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L’ÉTAT, LES FINANCES ET L’ÉCONOMIE. HISTOIRE D’UNE CONVERSION 1932-1952. VOLUME I | Michel Margairaz Introduction p. 497-498 TEXTE TEXTE INTÉGRAL Au moment où l’Allemagne vient de nous donner une si éclatante leçon d’organisation scientifique du travail industriel, administratif et militaire (...) où l’on va être contraint de réorganiser l’administration et la production en France, il est impossible de différer les mesures qui leur assureront l’efficience indispensable à leur survie. (Jean Coutrot, octobre 1940.) C’est la présence des Allemands qui nous a donné l’occasion et qui nous donne la possibilité de faire notre réforme intérieure (...). La paix économique se fait dès maintenant, bribe par bribe, par ententes privées. (René Norguet, 2 décembre 1941.) 1La défaite, la signature de l’Armistice et l’Occupation coïncident avec la mise en place rapide d’un nouvel appareil de direction de l’économie et des

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L’ÉTAT, LES FINANCES ET L’ÉCONOMIE. HISTOIRE D’UNE CONVERSION 1932-1952. VOLUME I  | 

Michel Margairaz

Introductionp. 497-498

TEXTE

TEXTE INTÉGRAL

Au moment où l’Allemagne vient de nous donner une si éclatante leçon

d’organisation scientifique du travail industriel, administratif et militaire (...) où l’on va être contraint de réorganiser

l’administration et la production en France, il est impossible de différer les

mesures qui leur assureront l’efficience indispensable à leur survie.

(Jean Coutrot, octobre 1940.)

C’est la présence des Allemands qui nous a donné l’occasion et qui nous donne la

possibilité de faire notre réforme intérieure (...). La paix économique se fait

dès maintenant, bribe par bribe, par ententes privées.

(René Norguet, 2 décembre 1941.)

1La défaite, la signature de l’Armistice et l’Occupation coïncident avec la mise en place rapide d’un nouvel appareil de direction de l’économie et des finances, marqué par les conditions de sa genèse (chapitre XVI). Les structures et les pratiques qui se développent lors du premier Vichy, avant le

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retour de Pierre Laval — entre juillet 1940 et avril 1942 — marquent une certaine continuité avec celles de la « drôle de Guerre », notamment pour la direction des finances, et, dans le même temps, constituent des innovations lourdes pour l’avenir. Elles forment, non sans ambiguïté, les composantes complexes d’un « engrenage dirigiste » (chapitre XVII). Le poids de l’Occupant impose d’analyser la place des contraintes commerciales (chapitre XVIII) et financières (chapitre XIX), qu’il fait peser sur les experts et les gouvernants de Vichy comme sur l’économie tout entière. Grâce à l’étude des documents de l’appareil dirigiste industriel et commercial, nous avons pu descendre parfois jusqu’au niveau de branches ou de certaines entreprises importantes, afin de saisir les contraintes, pratiques et réactions au niveau micro-ou méso-économique, ainsi que les déphasages éventuels entre entrepreneurs et experts de l’État. Enfin, le retour de Pierre Laval marque l’aggravation des exigences de l’Occupant et, non sans tensions, l’intégration accrue de l’appareil dirigiste dans la machine de guerre allemande (chapitre XX).

Chapitre XVI. La mise en place de l’appareil vichyste : une conversion équivoquep. 499-539

TEXTE NOTES ILLUSTRATIONS

TEXTE INTÉGRAL

1Conformément à la « politique de présence », les nouveaux dirigeants de Vichy se hâtent de bâtir un appareil de direction des finances et de l’économie. À la fin de 1940, les principaux éléments sont mis en place. Ils réutilisent des  instruments

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anciens, mais s’appuient aussi sur desstructures nouvelles, tenant compte des contraintes issues de la pénurie, de l’Armistice et de l’Occupation. Les Finances et son puissant ministre, Yves Bouthillier, dominent les principaux instruments de l’équilibre financier et monétaire. Un important ministère de la Production industrielle est chargé de diriger production et répartition (nous ne nous attarderons pas sur la « Corporation paysanne » — étudiée par Isabelle Boussard — seule véritable organisation corporatiste, dans la mesure où nous nous préoccupons de l’appareil étatique). Une telle rénovation et un tel renforcement des organes étatiques ne risquent-ils pas cependant d’être tributaires des dramatiques conditions qui ont préludé à leur genèse ?

I. L’ÉQUIPE DIRIGEANTE ET LA POLITIQUE DE «   PRÉSENCE   » 2Le régime de Vichy n’a pas été — on le sait — épargné par l’agitation et l’instabilité gouvernementale (il n’y eut pas moins de sept remaniements ministériels de juillet 1940 à avril 1942), malgré la mise à l’écart des assemblées et du contrôle parlementaire. Les responsables des finances ou de l’économie n’ont pas été toutefois marqués par des mutations aussi fréquentes qu’au sommet de l’État. Dès les premiers mois, la plupart de ceux qui vont diriger les services financiers et économiques sont en place, et restent à leur poste, au moins jusqu’au retour de Laval, en avril 1942.

1. Les dirigeants. 1 Cf. Yves Durand, Vichy (1940-1944), Paris, 1972, 176 p. ; Robert O.

Paxton,La France de Vichy 194 (...)

3Si l’on s’attache aux responsables de premier plan, on s’aperçoit qu’ils ont, pour la plupart, occupé des postes importants dans l’Administration ou dans les cabinets ministériels1.

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• La «   primauté de l’Administration sur la politique   » (Yves Bouthillier) 2 .

2 Yves Bouthillier, Le drame de Vichy, I, Face à l’ennemi, face à l’allié, Paris, 1951, p. 13. (...)

3 Propos d’Henri Moysset à Darlan, rapportés par Jean-Pierre Azéma, De Munich à La Libération 1938-1 (...)

4 Cf. Richard F. Kuisel, Le Capitalisme..., op. cit., ch. V, p. 227 et suiv. ; cf. J. C. Germain-Tho (...)

5 Jean-Pierre Azéma, De Munich..., op. cit., p. 87. La plupart de ces hauts fonctionnaires devenus m(...)

6 Cf. Jean Berthelot, Sur les rails du pouvoir (de Munich à Vichy) ; Paris, 1968, 322 p.

7 Cf. Le Gouvernement de Vichy - 1940-1942(Colloque FNSP, 6-7 mars 1970), Paris, 1972, p. 88 et suiv(...)

8 René Belin in Le gouvernement..., op. cit., p. 206. Cf. également Alfred Sauvy, La vie économique(...)

4Les nouveaux responsables se rangent plutôt parmi les « nouveaux cyclistes » que parmi les « anciens Romains »3. Plusieurs auteurs ont souligné l’arrivée de nombreux techniciens, hauts fonctionnaires ou « experts » à Vichy. On les trouve naturellement aux postes de responsabilité économique et financière4. Bien que relativement jeunes, ces hommes ne sont pas de nouveaux venus à des postes élevés. Dans cette fraction de l’appareil d’État, la « Révolution » du 10 juillet 1940 ne consacre pas « la grande revanche des minorités » (Stanley Hoffman), moins encore la « révolution des ratés » (Georges Bernanos)5. Bien plutôt, elle promeut une élite administrative ou technique, dont les responsabilités étaient déjà élevées avant cette date. Plusieurs d’entre eux ont déjà cotoyé le pouvoir, lors de l’arrivée de Paul Reynaud rue de Rivoli. Ainsi, Yves Bouthillier, ancien élève de l’École centrale et inspecteur

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des Finances, secrétaire-général du ministère des Finances en 1938, est ministre, dès le 5 juin 1940. Jean Berthelot, ancien major de l’X et des Mines, devient directeur du cabinet d’Anatole de Monzie peu après Munich, avant d’être nommé directeur général adjoint de la SNCF en juillet 1940, puis secrétaire d’État aux Communications, en septembre 19406. Même Pierre Caziot, quoique nettement plus âgé que les précédents — il est né en 1876 — est un ingénieur agronome, ancien chef de cabinet à l’Agriculture en 1919, et ancien expert à la Commission des Réparations. Il n’est guère que René Belin, dont le profil ne soit pas à l’unisson : mais il a raconté les conditions quelque peu improvisées de sa nomination, destinée à faire équilibre, et fournir une caution syndicale à l’équipe gouvernementale7. D’ailleurs, lui-même s’entoure de jeunes techniciens, parmi lesquels deux émergent : Jacques Barnaud, son directeur de Cabinet, polytechnicien et inspecteur des Finances, a été directeur adjoint au Mouvement général des Fonds en 1926, membre de la direction de la Banque Worms en 1927 et chargé, au début de la guerre, des rapports financiers avec les États étrangers au Trésor. Quant à Jean Bichelonne, major des majors de l’X, ingénieur des Mines, il a participé aux cabinets de Queuille (aux Travaux publics en 1937), et surtout de Raoul Dautry à l’Armement, en 1939-40, avant de faire partie de la Délégation française auprès de la Commission d’Armistice de Wiesbaden, puis d’être nommé, à trente-cinq ans, secrétaire général pour le Commerce et l’Industrie. Les anecdotes pullulent, qui révèlent l’encyclopédisme et les capacités de travail de l’une des plus belles mécaniques intellectuelles du siècle : « L’esprit de géométrie fait l’homme »8. Pour la direction de l’économie et des finances, le régime de Vichy ne fait pas appel à des marginaux, laissés pour compte, aventuriers aigris ou « déviants ». Il s’appuie sur les membres les plus doués, les plus compétents et dotés des titres les plus prestigieux d’alors, au sein de l’Establishment de l’Administration et, de manière encore plus nette à partir de 1941, des affaires privées.  Il élève ainsi d’un échelon cette élite technique et administrative, en lui offrant également des postes de responsabilité politique.

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9 Cf. Stanley Hoffman, Sur la France, Paris, 1976, p. 72 et suiv. ; Robert O. Daxton,La France..., (...)

5Plusieurs auteurs ont souligné que cette tendance ne marque pas une rupture, mais prolonge plutôt celle de la IIIe République finissante9. Le retour de Paul Reynaud et d’une droite moderniste, après l’agonie du Front populaire, a déjà, en partie, sonné l’heure des techniciens et de leur revanche sur les « politiques », ce qui souvent signifie celle sur ceux de 1936. Bel exemple avec Yves Bouthillier, relégué à l’Hôtel de Ville en 1936 par Vincent Auriol, rappelé et promu en 1938. Cependant, en faisant appel à lui, pour sa compétence, Paul Reynaud manifeste une grande myopie politique, car il introduit jusqu’au gouvernement l’un de ceux qui vont le contraindre à la démission. D’ailleurs, Yves Bouthillier apparaît vite comme l’un des ministres les plus influents auprès du Maréchal, dont il est, avec Jean Berthelot, l’un des soutiens les plus fidèles jusqu’en 1942, en particulier dans son conflit avec Pierre Laval. On a souvent souligné la promotion des techniciens et hauts fonctionnaires des ministères techniques, notamment au sein du ministère de la Production industrielle. Mais la rue de Rivoli, qui — on va le voir — conserve la haute main sur les équilibres économiques et financiers, n’est pas investie par des nouveaux venus : l’équipe dirigeante — comme les responsables des principales directions — est formée par les membres parmi les plus prestigieux du sérail, tous inspecteurs des Finances. Rarement leur part a été aussi forte dans l’élaboration de la politique économique et financière.

• Une assez grande stabilité. 10 La DGREFA siège au sein du ministère des Finances. Les archives de

cette délégation (série F 37) s (...)

11 Cf. Gérard Brun,Technocrates..., op. cit.

6D’autre part, les tâches de direction économique et financière n’ont pas usé de manière aussi rapide leurs responsables, comme celles du pouvoir politique au plus haut niveau. Occupées par des techniciens, elles ont été davantage

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préservées des rivalités au sommet de l’État, et des aléas des relations avec l’Occupant, d’autant plus qu’elles n’étaient pas autant convoitées. Jusqu’en avril 1942, Yves Bouthillier, connu pour son autoritarisme, demeure tout-puissant aux Finances. De même pour Jean Berthelot aux Communications et Pierre Caziot à l’Agriculture. À la Production industrielle, le ministre change plus souvent : René Belin est rapidement écarté (février 1941), et réduit à son secrétariat d’État au Travail. On sait que, lors de la constitution du gouvernement Darlan, en février 1941, les techniciens connaissent leur apogée, avec l’apport de représentants de l’élite industrielle. Pierre Pucheu, Ulmard, ancien directeur de Japy et du service d’exportation du Comptoir Sidérurgique, effectue un bref passage à la Production industrielle (de février à juillet 1941), avant de gagner l’Intérieur. Il laisse alors la place à François Lehideux : marié à une nièce de Louis Renault, celui-ci a été administrateur de la Société des Aciers fins de l’Est, des Forges de l’UCPMI, des avions Caudron et directeur de la Société des Usines Renault. Commissaire général à la lutte contre le chômage en novembre 1940, il devient délégué général à l’Équipement national en mars 1941, puis secrétaire d’État à la Production industrielle en juillet. Mais, plus que de véritables changements de responsables — comme c’est le cas au sommet, le 13 décembre 1940 pour Pierre Laval, ou le 9 février 1941 pour Pierre-Étienne Flandin — il s’agit davantage de remaniements au sein d’une équipe relativement stable, du moins jusqu’au retour de Laval, en avril 1942. En outre, il est créé, en février 1941, une Délégation générale aux relations économiques franco-allemandes (DGREFA), confiée à Jacques Barnaud, ainsi chargé de centraliser l’ensemble des questions à traiter avec l’occupant. Il reste à ce poste jusqu’en novembre 194210. Satisfaits d’être dispensés de tout contrôle du Parlement et de l’opinion, ces responsables, jeunes, compétents, peuvent ainsi éprouver leur goût de résoudre des problèmes techniques, à un moment où ils ne risquent pas de manquer. Marquant volontiers des réserves, voire du mépris à l’égard du système parlementaire, la plupart — mais pas tous — se disaient apolitiques avant la Guerre. Cela ne les empêchait pas de

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participer à des débats multiples, au sein de cénacles ou de revues techniciennes, que ce soit X-Crise ou les Nouveaux Cahiers,animés en particulier par Jacques Barnaud. Leur commun souci, à travers de multiples nuances, était de réclamer un pouvoir plus grand pour l’élite technicienne, de vanter les mérites d’une technocratie, au sens propre11. Généralement à l’écart des querelles politiciennes et des affiliations partisanes, ils participaient néanmoins au débat politique général et leur « apolitisme » en cette fin de IIIe République leur faisait cotoyer des sensibilités allant de l’aile droite du Parti radical (autour d’Émile Roche, comme dans le cas de Jean Coutrot, dont le rôle toutefois — on va le voir — a été limité en 1940-41), jusqu’au PPF de Doriot, dont Pierre Pucheu a été l’éphémère (1936-39) adhérent. La plupart de ces dirigeants ont en partage la conviction qu’ils peuvent entreprendre une œuvre doublement durable, car soustraite à l’instabilité gouvernementale attachée au régime parlementaire, et appuyée sur un concours exceptionnel de compétences techniques.

2. La «   vertu de la présence   » (Yves Bouthillier).

• La crainte du vide de l’État. 12 Yves Bouthillier, Le drame..., op. cit., t. 2,Finances sous la contrainte,p.

245.

13 Ibid., p. 245.

14 Témoignage de Henri Deroy in Le gouvernement..., op. cit., p. 100.

7Après la débâcle militaire de juin et la signature de l’armistice, les nouveaux dirigeants manifestent comme l’un de leurs principaux soucis le rétablissement de la présence administrative et le retour à une certaine vie économique et sociale normale, malgré les contraintes multiples. Aux destructions, à la pénurie des matières premières, à la désorganisation des transports, au désarroi issu de l’exode,

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s’ajoutent les effets du repli des administrations et du fractionnement territorial du pays résultant des termes de l’armistice et de décisions unilatérales des Allemands (division de la France en zone interdite, zone annexée, zone occupée, zone Sud). L’objectif des ministres chargés de la direction de l’économie et des finances, à commencer par Yves Bouthillier, est alors de rétablir le fonctionnement des services et le retour du gouvernement à Paris. Les représentants du ministère des Finances à Paris, Henri Deroy, Jacques Brunet, Jacques Barnaud, confirment à Yves Bouthillier, dès le début juillet, « la vertu de la présence »12. Le ministre redoute tout particulièrement le décalage inquiétant entre les besoins de billets et l’épuisement des encaisses du Trésor ou des banques, le risque d’un moratoire, ainsi que les effets d’une « malsaine abondance », provenant de monnaies locales transitoires ou de signes fiduciaires introduits par l’Occupant13. Il lui paraît urgent de rétablir les services administratifs essentiels, là où le repli sur la Loire les avait affaiblis, et d’assurer leurs liaisons. Dès le début juillet, l’ambassadeur Léon Noël est chargé par le maréchal Pétain de prendre contact avec le général Streccius, qui commande alors l’Administration militaire en France. Il est accompagné par plusieurs hauts fonctionnaires, dont la mission est d’obtenir la présence effective des services de leur ministère : ainsi, Henri Deroy (faisant fonction de directeur du Mouvement général des Fonds) pour les Finances et Jacques Barnaud pour la Production industrielle14.

• La crainte de l’absence des dirigeants privés.

15 Yves Bouthillier, Le drame..., op. cit., t. 2, p. 418.

16 Secrétariat d’État à l’Économie nationale et aux Finances, L’action économique en France depuis l’ (...)

8Mais au-delà de cette peur du vide de l’État, se manifeste également celle de l’absence des responsables de l’économie privée, chefs d’entreprises industrielles, commerciales ou bancaires. La Chambre de Commerce de Paris sollicite le

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Gouvernement, afin qu’il hâte le retour de ceux qui tardent à rentrer. Ayant sans cesse à l’esprit l’exemple de la Première Guerre mondiale, Yves Bouthillier souhaite éviter, cette fois, le moratoire bancaire qui, en 1914 « brisa le système bancaire français »15. D’où, sa hâte à ordonner le retour des dirigeants des banques à Paris. Les craintes de défaillances techniques se mêlent, chez la plupart des ministres, à la hantise des « troubles sociaux ». Quelques mois plus tard, Yves Bouthillier précise : « Les difficultés matérielles étaient trop certaines pour que les défaillances morales fussent improbables ; et l’on pouvait craindre, dans les premiers jours de juillet, que le pays ne perdît avant peu, dans les troubles sociaux, l’ordre qu’il avait sauvegardé malgré la défaite militaire »16. Les ministres à Vichy appréhendent ainsi que le double vide,économique et politique, n’entraîne des désordres qui, de surcroît, pourraient être exploités par l’Occupant. Dès le 20 mai, en effet une ordonnance allemande attribue aux autorités militaires d’Occupation l’administration des entreprises abandonnées lors de l’exode.

• Les inquiétudes de René Belin   : l’administration-écran.

17 AN, F 60 424, d. « documentation économique », Lettre de René Belin au maréchal Pétain, août 1940, (...)

18 Idem, p. 5.

19 Idem, p. 5.

9Pour le nouveau ministre de la Production industrielle, René Belin, la première vertu est aussi celle de la « présence ». Les services, en partie évacués en zone Sud, reviennent à Paris, dès la fin de juillet. Ils ont été précédés par Jacques Barnaud, directeur du Cabinet et l’un des maîtres à penser du ministère, ainsi que par les secrétaires-généraux. La lettre alarmiste que René Belin transmet au Maréchal au début d’août 1940 constitue un bon témoignage des préoccupations d’alors. Le ministre signale : « La reprise de la vie économique en France

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se heurte à des difficultés techniques présentement insurmontables (...). La ligne de démarcation se présente (...) comme une frontière hermétiquement fermée et la zone occupée devient déjà un pays annexé, exploité par le vainqueur, au lieu d’être une région soumise à l’occupation militaire prévue par la convention d’armistice »17. Il compare la ligne de démarcation à « un mur infranchissable coupant en deux une usine donnée », et en souligne les effets néfastes pour les approvisionnements en énergie, en matières premières, ainsi que pour la rétraction des débouchés18. Or, le volume du travail industriel est estimé à vingt-cinq à trente pour cent de la normale. La zone Sud est particulièrement frappée par l’absence de grandes matières premières et de combustibles, situés — à l’exception de la bauxite — en zone occupée. Mais, dans celle-ci, l’emprise de l’Occupant se manifeste de manière précoce : « L’administration allemande, installée dès l’occupation, veut maintenant diriger l’économie de la zone occupée »19.

20 Idem, p. 5.

21 Idem, p. 5 ; Yves Bouthillier évoque également la tentative de « nazification de la classe ouvrièr (...)

22 Idem, p. 8 et 10.

23 Idem, p. 10.

24 Yves Bouthillier, Le drame..., op. cit., t. 2, p. 247.

10René Belin signale l’entrée en relation de « très nombreux » fonctionnaires allemands avec des industriels français et des chambres syndicales, pour développer certaines fabrications ou en supprimer d’autres, manifestant « la volonté de la puissance occupante d’intégrer la zone occupée dans le plan économique allemand et de l’exploiter au profit de l’Allemagne en payant les achats au moyen de marks surévalués »20. Il cite comme exemples extrêmes l’intervention brutale de l’industriel sarrois Hermann Rœchling, pour s’emparer de la production

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sidérurgique lorraine, ainsi que les multiples réquisitions de produits textiles dans le Nord. De plus, les autorités allemandes développent, en particulier par le truchement de la presse française de zone occupée — largement sous la coupe d’Otto Abetz et de l’ambassade d’Allemagne — une propagande démagogique à l’égard de la classe ouvrière française : « Elles cherchent à ranimer l’esprit de lutte des classes en rejetant sur le patronat les difficultés de remise en marche des entreprises »21. Pour le ministre de la Production industrielle, cette situation aggrave le « malaise », causé par le chômage et les difficultés de ravitaillement, au sein de la population de la zone occupée, qui « se sent abandonnée à son sort ». Et, selon lui, toutes les couches sociales se défendent mal, face à l’emprise allemande : « Le pire est à craindre dans des temps très proches »22. En conclusion, René Belin adjure le Maréchal de se fixer deux objectifs : « Que le Gouvernement rentre à Paris et qu’il réalise avec la puissance occupante les accords politiques et économiques nécessaires »23. Le retour du gouvernement — le premier objectif — ne s’avère pas possible. Les autorités françaises souhaitent alors assurer au moins une présence administrative effective, auprès de la population et des entreprises de la zone Nord : « En 1940, on jugeait de tout par la présence »24. En quelques semaines, les autorités de Vichy parviennent à réinstaller à Paris les services administratifs du nouvel appareil d’État, dont la tête demeure à Vichy.

II. LE NOUVEL APPAREIL ÉCONOMIQUE ET FINANCIER DE L’ÉTAT11Dès les premières semaines après la défaite, les dirigeants de Vichy construisent un appareil de direction économique et financière. Ils procèdent à un amalgame, mêlant des éléments de la structure administrative existante et des services nouveaux.

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1. Les Finances et l’Économie nationale   : un ministère dualiste. 12Yves Bouthillier réorganise son Département en fonction des nécessités nouvelles. Il rejette la double formule, celle, légère, d’un ministère de l’Économie nationale de type Blum (sans véritables services), comme celle, lourde, d’un ministère unique, regroupant à la fois les Finances, l’Économie et les départements techniques.

• Un double ministère.13En homme du sérail, Yves Bouthillier tient à s’appuyer sur l’Administration des Finances, avec son capital de compétences et de traditions, mais adjoint aux directions proprement financières (Budget, Trésor, Impôts), des services destinés à assurer, dans le domaine des contrôles économiques, la réplique de la surveillance monétaire et financière.

25 Cf. Hervé Alphand,L’étonnement d’être, Journal. 1939-1973, Paris, 1977 (614 p.), p. 50. Son éloig(...)

14Ainsi, se constitue le secrétariat d’État à l’Économie nationale et aux Finances, tel qu’il va fonctionner, sans grande modification, pendant toute l’Occupation. Innovation administrative (qui généralise celle de 1938) : entre les directeurs et le ministre, la loi du 30 août 1940 institue deux secrétariats généraux, qui matérialisent le dualisme des services : un secrétaire général pour les Finances publiques (Henri Deroy) coordonne l’action des directeurs du Trésor (Jacques Brunet), du Budget (Jean Jardel), des Impôts (Jean Ripert), tandis qu’un secrétaire général pour les Questions économiques (Olivier Moreau-Néret, puis Jean Filippi à partir du 1er juillet 1941) harmonise l’action des directions « économiques ». On y trouve la Direction de l’Économie générale — la plus lourde — animée par M. Zaffreya : elle comprend notamment les services de fixation et de contrôle des prix. En outre, la Direction des Accords commerciaux a été enlevée au Commerce et est confiée à Paul Leroy-Beaulieu, qui

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permute avec Hervé Alphand, envoyé à Washington25. Une partie des services du Trésor forme la Direction des Finances extérieures et des changes (à laquelle est annexé l’Office des changes), sous l’autorité de Maurice Couve de Murville. Enfin, la Direction des Assurances (dont le responsable est Cheneaux de Leyritz) complète cette seconde aile du ministère.

• Un syncrétisme insolite. 26 Yves Bouthillier, Le drame..., op. cit., t 2, p. 256.

15En tenant à la fois la politique monétaire, les finances, le commerce extérieur et les prix, Yves Bouthillier peut s’assurer une assise suffisante pour faire triompher ses principes de direction de l’économie : « Sans les prix, le ministère, d’un seul coup, eût sombré au rang de Département de la Comptabilité nationale »26. Il intègre d’ailleurs à la Direction de l’Économie générale les services qui, en 1936, ont été créés ou placés dans la mouvance de l’Économie nationale : la SGF — sous l’autorité de Henri Bunle et d’Alfred Sauvy, sous-directeur — le COST, toujours animé, jusqu’à sa mort tragique (en mai 1941) par Jean Coutrot, et la Caisse nationale des Marchés de l’État (CNME), dirigée par Assémat et Jacques Branger.

16Au cours de l’automne 1940, Jean Coutrot rédige plusieurs notes internes du COST, dans lesquelles il préconise de rattraper le « quart de siècle de retard technique qui caractérise la plupart de nos entreprises », par un effort d’organisation du travail et par le « relèvement qualitatif de la production française ». Il précise : « Il est surtout indispensable d’éviter que le relèvement économique soit confié au ministère des Finances, qui ne peut être que le Chef Comptable de la Nation ». Il redoute surtout qu’une politique étroitement monétariste condamne la France à la pénurie : « La politique des prix doit être une politique de production et non une politique de famine ». Mais il est relégué dans une Commission du Plan comptable, dont la première réunion devait avoir lieu le 19 mai 1941, date de sa mort.

Fig 6 - LE MINISTÈRE DE L’ÉCONOMIE ET DES FINANCES : DES STRUCTURES DUALISTES g (au 1er janvier 1941)

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(Source : Guide administratif des services ministériels français actuellement à Paris, Paris COST, janvier 1941, 95p.).

2. La création de structures nouvelles.17Par un syncrétisme insolite, Yves Bouthillier, en rassemblant sous son autorité les éléments les plus traditionnels de la rue de Rivoli, comme les services plus récents, issus des changements de 1936, se donne ainsi les moyens administratifs de tracer les principes fondamentaux de la politique économique et financière.

• Yves Bouthillier et le Comité économique interministériel (CEI).

27 AN, F 60 590, p.-v. des séances du CEI-1941. Pierre-Étienne Flandin préside, lors de sa brève vice (...)

28 On trouve les p.-v. des séances dans AN, F 60 590 et 591 ; AN, AG II 544-545 (Archives du maréchal (...)

29 L’action économique..., op. cit., p. 58.

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30 AN, F 60 590, Lettre d’Yves Bouthillier à l’amiral Darlan, 14 avril 1941, 1 p.

31 Henry Rousso, « Les paradoxes de Vichy et de l’Occupation - Contraintes, archaïsmes et modernités (...)

32 Cf.  infra, chapitre XX.

18Yves Bouthillier dispose d’un autre atout : lors de l’interrègne de Pierre-Étienne Flandin (14 décembre 1940-9 février 1941), il se crée, comme lors de son précédent gouvernement de 1935, un Comité Économique interministériel (CEI), dont la première séance se tient le 10 janvier 194127. Réunissant tous les ministres et secrétaires d’État à compétence économique, ainsi que certains hauts fonctionnaires (selon l’ordre du jour), avec une périodicité quasi hebdomadaire — tantôt à Paris, tantôt à Vichy, le Comité est chargé, sous la présidence du ministre des Finances, de coordonner les divers aspects de la politique économique et financière. Yves Bouthillier préside en personne la presque totalité des séances, dont nous avons retrouvé la plupart des procès-verbaux pour 1941 et 194228. Selon ses propos de 1941, il s’agit de « l’organisme directeur de l’économie »29. À la mi-avril 1941, Yves Bouthillier décide de limiter le nombre des membres permanents : cinq ministres ou secrétaires d’État (Production industrielle, Agriculture, Ravitaillement, Communication, Travail), ainsi que les deux délégués généraux à l’Équipement et le délégué aux Relations économiques franco-allemandes. Suivant les affaires débattues, certains hauts fonctionnaires ou secrétaires d’État pourront également participer. Le ministre des Finances justifie cette limitation auprès de l’amiral Darlan, par le souci d’éviter « les risques d’indiscrétion (et) ... les mauvaises méthodes de travail »30. Sans qu’on puisse parler d’« ébauche de planification », le CEI joue un rôle certain d’harmonisation des différentes mesures de politique monétaire, financière, économique et sociale, afin de préparer les séances du Conseil des ministres31. Le compte-rendu des débats donne un aperçu précieux sur les préoccupations des principaux responsables : en cas de désaccord, la position du président, Yves Bouthillier,

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apparaît le plus souvent prépondérante. D’ailleurs, l’institution ne survit guère au retour de Pierre Laval et à la disgrâce du ministre. Nous avons retrouvé dans les archives du maréchal Pétain quelques procès-verbaux postérieurs à avril (mais antérieurs à novembre 1942) : désormais, les principales questions ne se débattent plus en ce lieu, mais autour de Pierre Laval lui-même32.

• Le Conseil d’Études économiques. 33 AN, F 60 590, p.-v. de la séance du 24 mai 1941 du Conseil d’Études

économiques à Vichy (Libersart (...)

34 On trouve également Romieu, Leroy-Ladurie, Charbin, Halle.

35 Idem, p.-v. de la séance du 14 juin 1941 du Conseil d’Études économiques, p. 8.

36 Idem, p.-v. cité, p. 8.

19Parallèlement, par un décret du 15 mai 1941, est créé un «Conseil d’Études économiques». Lors de sa première séance, le 24 mai 1941, à Vichy, son président, Yves Bouthillier définit sa double mission : « donner son avis sur des questions pratiques d’actualité... » et « examiner les grands problèmes qui sollicitent d’une façon durable l’action du Gouvernement »33. Organisme consultatif de réflexion, il comprend à la fois des hauts fonctionnaires, principalement des Finances (Olivier Moreau-Néret, Jacques Fourmon, Alfred Sauvy), des économistes (Gaël Fain, François Perroux) et des industriels (Auguste Detœuf, Raoul de Vitry)34. Plusieurs séances se déroulent au printemps de 1941, afin de réfléchir notamment sur la répartition des matières premières et sur 1’« organisation future de l’économie ». Il est signalé, à la séance du 14 juin 1941, que « les conceptions relatives au visage futur de la France sont liées elles-mêmes à l’idée qu’on peut se faire de la future Europe »35. Au-delà de la diversité des approches parmi les membres du Conseil, ces derniers décident de mener des études sur les perspectives de l’économie

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française. Lucien Romier, ancien président du Redressement français et conseiller personnel du Maréchal, croit pouvoir résumer : « L’organisation corporative ne doit pas être considérée comme une entreprise d’ossification de l’économie française »36. Lieu de réflexion, le Conseil d’Études économiques exerce surtout un rôle, en permettant la concertation entre responsables politiques, hauts fonctionnaires et entrepreneurs privés.

• Les intendants, bras séculier de la rue de Rivoli.

37 Yves Bouthillier, Le drame..., op. cit., t. 2, p. 267.

38 Cf. AG II 544, Liste des intendants des Affaires économiques, 1 p. Parmi eux, notons Yrissou (Limo(...)

39 Cf.  infra, chapitre XXIII.

20D’autre part, pour assurer la diffusion effective de la politique économique et financière, il est créé, en avril 1941, des préfets régionaux, qui se voient attribuer des pouvoirs exceptionnels (six régions économiques sont mises en place en zone Sud ; dix en zone occupée). Chacun d’entre eux est assisté d’un Intendant des Affaires économiques, véritable « chef d’État- major pour l’économie »37. Les intendants vont former  les cadres du dirigisme économique dans les provinces, le bras séculier de la rue de Rivoli. Les réunions périodiques entre eux et le ministre témoignent de leur importance dans l’organisation de la vie économique quotidienne, notamment pour les prix, les salaires et le ravitaillement38. La plupart, nantis de cette expérience dirigiste, vont se retrouver, à la Libération, à l’Économie nationale, dont ils vont former l’Inspection générale39.

III. LES TROIS PILIERS DE L’APPAREIL DE DIRECTION

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INDUSTRIELLE ET COMMERCIALE21L’appareil de direction économique, et, en particulier, commerciale et industrielle, s’est constitué en quelques mois, de l’été 1940 au début de 1941, lors de la formation du gouvernement Darlan. Cet appareil répond à des contraintes matérielles et politiques de court terme, issues des retombées de la guerre et de la présence de l’Occupant. Mais, dans le même temps, il satisfait certaines préoccupations de long terme, qui font suite à des réflexions déjà évoquées pour l’avant-guerre. D’ailleurs, si les principes et organes majeurs sont posés au printemps 1941, la construction de l’appareil de direction économique et sociale apparaît comme une sorte de création continue, jamais parachevée d’ailleurs. Encore faut-il ne pas se laisser abuser par les organigrammes somptueux — dont Vichy a été si friand — et faire la part entre l’organisation, telle que souhaitée sur le papier, et les réalités de son fonctionnement, soumises à des contraintes croissantes et à des aménagements fréquents, qui l’éloignent des schémas idéaux. La construction de ce nouvel appareil s’effectue en plusieurs étapes, mais, en l’espace de quelques semaines, les trois piliers sont en place : les Comités d’organisation (CO), l’Office central de Répartition des Produits industriels (OCRPI), le ministère de la Production industrielle (MPI) lui-même.

1. La loi du 16 août 1940 et les CO. 40 JO, 18 août 1940. Cf. le mémoire de maîtrise d’Henry Rousso, « Les

Comités d’organisation, Aspects (...)

41 René Belin in Le gouvernement..., op. cit., p. 203.

42 Yves Bouthillier, Le drame..., op. cit., t. 2, p. 274. Il y est question de Pierre Larroque (sic).

43 Cf. supra, chapitre XII.

44 Cf. AN, 468 AP 30, d. 6 « La guerre... », s. d. c.

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45 AN, 468 AP 30, d. 6, « La guerre... », s. d. c., doc. n° 12, COST, JC/GB, 24 août 1940, 5 p.

46 AN, 468 AP 31, d. 1, « La guerre... », s. d. c., doc. n° 41, COST, JC/GB, 30 novembre 1940, 2 p. (...)

47 AN, 468 AP 30, doc. cité (cf. note 6).

48 AN, 468 AP 31, d. 1 cité, s. d. a., doc. n° 32-2, COST, 14 novembre 1940, « Ébauche d’une stratégi(...)

22La loi du 16 août 1940 définit l’« organisation provisoire de la Production industrielle »40. Selon René Belin, le texte aurait été élaboré, sur ses directives, par Jacques Barnaud, les deux secrétaires généraux, Jean Bichelonne et Henri Lafond, ainsi que par Pierre Laroque, chargé de mission41. Et le texte, une fois rédigé, a été présenté au Maréchal, conjointement par le ministre de la Production et par Yves Bouthillier42. René Belin affirme dans ses Mémoires qu’il a été en grande partie contraint d’improviser, malgré les précédents des ententes, ou des projets de loi Flandin-Marchandeau ou Spinasse-Coutrot. Ses services ont toutefois reçu les suggestions d’André Monestier, dirigeant de l’entente de l’industrie papetière et proche de Jean Coutrot43. Dans plusieurs notes du COST, destinées sans doute à son ami Gérard Bardet, Jean Coutrot analyse la loi 16 août44. Elle institue, selon lui, « un corporatisme autoritaire », dont l’inconvénient majeur peut être l’orientation malthusienne45. Pour y remédier, il recommande, à l’exemple de l’Allemagne, de ne pas recruter les membres des CO « exclusivement parmi les patrons mais de préférence parmi les... techniciens de l’organisation professionnelle »46. De plus, il conseille de ne pas supprimer la dissidence, mais seulement de la contingenter47. Cependant, à propos de l’OCRPI, nouvellement créé, il préconise « un organe économique centralisateur et fortement commandé devra dresser la liste des programmes à long terme »48.

49 AN, F. 12 10157, d. « 221-H2 », Rapport sur l’activité du MPI du 15 juillet au 15 novembre 1940 ; (...)

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50 Idem ; les premiers CO formés sont : automobiles ; textiles ; vêtement ; matériel ferroviaire ; cu (...)

51 Jean Bichelonne, L’État actuel de l’organisation économique française,conférence du 20 janvier 19(...)

23Sur le papier, les comités d’organisation disposent de pouvoirs importants : recenser les entreprises, arrêter les programmes de fabrication et de production, organiser l’acquisition et la répartition des matières premières, fixer des cotisations. René Belin signale, dans son rapport au Maréchal Pétain (17 novembre 1940), que les Comités ont été dotés « des pouvoirs les plus étendus », afin d’assurer le fonctionnement et l’organisation des branches49. Leur structure effective est verticale, rassemblant les entreprises concourant à la fabrication d’un même produit ou type de produits. Parfois, production et commercialisation sont distinctes. À la fin de 1940, une quinzaine de CO sont formés, dont le premier a été celui de l’automobile, placé sous l’autorité de François Lehideux50. Entre le corporatisme et l’étatisme, le ministre choisit une solution intermédiaire, où le fléau penche toutefois nettement vers le second plateau. Dans une conférence de janvier 1942, Jean Bichelonne affirme que, pour la constitution des CO, la solution de l’élection du comité par les entreprises a été rejetée, du fait des difficultés éprouvées par les « formations libres » pour « solliciter les patrons les plus récalcitrants et négocier leur adhésion »51. Le principe retenu dans la loi est donc celui du choix par le gouvernement, la profession gardant toutefois un certain droit de présentation.

52 Ibid., p. 29.

53 Cf. Richard F. Kuisel, Le capitalisme..., op. cit., p. 234 et suiv. ; Henry Rousso, art. cité.

24Dans les faits, la structure interne des comités apparaît double, en partie selon l’organisation plus ou moins poussée de la branche avant la guerre. On distingue les CO à forme délibérative — les plus nombreux — où un comité de cinq à six

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membres se constitue sous l’autorité d’un président nommé par le décret constitutif, et les CO à forme autoritaire (où les efforts antérieurs d’organisation de la branche étaient faibles), ne comprenant qu’un « directeur responsable », investi de tous les pouvoirs. Au début de 1942, Jean Bichelonne estime que, sur 110 CO existants, quatre-vingts se rattachent au premier groupe et trente au second52. Le statut juridique des CO est resté ambigu pendant toute leur existence. Organismes composés de représentants des affaires privées, ils sont investis d’une parcelle de la puissance publique53.

2. La loi du 10 septembre 1940   : l’OCRPI.

• Antinomie ou complémentarité avec les CO   ?

54 Témoignage de Pierre Laroque (France-Culture,octobre 1986).

55 Robert Catherine,L’économie de la répartition des produits industriels, CII, Paris, 1943, p. 17. (...)

56 René Belin in Le Gouvernement..., op. cit., p. 206.

57 Jean Bichelonne, « L’État actuel..., op. cit., p. 11.

58 AN, F 12 10157, d. « 221-H2 », Rapport sur l’activité du MPI..., cité, p. 5.

59 Cf.  Idem, d. « textes » ; on y trouve les différents décrets sur la répartition.

25Moins d’un mois après la loi sur les CO, est adoptée la loi du 10 septembre 1940 sur la répartition, créant l’Office central de Répartition des Produits industriels (OCRPI). Selon Pierre Laroque — qui a participé à la rédaction de la loi du 16 août, mais pas à celle du 10 septembre — il y a antinomie entre les deux lois54. En effet, la loi du 10 septembre « est aussitôt intervenue pour monopoliser à son profit la notion de

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répartition, en la coupant de la notion d’organisation »55. L’article 2, § 3 de la loi du 16 août 1940, qui attribuait aux CO le pouvoir de répartition, n’a ainsi jamais reçu d’application. Pour les auteurs de la loi de septembre (Bichelonne, Lafond et Barnaud, autour de René Belin), cette dernière serait venue compléter une « lacune » de la loi du 16 août, signalée en premier par les Autorités de l’Hôtel Majestic56. Les CO ne pouvaient être chargés que de la répartition secondaire, c’est-à-dire la répartition, entre les entreprises d’une même branche, des matières premières qui lui sont attribuées. Mais il revient à l’OCRPI d’effectuer la répartition générale ou répartition primaire, soit la ventilation, au niveau national, des matières premières entre les grandes formes d’emploi ou entre les collectivités utilisatrices57. Ainsi, l’OCRPI opère, en amont, la répartition des grands produits entre les divers CO qui, eux, en aval, sont chargés de la sous-répartition entre leurs ressortissants. La subordination des CO à l’Office de la Répartition accentue le poids de l’État dans la direction de l’économie par rapport aux professions. L’OCRPI est présenté par René Belin au chef de l’État comme « l’instrument d’action essentiel sur la vie économique »58. Les principaux organes de répartition sont mis en place entre septembre 1940 et mars 1941, et s’intègrent assez largement au nouveau ministère de la Production industrielle59.

• Un système gravitant autour du secrétariat à la Répartition.

60 Cf. AN, F 12 10157, d. « 221-H2 », circulaire du Secrétariat d’État à la Production industrielle ( (...)

26L’organisation générale apparaît d’autant plus pyramidale et centralisée qu’elle gravite, dès 1940, autour d’une personnalité de premier plan, Jean Bichelonne. En effet, l’OCRPI est placée, par la loi du 10 septembre 1940, sous l’autorité du secrétariat à la Répartition, créé à l’intérieur du ministère de la Production industrielle par la « loi » du 27 septembre 1940. Un décret du 18 février 1941 en précise les pouvoirs : le secrétaire à la Répartition est chargé d’étudier les questions relatives à la

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répartition, d’en fixer les modalités dans le cadre de la politique économique générale. Il exerce à la fois les fonctions de Répartiteur général et de Directeur de l’OCRPI : il assure notamment la direction de la Section centrale de l’OCRPI, chargée d’assurer la coordination (notamment statistique) et la direction technique de la répartition, aux termes de l’arrêté du 25 mars 194160. Le secrétaire à la Répartition détermine les relations entre l’Office et les Administrations publiques pour délimiter, en amont, la première répartition des besoins prioritaires. Il peut opposer son veto à l’exécution de toutes les décisions des Répartiteurs, exerce le contrôle général de la Répartition, coordonne et contrôle l’administration des sections. Un décret du 27 mars 1941 vient parachever l’organisation, en nommant Jean Bichelonne, déjà secrétaire général à l’Industrie et au Commerce, secrétaire à la Répartition. De 1940 à 1944, l’homme concentre, à ces titres, puis, à partir du retour de Laval, en qualité de ministre de la Production industrielle, les principales responsabilités en matière de direction industrielle, dont il a en quelque sorte incarné la continuité (cf. fig. 7, page précédente).

Figure7-LES STRUCTURES DU MINISTÈRE DE LA PRODUCTION INDUSTRIELLE : Jean Richelonne à l’interface entre répartition, organisation administrative et professionnelle (au 1er janvier 1941)

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• Les douze sections. 61 Cf. Robert Catherine,L’économie..., op. cit., p. 21.

62 AN, F 60 590, p.-v. de la séance du 23 janvier 1941 du CEI, mouture Moreau-Néret, 4 p.

63 Idem.

64 Idem, p.-v. de la séance du 24 mai 1941 du Conseil d’Études économiques (Vichy).

27Outre la section centrale, l’OCRPI comprend plusieurs sections spécialisées : dix ont été créées de septembre à décembre 1940 ; deux autres s’ajoutent en juin et juillet 1941. Elles reflètent la gamme des grands produits de base à répartir : métaux non ferreux ; fers, fontes et aciers ; charbon ; pétrole ; textiles, etc.61. Chaque section est dirigée par unrépartiteur, nommé par le secrétaire d’État à la Production industrielle, qui peut le révoquer à tout moment. En outre, chacune de ses décisions doit être visée par le Commissaire du gouvernement qui, le plus souvent, est le directeur de la branche technique correspondant au ministère de la Production industrielle. Les pouvoirs du répartiteur sont étendus. Il distribue le ou les produits de sa section entre les différentes branches et types de consommateurs. Il ne peut officiellement ni recevoir, ni transmettre les commandes, ni discuter les prix, mais il est en droit d’orienter la production vers tel acheteur ou consommateur, de décider des interdictions ou obligations d’emploi, de disposer des stocks, de connaître les quantités disponibles. En théorie, la répartition ne doit pas empiéter sur l’organisation, réservée aux CO. Dans les faits, là où la pénurie s’aggrave de manière la plus aiguë, la répartition commande l’activité. Ainsi, les douze répartiteurs sont maîtres de la ressource. Dès les premières semaines de fonctionnement, il apparaît que, malgré le contrôle de l’État sur leur nomination, les douze répartiteurs disposent d’un pouvoir trop grand. Au CEI du 23 janvier 1941, Jean Berthelot se plaint de l’insuffisance des contingents attribués à la SNCF — notamment en charbon, acier

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et gas-oil — et estime que la « répartition confiée à des répartiteurs responsables est exorbitante et que le Comité économique devrait donner les directives nécessaires »62. Piere Caziot et René Belin acquiescent et Yves Bouthillier fait décider que le CEI fixera, chaque trimestre, les directives générales aux répartiteurs, au moins pour les produits clés : charbon, carburants, fonte, acier, ciment, textiles, bois, corps gras industriels, métaux non ferreux63. Quelques mois plus tard, à la première séance du Conseil d’Études économiques, le ministre des Finances précise, à propos des fers et aciers : « Il appartient au ministre de l’Économie nationale et des Finances d’arbitrer la répartition des matières premières entre besoins de la production industrielle et ceux de l’agriculture »64.

65 Idem, p.-v. de la séance des 30 et 31 janvier 1941 du CEI.

66 Idem, cf. p.-v. des séances des 28 mars, 26 juin 1941 ; et AN, F 60 591, p.-v. de la séance du 1er (...)

67 Idem, p.-v. de la séance du 28 mars 1941. Les disponibilités, en pourcentage de celles de 1939, s’ (...)

68 AN, F 60 591, p.-v. de la séance du 1er octobre 1941.

69 Cf.  infra, chapitre XVIII.

70 Jean Bichelonne, L’État actuel..., op. cit., p. 21.

28Dans les faits, dès janvier 1941, les grandes priorités entre secteurs ou collectivités utilisatrices pour la répartition primaire des produits clés sont décidées par le Comité économique, à partir des plans trimestriels de répartition de la Production industrielle, élaborés par les services de Jean Bichelonne. Un premier plan trimestriel, portant sur dix-sept produits (charbon, métaux ferreux, sept métaux non ferreux, corps gras, industriels, acide sulfurique, caoutchouc, papier et carton, textiles), est adopté le 31 janvier 194165. Avant la date de sa nomination officielle en qualité de secrétaire à la Répartition (28 mars 1941), Jean Bichelonne établit l’étude des disponibilités prévisibles et les propositions de budget-matières

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trimestriel, qui répartit les produits énergétiques et de base essentiels entre grands types d’utilisateurs : ainsi procède-t-il à la fin des mois de mars, juin, septembre 194166. Il regroupe pour cela les données statistiques rassemblées par les douze répartiteurs, qui eux-mêmes ont sollicité les CO des industries productrices — pour établir la ressource — et ceux des industries consommatrices — afin de mesurer les besoins. Puis, il définit un pourcentage de disponibilité par rapport à la production d’avant-guerre, qui tienne compte des prélèvements allemands (on y reviendra). Ainsi, le 28 mars 1941, pour l’établissement du budget-matières du second trimestre, il précise que, si l’activité des industries métallurgiques des métaux ferreux peut s’établir à soixante-dix pour cent de son niveau de 1939, la situation des métaux non ferreux est « alarmante » (du fait notamment de l’importance des prélèvements des Allemands, qui s’apprêtent à réclamer une récupération systématique), ainsi que celle des produits pétroliers (à cause du blocus)67. Au fur et à mesure où la quantité de matières premières se raréfie au cours de l’année 1941, l’établissement de priorités devient de plus en plus rigoureux. Ainsi, pour le budget-matières du quatrième trimestre, Jean Bichelonne propose, pour les métaux ferreux, un « ordre d’urgence » privilégiant l’alimentation, les transports et les services publics (eau, gaz, électricité), et reléguant plus loin les besoins de la population civile68. De même, la raréfaction de l’énergie disponible va conduire à envisager des mesures de concentration, elles-mêmes réclamées par l’Occupant69. En janvier 1942, Jean Bichelonne peut affirmer: «Grâce à ces douze sections, l’État possède, à l’heure actuelle, les moyens de commander réellement à l’industrie française »70.

3. Le MPI   : la fusion. 71 AN, F 60 10157, d. « 221-H2 », Rapport sur l’activité du MPI..., cité, p.

1.

72 Cette arrestation serait due à la réalisation de l’opération de sauvetage de l’eau lourde dans le (...)

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73 AN, F 60 357, d. « organisation du MPI »,  JO, 29 septembre 1940, cf. également AN, F. 37 28, d. «  (...)

29Selon René Belin, en juillet 1940, le ministère de la Production industrielle n’était qu’une « façade recouvrant un amas inorganique de services provenant d’administrations multiples, de personnels aux origines et aux statuts les plus variés »71. Il s’ajoute à cela l’impossibilité pour le gouvernement de suivre les services, qui ont eu ordre de revenir à Paris. Le ministre et son cabinet vont rester à Vichy tout en communiquant avec Paris, avant d’obtenir l’autorisation de franchir la ligne de démarcation. De plus, Jean Bichelonne, alors secrétaire général à l’Industrie, est resté, pendant trois semaines, incarcéré par les Allemands, sans motif72. L’organisation effective du ministère est fixée dans la loi du 27 septembre 194073. Elle résulte de la fusion de seize anciennes directions, issues de quatre ministères :

Trois directions du ministère des Travaux publics (direction générale des Mines, direction de l’Électricité, direction des Carburants), ainsi que le Bureau de Gaz du ministère de l’Intérieur. Ajoutés à la direction de la Sidérurgie, ces services forment désormais l’ensemble administratif, qui dépend d’un secrétariat général à l’Énergie, confié à Henri Lafond.

Trois directions du ministère du Commerce : outre la direction de l’Administration générale, et celle de la Propriété industrielle, l’importante direction de la Production.

Sept directions du ministère de l’Armement (Poudres, Explosifs et produits chimiques ; Fabrications mécaniques ; Établissements constructeurs ; Fabrications des industries ; Ressources économiques ; Main-d’œuvre ; Contrôle du budget). La plupart de ces services sont regroupés, afin de former les cinq nouvelles directions du secrétariat général à l’Industrie et au Commerce, attribué à Jean Bichelonne, auxquelles est adjoint un service des Commandes allemandes.

Des trois directions du ministère du Travail (Personnel ; Main-d’œuvre et travail ; Assurances sociales), deux sont regroupées sous l’autorité d’un secrétaire général de la Main-d’œuvre et des

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Assurances sociales, Francis Million, ancien membre du Bureau confédéral de la CGT avant 1935.

4. La résurrection de la CGPF   : le Centre d’Information Interprofessionnel (CII).

74 AN, F 60 590, p.-v. de la séance du 18 avril 1941 du CEI.

30Peu après la constitution du Gouvernement Darlan, Pierre Pucheu, nouveau ministre de la Production industrielle — René Belin ne conserve que le secrétariat d’État au Travail — propose la création d’un Centre d’Information Interprofessionnel, effective le 30 avril 1941, alors que les confédérations syndicales nationales ont été supprimées dès août 1940. À la séance du CEI, le 18 avril, il justifie ainsi sa décision : « L’expérience fait ressortir les divergences d’action des différents comités d’organisation. Il faut une règle commune qui ne pourra sortir que d’un organisme commun, rassemblant les Présidents responsables de ces Comités »74.

• L’information   : remédier aux carences. 75 Idem.

76 Idem ; souligné par nous.

77 Idem.

78 Idem.

31L’objet du Centre est double. Tout d’abord, combler les lacunes en matière d’information : « Chaque comité d’organisation a des moyens d’information insuffisants. Beaucoup ne parviennent pas à effectuer le recensement complet des entreprises qu’ils couvrent. D’autre part, la dissolution de certains organismes comme la CGPF a privé les branches d’activité de services d’information bien au point »75. Le procès-verbal poursuit : « M. Pucheux (sic) conclut en

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exposant qu’en économie dirigée, il est indispensable de connaître les éléments du problème. Or, l’industrie française n’a fait jusqu’ici aucune documentation. Trop d’industriels ignorent encore ce qu’ils consomment et ce qu’ils produisent. Cela aura été au moins un bienfait des comités d’organisation de les obliger, malgré les récriminations, à établir une documentation industrielle sérieuse76. René Belin abonde dans le même sens et rappelle que, pour l’établissement de statistiques, « il a toléré l’activité d’un organisme sous la façade duquel s’abritait l’ancienne CGPF, parce qu’il l’estimait indispensable en l’absence d’un autre organe officiel »77. Une note manuscrite en marge — de la main d’un membre du cabinet Darlan — commente : « La question n’est pas posée sur le plan politique... mais seulement sur le plan technique, si bien que ça marche tout seul. Connivence CGT-CGPF »78.

