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L'Estuaire en Seine - les raisons d'agir

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Ouvrage : L'Estuaire en Seine - les raisons d'agir

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L’ESTUAIRE EN SEINE LES RAISONS D’AGIR

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5 PRÉFACEantoine rufenacht

7 INTRODUCTION À UN PARCOURS DANS L’ESTUAIRE DE LA SEINEjacques leenhardt

17 VIVRE LA MÉTAMORPHOSE MÉTROPOLITAINE DE L’ESTUAIRE DE LA SEINEchris younès

31 PRODUIRE, HYBRIDER, MÉTROPOLISERmartin vanier

53 RÉINVENTER LES RELATIONS VILLES/CAMPAGNESPOUR UNE TRANSITION SOCIO-ÉCOLOGIQUE DE L’ESTUAIRE

olivier mora

75 LE GATEWAY DE LA SEINE, UNE STRATÉGIE ÉCONOMIQUE DU XXIE SIÈCLEdominique dhervillez / juliette duszynski

85 LA PORTE DU GATEWAY DE LA SEINE, LE GRAND PARC DE L’ESTUAIREantoine grumbach, jean-robert mazaud

101 LE HAVRE 2020bruno fortier

109 L’ESTUAIRE, LA VILLE CONSTELLATIONfrédéric bonnet

129 POSTFACEédouard philippe

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L e présent ouvrage marque une étape majeure dans la collaboration entre les élus de l’Estuaire de la Seine commencée en 1998. D’une simple rencontre entre élus des 5 pays,

la création du Comité des Elus de l’Estuaire a permis de construire des échanges sans pour autant leur donner un formalisme qui n’était pas recherché.

Cette collaboration entre les élus de l’Estuaire construite étape par étape a abouti à la certitude d’un avenir commun. Pour en avoir été à l’origine je ne peux que me féliciter de voir combien cette collaboration est en train d’éclore avec la création du Pôle métropolitain de l’Estuaire.

De grands enjeux sont à venir. La dynamique engagée sur la Vallée de la Seine avec lamobilisation des CCI, des ports et des collectivités locales, permettra de démontrer combienla position de l’Estuaire est stratégique dans un espace majeur du développement de notre pays.

L’ouvrage que vous avez entre les mains résulte de l’appel à de nombreux intervenants de très haut niveau dans différentes spécialités qui ont été mobilisés par l’AURH. Les contributions qu’ils apportent sont les propos qu’ils ont tenus devant nous et qui ont fait l’objet d’échanges passionnants. Ces propositions ne forment pas un projet pour l’Estuaire, ce qui sera le sujet du Pôle Métropolitain, mais montrent combien il est nécessaire de prendre notre destin en main. Ce sont « les raisons d’agir ».

C’est à partir de tous ces éléments que sera élaboré un plan d’actions pour les années à venir. Je tiens à remercier tous ces acteurs pour la qualité de leur réflexion, les libertés qu’ils ont su prendre et leur implication au service de l’Estuaire de la Seine.Cet ouvrage a l’ambition de servir de socle de référence aux perspectives de notre territoire.Il est imaginé pour durer et la qualité de présentation est au rendez-vous.

Le plus enthousiasmant reste à écrire et surtout à réaliser. Ce sont les grandes actions métro-politaines qui assureront un avenir d’innovation à ce beau territoire de l’Estuaire de la Seine auquel je crois profondément.

Antoine RufenachtPrésident de l’AURH, Agence d’Urbanisme de la Région du Havreet de l’Estuaire de la Seine / Président du Comité des Élus de la Seine

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J amais les territoires qui forment le grand Estuaire de la

Seine ne se sont trouvés devant d’aussi passionnantes

échéances. Depuis quelques décennies, le monde s’est à

nouveau ouvert, modifiant parfois avec une certaine bru-

talité les grands axes d’échanges, multipliant rencontres,

connaissances et confrontations. Dans cette nouvelle mon-

dialisation, la Normandie occupe une position stratégique.

Entre le développement du Grand Paris, qui doit trouver

son rythme et sa forme au cours des prochaines décennies

et les vastes horizons du monde qui viennent accoster au

port du Havre, comme à d’autres en Europe, la Norman-

die et singulièrement l’Estuaire de la Seine sont décidés à

pleinement s’inscrire dans la nouvelle dynamique.

Un bref regard en arrière nous apprend qu’au cours de

l’histoire, cette même Normandie, si riche de ses archi-

tectures et de ses industries, si belle de ses paysages et de

ses trésors, n’a pas cessé de se transformer et d’in venter

les formes sus cep tibles de préserver son identité tout en

jouant pleinement son rôle dans

le grand concert des peuples.

Les élus et les citoyens se re trou-

vent aujourd’hui réunis pour don-

ner une nouvelle cohérence aux

projets engagés.

JACQUESLEENHARDT

INTRODUCTIONÀ UN PARCOURS

DANSL’ESTUAIRE

DE LA SEINE

Comité des Élus de l’Estuaire ldu 28 novembre 2011.

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La Normandie a ouvert ses bocages aux chevaux et

aux touristes, ses ports aux paquebots et aux contai-

ners. Ses champs produisent pour la Chine, et le Bré-

sil lui envoie son café. La terre et la mer, le port et

l’arrière pays fourmillent d’activités et d’échanges

qui mettent en valeur ces contrastes et ces traditions.

D’un bout à l’autre du territoire, la Normandie éternelle

a compris que son avenir se jouait désormais non seu-

lement dans la liaison historique reliant par la Seine la

côte atlantique à Rouen et Paris mais également dans la

recomposition mondialisée de l’Europe. Une géographie

nouvelle s’est inscrite dans les esprits qui fait de l’Estuaire

de la Seine l’entrée de la mégalopole qui se construit autour

de Paris, son fleuve et ses ports et projette Le Havre dans

un réseau élargi comprenant Londres, Rotterdam, New

York, Shanghai et São Paulo.

Il est remarquable que ce fut au xvie siècle, quand la

Méditerranée entrait en déclin après avoir été le « centre

du monde » durant tant de siècles comme le souligne Fer-

nand Braudel, que François Ier fonda Le Havre tandis que

Henri II recevait à Rouen en 1 550 les premiers ambas-

sadeurs des peuples autochtones de l’Amérique, ouvrant

le nouvel axe atlantique de la mondialisation. La Grande

histoire frappe une fois de plus à la porte de la Normandie

qui n’entend pas se laisser exclure des nouvelles propor-

tions du monde.

Il y a dans cette volonté de relever le défi la conscience que

l’Estuaire, vaste territoire qui s’étend des portes de Caen

aux falaises de Fécamp, constitue une pièce maîtresse du

grand puzzle en train de se mettre en place en Europe. La

position de l’Estuaire est stratégique, même si la variété

de ses terroirs, riches d’industries et de traditions diverses,

“Une géographie nouvelle s’est inscrite dans les esprits qui fait de l’Estuaire de la Seine l’entrée de la mégalopole qui se construit autour de Paris, son fleuve et ses ports et projette Le Havre dans un réseau élargi comprenant Londres, Rotterdam, New York, Shanghaiet São Paulo.”

L’Estuaire est ouvert sur le monde : la Chine, les Amé-riques,…, mais c’est aussi un milieu habité au jour le jour. Voilà deux chances complémentaires.

Ces dimensions ne sont pas contradictoires : l’enjeu est bien de tirer profit de ce lien avec l’économie mondialisée sans renier la qualité intrinsèque de liens plus locaux plus familiers entre villes, villages, champs et industries…

Le monde familier de l’Estuaireest aussi ouvert sur le monde :une double chance

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lisation et rencontra en 1 562 à Rouen les Indiens du Brésil

a su en dégager le message essentiel dans ses Essais : “dans

toute confrontation nouvelle, la vraie intelligence consiste

à se faire soi-même agilité et partage”.

De fait, le changement d’échelle qui a saisi le monde, et

auquel notre vie quotidienne est soumise, exige de nous

intelligence et mouvement. Deux textes abordent ces

enjeux en se focalisant sur les domaines de l’industrie et

de l’agriculture. Ils cernent chacun à sa manière les enjeux

auxquels les territoires de l’Estuaire sont confrontés et les

solutions de prudence et renouvellement de nos savoirs.

Mais il ne servirait à rien de partir à la conquête des pos-

sibilités qui nous sont ouvertes si nous ne prenions aussi

l’exacte mesure des difficultés que comporte toute trans-

formation profonde d’un territoire et de ses équilibres

traditionnels. Les bouleversements se font souvent au

détriment de populations condamnées à les subir. Certains

risquent d’être emportés par des processus dont on aura

dissimulé les effets pervers dans les replis d’une rhétorique

de conquête. Si le changement est nécessaire et garantit

les conditions de vie des générations à venir, il peut arriver

qu’il laisse certains sur le bord du chemin, qu’on n’aura pas

aidé à s’y préparer. Ces risques et menaces méritent une

réflexion sérieuse, en quelque sorte préalable à l’élaboration

des belles perspectives qui attendent l’Estuaire lorsqu’il

aura pleinement pris en main son destin métropolitain.

Les chapitres consacrés aux industries et aux agricultures,

à leurs transformations selon des logiques nouvelles de

partage et de mise en réseau font apparaître une meil-

leure efficacité de ce que nous y investissons, en temps,

en énergie, en travail et en capital. Cela implique aussi

que nous prenions un certain recul par rapport à l’Estuaire

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pourrait constituer un handi-

cap. C’est pourquoi l’ambition

de la métropolisation consiste

précisément à faire de cette

extraordinaire complexité une intelligence collective et

une diversité articulée. Un tel projet de cohérence cesse

d’être un rêve utopique dès lors qu’on se souvient que

nous ne vivons plus dans un monde de rigidité môlaire,

où le pouvoir est un, le savoir monolithique et l’indus-

trie monopoliste. Les acteurs et les dynamiques diffuses

entrent désormais en connexion pour le plus grand pro-

fit de chacun. Demain, la production d’énergie aura lieu

partout grâce au vent et au soleil, voire au pétrole vert,

distribuée jour et nuit grâce au mixte énergétique et aux

interconnexions. Des réservoirs gigantesques permettront

d’en contrôler le flux. Il en sera de même dans tous les sec-

teurs, aux champs et à la ville, dans les loisirs et au travail

où l’économie circulaire s’installera.

Dès lors les contrastes qui constituent le territoire de l’Es-

tuaire, dont on aurait pu craindre qu’ils ne retardent la mise

en commun et le développement des réseaux, doivent être

considérés comme autant d’atouts. Cette diversité a créé

au fil du temps des habitats spécifiques et des habitudes

qui constituent un véritable trésor de traditions, garantes

d’excellence. Ces richesses portent vers l’extérieur un mes-

sage de qualité et de dynamisme qui développera dans

nos campagnes et nos industries l’innovation qui attire les

visiteurs et les travailleurs.

Le monde se recompose aujour -

d’hui sous la loi de la diversité

absolue. Montaigne, qui fut le

témoin de la première mondia-

“Dès lors les contrastes qui cons-tituent le territoire de l’Estuaire, dont on aurait pu craindre qu’ils ne retardent la mise en commun

et le développement des réseaux, doivent être considérés comme

autant d’atouts.”

“L’ambition de la métropolisa-tion consiste précisément à faire

de cette extraordinaire complexité une intelligence collective

et une diversité articulée.”

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proprement dit afin de mieux embrasser le grand système

de relations dans lequel celui-ci se trouve inclus et au sein

duquel il aspire à pleinement jouer son rôle et faire valoir

ses atouts.

L’agglomération tentaculaire du Grand Paris, qui a lente-

ment pris conscience qu’elle étouffait dans ses limites admi-

nistratives et son dysfonctionnement

urbain, affiche désormais la volonté de

reconfigurer son territoire. Un projet

émerge peu à peu de mille réflexions,

brisant des tabous anciens et ouvrant du

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“Le Grand Paris ne saurait se concevoir sans son cor-don ombilical et ses ports. L’intégration de sa façade

atlantique donne enfinà Paris son véritable profil

de mégalopole mondiale.”

“La positionde l’Estuaireest stratégique”

même coup des perspectives nouvelles sur la logique de

l’espace mégalopolitain. Une chose est sûre : le Grand Paris

ne saurait se concevoir sans son cordon ombilical et ses

ports. L’intégration de sa façade atlantique donne enfin à

Paris son véritable profil de mégalopole mondiale.

Ce changement d’échelle bouscule bien des habitudes et

des positions acquises. C’est une invite adressée à tous

les acteurs, y compris ceux de l’Estuaire, à repenser leurs

manières de produire, de se transporter, de se nourrir et

de se divertir dans ce nouvel espace. Le Comité des Élus

de l’Estuaire s’en est emparé et l’Agence d’Urbanisme

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de la Région du Havre et de l’Estuaire

de la Seine (AURH) s’est mise au travail

pour proposer des solutions techniques et

administratives. Cet ensemble de réflexions

débouche finalement sur une double affirmation : l’Es-

tuaire de la Seine a sa propre histoire, ses richesses et

son bien-être dont nul n’entend se séparer ; il sait égale-

ment qu’il est impératif pour lui de se penser à l’intérieur

d’une dynamique européenne et mondiale dont le pre-

mier appui est la mégalopole parisienne. A l’articulation

de ces deux constats potentiellement contradictoires, une

certitude : c’est en s’affirmant comme un territoire métro-

politain que l’Estuaire résoudra au mieux les tensions qui

autrement risqueraient de le déchirer.

La dynamique de métropolisation s’offre à la région

comme une possible solution dont la création de la ligne

rapide LNPN (Ligne Nouvelle Paris Normandie) consti-

tue à la fois le symbole et la condition. Mais chacun sait

qu’aucun TGV ne produit d’effets positifs par soi-même

si sa mise en place n’accompagne pas un projet de déve-

loppement clairement porté par les territoires eux-mêmes.

Il faut donc que le pôle estuarien élabore ses réponses,

conformément à son caractère de métropole diverse et

diffuse, mais aussi que son ambition soit telle

qu’elle soit en mesure de jouer pleinement

son rôle d’équilibre par rapport à la méga-

lopole parisienne. C’est des spécificités de

son territoire industriel, agricole, touristique

o Dans le projet du Grand Paris esquissé par l’architecte Antoine Grumbach, l’Es-tuaire est mis sur le devant de la scène, incarnant la façade maritime dont doit disposer Paris pour garder son statut de Ville-Monde. Pour répondre à ce défi, le Comité des Élus de l’Estuaire a souhaité donner un sens à l’action. Il a commandé trois études à trois échelles : « Le Havre Cœur de Métropole » confiée à Bruno For-tier, « La Porte du Gateway » menée par Antoine Grumbach & Associés et Jean-Ro-bert Mazaud, et « l’Atelier du Grand Ter-ritoire de l’Estuaire » piloté par Jacques Leenhardt avec une équipe d’experts. L’emboîtement des échelles d’études s’inscrit dans le projet « Seine Gateway ».

Le Havre Coeur de Métropole

La Porte du Gateway

Atelier Grand territoire

Seine Gateway

Ouverture internationale

Rotterdam

New-York

Hong-Kong

Melbourne

Shangaï

Dakar

Bassin méditérannéen

Newhaven

o

o

o

o

o

oo

Evreux

Compiègne

Beauvais

Dieppe

Ouistreham

Paris

RouenFécamp

Caen

Le Havre

Seine Aval Ile-de-FranceDeauville-Trouville

BolbecLillebonne

Nd de Gravenchon

Honfleur

Lisieux

Cabourg

Pont-AudemerMantes-la-Jolie

Gennevilliers

Longueil-Ste-Marie

Bonneuil-sur-Marne

Conflans-fin d'Oise

Achères

Bruyères-sur-Oise

Saint-Ouen l’Aumône

Triel-sur-Seine

Nanterre

Vigneux-sur-Seine

Evry

Estuaire

de laSe

ine

0 10 205Km

(c)IGN - Route500 - 2010(r)AURH (LA - 03/2011 - MAJ 04/2012)

“L’Estuaire de la Seine a sa propre histoire, ses richesses et son

bien-être dont nul n’entend se séparer.”

“C’est en s’affirmant comme un territoire métropolitain que l’Estuaire résoudra au mieux les tensions qui autrement risqueraient de le déchirer.”

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et urbain, élargi à ce que peut lui apporter l’immensité

océane en termes de savoirs, d’énergies et d’échanges

commerciaux, que l’Estuaire peut tirer la puissance qui

lui est nécessaire pour entrer dans le dialogue fécond et

équilibré qui l’attend.

Le projet de métropolisation rapproche les territoires

éloignés de la mondialisation et la terre de notre quoti-

dien. Et comme en réponse, même si parfois ils se sentent

harassés par les vents d’ailleurs qui bousculent leurs habi-

tudes, les habitants de nos communes savent recomposer

des géographies intimes. Ils apprennent à réinventer leurs

paysages et y inscrire leurs choix sentimentaux et esthé-

tiques. Plus le monde est vaste, plus nous avons besoin de

reconstituer un espace à notre échelle sans pour autant

rien perdre des possibilités qui sont offertes par les nou-

velles dimensions du monde.

Des rencontres incessantes, réelles ou virtuelles, offrent à

nos yeux un monde plus fluide, une mosaïque où s’arti-

culent des milieux, des populations, des façons de faire

et des innovations techniques. Ces variétés inouïes nous

sollicitent aujourd’hui par les marges de notre univers

quotidien, comme des vagues déferlant du plus profond

de l’océan sur nos plages. La nouveauté débarque sans que

nous y prenions toujours garde, comme jadis les bateaux

qui accostaient au fleuve. Elle prend parfois la forme d’un

grand paquebot blanc rempli d’amateurs de paysages, par-

fois celle d’une montagne mobile de containers échappée

des brumes de l’Asie. Cette nouveauté nourrit des filières

industrielles et relie sous de nouveaux auspices agricul-

ture, tourisme et technique, chimie organique et énergies.

Les décennies qui viennent enrichiront à l’infini ce début

d’inventaire, et cela d’autant plus généreusement que nous

aurons su ancrer dans nos uni-

versités la curiosité et les compé-

tences qui en sont dès à présent

le gage. Il n’est plus nécessaire de

rappeler que l’économie de l’in-

telligence est première, condition

absolue de l’économie productive

de demain et de l’économie des

moyens et des ressources qui doit

nous faire sortir d’un gaspillage absurde et ruineux. Car

nous apprenons à recycler, à tirer profit non seulement des

produits mais des sous-produits de la terre, en donnant

toute sa force à l’intelligence de la mise en circuit : ce qu’on

appelle l ’économie circulaire.Cela nous ramène enfin à l’espace urbain lui-même, où se

concentrent nécessairement les institutions d’organisa-

tion, de formation et d’invention. Plus encore qu’ailleurs,

la situation urbaine implique une réflexion renouvelée sur

les espaces de vie et de travail, les réseaux de communi-

cation et de transport, les connexions entre les territoires,

agricoles mais aussi touristiques, dont la ville est le nœud.

Un tissu complexe comme l’Estuaire de la Seine, son axe

de distribution partant du port vers Paris et le cœur de

l’Europe à travers la connexion fluviale de la Seine et du

Rhin, un tel réseau ne peut se

maintenir vivant qu’à la condition

expresse que ses parties, ses habi-

tants et ses produits, soient en

interconnexion constante. Plus

facile à dire qu’à faire quand le

territoire est traversé par le fleuve

qui en est la colonne vertébrale.

“C’est des spécificités de son territoire industriel, agricole, touristique et urbain, élargià ce que peut lui apporterl’immensité océane en termes de savoirs, d’énergie et d’échanges commerciaux,que l’Estuaire peut tirer lapuissance qui lui est nécessaire pour entrer dans le dialoguefécond et équilibré qui l’attend.”

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tant mais qui favorise finalement la cohérence du tout. La

métropolisation relève de la haute couture, c’est-à-dire de

l’intelligence et de l’imagination des peuples.

Et s’il est un domaine qui au jour d’hui requiert efforts et

exemplarité, c’est bien celui de la règle écologique. L’Es-

tuaire est un équilibre subtil entre la nature et les activités

humaines. Les vasières et le Marais Vernier équilibrent

les industries du pétrole et de la chimie. L’expansion

Ces interconnexions multiples sont cependant une exi-

gence suprême de toute métropolisation et de l’exempla-

rité que doit manifester l’Estuaire dans la gestion des per-

sonnes, des énergies et des biens. Sans elle, en effet, sans

cette circulation qui stimule les esprits et les échanges, les

replis identitaires risquent toujours de reprendre le dessus.

La métropolisation est une ambition forte, finalement au

service de chaque acteur, mais qui implique au départ que

chacun aura su abandonner le petit peu auquel il tient

Page 18: L'Estuaire en Seine - les raisons d'agir

urbaine doit être surveillée afin qu’elle ne s’effectue pas

au détriment des terres agricoles. Une intelligence de leur

convivialité et un art de gouvernance doivent émerger des

savoirs qui vont se développer dans les écoles implantées

dans l’Estuaire. Déjà la nature s’est construit un paysage

dans le port : il faut continuer et que toute ville et toute

industrie soit aussi à elle-même son jardin. Alors l’Es-

tuaire deviendra ce parc que l’on viendra visiter, non seu-

lement pour ses plages et ses industries innovantes, mais

pour la promenade au milieu de sa flore remarquable et de

ses oiseaux migrateurs. L’Estuaire ne doit se priver d’au-

cune de ces richesses à l’image de l’urbanisme de Perret

ou du savoir-vivre Augeron qui ont conduit à la recon-

naissance internationale de ce territoire. L’exemplarité de

son développement technique, humain et écologique fera

de l’Estuaire un espace attractif pour tous et sera la source

d’un bien-être accru pour ses habitants dans une méta-

morphose qui s’exprime déjà dans les gênes de l’Estuaire.

“La métropolisation est une ambition forte,finalement au service de chaque acteur,mais qui implique au départ que chacunaura su abandonner le petit peu auquelil tient tant mais qui favorise finalementla cohérence du tout. La métropolisationrelève de la haute couture, c’est-à-dire del’intelligence et de l’imagination des peuples.”

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Métamorphoser l’existant, c’est s’inscrire dans un

devenir, dans « ce qui vient après », en intégrant

ce qui a déjà eu lieu. La métamorphose métropolitaine

de l’Estuaire de la Seine active et exacerbe les rapports

entre ancrage et mobilité comme les rapports intercultu-

rels mettant en jeu des articulations spatio-temporelles

inédites. Elle se produit dans un contexte généralisé de

fortes mutations que la dynamique métropolitaine ne

fait qu’amplifier. Ce projet politique, économique, social,

culturel et environnemental d’envergure met en mouve-

ment un ensemble de flux et d’échanges qui traversent

et bousculent les entités constituant ce territoire. Une

telle opération se présente comme relance de possibi-

lités en termes de ressources

et de vitalités mais le défi est

aussi d’éviter de susciter un

enlisement dans des autarcies

ou de produire un développe-

ment à deux vitesses. En effet,

au-delà des enthousiasmes ou

des scepticismes qui peuvent

l’accompagner, il ne faut pas

méconnaître que s’exerce avec ce

changement une forte pression

sur les populations vulnérables

– du point de vue du niveau de formation, des capacités

de mobilité, d’une précarité sanitaire et sociale – et qu’il

peut également être perçu comme une menace sur des

traditions vernaculaires de « Pays » et sur des valeurs

patrimoniales. On sait par ailleurs que dans la cartogra-

phie des images et imaginaires contemporains, nombre

de paradoxes peuvent être relevés : images de la nostal-

gie de la mixité des villes d’antan, alors que prospèrent

parallèlement les images du cocon de l’entre-soi ou du

chez soi, avec la recherche de confort, de protection et

de sécurité, mais aussi d’images grisantes de la vitesse, du

déplacement, alors que se développe conjointement une

aspiration à la lenteur, à la flânerie, à la pause et au calme.

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CHRIS YOUNÈS

VIVRELA MÉTAMORPHOSEMÉTROPOLITAINE

DE L’ESTUAIREDE LA SEINE

Page 21: L'Estuaire en Seine - les raisons d'agir

ENTRE MILIEUX :AGRICULTURE/URBAIN, LOCAL/GLOBAL

Se centrer sur l’Estuaire de la Seine, c’est privilégier des

dispositifs naturo-culturels d’interpénétrations et d’inter-

dépendances ; c’est donc porter l’attention sur une manière

particulière d’être au monde et une capacité de réunir qui

inclut le fleuve mais va au-delà ; c’est insister sur ce qui est

« entre » et ce qui relie. Il y a toujours plusieurs milieux en

jeu (socio-économique, naturel, technique, culturel) qui

se superposent et s’entrelacent dans toute situation habi-

tée. De façon concomitante, tout est déjà là et en même

temps tout y advient ; les maillons qui constituent ce sys-

tème complexe auto-organisé sont solidaires et pourtant

chacun en même temps qu’il est lié aux autres, dispose de

sa propre initiative. C’est ainsi qu’un milieu est vivant et

qu’il diffère d’un milieu inerte en ce qu’il ne perd pas cette

initiative qui reflète sa vitalité.

La grande respiration agricole

L’imageNormande

La valléeintense

L’agglomérationactive et diffuse

La villeport

Le promontoire

L’immersionnature

L’intime

L’intime

L’amphithéâtre

Le Regardvers le large

Le Regardvers le large

Les passagesLes passages

Les passages

Le contrefortboisé

La vallée ramifiéeLes Marais

Le massifrepère

Le défilédes falaises

L’imageNormandee

La valléeLa vallévall eLa valléeeLLa vallLa valllléeééeéllééléléléééééééééééééévaLa vallvallvallvaallvalvaLa valavvLa vvvLa valLa vallLa valléiintenseintensei tensentensetensntentensntenensnnsntentntiiniinntensinintensensnnsnnttintensi

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L’immersionL’imnaturena

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LE HAUT PLATEAU

LE BOCAGEVALLONNE

ENTRE BOCAGEET PLATEAUX

agL’aggloglomératiomérationnnngagag

Les Ms MaLeLLeLeLeLeLeLLLLes eeeLA PLAINE

villeeLa vilL vilvilleleeLa La vporttppporportorttortt

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LE SPECTACLEDE L’ESTUAIRE

GGGGGAGAGAGAGAGCACAGGGGGGGCC EEEEEEEAA EEEECACAUXUXX

LE SILLONVERT

LA MER SAUVAGE

LA MER ACTIVE

LA MER BALNEAIRE

LES BAINS DE MER

LA VALLE E MO

SA

IQ

UE

LES

FALA

ISES MONUMENTALES

Caen

Rouen

Dieppe

Évreux!

