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INSTITUT DU NOUVEAU MONDE UNE SOCIÉTÉ ÉGALITAIRE ? mt LA DÉMOCRATIE SELONSTEPHEN HARPER ACFAS : PAS D'AVENIR SANS RECHERCHE + 75 ARTICLES SUR LE QUÉBEC D'AUJOURD'HUI L'ETA

L'ETA - UQAM | Chaire MCDcentre-mcd.uqam.ca/upload/files/Publications/JYT/... · ALAIN NOËL Qui est le plus à risque d'être 104 pauvre ? ANICK PERREAULT-LABELLE Bientôt la fin

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PAUL BERNARD

LUCGODBOUT

ALAIN NOËL

MONIQUE DUMONT

ALAIN DENEAULT

H YVON THÉRIAULT

HARVEYMEAD

SIMON LANGLOIS

CATHERINE CÔTÉ

ITOINE ROBITAILLE

AN-HERMAN GUAY

ISABELLE LACROIX

EAN-MARC PIOTTE

ICHELINE LABELLE

PHILIPS-NOOTENS

OLINE MONTPETIT

PIERRE NOREAU

)MAS DE KONINCK

FRANCEJUTRAS

AN LANE-MERCIER

COLAS LANGELIER

ET 50 AUTRES

INSTITUT DUUVEAU MONDE

îociation francophonejr le savoir

2-7646-2088-5

Le virage tarifaire de Raymond Bachand

Qui sont les plus pauvres au Québec"Reinventer la social-démocratieLe Québec, paradis fiscal?Comment mesurer le bonheur

Le cycle infernal de l'endettementL'égalité : une valeur importante pour les QuébécoisQuel lien entre équité et écologie ?

15 SECTIONS THÉMATIQUES REGROUPANT PLUS DE 75 ARTICLES

Le virage à droite du PQPour ou contre les gaz de schiste ?Le droit de donner la mort

Les nouveaux « maires-entrepreneurs »Le fiasco du 620

30 ans plus tard : la nuit des longs couteaux dans lamémoire

SANS OUBLIER:

La chronologie de l'actualité 2009-2011Toutes les données à jour en santé, éducation,démographie, économie, culture, etc.Les 17 régions en statistiquesLe Québec en un coup d'œil

Publié une fois l'an, L'état du Québec fournit l'ensemble des don-nées utiles sur le Québec dans tous les domaines. On y trouveégalement des textes d'analyse, produits par les meilleurs spé-cialistes, sur tous les grands défis que le Québec doit relever.

27.95 $20 €

INSTITUT DU NOUVEAU MONDE

UNE SOCIÉTÉ ÉGALITAIRE ?mt

L A D É M O C R A T I ESELONSTEPHEN HARPER

ACFAS : PAS D ' A V E N I RS A N S R E C H E R C H E

+ 75 ARTICLES SUR LE QUÉBEC D'AUJOURD'HUI

L'ETA

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France JutrasMicheline LabelleValérie LacourseIsabelle LacroixMireille LalancetteGillian Lane-MercierNicolas LangelierSimon LangloisMarc-André LavigneJean-Frédéric Légaré-TremblayCatherine Lemarier-SaulnierÉric Le RayJean-Frédéric LévesquePaul LewisSalma LoudiyiJean-François LozierMarie-Hélène LussierPaul MakdissiRichard MarcouxHarvey MeadCaroline MontpetitNicolas MoreauJorge NiosiAlain NoëlDave NoëlPierre NoreauChantai OuelletGilles PaquetMaryse PerreaultAnick Perreault-LabelleFrançois PétryPierre-Olivier PineauYvan PerrierSuzanne Philips-NootensClaude-Armand PichéJean-Marc PiottePierre PrémontLouise Quesnel

Hicham RaïqMarie-France RaynaultBenoît RigaudAntoine RobitailleFrançois RocherAdolfo Agundez RodriguezChristian RouillardLuc SavardSuzie St-CernyMarc St-HilaireLynn TaohanJoseph Yvon ThériaultAline TremblaySimon Tremblay-PépinPaul VilleneuveDavid WatersGérald Zagury

Maquette et mise en pagesFolio infographie

GraphiquesGuylaine Régimbald

PhotosJacques Nadeau, Jacques Grenier(sauf indication contraire)

L'Institut du Nouveau Monde630, rue Sherbrooke OuestBureau 1030Montréal (Québec) H3A [email protected] • www.inm.qc.ca

Table des matières

CHRONOLOGIE DE L'ANNÉE

Chronologie du Québec 2009-2011 11DAVE NOËL

DOSSIER SPÉCIALLE QUÉBEC EST-IL (TOUJOURS)UNE SOCIÉTÉ ÉGALITAIRE?