• Un centre de propagande et de concertation.

79 Idem.

80 Parmi les cours publiés, on trouve ceux de Henry Laufenburger, Raymond Boisdé, Max Lambert, Gaston (...)

81 AN, F 60 590, p.-v. cité. En marge, une note manuscrite indique : « mécanique colossale ».

82 Idem.

32Une seconde fonction du CII consiste à expliquer à l’opinion les décisions prises par les CO, « décisions qui sont généralement douloureuses et difficiles à accepter »79. Ainsi, le CII est chargé de créer un service commun aux CO, afin d’assurer à la fois leur documentation et la publication d’informations les concernant. Il doit également assurer des services communs, faciliter contacts et liaisons entre CO. Les publications du CII, assurées par les Presses universitaires de France, reproduisent notamment les cours professés à l’École supérieure d’organisation professionnelle — à laquelle Jean

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Coutrot était lié — confiée au planiste Achille Dauphin-Meunier. On y trouve aussi bien des ouvrages financiers, juridiques, économiques ou sociaux80. L’organisation, œuvre de Pierre Pucheu, se rapproche de celle des CO : un président — Gérard Bardet, ancien collaborateur de Jean Coutrot — un comité de trente membres, une assemblée périodique, comprenant tous les présidents des CO, et un commissaire du gouvernement. Le financement est assuré par une participation de tous les CO. Pierre Pucheu précise : « Les organismes de travail du Centre d’information seraient constitués avec les éléments qualifiés des anciens syndicats patronaux du Comité des Forges, du Comité central d’organisation professionnelle etc. »81. Dans les notes manuscrites, on trouve le commentaire suivant : « On fait ressortir qu’il ne s’agit pas d’autre chose que de reconstituer une CGPF »82. Le CII doit ainsi accoutumer les CO et les différentes fractions du patronat à harmoniser leur action et à organiser la concertation avec les représentants de l’État.

5. Le choix des hommes et les débats qu’il provoque.

83 Cf. P. Lehideux-Vernimmen, « La fonction de commissaire du gouvernement dans la nouvelle organisat (...)

33Au-delà des plus hauts responsables — le ministre et ses collaborateurs immédiats — la construction de ce nouvel appareil de direction industrielle implique de multiples nominations, à la charnière entre les responsabilités publiques et privées. Le rôle du ministre est doublement décisif : il nomme tous les présidents et membres des CO, de même que les douze répartiteurs. En outre, il les flanque d’un commissaire du gouvernement, le plus souvent puisé parmi les directeurs du ministère83.

• Les évictions. 84 AN, F. 12 10157, d. « 221-H2 », Observation sur le rapport Belin, s. a.,

Vichy, 1er décembre 1940, (...)

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34Parmi les hauts fonctionnaires du ministère, une épuration est entreprise, à l’automne de 1940. Il semble qu’il y ait eu quelques divergences entre René Belin et le Maréchal à ce sujet. Les directeurs du secrétariat général à l’Énergie et à la Main-d’œuvre ont été évincés avant novembre 1940 : Blum-Picard, directeur général des Mines, dès août 1940. D’après une note, émanant sans doute du cabinet du Chef de l’État, le remplacement d’Alexandre Parodi (directeur du Travail), de Louis Doignon (directeur des Assurances sociales) et de Louis Pineau (directeur des Carburants) ne sont « finalement intervenus que sur l’injonction du Maréchal », en octobre et novembre84. De même, Pierre Laroque est écarté, parallèlement à la publication des lois antisémites. Les directions proprement industrielles sont placées sous l’autorité d’ingénieurs de l’État, de formation poussée pour la plupart. On trouve parmi eux des sensibilités diverses (on y reviendra). Plusieurs directeurs jouent un rôle de premier plan, dans la mesure où ils sont nommés commissaires du gouvernement de plusieurs CO ou/et de plusieurs sections de répartition. Ainsi, René Norguet, directeur des Industries mécaniques, est à la fois Commissaire du CO de l’automobile, du CO de la Mécanique et de la section de répartition des métaux non ferreux. Blanchard, directeur des industries chimiques, est commissaire des sections du caoutchouc, du papier-carton, de la chimie et des corps gras industriels.

• La controverse sur les dirigeants des CO.

85 Idem.

86 Cf. Henry Ehrmann, La politique..., op. cit. et Henry Rousso, art. cité.

87 René Belin in Le gouvernement..., op. cit., p. 204.

88 Cf.  infra, chapitre XVII.

35Au-delà du rôle de cette poignée de hauts fonctionnaires, le choix des présidents de CO et des répartiteurs est capital, car

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ces hommes sont destinés à détenir des pouvoirs importants de direction sur les entreprises de leur ressort et de représentation auprès de l’État et de l’Occupant. Dès l’époque de leur désignation, une controverse est apparue sur la personnalité des présidents des CO. La note du 1er décembre 1940 sur le rapport Belin déjà citée — émanant des services du Maréchal — tout en signalant les propos de René Belin abondant dans le sens du chef de l’État et « condamnant les trusts sans appel », ajoute, au sujet du ministre de la Production industrielle : « Il a justement choisi les seuls représentants de ces trusts pour constituer les comités, évinçant systématiquement les représentants des petites et moyennes entreprises. Il est ainsi permis d’affirmer que la direction des différentes branches d’activité est entre les mains de capitalistes et non de professionnels »85. Plusieurs auteurs ont souligné le poids des dirigeants de la grande industrie. Une statistique de 1942, certes partielle, établit que quatre présidents sur cinq se recrutent parmi les dirigeants d’anciens organismes patronaux ou les chefs d’industries86. René Belin, tout en se défendant, dans ses Mémoires,d’avoir privilégié systématiquement les «capitalistes», a néanmoins précisé, en 1970, que l’un des principes de sélection des dirigeants des CO a été de chercher « des gens ayant donné des preuves de leur savoir-faire professionnel, ayant une réussite exemplaire à leur actif ». Il a ajouté : « Je ne les aurais pas trouvés chez le garagiste du coin »87. La question du choix des dirigeants des CO va d’ailleurs rebondir au printemps 1941, dans l’imbroglio des rivalités intra-vichyssoises88.

• La différenciation nécessaire parmi les CO.

89 AN, F 60 590, p.-v. de la séance du 30 janvier 1941 du CEI.

36Il convient d’apporter une triple précision. Au-delà d’estimations globales, qui portent sur plus de deux cents CO (en 1944), dont l’importance économique est fort variable, il apparaît que les plus importants — à la fois par le nombre d’entreprises regroupées et par le caractère essentiel des

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productions — sont effectivement dirigés par les chefs de grandes entreprises. Cela s’explique d’autant mieux qu’ils correspondent généralement aux branches, qui, avant-guerre, connaissaient les structures les plus élaborées d’organisation professionnelle. Le ministre, tenu de constituer rapidement plusieurs dizaines de comités, s’appuie sur les organismes patronaux préexistants, d’où les filiations entre le Comité des Houillères et le CO des Combustibles solides ou le Comité des Forges et le CO de la Sidérurgie. Pour les branches à la fois moins concentrées et moins « organisées » — textiles, cuirs... — le rôle de dirigeants de PME ou de hauts fonctionnaires est apparu plus net. En outre, il importe de souligner l’ubiquité d’un petit nombre de grands industriels, qui participent à la fois à la direction de CO importants, et au Comité consultatif d’une ou de plusieurs sections de répartition. Citons quelques noms, parmi plusieurs : François Lehideux est à la fois directeur du CO de l’Automobile, membre de la section des Fontes, fers et aciers et de la section du Pétrole ; Pierre Pucheu, président du CO de la Mécanique, est aussi membre de deux sections (Fers, fontes et aciers et Charbon) ; Georges-Jean Painvin, administrateur d’Ugine, président du CO des Industries chimiques et du CO des demi-produits non ferreux, participe aux comités des sections du Charbon et des Métaux non ferreux ; Raoul de Vitry, directeur-général de Alais, Froges et Camargue (Péchiney), dirige le CO de l’Aluminium et figure à la section du Pétrole ; Paul Lecat, directeur général de la CGE, est directeur du CO du Caoutchouc et membre de la section du Caoutchouc, amiante et noir de fumée ; Pierre Ricard, directeur de la Société générale de Fonderie, préside le CO de la Fonderie et appartient au comité des deux sections des Fontes, fers et aciers et du Pétrole. D’une manière générale, les répartiteurs eux-mêmes sont issus des directions des CO (R. Carmichael est à la fois directeur du CO du Textile et répartiteur de la section des Textiles ; de même, Régis Ribes pour les Cuirs), ou issus des syndicats patronaux (Georges Perret, secrétaire-général du Syndicat du Caoutchouc, est répartiteur du Caoutchouc), ou encore de grandes entreprises (Henri Fayol, répartiteur des Fontes, fers et aciers ; Jean Barbizet, répartiteur des Métaux

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non ferreux). Ainsi, on retrouve la frange supérieure de l’élite industrielle, mêlée à des hauts fonctionnaires, pour diriger les organismes nouveaux, au moins dans les branches «lourdes» et concentrées. Enfin, toutes ces nominations se fontsous réserve de l’approbation allemande. Ainsi, à la séance du CEI du 30 janvier 1941, le choix de Jules Mény, président de la Chambre syndicale du Pétrole, comme président du CO des Combustibles liquides, « est vivement critiqué par M. Bouthillier », (soutenu par P.-E. Flandin), pour la raison qu’il serait un « représentant du pétrole anglo-saxon ». René Belin peut maintenir le titulaire en place, car il objecte « l’accord total des Allemands » à ce sujet89. Ce dialogue reflète l’équivoque plus générale, dans laquelle se trouvent placées les autorités économiques.

IV. UNE DOUBLE ÉQUIVOQUE ORIGINELLE

90 AN, F 37 20, d. « Études sur la collaboration économique franco-allemande », Note sur les rapports (...)

37Le premier souci des responsables de Vichy a été — on l’a vu — d’assurer une double politique de « présence » en zone occupée, présence des autorités administratives comme des chefs d’entreprises et travailleurs. Le rétablissement de l’ordre (social) et la construction d’un nouvel ordre (administratif) répondent sans doute à différentes préoccupations de court terme, parmi lesquelles la crainte de la subversion et de la main mise allemande — l’une se retranchant derrière l’autre aux yeux des dirigeants de Vichy : « Le patrimoine se trouvant ainsi sauvegardé par le retour de ses propriétaires, il faut maintenant faire succéder l’ordre au désordre, seul moyen efficace pour limiter l’emprise allemande »90. Ces choix initiaux vont toutefois peser sur les formes et  instruments de direction économique et financière de moyen terme (pendant la durée de l’Occupation). Et, d’autre part, ils ont été commandés, en amont, par les perspectives de long terme que les responsables d’alors pouvaient tracer pour l’économie française, dans l’Europe à venir.

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1. L’équivoque de la collaboration économique d’État   : Vichy, la direction de l’économie et la «   pax germanica   ».

• L’anticipation réaliste   : la «   pax germanica   ».

91 René Belin in Le gouvernement..., op. cit., p. 89.

92 Ibid., p. 99-100.

93 AN, F 37 32, d. « construction d’une nouvelle usine d’alumine en France », Lettre de l’Aluminium f (...)

94 Idem, d. cité, note de M. Terray, MH, 19 juin 1941, 2 p.

38René Belin a raconté, en 1970, que, lors de sa première rencontre avec Pierre Laval, le dimanche 14 juillet 1940 au matin, ce dernier lui aurait confié : « Dans six mois la guerre sera finie, d’une manière ou d’une autre. Le seul grand problème que la France doit désormais résoudre, c’est que la paix, si ce doit être une paix de compromis entre Britanniques, Italiens et Allemands, et c’est l’hypothèse la plus vraisemblable, ne se fasse pas sur notre dos »91. Une telle opinion était alors « quasi unanime » : « ... en juillet 1940, l’opinion dominante était que, pour un temps, l’Europe serait allemande comme elle avait été française 160 ans plus tôt »92. La perspective d’une guerre relativement courte, dont l’issue amorcerait une domination allemande durable en Europe, est également partagée par la plupart des chefs d’industries — quelle que soit par ailleurs la diversité de leurs réactions — et se perpétue au-delà de l’année 1940. Ainsi, Jean Dupin, directeur général de l’Aluminium français (Péchiney), écrit, le 11 juin 1941 (soient onze jours avant l’attaque allemande en URSS), à René Pucheu, pour lui faire part de la proposition des établissements Junkers de construire en commun une usine d’alumine, dont la mise en

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service est prévue pour la fin de 1942. Il ajoute, à ce propos : « Il semble donc bien que ce projet ne puisse avoir d’influence sur la guerre »93. Cette analyse est confirmée, une semaine plus tard, par les différents participants d’une réunion, qui rassemble les dirigeants de Péchiney, Jacques Barnaud, René Pucheu et Henri Lafond94. Quels que soient les sentiments profonds des responsables, publics et privés, à cet égard, leurs incertitudes ou leurs divergences quant aux détails de la paix future, ils situent, pour la plupart, leurs décisions de court terme dans la perspective d’une prochaine Europe allemande.

• La «   politique nouvelle   ». 95 Cf. chronologiquement Henri Michel, Vichy ; année 40, Paris, 1966, 461

p. ; Eberhard Jàckel, La Fr (...)

96 Analyses confirmées récemment par Fred Kupferman, Laval, op. cit.

97 Cité in Yves Bouthillier,Le drame..., op. cit., t. 2, p. 493.

98 Cité in  ibid., p. 495.

99 D’après un mémorandum d’Abetz, cité par Robert O. Paxton, La France..., op. cit., p. 73.

100 Philippe Pétain, Actes et écrits, p. 472 ; également reproduit dans Le Temps, 12 octobre 1940. Rob (...)

39Pour les autorités de Vichy, l’attitude à l’égard de l’Allemagne en matière économique est subordonnée à la politique générale du gouvernement. Des études récentes ont montré que, de manière précoce, celle-ci repose sur la recherche d’une « négociation d’ensemble », destinée à apporter des assurances, quant à la position de la France lors de la future paix : ainsi, se comprend la tentative de collaboration d’État distincte, on le sait, du collaborationnisme idéologique des milieux parisiens95. Robert Paxton a montré en particulier que, avant Montoire, Pierre Laval n’était pas un « loup solitaire » en cette matière : à partir de septembre 1940, les principaux dirigeants de Vichy tentent de

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mettre en œuvre la « politique nouvelle ». Les rivalités reflètent bien davantage une concurrence entre filières pour prendre contact avec Hitler — Pierre Laval par Otto Abetz, le maréchal Pétain par Goering, via Fonck — et les conflits paraissent d’autant plus vifs, notamment entre Pierre Laval d’une part, le Maréchal, Yves Bouthillier et Jean Berthelot de l’autre, que tous sont décidés à mener une politique voisine par des voies différentes96. Dès le 27 août, lors de sa rencontre avec Hemmen, président de la Délégation allemande pour l’Économie à la Commission d’Armistice de Wiesbaden, Yves Bouthillier insiste en particulier sur la pénurie de matières premières et précise : « Un des aspects dramatiques de la situation économique française vient, en effet, de ce que, n’étant plus dans l’orbite économique du monde anglo-saxon, elle ne fait pas encore partie de l’organisation continentale européenne »97. À l’évocation par son interlocuteur d’une Europe future organisée autour de l’Allemagne, de l’Italie et de la France (« qui feront une politique continentale »), le ministre des Finances confie : « Ces conceptions cadrent tout à fait avec les idées économiques du gouvernement actuel »98. Il s’agit là, certes, de propos destinés sans doute à rendre bienveillant le principal interlocuteur allemand de Wiesbaden. Le 30 septembre, le même Bouthillier vient à Paris proposer que l’Allemagne donne à l’industrie française des contrats de guerre, même en zone libre,la France s’apprêtant à entrer dans le nouvel ordre économique et social99. Et le 11 octobre 1940, le Maréchal Pétain annonce, dans un message radiophonique, en grande partie rédigé par Gaston Bergery et Henri du Moulin de Labarthète : « Le régime nouveau, s’il entend être national, doit se libérer de ces amitiés ou de ces inimitiés, dites traditionnelles (...). Il remettra en honneur le véritable nationalisme, celui qui (...) se dépasse pour atteindre la collaboration internationale. Cette collaboration, la France est prête à la rechercher dans tous les domaines, avec tous ses voisins. Elle sait d’ailleurs que, quelle que soit la carte politique d’Europe et du monde, le problème des rapports franco-allemands, si criminellement traité dans le passé, continuera de déterminer son avenir. Sans doute, l’Allemagne peut-elle, au

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lendemain de sa victoire sur nos armes, choisir entre une paix traditionnelle d’oppression et une paix toute nouvelle de collaboration (...). Le choix appartient d’abord au vainqueur ; il dépend aussi du vaincu »100. Tout en recherchant, en vain, une « négociation d’ensemble » avec l’Occupant permettant d’obtenir, en échange d’avantages apportés au titre de la collaboration, un allégement des conditions d’armistice — sur la ligne de démarcation, le montant des versements journaliers ou le nombre des prisonniers — et certaines assurances quant à la paix future, les autorités de Vichy doivent faire face, dans l’immédiat, aux initiatives allemandes en zone occupée.

• Le triple objectif du ministre de la Production industrielle   : faire écran   ?

101 AN, F 12 10157, d. « 221 H2 », Rapport sur l’activité du MPI..., cité, p. 6.

40À la fin de novembre 1940, René Belin adresse au Maréchal un rapport sur les quatre premiers mois de son activité : on y trouve les principaux mobiles des décisions prises au lendemain de l’armistice. En particulier, le ministre précise et justifie le contenu de la « collaboration franco-allemande ». Elle répond, selon lui, à une triple préoccupation. Tout d’abord, il fallait éviter que « les autorités allemandes fixent un statut de l’industrie copié sur le leur »101. Lorsque la Wehrmacht occupe la zone Nord, l’Allemagne connaît déjà, depuis six ans, l’expérience de la répartition des matières premières, élaborée parallèlement au système des accords de paiement et de compensation, mis sur pied par Hjalmar Schacht. Des Offices de Contrôle pour l’échange des marchandises (Uberwachungstellen fur den Warenverkehr), destinés à l’origine à rationner l’importation des matières premières — à la hauteur des moyens de paiement disponibles — se transforment en véritables organes d’État chargés aussi de les répartir entre les industries, en fonction de leur importance. En 1939, il existe ainsi trente Uberwachungstellen, baptisés alors « Reichstellen », placés sous l’autorité du ministre de

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l’Économie, et dirigés par un délégué spécial du gouvernement (Reichsbeauftragter).

102 Sur tous ces aspects d’articulation à l’organisation économique allemande, cf. Alan S. Milward, Th (...)

103 AN, F 12 10157, d. « 221 H2 », Rapport cité.

41Or, dès le 27 mai 1940, une ordonnance d’organisation de l’Économie, confie à des « Warenstellen » (Offices de Marchandises) le pouvoir de réglementer la répartition des produits industriels dans les territoires occupés des Pays-Bas, de la Belgique, du Luxembourg et de la France. Selon René Belin, le MPI a fait admettre aux autorités militaires du Majes- tic que les CO et les sections de répartition, créées en août et septembre 1940, remplacent ces « Warenstellen ». Et une ordonnance du 20 novembre de l’Administration militaire allemande assimile les CO aux « Warenstellen ». En outre, l’action des responsables du MPI se fixe comme objectif d’éviter la poursuite des réquisitions militaires — déjà opérées sur le matériel ou les stocks, à la suite d’une ordonnance allemande du 20 mai 1940 — et d’empêcher l’envoi de travailleurs en Allemagne102. Le retour des chefs d’entreprises et des salariés, ainsi que celui des services, et la présence du ministre lui-même à Paris le 2 septembre, sont en partie destinés à faire cesser cette politique de butin. Enfin, ayant réussi à arrêter les réquisitions, les autorités de la Production industrielle perçoivent les dangers d’un contact direct entre les services allemands et les entreprises françaises, auxquelles ils adressent des commandes. Du fait de l’attraction exercée par le cours fortement surévalué du mark, le risque est grand de voir les matières premières, déjà raréfiées, être détournées pour des fabrications à destination des Allemands, ainsi qu’une désorganisation complète de la distribution. Le MPI obtient de pouvoir superviser, à travers un Service des commandes franco-allemandes, les contacts entre les « clients » allemands et les entreprises françaises. René Belin conclut son rapport : « Il a été ainsi possible d’éviter la mise en coupe réglée de la zone occupée ». Il ajoute que ce résultat a pu être acquis, parce

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que les négociateurs du ministère (Jacques Barnaud, Jean Bichelonne et Henri Lafond) ont réussi à amener les Allemands « à une véritable compréhension des besoins de l’économie française... » et à leur faire admettre que « l’industrie française était capable de tenir sa place à côté de l’industrie allemande »103.

• Substituer les «   commandes   » aux réquisitions   : la convergence.

104 AN, F 37 20, d. « Études sur la collaboration économique franco-allemande », Note citée, p. 2. (...)

42Une importante note interne (de l’automne 1941), trouvée dans les papiers de Jacques Barnaud à la DGREFA, sur « les rapports économiques franco-allemands » donne des précisions supplémentaires sur les mobiles gouvernementaux à l’œuvre à l’été 1940 (époque à laquelle Jacques Barnaud dirigeait le cabinet de René Belin). Le souci majeur a été alors de parvenir à « éviter (...) qu’il y ait deux France, dont l’une — la plus importante — où les autorités allemandes règnent en maître, soumise au régime des réglementations et des ordonnances allemandes. Le développement d’un tel état de fait n’eût pas manqué de créer des sentiments de jalousie de la part de la population de zone occupée vers celle de la zone libre et bientôt l’hostilité contre le Gouvernement »104.

105 Cf. Le Gouvernement..., op. cit., p. 100 et suiv.

106 AN, F 37 20, note citée, p. 2 ; souligné par nous.

107 Idem, p. 2-3.

43Ainsi, à l’époque, comme a posteriori, les responsables de l’économie — notamment René Belin et François Lehideux — présentent les nouvelles structures de direction industrielle comme un écran destiné à éviter la mainmise allemande sur la zone occupée et à arrêter les réquisitions105. La note de la DGREFA poursuit : « La création des Comités d’organisation a été rendue indispensable par la nécessité de placer en face des

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autorités allemandes dans tous les secteurs de la vie économique, des personnalités qualifiées, capables de discuter avec le vainqueur la libération des usines et en contre-partie les modes de passation des commandes »106. De même, la création de l’OCRPI aurait seule permis d’obtenir le « déblocage des matières premières », et d’empêcher que les occupants ne soient « les maîtres absolus de notre économie »107.

108 Cf. Alan S. Milward,The New..., op. cit., p. 48.

109 Cf.  Ibid., p. 49 ; Pierre Arnoult, Les finances de la France et l’Occupation allemande (1940-1944) (...)

110 Documents on German Foreign Policy (DGFP), Séries D, X, n° 116 ; cité par Alan S. Milward, The New (...)

44Au même moment, le 4 juillet 1940, lors d’une conférence entre les services de Ribbentrop et ceux de Goering (du Plan de Quatre Ans), est décidée la constitution d’une Délégation économique à la Commission allemande d’Armistice, siégeant à Wiesbaden. Elle est placée sous la présidence de Johannes Hans-Richard Hemmen, haut fonctionnaire zélé de la Wil-helmstrasse108. La mise en place de cette délégation constitue un infléchissement dans la politique allemande :  la politique de pillage est peu à peu abandonnée, au profit de négociations rigoureuses — au cours desquelles Hemmen se révèle intraitable — destinées à obtenir des Français des concessions supérieures à celles contenues dans l’Armistice.Les papiers de Hemmen confirment qu’il n’a cessé de se conformer aux directives lui enjoignant de faciliter l’intégration économique et financière de  la France entière dans l’effort de guerre allemand109. Et les documents allemands saisis par les Américains à la fin de la guerre soulignent que la tâche de la Délégation consiste notamment à « placer le potentiel économique du territoire non occupé au service de l’économie de guerre allemande »110. Ainsi, la nouvelle politique allemande peut trouver unterrain de convergence — malgré des perspectives évidemment différentes — avec le souci des dirigeants de Vichy d’écarter les réquisitions et de s’engager

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dans des négociations sur des « commandes ». L’Occupant espère obtenir l’avantage d’accéder aux ressources de la zone non occupée et au contrôle de leur répartition, en échange de l’acceptation d’une organisation industrielle française en zone occupée, qui demeure toutefois sous contrôle allemand.

• Le prix de la substitution   : l’intégration de la zone «   libre   » dans l’effort de guerre allemand.

111 AN, F 37 20, note citée, p. 3.

45Pour prix de la politique de « présence » en zone occupée, le Gouvernement de Vichy a dû accepter une double concession. Tout d’abord, il semble que  les dirigeants français aient voulu originellement limiter les structures nouvelles (CO ; sections de répartition) à la zone occupée, afin de prévenir la mise en place d’une organisation allemande.C’est sous la pression de l’Occupant qu’elles ont été étendues aux deux zones : « Nous avons dû accepter que l’action de ces comités et de ces sections s’étende à la zone libre comme à la zone occupée, mais nous avons pu ainsi obtenir qu’elle échappe, sinon au contrôle, tout au moins à la direction de l’Allemagne »111. En échange de la substitution du « contrôle » à la « direction » de l’Allemagne sur l’économie de la zone occupée, Vichy doit accepter l’extension de ce « contrôle » aux organismes (CO, sections de répartition) de la « zone libre ».

112 Idem.

113 Idem.

114 Idem.

115 Idem.

46Seconde concession, les autorités françaises consentent à ce que les fournitures au Reich soient également prélevées en zone « libre ». La note de la DGREFA poursuit : « les livraisons de coton, de laine, de cuir, de métaux, de denrées alimentaires

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effectuées à l’Allemagne proviennent en partie de la zone libre et (...) nous avons volontairement déclaré à l’administration occupante les stocks de nos matières premières de zone libre »112. Les services de Jacques Barnaud signalent qu’il s’agit là, de la part du Gouvernement, « de très lourds sacrifices qui lui ont été souvent reprochés »113. Cette attitude est dictée par l’idée d’éviter les réquisitions à la zone occupée, et ainsi 1’« hostilité » de la population : « Le Gouvernement pourrait soustraire la zone libre à tout contrôle économique allemand et à toute fourniture au Reich, en livrant la zone occupée au régime des réquisitions d’usines, de matières premières, de main-d’œuvre et des réglementations de toute nature ; il ne l’a pas fait jusqu’à présent et on comprend qu’il n’accepte de le faire que si aucune alternative ne se présente à lui »114. La note ajoute même que « d’autres concessions importantes » pourraient être consenties à l’avenir, « pour maintenir une certaine autorité du Gouvernement dans les régions du nord soumises au commandement militaire de Bruxelles »115.

116 Idem ; souligné par nous.

117 Idem.

47Un tel choix se situe dans la droite ligne de la politique de « présence » et, plus généralement, de l’option de l’armistice : « On ne peut comprendre la politique suivie par ceux qui ont eu depuis plus d’un an la charge de discuter avec les autorités allemandes les questions d’ordre économique si on perd de vue qu’elle a été entièrement dominée par le souci de maintenirla souveraineté du Gouvernement sur l’ensemble du territoire et l’unité économique du pays (...). Cette attitude est la raison même et la justification principale de l’acceptation des conditions d’Armistice par le Maréchal et de sa volonté de demeurer sur le sol français malgré la présence de l’ennemi »116. La double soumission de la zone « libre » au contrôle économique allemand et aux fournitures au Reich représente le prix payé pour le maintien de 1’« unité économique » du pays. Le gouvernement peut ainsi se féliciter d’avoir empêché l’existence de deux réglementations

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différentes, et obtenu que « la réglementation du travail, celles (sic) concernant les restrictions, la vie du français en un mot (soit) la même en zone occupée et en zone libre »117.

• L’engrenage des «   contrats   » allemands. 118 Idem, p. 2.

119 Cf.  infra, chapitre XVII.

48Face aux réquisitions et aux saisies opérées en zone occupée, l’alternative, telle que perçue par les responsables français, est ainsi formulée : « ou bien assister passivement à la mainmise des Allemands sur la substance économique du pays », ou bien la méthode retenue, à savoir « substituer aux prélèvements désordonnés et incontrôlables, un programme établi en vertu de contrats commerciaux normaux et selon un ordre de priorité déterminé »118. Le souci des dirigeants du MPI consiste à essayer de maîtriser, à travers un service spécial, les commandes allemandes. Or, dès la fin de  juillet, des officiers et industriels allemands manifestent leur intérêt pour des contrats de livraison de bauxite et d’aluminium provenant de la zone Sud. Et le 8 août, à Wiesbaden, Hemmen fixe un chiffre exorbitant pour les « dépenses d’occupation », complétant ainsi la machine d’exploitation économique119. L’intérêt allemand se porte rapidement sur de nombreuses matières premières, produits alimentaires et semi-produits. Les conditions de négociation vont très vite montrer qu’il ne peut s’agir, comme l’espèrent les dirigeants français, de véritables « contrats commerciaux normaux ». Même avec la maîtrise des commandes et fournitures à l’Allemagne — ce qui ne sera jamais le cas, du fait de la multiplicité et de la complexité du réseau des acheteurs et de leurs exigences croissantes — le MPI ne peut être assuré d’être reconnu comme un partenaire traité à égalité. Dans ces conditions, il ne reste plus qu’à freiner les appétits de l’Occupant. Or, les structures françaises de direction de l’économie ne se présentent pas sans équivoque.

• Les contradictions du mimétisme.

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120 AN, F 12 10102, d. « occupation allemande, M. Claudot », Note sur les méthodes employées par l’Adm (...)

121 Cf. Le gouvernement..., op. cit., p. 205.

49L’organisation allemande en France apparaît à la fois lourde et compliquée, en particulier en matière économique. L’Économie (Abteilung Wirtschaft) se présente comme le plus important des deux départements, qui composent l’Administration militaire (Militärverwaltung), organisme siégeant à l’Hôtel Majestic, regroupant 600 personnes à statut militaire, et chargé d’administrer la France, sous l’autorité du docteur Elmar Michel. Ce département comprend six divisions, dont la seconde (Production industrielle) est l’une des plus puissantes : elle-même se subdivise en douze groupes (Wirtschaftgruppen), intitulés « WI II A » à « WI II N », correspondant aux Fachgruppen de l’organisation professionnelle allemande des Reichgruppen. Ces groupes et sous-groupes sont placés sous l’autorité d’un Referatsleiter120. Or, sans être totalement calqué sur l’organisation allemande, l’appareil de direction industrielle mis en place à l’été 1940 par le MPI, a dû s’en inspirer et s’y ajuster. En particulier, les douze sections de l’OCRPI correspondent aux douze groupes allemands. C’est d’ailleurs, d’après René Belin, sur la suggestion des services du Majestic, que son cabinet a comblé la « lacune » de la loi du 16 août 1940 en instituant les douze sections de répartition de la loi du 10 septembre121(cf. fig. 8, page suivante).

Figure 8-L’ORGANISATION ALLEMANDE DE DIRECTION DE L’ÉCONOMIE OU LES CONTRADICTIONS DU MIMÉTISME

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(Source : AN, F12 10102, note citée, cf. page précédente.)

122 Cf. Jacques Delarue,Crimes et trafics sous l’Occupation, Paris, 1968.

123 AN, F 12 10102, d. « Occupation allemande, M. Claudot », Rapport de M. Bellier, EG 12729, 5 mars 1(...)

124 Idem, note citée ; souligné par nous : la création du secrétariat à la Répartition était destinée(...)

125 Yves Bouthillier, Le drame..., op. cit., t 2, p. 253.

50L’économie et les finances françaises se trouvent en fait placées principalement face aux exigences d’un triple interlocuteur : les autorités militaires du Majestic, les négociateurs de Wiesbaden (soumis à la Wilhelmstrasse), et même les responsables de l’organisation professionnelle allemande (dépendant de Goering), sans compter d’autres services menant une politique propre (organisation Todt, Front du Travail, etc.), ni la prolifération de divers bureaux d’achat, dont certains s’avèrent plus ou moins occultes122. Au début de 1945, le secrétariat général à la Production (SGP) du MPI a procédé à une enquête auprès de ses différentes directions sur les « méthodes employées par l’Administration militaire allemande en France », afin d’en tirer des enseignements,

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destinés aux futurs services français d’occupation en Allemagne. Dans le rapport de la direction des Industries mécaniques et électriques (DIME), rédigé par l’ingénieur en chef Bellier — successivement directeur-adjoint, puis directeur de la DIME de 1940 à 1944 — on peut lire : « Dès les premiers mois de l’Occupation, l’organisation de la production groupant les industries dans les Comités d’organisation et créant l’OCRPI (...) facilita le contrôle allemand par la correspondance qu’elle établit entre les organisations industrielles des deux pays »123. Les CO sont surveillés par les Referatsleiter correspondants, qui leur réclament des renseignements. De manière plus étroite, les douze sections et la section centrale de l’OCRPI sont toutes soumises au contrôle de « Referat » allemands. Le rapport général du SGP, en avril 1945, précise : « L’emprise allemande sur l’OCRPI fut encore plus nette et ce fut là le moyen le plus efficace de diriger et de contrôler toute l’économie française »124. Les dirigeants français s’engagent ainsi, en juillet 1940, dans une logique redoutable (perceptible également dans d’autres domaines que celui de l’organisation industrielle), dès le moment où  ils obtiennent des Autorités d’Occupation la possibilité de conserver la maîtrise d’un appareil de direction économique — à bâtir —sous la condition qu’il s’apparente et s’ajuste à l’organisation et aux besoins allemands. Yves Bouthillier l’exprime à sa manière, dans sesMémoires : « ... pour soutenir la pression d’un régime totalitaire sur notre économie, il nous le fallait imiter en quelque mesure »125.

• La vaine recherche d’une «négociation d’ensemble» et d’«utiles concessions allemandes   ».

126 Ibid., p. 111.

127 Ibid., p. 491.

128 Ibid., p. 90.

129 Ibid., p. 131 ; souligné par nous.

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51Dès les premières semaines de l’Occupation, les termes de l’Armistice sont dépassés en matière économique et financière, en particulier du fait de la lourdeur des « dépenses d’occupation » et des exigences allemandes de matières premières. Les dirigeants français espèrent, en échange de commandes ou d’accords particuliers, obtenir une « négociation d’ensemble », où pourraient être révisées certaines mesures d’application de l’armistice (portant sur l’assouplissement de la ligne de démarcation, les prisonniers ou le montant des frais d’occupation). Ainsi, à l’égard d’éventuelles cessions de participations financières françaises — on y reviendra — Yves Bouthillier ne se montre pas hostile par principe, « mais nous entendions qu’elles fissent l’objet d’une négociation d’ensemble qui nous eût permis (...) d’obtenir d’utiles concessions allemandes »126. Dès sa première conversation avec Johannes Hemmen, le 27 août 1940, le ministre des Finances essaie de faire entendre à son interlocuteur que  l’intérêt bien compris de l’Allemagne consiste à ne pas écraser la France à travers un tribut trop lourd127. Jusqu’au retour de Pierre Laval, en 1942, il tente, en vain, de faire entendre la même argumentation, afin d’alléger les versements quotidiens : « L’argumentation était d’enserrer le Reich dans une contradiction : il ne pouvait à la fois ruiner l’économie française et prétendre à l’employer dans son effort financier et militaire »128. Cinq années après la fin de la guerre, Yves Bouthillier pense que « le dépassement de l’armistice est la grande revanche de la France sur l’Allemagne au lendemain du désastre de 1940 »129.

130 AN, F 37 27, d. « Aide apportée par l’Allemagne à l’économie française », Note « avantages que rep (...)

52Le raisonnement sur l’intérêt bien compris de l’Allemagne a été maintenude manière durable. Un rapport interne de la DGREFA (rédigé à la fin de 1941) sur les «avantages que représentent (sic) pour l’économie française sa situation actuelle vis-à-vis de l’Allemagne », insiste sur les « raisons de fait », qui font que l’Allemagne « trouve son intérêt à prêter assistance à la France dans le domaine économique ». Il est précisé : « L’Allemagne mène un combat très dur pour lequel

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elle a besoin de l’aide de l’économie française. Elle a donc intérêt à ce que la production française soit la mieux agencée possible. Le Gouvernement français, de son côté, a été conduit à accepter cette collaboration sur le plan économique. Elle est incluse dans l’armistice si l’on reconnaît que l’économie française ne pouvait être arrêtée du jour au lendemain »130. On sait que jamais les dirigeants de Vichy n’ont pu obtenir de « négociation d’ensemble », ni d’« utiles concessions allemandes », qui ne soient contrebalancées par des concessions beaucoup plus lourdes. Jusqu’en 1942, la Délégation économique à la Commission allemande d’Armistice de Wiesbaden — transportée à Paris le 31 mars 1941 — exprime les principales exigences allemandes en matière économique. La Délégation française est dirigée par Yves Bréart de Boisanger, assisté notamment par M. Raty pour les affaires commerciales et Maurice Couve de Murville pour les affaires financières. Mais les autorités d’Occupation n’hésitent pas éventuellement à solliciter directement le gouvernement français, et profiter ainsi des incertitudes et rivalités entre services. Il faut attendre février 1941, pour qu’avec la DGREFA, il y ait une certaine cohérence dans les rapports économiques avec l’Allemagne, à travers la mise sur pied d’un service spécial. Son titulaire, Jacques Barnaud, d’abord collaborateur de Yves Bouthillier, puis de René Belin, apparaît comme l’un des principaux stratèges de la politique de « dépassement » de l’armistice.

2. L’équivoque de l’appareil dirigiste   : structures de court ou de long terme   ? 53L’appareil de direction économique et financière présente une seconde équivoque. Il apparaît que, dans le court terme, les structures de direction économique et financière, adoptées dès l’été 1940, répondent à une contrainte : outre celle de l’emprise allemande en zone occupée — déjà analysée — il y a la pénurie et la désorganisation de la production et des échanges. Mais, au-delà de la réponse aux nécessités

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immédiates, ces structures ne répondent-elles pas à des besoins conçus par les nouveaux dirigeants comme devant perdurer, lors de la paix future ?

• L’«   intérim de la liberté   » et la «   relève des capitalistes   ».

131 Jean Bichelonne, L’État actuel..., op. cit., p. 4.

132 Cf. Robert Catherine,L’économie..., op. cit., p. 2 et suiv.

133 Jean Bichelonne, L’État actuel..., op. cit., p. 21-22.

54Appelé, en janvier 1942, à prononcer une conférence à l’École libre des Sciences politiques sur 1’« État actuel de l’organisation économique française », Jean Bichelonne, alors secrétaire général à la Production et secrétaire à la Répartition, en évoquant la mise en place des organes de direction économique peu après la défaite, précise : « Quelles que fussent ses préférences doctrinales, chacun sentit bien qu’une seule méthode était possible : il fallait instaurer rapidement une économie dirigée. La naissance de l’économie dirigée n’a donc aucun fondement théorique, elle a un point de départ essentiellement pratique »131. Parmi les servitudes issues de la défaite et de l’armistice, il faut compter la disparition de stocks, la dispersion de forces matérielles et humaines, le compartimentage étanche des cinq fractions du territoire français, les effets du blocus. L’un des problèmes les plus aigus est l’arrêt des importations de matières premières, même des colonies, et l’indisponibilité des principales ressources minières, désormais en zone interdite. Les ressources en charbon ne représentent — malgré la résolution d’intensifier la production des houillères du Centre-Midi — que quarante pour cent de celles de 1938. Pour l’acier, elles tombent à un cinquième. Pour les métaux non ferreux, elles vont de 11,5 % (nickel) à 35 % (zinc). Le déficit des produits pétroliers apparaît encore plus grave (six pour cent pour le carburant automobile, à peine trente pour cent pour les huiles de graissage). La nécessité de répartir rapidement des ressources, désormais rares, afin de

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faire redémarrer l’économie française, apparaît comme une préoccupation précoce des responsables du ministère des Finances ou de la Production industrielle132. Ainsi, Jean Bichelonne se défend d’avoir voulu bâtir, à travers l’OCRPI, « une machine à broyer l’industrie et le commerce », et ajoute qu’il s’agit là d’une « construction empirique », la chronologie échelonnée de la création des douze sections venant, selon lui, confirmer l’idée que la répartition est conçue comme une « suite d’adjuvants », rendue nécessaire chaque fois que les ressources ont paru insuffisantes133.

134 Yves Bouthillier, Le drame..., op. cit., t. 2, p. 254 ; souligné par nous.

135 Ibid., p. 250 ; souligné par nous.

136 Ibid., p. 248 ; pour la correspondance d’industriels réclamant le secours de l’État, cf. AN, F 12 (...)

55Yves Bouthillier va plus loin dans ses Mémoires, où il affirme que les entrepreneurs privés, lors de la défaite, n’ont eu ni les possibilités, ni les moyens suffisants — en particulier en zone occupée — pour remettre seuls en marche la machine économique. Devant la pénurie et la pression allemande, les mécanismes libéraux ne pouvaient remplir leur fonction : « Nous devions les [les Français] diriger, nous substituer à leurs réflexes habituels, choisir pour eux, bref organiser l’intérim de la liberté (...). Le recours à l’appareil bureaucratique ne pouvait être évité »134. Ainsi, en matière financière, il précise : « Tant que le rétablissement de l’activité économique fut entravé par le trouble du pays, l’action de l’État suppléa celle de l’initiative individuelle. Le Trésor fit la relève des capitalistes »135. Il ajoute même — ce qui semble être partiellement confirmé par la correspondance reçue au ministère de la Production industrielle — que, dans le désarroi de la défaite et de l’exode, le recours à l’État, de la part des entrepreneurs privés, a été général : « Le fait le plus frappant de l’état des esprits, était une acceptation unanime de la tutelle de l’Etat, d’une tutelle immédiate et forte. Moralement, personne ne se sentait plus à même de porter seul le poids des responsabilités »136. Cette emprise de l’État, à

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l’occasion du malheur des temps, répond certes au souci de court terme de faire face à une nécessité transitoire. Mais elle peut correspondre aussi, et parfois simultanément, à la volonté de saisir l’occasion de faire triompher,de manière durable, des préférences dirigistes ou corporatistes. Il n’est pas toujours aisé pour l’historien de démêler affirmations conjoncturelles et positions de principes.

• «   Une forme durable d’économie dirigée   ».

137 AN, 74 AP 3 à 5 (Papiers Bouthillier), p.-v. de l’entretien Bouthillier-Hemmen du 27 août 1940 ; r (...)

138 René Belin in Le gouvernement..., op. cit., p. 206.

139 Bertrand de Jouvenel,Un visiteur dans le siècle,Paris, 1979, p. 435-436. Passage cité par René G(...)

140 Jean Bichelonne, L’État actuel..., op. cit, p. 9 et p. 23 ; souligné par nous.

56Yves Bouthillier s’est proclamé adepte de principes libéraux avant la guerre. Or, lors de son entretien avec Johannes Hemmen, le 27 août 1940, il affirme : « Certains Français avaient, dès avant la dernière guerre, compris que les principes du libéralisme qui avaient fait la fortune du XIXesiècle étaient périmés. Le contrôle des changes avait été préparé en France bien avant le mois de septembre 1939 (...) auparavant, une politique fondée sur le contrôle des changes était impossible, étant données les institutions politiques »137. Certes, il s’agit là d’un discours destiné à impressionner favorablement l’un des principaux négociateurs de la puissance occupante. Mais deux témoignages confirment qu’il n’y avait alors nul double langage chez le ministre des Finances. René Belin raconte avoir subi, en juillet 1940, une sorte d’examen de passage, face à Yves Bouthillier, entouré d’un aréopage d’inspecteurs des Finances. Évoquant, à partir de ses réflexions sur le Plan de la CGT de 1935, « la nécessité conjoncturelle (...) de mettre le libéralisme

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en sommeil », il éprouva une certaine surprise en découvrant l’acquiescement empressé de son auditoire138. Et, quelques mois plus tard, une remarque du ministre à Achille Dauphin-Meunier, telle que rapportée par Bertrand de Jouvenel, pousse plus loin la confidence : « J’ai toujours été dirigiste. Seulement, je n’affirmais pas mon opinion sous le régime précédent (...) je considérais que faire de l’économie dirigée, c’était donner de grandes possibilités à des gouvernements qui en auraient mésusé. Je ne voulais pas consolider ce régime »139. Au-delà même des affirmations de principes, il se développe, dès les premiers mois de l’Occupation, dans divers lieux, en pardculier au MPI, mais aussi rue de Rivoli, des réflexions sur  les organes et mécanismes techniques d’une organisation industrielle durable (c’est-à-dire pour le temps de paix), et notamment sur la théorie de la répartition. L’une des traces les plus remarquables de ces réflexions se retrouve dans la conférence — déjà citée — de Jean Bichelonne, dans laquelle il affirme : « La répartition générale est une forme durable d’économie dirigée. Elle me paraît destinée à subsister même en temps de paix (...). Cette répartition primaire, elle, est un phénomène durable, et un phénomène nécessaire dans l’État moderne et qu’on ne peut laisser régler par le processus adaptatif vraiment trop simple et trop aveugle de l’économie libérale »140.

***

CONCLUSION DU CHAPITRE XVI57Alfred Sauvy distingue parmi les Français occupés les « combattants » et ceux qui sont « soucieux de vivre le moins mal possible ». Les experts et les gouvernants signataires de l’Armistice se rangent naturellement dans le second groupe. La pénurie, la défaite et le rejet des structures du régime défunt les conduisent à envisager la construction d’un nouvel appareil de direction économique et financière. Mais, dès l’origine, cet appareil est tributaire d’une « double équivoque ». Tout d’abord, il doit s’adapter à la future « pax germanica ». Quels que soient les sentiments profonds des experts et des gouvernants — on ne peut savoir avec certitude la part (sans doute infime) de ceux qui ont pu vouloir contribuer à la victoire

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allemande — ils situent néanmoins leur action dans cette perspective, jugée réaliste. De plus, la logique de l’Armistice les conduit à vouloir assurer une politique « de présence », même en zone occupée, par peur d’un double vide, social et politique. Aussi, se trouvent-ils conduits en contrepartie à accepter de faire passer les structures et les ressources de la zone Sud sous le contrôle des autorités d’Occupation. Et, d’une manière générale, l’appareil étatique français subit  les contradictions du mimétisme à l’égard des structures allemandes.

58Enfin, le souci d’alléger les conditions issues de l’Armistice conduit les dirigeants à insister sur la convergence de l’intérêt bien compris des deux États : mais ce « dépassement de l’Armistice » peut conduire bien au-delà d’une simple cohabitation contraignante. Même si tous ne pensent pas, comme Jacques Benoist-Méchin l’écrit en 1944, que la défaite a constitué « un don inespéré que semblait nous apporter l’excès même de notre malheur », l’ambiguïté fondamentale provient du fait que, pour plusieurs des experts et des gouvernants, la réforme étatique intérieure est déterminée, en amont, par l’insertion dans une Europe continentale à dominante allemande. D’autre part, la défaite offre l’occasion de rejeter les mécanismes libéraux, non seulement pour le temps des hostilités, mais aussi pour l’après-guerre. Et ce ralliement à un dirigisme durable à la fois des finances et de la production se maintient au-delà des premiers mois. Un an après la défaite (le 27 août 1941), François Lehideux avertit : « Il ne faut (...) pas croire qu’on pourra revenir à une formule de libéralisme et de facilité ; cet ère de facilité est révolue. La France ne se sauvera que par une discipline permanente et tenace ». Ainsi se trouvent posés les fondements de  l’engrenage dirigiste.

NOTES

1 Cf. Yves Durand, Vichy (1940-1944), Paris, 1972, 176 p. ; Robert O. Paxton, La France de Vichy 1940-1944, trad. fr., Paris 1973 (375 p.), p. 247 et suiv.

2 Yves Bouthillier, Le drame de Vichy, I, Face à l’ennemi, face à l’allié, Paris, 1951, p. 13.

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3 Propos d’Henri Moysset à Darlan, rapportés par Jean-Pierre Azéma, De Munich à La Libération 1938-1944, Paris, 1979 et 1986, p. 86.

4 Cf. Richard F. Kuisel, Le Capitalisme..., op. cit., ch. V, p. 227 et suiv. ; cf. J. C. Germain-Thomas, Un exemple d’économie de contrainte : les idées et l’administration du gouvernement de Vichy en matière économique et sociale, thèse de droit, 1969.

5 Jean-Pierre Azéma, De Munich..., op. cit., p. 87. La plupart de ces hauts fonctionnaires devenus ministres sont nés après 1900 ou peu avant (Jacques Barnaud en 1893, Jean Berthelot en 1897).

6 Cf. Jean Berthelot, Sur les rails du pouvoir (de Munich à Vichy) ; Paris, 1968, 322 p.

7 Cf. Le Gouvernement de Vichy - 1940-1942(Colloque FNSP, 6-7 mars 1970), Paris, 1972, p. 88 et suiv. et René Belin, Du secrétariat..., op. cit.

8 René Belin in Le gouvernement..., op. cit., p. 206. Cf. également Alfred Sauvy,La vie économique des Français de 1939 à 1945, Paris, 1978, 256 p. C’est Bouthillier qui recommande Barnaud à Belin.

9 Cf. Stanley Hoffman, Sur la France, Paris, 1976, p. 72 et suiv. ; Robert O. Daxton, La France..., op. cit., p. 247 et suiv. ; Jean-Pierre Azéma, De Munich..., op. cit., p. 87 et suiv.

10 La DGREFA siège au sein du ministère des Finances. Les archives de cette délégation (série F 37) sont toutefois conservées aux AN, et non aux AEF.

11 Cf. Gérard Brun, Technocrates..., op. cit.

12 Yves Bouthillier, Le drame..., op. cit., t. 2, Finances sous la contrainte, p. 245.

13 Ibid., p. 245.

14 Témoignage de Henri Deroy in Le gouvernement..., op. cit., p. 100.

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15 Yves Bouthillier, Le drame..., op. cit., t. 2, p. 418.

16 Secrétariat d’État à l’Économie nationale et aux Finances, L’action économique en France depuis l’armistice, Paris, 1941, 182 p., préface d’Yves Bouthillier, p. 5-6.

17 AN, F 60 424, d. « documentation économique », Lettre de René Belin au maréchal Pétain, août 1940, p. 3.

18 Idem, p. 5.

19 Idem, p. 5.

20 Idem, p. 5.

21 Idem, p. 5 ; Yves Bouthillier évoque également la tentative de « nazification de la classe ouvrière » (Le drame..., op. cit., t. 2, p. 247).

22 Idem, p. 8 et 10.

23 Idem, p. 10.

24 Yves Bouthillier, Le drame..., op. cit., t. 2, p. 247.

25 Cf. Hervé Alphand, L’étonnement d’être, Journal. 1939-1973, Paris, 1977 (614 p.), p. 50. Son éloignement résulte du fait que l’entourage de Bouthillier le considère comme un « abominable belliciste » (Ibid., p. 50).

26 Yves Bouthillier, Le drame..., op. cit., t 2, p. 256.

27 AN, F 60 590, p.-v. des séances du CEI-1941. Pierre-Étienne Flandin préside, lors de sa brève vice-présidence du gouvernement. Cf. note de Yves Bouthillier, 22 janvier 1941.

28 On trouve les p.-v. des séances dans AN, F 60 590 et 591 ; AN, AG II 544-545 (Archives du maréchal Pétain) ; AN, F 37 1 à 8 (Papiers Jacques Barnaud).

29 L’action économique..., op. cit., p. 58.

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30 AN, F 60 590, Lettre d’Yves Bouthillier à l’amiral Darlan, 14 avril 1941, 1 p.

31 Henry Rousso, « Les paradoxes de Vichy et de l’Occupation - Contraintes, archaïsmes et modernités » in Le capitalisme français..., op. cit., p. 67-82.

32 Cf.  infra, chapitre XX.

33 AN, F 60 590, p.-v. de la séance du 24 mai 1941 du Conseil d’Études économiques à Vichy (Libersart, 12 juin 1941), introduction de Yves Bouthillier.

34 On trouve également Romieu, Leroy-Ladurie, Charbin, Halle.

35 Idem, p.-v. de la séance du 14 juin 1941 du Conseil d’Études économiques, p. 8.

36 Idem, p.-v. cité, p. 8.

37 Yves Bouthillier, Le drame..., op. cit., t. 2, p. 267.

38 Cf. AG II 544, Liste des intendants des Affaires économiques, 1 p. Parmi eux, notons Yrissou (Limoges), Grimanelli (Poitiers), Faure (Rennes), on trouve plusieurs p.-v. des réunions des intendants dans AN, F 60 424.

39 Cf.  infra, chapitre XXIII.

40 JO, 18 août 1940. Cf. le mémoire de maîtrise d’Henry Rousso, « Les Comités d’organisation, Aspects structurels et économiques, 1940-1944 », Paris I, 1976.

