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1 Déportés français au camp de concentration de Neuengamme

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Déportés français

au camp de concentration de Neuengamme

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Convois de déportation au camp de concentration de Neuengamme 7969 hommes, déportés de France, arrivaient au camp de Neuengamme par cinq

grands convois. 1706 autres français furent transférés à Neuengamme venant

d’autres camps de concentration, de camps de travailleurs forcés (Service du Travail

Obligatoire - STO) ou de prisons situés en Allemagne. Dans la deuxième moitié de

l’année 1944, 581 femmes françaises, détenues au camp pour femmes à

Ravensbrück, furent transférées dans des camps extérieurs de Neuengamme. En

tout, environ 650 françaises y étaient détenues.

Au moins 4573 des environ 11000 françaises et français au camp de Neuengamme

n’ont pas survécu.

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Les cinq grands convois au camp de Neuengamme Lieu de départ Date de départ de

France Date d’arrivée à Neuengamme

Nombre d’hommes recensése

Compiègne-Royallieu

20 mai 1944 24 mai 1944 2004

Compiègne-Royallieu

4 juin 1944 7 juin 1944 2064

Compiègne-Royallieu

15 juillet 1944 18 juillet 1944 1528

Compiègne-Royallieu

28 juillet 1944 31 juillet 1944 1652

Belfort/Fort Hatry

28 août 1944 1 septembre 1944 721

Source : L’Amicale de Neuengamme et de ses Kommandos : Neuengamme, camp de concentration nazi. Les Français à Neuengamme. Le Louroux, 2008, p. 178.

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Bernard Morey

Bernard Morey (à gauche), peu après la libération en 1945. (photo : inconnu. ANg)

5

Bernard Morey, né en 1914, était propriétaire d’une usine de conserves de viande à

Cuiseaux dans le Jura. A partir de 1942, il rassemblait autour de lui un groupe de

résistants. Arrêté le 29 avril 1944, après des interrogatoires et des tortures, il fut

transféré au camp de transit de Compiègne, puis déporté au camp de Neuengamme

début juin. Bernard Morey faisait partie du premier convoi de Neuengamme au camp

extérieur de Misburg à Hanovre. Gravement malade, il fut renvoyé à Neuengamme à

la mi-octobre. Il repris des forces et fut affecté au Kommando des Walther-Werke

(usine d’armes). Il était parmi les derniers à quitter le camp de Neuengamme fin avril

1945 et était libéré sur la route par les Anglais. Le 5 mai 1945, Bernard Morey était

un des déportés qui faisaient visiter le camp vide de Neuengamme aux libérateurs

anglais.

Bernard Morey est décédé en 1998.

6

Lettre envoyée par Bernard Morey du camp de Neuengamme en janvier 1945. (ANg)

7

Dans ses mémoires écrites en 1987, Bernard Morey décrivait le convoi de

Compiègne au camp de Neuengamme en été 1944 :

Notre train se traîne, se garant quelquefois pour laisser passer des

convois […] Nous ne pensons qu’à notre soif […] Nous ne savons

que faire des corps avachis de ceux qui ont perdu connaissance ou

de ceux dont les jambes sont devenues trop faibles pour les porter.

La bête remplace l’homme. Les coups de pied ou de poings pleuvent

sur le voisin dont le corps est devenu encombrant. Les cris de

souffrance et les jurons se mêlent. […] Dans notre wagon, les rixes

se multiplient. L’odeur est pestilentielle.

Extrait de : Bernard Morey : Mémoires d’outre-vies. Dijon 1987, p. 245 – 247

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Raisons pour le transfert au camp de concentration de

Neuengamme

La majorité des environs 11.000 françaises et français envoyés au camp de

Neuengamme ont été arrêtés à cause de leur engagement dans la résistance. Cela

n’avait pas d’importance, s’ils avaient organisé des actes de sabotage, distribué des

journaux clandestins ou fait passer des messages.