Le mythe d'un Québec égalitaire 32MIRIAM FAHMY

Finances publiques du Québec : 40l'année du retour au déficitMATHIEU CARRIER ET BENOÎT RIGAUD

Budget 2010-2011 : le virage tarifaire 45MATHIEU CARRIER ET BENOÎT RIGAUD

Le Québec est-il une sociétéégalitaire ?PAUL BERNARD* ET HICHAM RAÏ'Q

49

Paul Bernard, intellectuel engagé 70(1945-2011)MARIE-FRANCE RAYNAULT

La charge fiscale des Québécois : 71cinq constats pour y voir plus clairLuc GODBOUT ET SUZIE ST-CERNY

La fiscalité au royaume des aveugles 82GAÉTAN BRETON

Le Québec, champion canadien 91de la lutte contre la pauvreté ?PIERRE BROCHU, PAUL MAKDISSIET LYNN TAOHAN

Une lutte inégale contre la pauvreté 103et l'exclusion socialeALAIN NOËL

Qui est le plus à risque d'être 104pauvre ?ANICK PERREAULT-LABELLE

Bientôt la fin du cycle libéral ? 111JOSEPH YVON THÉRIAULT

Un Québec offshore? La tentation 118du paradis fiscalALAIN DENEAULT ET ALINE TREMBLAY

En finir avec l'illusion de lacroissanceHARVEY MEAD

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Le cycle intenable de l'endettement 134des ménagesÈVE-LYNE COUTURIERET SIMON TREMBLAY-PEPIN

Mesurer scientifiquement le bonheur 143et la qualité de vieSIMON LANGLOIS

L'égalité économique : un idéal 155pour les Québécois?ANICK PERREAULT-LABELLE

POLITIQUE

Le Québec politique en quelques 160statistiquesDAVE NOËL

Les citoyens québécois : du cynisme 163à l'indignationCATHERINE CÔTÉ

Lobbying : notre méfiance est-elle 169légitime ?RAYMOND HUDON

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L'état du Québec 2011

favorisent d'abord les personnes âgées,les travailleurs à faible revenu et lesfamilles, au détriment des personnesseules sans emploi. Plusieurs raisonssous-tendent ces choix, lesquels reflètentdes conceptions établies du mérite, ainsique du rôle de la famille, du marché etdes gouvernements. Mais un argumentclé revient toujours, celui des incitationsau travail. Les gouvernements craignentqu'en haussant trop les prestationsd'aide sociale, ils vont décourager letravail et se retrouver avec un nombreaccru de prestataires et, en définitive,avec une augmentation de la pauvreté.

Il n'est pas possible, ici, de faire le tourde la question des incitations au travail,qui n'est pas simple. L'idée générale, c'estque les gens ne vont rechercher etconserver un emploi que si le travailpaie davantage que l'aide sociale.

En apparence cohérente, cette logiquepurement comptable ne va pourtant pasde soi, parce qu'elle laisse de côté l'en-semble des motivations et des contrain-tes associées à l'emploi, et laisse égale-ment ouverte la question des écarts àmaintenir entre les revenus d'aidesociale et les revenus d'emploi.

La situation actuelle, par exemple, quimaintient les revenus d'aide sociale despersonnes seules à peu près à la moitiédu seuil de faible revenu établi par la

MPC - c'est-à-dire à la moitié de ce quiest estimé nécessaire pour couvrir lesbesoins essentiels d'une personne -semble difficile à justifier, même dupoint de vue de l'incitation au travail.Notons par ailleurs qu'entre 2002 et2010, ce sont les ménages avec enfant(s),ceux qui recevaient les prestations lesplus généreuses et les plus proches duniveau requis pour couvrir les besoinsessentiels, qui ont davantage quittél'aide sociale. Ce n'est donc pas néces-sairement en maintenant les personnesdans la misère qu'on favorise le mieuxl'intégration en emploi. D'ailleurs, àl'échelle internationale, ce sont les paysoffrant des revenus d'aide sociale qui serapprochent le plus des seuils établis defaible revenu qui affichent les taux lesplus élevés de participation au marchédu travail. Bref, l'argument des incita-tions au travail ne va pas de soi.