41 René Belin in Le gouvernement..., op. cit., p. 203.

42 Yves Bouthillier, Le drame..., op. cit., t. 2, p. 274. Il y est question de Pierre Larroque (sic).

43 Cf. supra, chapitre XII.

44 Cf. AN, 468 AP 30, d. 6 « La guerre... », s. d. c.

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45 AN, 468 AP 30, d. 6, « La guerre... », s. d. c., doc. n° 12, COST, JC/GB, 24 août 1940, 5 p.

46 AN, 468 AP 31, d. 1, « La guerre... », s. d. c., doc. n° 41, COST, JC/GB, 30 novembre 1940, 2 p.

47 AN, 468 AP 30, doc. cité (cf. note 6).

48 AN, 468 AP 31, d. 1 cité, s. d. a., doc. n° 32-2, COST, 14 novembre 1940, « Ébauche d’une stratégie économique », 15 p.

49 AN, F. 12 10157, d. « 221-H2 », Rapport sur l’activité du MPI du 15 juillet au 15 novembre 1940 ; adressé au maréchal Pétain ; signé René Belin, EC/YL, 17 novembre 1940, 24 p.

50 Idem ; les premiers CO formés sont : automobiles ; textiles ; vêtement ; matériel ferroviaire ; cuirs ; sidérurgie (industrie et commerces) ; combustibles minéraux solides ; chaux et ciment ; énergie électrique ; fonderie ; industrie chimique. François Lehideux est nommé président-responsable du COA, le 30 septembre 1940. Cf. Henry Rousso « L’organisation industrielle de Vichy »,RHSGM, 1979, n° 116, p. 27-44.

51 Jean Bichelonne, L’État actuel de l’organisation économique française,conférence du 20 janvier 1942 à l’École libre des Sciences politiques, brochure, 1942 (40 p.), p. 28.

52 Ibid., p. 29.

53 Cf. Richard F. Kuisel, Le capitalisme..., op. cit., p. 234 et suiv. ; Henry Rousso,art. cité.

54 Témoignage de Pierre Laroque (France-Culture, octobre 1986).

55 Robert Catherine, L’économie de la répartition des produits industriels, CII, Paris, 1943, p. 17.

56 René Belin in Le Gouvernement..., op. cit., p. 206.

57 Jean Bichelonne, « L’État actuel..., op. cit., p. 11.

58 AN, F 12 10157, d. « 221-H2 », Rapport sur l’activité du MPI..., cité, p. 5.

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59 Cf.  Idem, d. « textes » ; on y trouve les différents décrets sur la répartition.

60 Cf. AN, F 12 10157, d. « 221-H2 », circulaire du Secrétariat d’État à la Production industrielle (SEPI), signée Pierre Pucheu, SRD 717, 13 mai 1941, 11 p. Cf.  JO, 27 mars 1941. La Section centrale de l’OCRPI comprend 5 services : Études générales ; Coordination régionale ; Coordination de la statistique ; Récupération des vieilles matières ; Financiers et administratifs.

61 Cf. Robert Catherine, L’économie..., op. cit., p. 21.

62 AN, F 60 590, p.-v. de la séance du 23 janvier 1941 du CEI, mouture Moreau-Néret, 4 p.

63 Idem.

64 Idem, p.-v. de la séance du 24 mai 1941 du Conseil d’Études économiques (Vichy).

65 Idem, p.-v. de la séance des 30 et 31 janvier 1941 du CEI.

66 Idem, cf. p.-v. des séances des 28 mars, 26 juin 1941 ; et AN, F 60 591, p.-v. de la séance du 1er octobre 1941.

67 Idem, p.-v. de la séance du 28 mars 1941. Les disponibilités, en pourcentage de celles de 1939, s’établissent ainsi : zinc (35 %), cuivre (28 %), plomb (16,8 %), nickel (11,5 %), essence-auto (14 °/o), pétrole lampant (16 %), fuel domestique (4 %), essence de graissage (26 %).

68 AN, F 60 591, p.-v. de la séance du 1er octobre 1941.

69 Cf.  infra, chapitre XVIII.

70 Jean Bichelonne, L’État actuel..., op. cit., p. 21.

71 AN, F 60 10157, d. « 221-H2 », Rapport sur l’activité du MPI..., cité, p. 1.

72 Cette arrestation serait due à la réalisation de l’opération de sauvetage de l’eau lourde dans le ministère Dautry. Ces trois semaines, dont on ne sait rien, ont donné matière à des

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interprétations contradictoires et parfois malveillantes (interview de Louis Frank, Neuilly, décembre 1986).

73 AN, F 60 357, d. « organisation du MPI »,  JO, 29 septembre 1940, cf. également AN, F. 37 28, d. « Effectifs et attributions du ministère du Commerce avant la guerre, pendant la guerre ».

74 AN, F 60 590, p.-v. de la séance du 18 avril 1941 du CEI.

75 Idem.

76 Idem ; souligné par nous.

77 Idem.

78 Idem.

79 Idem.

80 Parmi les cours publiés, on trouve ceux de Henry Laufenburger, Raymond Boisdé, Max Lambert, Gaston Défossé, Georges Hoog ; sont publiés aussi des ouvrages de Robert Catherine, ainsi que des conférences de Henri Culmann, P. Dieterlen et A. de Tavernost.

81 AN, F 60 590, p.-v. cité. En marge, une note manuscrite indique : « mécanique colossale ».

82 Idem.

83 Cf. P. Lehideux-Vernimmen, « La fonction de commissaire du gouvernement dans la nouvelle organisation de l’économie », Paris, thèse de doctorat, 1942.

84 AN, F. 12 10157, d. « 221-H2 », Observation sur le rapport Belin, s. a., Vichy, 1er décembre 1940, 2 p.

85 Idem.

86 Cf. Henry Ehrmann, La politique..., op. cit. et Henry Rousso, art. cité.

87 René Belin in Le gouvernement..., op. cit., p. 204.

88 Cf.  infra, chapitre XVII.

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89 AN, F 60 590, p.-v. de la séance du 30 janvier 1941 du CEI.

90 AN, F 37 20, d. « Études sur la collaboration économique franco-allemande », Note sur les rapports économiques franco-allemands depuis l’armistice », s. a., s.d. (mais de l’automne 1941), 5 p.

91 René Belin in Le gouvernement..., op. cit., p. 89.

92 Ibid., p. 99-100.

93 AN, F 37 32, d. « construction d’une nouvelle usine d’alumine en France », Lettre de l’Aluminium français au ministre de la Production industrielle, signée Jean Dupin, 11 juin 1941, 2 p.

94 Idem, d. cité, note de M. Terray, MH, 19 juin 1941, 2 p.

95 Cf. chronologiquement Henri Michel, Vichy ; année 40, Paris, 1966, 461 p. ; Eberhard Jàckel, La France dans l’Europe de Hitler, trad. fr. Paris, 1968, 554 p. ; Yves Durand, Vichy..., op. cit. ; Robert O. Paxton, La France..., op. cit. ; Jean-Baptiste Duroselle, L’Abîme 1939-1944, Paris, 1982 et 1986, 611 p.

96 Analyses confirmées récemment par Fred Kupferman, Laval, op. cit.

97 Cité in Yves Bouthillier, Le drame..., op. cit., t. 2, p. 493.

98 Cité in  ibid., p. 495.

99 D’après un mémorandum d’Abetz, cité par Robert O. Paxton, La France..., op. cit., p. 73.

100 Philippe Pétain, Actes et écrits, p. 472 ; également reproduit dans Le Temps,12 octobre 1940. Robert Aron (Histoire de Vichy, Paris, 1954, t. 1, p. 208-209) explique la genèse de ce discours. Cf. également Paul Baudoin, Neuf mois au gouvernement, Paris, 1948, p. 366 et suiv.

101 AN, F 12 10157, d. « 221 H2 », Rapport sur l’activité du MPI..., cité, p. 6.

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102 Sur tous ces aspects d’articulation à l’organisation économique allemande, cf. Alan S. Milward, The New Order and the French Economy, Oxford, 1970 (320 p.), p. 81, p. 106 et suiv.

103 AN, F 12 10157, d. « 221 H2 », Rapport cité.

104 AN, F 37 20, d. « Études sur la collaboration économique franco-allemande », Note citée, p. 2.

105 Cf. Le Gouvernement..., op. cit., p. 100 et suiv.

106 AN, F 37 20, note citée, p. 2 ; souligné par nous.

107 Idem, p. 2-3.

108 Cf. Alan S. Milward, The New..., op. cit., p. 48.

109 Cf.  Ibid., p. 49 ; Pierre Arnoult, Les finances de la France et l’Occupation allemande (1940-1944), Paris, 1951.

110 Documents on German Foreign Policy (DGFP), Séries D, X, n° 116 ; cité par Alan S. Milward, The New..., op. cit., p. 48 ; trad. par nous.

111 AN, F 37 20, note citée, p. 3.

112 Idem.

113 Idem.

114 Idem.

115 Idem.

116 Idem ; souligné par nous.

117 Idem.

118 Idem, p. 2.

119 Cf.  infra, chapitre XVII.

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120 AN, F 12 10102, d. « occupation allemande, M. Claudot », Note sur les méthodes employées par l’Administration militaire allemande en France, SGP n° 3135, 17 avril 1945, 18 p.

121 Cf. Le gouvernement..., op. cit., p. 205.

122 Cf. Jacques Delarue, Crimes et trafics sous l’Occupation, Paris, 1968.

123 AN, F 12 10102, d. « Occupation allemande, M. Claudot », Rapport de M. Bellier, EG 12729, 5 mars 1945, 4 p. ; ce rapport est largement utilisé pour la rédaction du rapport général, cité (cf. supra note 2, p. 531).

124 Idem, note citée ; souligné par nous : la création du secrétariat à la Répartition était destinée en partie à contourner cette mainmise.

125 Yves Bouthillier, Le drame..., op. cit., t 2, p. 253.

126 Ibid., p. 111.

127 Ibid., p. 491.

128 Ibid., p. 90.

129 Ibid., p. 131 ; souligné par nous.

130 AN, F 37 27, d. « Aide apportée par l’Allemagne à l’économie française », Note « avantages que représentent pour l’économie française sa situation vis-à-vis de l’Allemagne », s. a., s. d. (mais sans doute de novembre 1941), 16 p. ; souligné par nous.

131 Jean Bichelonne, L’État actuel..., op. cit., p. 4.

132 Cf. Robert Catherine, L’économie..., op. cit., p. 2 et suiv.

133 Jean Bichelonne, L’État actuel..., op. cit., p. 21-22.

134 Yves Bouthillier, Le drame..., op. cit., t. 2, p. 254 ; souligné par nous.

135 Ibid., p. 250 ; souligné par nous.

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136 Ibid., p. 248 ; pour la correspondance d’industriels réclamant le secours de l’État, cf. AN, F 12 10157 ; F 37 27.

137 AN, 74 AP 3 à 5 (Papiers Bouthillier), p.-v. de l’entretien Bouthillier-Hemmen du 27 août 1940 ; reproduit in Yves Bouthillier, Le drame..., op. cit., t. 2, p. 491.

138 René Belin in Le gouvernement..., op. cit., p. 206.

139 Bertrand de Jouvenel, Un visiteur dans le siècle, Paris, 1979, p. 435-436. Passage cité par René Girauit, « La trahison des possédants », art. cité.

140 Jean Bichelonne, L’État actuel..., op. cit, p. 9 et p. 23 ; souligné par nous.

Chapitre XVII. Le premier Vichy : l’engrenage dirigiste et ses ambiguïtés (juillet 1940-avril 1942)p. 541-590

TEXTE NOTES ILLUSTRATIONS

TEXTE INTÉGRAL

1Le fonctionnement de l’appareil de direction financier, monétaire et économique reflète la « double équivoque originelle » analysée dans le précédent chapitre, et notamment le fait qu’il réponde à des contraintes de court terme et aussi à des perspectives conçues comme durables et nécessairement liées à la place envisagée pour l’Occupant. La direction de la monnaie et des finances, comme celle des prix et des salaires, s’appuie en grande partie sur des textes et pratiques, déjà expérimentées pendant la « drôle de Guerre » par Yves Bouthillier, qui apparaît comme le maître d’œuvre. Dans le domaine industriel, en revanche, experts et gouvernants

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doivent faire fonctionner le nouvel appareil dirigiste mis en place à partir de l’été 1940.

I. LA DIRECTION DE LA MONNAIE ET DES FINANCES   : LA «   POLITIQUE DU CIRCUIT   » (JUILLET 1940- AVRIL 1942)2La direction de la monnaie et des finances connaît une assez grande continuité dans ses principes et ses responsables, par rapport à la « drôle de Guerre », comme en témoigne la présence d’Yves Bouthillier, expert promu au rang de gouvernant. Mais la politique financière et monétaire poursuivie, notamment celle du « circuit » et du franc fort, est soumise à  la contrainte majeure des exigences allemandes, qui fonctionne à la manière d’une « triple pompe aspirante » (Yves Bouthillier).

1. La «   triple pompe aspirante   » (Y. Bouthillier).

1 Les services des Financescalculent sur une base de 22 F par jour pour 300 000 hommes, soit 6,6 mi (...)

2 Cf.  infra, chapitre XVIII.

3 Yves Bouthillier, Le drame..., op. cit., t. 2, p. 54.

3Aux premiers jours de l’Occupation, trois exigences allemandes, au-delà même des termes de l’Armistice, vont lourdement peser sur la direction des finances et de l’économie. Dès le 19 mai 1940, peu après la percée de Sedan, une ordonnance du commandant en chef de l’armée fixe la valeur du mark à vingt francs, le surévaluant d’environ quarante pour cent par rapport au niveau des prix relatifs de 1939. En outre, le

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8 août, à la Commission d’Armistice de Wiesbaden (instituée d’après l’article 22 de l’armistice), Hemmen signifie aux délégués français l’exigence de verser 400 millions de francs par jour, pour l’entretien des troupes d’occupation : c’est bien l’application de l’article 18 de l’Armistice, mais les chiffres avancés excèdent de beaucoup les besoins, même élevés, de la Wehrmacht1. Et, le même jour, le Reich notifie sa volonté de conclure un accord commercial avec la France. Le 14 novembre, 1’« accord de compensation » est effectif, dont une clause précise que « l’office de compensation de Paris procédera au paiement en France à concurrence des sommes versées en marks dès la réception des avis ». Dans les faits, comme les « exportations » françaises vers l’Allemagne doivent largement l’emporter, l’accord de clearing met à la charge du Trésor le déséquilibre des échanges, dès le moment où le solde, grandissant en faveur de la France, n’est jamais réglé. Malgré les protestations de Yves Bréart de Boisanger, sous-gouverneur de la Banque de France, qui dirige la section économique de la Délégation française à Wiesbaden — aidé par Maurice Couve de Murville et Jean Bichelonne, secrétaire général à l’Industrie — rien n’y fait. Ces débats, connus grâce à la publication des Comptes-rendus de la Délégation française près de la Commission d’armistice, soulignent la détermination allemande originelle à outrepasser les termes de l’Armistice. Et il faut ajouter que, au même moment, se sont engagées des négociations économiques sur des « contrats » de livraison ou des cessions de participations, ce qui élargit la marge de manœuvre de l’Occupant2. Cette « triple pompe aspirante » constitue un système habile pour piller les ressources françaises : le cambrioleur s’assure la maîtrise du compte en banque de sa victime — régulièrement provisionné par elle — avant de lui acheter ses biens3. Pour les responsables des Finances, la menace de mise en circulation des sommes ainsi aspirées est vécue comme  le facteur majeur de déséquilibre, une véritable épée de Damoclès suspendue sur l’intégrité du franc.

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2. La politique du «   franc lourd   » et l’engrenage dirigiste.4Ces contraintes rendent plus malaisée l’application de la « fermeture du circuit » : Yves Bouthillier doit poursuivre et radicaliser la politique qu’il a menée, en qualité de secrétaire général des Finances, sous Daladier-Reynaud.

• Le drainage vers le Trésor. 4 AEF, B. 33 196, Note de Trésorerie, 30 octobre 1940, 8 p.

5Les préoccupations de la « direction du Trésor » — héritière en 1940 du Mouvement général des Fonds — n’ont guère varié. Après les avances importantes de la Banque de France en juin et juillet (neuf et quinze milliards), la situation s’améliore à l’automne et, en octobre, les avances se réduisent à 350 millions, alors que l’emprunt à court terme et la fiscalité rapportent 6,3 et 5,5 milliards, soit la presque totalité des ressources consommées par le Trésor. Une note de trésorerie y voit « le témoignage évident que les mesures économiques prises par le gouvernement et le maintien général de la confiance dans le crédit public ont parfaitement réussi à ramener vers le Trésor les disponibilités forcées que crée provisoirement la stagnation présente des affaires industrielles et commerciales »4.

5 Idem, doc. n° 13, Évaluation des charges de Trésorerie pour 1941, s. a., 3° bureau Trésorerie, 1re(...)

6 Yves Bouthillier, Le drame..., op. cit., t. 2, p. 423 ; souligné par nous.

6En 1940, sur 220 milliards consommés par le Trésor, les recettes budgétaires représentent soixante milliards, et les avances de la Banque cinquante-cinq — soit un quart, malgré la secousse financière de mai-juin. La direction du Trésor se félicite du fait que les émissions à court terme aient permis de récolter près de soixante-dix milliards, soit un tiers du total. Et, dans les prévisions pour 1941, la perspective de faire appel au marché financier et monétaire pour quatre-vingt-dix milliards

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apparaît réaliste, « si aucune reprise économique ne vient offrir aux capitaux un autre emploi que le placement en valeurs du Trésor5. Entre l’automne 1940 et le début de 1941, Yves Bouthillier met ainsi en place les principaux rouages et principes de la direction des finances et de l’économie, qui vont se maintenir jusqu’en 1944, sans changement important. L’objectif fondamental du ministre des Finances est d’éviter que des fuites ne se produisent dans le circuit. Or, plus les autorités d’Occupation puiseront rapidement dans le compte ouvert pour elles, plus les risques seront grands de voir les francs qu’elles auront dépensés se porter vers des biens et des services en quantité insuffisante, à la suite de la pénurie, des difficultés issues du conflit et de leurs propres prélèvements. D’où, les divers rouages d’un dispositif destiné à attirer vers le Trésor les sommes que l’Occupant — et secondairement l’État français — le contraint à faire sortir. La finalité essentielle du ministre — et son successeur poursuit cette politique — est de défendre le franc, quelle que soit l’ampleur du malheur des temps : « Nous prîmes la résolution (...) de rendre à notre pays, le moment venu, un franc aussi lourd que possible afin de permettre à la société française de rester forte »6. Un calcul sommaire montre cependant les implications d’une telle détermination. Sur un revenu national, estimé alors grossièrement autour de 220 milliards de francs, les Allemands s’apprêtaient à en prélever 150 : il restait moins de 100 milliards à partager (contre environ le double en 1938), ce qui revenait à demander une réduction de moitié du niveau de vie moyen. Ainsi, les Français disposaient d’un double pouvoir d’achat, celui nécessaire à satisfaire ce niveau de vie, amoindri et tolérable, et l’autre, nuisible s’il s’employait, que l’État allait s’ingénier à stériliser. Ces principes, défendus par Yves Bouthillier et acceptés par les autres ministres, entraînent les responsables dans unengrenage dirigiste, totalement inédit en France.

• Le contrôle des changes et des revenus. 7 Cf. L’action économique..., op. cit., p. 31-33.

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7Il faut d’abord renforcer le contrôle des changes, afin d’éviter la sortie des billets et la disparition des devises, mais aussi de réglementer l’entrée éventuelle de capitaux. En outre, il était possible d’élever les prélèvements fiscaux mais, par tradition, les responsables d’alors y répugnent, en particulier par souci de ne pas amputer les patrimoines ou les revenus autres que ceux de l’agriculture qui, eux, échappent largement à l’impôt. Toutefois, la loi du 30 janvier 1941 institue une modification de l’impôt sur les bénéfices de guerre, qui ne deviennent imposables que s’ils dépassent la moyenne de ceux réalisés en 1937 et 1938. Et, en janvier 1942, l’impôt sur les bénéfices agricoles est révisé : son rendement passe d’une trentaine de millions de francs (!) à un peu plus d’un milliard en 1942. Plusieurs mesures sont destinées à contrôler les revenus, certains investissements et le marché financier en général. Outre les salaires et les traitements — on y reviendra — l’État soumet la répartition des dividendes à des règles strictes. La loi du 28 février 1941 interdit aux sociétés — jusqu’à la fin des hostilités — de répartir des sommes supérieures à celles des trois exercices précédant 1940. Et celle du 15 mars 1941 soumet à la taxation (de 33, puis 25 %) les actions et tous les titres libellés en monnaie étrangère, achetés depuis cette date et revendus dans le délai d’un an7. Elles sont destinées à enrayer le mouvement de hausse à la Bourse — 70 % d’avril 1940 à février 1941 — qui, fermée le 10 juin 1940, a été ouverte de nouveau le 14 octobre. Puis, à l’été 1941, d’autres mesures sont prévues pour décourager l’accès au marché : restriction de la réglementation des achats de valeurs, contrôle préalable des cessions de titres, autorisation d’élever par simple arrêté du ministre le taux des impôts sur les opérations de Bourse. Mais, seules les deux dernières sont acceptées par les Allemands, à la fin de 1941. En 1942, l’organisation des bourses de valeurs est fortement encadrée. Un Comité des Bourses est institué. Parallèlement, les agents de change limitent à trois, puis un pour cent, les écarts de cours, lors d’une même séance. L’édifice est couronné par la création de la Caisse centrale de Dépôts des Virements de titres (CCDVT). Rendu ainsi plus inaccessible et plus onéreux, le

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marché financier, déjà éprouvé par la Crise, allait mettre du temps pour se relever des coups ainsi portés par Vichy. De même, la loi du 16 novembre 1940 soumet à l’autorisation préalable toutes les transactions immobilières. Et l’interdiction d’acheter de l’or, décidée dès 1939, est confirmée.

• Le marché monétaire   : le miracle des Bons ?

8 Cf. supra, chapitre I. 491/1 292 milliards : 38 %.

9 Cf. Jean Bouvier, Un siècle de banque française,Paris, 1973, 285 p. et la thèse de Claire Andrieu (...)

8Les revenus ainsi contrôlés, la fermeture du circuit consiste à faire refluer vers le Trésor la part maximale de l’épargne :  les bons du Trésor ont constitué l’instrument essentiel de ce drainage systématique. Sur l’ensemble des années 1940-44, ils sont émis à concurrence de 491 milliards, soit presque quarante pour cent des charges totales de la trésorerie8. Obsédé dès 1939 — on l’a vu — par l’exemple de la guerre précédente, Yves Bouthillier se félicite d’avoir évité le moratoire en 1940, et limité les avances de la Banque de France jusqu’en 1942 à une proportion des charges moindre qu’en 1914-1918. Cette politique, fondée sur le recours au marché monétaire, poursuit, en fait, celle inaugurée dès 1938 : elle implique une étroite collaboration avec la Banque de France et les banques elles-mêmes. Les lois des 13 et 14 juin 1941 réglementent fermement l’organisation bancaire, soumise à un Comité permanentd’organisation — et non « provisoire », comme dans la loi du 16 août 1940 sur les CO — de cinq banquiers, tous nommés par le ministre des Finances, et contrôlée par une Commission de Contrôle des Banques, comprenant le directeur du Trésor, le gouverneur de la Banque de France et le président du CO. Elles résultent des travaux d’un Comité de travail, confié à Henri Ardant, président de la Société générale9. Le rôle essentiel des banques consiste à veiller à la bonne tenue du marché monétaire et, surtout, aux souscriptions de bons du Trésor. Les effets publics qui, en 1938,

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ne représentent qu’un tiers du portefeuille des banques, atteignent les quatre cinquièmes, lors du retour de Laval en avril 1942, et même les neuf dixièmes à la fin de 1943. De manière corollaire, en 1940 et 1941, les dépôts bancaires augmentent de quatre-vingts milliards (de 85 à 165 milliards), dans la même proportion (quatre-vingts pour cent) que la masse monétaire (qui passe de 150 à 270 milliards). Et les souscriptions des bons du Trésor à court terme dépassent même (148 contre 120 milliards) l’accroissement de la masse monétaire, bouclant ainsi le circuit. Le Trésor émet des bons sous des noms variés (bons du Trésor, bons d’épargne...) et avec des gammes larges (de soixante-quinze jours à deux ans).

10 Yves Bouthillier, Le drame..., op. cit., t. 2, p. 42 et p. 415.

11 Ibid., p. 420.

9Dès l’automne de 1940, Yves Bouthillier s’efforce aussi de limiter la menace virtuelle des fonds thésaurisés, en faisant adopter plusieurs mesures, destinées à développer les paiements sans monnaie, et à faire séjourner les sommes les plus importantes dans le marché monétaire, en tentant de ralentir le plus possible leur vitesse de circulation. Plusieurs lois (22 octobre 1940 — 28 février 1941 — 17 novembre 1941) rendent obligatoire l’emploi de chèques pour les versements supérieurs à 3 000 francs et favorisent leur circulation. Dès le 12 septembre 1940, l’État finance des fabrications jugées utiles, grâce à des « lettres d’agrément » auprès de la CNME. Une loi du 12 octobre autorise le Trésor à régler certaines dépenses publiques par des traites sur le Crédit national qui, négociables sur le marché monétaire, peuvent s’apparenter à des bons. Enfin, les dépôts dans les Caisses d’Épargne voient leur plafond en élévation constante, et sont gratifiés d’une prime récompensant l’abstention de retrait pendant un an (Loi du 31 décembre 1940). En 1940, 1941 et 1942, le produit des bons du Trésor couvrent respectivement  la totalité, puis deux tiers des dépenses effectives, prélevées par les services allemands sur leur tribut. Parallèlement, du fait de l’absence d’autres débouchés pour ces fonds, les taux d’intérêts peuvent être

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abaissés de 2 à 1,5 % aux bons à trois mois de 1939 à 1941, et de 2,75 à 2,25 % pour ceux à un an. De même, le taux de l’escompte est abaissé à 1,75 % en mars 1941. Là encore, la comparaison avec la Première Guerre mondiale est flatteuse (4 % pour les bons à trois mois ; 5 % pour les bons à un an ; 4 % pour le taux de l’escompte en 1914). Les bons du Trésor apparaissent, au moins jusqu’en 1942, comme les leviers privilégiés de la « fermeture du circuit », car ils jouent leur rôle de stérilisation du pouvoir d’achat excédentaire : « Ce fait merveilleux eût ravi les ministres des Finances les plus intelligents des temps modernes, de Calonne à Caillaux » ; ils forment « l’instrument de stabilité d’une économie étroite et austère »10. Mais le succès relatif de la politique de circuit reflète avant tout « le malheur où l’économie française avait été précipitée », et l’absence d’autres emplois que les bons d’État, à la fois pour les épargnants et pour les banques11.

• Le marché financier   : des conversions abusives ?

12 Cf. supra, chapitre I.

13 Cf. supra, chapitre I.

14 Yves Bouthillier, Le drame..., op. cit., t. 2, p. 427.

15 François Bloch-Lainé, « À propos du ministère des Finances », document multigraphié, CHSGM, 1977,(...)

16 Yves Bouthillier, Le drame..., op. cit., p. 427.

10Les responsables de la rue de Rivoli se gardent de solliciter trop le marché financier, qui assure jusqu’en 1944 une part très faible du total des charges de trésorerie12. En revanche, ils tiennent à profiter de l’absence d’emplois de l’épargne pour opérer diverses conversions, mais avec prudence. De mars à décembre 1941, cinq opérations diverses (par le Crédit national, la SNCF) permettent de convertir et de consolider cinquante milliards, et d’en récolter trente. Plus intéressant

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encore, en mars 1942, sont convertis deux emprunts particulièrement coûteux, parce qu’assortis d’une garantie de change : l’emprunt 4 % 1925 et 4,5 % de la « pause » de 1937. En effet, la livre s’est appréciée de 85 % depuis 1925, et le dollar de 110 % depuis 1937. Quant aux rares émissions, elles sont effectuées à un taux très faible.  Il apparaît clairement que c’est sous le gouvernement de Vichy que le poids de la Dette régresse fortement dans les charges totales de la trésorerie : leur part passe d’environ un tiers pour les années 1934-36, à seulement un peu plus d’un dixième pour 1940-44. La rupture, que l’on note souvent pour l’après-guerre, date en fait des débuts de l’Occupation et de la politique systématique de conversion et d’extrême abaissement du loyer des capitaux, pratiquée par Yves Bouthillier13. Ce dernier, plusieurs années après la Libération, a avoué avoir été visité par le « démon de la pensée abstraite », et a évoqué « la contradiction (...) à faire avec tant de conviction une politique destinée à sauvegarder les patrimoines privés des Français et à amputer par d’incessantes conversions le revenu des créances »14. François Bloch-Lainé parle à ce propos de « conversions faites abusivement sous l’Occupation par des techniciens trop zêlés »15. Certes, l’inflation a relayé après la guerre le « zèle » des techniciens de l’Occupation. Mais, ajoutée aux mesures destinées à brider les opérations mobilières, cette politique de « baisse provocante du taux de l’intérêt »16 n’est pas restée sans effet sur la méfiance durable de l’épargnant français, et sur  les difficultés, présentes longtemps encore après la Libération, pour ranimer un marché financier en plein marasme.

3. Les réalités du circuit en 1941-42.

• 1941   : fermeture relative. 11Au premier semestre de 1941, le circuit est assez bien fermé. Henri Deroy, le secrétaire général de la rue de Rivoli, peut se féliciter devant le Comité budgétaire, en juin 1941, d’avoir entrepris une opération de conversion, et lancé un emprunt au taux record de quatre pour cent ! Les émissions de bons à court

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terme rapportent environ dix milliards par mois, comme avant la défaite. À la fin de juin, Yves Bouthillier établit de nouveau un budget pour l’exercice 1941, débattu devant un Comité budgétaire, du fait de la disparition du Parlement. Mais, à l’automne, les dépôts dans les banques et les caisses d’épargne, qui se sont accrus dans la première moitié de l’année, se ralentissent, de même que les souscriptions aux bons, qui s’établissent ainsi à une moyenne de six milliards par mois pour l’année 1941. Et, malgré une centaine de milliards récoltés par l’emprunt, il faut accroître les avances de la Banque d’environ soixante-treize milliards, qui correspondent à la moitié du tribut allemand. En fait, l’Occupant utilise quatre-vingts pour cent (115 sur 144 milliards) du montant disponible sur son compte, proportion nettement supérieure à celle de 1940 (la moitié) : la vitesse d’utilisation s’accélère d’autant plus que, à Wiesbaden, la délégation française s’appuie sur l’importance du solde non dépensé pour souligner le caractère abusif des sommes versées. Au total, les effets à court terme et les ressources des correspondants du Trésor ont réussi à couvrir plus de soixante pour cent de l’impasse, et quarante-cinq pour cent du total des charges. Les avances de la Banque ont été limitées respectivement à trente- six et vingt-cinq pour cent. L’inflation fiduciaire réelle — la différence entre le recours aux avances de la Banque et la part non utilisée du tribut — se monte en fait à environ cinquante milliards, soit moins d’un quart du volume de la circulation au 1er janvier 1941 : cela donne la mesure de la fermeture relative du circuit. Les autorités financières pouvaient se montrer soulagées d’avoir limité le recours aux avances à une somme correspondant seulement à la moitié du prélèvement allemand qui, à lui seul, représente plus de la moitié des charges totales de la trésorerie.

17 Cf. Délégation française auprès de la Commission allemande d’Armistice,Procès-verbaux des réunion(...)

18 Yves Bouthillier, Le drame..., op. cit., t. 2, p. 73.

19 Robert O. Paxton, La France..., op. cit., p. 124.

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20 Yves Bouthillier, Le drame..., op. cit., t. 2, p. 77.

21 Ibid., p. 72.

12Après la crise du 13 décembre 1940, ouverte par le renvoi de Laval, et parallèlement aux négociations menées par l’amiral Darlan — débouchant sur les accords de Paris du 28 mai 1941 — des discussions s’engagent sur les frais d’occupation. À la suite d’une conférence, tenue rue de Lille, le 8 mai 1941, entre Abetz, Hemmen, Vogl et Bouthillier, Darlan, Barnaud et Benoist-Méchin, une négociation s’ouvre : les versements, à partir du 11 mai, sont abaissés à 300 millions de francs journaliers17. Lors des discussions de juin, les Allemands proposent de réduire les versements à 200 millions, en échange d’une fraction (20 millions de francs par jour), réglée grâce à un transfert de valeurs. Yves Bouthillier acquiesce, contre l’avis des Finances extérieures et de son directeur, Maurice Couve de Murville18. Mais cet accord des 3-21 juillet 1941, accepté en Conseil des ministres, est victime de l’échec de la politique d’« ère nouvelle » de Darlan - Benoist-Méchin et du triomphe, du côté allemand, de la ligne Ribbentrop, pour laquelle le Reich refuse de « transformer l’armistice en collaboration »19. Dès le 16 juillet, le chef de la Wilhelmstrasse rejette tout accord. Une semaine après, le général Vogl, qui dirige la Commission de Wiesbaden, exprime aux représentants français la volonté du ministre de ne plus envisager aucune solution aux négociations en cours, dont celle sur les frais d’occupation. Yves Bouthillier note : « La porte de la négociation avec le Reich fut fermée. Elle ne se rouvrit jamais plus (...). J’eus le sentiment alors que la collaboration économique avec le Reich était morte »20. Cet accord mort-né souligne toutefois le clivage au sein des hauts fonctionnaires de la rue de Rivoli et de l’Inspection des Finances. La priorité pour Yves Bouthillier consiste à réduire les frais d’occupation, par souci de défense du franc : « Je devais éviter qu’au malheur de l’Occupation ne s’ajoutassent les souffrances qu’eût infligées au peuple français une débâcle monétaire »21. Il considère comme un moindre mal de transférer vingt millions de francs de valeurs par jour, dans la mesure où ce chiffre lui paraît limité, et peut être couvert par

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les titres de la dette balkanique ou par des participations en Pologne, qui échappent de fait à leurs propriétaires. En outre, il se retranche derrière le fait que la désignation des valeurs devait, aux termes du texte de juillet, résulter d’un commun accord. Pour les responsables des Finances extérieures, la cession de valeurs semble au contraire plus grave, dès le moment où la lutte contre l’inflation leur apparaît comme une cause perdue. Au total, la réduction des versements entre mai et décembre 1941 explique que, pour l’année, le circuit ait été assez bien fermé. Mais, au-delà de la pression inflationniste effective, exercée par l’ampleur des dépenses opérées par l’Administration militaire allemande sur son compte, s’ajoute la pression virtuelle des sommes non dépensées : ainsi, au 31 décembre 1941, soixante-cinq milliards restent disponibles, et pèsent sur les perspectives de l’exercice suivant.

• La dégradation en 1942.13Les débuts de l’année 1942 se présentent de manière plus sombre. Une double action nocive des Autorités d’Occupation rend compte de la dégradation de la situation financière. Tout d’abord, les prélèvements sur les matières premières, la production et les moyens de transports s’accentuent, aggravent la pénurie et la difficulté de tenir les prix. Corollairement, la vitesse d’utilisation du tribut s’accélère : de sept milliards mensuels en 1940, à huit en 1941, ce sont désormais onze à douze, qui sont prélevés au premier semestre de 1942. Les versements mensuels, maintenus à 300 millions, n’augmentent pas en volume jusqu’à la crise de novembre 1942, mais la cadence des prélèvements atteint désormais quatre-vingts pour cent et porte aussi sur le solde de 1941. Ce qui a limité l’inflation l’année précédente aggrave la situation, l’année suivante. À la fin du printemps de 1942, peu après le retour de Laval, on constate un dérapage des prix, une certaine fuite devant le franc et un gonflement du marché noir. Cependant, pour des charges de trésorerie voisines de celles de 1941 — autour de 300 milliards — l’impôt en couvre environ un tiers et l’emprunt environ quarante pour cent, soit plus de soixante pour cent de l’impasse. Le recours aux avances de la Banque

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est légèrement moindre qu’en 1941 — soixante- sept milliards contre soixante-treize — et constitue une part inférieure de l’impasse (trente-trois, contre trente-six pour cent), mais il faut lui ajouter le dégonflement du solde de 1941 sur le compte de l’Administration militaire allemande, pour près de cinquante milliards. Ainsi, la stabilité relative de l’année 1941 se trouve contrebalancée par les difficultés de 1942, bien que le tributfinancier soit sensiblement voisin (même part des charges totales de trésorerie) : la circulation fiduciaire augmente de plus de quarante pour cent (passant de 270 à 382 milliards). Au total, l’emprunt et l’impôt ont couvert  les trois quarts des charges totales du Trésor en 1941-42. Mais, l’ouverture inexorable du circuit, du fait des difficultés et d’une pression allemande croissantes à partir de novembre 1942, allait compliquer la tâche de la rue de Rivoli.

II. PRIX, RAVITAILLEMENT ET SALAIRES14Afin de maintenir le circuit le plus clos possible, le ministre des Finances est conduit, dès l’automne 1940, à compléter sa politique monétaire et financière par une armature dirigiste, destinée à tenir prix et salaires.

1. La politique des prix   : des «   mesures austères   ».

22 Cf. supra, chapitre VIII et Achille Dauphin-Meunier,Produire pour l’homme, Paris, 1941, p. 302-33 (...)

15Une loi du 21 octobre fixe la Charte des prix, qui tente d’harmoniser et de renforcer les textes législatifs et réglementaires publiés depuis la loi proposée par Charles Spinasse, en août 193622. Du système de simple surveillance de 1936, le décret-loi du 9 septembre 1939 a institué le blocage (au niveau atteint le 1er septembre 1939), ce que la Charte confirme. En outre, les organes créés connaissent la double évolution de l’étatisme et de l’autorité croissante. Au Comité

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central des Prix, la majorité se situe nettement du côté des fonctionnaires, qui disposent de sept sièges, contre seulement trois pour les représentants des producteurs et consommateurs. Et les organismes de surveillance, consultatifs à l’origine (1936), acquièrent des pouvoirs de décision. Parallèlement, le ministère des Finances dispose d’une sous-direction des Prix, fortement étoffée par rapport à l’avant- guerre, sous l’autorité de M. Fourmon.

23 Cf. AN, F 60 590, p.-v. de la séance du 8 mars 1941, du CEI.

24 Idem, p.-v. de la séance du 22 mars 1941 du CEI ; souligné par nous.

16Le ministre des Finances souhaite « tenir » les prix, dans la perspective de sa politique du « franc lourd ». Il sait toutefois que pour assurer une certaine production, notamment agricole, il ne peut être question de s’en tenir strictement au niveau de 1939, d’où les tâtonnements successifs. Au début de mars 1941, Yves Bouthillier fait confirmer par le CEI unanime le principe du blocage avec dérogations possibles23. Et, à la séance du 22 mars, « il fixe (...) la doctrine qu’il demande aux membres du Comité d’approuver :  le franc actuel, même s’il doit subir de petites amputations, doit durer jusqu’à la paix. C’est une condition essentielle pour conduire des négociations acceptables »24. Même si la Charte issue de la loi du 21 octobre permet de taxer les prix de vente à tous les stades, le ministre doit rédiger une succession de circulaires et d’arrêtés entre janvier et juillet 1941, afin de bâtir le régime des « taux de marque ». Aux termes du décret du 9 septembre 1939, malgré l’affirmation du blocage, les préfets devaient s’arranger pour désigner des contrôleurs — non rémunérés — parmi d’anciens fonctionnaires. Mais — on l’a vu — lors de la débâcle, l’administration des prix n’existe toujours pas. Elle se met en place à l’automne de 1940. Désormais, la prééminence du ministre est incontestable, puisque lui seul détient un pouvoir délibératif, le Comité central des Prix et les comités départementaux n’ayant qu’un rôle de conseil.

25 Idem, p.-v. de la séance du 8 mars 1941 du CEI.

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26 Cf. AN, F 37 21, d. « prix », Recueil analytique des autorisations de prix depuis le 1er septembre (...)

27 Cf. AN, F 60 590, p.-v. de la séance du 9 mai 1941 du CEI.

17Dans les faits, la procédure est lourde, puisque les prix sont débattus dans les services ministériels à Paris, puis au Comité central des Prix, et, pour les plus importants, au CEI, puis les arrêtés sont encore examinés par les Allemands, avant d’être signés par les ministres à Vichy. En outre, la baisse d’activité de l’hiver 1940-41 alourdit les coûts, ce qui entraîne les demandes de dérogations. Olivier Moreau-Néret, secrétaire-général pour les questions économiques, et responsable des prix à la rue de Rivoli, estime que lorsque la baisse d’activité a été trop forte, il n’est pas possible d’accorder une hausse corrélative des prix et que, la riposte à l’élévation des coûts réside dans l’organisation de la profession25. Dans cette politique de prix administrés, il apparaît difficile de suivre une ligne de conduite très cohérente, face aux réclamations des professionnels26. Le souci apparaît toutefois, dans un premier temps, d’accorder des dérogations pour  les prix agricoles, au début de 1941 : il est escompté qu’une partie du pouvoir d’achat des paysans pourra être stérilisée ou employée à l’achat de produits industriels, dont les prix seront plus lentement réajustés. Le prix du quintal de blé est effectivement relevé de 210 à 245 francs, contre plus de 300 réclamés par Hallé, président de l’Office27. Mais ce schéma se heurte, dans les faits, à une série d’obstacles.

• Les interventions allemandes. 28 Cf. AN, F 37 21, d. « circulaires sur les prix », c. r. de la réunion au

Majestic, 11 juin 1942, 4 (...)

29 AN, F 60 590, p.-v. de la séance du 21 juin 1941 du CEI.

30 .Idem, p.-v. de la séance du 5 septembre 1941 du CEI.

18Tout d’abord, les services officiels de l’Administration militaire allemande se montrent particulièrement peu enclins à accepter les hausses présentées par la sous-direction des

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Prix28. Épisode parmi de multiples, au CEI du 21 juin 1941, alors qu’il est question d’élever les prix du plomb et du zinc, inchangés depuis avril 1940 — le retard atteint alors 2 000 à 2 200 francs par tonne — le procès-verbal signale l’opposition des Allemands, qui rend la situation « inextricable », et contient l’exclamation suivante : « ils ne veulent à aucun prix que nos prix atteignent les leurs »29. La compression des prix français accroît encore le pouvoir d’achat du tribut et permet d’éviter, aux yeux des Autorités d’occupation, des dérapages générateurs de troubles. À la fin de l’été 1941, dans une conférence prononcée à Paris, le Directeur du Travail en Allemagne incite les services français à s’inspirer du système allemand, et recommande une politique de subventions d’État associée au blocage, en particulier pour les produits de première nécessité. Les services de la rue de Rivoli jugent cette politique dangereuse, et craignent l’accroissement des charges pour le Trésor. Jacques Barnaud précise peu après, pour le CEI : « Les Allemands redoutent au premier chef une hausse des prix susceptible de provoquer la faillite du système des salaires et du ravitaillement. À cet égard, ils s’étonnent qu’il n’y ait pas en France un véritable dictateur aux prix disposant de moyens et d’une autorité dont n’approche pas notre service »30.

• Les fuites dans le circuit. 31 Idem, p.-v. de la séance du 8 mars 1941 du CEI.

32 Idem, p.-v. de la séance du 9 mai 1941 du CEI.

19Un second obstacle vient contrarier la politique gouvernementale : dès le début de 1941, il apparaît que des failles se glissent dans le système. En mars, Jean Berthelot, secrétaire d’État aux Communications, annonce : « Le contrôle des prix s’avère impuissant à faire respecter certains prix (...) la SNCF s’est trouvée récemment dans l’obligation, pour assurer son service, d’acheter à des prix supérieurs aux prix autorisés »31. Et, en mai, François Lehideux, commissaire à la lutte contre le chômage, réclame un « contrôle serré » à l’égard d’un « très grand nombre d’entreprises industrielles qui font

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des profits excessifs »32. Et les difficultés pour faire respecter les prix licites se doublent de celles pour assurer le rationnement effectif des quantités.

2. La politique du ravitaillement   : le rationnement et ses limites.

33 Idem, p.-v. de la séance du 21 juin 1941 du CEI.

20La loi du 11 juillet 1938 accordait à l’État le pouvoir de rationner. Le décret du 1er septembre 1939 sur le Ravitaillement général de la Nation en temps de guerre attribue ce pouvoir au ministre de l’Agriculture. Mais les services du Ravitaillement des produits de consommation ne se mettent vraiment en place qu’après la défaite, sous la responsabilité d’un nouveau secrétaire d’État, Jean Achard, puis Paul Charbin. Le rationnement de quantités, restreintes par la pénurie et les prélèvements, forme un complément à la politique des prix. Or, les difficultés de ravitaillement apparaissent de manière très précoce, et les défaillances du Ravitaillement sont soulignées par les réorganisations administratives successives, opérées au cours de l’année 1941. À la fin de juin, François Lehideux déclare au CEI, à propos du ravitaillement de Paris : « La situation devient tragique »33.

34 Cf.  idem, p.-v. de la séance du 22 août 1941 du CEI.

35 Cf.  idem, p.-v. de la séance du 26 août 1941 du CEI.

36 Idem, p.-v. de la séance du 22 août 1941 du CEI.

37 Idem, p.-v. cité.

38 AN, F 60 591, p.-v. de la séance du 10 septembre 1941 du CEI.

39 Idem, p.-v. de la séance du 1er octobre 1941 du CEI.

40 Idem, p.-v. cité.

41 AN, F 60 590, p.-v. de la séance du 12 juin 1941 du CEI.

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21Peu après, le maréchal Pétain et ses collaborateurs souhaitent une modification de l’organisation du Ravitaillement. Un projet est présenté au Conseil des ministres du 23 août : il est créé des répartiteurs régionaux et départementaux, qui sont des fonctionnaires, assistés par des comités interprofessionnels consultatifs34. Après la création des préfets régionaux, leur rôle devient primordial, selon les vœux exprimés par le Maréchal : il comprend l’établissement d’un bilan et l’application d’un plan mensuel, et leur assure l’autorité sur les différents services régionaux, en faisant d’eux les représentants de tous les ministres intéressés35. Malgré cela, plusieurs ministres, dès ce moment, signalent l’importance du marché noir et l’impossibilité de respecter les rations. Ainsi, pour la viande, alors que les prélèvements allemands se montent à un rythme de 170 000 tonnes annuelles (pour une production de 850 000 tonnes), la ration, même abaissée en mars de 350 à 250 grammes hebdomadaires par personne, n’est pas atteinte : selon René Belin, la ration effective dans les villes, serait, en moyenne, à peine deux fois moindre, chiffre confirmé pour Paris par Jean Berthelot, qui signale toutefois l’arrivée chaque semaine dans la capitale de1 200 tonnes de viande, soit cinq millions de rations à 250 grammes36. Jacques Barnaud indique : « Le marché noir est considérable en zone occupée », et François Lehideux rappelle la présence de viande dans tous les restaurants. Il ajoute que, pour les cuirs, les statistiques des peaux au Ravitaillement sont de moitié inférieures à celles de la Production industrielle, du fait d’un « abattage clandestin considérable dans les campagnes »37. De plus, à l’automne, il apparaît que la récolte sera très déficitaire. En septembre, Alfred Sauvy, appelé comme expert à la séance du CEI, précise que sur 1 400 calories journalières nécessaires, les 1 200 plus accessibles coûtent quatre francs, alors que les 1 200 autres nécessitent une dépense six fois supérieure38. En octobre, le président de l’Office du Blé signale que les céréales secondaires ne sont livrées qu’au marché noir, et que la fraude s’étend désormais au blé, l’Office, avec ses trente-cinq contrôleurs, paraissant impuissant39. Un projet de réorganisation du Ravitaillement est de nouveau adopté, sans guère de

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résultats40. Ainsi, les difficultés pour faire fonctionner l’appareil dirigiste du Ravitaillement sont contemporaines de sa mise en place. Dès le printemps de 1941, plusieurs ministres recommandent une répression accrue. Yves Bouthillier, en juin, déplore au CEI que la législation en vigueur soit « trop mollement appliquée par la Justice » ; et le procès-verbal ajoute : « Il se propose de substituer aux pénalités des mesures administratives (camps de concentration)»41. Mais, dès 1941, du fait de la modicité des rations effectives ou de certains prix autorisés à la production, le système ne peut être efficacement amélioré par ces seules mesures.

3. La politique des salaires   : la compression.

• La «   vertu   » du «   sacrifice   » (Yves Bouthillier).

42 Idem, p.-v. de la séance du 9 mai 1941 du CEI.

43 Idem, p.-v. cité. Il s’est engagé à accroître le traitement des cheminots.

44 Idem, p.-v. cité.

45 Yves Bouthillier, Le drame..., op. cit., t. 2, p. 432.

22Les salaires, bloqués par le décret du 10 novembre 1939 (au niveau atteint le 1er septembre 1939) n’ont officiellement pas varié depuis février 1938.Or, au printemps de 1941, les prix alimentaires sont supérieurs à ceux de 1938 de trente-cinq à quarante pour cent. À la fin de mars 1941, alors qu’il est question de relever les prix du blé, Yves Bouthillier déclare devant le CEI : « La politique des salaires est extrêmement sévère puisque tous ont été à peu près stabilisés. On arrive à la limite d’élasticité de la faculté d’achat des consommateurs »42. Jean Berthelot, quant à lui, « précise que le blocage des prix n’a joué jusqu’ici qu’à sens unique, seulement sur les salaires et pas sur les denrées »43. Mais le ministre des Finances,

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responsable en dernier ressort de l’équilibre général, poursuit : « ... si la guerre doit durer, notre système monétaire doit durer jusqu’au bout ; il faut donc être prudent et vivre à la limite des possibilités des sacrifices de la population et des possibilités des finances publiques »44. Dans sesMémoires, il ajoute que, dans sa stratégie de retardement du processus d’érosion monétaire, « il est nécessaire de sacrifier la hausse des salaires à celle des prix et se résigner à laisser monter ceux-ci d’abord. (...) Osons voir les choses telles qu’elles sont. La vertu du système réside dans ce sacrifice »45.

46 AN, F 60 590, p.-v. de la séance du 9 mai 1941 du CEI.

47 Idem, p.-v. cité.

48 Cité in L’action économique en France..., op. cit., p. 148. Il estime la réduction à environ un ti(...)

23Cependant, en mai 1941, René Belin évoque 1’« effervescence urbaine sur les salaires », du fait de l’augmentation des prix des produits alimentaires, et Pierre Pucheu, alors ministre de la Production industrielle, considère comme « inévitable à brève échéance » le relèvement du salaire de base46. Il paraît d’autant plus difficile de maintenir le blocage intégral que, lors de la même séance, « le Comité reconnaît unanimement que la plupart des lois sociales ne sont pas appliquées »47. Et, dans un discours prononcé à Toulouse, le 14 mai 1941, René Belin confirme : « Nous savons très bien que les salaires ont été souventes fois (sic) amoindris, soit parce que les conventions n’ont pas été respectées, soit parce que le chômage partiel ou le chômage total (...) ont réduit les possibilités de vie de chaque foyer »48.

• Les ajustements du printemps 1941. 49 Cf.  ibid., p. 90 et suiv.

24Quelques mesures sont décidées pour atténuer les effets du blocage (qui demeure), selon l’importance de la famille. En février, le taux des allocations familiales est majoré. La loi du 29

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mars 1941 crée le « sursalaire familial », à travers une allocation de salaire unique, dont le taux varie en fonction du nombre d’enfants. Ces mesures entraînent une revalorisation partielle, inférieure à dix pour cent. Puis, la loi du 23 mai 1941 accorde une augmentation aux seuls assujettis aux assurances sociales (dont les gains n’excèdent pas 30 000 francs par an) : elle se situe également autour de dix pour cent49. Enfin, René Belin est autorisé, à la fin mai, à envoyer une circulaire aux préfets et Inspecteurs du Travail afin d’envisager le relèvement des « salaires anormalement bas ». Mais le débat sur l’ampleur exacte de cette mesure va s’étendre sur plus de six mois.

• Un double obstacle. 50 AN, F 60 590, p.-v. de la séance du 1er août 1941 du CEI.