Un autre groupe important formaient des hommes arrêtés lors des rafles effectuées

par l’armée allemande (Wehrmacht) et la police surtout à partir de 1944 comme

« mesures de représailles » dans des villages où se cachaient des femmes et

hommes appartenant à la résistance ou dans des régions où des actes de résistance

avaient était commis.

Des réfractaires au service du travail obligatoire (STO) en Allemagne de même que

ceux partis au STO mais accusés de sabotage ou d’autres actes de résistance

étaient envoyés aux camps de concentration où ils étaient enregistrés comme

« détenus politiques». Au camp de Neuengamme, ces hommes étaient en petit

nombre.

Un groupe à part formaientt au camp de Neuengamme les « proéminents ». Ils

avaient un statut spécial et vivaient dans des meilleures conditions que les autres

détenus.

9

Parachutage d’armes pour la résistance sur le Vercors. Sans date. Source : Jean Manson : De la résistance á la déportation. 1980, p.101

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Pierre Billaux

Pierre Billaux, 1943/44. (photo : inconnu ; ANg) Pierre Billaux a été arrêté en Normandie le 3 mai 1944 à l’âge de 18 ans parce qu’il

appartenait à un groupe de résistance local. Après une détention à la prison

d’Alençon, il a été transféré au camp de transit de Compiègne puis déporté au camp

de Neuengamme fin juillet 1944. De là, il a été transféré au camp extérieur de

Blumenthal à Brême. Lors de l’évacuation du camp, il arrivait sur le cargo « Athen »

dans la baie de Lübeck. Libéré à Neustadt (Holstein) le 3 mai 1945, il retourna dans

son village natal Chambois en Normandie où il était coiffeur. Pierre BiIlaux est

engagé à Amnesty International depuis plus de 30 ans.

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Les premiers Allemands qui occupent le village où j’étais apprenti

coiffeur ne sont pas les barbares annoncés et les villageois s’en

accommodent fort bien. Mais très vite les pesanteurs et les contraintes

de l’occupation, le couvre-feu (dur à supporter pour un jeune), les

restrictions en tout genre, le rejet de certaines personnes du village au

comportement jugé honteux, et surtout l’écoute assidue de la radio de

Londres, vont contribuer à développer chez moi des sentiments

patriotiques, et à me situer dans le camp du refus.

Les V et les croix de Lorraine tracés sur les murs, un dépôt de gerbe

tricolore au monument aux morts le 14 juillet 942 sont, malgré les

risques encourus, plus d’enfantillage que de la véritable Résistance.

[…]

Le but du groupe de « Vengeance » [auquel Pierre appartient plus

tard] (qui était d’obédienve gauliste) était la formation de petits groupes

de combats qui devaient être opérationnels pour un éventuel Jour J.

Au cours de séances d’instruction, nous apprenions le maniement de

la mitraillette Stern, du lancer de grenade, etc. Le groupe se chargeait

de la fourniture de fausses cartes d’identité et de travail aux

réfractaires du STO et de la distribution du journal clandestin

« Défense de la France ». […]

A Chambois, le groupe auquel j’appartiens éveille quelques soupçons

et un collaorateur notoire livre une liste de noms à la gestapo. Le 3 mai

1944, les SS qui occupent Chambois et la commune voisine de Fel

bouclent des deux villages au petit matin et la Gestapo procède aux

arrestations.

Extrait de : Pierre Billaux, in: Caroline Langlois/ Michael Reynaud: Elles et Eux de la Déportation, Ed. Tirésias, Paris, 2005, p. 310-322, passage cité p. 311-312.