Plus fondamentalement, il apparaîtillusoire de vouloir aller beaucoup plusloin dans la lutte contre la pauvretésans prendre en compte le revenu despersonnes les plus pauvres de notresociété, celles qui vivent avec beau-coup moins que les seuils reconnus defaible revenu. Pour lutter contre la pau-vreté, il faut agir sur plusieurs fronts.Ultimement, il faut aussi redistribuer lesrevenus en faveur des plus pauvres.

Bientôt la findu cycle libéral*?

Joseph Yvon ThériaultTitulaire, Chaire de recherche du Canada en mondialisation,citoyenneté, démocratie

Professeur, Département de sociologie, UQAM

Au Québec, la question nationale - souverainisme contre fédéra-lisme - a largement polarisé, ces 40 dernières années, le débatpolitique, laissant dans l'ombre, en quelque sorte, les questionssociales ou gauche/droite. Peut-être en raison du piétinement dela question nationale, le clivage gauche/droite, ou encore le débatentre» solidaires» et « lucides», tend aujourd'hui à réapparaîtreet à s'affirmer.

Au cours de la dernière annéeseulement, on a vu des tentatives pourcréer un mouvement de droite (RéseauLiberté-Québec), fonder un nouveauparti de centre droit (François Legault),semer des propositions libertaires(Maxime Bernier), etc. La gauche n'estpas en reste. Seul député de Québecsolidaire, Amir Khadir jouit d'unegrande popularité au sein de la popula-tion. Les milieux syndicaux et les fédé-

rations universitaires étudiantes ontlancé une proposition d'« alliancesociale» pour contenir l'offensive dedroite. Un groupe d'universitaires etd'intellectuels engageaient en mêmetemps le Chantier sur le renouvellementde la social-démocratie1.

Le débat gauche/droite est inhérent àl'aventure démocratique, c'est mêmede lui que la démocratie se nourritprincipalement.

* Le texte qui suit a été préparé dans le cadre du colloque de novembre 2010 du Chantier sur lasocial-démocratie.

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L'état du Québec 2011

Bonheur privé/action publiqueII n'existe pas de recette pour renouvelerla social-démocratie - si nous en possé-dions une, nous ne sentirions pas lebesoin de lancer un chantier pour sonrenouvellement. Pourquoi n'y en a-t-ilpas ? Ce n'est pas, ainsi qu'on le lisaitrécemment dans Le Devoir, parce que lagauche manque d'idées ou que nous neproduisons plus de chefs charismatiquesque la revendication solidaire a disparu1.

La réponse est plus simple : parceque l'époque n'est pas à la social-démocratie.

Il est éclairant de saisir la démocratiecomme une structure bipolaire quioscille continuellement entre son pôleindividuel (celui de l'autonomie indivi-duelle, de la liberté d'agir, de la perfor-mance) et son pôle collectif (celui dugouvernement collectif, de la solidaritésociale, de l'amour pour la chose publi-que). Cette bipolarité est structurelle,inscrite dans la genèse de la démocratiemoderne, laquelle repose simultané-ment sur la remise du pouvoir à l'« indi-vidu» - l'unité de base de la démocra-tie - et, en même temps, sur le « peuple »,l'entité collective qui représente elle-même une sorte de finalité de la démo-cratie (« le gouvernement du peuple, parle peuple, pour le peuple », pour repren-dre la formule célèbre). Cette tensionentre individuel et collectif ne donnejamais la recette du comment: commentla somme des individus peut se trans-former en peuple, en communauté, en

pouvoir collectif. -La démocratie laissefinalement ce choix à la conjoncture, àl'invention politique.

C'est pourquoi la démocratie oscilletoujours entre ces deux pôles : le pôle del'individu - celui de la liberté, de l'auto-nomie - et le pôle commun - celui del'agir-ensemble, du pouvoir collectif, dela solidarité. Elle ne saurait en faire unesynthèse réussie, car ces éléments sontcontradictoires et évoluent historique-ment. Ce qui était un compromis accep-table à un moment donné apparaît à unautre moment inacceptable.

Cette oscillation opère par cycle évo-lutif: une période d'individualisation,c'est-à-dire une période où l'individua-lisme est hégémonique, suivie d'unepériode où l'inverse se produit : le com-mun domine. Un cycle où l'on privilé-gie, comme le disait Albert Hirshmanau début des années 1980, le « bonheurprivé » en suit un autre où l'on privilégiel'«action publique3».