51 Idem, p.-v. de la séance du 28 mars 1941.

52 Idem, p.-v. cité.

53 Idem, p.-v. de la séance du 16 mai 1941 du CEI.

54 AN, F 60 591, p.-v. de la séance du 10 septembre 1941 au CEI.

55 Idem, p.-v. cité.

25Pour une double raison, il apparaît que, comme pour les prix, dans certains cas, le blocage des salaires n’est pas respecté. Tout d’abord, certaines entreprises sont conduites à tourner le blocage des salaires, notamment pour les spécialistes, ou parce qu’il n’est plus supportable, avec l’élévation du coût des denrées alimentaires au printemps 1941. À la séance du CEI du 1er août 1941, il est question d’infliger une amende de cinq millions à la firme Gnôme-et-Rhône, pour avoir versé des salaires trop élevés. Jacques Barnaud juge la mesure « inopportune », au moment où « de nombreux salaires sont payés sous les tarifs des conventions collectives ». C’est René Belin, au contraire, qui penche pour la rigueur50. D’autre part, l’attitude des Autorités d’Occupation apparaît contradictoire à l’égard des salaires, en partie du fait de la multiplicité des

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services allemands. La sollicitude des Allemands à l’égard de la main-d’œuvre française apparaît dès les lendemains de l’armistice, à un moment où l’on recense près d’un million de chômeurs complet, (cf. graphique p. suiv.). L’Organisation Todt (ou OT) — du nom du ministre de l’Armement du Reich — chargée de construire des abris bétonnés pour sous-marins le long de la côte atlantique, tente d’attirer les chômeurs français, à partir de l’automne 1940. En mars 1941, le président de la Région économique du Nord signale la position des Allemands, qui consiste « à créer du chômage de façon à se procurer de la main d’œuvre qui paraît leur faire gravement défaut »51. Au même moment, François Lehideux juge « intolérable » la demande de la Wehrmacht d’exercer un contrôle sur les travaux contre le chômage, qui « ne se justifie que par une politique générale de recherche de la main d’œuvre »52. Dans le même temps, le Front du travail allemand (Deutsche Arbeits Front ou DAF) commence à ouvrir des bureaux d’embauche dans la zone occupée — surtout en Région parisienne, où se concentrent, à la fin de 1940, plus de la moitié des chômeurs — et à attirer, par l’annonce de salaires supérieurs à ceux des entreprises françaises, la main d’œuvre destinée aux usines de guerre en Allemagne. Les responsables français s’alarment, en particulier François Lehideux, qui constate, en mai, la disparition quasi- totale des chômeurs, à l’exception des « incapables »53. Il parvient à un accord avec le service d’Armement de la Wehrmacht (Rüstungsabteilung Der OKW ou « Rüstung ») pour maintenir la main d’œuvre en France, en échange du placement de commandes allemandes auprès de certaines usines françaises. Mais la surenchère entre les trois organismes (OT, DAF, Rüstung), qui s’ignorent, s’exerce en partie à travers une certaine concurrence sur les salaires directs ou indirects offerts à la main d’œuvre. À cela, s’ajoutent les contradictions allemandes quant à la position à l’égard des salaires français. Officiellement, l’Administration militaire allemande est hostile à tout relèvement des salaires. Mais, en septembre 1941, le secrétaire général au Travail signale les différentes attitudes des services allemands, à propos du relèvement des bas salaires, toujours en débat54. En particulier,

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les responsables français déplorent la campagne, jugée démagogique, orchestrée par la presse de la zone occupée (notamment Déat) — largement soumise à l’Ambassade d’Allemagne — en faveur d’un relèvement des salaires. En juin 1941, Jacques Barnaud proteste auprès des autorités militaires. En septembre, Yves Bouthillier propose d’intervenir auprès de la rue de Lille, en vue de « neutraliser la presse de la zone occupée, en ce qu’elle a de contraire à la réussite d’une politique économique à laquelle les Autorités d’occupation sont, comme nous, intéressés »55.

GRAPHIQUE8 CHÔMAGE COMPLET

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(Source : L’Action économique... op. cit. p. 24)

• Les Finances repoussent un relèvement général (automne 1941).

56 Idem, p.-v. de la séance du 12 novembre 1941 du CEI.

57 Idem, p.-v. de la séance du 26 novembre 1941 du CEI.

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58 Idem, p.-v. cité.

26Pendant l’été de 1941, les Finances organisent une enquête, menée dans une cinquantaine de départements, sur le coût de la vie. Il apparaît que l’augmentation depuis août 1939 se situe entre cinquante et soixante pour cent, sans tenir compte des prix des produits non réglementés ou, a fortiori, de ceux du marché noir. Aussi, à l’automne, le débat rebondit sur l’ampleur du relèvement des salaires « anormalement bas ». Le 12 novembre 1941, Jean Berthelot signale que la main d’œuvre française « a tendance à travailler de plus en plus pour les autorités allemandes qui offrent des salaires très supérieurs à ceux fixés par la loi »56. Afin de conserver la main d’œuvre, pour les travaux urgents en particulier, les entreprises doivent accorder des suppléments illégaux de salaires. Et, lors de la séance du 26 novembre du CEI, un clivage se dessine entre les Finances d’une part, les ministres techniques, René Belin et Jacques Barnaud d’autre part. René Belin pense que, afin de ne pas « compromettre la hiérarchie entre professions », le relèvement des « salaires anormalement bas » implique une révision générale57. Jacques Barnaud, François Lehideux et Jean Berthelot abondent dans le même sens, et insistent sur l’émigration de la main d’œuvre française vers l’Allemagne (« l’ouvrier français ne trouve plus en France des conditions de vie acceptables » — J. Barnaud), ou sur sa préférence pour des chantiers travaillant pour le compte des Autorités d’Occupation (qui ont toutefois affirmé leur accord pour interdire qu’on y surpaie les travailleurs français). Mais Olivier Moreau-Néret réaffirme la position de principe de la rue de Rivoli : « La révision générale des salaires a été écartée, celle des salaires anormalement bas ne saurait donc avoir de portée générale ». Il refuse en conséquence la proposition de René Belin, qui fausserait « tout le mécanisme d’homologation des prix »58. Comme pour les prix et la monnaie, la prééminence des Finances se manifeste pour les salaires : la révision des « salaires anormalement bas » s’opère donc de manière restreinte, par les inspecteurs du Travail et les préfets. Au

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début de 1942, les hausses s’échelonnent entre cinq à quinze pour cent (dans les cas de dénuement extrême).

• Rebondissement au début de 1942. 59 Idem, p.-v. de la séance du 12 novembre 1941 du CEI. Le salaire

moyen s’établit à 17 000 F.

60 Idem, p.-v. de la séance du 4 février 1942 du CEI.

61 Cf. Robert O. Paxton, La France..., op. cit., p. 127 et suiv. ; Jean-Baptiste Duroselle, L’abîme 1 (...)

62 AN, F 60 591, p.-v. de la séance du 13 février 1942 du CEI.

27Au début de 1942, le salaire moyen départemental — qui sert de base de calcul aux allocations familiales — est légèrement relevé. Mais, selon René Belin, les calculs opérés, qui ne portent pas sur les salaires réels, reviennent à établir un salaire moyen « rigoureusement arbitraire »59. A cette date, le coût de la vie a vraisemblablement augmenté de plus des deux tiers depuis 1938, alors que l’accroissement des salaires ne dépasse pas un tiers. Le 4 février, René Belin évoque « l’état d’irritation où se trouve actuellement la classe ouvrière ». Lui-même et Barnaud sont chargés d’engager les pourparlers avec l’Occupant au sujet d’un relèvement éventuel60. L’amiral Darlan est conduit à protester de nouveau auprès de Stuelpnagel, afin de faire cesser la campagne de la presse parisienne en faveur d’une augmentation des salaires. Les relations entre Vichy et les Autorités d’Occupation sont alors très dégradées en cet hiver 1941-42, qui voit notamment l’échec total de la rencontre Pétain-Goering à Saint-Florentin61. Le 13 février, René Belin informe le CEI que les Allemands ne se montrent pas hostiles à un accroissement général des salaires, « à condition que nous commencions par une étude sérieuse des possibilités de concentration des entreprises »62. Mais, comme il s’agit d’une étude qui ne peut être menée rapidement, et sur laquelle services français et allemands se confrontent depuis l’automne de 1941, il ne peut s’agir d’une condition contraignante. À la fin de mars, il semble se dessiner un accord pour un ajustement de

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quinze pour cent. Mais la crise gouvernementale, qui se solde par le retour de Pierre Laval, et les exigences allemandes en matière de main d’œuvre empêchent toute décision.

III. LA POLITIQUE INDUSTRIELLE OU LES AMBIGUÏTÉS DE L’ÉCONOMIE DIRIGÉE1. Le rebondissement sur le choix des hommes   : la crise de la Synarchie.

• De la «   Synarchie   » au «   Groupe   ». 63 Richard F. Kuisel, « The Legend of Vichy Synarchy »,French Historial

Studies, vol. VI, 1970.

64 Cf. AN, 468 AP 31, d. 4 « Agendas de Jean Coutrot ». À la date du 10 mai 1941, on peut lire : « ma (...)

65 Jacques Benoist-Méchin,De la défaite au désastre, t. 1 : Les occasions manquées - juillet 1940-av (...)

66 ibid., p. 63.

67 Ibid., p. 53 et suiv.

28On sait que le débat a agité les milieux parisiens et vichyssois, lorsque, en février 1941, avec l’amiral Darlan, parvient au gouvernement une équipe de jeunes « techniciens », dont certains — Jacques Barnaud et Gabriel Le Roi Ladurie — ont des liens avec la banque Worms, et d’autres — Pierre Pucheu et François Lehideux — ont occupé des postes importants dans l’industrie (Japy et Renault). À travers l’imbroglio des rivalités intravichyssoises et parisiennes, Richard Kuisel a démonté les contradictions et l’inanité de la

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thèse du complot de la « Synarchie », telle qu’elle fut propagée à l’époque par la presse de la zone occupée, à la fin de février 194163. La mort de Jean Coutrot (en mai 1941), présentée comme mystérieuse, est exploitée pour conforter la thèse, et désigner le cerveau du complot. Plusieurs témoignages ont montré le caractère fantaisiste de cette accusation. En outre, les agendas personnels de Jean Coutrot, retrouvés dans ses archives, semblent laisser la trace de ses souffrances physiques et morales d’alors, qui l’ont sans doute conduit au suicide64. D’après les écrits de Jacques Benoist-Méchin de juin 1944 (publiés récemment), la flèche décochée contre le gouvernement Darlan, à travers le « roman-feuilleton » de la Synarchie, l’aurait été par Pierre Laval, irrité par son éviction humiliante du 13 décembre 1940, qui laissait ainsi supposer qu’il n’était pas le seul à pouvoir « mener à bien la négociation franco-allemande »65. Pour faire cesser la campagne de presse, il aurait fallu l’interposition des services du docteur Michel, « ne voulant pas laisser discréditer des hommes — tels Barnaud et Lehideux — avec lesquels (ils) négociaient depuis déjà plusieurs mois »66. En revanche, l’ancien secrétaire général à la Vice-présidence du Conseil parle bien, à propos de Pucheu, Lehideux, Barnaud, des frères Le Roi Ladurie, de Paul Marion et de lui-même d’un « groupe de camarades », d’un « petit cercle », d’une « équipe » en quête d’un chef de gouvernement, pour faire triompher « quelques principes fondamentaux », notamment la « Révolution par en-haut », engageant à la fois la Révolution nationale et la « réconciliation européenne », et faisant de l’Empire l’un des principaux points d’appui67. Le 25 février 1941, l’amiral Darlan à la recherche d’une équipe ministérielle aurait ainsi comblé les vœux du « Groupe ».

68 AN, F 60 590, p.-v. de la séance du 26 avril 1941 du CEI.

69 Philippe Pétain, Quatre années au pouvoir, Paris, 1949, p. 120. Cf. Richard F. Kuisel, Le capitali (...)

29On trouve, en outre, un écho de cette campagne à la séance du 26 avril 1941 du CEI, au cours de laquelle Pierre Pucheu écarte les critiques quant à la composition des CO, et souhaite

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publier des chiffres à ce sujet, afin de démontrer la place restreinte des dirigeants des grandes entreprises parmi les membres des CO. René Belin juge l’idée malheureuse car, ajoute-t-il, « les membres des comités n’ont aucune responsabilité, ne peuvent qu’être consultés et seuls les présidents-responsables comptent »68. Il n’est jusqu’au Maréchal Pétain qui, le 12 août 1941, met en cause, à propos des CO, la « puissance des trusts », et annonce vouloir reprendre « contre un capitalisme égoïste et aveugle la lutte que les souverains de France ont engagée et gagnée contre la féodalité »69. Cela entraîne d’ailleurs la protestation d’industriels éminents, comme celle de Jean Dupin, directeur de Péchiney et membre du Comité de la Section des Métaux non ferreux. Ainsi, l’« anticapitalisme » verbal de certains des plus hauts dirigeants de Vichy reflète à la fois le souci de ne pas en laisser le monopole à la presse parisienne, mais aussi celui d’apaiser les inquiétudes (réelles) des entrepreneurs des petites et moyennes entreprises, face à l’emprise des grandes affaires sur l’appareil dirigiste.

• Un exemple   : rivalités dans les textiles. 30L’arrivée de Pierre Pucheu, puis de François Lehideux au MPI a effectivement entraîné un certain malaise de la part de représentants de branches, où l’on trouve de multiples petites et moyennes entreprises. Ainsi, l’élimination par François Lehideux, à l’automne 1941, de Robert Carmichaël, à la fois Directeur général du Comité général d’Organisation de l’Industrie Textile (COIT) et Répartiteur de la Section des Textiles éclaire certains aspects de la controverse, et de ses retombées.

70 AN, F 37 33, d. « Textiles », s. d. « Direction des négociations françaises », Lettre de R. Carmic (...)

71 Idem, Lettre citée.

72 Idem, Note 4 : « Attaque contre M. Carmichaël dans la presse », 5 p. (divers extraits de presse). (...)

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73 Idem, note 3, « Note sur l’attaque personnelle dont j’ai été l’objet de la part de M. Lehideux », (...)

74 Idem, Jacques Barnaud à Schmid (chef de la division économique de l’Administration militaire en Fr (...)

75 Idem, compte rendu d’une réunion entre représentants SEPI/Autorités d’Occupation, des 2, 3 et 4 ma (...)

31Le 11 novembre 1941, Robert Carmichaël remet à Jacques Barnaud un dossier contenant sept pièces sur la démission, qui lui a été imposée peu auparavant70. Dès septembre, Lehideux souhaite le départ du Répartiteur, qui refuse. Le 8 octobre, le ministre donne l’ordre à Jean Bichelonne de préparer le décret changeant le titulaire. Quelques jours plus tard, Robert Carmichaël écrit directement au Maréchal et à l’Amiral Darlan et interprète ainsi sa disgrâce : « Représentant et défenseur de l’industrie moyenne, ma présence au poste important que le gouvernement avait bien voulu me confier, gênait trop évidemment certaines catégories d’intérêts : ceux-là mêmes (...) que vous avez condamnés dans votre discours du 12 août »71. Selon lui, l’attaque viendrait à la fois de hauts fonctionnaires de la direction des Textiles et des Cuirs et des « trusts » du textile, dont il existe des représentants directs dans les CO de branches. Elle est largement relayée dans la presse, notamment dans les Nouveaux Temps, ou La France au travail72. En contrepartie, le répartiteur trouve des appuis chez l’Occupant. Le 26 septembre, le conflit est débattu entre Bichelonne et Carmichaël au Majestic, en présence de trois responsables allemands (Momm, Weniger et Furmann)73. Et le 7 octobre, le docteur Michel demande à Barnaud de maintenir Carmichaël à son poste. Ce dernier compte sur ses bonnes relations avec le président Kehrl, responsable de toute la planification textile du Reich et des Territoires occupés, qui réclame son maintien comme négociateur principal, du côté français. Après le choix d’un premier remplaçant, qui se rétracte, les Allemands acceptent que A. Tiberghien, directeur du CO de la Laine, prenne la place de Robert Carmichaël, à condition que ce dernier puisse participer aux négociations

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franco-allemandes sur les contrats textiles, en qualité de conseiller technique74. Le compte-rendu d’une réunion entre représentants du MPI et des textiles français et les Autorités d’Occupation, au début du mois de mai 1941, évoque une question, qui a été l’une des sources de divergences (outre les rivalités de personnes). Kehrl parle de la concentration nécessaire de la production textile, notamment de coton, du fait du manque de matières premières. Il n’ignore pas l’objection des « répercussions sociales », issues des fermetures envisagées. F. Motte, directeur du CO du Coton, ajoute avoir signalé à Jean Bichelonne « le danger de la politique économique actuelle », et conclut : « Devant la situation présente, il faut absolument faire passer l’économique avant le social »75.

32Il apparaît que, face aux contraintes matérielles et à la « concentration » réclamée par l’Occupant, plusieurs responsables privilégient l’approche « économique », notamment l’appui sur les entreprises les plus efficaces et souvent les plus grandes : ils sont influents au MPI et à la direction de certains CO de branches. En revanche, certains autres en redoutent l’extension du chômage et les rancœurs des petites et moyennes entreprises : le « social » doit ainsi contrebalancer 1’« économique ». Ainsi, la campagne contre la Synarchie reflète des divergences réelles entre certaines fractions de dirigeants d’entreprises — et notamment le mécontentement de chefs de petites ou moyennes entreprises — face aux mesures de concentration réclamées par l’Occupant et nécessitées par la pénurie. Mais ces oppositions se trouvent exploitées, au cœur de l’imbroglio des rivalités intra-vichyssoises, par une campagne suscitée sans doute par Pierre Laval pour faciliter son retour. Dans les faits, François Lehideux, devenu ministre de la Production industrielle en juillet 1941, annonce, à la fin août, un certain regroupement des CO, leur réorganisation financière, ainsi que la création d’un comité consultatif tripartite (patrons, « collaborateurs », ouvriers) auprès des principaux CO. Le ministre, qui demeure délégué général à l’Équipement national pour la main d’œuvre sans emploi, espère ainsi harmoniser rationalisation industrielle et

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politique de l’emploi. Mais, pour l’essentiel, l’organisation des CO est maintenue en l’état.

2. L’organisation   : la Charte du Travail, grande construction inachevée.33Il n’est pas question d’analyser ici la politique, ni l’organisation sociale de Vichy. Cependant, elles nous intéressent, dès le moment où elles interfèrent avec la direction de l’économie. Or, les débats autour de la composition des CO et de la Synarchie se développent parallèlement à ceux portant sur la future Charte du Travail, et les recoupent en partie.

• Les perspectives initiales de René Belin   : un dirigisme accru...

76 Cf. AN, F 12 10157, d. « 221 H 2 », Rapport sur l’activité du MPI et du Travail du 15 juillet au 1 (...)

34En juillet 1940, les services du Travail — on l’a vu — sont regroupés avec ceux de la Production industrielle, sous l’autorité de René Belin. L’une de ses craintes est, du fait des effets de l’armistice et de la démobilisation, de voir se développer le chômage. Dès le mois d’août, plusieurs lois sont destinées à restreindre l’activité de certains travailleurs, afin de partager le travail : rétablissement de la limitation hebdomadaire à quarante heures — les heures supplémentaires sont payées au salaire normal, mais vingt pour cent du salaire sont versés par l’employeur à un Fonds de Solidarité — et même à moins, sur intervention du Préfet (loi du 13 août 1940) ; limitation de l’emploi de la main d’œuvre étrangère (loi du 29 août 1940) ; exclusion des femmes mariées, dont la subsistance est assurée par le salaire du conjoint...76. En outre, en octobre 1940, est créé un Commissariat à la Lutte contre le Chômage, confié à François Lehideux. Au-delà du souci de relever la production, dont le niveau a été profondément affecté

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par la défaite et l’exode — on y reviendra — apparaît aussi celui d’organiser les « masses ouvrières ».

• «   Une véritable organisation corporative   ».

77 Idem, Rapport cité.

78 Idem.

35Dans son rapport de novembre 1940 — déjà cité — au Maréchal, René Belin signale que l’organisation, bâtie sur les CO, les Sections de Répartition et le MPI a été « conçue pour parer à des besoins urgents », mais « demeure incomplète et imparfaite (...) appelée nécessairement à s’appuyer sur des groupements professionnels organisés (...) et aussi à se prolonger sur le plan social (...) elle doit s’intégrer à une organisation professionnelle d’ensemble, à une véritable organisation corporative »77. À cette date, le premier projet de « Charte d’organisation professionnelle », élaborée par le cabinet de René Belin — notamment grâce à la collaboration de Pierre Laroque — a été distribué aux autres ministères. Ce projet, destiné à « compléter l’édifice », doit être adopté de manière urgente, afin de créer « un cadre juridique indispensable au regroupement des masses ouvrières »78.

79 Cf. Jacques Julliard, « La Charte du Travail », in Le Gouvernement de Vichy - 1940-1942, instituti (...)

80 AN, F 12 10157, d. « 221 H 2 », Rapport cité.

81 Idem, Rapport cité.

82 Idem, Observations sur le rapport Belin-C/MB, s. a., Vichy, 1er décembre 1940, 2 p.

83 Cf. Jacques Julliard, « La Charte... », art. cité, p. 166-167.

36Sans entrer dans le détail de cette longue marche de treize mois nécessaire à l’élaboration de la Charte du Travail, déjà

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étudiée par Jacques Julliard, retenons toutefois que le projet de René Belin était fondé sur l’intégration dans l’organisation économique et sociale, à travers des Comités d’organisation professionnelle, d’un syndicalisme unique, étroitement contrôlé par l’État, destinée ainsi à équilibrer le pouvoir patronal des CO79. Il le justifie auprès du Maréchal, en évoquant le « grand désarroi » des masses ouvrières, ainsi « à la merci de toutes les propagandes démagogiques ou révolutionnaires » ; « une des tâches essentielles » du ministère de la Production industrielle, selon lui, consiste à « regrouper ces masses ouvrières, de leur donner une organisation apte à les intégrer dans le nouvel État français »80. Il ajoute qu’il a conservé des contacts avec des militants syndicaux de la CGT, et que, lors d’une réunion générale à Nîmes, le 8 octobre 1940, les représentants des Unions départementales de la zone libre ont « unanimement exprimé leur confiance » à lui-même et au Maréchal. Il précise alors : « Parmi les anciens dirigeants du Syndicat confédérés (sic), nombreux étaient les hommes fermement attachés à l’idée nationale, les hommes qui avaient combattu le communisme et les influences étrangères. Il faut regrouper ces hommes, en faire le noyau des organisations nouvelles »81. Mais, dans le commentaire de ce rapport, rédigé par l’un des membres du cabinet civil du Maréchal, est critiquée la part trop belle faite aux anciens syndicalistes82. On trouve là, au moins partiellement, l’origine du conflit ouvert entre l’entourage de René Belin et le Cabinet du Maréchal. Un second projet, bien qu’allant dans le sens du renforcement de l’intégration du syndicalisme (par la suppression des unions départementales, l’interdiction de la grève et du lock-out) est écarté en décembre 1940, à la suite notamment de l’opposition du commandant Cèbe et de Yves Bouthillier, jugeant que la présence des syndicats « ancienne manière » est encore trop forte. Lors d’une troisième étape, est institué un Comité d’organisation professionnelle (COP) de 27 membres (Loi du 28 février 1941), à un moment où René Belin a été dépossédé de la Production industrielle, et ne conserve que le secrétariat d’État au Travail. Chargé de préparer un nouveau projet, ce comité est composé de Bardet, Painvin, Donon, Leuté (pour le patronat), de Dubois,

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Chassagne, Clavières (pour les techniciens), de Marcel Roy, Savoye, Mignon et Bertrand (pour les ouvriers). On sait que deux projets sont soumis au Comité, qui ne tient que trois sessions officielles, de juin à août 1941 : le projet « syndicaliste » de René Belin et le projet « corporatiste » du commandant Cèbe83. Mais l’un des membres les plus importants du Comité propose les grandes lignes d’une troisième approche.

• Gérard Bardet et la tentative d’alliance technicienne autour de l’entreprise.

84 Cf. supra, chapitre XI.

85 Cf. AN, F 37 20, d. « Le statut des professions », notes nos 1 à 4 (datées du 8 avril au 5 mai 194 (...)

86 Idem, note n° 2, « quelques idées sur la forme et le fond d’une Charte du Travail », 15 avril 1941 (...)

87 Idem, note n° 1, « questions préalables », 8 avril 1941, 8 p.

88 Idem, note n° 2, citée.

37Gérard Bardet est l’un des représentants patronaux qui, au sein du Comité, a beaucoup réfléchi aux relations professionnelles avant la guerre — aux côtés de son ami Jean Coutrot à X-crise — et a engagé un certain nombre d’expériences dans sa propre entreprise de construction de machines automatiques84. C’est aussi l’un de ceux qui est le plus écouté au MPI, notamment par Jean Bichelonne, et qui, au même moment, est désigné par Pierre Pucheu président du CII, véritable organe directeur chargé d’harmoniser les initiatives patronales lancées dans les différents CO. On dispose de quatre notes détaillées, écrites en avril-mai 1941, qui définissent le contenu de la future Charte du Travail, telle qu’envisagée par Gérard Bardet85. Alors que le COP n’est pas encore réuni, Bardet constate l’opposition entre les deux écoles, « syndicaliste » et « corporatiste ». Or, selon lui, il faut

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« dépasser » le syndicalisme ou le corporatisme. Les deux projets ne sont pas « assez centrés sur l’entreprise (...) une Entreprise est un bloc », en ce sens qu’y interfèrent les problèmes juridiques, économiques et sociaux86. Il propose d’amender l’organisation des CO par une liaison « à la base », au sein de l’entreprise, « unité humaine de l’organisation envisagée ». Distinguant cinq échelons associés dans l’entreprise (1. La représentation des capitaux ; 2. La direction ; 3. Les cadres ; 4. Les travailleurs qualifiés ; 5. Les manœuvres), il considère que, jusqu’à présent, elle a été conduite par le premier d’entre eux, ce qui est à l’origine des « spasmes sociaux ». Il précise que seuls les échelons 2, 3 et 4 « possèdent le métier », terrain sur lequel doit reposer la profession : « La hiérarchie sociale qui doit exister dans l’entreprise — et dont la transposition juridique constitue la base de ce statut des professions, auquel nous sommes attachés — doit être une hiérarchie basée sur la fonction technique de cette entreprise, donc sur le métier »87. Reprenant des idées déjà lues sous la plume de Jean Coutrot en 1935-36, il considère que les «excès», la «lutte des classes» sont tributaires du fait que, jusqu’à présent, les deux échelons extrêmes (capitalistes et manœuvres) ont eu trop d’importance dans la marche de l’entreprise : « L’acte révolutionnaire, c’est de mettre entre eux et l’âme de l’entreprise un écran qui sera le métier »88.

89 Idem, note n° 1, citée.

90 Idem, note n° 2, citée.

91 Idem.

92 Idem, note n° 3, « Sur un apparentement des professions en vue de l’application d’une Charte du Tr (...)

93 Cf. Jacques Julliard, « La Charte... », art. cité, p. 167 et Henry W. Ehrmann, La politique..., op (...)

38En fondant l’« unité de la profession » sur le métier en créant une « mystique » telle que « reconstruire le pays », Gérard

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Bardet pense faire dériver les antagonistes sociaux vers des problèmes professionnels et techniques : « Le meilleur moyen de remédier à ce qu’on appelle « la lutte des classes » est d’éduquer le personnel »89. C’est 1’« ignorance sociale » face au développement économique qui crée la « condition prolétarienne » et la lutte des classes. Ainsi, dans l’esprit de la « cure psychanalytique », proposée par son ami Coutrot en 1936, il préconise une alliance technicienne fondée sur le métier, avec une « déclaration des devoirs du métier » en tête de tout statut professionnel, formant une « Révolution professionnelle », comparable à celle de 1789 pour les Droits de l’Homme, «avec cette différence (...) qu’aujourd’hui les hommes et les travailleurs ne doivent pas parler de droits, mais de devoirs »90. L’autorité du « directeur-général » (« animateur de la vie professionnelle, tant dans ses aspects techniques que dans ses aspects moraux ») ne serait pas atteinte, mais il aurait soin de veiller sur ses responsabilités à l’égard de l’entreprise (quant aux loisirs, à l’hygiène...), et, en particulier, à l’égard de ceux ne possédant pas le métier (par l’organisation de l’apprentissage), ainsi qu’à l’égard de la Profession (au sein de laquelle doivent se régler embauche, congédiement, chômage). Il suggère la création de « Conseils des Représentants professionnels » consultatifs, ouverts à des ouvriers, employés et cadres (mais pas aux manœuvres), et associés aux membres des CO, ainsi que celle d’un Conseil Corporatif des Métiers91. Il évoque le regroupement des CO en cinq familles fondamentales (agriculture et alimentation ; industries primaires ; industries secondaires ; transports ; services). Et, dans l’entreprise, il propose la création de deux conseils consultatifs, l’un axé sur la vie sociale (le Conseil Social), l’autre sur la vie économique (le Comité des Métiers), sans représentation des manœuvres92. Plusieurs des idées émises ont trouvé place dans le texte final (paru le 26 octobre 1941), issu toutefois, pour l’essentiel, d’un compromis, trouvé de manière laborieuse et même mouvementée, entre les projets Cèbe et Belin93. Certaines d’entre elles vont cheminer, l’année suivante, au sein du Conseil Supérieur de l’Économie Industrielle et Commerciale

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(CSEIC), dont Gérard Bardet est le principal animateur, sous l’autorité de Jean Bichelonne.

• La Charte et son échec   : une triple contradiction.

94 Cf. Le Gouvernement de Vichy..., op. cit., p. 337-355.

95 Dans les archives du Chef de l’État (AN, AG II), on trouve assez peu de cartons relatifs aux quest(...)

39Dans le texte définitif de la Charte, « les activités professionnelles sont réparties en un nombre déterminé de familles industrielles et commerciales », et les actifs sont ventilés en cinq catégories, qui ne reprennent pas exactement les distinctions de Gérard Bardet : employeurs, ingénieurs et cadres, agents de maîtrise, employés, ouvriers94. En leur sein, des syndicats professionnels, uniques et obligatoires, doivent constituer des Comités sociaux, à l’échelon national, régional et local, chargés de régler les questions professionnelles et sociales. En outre, il est créé un Comité social dans chaque entreprise de plus de cent salariés. Le Cabinet civil du Maréchal, relativement peu soucieux des questions économiques, a tenu à garder la haute main sur l’organisation sociale, afin d’y faire figurer les valeurs du nouveau régime. Les discours de Saint-Étienne, et surtout de Commentry (le 1er mai 1941), du chef de l’État ont tracé les grandes lignes, faites d’un mélange incertain de corporatisme, de paternalisme et d’étatisme95. La plupart des auteurs ont souligné le caractère ambigu, voire contradictoire, de la Charte elle-même, en partie à l’origine du faible enthousiasme lors de sa publication et de son caractère encore inachevé en août 1944.

96 AN. F12 10157 d. « 221 H2 », Rapport cité.

97 Yves Bouthillier, Le drame..., op. cit., t. 2, p. 282-283.

40Trois séries de facteurs rendent compte de cet échec. Tout d’abord, les rivalités entre les conceptions de René Belin et celles des conseillers du Maréchal. Parmi eux, la méfiance à

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l’égard du syndicalisme d’avant-guerre — même lorsqu’il s’agit de sa fraction loyale au régime, regroupée autour d’anciens dirigeants de la tendance Syndicats de la CGT — et la volonté d’écarter le fantôme de 1936, incitent à enserrer les futurs syndicats professionnels dans un réseau de contraintes et de limitations : d’où le caractère unique et obligatoire, l’interdiction de la grève, la disparition de la Confédération et de l’Union départementale, le quasi-silence sur les conventions collectives — dont on a vu que les dirigeants de Vichy savent qu’elles ne sont plus respectées. Le Maréchal gâchait ainsi l’atout que pouvait représenter le ralliement en 1940 d’une partie du mouvement syndical, à travers René Belin, qui lui écrivait, en novembre 1940 : «J’ai cru que je pouvais représenter à vos côtés les ouvriers de France au milieu desquels et pour lesquels j’ai vécu ma vie »96. Ensuite, les lenteurs pour constituer les « familles professionnelles », en partie dues à l’insuffisance ou aux rivalités dans l’organisation professionnelle. L’article 39 de la Charte, qui prévoyait la possibilité pour les professions — par accord de la moitié de leurs membres — d’établir une charte corporative, n’a pratiquement pas été appliquée. On y reviendra. Enfin, Yves Bouthillier, dix ans plus tard — l’auteur du Drame de Vichy en 1951, et non le ministre des Finances de 1941 — évoque la « contradiction interne » entre politique sociale et politique monétaire : « Il était vain de vouloir se concilier la classe ouvrière en lui refusant le droit d’aborder la question essentielle, la seule au fond qui lui importe (...) : la fixation des salaires (...). Les Français n’ont pas ratifié la Charte parce qu’elle fut promulguée dans des circonstances où la libre discussion des salaires, au sein de l’entreprise et de la profession, n’était pas possible »97.

• Les effets de l’échec   : suprématie de l’«   économie   » et absence de consensus.

98 Parmi de multiples témoignages de cette amertume des entrepreneurs de PME, cf. Pierre Nicolle, Cin (...)

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41En théorie, toute l’organisation économique, mise en place à travers les lois des 16 août et 10 septembre 1940, devait être refondue à l’intérieur de la Charte du Travail. Mais l’article 4 de la Charte ne peut soumettre la direction de l’économie aux délais nécessaires à la mise en place de ses composantes et précise que : « en raison des circonstances (...) les questions d’ordre économique resteront, jusqu’à ce qu’il en soit autrement décidé, dans les attributions des comités provisoires d’organisation créés en application de la loi du 16 août 1940 » En l’absence de la grande construction « sociale », jamais achevée, l’organisation économique « provisoire » de l’été 1940 perdure. Alors que, dans de nombreux discours officiels, notamment du Maréchal, 1’« économique » devait être soumis au « social », les structures de direction économique, dont la conduite résulte d’une confrontation complexe entre État et patronat, imposent leurs règles à l’ensemble de la vie sociale, et, en particulier aux salariés, voire aux dirigeants des petites et moyennes entreprises, qui se considèrent comme exclus98. La crise de la « Synarchie » comme l’élaboration de la Charte n’ont pas été saisies pour infléchir de manière significative les orientations définies en 1940. Dès lors, toutes les institutions et les projets économiques s’élaborent hors de toute concertation sociale, même formelle. Ils apparaissent comme le fruit du dialogue privilégié, même s’il est souvent conflictuel, entre les représentants de l’État et des fractions les mieux organisées du patronat.

3. La répartition des quantités, instrument durable de direction de l’économie.

99 AN. F37 27, d. « Aide apportée par l’Allemagne à l’économie française », Région économique de l’Es(...)

42Lors d’une réunion, tenue le 13 septembre 1942 à Nancy sous la présidence de Marcel Paul-Cavallier, Jean Bichelonne, alors ministre, a évoqué « les deux piliers de l’organisation

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moderne » : la répartition d’une part, et l’organisation professionnelle à travers les CO d’autre part99.

• La Répartition ou le dirigisme par les quantités.

100 Idem, Compte rendu cité, p. 8.

43La répartition, aux termes de la loi du 10 septembre 1940, n’est pas la « répartition passive » (Jean Bichelonne) de l’économie libérale, réglée par le pouvoir d’achat des divers agents économiques et les rapports offre/demande, issus des ajustements des initiatives individuelles. Le ministre de la Production industrielle signale « les résultats souvent arbitraires et antisociaux » de ce type de répartition, ainsi que « les interventions constantes qui mettaient en échec la théorie libérale (souvent pour favoriser des intérêts particuliers) »100. Une telle répartition reposait sur deux conditions : la disponibilité du produit sur le marché, les moyens financiers pour l’acquérir. La répartition, mise en place à partir de septembre 1940, ajoute désormais une troisième condition : le droit à disposer effectivement du produit, reconnu par le Répartiteur, seule autorité compétente, et matérialisé par un titre délivré par lui. Bien que Jean Bichelonne précise que la répartition « s’ajoute aux éléments nécessaires dans l’économie libérale, sans se substituer à eux », il apparaît que l’ajustement offre/demande, dans la situation de pénurie plus ou moins prononcée d’alors, s’effectue par le biais d’une décision administrative — celle du Répartiteur — en amont de laquelle pèse d’ailleurs — on l’a vu — la ventilation générale des grands produits clés, définie par le MPI, ainsi que les exigences de l’autorité militaire allemande, dont les Referat contrôlent l’action de chacun des douze répartiteurs. Les mécanismes « libéraux » apparaissent d’autant moins à l’œuvre, que, outre ce dirigisme par les quantités, les prix sont également fixés doublement par décision administrative : celle du ministère des Finances, suspendue elle-même à l’approbation des services du Majestic, dont on a vu qu’elle n’était pas aisée à obtenir. Ainsi, les leviers principaux du dirigisme reposent

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essentiellement sur la détermination administrative du droit à la répartition, sur la délivrance des titres correspondants et les mesures destinées à assurer l’exercice de ce droit.

• «   Répartition primaire   » durable, et «   Répartition secondaire   » conjoncturelle.

101 Idem, compte rendu cité, p. 11 ; souligné par nous.

44Dès les premiers mois de la mise en place de l’OCRPI et des douze sections de Répartition, les principaux responsables du MPI vont définir une doctrine, quant au partage entre les nécessités conjoncturelles et structurelles de la répartition. En janvier 1942, Jean Bichelonne, en qualité de Secrétaire à la Répartition, Répartiteur général et Chef de la Section centrale de l’OCRPI, est très explicite sur ce point. Il précise les deux types de répartitions. La « répartition primaire » ou « générale » (c’est-à-dire la ventilation des grandes matières premières ou sources d’énergie entre les grandes branches d’activité et formes d’emploi)... « appartient à l’État et à l’État seul. C’est à l’État seul qu’il est permis de dire, étant donné une production d’acier, quelle sera la quantité qui sera expédiée vers l’industrie agricole, et cette répartition primaire est destinée à subsister (...) pendant un très grand nombre d’années »101. Cette répartition répond à unefonction permanente d’arbitrage, quant aux besoins généraux de l’économie et aux branches à maintenir en activité.

45Quant à la « répartition secondaire » — soit la sous-répartition des produits entre les membres d’une collectivité ou les entreprises d’une même branche, pourvues lors de la « répartition primaire » — elle est le reflet de la conjoncture : elle est « une répartition qui traduit une pénurie », et, à ce titre, n’est pas destinée à perdurer, lors du retour de l’abondance. Cette répartition doit fixer la part des utilisateurs et même des consommateurs de produits : elle se traduit donc par le rationnement, d’où la multiplication des tickets, bons d’achat de produits textiles ou de chaussures, carte de savon, etc. Les dirigeants du MPI n’ignorent pas le caractère nécessairement contraignant de cette répartition secondaire, qui s’impose

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toutefois du fait de la pénurie. Les responsables du MPI et de l’OCRPI sont ainsi conduits, chemin faisant, à mettre sur pied une théorie de la répartition.

• La Répartition, entre les ressources et les besoins.

102 Idem, compte rendu cité, p. 12.

103 Jean Bichelonne, L’État actuel..., op. cit., p. 12.

104 Ibid., p. 13-14.

46L’OCRPI joue en fait un double rôle : à la fois « client », qui prend en compte les ressources disponibles, et « fournisseur », qui en restitue les fractions préalablement définies entre exploitation, moyens de production et consommation finale. La Répartition assure donc une « fonction motrice », à l’égard de la production et des diverses composantes de la demande. Les Répartiteurs disposent de pouvoirs règlementaires étendus, sur les ressources et les besoins. Ils peuvent modifier la ressource en disposant de stocks constitués par une entreprise ou une collectivité. Et, surtout, ils infléchissent les besoins, en décidant des interdictions ou des obligations d’emploi de telle matière — ils peuvent notamment imposer l’usage de produits de substitution — ou en orientant la production vers tel transformateur ou consommateur. La répartition doit à la fois comptabiliser les besoins à satisfaire et recenser l’ensemble des ressources(importations, production nationale, stocks des particuliers, services publics, producteurs et commerçants) :  le système pousse ainsi à se doter de moyens d’investigation macro-économique beaucoup plus importants que dans l’avant-guerre. Pour les besoins, Jean Bichelonne affirme que, en théorie, la Répartition permet qu’ils soient « recensés, appréciés, satisfaits au mieux de l’intérêt général »102. Il distingue une double série de besoins : ceux du présent, qui relèvent de la satisfaction des services indispensables de l’État et de celle des approvisionnements vitaux des consommateurs ; ceux de l’avenir, qui correspondent au fonctionnement

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d’activités nouvelles nécessaires. Si la Répartition est, dans l’esprit de ses principaux responsables, destinée à mobiliser toutes les ressources, elle doit veiller à faire la part des besoins multiples des consommateurs : « Même dans l’époque de pénurie que nous traversons à l’heure actuelle, même pour des matières aussi rares que peuvent l’être l’acier ou le caoutchouc, ce sont encore 35 à 45 % des ressources qui doivent être dirigées vers ces circuits modestes, lesquels alimentent (...) la presque totalité des éléments travailleurs de la population »103. Jean Bichelonne affirme être conscient de la nécessité d’un double secteur : « Le secteur plané couvrira suivant les cas, de 40 à 90 % (...) ; toucher au secteur non plané, essayer de régler par raison a priori une chose qui se règle en réalité par un empirisme statistique ferait conduire l’économie à des déboires extrêmement graves (...) il faut que la répartition ne se montre pas tatillonne à l’égard des particuliers et qu’elle respecte cette notion du modeste stock, de la petite réserve que chaque industriel, chaque commerçant doit conserver, de façon à pouvoir travailler avec une certaine régularité »104. L’intention affirmée dépend toutefois d’un niveau minimal de la ressource, qui, dès 1941, est compromis pour de nombreux produits.

105 Robert Catherine,L’économie de la Répartition des Produits industriels, Paris, (CII), 1943, 258 p (...)

106 Ibid., préface p. VI.

47En outre, la répartition n’est pas destinée, dans l’esprit de ses théoriciens et organisateurs, à « cristalliser » — comme on l’écrivait alors — un présent de pénurie, mais à favoriser un avenir d’abondance recouvrée. D’une manière générale, les responsables des organes de Répartition — Section centrale de l’OCRPI et Secrétariat à la Répartition — prétendent défendre une conception dynamique de la Répartition. Robert Catherine, successivement attaché à la Section de Répartition du Cuir et des Pelleteries, puis à la Section centrale de l’OCRPI, fait publier par le C.I.I., au début de 1943, un ouvrage synthétique, intitulé L’Économie de la Répartition des Produits industriels105. Il développe longuement le rôle de la Répartition dans

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l’accroissement de la ressource. Jean Bichelonne, alors ministre, préface son ouvrage, et en cite ce passage essentiel : « Elle [la Répartition] appelle l’accroissement du disponible ; son intervention va même beaucoup plus loin puisqu’elle en constitue presque toujours le moyen et le contrôle permanent »106. Dans ce domaine également, le MPI et l’OCRPI mettent en œuvre deux types de procédés destinés à accroître les ressources, dans la perspective à la fois d’une réponse conjoncturelle à la pénurie du moment, mais aussi d’une amélioration durable de l’efficacité de l’économie nationale : la récupération et les produits de remplacement.

• La récupération   : tâche de l’heure et nécessité structurelle pour abaisser les coûts.

107 Jean Bichelonne, L’état actuel..., op. cit., p. 15 ; souligne par nous.

48Une loi du 23 janvier 1941 définit une série de prescriptions sur la récupération et l’utilisation des déchets et des vieilles matières (complétée par une autre loi, le 18 août 1941). De telles mesures peuvent apparaître comme un pis-aller transitoire, destiné notamment à compenser la fin des courants d’approvisionnements d’avant-guerre. Ainsi, l’industrie textile travaillait annuellement 600 000 tonnes de fibres avant 1939, dont la plus grande part — et, en particulier, les 240 000 tonnes de coton importées — provenait de l’extérieur. La principale réserve textile intérieure devient alors les chiffons, dont 100 000 tonnes sont récupérées en 1941. Ainsi, les sections de Répartition sont chargées de faire entrer les mêmes produits dans plusieurs cycles successifs de fabrication ou d’emploi. De même, pour les métaux, seule la récupération permet d’éviter l’épuisement total des stocks à partir de 1941, du fait des prélèvements allemands. Mais une telle démarche est également conçue comme durable. Sur ce point, Jean Bichelonne précise : « ... il ne faut pas s’imaginer que cette récupération soit un phénomène passager, elle est vraiment un problème de bonne administration et de saine gestion qui est destiné à subsister quel que soit l’état économique de demain ;

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il est bien évident qu’une récupération comme celle des chiffons, ou celle des ferrailles, est destinée finalement à abaisser le prix de revient de l’objet neuf et, par conséquent, à permettre une meilleure répartition des richesses pour l’ensemble de la population »107. Ainsi, à travers une contrainte de court terme, le système de la Répartition peut introduire la préoccupation permanente d’envisager la récupération comme l’un des leviers d’abaissement des coûts.

• Les produits de remplacement   : la contrainte durable d’une insertion dans l’économie continentale.

108 Cf. AN. F12 10157, d. « 221 H2 », Rapport cité.

109 Cf. Henry Rousso, « Les matières plastiques en France pendant la Seconde Guerre mondiale », Rappor (...)

49Second procédé : les produits de remplacement. Dans ce domaine également, à côté de substitutions conjoncturelles, stimulées par la pénurie, on trouve l’engagement de recherches techniques et de mises au point, destinées à améliorer durablement l’efficacité industrielle. Ainsi, l’arrêt des importations de combustibles, et notamment des carburants, conduit, dès 1940, à envisager l’utilisation du benzol, de l’alcool et surtout du gaz, à travers la construction de gazogènes108. De même, pour les textiles, l’État incite à l’accroissement de la production de fibres synthétiques (fibranne, rayonne), qui, en 1939, n’atteignait pas 30 000 tonnes — soit moins de 5 % du total des fibres produites. Pour les pneumatiques, du fait de l’interruption des arrivées de caoutchouc d’Insulinde, il faut envisager (outre le transport, dans des conditions périlleuses comme en 1941, de caoutchouc d’Indochine) le recours au « buna », produit de synthèse. Moins connus, les efforts dans le domaine des matières plastiques109. Cet effort présente un double aspect complémentaire. Les principaux dirigeants français se situent dans une perspective durable d’insertion de l’économie nationale dans des échanges à dominante continentale. L’intérêt à terme consiste à se libérer

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d’importations trop lourdes, en provenance de pays extra-européens, en particulier ceux de la mouvance anglo-saxonne. En amont, cette politique est commandée par l’idée d’une pax germanica en Europe, au lendemain du conflit. Mais, à court terme, la fabrication des produits de remplacement représente un alourdissement des coûts, du fait du retard technique français et de la non-compétitivité internationale de certains ersatz. Les services français sont conduits à s’appuyer sur l’expérience, déjà ancienne, des techniciens allemands. Mais cela implique l’engagement de négociations comportant des contreparties, donc des contraintes à mettre en balance avec les avantages escomptés. On en étudie quelques exemples dans les deux chapitres suivants.

• Les deux types de répartition   : méthode «   descendante   » et «   ascendante   ».

110 Jean Bichelonne, L’état actuel.., op. cit., p. 17 ; souligné dans le texte.

111 Ibid., p. 18.

50Les douze Répartiteurs des Sections ont employé des méthodes diverses, selon les caractères particuliers des produits dont ils ont la charge. On peut les regrouper en deux grands types. Tout d’abord, la méthode la plus fréquente, dite « descendante », qui consiste à répartir la matière de l’amont (c’est-à-dire depuis la fabrication du produit) vers l’aval : à chaque stade d’élaboration, le Répartiteur détermine non seulement les quantités — par le biais des « bons-matières », « licences d’achat », ou autres dénominations de titres, donnant droit à la disposition de ces quantités — mais aussi les entreprises de transformation. Une telle répartition substitue l’autorité du Répartiteur à la décision des entrepreneurs à tous les stades.Comme le reconnaît Jean Bichelonne : « Cette répartition descendante est extrêmement gênante pour l’industriel (...). C’est une forme extrême, dans laquelle le dirigisme intervient avec le maximum d’acuité »110. Il est une seconde méthode, qui a les préférences des responsables du MPI. Dite « ascendante », elle établit la répartition du produit

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entre les divers utilisateurs finals, à l’aval, par la distribution de « bons-matières », qui vont ainsi remonter des divers transformateurs jusqu’au producteur initial. Dans le premier cas, le Répartiteur suit la matière. Dans le second, il ne fait que répartir les droits entre les consommateurs. Cette méthode est plus souple, car elle laisse le consommateur libre de choisir son transformateur (sous réserve de s’en tenir aux quantités accordées). Ainsi, procède la Section des Fontes, Fers et Aciers, qui délivre de la « monnaie-matière » à chaque consommateur. Ce dernier peut alors effectuer une commande à un transformateur de son choix, sous la condition de lui transmettre les « bons- matières » correspondants, qui vont ainsi remonter jusqu’au producteur. Mais une telle méthode implique une double condition. Le Répartiteur doit d’abord disposer d’une connaissance adéquate des besoins des différents utilisateurs finals. Pour cela, il lui faut connaître lescoefficients déterminant les quantités de produits bruts de sa section contenus dans les divers produits finis. Seule une branche où les produits sont soumis à une certaine normalisation et où existent des statistiques précises peut offrir cette possibilité. En outre, la méthode ne peut s’appliquer que si la ressource est encore assez abondante par rapport aux besoins. Ainsi, Jean Bichelonne estime que, dans le cas d’une production couvrant 50 % des besoins normaux, une telle méthode est encore possible. Quand elle n’atteint plus que 20 ou 10 %, la distribution de la monnaie-matière devient une « caricature »111. Jusqu’en 1942, la Section des Fontes, fers et aciers, qui opère encore sur des quantités de l’ordre de 35 à 40 % des besoins de 1938, peut recourir à cette forme de Répartition. Mais ce ne peut être le cas pour les autres et, en particulier, celle des non-ferreux, dont les stocks sont en voie d’épuisement.

• Information   : statistiques «   mortes   » et statistiques «   vivantes   ».

112 AN. F37 27, d. cité. Région économique de l’Est, compte rendu cité, p. 9.

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113 Idem, compte rendu cité, p. 19.

51L’une des premières tâches des services de Répartition est d’établir des statistiques sur la ressource comme sur les besoins. Pour cela, l’OCRPI est tributaire de l’autre « pilier », les CO, dont le premier travail a été d’élaborer le recensement des entreprises relevant de leur domaine. Les résultats comme pour les autres aspects de l’activité des CO — sont très inégaux selon les branches. Les responsables du MPI paraissent d’ailleurs parfaitement avertis de l’état défectueux des statistiques industrielles en 1940. Jean Bichelonne déplore que le pays se soit « endormi depuis un demi-siècle au point de vue des statistiques (...). Quand on parlait d’industries métallurgiques ou industries chimiques, on ne savait pas exactement ce dont on parlait (...) on ne connaissait pas le nombre de tours, de fraiseuses ou de mortaiseuses dont disposait la nation. Personne ne le savait et, ce qui est plus grave, personne ne se doutait qu’il y avait un intérêt quelconque à le savoir »112. La pratique de la Répartition incite ses responsables à exiger une statistique rapide, même au prix de sa précision, afin de ne pas appuyer les décisions de répartition sur une situation obsolète. A l’un de ses auditeurs de l’industrie gazière lorraine, qui l’interpelle sur les inconvénients du délai de deux mois (écoulé entre la transmission des statistiques sur les stocks et la production de coke, et la décision du Répartiteur), Jean Bichelonne rétorque : « Vous faites là la plus forte critique de l’économie dirigée. Il existe deux sortes de statistiques : les statistiques mortes, qui sont exactes et intéressantes, mais qui, arrivant après de longs délais, n’ont aucune valeur en ce qui concerne la vie de chaque jour ;  les statistiques vivantes, faites au jour le jour, qui visent à donner à chaque instant une photographie de la situation »113.

114 Jean Bichelonne, L’état actuel..., op. cit., p. 16.

52Dès janvier 1942, il a donné les principes de la doctrine en matière de recueil des statistiques : « Il vaut mieux avoir le 10 de chaque mois un chiffre grossièrement erroné, fût-ce de 15 à 20 %, que d’attendre un renseignement plus exact qui ne

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parviendrait qu’au moment où le phénomène économique s’est largement modifié »114.

• De l’année de référence 1938 aux coefficients techniques.

115 AN. F12 10157, d. « 221 H2 », circulaire du SEPI (Secrétariat à la Répartition) à l’amiral Darlan, (...)

116 Cf. supra, chapitre XVI.

53À ses débuts, la méthode de la plupart des Répartiteurs a été « schématisée à l’extrême »115. Ils ont adopté l’année de référence 1938, pour laquelle ils ont fait établir les quantités consommées ; à partir de ces données, ils ont diminué uniformément les attributions, en fonction du coefficient de diminution globale des quantités disponibles. Dès lors, pour les douze sections, des plans de Répartition ont été établis, qui sont soumis à l’approbation du Conseil des ministres : ils constituent alors le budget-matières, en principe trimestriel, qui donne les grandes lignes des plans de répartition116.

• Lourdeur, bureaucratie et fuites. 117 Cf.  infra, chapitre XVIII.

