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A LLEZ SAVOIR ! / N°24 O CTOBRE 2002 57 Ce qu’ils en pensent… Ce qu’ils en pensent… Ce qu’ils en pensent… A vec les progrès de la connais- sance et surtout ceux de la science depuis quelques siècles, le langage servant à décrire les phé- nomènes observés s’est compliqué au point de ne plus être accessible qu’à de véritables initiés. Les ou- vrages traitant par exemple de l’es- pace et du temps sont si fortement influencés par le développement de la physique et même des mathéma- tiques que le profane ne s’y retrou- ve plus et se détourne de tout essai de compréhension. Nous vivons ce- pendant dans l’espace et dans le temps : peut-on s’en faire une idée simple et pratique, concrète et véri- fiable par chacun? L’espace et le temps Au commencement était le Logos. Le monde comme résultat d'une volonté

L’espace et le temps - unil.ch · Pierre Feschotte, professeur honoraire. Le résultat de la création vu par l’astrophysique, fruit de l’explosion initiale («big-bang»)

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Page 1: L’espace et le temps - unil.ch · Pierre Feschotte, professeur honoraire. Le résultat de la création vu par l’astrophysique, fruit de l’explosion initiale («big-bang»)

A L L E Z S A V O I R ! / N ° 2 4 O C T O B R E 2 0 0 2 5 7

Ce qu’ils en pensent…Ce qu’ils en pensent…Ce qu’ils en pensent…

A vec les progrès de la connais-sance et surtout ceux de la

science depuis quelques siècles, lelangage servant à décrire les phé-nomènes observés s’est compliquéau point de ne plus être accessiblequ’à de véritables initiés. Les ou-vrages traitant par exemple de l’es-pace et du temps sont si fortementinfluencés par le développement dela physique et même des mathéma-tiques que le profane ne s’y retrou-ve plus et se détourne de tout essaide compréhension. Nous vivons ce-pendant dans l’espace et dans letemps : peut-on s’en faire une idéesimple et pratique, concrète et véri-fiable par chacun?

L’espace et le tempsAu commencement était le Logos. Le monde

comme résultat d'une volonté

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Al l ez savoir ! / N°24 Oct obr e 200258

Ce qu’ils en pensent…Ce qu’ils en pensent…Ce qu’ils en pensent…

L’espace est un récipient

L’espace est considéré comme un récipient dont les limites se trouvent à l’infini : dire qu’une très lointaine galaxie, à la limite de l’observable, se trouve à 10 ou 20 milliards d’années-lumière (ce qui fait timidement 10 à 20 fois 1022 kilomètres, soit 10-20 fois dix mille milliards de milliards de kilomètres) donne le vertige. A l’autre bout de l’échelle de l’espace, le noyau des différents atomes se trouve large-ment à l’aise dans une boîte d’un picomètre de côté (le picomètre : un millionième de millionième de mètre). Ce n’est pas rassurant de se dire que le monde réel se situe grosso modo entre deux infinis!

Un esprit concret pourra cepen-dant reconstruire l’espace à partir de la remarque suivante : si j’envisage un point, je n’ai pas besoin de l’es-pace pour concevoir son existence. Par contre deux points distincts vont se contenter d’un espace à une dimension créée par la droite qui les supporte. Avec trois points non alignés, l’espace du plan (à deux dimensions) suffira pour décrire les relations de distance les carac-térisant. Enfin, pour un ensemble de quatre points ou plus, leur position est décrite dans l’espace cartésien bien connu, comportant trois dimensions et par conséquent trois coordonnées rapportées à un espace de référence. Mais ces trois axes 0y-0z rectangulaires sont issus d’une convention de la pensée : le centre 0 peut être placé n’importe où et l’espace est concrétisé par la distance entre les objets.

Ce sont bien les objets qui créent

l’espace et particulièrement, dans notre monde concret, les objets matériels séparés par leur distance réciproque.