Les cycles démocratiquesPour poursuivre avec Hirshman, ilexiste des cycles longs et des cyclescourts. Nous sommes dans un cyclelong de recherche du bonheur privé etde soupçon en ce qui a trait au bienpublic. Ce cycle a débuté au milieu desannées 1970 avec la première crisepétrolière, qui a mis fin aux TrenteGlorieuses et a fait naître une crise del'État-providence : crise de la capacité del'État de payer, mais aussi, et surtout,crise de confiance à l'égard de l'État et

Une société égalitaire?

de ses institutions. Enfin, la crise pétro-lière a été suivie, dans les années 1980,par un engouement marqué pour lebonheur privé.

Le cycle précédent - l'âge de l'État-providence -, qui a débuté à la suite dela crise des années 1930, avait lui-mêmeété précédé d'un cycle individualistelibéral - l'âge de l'impérialisme - durantlequel, au tournant du xixe et du xxe siè-cle, on avait tenté d'organiser le mondesur les seules bases de l'économie demarché. Le cycle de l'État-providencesera justement une réponse aux erre-ments de l'âge de l'impérialisme libéralet des totalitarismes qui avaient surgidans son sillage - comme le cycle néo-libéral des 30 dernières années se veutune réponse aux excès bureaucratiquesde l'âge de l'État-providence.

Je rappelle ces cycles pour soulignerque la panne que nous notons dans l'ef-facement du pôle commun de la démo-cratie n'est pas celle de l'imagination :elle est cyclique, elle s'inscrit au plusprofond de la culture politique de notretemps. Nous vivons dans un âge où l'in-dividualisme, sa représentation, sonsoupçon à l'égard de la chose publiquesont hégémoniques. Ce qui veut direqu'une telle représentation gouvernel'imaginaire des contemporains. Retra-vailler cette culture demande du temps,un temps qui dépasse les échéanciersélectoraux des partis politiques.

De l'hégémonie sociale-démocrate à l'hégémonielibéraleC'était le contraire à l'âge de l'État-providence : le commun était hégémo-nique. Le père du néolibéralisme, Frie-drich Hayek, pouvait même dire en 1944- et nous n'étions qu'au début du cycle :«Si nous considérons les gens dontl'opinion exerce une influence sur lamarche des événements, nous consta-tons qu'ils sont tous plus ou moinssocialistes4. » Hayek condamnait unetelle chose, tout en préparant alors,intellectuellement, le cycle suivant, quiprendrait près de 40 ans à s'imposer.

L'hégémonie d'un pôle unique a deseffets sur notre vie politique. Si ellene détruit pas l'antinomie individu/col-lectivité, elle hiérarchise ces deuxconcepts, en quelque sorte. Ainsi, dansles années 1960, au cœur même du cyclecommun providentialiste, mêmesles partis du pôle individuel étaientcontraints de s'inscrire sous l'égide ducommun - ce sont les libéraux de JeanLesage qui ont jeté ici les bases d'unmodèle public de solidarité québécois,modèle qui n'a pas été remis en questionpar le gouvernement unioniste de DanielJohnson père par après. Aujourd'hui,c'est le contraire. Pour être élus, les par-tis du pôle de la solidarité doivent clamerleur adhésion à la dérégulation et à l'en-richissement personnel, à la social-démocratie efficace : après, nous redis-tribuerons, disent-ils (ou plutôt, dit-elle).Aussitôt élus, ils se mettent au régime de

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L'état du Québec 2011

l'austérité, contraints de maintenir lacompétitivité ou un taux de crédit avan-tageux tel que l'exige le monde de lafinance, ou encore de répondre aux pres-sions populaires - les exigences antipo-litiques d'en bas - pour baisser lesimpôts, combler le déficit et dégraisserl'appareil d'État. Trop occupés à répon-dre aux multiples groupes de pression,ils n'ont plus d'argent ou d'intérêt pourle bien commun. Les partis qui nerépondent pas à cet appel sont reléguésdans la marginalité ou appelés à y rester.Leurs paroles, comme une incantationradicale d'une autre époque, font sourire- ces partis peuvent jouir d'une grandeestime populaire, mais on ne voudraitpas les voir nous gouverner.

Une telle universalité de comporte-ment - des socialistes de FrançoisMitterrand en France au début desannées 1980 aux derniers gouverne-ments péquistes - confirme qu'il nes'agit pas d'une défaillance de nos poli-ticiens : tous les hommes et toutes lesfemmes politiques des partis de la soli-darité n'ont pas été, depuis 30 ans, destraîtres ou des nostalgiques. Il s'agit,pour employer un jargon sociologique,d'une exigence de système, ou encore dupoids des représentations dominantesd'une époque sur les actions.