118 AN. F37 33, d. « Textiles », s.-d. « Direction des négociations françaises », note n° 4, Note sur (...)

119 AN. FI2 10030, d. « Rapports annuels des directions - 24 - M. Jarillot », Rapport annuel sur la Di (...)

54Toute cette machine est naturellement d’une très grande lourdeur et d’une efficacité très inégale, suivant le caractère plus ou moins élaboré des statistiques, des normes de fabrication, des efforts de rationalisation et des caractéristiques de la matière répartie. La Section du Charbon est la section la plus lourde en personnel, la plus dispendieuse en frais généraux. La répartition se divise entre un échelon départemental, réservé aux consommateurs de moins de vingt

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tonnes mensuelles (particuliers et petits industriels) et un échelon national, pour les industriels qui consomment plus de vingt tonnes. La tâche du Répartiteur, l’ingénieur des Mines Jacques Thibault — dont on a analysé les rapports lors de l’Enquête sur la Production de 1937 — est d’autant plus compliquée, qu’il est tributaire, pour la ressource, de négociations avec l’Administration militaire allemande de Paris, mais aussi avec celle de Bruxelles, dont dépendent les mines du Nord-Pas- de-Calais117. Dans ce cas, la lourdeur provient du caractère quasiment universel de la matière, qui intéresse des utilisateurs à la fois considérables en nombre et fort hétérogènes. Dans d’autres cas, la lourdeur provient de la confusion des tâches entre le Répartiteur et le CO général correspondant. Il en est ainsi pour les Textiles, où Robert Carmichaël — on l’a vu — puis A. Tiberghien, sont à la fois Répartiteurs de la Section des Textiles et directeurs généraux du Comité général d’Organisation de l’Industrie du Textile. C’est également le cas du Répartiteur-chef de la Section du Papier-carton, Jean Barbut, qui est directeur responsable du CO général de la Papeterie. Il y a confusion des deux organismes, parce que, pour les deux matières, la quasi-totalité des quantités sont consommées par les entreprises relevant des deux CO généraux. Il s’agit, de plus, d’industries de biens de consommation relativement peu organisées jusque-là. Les deux répartiteurs ont eu tendance à effectuer la Répartition, mais même la sous-répartition entre les entreprises. R. Carmichaël, dans une note transmise à Jacques Barnaud, précise qu’il lui a été impossible de résoudre les problèmes de répartition, sans s’attacher à ceux de l’organisation professionnelle118. De même, Rougier, directeur de l’Industrie chimique, signale, en 1942, que, pour la papeterie, la confusion des tâches a conduit à leur alourdissement, et donc à des retards et à une grande lenteur d’exécution119. Le travail a été d’autant plus pesant dans les deux cas, que les deux industries étaient peu ou mal organisées avant la guerre.

120 AN, F37 33, d. « Textiles », s.-d. cité, Note citée (cf. note 1).

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55Mais il s’en est suivi des conflits d’attribution permanente entre la section de Répartition et les différents directeurs de CO, ce qui a d’ailleurs entraîné la démission, en 1941, des deux répartiteurs. Dans le cas du Textile, la lourdeur des tâches est encore accentuée par la jonction nécessaire entre la direction de la production et de la transformation, et le rationnement de la consommation (par les « points de carte-vêtement », les « bons d’achat »...). Le souci de R. Carmichaël d’assurer son autorité sur le CO du vêtement a accru l’inflation, déjà élevée, d’opérations et de réglementations120.

121 AN, F12 10157, d. « 221 H2 », extrait du rapport du préfet de la Côte-d’Or en date du 24 août 1941 (...)

122 Idem, Lettre du maire de Châteauroux au maréchal Pétain, 15 septembre 1941, 3 p.

123 Jean Bichelonne, L’état actuel..., op. cit., p. 19.

56Après arbitrage gouvernemental, préparé par le MPI, les différents Répartiteurs procèdent à une multitude de décisions, qui constituent autant d’actes de règlementation :  l’économie dirigée fonctionne à travers le Journal Officiel. Jean Bichelonne, qui affectionne particulièrement le maniement de chiffres astronomiques, estime, en 1942, les opérations quotidiennes de répartition entre 400 et 500 000 ! Il suppose, mais sans le savoir réellement, que, parmi elles, 10 000 environ doivent être erronées ! Les archives de la Production industrielle regorgent de plaintes, réclamations, contestations ou sollicitations diverses, quant à la Répartition. Les récriminations sont particulièrement vives de la part de petits et moyens entrepreneurs, convaincus d’être lésés dans le fonctionnement de cette lourde machine, par rapport aux grandes entreprises. Parmi de multiples témoignages convergents, le Préfet de la Côte-d’Or, le 25 août 1941, constate dans un rapport : « Beaucoup de petits industriels et commerçants ne sont pas encore informés avec exactitude de la façon dont ils peuvent obtenir des matières premières et s’adressent à la Préfecture devenue, dans les temps actuels,  l’émanation départementale

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de l’État-Providence »121. Certains responsables de collectivités locales se plaignent aussi d’être défavorisés, par rapport à des entreprises, pour l’accès à certaines matières. Le maire de Châteauroux, faisant référence au discours du Maréchal du 12 août 1941, lui écrit peu après, afin de l’informer de « quelques exemples de l’action stérilisante exercée sur les collectivités publiques par les groupements professionnels et les organismes de répartition »122. Or, comme ne l’ignorent d’ailleurs pas les responsables du système,  la quantité d’interventions des Répartiteurs est inversement proportionnelle aux quantités à répartir : plus la pénurie s’aggrave — comme c’est le cas à partir de 1942, où le rapport production/besoins n’atteint souvent pas un tiers — plus la réglementation devient touffue123. De surcroît, les occasions de fraudes se multiplient, parallèlement à la prolifération des réglementations et des interdictions. Cela entraîne le gonflement des opérations de contrôle, et accroît encore le poids des structures administratives. Dans une économie dirigée, où la contrainte s’exerce non seulement sur les quantités produites, transformées (dans tous les cas, en nombre croissant, où la Répartition est « descendante ») et consommées, mais aussi sur les prix, les occasions lucratives d’un circuit clandestin deviennent d’autant plus fréquentes. Aussi, le « marché noir » porte-t-il sur tous les éléments réglementés : produits, prix, et titres de répartition eux-mêmes (bons-matières...), dont le trafic se développe à mesure qu’ils sont davantage recherchés. Plus le système se complique, plus les fuites se multiplient.

4. Les Comités d’organisation, «   relais   » entre 1’«   économique actuel   » et 1’«   économique futur   ».

124 Cf. Jean-Guy Mérigot,Essai sur les Comités d’organisation professionnelle, Paris, 1943 ; Richard (...)

125 Jean Bichelonne, L’état actuel..., op. cit., p. 33 ; souligné par nous.

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57L’objet n’est pas d’étudier, pour elle-même, la politique des différents CO : environ quatre-vingts en 1941, ils sont estimés à 110 en janvier 1942 par Jean Bichelonne. Leurs archives, rassemblées au fort de Montlignon, semblent inutilisables124. La diversité même des CO, en partie liée aux grandes disparités dans l’efficacité de l’organisation professionnelle et de ses dirigeants avant la guerre, se manifeste à travers une activité, dont les résultats s’avèrent très dissemblables. D’autre part, le poids plus ou moins grand des contraintes matérielles — pénurie dans les approvisionnements, les transports, l’énergie... — le caractère plus ou moins vital des produits et la pression inégale de l’Occupant apparaissent également comme des facteurs importants de différenciation. En revanche, il convient de s’interroger sur la politique des représentants de l’État à travers l’action des CO, parallèlement à leur rôle au ministère même et dans les organismes de répartition. Pour la clarté du propos, il convient de distinguer la politique industrielle tributaire des contraintes de court terme, issues de la pénurie, du blocus et des exigences de l’Occupant pour son effort de guerre, et celle qui s’inscrit dans des projets à plus longue portée de remodelage de l’économie française, pour les temps de paix recouvrée. Cette distinction n’est d’ailleurs pas un artefact d’historien en quête de clarification, mais apparaît explicitement dans les préoccupations et les propos des responsables au plus haut niveau. Ainsi, Jean Bichelonne, dans sa conférence de janvier 1942, résume ainsi sa pensée : « Si vous voulez me permettre un raccourci qui forcera ma pensée pour la mieux faire saisir,  la répartition réglemente l’économique actuel, le comité [c’est-à-dire le CO] est destiné à créer l’économique futur »125.

• Une fonction structurelle de «relais   » entre État et entreprises.

126 Ibid., p. 25 ; souligné par nous.

58À plusieurs reprises, Jean Bichelonne évoque le double rôle des CO : à la fois porteurs des préoccupations des entreprises (dont ils ont la charge) auprès des représentants de l’État et, en

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retour, intermédiaires obligés pour faire exécuter les volontés de ces derniers. Les CO disposent en particulier d’un droit de proposition à l’égard de l’État en matière de prix, de normalisation, d’avances aux industriels sinistrés, de réquisition, de répartition de produits industriels et de fermeture. Ils fournissent au MPI et à l’OCRPI des informations, des études et, inversement, leur servent d’agents d’exécution auprès des entreprises. Selon le ministre de la Production industrielle, au-delà des péripéties de la Charte du Travail et de son organisation sociale, il y a une rationalité économique propre dans l’organisation en CO. Les organes créés depuis 1940 répondent à des fonctions structurelles. Le schéma idéal simplifié — on trouve une floraison d’organigrammes sur la Charte du Travail, dont la plupart font état d’organismes qui n’ont jamais existé — peut se résumer ainsi (voir fig. 9, page suivante). Les difficultés conjoncturelles issues du conflit n’auraient fait qu’accélérer une évolution à la fois « naturelle », « logique » et « rationnelle » : « Si l’on peut considérer l’organisation économique actuelle comme l’aboutissement d’une évolution simplement accélérée par la guerre et l’armistice, c’est qu’au fond cette organisation professionnelle est dans la nature des choses, qu’elle s’impose logiquement lorsque l’industrie et le commerce débordent de leur cadre individuel étroit et veulent considérer dans toute leur ampleur et résoudre rationnellement les problèmes qui naissent de leur activité »126.

Figure 9 - L’ARTICULATION ENTRE RÉPARTITION, ORGANISATION PROFESSIONNELLE ET MPI

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• Les tâches de court terme   : les CO agents d’exécution de l’OCRPI.

127 Cf. les travaux de Michel Voile : « Naissance de la statistique industrielle (1930-1950)  » in Pou (...)

128 Cf. Michel Voile,Histoire..., op. cit., p. 31 et suiv.

59Pendant les deux premières années de leur existence, la plupart des CO ont été accaparés par une double tâche, sollicitée par les Répartiteurs : effectuer le recensement de leurs entreprises et recueillir des statistiques d’une part, opérer la sous-répartition des matières premières fournies par les Sections de Répartition, d’autre part. Les CO ont envoyé des questionnaires de toutes sortes aux entreprises de leur ressort, dans un certain désordre. La qualité des questions comme celle des réponses est largement tributaire du degré d’organisation de la branche avant la guerre127. À partir de novembre 1941, le visa de la Production industrielle est nécessaire pour que le questionnaire devienne obligatoire. À la Section centrale de l’OCRPI, un Service de la coordination de la statistique, dirigé par Chapel et mis en place au début de 1941, recueille les questionnaires, tout en essayant de limiter les abus. La

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transmission de renseignements — qui ne s’est pas effectuée sans difficulté la première année — présente un caractère d’obligation. Les Répartiteurs disposent d’une arme efficace : la réponse aux questionnaires conditionne les attributions de matières premières. La contrainte est encore plus forte que dans le cas, envisagé avant la guerre par certains responsables, de lier obtention des renseignements et attribution de contingents d’importation pour le même produit : ainsi, l’établissement de statistiques précises apparaît à la fois comme la condition et le résultat de la mise en place de structures dirigistes. Mais la contrepartie de la transmission effective des réponses réside dans leur caractère souvent erroné. Michel Voile rapporte les propos de Prévot (responsable depuis le début de 1941 de la coordination des méthodes dans le service de Chapel), selon lesquels les statisticiens de l’OCRPI étaient persuadés de recevoir, dans certaines branches — notamment peu concentrées — des statistiques tout à fait fausses et destinées à majorer les attributions128.

129 Cf. AN. F12 10030, d. « Rapports annuels des directions ».

130 AN. F37 33, d. « Textiles », s.-d. cité, Note citée.

131 AN. F12 10030, d. «Rapports annuels des directions». Rapport annuel sur la Direction de l’Industri(...)

132 AN. F37 27, d. cité, Région économique de l’Est, compte rendu cité, p. 9.

60De leur côté, les commissaires du gouvernement dans les divers CO — qui sont le plus souvent les responsables des directions techniques du MPI — émettent dans leurs rapports au ministre des avis mitigés sur le travail statistique ainsi effectué129. Parallèlement, les CO se sont consacrés aux tâches de sous-répartition des matières entre les différentes entreprises. Les directeurs et présidents des CO procèdent de manière diverse, mais ils alignent eux-mêmes leurs méthodes sur celles des répartiteurs. À la référence de 1938, se substitue

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la méthode de calcul de coefficients techniques. Aux termes de la loi du 16 août, les CO sont chargés d’« arrêter les programmes de production et de «fabrication»». À partir de 1942, les directions des CO tentent, avec des succès variables, de travailler sur des « programmes de fabrication » portant sur les produits finis et définissant, en fonction des coefficients techniques, les besoins correspondants en matières premières. Robert Carmichaël affirme ainsi, à la fin de 1941, que « l’industrie textile de plus en plus travaille exclusivement sur programmes dirigés » et prétend, non sans exagération, que la Direction générale du Comité général d’organisation constitue un « bureau central de Planning »130. Dans son rapport annuel (pour l’année 1941) sur les industries se rattachant à son domaine, le directeur des Industries chimiques au MPI, Rougier, signale les grandes disparités entre les CO, quant à l’efficacité de la sous-répartition : aux assez bons résultats du CO de l’Industrie chimique ou du Caoutchouc, il oppose ceux, jugés lamentables, du CO du Papier131. De plus, la sous-répartition, très contraignante, suscite des conflits innombrables. Comme le note Jean Bichelonne : « Naturellement, il y a eu une marée de réclamations »132. Les difficultés s’aggravent parallèlement à la restriction des ressources disponibles. Outre ces deux tâches essentielles, les CO sont chargés de mettre sur pied des organismes destinés à résoudre des problèmes communs (commercialisation, organisation technique ...).

5. Vichy et l’industrie française de l’avenir.

• Les tâches des CO pour l’avenir   : «   penser   » et «   assainir   » la profession.

133 Jean Bichelonne, L’état actuel.., op. cit., p. 33-34 ; souligné par nous.

134 AN. F37 27, d. cité, Région économique de l’Est, compte rendu cité, p. 9.

135 Idem ; souligné par nous.

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136 Cf.  JO, 22-23 décembre 1941.

137 SEPI, circulaire aux CO et aux Conseils consultatifs tripartites, 18 novembre 1941, 5 p.

138 Ibid.

61À la fin de 1941, les responsables du MPI attendent aussi des CO des tâches d’avenir : « Le comité est destiné à créer l’économique futur : c’est en effet par le plan de fabrication et de production que le comité pourra influer sur ce qui se passera dans les prochaines années, qu’il pourra provoquer le progrès ou au contraire la régression de l’industrie. Aussi bien, la loi du 16 août 1940 a-t-elle eu ce souci de gestion à long terme et indique-t-elle que le comité doit définir la qualité des produits, l’emploi de la main-d’œuvre, les modalités des échanges des produits et des services ainsi que la régularisation de la concurrence ; ce sont là des tâches de durée et que les comités, un an après leur constitution, peuvent maintenant aborder. Ils ont passé l’année 1941 à recenser leurs ressortissants, ils sont maintenant devant le problème de fond qui est de diriger l’industrie »133. Quelques mois plus tard, Jean Bichelonne confirme : « Il faut que, de plus en plus, les comités se pénètrent de la nécessité de penser à l’avenir, de savoir ce que l’industrie fera dans les différentes hypothèses qui peuvent se poser à la conclusion de la paix »134. Il évoque la nécessité de «penser la profession ». Parmi les orientations définies, il précise : « Ils [les CO] doivent assainir la profession, définir les œuvres que la profession devra accomplir dans une Érance rénovée »135. Du fait d’une sécheresse exceptionnelle pour le siècle, à la fin de 1941, les ressources hydrauliques destinées aux centrales électriques baissent dangereusement, au point qu’il faut envisager de restreindre de manière draconienne la consommation. Les Autorités militaires allemandes exigent, afin de préserver les industries travaillant pour elles, un plan de fermeture d’établissements. On y revient dans le chapitre suivant. Aussi, le 17 décembre 1941, François Lehideux fait adopter une loi « relative à l’établissement d’un plan d’aménagement de la production », prévoyant notamment un

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« arrêt provisoire de certaines usines », appliqué par arrêté de la Production industrielle136. La circulaire, qu’il transmet aux CO le lendemain, précise qu’ils sont « chargés de la mise au point du plan d’aménagement de la production des usines qui leur sont rattachées »137. Le ministre leur indique « de donner la préférence aux usines les plus aptes par leur technique ou leur outillage à apporter à l’économie nationale le maximum de production avec le minimum de matières premières »138.

139 AN. F12 9966, d. « concentration industrielle. Circulaires généralités », compte rendu d’une réuni(...)

140 Idem, c.-r. cité.

141 AN, F37 27, d. cité, compte rendu cité, p. 11.

142 Idem, compte rendu cité, p. 11.

62Lors d’une réunion plénière des répartiteurs, le 10 janvier 1942, Jean Bichelonne distingue bien l’« aménagement » industriel, imposé par la conjoncture, de 1’« assainissement » souhaité pour l’avenir : « On ne saurait encore prévoir les moyens de production intéressants à conserver une fois la paix revenue et ceux dont on peut se débarrasser. Il faut attendre que les comités d’organisation soient en mesure de nous fournir des indications à ce sujet »139. Il définit trois « concepts » qui doivent guider les choix de concentration : celui d’« économie d’énergie », « qu’il ne faut pas seulement envisager comme une nécessité du moment, mais aussi comme un progrès pour l’avenir », celui d’« économie de matière première », ainsi que le « concept social » (qui doit inciter à aiguiller la main-d’œuvre des usines fermées vers celles de la même localité, restées ouvertes)140. En septembre 1942, il cite le chiffre de 3 800 usines fermées à ce titre et répète la distinction entre cette concentration provisoire et l’« assainissement » industriel durable nécessaire141. Ainsi, certaines usines textiles rouennaises modernes ont été fermées, parce qu’elles étaient équipées pour consommer du charbon anglais. En revanche, il évoque « la seconde étape de la concentration », qui consiste,

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pour l’avenir, « à rechercher ces usines qui fabriquent des objets non absolument indispensables, et à les fermer »142.

143 AN, F12 10030, d. « Rapports annuels des directions », Rapport annuel cité.

144 Idem, Rapport annuel cité.

145 Idem.

63Dans chacune de leurs directions verticales, les responsables de la Production industrielle sont chargés, en qualité de Commissaires du gouvernement, de faire appliquer cette politique par les CO qu’ils contrôlent. Ainsi, Rougier, à la Direction des Industries chimiques (qui a en charge des entreprises employant environ 300 000 ouvriers), distingue les CO dirigés de manière insatisfaisante, parce qu’ils s’occupent des « problèmes présents » plutôt que de 1’« avenir », et ceux qui travaillent à des remodelages liés à des perspectives larges. Parmi ces derniers, le CO des Industries chimiques, composé d’« industriels de grande classe » — dont le Président, Georges-Jean Painvin — soucieux de définir des « programmes de fabrication » pour l’avenir (pour l’amnoniaque, le méthanol...), des produits de remplacement (dans les matières plastiques ou les résines), ou le CO du Verre, dominé par Saint-Gobain (qui crée les premiers fours électriques de verrerie) et Boussois143. En revanche, il reproche la « tendance marquée à la cristallisation » de nombreux CO144. À propos du CO des Produits pharmaceutiques, il note : « On peut reprocher à ce CO, comme à bien d’autres, de chercher avant tout à maintenir la situation privilégiée d’une activité qui a connu dans les décades précédentes une fortune peu commune »145.

146 Idem. C’est dans l’industrie papetière que André Monestier et Jean Coutrot ont essayé d’« organise (...)

147 Idem.

64Dans certains cas, comme le CO des Peintures et Vernis, il note le souci de se préoccuper de l’avenir, mais les travaux de

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sous-répartition et d’organisation absorbent la quasi-totalité de l’activité. Les critiques les plus vives s’adressent au CO du Papier, concentré sur les problèmes quotidiens, alors que l’avenir est « vital ». Le présent n’est guère brillant : entreprises « retardataires », rôle néfaste des ententes d’avant guerre, qui ont maintenu cette industrie dans « un état stationnaire de médiocrité » ; les activités du CO ont le plus souvent comme but « la défense des intérêts personnels du plus grand nombre possible d’industriels, à l’exclusion de la défense des intérêts généraux, malgré le Commissaire du gouvernement qui est intervenu à de nombreuses reprises pour orienter la politique du Comité vers l’avenir »146. L’avenir apparaît comme le plus sombre, parmi les différents CO : pour le papier ordinaire, « seules pourront subsister de grandes usines modernes (...) et quelques moyennes ». Pour le papier à cigarette, « la concurrence américaine est irrémédiable ». Dans ce cas, l’« assainissement » passe par des fermetures : « Les industriels n’ont pas encore bien compris cette situation et le comité d’organisation n’a pas eu l’autorité nécessaire malgré les nombreux efforts de la Direction pour amorcer ce travail si salutaire »147. Parmi les autres critiques générales du Directeur de la Chimie, celle ayant trait à la situation de la recherche est l’une des plus vives. La capacité d’organiser des études techniques est jugée considérablement inférieure à celle des Allemands : seules quelques sociétés, telles Rhône-Poulenc, Ugine ou Kuhlmann, disposent de véritables laboratoires.

• La genèse des grands programmes du complexe énergético-sidé- rurgique.

148 Richard F. Kuisel, Le capitalisme..., op. cit., p. 256 et suiv., ainsi que son article « Vichy et (...)

65On sait, grâce aux travaux pionniers de Richard F. Kuisel puis d’autres historiens à sa suite, que Vichy met en place les premières structures de planification avec la « Délégation générale à l’Équipement national » (« DGEN »), qui, placée sous l’autorité de François Lehideux épaulé par des experts éminents, prépare un plan de dix ans148. Mais, bien que

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François Lehideux cumule, de juillet 1941 à avril 1942, ces fonctions avec celles du ministre de la Production industrielle, il ne parvient pas, malgré des vœux exprimés au CEI, à articuler les objectifs de long terme et la répartition de court terme. Ainsi, le plan d’Équipement national, prêt en mai 1942, n’a jamais vraiment pesé sur la direction de l’économie ou des finances. Il apparaît en marge, tel un ensemble d’hypothèses d’école, jusqu’à son abandon définitif, après le retour de Pierre Laval. D’autre part, tout en formulant des constats décisifs sur le retard des structures économiques, il ne fixe ni de véritables objectifs de production, ni une hiérarchie sélective des efforts à entreprendre. En revanche, avant même la mise en place de la DGEN, au niveau de branches stratégiques — celles du complexes énergético-sidérurgique — des programmes précis d’équipement ont été élaborés (souvent d’ailleurs par les mêmes experts, appelés ensuite dans l’État-major de Lehideux).

149 AN. F12 10070, P.V./CO de l’Énergie électrique, 243 B, p.v. du 26 décembre 1940, 3 p.

150 Idem, p.v. du 9 janvier 1941, 6 p.

151 Idem, p.v. du 13 février 1941, 1 p. et mémorandum annexe, 4 p.

152 Idem, p.v. du 20 février 1941, 3 p.

153 Idem, p.v. du 30 octobre 1941 (38e séance), 3 p.

154 Cf. AN.F12 10123, d. 5, « Commission d’Utilisation de 1’ énergie ». On y trouve les p.v. des séanc (...)

66Chronologiquement, les programmes d’équipement électrique ont été conçus les premiers. Les procès-verbaux des séances du CO de l’Énergie électrique — on en a retrouvé 96 dans les archives de la Production industrielle — révèlent que, dès la première réunion du CO, institué par un décret du 12 novembre 1940, Robert Gibrat, directeur de l’Électricité auprès de Henri Lafond et commissaire du gouvernement délégué au CO, propose d’entreprendre, « dans le plus bref délai », l’étude

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d’un programme de Grands Travaux149. Le 9 janvier 1941, il annonce que la pénurie durable en combustibles solides justifie pour la France « la réalisation d’un programme de travaux hydro-électriques entraînant la réduction aussi poussée que possible de la production thermique comportant l’emploi de charbon marchand »150. Selon lui, le problème peut se résoudre par l’équipement de trois à quatre installations hydro-électriques : il cite Donzère-Mondragon, Serre-Ponçon, Bort, et il évoque l’accord de l’État pour participer à la création d’une station marémotrice (dont il va d’ailleurs demeurer l’initiateur, quinze ans après). Un mois plus tard, un mémorandum, rédigé par Roger Boutteville, président du CO, définit un double objectif : prolonger le « programme de 1938 », en s’assurant que « le choix des opérations ne sera pas livré au hasard des initiatives individuelles », et accroître la production de combustibles solides en prévoyant les moyens d’en économiser la consommation151. Le CO approuve ce « programme de 1941 », et se déclare « convaincu que la stagnation relative de la consommation depuis 1937 est un phénomène temporaire »152. En octobre 1941, le CO arrête les bases d’un plan décennal d’achèvement du programme de 1938 (pour 4 MkWh) et de réalisation d’un programme complémentaire, permettant d’accroître de onze milliards de kWh la production hydraulique annuelle, soit un doublement d’ici à 1951. De manière corollaire, cette production supplémentaire permettrait de substituer deux milliards de kWh hydrauliques à l’équivalent en thermique, de parer aux besoins supplémentaires de la SNCF et de mettre trois milliards de kWh à la disposition des industries lourdes153. Ainsi, dès la fin de 1941, le CO de l’Énergie électrique définit les interdépendances et la cohérence entre le « programme de 1941 » et les autres programmes énergétiques, ainsi que ceux des industries ou des transports en aval. Les programmes économiques de base se trouvent alors définis de manière plus précise — et sélective — que dans le plan de la DGEN. En février 1942, est créée, auprès du secrétaire-général à l’Énergie, une Commission de l’Utilisation de l’Énergie réunissant, sous la présidence de l’Ingénieur des Mines Crussard, puis de Robert Gibrat — qui y

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demeure, même après avoir quitté son poste de ministre des Transports — les principaux responsables des CO liés au complexe énergético-sidérurgique : Roger Boutteville, Aimé Lepercq (président du CO des Combustibles minéraux solides), Jules Mény (président du CO des Combustibles Liquides), Jean Dupuis (membre du CO de la Sidérurgie), ainsi que les responsables de la SNCF. Et les archives de la Commission permettent d’en suivre les débats jusqu’en juin 1944154.

155 Interviews de Pierre Weil (Paris, 10 et 15 décembre 1986).

156 AN. F12 10123, d.5 cité, pv du 29 mars 1944, 6 p.

157 Cf. les études de Henry Rousso dans le rapport de l’ATP/CNRSSciences, technologie, société, sld. (...)

67Parallèlement, Aimé Lepercq et le CO des Combustibles solides met au point un programme de production pour atteindre les soixante-cinq millions de tonnes de charbon. Dès la fin de 1941, un important programme décennal d’électrification (débutant par le Paris-Lyon) a été préparé à la SNCF, malgré l’absence de financement. C’est l’œuvre de M. Lang, directeur-adjoint du Réseau — il vient du réseau d’Alsace-Lorraine, où il a secondé Frédéric Surleau — puis, après sa déportation, par M. Garreau et Fernand Nouvion155. De même, à la fin de 1942, Jean Dupuis rédige, pour le CO de la sidérurgie, une volumineuse note prévoyant d’atteindre un objectif de dix millions de tonnes annuelles dans les cinq ans suivant la fin de la Guerre, ce qui implique d’accroître la disponibilité en coke d’environ onze millions de tonnes156. Outre ces programmes des secteurs de base, on sait que, en 1941-43, des recherches de pointe sont conduites dans la chimie, l’automobile (la 4 CV...) ou même les constructions électriques157. Ces découvertes ou innovations apparaissent toutefois économiquement marginales, même si elles témoignent d’une volonté de modernisation dans certaines branches et s’avèrent techniquement fécondes.

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• Le financement public   : insignifiance des dépenses, innovations dans la procédure.

158 Cf. AN. 468 AP 30, d. 6, sdb.

159 AN. FI2 10157, d. « circulaires secrétariat de la Répartition, 1942-1944 », Notice sur la loi du 2 (...)

68Tous ces programmes sont établis sans aucune assurance de financement, la rue de Rivoli ne pouvant envisager d’alourdir les charges de trésorerie. Malgré le tableau quelque peu flatteur dressé après guerre par Yves Bouthillier, les dépenses effectives en faveur des investissements se montent à un ou deux milliards annuels en 1941-43, réservées à la réparation des dommages de guerre, d’ailleurs très incomplètement assurée par l’État selon la législation de Vichy (cf. supra, chapitre I). En revanche, des innovations durables sont mises en place en matière de procédure de financement. Tout d’abord, René Belin fait adopter — à partir d’une suggestion formulée en particulier par Jean Coutrot — la loi du 12 septembre 1940, qui crée un système de warrantage industriel : les industriels « fabriquant des produits jugés utiles » reçoivent une « lettre d’agrément » du MPI, qui leur permet de donner des stocks en gage, sans s’en dessaisir matériellement, contre des avances transitant par la Caisse des Marchés158. Et surtout, la loi du 23 mars 1941, destinée à « faciliter la fabrication des produits de remplacement » et à « combler les lacunes industrielles », accorde, en contrepartie d’une participation aux bénéfices et de la constitution d’un dossier complet sur l’activité de l’entreprise emprunteuse, une garantie de l’État pour des crédits consentis par le Crédit national. Un comité de sept membres (quatre représentants des Finances — dont celui du Trésor — et du MPI, un du Crédit national, un de la CNME) donne un avis, ouvrant la possibilité à un arrêté du ministre des Finances159. Cette loi du 23 mars 1941 va constituer la principale procédure — derrière celle issue du Plan Marshall à partir de 1948 — de financement

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public pendant les six ou sept années de Reconstruction d’après guerre.

***

CONCLUSION DU CHAPITRE XVII69La direction vichyste de l’économie et des finances subit, dès les premières semaines de l’Occupation, la « double équivoque originelle » analysée au chapitre précédent. La politique monétaire et financière, qui prétend se fonder sur les postulats libéraux d’un franc fort soutenu par une « politique de circuit » un appui sur les banques, conduit à mettre en œuvre un appareil dirigiste totalitaire de contrôle sévère des prix et des revenus, afin de tenter de les maintenir jusqu’à la paix. Mais les effets de l’Occupation exercent une pression contradictoire, dans la mesure où les Autorités allemandes, à travers des services concurrents, opèrent des ponctions d’une ampleur telle qu’elles compromettent l’efficacité du système, tout en refusant d’en alléger les rigueurs, et parfois de s’y soumettre elles-mêmes.

70Parallèlement, la direction de l’industrie fonctionne à travers des structures étatiques inédites, destinées à assurer une répartition autoritaire. Cet appareil répond aux contraintes de court terme issues des diverses pénuries, aggravées par les exigences allemandes. Mais il est aussi conçu par les experts/gouvernants comme devant faciliter  la rénovation de l’industrie française dans l’Europe nouvelle, nécessairement dominée par l’économie allemande. En aval de ces choix fondamentaux, des pratiques nouvelles se mettent en place, ainsi que des diagnostics et des projets de développement : autant d’éléments qui pourront être réutilisés, même dans d’autres perspectives.

71Ainsi, plus que l’innovation macro-économique de la planification — sans grande influence sur la direction effective de l’économie et inspirée par des principes étrangers à ceux du futur Plan Monnet, du fait de la non-sélectivité des programmes et de l’absence de concertation sociale — la politique du MPI se caractérise par  l’élaboration au niveau méso-économique de

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programmes dans les secteurs de base du complexe énergico-électrique. Du point de vue technique et économique, les diagnostics sur les goulots essentiels et le contenu des principaux programmes ont été formulés. Dans le domaine financier, malgré les principes « austères » de la rue de Rivoli, des institutions de financement public de l’équipement ont été mises en place : l’idée d’un comité d’examen interministériel, dans lequel le Trésor et le Crédit national jouent un rôle moteur, va servir de modèle en 1948 pour la Commission des Investissements. Enfin, à travers l’activité de certains grands CO ou de commissions ad hoc, l’habitude a été prise de se concerter entre grands experts publics et privés. C’est notamment le cas dans l’énergie (Pierre Ailleret, Pierre Massé et Pierre Grezel, nommés à la Commission des Travaux du CO de l’Énergie électrique, cotoient Roger Boutteville, Robert Gibrat et Aimé Lepercq), la sidérurgie ou la chimie, où souffle une ardeur antimalthusienne.

NOTES

1 Les services des Finances calculent sur une base de 22 F par jour pour 300 000 hommes, soit 6,6 millions, c’est-à-dire cinquante fois moins par rapport au chiffre allemand, qui correspond à l’entretien de 18 millions d’hommes.

2 Cf.  infra, chapitre XVIII.

3 Yves Bouthillier, Le drame..., op. cit., t. 2, p. 54.

4 AEF, B. 33 196, Note de Trésorerie, 30 octobre 1940, 8 p.

5 Idem, doc. n° 13, Évaluation des charges de Trésorerie pour 1941, s. a., 3° bureau Trésorerie, 1re section, 8 p.

6 Yves Bouthillier, Le drame..., op. cit., t. 2, p. 423 ; souligné par nous.

7 Cf. L’action économique..., op. cit., p. 31-33.

8 Cf. supra, chapitre I. 491/1 292 milliards : 38 %.

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9 Cf. Jean Bouvier, Un siècle de banque française, Paris, 1973, 285 p. et la thèse de Claire Andrieu, « L’État et les banques commerciales en France 1867-1944 », IEP, 1988, ainsi que ses articles. Le Comité de travail comprend également les présidents Bavière (Banque de l’Union parisienne) et Celier (Comptoir d’Escompte),Escarra (directeur général du Crédit Lyonnais), et les banquiers de Boissier (de Saint-Chamond) et Varin-Bernier (de Bar-le-Duc).

10 Yves Bouthillier, Le drame..., op. cit., t. 2, p. 42 et p. 415.

11 Ibid., p. 420.

12 Cf. supra, chapitre I.

13 Cf. supra, chapitre I.

14 Yves Bouthillier, Le drame..., op. cit., t. 2, p. 427.

15 François Bloch-Lainé, « À propos du ministère des Finances », document multigraphié, CHSGM, 1977, p. 14.

16 Yves Bouthillier, Le drame..., op. cit., p. 427.

17 Cf. Délégation française auprès de la Commission allemande d’Armistice,Procès-verbaux des réunions (du 1/7/1940 au 5/8/1944), 10 vol. (à la BDIC et AEF 4 D 1 à 9).

18 Yves Bouthillier, Le drame..., op. cit., t. 2, p. 73.

19 Robert O. Paxton, La France..., op. cit., p. 124.

20 Yves Bouthillier, Le drame..., op. cit., t. 2, p. 77.

21 Ibid., p. 72.

22 Cf. supra, chapitre VIII et Achille Dauphin-Meunier, Produire pour l’homme,Paris, 1941, p. 302-337.

23 Cf. AN, F 60 590, p.-v. de la séance du 8 mars 1941, du CEI.

24 Idem, p.-v. de la séance du 22 mars 1941 du CEI ; souligné par nous.

25 Idem, p.-v. de la séance du 8 mars 1941 du CEI.

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26 Cf. AN, F 37 21, d. « prix », Recueil analytique des autorisations de prix depuis le 1er septembre 1939, 324 p. (à la date du 31 décembre 1940) ; cf. également  idem, divers dossiers par produits.

27 Cf. AN, F 60 590, p.-v. de la séance du 9 mai 1941 du CEI.

28 Cf. AN, F 37 21, d. « circulaires sur les prix », c. r. de la réunion au Majestic, 11 juin 1942, 4 p.

29 AN, F 60 590, p.-v. de la séance du 21 juin 1941 du CEI.

30 .Idem, p.-v. de la séance du 5 septembre 1941 du CEI.

31 Idem, p.-v. de la séance du 8 mars 1941 du CEI.

32 Idem, p.-v. de la séance du 9 mai 1941 du CEI.

33 Idem, p.-v. de la séance du 21 juin 1941 du CEI.

34 Cf.  idem, p.-v. de la séance du 22 août 1941 du CEI.

35 Cf.  idem, p.-v. de la séance du 26 août 1941 du CEI.

36 Idem, p.-v. de la séance du 22 août 1941 du CEI.

37 Idem, p.-v. cité.

38 AN, F 60 591, p.-v. de la séance du 10 septembre 1941 du CEI.

39 Idem, p.-v. de la séance du 1er octobre 1941 du CEI.

40 Idem, p.-v. cité.

41 AN, F 60 590, p.-v. de la séance du 12 juin 1941 du CEI.

42 Idem, p.-v. de la séance du 9 mai 1941 du CEI.

43 Idem, p.-v. cité. Il s’est engagé à accroître le traitement des cheminots.

44 Idem, p.-v. cité.

45 Yves Bouthillier, Le drame..., op. cit., t. 2, p. 432.

46 AN, F 60 590, p.-v. de la séance du 9 mai 1941 du CEI.

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47 Idem, p.-v. cité.

48 Cité in L’action économique en France..., op. cit., p. 148. Il estime la réduction à environ un tiers par rapport à 1938.

49 Cf.  ibid., p. 90 et suiv.

50 AN, F 60 590, p.-v. de la séance du 1er août 1941 du CEI.

51 Idem, p.-v. de la séance du 28 mars 1941.

52 Idem, p.-v. cité.

53 Idem, p.-v. de la séance du 16 mai 1941 du CEI.

54 AN, F 60 591, p.-v. de la séance du 10 septembre 1941 au CEI.

55 Idem, p.-v. cité.

56 Idem, p.-v. de la séance du 12 novembre 1941 du CEI.

57 Idem, p.-v. de la séance du 26 novembre 1941 du CEI.

58 Idem, p.-v. cité.

59 Idem, p.-v. de la séance du 12 novembre 1941 du CEI. Le salaire moyen s’établit à 17 000 F.

60 Idem, p.-v. de la séance du 4 février 1942 du CEI.

61 Cf. Robert O. Paxton, La France..., op. cit., p. 127 et suiv. ; Jean-Baptiste Duroselle, L’abîme 1939-1945, Paris, 1986, p. 300.

62 AN, F 60 591, p.-v. de la séance du 13 février 1942 du CEI.

63 Richard F. Kuisel, « The Legend of Vichy Synarchy », French Historial Studies,vol. VI, 1970.

64 Cf. AN, 468 AP 31, d. 4 « Agendas de Jean Coutrot ». À la date du 10 mai 1941, on peut lire : « mauvaise nuit » ; et au 4 avril : « une seule chance de salut-magnétiseur ». Il a noté une réunion de la Commission du Plan Comptable pour le 29 mai. Il meurt le 19 mai.

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65 Jacques Benoist-Méchin, De la défaite au désastre, t. 1 : Les occasions manquées - juillet 1940-avril 1942, Paris, 1984, (474 p.), p. 62.

66 ibid., p. 63.

67 Ibid., p. 53 et suiv.

68 AN, F 60 590, p.-v. de la séance du 26 avril 1941 du CEI.

69 Philippe Pétain, Quatre années au pouvoir, Paris, 1949, p. 120. Cf. Richard F. Kuisel, Le capitalisme..., op. cit., p. 251.

70 AN, F 37 33, d. « Textiles », s. d. « Direction des négociations françaises », Lettre de R. Carmichaël au Maréchal Pétain, Direction générale, D/l/127, 18 octobre 1941, 2 p. ; une lettre identique est envoyée à l’amiral Darlan, ainsi qu’un dossier de sept notes, constitué par R. Carmichaël et transmis à Jacques Barnaud le 11 novembre 1941.

71 Idem, Lettre citée.

72 Idem, Note 4 : « Attaque contre M. Carmichaël dans la presse », 5 p. (divers extraits de presse).

73 Idem, note 3, « Note sur l’attaque personnelle dont j’ai été l’objet de la part de M. Lehideux », 4 p.

74 Idem, Jacques Barnaud à Schmid (chef de la division économique de l’Administration militaire en France), 1834/RFA, 25 novembre 1941, 1 p.

75 Idem, compte rendu d’une réunion entre représentants SEPI/Autorités d’Occupation, des 2, 3 et 4 mai 1941, DGCOIT, 1232/AE/l, signé de Fouchier, DGCOIT, 15 mai 1941, 29 p.

76 Cf. AN, F 12 10157, d. « 221 H 2 », Rapport sur l’activité du MPI et du Travail du 15 juillet au 15 novembre 1940, cité (cf. supra, chapitre XVI).

77 Idem, Rapport cité.

78 Idem.

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79 Cf. Jacques Julliard, « La Charte du Travail », in Le Gouvernement de Vichy - 1940-1942, institutions et politiques, Paris, 1972 (Actes du Colloque de la FNSP, 6-7 mars 1970), p. 157-194.

80 AN, F 12 10157, d. « 221 H 2 », Rapport cité.

81 Idem, Rapport cité.

82 Idem, Observations sur le rapport Belin-C/MB, s. a., Vichy, 1er décembre 1940, 2 p.

83 Cf. Jacques Julliard, « La Charte... », art. cité, p. 166-167.

84 Cf. supra, chapitre XI.

85 Cf. AN, F 37 20, d. « Le statut des professions », notes nos 1 à 4 (datées du 8 avril au 5 mai 1941) de Gérard Bardet.

86 Idem, note n° 2, « quelques idées sur la forme et le fond d’une Charte du Travail », 15 avril 1941,11 p

87 Idem, note n° 1, « questions préalables », 8 avril 1941, 8 p.

88 Idem, note n° 2, citée.

89 Idem, note n° 1, citée.

90 Idem, note n° 2, citée.

91 Idem.

92 Idem, note n° 3, « Sur un apparentement des professions en vue de l’application d’une Charte du Travail », 23 avril 1941, 6 p.

93 Cf. Jacques Julliard, « La Charte... », art. cité, p. 167 et Henry W. Ehrmann, La politique..., op. cit., p. 88-91.

94 Cf. Le Gouvernement de Vichy..., op. cit., p. 337-355.

95 Dans les archives du Chef de l’État (AN, AG II), on trouve assez peu de cartons relatifs aux questions économiques : AG II 458, « Finances » - AG II 501, « Divers » - AG II 536, « Finances (1941-1942) » - AG II 544 et 545, « Finances (1942-1944) » - AG II 585,

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Papiers du chargé de mission avec le ministère de la Production industrielle et du Travail.

96 AN. F12 10157 d. « 221 H2 », Rapport cité.

97 Yves Bouthillier, Le drame..., op. cit., t. 2, p. 282-283.

98 Parmi de multiples témoignages de cette amertume des entrepreneurs de PME, cf. Pierre Nicolle, Cinquante mois d’armistice, Paris, 1947.

99 AN. F37 27, d. « Aide apportée par l’Allemagne à l’économie française », Région économique de l’Est, Compte rendu de la réunion tenue le 13 septembre 1942, à Nancy, (26 p.), p. 8.

100 Idem, Compte rendu cité, p. 8.

101 Idem, compte rendu cité, p. 11 ; souligné par nous.

102 Idem, compte rendu cité, p. 12.

103 Jean Bichelonne, L’État actuel..., op. cit., p. 12.

104 Ibid., p. 13-14.

105 Robert Catherine, L’économie de la Répartition des Produits industriels, Paris, (CII), 1943, 258 p., préface de Jean Bichelonne.

106 Ibid., préface p. VI.

107 Jean Bichelonne, L’état actuel..., op. cit., p. 15 ; souligne par nous.

108 Cf. AN. F12 10157, d. « 221 H2 », Rapport cité.

109 Cf. Henry Rousso, « Les matières plastiques en France pendant la Seconde Guerre mondiale », Rapport de l’ATP-CNRS, Sciences, technologie, société, s.l.d. de François Caron, 1982.

110 Jean Bichelonne, L’état actuel.., op. cit., p. 17 ; souligné dans le texte.

111 Ibid., p. 18.

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112 AN. F37 27, d. cité. Région économique de l’Est, compte rendu cité, p. 9.

113 Idem, compte rendu cité, p. 19.

114 Jean Bichelonne, L’état actuel..., op. cit., p. 16.

115 AN. F12 10157, d. « 221 H2 », circulaire du SEPI (Secrétariat à la Répartition) à l’amiral Darlan, signée Pucheu, SRD 717, 13 mai 1941, 11 p.

116 Cf. supra, chapitre XVI.

117 Cf.  infra, chapitre XVIII.

118 AN. F37 33, d. « Textiles », s.-d. « Direction des négociations françaises », note n° 4, Note sur la structure et le fonctionnement de la section textile de l’OCRPI et de la direction générale du CGOIT, de Robert Carmichaël pour Jacques Barnaud, 26 août 1941, 6 p.

119 AN. FI2 10030, d. « Rapports annuels des directions - 24 - M. Jarillot », Rapport annuel sur la Direction des Industries chimiques et les industries qui s’y rattachent, 1942, 86 p.

120 AN, F37 33, d. « Textiles », s.-d. cité, Note citée (cf. note 1).

121 AN, F12 10157, d. « 221 H2 », extrait du rapport du préfet de la Côte-d’Or en date du 24 août 1941, 1 p. ; souligné par nous.

122 Idem, Lettre du maire de Châteauroux au maréchal Pétain, 15 septembre 1941, 3 p.

123 Jean Bichelonne, L’état actuel..., op. cit., p. 19.

124 Cf. Jean-Guy Mérigot, Essai sur les Comités d’organisation professionnelle,Paris, 1943 ; Richard F. Kuisel, Le capitalisme..., op. cit., p. 240 et suiv. ; ainsi que Henry Rousso, « Les Comités... », mémoire cité, et « L’organisation... », art. cité.

125 Jean Bichelonne, L’état actuel..., op. cit., p. 33 ; souligné par nous.

126 Ibid., p. 25 ; souligné par nous.

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127 Cf. les travaux de Michel Voile : « Naissance de la statistique industrielle (1930-1950)  » in Pour une histoire de la statistique, Paris, 1977, t 1, p. 327-366 ; « L’organisation des statistiques industrielles françaises dans l’après-deuxième guerre mondiale » RHSGM, n° 116, octobre 1979, p. 1-25 ; Le métier de statisticien, Paris, 1980 et Histoire de la Statistique industrielle, Paris, 1982, 303 p. Une partie des informations sur l’Occupation repose sur le témoignage de Prévot, chargé de la coordination des méthodes.

128 Cf. Michel Voile, Histoire..., op. cit., p. 31 et suiv.

129 Cf. AN. F12 10030, d. « Rapports annuels des directions ».

130 AN. F37 33, d. « Textiles », s.-d. cité, Note citée.

131 AN. F12 10030, d. «Rapports annuels des directions». Rapport annuel sur la Direction de l’Industrie chimique..., cité.

132 AN. F37 27, d. cité, Région économique de l’Est, compte rendu cité, p. 9.

133 Jean Bichelonne, L’état actuel.., op. cit., p. 33-34 ; souligné par nous.

134 AN. F37 27, d. cité, Région économique de l’Est, compte rendu cité, p. 9.

135 Idem ; souligné par nous.

136 Cf.  JO, 22-23 décembre 1941.

137 SEPI, circulaire aux CO et aux Conseils consultatifs tripartites, 18 novembre 1941, 5 p.

138 Ibid.

139 AN. F12 9966, d. « concentration industrielle. Circulaires généralités », compte rendu d’une réunion plénière des Répartiteurs du 10 janvier 1942, 8 p.

140 Idem, c.-r. cité.

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141 AN, F37 27, d. cité, compte rendu cité, p. 11.

142 Idem, compte rendu cité, p. 11.

143 AN, F12 10030, d. « Rapports annuels des directions », Rapport annuel cité.

144 Idem, Rapport annuel cité.

145 Idem.

146 Idem. C’est dans l’industrie papetière que André Monestier et Jean Coutrot ont essayé d’« organiser » la profession avant guerre.

147 Idem.

148 Richard F. Kuisel, Le capitalisme..., op. cit., p. 256 et suiv., ainsi que son article « Vichy et les origines de la planification économique-1940-1946 », Le Mouvement Social, 98, janv-mars 1977, p. 77-101 ; cf. également Philippe Mioche, Le Plan Monnet, genèse et élaboration 1941-1947, Paris, 1987 (323 p.).

149 AN. F12 10070, P.V./CO de l’Énergie électrique, 243 B, p.v. du 26 décembre 1940, 3 p.

150 Idem, p.v. du 9 janvier 1941, 6 p.

151 Idem, p.v. du 13 février 1941, 1 p. et mémorandum annexe, 4 p.

152 Idem, p.v. du 20 février 1941, 3 p.

153 Idem, p.v. du 30 octobre 1941 (38e séance), 3 p.

154 Cf. AN.F12 10123, d. 5, « Commission d’Utilisation de 1’ énergie ». On y trouve les p.v. des séances de la Commission de février 1942 à juin 1944.

155 Interviews de Pierre Weil (Paris, 10 et 15 décembre 1986).

156 AN. F12 10123, d.5 cité, pv du 29 mars 1944, 6 p.

157 Cf. les études de Henry Rousso dans le rapport de l’ATP/CNRS Sciences, technologie, société, sld. de François Caron,

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1982 ; Patrick Fridenson, dansL’Histoire, février 1979, p. 34 ; Jean-Pierre Rioux, dans L’Histoire, février 1986, p. 41.

158 Cf. AN. 468 AP 30, d. 6, sdb.

159 AN. FI2 10157, d. « circulaires secrétariat de la Répartition, 1942-1944 », Notice sur la loi du 23 mars 1941, 52 AG 23-3-5, 15 février 1944, 5 p.

Chapitre XVIII. Vichy et les contraintes, contrôles et « contrats » allemands (1940-1942)p. 591-629

TEXTE INTÉGRAL

1 AN. F 37 20, d. « DGRE-Économie intérieure », s.-d. « Études sur la collaboration économique franco (...)

1Une note des services de Jacques Barnaud, en date du 30 décembre 1941, intitulée « exposé succinct de la collaboration franco-allemande dans le domaine économique », signale que les rapports économiques franco-allemands ont, depuis l’Armistice, « pris une importance de jour en jour croissante »1. Il y est fait mention de trois types de transactions avec l’Occupant — sans tenir compte du butin et des prises de guerre effectuées depuis la défaite. Deux relèvent plutôt de la politique commerciale : la cession de produits (alimentaires ou

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industriels) et le placement decommandes allemandes auprès de différentes industries. Le troisième porte sur l’acceptation de participations allemandes dans des affaires françaises. Nous consacrons entièrement le chapitre suivant à ce dernier type, qui dépend davantage de la direction des Finances extérieures. Pour les deux premiers, il convient de mesurer quel a pu être leur poids sur la direction de l’économie et, en particulier, sur l’attitude des responsables de l’État.

2L’une des variables décisives est naturellement l’ampleur plus ou moins grande des besoins de l’Occupant en produits divers, qui rend largement compte de  l’intensité de sa ténacité. D’une manière générale, la stratégie économique allemande qui, on le sait, n’est pas une, mais comporte des nuances certaines (entre les Autorités militaires en France, les services de Ribbentrop, de Goering, puis ceux de Speer ou de Sauckel à Berlin, sans compter les différences entre négociateurs du Majestic ou de Berlin, selon les produits), pèse grandement sur l’état des relations franco-allemandes. En regard, les disponibilités des ressources françaises, variables selon les productions, ont influé sur l’attitude des responsables de l’État français.

3Cependant, dès l’été de 1940, l’un de leurs principaux soucis, aux Finances comme à la Production industrielle, consiste à bâtir l’organisation propre à permettre à l’État de contrôler et de diriger l’ensemble des transactions avec l’Occupant. Il convient de s’attacher à l’étude des rapports commerciaux franco-allemands sur quelques branches significatives, afin de mieux saisir dans sa complexité le poids de la contrainte commerciale allemande, et de mesurer les différences, voire les divergences, entre les responsables de l’État et des entrepreneurs privés, quant à la conduite à tenir face à l’Occupant.

I. LA JUSTIFICATION DES ACCORDS   : LA CONVERGENCE D’INTÉRÊTS

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2 AN. F 37 27, d. « Aide apportée par l’Allemagne à l’économie française », DIME, Note pour M. le Dél(...)

4L’une des directions techniques du MPI les plus impliquées dans les accords de produits ou de commandes industrielles pour l’Allemagne est la Direction des Industries mécaniques et électriques (DIME). Son directeur (de 1940 à 1943), René Norguet, ingénieur du Génie maritime, est l’un des principaux fonctionnaires du MPI, dont il devient le secrétaire général. À la fin de 1941, il transmet à Jacques Barnaud — qui va s’en inspirer largement — deux notes confidentielles destinées à préciser les « avantages que l’industrie française peut retirer de sa situation actuelle vis-à-vis de l’industrie allemande ». L’une d’entre elles porte plus nettement sur les livraisons à l’Allemagne. L’ensemble de son raisonnement s’organise autour de l’idée que « l’Allemagne trouve son intérêt à prêter son assistance (à la France) dans le domaine économique »2. Il y voit l’effet d’une triple raison de principes et d’une triple raison de faits.

1. Une triple raison de principes   : l’économie française à l’école allemande.

3 Idem.

4 Idem.

5D’après le directeur des Industries mécaniques, l’Allemagne « veut faire profiter la France de l’expérience acquise par elle au cours des dernières années »3. Il fait à la fois référence à l’expérience technique (sur les produits de substitution, l’amélioration de la productivité) et à celle en matière d’organisation industrielle ou commerciale. Ce souci des Allemands de faire bénéficier les Français des fruits de leur expérience témoignerait de « l’application au domaine économique d’un goût de tutelle et (d’éducation) qui est une forme du pangermanisme »1. De plus, l’Allemagne se sentirait

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« responsable » de l’administration des territoires occupés par ses troupes. Enfin, le désir de l’Occupant serait de « jeter les bases d’une organisation économique européenne inspirée de l’organisation allemande »4.