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Jean Kérambrun

Jean Kérambrun, avant 1939. (photo : inconnu, ANg) Jean Kérambrun, né en 1912 à Kerbors en Bretagne, était appelé à l’armée dès le

début de la guerre en 1939. Pris en détention comme prisonnière de guerre, il réussit

à fuir en avril 1942. De retour en Bretagne, il essayait de dissuader les jeunes de

partir pour le STO. En automne 1943, il joignait un groupe de résistance pour lequel

il devait collecter et communiquer des informations sur les mouvements des troupes

allemandes. Jean Kérambrun a été arrêté le 21 avril 1944. Après un séjour aux

prisons de Saint-Brieuc et de Rennes, il a été transféré au camp de transit de

Compiègne puis déporté au camp de Neuengamme par le convoi du 28 juillet 1944.

Jean Kéramburn a été envoyé au camp extérieur de Schillstraße à Brunswick,

ensuite, début 1945, aux camps extérieurs de Vechelde et de Salzgitter-

Watenstedt/Leinde. Lors de l’évacuation des camps, il arriva au camp de

Ravensbrück. Il survécut à la « marche de la mort » vers Malchow (Mekclenburg) où

il a été libéré. Pour des raisons de santé dues à la déportation, Jean Kérambrun ne

repris son activité d’agriculteur qu’ en 1947.

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Ce réseau était né des chasses aux réfractaires au S.T.O. Les

jeunes gens des environs du Trégom se mobilisèrent et

commencèrent à harceler l’ennemi. Rien que pour l’année 1944, La

Marseillaise inscrivait à son palmarès pas moins de vingt-quatre

déraillements. Yves Trédan et son groupe se sont spécialisés dans

les opérations de sabotages ferroviaires. Au départ, ils n’avaient

qu’une clé pour déboulonner les rails. Par la suite, le plastic

augmentera l’éfficacité des sabotages, en restant le moins longtemps

sur les lieux. Chaque fois que le groupe faisait dérailler un train, il

s’arrangeait pour le faire dérailler sur la voie en face. Ainsi il fallait

plusieurs jours pour dégager les voies et rétablir une circulation. […]

Lorsque les Allemands, furieux après un déraillement, activaient

leurs recherches, je prévenais Trédan du danger et lui indiquais les

informations que ces réseaux détenaient. (906)

Jean Kérambrun, in: Laurent Guillet: Un destin pour chacun. Récit de la vie de Jean Kérambrun, matricule 39722.Bannalec, 1999. S. 40-41.

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Rafle à Murat Au début de l’été 1944, les Allemands intensifiaient les actions contre la résistance

dans le département du Cantal. Le 12 juin 1944, la police allemande et la milice

française entraient dans le village de Murat prés de Clermont-Ferrand. Plusieurs

habitants ont été arrêtés et interrogés. Dans l’après-midi, les membres d’un groupe

de résistance local attaquèrent les Allemands, tuant dix hommes, parmi eux le

commandant de la mission allemande, le capitaine-SS (Hauptsturmführer) Hugo

Geißler. Comme mesure de répression pour l’assassinat de Geißler, 25 otages dont

trois hommes de Murat, ont été exécutés.

Le 24 juin 1944, le village de Murat a été encerclé par les troupes allemandes. Dix

maisons suspectes de servir de cache pour des résistants, ont été détruites. Tous les

hommes âgés de 16 à 50 ans, 119 personnes, ont été arrêtés par les Allemands et

transportés à la prison de Clermont-Ferrand. En passant par le camp de transit de

Compiègne, tous ont été déportés au camp de Neuengamme par le convoi du 18

juillet et par la suite dispersés dans différents camps extérieurs, la plupart au camp

de Farge à Brême. De ces 119 hommes, 31 seulement ont survécu.

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Nous sommes 119; ils ont raflé partout, dans la rue, au travail, à

l’église. Ils sont venus ce matin et leur « Rauss » brutal a chassé

devant eux femmes, vieillards, enfants. Les hommes ont été

rassemblés dans les salles de l’école et de la mairie. […] Un tri qui a

éliminé les plus de cinquante ans et les moins de seize ans, m’a

séparé de mon père et de mon frère. A 3 heures, le troupeau humain

que nous sommes déjà, s’est acheminés lentement au travers des

rues désertes. […] Murat disparu à nos yeux, nous nous

interrogeons. Que feront-ils de nous? Un espoir immense nous

soutient: ils vont nous questionner. Nous sommes innocents…. ou

tout au moins en règle!

