoir-être. C’est pourquoi il est la meilleure personne pour décrire ses expériences, avec ses mots et son propre style.

55 http://www.idealx.com/

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66

• Hautement contextuelle Prenons le cas du commercial d’un

équipementier automobile qui aurait réussi à négocier un contrat de grande ampleur avec un constructeur. L’entreprise a évidemment intérêt à tirer tous les enseignements de ces tractations abouties, pour pouvoir répéter ce genre de succès. Mais la négociation commerciale est inséparable en première approche de son contexte : les produits concernés, les personnalités en présence, la concurrence, le climat économique, l’histoire des relations entre le client et son fournisseur, etc.

Ce qui a fait la réussite dans un cas précis

est visible au travers de mille anecdotes : les rencontres entre les individus, la teneur des messages électroniques échangés, la perception de signaux par le vendeur, son intuition…Parce que la relation commerciale ne peut pas se réduire à des processus, parce qu’elle ne peut être ramenée à une science exacte au risque de s’assécher et de manquer l’essentiel, personne mieux que le vendeur et ses partenaires (chef de produit, responsables logistiques et juridiques, chef de publicité…) ne peuvent en extraire la substantifique moelle.

Le wiki est un outil privilégié pour

recueillir toute cette connaissance, grâce à la spontanéité qu’il permet. Par un processus itératif nourri des contributions de chacun, l’expérience localisée dans le temps et dans l’espace, les savoir-faire implicites, la connaissance floue, peuvent s’expliciter pour donner naissance à des enseignements généralisables.

• Non structurée a priori

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Les wikis dans l'entreprise

67

La vie en entreprise n’est pas une science exacte, les éléments psychologiques qui interviennent dans les relations de travail ou les négociations ne rentrent pas dans des catégories étanches. Pour ce genre d’expertise, la structure souple du wiki convient particulièrement.

• Collective

La réussite d’une équipe sur un projet donné

dépend fortement, nous l’avons vu, des personnalités de chaque membre de l’équipe, mais aussi de leur réseau relationnel, de leurs compétences techniques, de leur connaissance du sujet, et de la manière dont ces quatre éléments se combinent harmonieusement avec l’apport des autres membres de l’équipe. Pour comprendre comment fonctionne cette synergie, le wiki permet aux parties prenantes d’interagir en commentant mutuellement leurs témoignages. Ainsi, au fur et à mesure, se détachent les secrets de la dynamique de succès du groupe.

La spontanéité, source de créativité du

wiki, sa capacité à s’auto-organiser, n’excluent pas une formalisation a posteriori du matériau informationnel collecté. La société Cmed Ltd utilise ainsi son wiki pour stocker et mettre à jour ses procédures et bonnes pratiques, en lieu et place des anciennes versions papier.

Ainsi, le wiki peut servir comme matière

première et comme vivier pour la rédaction de guides de bonnes pratiques. L’avantage du wiki est de permettre ce pont entre la formalisation

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68

théorique et l’expérience terrain, qui restaient jusqu’alors souvent déconnectées.

Ouvrir des espaces de Brainstorming / déballage d’idées

Dans une entreprise de plus en plus éclatée

géographiquement et structurellement, faisant intervenir des partenaires indépendants mais fortement intégrés (intérimaires, free-lances, consultants…), les méthodes classiques de motivation et de stimulation créative (boîtes à idées, cercles de qualité…) sont de plus en plus difficiles à mettre en œuvre. Le wiki offre une solution élégante à cette problématique. Il peut servir par exemple comme média pour un appel à contributions, un concours d’imagination pour de nouvelles méthodes de travail, pour le choix d’un nouveau slogan ou du nouveau nom d’une entreprise, pour l’écriture d’un paragraphe définissant la mission de l’entreprise (mission statement), etc.

3.2. Les usages avec les partenaires extérieurs

Les entreprises ont pris l’habitude de

travailler en réseau, et l’intégration de leurs systèmes d’information est un élément capital pour y parvenir. Néanmoins, cette intégration engendre deux types de difficulté :

• La mise en place de passerelles de

communication nécessite un travail et un coût non négligeables ;

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Les wikis dans l'entreprise

69

• Les systèmes doivent pouvoir échanger des données sans être perméables aux attaques de sécurité. Un wiki privé réservé à des entreprises

partenaires, avec accès protégé par mot de passe, peut être une solution simple, permettant de faire l’économie de frais de développement informatique. Si ce wiki est hébergé chez un prestataire externe, la zone d’échange devient indépendante des systèmes d’information des partenaires, répondant ainsi aux impératifs de confidentialité des données.

3.3. Les principaux avantages pour l'entreprise

Réduire la circulation d’e-mails en conservant une trace des discussions : le cas Nokia

La communication par e-mail a dans un

premier temps considérablement accéléré les processus de l’entreprise. En moins de dix ans, elle s’est généralisée pour échanger des documents aussi bien en interne qu’avec les clients et les partenaires. Aujourd’hui pourtant, l’outil est victime de son succès et arrive à saturation. La quantité de courriels reçus par un salarié atteint des sommets56, entraînant des coûts de traitement et

56 Selon une étude de la société Black Spider, un

employé américain reçoit en moyenne 29 e-mails par jour, auxquels s’ajoutent 44 messages publicitaires ou non sollicités (spam) : http://www.silicon.fr/getarticle.asp?ID=4080

Page 63: Les Wikis Espace de l'intelligence collective Jérôme Delacroix

70

d’archivages devenant astronomiques pour les entreprises. Par ailleurs, les courriels diluent l’information : pour reconstituer l’historique d’une affaire avec un client, il n’est pas rare de devoir assembler des fragments de dossiers répartis comme les pièces d’un puzzle dans une série d’e-mails. Travailler avec un wiki permet au contraire de centraliser toute l’information, avec son historique, tout en gardant sa fraîcheur et une grande réactivité. Intégrer un fil RSS57 sur la page des derniers changements du wiki permet aussi de tenir les collaborateurs informés des toutes dernières évolutions dans leur agrégateur.