¯ 0 10 205Km

(c)IGN - 2005(c)Corine Land Cover - 2006

(r)AURH (BM - 10/2010)

m Les grands paysages de l’Estuaire.

Page 22: L'Estuaire en Seine - les raisons d'agir

Ce milieu composite, comprenant le

Pays de Caux, le Pays d’Auge, la Côte

Fleurie, la Vallée de la Risle, Le Havre

avec sa performance portuaire, est

caractérisé par une double face agri-

cole et industrielle, rurale et urbaine,

mais aussi une composante touristique de plus en plus

marquée, de telle sorte que se juxtaposent des façons

d’être et de faire opposées entre terroir et haute technolo-

gie, entre espaces privatifs et espaces publics. Si la grande

présence des éléments, de l’animal, du végétal ou encore

la conscience d’un temps long, dans lequel le passé se

conçoit comme héritage et le présent comme la répétition

de gestes et de coutumes perpétués, ont été longtemps

l’apanage de la culture rurale, l’urbain est associé à des

temporalités plus courtes et plus rapides dans lesquelles

les médias jouent un rôle déterminant. L’urgence, l’évé-

nementiel, les mutations sont au cœur de la fabrique du

contemporain urbain. Incontestablement y a été portée

à un paroxysme la vertigineuse labilité des lieux et des

liens. Les recherches anthropologiques menées au milieu

du xxe siècle en avaient décelé les manifestations, insis-

tant sur le passage de la sédentarité au nomadisme. Ce

néo-nomade pris dans un système de flux est exposé à

l’uniformisation dans une société de masse, à des dépla-

cements incessants pour vivre et à un

manque de repères menaçant d’épuise-

ment hommes et lieux. Le paysage ver-

naculaire urbain ou villageois qui tend à

s’ajuster au local, se trouve au contraire

saturé de traces et d’héritages qui lui

donnent une grande puissance affective

et symbolique. En tant que produit de

“De façon concomitante,tout est déjà là et en même

temps tout y advient ; les maillons qui constituent ce système complexe auto-organisé sont solidaires etpourtant chacun en même

temps qu’il est liéaux autres dispose desa propre initiative.”

“Ce milieu composite est caractérisé par une double

face agricole et industrielle, rurale et urbaine, une

composante touris tique.[...] L’événementiel, les muta-

tions sont au cœur de la fabrique du contemporain.”

Page 23: L'Estuaire en Seine - les raisons d'agir

20220

milieux singuliers, porteurs d’une longue durée, il est

pris de manière accélérée dans des logiques et décou-

pages translocaux. Cette évolution peut s’accompagner

d’une tentation de repli sur une échelle intime et com-

munautariste, tentation renforcée par la hantise de la

sécurité qui devient une des obsessions contemporaines

particulièrement fortes. Par ailleurs, le spectre de la crise

ne fait qu’accentuer les antagonismes. La séduction de

l’île est certainement, dans un contexte en mutation, une

composante vivace qu’il s’agit

de regarder en face.

Ainsi comme tout milieu habité

relié par une multitude de liens,

il requiert de négocier des fran-

chissements de frontières phy-

siques et mentales, et des articu-

lations au plan réel, imaginaire

et symbolique pour faire face aux changements. Le fort

attachement aux milieux vernaculaires locaux n’empêche

pas des hybridations avec des cultures et des économies

translocales, mais à certaines conditions. Les stratégies

de développement régénérateur passent désormais par

des reconfigurations inventives liant local et global, étant

donné des mises en contact et des interpénétrations impé-

ratives qui se font à des vitesses sans précédent. L’effet de

serre et le réchauffement climatique par exemple, ou encore

l’économie mondialisée, qui affectent le local, relèvent

d’une vision globale. S’y ajoutent les flux informationnels

et les réseaux infrastructurels de déplacement qui s’avèrent

passer au premier plan. Si le global tend à empêcher le

local de se replier sur lui-même, la persistance du local est

la condition de la vitalité des diversités. L’ancrage local

“Comme tout milieu habité relié par une multitude de

liens, il requiert de négocier des franchissements de frontières physiques et mentales, et des

articulations au plan réel, ima-ginaire et symbolique pour faire

face aux changements.”

Page 24: L'Estuaire en Seine - les raisons d'agir

“La séduction de l’îleest certainement,dans un contexteen mutation,une composante vivacequ’il s’agitde regarder en face.”

Page 25: L'Estuaire en Seine - les raisons d'agir

opposition entre ces deux niveaux de réalité, le local et le

global, suscitant des déstabilisations, mais cette opposition

peut aussi se transformer en complémentarités ou oppor-

tunités. Ce qui est local est particulier, relatif, délimité et

s’avère circonscrit dans une aire déterminée alors que le

global est ce qui dépasse les frontières, s’étendant au globe

terrestre d’où le terme est dérivé. Les deux sont indis-

sociables. Il s’agit de favoriser la capacité créatrice d’un

milieu spécifique à les lier. Le défi consiste donc à ima-

giner d’autres conciliations à partir des résistances et des

ressources propres à chaque milieu de vie, indissociables de

leurs porosités par rapport à d’autres milieux.

a été souvent source de défiances, car il a été

associé à l’idée de renfermement alors même

qu’il se définit comme entité relationnelle à la

fois hyper et translocale. Le vocable de globa-

lisation qui date du début des années soixante

désigne « le fait de se répandre dans le monde

entier », et s’est précisé dans les années quatre-vingt dans

le sens d’un processus de déterritorialisation des capitaux

qui s’est imposé au marché à travers les multinationales.

C’est un développement insoutenable privilégiant une

économie globale au détriment des ressources locales qui

conduit à séparer le global et le local. Certes, il peut y avoir

“Si le global tend à empêcher le local de

se replier sur lui-même, la persistance du local est la condi-

tion de la vitalitédes diversités.”

Page 26: L'Estuaire en Seine - les raisons d'agir

23

ENTRE HÉRITAGE ET RE-CRÉATION :L’ENJEU DES RELIANCES

Entre façade maritime et arrière-pays, entre nord et sud,

l’Estuaire de la Seine se présente comme une mosaïque

de paysages, d’usages et de représentations très contras-

tés, dont la pluralité et l’hétérogénéité apparaissent net-

tement. Les différentes cultures, maritimes, industrielles,

campagnardes, touristiques, qui le constituent en font la

richesse et s’y croisent, s’y juxtaposent voire s’y opposent,

s’ignorant et se méconnaissant parfois mais se trouvant

toutes intégrées dans la même « glocalisation » qui multi-

plie la complexité des connexions.

L’importance des mises en relation a été particulièrement

soulignée par Edgar Morin qui a fait du concept de reliance

la cellule souche de la pensée complexe. La reliance, c’est

« le travail des liens » à savoir « l’acte de relier et de se relier

et son résultat », ce qui suppose également des limites qui

distinguent et des espacements ou écarts qui mettent à

distance tout en ménageant une certaine proximité. Les

reconfigurations métropolitaines accélèrent et intensi-

fient les trajectoires qui ne sont pas seulement des pas-

sages d’un endroit à un autre mais les tenseurs d’ouverture

d’un espace existentiel, redéfinissant les synergies spatio-

temporelles du proche et du lointain, ainsi que les rap-

ports aux autres. Cette bipolarité

du statique et du dynamique est

des plus ambivalentes. Les inscrip-

tions spatiales plus ou moins répé-

tées n’ont jamais fonctionné que

grâce aux lignes de mobilité qui les

irriguent et dont elles participent,

constituant dans l’Estuaire de la

Seine une constellation en permanent réé-

quilibre, comme l’explique Frédéric Bonnet.

Les relations possibles entre demeure, ville,

région, monde, tracent d’autres figures des

lieux et des milieux, du lent et du rapide, entre

confrontation avec l’inconnu et retrouvailles

avec le connu. Car habiter est un phénomène

total chargé affectivement, symboliquement, socialement,

éthiquement, qui se déploie entre points, lignes, surfaces,

comme entre passé et présent. Des mobilités douces asso-

ciées à d’autres plus rapides soutenables, sont une des

conditions d’un territoire hospitalier et désirable. De même

que des projets qui engagent à un art de devenir entre héri-

tage et re-création. Les pièges de la fossilisa tion, la muséi-

fication, la patrimonialisation ainsi que toutes les formes

“Car habiter est un phénomène total chargé affectivement, symboliquement, socialement, éthique-ment, qui se déploie entre points, lignes, surfaces, comme entre passé et présent.”

Page 27: L'Estuaire en Seine - les raisons d'agir

d’effacement des traces brouillent les pistes et fabriquent

des impasses et des incompréhensions mais aussi des affai-

blissements. Des réévaluations et d’autres nouages entre

les temps longs et les temps courts, les stabilités et les ins-

tabilités sont en jeu. De nombreux chantiers s’imposent,

telles les transformations d’un héritage moderniste de

séparation et de mono-fonctionnalisme en des mises en

contact entre cultures, comme entre cultures et nature.

ACTIVER LE POUVOIR DE RELIANCEDE L’ESTUAIRE DE LA SEINE :TROIS CHAMPS D’ACTION À RENFORCER

Dans le contexte du développement durable, trois champs

d’action s’avèrent plus particulièrement déterminants

quant à l’accompagnement de la métamorphose de l’Es-

tuaire de la Seine.

Une mobilisation partagée

La co-construction du projet avec une volonté d’intérêt

collectif qui est en cours est un des facteurs clés d’une

vigueur transformatrice. Cette élaboration concertée qui

reste encore à élargir peut permettre de composer avec des

forces et des faiblesses. Remarquable par ses sites, ses pay-

sages, son histoire, ses patrimoines et son potentiel « eau »

entre Seine et atlanticité, ce milieu se caractérise aussi par

une démographie en perte de vitesse, par des formes de

fragilité, par une attractivité très contrastée et des connec-

tivités défaillantes. Il doit aussi affronter les contradictions

entre logiques de pays et logiques de grand territoire, qui

pourraient constituer des freins à des entreprises collabo-

ratives sans une large adhé-

sion à la mutation en cours

et à un projet de devenir.

24

“Des mobilités douces associéesà d’autres plus rapides soutenables sont une des conditions d’unterritoire hospitalier et désirable.”

“La co-construction du projet avec une volonté d’intérêt collectif qui est en cours est un des facteurs clés d’une vigueur transformatrice.”

Page 28: L'Estuaire en Seine - les raisons d'agir

Lumières d’Estuaire

La mer est proche. Pour tous les pay-sages de l’Estuaire, cette influence se traduit par des ciels puissants, chan-geants, une lumière maritime inégalée, de somptueux motifs de nuages, de brumes et d’azur. Ces variations en bleu, or, rose, blanc et gris se combinent avec les teintes des sols et des milieux, ocres de l’automne. C’est aussi cela, les identités multiples de l’Estuaire.

De gauche à droite et de haut en bas :

Hautes falaises, plateau et valleuse, falaise morte,rive d’Estuaire, bocage,champ de lin,vallon,labours,reflets sur l’Estuaire, brumes et silos.

Page 29: L'Estuaire en Seine - les raisons d'agir

Des complémentarités territoriale et des solidarités

Pour faire face aux transformations et dynamiques ambi-

valentes de l’intérêt métropolitain, l’Estuaire de la Seine,

reliée au Val de Seine, projet d’envergure en liaison avec

la proximité de l’Ile de France, vaste bassin de consom-

mation et d’animation, exige de s’entendre et de s’orga-

niser collectivement. En même temps qu’est visée la pro-

duction de nouvelles possibilités et ressources, il s’avère

absolument nécessaire d’anticiper les effets à réguler.

Car si le déploiement d’infrastructures et d’activités de

niveau national et international ne s’inscrit pas dans une

perspective de ménagement, la métropolisation risque

de s’accompagner aussi d’une fragmentation socio-spa-

tiale, d’un appauvrissement de lieux et de personnes,

d’une tension plus élevée

sur les milieux naturels et

les populations en difficulté

pouvant redouter des chan-

gements de cette envergure.

Pour parer à ces menaces, ce sont les complémentarités

et les solidarités qui permettront de réduire les fractures

sociales et de veiller aux écosystèmes ainsi qu’à une

accessibilité élargie, articulant la proximité aux échelles de

l’espace régional, national et mondial. Ce sont elles qui

permettront de construire une métropole adaptable aux

différentes situations de travail, de formation, d’habitat, de

loisirs. Ce sont elles également qui permettront la fluidité

des mobilités concrètes et mentales allant vers une totalité

animée par les liaisons entre les deux rives de l’Estuaire, par

des interfaces entre urbain et rural avec le renforcement

d’un réseau d’équipements et de services, et avec le souci

de chacun en sa singularité. Et ce sont elles encore qui

permettront de donner une ampleur féconde à la rencontre

des cultures (éducatives, scientifiques, artistiques, popu-

laires) dans les transformations entreprises. Il importe

alors de déterminer les leviers sur lesquels agir pour

susciter la régénération du territoire et éviter son

enlisement ou sa rigidification dans un repli autarcique,

ou bien l’acceptation d’un développement laissant pour

2626

“Ce sont les complémentarités et les solidarités qui permettront de

réduire les fractures sociales et de veiller aux écosystèmes ainsi qu’à

une accessibilité élargie, articulant la proximité aux échelles de l’espace

régional, national et mondial.”

Page 30: L'Estuaire en Seine - les raisons d'agir

compte ceux qui ne peuvent

pas suivre. L’ouverture et les

solidarités territoriales ainsi

que les capacités d’accueil

d’activités économiques et

d’autres populations permettent de combattre les dérives

et de créer un souffle dynamisant.

Une identification d’appartenance commune

Convaincre, rassurer sur les identités, sur les complé-

mentarités et sur le fait que les différences continueraient

d’exister, s’imposent également. L’homo urbanus n’a pas

“une” mais “des” identités, qui ont été forgées au cours des

trajectoires de vie. L’enchevêtrement des appellations entre

Normandie, Basse-Normandie, Haute-Normandie et

Estuaire de la Seine, souligne l’ambivalence des limites des

territoires, qui à la fois distinguent et rapprochent. Ainsi

la méta-figure de l’Estuaire de la Seine offre une appar-

tenance supplémentaire sans que cela implique de perdre

les autres, bien au contraire. Pour l’instant cette identité

qui reste encore floue est à façonner, en même temps que

l’action vers une vision partagée du futur, suscitant l’adhé-

sion des habitants, est à poursuivre. La part symbolique

en termes d’images mais aussi d’interfaces, est cruciale.

Des priorités sont à déterminer pour une puissance de

reliance autour de l’Estuaire, qui est un en-commun riche

aussi en vides féconds, en biodiversité et en paysages. Si

le nom de baptême : Estuaire de la Seine, a été adopté à

l’unanimité, la question de la liberté et de l’aisance des

circulations en son sein a été fortement soulignée. L’im-

portance d’un acte symbolique mar-

quant l’affirmation d’une commu-

nauté, tel que la suppression du péage

pour franchir le Pont de Normandie,

a été largement mentionnée, et un

large consensus s’est formé autour

des projets culturels et festifs qui se

préparent autour de l’eau et des arts.

27

“Pour l’instant cette identité qui reste encore floueest à façonner, en même temps que l’action versune vision partagée du futur, suscitant l’adhésion des habitants, est à poursuivre.”

“L’ouverture et les solidarités territoriales ainsi que les capacités d’accueil d’activités économiques

et d’autres populations permettent de combattre les dérives et de créer

un souffle dynamisant.”

Page 31: L'Estuaire en Seine - les raisons d'agir

28

UN ART DE DEVENIR

De multiples questions politiques et éthiques sont donc

soulevées à propos de la force des héritages en jeu, de ce qui

est à ménager, de ce qu’il faut conserver et jusqu’où, de la

façon de concilier usages, développement et conservation.

Ces questionnements sont à mettre en perspective avec la

prégnance d’une posture écologique, qui attire l’attention

à la fois sur les données sociales et culturelles mais aussi

sur les résistances et ressources naturelles des milieux habi-

tés. L’enjeu est celui de la vie dans toutes les acceptions

de ce terme, qui ne sont pas seulement biologiques - bien

qu’il soit indéniable que le vivant, le « bios », en soit une

des clefs – mais aussi culturelles. Ce qui invite à penser cet

ensemble en évolution comme une unité composite faite

d’échanges et d’interactions fructueuses, alors même que les

territoires peuvent se trouver divisés voire instrumentalisés.

Régénérer un tel milieu, c’est recycler, dépolluer, hériter,

économiser, diversifier, établir des solidarités, se dépla-

cer suivant des modes de mobilité « propres », réduire les

formes de ségrégation socio-spatiale, prendre soin, former,

inventer mais aussi créer et recréer. Car les corythmes entre

humain et non humain, entre urbain, industrie et agricul-

ture, bref entre natures et cultures, constituent la matière

du coexister. Leurs métamorphoses qui ici renoueraient

eau et terre de manière inédite et artistique, et qui seraient

une métamorphose d’intérêt commun autour d’un projet

qui rassemble, comporte

une part de rêve, mais une

telle mutation métropo-

litaine est aussi faite de

ré-enchantements. En ce

sens, l’Estuaire de la Seine

peut s’avérer exemplaire.

“Un projet qui rassemble, comporte une part de rêve mais une telle mutation métropolitaine est aussi faite de ré-enchantements. En ce sens, l’Estuaire de la Seine peut s’avérer exemplaire.”

Page 32: L'Estuaire en Seine - les raisons d'agir

29

Page 33: L'Estuaire en Seine - les raisons d'agir
Page 34: L'Estuaire en Seine - les raisons d'agir

31

Dans un court texte dit « d’humeur littéraire », Benoît

Duteurtre écrit : « Chaque fois que je retourne dans

ma ville natale, j’attends ce moment où le train débouche

sur l’estuaire et son horizon de torchères. Chaque fois

que je franchis le pont de Normandie, j’admire la couleur

épaisse de la rivière prête à se transformer en mer avec

son chapelet d’usines, bâties sur des étendues sauvages,

sablonneuses, vert et gris, comme des sables mouvants. La

Seine reste pour moi ce fleuve urbain, ce boulevard d’Île-

de-France, qui relie les tours de la centrale électrique de

Porcheville et celles de la centrale électrique du Havre,

dominant les grues et les bassins ».1

Tout est dit : l’ambiance, le sens, le lien. On peut mettre

des chiffres sur les mots, des connaissances objectives sur

le ressenti, de la science sur l’humeur littéraire, on n’ira pas

beaucoup plus loin que ce que chacun des habitants des ter-

ritoires de l’Estuaire porte en lui, et que Benoît Duteurtre

exprime par son talent : ici, on produit ; on le fait dans un

cadre qui est une permanente « leçon de nature » ; lequel,

bien que tourné vers l’Atlantique, n’est en quelque sorte que

« la poursuite de la région capitale par d’autres moyens ».

Mais rien n’est moins simple que cette triple évidence.

Produire : des hydrocarbures raffinés, des automobiles,

des services portuaires, des pommes et du cidre, des che-

vaux de race, des principes actifs chimiques, des fromages

31

PRODUIRE,HYBRIDER,

MÉTROPOLISERMARTIN VANIER

Page 35: L'Estuaire en Seine - les raisons d'agir

reconnus en AOC, des nacelles de moteurs

d’avion, de la maintenance industrielle, des

compresseurs géants, des bouteilles en verre, de

la morue, bientôt des éoliennes marines, le tout

dans un rayon de 50 km autour de l’embouchure

de la Seine. La coexistence des producteurs ne

va pas de soi. D’autant moins que s’y ajoutent d’autres

logiques, d’autres attentes, qui viennent de loin elles-aussi

pour valoriser d’autres richesses : le port est premier, mais

l’invention de la Côte Fleurie est antérieure à celle de la

Zone Industrialo-Portuaire, la Normandie des petites et

grandes villégiatures du pays d’Auge vaut bien celle des

fabriques de la vallée du Commerce ou des clos-masures

du plateau de Caux, et le port-musée d’Honfleur fait face

à Port 2000, à 4 km à vol d’oiseau.

Le tout tenait ensemble grâce à un subtil cloisonnement

des territoires, utilisant astucieusement les discontinuités

géographiques : entre une valleuse et ses plateaux, entre

une plaine littorale et ses coteaux et surtout entre les deux

rives de l’Estuaire, si longtemps séparées et mettant de ce

fait en scène le circuit estuarien de la valeur ajoutée : pro-

duction en rive Nord, passage par la racine francilienne,

et retour en Normandie pour être dépensée en rive Sud.

Or, voilà qu’une double envolée incite au décloisonne-

ment et à la reconnaissance des interdé pendances des ter-

ritoires de l’Estuaire : l’envolée Nord-Sud des ponts, qui

en 40 ans sont venus recoudre l’Estuaire au plus près de

son embouchure ; et, plus récemment, l’envolée Est-Ouest

de l’alliance métropolitaine, proposée par un Grand Paris

“L’Estuaire bien que tourné vers

l’Atlantique, n’est en quelque sorte que

« la poursuite de la région capitale par

d’autres moyens ».”

32

Page 36: L'Estuaire en Seine - les raisons d'agir

en quête d’un destin qui le projette au-delà

de ses contradictions internes.

Interdépendants ? Mais alors dans quel

système de territoires, organisant de fait

quelle solidarité, inscrite dans quelle pers-

pective commune ? C’est toute la question qui est posée

aujourd’hui aux habitants et aux acteurs des territoires de

l’Estuaire de la Seine. Au cœur de la réponse, il y aura

forcément rendez-vous avec ces trois « mots d’ordre » :

produire, hybrider, métropoliser.

Notons que ce n’est pas la première fois dans son histoire

que la Normandie est confrontée, par son Estuaire majes-

tueux, à des questions qui la bousculent. C’est peut-être

même le sens profond de la Norman-

die – qu’elle soit Haute ou Basse – que

d’être produite par ces questions, et par

les réponses que ses acteurs y apportent :

à la croisée des constructions nationales

de la France et de l’Angleterre au cours du Moyen Âge ;

puis au front portuaire des ambitions maritimes des pre-

miers monarques centralisateurs des Temps Modernes

(fondation du Havre) ; puis autre front, balnéaire cette

fois, pour l’aristocratie et la grande bourgeoisie nationales

et cosmopolites qui inventent le tourisme

de villégiature sous le Second Empire ; puis

espace industrialo-portuaire emblématique

du miracle industriel des Trente Glorieuses

au sortir de la Seconde Guerre Mondiale.

“Or, voilà qu’une double envolée incite au décloisonnement

et à la reconnaissance des interdé pendances

des territoires de l’Estuaire.”

“Interdépendants ?Mais alors dans quelsystème de territoires,organisant de fait quellesolidarité, inscrite dansquelle perspectivecommune ?”

33

Page 37: L'Estuaire en Seine - les raisons d'agir

La nature est souvent opposée à l’économie. Il faut retrouver ici, comme ont su le faire d’autres grandes métropoles portuaires, la force de la diversité des caractères de l’Es-tuaire : c’est un lieu de logistique et de produc-tion, et de potentiel touristique immense, aussi bien pour les visiteurs que pour les habitants.

L’Estuaire est lui-même hybride, il associe nature, industrie, tourisme,transports…

Lorsqu’on est au niveau du sol, dans l’Es-tuaire : un paysage extraordinaire dont on profite pourtant encore peu, et qu’il faut rendre mieux accessible.

L’Estuaire ne se réduit pas à l’industrie et aux infrastructures : c’est aussi une des plus grandes réserves naturelles de France.

Le Grand Paris et son « Seine

Gateway », la construction à venir de

la Ligne Nouvelle Paris Normandie

(LNPN) avec son potentiel de muta-

tion urbano-portuaire pour Le Havre,

s’inscrivent-ils dans cette puissante histoire ? On verra

bien. Ce qui compte, c’est de retenir que dans cette destinée

d’ouvertures, qui avance à chaque fois à grands coups de

boutoirs exogènes, les Normands et leurs territoires ne sont

ni neutres, ni passifs. Ils se font marins, dockers, armateurs,

pêcheurs, hôteliers, éleveurs, chimistes, métallurgistes,

constructeurs automobiles, cheminots, reconstructeurs…

Ils finissent toujours par digérer ce qui leur arrive de l’ex-

térieur, et être à la hauteur des chantiers, souvent gigan-

tesques, dont ils héritent. Cette fois encore, il pourra en

être ainsi, mais aux trois conditions qui ont été dites.

“Les Normands finissent toujours par digérer ce qui

leur arrive de l’extérieur, et être à la hauteur des chan-

tiers, souvent gigantesques, dont ils héritent.”

34

Page 38: L'Estuaire en Seine - les raisons d'agir

Le fleuve est à la fois un espace naturel, un vecteur logistique et touristique.

35

Page 39: L'Estuaire en Seine - les raisons d'agir

36

irrémédiable déclassement mondial, qui la ramènera

pour longtemps au rang de petit pays secondaire. Répéter

qu’un pays qui ne produit pas les biens qu’il consomme

perd sa jeunesse diplômée qui rejoint les foyers de cette

production quelque part dans le monde, plutôt vers

l’Asie. Arguments incontestables, généralement partagés

au plan national, mais de fait souvent invalidés lorsqu’il

s’agit, localement, de maintenir ou développer l’activité

industrielle, et plus encore l’activité énergétique ou d’ex-

traction de matières premières.