2. Une triple raison de faits.6Dans le « combat très dur » mené par l’Allemagne, celle-ci a besoin de l’aide économique de la France : « Elle a donc intérêt à ce que la production française soit la mieux agencée possible »1. De fait,  les intérêts bien compris des deux économies sont convergents, dans la mesure où les ressources françaises apparaissent nécessaires à l’effort de guerre allemand, qui, à la fin de 1941, implique des réorganisations de grande ampleur et une mobilisation plus systématique que lors de la phase de Blitzkrieg. En retour, le gouvernement français ne peut échapper de fait à la « collaboration sur le plan économique », qu’il a été « conduit à accepter ». Selon René Norguet et les principaux responsables d’alors, la collaboration économique est « incluse dans l’armistice si l’on reconnaît que l’économie française ne pouvait être arrêtée du jour au lendemain »1. Enfin, le gouvernement français a eu soin de réclamer des « contreparties », au point que René Norguet donne comme titre à sa note l’« aide allemande à l’économie française », en distinguant « aides en produits » et « aides en services ». Cela signifie toutefois qu’une telle collaboration ne peut fonctionner que dans la mesure où l’Allemagne prend soin de renouveler les stocks de matières premières, lorsqu’ils sont absorbés par la production destinée à son effort de guerre.

7De son côté, le 29 novembre 1940, le ministre de l’Économie du Reich incite les firmes allemandes à passer des commandes par le biais du système ZAST. Le passage, mis en évidence par E. Jäckel et A. Milward, d’une politique allemande de pillage à une politique d’exploitation plus rationnelle peut trouver un terrain de convergence avec les préoccupations des dirigeants français. L’une des formules préférées de René Norguet résume sa pensée : « La paix économique se fait dès maintenant, bribe par bribe, par ententes privées »1. Il ajoute qu’on ne constate pas toujours chez les Allemands un « désir

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d’hégémonie ou d’emprise », car « quelques-uns doutent (...) du succès allemand, de la persistance du régime nazi ou agissent en bourgeois cherchant à s’associer à des bourgeois étrangers pour peser sur l’État social de leur propre pays »1. Ainsi, à la fin de 1941, l’un des principaux experts de la politique industrielle pense que, dans les contacts avec les Allemands, « l’honnêteté technique l’a nettement emporté sur tout autre sentiment... », et conclut : « Les circonstances actuelles peuvent être une école et un stimulant extraordinaire précieux ».

II. LA PROCÉDURE   : CENTRALISATION ET CONTRÔLE PAR L’ÉTAT

5 Idem.

8L’une des préoccupations majeures des responsables de l’État est d’éviter le tête-à-tête entre acheteur allemand et vendeur français. René Norguet constate, en décembre 1941 : « Les circonstances actuelles provoquent inévitablement des contacts nombreux entre industriels français et allemands. Suivant la valeur technique et morale de l’interlocuteur français ces contrats peuvent être désastreux ou féconds. Il est donc primordial que l’état d’esprit suivant soit conseillé, entretenu, soutenu chez nos nationaux »5. La volonté de centralisation des commandes allemandes à la production française repose notamment sur l’idée d’obtenir des « contre-parties » en produits ou en services, et d’arracher cette « négociation d’ensemble », destinée à alléger les contraintes de l’armistice.

1. L’appareil de direction commerciale.

6 Jacques de Fouchier, Le goût de l’improbable, Paris, 1984, p. 119 et suiv.

7 Ibid., p. 12.

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8 Cf. AN. F 37 28, d. « Production industrielle », s.-d. « résumé des Accords franco-allemands (Produ(...)

9Sur le terrain commercial, l’Administration se dote de services destinés à contrôler les livraisons à l’Allemagne. En septembre 1940, Yves Bouthillier signe un arrêté ministériel le chargeant d’assurer — du fait des grandes disparités de change — la « péréquation » des prix entre les importations et les exportations. La signature de l’accord de compensation du 14 novembre 1940 risque d’amplifier le mouvement d’exportation vers l’Allemagne, dont le financement échoit, en francs mais aux prix allemands, au Trésor français. Dès le 18 novembre 1940, un nouvel arrêté des Finances dote la direction du Commerce extérieur d’un Bureau des Achats et Ventes à l’Étranger (BAVE), dirigé par René Sergent, et dans lequel notamment Jacques de Fouchier a travaillé pendant environ une année. Il a conté les difficultés de fonctionnement de ce service, dont la tâche essentielle consiste à obtenir des vendeurs à l’Allemagne le versement de « la taxe de péréquation », frappant les bénéfices issus de la surévaluation du mark6. Recevant une sorte de « légitimation de la durée » auprès du Majestic, ce service a été organisé par son responsable comme « une cellule de résistance financière et administrative » aux exactions allemandes. Il semble d’ailleurs que les exportateurs ne répugnaient pas à « acquérir ainsi, en prévision d’un avenir incertain, des droits à une certaine absolution »7. Il se crée également à la direction du Trésor un Service central des Réquisitions allemandes. Au niveau technique, le MPI se dote d’un Service des Commandes allemandes. Cependant, il faut attendre le printemps de 1941 pour que la centralisation des documents sur les accords franco-allemands soit effectuée au MPI8. Parallèlement, plusieurs des négociations sont menées à la Commission d’Armistice de Wiesbaden, qui relève, du côté français, de la Direction des Services de l’Armistice (DSA), dépendance du ministère de la Guerre. Enfin, à partir de février 1941, la DGREFA — dont la mise en place a été réclamée par l’Occupant — confiée à Jacques Barnaud, est chargée de coordonner toutes les négociations économiques franco-allemandes.

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2. Les bons «   ZAST   ». 10Parallèlement à la mise en place d’institutions françaises, les dirigeants de l’État engagent des négociations avec l’Occupant afin de centraliser les commandes.

• Le réapprovisionnement théorique. 9 Cf. Alan Milward, The New Order..., op. cit., p. 106 et suiv.

11En novembre 1940, le gouvernement de Vichy met sur pied avec les autorités allemandes la procédure dite des bons « ZAST ». Officiellement, toute commande allemande passée à l’industrie française ne peut être acceptée par le gouvernement français que si elle est visée par le Commandant militaire en France pour les fournitures les plus importantes ou le Service allemand utilisateur, et accompagnée d’un engagement de livraison de matières premières souscrit par l’Agence Centrale des Contrats ou Zentralaufragstelle (« ZAST»). Ce bon « ZAST» permet à l’industriel français d’obtenir la livraison des matières premières nécessaires à la fabrication auprès du Répartiteur, qui, à son tour, en théorie, peut se réapprovisionner en Allemagne pour la quantité de matières correspondantes9. La « taxe de péréquation », prélevée sur l’exportateur, est précisément destinée à couvrir la différence entre le prix d’achat des matières premières allemandes (exprimées en marks surévalués) et le prix du marché intérieur français.

Figure 10-LE SYSTÈME DES BONS ZAST

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(Source : AN, F37 27. d. cité; note de René Narguet. 2 décembre 1941, citée.)

• Un marché triplement privilégié.12Ainsi, dès la fin de 1940, les bénéficiaires de commandes allemandes disposent, par rapport aux transactions intérieures, d’un triple avantage. Économiquement, la marche de leur entreprise est assurée, à un moment où l’économie de matières premières et d’énergie conduisent, à l’automne 1941, à envisager des mesures de restriction et de concentration. Ils bénéficient d’un approvisionnement prioritaire en charbon et électricité. Matériellement, ils obtiennent une priorité de droit dans la répartition des matières premières, alors que les ressources dont disposent les Répartiteurs pour les besoins intérieurs s’amenuisent au fil des mois. Financièrement, malgré la « taxe de péréquation » (qui ne pèse que sur la surévaluation du prix des matières premières payées au prix allemand), l’exportateur vend au prix allemand des produits dans lesquels sont incorporées d’autres fournitures et du travail payés au prix français. De plus, le Runstungsabteilung der OKW (Service d’armement de la Wehrmacht) passe directement des commandes spécifiques avec des entreprises de zone occupée : elles intéressent l’industrie chimique, les cimenteries, les chantiers de construction navales, les usines automobiles,

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certaines entreprises du textile... Contrôlées par la Rüstungsinspektion, elles sont servies en priorité en matières premières et énergie par les Répartiteurs, sous la pression des Referat.

3. Controverses franco-allemandes. 10 AN. F 37 28, d. « circulaires à adresser par tous les CO à leurs

adhérents a/s commandes allemandes (...)

11 .Idem, contreprojet allemand envoyé par le docteur Michel, 21 mai 1941, 2 p.

12 Idem, c. r. d’une réunion au Majestic entre MM. Michel, Kolb et Barnaud, 10 juillet 1941, 1 p.

13 Idem, c. r. cité.

14 Idem, circulaire du SEPI préparée par l’Administration militaire allemande, 1 p.

15 Idem, c. r. liaison Finances - Production industrielle, 6 août 1941, 1 p.

16 Idem, c. r. liaison Finances - Production industrielle, 23 juillet 1941, 1 p.

13Le contrôle des commandes allemandes fait d’ailleurs l’objet de controverses entre le Majestic et les autorités françaises, au printemps de 1941. Pour la zone non occupée, il est admis que toute commande est soumise à une autorisation préalable du ministère de la Production industrielle, ainsi qu’à l’agrément du CO intéressé. Quant aux commandes de matières premières, elles relèvent de négociations entre gouvernements. En avril, un projet de circulaire de la Production industrielle prévoit que toute offre d’achat allemande en zone occupée doit passer par le CO de l’entreprise française10. À la fin du mois de mai, les services du Majestic rejettent la publication de la circulaire et le docteur Michel transmet un contre-projet, dans lequel les livraisons aux services allemands pourraient se faire sans intermédiaire — le CO n’intervenant que pour formuler un « conseil » — et sans distinction entre le prix de vente en

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France et à l’exportation11. Les Finances — et notamment le BAVE — réagissent assez vivement et Yves Bouthillier demande au général Michel une négociation à ce sujet. À la fin juin, un nouveau projet de circulaire de la Production industrielle, transmis aux Allemands, prévoit, pour la zone Nord, la liberté de conclusion de commandes, sous réserve d’un compte rendu au CO (pour toute commande supérieure à 100 000 francs). Le 10 juillet, Michel, assisté de Kolb, rencontre Barnaud à ce sujet au Majestic et « relève en termes assez vifs » le texte du projet français de circulaire12. Il rejette la possibilité pour l’État français d’interdire à des chefs d’entreprises de zone occupée l’acceptation de commandes ou de sous-commandes allemandes, dans la mesure où les négociations à la Commission d’Armistice ont abouti, en juin 1941, à la liberté de passage des marchandises entre les deux zones. Jacques Barnaud ne conteste pas ce point de vue, mais remarque que, l’industrie de zone occupée étant « mobilisée dans une proportion plus ou moins importante pour l’économie du gouvernement allemand », il importe de laisser des secteurs pour les besoins français, ce qui nécessite un certain contrôle13. Suite à cette discussion, un projet de circulaire du MPI, préparé par les Autorités militaires allemandes — qui demandent en outre un communiqué de presse — affirme le principe de « contacts directs » entre entreprises et acheteurs allemands, insiste sur le seul rôle de « conseil » et d’« assistance » des CO, et précise qu’ils n’ont aucun droit de décision ou de participation14. Jean Bichelonne s’inspire du projet allemand pour rédiger, au début d’août, une circulaire limitant l’action des CO à un double rôle : de simple conseil et d’élaboration des statistiques des commandes allemandes, mais avec une rédaction « moins désobligeante pour ces organismes »15. Lors d’une réunion de liaison Finances-Production industrielle, il a été précisé qu’une telle procédure offrait toutefois « un moyen d’action considérable sur les industriels qui travaillent pour l’Allemagne en dehors du gouvernement français »16.

4. Le bilan à la fin de 1941.

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14Jusqu’au printemps de 1941, malgré la mise en place de la DGREFA, il n’y a pas de véritable centralisation des documents sur les accords conclus par des entreprises ou groupements d’entreprises avec l’Allemagne. À la fin d’avril 1941, le Service des Affaires extérieures du MPI effectue un premier bilan, transmis à Jacques Barnaud. En décembre 1941, les Finances décident de procéder à une étude sur le coût direct et indirect de l’Occupation, à travers une enquête auprès de l’ensemble des services (ministères, OCRPI, CO...). À la séance du 10 décembre du CEI, Alfred Sauvy indique que l’Institut de Conjoncture est chargé de cette enquête et sollicite le concours de tous les ministères. Un premier bilan financier et économique, portant sur la période des dix-huit mois allant de l’armistice à la fin de l’année 1941, devait être examiné en Conseil des ministres, mais la crise gouvernementale d’avril 1942 en a eu raison. On dispose néanmoins des chiffres. Deux notes de décembre 1941, retrouvées dans les papiers Barnaud, permettent de les préciser par périodes. Les chiffres globaux laissent apparaître un total de livraisons pour soixante-dix milliards de francs (dont vingt et un pour l’agriculture et quarante-neuf pour les produits industriels), chiffres supérieurs à ceux des archives allemandes (2,360 milliards de marks en avril 1942, soient 47,2 milliards de francs au taux de change officiel).

Tableau des prélèvements allemands de juin 1940 à décembre 1941

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Source : AN F 37 28, d. cité; AN F 37 20, d. cité.

15Il faudrait ajouter à ce tableau les prestations en nature, dont notamment :

logement et cantonnement : 9 milliards transports ferroviaires : 113 milliards

16(2 700 locomotives, sur un parc de 15 000 et 160 000 wagons sur 420 000).

17Pour financer ces livraisons, quarante-deux milliards (60 % du total) ont été prélevés sur les « frais d’occupation ». Avec les vingt-trois milliards provenant du compte de compensation, ce sont donc près de 93 % du total qui se trouvent à la charge du Trésor français. Le solde — environ cinq milliards — provient de saisies et de réquisitions ou de contrats conclus à Wiesbaden.

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Le rapprochement entre le bilan financier (les dépenses opérées sur les frais d’occupation) et économique (les livraisons effectuées) laisse apparaître une importante différence (en milliards de francs courants) :

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18Il reste encore plus de vingt et un milliards, qui correspondent à des achats clandestins, à des dépenses de propagande, aux fonds de roulement et à la thésaurisation des différents organismes, etc. Au-delà du bilan, soulignant les contraintes pour l’économie française, il faut analyser les modalités de réalisation des « accords ».

III. LA RÉALISATION DES ACCORDS   : LE DÉSÉQUILIBRE ORIGINEL19Une véritable politique de collaboration économique aurait impliqué la conclusion d’accords tenant compte, sinon à égalité, du moins de manière substantielle, des besoins de l’économie française par rapport à ceux de l’Allemagne. Cela signifiait, outre le réapprovisionnement systématique desmatières premières et de  l’énergie utilisées pour la fabrication de produits destinés à l’Allemagne — obtenu en principe pour les

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matières premières — des livraisons de substitution pour tous les produits importés en France avant la guerre, mais qui, du fait des hostilités et du blocus, ne pouvaient plus y être acheminés. Il convient de mesurer, dans les faits, la part des apports et des contraintes pour l’économie française résultant des accords conclus et des livraisons effectives, ainsi que l’attitude des responsables de l’État, à la fois à l’égard des entrepreneurs français et de leurs interlocuteurs allemands. L’attitude des autorités françaises a été certes variable selon le type de produit convoité par les Allemands (en particulier suivant qu’il s’agissait d’une production située plutôt en zone Nord ou Sud,d’une production excédentaire ou déficitaire, et notamment tributaire d’approvisionnements allemands, et d’une production vitale ou non).

1. Les matières premières de restitution   : espoirs et déconvenues.

17 Cf. AN. F 37 27, d. cité, DIME, Note citée de René Norguet.

18 Cf. AN. F 37 28, d. « Approvisionnement de la France en matières premières-généralités », MPI, Note (...)

20En théorie, les Allemands devaient réapprovisionner la France par des matières premières en quantités équivalentes à celles utilisées pour leurs commandes. Mais ce principe ne s’applique pas au charbon. Et, dans les faits, les retards apparaissent dès la signature des contrats et tendent à se creuser ensuite. Ainsi, pour les métaux non ferreux, les premières livraisons allemandes effectives, en contrepartie de bons ZAST, n’ont lieu qu’en juillet-août 1941, au rythme mensuel d’environ 35 à 40 000 tonnes, insuffisant pour rattraper les retards accumulés17. Dès juillet 1941, une note de la Production industrielle transmise à Jacques Barnaud signale que, à l’exception du zinc et du plomb, pour lesquels des importations de minerai restent possibles, l’économie française ne dispose que des stocks, partagés entre les besoins français — dont l’estimation est matière à controverse entre les responsables français et les autorités du Majestic qui surveillent

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de près, par leurs Referat, les répartiteurs de l’OCRPI — et les exigences allemandes18. La part réservée à la France est en passe de s’épuiser, lors du retour de Laval. Pour l’acier, la consommation pour la fabrication des commandes allemandes représente environ quarante-cinq pour cent de ressources décroissantes, du fait du manque de charbon. Après un an d’Occupation environ, le bilan se présente ainsi :

19 Source : Idem, MPI, Note citée, p. 2.

Acier (En tonnes mensuelles)19

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20 Idem.

21 AN. F 37 27, d. cité, DIME, Note citée, p. 2.

21La restitution en nature par les Allemands commence en juillet, mais au rythme de 3 000 tonnes mensuelles seulement. Et la note (déjà citée) conclut : « Il est bien peu vraisemblable qu'elle [la restitution] atteigne les chiffres annoncés, étant donné les difficultés propres à la sidérurgie allemande »20. À la fin de l'année 1941, René Norguet croit pouvoir affirmer : « En ce qui concerne les autres métaux [que les non ferreux] fournis pour les commandes allemandes, il est à peu près certain qu'ils ne seront pas remplacés »21. Ainsi, dans un domaine essentiel

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— celui des métaux — la procédure de réapprovisionnement, un an après son institution, ne répond pas aux attentes françaises : les « contrats » ne fonctionnent que dans un seul sens.

2. Les productions déficitaires   : le goulot charbonnier.

22 Cf. AN. F 37 20, d. « Contreparties - Économie intérieure ». Cf. également Alan Milward, The New Or(...)

23 Cf.  infra, chapitre XIX.

22La question était posée pour les approvisionnements interrompus par le blocus et la guerre : carburants, caoutchouc, certaines fibres textiles, charbon... Certains des produits bloqués ou réquisitionnés après l’Armistice ont été parfois partiellement restitués : ainsi, sur les 545 000 tonnes de produits pétroliers, un peu plus de 200 000 tonnes ont pu être débloquées. Mais la situation est grave, du fait de l’épuisement des stocks. De plus, ces livraisons sont effectuées en contrepartie, soit des stocks bloqués, soit d’autres produits, dont le total représente généralement une valeur supérieure, ou pour lesquels les retards s’accumulent du côté allemand : outre les textiles et les cuirs — on y reviendra — un accord prévoit la livraison de 550 000 tonnes de pommes de terre contre des expéditions de phosphates d’Afrique du Nord (60 000 tonnes de pommes de terre seulement sont arrivées à la fin de 1941), ou de sucre en échange de camions22. Dans certains cas enfin, les Français peuvent bénéficier de procédés techniques de fabrication de produits de substitution, surtout dans l’industrie chimique : buna, textiles artificiels, gazogènes. Mais les exigences allemandes portent alors sur des participations financières dans les entreprises correspondantes, afin de contrôler la fabrication23. L’un des déficits chroniques les plus contraignants est celui du charbon.

• Un déficit chronique aggravé. 24 AN. F 37 31, d. « charbon (questions générales) », Lettre du Président

de la Délégation française p (...)

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23La situation chroniquement déficitaire de la production charbonnière française — l’un des points faibles du complexe énergético-sidérurgique — est aggravée par l’Occupation et l’inclusion dans la « zone interdite », soumise aux Autorités militaires de Bruxelles, des ressources du Nord-Pas- de-Calais, soit environ soixante pour cent du total. La France, premier importateur avant guerre, en particulier de charbon britannique — plus de 7,5 millions de tonnes annuelles dans les années 1936-1938 — mais aussi allemand — plus de 6,5 millions de tonnes — doit renoncer à ces importations, mais, en outre, supporter des prélèvements allemands importants jusqu’au début de 1941. En juin 1940, une partie des mines du Nord a été noyée : il faut attendre le mois d’octobre 1940 pour que la production des deux départements de la zone interdite retrouve les trois quarts de son niveau antérieur à l’invasion (autour de 2,3 millions de tonnes mensuelles, contre environ trois millions), qui ne seront pratiquement jamais dépassés pendant toute l’Occupation. En revanche, la production de la zone Sud (trois fois moindre) s’accroît et dépasse, à l’été de 1941, de quarante pour cent celle d’avant-guerre. Le 14 octobre 1940, Boisanger fait part à Hemmen de l’« extrême gravité de l’approvisionnement en charbon », et fait état d’un déficit mensuel de l’ordre d’un million de tonnes, seulement pour la zone occupée24.

• Un triple prélèvement.24Les autorités françaises se plaignent en particulier d’un triple prélèvement allemand, jugé abusif. Tout d’abord, deux séries de prélèvements directs. Ceux opérés par la Wehrmacht, principalement pour son chauffage, qui atteignent jusqu’à 294 000 tonnes en octobre 1940 et se maintiennent à un rythme moyen de 150 000 tonnes jusqu’en avril 1941. La délégation française à Wiesbaden — Raty ainsi que le Répartiteur du charbon, Thibault — font état d’une consommation moyenne de 70 000 tonnes mensuelles de la part de l’armée franco-britannique lors de l’hiver 1939-1940. Il faut également compter les livraisons à destination de la sidérurgie de la Lorraine annexée — pour près de 200 000

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tonnes. Enfin, viennent les prélèvements indirects, issus de la consommation des industries travaillant à l’exécution des commandes allemandes, notamment les constructions mécaniques (automobiles, navales), les industries chimiques, textiles ou les cimenteries contrôlées par la Rüstunginspektion. Le principe de restitution du charbon a toujours été repoussé pour ces commandes, à l’exception des soudières de l’Est (pour 14 000 tonnes mensuelles) et des livraisons d’aluminium, sur lesquelles on reviendra. Ainsi, jusqu’au printemps 1941, les divers prélèvements sont estimés par le MPI à près de 600 000 tonnes, soit environ seize pour cent de ressources, elles-mêmes réduites de plus de quarante pour cent par rapport à 1937.

• L’intégration dans l’économie allemande.

25 Idem, Note de la direction des Mines faite à la demande de Pierre Pucheu, signée Fanton d’Andon, 6 (...)

26 Cf. AN. F 12 10102, d. « 477 c — Méthodes allemandes d’occupation », s.-d. « Occupation allemande. (...)

27 AN. F 12 10102, d. cité, s.-d. « Fichier des autorités allemandes en France, Recueil de leurs décis (...)

28 Idem, d. cité, Note citée.

29 Cf. Alan Milward, The New Order..., op. cit., p. 185-188.

25Dès la fin de 1940, la Section du Charbon de l’OCRPI a été « soumise au contrôle direct et étroit des services économiques allemands à Paris », selon les termes d’une note du directeur des Mines pour Pierre Pucheu25. Le contrôle allemand fixe à la fois les contingents mensuels par grandes catégories de consommateurs, ainsi que les ordres de priorité des livraisons, en privilégiant les industries travaillant pour les commandes allemandes. Le Répartiteur allemand des Charbons à Berlin, Paul Pleiger, a élaboré et fait appliquer un plan charbonnier européen, dans lequel les charbons du Nord-Pas-de-Calais

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doivent à la fois assurer le chauffage de l’armée d’occupation, fournir les approvisionnements de la sidérurgie lorraine et ravitailler les usines travaillant pour l’Allemagne. Le Commissaire allemand à Bruxelles, le docteur Steinbruck, assisté du docteur Nedelmann, fixe, lors d’une conférence mensuelle, alternativement à Bruxelles et à Paris, le partage de la production charbonnière du Nord-Pas-de-Calais (en commençant par la Wehrmacht, la Kriegsmarine, l’organisation Todt, la sidérurgie lorraine, les chemins de fer, le Nord-Pas-de-Calais, puis seulement le reste de la France). Le Répartiteur français Jacques Thibault ajoute le tonnage disponible des autres mines (Blanzy, Centre-Midi) et répartit par branche d’industrie consommatrice et par région. Son programme doit être alors approuvé par le Commissaire allemand auprès de la Section de Répartition du Charbon, Chef du Service des Mines au Majestic, le docteur Röver : c’est l’interlocuteur principal des responsables français26. Un « fichier des autorités allemandes en France », établi peu après l’Occupation par les services de la Production industrielle — retrouvé dans les archives du MPI — fournit des appréciations individuelles sur l’attitude des différents responsables allemands à l’égard des services français : Röver y est qualifié de « correct », dans la fixation de la marge du commerce charbonnier27. L’Administration française donne à l’Occupant des chiffres de production — pour la zone Sud — légèrement inférieurs à la réalité, afin d’accroître les tonnages pour les besoins français : le décalage, de l’ordre de 50 000 tonnes au début de l’Occupation, ne peut guère dépasser 10 à 15 000 tonnes au bout de quelques mois, du fait des renseignements recueillis par les Allemands28. Ainsi, les chiffres réels de production sont légèrement supérieurs à ceux figurant dans les Archives allemandes, et reproduits par Alan Milward (pour la zone Sud)29.

Production de charbon

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Source : AN F 37 31, d. « charbon » (questions générales), note de Fanton d’Andon, citée.

30 Idem., d. cité, c. r. de la séance du 14 novembre 1940 de la Délégation économique, 10 p.

31 Idem, d. cite, note du 14 mars 1941, sa., 2 p.

32 Idem, note du 6 juin 1941, signée F. d’Andon, faite à la demande de P. Pucheu, 4 p.

26La négociation franco-allemande est conduite au niveau général, afin de satisfaire une double revendication : libérer 17 000 mineurs prisonniers et rattacher la zone interdite à l’Administration militaire de Paris. Les questions relatives à la production sont traitées à Wiesbaden. Au mois de novembre 1940, Raty et le Répartiteur Thibault obtiennent de Schöne, Vice-président de la Délégation allemande pour l’Économie, l’accord pour fournir 900 000 tonnes de charbon belge sur 6 mois (mais les responsables français réclamaient 900 000 tonnes mensuelles sur 6 mois !). Ce dernier précise qu’il manque à l’Europe les quarante millions de tonnes annuelles, fournies avant la guerre par la Grande-Bretagne, et ajoute : « Il est impossible de vous fournir du charbon d’Allemagne ! »30.

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Dans les faits, la livraison mensuelle de charbon belge (de médiocre qualité) ne dépasse pas 90 000 tonnes en 1941, et oscille le plus souvent autour de 50 000 tonnes. En mars 1941, les responsables français présentent quatre demandes à Wiesbaden : la libération des 17 000 prisonniers, le rattachement de la zone interdite à Paris, la limitation des prélèvements allemands pour la Wehrmacht et la Moselle, et l’importation d’Allemagne de 50 000 tonnes de charbon supplémentaires par mois (à ce moment, ils espèrent élever la production nationale mensuelle d’un million de tonnes)31. Le directeur des Mines, en juin 1941, signale à Pierre Pucheu la «ponction littéralement catastrophique pour l’économie française », pour laquelle les importations « infimes » de Belgique ne changent rien, et déplore l’échec des pourparlers, dû, selon lui, aux « substantiels bénéfices » retirés par le Reichskohlen Syndicat, qui paie le charbon de France à des prix inférieurs au prix français32.

• Pour une collaboration «   intelligente et compréhensive   » (F. Lehideux).

33 AN. F 37 28, d. cité, Note du 23 juillet 1941, citée.

34 AN. F 37 31, d. « charbon (questions générales) », Note de Fanton d’Andon, 14 juin 1941, 5 p. (...)

35 Idem, Lettre de François Lehideux au docteur Michel, s. d., 5 p.

27Cependant, jusqu’à la grève de la fin mai 1941, les consommateurs industriels ont pu supporter les à-coups de l’approvisionnement grâce à des petits stocks. La grève, qui dure dix jours, ne se traduit par aucun arrêt d’usine, mais conduit à l’épuisement de ces stocks. En outre, les bombardements anglais réduisent la production du Nord-Pas-de-Calais33. Le 12 juin, le docteur Michel donne l’ordre de prélever 25 000 tonnes supplémentaires pour la sidérurgie mosellane. Les responsables français protestent et font comprendre aux Autorités militaires allemandes qu’il est de leur intérêt d’obtenir du charbon belge pour le chauffage de la

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Wehrmacht. Le Majestic effectue une démarche dans ce sens, mais se heurte à Bruxelles et à Berlin34. Peu après son arrivée à la Production industrielle, François Lehideux écrit une lettre au docteur Michel, afin de lui proposer les grandes lignes d’un nouveau plan de répartition : l’approvisionnement de la Moselle et le chauffage de la Wehrmacht seraient assurés par des charbons autres que français (belges en l’occurrence); en échange, la France renoncerait à ses importations, mais réserverait la production nationale aux besoins français. Ainsi,  les responsables français ont renoncé à obtenir des importations, mais persistent à réclamer la fin des prélèvements. Le ministre de la Production industrielle met en évidence la convergence des intérêts (à la fois du point de vue économique, social et politique) entre Vichy et l’Allemagne à ce sujet : « J’aurais la possibilité d’affirmer aux mineurs français que le résultat de leurs efforts sert exclusivement à maintenir au travail leurs camarades des autres industries et à satisfaire les nécessités des foyers domestiques »35. La production parvient à se maintenir en 1942-43, et même à s’accroître pour les gisements de la zone Sud, par rapport à l’avant-guerre, et les importations belges, bien que de moitié inférieures à celles de 1938, progressent de 1941 à 1943. À cette date, il est vrai, les Autorités allemandes modifient leur stratégie à l’égard de la France.

3. Textiles et cuirs.

• Le plan Kehrl   : du pillage au «   régime contractuel   ».

36 AN. F 37 33, d. « Textiles », s.-d. « Direction des négociations françaises », Note n° 5, « Négocia (...)

37 AN. F 37 27, d. « Aide apportée par l’Allemagne à l’économie française », Note de la sous-direction (...)

28Dès le mois de juillet 1940, des contacts sont pris entre les autorités allemandes et certains industriels français du textile. Le 3 août, Bichelonne et Barnaud demandent à Robert

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Carmichaël, alors directeur général du CO de l’Industrie textile et Répartiteur du Textile, d’assurer la direction des négociations portant sur l’extension à la France de la décision allemande de limiter la production dans le Nord-Pas-de-Calais à trente pour cent de l’activité36. À ce moment, les stocks restant dans les ports ont été totalement enlevés par l’Occupant et les matières existant en usines en zone occupée ont été en partie prélevées. De plus, l’arrêt des importations (pâte de bois du Canada et de Scandinavie pour les fibres artificielles, jute, fibres dures...) place l’industrie textile française en situation difficile. Une note de la sous-direction des textiles sur la « collaboration franco-alle- mande en matières textiles » considère (en décembre 1941) qu’elle « se serait trouvée en position critique sans l’apport allemand »37. Dès lors, Robert Carmichaël, le 16 août 1940, engage des négociations et demande surtout aux Allemands de maintenir l’« unité économique » de l’industrie textile, en n’isolant pas la « zone interdite ». Au début de novembre 1940, il accepte l’idée, présentée par le président Kehrl, responsable du Plan textile pour le Reich et les Territoires occupés, d’une répartition des matières premières entre besoins militaires allemands et besoins civils français. Les négociations aboutissent, le 1er février 1941, à une convention, le plan Kehrl, valable jusqu’au 1er octobre 1941. La France se dessaisit de la presque totalité de ses stocks et d’une grande partie de sa production de fibres naturelles. Elle doit livrer 25 000 tonnes de laine brute et 5 000 tonnes de laine peignée, ainsi que près de 10 000 tonnes de coton et 50 000 tonnes de chiffons,... En retour, les Allemands doivent fournir du papier et de la pâte à bois, destinée à l’industrie des fibres artificielles. En valeur, le bilan est largement déficitaire au détriment de la France :

38 AN. F 37 28, d. «Production industrielle», s.-d.» Accords franco-allemands», plan Kehrl, 6 p.

Balance du plan Kehrl (1er octobre 1940 - 1er octobre 1941) (En millions de francs courants)38

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39 AN. F 60 590, c. r. de la séance du 10 janvier 1941 du CEI.

40 AN. F 37 33, d. « Textiles », s.-d. cité, note n° 5, citée.

41 Idem.

42 Idem.

29Yves Bouthillier, lors de la première réunion du CEI, le 10 janvier 1941, justifie ainsi pour les ministres présents — dont l’éphémère vice-président du Conseil, Pierre-Étienne Flandin — la signature du contrat : « Si cette opération n’est pas consentie dans un accord, elle nous sera imposée »39. Dans un rapport transmis en octobre 1941 à Jacques Barnaud, Robert Carmichaël, principal négociateur français, considère le triple intérêt du plan Kehrl. Tout d’abord, il permet de mettre fin à la politique de réquisitions et de prises de guerre : les relations franco-allemandes se trouvent désormais placées « sous le régime contractuel »40. Tous les enlèvements déjà effectués depuis le 25 juin 1940 se trouvent inclus dans les chiffres du plan. Comme les stocks, notamment de laine, se trouvent en zone occupée, les Allemands pouvaient se les approprier. Ensuite, bien que fortement déséquilibrée en faveur de l’Allemagne, la convention constitue, selon lui, « le premier élément d’une suite d’accords d’échanges, devant tendre finalement vers l’équilibre »41. Enfin — et c’est l’argument le plus répandu : « étant donné les risques économiques et sociaux que font peser sur elle [la France] la défaite, il y a lieu de considérer (...) moins l’équilibre financier que la quantité de travail qu’ils laissaient à l’industrie française »42.

43 AN. F 37 28, d. « Production industrielle », s.-d.» Accords franco-allemands », conférence faite pa (...)

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30Raisonnement analogue à la sous-direction des Textiles où une note précise, en décembre 1941, que, malgré le déficit financier, « l’apport allemand a néanmoins permis de maintenir une activité industrielle supérieure à celle qu’auraient permis les ressources françaises ». De même, Maurice Voreux, directeur de l’Office central des Textiles de la zone interdite — annexe des CO pour le Nord-Pas-de-Calais et représentant des textiles des deux départements vis-à-vis des autorités allemandes comme des responsables français — précise, à l’AG annuelle de la Fédération industrielle et commerciale de Roubaix-Tourcoing : « La collaboration franco-allemande a réalisé qu’une partie des matières soit manufacturée par nos industries et ne soit expédiée en Allemagne qu’après y avoir incorporé le salaire de nos ouvriers. Si peu nombreux (sic) que soient les heures de travail et les salaires correspondants, cette solution était (...) préférable au chômage total »... Il a expliqué, d’une manière plus générale : « N’y a-t-il pas mieux à faire, après l’armistice, après que la France a déposé les armes, que de résister ? Est-ce digne d’un homme, est-ce digne d’un Français, est-ce digne d’un chrétien, que de tirer au renard ? »43.

• De la collaboration de la «   pénurie   » à celle de l’abondance   »   ?

44 AN. F 37 33, d. « Textiles », s.-d. « Plan Kehrl », c. r. de la réunion entre les représentants du(...)

45 Idem, c. r. cité.

46 Idem, c. r. cité.

47 Idem, d. « Textiles », s.-d. « direction des négociations françaises », Note n° 5 citée. (...)

31En mai 1941, Hans Kehrl, qui s’occupe désormais de planifier les ressources européennes — pas seulement textiles — à Berlin, vient à Paris, où il se réunit pendant trois jours avec des représentants de la Production industrielle. Hans Kehrl est l’un

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des rares interlocuteurs des responsables français, qui exprime des vues à longue portée sur la collaboration pour l’après-guerre, et non de simples exigences immédiates pour l’effort de guerre. À partir de 1942, il est d’ailleurs l’un des principaux collaborateurs de Albert Speer, lorsque celui-ci remplace Todt au ministère de l’Armement. Lors de ces réunions, il annonce son souci de prolonger leplan Kehrl, qui était fondé sur l’idée d’une répartition des matières premières entre les besoins militaires allemands et les besoins civils français. Il ajoute : « Même si la guerre finit rapidement, le manque de matières premières pèsera encore un certain temps sur notre économie »44. Il recommande une concentration nécessaire de la production, surtout pour le coton, tout en économisant le charbon au maximum. Ayant travaillé à un « Plan européen du Textile », il affirme que les outillages des différents pays producteurs ne sont pas suffisants pour couvrir les besoins d’après- guerre : par conséquent, « il n’y aura pas, en ce qui concerne les quantités produites, de concurrence, mais au contraire des possibilités de collaboration »45. Déplorant les « nécessités indiscutables du moment », qui poussent à fermer certaines usines, mais qui sont destinées à « servir l’intérêt européen commun », en vue de la « création d’une Europe organisée et libre », il « regrette que le rôle de la collaboration soit actuellement d’organiser la pénurie plutôt que l’abondance ». Le Plan européen du Textile, selon lui, se fixe cependant comme perspective l’approvisionnement de la population et l’« élévation de son standard de vie »46. Cinq mois plus tard, commentant ces propos pour Jacques Barnaud, Robert Carmichaël affirme que Kehrl a réservé à l’industrie française « une place importante qui (nous) permet d’envisager favorablement l’avenir ». Il précise que si les dirigeants allemands ménagent l’industrie française, c’est parce qu’ils ont trouvé chez les responsables « un esprit de compréhension à l’égard de leurs projets de plan textile européen et une volonté sincère de collaboration à sa réalisation »47.

• Les déconvenues de la fin de 1941.

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48 Cf.  Idem, d. «Textiles», s.-d. «Plan Kehrl», Plan textile franco-allemand pour 1942, 2 p. Cf. égale (...)

49 Idem, Note de la Direction des Textiles et des Cuirs à SGI, n° 6962, 12 novembre 1941, 1 p.

50 Idem, Entretien de Berlin, p.-v. des entretiens avec la délégation française des 20-22 janvier 1942 (...)

51 Cf.  infra, chapitre XIX.

52 Cf.  Idem, Lettre de Jarillot (directeur des Textiles et des Cuirs) au Referat Textile, SEPI 4309, t(...)

32Au printemps de 1941, il est question de négocier sur l’application du premier plan Kehrl et sur les termes d’un second plan. Les discussions ont lieu dans la dernière semaine de septembre avec Grüber, représentant de Kehrl en qualité de Chef du Département textile de l’Économie nationale allemande pour les Territoires occupés de l’Ouest. Un projet d’accord sur la livraison française de 5 000 tonnes de laine base suint est réalisé le 1eroctobre et prévoit des contreparties allemandes. À la différence du premierplan Kehrl, le déséquilibre en valeur s’effectue cette fois-ci au détriment de l’Allemagne (grâce à la surévaluation du mark, il est vrai) : 2,1 milliards de francs de livraisons à la France contre 1,5 à l’Allemagne48. Mais, par une lettre du 16 octobre, les services du Majestic font de la surenchère pour les demandes allemandes et envisagent de supprimer les contreparties : ils réclament 3 000 tonnes de laine base lavée à fond (soit 7 000 tonnes base suint), ce qui, d’après la direction des Textiles et des Cuirs, représente plus du tiers de la tonte française totale (métropole et Afrique du Nord)49. La direction des Textiles et le répartiteur considèrent les chiffres comme trop élevés et réclament des contreparties. De nouvelles conversations s’engagent à Berlin, les 20-22 janvier 1942. Il est décidé de déduire les quantités de laine livrées en excédent sur le plan Kehrl et de rétablir des contreparties allemandes (pâtes à bois, papier à filer, ficelles-lieuses, chanvre...)50. Mais en avril, les représentants français

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font part des difficultés d’application et se plaignent des importants retards dans les livraisons des pâtes à bois — confirmées à travers la fondation de France-rayonne51. En mai 1942, il reste encore à livrer 4 000 tonnes sur le contrat de 1941. Au premier trimestre de 1942, seules 8 601 tonnes ont été fournies, et à peine plus de 7 000 tonnes au second, au lieu du rythme de 80 000 tonnes annuelles prévues dans le plan52. Cette situation crée des difficultés pour les filatures françaises de fibres artificielles. Grüber reconnaît, en août 1942, les retards de l’hiver 1941-1942, dus aux difficultés de transport et même aux baisses pour l’industrie allemande, qui ne semblent pas pouvoir être nettement réduites les mois suivants. Or, parallèlement, les exigences allemandes s’élèvent pour les projets de 1943.

• Cuirs   : le plan Grunberg. 53 AN. F 37 33, d. « Plan du cuir », c. r. de la réunion chez Jacques

Barnaud, note de M. Terray, MH, (...)

54 Idem, c. r. de l’entretien du 8 janvier 1942, (Jarillot, Ribes, Grunberg), n° 66, Text. 11, 9 janvi (...)

55 Idem, Note de Bourbon-Busset, 15 janvier 1942, 1 p.

33De même, pour le cuir, un premier plan Grunberg — du nom du Lederreferat au Majestic — s’étalant du 1er avril au 30 septembre 1941, prévoit la livraison de peaux brutes et de produits finis. Il est admis que leur estimation dépendra de celles des besoins français. Mais les Allemands ne tiennent pas à laisser aux consommateurs de France une part supérieure à la moyenne de celle de l’Europe occupée. À la proposition allemande d’une livraison de six millions de paires de chaussures, Jean Bichelonne fait accepter celle de 1,2 million de paires de chaussures d’enfants, de 1,2 million de paires de pantoufles et de 2,2 millions de paires de chaussures pour dames. Au total, les Français ne peuvent plus disposer que d’un ressemelage par an et d’une paire de chaussures neuves tous les quatre ans, au mieux53. La négociation pour conclure un secondplan Grunberg se heurte à un « désaccord complet »

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entre Jarillot, directeur des Cuirs au MPI, Ribes, directeur général du CO de l’industrie du Cuir, d’un côté, et Grunberg de l’autre54. Ce dernier, défendant les intérêts des tanneurs allemands, demande que l’excédent de la part incompressible des besoins français soit livrée sous forme de cuir brut, alors que les responsables français, soutenus par Barnaud et Bichelonne, souhaitent le faire parvenir sous forme de chaussures, afin de faire travailler l’industrie française55.

IV. LES GRANDS CONTRATS34Pour certaines productions particulièrement stratégiques, des négociations se mènent au sommet à Wiesbaden, et même au niveau gouvernemental. De manière très précoce, l’Occupant s’intéresse à deux productions solidaires, l’aéronautique et l’aluminium, pour lesquelles son intervention a été l’une des plus appuyées.

2. La convention sur l’aéronautique.35On connaît bien — grâce à Alan Milward notamment — les conditions de négociations de la convention du 28 juillet 1941 sur l’aéronautique. La « résistance » des autorités françaises à Wiesbaden porte souvent sur la préservation des actions des sociétés nationales et la direction des entreprises (dont 80 % se trouvent en zone Nord) et le souci d’éviter des réquisitions. Aux termes de l’accord, signé en juillet, le CO de l’industrie aéronautique est reconnu par les Allemands comme responsable de la répartition des commandes entre constructeurs, mais dans une proportion de un pour cinq entre besoins français de zone libre et compte allemand, et non l’inverse, comme l’indique Yves Bouthillier dans ses Mémoires (op. cit., p. 210). Jusqu’à l’invasion de la zone Sud, les usines françaises ne livrent qu’environ la moitié des 3 000 avions prévus dans le premier contingent allemand. La part française disparaît après novembre 1942. La négociation a été essentiellement conduite par les autorités militaires, notamment les généraux Bergeret et Huntziger, et selon des principes définis au niveau gouvernemental : préférer des

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« contreparties », même inégales, à une mainmise ou une réquisition. Mais les négociations sur l’aéronautique incitent, dès 1940, les Autorités et les industriels allemands à soulever la question d’une autre production liée en amont, l’aluminium. Or, dans ce cas, l’interlocuteur français n’est pas unique, puisqu’à l’État s’ajoutent les dirigeants des firmes.

2. Bauxite, alumine, aluminium   : les atouts respectifs.36Les exigences allemandes en aluminium étaient considérables, notamment du fait des besoins croissants de l’industrie aéronautique.

• Excédents français et besoins allemands.37La position internationale de la France quant à la production de bauxite et d’aluminium est  la plus forte de la métallurgie. Les principaux gisements de bauxite exploités en Europe avant la guerre se trouvent en France du Sud-Est (Var et Hérault).

Production de bauxite (1938-1939)

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38L’Allemagne n’en possède pas, mais entreprend néanmoins, dès 1932, un développement important de sa capacité de production d’aluminium. Ses dirigeants parlent en 1938 de 200 000 tonnes, et la réalité devait dépasser 250 000 tonnes au début de la guerre, ce qui équivaut à une consommation de plus de 1,3 million de tonnes de bauxite. L’adjonction des capacités de production norvégiennes (30 000 tonnes en 1940, sans compter les possibilités de développement) accroît encore les besoins. Les importations de bauxite proviennent essentiellement de Hongrie, de Yougoslavie (où il existe d’importantes participations allemandes) et, secondairement,

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d’Italie. Au total,  les approvisionnements couvrent à peine la moitié des besoins de la capacité de production d’aluminium, en augmentation constante. Dès 1940, les besoins allemands en bauxite dépassent 1,5 million de tonnes. Parallèlement, leurs besoins en alumine s’élèvent également.

• Les atouts français inégaux. 56 Cf. Alan Milward, The New Order..., op. cit., p. 87-89, ainsi que le

chapitre IX.

39Les atouts français apparaissent de nature inégale dans le cas de la bauxite et dans celui de l’aluminium et de l’alumine. Les archives françaises nous permettent de bien dissocier les deux séries de négociations, ce qui n’a pas toujours été nettement possible, à travers l’étude des seules archives allemandes56. La totalité de la bauxite française est extraite en zone Sud (Var et Hérault). Mais elle se trouve dans une position de double vulnérabilité. Tout d’abord, la France était avant guerre, le plus gros exportateur (300 000 tonnes, soit près de quarante pour cent) en direction surtout du Royaume-Uni (entre 200 et 250 000 tonnes). Seule, une société suisse exploitant en France envoyait à une firme de son groupe, en Allemagne, 80 à 85 000 tonnes. Il est difficile aux producteurs français de ne pas céder aux volontés allemandes de se substituer au marché britannique, désormais fermé. De plus, l’extraction de bauxite se répartit entre un assez grand nombre de firmes, d’inégale importance, ce qui facilite la marge de manœuvre allemande. En revanche, la fabrication de l’aluminium et de l’alumine, elle aussi située surtout en zone Sud, est très concentrée : deux firmes dynamiques, Alais, Froges et Camargue (AFC ou Péchiney) et la Société électrochimique et électrométallurgique d’Ugine, conduites par des dirigeants compétents et écoutés, se partagent la fabrication. La plus grande partie des ventes est assurée par la société l’Aluminium français, dirigée par les mêmes hommes. Pour la bauxite, les interlocuteurs français sont multiples, alors que pour l’alumine et l’aluminium, il s’agit, outre les autorités administratives, seulement des dirigeants de l’Aluminium français.

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3. Aluminium et alumine   : des «   contrats   » sous la contrainte   ? 40En juillet 1940, les demandes allemandes sont formulées à la fois par la voie gouvernementale, à la Commission de Wiesbaden, et par celle des industriels, notamment le docteur Westrick, directeur-général des Vereinigte Aluminiumwerke.

• Le contrat A. 57 Cf. AN. F 12 9579, d. « Commission nationale interprofessionnelle

d’Épuration (noté  infraCNIE), L’ (...)

58 Idem.

59 Idem, cote 73, lettre du général Huntziger au général Weygand.

60 Cf. Alan Milward, The New Order..., op. cit., p. 87 et 235.

61 AN. F 12 9579, d. cité, cote 96, p. 18 et 19, p.-v. cote 49 et cote 46, déposition de Henri Lafond.(...)

62 Idem, déposition de Vitry, cote 42; note Allier, cote 62.

41Dès le 1er juillet, la Commission allemande réclame à Wiesbaden un état de la situation du métal léger en France et, le 11 juillet, Hemmen demande l’autorisation de visite par une mission allemande des établissements de l’industrie de l’aluminium dans toute la France. Au même moment, M. Reuleaux, dirigeant des Leichmetall-Werke réclame des renseignements sur la production et les stocks auprès de Jean Dupin, dirigeant de AFC. Puis, il est contacté aux mêmes fins par le délégué du Majestic et par le docteur Westrick. Il répond à M. Reuleaux, tout en se retranchant derrière un accord nécessaire avec le gouvernement français, en cas de conclusion d’un contrat57. Les ministres ont d’abord refusé la visite des usines jusqu’au 22 juillet 1940, date à laquelle Hemmen, agissant pour le compte de la Reichs-Gruppe Fur Industrie dirigée par Goering, maintient sa demande et menace

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d’ajourner l’examen des affaires pendantes58. Le général Huntziger, qui dirige alors la Délégation française à Wiesbaden, suggère au Gouvernement d’accepter, afin de sauver la négociation sur les conditions d’application de l’armistice : « ... peut-être après cela devrons-nous subir encore d’autres exigences. Hélas, je le sais bien. Mais nous ne pouvons pas rester sur le statu quo qui est catastrophique »59. Dès le lendemain, Hermann Goering ordonne une enquête sur l’accroissement du potentiel de production d’aluminium par le contrôle des territoires nouvellement occupés60. Et les 29 et 30 juillet, est organisée à Lyon une rencontre des industriels français et allemands, en présence de fonctionnaires des deux États et de militaires allemands. La délégation allemande demande l’accord du Gouvernement français, en vue de la conclusion d’un contrat de fourniture d’aluminium, d’alumine et de bauxite. Un mois plus tard, à Wiesbaden, Hemmen s’impatiente de l’inertie française : « Les Allemands usèrent tout de suite de menaces et dirent... qu’ils enverraient des troupes en zone libre »61. Le général Huntziger semble impressionné par la véhémence du plénipotentiaire allemand, d’autant qu’il espère à ce moment obtenir une réduction de l’indemnité d’occupation et la levée de la ligne de démarcation. Il dépêche donc par avion spécial M. Allier auprès de René Belin, afin que ce dernier accepte la signature d’un contrat avec l’Allemagne. Le ministre s’incline et transmet les instructions aux industriels français62. Ainsi, l’argument de la « négociation d’ensemble » joue dans un seul sens. Les Allemands s’y dérobent, mais, en cas de résistance française sur une demande particulière, ils menacent de rompre les négociations engagées sur les autres questions.

63 Idem, Note Allier, cote 60; déposition Barnaud, cote 220.

42Après la guerre, MM. Dupin et de Vitry, dans leur déposition auprès de la Commission nationale d’épuration ont insisté sur l’ordre qui leur a été intimé par le ministre de s’incliner. Quoi qu’il en soit, c’était là affaire de trop d’importance pour ne pas être de la compétence du Gouvernement, et, dès le 11 juillet, face aux exigences allemandes, Jean Dupin s’était retranché

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derrière son approbation63. Ainsi, le 7 septembre, est signé le contrat A, prévu pour cinq mois entre les Vereinigte Aluminium Werke K.G. et l’Aluminium français.

64 .Source : AN. F 37 32. d. « Aluminium », s.-d. « Aluminium », c. r. de la Commission des Experts, D(...)

Contrat A (1er septembre 1940 - 31 janvier 1941)64 (En tonnes)

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• Le contrat sur la bauxite. 65 AN. F 37 32, d. « Aluminium, s.-d. « Bauxite ». DFCAA, I, 1 78.

66 AN. F 12 10102, d. «477 — Méthodes allemandes d’occupation», s.-d. «Fichier des autorités allemande (...)

67 Idem.

68 AN. F 37 32, d. « Aluminium », s.-d. « Bauxite », c. r. de la séance du 8 octobre 1940 de la s/s co (...)

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43Peu après, la négociation est engagée sur la bauxite. Les Allemands en août évoquent le chiffre de 400 000 tonnes. La délégation française propose à Wiesbaden le chiffre de 75 000 tonnes pour six mois, au prix unitaire de 195 francs, mais les débats véritables s’y engagent seulement au début d’octobre65. L’interlocuteur allemand est Schöne, diplomate, adjoint de Hemmen en qualité de vice-président de la Délégation allemande pour l’Économie auprès de la Commission d’Armistice. Dans le « fichier des autorités allemandes en France », déjà cité, Schöne est l’un de ceux pour lesquels l’appréciation est la plus négative : « Facilement violent. Adepte de la diplomatie du poing sur la table. Caractère faux. 100 % nazi (bien qu’il aime à rappeler sa collaboration avec Briand et Streseman) »66. Il en est de même d’ailleurs pour Jehle, adjoint du docteur Michel à la tête de l’Administration militaire en France et responsable notamment du contrôle des métaux non ferreux : « Prussien nazi dans toute l’acception du terme. Caractère obtus, borné, cassant, restant sur ses positions, refusant toute concession »67. Schöne n’est pas dupe des atermoiements français. Le 8 octobre 1940, il montre sa connaissance des statistiques françaises, d’après lesquelles les quantités exportées avant guerre ont largement excédé les 75 000 tonnes proposées, et mentionne les 200 000 tonnes, expédiées en Angleterre. Il précise habilement que son souci est de réserver à l’Allemagne toutes les quantités allant vers des pays où l’exportation est devenue impossible. Il ajoute : « Notre mission ici est de procurer du travail et du pain à la France »68. Raty, président de la section française à la Commission économique de Wiesbaden et Jean Dupin maintiennent les 75 000 tonnes à 195 francs la tonne, soit trois fois le prix d’avant guerre (tout en conservant le terme du 31 janvier), ce que ne peuvent accepter les Allemands.