Raymond Portefaix : L’enfer que Dante n’avait pas prévu. Neuengamme, Bremen-Farge. Aurillac 1988 (réédition de la deuxième édition de 1947), p. 9-10.

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Survivants muratais après leur retour, photo prise le 23 mai 1945. Cinq des hommes ont été déportés au camp de Neuengamme et étaient des survivants de la tragédie des bateaux bombardés en baie de Lübeck le 3 mai 1945. Les trois autres hommes étaient prisonniers de guerre. (photo : inconnu. ANg) A gauche : Les hommes de Murat, déportés le 24 juin 1944 par l’armée allemande (Wehrmacht). Article dans le journal allemand « Die Wehrmacht » du 2 août 1944. Source : BA-MA, RWD1-10

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Rafle à Saint-Claude Au printemps 1944, les forces allemandes de l’occupation agissaient brutalement

envers la résistance et les habitants des villages du Jura. Le 9 avril, dimanche de

Pâques, 340 hommes du village Saint-Claude et de ses environs prés de la frontière

suisse ont été arrêtés et déportés le jour suivant.

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La rafle de Saint-Claude le 9 avril 1944. Brando Moro, non-daté. (Archives municipales de Saint-Claude)

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A cause de sa réaction spontanée vis-à-vis des événements à Saint-Claude, Jehanne Lorge a été arrêtée et d’abord emprisonnée à Lyon. En passant par le camp de transit de Romainville, elle a été déportée au camp de Ravensbrück. En juillet 1944, elle a été transférée dans des camps extérieur appartenants au camp de Neuengamme (Salzgitter-Watenstedt et Hanovre-Limmer). Atteinte du typhus, elle a été libérée en avril 1945 au camp de Bergen-Belsen.

La joie pascale est brusquement interrompue par un décret de nos

ennemis établis depuis quelques jours dans notre ville. […] « Les

hommes de 18 à 45 ans doivent tous se trouver sur la place

publique, avant 10 heures, sous peine d’être fusillés. » Chacun se

regarde, consterné, ira-t-on, fuira-t-on ? Hélas, tous les environs

jusqu’aux moindres petits sentiers de montagne sont bien gardés.

[…] La place du Pré se remplit peu à peu. […] [Les hommes] sont

interrogés […], triés en plusieurs groupes, puis ce travail exécuté,

310 entre eux sont emmenés à l’école. […] Tout á coup, à la vue de

tous ces jeunes gens que l’on embarque […], de tous le désespoir

qui m’entoure, un flot de colère monte en moi et je profère une injure

« O ! LES COCHONS » entendue par un soldat du grand Reich. […]

Il attend visiblement des excuses ; celles ne viennent pas. Il feint de

me laisser partir puis […] fait volte-face, me rejoint et m’entraîne sur

la place […]. Une heure après nous sommes conduit à la

Kommandantur.

Jehanne Lorge: Dèportée pour une injure. Saint-Claude, 1992. p. 1-2

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La situation des détenus français au camp de Neuengamme Le premier appel, le rasage intégral du corps, l’attribution de vêtements de détenu et

d’un matricule marquaient l’entrée dans la vie concentrationnaire pour les français

qui arrivaient au camp de Neuengamme en été 1944. A ce moment, tous les postes

au sein de l’hiérarchie des détenus étaient déjà occupés par des détenus d’autres

nationalités. Vu le nombre de détenus croissant, les conditions de vie dans le camp

surpeuplé se dégradaient constamment. La majorité des déportés français ne restait

que quelques semaines au camp central avant d’être envoyé dans les camps

extérieurs qui naissaient en grand nombre en 1944. Les camps extérieurs de Farge

et de Osterort à Brême, de Watenstedt/Leinde à Salzgitter, de Wilhelmshaven et de

Fallersleben comptaient beaucoup de détenus français.