C’est alors que le « réalisme » de la compétition mon-

dialisée, les nécessités technologiques, et/ou la vigilance

PRODUIRE

Pourquoi continuer à produire ? Si l’on en juge par le recul

de l’emploi productif en France, et le poids croissant de

l’économie résidentielle dans les territoires2, la question

est bel et bien posée un peu partout dans le pays. On

pourrait répéter ici les arguments, ô combien, recevables

en faveur de la précieuse valeur ajoutée quelle qu’elle

soit (industrie, agriculture, énergie, recherche, services

productifs…), sans laquelle l’économie résidentielle est

entièrement dépendante de revenus acquis ailleurs, y

compris à l’étranger. Répéter que sans participation active

à l’économie hyper-industrielle3, la France connaîtra un

Page 40: L'Estuaire en Seine - les raisons d'agir

37

en faveur de l’environnement et de la qualité de vie font

reculer entreprise par entreprise, site par site, projet par

projet, la capacité productive des territoires. Contesta-

tion bien connue, qui vaut aussi pour l’axe industriel de la

basse Seine, même si la culture industrielle y est plus forte

qu’ailleurs : qu’adviendra-t-il du raffinage dans les pro-

chaines 10 à 20 années dites de transition post-carbone ?

Et pourtant, au-delà des raisons nationales qui ont toutes

leurs valeurs, produire doit rester le point de départ du

projet collectif des territoires de l’Estuaire pour une rai-

son qui leur est propre. C’est que ces territoires se sont

construits comme des territoires productifs : agricoles,

“Répéter que sans participation active à l’économie hyper-industrielle,

la France connaîtra un irrémédiable déclassement mondial, qui laramènera pour longtemps au

rang de petit pays secondaire.”

Page 41: L'Estuaire en Seine - les raisons d'agir

industriels, portuaires et logistiques, halieutiques, touris-

tique et industries de services. Ils ont trouvé là leur iden-

tité, leur épaisseur sociale, leur place vis-à-vis du reste de

l’espace national et européen, leur fonction dans le sys-

tème qui les englobe. Rien ne pourra les mobiliser aux

côtés du grand projet exogène qui s’annonce, qui ne soit

accroché à cette réalité productive multiforme. Ici plus

qu’ailleurs, il faut produire, ou disparaître, car les alter-

natives sont très loin d’être équivalentes à celles d’autres

régions littorales, plus méridionales, plus anciennement

résidentielles, plus urbaines aussi.

D’ailleurs, qu’est-ce que le reste de la France vient cher-

cher dans ce cœur de Normandie, sinon l’espace productif

multiforme en question : des torchères et des immenses

zones industrielles certes, mais aussi des bassins à flots et

leurs portiques géants, des prés, salés ou non, des fronts

balnéaires et des stations touristiques capables de recevoir

la Région parisienne en week-end, des champs marins,

etc. Elle n’y vient certes plus avec le même élan et la même

intensité qu’aux heures glorieuses du déploiement indus-

triel national, mais sans pour autant renier ce qui a été

investi ici depuis 50 ans, qui fait de la Basse Seine un des

plus vastes espaces usiniers du pays, appuyé, comme on le

sait, sur le premier port national en trafic de conteneurs.

Sur cette base, qui reste puissante, une

révolution productive peut advenir4.

Elle pourrait combiner les nouvelles

formes de productions énergétiques

(éolienne dès demain, houlomotrice

plus tard, quoi qu’il en soit renouve-

lables), les activités de recyclage direc-

tement liées aux productions actuelles

(captage, transport et stockage du

CO2, et son ingénierie ; recyclage automobile ; etc.), par

conséquent les symbioses industrielles qui deviendront la

règle et se territorialiseront. Elle pourrait s’appuyer sur des

circuits logistiques eux aussi combinés, donnant accès à un

nouvel hinterland, d’autant que les plus puissants seront

définitivement servis par plusieurs solutions portuaires.

Elle concernera vraisemblablement l’agriculture, mais

aussi le tourisme de masse, dont les intrants et les extrants

devront entrer eux-aussi dans des cycles écologiques de

gestion économe des ressources. Autant de possibles qui

ouvrent un avenir aux activités de production sous toutes

leurs formes. A une condition cependant : hybrider.

“Ici plus qu’ailleurs,il faut produire, ou dispa-raître, car les alternatives sont très loin d’êtreéquivalentes à celles d’autres régions littorales, plus méridionales, plus an-ciennement résidentielles, plus urbaines aussi.”

Page 42: L'Estuaire en Seine - les raisons d'agir

“Une révolution productive peut advenir. Elle pourrait combiner les

nouvelles formes de productions énergétiques, les activités de recy-

clage, les symbioses industrielles, s’appuyer sur des circuits logis-

tiques combinés. Elle concernera vraisemblablement l’agriculture,

mais aussi le tourisme.”

Page 43: L'Estuaire en Seine - les raisons d'agir

40

l’usine, sur le site de l’exploi-

tation agricole, ou au flanc

du port morutier, c’était

faire de leurs contraintes

autant de marqueurs d’iden-

tité. Depuis une génération,

comme partout, l’espace de

travail et l’espace de rési-

dence ne cessent de se distendre. On n’habite plus au plus

près de son travail, mais en s’en éloignant il arrive qu’on

se frotte à l’espace de celui des autres. Le côtoiement des

espaces productifs – industriels comme agricoles – des

« autres » épuise la tolérance. Pourquoi supporter une acti-

vité, une production, et ses impacts paysagers et environne-

mentaux, si elle ne fait plus sens pour l’habitant qui en est

le voisin ? Rejet accentué par l’apparentement du logement

à un patrimoine immobilier qu’il s’agit de valoriser dans

une trajectoire résidentielle faite d’achats et de reventes.

Dès lors, le cloisonnement subtil devient difficilement

tenable, et c’est l’ensemble des territoires entremêlés autour

de l’Estuaire de la Seine qui se posent la question de leur

habitabilité. Produire, certes, mais habiter, plus encore.

D’autant que, deuxième raison, la conscience écologique

à l’égard des territoires progresse avec cet épanouissement

de l’espace habité et la quête de ses aménités. Du jardinet,

du lopin potager, ou de l’espace public de proximité, on

est passé à des aspirations autrement plus amples et exi-

geantes, qui rendent l’habitant vigilant quant à la qualité

de ressources globales et circulantes, qualifiées désormais

de « biens communs » : eau, air, biodiversité, paysage.

Du coup, on redécouvre l’Estuaire même dans toute

sa dimension et sa complexité écosystémique : le grand

“Naguère, chacun habitait à proxi-mité du système productif dont il dépendait, et en acceptait de ce fait les contraintes. On n’habite plus près de son travail, en s’en éloignant il arrive qu’on se frotte à l’espace de celui des autres. Le côtoiement des espaces productifs – industriels comme agricoles –des « autres » épuise la tolérance.”

HYBRIDER

On aurait pu dire : « concilier », « équilibrer », ou « faire

coexister ». Mais il ne s’agit plus de cela désormais. La

coexistence des « espèces productives » que sont les dif-

férentes activités des territoires de l’Estuaire, dans une

compétition plus ou moins régulée, avec ses conflits, ses

compensations, ou ses ignorances mutuelles, fut la solu-

tion, pour ainsi dire passive, à la diversité et l’hétérogénéité

des situations socio-économiques du grand territoire de

l’Estuaire. On a déjà dit comment cette coexistence plus

ou moins fragile trouvait dans les micro-cloisonnements

les conditions de sa pérennité. Ce compromis historique

et géographique ne tient plus, pour trois raisons.

La première raison est habitante. Naguère, chacun habi-

tait à proximité du système productif dont il dépendait, et

en acceptait de ce fait les contraintes : vivre à l’ombre de

Page 44: L'Estuaire en Seine - les raisons d'agir
Page 45: L'Estuaire en Seine - les raisons d'agir

Les parcelles industrielles peuvent atteindre de très grandes surfaces,compatibles avecles besoins.

L’industrie est insérée dans le motif dense de la trame verte.

Une partie est réservéepour le développement : des plantations préparent la structure végétale.

Une trame verte, constituée de bandes épaisses, diversi-fiées et interconnectées, assure les continuités avec le reste des milieux.

Les rives sont restaurées,rendues au fleuves. Les infrastructures d’apontage sont construites à l’écart, comme des plateformes.

Une figure hybride : «la Z.I.N.», Zone Industrielle Naturelle

L’industrie peut trouver sa place sur un sol dont les fonctions écologiques et la qualité paysagère demeurent : continuités d’une trame verte avec le reste des milieux, traitement des eaux récollectées, restauration des rives. Dans cette hypothèse de «Zone Industrielle Naturelle», l’industrie s’insère comme dans un grand parc de plusieurs kilomètres carrés, dont une partie est préparée pour d’éventuelles extensions, tandis qu’une autre se régénère.

Page 46: L'Estuaire en Seine - les raisons d'agir

espace industrialo-portuaire est aussi un « habitat », au

sens écologique du terme.

Mais ceci ne peut plus conduire à séparer les vocations

territoriales, à opposer, même à grande échelle, l’espace

des « désordres productifs » et celui des « ordres natu-

rels », à s’accommoder ici d’une forte anthropisation (la

Zone Industrialo-Portuaire), avec la contrepartie d’une

forte protection là (les zonages écologiques divers). C’est

la troisième raison, d’ordre économique, au sens pre-

mier de « production, circulation et consommation des

richesses ». La révolution productive évoquée montre à

quel point ces richesses seront désormais globales, c’est-

à-dire à considérer à la fois dans leurs cycles productifs et

dans leurs cycles naturels. Il faut protéger en anthropisant,

43

Page 47: L'Estuaire en Seine - les raisons d'agir

et préserver en produisant, tel

est le nouveau défi contempo-

rain, car les territoires ne s’habitent plus par appartement,

mais bien dans la continuité de leur fonctionnement éco-

nomique et écologique.

Est hybride ce qui naît d’un croisement imprévu et aug-

mente la vigueur des constituants d’origine. Est hybride

le territoire qui ne ressort pas d’une seule logique mais

de plusieurs et qui génère dans ce croisement des qualités

supplémentaires. L’hybridation des territoires de l’Estuaire

de la Seine consiste à préserver leur avenir productif tout

en produisant leur richesse environnementale : ce qui est

bon pour l’entreprise – industrielle, agricole, de services –

est bon pour l’environnement, et vice-versa, mais donne

en outre à l’ensemble une vitalité régénérée.

Voici la « Zone Industrialo-Naturelle » de demain,

l’espace de production industrielle qui rend service à la

nature : elle accueille des entreprises dans un espace géré

en tant qu’écosystème spontané ; ses réseaux « gris » (voi-

rie et réseaux de distribution, etc.) ne segmentent pas

les réseaux « verts » (trames de la biodiversité, trames du

paysage) ; ses cycles économiques (intrants, extrants, cir-

culations, rejets, déchets…) participent aux cycles écolo-

giques ; pour ce faire, les solutions mises en œuvre font

progresser la technologie, le process et la valeur ajoutée de

l’entreprise ; l’espace à la fois usinier et récréatif (prome-

nade, activités de plein air, pêche, chasse, observation fau-

nistique et floristique…) est doublement remarquable :

par ce qu’il produit, et par ce qui s’y produit.

La génétique nous apprend que l’hybridation est au principe

même de la vie. Avant d’être une manipulation volontaire et

scientifique, elle est, par surprise, un phénomène naturel qui

tire parfois profit de la cohabitation d’hétérogènes. Mettez

un grand port – comme Le Havre – dans une petite ville –

comme Le Havre : il peut ne rien se passer de plus que ce voi-

sinage forcé, surtout si des logiques d’ingénieur s’appliquent

à tout moment à rendre étanches les deux systèmes. Mais

si l’hybridation est favorisée,

alors il advient quelque chose

de plus que la stricte fonction

portuaire ou que ce que la ville

en tant que telle peut offrir. Ce

quelque chose de plus conduit

au troisième terme ici en jeu ;

métropoliser.

“L’hybridation des territoiresde l’Estuaire de la Seine consiste à préserver leur avenir productif tout en produisant leur richesse environnementale : ce qui est bon pour l’entreprise – industrielle, agricole, de services – est bon pour l’environnement, et vice-versa, mais donne en outre à l’ensemble une vitalité régénérée.”

“Il faut protéger en anthropisant, et préserver en produisant, tel est

le nouveau défi contemporain.”

Page 48: L'Estuaire en Seine - les raisons d'agir
Page 49: L'Estuaire en Seine - les raisons d'agir

46

Etre associés, et tirer parti l’un de l’autre : le jardin de la

médiathèque est aussi celui de la salle des fêtes, il profite

aux commerces, aux logements et au bureaux. Le parking

des entreprises, qui est vide le week-end, est disponible

pour les véhicules des fêtes du samedi et du dimanche,

ouvert sur le paysage, pour les événements festifs néces-

sitant plus de place. Les salariés des bureaux et des arti-

sans peuvent laisser leurs enfants à la crèche municipale,

ou aller manger dans les restaurants disponibles à deux

pas, sans prendre leur voiture. Un seul arrêt (de train, de

bus, de tram) dessert toutes ces activités : c’est un moyen

de rentabiliser aussi les transports publics.

L’activité, les services, l’habitat,les équipements, l’espace publicpeuvent être associés dansle même espace urbain

La cour est aussi un parking :

utile la journée pour les entreprises

et les commerces, elle est aussi

une place évènementielle,

et dessert les équipements :

un même lieu a plusieurs usages.

Des logements

Des bureaux

ou des services

Des commerces

ouverts sur le

même espace

public, en

continuité avec le

village (ou la ville).

Une médiathèque

Un entrepôt,

Une petite usine

Une salle des fêtes

et son jardin

Un espace public et des

programmes ouverts sur le

paysage : c’est une chance.

Page 50: L'Estuaire en Seine - les raisons d'agir

47

L’activité n’a pas vocation à se tenir systématique-

ment éloignée des lieux habités. L’artisanat, les petites

implantations industrielles et logistiques peuvent coha-

biter avec l’habitat et les services urbains. Ce faisant,

elles bénéficient aussi de la qualité de vie urbaine, et

optimisent les services offerts. Les surfaces minérales

dédiées aux manœuvres ou au stationnement peuvent

aussi être optimisées et servir, le soir ou le week-end, à

d’autres usages (sport, évènement, stationnement pour

les commerces et les autres activités) – Les transports

publics desservent à la vois le village et les emplois. La

métropolisation, c’est aussi cette optimisation.

Cour de services hybrides

Des bureaux

Une noue

pour recueillir

l’eau de pluie

et assurer la

trame verte.

Des systèmes de

haies, en continuité

avec ce qui existe

autour (vergers,

bocages, lisières

boisées, vallons).

L’industrie, l’activité ou la petite logistique peut cohabiter avec les autres activités.

Le paysage est

une richesse,

l’espace public

joue avec la

topographie,

les panoramas.

Cette cour n’est pas

dédiée à un seul usage.

Dans les «temps

morts» (soir, week-

end), elle fait usage

de place ou de parking

pour le village.

Page 51: L'Estuaire en Seine - les raisons d'agir

MÉTROPOLISER

Le Havre n’est pas une métropole, et les 600 000 habitants

des territoires de l’Estuaire n’ont pas le poids autonome

pour qu’elle le devienne. Mais, au risque d’agacer par ce

raffinement, il faut distinguer métropole et métropolisa-

tion. La métropole est une grande concentration urbaine

rayonnante, la métropolisation est le phénomène par

lequel des lieux et des territoires, qui ne sont pas métro-

politains en eux-mêmes, deviennent, par l’effet des réseaux

et des liens qu’ils autorisent, des fragments de métropole.

Ces fragments de métropole sont là, partout dans les terri-

toires de l’Estuaire de la Seine, et pour une grande part en

tant qu’espaces productifs, mais pas uniquement : Lisieux

et son pèlerinage mondial, le pôle de compétitivité équin,

Honfleur ou Etretat avec leurs millions de visiteurs, sont

des preuves tout aussi fortes de la métropole-réseau que

le sont Renault Sandouville ou Port Jérôme, sans oublier

le patrimoine classé du Havre. Mais tous ne sont préci-

sément que des fragments, des pièces éparses d’un puzzle

métropolitain que rien n’assemble dans l’espace élargi de

l’Estuaire. C’était d’ailleurs un choix normand quasi expli-

cite que de ne rien assembler de cette mosaïque métropo-

litaine, entièrement animée par ses liens avec l’extérieur, la

région parisienne en premier lieu. Comme si, en somme, le

bonheur local devait être dans cette fragmentation globale.

L’avenir de la production passe par l’hybridation, qui

elle-même implique de dépasser la fragmentation : au

bout de la nouvelle logique, il y a cette métropolisation

qui consiste à inscrire ouvertement Le Havre et sa région

élargie dans la métropole-réseau. Comment réunir les

fragments de métropole ?

Le premier pas consisterait à revendiquer cette métropo-

lisation qui arrive, plutôt que de continuer à la subir – ce

qui permet en passant de la dénoncer confortablement

comme un corps étranger. Elle arrive par les réseaux et les

liens qu’ils favorisent. Est-Ouest, ils s’inscrivent dans une

longue histoire de la métropolisation grand-parisienne et

francilienne. Mais Nord-Sud, ils ouvrent la voie à une nou-

velle histoire métropolitaine, proprement normande. C’est

pourquoi l’avenir de cette métropolisation-là est aux mains

du couple Le Havre – Caen. Non pas qu’il faille trancher

dans le triptyque normand de vieilles cités portuaires rivales

en opposant pour Le Havre un choix caennais à un choix

rouennais, mais parce que la stratégie Nord-Sud est celle

qui permettra de sortir de la métropolisation comme domi-

nation, au bénéfice de la construction d’une identité métro-

politaine normande. Les activités portuaires et maritimes,

les grands évènements culturels qu’elles appellent, l’alliance

universitaire, la culture industrielle commune, sont les prin-

cipaux ingrédients de cette construction. Le Havre et Caen-

Ouistreham ne sont-elles pas en face l’une de l’autre, de part

et d’autre des 40 km de la baie

de Seine ? L’avenir métropoli-

tain du Havre passe par Caen.

Ce disant, on retrouve Benoit

Duteurtre : « Je n’ai jamais

vrai ment su où finissait la

“Au bout de la nouvelle logique, il y a cette métropolisation qui consiste à inscrire ouvertement Le Havre et sa région élargie dans la métropole-réseau. […] Le pre-mier pas consisterait à revendiquer cette métropolisation qui arrive, plutôt que de continuer à la subir.”

Page 52: L'Estuaire en Seine - les raisons d'agir

“Ces fragments de métropole sont là,partout dans les territoires de l’Estuaire dela Seine […]. Mais tous ne sont précisément que des fragments, des pièces éparses d’un

puzzle métropolitain que rien n’assemble dans l’espace élargi de l’Estuaire.”

Page 53: L'Estuaire en Seine - les raisons d'agir

50

Des logements ouverts sur le paysage, proches des services et des transports.

Les formes de logement potentielles sont multiples : individuel, intermédiaire,maisons de ville, petits collectifs.

Pôle multimodal : une connection métropo-litaine ; l’université, l’aéroport, les grands commerces, les emplois industriels, les grands équipements culturels, de 10 à 30 minutes.

Nouveaux logements

Des équipements et des services, en centre bourg, à quelques

minutes des transports publics.

Cour - place - parking : esplanade hybride.

Zone d’activitéhybride, en bordure de village, ouverte sur le paysage, une cour en commun avec d’autres usages.

L’activité n’est pas nécessairement à part : elle peut sou-vent être intégrée à un espace urbain, et contribuer à l’animer.

La production agricole est un des éléments du village métropolitain.

Les commerces et marchés traditionnels du centre ville sont valorisés par une forme urbaine plus compacte.

La gare (ou le pôle intermodal) dessert le village, les nouveauxlogements, à quelques minutes seulement.

Page 54: L'Estuaire en Seine - les raisons d'agir

Seine ni où commençait la mer… Sans doute parce que je suis

né au Havre, devant cette « baie de Seine » qui porte encore

le nom d’un fleuve, mais qui s’offre déjà au tumulte des tem-

pêtes ». Quand le Grand Paris s’invite au Havre, c’est vers

l’Atlantique qu’il faut regarder, parce que c’est de ce « tumulte

des tempêtes » que viendra la réaffirmation autonome du

destin commun des villes et des territoires normands.

Produire, hybrider, métropoliser : les trois mots d’ordre se

soutiennent mutuellement. Produire sans hybrider ni métro-

poliser, ce serait reconduire une situation fragmentée, propice

aux conflits et aux contestations qui finiraient par être fatales

aux diverses entreprises ; hybrider sans continuer à produire

et commencer à métropoliser, ce serait tenter un exercice

artificiel, une simple expérience de laboratoire sans portée

pour l’ensemble des territoires de l’Estuaire. Métropoliser

sans produire ni hybrider, ce serait se tromper de rôle dans

la métropole-réseau à construire à partir du Grand Paris, et

échouer au final dans le changement de statut à son égard.

En résumé : il ne suffit pas de produire, encore faut-il

hybrider et (se) métropoliser, pourrait-on dire, en ajou-

tant que les trois termes sont interchangeables. Rien de

bien neuf en somme – car même l’hybridation est vieille

comme le monde qu’elle rend vivant. Mais n’est-ce pas

en combinant les principes robustes et élémentaires qu’on

ouvre les voies nouvelles les plus prometteuses ? Puisse-

t-il en être ainsi pour les territoires de l’Estuaire aussi !

1. Benoît Duteurtre, « Entre Seine et mer », revue Seines, n° 3, été 2010, p. 46.

2. Laurent Davezies, La République des territoires, Seuil, 2 008.

3. Pierre Veltz, Le nouveau monde industriel, Gallimard, 2 008.

4. Benjamin Israel, Quel avenir pour l ’Industrie dans les places por-tuaires ? L’exemple de l ’Estuaire de la Seine, Presses des Mines, 2012.

51

Dans la métropole, les villages sont mieux reliés avec les autres ressources du territoire : on peut aller en transports publics dans tous le bassin d’emploi, aux grands services de trans-port (LNPN, Aéroport, navettes fluviales), aux pôles de formation, aux grands commerces thématiques, etc. On s’y rend d’autant plus facilement que le village métropolitain, mieux relié, est aussi plus resserré. En limitant son extension, il favorise la production agricole. Cette forme urbaine plus compacte inclue comme dans un bocage une trame verte, où l’on circule à pied en quelques minutes. Tout est proche : les nouveaux logements, l’acti-vité, les équipements et les commerces, le pôle mutimodal. Ainsi, la «métropolisation» n’est pas la transformation des lieux en clones Shanghaï, mais une manière différente, à la fois discrète et révolutionnaire, de valoriser les ressources de chaque pôle urbain, de chaque village : c’est le village métropolitain.

Le «village métropolitain»

“Quand le Grand Paris s’invite au Havre, c’est vers l’Atlan-

tique qu’il faut regarder, parce que c’est de ce « tumulte de

tempêtes » que viendra la réaffirmation autonome du

destin commun de villes et de territoires normands.“

Page 55: L'Estuaire en Seine - les raisons d'agir
Page 56: L'Estuaire en Seine - les raisons d'agir

53

Le projet métropolitain de l’Estuaire se doit de réin-

venter de nouveaux modes de relation des villes et

des campagnes en s’appuyant sur les imbrications actuelles

entre le rural et l’urbain et en valorisant les qualités attachées

aux campagnes estuariennes. Un tel projet apparaît comme

indissociablement lié à un (ou des) projet(s) agricole(s), que

l’on considère l’agriculture comme activité productive, ou

que l’on envisage ses effets structurants sur le territoire.

Dans un contexte d’intensification des flux de personnes

et de marchandises dans l’Estuaire, la constitution à venir

d’une territoire métropolitain vise une valeur d’exemplarité

en termes de qualité de vie, d’environnement et de dura-

bilité, notamment face aux enjeux futurs de changement

climatique, d’alimentation ou d’énergie.

Pour construire un territoire à forte valeur ajoutée, deux

grands axes de structuration du projet métropolitain sont

proposés. Le premier envisage les formes de composi-

tion et d’interdépendance entre les espaces ruraux et les

espaces urbains susceptibles de renforcer la qualité du ter-

ritoire de l’Estuaire ; le second esquisse les hybridations

d’intérêts métropolitains et d’intérêts agricoles qu’appelle

le projet. Au final, le projet métropolitain de l’Estuaire

se place dans le champ d’une transition socio-écologique

des activités et du territoire.

RÉINVENTERLES RELATIONS

VILLES/CAMPAGNESPOUR UNE TRANSITION

SOCIO-ÉCOLOGIQUEDE L’ESTUAIRE

OLIVIER MORA

Page 57: L'Estuaire en Seine - les raisons d'agir

UN REGARD INVERSÉ : LE TERRITOIREDE L’ESTUAIRE VU DES CAMPAGNES

Une imbrication étroite des campagnes et des villes

D’intenses relations entre les villes et les campagnes

organisent le territoire de l’Estuaire. Les mobilités entre

les domiciles localisés en zone rurale et les lieux de tra-

vail concentrés en zones urbaines sont fortes, comme

en témoignent l’étendue spatiale des aires urbaines et

la multiplicité des pôles urbains (Le Havre, Lillebonne,

Fécamp, Pont-Audemer, Honfleur, Deauville, Trouville,

Lisieux). Peu de communes rurales échappent à une

influence urbaine et un grand nombre d’entre elles sont

multipolarisées, sous l’influence simultanée de plusieurs

villes. Paradoxalement, ce territoire, où résident plus de

610 000 habitants garde une composante rurale marquée

avec 26,8 % de la population résidant dans des com-

munes rurales (contre 22,5 % au niveau français), et cela

bien que près de 180 000 personnes résident au Havre.