Les grandes entreprises sont

particulièrement sensibles à cette nouvelle façon de travailler, car ce sont les plus touchées par l’effet de dispersion créé par le courrier électronique. Parmi les sociétés pionnières à remplacer en partie les courriels par des wikis, on peut citer Nokia, dont le département de veille technologique travaille depuis un an et demi avec Socialtext58 pour augmenter la productivité de ses équipes. En utilisant la solution de l’éditeur californien, Nokia a constaté des progrès à plusieurs niveaux :

• Une réduction du « papillonnage » induit

par les courriels Le courrier électronique a tendance à

diminuer l’attention et à éparpiller l’information. Il est « intrusif », c’est-à-dire que les notifications d’arrivée d’un nouveau message peuvent s’afficher à tout

57 Pour plus d’informations sur les fils RSS,

voir le chapitre 6, « Wiki or not wiki » 58

http://www.socialtext.com/weblog/050208nokiawiki.html

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Les wikis dans l'entreprise

71

instant sur l’écran de l’utilisateur, le détournant de la tâche en cours. En encourageant l’utilisation d’un wiki en lieu et place du courrier électronique, Nokia a pu considérablement réduire ces perturbations et gagner en efficacité.

• Une plus grande puissance dans la

recherche d’information La présence d’un moteur de recherche évolué

dans Socialtext, ainsi que la structuration des informations propres aux wikis, procurent au département « Insight & Foresight » de Nokia un accès plus rapide et plus précis à son capital de connaissance, nerf de la guerre pour ce service chargé d’identifier au plus tôt les innovations technologiques et économiques.

• Recueillir, partager et conserver la

mémoire du groupe Le wiki mis en place chez Nokia permet

également de conserver l’historique des recherches, des rencontres, des projets menés par le département. Cette mémoire collective est dès lors en permanence disponible pour chacun des collaborateurs.

Cet exemple est édifiant à plus d’un titre,

car l’industriel finlandais a aussi fait le choix d’associer son wiki avec d’autres solutions de logiciel social, notamment la messagerie instantanée. Cette dernière permet aux collaborateurs de connaître à tout instant quels sont les interlocuteurs disponibles pour résoudre un problème, et de solliciter leur aide de manière discrète, sans interrompre leur travail.

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72

C’est un complément idéal au wiki, par nature plus asynchrone. La façon dont les wikis sont utilisés chez Nokia démontre que c’est en associant des outils complémentaires, employés aux usages auxquels ils sont le mieux adaptés, qu’il est possible d’atteindre les meilleurs résultats.

Associer flexibilité et puissance : l’exemple d’EPS Software

EPS Software59 est une société d’ingénierie

logicielle dont le siège est à Houston (Texas) mais dont les équipes sont éclatées sur tout le territoire américain et même à l’étranger. Depuis la fin des années 1990, elle a fait un usage intensif et extensif d’un wiki pour son organisation interne. Elle l’utilise dans pas moins de six domaines clés, au cœur de ses processus60 :

• Le développement des produits • Les activités de conseil • La gestion du cycle de vie d’un projet • Le marketing • L’organisation d’événements • La gestion des tâches (To do’s)

Toutes ces activités tirent les pleins

bénéfices de trois caractéristiques des wikis : la création facile de pages et l’établissement automatique de liens entre ces pages, leur catégorisation, et la navigation inversée à l’aide de rétroliens.

59 http://www.eps-cs.com/ 60

http://fox.wikis.com/wc.dll?Wiki~EPSInternalWikiCaseStudy

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Les wikis dans l'entreprise

73

L’exemple d’EPS Software va nous permettre à la fois de comprendre ces concepts clés que l’on retrouve dans tous les wikis, et de voir comment une entreprise peut les utiliser dans ses processus métiers.

La création facile de pages et l’établissement automatique de liens entre ces pages

Traditionnellement, la création d’une

nouvelle page sur un wiki repose sur l’utilisation de MotsWikis. Un MotWiki est constitué en accolant deux mots commençant par une majuscule. Le simple fait d’écrire un MotWiki sur une page crée un lien vers la page du même nom. Si celle-ci n’existe pas, elle est automatiquement créée.

EPS Software utilise cette fonctionnalité

pour créer une page par client ou prospect. Imaginons qu’elle soit en négociation avec une société qui s’appellerait « New Skill ». Il lui suffit de faire mention sur l’une des pages de son wiki de cette société, en écrivant son nom sous la forme NewSkill, pour créer instantanément une page relative à ce prospect, et un lien vers cette page. C’est ainsi qu’EPS Software a l’habitude de créer une page par société cliente ou partenaire.

La catégorisation des pages

Une catégorie n’est rien d’autre qu’un

MotWiki placé sur une page pour la classer sous une rubrique. C’est plutôt une habitude de travail, commune sur les wikis, qu’une fonctionnalité technique. Pour prendre une image, il s’agit de l’équivalent d’une étiquette autocollante placée sur une fiche

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74

bristol pour indiquer ce dont il s’agit et la ranger dans le bon compartiment.

EPS Software s’en sert astucieusement pour préciser la nature de la relation avec ses partenaires. Après avoir créé une nouvelle page NewSkill pour le client imaginaire mentionné plus haut, elle pourra par exemple placer en bas de la page un MotWiki comme CatégorieConsultation61. Cela lui permet de ranger sa relation commerciale dans la catégorie des réponses à appel d’offres. Elle peut alors décrire le projet sur la page NewSkill sous la forme de texte libre, avec la possibilité d’écrire certains mots, comme le nom du contact, la nature du projet, le nom du consultant chargé de l’affaire, etc., sous la forme de MotsWikis. Ceux-ci pointeront alors automatiquement vers d’autres pages correspondantes. Il est ainsi possible, de fil en aiguille, de lier entre eux des compléments d’information sur l’affaire suivie.

Si EPS Software parvient à faire de la société New Skill un client, il lui suffit de modifier le MotWiki CatégorieConsultation placé sur la page en CatégorieMission pour traduire la progression de la relation commerciale.

Tout utilisateur cliquant sur le MotWiki de la catégorie est redirigé vers la page du même nom, sur laquelle il peut obtenir sa définition : qu’entend-on par Projet en cours par rapport à Projet, par exemple ? Ainsi, tous les consultants, y compris les nouvelles recrues, ont une bonne compréhension des processus d’EPS Software.

La navigation inversée à l’aide des rétroliens

61 Dans la réalité, EPS Software, société

américaine, utilise bien évidemment des noms de catégorie en anglais. Nous les avons traduits ici pour la clarté de l’exposé.