Nous5 avons peine aujourd'hui à pen-ser le commun, à penser la chose publi-que. Dès qu'un problème se présente,notre réflexe est d'affirmer que celui-cise résoudrait plus facilement par le privéou par quelques arrangements privés.

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Nos revendications se déclinent commeune liste ininterrompue d'intérêts etd'identités, des revendications catégo-rielles représentant une sorte d'exten-sion de notre individualité - les droitsuniversels de l'État-providence se sontinscrits dans des droits catégoriels, dansles droits des ayants droit. Par leur for-mulation même, il est difficile de voircomment une telle liste de revendica-tions pourrait se muer en bien commun.Nos intérêts pour la paix, l'humanitaire,l'environnement ou la santé rappellentque c'est la vie, la « bonne vie » que nouschérissons en premier. En d'autrestemps, nous formulerions ces questionsdirectement en termes de rapport poli-tique, de revendications de justice, desolidarité citoyenne.

L'antipolitiqueTout cela se perçoit aussi dans notrepeur de donner notre consentement,d'être représentés. Nous ne croyons plusque la vie politique constitue un combatentre le pôle de l'individu et celui ducommun et qu'une vie politique parti-sane, balisant largement ces deux pôles- un rassemblement de gauche et unrassemblement de droite -, suffirait àcontenir nos revendications, tout aumoins à les inscrire dans un combatpolitique lisible.

Non, nous aimerions qu'existé unepalette de partis politiques représentantchacun un élément de la particularitéde chacun. Nous aimerions que nosdéputés ne représentent plus des lignes

Une société égalitaire ?

de parti - du commun -, mais des opi-nions personnelles, de l'authenticité. Enne participant plus à la vie politiquepartisane, en ne votant plus, certains denos contemporains affirment leur pertede confiance à l'égard de l'institution dela représentation démocratique elle-même. Nous ne pourrions finalementêtre représentés que par nous-mêmes.

Ce que nous vivons aujourd'huicomme une crise de la corruption dumonde politique doit être plus propre-ment perçu comme une crise deconfiance dans les institutions politi-ques. Quand nous ne croyons plus à lacapacité de la classe politique d'infléchirle collectif, nous nous rabattons surl'éthique. Il ne s'agit pas d'affirmer qu'iln'y a pas de corruption, il s'agit plutôtde souligner que la vie politique seréduit à l'éthique individuelle, à latransparence, et ce, au détriment desgrands enjeux sociétaux, et au risque deminer encore davantage la croyance descitoyens en la chose publique. La social-démocratie a besoin d'institutionsdémocratiques, ce qui est le contraire dela démocratie antipolitique danslaquelle nous vivons.

Retrouver l'intérêt communC'est pourquoi, si les institutions démo-cratiques doivent être réformées pourmieux refléter la pluralité des opinionsau sein de la société civile, il faut faireattention à ce que de telles réformes neconduisent pas au bout du compte àminer encore davantage la capacité du

politique à être un agent d'action collec-tive. La gauche ne saurait, après s'êtrefaite la championne de l'action publi-que, s'investir totalement dans la revi-viscence de la société civile. Ce seraitlaisser la place - toute la place - au pôlelibéral sur la possibilité d'agir en com-mun. Toute réforme des institutionsdémocratiques doit contenir une viséeclaire de revalorisation de la chosepublique.

L'erreur, pour un renouvellement dela social-démocratie, serait de reprendrela multiplicité des protestations éma-nant de la société civile et d'en faire sonprogramme - d'ajouter aux enjeux del'égalité sociale un peu d'environne-ment, d'égalité hommes-femmes,d'économie sociale, de décentralisa-tion, d'ouverture à la mondialisation.D'ailleurs, cette liste d'épicerie existe

Nous vivons un âge où lesoupçon à l'égard de la chose

publique est hégémonique.

déjà. L'erreur serait d'accepter l'inexis-tence du commun, d'avouer qu'au-jourd'hui le commun n'apparaît qu'enrang dispersé, incapable d'être repré-senté. Il n'est pas juste de dire que lagauche est en manque d'idées. C'estmême le contraire. À lire la multiplicitédes registres desquels émanent les pro-testations, ce n'est pas leur inexistence

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L'état du Québec 2011

qui frappe, mais la difficulté d'en trou-ver l'élément commun.