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André Berniot arrivait au camp extérieur de Drütte à Salzgitter en décembre 1944. Témoignage sur sa situation dans ce camp:

Dès ma prise de poste, j’ai compris que je ne tiendrais pas longtemps.

Le kapo, allemand de droit commun, était au camp de concentration

depuis 1934, il haïssait les « Franzosen », son équipe était composée,

à pourcentage égal de droits communs allemands, de Polonais et de

Russes. Dès mon arrivée, j’ai constaté que je serais seul contre tous,

le kapo me reprochant d’être français, de n’être pas des leurs, en plus

d’être un résistant, de n’avoir que 21 ans et seulement quelques mois

de vie concentrationnaire, et il estimait que je devait subir les affres

qu’il avait pu endurer.

André Berniot, in L’Amicale de Neuengamme et de ses Kommandos : Neuengamme, camp de concentration nazi. Les Français à Neuengamme. Le Louroux, 2008, p. 155.

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René Baumer, né en 1906, a été déporté au camp de Neuengamme en juin 1944 en tant que résistant. Peu de temps après son arrivée á Neuengamme, il a été transféré au camp extérieur de Stöcken à Hanovre. Jusqu’à 1500 détenus devaient y travailler pour l’usine « Accumulatoren-Fabrig AG (AFA) » dans la production de batteries pour sous-marins. Un grand nombre de déportés français est mort dû aux conditions de travail et de détention dans la fonderie de plomb. Le dessin, daté de février 1945, montre le bâtiment d’usine de l’AFA.

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René Baumer, dessiné par le détenu danois Viktor Glysing Jensen. (privé) Témoignage de René Baumer sur l’arrivée des détenus au camp :

Au Block, on nous met dans l’obligation d’apprendre notre numéro

matricule en allemand. Sans être bien compliqué c’est pour quelques-

uns un obstacle insurmontable. Quand un numéro est appelé, l’homme

représenté par ce numéro doit répondre instantanément par « Ja »

(oui) ou par « Hier » (ici). S’il tarde quelques secondes dans sa

réponse – et il n’y a là aucune exagération de ma part – il est rossé

d’importance car les Allemands affectent de manquer de patience.

Pour n’avoir pas répondu immédiatement, des malheureux reçoivent

des corrections mémorables à coups de poing, de pied, de « gumi »

(matraque). L’homme peut tomber à terre, celui n’empêche pas les

tortionnaires de s’acharner sur lui, de l’assommera moitié avec leurs

bottes et leur trique.

Extrait de : René Baumer : La misère aux yeux de fou. Editions GBA Pemezel, Lyon 2001, p. 49.

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Détenues françaises du camp extérieur de Limmer à Hanovre après leur libération á Bergen-Belsen, 1945. (photo : Algoet, Historisches Musuem Hannover)

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Stéphanie Kuder a été arrêté le 25 novembre 1943 lors d’une rafle á l’université de Clermont-Ferrand. D’abord déportée au camp de Ravensbrück, elle a été transférée au camp extérieur de Limmer à Hanovre en juillet 1944, camp sous l’administration du camp de Neuengamme. Elle y travaillait dans la production de masques à gaz.

Nous étions 266 femmes, dont 44 Russes (17 étaient soldates),

quelques Italiennes, quelques belges, 5 Espagnoles, 1

Luxembourgeoise, le reste des Françaises. […] Les premiers jours,

nous étions sans cohésion, sans discipline. […] La première

communion de toutes a été notre première victoire. Nous avions

décidé d’honorer publiquement notre fête nationale par une minute de

silence. Le 14 juillet 1944 à midi, dans l’usine de Continental, nous

nous sommes toutes levées. Les Souris [surnom donné aux

gardiennes] nous regardent ahuries et mauvaises. L’une d’elles

téléphone au block [baraque de logement] : « Une émeute se

prépare ». Des cris partent : « Sitzen ! Ruhe ! » [Assis ! Silence !], ls

premiers coups tombent. Nous nous asseyons, toujours dans un

silence absolu : la minute était passée.