Ma remarque vise en particulier l’illusion que l’espace est un réci-pient contenant des objets mathé-matiques ou physiques. Là où il n’y a pas d’objet, il n’y a pas d’espace. Cet espace est bien créé par les objets : ils établissent une relation entre eux du fait qu’ils existent. Sans objet, pas de relation!

Du temps à créer

Il en est de même du temps et la démonstration est très semblable : le temps n’est pas un film invisible devant lequel défile la trame des événements. Il est créé par la rela-tion avant-après. Un monde où rien ne changerait serait concrètement dans l’absence de temps, disons dans l’éternité.

Tout sage collégien à qui vous demanderez ce qu’est le temps con-sultera son dictionnaire avant de vous répondre, doctus cum libro : «Le temps est la mesure de la durée

des phénomènes …» Et la durée? «La durée est l’espace de temps que dure un phénomène».

Changeons alors de dictionnaire : «Le temps? milieu indéfini où parais-sent se dérouler les phénomènes.» Et ce milieu? «Période également éloignée du début et de la fin …»

La peste soit de la pédanterie livresque! Me fiant à ma propre expérience, je vais essayer de refaire le monde tout seul. Comme, selon la physique moderne, tout ce qui existe se situe dans l’espace et dans le temps, je vais me servir des sens qui me relient au monde extérieur…

Hélas, le temps passe sans qu’on le voie, sans qu’on l’entende, il se dérobe à toute observation, sinon

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Al l ez savoir ! / N°24 Oct obr e 2002 59

le temps t et le futur se placera à droite. Le temps est ainsi trans-formé en un espace à une dimen-sion. C’est certes commode, mais cela ne nous éclaire pas beaucoup sur la nature du temps.

Cherchons alors chez le poète! Selon Jean Cocteau, Orphée, ayant franchi le seuil de l’au-delà (de la conscience habituelle), se retrouve devant un tribunal auquel il demande : «Quelle heure est-il?» «Aucune!» lui est-il répondu.

Dans l’éternité, il n’y a plus besoin du temps qui, dès lors, ne passe plus. Donc point d’heure. Un objet de notre monde peut se trou-ver concrètement dans l’éternité s’il ne change ni de lieu, ni de propriété, tel un caillou abandonné sur le bord de la route. Tant qu’aucun facteur, soit extérieur, soit intrinsèque au caillou ne vient modifier sa masse, sa température, sa position ou toute autre de ses caractéristiques, il est concrètement dans l’absence de temps. Il est dans l’éternité.

Dès lors, le problème du temps s’éclaire singulièrement : ce para-mètre physique si parfaitement mesurable, si bien connu et maî-trisé par la physique moderne, ne possède d’existence propre que dans la mesure où il est créé par ce qui change, par ce qui évolue, par ce qui apparaît, se développe, vit et meurt.

Raison de plus pour ne pas perdre notre temps. Raison de plus pour le créer, afin de ne pas en manquer. Prenons donc notre temps, afin de n’être pas obligés de lui courir après …

Chose curieuse pour conclure : l’espace et le temps sont des con-cepts et tout le monde croit qu’il s’agit de grandeurs physiques. Le mètre comme la seconde sont des relations, rien d’autre.

Pierre Feschotte, professeur honoraire

Le résultat de la création vu par l’astrophysique,

fruit de l’explosion initiale («big-bang»).

Carte du ciel dressée par le satellite Rosat qui répertorie

environ 50’000 sources de rayonnement X

celle de l’aiguille de ma montre ou de la pulsation de mon cœur, comme à l’époque de Galilée.

Entre le tic-tac de l’horloge et la majestueuse alternance du jour et de la nuit, il n’y a pas de différence de nature : nous vivons au milieu de phénomènes et nous utilisons ceux qui se reproduisent périodi-quement pour repérer l’avant et l’après, ce qui déplace la difficulté sans la résoudre. Qu’est-ce donc que l’instant présent?

Tout aussi insaisissable, cet instant nous permet au moins de définir l’avant et l’après sur un axe de coordonnées où figurera le point t. Tout ce qui se placera à gauche de ce repère se sera passé avant