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Les wikis dans l'entreprise

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Un rétrolien est une fonctionnalité particulièrement puissante des wikis. Sur une page donnée, un rétrolien permet de connaître toutes les pages qui pointent vers elle. Par exemple, si deux pages A et B ont chacune un lien vers une page C, et si, sur la page C, on demande au wiki de trouver les rétroliens, le wiki retournera les pages A et B (voir figure).

Liens et rétroliens

Combinés aux catégories, les rétroliens sont

une mine d’informations. Voyons comment les managers d’EPS Software les utilisent quotidiennement. Une fois sur la page CatégorieMission (qui définit précisément ce qu’est une mission au sens d’EPS, avec par exemple des éléments de méthodologie) il leur suffit de demander l’affichage des rétroliens pour obtenir la liste de toutes les pages du wiki contenant le mot clé CatégorieMission, et

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76

par conséquent la liste de tous les projets de conseil en cours. Les managers obtiennent ainsi une vision du portefeuille d’activités de la société.

Autre exemple d’utilisation : une fois sur sa page personnelle, un consultant peut, grâce aux rétroliens, obtenir instantanément la liste de toutes les pages sur lesquelles son nom apparaît, et donc des projets sur lesquels il travaille, ou des tâches qui lui sont assignées.

Pour conclure cet exemple, on peut dire

qu’EPS Software est un exemple très représentatif de la manière dont un wiki peut permettre de réaliser des tâches évoluées de gestion de projet, de manière simple, légère et peu coûteuse.

3.4. Le WikiBusiness a le vent en poupe Le WikiBusiness est un phénomène récent,

mais des signaux indiquent qu’il pourrait être un phénomène majeur de la « nouvelle nouvelle économie ». Premièrement, il correspond à une mutation dans les pratiques de travail, très nette dans l’univers anglo-saxon mais aussi germanique. Ce changement se matérialise par une circulation plus fluide et transversale de l’information, une responsabilisation des acteurs et une attitude coopérative plus marquée de la part des salariés. Ce besoin exprimé par le marché explique la multiplication des entreprises proposant des services liés au wiki, qui est le deuxième indicateur positif. Le phénomène, déjà sensible dans les zones géographiques citées ci-dessus, mais aussi au Québec, se manifeste également en France. Un enjeu pour les jeunes sociétés se créant actuellement dans l’Hexagone, et plus généralement dans le monde latin, est de

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Les wikis dans l'entreprise

77

prendre en compte une tradition plus dirigiste dans la communication d’entreprise et une structure hiérarchique encore pyramidale, qui nécessitent une effort d’explication et d’accompagnement supplémentaire.

Enfin, les marchés financiers investissent dans des proportions non négligeables dans certaines de ces entreprises. SocialText, une société californienne spécialisée dans les wikis professionnels, a levé un premier tour de table en août 2004. Un autre éditeur, JotSpot, créé par les fondateurs de l’une des « stars » de l’Internet de la première heure, le portail Excite, a réuni plus de cinq millions62 de dollars en capital-risque. Les wikis deviennent donc attractifs pour les investisseurs, ce qui est plutôt de bon augure…

Les wikis sont des outils très utiles pour

mener des projets en entreprise car ils encouragent les comportements coopératifs entre les acteurs. Il n’est jamais trop tôt pour apprendre cette nouvelle manière de travailler. C’est pourquoi le domaine de l’enseignement est lui aussi concerné par les wikis. Découvrez au chapitre suivant comment ceux-ci vont peut-être vous donner envie de retourner à l’école…

62

http://www.businessweek.com/technology/content/oct2004/tc2004106_2351.htm?chan=db

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78

-----------------Modifier le chapitre --------------------

Espace de notes, de commentaires pour leswikis.com, de réflexions…

Page 72: Les Wikis Espace de l'intelligence collective Jérôme Delacroix

Apprendre à apprendre

79

4. Apprendre à apprendre Dans ce chapitre… Comment manager une équipe éducative avec un

wiki L’utilisation en classe Le nouveau rôle du professeur Les bénéfices pour les apprenants La rédaction collective de manuels

e métier d’enseignant est à la fois très individuel et collectif. Individuel, en ce que l’enseignant devant sa classe jouit d’une grande autonomie dans ses méthodes et dans

son style pédagogique ; simultanément, le travail en équipe est devenu au fil des années une réalité incontournable du quotidien des professeurs. Les wikis se prêtent bien au travail éducatif, car ils stimulent les échanges et encouragent la formation du savoir. Ils sont aussi bien un outil de management des

L

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80

équipes éducatives qu’un outil utilisable directement en classe.

4.1. Le management d’une équipe éducative

On aurait tort de croire que l’utilisation

des wikis dans l’éducation est réservée au supérieur. L’Institut Saint-Joseph63 au Québec est ainsi particulièrement en pointe dans l’utilisation des nouvelles technologies, pour le plus grand bénéfice de ses élèves de primaire et de maternelle. Sous l’impulsion du Directeur, Mario Asselin, l’Institut a démarré à l’été 2004 l’expérimentation d’un wiki64 d’animation de l’équipe éducative. Cette initiative met en lumière les applications suivantes :

Le partage de l’information

Le wiki est un outil fantastique pour rendre

les conseils de classe et autres réunions pédagogiques beaucoup plus efficaces.

• Avant la réunion L’ordre du jour est construit de manière

collaborative : chaque enseignant dépose sur le wiki les sujets qu’il souhaite aborder. A partir de là, le Directeur peut synthétiser toutes ces informations pour rédiger, 24 heures avant, le programme de la rencontre.

63 http://www.st-joseph.qc.ca/ 64 http://wiki.st-joseph.qc.ca

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Apprendre à apprendre

81

• Pendant la réunion L’utilisation d’ordinateurs portables et de

connexions en réseau permet de prendre des notes en direct pendant la réunion. Celles-ci sont immédiatement accessibles.

• Après la réunion Le Directeur peut remanier les notes prises

pour en extraire un compte-rendu sur une nouvelle page. Celui-ci peut servir de base pour préparer la réunion suivante. Il peut être annoté par les professeurs, qui ont la possibilité de laisser des commentaires. Ainsi, l’équipe conserve une trace de tous les échanges et débats.