L’imbrication villes/campagnes est forte dans le fonc-

tionnement économique de l’Estuaire, et les campagnes

constituent un cadre de vie recherché par une large part

des résidents estuariens.

A cela s’ajoute l’influence de trois métropoles environ-

nantes Caen, Rouen et surtout Paris, qui influencent l’or-

ganisation de l’Estuaire, en particulier à travers les flux de

marchandises (la Seine, les infrastructures portuaires…)

et de personnes (voies ferrées et maritimes, axes routiers).

En outre, la métropole parisienne est à l’origine de mobi-

lités touristiques vers les espaces ruraux de l’Estuaire, qui

54

n Les espaces en herbe, le bocage et les roselières.

o Les grandes cultures et champs ouverts.

Page 58: L'Estuaire en Seine - les raisons d'agir

concernent notamment les littoraux et les campagnes for-

tement patrimonialisées caractéristiques du bocage nor-

mand où se développent aujourd’hui des phénomènes de

multi-appartenance et de multi-résidence.

Une attractivité démographique et touristique des campagnes en lien avec la qualité des paysages ruraux

L’Estuaire se présente comme une mosaïque de paysages

fortement contrastés où des paysages littoraux recherchés

côtoient de vastes paysages d’openfield

au nord de l’Estuaire et un paysage

intime de bocage. Ces paysages ruraux

et les sites naturels auxquels ils sont

associés contribuent à son attractivité.

Ainsi la croissance démographique des

espaces ruraux qui était déjà visible à

la fin des années quatre-vingt-dix s’est

accrue, à l’inverse des centres urbains.

De manière générale, l’attractivité

démographique de l’Estuaire s’ap-

puie principalement sur l’attractivité

résidentielle de ses campagnes. Ainsi les

campagnes qui sont structurées par l’ac-

tivité agricole et par des espaces naturels remarquables sont

des éléments clés de la qualité du territoire de l’Estuaire.

L’image attractive de la campagne et de la nature a ten-

dance à s’opposer à celle, industrielle, des grands pôles

urbains de la vallée de la Seine (Le Havre, Port Jérôme).

Le dépassement de cette opposition est l’un des enjeux

du projet métropolitain.

55

“Le projet métropolitain de l’Estuaire se place dans le

champ d’une transitionsocio-écologique des

activités et du territoire.Ce territoire où résident

plus de 610 000 habitants garde une composante

rurale marquée avec 26,8 %de la population résidant

dans des communesrurales (contre 22,5 %au niveau français).”

Les forêts et espaces boisés. n

Les lignes de crêtes des plateaux et des falaises. p

Page 59: L'Estuaire en Seine - les raisons d'agir

Des agricultures et des industries agro-alimentaires aux orientations clivées

5 000 exploitations agricoles sont présentes dans l’Estu-

aire. L’agriculture, extrêmement diversifiée, occupe 65 %

du territoire, et compte pour 2,4 % des emplois du terri-

toire. Au sud, les prairies et le bocage dominent en lien

avec l’élevage bovin pour le lait et la viande. Des filières

agroalimentaires valorisent des produits en appellation

d’origine contrôlée, et la filière équine est en plein déve-

loppement. Au nord, ce sont des systèmes de grandes

cultures qui dominent, produisant principalement des

matières premières standardisées destinées aux marchés

internationaux, ache minées via le port de Rouen. L’in-

dustrie agroalimentaire dans l’Estuaire emploie 5 000

salariés. Au nord, elle transforme principalement des

produits importés grâce au port du Havre, tandis qu’au

sud, elle transforme des matières premières produites

localement et s’appuie sur sept AOC. Ce système per-

met d’accroitre la valeur ajoutée des produits finaux et

des matières premières, et de capter localement une part

de la plus-value.

Le Havre

Goderville

Fécamp

Fauville-en-Caux

Bolbec

Saint-Romain-de-Colbosc Lillebonne

Caudebec-en-Caux

Pont-Audemer

Honfleur

Deauville

Pont-l’Evêque

Lisieux

Mézidon-Canon

Etretat

Criquetot-l’Esneval

¯ 0 10 205Km

(c)IGN - 2005(r)AURH (LA/TL- 10/2010)

Secteurs de déprise urbaine

Secteurs de forte tensionfoncière

Secteurs de tension foncière

Etalement urbain généralisé

L’étalement urbain projeté à l’horizon 2030

“5 000 exploitations agricoles sont présentes. L’agriculture, extrêmement diversifiée, occupe 65 % du territoire, et compte pour 2,4 % des emplois du territoire.”

m L'étalement urbain projeté à l'horizon 2030 pose des questions de pressions foncières

Page 60: L'Estuaire en Seine - les raisons d'agir

”L’image attractive de la campagne et de la naturea tendance à s’opposer à celle, industrielle, des grands pôles urbains de la vallée de la Seine.Le dépassement de cette opposition est l’un des enjeux du projet métropolitain.”

Page 61: L'Estuaire en Seine - les raisons d'agir

58

Seule une vision métropolitaine peut, comme

à Copenhague et Malmö, ou encore autour du

lac Léman, permettre à tous de bénéficier au

mieux du plus grand nombre de services. Ceci

implique des transports plus rapides, et la mer

est un formidable vecteur. Le bassin d’emploi

s’étend et les grands équipements, qu’ils

soient de transport, commerciaux, de loisirs ou

de formation, n’ont plus besoin d’être systé-

matiquement dupliqués. Une source d’écono-

mie et de cohésion territoriale, qui se réper-

cute sur la qualité de l’offre de transports.

Les deux «côtes» reliées parmer et par chemin de fer

Un meilleur équilibre des

aménagements valorisera et

préservera les milieux naturels.

Le tourisme balnéaire,

très attractif, est lui

aussi un «patrimoine»,

celui des bains de mer…

De rayonnement mondial, l’éle-

vage des chevaux de course est

une activité créatrice d’emploi

et un symbole.

De meilleures connections,

en bus, en train et par mer

diffusent le rayonnement

des grands équipements

d’accueil de l’Estuaire :

centre d’événements, hôtels,

instituts de formation…

Comme dans bien des métropoles ouvertes

sur la mer, des navettes rapides optimisent

les temps de transport, permettant à

plus d’usagers de bénéficier de multiples

services : commerces thématiques, centres

de congrès, aéroport, université, etc.

La réorganisation

des transports publics

à l’échelle de l’Estuaire

permettra sans

doute d’optimiser

les infrastructures

aériennes, et de

rendre chaque vol

plus accessible depuis

chaque ville.

Page 62: L'Estuaire en Seine - les raisons d'agir

LE DEVENIR DES RELATIONS ENTRE LESCAMPAGNES ET LES VILLES DE L’ESTUAIRE

L’enjeu d’un projet métropolitain est de conjuguer les sin-

gularités maritimes, rurales, industrielles et urbaines de

l’Estuaire en connectant ces espaces multiples et en déve-

loppant leurs interactions.

Aujourd’hui, les paysages agricoles et les sites natu-

rels sont des facteurs déterminants de l’attractivité, de

l’identité et de la qualité du territoire. Ainsi, les cam-

pagnes, dans leurs diversités, peuvent, à l’avenir, consti-

tuer des éléments fédérateurs du territoire. Il s’agit

tout d’abord de penser les espaces agricoles et natu-

rels comme des lieux de centralités, qui structurent un

réseau urbain multipolaire puis d’indiquer en quoi

ils peuvent être constitutifs d’un projet de territoire.

“Aujourd’hui, les paysagesagricoles et les sites

naturels sont des facteurs déterminants de l’attractivité,

de l’identité et de laqualité du territoire.”

Page 63: L'Estuaire en Seine - les raisons d'agir

60

Vue depuis les champsDans le village, de nouveaux

logements s’ouvrent sur

le paysage et profitent

de l’horizon des champs

ou des bocages.

Développement de logistique

agricole et d’industries de trans-

formation agro-alimentaire.

Haies et clos-masure,

un patrimoine paysager.

Des franges naturelles

(vallons, haies bocagères)

forment un milieu plus

favorable à la biodiversité,

et éloignent les lieux habi-

tés des champs.

m Regrouper et «compacter» les activi-

tés et les logements autour des villages

libère le reste du territoire pour la produc-

tion agricole. L’histoire cohabite avec le

développement récent : nouvelles habita-

tions en franges de bourg, usines et silos.

Page 64: L'Estuaire en Seine - les raisons d'agir

“La constitution d’une métropole diffuse pose un enjeu de maintien de qua-

lité du territoire. Cela passe notamment par la limitation

de l’urbanisation diffuse, afin d’empêcher une bana-lisation des espaces ruraux

par le mitage résidentielou le développement de

zones d’activités.”

Maintenir les qualités rurales des campagnes dans un contexte de développement urbain : la métropole diffuse

La constitution d’une métropole diffuse pose un enjeu de

maintien de qualité du territoire. Cela passe notamment

par la limitation de l’urbanisation diffuse, afin d’empêcher

une banalisation des espaces ruraux par le mitage rési-

dentiel ou le développement de zones d’activités. Ainsi, le

projet métropolitain implique de construire et de maîtri-

ser un réseau dense de relations des villes entre les réseaux

de villes et les campagnes, qui soit en capacité de structu-

rer le territoire. Le renforcement des équilibres entre villes

et campagnes permettra d’éviter la déconnexion des litto-

raux et des arrière-pays, des campagnes patrimonialisées

et des pôles urbains, et d’ouvrir des liaisons entre la ville

du Havre et les campagnes périphériques. Ces territoires

qui associent étroitement villes et campagnes sont d’abord

les espaces de vie des résidents, où ils réalisent la plupart

de leurs activités quotidiennes. Aussi l’accessibilité des

services sur l’ensemble du territoire reste un enjeu impor-

tant pour le développement des campagnes.

61

Page 65: L'Estuaire en Seine - les raisons d'agir
Page 66: L'Estuaire en Seine - les raisons d'agir

Tisser un réseau d’espaces agricoles et d’espacesnaturels imbriqué dans l’espace urbain

C’est aussi à une échelle fine que se jouent les interfaces

entre les villes et les campagnes. Le développement et

l’aménagement des interfaces spatiales doit favoriser l’in-

sertion des espaces agricoles et naturels à l’intérieur de la

ville et accroître la perméabilité d’espaces qui restent appa-

remment hétérogènes. La recherche d’un enchevêtrement

fin et maîtrisé entre les espaces urbanisés, ruraux, indus-

triels et naturels implique de porter une attention accrue à

l’accessibilité des espaces pour les individus (résidents, tou-

ristes), et à la connectivité des écosystèmes. Ce sont là des

éléments déterminants de la qualité de vie de l’Estuaire.

L’amélioration de l’accessibilité des urbains et des ruraux

aux espaces agricoles (sentiers, trames vertes) est l’occa-

sion de mieux intégrer les espaces ruraux dans le cadre

de vie des urbains. L’organisation de la circulation entre

les espaces favoriserait une appropriation publique des

espaces ruraux par les habitants et atténuerait les ruptures

spatiales. Il s’agit de ménager des manières et des possi-

bilités de se mouvoir d’un espace à l’autre : en organisant

les circulations douces entre les espaces urbains et ruraux,

entre les espaces industriels et portuaires et les espaces

urbains, et enfin entre les espaces industriels et les espaces

agricoles et naturels. À travers l’enjeu de l’accessibilité, les

campagnes participent du cadre de vie et de la constitu-

tion d’un espace public.

La prise en compte des interactions entre les milieux

dans l’aménagement pourrait permettre de réduire les

risques naturels affectant les espaces urbanisés à proxi-

mité d’espaces agricoles (en maîtrisant les inondations

“La recherche d’un enchevêtrementfin et maitrisé entre les espace

urbanisés, ruraux industrielset naturels implique de porter

une attention accrue à l’accessibilitédes espaces pour les individus, et

à la connectivité des écosystèmes.”

Page 67: L'Estuaire en Seine - les raisons d'agir

Le bocage est riche de sa production agricole. Il

l’est aussi par la transformation artisanale ou

industrielle de ses produits, qui a encore du po-

tentiel. Cette ressource organise aussi des pay-

sages d’une remarquable qualité, combinés à

des milieux naturels diversifiés. Ce cadre de vie

enviable peut attirer de nouvelles activités : le

tourisme bien évidemment, mais aussi d’autres

productions industrielles, de la recherche, des

pôles de formation.

Associer production agro-alimentaire, élevage, cultures fruitières et qualité des paysages

Par définition, le bocage s’appuie

sur une trame verte et bleue

solide, facteur de biodiversité.

La transformation des produits alimentaires

est une ressource que la métropolisation

permet de développer, notamment en

organisant mieux les circuits de distribution.

De nouvelles activités peuvent

tirer parti du paysage en s’y

insérant. Tourisme, mais aussi

formation et recherche.

Outre les paysages naturels et cultivés

du bocage, d’innombrables sites

patrimoniaux décuplent l’attractivité.

Page 68: L'Estuaire en Seine - les raisons d'agir

les interactions entre la qualité des espaces et la qualité de

vie en fabriquant des espaces plurifonctionnels. La gestion

du foncier agricole, en particulier les capacités de maîtrise

des dynamiques de changement d’usages des sols, sont au

cœur de ces évolutions. La prise en compte de la préser-

vation du foncier par les acteurs du territoire et dans les

politiques d’aménagement dépendra de la manière dont

les espaces agricoles vont se constituer en tant que bien

commun. À ce titre, la présence de campagnes singulières

modelées par les activités agricoles telles que le bocage,

est un élément majeur du développement territorial et de

l’économie des territoires. Pour autant, si les externalités

positives liées aux agricultures (paysages, biodiversité, ali-

mentation, patrimoine) sont nombreuses, elles restent à

valoriser de manière plus systé-

matique pour l’ensemble de l’Es-

tuaire. Par ailleurs, les externalités

négatives liées aux agricultures

(risques d'inondations, d’érosion,

de qualité de l’eau) constituent un

défi pour la qualité de l’Estuaire

et les coulées de boues par des

aménagements spécifiques des

espaces agricoles), d’accroître

la robustesse des écosystèmes

cultivés face à des accidents

climatiques (sécheresses ponc-

tuelles) ou face à des attaques sanitaires (en valorisant les

infrastructures écologiques), et d’accroître la richesse bio-

logique des milieux. Un aménagement des espaces basé

sur la porosité des milieux et les interactions positives

entre espaces – et non pas sur la ségrégation des milieux

et la gestion des frontières – peut améliorer la robustesse

du territoire face aux aléas climatiques, en renforçant la

résilience de l’écosystème. C’est ici une qualité écologique,

paysagère et systémique de l’Estuaire qui est en jeu.

Les campagnes, les espaces agricoles et naturels consti-

tuent un enjeu central pour la qualité de la vie, pour la

pérennité et la qualité des écosystèmes et des paysages

ainsi que pour la constitution d’un espace public métro-

politain. Un projet métropolitain implique de renforcer

“La prise en compte de la préser-vation du foncier par les acteurs

du territoire et dans les politiques d’aménagement dépendra de la

manière dont les espaces agri-coles vont se constituer en tant

que bien commun.”

“Les campagnes, les espaces agricoles et naturels constituent un enjeu central pour la qualité de la vie, pour la pérennité et la qualité des écosystèmes et des paysages ainsi que pour la constitution d’un espace public métropolitain.”

Page 69: L'Estuaire en Seine - les raisons d'agir

et leur réduction engage une maîtrise concertée des inte-

ractions entre les différents types d’espaces et entre les

activités qui s’y mènent. Une telle interaction des milieux

entre eux impose de décloisonner le champ décisionnel :

l’agriculteur devient un acteur de la ville et les enjeux

urbains doivent être envisagés jusque dans les campagnes.

LA PRISE EN COMPTE DES AGRICULTURES,DES FILIÈRES AGRO-ALIMENTAIRESET D’AGRO-RESSOURCES

Les enjeux globaux du changement climatique et de

l’énergie risquent d’affecter l’évolution de l’agriculture de

l’Estuaire. Pour autant, selon les projections réalisées pour

l’Ouest de la France par l’Institut National de Recherche

Agronomique, les rendements des différentes cultures

(herbe, blé, colza) se maintiendraient voire augmente-

raient. L’impact le plus important du changement clima-

tique sur l’agriculture pourrait résider dans la mise en place

de politiques de réduction des émissions de gaz à effet de

serre. Au plan mondial, l’agriculture contribue à hauteur

de 30 % des émissions de gaz à effet de serre, dont la moi-

tié est due à des changements d’usages des sols (déforesta-

tion, retournement des prairies…). Si l’élevage des rumi-

nants est particulièrement concerné par ces émissions, le

bilan de certains systèmes d’élevages à l’herbe pourrait être

positif du fait des capacités de stockage du carbone par

les prairies permanentes. Une transition vers une agricul-

ture à faible émission de gaz à effet de serre impliquerait

une reconfiguration des

systèmes agricoles par

rapport à la gestion des

sols (par ex. utilisation

“Une telle interaction des milieux entre eux impose de décloisonner le champ décisionnel : l’agriculteur devient un acteur de la ville et les enjeux urbains doivent être envisagés jusque dans les campagnes.”

Page 70: L'Estuaire en Seine - les raisons d'agir

des techniques de semis sans labour), à la fertilisation et

à l’usage d’engrais azoté (réduction des apports d’engrais

minéraux), mais aussi à la transformation et au transport

des produits agricoles.

À terme, avec l’épuisement progressif des ressources pétro-

lières, une augmentation importante du coût de l’énergie

pourrait affecter les filières agricoles sous l’effet d’une aug-

mentation des coûts des transports et du coût des intrants

agricoles fabriqués à partir des énergies fossiles. Dans

une hypothèse de rupture radicale par rapport à la situa-

tion actuelle, l’Estuaire pourrait valoriser ses équipements

portuaires et logistiques pour exporter à moindre coût sa

production agricole grâce à des réseaux de transports mas-

sifiés… ce qui impliquerait également une reconfiguration

complète des systèmes de production agricole. Enfin, le

développement des énergies renouvelables concerne aussi

l’agriculture. Sur les territoires, d’autres sources de biomasse

sont envisageables, issues de la sylviculture, de déchets agro-

industriels et urbains, ou de culture d’algues. Actuellement,

les vecteurs énergétiques les plus intéressants du point de

vue du rendement énergétique des process de transforma-

tion de la biomasse sont l’électricité et la chaleur.

Enfin, l’alimentation et sa qualité redeviennent des sujets

de préoccupation publique. Des formes de reterritorialisa-

tion des systèmes alimentaires sont aujourd’hui portées par

les collectivités territoriales et par des associations. Elles

répondent à différents enjeux : d’abord à une demande

sociale de proximité entre producteurs et consommateurs

dont témoigne le développement des circuits courts ; à un

souci croissant des institutions publiques pour la santé qui

privilégie l’alimentation en produits frais ; à la sécurisa-

tion de l’approvisionnement alimentaire dans un contexte

de volatilité des prix agri-

coles ; et enfin à un objectif

de diminution des émissions

de CO2 liées au transport des

marchandises agricoles.

Dans le cadre du projet métropolitain, trois objets spéci-

fiques, l’énergie, l’alimentation et le développement durable

sont à envisager. Ils constituent des terrains où peuvent

converger un intérêt agricole et agro-industriel et un pro-

jet métropolitain. Une logique commune de construction

de ces projets est à trouver. Elle consiste notamment à

renforcer la circularité des échanges de produits et des

flux de matières au sein de l’Estuaire. L’enjeu majeur

réside dans le renforcement des relations internes entre

agriculteurs ou entre industriels, mais aussi dans le déve-

loppement d’interrelations entre les différentes catégo-

ries d’acteurs. Au sein des exploitations agricoles, il s’agit

notamment d’améliorer la gestion des cycles biologiques

en valorisant les propriétés des écosystèmes, pour accroître

la durabilité des systèmes de production.

“Dans une hypothèse de rupture radicale par rapport à la situation actuelle, l’Estuaire pourrait valoriser ses équipements portuaires et logis-tiques pour exporter à moindre coût sa production agricole grâce à des réseaux de transports massifiés.”

Page 71: L'Estuaire en Seine - les raisons d'agir

Valoriser la biomasse dans le projeténergétique de l’Estuaire

Le développement des énergies renouvelables (éolienne,

marine, photovoltaïque, biomasse) est un enjeu important

dans le cadre d’une transition énergétique de l’Estuaire.

Pour les acteurs des territoires, ces nouvelles filières éco-

nomiques valorisent une biomasse peu utilisée par ailleurs

(petits bois issus de la taille des haies, déchets des scieries,

déchets urbains des espaces verts, effluents d’élevage). De

multiples collectivités se sont déjà engagées sur la voie d’une

diminution de la dépendance énergétique du territoire vis-

à-vis des combustibles fossiles, via des systèmes énergé-

tiques décentralisés. Les solutions développées à Fribourg,

à Saint-Félicien au Canada ou à Francfort, ont recours à

des unités de productions locales qui produisent principa-

lement de l’électricité ou de la chaleur, et approvisionnent

les entreprises, les particuliers et les équipements publics.

Les techniques les plus développées actuellement sont des

unités de cogénération qui produisent de l’électricité et de

la chaleur à partir de déchets de l’industrie du bois. Les

réseaux de chaleur sont en plein développement sur les ter-

ritoires, notamment dans le Pays d’Auge ; ils permettent

via des chaufferies-bois de desservir des logements collec-

tifs ou des entreprises. Le développement de biodigesteurs

valorisant des effluents d’élevage, des déchets agro-indus-

triels et de boues de station grâce

à des processus de méthanisation

pourrait également permettre de

produire du biogaz et de la chaleur.

Cependant, la mobilisation de la

biomasse reste un des enjeux impor-

tants et un facteur limitant de ce

développement sectoriel. Dans l’Estuaire, peu de ressources

agricoles de biomasse semblent directement mobilisables.

En revanche, les déchets des industries agro-alimentaires

(café, chocolat, thé) pourraient être mobilisées pour l’appro-

visionnement d’unités de cogénération qui, en profitant de

la proximité offerte par les infrastructures portuaires, pour-

raient fournir en chaleur d’autres industries ou les résidents

urbains. De plus, au vu de la forte présence de l’élevage

bovin sur l’ensemble de l’Estuaire, des unités de méthani-

sation utilisant les déchets d’élevage pourraient être géné-

ralisées. À plus long terme, d’autres voies d’accroissement

de la ressource en biomasse pourraient être explorées. Sur

les terres d’openfield qui connaissent d’intenses processus

d’érosion, le développement de l’agroforesterie pourrait

permettre, à la fois de produire des céréales et de la bio-

masse forestière, tout en limitant l’érosion. La culture d’al-

gues pourrait permettre, en mobilisant l’eau disponible en

abondance, de produire de la biomasse. Des industries de

la chimie verte pourraient se développer sur cette ressource

en biomasse, en s’appuyant sur les savoir-faire existants en

vallée de Seine. L’amidon de céréales ou de pommes de

terre pourrait être utilisé par exemple pour la production

de plastiques biodégradables ou de molécules chimiques.

Insérer l’agriculture locale dans les systèmesalimentaires de l’Estuaire

Rapprocher les bassins de consommateurs et la produc-

tion de biens alimentaires est une réponse à la demande

sociale de proximité entre producteurs et consommateurs,

qui accroît les échanges au sein du territoire et améliore la

qualité de l’alimentation des habitants. La relocalisation

des systèmes alimentaires se traduit principalement par

un approvisionnement en produits frais (fruits et légumes)

68

“Le développement de l’agro-foresterie pourrait permettre à la fois de produire des céréales

et de la biomasse forestière, tout en limitant l’érosion.

La culture d’algues pourrait permettre en mobilisant l’eau

disponible en abondance de produire de la biomasse.”

Page 72: L'Estuaire en Seine - les raisons d'agir

qui sont distribués via des circuits courts impliquant la

restauration collective, des magasins de vente collective, la

distribution de paniers ou la vente directe. L’aggloméra-

tion du Havre, qui est le pôle urbain le plus important de

l’Estuaire, semble directement concernée par ce type de

projet, mais également les territoires ruraux, les résidents

ou les touristes sont à la recherche d’un approvisionne-

ment de proximité.

Dans le cadre du projet métropolitain, le lien à l’alimen-

tation de la métropole parisienne pourrait être renforcé

en mobilisant les infrastructures portuaires, de transport

ferré et fluvial pour l’approvisionnement des populations

par des produits frais de l’Estuaire. Un dispositif de tra-

çabilité des produits s’appuyant sur des analyses de cycle

de vie des produits pourrait être garant de la provenance,

d’un mode de production préservant l’environnement, et

d’un transport faiblement émetteur de gaz à effet de serre.

Reste que le développement d’une filière alimentaire de

ce type nécessite d’accroître les capacités locales de pro-

duction agricole, notamment la production maraîchère,

jusqu’ici faiblement présente. Elle reste également tribu-

taire de la mobilisation des agriculteurs et de la profession

agricole autour de ces projets. À ce titre, la participation

des collectivités locales à des projets d’installation d’agri-

culteurs peut constituer un levier d’action déterminant.

“Le développement de biodigesteurs valorisant

des effluents d’élevage, des déchets agro-industriels et

de boues de station pourrait permettre de produire du biogaz et de la chaleur.”

Page 73: L'Estuaire en Seine - les raisons d'agir

du territoire. Au vu de la différenciation

des agricultures, plusieurs voies se des-

sinent. Au sud, les systèmes d’élevage

bovin, basés sur l’herbe et organisant

le bocage, génèrent des sites favorables

au maintien de la biodiversité. Ces sys-

tèmes entrent dans le cadre d’une agri-

culture à Haute Valeur Naturelle. Cette

qualification identifie au plan national des agricultures

générant des externalités positives en termes de services

écosystémiques, elle vise à mettre en place des politiques

publiques d’appuis spécifiques. Au nord, les systèmes agri-

coles, spécialisés en grandes cultures et sur des cultures de

niche, ont suivi l’intensification classique de l’agriculture

française, basée sur la suppression des perturbations, la

stabilisation des flux de matière et la réduction de la diver-

sité de l’environnement. Face à cette situation, de nom-

breux agronomes proposent de développer une intensi-

fication écologique de l’agriculture qui valorise mieux les

processus écologiques en renforçant l’efficacité propre du

système (fertilité des sols, cycles biogéochimiques, diver-

sité biologique des milieux, protection intégrée, etc.),

avec une faible utilisation d’apports externes. Certaines

orientations émergentes des systèmes de grande culture

semblent anticiper ces évolutions, notamment le dévelop-

pement de techniques sans labour ou de cultures intermé-

diaires qui limitent les processus érosifs.