Extrait de : Stéphanie Kuder : De Ravensbrück à Limmer et à Bergen-Belsen. In : De l’Université aux Camps de Concentration. Témoignages Strasbourgeois. Publications de la Faculté des Lettres de l’Université de Strasbourg. Hors série. Paris 1954 (2ème édition), p. 385.

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« Nous étions 42 » - le destin de 42 officiers de réserve alsaciens Après l’armistice entre l’Allemagne et la France, la région de l’Alsace-Lorraine fut

annexée par l’Allemagne et « germanisée ». A partir de 1942, des Français astreints

au service militaire devaient joindre l’armée allemande, la Wehrmacht – une

exception n’existaient au début que pour les officiers. Mais au printemps 1944,

environ 700 à 800 officiers de réserve étaient appelés de se présenter

volontairement pour le service dans la SS. Le premier groupe était convoqué au

camp de formation de Cernay en mai 1944. Les hommes insistaient sur ce que

l’ordre de joindre la SS devait bien constituer « erreur ». En juin, ils étaient transférés

au camp de formation de Bruss en Pologne. Ils refusaient toujours de joindre la SS et

adressaient une pétition au commandant de l’armée allemande, signées par 42 des

alsaciens. Le 24 juillet, ces hommes ont été mis aux arrêts et envoyés au camp de

Neuengamme début août. A Neuengamme, ils étaient d’abord placés dans le camp

des « proéminents » mais en novembre, on les fit passer au camp des déportés. 20

hommes seulement de ce groupe ont survécu.

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« Les nudistes et l’autre ». Dessin de Lazare Bertrand au camp de Neuengamme, daté du 5 août 1944. Lazare Bertrand, détenu au camp des « proéminents » à Neuengamme, a dessiné les officies alsaciens peu de temps après leur arrivée à Neuengamme. Dessin annoté au dos : « Les alsaciens à leur arrivée parmi nous. Ils étaient encore en très belle condition physique. Hélas ! Il en est bien peu revenu. » (MOL) Extrait de la pétition des officiers de réserve alsaciens, datée du 12 juillet 1944 :

Nous aussi, nous désirons vous soumettre notre façon de penser.

Notre situation est la suivante :

1. Nous sommes tous, aujourd’hui encore, sujets de l’Etat Français.

2. En qualité d’officiers français nous avons prêté serment au drapeau.

De ce serment nous n’avons pas été déliés par le gouvernement

français.

3. La loi militaire allemande prévoit expressément que les officiers

d’une armée étrangère ne peuvent pas servir dans l’armée allemande.

Nous en concluons que nous ne sommes pas mobilisables et nous

sollicitons notre renvoi.

In: Nous étions 42. Contribution à l’histoire de la Résistance à la conscription en Alsace annexée par l’Allemagne. Déportation au KZ Hamburg-Neuengamme de 42 officiers de réserve français résidant en Alsace (1944-1945). Sans lieu, 1987, p. 33.

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Le camp des « Proéminents » Le 18 et le 31 juillet 1944 arrivaient au camp Neuengamme, en provenance du camp

de transit de Compiègne, 365 déportés qui recevaient un statut spécial. Séparés des

autres détenus, ces déportés appelés « proéminents » étaient d’abord logés dans

différents baraquements du camp des déportés, ensuite dans deux baraques du

« revier » (l’infirmerie du camp). En octobre 1944, ils furent enfin logés dans deux

baraques érigées spécialement pour eux, situées à l’écart du camp des déportés et

entourées de barbelés.