Une ouverture sur le monde extérieur

Le wiki est utilisé en premier lieu par

l’équipe enseignante, et certaines pages protégées lui sont réservées, mais sur d’autres zones, des intervenants extérieurs peuvent apporter des contributions. Il s’agit notamment d’autres formateurs, de praticiens des NTIC65, de consultants, de journalistes, d’étudiants en sciences de l’éducation…Ces acteurs nourrissent le débat et donnent des idées permettant de renouveler les pratiques d’enseignement.

65 Nouvelles Technologies de l’Information et de

la Communication

Page 75: Les Wikis Espace de l'intelligence collective Jérôme Delacroix

82

Le montage de projets pédagogiques en commun

Le wiki est également utilisé pour élaborer

du matériel éducatif et des scénarios d’apprentissage, en français, en mathématiques…Les professeurs peuvent ainsi fertiliser leurs connaissances et leurs approches pédagogiques, rédiger à plusieurs un plan de progression, recueillir des conseils, etc.

Le résultat de tous ces processus, c’est une

équipe pédagogique plus motivée et travaillant de manière…plus collégiale. C’est une façon pour le chef d’établissement de responsabiliser les professeurs, de leur communiquer de l’information et d’en recueillir en retour, et de favoriser une meilleure expression de tous en gommant l’inégalité naturelle entre des professeurs très à l’aise en réunion et d’autres qui seraient plus timides.

4.2. L’utilisation avec les étudiants L’un des établissements pionniers dans

l’utilisation éducative des wikis est le Georgia Institute of Technology66 (ou Georgia Tech). Cet établissement a commencé à développer des projets coopératifs dès 1998, en utilisant le WikiMoteur Swiki, plus connu sous le nom de CoWeb (Collaborative WEBsite). Depuis, plus de 120 ont été lancés, dans des disciplines aussi variées que l’architecture, la chimie, les lettres, l’informatique bien sûr, la biologie…A ce jour, ce sont donc des milliers d’étudiants qui ont pu utiliser des wikis, pour une multitude d’objectifs

66 http://www.gatech.edu/

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Apprendre à apprendre

83

Constitution et distribution de connaissances

• Rédaction collective de « Foire Aux

Questions » (FAQ) Un wiki peut être utilisé pour réaliser une

FAQ de manière collaborative. Le professeur pourra par exemple relever les questions qui lui sont le plus souvent posées pendant le cours, et y répondre sur le wiki. Ou encore, les étudiants pourront eux-mêmes poser directement des questions, répondre à d’autres, le tout étant revu par l’enseignant. Ces FAQ peuvent concerner aussi bien des questions de cours que des points d’ordre pratique (organisation). Outre l’aspect participatif du procédé, un autre avantage est sa permanence. Les mêmes questions sont souvent posées de trimestre en trimestre par des groupes d’étudiants successifs. Le wiki est un point unique où trouver des réponses en dehors des heures de cours.

• Librairie de réalisations estudiantines Dans son cours sur l’informatique appliquée

aux médias, M. Guzdial a eu la bonne idée de créer des galeries67 destinées à recueillir les travaux d’étudiants : collages sonores et visuels, affiches, films d’animation…Non seulement le professeur et les étudiants peuvent ainsi commenter ce qui a été fait et entamer des discussions, mais en plus une mémoire de la créativité de l’établissement se construit ainsi, semestre après semestre.

67 http://coweb.cc.gatech.edu/cs1315/2

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84

Travail collaboratif entre étudiants et/ou professeurs

Les wikis sont très adaptés à la réalisation

de projets de classe ou au travail en groupe. Il peut s’agir de créer des textes ou des dossiers illustrés en commun par exemple. Un tel usage a été expérimenté au Bowdoin College (Etats-Unis, Etat du Maine) au travers du Romantic Audience Project (R.A.P.)68. Cet exemple est particulièrement édifiant car il illustre l’association des humanités les plus traditionnelles avec une technologie innovante. En effet, le projet RAP a été mis en œuvre dans une classe d’étudiants en poésie. Le wiki a permis aux étudiants de rendre dynamique les poèmes étudiés en les publiant sur un wiki69.

Concrètement, un étudiant pouvait « éditer »

le poème, non pas pour le modifier, mais pour transformer l’un des mots en lien wiki pointant vers une page sur laquelle il pouvait écrire un commentaire ou son propre poème. Les autres étudiants pouvaient à leur tour réagir sur le texte de leur condisciple, et référencer d’autres poèmes. Ainsi, une véritable communauté d’étude s’est constituée sur le projet. Le wiki a également fait merveille en permettant à des étudiants un peu plus réservés de s’exprimer sans retenue. Le groupe s’est révélé tellement enthousiaste que sa participation a excédé les bornes prévues du cours, les étudiants ajoutant des textes et des illustrations au-delà même des exigences du professeur.

68 Un rapport sur le projet peut être trouvé à

cette adresse : http://www.clayfox.com/rap/toc.htm 69 Wiki accessible sur

http://ssad.bowdoin.edu:8668/space/start

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Apprendre à apprendre

85

Commentaires et corrections sur des travaux d’étudiants

Les wikis permettent également de discuter

sur les travaux des étudiants, de les relire et de les commenter. Ceci peut être fait par le professeur bien sûr, mais aussi par les étudiants eux-mêmes ou des spécialistes externes. Un exemple est le projet CoOL Studio70 qui a été mené en classe d’architecture à Georgia Tech. Un wiki (CoWeb) avait été mis à la disposition des étudiants pour y déposer leurs travaux, auxquels six experts distants pouvaient accéder. Ces experts pouvaient donc formuler leurs critiques et interagir avec les élèves en vue de l’amélioration des projets.

Outil de sociabilité

L’école normale de Solothurn, en Suisse, est

particulièrement en pointe dans l’utilisation des wikis à des fins de convivialité. Ses étudiants se servent du moteur Twiki pour animer le site communautaire du campus71. Ils peuvent ainsi se présenter dans des pages personnelles, organiser des réunions et documenter les comptes-rendus, monter des activités ludiques, des excursions…Ce site est un bon exemple d’utilisation des fonctionnalités des wikis, en associant textes et photos, pour prolonger en ligne la vie du campus.