69 Cf. Alan Milward, The New Order..., op. cit., p. 87-88.

70 AN. F 37 32, d. et s.-d. cités, Note de Boisanger au ministre de la Guerre (DSA), 9 octobre 1940, 2 (...)

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44Cette surenchère suscite deux séries de remarques. Tout d’abord, elle n’est pas  le seul fait des représentants du gouvernement de Vichy, comme semble l’indiquer Alan Milward, mais aussi celui des dirigeants de Péchiney, en particulier Jean Dupin69. En outre, la réticence des dirigeants français à accepter les chiffres élevés des Allemands n’est pas absolue. Dans une note à la DSA, Boisanger explique que la Délégation française refuse d’aller au-delà des propositions formulées le 8 octobre, « sans contrepartie économique ou politique »70. Mais les Allemands tournent les réticences du Gouvernement français et de Péchiney. Les Vereignigte Aluminium Werke concluent avec la Banque Monod, pour le compte de la Compagnie des Bauxites, un contrat de 60 000 tonnes mensuelles de bauxite à livrer, au prix de soixante-quinze francs la tonne. D’autres producteurs de moindre importance acceptent également de traiter avec des représentants des industriels allemands, mais l’approbation gouvernementale est nécessaire pour l’octroi des licences. Le 19 décembre, Raty confirme à Schöne l’accord du gouvernement français pour un contrat portant sur 259 000 tonnes de bauxite — au prix de 6 RM (soit 120 F) la tonne — ainsi décomposées :

45 000 tonnes (contrat antérieur avec la Société des Bauxites de France)

30 000 tonnes : contrat avec Péchiney

o 71 Idem, Lettre de Raty à Schöne, 19 décembre 1940, 1 p.

184 000 tonnes: contrats avec les producteurs «outsiders». Les autorités françaises cèdent, en échange de contreparties en brai (4 000 tonnes immédiatement, puis des quantités promises en 1941) et en charbon (25 000 tonnes de charbon belge)71. Dans le cas particulier, les représentants de l’État ont plutôt freiné la signature des contrats, à l’égard desquels les entrepreneurs (autres que ceux de Péchiney) se sont montrés plus empressés.

4. Le contrat B d’aluminium.

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• Les retards réciproques. 72 Idem, Note pour le docteur Schöne, signée Raty, 14 décembre 1940, 1

p.

73 Idem, c. r. de la Délégation économique, Wiesbaden, 23 janvier 1941, 5 p.

45Au cours de l’hiver 1940-41, l’application du contrat A d’aluminium et d’alumine est marquée par d’importants retards. Dès le mois de décembre 1940, Raty signale à Schöne que les retards sont imputables à l’absence de livraison des matières premières nécessaires promises par les Allemands72. Et, lorsqu’à la fin de janvier 1941, le bilan du contrat A est dressé, Schöne pour le Reich et le représentant des établissements Junkers, Jungels, souhaitent la signature d’un nouveau contrat portant sur l’année 1941, ainsi que la résorption effective des retards. Les autorités françaises mettent en avant l’insuffisance des contreparties, pour réclamer un engagement se limitant aux mois de mars et avril : « Le gouvernement français met à la disposition de l’industrie allemande la bauxite dont il dispose, ainsi que les usines, les ouvriers, les moyens de transport, etc. Mais il ne peut consentir qu’une seule tonne de charbon soit distraite du contingent français pour servir aux commandes allemandes »73. Le MPI affirme vouloir jumeler le transport de charbon vers la France contre celui de l’aluminium vers l’Allemagne.

• Le marchandage (janvier-mars 1941). 74 Idem, p.-v. de la réunion du 31 janvier 1941, Wiesbaden, Délégation

économique, n° 12, 529/DE, 15 p (...)

75 Idem, c. r. de l’entretien entre Raty et Schöne du 6 mars 1941, Wiesbaden, Délégation économique n°(...)

46Les débats portent sur un triple objet : l’estimation des retards sur le contrat A, les livraisons pour le contrat B et les contreparties envisagées, notamment en charbon allemand. Lors de la réunion franco-allemande de Wiesbaden, le 31 janvier

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1931, Jean Dupin accepte la livraison de quantités voisines de celles du contrat précédent, mais formule six conditions : fourniture de charbon allemand, de wagons allemands et de locomotives SNCF à restituer, de mazout, brai et coke; déduction des quantités d’aluminium contenues dans les autres contrats; retour de membres du personnel prisonniers; expédition du matériel commandé en zone occupée74. C’est l’impasse. Le contrat A est prolongé jusqu’au 15 mars et la négociation sur le contrat B se poursuit à Wiesbaden entre gouvernements, de janvier à avril 1941. Schöne remet à la Délégation française, le 3 mars, un projet de contrat réservant à l’Allemagne soixante-quinze pour cent de la production d’aluminium. Il fait découler cette exigence de « l’acceptation par la France du programme de construction aéronautique allemand », et ajoute, en guise de menace, « le Maréchal Goering s’intéresse personnellement à cette question »75.

76 Idem, c. r. de la séance du 14 mars 1941 de la s/s commission de l’industrie, Wiesbaden, 5 p.

47En accord avec les industriels français, les représentants de Vichy proposent de livrer un maximum de 2 300 tonnes mensuelles d’aluminium et 2 000 tonnes d’alumine (soit 6 600 tonnes - équivalent alumine), avec les contreparties nécessaires en charbon — estimées à 5,5 tonnes pour une tonne d’aluminium en consommation directe, et 30 tonnes en équivalent de production hydroélectrique nécessaires à l’électrolyse — et en matières premières, et sans engagement au-delà du troisième trimestre76. Le marchandage se développe sur ces différents points pendant les mois de mars et avril 1941. Les deux délégations rapprochent leurs points de vue au travers d’âpres débats. Le 3 mars, Schöne réclame 3 300 tonnes. Le 12, Hemmen en demande 3 100, en échange d’une livraison de 4 000 tonnes de charbon allemand. Le 14 mars, il accepte d’envisager la contrepartie de 17 000 tonnes de charbon sarrois (correspondant aux 5,5 tonnes pour une tonne d’aluminium). En revanche, il refuse absolument de tenir compte de l’équivalent-charbon de l’électricité consommée.

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• Un enjeu   : l’estimation des besoins français.

77 Idem, p.-v. de la séance du 21 mars 1941 de la Commission économique, Wiesbaden, 31 p.

48L’intérêt de ces débats provient du fait que le débat porte rapidement surl’estimation des besoins français en aluminium, les deux délégations s’accordant à reconnaître que le surplus doit servir l’industrie allemande. Le 21 mars 1941, à Wiesbaden, comme les négociateurs français justifient les retards par le fait de n’avoir reçu que 500 tonnes de brai (au lieu des 1 400 tonnes promises), Schöne parle des « maladies de l’enfance de la collaboration », et pense que la véritable démarche est de définir l’étendue des besoins français en aluminium et de les déduire de la production et des stocks pour chiffrer les livraisons à l’Allemagne77. Mais l’estimation de la consommation française d’aluminium est statistiquement délicate. Elle apparaît en évolution croissante : c’est le seul métal disponible en abondance et, outre ses emplois habituels, il faut compter les besoins de substitution, du fait de la quasi-disparition des autres métaux non ferreux (cuivre, laiton) et de la raréfaction de l’acier. Mais il s’agit là d’emplois nouveaux, sur lesquels les estimations peuvent être fort variables, en partie du fait de la plus ou moins grande ampleur attribuée au mouvement de substitution. La stratégie des autorités françaises consiste à affirmer que les besoins français correspondent pratiquement à la production courante — soit environ 5 000 tonnes mensuelles : aux besoins normaux (2 500 tonnes), ils ajoutent une quantité équivalente pour les usages de substitution et d’exportation, en contrepartie d’autres produits indispensables. Dès lors, les livraisons à l’Allemagne ne peuvent être effectuées que sur les stocks et ne sauraient dépasser 2 300 tonnes.

78 Idem, p.-v. cité.

79 Idem, p.-v. cité.

80 Idem, p.-v. de la séance du 25 mars 1941, Wiesbaden, 15944/DE, 7 p.

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81 Idem, Note de Raty au secrétaire général à l’Énergie, Wiesbaden, n° 15 759/DE, 22 mars 1941, 3 p.(...)

82 Idem, note citée.

49Or, dès ce moment, les Allemands connaissent les statistiques françaises, grâce au contrôle étroit exercé sur l’OCRPI et les répartiteurs. Le négociateur allemand, Beden, va jusqu’à affirmer : « Nous sommes mieux renseignés que vous en ce qui concerne la consommation »78. Schöne souligne que les chiffres du Répartiteur français de l’Aluminium ne dépassent pas 1 800 tonnes mensuelles. Jungels ajoute que les chiffres pour les besoins de substitution, avancés par Raty, sont techniquement beaucoup trop élevés, et propose : « Nous sommes prêts à vous faire part de l’expérience de plus de cinq ans »79. Il est décidé de faire venir le lieutenant Moyer, adjoint du colonel Neef chargé des relations avec le Répartiteur de l’Aluminium à Paris. Celui-ci confirme un chiffre voisin de 1 700 tonnes, énoncé en présence de Jean Bichelonne et Jacques Barnaud, sous réserve des besoins de substitution80. Loin de définir une stratégie concertée avec les négociateurs de Wiesbaden, destinée à surestimer les chiffres de la consommation française et à limiter ainsi les prélèvements allemands, le Répartiteur Barbizet les a en fait minorés ! Raty s’en plaint, dans une lettre adressée à Henri Lafond : « Il semble regrettable que le Répartiteur de l’Aluminium ait communiqué des chiffres de consommation volontairement inférieurs à la réalité. Il eût été préférable, au contraire, de majorer les chiffres afin de permettre ultérieurement une réduction qui aurait donné satisfaction aux Allemands sans nous causer aucun préjudice »81. Le responsable de la délégation française conclut : « Il est certain qu’il sera difficile de convaincre les Allemands de l’inexistence du stock occulte dont ils ont maintenant la certitude »82.

• La signature. 83 Idem, c. r. d’une réunion c/o Pierre Pucheu (Bichelonne, Lafond,

Barnaud, Dupin, Raty, Boisanger). (...)

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84 Idem, c. r. de l’entretien Hemmen-Boisanger à Wiesbaden, 11 avril 1941, 16 h, 2 p.

85 Idem, lettre du ministre des Finances à la Délégation allemande, 29 avril 1941, 1 p.

86 Idem, Lettre à Hemmen, 2 mai 1941, 2 p.

50Dans ces conditions, après une réunion chez Pierre Pucheu, les représentants français doivent lâcher du lest, et proposent une livraison mensuelle de 2 500 tonnes d’aluminium83. Mais le 8 avril, Hemmen maintient les chiffres demandés, qui correspondent aux « instructions formelles du Maréchal Goering ». Il donne quelques heures de réflexion et, en cas de refus, menace de transmettre le dossier à Berlin84. De nouvelles négociations s’ouvrent entre industriels, dans lesquelles Koppenberg accepte de descendre à 3 000 tonnes d’aluminium (et maintient 2 000 tonnes d’alumine). Jean Dupin et Raoul de Vitry confient à Paul Leroy-Beaulieu que de tels chiffres, maintenus seulement jusqu’au 1er août, représentent « l’extrême limite des concessions »85. Après concertation entre Bouthillier, Pucheu et Barnaud, il est décidé, le 2 mai 1941, d’accepter un nouveau contrat d’un an, «dans l’esprit de la collaboration franco-allemande »86 :

Contrat B

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51Si l’on retient les 2 000 tonnes d’alumine réclamées, le complément correspond à 5 700 : 2 = 2 850 tonnes d’aluminium, soit légèrement moins que la dernière demande allemande.

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• Les industriels contraints par Vichy   ? 87 AN. F 12 9579, d. « CNIE — L’Aluminium français », Mémoire personnel

de J. Dupin, septembre 1946, ( (...)

88 Idem, mémoire cité, p. 7.

89 AN. F 37 32, d. « Aluminium », s.-d. « Aluminium ». Jean Dupin à Boisanger, 5 mai 1941.

90 Cf.  infra, chapitre XIX.

52Après la Libération, Jean Dupin et Raoul de Vitry ont dû rendre compte devant la Commission nationale interprofessionnelle d’Épuration de la signature des différents contrats. Tous deux ont rédigé en 1946 des mémoires, retrouvés dans les archives de la Commission, dans lesquels ils soulignent que la responsabilité de la signature incombe aux autorités gouvernementales. Jean Dupin y cite de larges extraits de la lettre qu’il a envoyée, le 5 mai 1941, à Boisanger et dans laquelle il déplore le fait que « les besoins français en aluminium seront gravement compromis si les livraisons à l’Allemagne sont fixées aux chiffres envisagés »87. L’industriel français rappelle l’accroissement des besoins intérieurs français, à la mesure de la disparition des stocks d’autres métaux non ferreux, et fait notamment grief au gouvernement d’avoir accepté un contrat sur un an et non pas sur quatre mois88. Or, nous avons retrouvé le texte intégral de cette lettre dans les archives Barnaud : Jean Dupin, en 1946, omet le passage dans lequel il reproche aux négociateurs français de ne pas avoir fait insérer une clause sur la non-extension du contrat au-delà de l’armistice : « si la paix intervenait avant le 1er février 1942, l’industrie française de l’Aluminium risquerait avec la rédaction actuelle de se trouver liée dans les conditions les plus dangereuses par un texte lui enlevant toute liberté de négociation et toute possibilité de relèvement »89. Ainsi, les mobiles de la « résistance » des industriels aux exigences allemandes apparaissent ambigus. Il s’agit d’une négociation avant tout économiqueoù, du côté de Péchiney,

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l’une des craintes majeures est que, du fait du conflit,  la situation de la production française d’aluminium ne soit affaiblie, lors du rétablissement de la paix, qui est perçu comme proche. Les négociations, engagées au même moment, sur la construction d’une usine d’alumine, confirment l’existence de telles préoccupations90. D’un point de vue strictement commercial, les contrats allemands ne sont pas spécialement intéressants pour les firmes françaises. Outre le fait qu’elles ne bénéficient pas du prix allemand (du fait de la « taxe de peréquation »), il est préférable pour elles de vendre leurs produits en France, où se trouve leur clientèle habituelle et potentielle, à un moment où la demande est d’autant plus forte que l’aluminium peut se substituer à d’autres métaux non ferreux, devenus introuvables.

91 AN. F 37 32, d. et s.-d. cités, Note pour M. Dufau-Peres, 19 janvier 1942, 1 p.

53La réalisation du contrat B est particulièrement entravée par la pénurie d’énergie de l’hiver 1941-42, du fait de la sécheresse, qui réduit les possibilités hydroélectriques de la zone Sud. La fabrication d’alumine et d’aluminium, qui représente plus de dix pour cent de la consommation électrique industrielle totale, est touchée lors des coupures décidées en novembre91. Au total, sur la durée du contrat (1er février 1941-31 décembre 1941) les livraisons effectives se présentent ainsi :

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92 AN. F 12 9579, Mémoire Dupin, cité.

54Le rythme mensuel a excédé les 2 000 tonnes prévues pour l’alumine. En revanche, il n’a pas dépassé 2 300 pour l’aluminium92.

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5. Le contrat C.55Au début de 1942, la négociation s’engage pour un troisième contrat.

• Des exigences allemandes accrues. 93 AN. F 37 32, d. et s.-d. cités, c. r. de la réunion du 5 février 1942

(Barnaud, Lafond, Boisanger, (...)

94 Idem, c. r. de la séance du 18 mars 1942 de la s/s commission des échanges commerciaux, 9 p.

95 Idem, Note pour M. Barnaud, confidentiel, 8 octobre 1941, 2 p.

56Des contacts entre industriels, il résulte que les exigences allemandes s’élèvent à 129 000 tonnes d’alumine (ou équivalent) annuelles. Tout dépend de l’estimation des besoins français et de l’accroissement de la capacité de production d’alumine, qui atteint 14 000 tonnes au début de 1942 et, selon les chiffres du COAM, pourrait dépasser les 18 000 tonnes au milieu de l’année, sous réserve des livraisons nécessaires en matières annexes. Une réunion entre industriels et hauts fonctionnaires français reprend la proposition de Jean Dupin d’une livraison de 6 000 tonnes mensuelles d’alumine et de cinquante pour cent du surplus, en cas de production supérieure à 14 000 tonnes, avec une contrepartie de 35 000 tonnes de charbon93. Les négociations effectives s’engagent dans la seconde moitié de mars 1942. Comme l’indique Schöne, « le facteur essentiel pour l’établissement des quantités à livrer est l’importance des besoins français »94. Or, comme l’année précédente, l’évaluation de tels besoins est soumise à interprétation. Une note confidentielle — non soumise aux Allemands — à Jacques Barnaud précise, en octobre 1941, que les «besoins véritables du marché français » en aluminium s’élèvent à 6 250 tonnes mensuelles et sont destinés à croître, par suite de la politique de substitution. Mais les interdictions d’emploi, « édictées par le Répartiteur à l’instigation des Autorités allemandes », les réduisent à 4 300 tonnes95. En mars 1942, les Allemands s’appuient sur le fait que le Répartiteur ne

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peut trouver d’emplois supérieurs à 3 500 tonnes d’aluminium et, escomptant un accroissement de production d’alumine de plus de 5 000 tonnes dans l’année, réclament 10 500 tonnes mensuelles d’équivalent-alumine.

• La reconduction du contrat B. 96 Idem, c. r. de la réunion du 23 mars 1942 dans le cabinet de M.

Barnaud, 2 p.

97 Idem, c. r. de la séance du 24 mars 1942 n° P. 411/DE, 6 p.

57À la suite d’une réunion, le 23 mars 1942, dans le cabinet de Jacques Barnaud, à laquelle assistent Raty et Lafond pour l’État, Piaton et Vitry pour Péchiney, il est décidé d’accepter de livrer 7 000 tonnes d’alumine et 75 % du surplus des 14 000 tonnes, si 35 000 tonnes de charbon sont offertes en contrepartie96. Mais Schöne ne peut admettre, le lendemain, un contrat inférieur au précédent : « Pourquoi avons-nous fait tant d’efforts si la montagne accouche d’une souris ? » Il menace : « J’espère n’avoir pas à faire jouer des interventions extérieures comme la dernière fois »97. Une semaine plus tard, à la Commission d’Armistice, Schöne propose le renouvellement du contrat B. Après un marchandage final sur les contreparties de charbon, le contrat C est conclu le 21 avril, sur les mêmes bases que le précédent, avec un léger accroissement des livraisons allemandes de charbon.

98 Source : Idem, Lettre du Président de la Délégation française auprès de la DAAE à Hemmen, 11 juin 1 (...)

Contrat C (1er février - 31 décembre 1942)98

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99 Idem, Lettre de Henri Lafond à Jacques Barnaud, 9 janvier 1942, 2 p.

100 Idem, Lettre citée.

58Malgré l’accroissement des contreparties, Henri Lafond souligne à Jacques Barnaud 1’ « insuffisance des fournitures de charbon ainsi prévues qui risque de compromettre la fabrication d’aluminium », a fortiori en cas de sécheresse, comme en 194199. Il insiste également sur l’abaissement des quantités d’aluminium disponibles pour le marché français « au-dessous du minimum reconnu indispensable »100.

• Le refus ambigu des industriels. 101 Idem, Lettre del’Aluminium Français à Jacques Barnaud, signée Dupin

et Vitry, 1er avril 1942, 2 p. (...)

102 Idem, c. r. de la séance du 29 avril 1942, n° P 565/DE, 6 p.

103 Idem, c. r. cité.

59Et, comme l’année précédente, Vitry et Dupin protestent auprès de Barnaud au sujet des chiffres de livraisons qui viennent d’être acceptés par le gouvernement. Signalant que l’Aluminium français a, en 1941, prélevé plus de 5 000 tonnes mensuelles sur la production courante pour l’Allemagne, ils ajoutent que « la reconduction pure et simple du contrat B

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constitue pour le marché français une aggravation sérieuse », et estiment les disponibilités mensuelles en alumine, aussi longtemps que la production ne dépassera pas 14 000 tonnes, à environ 2 700/2 800 tonnes, très inférieures aux besoins101. D’ailleurs, lors de la réunion suivante de la Commission d’Armistice, Jean Dupin se retranche derrière la décision gouvernementale : « Il ne s’agit pas ici d’un contrat commercial normal. On ne peut affirmer qu’il est spontané. Nous l’avons conclu sur les injonctions du gouvernement français (...) nous n’aurions jamais accepté le chiffre de 7 700 tonnes, si l’accord entre les gouvernements n’avait pas existé »102.Mais, comme en 1941, les réticences de l’industriel sont surtout fondées sur une crainte commerciale.  Il exprime ainsi à Schöne, en séance, son souci que les livraisons à l’Allemagne « ne puissent être utilisées pour nous concurrencer sur le terrain commercial, qu’elles soient réservées à des besoins strictement militaires (...). Nous demandons qu’il [l’aluminium livré par Péchiney] ne ressorte pas d’Allemagne vers nos clients fidèles »103.

***

CONCLUSION DU CHAPITRE XVIII 104 AN. F 37 32, d. « Construction d’une nouvelle usine d’alumine en

France », c. r. de la réunion du 1 (...)

105 Idem.

106 AN. F 37 27, d. « Aide... » cité, note de René Norguet, citée.

60L’armistice et la défaite incitent experts et gouvernements de Vichy à envisager l’avenir économique et commercial (immédiat et lointain) de la France au sein d’une Europe continentale dominée par la puissance des firmes et ententes allemandes. Comme l’exprime Jean Filippi en septembre 1941, dans l’immédiat, les contraintes du clearing franco-allemand poussent à multiplier les achats directs en Allemagne, car il faut redouter « ... au moment du traité de paix, si nous disposons d’un solde créditeur important, que ce solde soit assuré au profit de l’État allemand »104. Mais,à plus long terme

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également, les échanges avec l’Allemagne vont s’imposer, d’où la nécessité de « prévoir pour l’avenir, après le traité de paix, la possibilité de nous créer de nouvelles disponibilités en vue de financer les importations allemandes qui nous seront nécessaires »105. Les principaux experts souhaitent à la fois s’insérer dans la division allemande du travail et y défendre les positions françaises. Comme l’indique René Norguet, « rechercher une liaison industrielle de Français à Allemand en exigeant une situation paritaire, et en toute dignité nationale, peut être une excellente solution. En tout cas, ce n’est certes pas faire œuvre politique contre une idée de Grande Europe, c’est au contraire la servir »106.

61Dès les premiers mois de l’Occupation, experts et gouvernants de Vichy trouvent ainsi  leurs propres mobiles à une collaboration commerciale avec l’Allemagne, appuyés sur l’idée d’une convergence d’intérêts, du fait de la « pax germanica », considérée comme l’anticipation la plus vraisemblable. Ils bâtissent pour cela des structures administratives et des procédures qui renforcent le dirigisme. Cette direction des échanges se présente de manière contradictoire : elle offre la protection de l’État a certaines branches industrielles particulièrement convoitées et, dans le même temps, elle les insère dans le réseau des négociations générales avec l’Occupant, avec les contraintes que cela implique pour les entrepreneurs privés. Il peut en résulter des controverses, voire des tensions entre entrepreneurs et gouvernants/ experts sur les modalités des accords et l’étendue des contreparties à obtenir de la part des interlocuteurs allemands, même si, aux yeux des premiers comme des seconds, par-delà la diversité de leurs sentiments, jusqu’au début de 1942 (au moins), le présent comme l’avenir commandent de trouver un terrain d’entente avec le vainqueur. De plus, le contrôle des autorités allemandes sur l’appareil de direction vichyste de la répartition leur fournit des atouts redoutables pour les négociations, en particulier à travers la connaissance des quantités produites et réparties, comme dans le cas de la bauxite, l’alumine et l’aluminium.

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62Les négociations ainsi engagées aboutissent à de grandes déconvenues du côté français, du fait de  la faiblesse des contreparties au regard de celles qui étaient escomptées, du caractère déséquilibré des accords passés (dans leur lettre ou dans leur application effective) en faveur de l’Occupant, ou du recours, de sa part, à la contrainte ou la menace. À partir du printemps 1942, l’aggravation des exigences allemandes ne laissent plus de place à des espérances (même déçues) de collaboration fructueuse. Une évolution parallèle est perceptible dans le domaine financier.

NOTES

1 AN. F 37 20, d. « DGRE-Économie intérieure », s.-d. « Études sur la collaboration économique franco-allemande », DGREFA, Exposé succinct de la collaboration franco-allemande dans le domaine économique, Vichy, 17 décembre 1941, 6 p.

2 AN. F 37 27, d. « Aide apportée par l’Allemagne à l’économie française », DIME, Note pour M. le Délégué général aux relations économiques franco-allemandes, signée de René Norguet, 2 décembre 1941, (5 p.), p. 1.

3 Idem.

4 Idem.

5 Idem.

6 Jacques de Fouchier, Le goût de l’improbable, Paris, 1984, p. 119 et suiv.

7 Ibid., p. 12.

8 Cf. AN. F 37 28, d. « Production industrielle », s.-d. « résumé des Accords franco-allemands (Production industrielle) ».

9 Cf. Alan Milward, The New Order..., op. cit., p. 106 et suiv.

10 AN. F 37 28, d. « circulaires à adresser par tous les CO à leurs adhérents a/s commandes allemandes », projet circulaire, 9 avril 1941.

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11 .Idem, contreprojet allemand envoyé par le docteur Michel, 21 mai 1941, 2 p.

12 Idem, c. r. d’une réunion au Majestic entre MM. Michel, Kolb et Barnaud, 10 juillet 1941, 1 p.

13 Idem, c. r. cité.

14 Idem, circulaire du SEPI préparée par l’Administration militaire allemande, 1 p.

15 Idem, c. r. liaison Finances - Production industrielle, 6 août 1941, 1 p.

16 Idem, c. r. liaison Finances - Production industrielle, 23 juillet 1941, 1 p.

17 Cf. AN. F 37 27, d. cité, DIME, Note citée de René Norguet.

18 Cf. AN. F 37 28, d. « Approvisionnement de la France en matières premières-généralités », MPI, Note sur la situation actuelle de l’approvisionnement du pays en matières premières, 23 juillet 1941, 5 p.

19 Source : Idem, MPI, Note citée, p. 2.

20 Idem.

21 AN. F 37 27, d. cité, DIME, Note citée, p. 2.

22 Cf. AN. F 37 20, d. « Contreparties - Économie intérieure ». Cf. également Alan Milward, The New Order..., op. cit., p. 185-188.

23 Cf.  infra, chapitre XIX.

24 AN. F 37 31, d. « charbon (questions générales) », Lettre du Président de la Délégation française pour les Affaires économiques à M. Hemmen, 14 octobre 1940, 5 p.

25 Idem, Note de la direction des Mines faite à la demande de Pierre Pucheu, signée Fanton d’Andon, 6 juin 1941, 4 p.

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26 Cf. AN. F 12 10102, d. « 477 c — Méthodes allemandes d’occupation », s.-d. « Occupation allemande. M. Claudot », Note sur les méthodes allemandes durant l’Occupation en matière de répartition du charbon, HD/HL, 5 mars 1945, 4 p. (à partir de renseignements recueillis auprès du répartiteur Jacques Thibault).

27 AN. F 12 10102, d. cité, s.-d. « Fichier des autorités allemandes en France, Recueil de leurs décisions abusives ».

28 Idem, d. cité, Note citée.

29 Cf. Alan Milward, The New Order..., op. cit., p. 185-188.

30 Idem., d. cité, c. r. de la séance du 14 novembre 1940 de la Délégation économique, 10 p.

31 Idem, d. cite, note du 14 mars 1941, sa., 2 p.

32 Idem, note du 6 juin 1941, signée F. d’Andon, faite à la demande de P. Pucheu, 4 p.

33 AN. F 37 28, d. cité, Note du 23 juillet 1941, citée.

34 AN. F 37 31, d. « charbon (questions générales) », Note de Fanton d’Andon, 14 juin 1941, 5 p.

35 Idem, Lettre de François Lehideux au docteur Michel, s. d., 5 p.

36 AN. F 37 33, d. « Textiles », s.-d. « Direction des négociations françaises », Note n° 5, « Négociations avec les autorités allemandes du mois d’août 1940 au mois d’octobre 1941 », Note de R. Carmichaël, 6 p.

37 AN. F 37 27, d. « Aide apportée par l’Allemagne à l’économie française », Note de la sous-direction du textile (MPI), 1er décembre 1941, 3 p.

38 AN. F 37 28, d. «Production industrielle», s.-d.» Accords franco-allemands», plan Kehrl, 6 p.

39 AN. F 60 590, c. r. de la séance du 10 janvier 1941 du CEI.

40 AN. F 37 33, d. « Textiles », s.-d. cité, note n° 5, citée.

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41 Idem.

42 Idem.

43 AN. F 37 28, d. « Production industrielle », s.-d.» Accords franco-allemands », conférence faite par M. Maurice Voreux..., s. d., 15 p.

44 AN. F 37 33, d. « Textiles », s.-d. « Plan Kehrl », c. r. de la réunion entre les représentants du SEPI et les Autorités d’Occupation, 2, 3, 4 mai 1941, transmis à Jacques Barnaud, 15 mai 1941, 29 p.

45 Idem, c. r. cité.

46 Idem, c. r. cité.

47 Idem, d. « Textiles », s.-d. « direction des négociations françaises », Note n° 5 citée.

48 Cf.  Idem, d. «Textiles», s.-d. «Plan Kehrl», Plan textile franco-allemand pour 1942, 2 p. Cf. également AN. F 37 27, d. « Aide apportée par l’Allemagne à l’économie française », Note sur la collaboration franco-allemande en matière textile, SEPI, s/s direction des Textiles, 1er décembre 1941, 3 p.

49 Idem, Note de la Direction des Textiles et des Cuirs à SGI, n° 6962, 12 novembre 1941, 1 p.

50 Idem, Entretien de Berlin, p.-v. des entretiens avec la délégation française des 20-22 janvier 1942, 24 janvier 1942, 5 p. et Annexes.

51 Cf.  infra, chapitre XIX.

52 Cf.  Idem, Lettre de Jarillot (directeur des Textiles et des Cuirs) au Referat Textile, SEPI 4309, text 4, 19 mai 1942, 2 p.

53 AN. F 37 33, d. « Plan du cuir », c. r. de la réunion chez Jacques Barnaud, note de M. Terray, MH, 2 mai 1941 ; cf. également AN. F 37 20, d. « Études sur la collaboration économique franco-allemande ».

54 Idem, c. r. de l’entretien du 8 janvier 1942, (Jarillot, Ribes, Grunberg), n° 66, Text. 11, 9 janvier 1942, 1 p.

55 Idem, Note de Bourbon-Busset, 15 janvier 1942, 1 p.

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56 Cf. Alan Milward, The New Order..., op. cit., p. 87-89, ainsi que le chapitre IX.

57 Cf. AN. F 12 9579, d. « Commission nationale interprofessionnelle d’Épuration (noté  infra CNIE), L’Aluminium français », Mémoire de Raoul de Vitry, Cie AFC — Société l’Aluminium français, 18 p. Il reprend le rapport complémentaire de l’expert Lemoine-CNIE, 6 septembre 1946 — note Allier, cote 60. Déposition Barnaud, cote 220.

58 Idem.

59 Idem, cote 73, lettre du général Huntziger au général Weygand.

60 Cf. Alan Milward, The New Order..., op. cit., p. 87 et 235.

61 AN. F 12 9579, d. cité, cote 96, p. 18 et 19, p.-v. cote 49 et cote 46, déposition de Henri Lafond.

62 Idem, déposition de Vitry, cote 42; note Allier, cote 62.

63 Idem, Note Allier, cote 60; déposition Barnaud, cote 220.

64 .Source : AN. F 37 32. d. « Aluminium », s.-d. « Aluminium », c. r. de la Commission des Experts, Délégation économique de Wiesbaden, 13901/DE, 31 janvier 1941, 6 p. Les chiffres diffèrent sur certains points de ceux des archives allemandes reproduits dans Alan Milward.

65 AN. F 37 32, d. « Aluminium, s.-d. « Bauxite ». DFCAA, I, 1 78.

66 AN. F 12 10102, d. «477 — Méthodes allemandes d’occupation», s.-d. «Fichier des autorités allemandes en France — Recueil de leurs décisions abusives », cité.

67 Idem.

68 AN. F 37 32, d. « Aluminium », s.-d. « Bauxite », c. r. de la séance du 8 octobre 1940 de la s/s commission de l’industrie de guerre, 4 p.

69 Cf. Alan Milward, The New Order..., op. cit., p. 87-88.

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70 AN. F 37 32, d. et s.-d. cités, Note de Boisanger au ministre de la Guerre (DSA), 9 octobre 1940, 2 p.

71 Idem, Lettre de Raty à Schöne, 19 décembre 1940, 1 p.

72 Idem, Note pour le docteur Schöne, signée Raty, 14 décembre 1940, 1 p.

73 Idem, c. r. de la Délégation économique, Wiesbaden, 23 janvier 1941, 5 p.

74 Idem, p.-v. de la réunion du 31 janvier 1941, Wiesbaden, Délégation économique, n° 12, 529/DE, 15 p.

75 Idem, c. r. de l’entretien entre Raty et Schöne du 6 mars 1941, Wiesbaden, Délégation économique n° 14, 819/DE, 7 mars 1941, 4 p.

76 Idem, c. r. de la séance du 14 mars 1941 de la s/s commission de l’industrie, Wiesbaden, 5 p.

77 Idem, p.-v. de la séance du 21 mars 1941 de la Commission économique, Wiesbaden, 31 p.

78 Idem, p.-v. cité.

79 Idem, p.-v. cité.

80 Idem, p.-v. de la séance du 25 mars 1941, Wiesbaden, 15944/DE, 7 p.

81 Idem, Note de Raty au secrétaire général à l’Énergie, Wiesbaden, n° 15 759/DE, 22 mars 1941, 3 p.

82 Idem, note citée.

83 Idem, c. r. d’une réunion c/o Pierre Pucheu (Bichelonne, Lafond, Barnaud, Dupin, Raty, Boisanger).

84 Idem, c. r. de l’entretien Hemmen-Boisanger à Wiesbaden, 11 avril 1941, 16 h, 2 p.

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85 Idem, lettre du ministre des Finances à la Délégation allemande, 29 avril 1941, 1 p.

86 Idem, Lettre à Hemmen, 2 mai 1941, 2 p.

87 AN. F 12 9579, d. « CNIE — L’Aluminium français », Mémoire personnel de J. Dupin, septembre 1946, (11 p.), p. 6-7.

88 Idem, mémoire cité, p. 7.

89 AN. F 37 32, d. « Aluminium », s.-d. « Aluminium ». Jean Dupin à Boisanger, 5 mai 1941.

90 Cf.  infra, chapitre XIX.

91 AN. F 37 32, d. et s.-d. cités, Note pour M. Dufau-Peres, 19 janvier 1942, 1 p.

92 AN. F 12 9579, Mémoire Dupin, cité.

93 AN. F 37 32, d. et s.-d. cités, c. r. de la réunion du 5 février 1942 (Barnaud, Lafond, Boisanger, Raty, Vitry, Piaton, d’Auvigny, Dupin), Note de M. Lechartier, 3 p.

94 Idem, c. r. de la séance du 18 mars 1942 de la s/s commission des échanges commerciaux, 9 p.

95 Idem, Note pour M. Barnaud, confidentiel, 8 octobre 1941, 2 p.

96 Idem, c. r. de la réunion du 23 mars 1942 dans le cabinet de M. Barnaud, 2 p.

97 Idem, c. r. de la séance du 24 mars 1942 n° P. 411/DE, 6 p.

98 Source : Idem, Lettre du Président de la Délégation française auprès de la DAAE à Hemmen, 11 juin 1942, 2 p.

99 Idem, Lettre de Henri Lafond à Jacques Barnaud, 9 janvier 1942, 2 p.

100 Idem, Lettre citée.

101 Idem, Lettre de  l’Aluminium Français à Jacques Barnaud, signée Dupin et Vitry, 1er avril 1942, 2 p.

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102 Idem, c. r. de la séance du 29 avril 1942, n° P 565/DE, 6 p.

103 Idem, c. r. cité.

104 AN. F 37 32, d. « Construction d’une nouvelle usine d’alumine en France », c. r. de la réunion du 16 septembre 1941, MH - 18 septembre 1941, 3 p.

105 Idem.

106 AN. F 37 27, d. « Aide... » cité, note de René Norguet, citée.

Chapitre XIX. Vichy, l’Allemagne et le capital français (1940-1942)p. 631-669

TEXTE NOTES ILLUSTRATIONS

TEXTE INTÉGRAL

1Dès les débuts de l’Occupation »n, certains dirigeants allemands semblent

intéressés par des fractions du capital français, situées en France ou à l’étranger.

Certains industriels ou commerçants français se trouvent ainsi conduits à engager

des négociations, mais la plupart se retranchent derrière l’État, qui doit à la fois

mettre en place des structures administratives et élaborer une doctrine. Désormais,

le capital convoité s’insère dans la stratégie générale de Vichy, comme monnaie

d’échange contre d’éventuelles contreparties. L’histoire de quelques-unes de ces

négociations éclaire dans leur diversité, voire leurs antagonismes, les positions

respectives des autorités de Vichy d’une part, celles des entrepreneurs de l’autre,

face à leurs interlocuteurs allemands. Elle permet également de saisir les retombées

de l’Occupation pour certaines productions.

I. STRUCTURES, LÉGISLATION ET PRATIQUES INITIALES (JUILLET-OCTOBRE 1940)2L’une des préoccupations des responsables du gouvernement de Vichy consiste à

vouloir maîtriser les relations entre le capital des entreprises françaises, situées sur

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le territoire national ou à l’étranger, et leurs différents interlocuteurs allemands. Mais

les rivalités s’aiguisent pour s’assurer cette maîtrise, en particulier entre Pierre Laval

d’un côté, et Yves Bouthillier de l’autre. Il en résulte, dans les premiers mois, une

certaine cacophonie gouvernementale, dont l’Occupant peut tirer parti.

1. Des structures nouvelles   : «   s’interposer entre les Français vendeurs et les Allemands acheteurs   ».

1 L’action économique en France..., op. cit., p. 83 et 172.  JO, Lois et décrets, 24 octobre 1940. (...)

2 Yves Bouthillier, Le drame de Vichy..., op. cit., t. 2, p. 113.

3Le ministre des Finances veut interposer ses services entre l’Occupant et les

Français engagés avec lui dans des discussions financières, en particulier dans la

perspective de la « négociation d’ensemble » escomptée. Dès l’été 1940, plusieurs

décisions sont prises. Un projet de loi de juillet permet de limiter les achats

immobiliers et mobiliers pour les étrangers ; plusieurs fois remanié, il aboutit à

l’adoption du décret du 10 octobre 1940 qui, complétant la législation de septembre

1939 sur le contrôle des changes, soumet à l’autorisation gouvernementale toute

cession de participations, libellées en devises ou en francs1. Peu après, une

instruction adressée à la délégation de Wiesbaden envisage de restreindre les

cessions éventuelles à trente pour cent du capital et d’obtenir en échange des

participations dans des entreprises allemandes ou des intérêts allemands à

l’étranger. En août 1940, afin de centraliser et coordonner toutes les affaires de ce

type, Yves Bouthillier élève au rang de direction — intitulée « des Finances

extérieures » — les services du Trésor, jusque-là soumis au directeur adjoint, Maurice

Couve de Murville, qui les avait en charge auparavant. Ce dernier assume cette

responsabilité jusqu’à son départ pour Alger en février 1943, où il rejoint les rangs

des fidèles du général Giraud. Cette direction, en particulier à travers le Service des

intérêts étrangers en France, confié en novembre à M. Berthoud, a la mission

d’étudier, de contrôler et d’accorder toute autorisation éventuelle de participation à

des interlocuteurs allemands : une lettre, datée du 7 novembre 1940, en informe

tous les ministres. Il n’est pas fait mention d’un rejet systématique des cessions,

mais d’un examen sous la condition qu’elles « trouvent dans leurs modalités mêmes

une justification suffisante (...) ou dans une négociation d’ensemble avec les

autorités allemandes... »2.

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2. Les premières cessions   : une monnaie d’échange pour Pierre Laval.

• Les mines de Bor et l’enjeu de la controverse Laval-Bouthillier (octobre-novembre 1940).

3 Ibid., p. 115-118.

4 Ibid., p. 513, Annexe 10.

5 Cf.  Ibid., p. 120 et Laval parle, p. 171.

6 Laval parle..., op. cit., p. 172 ; cf. également Fred Kupferman, Laval..., op. cit.,p. 271.

4On sait que ce dispositif n’est mis en place par les Finances qu’après l’affaire de Bor

et les failles qu’elle a révélées entre responsables français. Les 4 et 5 octobre, sur

l’injonction de Bouthillier, Boisanger est chargé de n’envisager la cession des actions

de la Société française des mines de cuivre de Bor en Yougoslavie que dans une

« négociation d’ensemble » sur les problèmes économiques et politiques pendants à

Wiesbaden3. Dès la fin de juillet 1940, en effet, un commissaire allemand, Kuntze, a

été désigné auprès de la Compagnie de Bor par Goering, qui nomme en août l’un de

ses amis, le Consul Neuhausen, directeur des établissements de la compagnie. Ce

dernier engage des négociations directes avec les banquiers français — Mirabaud et

Champin — contrôlant Bor, et les invite à prendre contact directement avec Pierre

Laval qui, quelques jours après l’entrevue de Montoire, les presse de céder les

actions, malgré les réserves de Bouthillier et de Baudoin avant sa démission. Le

protocole du 6 novembre règle les détails de la cession, dont le paiement est

effectué par des francs des « dépenses d’occupation » pour 1,8 milliard. Dans une

lettre, datée du 26 novembre, le vice-président du Conseil, devenu, après Montoire,

également ministre des Affaires étrangères, souligne pour Bouthillier « l’intérêt qu’il

y avait, pour faciliter les négociations avec l’Allemagne, à répondre favorablement au

désir exprimé par M. l’ambassadeur Abetz »4. Yves Bouthillier cède, tout en

demandant aux banquiers français de tenter néanmoins d’obtenir des « contreparties

plus intéressantes pour la France qu’un règlement en francs »3. Cette querelle

intravichyste se trouve quelque peu obscurcie après la Libération : lors de son

interrogatoire devant le juge Lancier, le 4 septembre 1945, Pierre Laval a affirmé

s’être assuré du soutien du Conseil des ministres, avant d’engager effectivement la

cession des participations, ce que Yves Bouthillier nie dans ses Mémoires5. La

controverse reflète bien davantage une opposition de responsables sur

les modalités (notamment les avantages attendus en retour) que sur le principe de

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la cession. Chacun de leur côté, le vice-président du Conseil et le ministre des

Finances pense être le mieux placé pour conduire l’opération, et en tirer les meilleurs

avantages, sous forme de contreparties dans une « négociation d’ensemble ». Mais

Yves Bouthillier escompte négocier la cession en même temps que les problèmes

débattus à Wiesbaden, alors que Pierre Laval accepte de céder avant la négociation

générale que, grâce à Abetz, il croit, à tort, imminente. De plus, comme il l’indique

lors de ce même interrogatoire, il a établi une « hiérarchie » entre les questions :

face à la libération des prisonniers, à l’assouplissement de la ligne de démarcation et

au rattachement à Paris de l’administration du Nord-Pas de Calais, qu’il espère

négocier, la question de Bor lui apparaît d’autant plus de moindre importance, que la

France ne peut plus contrôler les mines, dans une Yougoslavie désormais sous

emprise allemande6.

• L’or belge, Havas et Hachette. 7 .Ibid., p. 272 et Yves Bouthillier, Le drame..., op. cit., t. 2, p. 135 et 159.

5Il en est de même pour les deux cents tonnes d’or belge, confiées à la France en

juin 1940 et mises à l’abri en AOF : le 29 novembre 1940, Pierre Laval donne l’ordre

de transférer l’équivalent à Bruxelles, malgré les réticences de Yves Bouthillier7. En

même temps que Pierre Laval satisfait Goering par la cession des mines de Bor et

Ribbentrop par celle de l’or belge, il répond aux demandes d’Otto Abetz sur les

entreprises françaises de publicité. La loi du 27 septembre 1940 sépare en deux les

activités de l’agence Havas : la branche « information » est acquise par l’État

français (pour 25 millions), et la branche « publicité » est cédée partiellement — à

travers une participation de 47,6 % — à l’agence allemande Mundus (38 millions sur

80). L’affaire est réalisée le 5 mars 1941. En octobre 1940, Pierre Laval conclut

également un accord à propos de la société Hachette, dont la branche Messageries

deviendrait une société franco-allemande, dans laquelle le groupe Mundus

obtiendrait la moitié du capital. Mais l’affaire n’aboutit pas avant l’éviction de Pierre

Laval, et s’enlise ensuite. En cet automne de 1940, Pierre Laval comme Yves

Bouthillier sont convaincus de  l’intérêt de la négociation avec l’Occupant. Mais le

premier la conçoit en responsable assuré (non sans illusions) de tenir les fils de la

grande politique, auprès de laquelle ces différentes affaires semblent subalternes,

alors que le second l’envisage en technocrate prudent, soucieux d’obtenir des

avantages simultanés.

8 AN. F60 590, p.v. de la séance du CEI du 5 février 1941.

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6Cependant, Yves Bouthillier ne considère pas la collaboration financière avec les

Allemands seulement en réponse à leur sollicitation. Ainsi, le 5 février 1941, lors

d’une séance du CEI, il fait état des études réalisées sur le projet de chemin de fer

transsaharien (le « Méditerranée - Niger »), d’où il ressort que les ressources

françaises apparaissent insuffisantes. Le procès-verbal de la réunion indique alors :

« M. Bouthillier estime que le Transsaharien doit constituer le premier chantier de la

collaboration franco-allemande. Il reste à savoir si nous devons néanmoins prendre

l’initiative de l’entreprise et commencer les travaux seuls pour n’y associer les

Allemands que par la suite »8. Même si le projet s’ensable quelque peu en 1941, il

témoigne d’intentions initiales. Quoi qu’il en soit, le résultat de ces tentatives dépend

en grande partie de l’intérêt manifesté par l’Occupant. Or, il se porte sur un nombre

limité d’intérêts à l’étranger et en France même.

II. CESSIONS DE PARTICIPATIONS FRANÇAISES À L’ÉTRANGER

1. Les cessions contre des titres d’emprunt étranger.

9 Cf. AN, F 37 29, d. « pétrole », s.-d. « Intérêts français à l’étanger », Note « intérêts français (...)

10 Cf. AN, F 37 30, d. « Pétrole », s.-d. « Sociétés diverses », Note de M. Terray, MH, 6 mai 1941,

2(...)

11 DFCAA, t. 2, p. 505.

12 Yves Bouthillier, Le drame... op. cit., t. 2, p. 125.

13 Ibid., p. 514-516, Annexe 11, p.-v. de l’entretien du 16 janvier 1941 de M. Couve de Murville

avec (...)

14 Pierre Arnoult, Les Finances..., op. cit., p. 330.

7Peu après cette affaire, le 21 novembre 1940, à Wiesbaden, Hemmen évoque la

possibilité de régler une part des dépenses d’occupation par la cession de

participations françaises, notamment dans les pétroles roumains qui intéressent

l’Allemagne pour son effort de guerre : il s’agit en particulier de la Steaua Romana

(au capital de un milliard de lei, contrôlé aux deux tiers par la Steaua française, à

laquelle participe l’Omnium française des Pétroles et la Banque de Paris) ainsi que la

compagnie Concordia au capital de 650 millions de lei contrôlé par la Compagnie

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financière belge des Pétroles, dans laquelle la moitié du capital (300 millions de

francs) est détenue par des intérêts français, dont l’Union parisienne et la société

Colombia (au capital de 380 milliards de lei, dont la moitié appartient à des

portefeuilles français)9. Du point de vue de la production effective, seuls trois millions

de tonnes, issues des installations de ces sociétés, sont exportées avant la guerre,

dont seulement 200 000 tonnes parviennent en France10. Le refus, exprimé par la

délégation française le 22 novembre 1940, porte principalement sur  le mode de

paiement : les responsables français ne veulent plus, comme dans le cas des mines

de Bor (1,8 milliard), d’un prélèvement sur le compte des frais d’occupation11. Il

s’agit là d’une position de principe, qu’on va retrouver. Le même jour toutefois,

Maurice Couve de Murville fait part de l’acceptation de la cession de la Banska à

Hutni en Bohême à un groupe allemand comprenant la Deutsche Bank et la

Boemische Bank. Filiale de la Banque française de l’Union européenne,

l’établissement, par son directeur général, Aimé Lepercq — nommé peu après

président du CO des Combustibles minéraux — a engagé des pourparlers dès

l’Armistice, car la gestion de cette filiale française est rendue inextricable, du fait que

son activité s’étend sur des territoires relevant de quatre juridictions différentes. La

cession pour 330 millions de francs est alors sollicitée auprès des Finances

extérieures, qui acceptent12. Et le 16 janvier 1941, lorsque Schöne, vice-président de

la Délégation allemande pour l’Économie à Wiesbaden, propose la cession des

participations françaises de la Banque commerciale roumaine, de la Banque générale

de Crédit hongrois, ainsi que celles des compagnies pétrolières roumaines

mentionnées en novembre 1940, il signale que les objections françaises venant

« principalement » du paiement sur le compte des frais d’occupation, l’Allemagne

peut offrir la « contrepartie » de l’achat par les titres de l’emprunt hollandais 4 %

193913. Les responsables français saisissent l’occasion, et, les 7 et 14 mars 1941,

l’accord se fait sur la cession des participations déjà citées ainsi que celles des

Charbonnages de Tréfail et de la Norvégienne de l’Azote, contre les titres de

l’emprunt14.

2. Controverses. 15 Cf. supra, chapitre XVII.

16 Yves Bouthillier, Le drame..., op. cit., t. 2, p. 132.

17 Cf. Alan Milward, The New Order..., op. cit., p. 96.

8On a vu comment le ministre des Finances était prêt à accorder des cessions de

participations françaises, à concurrence d’un montant de vingt millions de francs

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quotidiens, pour prix de l’abaissement du tribut à 140 millions. Mais l’accord mort-né

de juillet 1941 clôt la série des négociations à Wiesbaden à propos de cessions

nouvelles15. Le ministre des Finances était prêt à céder des titres de la dette

balkanique et des participations dans des affaires situées en Pologne. Plusieurs de

ces dernières sont effectivement transférées en novembre 1941 (Mines et Tubes de

Sosnowice, Houillères de Dombrowa...). Dans leurs écrits d’après guerre, Yves

Bouthillier d’une part, Pierre Laval et Pierre Cathala de l’autre se sont opposés sur le

bien-fondé de ces transferts, somme toute limités. Pour le ministre des Finances de

1940-41, ces cessions n’étaient en fait que des « régularisations », car portant sur

des affaires quasi-inaccessibles, situées dans des territoires dominés

économiquement et militairement par l’Allemagne, dont parfois les dirigeants

français avaient été chassés, et pour lesquelles pouvaient peser les menaces de

réquisitions ou de nationalisations16. Du côté allemand, cela correspond au souci de

réduire l’influence financière française dans l’Europe centrale et orientale occupée ou

« alliée », comme en témoignent des documents de la division de la politique

commerciale de la Wilhemstrasse, dès juin 1940. En outre, il faut voir dans le cas du

pétrole roumain, la volonté de s’assurer l’approvisionnement de produits essentiels à

la poursuite de la guerre17.

III. LE CAS DE FRANCOLOR   : LA REVANCHE SUR 1918

18 Cf. Yves Bouthillier, Le drame..., op. cit., t. 2, p. 122.

19 Cf. bibliographie in Alan Milward, The New Order..., op. cit., p. 101.

9Les visées allemandes sur le capital situé en France même apparaissent

relativement limitées, malgré les déclarations prononcées après guerre par certains

dirigeants de Vichy sur l’ampleur de l’appétit allemand18. La plus importante et la

plus connue de ces opérations est celle intéressant la fondation de la Société

Francolor. Nous pouvons éclairer plus précisément le rôle pris par les représentants

de l’État, grâce aux archives des services de Jacques Barnaud et aux dossiers de la

Commission nationale interprofessionnelle d’Épuration (CNIE), consacrés aux

principaux dirigeants de la société Francolor après la guerre19.

1. Les premiers contacts (août-novembre 1940)   : une initiative française malencontreuse   ?

20 AN, F 12 9574, d. « CNIE - Francolor », s.-d. 2, René-Paul Duchemin,Histoire d’une négociation

(2(...)

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10Le cas de ces dirigeants a été examiné par une sous-commission, puis par la

Commission nationale d’Épuration les 21 et 22 juillet 1947, et a fait l’objet de

plusieurs rapports de commissaires du gouvernement (en juillet 1946, puis en mars

1948, enfin en octobre 1948). L’une des pièces versées au dossier, qui comprend

plusieurs copies de documents originaux, est une brochure confidentielle, écrite en

1942 par René-Paul Duchemin, président des Établissements Kuhlmann, sans

mention d’éditeur, et intitulée Histoire d’une négociation (21 novembre 1940-18

novembre 1941)20.

• Un «   incident   » dans une «   lutte trentenaire   ». 21 Idem, s.-d. 1, Rapport du commissaire du Gouvernement (M. Nicolet-Dubost), contre MM. F...,

Duchem (...)

22 Idem, Rapport Nicolet-Dubost, cité. Il existe, en outre, en 1918 la Société des matières

colorante (...)