Les raisons pour lesquelles ces détenus avaient un autre statut que les autres

déportés ne sont pas connues. Probablement les forces allemandes de l’occupation

en France avaient estimé que ces hommes auraient pu jouer un rôle important dans

la résistance et les avaient arrêté de manière préventive. Pourtant peu des détenus

dans le camp des « proéminents » avaient occupé une fonction importante dans la

société ou dans la politique.

Les détenus dans le camp des « proéminents » souffraient de l’alimentation

insuffisante mais ils n’étaient affecté à aucun travail et gardaient leurs vêtements.

Le 11 avril 1945, ils étaient évacués en autocars par la Croix Rouges Suédoises.

Après un long périple avec des haltes entre autre au camp de Flossenbürg et au

ghetto de Theresienstadt, ils étaient libérés le 30 avril dans la ville de Breschan en

Tchéquie. A la mi-Mai, ils rentraient en France.

Des détenus du camp des « proéminents », huit sont mort au camp de

Neuengamme, encore six sont décédés durant l’évacuation.

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Au premier plan de cette photo figurent les deux baraques du camp des « proéminents ». Dans la baraque claire plus loin étaient stockés les effets [affaires personnelles] des déportés ; au fond à droite : le bâtiment en briques avec les Blocks 25 à 28, situé coté est du camp des déportés. Photo prise après mai 1945. (photo : inconnu ; ANg)

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Les « proéminents » français passaient leur temps de détention en organisant des cercles de lectures et de discussions. Ils créaient même une « université » où chacun pouvait faire des conférences sur les thèmes qui lui étaient familiers. Quelques-uns tenaient un journal intime comme l’architecte et maire de Sens, Lazare Bertrand. Il avait reçu papier et crayon par Ernest Gaillard, détenu du camp des déportés. Ainsi Lazare Bertrand avait la possibilité d’écrire et de dessiner. Extrais de son journal intime :

7 octobre

[…] L’ordinaire représente vraiment au point de vue alimentaire le

minimum de ce qu’il faut absorber pour ne pas mourir de faim. […]

20 octobre

Encore une fois transplantés dans deux baraques […] à destination

première d’écurie, très inconfortables, dont les parois ne sont pas

doublées où il fait déjà froid. Que sera-ce cet hiver? Nous sommes

cette fois complètement isolés du camp par un réseau de barbelés.

[…]

24 décembre

Très grand froid. […] Deux morts à déplorer. […] Très sympathique et

émotionnant concert de la chorale. […]

1945. 2 janvier

Après une fin d’année infiniment pénible et une dernière semaine qui

aura été pour nous la plus longue sinon la plus dure de celles que

nous aurons vécues en exil, il y a eu amélioration sensible,

sentimentalement parlant, depuis avant-hier. Le froid est toujours aussi

dur mais ne pourra l’être sensiblement plus. […]

8 janvier

Non, décidément ça ne va pas. J’ai remaigri et suis squelettique…

Meurt-on de faim? Il n’y a plus que le moral qui tient mais il tient

heureusement bien.

In: Joël Drogland: Les carnets de Lazare Bertrand – Maire de Sens, otage déporté á Neuengamme. Auxerre 1999, p. 52, 64, 66.

33

Le dessin intitulé « Farniente » de Lazare Bertrand a pour thème l’oisiveté forcée des détenus dans le camp des « proéminents ». (MOL)

34

Lors des travaux de réaménagement du site commémoratif de l’ancien camp de concentration de Neuengamme, on découvrit, le 25 avril 2003, cachée dans la charpente des anciennes garages de la SS, une liste avec les noms de 408 détenus « proéminents » français. Cette liste date du mois d’août 1944, les circonstances de son origine sont inconnues. La liste manuscrite comprend 14 pages détachées en petit format avec les noms des « proéminents » et, en version abrégée, leurs professions et leurs lieux de résidence. (ANg)

35

Henry Joannon a été arrêté lors d’une rafle à Murat et déporté au camp de Neuengamme en juin 1944 :

C’est qu’il y avait une différence énorme entre la situation des détenus.