70 http://pbl.cc.gatech.edu:8080/cases.1 71 http://campus.ph-solothurn.ch/Studirat

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Dans le même esprit, Georgia Tech a mis en place un trombinoscope ou Who’s who virtuel72 en utilisant CoWeb. Celui-ci, alimenté par les contributions volontaires des uns et des autres, a la particularité de rassembler aussi bien les enseignants que les étudiants, renforçant le sentiment communautaire.

Mais les wikis sont aussi un moyen pour

maintenir le lien après l’école, voire longtemps après…C’est ce qui a poussé par exemple l’Association des Diplômés de HEC à créer une série de wikis73 permettant à ses membres d’organiser des rencontres et manifestations, de partager des documents, de susciter le dialogue grâce à des FAQ et des sondages…

Il n'y a pas d'âge pour les wikis

Les wikis peuvent être utilisés dès l'école

primaire, comme en témoigne, entre autres, l'expérience74 menée par Marie Burroughs Jobin avec des élèves de cinquième année de primaire. Cette expérience a permis d'initier les enfants à l'écriture collaborative et de leur donner des notions quant aux droits d'auteurs et aux règles de la publication multimédia.

72 http://coweb.cc.gatech.edu/cs1315/908 73 Par exemple, le wiki du Groupement

professionnel Multimédia et Systèmes d’Information : http://gpt-hec-multimedia-et-si.groupehec.asso.fr/tiki-index.php

74 http://www.portfolio-multi.net/IMG/situation_apprentissage.html

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Apprendre à apprendre

87

4.3. Les nouveaux rôles du professeur Lorsqu’il fait travailler ses étudiants avec

un wiki, le pédagogue se comporte davantage comme un coach que comme un enseignant traditionnel. Parmi ses nouvelles fonctions, on retrouve notamment :

Installer la dynamique

C’est au professeur de convaincre ses

étudiants de l’intérêt de coopérer. Il faut vraiment que les étudiants adhèrent à cette démarche si l’on ne veut pas que le wiki se résume à un outil de plus qu’il faut utiliser « parce que le prof le demande ». Un bon moyen est d’intégrer l’aptitude à coopérer dans l’évaluation des étudiants : « si vous voulez que les étudiants collaborent, il faut que vous rendiez cette collaboration avantageuse pour eux. Par exemple, les cours où le CoWeb a rencontré le plus de succès (architecture, composition, conception orientée objet en informatique) mettaient l’accent sur les questions de design. Or les problèmes de design ont souvent plusieurs solutions possibles, et [dans ces domaines] partager des idées et des bouts de solutions est bénéfique pour tout le monde.»75

Familiariser les étudiants avec la démarche et l’outil

75 « CoWeb guide for teachers », Georgia Tech,

http://coweb.cc.gatech.edu:8888/csl/uploads/24/GuideForTeachers.1.pdf

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Le professeur est là pour aider les

participants à maîtriser l’outil, surtout au démarrage. Telle est par exemple l’expérience d’Harald Lohman dans le projet76 qu’il mène avec sa classe d’anglais du lycée Arnold Janssen (Neuenkirchen, Allemagne). Pour cet enseignant, l’important est d’être très progressif, car les élèves ont tendance à préparer leurs devoirs de manière traditionnelle, et à ne les mettre sur le wiki que lorsqu’ils en sont suffisamment satisfaits. Rien ne sert de brusquer les comportements, la coopération est un apprentissage en elle-même.

Organiser le travail collectif

Dans la lignée du point précédent, les wikis

illustrent que la liberté s’apprend, et que les élèves n’y sont pas instinctivement habitués. On est en présence d’un changement de paradigme de l’élève « apprenant du professeur » à l’élève « co-réalisateur de sa formation », et cette mutation n’est évidente ni pour les enseignants, ni pour leurs élèves. Ceux-ci restent à la recherche de structure, et c’est une mission de ces professeurs d’un nouveau type que de créer un premier cadre pour rassurer leur classe : quelques rubriques, des menus simples, à l’intérieur desquels les étudiants pourront créer leur propre structure. Les 17 années d’expérience de Georgia Tech ont par ailleurs démontré l’intérêt de la présence sur les pages d’indications répétées du type : « votre contribution ici », « créez une page pour discuter ce point de vue », etc. En d’autres termes, l’incitation à contribuer doit être permanente, sur le site et dans la bouche du professeur, pour que la coopération ait

76

http://www.prowiki2.org/halomile/wiki.cgi?FrontPage

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Apprendre à apprendre

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lieu. Il y a fort à parier qu’il s’agit d’une période transitoire liée à l’adaptation des comportements. Faire entrer la coopération dans les mœurs, cela prend du temps…

Accompagner les utilisateurs dans leurs premiers pas

L’adage selon lequel on n’a qu’une seule

chance de faire une première bonne impression est vrai pour les wikis. Pour réussir leur mise en œuvre, il est essentiel de bien les présenter. « Il est indispensable de bien expliquer aux participants le fonctionnement des wikis, en leur faisant faire des exercices pratiques à partir d’une première structure. « Donner un wiki vierge à des étudiants en leur disant : ‘allez-y, maintenant, vous pouvez écrire’, cela ne marchera pas. », explique Beat Doebeli Honegger qui enseigne l’usage des plates-formes coopératives à l’école normale de Solothurn (Suisse).

4.4. Les bénéfices pour les apprenants Les wikis ont des vertus pédagogiques

multiples. Parmi les principales, on peut citer :

Effet de continuité

Le cours peut se prolonger sur un wiki. Par

leurs commentaires sur une page dédiée, les étudiants font vivre la discipline étudiée en dehors de l’espace-temps restreint de la salle de classe. Cela contribue à casser l’aspect

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« cours magistral », au profit d’un enseignement vivant.

Développer un état d’esprit positif et actif

Sur un wiki, l’étudiant est acteur de son

enseignement. Parce qu’il est incitation à contribuer, le wiki pousse l’apprenant à donner de lui-même, à partager ses connaissances, à poser des questions et à susciter le questionnement de ses camarades. Le cours n’est plus consommé, il est agi. Au final, les étudiants ayant participé à des projets wikis reconnaissent avoir autant appris les uns des autres que du professeur ou du manuel.