A l’échelle de l’Estuaire, la complémentarité entre les

exploitations bovines produisant des effluents, et des

exploitations céréalières nécessitant une fertilisation azo-

tée pourrait être réalisée, afin de réduire la dépendance

aux engrais minéraux des grandes cultures au nord, de

Faire de l’agriculture, une pièce centrale de la qualité des écosystèmes et de l’image du territoire de l’Estuaire

Garantir la durabilité de l’agriculture nécessite d’inten-

sifier les liens entre écosystèmes cultivés et écosystèmes

naturels, et de faire en sorte que l’agriculture mobilise

mieux les processus écosystémiques. Une telle action

s’insère dans un projet métropolitain visant la qualité des

écosystèmes et la durabilité

des activités agricoles sur l’en-

semble de l’Estuaire, l’exem-

plarité des activités agricoles

participant de l’image globale

70

“Garantir la durabilité de l’agriculture nécessite d’intensifier les liens entre écosystèmes cultivés et écosystèmes naturels, et de faire en sorte que l’agriculture mobilise mieux les processus écosystémiques.”

“Au sud, les systèmes d’élevage bovin, basés sur l’herbe et orga-

nisant le bocage, génèrent des sites favorables au maintien de la biodiversité. Ces systèmes entrent

dans le cadre d’une agriculture à Haute Valeur Naturelle.”

n Les territoires agri-coles à Hautes valeurs naturelles en France.(SOLAGRO)

Page 74: L'Estuaire en Seine - les raisons d'agir

valoriser les effluents d’élevage au sud.

Dans un contexte d’accroissement du

prix des fertilisants minéraux, directe-

ment lié au prix des énergies fossiles,

cette démarche présente un intérêt éco-

nomique. Elle s’articule avec des tech-

niques de méthanisation des effluents

et permet d’utiliser les produits rési-

duels. Ce système exigeant requiert des compétences en

matière de logistique et de transport. Ce sont justement

ces métiers qui font déjà la reconnaissance de l’Estuaire

par son outil portuaire. La mise en place de ce dispositif

illustre la convergence et la complémentarité des fonc-

tions et des territoires qui peuvent s’opérer.

Enfin, les produits pourraient constituer des marqueurs

identitaires du territoire. La visibilité des produits serait

constitutive d’une image sous la forme d’un panier de

biens et de services. L’Estuaire est riche d’une diversité

de produits agricoles en Appellation d’Origine Contrô-

lée (fromagères, cidricoles) et de produits de la mer qui

sont susceptibles de spécifier une culture gastronomique

propre. D’autres productions, telles que le lin et ses pro-

duits dérivés, spécificités locales à valoriser, pourraient

participer à qualifier le territoire. Enfin, le cheval, la filière

équine et les sports de compétition qui bénéficient d’un

rayonnement international, devraient trouver une place à

leurs mesures dans l’image de l’Estuaire.

“Certaines orientations émergentes des systèmes de grande culture semblent anticiper ces évolutions, notamment le développe-ment de techniques sans labour ou de cultures inter-médiaires qui limitent les processus érosifs.”

Page 75: L'Estuaire en Seine - les raisons d'agir

Les espaces agricoles à Hautes Valeurs naturelles, les espaces remarquables et classés, les forêtset la trame bleue de l'Estuaire

Page 76: L'Estuaire en Seine - les raisons d'agir

73

VERS UNE TRANSITION ÉNERGÉTIQUEET ÉCOSYSTÉMIQUE DE L’ESTUAIRE

Ce qui est décrit ici, c’est une transition socio-écologique

de l’Estuaire, afin de rendre le territoire et ses acteurs

moins dépendants aux énergies fossiles, plus créatifs,

moins vulnérables aux risques, plus attentifs à la qualité

de vie des habitants, et plus impliqués dans les systèmes

alimentaires et agricoles.

Au regard de la situation actuelle, les évolutions envisa-

gées impliquent des innovations particulièrement impor-

tantes afin d’accroitre les qualités de ce territoire en tant

qu’espace de vie, organisation économique et mosaïque

d’écosystèmes. Des synergies pourraient se former entre

l’attractivité des campagnes constitutives de l’Estuaire

et les dynamiques d’innovation à travers l’ancrage d’une

« classe créative ». Des convergences pourraient éga-

lement se construire entre la valorisation de la qualité

des process industriels et la valorisation des processus

écosystémiques mis en œuvre par l’agriculture. L’innova-

tion dans l’Estuaire se pose à la fois en termes de gou-

vernance, de coordination des acteurs économiques, de

gestion spatiale et d’innovation sectorielle. Une telle

innovation est tributaire de l’existence de lieux ouverts à

la multiplicité des acteurs territoriaux, où se fabriquent

de nouveaux agencements d’acteurs, et où se construit

une réflexion collective sur les transformations en cours.

Elle appelle une hybridation entre les enjeux sectoriels et

territoriaux pour la définition d’un intérêt métropolitain.

“Une telle innovation est tributaire de l’existence de lieux ouverts

à la multiplicité des acteurs territo-riaux, où se fabriquent de nouveaux

agencements d’acteurs, et oùse construit une réflexion collective sur les transfor mations en cours.”

Page 77: L'Estuaire en Seine - les raisons d'agir
Page 78: L'Estuaire en Seine - les raisons d'agir

PARIS : LA VILLE MONDE ET LA MER

L’essor de Paris et de sa couronne atteint ses limites.

Le développement de la ville-monde peut se poursuivre

de manière radioconcentrique, ou choisir une autre

orientation. La Vallée de la Seine et le littoral normand

permettent de bénéficier de la qualité d’un territoire situé

dans un prolongement naturel, celui du fleuve Seine et

surtout d’offrir l’ouverture maritime des ports du Havre, de

Rouen et du littoral normand. Dans une réciprocité asy-

métrique (en effet, la puissance de la place de l’aggloméra-

tion capitale n’est pas comparable à celle des deux régions

normandes), Paris doit convenir avec la Vallée de la Seine,

la place portuaire et sa façade maritime, de la répartition

des conditions durables de ce développement partagé.

Le « Grand Paris » dans sa configuration actuelle, dis-

pose d’atouts considérables et répond aux fonctionnali-

tés néces saires à une grande capitale. Mais il ne dispose

toujours pas de cette ouverture maritime qui lui confèrera

de facto une dimension de ville-monde qui lui sera indis-

pensable pour s’imposer face à la concurrence féroce que

vont se livrer les grandes métropoles internationales au

cours du xxie siècle.

75

LE GATEWAY DE LA SEINEUNE STRATÉGIE ÉCONOMIQUE

DU XXIE SIÈCLEDOMINIQUE DHERVILLEZ

JULIETTE DUSZYNSKI

Page 79: L'Estuaire en Seine - les raisons d'agir

Il s’agit, en l’occurrence,

d’envisager un espace à haut

niveau de services, à haute

qualité environnementale,

où la conjonction d’une

« distance raisonnable » (200 km de Paris à la mer), de la

fertilité économique et industrielle, des ouvertures mari-

times et continentales, de la présence d’une agriculture

puissante et diversifiée, d’une histoire et d’un patrimoine

remarquables, pourront engendrer un territoire complexe

et complet, de visibilité mondiale.

LA VALLÉE DE LA SEINE : TERRITOIRE D’ENJEUX

Paris doit garder son rang parmi les “villes-monde” pour

contribuer au maintien de la place de la France dans le

concert des nations. Cela lui est facilité en la dotant d’une

ouverture sur le monde maritime.

Cette nécessité a de multiples conséquences : elle confère

à la Vallée de la Seine la responsabilité d’axe stratégique

de redéveloppement pour la capitale et le pays, notamment

concernant l’économie productive (filières industrielles), elle

fait obligation aux ports du Havre, de Rouen et de Paris,

“L’avenir des activités industrielles et, plus généralement, celui de

notre appareil de production, est lié à l’efficacité et aux coûts des trans-ports ainsi qu’aux valeurs ajoutées

de la logistique moderne.”

Page 80: L'Estuaire en Seine - les raisons d'agir

de mettre en œuvre une stratégie

commune, intégrant également

les ports normands dans leur

réflexion, et à l’Estuaire de la Seine,

notamment la Ville du Havre, de

s’imposer comme une métropole

maritime à part entière. La Vallée

de la Seine correspond à un terri-

toire d’échelle adaptée pour mettre en œuvre une stratégie

de développement durable et d’économie circulaire. Elle

impose de faire le choix de l’innovation avec quelques fortes

évidences : la vitesse ferroviaire comme facteur de proximité

entre la “ville-monde et la mer” ; le maritime comme levier

central des économies du xxie siècle, toutes productions et

échanges confondus ; la mise en valeur des atouts géogra-

phiques et géopolitiques de notre pays.

LA STRATÉGIE DES FLUX

Le renouvellement de l’industrie et celui des ports doit

être conçu dorénavant comme un ensemble où comman-

dement, services, recherche, développement et production

des filières seront harmonisés au sein de l’espace géogra-

phique de la Vallée de la Seine et de l’Ile de France, pour

composer un territoire innovant du xxie siècle.

L’économie, dans toutes ses composantes, financières,

industrielles, d’échanges ou de services, est désormais

déterminée, non plus par les performances propres des

acteurs séparés, mais par les chaînes d’acteurs de la pro-

duction et de l’organisation des échanges, évoluant dans

l’espace de la globalisation mondiale.

Les marchés sont ainsi conditionnés par l’intensité des

flux au sein de réseaux de toutes natures, matériels et

immatériels, dont les caractéristiques premières sont la

fluidité, la sécurité, le « juste à temps ». Ce sont ces flux

qui génèrent des performances et des valeurs ajoutées.

L’accès aux circuits logistiques mondiaux performants

joue donc un rôle fondamental sur les coûts de produc-

tion : dans les approvisionnements industriels ; dans les

processus d’assemblage entre sites parfois répartis sur le

globe ; dans les coûts d’exportation. Ainsi, ils impactent

de façon déterminante les coûts de distribution et par

conséquent les conditions d’accès aux consommateurs.

Enfin, ils représentent un avantage concurrentiel pour

l’exportation de produits agricoles, qui s’ouvrent à la conte-

neurisation et apportent, de la sorte, des solutions au pro-

blème du retour des conteneurs vides. L’avenir des activités

industrielles et, plus généralement, celui de notre appareil

de production, est lié à l’efficacité et aux coûts des trans-

ports ainsi qu’aux valeurs ajoutées de la logistique moderne.

La façade maritime de notre pays, en particulier la Manche,

premier segment de la rangée portuaire nord européenne

(le Range), est un atout majeur. Encore convient-il qu’elle

soit mieux structurée afin de contribuer pleinement à des

gains de PIB substantiels pour notre pays.

LA STRATÉGIE MARITIME

Plus de 80 % des marchandises transportées le

sont par voie maritime, à faible coût et minimi-

sant les émissions de CO².

Ce chiffre illustre la place que vont occuper les

villes-ports maritimes (et fluviales). Elles vont

monopoliser les nœuds des réseaux mondiaux

de déplacement de la marchandise. De plus, les

Page 81: L'Estuaire en Seine - les raisons d'agir

grands ports dominants (constituant les principaux Hubs)

assureront sur leurs hinterlands des fonctions de transbor-

dement de flux maritimes et de diffusion-concentration de

la marchandise. La qualification de ces hinterlands est donc

un facteur déterminant. Elle dessinera une géo-économie

qu’il s’agit d’ancrer de façon durable sur les territoires.

Le conteneur se déplaçant de façon massifiée sur les voies

maritimes, comme sur les axes terrestres, fluviaux et ferro-

viaires, est devenu le vecteur universel des échanges. Dans un

système mondial de flux tendus, « l’ingénieur qui a inventé

le conteneur a provoqué un bouleversement aussi grand

que celui qui a inventé l’Internet » (Pascal Lamy, Directeur

Général de l’Organisation Mondiale du Commerce).

Dès lors, la massification au niveau mondial et continen-

tal du transport des marchandises est à la fois le facteur de

performance des productions et des échanges, mais aussi

du Développement Durable. En effet, les géants des mers

peuvent porter près de 18 000 conteneurs de vingt pieds,

relayés ensuite par les transports fluviaux et ferroviaires.

Dans ce contexte, les métiers portuaires, industriels, logis-

tiques, de services se doivent d’être de haut niveau et pro-

ductifs de valeurs ajoutées.

Aussi, les ports et voies d’eau, les voies ferroviaires fran-

çaises, doivent-ils offrir aux tissus industriels, toutes

branches confondues, des facteurs d’efficacité. La perfor-

mance de ces réseaux constituera, de surcroît, une offre

opportune pour de nouvelles activités, en particulier

PME et PMI. Il en sera de même pour les branches

industrielles traditionnelles qui pourront organiser au

mieux leur renouvellement.

LA STRATÉGIE INDUSTRIELLE

La production industrielle va être de plus en plus déter-

minée par les systèmes logistiques mondiaux, avec des

points de concentration, d’assemblage, d’éclatement et de

distribution dans des plateformes portuaires et des ports

secs, nœuds de réseaux qui vont constituer des lieux de

production de la valeur ajoutée.

Beaucoup de pays s’y attellent en développant leurs places

portuaires, leurs villes et leurs quais. La France, dont la

position géopolitique est enviable, n’est pas suffisamment

volontariste face à ces enjeux incontournables des pro-

chaines décennies. Or, la question est devenue d’autant

plus impérieuse que la part de l’industrie dans la valeur

78

“L’ingénieur qui a inventé le conteneur a provoqué un bouleversement aussi grand que celui qui a inventé l’Internet.”PASCAL LAMY, Directeur Général del’Organisation Mondiale du Commerce

Page 82: L'Estuaire en Seine - les raisons d'agir

ajoutée nationale n’est plus que de 15 %, soit moitié moins

qu’en Allemagne.

Le repositionnement industriel de la France est possible

et nécessaire, il se fera à partir des territoires déjà forts

d’une tradition et d’infrastructures industrielles, avec ce

que cela implique d’outils et de savoir-faire, articulés avec

les potentiels portuaires, pour l’export et l’import, et sur

des grands bassins de consommation.

LA MISE EN SYSTÈME : LE GATEWAY

Le Gateway est une approche des réseaux, centré parti-

culièrement sur le rôle de porte d’entrée et de sortie entre

réseaux. Utilisé en informatique, il est souvent appli-

qué aux complexes portuaires comprenant les terminaux,

leurs liaisons maritimes (foreland), les zones logistiques,

les connexions terrestres avec l’arrière-pays (hinter-

land) constituées de corridors de fret et de plateformes

intérieures.

Les ensembles formés par les ports, leurs hinterlands et

leurs forelands fonctionnent comme des circuits de flux

massifiés, interdépendants et mis en relation par des sys-

tèmes d’intelligence partagée. C’est ce que l’on appelle un

Gateway. La référence à l’intelligence artificielle s’étend

depuis peu au concept de port intelligent (brain port),

conçu comme l’opérateur clé de ces systèmes.

LES GATEWAYS ÉTENDUS

Dans une approche plus complète, le rôle du Gateway dépasse

largement les composantes portuaires, les infrastructures de

transport et les activités logistiques. Au-delà de sa fonction

de passerelle, il permet de relier le développement et

l’ensemble des composantes associées à l’aménagement du

territoire. C’est donc un outil partagé par nature.

Ces composantes territoriales étendues reposent sur l’in-

telligence du territoire, sa capacité à innover et à géné-

rer une différenciation concurrentielle. Elles s’appuient

sur les grappes (clusters institutionnels/entreprises), les

filières économiques, l’enseignement, la formation et la

recherche à l’échelle de plusieurs territoires, organisés dans

un écosystème logistique à valeur ajoutée développant les

synergies entre la logistique, l’industrie, la distribution,

le commerce et les autres activités tertiaires (ex : services

supports, pourvoyeurs de solutions technologiques). Il ne

s’agit pas seulement de laisser passer les flux, mais de leur

79

“Il ne s’agit pas seulement de laisser passer les flux, mais de leur apporter une valeur additionnelle, créatrice de richesses et d’emplois.”

Page 83: L'Estuaire en Seine - les raisons d'agir

apporter une valeur additionnelle, créatrice

de richesses et d’emplois.

Dans ce grand mécano doté de plusieurs

dimensions et échelles à intégrer, le Gateway

joue un rôle de moteur fédérant, animant et

stimulant la dynamique économique, socié-

tale et environnementale au service d’une

ambition territoriale.

APPLICATION À LA VALLÉE DE SEINE

En s’appuyant sur les exemples étrangers de

territoires forts de leurs appareils portuaires,

nous proposons d’adapter le système du

Gateway, largement utilisé dans les pays anglo-saxons,

au contexte singulier de la Vallée de la Seine.

Le Gateway se caractérise par un haut niveau de services,

une fiabilité partagée, des coûts de services maîtrisés, une

organisation et une solidarité des acteurs du système. Il

est à la fois infrastructures connectées, opérateurs sur ces

réseaux, territoire d’accueil d’activités et de renouvellement

de celles déjà en place, intelligence de territoire concrétisée

par des guichets ou portails, des services, une recherche et

un enseignement supérieur thématisés, et une marque qui

se doit d’être mondiale et saisie comme un ensemble.

L’ensemble formé par Paris “Ville-Monde”, la vallée

intense de la Seine, les territoires la bordant et le débou-

ché maritime offert par Le Havre et Rouen, l’Estuaire

de la Seine, le littoral normand, le tout magnifiquement

placé à l’Ouest de l’Europe, dispose des éléments consti-

tutifs d’un Gateway. Celui-ci reposera sur une unité

de territoire, conférée par la LNPN, qui en sera même

80

l’acte fondateur, mais également sur un cocktail excep-

tionnel, au niveau mondial, d’espaces de production, de

qualités urbaines, agricoles, d’espaces naturels, de patri-

moine, d’établissements culturels, d’enseignement et de

recherche, de climat et d’attractivité, dont le tourisme

n’est pas la moindre.

Comme pour le Gateway d’Anvers, il y a une nécessaire

reconquête de nos atouts maritimes, de la meilleure maî-

trise de nos importations et exportations.

Comme pour le Gateway Canadien, à l’égard du conti-

nent américain, nous sommes le premier port touché et le

dernier laissé de l’Europe. Et nous devons encore optimi-

ser les outillages et services de frets ferroviaires et fluviaux

avec pour ambition de développer son positionnement de

porte européenne. De plus, nous pouvons mobiliser nos

productions agricoles pour conjuguer nos exportations

avec le retour des conteneurs vides.

Comme pour le Gateway de la Tamise, nous avons aussi

une ville-monde, qui doit envisager des rééquilibrages, en

particulier sur le tertiaire et les front-offices, l’enseigne-

ment supérieur et la recherche, la meilleure répartition

des emplois et des habitants, qui sont les questions cru-

ciales du développement de la région parisienne.

ACTIVATION DU SEINE GATEWAY

Les atouts indispensables qui sont à disposition et qui

caractérisent notre espace sont : un hub : Le Havre et

le complexe portuaire normand (port le plus à l’ouest,

1er touché, avant le détroit du Pas de Calais) ; une “ville

-monde” : Paris (avantage concurrentiel) ; la conjonction

d’une armature portuaire avec un appareil productif (la

“L’ensemble formé par Paris ville-monde, la vallée intense de la Seine, les territoires la

bordant et le débou-ché maritime offert

par Le Havre et Rouen, (l’Estuaire de la Seine) le littoral normand, le tout magnifiquement

placé à l’Ouest de l’Europe, dispose des éléments constitutifs

d’un Gateway.”

Page 84: L'Estuaire en Seine - les raisons d'agir

Seine Gateway

Page 85: L'Estuaire en Seine - les raisons d'agir

Façade maritime de Paris

Page 86: L'Estuaire en Seine - les raisons d'agir

Vallée de Seine industrielle) ; une

position de pivot dans l’orientation

des flux (maillage entre les liaisons

Nord-Sud et les axes Est-Ouest,

comprenant l’aire géographique Manche-Atlantique) ;

la constitution d’une position géostratégique : la dorsale

Le Havre-Rouen-Paris, un littoral maillé avec l’ensemble

des ports côtiers de Cherbourg à Dieppe et l’ouverture à

terme vers le Nord et l’Est de l’Europe via le Canal Seine

Nord Europe ; les déplacements touristiques – les sites sont

extrêmement nombreux et de dimension mondiale – mais

aussi les flux aériens, ferroviaires, maintenant fluviaux et

maritimes avec le développement des croisières ; la valo-

risation des sites industriels qu’il va falloir reconvertir par

l’effet des accès au monde entier que procure le Gateway ;

la valorisation des productions agricoles, en les transfor-

mant (les agro-industries), en massifiant leurs exportations

tant par les voies d’eau que les voies maritimes ; la collection

considérable d’attractivités résidentielles que présentent la

Vallée de la Seine, ses bordures et le littoral, le climat et

les modes de vie qu’on y trouve ; la capacité de traiter l’en-

semble des chaines des déchets, de leurs transformations,

à la fois à l’échelle du bassin, à celle des flux de transport,

mais aussi des outillages industriels adéquats.

Tous ces facteurs doivent être dynamisés ensemble pour

mettre en évidence nos forces pour que soit activé un

modèle de développement qui était présent mais latent.

Ce Gateway de la Seine reposera sur l’emboîtement de

systèmes vertueux, productifs, durables, attractifs, inno-

vants et complémentaires. Cette combinaison est une des

clés pour apporter de profonds changements dans notre

économie et assurer la position de Paris et de la France

dans le monde. Elle seule est en mesure d’articuler les

grands flux d’échanges mondialisés de toutes natures et

de promouvoir le renouveau de notre industrie.

L’Estuaire peut se saisir de cette opportunité pour se

doter d’une image attractive, puissante, étonnante et

donner à ce territoire une haute qualité résidentielle à

l’échelle de notre continent. C’est la condition nécessaire

pour donner la volonté et la capacité à Paris de décen-

traliser sur ces territoires des fonctions de commande-

ment, portuaires, industrielles, logistiques, de services aux

entreprises, universitaires, de recherche, pour pouvoir, en

retour, mieux se placer sur les segments concurrentiels de

l’excellence mondiale

L’ESTUAIRE DE LA SEINE ETLE GATEWAY DE LA SEINE

L’Estuaire de la Seine est la porte du Gateway, c’est bien

sûr un enjeu pour la place portuaire, mais c’est l’espace

qualifié d’un développement diversifié, et partagé, par-

tie d’un dispositif de dimension mondiale : emplois por-

tuaires, logistiques, industriels, tertiaires et universitaires à

l’instar des emplois présents dans les grandes places por-

tuaires européennes.

L’Estuaire est une pièce maîtresse de cette nouvelle stra-

tégie territoriale qui relie la région capitale à la mer. Nos

ports, nos infrastructures mais aussi nos compétences et

nos savoirs sont autant d’atouts pour relever ce défi.

83

”Ce Gateway de la Seine reposera sur l’emboîtement de systèmes vertueux, productifs, durables, attractifs, innovants

et complémentaires.”

”L’Estuaire de la Seine est la porte du Gateway, c’est bien sûr un enjeu pour la place portuaire.”

Page 87: L'Estuaire en Seine - les raisons d'agir
Page 88: L'Estuaire en Seine - les raisons d'agir

Le Grand Parc de l’Estuaire donne forme à un projet

partagé. Entité à constituer autour de la Seine, de la

forêt de Brotonne à l’océan, entre terre et eau, ce Parc du

xxie siècle manifeste une nouvelle alliance entre la nature,

le développement industriel et urbain. Il réconcilie de

multiples dimensions – espace à la fois naturel, agricole,

industriel, portuaire, touristique, urbain…

Le vaste site de l’Estuaire a connu de nombreux plans, il

porte de multiples projets. Plutôt que d’un nouveau plan

directeur, il a besoin d’une vision dynamique, qui le prépare

aux mutations annoncées : nouvelle relation du Havre avec

Paris (train rapide), canal Seine-Nord-Europe et dévelop-

pement de la logistique fluviale… Pour cela, il lui faut un

récit qui aide à en construire une représentation partagée

et des « moteurs » susceptibles de faire évoluer le territoire.

La question de l’identité concerne le site dans sa grande

échelle – comment faire émerger un sys-

tème global à partir de la diversité de ce

qui existe ; comment dynamiser les dif-

férents projets par une vision collective.

Les nouvelles cultures répondent à cet

emboîtement pour mettre en mouvement

le territoire, motiver ses acteurs – eux qui

construiront le changement.

85

LA PORTE DU GATEWAYDE LA SEINE

LE GRAND PARCDE L’ESTUAIREANTOINE GRUMBACH

JEAN-ROBERT MAZAUD

“Entité à constituer autour de la Seine,de la forêt de Brotonne à l’océan, entre terre et eau, ce Parc du XXIe siècle manifeste une nouvelle alliance entre la nature, le développementindustriel et urbain.”

Page 89: L'Estuaire en Seine - les raisons d'agir

IDENTITÉ : CONSTRUIRE UN GRAND RÉCITRÉVÉLER LA GÉOGRAPHIE DANS TOUS SES ÉTATS

La colonisation du royaume de l’eau

Le Grand Parc de l’Estuaire ne peut pas être dissocié du

front maritime. Eau douce, eau saumâtre, eau salée : le

territoire de l’Estuaire est à la fois fleuve et côte. Il doit

être pensé à la fois dans sa vallée et son front maritime

– jusqu’à Étretat et Deauville, Fécamp et Caen ou Cher-

bourg. Pensé également par ses deux rives, ensemble –

deux rives qui ont manqué de relations.