Préparer le prochain cycleMon propos peut paraître pessimiste.J'ai rappelé que le bégaiement actuel dela social-démocratie n'est pas dû à lamalveillance de ses porte-parole ni àune panne de la culture de protestation.Il correspond au cycle privatif danslequel nous vivons : exaltation de l'auto-nomie et du bonheur individuels, déclindes passions publiques, refus d'êtrereprésenté, perte de confiance à l'égardde l'institution politique. C'est pourquoila préoccupation pour le commun estcondamnée à être aujourd'hui uneculture d'opposition qui tente de sauverles acquis et de minimiser l'accroisse-ment des inégalités - cela n'est pas rien,mais ce n'est pas de l'ordre du renouvel-lement. Lorsqu'elle est au pouvoir, lagauche démocratique doit gérer unesociété d'individus et accommoderleurs recherches de bonheur privé.

Mais les cycles ont ceci d'intéressantqu'ils sont appelés à s'épuiser, j'oseraisdire à se recycler. Le déclin du cyclelibéral se dessine à l'horizon. En voiciquelques indices.

Au plan économique, par exemple, larécente crise financière a de nouveaulégitimé l'idée de régulation. Cela étaitdéjà dans l'air du temps. Depuis quelquetemps, la mondialisation néolibéraledoute d'elle-même. Dans les sommetsinternationaux, on se demande demoins en moins comment libéraliser les

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marchés, mais de plus en plus commentles re-réguler.

Au plan politique, les assauts contreles politiques sociales de l'État-providence semblent s'atténuer. Ons'aperçoit que, malgré leur lourdeurbureaucratique, ce sont des élémentsessentiels à une société d'individusdémocratiques, société qui se doit d'as-surer une certaine égalité entre sesmembres - d'ailleurs, les populationsdémocratiques y tiennent, de nombreu-ses études le confirment. C'est large-ment au nom de l'incapacité de sesdirigeants à garantir une Europe socialeque les populations européennes bou-dent de plus en plus la constructiond'une véritable Europe politique.

Au plan social, les signes sont moinsprobants. Pas de remise en question del'individualisation et de la fragmenta-tion sociétale à l'horizon, même si, làencore, on sent une inquiétude nouvelledans toutes les démocraties occidentalesen ce qui concerne la capacité de « fairesociété ».

Ainsi, le présent cycle, que nouscroyons être sur son déclin, rend encoredifficile de dire la forme que prendraune nouvelle articulation du bien publicet du bonheur privé. À la lumière de ladynamique historique de la démocratie,une telle réarticulation aura néanmoinsbien lieu.

C'est en préparation d'un tel avenirque s'impose un chantier sur le renou-vellement de la social-démocratie: nonpas une liste d'épicerie pour un pro-

Une société égalitaire?

chain gouvernement, mais une réflexionplus en amont de la vie politique parti-sane qui vise à envisager le prochaincycle d'hégémonie du bien commun.Un long travail de réhabilitation de l'ac-tion collective est nécessaire dans nossociétés ; un long travail discursif per-mettant de tracer les lignes d'une réar-ticulation du pôle de l'individu libre etde l'agir collectif, celui de l'autonomieet de la solidarité, dans un prochaincycle où l'idée du commun redevien-drait hégémonique. Après ce renverse-ment de la culture politique, la hiérar-chisation de la liste d'épicerie viendrade soi.

Proposer un chantier pour le renou-vellement de la social-démocratie, c'estremettre sur les rails l'idée même ducollectif, c'est vouloir instaurer uneconversation nationale sur le bien public

à la lumière des enjeux d'aujourd'hui,de manière à ce que nous puissions (re)dire d'ici quelque temps, à la manièrede Hayek en 1944 : « Si nous considéronsles gens dont l'opinion exerce uneinfluence sur la marche des événements,nous constatons qu'ils sont tous plus oumoins sociaux-démocrates. »

Notes1. www.chantiersocialdemocratie.org2. Alec Castonguay, Antoine Robitaille, « L'échecde la gauche », Le Devoir, 13 novembre 2010, p. i.3. Je me réfère ici au titre français de l'ouvrage deAlbert Hirschman, Bonheur privé, action publi-que, Paris, Fayard, 1982.4. Friedrich August Von Hayek, La Route de laservitude, Paris, Presses universitaires de France,1944.5. J'emploie ici ce pronom dans le sens de«conscience de l'époque» pour bien soulignerl'hégémonie d'une telle représentation.

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