Initier les jeunes au travail en réseau et collaboratif qu’ils rencontreront plus tard dans l’entreprise

Réseau et coopération sont au cœur de la vie

des entreprises et sont appelés à l’être de plus en plus. Qu’il s’agisse d’entreprise en réseau dans laquelle les différents départements ou les différents sites interagissent en permanence, de réseau d’entreprises, dans lequel différentes sociétés nouent des partenariats étroits sur une chaîne de valeur, ou bien encore d’entreprise virtuelle, composée d’indépendants (free-lance) associant leurs compétences sous une marque commune, on voit bien que la tendance n’est pas près de s’arrêter. Les wikis sont une bonne initiation à ces nouvelles organisations du travail.

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Apprendre à apprendre

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Apprendre à assumer ses responsabilités, à respecter les autres et à faire confiance.

Les wikis sont une école d’autodiscipline.

L’absence de règles, de structures prédéfinies, lève des freins à l’action, mais impose que les étudiants se fixent à eux-mêmes des limites : écrire des choses sensées, respecter les contributions des autres, classer l’information régulièrement (refactorisation, jardinage… comme nous le verrons plus loin), etc. Enfin, le simple fait que l’enseignant propose à ses étudiants d’intervenir sur un espace de libre expression est une preuve par l’exemple des vertus de la confiance accordée aux autres.

Transmission entre les générations d’étudiants

D’une année sur l’autre, les étudiants

peuvent bénéficier des travaux de leurs prédécesseurs. Ainsi, le cours n’est plus une répétition de lui-même d’année en année, mais il évolue sans cesse. C’est aussi beaucoup plus enrichissant pour l’enseignant, qui peut ainsi échapper au syndrome de la répétition.

4.5. Conditions nécessaires de succès L’utilisation des wikis dans l’enseignement

suppose une volonté de coopérer de la part des enseignants et des élèves. Le directeur d’établissement joue un rôle clé de chef

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d’orchestre pour insuffler cet état d’esprit, qui reste dépendant de la personnalité de ses équipes. Par ailleurs, les wikis correspondent mieux à des cours où la coopération entre étudiants permet d’aboutir plus vite à la solution d’un problème qu’à des systèmes où seule la compétition compte. Mais qui sait ? Peut-être les mentalités coopératives seront-elles un jour valorisées et intégrées, y compris dans les concours d’entrée aux Grandes Ecoles ? Après tout, la compétition n’est pas le contraire de la coopération. On le voit bien dans l’industrie, où les concurrents savent par exemple se rassembler en consortiums pour définir des standards.

Autre condition évidente à une mise en œuvre

réussie : la disponibilité d’ordinateurs connectés dans les écoles…et dans les familles. Les étudiants ou les élèves disposant de matériel chez eux ont évidemment plus de facilités pour s’exercer. Dans ce contexte, des initiatives du type « un euro par jour pour un ordinateur portable » vont dans le bon sens.

Dans les établissements, le matériel n’est

pas tout. Il est souvent nécessaire de trouver la bonne personne qui peut installer et configurer le wiki…chose qui n’est pas toujours aussi aisée que de l’utiliser ! D’où l’importance des consultants et sociétés de services, qui peuvent offrir ce genre de prestations, comme nous le verrons plus loin.

4.6. La rédaction collective de manuels scolaires

Les wikis sont des outils très adaptés à la

rédaction collaborative, comme nous l’avons vu

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Apprendre à apprendre

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plus haut. C’est ce qui a donné l’idée aux pionniers du wiki mondial Wikipedia de décliner leur concept dans un autre projet, WikiBooks, consacré à la rédaction collective de manuels.

Le projet WikiBooks, initié par la Wikimedia

Foundation, fonctionne selon le même principe que Wikipedia. L’objectif est de rédiger, dans plusieurs langues, des manuels scolaires, universitaires et de vie pratique. Les disciplines actuellement couvertes vont de l’apprentissage des langues étrangères à la physique théorique, en passant par l’art de séduire ou de préparer des gâteaux. Ces livres sont régis par la licence GNU GFDL77, c’est-à-dire que leur contenu est libre de droits.

Nous allons maintenant passer en revue les

qualités et les inconvénients des WikiBooks. Il s’agit bien dans ce paragraphe du projet lancé par la Wikimedia Foundation, à ne pas confondre avec le terme général WikiBook (WikiLivre) ou livre écrit sur un wiki.

Avantages

• La liberté

Les centaines d'auteurs, relecteurs et

correcteurs des WikiBooks cherchent à garantir une totale indépendance du contenu pédagogique par rapport à toute forme d’influence (commerciale, politique, religieuse). Le

77 http://www.gnu.org/copyleft/fdl.html#SEC1.

Voir http://www.idealx.org/dossier/oss/gfdl.fr.html pour une traduction française (non officielle).

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principe de la DouceSécurité s'applique pour y veiller. Par ailleurs, les ouvrages sont libres au sens de libre diffusion et modification du contenu, sous réserve que le nouveau contenu soit lui-même sous licence GFDL.

• La gratuité

Ces ouvrages électroniques mettent

potentiellement le savoir à la portée de tous, riches ou pauvres, dans les pays développés, en émergence ou moins avancés. Tout ce qui est nécessaire, c’est un ordinateur et un accès Internet. Cela peut revenir largement moins cher que les livres des collections officielles, traduits et / ou importés78.

• Un savoir concret

Parce que ces livres ne sont pas (seulement)

écrits par des experts, ils sont plus ancrés dans la vie réelle. Ils peuvent être nourris d’anecdotes et d’exemples savoureux, filtrés par les éditeurs pour ne garder que les plus utiles pour la transmission des connaissances.

• Des manuels constamment à jour

Pas besoin d’attendre la prochaine édition

pour posséder une version actualisée du manuel d’Histoire. Les Wikibooks sont constamment revus, commentés, complétés, et reflètent un savoir vivant.

• Des livres interactifs

78 Un étudiant américain dépense en moyenne 898 $

par an en manuels (source : « Ripoff 101. How the current practices of the textbook industry drive up the cost of college textbooks », California Public Interest Research Group, janvier 2004)

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Lorsque les étudiants travaillent sur un wiki, ils apprennent à admettre que chacun d’entre eux possède une partie de la solution à un problème et que leur apport va interagir avec ceux des autres pour aboutir à une solution globale supérieure. Ils découvrent également une nouvelle temporalité, en devant s’ajuster au rythme du groupe, et s’entraînent à agir dans un environnement qu’aucun d’entre eux ne maîtrise totalement mais qu’ils peuvent piloter collectivement.