Zones humides

La présence de l’eau et des zones humides marque la culture

partagée par tous : ce repère peut tisser des liens avec l’inté-

rieur du territoire, par les vallées et les valleuses. Il concerne

l’industrie comme les loisirs des habitants ou le tourisme.

Les zones humides, vasières et roselières, espaces protégés

pour leur biodiversité (oiseaux et poissons en particulier),

sont occupées aussi par les chasseurs, qui y aménagent

des gabions – environ 200 mares artificielles équipées

d’un abri enterré où les tireurs attendent le gibier d’eau.

La réserve naturelle de l’Estuaire de la Seine est une des

seules en France où la chasse soit tolérée – en raison de

l’influence de quelques 2 000 chasseurs (surtout dockers

et travailleurs du port). Un rapport de force qui témoigne

de la complexité des jeux d’acteurs.

L’Estuaire est l’objet de conflits parfois violents – entre

le Port, les écologistes et les défenseurs des oiseaux, les

industriels et les chasseurs, les agriculteurs ou les coupeurs

de roseaux (cette récolte permet d’enlever de la matière

organique et d’éviter une trop rapide eutrophisation).

86

“Milieu écologiquement très complexe, l’Estuaire est un des parcs naturels français les plus riches biologiquement.”

“Alors que la vallée n’a pas cessé de se transformer au fil des siècles, les crêtes offrent un élément iden-titaire stable. Elles constituent les limites du Grand Parc de l’Estuaire – tout territoire a besoin de limites pour que son espace puisse être ressenti et reconnu.”

La roselière fixe autant d’azote et

de phosphore qu’une station d’épu-

ration pour 200 000 habitants,

à condition qu’il y ait la marée. Une épuration d’autant

plus efficace que la surface est importante. Mais ces zones

deviennent rares dans la Vallée de la Seine. Milieu écologi-

quement très complexe, l’Estuaire est un des parcs naturels

français les plus riches biologiquement, site de plusieurs

zones protégées et de multiples mesures compensatoires

(opérations de protection visant à contrebalancer les nui-

sances d’un projet d’aménagement). Il y manque un inven-

taire des nombreux espaces où il serait possible d’organiser

ces compensations – avec l’objectif de les réaliser sur le ter-

ritoire lui-même plutôt que dans d’autres régions.

Les crêtes comme limites

Alors que la vallée n’a pas cessé de se transformer au fil

des siècles, les crêtes offrent un élément identitaire stable.

Elles constituent les limites du Grand Parc de l’Estuaire

– tout territoire a besoin de limites pour que son espace

puisse être ressenti et reconnu.

Cette limite peut se matérialiser par une promenade qui

relie les plateaux aux falaises côtières – avec belvédères,

observatoires et tables d’orientation. Ce chemin est un

outil de découverte de l’ensemble de l’Estuaire, où prendre

conscience de son échelle, des relations entre les deux rives,

des alternances paysagères

entre nature, ville et indus-

trie. S’y révèle l’histoire géo-

logique et humaine du site,

s’y ressentent les horizons,

l’ouverture sur le grand large.

Page 90: L'Estuaire en Seine - les raisons d'agir

87

Page 91: L'Estuaire en Seine - les raisons d'agir

Le site de papier

Zones à risques, des atouts. Le changement de regard

auquel invite cette étude encourage à voir les contraintes

comme des atouts. Ainsi des deux zones de PPRT (Plan

de Prévention des Risques Technologiques) de l’Estuaire,

qui gèrent plusieurs risques Seveso : il devient impossible

88

“Cette limite peut se matérialiser par une promenade qui relie les plateaux aux falaises

côtières – avec belvédères, observatoires et tables d’orientation. Ce chemin est un outil

de découverte de l’ensemble de l’estuaire, où prendre conscience de son échelle, des relations

entre les deux rives, des alternances paysagères entre nature, ville et industrie.”

Page 92: L'Estuaire en Seine - les raisons d'agir

en France d’en créer de nouvelles et ces zones donnent

une valeur ajoutée aux territoires dès lors que leur gestion

favorise une excellence industrielle durable. Ici peuvent

se concentrer des industries en mutation.

L’histoire de l’industrialisation de l’Estuaire est ancienne,

indissociable du développement industriel de la Seine

en amont. Les zones industrielles de l’Estuaire vont sans

doute radicalement évoluer dans les prochaines années,

pour accueillir des industries vertes, des activités de

construction navale pour le fluviomaritime, des zones

logistiques d’un nouveau genre où chaque fonction de

transport sera différenciée en fonction de la nature des

objets à transporter…

89

Page 93: L'Estuaire en Seine - les raisons d'agir

UN PARC INDUSTRIEL,PORTUAIRE ET ÉCOLOGIQUE

Ecologie industrielle : un grand port dans la nature

Les différents sites portuaires et industriels de l’Estuaire

sont intimement liés – bassins du Havre, Port 2000, Port

Jérôme et site de Notre-Dame-de-Gravenchon, Port de

Rouen à Honfleur… Le développement du port semble

se heurter à la rareté de foncier, puisqu’il est exclu de

construire sur la mer. Il est contraint par la nature mais cette

contrainte est aussi son argument : il commence à recon-

naître sa responsabilité écologique dans la préservation

des espaces sensibles et précieux de l’Estuaire.

Il doit rassurer les inquiets en sanctuarisant ses limites,

pour éviter le grignotage du territoire, en particulier sur

le parcours du canal qui doit traverser la zone naturelle et

relier le port à la Seine. Un

canal indispensable pour

ménager aux péniches un

accès direct aux conteneurs

mais qui risque de ne pas être accepté si ses rives naturelles

ne sont pas sécurisées.

Il faut aussi un plan du site portuaire qui réserve des cor-

ridors écologiques à l’intérieur de son périmètre (en pro-

fitant de ses zones non constructibles – souvent gelées en

raison de passage de réseaux), un plan de développement

de corridors verts et bleus à relier. Dans le vaste territoire

de l’Estuaire, il est également utile de poursuivre l’identi-

fication des nombreuses zones de compensation possibles.

Le port sur le port

Depuis les 30 Glorieuses, les implantations industrielles

sur le port du Havre se sont étendues au prix d’une dépense

excessive d’espace. La montée des exigences environne-

mentales oblige à une nouvelle attitude. La crédibilité d’un

projet de développement repose dorénavant sur une ges-

tion économe de l’espace, qui repense et réinvestit les vastes

sites portuaires et industriels existants. Les relations du

port avec la ville sont également au cœur de cette évolution,

ainsi que le montre l’étude de Bruno Fortier sur la pointe

de Floride, la citadelle et la nouvelle gare (Le Havre 2 020).

90

“La crédibilité d’un projet de déve-loppement repose dorénavant sur

une gestion économe de l’espace, qui repense et réinvestit les vastes sites portuaires et industriels existants.”

Page 94: L'Estuaire en Seine - les raisons d'agir

Le port compact : pour rationaliser ses espaces industriels,

remplacer les hectares de stationnement par des parkings

en silos, se densifier, le Port a besoin d’un nouveau schéma

directeur et d’un nouveau cahier des charges pour les

entreprises. Il lui faut en particulier un fond de soutien qui

encourage les entreprises déjà implantées à se reconcen-

trer – les arrivées ne suffisant pas à transformer le site.

Les grands ports se pensent dorénavant comme les élé-

ments d’une grande chaîne à l’échelle européenne et mon-

diale. L’atout principal du Havre a toujours reposé sur sa

forte accessibilité nautique. Les différents chantiers por-

tuaires menés à travers l’histoire ont privilégié cet aspect,

avec comme cible le navire phare du moment : le paque-

bot (bassin Théophile Ducrocq), le pétrolier (Antifer), le

vraquier (Zone Industrialo-Portuaire) et aujourd’hui le

porte-conteneurs (Port 2 000). À chaque fois, les résul-

tats ont été en deçà des attentes. Aujourd’hui, les trafics

conteneurs stagnent : Le Havre résiste à la mondiali-

sation alors qu’il devrait en vivre. Sa stratégie a besoin

d’évoluer. L’ouverture prochaine d’une plateforme multi-

modale va créer les conditions d’une efficacité logistique

qui doit s’inscrire dans une réflexion sur les flux de fret

en Europe (développement du fluvial, amélioration du

ferroviaire…).

À la manière des ports hanséatiques, une stratégie

immobilière doit construire de grands hangars en blancs,

loués temporairement, où se produit la valeur ajoutée.

La vocation maritime des espaces portuaires en aval de

l’écluse François 1er doit être préservée, leur capacité à

accueillir les navires d’aujourd’hui et ceux de demain (pas

nécessairement des conteneurs). Le projet portuaire sera

à redéfinir de façon souple, au fur et à mesure des évolu-

tions à venir – la baisse des trafics pétroliers et la probable

reconversion de la pétrochimie en chimie verte, l’arrivée

de la biomasse, l’essor du tourisme de croisière, de nou-

velles activités économiques…

La vocation de producteur d’énergie est inscrite dans les

espaces portuaires. Elle doit évo-

luer en méthodes (du charbon à

la biomasse) et en services, dans

le port et hors de son enceinte, au

service de la ville.

91

“À la manière des ports hanséatiques, une stratégie immobilière doit construire de grands hangars en blancs, loués temporairement, où se produit la valeur ajoutée.”

Page 95: L'Estuaire en Seine - les raisons d'agir

Pour un projet agro-industriel

Grâce au fleuve, outil de massification idéal, le port

devient un lieu de développement pour l’agro-industrie,

en particulier pour traiter les sous-produits de l’agricul-

ture, transformables par l’industrie ou pour le chauffage

– par exemple les tonnes de poussières produites par les

céréales rassemblées sur le port de Rouen sont récupé-

rables pour alimenter des chaudières.

Que la métropole s’adosse à une tradition agricole très

riche est essentiel pour l’avenir : terres agricoles et forêts

participent au métabolisme du territoire et captent du

CO2. Les résidus organiques des villes et des industries

(à condition d’être traités) peuvent fertiliser les sols, la

production de fibres peut alimenter la fabrication de plas-

tiques (une filière lin existe déjà, intégrée au groupement

industriel Fimalin). Ce projet agricole a besoin de pré-

server son foncier – donc besoin d’une industrie et d’une

ville économes en terres – et de développer ses atouts

spécifiques : agricultures de proximité, cultures hors sol,

production de biomasse et d’énergie…

Élevage, maraîchage, grandes cultures… Le territoire de

l’Estuaire assemble des productions agricoles d’une remar-

quable diversité. Activité éco-

nomique fragile, comme par-

tout en France, donc à conforter

par un projet global, auquel les

professions concernées doivent

participer en première ligne.

Vu à l’échelle des départements

qu’il borde, l’Estuaire permet

d’associer les différentes sortes

d’agriculture qui perdurent sur

ses deux rives – cultures intensives

sur les plateaux, bocages au Sud.

La présence d’animaux d’élevage

favorise les productions biologiques, qui ont besoin de

leurs rejets comme engrais.

Une grande porte touristique européenne

Changement de regard, le tourisme représente pour l’Es-

tuaire une économie à construire et une industrie à déve-

lopper. Paquebots, cabotages, plages, forêts, patrimoine

monumental et artistique, patrimoine industriel aussi :

il est possible de créer ici une grande porte touristique

européenne, en profitant du fleuve, de la mer, de la proxi-

mité de Paris, de la future Ligne Nouvelle Paris Norman-

die qui va attirer les croisiéristes…

Le tourisme, secteur le plus dynamique de l’économie

française, représente une force, en emplois, en affirma-

tion d’une identité du territoire, en amélioration du cadre

de vie pour les habitants et les entreprises. En termes de

développement durable, c’est une piste majeure, celle du

tourisme chez soi, économe en déplacements et en CO2.

Un évènement artistique et culturel

Pas de projet territorial sans projet culturel. Parce que

l’aménagement est d’abord sensible et partagé avant d’être

technique, la dimension culturelle est incontournable,

autant pour fédérer un sentiment collectif d’appartenance

que pour attirer des visiteurs et des entreprises. Un tel

projet, qui se construit dans le long terme, a aussi besoin

d’une étincelle, un événement artistique et culturel ambi-

tieux, qui offre une belle occasion de donner à découvrir

le territoire et de mobiliser l’ensemble de ses acteurs, élus,

entreprises, habitants…

92

“L’aménagement est d’abord sensible et partagé avant d’être technique, la dimension culturelle est incontournable.”

“Grâce au fleuve, outil de mas-sification idéal, le port devient

un lieu de développement pour l’agro-industrie, en particulier pour traiter les sous-produits

de l’agriculture, transformables par l’industrie ou pour le chauf-

fage – par exemple les tonnes de poussières produites par les

céréales rassemblées sur le port de Rouen sont récupérables

pour alimenter des chaudières.”

Page 96: L'Estuaire en Seine - les raisons d'agir

93

“L’Estuaire porte un projetde festival : à la fois biennale d’art et forum de recherche sur le thèmede l’eau, il invitera une rencontre internationale des estuaires et sera associé àla 2e édition de NormandieImpressionniste (et peut-êtreà l’Armada).”

L’Estuaire porte un projet de

festival : à la fois biennale d’art et

forum de recherche sur le thème

de l’eau, il invitera une rencontre

internationale des estuaires et

sera associé à la 2e édition de

Normandie Impressionniste (et

peut-être à l’Armada). Cet événement prendra sa dimen-

sion dans une grande ambition, faire de Paris-Rouen-Le

Havre un axe identitaire, à la fois économique et culturel,

de la métropole du xxie siècle.

CHANGEMENT DE CULTURE

On ne peut étudier un territoire sous l’angle du développe-

ment durable sans aborder un à un, puis chacun par rapport

aux autres et enfin, dans leur ensemble, les six domaines qui

façonnent la structure de l’impact environnemental qu’ont

les activités humaines sur notre planète et ses écosystèmes :

l’énergie, ses sources, ses utilisations, ses limites, ses dan-

gers et son devenir ; l’agriculture,

ses besoins, ses évolutions, ses

dépendances, ses nuisances, ses

carences et ses nouvelles fonc-

tions ; l’industrie, ses conditions,

ses promesses, ses inerties, ses

risques, ses révolutions et son

avenir ; les transports, leur cadre,

leurs innovations, leurs défail-

lances, leurs dépendances, leur

industrialisation et les nouvelles

addictions et projections d’ave-

nir ; les constructions, leurs jus-

tifications, leur progrès, leurs n Potentiel théorique de rayonnement solaire annuel

sur la terre par rapport à la consommation d’énergie

annuelle mondiale et aux réserves fossiles et nucléaires.

Page 97: L'Estuaire en Seine - les raisons d'agir

94

“L’énergie le sera à partir de la culture de la mutation,

l’agriculture à partir de la culture de la compensa-

tion, l’industrie à partir de celle du risque, les trans-ports, celle de la lenteur, les constructions, celle de la réversibilité et enfin les

déchets, celle de la préser-vation des ressources.”

imperfections, leurs conséquences, leur

intégration et leurs incarnations ; les

déchets, leur origine, leurs quantités,

leurs inconvénients, leur dégradation,

leur valorisation et leur stigmatisation.

La biodiversité devient aujour d’hui

un indicateur fiable de notre capacité

à aménager un territoire sans engager

son pronostic vital.

A la grande échelle, l’Estuaire de la Seine comporte tous

les éléments pour pouvoir remettre en œuvre des projets

de développement durable impliquant les six champs

d’action que sont l’énergie, l’agriculture, l’industrie, les

transports, les constructions et les déchets.

Chacun d’eux nous oblige à opérer dialectiquement

vis-à-vis des cinq autres. Chacun d’eux peut être défini

aujourd’hui à partir d’une culture prédominante. L’énergie

le sera à partir de la culture de la mutation, l’agriculture à

partir de la culture de la compensation, l’industrie à par-

tir de celle du risque, les transports, celle de la lenteur, les

constructions, celle de la réversibilité et enfin les déchets,

celle de la préservation des ressources. Ces six cultures per-

mettent de mieux comprendre en quoi

les questions environnementales et leur

traduction, par exemple, dans les prin-

cipes du Post-Kyoto structurent notre

pensée et articulent nos actions.

Ainsi les opportunités de projets sont

nombreuses au sein de chaque domaine,

sur le territoire de la porte du Gateway

et se mixent les unes aux autres dans

´

“A la grande échelle, l’Es-tuaire de la Seine comporte

tous les éléments pour pouvoir remettre en œuvre

des projets de développe-ment durable impliquant

les six champs d’action que sont l’énergie, l’agriculture,

l’industrie, les transports,les constructions et

les déchets.”

Page 98: L'Estuaire en Seine - les raisons d'agir

´

´

Page 99: L'Estuaire en Seine - les raisons d'agir

un nouveau paysage économique,

social, culturel et écologique. L’éner-

gie, grâce d’une part à la maturité des

techniques photovoltaïques et à la

nécessité de prendre en compte mas-

sivement la biomasse, tisse des liens

entre l’industrie et l’agriculture, entre

l’agriculture et les constructions et réintègre les déchets

dans un cycle vertueux qui préfigure l’économie circulaire.

Les énergies renouvelables ne représentent pas seulement

un changement de gisement. Elles nous obligent à repen-

ser totalement nos modèles d’exploitation et de valorisa-

tion en inversant le rapport Production-Distribution. La

production n’est plus massifiée, mais dispersée pendant

que la distribution devient un facteur de remassification.

Là, se produit la mutation et ses conséquences sur l’espace.

L’agriculture, à cause de la nécessité absolue de préserver

la biodiversité mais aussi de l’incroyable avancée des bio-

technologies, créé une synergie rural-urbain qui dépasse

désormais les seuls composants alimentaires pour se ren-

forcer grâce aux composants énergétiques. De même, le

rapport agricole industriel se fond dans une même nou-

velle équation. Les bio-raffineries ne seront plus exclu-

sives à l’un des deux. Les réserves d’espace ne sont plus

des vides à conquérir. Elles représentent soit une ressource

alimentaire ou énergétique soit un patrimoine du vivant à

préserver et à stimuler. La nécessité d’arbitrer les attribu-

tions des espaces dit « libres » génère la culture de la com-

pensation qui seule permet d’atteindre un équilibre global.

L’industrie sans cesse renouvelée par les nouvelles

conquêtes technologiques (qu’elles soient dans le

domaine de l’énergie, des transports, ou des matériaux)

se voit façonnée dans l’espace par les coproductions qu’elle

entreprend avec l’agriculture et l’écologie. Il faut désor-

mais parler de « parc industriel » au sens propre, mais

aussi inverser certaines propositions comme les Plans de

Préventions qui deviennent des terres d’accueil. L’eco-

industrie renforce les notions d’économie circulaire. La

consommation ou l’accumulation puis la transformation et

l’assemblage de produits naturels ou manufacturés ne sont

pas des processus sans conséquence sur notre patrimoine

matériel et immatériel. La culture du risque s’est interpo-

sée entre extraction et production d’une part et pour cha-

cun d’eux, entre distribution et consommation d’autre part.

De la même façon que les espaces naturels deviennent des

marqueurs de la qualité, les innovations technologiques

s’évaluent grâce à des indicateurs de performances envi-

ronnementales. Les transports voient leur champ d’ac-

tion s’agrandir grâce au mix des solutions. Les sources

de progrès ne sont plus réservées à la vitesse ; la lenteur

génère ses propres systèmes vertueux, du « plus léger que

l’air » jusqu’à la barge fluviale en passant par la bicyclette

ou le paquebot à voiles. Le transport touristique devient

industriel et l’extrême variété des moyens de transport

une nouvelle opportunité de développement d’activités

de construction, d’étude, de formation, de maintenance

et de coproduction, là aussi.

L’abolition des distances est un objectif désormais atteint

pour la transmission des informations et de toutes les

matières virtualisables. L’explora-

tion de nouveaux besoins modifie

le sens de maîtrise du temps. La

culture de la lenteur vient enrichir

celle de la vitesse pour proposer

96

“La culture de la réversibilité est une traduction du recy-clage appliqué aux espaces,

l’extension des mutualisa-tions au domaine énergétique

(besoins et productions) ouvre de nouvelles perspec-tives aussi bien architectu-

rales qu’urbanistiques.”

“À condition d’être transfor-més, les déchets deviennent des produits, c’est toute une chaîne nouvelle de production qui voit le jour avec son cortège de besoins en infrastructureset en structures.”

Page 100: L'Estuaire en Seine - les raisons d'agir

des combinaisons qui structurent notre

espace de façon différente.

Les constructions désormais envisa-

gées sous l’angle de la réversibilité, se

retrouvent impliquées dans les grandes

innovations énergétiques, forcées de

composer avec l’agriculture mais aussi le

recyclage des matériaux pour proposer un nouveau rapport

entre le patrimoine (et c’est le cas extrême au Havre avec le

classement au Patrimoine Mondial du centre-ville) et l’élec-

trogénité, c’est-à-dire leur capacité à produire de l’électricité

grâce à l’exposition de leur enveloppe à la lumière solaire,

qui modifiant leur fonction, modifie également leur forme.

Les bâtiments et leur emprise foncière portent en eux

la capacité à rebondir dans une boucle de plus en plus

vertueuse. La ville se régénère en se recomposant perpé-

tuellement et en renforçant étape après étape sa capacité

à offrir une mutualisation des services. La culture de la

réversibilité est une traduction du recyclage appliqué aux

espaces, l’extension des mutualisations au domaine éner-

gétique (besoins et productions) ouvre de nouvelles pers-

pectives aussi bien architecturales qu’urbanistiques.

Les déchets qui par définition proviennent de la consom-

mation de produits, autrement dit de ressources, étaient

jusqu’à présent concernés par un processus linéaire en

trois phases : massification – dispersion – élimination. Les

déchets sont désormais pris dans une boucle vertueuse

massification-dispersion-remassification. Cette évolution

replace le territoire comme acteur majeur selon ses capa-

cités à, là encore, proposer des coproductions Collecteurs-

Agriculteurs-Collecteurs industriels etc.

À condition d’être transformés, les déchets deviennent

des produits, c’est toute une chaîne nouvelle de produc-

tion qui voit le jour avec son cortège de besoins en infras-

tructures et en structures. La culture de préservation des

ressources naturelles ne peut qu’inciter à l’économie cir-

culaire et l’amplifier si des dispositifs spatiaux naturels (le

fleuve) ou artificiels (centres de traitement) le permettent.

Dans chacun des six domaines, ce qui apporte l’inno-

vation aujourd’hui, c’est la prise en compte de circuits

courts. Ayant atteint la limite que nous offre la géogra-

phie de notre planète (avec des océans qui couvrent plus

des deux tiers de sa superficie) pour activer les échanges

matériels à grande distance, nous ne pouvons qu’augmen-

ter la valeur ajoutée des ports fluviaux maritimes en com-

binant toutes les échelles (mondiales à locales), toutes les

vitesses (supra rapides à lentes), tous les cycles (renouve-

lables à combinés), toutes les espèces vivantes (des plus

rares à protéger aux plus judicieuses à cultiver), toutes les

énergies (des plus sensibles aux plus banales) et toutes les

formes de gouvernances (des plus traditionnelles

aux plus innovantes). La recherche des circuits

courts permet de révéler les atouts d’une région,

d’une implantation, d’une configuration pour que

puissent être proposées des solutions d’aménage-

ment, d’urbanisme et d’architecture.

97

“Les déchets sont désormais pris dans une boucle vertueuse massification-dispersion-remassification.”

“La recherche des circuits courts permet de révéler les atouts d’une région,

d’une implantation, d’une configuration pour que

puissent être proposées des solutions d’aménage-

ment, d’urbanisme etd’architecture.”

Page 101: L'Estuaire en Seine - les raisons d'agir

98

“La culture de la lenteur vient enrichir celle de la vitesse pour proposer des combinaisons qui structurent notre espace

de façon différente. Les constructions désormais envisagées sous l’angle de la réversibilité, se retrouvent impliquées

dans les grandes innovations énergétiques.”

´

Page 102: L'Estuaire en Seine - les raisons d'agir

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Page 103: L'Estuaire en Seine - les raisons d'agir

Les quartiers SudLes Magasins Généraux

La gare du Havre La Citadelle Pointe de Floride

Quai de Southampton

Page 104: L'Estuaire en Seine - les raisons d'agir

101

Envisager la construction du territoire de l’Estuaire,

pose la question de l’architecture métropolitaine

du Havre, cité maritime et portuaire. Le Havre, à l’évi-

dence, est en train de changer de signe. Elle a modernisé

son port, valorisé son patrimoine et a mené une politique

patiente d’unification de la ville que devrait confirmer le

parcours de sa première ligne de tramway.

Le Havre, on le sait, a changé : son port s’est ouvert à la

ville ; un parc linéaire a été amorcé tout au long d’un bas-

sin fluvial face auquel des logements ont récemment été

livrés : Sciences Po et l’INSA s’y installent, l’Ecole Natio-

nale Supérieure Maritime les rejoindra bientôt… Mais cet

effort indispensable a trouvé un autre horizon (vers Paris

notamment) et il risque d’être insuffisant si le cadre même

du projet dans lequel il s’inscrit n’est pas, de son côté, élargi

et réétudié. En bref, s’il n’offre pas une armature à partir de

laquelle on puisse faire converger ses acteurs autour d’une

vision plus large et qui puisse les mobiliser.

Le Havre tout d’abord, ne peut demeurer silencieuse sur

le cadre qu’elle compte offrir aux développements de court

ou de long terme qu’elle a récemment contribué à mettre

en perspective.

Elle le peut d’autant moins que le Port – associé à la Ville –

prend à l’heure actuelle la mesure des mutations techniques

qu’il doit continuer de conduire, en même temps que des

territoires de moindre intensité qui peuvent être, du coup,

porteurs eux aussi de projets.