Il y avait tout d’abord, à Neuengamme, le camp des déportés

d’honneur et le nôtre. Dans le premier, où se trouvaient des

personnages de marque, tel M. Sarraut, aussi bien que de simple

ouvriers, les détenus ne travaillaient pas, avaient conservé leurs

habits, pouvaient lire et écrire et n’étaient pas battus. Seule, leur

nourriture était la même que la nôtre. Ce n’était que l’ombre de

Neuengamme.

Henri Joannon : Remember! (Souviens-toi). Aurillac, 1999 (réédition de l’original de 1947), p. 74 Félix Guyard était détenu du camp des « proéminents ». Il fut relâché en août 1944 et retourna en France où il informa les familles d’autres déportés de leur sort.

Ce camp contient plusieurs milliers de prisonniers, mais 400

seulement sont prisonniers d’honneurs complètement séparés. Ils se

gouvernent eux-mêmes, sans que les Allemands interviennent en quoi

que ce soit. […] Ils ne sont astreints à aucun travail, mais ils doivent

accomplir certaines corvées indispensables comme nettoyage des

baraques, la distribution des vivres, etc… La journée se passe en

lecture, en cours de langues étrangères, promenades dans la cour ou

jeu de cartes. […] Les internés d’honneur ont conservé leurs

vêtements et récupéré les effets se trouvant dans leurs valises ainsi

que leur vivres.

Lettre de Félix Guyard, 18 novembre 1944 (AIN)

36

Travailleurs forcés français au camp de Neuengamme Outre les prisonniers de guerre français, forcés de travailler en Allemagne, jusqu’à

950 000 françaises et français, des civils, étaient partis travailler en Allemagne.

Quelques-uns s’étaient portés volontaire mais la grande majorité a été requise de

force. Ces hommes et femmes français venus en Allemagne dans le cadre du

« Service du Travail Obligatoire (STO) » pouvaient se faire arrêter pour une infraction

aux règles ou lors d’un soupçon de sabotage, puis envoyer dans un camp

disciplinaire avant d’être transférés dans un camp de concentration. Environ 200

français arrivaient ainsi au camp de Neuengamme entre l’automne 1944 et printemps

1945 où ils étaient enregistrés comme détenus politiques.

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Armand Transport, forcé de travailler aux chantiers navals des Howaldtswerke AG dans le port de Hambourg, a été arrêté en septembre 1944 et envoyé au camp de Neuengamme. Après la guerre, il donna les motifs suivants pour son arrestation par la Gestapo:

Sabotage à l’usine

Distribution de trac[tes anglo-américain[s[

Diffusion de la radio anglaise

Aide à l’évasion de prisonniers de guerre français

Témoignage d’Armand Transport, 23 décembre 1986 (ANg) André Grimaud a été arrêté en août 1944 et envoyé dans un camp disciplinaire. Fin octobre 1944, il faisait parti d’un groupe de travailleurs du STO transféré au camp de Neuengamme.

Contraint au Service du Travail Obligatoire (STO), j’ai été dirigé vers

l’Allemagne et suis arrivé à Piesteritz, Bezirk Halle (Saale) le 2 juin

1943. J’ai été affecté à la Gummi Werke « Elbe » où j’ai travaillé

jusqu’à mon arrestation par la Gestapo le 12 août 1944.

Motif : « propagande anti nazie »

J’avais, dans des lettres adressés à mes parents, mentionné

l’existence d’un Straflager [camp disciplinaire] nouvellement créé dans

une baraque à côté de l’usine et relevé le sort peu enviable des

prisonniers qui y travaillaient.

J’avais d’autre part mentionné que l’interprète de l’usine, Möbing, lisait

nos lettres.

Témoignage d’André Grimaud, 30 décembre 1986 (ANg)