La conception hypermédia

Les wikis, initialement plutôt textuels,

intègrent de plus en plus des fonctionnalités multimédias. Cela permet aux étudiants de réaliser des devoirs beaucoup plus riches que par le passé, y compris dans des domaines traditionnels, comme le montre le projet RAP décrit plus haut. Les étudiants apprennent aussi à gérer la navigation par hyperliens comme un outil à leur disposition pour développer leur pensée.

Les comportements coopératifs

C’est là l’essentiel. En coopérant sur des

sujets précis, à l’intérieur de disciplines et de cours donnés, les étudiants assimilent sans s’en rendre compte un état d’esprit coopératif qui leur servira dans leur future vie professionnelle. Alors que l’apprentissage assisté par ordinateur traditionnel79 consistait

79 Ces deux termes, « par ordinateur » et «

traditionnel » peuvent paraître antithétiques, et pourtant les wikis introduisent une rupture telle qu’il y a un avant et un après. En ce début de troisième millénaire, on peut parler, déjà, d’e-

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Apprendre à apprendre

97

surtout à enseigner par des moyens nouveaux des sujets coutumiers, les wikis permettent de préparer les étudiants à des démarches et technologies radicalement innovantes.

Pour terminer ce tour d’horizon des domaines

d’application des wikis, nous allons nous intéresser dans le chapitre suivant aux usages littéraires. Les wikis ouvrent en effet des perspectives totalement nouvelles dans la manière d’écrire une œuvre, et donnent également naissance à de nouveaux genres d’écriture collective…

learning traditionnel par opposition aux démarches et technologies coopératives mises en œuvre par les wikis.

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----------------- Modifier le chapitre --------------------

Espace de notes, de commentaires pour leswikis.com, de réflexions…

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Apprendre à apprendre

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5. Les livres ont la parole Dans ce chapitre… Les wikis pour les essais et les ouvrages de

réflexion Les WikiRomans La traduction collaborative sur wiki

appelez-vous, il n'y a pas si longtemps...Des esprits alarmistes sonnaient le glas de la chose écrite, victime de l'omnipotence des écrans. Ces craintes étaient bien

infondées...L’avènement d'Internet coïncide avec une époque qui, si elle n'est peut-être pas celle où l'on a le plus lu, est certainement celle où l'on a le plus écrit ! A cet égard, les wikis font entrer l'acte littéraire dans une ère nouvelle : celle de l'écriture coopérative. Nouvelles, romans, essais, les initiatives se multiplient partout sur la Toile.

R

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Les livres ont la parole

101

5.1. Les wikis stimulent les neurones : essais, documents et prospective

Plusieurs ouvrages sont écrits ou ont été

écrits en utilisant des wikis. Celui que vous tenez entre les mains par exemple, a doublement fait appel à eux. En juillet 2004 tout d’abord, un wiki privé a été installé sur la plate-forme PubliCooperation80 pour permettre à l’auteur (votre serviteur) de transmettre au fil de l’eau ses chapitres à M2 Editions. Un dialogue permanent a pu ainsi être instauré, M2 Editions pouvant réagir, faire des commentaires, aiguiller le livre sur de nouvelles pistes…Plusieurs options étaient envisageables. J’aurais pu par exemple écrire directement mon texte sur le wiki. Ce n’est pas l’approche que j’ai retenue, pour plusieurs raisons. Tout d’abord, mon style de travail ne le permettait pas. L’écriture sur un wiki s’apparente à un exercice de télé-réalité littéraire. L’acte reste solitaire, mais il est public, ou en tout cas visible par une communauté, fût-elle restreinte. Poster mon texte directement sur le wiki, ç’aurait été pour moi vivre mon métier d’écrivain dans une transparence totale, sans zone d’intimité intellectuelle. J’ai besoin par ailleurs de laisser ma pensée reposer, pour revenir ensuite sur mes textes, et si j’étais d’accord pour infléchir mon écriture, je voulais me soustraire à de trop grandes interférences. Ainsi, je mettais régulièrement en ligne mon livre en train de s’écrire, mais en léger différé, pour reprendre la métaphore télévisuelle. Par ailleurs, je ne suis pas sûr que mon éditeur aurait trouvé utile que je

80 http://www.publicooperation.com

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fasse crépiter en permanence son agrégateur de flux RSS par mes multiples ajouts, retouches, effacements, réorganisations, etc.

Maintenant que l’ouvrage est disponible en

librairie, la deuxième étape consiste à ouvrir un wiki public (www.leswikis.com), me permettant d’entamer une véritable coopération avec les lecteurs. L’objectif est de créer des discussions avec vous, de recueillir vos commentaires, de prolonger et de compléter l’ouvrage sur des points factuels ou d’actualité. Bref, d’inscrire le livre dans le temps.

Une question qui peut se poser est :

fallait-il rédiger l’ouvrage intégralement sur un wiki ouvert au public ? L’avantage aurait été de maximiser les apports des processus collectifs dans l’écriture, de fédérer une communauté dès l’origine, et d’expérimenter à 100% la logique des wikis. Une contrainte française n’a pas permis de procéder ainsi. Mettre en ligne l’ouvrage directement aurait constitué une publication créant une antériorité, qui aurait rendu impossible son enregistrement dans les bases de données de la profession, ce qui aurait grandement restreint sa diffusion en librairies. Autrement dit, rédiger le livre sur un wiki public aurait paradoxalement gêné la démarche de vulgarisation qui est la nôtre, en ne rendant l’ouvrage accessible qu’aux internautes déjà susceptibles de s’intéresser au phénomène. Nous voulions, nous, faire sortir les wikis de leur ghetto de "technophiles", pour que les lecteurs puissent apprendre leur existence au détour d’un passage dans leur librairie habituelle, et pour leur donner leurs lettres de noblesse. En effet, la présence d’un livre sur les étagères des librairies reste un passage obligé pour donner à un phénomène Internet une visibilité, en dehors de la seule sphère du Web. Au-delà de

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Les livres ont la parole

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cette contrainte, la méthodologie en deux temps qui a été retenue a présenté des avantages, en me permettant de réfléchir en prenant tout mon temps sur ma propre perception des wikis. Elle m'a permis de mettre en cohérence l'ouvrage et de lui donner une unité, ce qui n'aurait peut être pas été possible dans un processus intégralement ouvert. Cet enrichissement et cet approfondissement personnels, j’ai essayé de le transmettre dans ces pages, qui y ont gagné, je pense, en densité et en maturité.