LE HAVRE 2020 BRUNO FORTIER

“Le Havre, à l’évidence est en train de changerde signe.”

PresquîleLucien Corbeau

Le Havre, métropole maritime

Page 105: L'Estuaire en Seine - les raisons d'agir

A quoi s’ajoute la probabilité, pour la Communauté

d’Agglomération d’être sollicitée demain sur ces mêmes

perspectives : que ce soit par l’Etat (au titre des transports

ou de la Société du Grand Paris), par le Port ou par les

investisseurs à venir que Le Havre souhaiterait attirer.

LE PORT

Son emprise, on le comprend bien, détermine à la fois

l’assise et l’élan du projet. Nous n’avons fait ici que

recueillir les hypothèses que ses acteurs nous ont com-

muniquées, tout en sachant que les options qui semblent

aujourd’hui ouvertes peuvent de leur côté faire l’objet de

plusieurs scénarios : la possibilité de faire muter le site

de la Citadelle et par conséquent d’occuper tout ou par-

tie des emprises aujourd’hui affectées au Trans-Manche

pourvu que celui-ci trouve une nouvelle localisation ; la

faculté aussi, à court ou moyen terme, de disposer des

terrains de la pointe de Floride (relativement libres

aujourd’hui), sachant toutefois que les croisières et très

bientôt les éoliennes offshore se saisiront de ses versants

les plus méridionaux.

L’archipel havrais : une nouvellegéographie urbaine et maritimeCitadelle – Pointe de Floride – Southampton :les territoires d’enjeux

“Le Havre, jusqu’ici, privilégiait sa plage.Elle doit continuer de le faire, mais doit

également se tourner vers le port etles développements civils.”

Page 106: L'Estuaire en Seine - les raisons d'agir

LA VILLE-CENTRE

Problème complexe là encore, puisqu’il touche des quar-

tiers existants, engage des options de transports nécessai-

rement très lourdes, et implique bien évidemment de se

fixer de claires priorités.

Le temps et les phasages étant ici déterminants (qu’il

s’agisse de la gare à venir, de l’apparition d’une seconde

ligne de tramway, ou qu’il s’agisse de la vitesse avec

laquelle certains terrains portuaires pourront se libérer),

nous avons fait le choix d’explorer prioritairement les

développements à dix ans en laissant en suspens – ou plus

exactement ouverte – la question de savoir si la gare à

venir occupera le même site, si l’on se contentera (solu-

tion d’ailleurs positive) de la reculer légèrement ou si son

basculement au Sud du bassin Bellot semblera finale-

ment préférable et de nature à nourrir plus efficacement

ce projet.

Ce point demeurant à débattre, plusieurs pistes ont été

explorées.

LE CENTRE PERRET

La première – récemment amorcée par le biais du classement

du Havre au Patrimoine mondial de l’UNESCO – concerne

évidemment le cœur reconstruit par Perret. On en mesure

bien les atouts, on connaît aussi les actions qui y ont été enga-

gées (l’aménagement des plages, celui du Musée Malraux,

la réhabilitation du théâtre de Niemeyer), il ne fait pas de

doute qu’il faille aller plus loin : animer ces bassins, rendre

leurs abords plus passants… Mais la trajectoire du Tramway

ne fait que confirmer l’élan d’un axe Est-Ouest au total assez

naturel, mais qui laisse pour l’instant de côté des trajectoires

Nord-Sud beaucoup moins animées jusqu’ici, alors même

que tout plaide pour qu’un tout autre élan leur soit très rapi-

dement donné : Le Havre, jusqu’ici, privilégiait sa plage. Elle

doit continuer de le faire, mais elle doit également se tourner

vers le port et vers les développements civils que ses nou-

velles distributions paraissent autoriser. C’est le sens de nos

plans : les plages restent un point de départ, mais des jardins,

des quais traités en promenade, pourraient parfaitement se

poursuivre en direction du port de pêche et du même coup

« boucler » les deux panoramas qu’imaginait Perret.

“On en mesure bien les atouts, on connaît aussi les actions qui y ont été engagées. il ne fait pas de doute qu’il faille aller plus loin : animer ces bassins, rendre leurs abords plus passants…”

Page 107: L'Estuaire en Seine - les raisons d'agir

« Adresse » sans aucun doute, la Citadelle doit aussi se doter d’une véritable vocation. Elle peut accueillir des Congrès, mais la prochaine implantation de l’Ecole Nationale Supérieure de la Marine Marchande peut également plaider pour en faire un Campus logistique semblable à celui de Hambourg. Ce se-rait, de Paris au Havre, une issue à la fois logique et conforme aux nouvelles ambitions du plus grand port français.

LA CITADELLE

Reste la Citadelle, son potentiel et son caractère excen-

tré… Qu’elle soit pour l’instant à l’écart est un fait d’évi-

dence : elle comporte – il est vrai – quelques bureaux

récents, elle accueille également ceux du port, mais l’es-

sentiel de son emprise demeure « automobile », sa circula-

tion très intense, alors même qu’elle pourrait constituer le

pivot d’un développement qui devrait concerner à la fois

le centre relancé, la proue Ouest des « quartiers Sud » et

les développements envisageables sur la presqu’île Lucien

Corbeaux. Cette île peut donc être « magique ». Elle peut

être le cœur du projet et il ne fait donc pas

de doute, à nos yeux, qu’il faille très vite la

libérer pour en faire une des priorités pour

le projet urbain du Havre.

“Cette île peut être «magique». Elle peut

être le cœur du projet.”

Page 108: L'Estuaire en Seine - les raisons d'agir

LA GARE MAINTENUE

Reste aussi la question de la gare : elle fait partie du

centre-ville, elle est facilement accessible et bien sûr des-

servie par la première ligne de tramway… On peut ima-

giner qu’elle reste en place : c’est la solution la plus simple,

mais les faiblesses d’une telle issue n’en demeurent pas

moins évidentes (elle s’adresse à la ville mais ignore vers

le Sud les développements qu’il faudrait lui donner et

ne laisse au total que des emprises modestes au Nord et

au Sud du faisceau), à moins – précisément – qu’elle ne

soit déplacée ou tout simplement reculée. Hypothèse que

d’autres études devraient sans doute, et ceci très bientôt,

contribuer à cerner.

LA GARE DES PAQUEBOTS ?

La gare maritime était celle qui déposait les voyageurs

au pied des transatlantiques. Le fort développement de

la croisière et la présence des ferries transmanche posent

la question d’une gare dédiée, « la gare des paquebots »

assurant la liaison de Paris au Havre tant pour les têtes

de lignes que pour les escales touristiques. Chaque navire

qui accoste quotidiennement peut assurer le remplissage

d’un à deux trains.

LES QUARTIERS SUD

Nous avons différé le moment d’aborder cette question

à la fois importante, difficile et un peu latérale au projet.

On en connaît le paradoxe : nous sommes là sur huit cents

Page 109: L'Estuaire en Seine - les raisons d'agir

hectares, et c’est à cet endroit (sur le bassin Vatine) que

le projet du Havre a démarré ; ce quartier peu peuplé,

marqué par l’industrie et les grands ensembles sociaux est

par ailleurs confus et relativement compliqué. Situation

à laquelle s’ajoute une certaine urgence puisqu’une très

importante partie de ses terrains est aujourd’hui mutable

sans qu’existe un moteur suffisant pour permettre d’y atti-

rer des investissements de qualité.

Partant d’atouts réels : la position en fin de compte cen-

trale de ces huit cents hectares ; le lancement prochain

d’une ligne de transport en site propre (rue Ferrer, rue

Gustave Nicole) ; les « proues » que constituent le bassin

Vatine et le stade de Soquence.

L’attitude à tenir nous a paru passer par la création d’une

armature d’espaces publics (cours, jardins ou allées) à

traiter dès maintenant en espaces réservés, et permettant

de doter ces terrains de structures arborées repérables

autour desquelles l’archipel des emprises mutables pour-

rait être à la fois densifié et, à terme, valorisé. C’est en par-

ticulier le parti que nous avons pris au Sud des Magasins

Généraux ; c’est aussi, très probablement, ce qui devrait se

faire sur le site de la Citadelle (si du moins, comme nous

l’espérons, on la traite comme un « parc habité »), et c’est

ce qu’il convient de poursuivre.

EN CONCLUSION…

Si certaines de nos suggestions devaient se trouver

retenues, les conclusions à en tirer pourraient donc être

les suivantes : communiquer d’abord et montrer que

Le Havre – moteur à cet égard – s’est dotée d’un projet ;

approfondir le scénario de l’île de la Citadelle (déplace-

ment du Trans-Manche, esquisse à cet endroit d’un parc

de centre ville), et s’appuyer sur ce site pour obtenir, dans

un cadre plus large, l’apport de programmes éminents ;

lancer des études plus approfondies sur l’arrivée de la ligne

nouvelle ; faire connaître Le Havre, et donc chercher de

nouvelles résonances (culturelles, commerciales ou autres)

à l’inscription du centre-ville au Patrimoine mondial de

l’UNESCO ; lancer une série de « plans-guides » sur les

secteurs de développement que l’étude a identifiés : Pro-

menade de la mer et quais de Southampton, Citadelle,

Magasins Généraux, bassin fluvial et quartiers Sud.

Page 110: L'Estuaire en Seine - les raisons d'agir

“C’est sur le bassin Vatine que le projetdu Havre a démarré.”

Page 111: L'Estuaire en Seine - les raisons d'agir

“Nous habitonsune « constellation »de lieux, touscomplémentaires.La qualité de ce réseaudépend de la qualitédes services offerts,des activités etdes emplois.Elle dépend ausside la qualité dutemps passé auxdéplacementsqu’ils soient prochesou lointains, de leurs conditionset de leur coût.”

Page 112: L'Estuaire en Seine - les raisons d'agir

109

De manière très concrète, on peut habiter dans un village,

étudier à la ville, ou bien travailler dans une usine, et pro-

fiter du paysage naturel pendant son repos, ou ses trajets.

La « métropolisation » est ainsi la conjonction de forces de

mesures très diverses dans un même territoire. Plutôt que

d’opposer les éléments très divers de l’Estuaire, elle favorise

ainsi les cohérences, la continuité des espaces habités.

La « mobilité » a un rôle très important dans cette nou-

velle forme de ville. Ce terme très prononcé aujourd’hui

désigne bien plus que les manières de se déplacer, il

concerne l’évolution de nos modes

de vie, où le mouvement n’est plus

seulement une parenthèse, mais un

constituant à part entière.

Qu’est-ce que cela veut dire dans

l’Estuaire de la Seine ? De quels

déplacements parle-t-on ?

Dans ce territoire globalement plu -

tôt « diffus », l’automobile a de beaux

L’ESTUAIRE,LA VILLE CONSTELLATION

FRÉDÉRIC BONNET

D’UN LIEU À L’AUTRE, UN ESTUAIREMÉTROPOLITAIN OFFRE UNE NOUVELLE FAÇONDE VIVRE LA VILLE

Chacun d’entre nous a une adresse : on « habite » bien un

lieu particulier, qu’il s’agisse de Pont-Audemer, du Havre

de Lisieux, de Fécamp ou de Gravenchon. Mais pour

autant, est-ce là le seul lieu de notre vie ? Bien souvent,

on travaille un peu plus loin, à quelques kilomètres – par-

fois bien au-delà ! Les études, les loisirs, les courses nous

mènent souvent dans la ville voisine. Bref, la vie quoti-

dienne ne se limite pas à un ou deux lieux, mais est tis-

sée selon un réseau de services ou d’activités, étendu, qui

diffère d’ailleurs pour chacun d’entre nous. Nous habitons

une « constellation » de lieux, tous complémentaires.

La qualité de ce réseau dépend de la qualité des services

offerts, des activités et des emplois. Elle dépend aussi de

la qualité du temps passé aux déplacements, qu’ils soient

proches ou lointains, de leurs conditions et de leur coût.

La vie quotidienne s’installe dans cette ville constellation,

il en va de même pour la vie économique : les entreprises

ont tout à gagner de ces complémentarités et de ces flux.

Dans cette nouvelle forme de ville, les villes ne s’opposent

plus aux villages, ni la campagne à l’urbain, ni la mer à la

terre, ni les vallées aux plateaux, ni l’industrie à l’agriculture.

“La vie quotidienne ne se limite pas à un ou deux lieux, mais est tissée selon un réseau de services ou d’activités, étendu, qui dif-fère d’ailleurs pour chacun d’entre nous. Nous habitons une « constellation » de lieux, tous complémentaires”

Page 113: L'Estuaire en Seine - les raisons d'agir

jours devant elle. Il faudra travailler plus encore sur

son adaptation, sur son partage, son optimisation, pour

rendre son utilisation progressivement plus durable, sans

la stigmatiser pour autant. Sur les déplacements les plus

courts, le vélo a sa place à tenir, terriblement efficace sur

les moyennes distances. Les transports collectifs sont

eux promis à un bel avenir : leur développement, bien

coordonné avec les lignes de plus grande ampleur, est

une condition du développement équilibré du territoire.

Il ne s’agit pas seulement du train, mais aussi des autobus

urbains et des cars, dont l’économie est dans bien des cas

plus favorable.

Outre les efforts déjà consentis de part et d’autre de la

Seine, cette dynamique repose sur la performance ampli-

fiée des transports publics, de tous types, et en particu-

lier le redéploiement du réseau ferroviaire de proximité :

cette fluidité a un effet bénéfique sur l’accès à l’emploi,

sur l’optimisation des services proposés à la population.

Parce que les déplacements ne se résument pas au « domi-

cile-travail », les paysages extraordinaires font de ces

mouvements l’occasion de fantastiques promenades, qu’il

s’agisse des horizons maritimes de l’Estuaire, des sil-

houettes portuaires, des coteaux et des falaises, des chemins

des plateaux, du dédale du bocage ou du frais des vallées ;

promenades pour le loisir ou le sport, certes,

mais aussi, et pourquoi pas, plaisir de traverser

tel ou tel paysage, une vallée sauvage ou l’éten-

due des champs, en allant faire ses courses, en

allant au travail ou à l’université. Cette qualité

des parcours constitue une grande part de l’at-

tractivité du territoire de l’Estuaire. Elle peut

et doit être accompagnée, améliorée.

“Les transportscollectifs sont euxpromis à un bel avenir : leur développement,bien coordonnéavec les lignes deplus grande ampleur,est une conditiondu développementéquilibré du territoire.”

Page 114: L'Estuaire en Seine - les raisons d'agir

111

Mobilité : les relais locauxde la ligne nouvelleParis-Normandie (LNPN)en cœur d’Estuaire

Port 2 000

Par le pont de Normandie,

lien TCSP cadencé entre

les deux rives.

Connexion avec réseau LNPN,

réseau métropolitain

Est-Ouest et Nord-Sud

(Pont de Normandie).

LNPN et liaison

métropolitaine

gare principales

et gares locales.

Réseau TCSP Harfleur - Gonfreville-

Lillebonne ND de Gravenchon -Tancarville

Vallée de la Seine - port - LNPN.

Page 115: L'Estuaire en Seine - les raisons d'agir

La capacité à se déplacer est source de richesse, à condition

que l’on puisse organiser les déplacements avec économie,

avec un certain plaisir, et sans que l’inégale répartition des

ressources ne se répercute dans l’offre de déplacement.

Beaucoup de territoires européens se sont ainsi recons-

truits grâce à l’effort entrepris sur leurs connexions.

Cette capacité décuple les complémentarités entre les

grands paysages et les zones habitées, mettant les plus

vastes espaces à proximité immédiate des pôles urbains.

Habiter l’Estuaire, dans quelques années, cela voudra dire

disposer à la fois de bassins d’emploi diversifiés et acces-

sibles, de grands équipements bien répartis, d’une vie de

proximité intense, ainsi que d’un accès direct aux plus

remarquables paysages naturels.

CE QUE CETTE NOUVELLE FORME DE VILLE« EN CONSTELLATION » IMPLIQUE…

Penser l’Estuaire comme un réseau de villes et de villages

interconnectés n’a pas seulement un impact sur l’organi-

sation des déplacements. On pourrait avoir tendance à

se concentrer uniquement sur les options liées à la Ligne

Nouvelle Paris-Normandie,

et à ses interfaces avec les

autres modes de transports.

Il faut aller au-delà. Penser le

devenir de ce territoire « en

constellation », interdépen-

dant et solidaire, c’est imagi-

ner de manière différente ses

équilibres et l’ensemble de ses

caractéristiques.

112

“C’est une nouvelle « urbanité », une nouvelle manière de vivre en-semble qui allie l’intensité urbaine

à la magnificence des grands sites. Le Grand Paris, s’il dispose des services et des grands pôles

urbains, n’aura plus la chancedu grand paysage, déjà consommé

par l’urbanisation diffuse et les réseaux. Ce n’est pas le cas de part

et d’autre de la Seine. Voilàun atout considérable.”

Reliés par la Vallée de la Seine : au nord, les plateaux et les falaises, au sud, les vallons du bocage et les plages. Deux grands caractères interdépendants que le fleuve peut fédérer.

L’Estuaire métropolitain : rassembler autour d’une idée commune desterritoires riches de leurs contrastes

Les falaises et le plateau.

Page 116: L'Estuaire en Seine - les raisons d'agir

Chaque lieu fait partie d’un ensemble plus vaste, auquel

il est mieux relié. Par ces échanges, il tire profit de la

dynamique d’ensemble : c’est le village métropolitain.

Le bocage et les plages de sable.

L’axe de la Seine relie, de Fécamp à Lisieux

et Pont-Audemer, des histoires différentes

autour d’un même destin.

Page 117: L'Estuaire en Seine - les raisons d'agir

114

Un territoire en partage, une culture estuarienne

On passe ainsi d’une ville à un village, d’un lieu à l’autre.

Pour soi, pour le travail, pour les autres, dans la vie quoti-

dienne comme dans les échanges économiques. Ces « pas-

sages », comme les désigne Chris Younès, ne se limitent

pas à des déplacements physiques : plus on bouge, plus

on partage des activités avec d’autres, plus la conscience

d’appartenir à un même territoire – l’Estuaire – se déve-

loppe. Dans la ville constellation, l’évolution des pratiques

de chacun fait évoluer les cultures locales, et les mélange

avec une vision plus ample.

Comment les actions des unsont un impact sur la vie des autres L’image du « mobile »

Cette « ville constellation », où le mouve-

ment favorise la vie économique, ne pose

pas seulement des questions de mobi-

lité. C’est la programmation générale du

e

re.

i-

s-

nt

us

ce

e-

es

ge

e-

se

i-

du

Un logement collectif

ou individuel, qui tire

parti des proximités

et des vues.

Des logements de types

diversifiés : petits collectifs,

maisons de ville, maisons…

Une place publique :

commerces, jeux.

Un pôle transport

multimodal.

Habiter la nature et la campagne, proche des services et des transports

“Habiter l’Estuaire, dans quelques années,

cela voudra dire disposer à la fois de bassins d’em-

ploi diversifiés et acces-sibles, de grands équipe-

ments bien répartis, d’une vie de proximité intense,

ainsi que d’un accès direct aux plus remarquables

paysages naturels.”

Page 118: L'Estuaire en Seine - les raisons d'agir

Nous sommes presque à

la campagne : l’habitat

individuel a toute sa place.

Il peut simplement être

plus compact, proche des

transports, et profiter

vraiment du paysage.

Une agriculture

de proximité.

La vue sur les lointains,

les cadrages sur le grand

paysage, magnifique

aussi bien pour le plateau

que pour le bocage.

Un parc à

deux pas des

logements.

De nouvelles formes d’habitat permettent à la

fois d’aller à pied, en une à deux minutes, aux

commerces, aux services, ou à la gare qui nous

relie au reste de la métropole, et à d’autres ser-

vices, d’autres destinations. Le paysage extra-

ordinaire des plateaux, des falaises, du bocage

ou des vallons, est mis en valeur par ce resserre-

ment de la forme bâti : en consommant moins de

terrain, on garde les plus favorables pour l’habi-

tat, en préservant les terres les plus fertiles.

Page 119: L'Estuaire en Seine - les raisons d'agir

territoire qui est en jeu. Tous les nouveaux

développements, qu’ils soient résidentiels,

industriels, touristiques, ou mieux encore

« hybrides » n’intéressent plus uniquement

leur immédiate proximité, mais un ensemble

plus large d’habitants et d’acteurs.

Qu’on réalise une zone d’activité à Beuze-

ville ou à Lisieux, l’impact dépasse large-

ment la Communauté de Communes. Ce

qui se passe autour d’une gare, existante ou

future, a une influence d’autant plus consi-

dérable que le lieu est mieux accessible, par

un plus grand nombre. Par ce jeu d’inter-

dépendances multiples, le territoire est

plus dynamique. On peut le comparer à un

mobile de Calder, qui se recompose sans

cesse, dans son ensemble, par chaque action :

les éléments les plus petits y ont un rôle dans

l’équilibre de l’ensemble, malgré leur taille, et

leurs transformations impliquent des chan-

gements qui les dépassent.

La Ligne Nouvelle Paris Normandie et les ports, mais aussi le relais des réseaux transversaux

Le projet métropolitain est aujourd’hui

focalisé sur la ligne Nouvelle Paris-Nor-

mandie, et c’est bien légitime. C’est effective-

ment, avec le développement des interfaces

fret du port, l’enjeu majeur du développement estuarien.

C’est aussi le lien privilégié avec les dix millions d’habi-

tants du Grand Paris, les capitales européennes et l’éco-

nomie mondialisée de la métropole. Mais la

LNPN n’aura un rôle « dans l’épaisseur » de

l’Estuaire seulement si la dimension locale

des déplacements est également investie,

discutée, programmée, évaluée.

En France, la dynamique des lignes à

grande vitesse a indéniablement bénéfi-

cié, durant les trois dernières décennies,

aux grandes villes desservies depuis Paris.

Mais cela n’est le cas des territoires associés que lorsque la

vision métropolitaine est consciemment construite. Lyon,

par exemple, a attendu vingt ans avant d’amplifier « l’effet

TGV » en imaginant une métropole qui sorte des fron-

tières du Grand Lyon, et s’étende jusqu’à Saint-Etienne,

le Nord de l’Isère et les plaines de l’Ain. Bordeaux, déve-

loppe en son sein, avec Euratlantique, un pôle métropoli-

tain lié au TGV, mais cela bénéficiera-t-il au bassin d’Ar-

cachon, au Médoc ou à la Gascogne ? En l’absence de

projet, certains arrêts TGV n’ont contribué qu’à augmen-

ter les valeurs foncières de leur arrière-pays, au détriment

des conditions économiques des populations locales.

La LNPN n’est donc pas uniquement une question de

faisceau, de tracé, de position de gare. Si la gare d’Avignon

avait été positionnée à Carpentras, avec la même absence

de projet territorial, elle n’aurait pas moins été la desserte

parisienne du Lubéron…

Pour Le Havre, la position de la

gare a un impact considérable.

A cette échelle, oui. Mais pour

l’Estuaire-Métropole, l’enjeu

est autre : un super-quartier ne

116

“Par ce jeu d’inter-dépendances mul-

tiples, le territoire est plus dynamique. On

peut le comparer à un mobile de Calder qui se recompose sans cesse,

dans son ensemble, par chaque action :

les éléments les plus petits y ont un rôle dans l’équilibre de

l’ensemble.”

“Dans la ville constellation, l’évolution des pratiques de chacun fait évoluer les cultures locales, et les mélange avec une vision plus ample.”

Page 120: L'Estuaire en Seine - les raisons d'agir

ligne rapide. Mieux : la capacité des acteurs publics et

privés à intensifier ou pas les interconnections métropoli-

taines dans « l’épaisseur » de l’Estuaire est une condition

majeure du choix des tracés et des polarités qui l’accom-

pagnent. Dans un territoire aussi étendu, il faudra bien

hiérarchiser les actions et les dessertes, dans le temps et

l’espace, et jouer sur les complémentarités des modes de

déplacements. Toutes les villes n’auront pas une gare : c’est

un choix collectif.

tirera vers le haut la métropole estuarienne que s’il est

efficacement connecté avec le reste des pôles de dévelop-

pement, avec les traversées du fleuve, et les pays de part et

d’autre de l’Estuaire.

Le débat du « réseau secondaire », de l’intermodalité,

des liens transversaux, et de l’irrigation d’autres pôles de

développement économique a une importance (et une

urgence) équivalente à celui qui concerne le tracé de la

117

Réseau métropolitain :les grappes de villes et villages

Page 121: L'Estuaire en Seine - les raisons d'agir

Il faudra bien franchir, ou plutôt mieux franchir…

À la mesure de l’histoire, les trois ponts sur l’Estuaire sont

bien récents. Malgré les difficultés techniques et le coût

de l’infrastructure, on ne peut toutefois envisager un des-

tin métropolitain sans une connexion rapide, ferroviaire,

entre rives gauche et droite. Certes, les bus pourraient

dans l’attente mieux mailler les deux côtés du fleuve, mais

le Rhin, la Meuse, l’Øresund sont franchis par les trains,

118

Page 122: L'Estuaire en Seine - les raisons d'agir

qu’il s’agisse des LGV ou des trains régionaux trans-

frontaliers. La complémentarité des bus et des trains est

grande, mais le train demeure un mode structurant : qu’il

puisse à long terme franchir l’Estuaire et en relier toute la

« profondeur » est un véritable enjeu.

Ce franchissement pose des questions techniques et

financières, surtout dans l’hypothèse d’un tirant d’air

comparable à ceux des ponts récents. Les pentes faibles

nécessaires pour des voies ferrées polyvalentes, intégrant

le fret, sont si faibles que l’option semble infaisable. Mais

les fréquences de passage de forts tirants d’air justifient-ils

de telles hauteurs ? En des estuaires ou des deltas pourtant

plus circulés, les Hollan-

dais et les Flamands font

circuler des trains avec des

pentes raisonnables, des

coûts bien plus faibles,

le trafic étant régulés

par des ponts levants de

grands gabarits (vingt

millions d’euros pour un

pont levant sur la Meuse,

avec un débattement de

60 m). Ce pragmatisme, terriblement efficace, n’est-il pas

d’ailleurs l’une des clés du succès du système portuaire

néerlandais ? Cette éventualité d’un autre franchissement,

même lointaine, ne se limite pas à une question de génie

civil et d’ingénieurs. C’est aussi une question d’antici-

pation urbaine : si cette hypothèse est probable, ou sou-

haitable, quel impact aura-t-elle sur les projets de part et

d’autre du fleuve ? Et cela, c’est pour tout de suite : plani-

fication, action foncière, organisation de la gouvernance…

Le développement des uns est aussi la chance des autres

Les activités d’un pays et

de l’autre sont interdépendantes. Qu’il s’agisse de loi-

sirs, de travail, d’équipements, d’agriculture, etc. C’est

le principe du pôle métropolitain. Dans une certaine

mesure, c’est déjà le cas, même si, comme l’a souligné

Martin Vanier, des croisements plus efficaces, hybrides,

pourraient être inventés – par exemple entre logistique,

industrie et agriculture. Dans cette « ville constellation »,

les lieux ne sont plus en concurrence, mais en complé-

mentarité : lorsque l’un bouge, cela a un effet sur les

autres. Cela devrait avoir un impact fort sur la manière

de prendre les décisions, de « localiser » les activités ici ou

là, et de les relier. Le développement des uns est la chance

des autres, dans la mesure où la mobilité est renforcée et

mieux équilibrée.

Cette hypothèse a une conséquence économique ma jeure :

si la politique d’aménagement est transversale, partagée, on

peut hiérarchiser dans le temps les actions sans entrer dans

de délétères mises en concurrences locales. Par exemple,

telle ou telle commune n’aura pas sur son territoire muni-

cipal de zone d’activités, ou de salle de concert, mais elle

bénéficiera de la proximité d’une zone ou d’un équipe-

ment proche, en contrepartie d’une desserte performante.

C’est une autre manière de faire. Elle est plus économe,

évite les doublons, répartit les efforts dans la durée, opti-

mise les investissements.

En cette période de crise

des financements, l’argu-

ment n’est pas mince.

119

“La capacité des acteurs publicset privés à intensifier ou pas les inter-connections métropolitaines dans « l’épaisseur » de l’Estuaire est une condition majeure du choix des tracés et des polarités qui l’accompagnent.”

“La complémentarité des bus et des trains est grande, mais le train demeure un mode structurant : qu’il puisse à long terme franchir l’Estuaire et en relier toute la « profondeur » est un véritable enjeu.”

“Pour Le Havre, la position de la gare a un impact considérable. A cette échelle, oui. Mais pour l’Estuaire-

Métropole, l’enjeu est autre : un super-quartier ne tirera vers le haut la métropole estuarienne que s’il est efficacement connecté avec le reste

des pôles de développement, avec les traversées du fleuve, et les pays de

part et d’autre de l’Estuaire.”

Page 123: L'Estuaire en Seine - les raisons d'agir

L’impact sur la “ gouvernance ”

Les réunions du « pôle métropolitain », l’investissement

de tous les élus autour d’un intérêt commun témoignent

déjà d’un changement profond dans la gouvernance de

l’Estuaire.

Comme pour la partie la plus dense du Grand Paris, la

réussite de ce lent processus dépend d’une nouvelle gou-

vernance. À l’instar de l’identité multiple évoquée par

Chris Younès, cette nouvelle manière de prendre des

décisions n’est contradictoire ni avec les dimensions plus

locales, ni avec les institutions existantes. Mais l’inter-

dépendance des politiques urbaines que suppose une

métropole plus fluide, mieux parcourue, qui tire parti de

ses complémentarités, implique des arbitrages communs

à l’échelle de l’Estuaire.

Ceci vaut pour les questions de transports (et aux deux

échelles : globale et locale), mais aussi pour la planifica-

tion des territoires, et des principaux « moteurs » qui en

constitueront l’attractivité.

« Le petit est responsable du grand »

La Ligne Nouvelle Paris Normandie est attendue car elle

aura un effet décisif. Du point de vue de l’aménagement

du territoire, c’est une sorte de « grand soir », de révolu-

tion attendue et nécessaire.

“Dans une vision métropolitaine, chaque évènement, chaque élémentdu territoire participe au fonctionnement organique de l’ensemble.

La métropolisation commence donc aujourd’hui, dans l’action quotidienneelle commence modestement : le petit est responsable du grand.”

Page 124: L'Estuaire en Seine - les raisons d'agir

Mais la véritable révolution est dans la transformation de

l’action courante : si l’on compte bien, la somme de toutes

les actions locales, sur dix ans, est assez comparable à l’in-

vestissement dans les grandes infrastructures.

Que l’on « polarise » dès aujourd’hui chaque euro dépensé

dans le sens d’une vision commune ou non, quitte à repo-

sitionner certains investissements programmés, et l’action

publique ou privée aura des effets décuplés.

Dans une vision métropolitaine, chaque événement,

chaque élément du territoire participe au fonctionnement

organique de l’ensemble. La métropolisation commence

donc aujourd’hui, dans l’action quotidienne et dans la

planification. Et elle commence modestement : le petit

est responsable du grand.

De nouvelles formes urbaines à inventer :ville paysage, villages métropolitains

Pour que la ville constellation soit à la fois agréable,

économiquement viable et bien connectée, la dispersion

n’est pas souhaitable. On sait qu’il est presque impos-

sible de desservir les vastes zones pavillonnaires par des

transports collectifs performants. L’étalement urbain est

un phénomène du xxe siècle, et le nouveau dynamisme

des territoires ne se construira pas sur ces bases. Cela ne

condamne pas la maison, ou en tous les cas la qualité de

vie sur laquelle leur rêve est construit : petite échelle,

paysage et campagne, indépendance. Cela n’impli que pas

que tous les villages se transforment en fragments de ville,

bien au contraire.

Mais il faudra bien faire au tre ment : tant que l’offre de

logements collectifs, même de petite taille, demeurera

à ce point médiocre, le développement des lotissements

continuera, avec les difficultés de desserte et les coûts

induits que l’on sait.

Certaines villes de l’Estuaire montrent l’exemple. Citons

deux cas (ce n’est bien évidemment pas exhaustif ). Le

nouveau quartier de Pont-Audemer, ainsi, atteste que l’on

peut combiner une certaine densité, des espaces publics

de qualité, une belle architecture et un rapport au paysage

magnifié sans céder aux sirènes de la maison étalée. Si ce

quartier avait été situé près d’une gare en activité, il serait

un modèle de ce que la « ville constellation » peut offrir,

à l’instar des exemples scandinaves ou suisses. L’avenir de

l’Estuaire, ce sont aussi ces villages métropolitains, bien

connectés, mais intégrés à la mesure de leur site. C’est ce

qui devrait advenir à Pont-L’Evêque, à Bréauté, et en bien

d’autres lieux directement desservis par les principales

infrastructures de transports : il y a là une nouvelle forme

d’éco-quartier à inventer, beau challenge !

121

“Tant que l’offre de logements collectifs, même de petite taille, demeurera à ce point médiocre, le dévelop-pement des lotissements continuera, avec les difficultés de desserte et les coûts induits que l’on sait.”

“L’étalement urbain est un phénomène du XXe siècle, et le nouveau dynamisme des territoires ne se construira pas sur ces bases.”

Page 125: L'Estuaire en Seine - les raisons d'agir

De la même manière, les villes doivent redevenir attractives

en mettant au cœur de leur services une offre immobi-

lière qui tire profit du paysage alentours. C’est ce qu’a fait

Le Havre dans le quartier Saint-Nicolas, par exemple. Une

fois la connexion avec le tramway effectuée, le nouveau quar-

tier est à la fois paysager (le port comme horizon) et urbain.

On trouve de très beaux exemples de cette urbanité hybride,

alliant transports, nature et densité, chez nos voisins euro-

péens. Les rives de Limmat à Zürich, Arabianranta à

Helsinki, ou encore Hammerby à Stockholm.

TERRITOIRES EUROPÉENS RECONSTRUITSSUR UNE STRATÉGIE COMPARABLE

Beaucoup de territoires européens se reconstruisent en

combinant ainsi une « ville constellation » et une échelle

métropolitaine. Ces deux dimensions y sont toujours

indissociables, c’est à dire que l’un ne va pas sans l’autre,

comme c’est le cas dans deux territoires : l’Øresund (entre

la Suède et le Danemark) et le Tessin (canton du sud de

la Suisse, en lien avec la riche Lombardie).

Page 126: L'Estuaire en Seine - les raisons d'agir

L’Øresund, a beaucoup de choses en commun avec l’Es-

tuaire de la Seine, même si le lien est un détroit et non

un fleuve. Les rives danoises et suédoises ont à la fois un

destin commun et de grandes différences.

Malgré la complicité géographique, la connexion ne va

pas de soi : il y a de part et d’autres deux langues, et deux

monnaies, et une histoire pas si calme. On imagine que

cette fraternité ambiguë est encore plus intense que la

distance que l’on pourrait établir entre Pays de Caux et

Pays d’Auge… Pourtant le lien déjà fort entre deux pôles

urbains Copenhague et Malmö a été décuplé il y a une

dizaine d’années par la construction d’un ouvrage d’art

inédit, combinant liaison routière et ferroviaire. Le lien

est d’ailleurs d’autant plus efficace qu’il ne se limite pas

au pont. Il se prolonge dans l’épaisseur de chaque ter-

ritoire, et se poursuit, le long

de la côte, sur plus de cent

kilomètres, jusqu’à Elseneur

au Danemark et jusqu’à Göte-

borg en Suède. La continuité

“L’Øresund, a beaucoup de choses en commun avec l’Estuaire de la Seine, même si le lien est un détroit et non un fleuve.”

Page 127: L'Estuaire en Seine - les raisons d'agir

du transport y joue un rôle déterminant : interconnection,

concept commercial et technique intégré, tarification

unifiée, horaires parfaitement coordonnés et consultables

en tout point. Dans bien des cas, c’est tout simplement ce

qui manque à nos modes de transport : à faire sentir de

manière appuyée à l’usager quelle instance gère telle ou

telle ligne (Conseil Général, Conseil Régional ou Com-

munauté de Communes), à oublier parfois d’en synchro-

niser les horaires, on dissuade parfois des enchaînements

pourtant possibles.

Le concept métropolitain « d’Øresund » favorise les com-

plémentarités de part et d’autre du détroit : on traverse l’eau

pour travailler, mais aussi pour les loisirs, pour les liens

mondialisés (ports et aéroports), pour étudier. Le pont

124

est complété par des liens maritimes très intenses (fer-

ries). Cette traversée se fait au quotidien, ou plus excep-

tionnellement, mais désormais toute une région bénéficie

de services et de pôles d’activité interconnectés. Ainsi, la

mutation économique de Malmö, qui fut une grande ville

industrielle, a beaucoup profité en ce début de millénaire

de l’effet d’entrainement de la riche capitale voisine.

Le second territoire est le canton du Tessin au sud de la

Suisse. Jusqu’aux années soixante, ce canton peu peuplé,

séparé du nord de la Suisse par le massif du Saint-Gothard,

avait une économie presque exclusivement rurale. Il a

commencé à se développer avec le tracé de routes et ponts,

en s’appuyant sur le dynamisme de la capitale économique

italienne, Milan, métropole de six millions d’habitants.

La « ville constellation » :la métropole comme un « mobile »

Page 128: L'Estuaire en Seine - les raisons d'agir

125

Mais c’est il y a moins de dix ans, avec l’idée métropoli-

taine, que le développement y prend une autre dimen-

sion. Le concept est assez simple… D’une part considérer

l’ensemble du territoire comme une même « ville » dis-

continue, bien reliée, et où chaque lieu offre à l’ensemble

du canton ses services, qu’il s’agisse de l’université, des

usines, des loisirs et de la villégiature, etc. D’autre part,

deux grands projets d’infrastructure « extra territoriaux »

sont engagés en collaboration avec l’Europe, la région de

Lombardie et la Confédération helvétique : Alptransit

(ligne à grande vitesse, pour les passagers et le fret, entre

le sud de l’Allemagne et le Nord de l’Italie) et un nouveau

train direct vers l’aéroport de Milan-Malpensa.

n Sans métropolisation : le réseau des villes n’est pas suffisam-

ment solidaire, la mobilité est réduite, l’optimisation des services

offerts est faible.

o Page de gauche : avec la métropolisation, l’intensité de liens

efficace entre les aires urbaines, l’équilibre des grands pro-

grammes, optimisés, assurent une meilleure lisibilité, une éco-

nomie d’échelle qui dégage des moyens pour une mobilité fluide.

La métropolisation ne bouleverse pas totalement la forme de

chaque ville : en liant mieux les aires urbaines, en équilibrant

les grands programmes (industrie, aéroport, transports ferrés,

culture, commerce, formation, tourisme) elle optimise les res-

sources de chacun au bénéfice du plus grand nombre.

Page 129: L'Estuaire en Seine - les raisons d'agir

Là encore, le développe-

ment conjoint de deux

échelles d’infrastructures

fonde l’hypothèse de

développement. Le train

local devient un « métro »,

parfaitement cadencé –

nommé « metroticino » –, alors que le pôle central de

la région est directement relié à Milan et Zürich par la

ligne Alptransit. C’est bon pour le développement éco-

nomique, puisque les entreprises pourront s’installer plus

loin que la frontière où le foncier est devenu rare, pour

tirer parti de l’économie lombarde ; c’est aussi bon pour

la vie quotidienne et l’économie générale des services du

canton. Le canton du Tessin est d’ailleurs l’un des rares

lieux d’Europe où l’on assiste à une ré-industrialisation :

sur une population d’environ trois cent mille habitants,

25 000 emplois industriels y ont été créés depuis 2005 !

On n’habite plus seulement dans sa ville… si l’on vit à

Bellinzona, on peut aller au concert le soir à Locarno,

travailler à Biasca, étudier à Mendrisio, avec des temps

de transports finalement comparables à ceux que l’on

aurait en habitant Milan ou Paris. Notons que le canton

a investi dans le « métro » local cinq ans avant l’ouver-

ture de la liaison Alptransit : les pratiques quotidiennes

précèdent ainsi l’effet de la connexion métropolitaine. La

métropole est une culture avant d’être un levier écono-

mique. On imagine que cette habitude, cette expérience

favorisera ensuite les visions plus stratégiques.

Dans les deux cas, les formes

urbaines se sont transfor-

mées : il a fallu inventer

des architectures moins consommatrices d’espace que les

lotissements (où l’on est toujours trop loin des transports

publics pour qu’ils soient efficaces et donc rentables…), et

moins monotones que ces modèles de « ville compacte »

regroupés autour des gares. Cela a favorisé dans le Tessin

comme en Suède et au Danemark de nouveaux quartiers

proches des gares, mais intégrant aussi le paysage, et une

diversité de formes urbaines, de la maison à l’immeuble,

avec des espaces publics de très grande qualité. On ne

prend les transports en commun que si le parcours de la

maison (du travail, des loisirs…) à la station est agréable,

bien aménagé.

Que retenir de ces deux cas européens, malgré leurs différences avec l’Estuaire de la Seine ?

Le projet métropolitain bénéficie d’une forte économie d’échelle. Parce que le réseau local est pensé

et construit en même temps que le réseau global, un petit

village se retrouve connecté, comme les autres pôles, à des

ressources comparables. La question de l’Estuaire n’est

donc pas la vallée industrielle contre la campagne, ni

Le Havre contre Beuzeville ou Fécamp, mais l’un avec et

grâce à l’autre.

La gouvernance est partagée et unifiée. Même s’il y

a de très nombreux acteurs, ils disparaissent dans l’ex-

périence quotidienne de la métropole. On ne sent pas,

lorsque l’on passe du Danemark à la Suède, de différence

dans un sens ou dans l’autre (mêmes trains, même sys-

tème de tarifs, même image, mêmes logos, horaires har-

monisés, etc.). C’est la même chose entre le Tessin et la

Lombardie.

126

“Avec l’idée métropolitaine, que le développement y prend une autre

dimension. Le concept est assez simple… D’une part considérer

l’ensemble du territoire commeune même « ville » discontinue,

bien reliée, et où chaque lieu offreà l’ensemble du canton ses services.”

“La question de l’Estuaire n’est donc pas la vallée industrielle contre

la campagne, ni Le Havre contre Beuzeville ou Fécamp, mais l’un

avec et grâce à l’autre.”

Page 130: L'Estuaire en Seine - les raisons d'agir

127

mobilité, car il empêche l’investissement dans des lignes

plus efficaces et structurantes. La solution n’est pas non

plus de fabriquer des fragments de ville dense et com-

pacte autour des gares : le parking de Bréauté-Beuzeville

n’est pas à la hauteur de l’enjeu, mais cela ne veut pas dire

qu’il faut imaginer en ce lieu potentiellement magnifique

un bout de Paris ou du Havre au beau milieu des prés…

La complémentarité des espaces ouverts (champs, mer, forêts, parcs, lacs ou montagnes) et des pôles urbanisés est clairement affirmée. La métropole

donne explicitement accès à un environnement de qualité,

à de grands espaces naturels. Ces étendues sont valorisées,

et les paysages font partie du projet, au même titre que

l’activité industrielle ou la logistique.

Certes, l’Estuaire de la Seine a des caractéristiques bien

différentes de ces régions européennes. Une autre histoire

s’y invente en ce moment. Mais il y a des similitudes :

deux échelles associées (global/local), urbain et nature,

villages et pôles urbains, production et loisirs sont ras-

semblés dans un territoire contrasté. Une nouvelle culture

métropolitaine émerge, de nouvelles pratiques, sans que

cette métamorphose ne dilue les particularités des uns et

des autres.

“Une nouvelle culture métropolitaine émerge, de nouvelles pratiques, sans que cette métamorphose ne dilue les particularités des uns et des autres.”

“L’Estuaire est un bien beau mot pour désigner une telle

fédération d’intérêts, des hautes falaises au Pays d’Auge.”

La position des grands équipements et des voca-tions territoriales est pensée

à l’échelle de la région. Il manque par exemple une salle

de concert de grande capacité. Plutôt que d’en situer deux

moyennes en deux localisations antagonistes, on sélec-

tionne le lieu optimal, réputé également accessible – et

prioritairement en train – depuis le plus grand nombre

de villes de la métropole. C’est l’idée qu’il faudrait sans

doute mettre en œuvre pour les grands équipements de

l’Estuaire, comme l’aéroport.

On n’a pas nécessairement cherché à renforcer un centre, mais plutôt l’équilibre d’ensemble des « ser-vices offerts », et la qualité des connexions en chaque point. L’aéroport est certes à Copenhague, mais son

positionnement dans le réseau en fait bénéficier le plus

grand nombre de villes possible. Mais notons que la déci-

sion de concentrer les efforts sur un pôle ne se fait pas

sans conditions : elle impose préalablement un système de

transport efficace, rapide, accessible, cadencé et confor-

table. Les économies effectuées d’un côté sont réinvesties

dans les modes de transports, et aident à développer de

nouvelles richesses. La performance du transport étant

la condition de la polarisation métropolitaine, il faut en

assurer le financement en amont. Cette stratégie, qu’elle

rassemble des fonds privés ou non, ne peut s’appuyer que

sur une gouvernance publique forte établie dans la durée.

Les gares et les quartiers qui les entourent sont des enjeux métropolitains, des projets clés. Ils sont un lieu

d’inventions urbaines : nouveaux usages, nouvelles formes

urbaines, nouvelles collaborations entre secteur public

et privé. L’étalement urbain n’a pas d’issue en termes de

Page 131: L'Estuaire en Seine - les raisons d'agir
Page 132: L'Estuaire en Seine - les raisons d'agir

Édouard PhilippeMaire du Havre / Président de la CODAHCommunauté de l’Agglomération Havraise

Guillaume le Conquérant ne considérait pas la Seine comme une frontière. 900 ans plus tard, le territoire de l’Estuaire demeure une réalité, porté par la dynamique portuaire

et la volonté de ses forces vives d’écrire un dessein commun. La prise de conscience du rôle fondamental de l’Estuaire dans la préservation par Paris de son rôle de Ville Monde fait du développement de l’Estuaire un enjeu national.

Cet ouvrage de grande qualité est publié à un moment où jamais la mobilisation des acteurs politiques, économiques et culturels de notre territoire en faveur de l’Estuaire n’a été aussi forte et déterminée. Il constitue un témoignage probant de ses richesses exceptionnelles et des perspectives formidables de développement que la dynamique estuaire ouvre pour demain. Notre monde est en pleine mutation. La crise économique va rebattre les cartes en faveurdes territoires qui auront su, très tôt, définir une ambition résolue et la mettre en œuvre.Cet ouvrage doit permettre à l’Estuaire d’écrire une nouvelle page de son histoire, celle d’un territoire fier de sa diversité et de ses richesses, insolemment conscient de ses atouts,et confiant dans l’avenir.

Page 133: L'Estuaire en Seine - les raisons d'agir

Crédits photographiques, cartes, dessins, graphiques, montages :

© AGA - Antoine GRUMBACH & ASSOCIES : photos montages pages 11, 94, 95, 98, 99 – carte page : 87 – coupe cavalière pages : 88, 89 – graphique page : 93 ; © Agence FORTIER : plans pages 104, 105 – photo page 104 © AURH – Agence d’Urbanisme de la Région du Havre et de l’Estuaire de la Seine : photos pages 2, 3, 4, 7, 8, 9, 13, 14, 15, 17, 19, 23, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 40, 41, 43, 48, 52, 53, 56, 57, 60, 61, 65, 67, 77, 78, 79, 93, 97, 102, 106, 107, 109, 111, 114, 115, 116, 118, 120, 122, 123 – cartes pages 12, 18, 56, 72, 81, 82, 102) ; © F. BONNET : dessins pages 8, 9, 25, 28, 29, 34, 35, 42, 46, 47, 50, 58, 60, 64, 111, 112, 113, 124, 125 - cartes source AURH pages 54, 55, 117 – photo et mobile page 108 ; © Caux Estuaire : photos pages 6, 7 V. RUSTUEL, 16 €. LEVILLY, 18 V. RUSTUEL, 23 V. RUSTUEL, 45 V. RUSTUEL, 52, 59 V. RUSTUEL, 62, 63 V. RUSTUEL, 66 V. RUSTUEL, 69 V. RUSTUEL, 71 V. RUSTUEL, 73, 74, 75 V. RUSTUEL, 84, 85 V. RUSTUEL, 90, 91 V. RUSTUEL, 110 V. RUSTUEL, 112, 113 V. RUSTUEL ; © www.cavaldos-tourisme.com : photos pages 28, 30, 31 ; © GPMH - Grand Port Maritime du Havre : photo 20,21 ; © GPMR : photo page 76 P. BOULEN ; © Graindorge : photo page 59 © E. LAMBERT : photo pages 128, 129 entre deux mises en lumière Y. KERSALE ; © OIT Fécamp : photo page 44 ; © OT AH : photos pages 39 LEVILLY, 49 €. HOURI, 77 ; © OT Blangy-Pont l’Evêque : photo page 24 ; © OT Caux Vallée de Seine : photo page 121 STUDIO JACQUES ; © OT Deauville : photos pages 24, 27, 39, 59 P. LE BRIS ; © OT Houlgate : photo page 24 ; © OT Lisieux : photo page 48 ; © OT Pont-Audemer : photo page 115 ; © OT Trouville-sur-Mer : photo page 26 I. ASPEY ; © SOLOGRO : carte page 70 ; © Syndicat Mixte du Pays des Hautes Falaises : photo page 22 S. MENARD ; © VDH - Ville du Havre : photos pages 100, 101 P. BOULIN, 104.

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DIRECTION DE LA PUBLICATION : DOMINIQUE DHERVILLEZ, DIRECTEUR GÉNÉRAL DE L’AURHACCOMPAGNÉ DE : ALAIN FRANCK, OLIVIER CHABERT, JESSY OUKOLOFF

Remerciements :

Au Comité des Élus de l’Estuaire pour avoir financé ces missions et pour avoir suscité les débats passionnantssur l’avenir de l’Estuaire, en invitant les intervenants des différentes études.

Aux Directeurs des 5 Pays de l’Estuaire, aux Directeurs des Services des intercommunalités, aux représentants des Ports,des Chambres Consulaires, des Départements (Seine Maritime, Eure et Calvados), des Régions (Haute et Basse Normandie)

et des services de l’État, pour leur implication dans le Comité Technique du Comité des Élus de l’Estuaire

À Caux Estuaire (Communauté de Communes de Saint-Romain-de-Colbosc) notamment à Agnès Gori Rasse sa Directrice Générale des Serviceset à Stéphanie Girard, à David Fremine de l’Association Tourisme Seine Estuaire, aux Offices de Tourisme des 5 Pays de l’Estuaire,

à Boris Menguy, Thierry Lochard et Lucile Audievre de l’AURH, pour les crédits photos, les illustrations et la cartographie.

À l’ensemble de l’Equipe de l’AURH, pour son implication dans les études et les ateliers de travail,pour leur accompagnement administratif et technique au quotidien.

Relecture des textes : Marion Goffart Communication, 3, rue des Capucins 76 700 Harfleur

Conception graphique et mise en pages : Isabelle Mariana, 25, rue de Calais 37100 Tours

Impression : La Petite Presse 91, rue Jules Lecesne 76 600 Le Havre

Edition : AURH, Agence d’Urbanisme de la Région du Havre et de l’Estuaire de la Seine

4, quai Guillaume le Testu 76 063 Le Havre Cedex

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Cet ouvrage a été achevé d’imprimer en octobre 2012sur les presses de l’imprimerie

La Petite Presse76600 Le Havre

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