Autre exemple permettant d’illustrer comment

un wiki peut prolonger un livre, « 2010 Futur Virtuel »81 a mis à la disposition de ses lecteurs (et des autres) un site collaboratif permettant de continuer à réfléchir sur ce que sera notre monde en 2010. L’ouvrage est innovant à double titre. D’abord, il associe un essai pour comprendre et un roman pour se distraire, nous plongeant ainsi en 2010 à la fois par les moyens de l’analyse et de l’imagination. Nous reviendrons un peu plus tard sur les caractéristiques de ce WikiRoman. Deuxième originalité, un wiki permet aux lecteurs d’apporter leurs commentaires, leurs informations, sur le thème de l’ouvrage, et même de rédiger leurs propres articles.

L’écriture emprunte donc désormais des

véhicules inédits, abolissant les contraintes de temps et d’espace, comme l’illustre un autre ouvrage, Blog Story82, écrit en partie sur un wiki. L’une de ses particularités est d’avoir été écrit par deux auteurs, Cyril Fiévet et Emily Turrettini, distants de 400 km, grâce à

81 2010 Futur Virtuel, Malo Girod de l'Ain, M2

Editions 82 Blog Story, Cyril Fiévet et Emily Turrettiny,

Eyrolles

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104

un wiki. "Le livre a été rédigé sans 'rencontre physique', du début à la fin (Emily habite en Suisse, moi à Paris), raconte Cyril Fiévet. Les différents outils de communication et de collaboration (messagerie instantanée et wiki, notamment) s'avéraient donc très pertinents. Concrètement, l'aspect le plus utile du wiki était sans doute de ne pas devoir gérer à la main les versions successives (le 'versioning') des textes, en s'envoyant régulièrement des fichiers, ce qui aurait été fastidieux et source d'erreurs.

L'autre aspect très pratique est le côté

immédiat du wiki : l'activation automatique des liens hypertextes est notamment un vrai bonheur, d'autant que le manuscrit comporte plusieurs centaines d'adresses Web. Ce fut très utile pour l'annuaire de sites que nous avons inclus au livre : chacun de nous copiait des sites ou blogs 'en vrac', celui qui passait derrière les classait, les commentait, en ajoutait d'autres... Le wiki nous permettait de ranger et d'archiver nos différentes notes et nos remarques, de manière bien plus efficace et facile que l'envoi de multiples emails."

Ces exemples illustrent comment les wikis

créent de nouvelles possibilités pour la rédaction d'ouvrages de réflexion, en complément du travail de l'auteur ou des auteurs principaux, qui reste la colonne vertébrale de ces livres. Le domaine de la fiction permet, lui, des expérimentations encore plus poussées, dans des processus d'écriture complètement ouverts.

5.2. Des romans à mille mains

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Les livres ont la parole

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Rêver, imaginer, s’évader…Et si c’était plus amusant à plusieurs ? Les wikis sont des outils formidables pour créer de nouveaux mondes, dans le domaine de l’imagination, ou pour préparer celui dans lequel nous allons vivre, demain. A l’époque de la coopération, l’auteur n’est plus aussi seul qu’avant devant son angoissante feuille blanche. Désormais, il peut inviter ses lecteurs à un dialogue avec ses personnages. Ces mêmes lecteurs peuvent prendre la plume et écrire de nouveaux passages, explorer de nouvelles voies. Comme le faisait remarquer Jean-Marc Bondon, un wikiste francophone : « Les histoires ne finissent jamais dans l'esprit des gens, chacun effectuant sa lecture à l'aune de son parcours. Seul l'auteur voudrait nous soumettre une fin. »83 Avec les wikis, les histoires ne s’arrêtent plus. Une fois le livre refermé, les personnages continuent à vivre sur Internet.

Quelques œuvres significatives

Prenons l’exemple de « 2010 Futur Virtuel ».

Cet essai-roman de Malo Girod de l’Ain, co-fondateur de PubliCooperation, fait le pari de décrire le monde qui sera le nôtre en 2010 : un monde mêlant harmonieusement réalité et virtualité. Il se décompose en trois parties : l’essai dont nous avons déjà parlé, un roman pour s’amuser et un site collaboratif pour participer. Sur ce site, le lecteur peut retrouver les personnages auxquels il s’est attaché au cours de sa lecture : Marl, la rousse et romantique amoureuse de Venise, May,

83

http://wiki.crao.net/index.php/%C9critureCollective?redirectfrom=%C9critureCollaborative

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une jeune Chinoise découvrant les multiunivers, Angel Face, le leader charismatique…Il peut aussi apporter ses propres anecdotes et réflexions pour nourrir la discussion ou publier des nouvelles pour compléter le panorama de la vie en 2010. Il lui est même possible d’aller beaucoup plus loin dans la connaissance des personnages. Il peut par exemple visiter l’appartement de Marl, et même lui envoyer un e-mail ! S’en suit une véritable complicité, et finalement un sentiment d’appartenance au roman.

2010 Futur Virtuel n’est pas un exemple

isolé. Une autre aventure qui mérite d’être signalée est Wikira, un roman de science-fiction écrit sur un wiki. Il suffit de s’inscrire pour rejoindre la « communauté des écrivains » qui décrivent et font évoluer un monde futuriste. Wikira a mis en œuvre, entre autres, deux idées très astucieuses. La première, c’est qu’à chaque stade de l’histoire, les auteurs peuvent proposer plusieurs suites possibles. C’est ainsi qu’à l’essai certains enchaînements paraissent plus logiques ou intéressants que d’autres et finissent par s’imposer. Chose amusante, on observe que les chemins peuvent se recouper ! C’est plutôt bon signe, car cela tend à prouver que le point d’intersection est un passage obligé dans le déroulement de l’histoire. Deuxième idée novatrice, la représentation de l’histoire sous forme d’arbre, permettant de suivre cette arborescence. Comme dans 2010 Futur Virtuel, il est possible d’écrire des passages de l’histoire elle-même, ou des éléments annexes décrivant le contexte, situant le roman, apportant des éclairages complémentaires…Ces « îlots » isolés contribuent à créer un monde, avec des ponts vers l’histoire proprement dite.