11Les questions que se sont posé les membres de la Commission d’Épuration en

1946-48 ne sont pas nécessairement les plus utiles pour l’historien. Elles éclairent

néanmoins, sur un cas particulier, la manière dont les dirigeants de l’État ont conçu

leur rôle d’interposition entre industriels français et allemands. En fait, comme

l’indique le Commissaire du gouvernement, l’épisode de 1940 n’est qu’un

« incident » dans « la lutte trentenaire opposant l’industrie chimique française et

allemande »21. En 1914, les firmes allemandes disposent d’un quasi-monopole de la

production mondiale des matières colorantes (quatre-vingt-cinq pour cent du total,

contre six pour la Suisse, et un pour cent partagé entre la France et l’Angleterre) et

contrôlent même quatre-vingt-huit pour cent du marché français (sur 9 000 tonnes

de produits consommées par an, les firmes françaises n’en fabriquent que 750 ;

6 250 tonnes sont produites par des filiales de producteurs allemands et 2 000 sont

importées d’Allemagne). À l’occasion de la Première Guerre mondiale et de son issue,

l’industrie de la chimie organique française tente de profiter d’une situation

favorable, pour s’emparer d’une partie du potentiel allemand et se renforcer. Les

succursales des firmes allemandes en France sont réquisitionnées et quelques-unes

sont remises en route pendant le conflit, grâce à l’importation de produits

intermédiaires suisses. Le 31 janvier 1917, est alors constituée la Compagnie

nationale de Matières colorantes et de Produits chimiques (CNMC), dont F..., déjà

administrateur de la Société des Produits chimiques de Saint-Clair du Rhône, devient

peu après le directeur22. Formé en Russie au début de la guerre, cet industriel,

attaché au cabinet de Louis Loucheur, se trouve, après l’Armistice de 1918, chargé

du contrôle des usines allemandes de produits chimiques en Allemagne occupée. En

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décembre 1919, la CNMC fusionne avec la Société des Colorants français, fondée

également au début de 1918. Parallèlement, F... négocie avec Bayer et les sociétés

qui formeront, en 1925, l’IG Farben. Il signe en 1920 le « contrat Gallus » assurant

pour quarante-cinq années les procédés, produits et expérience de l’IG Farben à la

seule Compagnie nationale, en échange d’un forfait de 16,66 millions, d’une

redevance annuelle et d’un engagement de livraison à l’IG Farben des inventions et

informations. À la fin de 1923, les Établissements Kuhlmann fusionnent avec la

Compagnie nationale, la Société des Matières colorantes et des produits chimiques

de Saint-Denis, Saint-Clair du Rhône, les Établissements Steiner, l’industrie chimique

de Mulhouse. Et, quelques mois plus tard, le contrat Gallus est rompu, du fait de

l’occupation de la Ruhr. Dès lors, la concurrence franco-allemande reprend et

s’exerce jusqu’à la signature d’un cartel provisoire, le 15 novembre 1927, entre

Kuhlmann et l’IG Farben : le groupe français est assuré de 11,5 % de la production

franco-allemande, du monopole de la fourniture au marché français (métropole et

Empire), ainsi que de la part des marchés étrangers atteinte dans les années 1924-

27. Le gouvernement français en a alors approuvé la signature. En 1929, le Cartel est

définitivement institué jusqu’en ... décembre 1968 ; il est même étendu à l’industrie

suisse et, en 1932, à l’Imperial Chemical Industries. Ce cartel à quatre présente,

jusqu’à la guerre, des aspects favorables pour le groupe français, puisqu’il n’existe

plus de concurrence sur le marché français, et même un surcroît d’exportations (près

de 4 700 t en 1939), malgré la crise. En 1940, les profits de Saint-Clair sont multipliés

par 2,4 par rapport à 1925 et ceux de Kuhlmann par plus de cinq. Et ce fut l’une des

rares périodes où l’industrie chimique française, regroupée désormais dans la

Centrale des Matières colorantes, peut, malgré l’apparition de nouvelles industries,

occuper une telle part des importations des États acheteurs.

23 Source :  Idem, Rapport Nicolet-Dubost, cité.

Part des importations françaises de produits chimiques sur des marchés étrangers (En pourcentage - Année 1938)23

Agrandir Original (jpeg, 43k)

12Le cartel est suspendu de fait par le décret du 1 er septembre 1939. Pendant la

retraite de 1940, les usines sont évacuées : certaines, comme celle de Kuhlmann à

Villers-Saint-Paul (dans l’Oise) sont réquisitionnées, d’autres séquestrées (usine

Kuhlmann de Dieuze en Lorraine) ou arrêtées (celle de Mulhouse). Dans les semaines

suivantes, les réquisitions sont levées, après des prélèvements sur les stocks. Mais

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les problèmes les plus aigus sont ceux de l’approvisionnement en produits

intermédiaires, assuré, pendant le fonctionnement du cartel, par l’industrie suisse,

qui usurpait ainsi la place traditionnelle des firmes allemandes. Peu avant la défaite,

le groupe suisse (Ciba, Geigy et Sandoz) a prévenu les dirigeants du groupe français

que, pour l’IG Farben, la guerre avait rompu les accords de 1929.

13Désormais, avec la victoire de la Wehrmacht, les industriels français se doutent

que l’IG Farben, qui n’a jamais accepté la fondation des entreprises françaises de

matières colorantes, à travers l’occasion de la Première Guerre, va lutter pour

s’assurer la domination mondiale. La firme allemande ne tarde d’ailleurs pas à

exprimer ses exigences à Berlin.

• Stratégie allemande et initiative française malencontreuse.

24 Idem, rapport cité ; cf. également Alan Milward,The New Order..., op. cit., p. 101-102.

25 Idem, s.-d. 1, Rapport du Contrôleur Ferré, 18 juillet 1946, 6 p.

26 Idem, Rapport du Contrôleur Ferré, cité.

27 Idem, s.-d. 2, Extraits des Rapports établis par M. Berstein..., 7 p., déposition Schnitzler, 30

a (...)

28 Idem, CNIE, p.-v. des séances des 21-22 juillet 1947, 81 p.

29 Idem, Rapport Nicolet-Dubost, cité, F... nie le fait inIdem, s.-d. 2, Rapport F..., 25 juin 1947, (...)

30 Idem, Rapport cité.

14Les archives allemandes ont montré en 1947 que, dès juillet 1940, l’IG Farben a

exprimé au ministre de l’Économie du Reich le souci de faire cesser les effets,

néfastes sur les exportations allemandes, de la production française, et de s’assurer

cinquante pour cent du capital de son industrie, à l’exception des deux firmes de

Mulhouse, travaillant à 100 % pour l’Allemagne, et de la Société de Saint-Denis, dont

la fondation préexiste à la Première Guerre mondiale (et qui ne peut donc être

considérée comme issue de la politique agressive des firmes et du gouvernement

français, manifestée à l’occasion du conflit). En 1924 déjà, l’IG Farben avait échoué

dans la constitution d’une société en France avec une participation de même

ampleur. Le 3 août, les propositions sont transmises au ministre de l’Économie : il

s’agit de constituer une Société franco-allemande, sous domination germanique. Sa

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production doit se limiter au marché français (métropole + Empire)24. Mais, au même

moment, il semble que certains industriels français aient voulu tenter une démarche

pour contacter leurs homologues allemands. Les séances de la Commission

d’Épuration et les rapports en 1947-48 ont porté tout particulièrement sur deux

griefs formulés à l’égard des dirigeants de la Société Francolor : le premier se

rapporte à l’existence d’initiatives françaises précoces pour prendre contact avec l’IG

Farben (le second ayant trait au transfert de main-d’œuvre). Un rapport de juillet

1946 signale que le dossier de l’affaire ne contenait aucun renseignement sur le sujet

jusqu’en mai 1946. À cette date, une copie de l’enquête américaine sur l’IG Farben,

au procès des industriels allemands à Nuremberg, révèle des rapports d’agents

allemands qui « sont accablants pour F... », alors président de Saint-Clair et directeur

général de la branche organique de Kuhlmann25. Des extraits des rapports établis

par le colonel américain Bernstein indiquent que Von Schnizler, directeur du

Département des Matières colorantes de l’IG Farben, a déclaré, lors de son

interrogatoire, avoir appris par ses agents à Paris, notamment le docteur Kramer, que

F... aurait tenté de les contacter en août26. Mais le directeur allemand a pensé « qu’il

était judicieux de laisser les Français mijoter dans leur propre jus, et d’attendre qu’ils

demandassent l’ouverture de telles négociations privées par la voie de la

Commission d’Armistice »27. L’affaire rebondit alors. Parmi les nombreuses

dépositions, lors des séances de la CNIE des 21 et 22 juillet 1947, un ingénieur

chimiste, officier de renseignement d’un réseau de résistance, signale que, le colonel

Bernstein étant lié à Dupont de Nemours, le document peut être contestable28.

Toutefois, deux rapports de commissaires du Gouvernement en 1948 signalent que,

en octobre 1940, F... « fait des avances » au docteur Kramer (lors d’une rencontre à

l’Hôtel Claridge), qu’il sollicitait depuis le mois d’août, et aurait parlé d’« intégration

de l’Industrie française dans l’économie européenne sous une direction

allemande »29. Parallèlement, il apparaît que, dès le 22 juillet, deux directeurs

commerciaux de Kuhlmann — sans qu’on puisse établir de manière certaine que ce

soit sur la demande de F... — prennent contact avec Yves Bouthillier, afin d’obtenir

une représentation à la Commission de Wiesbaden face aux industriels allemands.

Malgré l’avis défavorable de Jean Bichelonne et de Drillien pour les Finances, le

général Huntziger informe alors les Allemands à Wiesbaden du désir des industriels

français de rencontrer leurs homologues allemands. Mais l’affaire en reste là à

l’été30.

31 Idem, s.-d. 2, document du docteur Buhl, Réunions colorants, Francfort 15 octobre 1940, 3 p. (y

as (...)

32 Idem, Rapport cité.

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15Un extrait de procès-verbal du Comité directeur du Département des colorants de

l’IG à Francfort, le 15 octobre 1940 — saisi par les services américains — fait état du

rapport de Kramer, dans lequel F... aurait parlé de « collaboration intime », de

« mariage », et affirmé que les Établissements Kuhlmann seraient «entièrement

disposés à abandonner 51 % »31. Et le 23 octobre, F... voit à Bâle des industriels

suisses afin d’obtenir une entrevue avec Von Schnizler. Quelle que soit l’authenticité

de ce document, le commissaire du gouvernement conclut en 1948 : « Ce sont les

interventions personnelles de (F...) qui paraissent avoir abouti à la convocation de

Wiesbaden »32.

2. La rencontre de Wiesbaden (21-22 novembre 1940)   : la Division allemande du travail.

• «   Collaboration loyale   » contre «   Führung   ». 33 Cf. DFCAA, t. II, p. 522. Le p.-v. des séances des 21 et 22 novembre 1940 se trouve également

dans (...)

34 Ibid.

35 Ibid.

36 Ibid.

37 Ibid.

38 Ibid.

16Les industriels français (représentés par René-Paul Duchemin, Président-directeur

général de Kuhlmann et Thesmar, PDG de la Société de Saint-Denis) et allemands se

rencontrent effectivement à Wiesbaden, les 21 et 22 novembre 1940, en compagnie

des représentants des Administrations. De manière un peu grossière, le général

Blanchard, directeur des Industries chimiques au MPI, et R.-P. Duchemin font

référence à la récente entrevue de Montoire et à 1’« accord sur le principe d’une

loyale collaboration » pour réclamer la reconduction pure et simple du cartel de

1929 !33Hemmen trouve l’allusion « tout à fait déplacée », et Von Schnitzler,

confirmant que le cartel est dissous, lit un mémorandum, dans lequel est affirmé que

l’IG Farben règle le marché mondial, grâce à la science et à la technique allemande.

Il ajoute : « Il faudra à l’avenir éviter toute concurrence dans le cadre européen et

(que) l’industrie française devra s’adapter à l’industrie allemande »34. Il rappelle

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1’« injustice » commise à l’égard de la production allemande en 1918 et en 1924, qui

n’a jamais été vraiment « réparée » (il insiste sur l’exploitation en fraude des brevets

allemands et l’espionnage des chimistes français déguisés en officiers en Rhénanie

en 1918), et conclut : « L’exportation française, factice et déloyale, doit cesser »35. Il

justifie l’idée de « Führung » de l’industrie allemande — qui implique direction,

contrôle et participation au capital — sur les matières colorantes en Europe, grâce à

sa supériorité scientifique et technique : « C’est là la seule forme de collaboration qui

nous intéresse, la seule qui puisse être utile à l’industrie française »36. Hemmen va

dans le même sens, non sans sophismes : « C’est parce qu’il s’agit pour nous de

l’avenir de l’Europe que nous vous offrons une possibilité de vivre tout en excluant

les risques de conflit. (...) nous revenons en un sens aux principes de l’économie

classique, puisque nous renonçons à l’erreur qui voulait que tout le monde produisît

de tout (...). Nous ne voulons ni réduire vos ouvriers au chômage, ni vous faire perdre

vos capitaux. Vous existez, c’est un fait ; mais il faut que vous continuiez

d’exister dans le cadre européen(...) on vous demande de prendre la place qui vous

revient dans le cadre de l’IG (...) mais pas pour vous livrer à une concurrence

désordonnée comme avant la guerre. C’est d’ailleurs là la ligne de notre politique

générale économique (sic) avec la France (...). Car nous ne demandons qu’à

collaborer avec vous, à « coopérer » comme vous dites. Et c’est en ce sens qu’il faut

comprendre l’entrevue du Führer et du maréchal Pétain. Il s’agit de travailler pour

l’avenir et non de s’entendre pour exploiter des conventions conclues avant la guerre

sur la base de la situation créée par le traité de Versailles »37. Le représentant de la

Wilhelmstrasse indique que l’accord entre industriels français et allemands doit

prévaloir et « servir d’exemple aux autres industries »38.

• Le «   diktat   » allemand. 39 AN, F 37 32, d. cité, p.-v. de la séance du 22 novembre 1940, n° 8258/DE, 7 p.

40 Idem, p.-v. cité

41 Idem, p.-v. cité.

42 Idem, p.-v. cité.

43 Idem, p.-v. cité.

17Le lendemain, une nouvelle réunion à Wiesbaden est consacrée à l’examen du

mémorandum allemand transmis la veille. Von Schnizler précise qu’il s’agit là des

bases d’une « nouvelle collaboration qui figurera dans le traité de paix et qui sera

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valable pour toujours »39. Il confirme la nécessité de « normaliser » l’exportation des

firmes françaises (« car elle n’était pas saine »), en leur laissant seulement le marché

français, une représentation sur le marché belge et quelques autres pays voisins40.

Son collaborateur Ter Meer ajoute qu’il doit y avoir une concentration (« certains

établissements doivent fermer, comme certains ont fermé en Allemagne »). Sans les

conséquences, néfastes pour l’Allemagne, de la guerre de 1914-18, il n’y aurait pas

eu, selon lui, 1’« organisation malsaine » d’établissements trop nombreux et

inefficaces (« depuis dix ans, l’industrie française n’a pas inventé un seul

colorant »)41. Il est proposé la constitution d’une seule société, englobant toute

l’industrie française des colorants — seules quatre usines subsisteraient (Villers,

Oissel, Saint-Denis et Saint-Clair) — dans laquelle les Allemands détiendraient 51 %

du capital, mais le président serait français. En outre, cette société devrait conclure

un accord de production avec la SOPI (Société pour l’Importation de Matières

Colorantes et de Produits chimiques), représentant l’IG Farben à Paris, et importerait

notamment les produits intermédiaires allemands, faisant ainsi cesser les

importations suisses. Ter Meer confie : « Probablement notre collaboration n’ira pas

jusqu’à vous livrer nos dernières découvertes (...) mais les produits nouveaux

seraient importés en France au bout de dix ou quinze ans... »42. René- Paul

Duchemin parle de « diktat », d’accord « exorbitant », et surtout précise : « La

décision appartient à mon gouvernement »43.

3. L’appel à l’État français et la fondation de Francolor.

• «   Il appartient au gouvernement...   ». 44 Lettre citée in Yves Bouthillier, Le drame..., op. cit., t. 2, p. 184.

45 AN, F 12 9574, d. « CNIE - Francolor », s.-d. 1, rapport Nicolet-Dubost, cité.

46 Idem.

47 Idem, s.-d. 2, Extraits des Rapports établis par M. Berstein, n° 60, pièce n° 4, Rapport du

docteu (...)

48 Idem, Rapport Nicolet-Dubost, cité.

49 René-Paul Duchemin,Histoire..., op. cit., p. 44 ; cette note n’a pas été retrouvée.

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18Dès lors, les industriels se retranchent derrière le gouvernement. Dans une lettre

adressée au ministre de la Production industrielle, le 26 novembre, ils parlent de

menace de réduction en « servage » de l’industrie française, du danger d’un

précédent. Mais, dans le même temps, ils redoutent que la rupture n’entraîne l’arrêt

des usines, faute de matières premières, ou même la reprise des réquisitions. Ils

concluent, en s’en remettant à l’État : « Vous comprendrez, monsieur le ministre, que

la décision à prendre dans ces circonstances est exorbitante de nos possibilités et

qu’il appartient au gouvernement de nous donner les directives qui dicteront notre

réponse à la demande de l’IG »44. Après concertation avec Jean Bichelonne, René-

Paul Duchemin demande la constitution d’une société de vente franco-allemande,

avec 49 % pour le capital allemand. Sans résultat. Après la crise du 13 décembre

1940, la négociation reprend le 20 janvier 1941, au siège de la SOPI. Les

représentants de l’IG maintiennent leurs propositions, en ajoutant toutefois que leur

participation s’effectuera en actions — c’était l’une des objections du gouvernement

français, qui refusait un transfert en argent — et qu’ils se contenteraient de la

parité45. Le lendemain, René-Paul Duchemin se réfugie derrière le fait que le

gouvernement de Vichy est hostile à une participation allemande supérieure à 25 %.

Les Allemands refusent, et soulignent que les industriels français acceptent, à titre

privé, la part de 51 %. Et, à partir de ce moment, l’IG annonce que les 51 %

constituent une condition sine qua non46. D’après le rapport de Kramer du 31 janvier

1941, F... lui aurait rendu visite pour l’informer de son départ pour Vichy, afin de

convaincre René-Paul Duchemin d’accepter les 51 %47. Selon le rapport du

Commissaire du gouvernement, le choix de l’IG Farben « paraît dès cet instant fixé

sur le président de la nouvelle société, qui sera F... »48. René-Paul Duchemin affirme

avoir envoyé au général Blanchard une note, le 31 janvier, demandant de ne pas

céder plus de 50 %49.

19Pendant les mois de janvier et février 1941, le gouvernement en reste à sa

proposition de 25 %, et paraît plus intransigeant que les industriels. Lorsque Pierre

Pucheu arrive à la Production industrielle, le 23 février 1941, il propose, peu après, la

ventilation suivante du capital : 45 % à l’IG Farben, 45 % au groupe français et 10 %

à l’État français. Il semble que le nouveau ministre veuille ainsi introduire, à cette

occasion, les représentants de l’État dans la Société. L’IG refuse. René-Paul

Duchemin s’en tient à 50/50 et ajoute la proposition de nomination d’un commissaire

du gouvernement. En vain.

• L’acceptation de la cession (12 mars 1941)   : une responsabilité de Vichy   ?

50 Yves Bouthillier, Le drame..., op. cit., t. 2, p. 184.

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51 René-Paul Duchemin,Histoire..., op. cit., p. 33.

52 Ibid

53 Ibid., p.-v. de la séance du Majestic du 12 mars 1941 sous la présidence du docteur Michel.

54 Ibid., p.-v. cité.

55 Ibid., p.-v. cité.

56 AN, F 12 9574, d. cité, Rapport Nicolet-Dubost, cité.

20Yves Bouthillier affirme dans ses Mémoires que le Conseil des ministres du 1er mars

1941 accepte finalement les 51 % par crainte d’une rupture. Il ajoute que la question

de la responsabilité précise de la décision est « de nul intérêt »50. Il apparaît

cependant que la décision n’a pas été clairement prise au Conseil, puisque le 6 mars,

Pierre Pucheu réitère son refus à Kramer, ainsi que son souci d’obtenir une

participation de l’État. Or, dès le 2 mars, Jacques Barnaud, face au même

interlocuteur, annonce l’accord du gouvernement français, sous une triple condition :

que le président soit toujours français, que la société nouvelle ne freinera pas la

recherche française, et qu’il s’agisse d’un cas particulier, ne pouvant être invoqué à

titre de précédent. Et le 6 mars, Boisanger donne son accord de principe à Schöne

après une conversation avec Bouthillier, dans laquelle ce dernier a laissé entendre

l’accord du gouvernement51. Toutefois, le 10 mars, à la SOPI, devant von Schnizler,

Pierre Pucheu et Jean Bichelonne persistent dans leur refus : c’est l’industriel

allemand qui leur apprend l’accord de principe du gouvernement de Vichy !52 Le

ministre de la Production industrielle, alors placé dans une « fausse situation », se

rallie. L’accord est scellé, le 12 mars, à l’hôtel Majestic, sous la présidence du docteur

Michel. Von Schnitzler confirme que le pourcentage se justifie par la puissance de

l’industrie allemande avant 1914, mais que l’IG, comme le demande Pierre Pucheu,

« ne revendique pas le monopole de droit sur le marché français »53. Jacques

Barnaud considère que, de ce fait, « la participation à 51 ou 50 % aurait perdu de son

importance »54. Il aurait préféré 50 % pour les « répercussions psychologiques » sur

l’opinion française, mais l’accord est rendu possible, grâce à l’attribution permanente

de la présidence à un Français, à la parité du nombre d’administrateurs — ces deux

conditions étant rendues immuables par la loi française — et à l’engagement de ne

pas évoquer ce cas comme un précédent55. Comme l’indique le Commissaire du

gouvernement : « Il semble que le Conseil des ministres de Vichy ait autorisé le

pourcentage de 51 % à l’insu des services de Paris »56.

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57 Idem.

21Pour des raisons de politique générale, le gouvernement se montre plus conciliant

que les services de la Production industrielle, dont la double préoccupation consistait

à limiter la part allemande et à assurer une participation de l’État. Du côté des

industriels, « il paraît établi que le groupe français et notamment MM. Thesmar et

Duchemin ont refusé le pourcentage majoritaire de 51 % bien qu’il ait été aux yeux

de F... « un geste genereux de l’IG »57. Le 20 mars, les industriels reprennent la

protestation de René-Paul Duchemin contre les termes de l’accord conclu le 12. La

convention est toutefois établie en septembre 1941, et signée le 12 novembre entre

les industriels.

• La naissance de Francolor (novembre 1941). 58 Idem, Renseignements transmis par l’Ingénieur général militaire des Poudres Marot,

« Constitution (...)

59 Idem, Rapport Nicolet-Dubost, cité.

60 Idem, questionnaire du 17 juillet 1945, interrogatoire, pièce n° 39.

22La société est constituée par la totalité de l’actif des trois sociétés françaises : sur

un capital de 800 millions de francs divisé en 80 000 actions, l’apport des

Établissements Kuhlmann représente 48 000 actions (61 %), celui de la Société de

Saint-Denis 21 000 (27 %) et celui de Saint-Clair du Rhône 9 600 (12 %)58. Chacune

des sociétés cède 51 % de ses actions à l’IG Farbenindustrie, en échange de 12 750

actions de cette société (d’une valeur nominale de 1 000 RM chacune), ainsi

réparties : 7 778 actions pour Kuhlmann, 3 442 pour Saint-Denis et 1 530 pour Saint-

Clair. Une loi, datée du 10 décembre 1941, fixe le statut juridique et fiscal de la

société, baptisée Francolor. Le gouvernement concède des dérogations fiscales, en

échange de l’agrément par lui des administrateurs, refusé initialement par les

industriels59. La convention entre industriels est approuvée par une loi, promulguée

en juin 1942. D’après l’interrogatoire de von Schnitzler par les Américains, les

Allemands auraient proposé le nom de F..., président de Saint-Clair, qui devient

président de la nouvelle société, les trois autres administrateurs français étant

Duchemin, Thesmar et Despret60.

4. Bilan et interprétation   : un cas limite et/ou significatif   ?

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• Une triple vulnérabilité. 61 Yves Bouthillier, Le drame..., op. cit., t. 2, p. 197.

23Le cas de Francolor présente une triple caractéristique, qui la rend peu comparable

à d’autres tentatives voisines. Tout d’abord, il faut soulignerl’écrasante domination

scientifique, technique, financière et commerciale de l’industrie allemande des

colorants en 1914 — y compris sur le marché français — et la volonté inébranlable de

ses dirigeants de prendre leur revanche sur les effets de la défaite allemande en

1918 et sur les avantages qu’en ont retiré les firmes françaises, avec lesquelles ils

ont « un compte à régler »61. De surcroît, l’industrie française est tributaire de

l’Allemagne pour ses approvisionnements en produits intermédiaires. De leur côté,

les autorités du Reich disposent d’une capacité de production considérable avec l’IG

Farben, et ne se trouvent pas dans une position de demandeurs à l’égard des

capacités françaises, comparativement fort modestes. Seconde caractéristique, une

partie importante des usines françaises se trouvent en zone occupée et, de plus,

consacrées, au moins partiellement, à des productions à des fins militaires. Le risque

peut paraître élevé, aux yeux des dirigeants français, de réquisitions éventuelles ou

de transferts de matériel. Enfin, la constitution de la société Francolor en 1941

(comme la branche des matières colorantes depuis 1917) est largement marquée par

la personnalité de son président qui, à travers les controverses d’après guerre à ce

sujet, semble avoir pour le moins facilité la conclusion de l’accord du 12 mars 1941,

ainsi que les transferts de main-d’œuvre. Cependant, au-delà de traits spécifiques, la

constitution de cette société éclaire des aspects importants de la politique de l’État à

l’égard des autorités allemandes comme des industriels français.

• Vichy et la «   responsabilité devant l’histoire   ». 62 AN, F 12 9574, d. cité, Rapport Nicolet-Dubost, cité.

63 Idem, Conclusions du commissaire du gouvernement Hamel, 1947, 7 p.

64 Idem, Décisions rendues dans la première affaire Francolor, 21-22 juilet 1947, par le président

Pe (...)

24La question de savoir qui a pris la responsabilité de signer l’accord peut apparaître

de faible intérêt, dans la mesure où, dès le 3 août, Berlin est averti de la volonté de

l’IG de faire respecter la division allemande du travail et, notamment, de faire cesser

toute concurrence, jugée « artificielle », à ses exportations en Europe. F... ne manque

pas d’invoquer le fait pour justifier son attitude. Cependant, elle peut éclairer les

ambiguïtés des relations entre industriels et État français. L’impulsion initiale revient

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sans doute à certains dirigeants de Kuhlmann. Le Commissaire du gouvernement

conclut, en octobre 1948 : «la constitution de Francolor (...) a été provoquée par les

initiatives de F... dont les vues en la matière n’ont pas même reçu l’approbation de

tous les membres du gouvernement de Vichy »62. Cependant, l’initiative des

industriels français de reprendre contact avec leurs homologues allemands afin de

leur proposer, non sans ingénuité, une collaboration sur les bases d’avant guerre, les

conduit nécessairement à solliciter l’appui de l’État français. Et face au « diktat »

allemand, leur réaction est de se retrancher derrière lui. Ainsi, l’attribution de 51 %

du capital relève d’une décision gouvernementale, pour laquelle Yves Bouthillier et

Jacques Barnaud semblent avoir précipité les événements, contre l’avis de Pierre

Pucheu et Jean Bichelonne. Le Commissaire du gouvernement croit pouvoir affirmer

en 1947 : « Seul le gouvernement de Vichy doit en prendre toute la responsabilité

devant l’Histoire »63. Sur la question des 51 %, les quatre futurs administrateurs,

semble-t-il, se sont divisés : R.-P. Duchemin, Thesmar et Despret hostiles, F...

favorable. Ce clivage, ainsi que l’attitude à l’égard des transferts de main-d’œuvre,

expliquent les décisions de la CNIE, le 22 juillet 1947 : la mise hors de cause pour les

trois premiers, la condamnation du quatrième à 1’« interdiction de conserver un

poste de commandement dans les entreprises de produits chimiques » (ce dernier se

réfugie en Suisse avant la clôture de l’information, lorsqu’il est averti de la sanction

prononcée par la CNIE)64. Après la guerre, les débats devant la Commission

d’Épuration ont été rendus quelque peu confus, du fait qu’elle faisait comparaître des

individus, et s’attachait autant aux opinions personnelles des dirigeants qu’à leur

gestion d’entreprise.

• La gestion   : aucun grief. 65 Idem, Renseignements transmis..., Rapport Marot (Administrateur provisoire de Francolor) cité.

66 Idem, coupure d’Action, 29 août 1947.

67 Source : Idem, Rapport Marot, cité :

25Dans le cas de Francolor, aucun grief n’est retenu pour les quatre administrateurs

en matière de gestion, du fait des « conséquences pratiques insignifiantes » pour

l’effort de guerre allemand. Le rapport Marot et les conclusions successives des

commissaires du gouvernement insistent sur le fait que la constitution de la société

n’a apporté aucun avantage particulier, ni aux sociétés françaises, ni aux

actionnaires de Francolor, ni à l’IG Farben65. Une partie de la presse de l’époque,

issue de certaines fractions de la Résistance, se montre moins bienveillante66.

L’activité de Francolor (depuis sa constitution, le 1er janvier 1942, jusqu’au 30 juin

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1944) a été examinée, afin de mesurer quelle en avait été la part profitable à

l’Occupant. S’appuyant sur les données du CO de l’Industrie chimique,

l’Administrateur provisoire de Francolor, Marot, ingénieur général des Poudres,

rédige, en juin 1946, un rapport dans lequel on trouve les indications suivantes sur le

chiffre d’affaires67 :

Agrandir Original (jpeg, 107k)

68 Cf.  Idem, selon que l’on reprend les estimations du rapport Marot ou de celui du Commissaire

du Go (...)

69 Idem, Rapport du Commissaire du Gouvernement, cité.

70 Idem, Extrait des rapports établis par M. Berstein, cité.

71 Idem, Rapport Marot, p. 3.

72 Idem.

26Ainsi, pendant les deux ans et demi de fonctionnement, l’activité de Francolor a

atteint les deux tiers de celle que les établissements effectuaient avant la guerre et

même 55 %, si l’on ne compte que les matières colorantes. La convention du 18

novembre 1941 entraîne une chute d’un tiers des fabrications, au détriment des

exportations, qui se réduisent à presque rien (limitées à la Belgique, l’Espagne et le

Portugal). Les livraisons à l’Allemagne ont porté, respectivement en 1942, 1943 et

1944 (premier semestre), sur 12,9 %, 22,5 % et 6 % du chiffre d’affaires. Cela

représente entre 265 et 296 millions, soit entre 17 et 19 % des 1,518 milliard du

chiffre d’affaires des trente mois, selon les estimations68. Les livraisons ne

comprennent qu’une part très faible de matières colorantes, et aucune quantité

d’explosifs, malgré l’existence à l’usine d’Oissel d’une importante capacité de

production de mélinite. Ainsi, la société n’a pas fourni aux Allemands de produits

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livrés, avant la guerre, par les sociétés mères à la Défense nationale, sauf le phénol.

Il n’y a donc pas eu de livraison de produits directement utilisables pour la guerre,

mais « certains pouvaient indirectement le devenir »69. Von Schnizler a déclaré à

Nuremberg que Francolor avait approvisionné la Wehrmacht en produits

intermédiaires, dont les plus importants étaient le phénol et les stabilisateurs de la

poudre70. Le rapport Marot signale, cependant, à titre de comparaison, que le

coefficient d’activité de l’ensemble des usines françaises de produits chimiques

correspondant aux livraisons à l’Allemagne — pour une valeur totale de 1,6 milliard

— apparaît « du même ordre de grandeur» que celui de Francolor71. En outre, les

bénéfices de Francolor se présentent ainsi72 :

Agrandir Original (jpeg, 59k)

73 Idem, décisions rendues dans la première affaire Francolor, 21-22 juillet 1947, 10 p., doc.

cité. (...)

27En 1942, après compensation entre les dividendes dus par l’IG, Francolor reste

débitrice de 1,530 million, versé à l’IG par le clearing. En 1943, le bénéfice n’a pas

été réparti. Et la société n’est pas soumise à la législation sur les bénéfices illicites.

Ainsi, en juillet 1947, aucun grief n’a été retenu par la CNIE contre les dirigeants de

la société pour leur gestion73.

• Les transferts de main-d’œuvre. 74 Idem, Rapport Nicolet-Dubost, cité.

75 Idem.

76 Idem. « À ceux qui refusaient, il déclara en substance : « Si vous ne voulez pas signer, vous

part(...)

77 Idem, décisions rendues..., doc. cité.

78 Cf.  Idem, s.-d. 1, CNIE, p.-v. des séances des 21-22 juillet 1947, 81 p., et  Idem,s.-d. 2,

Rappor (...)

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28En revanche, il semble que F... se soit employé à faire fermer les entreprises

concurrentes non représentées dans le groupe français (notamment les usines de

Marboux Camell à Lyon et de la Société des Matières colorantes de Croix de

Wasquehal, Roubaix et Rime-Ertvelde), au point que Francolor dispose, en 1942, du

«quasi-monopole des produits tinctoriaux de synthèse en France »74. Et, surtout, il

apparaît que, les services allemands considérant la société comme une réserve de

main-d’œuvre pour l’IG, « F... favorisa cette politique et fit pression sur le personnel

pour qu’il partît en Allemagne volontairement »75. Il semble que, dès juillet 1942, la

propagande soit organisée dans les usines pour « la Relève » et que, le 12 octobre

1942, le Président ait incité les ouvriers pressentis à Villiers-Saint-Paul à partir

volontairement76. Les documents américains sont dépourvus d’ambiguïté. Von

Schnizler, le 26 août 1942, rassure Krauch, Chef de l’industrie chimique pour les

services du Plan de Quatre Ans, quant à la bonne volonté du Président de Francolor,

mais signale que les transferts de main-d’œuvre seront limités, du fait que la société

fabrique des produits intermédiaires organiques pour la Wehrmacht77. Au total, 787

ouvriers ou employés sont partis en Allemagne (sur un effectif total de 4 664), dont

seulement soixante étaient volontaires. F... nie avoir exercé une pression sur le

personnel, alors que de nombreux témoignages contraires sont recueillis dans les

dépositions78. Au-delà de cette différenciation, opérée entre les dirigeants par la

Commission d’Épuration, la situation de Francolor éclaire des traits importants des

relations entre l’État et l’industrie.

• La force de l’État appuyée sur une double faiblesse française.

79 Idem, s.-d. 2, René-Paul Duchemin, Histoire..., op. cit.,p. 43-44 ; souligné par nous.

80 Idem, s.-d. 1, premier rapport de la sous-commission, Note sur l’affaire Francolor, 16 avril

1947, (...)

29Au-delà des divergences entre industriels sur l’acceptation des 51 %, leur position

d’ensemble à l’égard de l’État paraît ambiguë. La réponse, rédigée le 23 avril 1941

par Pierre Pucheu — qui n’est pas, on l’a vu, le plus prompt à accepter les 51 % — à

la protestation de R.-P. Duchemin, apporte des éléments : « Vous avez marqué votre

désir de laisser au Gouvernement français la responsabilité de cette acceptation

(...) si elle n’a pas été librement consentie par vous, elle ne vous a pas été non plus

imposée malgré vous. Non seulement vous n’avez, à aucun moment, demandé que

les pourparlers fussent rompus, mais, au cours de plusieurs démarches faites auprès

de mes collaborateurs, vous avez manifesté la très vive inquiétude que vous inspirait

la perspective d’une rupture »79. Ainsi, au-delà de leurs sentiments personnels à

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l’égard de l’Occupant, les industriels français ont, dans leur ensemble, éprouvé la

crainte qu’une rupture n’entrainât une prise de possession directe et le transfert du

matériel en Allemagne : ils ont d’ailleurs ainsi justifié la cession à leur personnel80.

81 Idem, s.-d. 2, Interrogatoire de René-Paul Duchemin, s. d., 4 p.

82 Yves Bouthillier, Le drame..., op. cit., t. 2, p. 185.

30Lors de son interrogatoire, R.-P. Duchemin a précisé : « Nous savions ce que les

Allemands avaient fait en Pologne et en Tchécoslovaquie où ils ont nommé un

gauleiter des produits chimiques ». Il a évoqué le cas des deux usines Kuhlmann de

Dieuze (Lorraine) et de Mulhouse, travaillant à 100 % pour l’Allemagne, ainsi que le

souvenir tenace des épisodes de la Première Guerre, notamment l’enlèvement du

matériel des usines du Nord ; il a ainsi conclu sa déposition : « Nous y avons gagné

de garder toutes nos usines intactes »81. Comme le rappelle Yves Bouthillier, les

Allemands faisaient de leur participation majoritaire une condition sine qua non de

l’accord, et  le gouvernement, comme l’ensemble des industriels, jugeait la rupture

inconcevable : ainsi, « le gouvernement couvrait du commandement de l’autorité

légitime les industriels français quant au principe de l’accord »82. La protestation de

R.-P. Duchemin ou de Thesmar, après  l’acceptation décidée à Vichy, n’avait plus

grande signification, dès le moment où, devant la détermination des industriels de

l’IG, ils avaient fait appel à l’État français. En retour, les autorités de Vichy se sont

trouvé investies de la responsabilité de décider, en lieu et place des chefs

d’entreprises, du faitd’une double faiblesse française / celle provenant de l’infériorité

et de la dépendance de l’industrie des matières colorantes face à sa concurrente

d’Outre-Rhin, celle issue des conditions générales de l’Armistice et de l’Occupation.

5. Un cas voisin   : France-Rayonne. 83 AN, F 37 28, d. «Production industrielle», s.-d.» contacts avec les Allemands», contrat entre

Zell (...)

84 Idem, Contrat..., cité, p. 2.

31La constitution de la société France-Rayonne relève de conditions proches de celle

de Francolor : même suprématie technique allemande sur les fibres artificielles,

même lutte avant la guerre, de la part de l’IG Farben, pour l’emporter sur le cartel

français du Comptoir des textiles artificiels, même dépendance extrême des firmes

françaises à l’égard des matières premières. En novembre 1940, le ministère des

Finances est saisi du projet de constitution d’une société franco-allemande, qui

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construirait une usine de fibranne en France. Le 28 décembre 1940, Yves Bouthillier,

suivant en cela les conseils de Maurice Couve de Murville, accepte les termes d’un

contrat, signé le 3 décembre entre la Zellvolle und Kunseidenring (ZKR) et France-

Rayonne83. La ZKR et les usines allemandes apporteront « leurs expériences et leurs

connaissances » (§ 1) ; la ZKR « s’occupera autant que possible de garantir

l’approvisionnement de (France-Rayonne) avec les matières premières » (§ 6)84. En

échange, le groupe allemand reçoit une participation d’un tiers au capital de la

nouvelle société.

IV. LE PROJET AVORTÉ DE CONSTRUCTION D’UNE USINE D’ALUMINE (JUIN 1941-MAI 1942)   : AUTRE ISSUE, LOGIQUE VOISINE32Les dossiers de Jacques Barnaud contiennent de nombreux documents relatifs à la

négociation — qui s’étale de juin 1941 à mai 1942 — relative à la construction d’une

usine d’alumine en France, avec la collaboration allemande. Cette affaire présente

des traits différents, voire antagonistes, de ceux de Francolor et, dans le même

temps, permet de confirmer certains enseignements tirés plus haut.

1. Des caractères triplement opposés. 85 Cf. Alan Milward, The New Order..., op. cit., p. 238.

86 AN, F 12 9579, d. « CNIE - L’Aluminium français », Mémoire personnel de Jean Dupin, septembre

1946 (...)

33Tout d’abord, à la différence de celle des matières colorantes, l’industrie française

de l’alumine dispose de grands atouts techniques, commerciaux et financiers. La

technique des firmes françaises, très concentrées, est bien placée au niveau

international. En outre, les approvisionnements en matières premières sont assurés

en France même, un des principaux producteurs du monde de bauxite (près de

700 000 tonnes extraites avant la guerre). Et ces sociétés — qu’il s’agisse de

Péchiney ou d’Ugine — disposent de ressources financières importantes. De plus,

l’Allemagne se trouve dépendante de ses approvisionnements en bauxite — près de

100 000 tonnes ont été importées de France en 1938 — et même en alumine. À

travers la Commission de Wiesbaden, il a été imposé, dès septembre 1940, des

contrats de livraisons mensuelles85. Seconde différence, la plupart des usines se

trouvent en zone « libre », ainsi que les ressources de bauxite. Enfin, les principaux

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dirigeants des firmes d’alumine et d’aluminium ne se sont vu, après la guerre,

reprocher aucun fait de collaboration. Bien plus, Raoul de Vitry, président du Comité

d’Organisation de l’Aluminium et du Magnésium (COAM), directeur général de la

Compagnie de Produits chimiques d’Alais, Froges et Camargue (Péchiney), a participé

à la résistance active (il a été membre du réseau Thermopyle). Jean Dupin, autre

directeur de Péchiney, a été en rapport direct avec Pierre Lefaucheux et Pierre Le

Brun86.

2. La proposition allemande de collaboration (juin-août 1941).

• Réactions de l’État et des industriels français. 87 AN, F 37 32, d. « Aluminium », s.-d. « construction d’une nouvelle usine d’alumine en France »,

Le (...)

88 Idem, Lettre del’Aluminium français, citée.

89 Idem, c. r. des conversations sur la construction d’une nouvelle usine d’alumine en France le 17

j (...)

90 Idem, Lettre de l’Aluminium français, citée.

34À la fin du printemps de 1941, les besoins allemands en aluminium sont tels qu’un

groupe d’industriels — composé initialement de représentants des firmes Junkers et

Hansa Leichtmetall AG (liée à l’IG. Farben) — prend contact avec les dirigeants de

l’Aluminium français (Péchiney), puis avec ceux de la Société d’Électrochimie,

d’Électrométallurgie et des Aciéries électriques d’Ugine. Leur proposition consiste à

offrir leur participation à la construction d’une usine d’alumine située dans le Midi de

la France — afin de bénéficier des gisements de bauxite proches et de coûts

favorables — d’une capacité de production de 100 000 tonnes (qui pourrait, sous

certaines conditions, être portée à 200 000 tonnes), destinée à alimenter les usines

d’aluminium de Norvège exploitées par les Allemands. Jean Dupin en informe Pierre

Pucheu et Jacques Barnaud, par une lettre du 11 juin 1941, et les rencontre à ce sujet

le même jour, afin de considérer « l’intérêt-même du pays, que le gouvernement est

seul en mesure d’apprécier »87. Quelques jours plus tard, une réunion, à laquelle

participent les représentants de l’État (Jacques Barnaud et son collaborateur Terray

pour la DGREFA, Pierre Pucheu et Henri Lafond pour le MPI) ainsi que les industriels

de l’Aluminium français (Raoul de Vitry, Jean Dupin, d’Auvigny et Matter), fait le point

sur la marche à suivre. Du point de vue militaire, industriels, ministres et hauts

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fonctionnaires partagent les mêmes vues. Comme l’usine ne sera achevée qu’à la fin

de 1942, « ... il semble donc bien que ce projet ne puisse avoir d’influence sur la

guerre »88. Lors des conversations du 17 juin, la question n’est pas même débattue :

tous s’accordent sur la perspective probable d’une victoire allemande avant la fin de

l’année 194289. Du point de vue financier, l’effort est estimé entre 600 et 800

millions de francs, sur lesquels le groupe allemand pourrait fournir 400 millions de

machines et de matériel. Les industriels envisagent en échange la cession aux

Allemands d’obligations, qui pourraient être transformées en actions après la guerre

et « seulement (...) dans la mesure où un accord interviendrait sur la répartition des

marchés d’aluminium dans le monde »90.

• Deux préoccupations contradictoires. 91 Idem, c. r. cité (cf. note 1).

92 Idem, Lettre de l’Aluminium français, citée.

93 Idem, c. r. de l’audience de MM. Dupin et d’Auvigny. dans le cabinet de Jacques Barnaud, 11 juin

1 (...)

35Sur le terrain commercial, les industriels sont partagés entre deux préoccupations

contradictoires. D’un côté, comme la capacité nouvelle envisagée à terme (200 000

tonnes) représente autant que la production effective, « les dirigeants de l’Aluminium

français redoutent une surproduction d’aluminium dans la période de l’après-guerre,

que le groupe allemand ne semble pas craindre »91. Mais, d’un autre côté, si les

industriels rejettent la proposition, les Allemands peuvent envisager de construire

l’usine en Yougoslavie, et d’accroître ainsi le développement de leur production

d’aluminium, ce qui « pourra être de nature à affaiblir la position relative de

l’industrie française lors des négociations de répartition de ventes ou de contingents

qui pourront avoir lieu au moment où la paix interviendra »92. En revanche, si le

groupe français accepte, « dans le cas de constitution d’un cartel en vue de répartir

les marchés entre producteurs, l’augmentation de la capacité de production de

l’industrie française présenterait un intérêt certain dans la discussion de la fixation

des contingents d’attribution »93.

• Les trois conditions de Vichy. 94 Idem, c. r. cité (cf. note 5).

36Jacques Barnaud et Pierre Pucheu ne formulent aucune « objection de principe » à

l’opération : « Mieux vaut que cette usine soit construite en France qu’en Yougoslavie

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par exemple »94. Les représentants de l’État présentent toutefois trois conditions

pour un accord éventuel :

que le président-directeur général soit français et choisi parmi les administrateurs

désignés par le groupe français, en accord avec le gouvernement ;

que le groupe français détienne au moins 51 % du capital ;

o 95 Idem, c. r. des conversations..., cité (cf.supra note 1, page précédente).

que le mode de financement soit étudié de telle sorte que l’État n’ait pas à intervenir

indirectement par les « frais d’occupation ». Sur ce dernier point, Pierre Pucheu insiste

pour que l’étude du financement s’effectue « en dehors de l’État français »95.

96 Idem, Lettre du président du COAM à Jacques Barnaud, signée de Vitry, 21 août 1941, 3 p.

37Les négociations se poursuivent entre industriels allemands — auxquels se sont

joints les dirigeants des Vereinigte Aluminiumwerke AG (en particulier le docteur

Westrick) — et français. À la fin d’août, Raoul de Vitry informe Jacques Barnaud de

l’existence de « divergences fondamentales » sur deux points : sur la satisfaction des

besoins intérieurs français « gravement compromis actuellement par les contrats de

livraisons », ainsi que sur « un règlement satisfaisant d’après guerre de l’ensemble

de l’industrie européenne d’aluminium, réservant à la production française la place à

laquelle elle a droit sur les marchés extérieurs ». Il sollicite « la confirmation de

(votre) soutien », ainsi que le point de vue de Barnaud sur « les limites des

concessions (...) admissibles »96.

3. Le coup de théâtre du 4 septembre 1941.

• Les Allemands financièrement nécessaires. 97 Idem, p.-v. de la réunion visant la construction en France d’une usine d’alumine, Note de M.

Terra (...)

98 Idem, p.-v. cité.

99 Idem, p.-v. cité, intervention de Piaton.

38Le 4 septembre 1941, les dirigeants de Péchiney, qui associent désormais ceux

d’Ugine, informent les représentants de l’État (Barnaud et Terray, Boisanger et Raty

pour la Délégation de Wiesbaden, et Lafond pour le MPI) des bases du protocole

qu’ils sont en train de négocier au même moment avec les industriels allemands.

Celui-ci porte sur la construction d’une usine d’alumine d’une capacité annuelle de

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100 000 tonnes : son président-directeur général serait français, le financement

porterait sur 800 millions de francs, le capital social représentant 200 millions

(détenu à 60 % par le groupe Péchiney-Ugine et à 40 % par le groupe allemand, avec

faculté pour ce dernier de porter sa participation à 50 % « lorsqu’un règlement

satisfaisant de la situation de l’aluminium en Europe serait reconnu par les groupes

participants »)97. Le matériel serait fourni par les Allemands pour 400 millions de

francs payables, outre les quatre-vingts millions de capital, par des obligations.

D’autre part, la société aurait le droit de prospection et d’acquisition des gisements

de bauxite et livrerait la totalité de la production à l’Allemagne pendant la durée de

la Guerre (à la fin des hostilités, le groupe français pourrait en conserver la moitié).

Enfin, les deux groupes conserveront leur marché intérieur et étudieront en commun

la division des marchés extérieurs. Une clause reste à mettre au point pour réserver

l’accord définitif du groupe français, quant aux livraisons sur le marché intérieur

français. Barnaud et Lafond demandent que la clause sur le droit de prospection et

d’acquisition des gisements de bauxite soit supprimée, afin d’« éviter une immixtion

allemande plus étendue », et obtiennent d’infléchir la négociation dans ce sens98.

Mais la discussion porte surtout sur le financement. Comme Henri Lafond s’étonne de

la demande de participation des Allemands — qui pourraient se contenter d’un

contrat d’achat — les industriels expliquent la volonté allemande de s’assurer des

droits, du fait de l’importance de l’aluminium dans les fabrications de guerre. Les

dirigeants de Péchiney sont alors conduits à exprimer le fait que, tout en voulant

éviter la mainmise des Allemands, ils souhaitent limiter leur propre contribution pour

une double raison : à la fois l’ampleur des capitaux nécessaires et les risques de

surproduction après la guerre. La position des industriels français apparaît alors fort

délicate, puisqu’ils veulent obtenir de leurs homologues allemands la double garantie

d’une lourde participation financière et de débouchés commerciaux, sans leur

accorder pour autant de véritable pouvoir sur la future société. Le président de

Péchiney, R. Piaton, l’exprime ainsi : « ... il convient de faire participer les Allemands

le plus possible dans cette affaire, dont l’avenir après la guerre n’apparaît pas

assuré, tout en restant maître de la nouvelle société »99.

• Le double malentendu. 100 Idem, p.-v. cité, intervention de Raty.

101 Idem, c. r. de la visite de Jean Dupin à Terray, 6 septembre 1941, 3 p.

102 Idem, Lettre de Jacques Barnaud au directeur général de l’Aluminium français, 1291-RFA, 12

septemb (...)

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39Les représentants de l’État ne partagent pas les craintes quant aux débouchés. En

revanche, ils se montrent beaucoup plus inquiets sur les effets de la participation

allemande : « Il est très grave d’accepter, même dans des conditions limitées,

l’ingérence des Allemands dans ce domaine capital de l’activité économique

nationale »100. Si bien que Jacques Barnaud ajoute que, face à cette ingérence, les

risques financiers ne doivent pas entrer en ligne de compte et que l’État donnera très

probablement sa garantie sous une forme à déterminer, de manière à ce que l’affaire

reste dans des mains françaises. Un malentendu réciproque semble alors se dissiper

brutalement. Les industriels affirment tomber de haut, car jamais pareille proposition

ne leur a été faite. Jean Dupin confie, le surlendemain, avoir « peu goûté l’humour »

de la réunion du 4 septembre !101. De leur côté, les représentants du gouvernement

se déclarent « stupéfaits » d’avoir alors découvert que les difficultés ne provenaient

pas d’une exigence formelle de participation allemande, mais de l’importance des

capitaux à réunir !102. Quoi qu’il en soit, il est décidé de modifier « radicalement »

l’orientation des négociations et de proposer désormais aux Allemands une société à

capitaux entièrement français.

4. La signature du protocole de Berlin (novembre 1941).

40Dès lors, les industriels français mènent une double négociation parallèle, avec

l’État et le groupe allemand.

• Négociation avec l’État français   : «   un premier pas vers la nationalisation   »   ?

103 Idem, c. r. des conversations du 9 septembre 1941 sur les questions d’Aluminium, Note de M.

Terray (...)

104 Idem, c. r. de la réunion du 16 septembre 1941, MH, 18 septembre 1941, 3 p.

105 Idem, c. r. de la conversation entre MM. Terray et de Vogué, Note de Terray, 24 septembre

1941, 1 (...)

41Deux réunions successives, les 9 et 16 septembre 1941, sont nécessaires pour

établir les modalités de participation de l’État. Lorsqu’il est envisagé comme

première solution de substituer purement et simplement l’État français au groupe

allemand, pour les 40 % du capital social, Jean Dupin s’insurge, et « voit des

inconvénients très réels à ce que l’État intervienne dans une affaire privée. Il y voit

un premier pas vers la nationalisation de l’industrie de l’aluminium »103. En

revanche, les représentants de Péchiney sont prêts à accorder à l’État une part des

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bénéfices, après paiement des dividendes. Yves Bouthillier accepte, sous réserve de

nomination d’un commissaire du gouvernement. De plus, les industriels proposent de

demander aux Allemands la fourniture de matériel pour 400 millions de francs, sans

participation au capital, afin de réduire d’autant le concours de l’État : ainsi, le

financement par le groupe allemand, une première fois évacué, est de nouveau

proposé104. L’attitude de Péchiney s’explique aisément : Vogué signale à Terray

qu’au dernier conseil de la société, Raoul de Vitry et Jean Dupin « ont beaucoup

souligné les craintes qu’ils avaient d’une collaboration avec l’État français »105.

• Le protocole de Berlin (20 novembre 1941). 106 Idem, Protocole, 20 septembre 1941, 7 p.

107 Idem, Protocole, p. 4.

42Dès le début de septembre, le groupe allemand admet le principe d’un

financement français exclusif. Les négociations se poursuivent à Berlin, jusqu’au 8

novembre, date à laquelle un accord établit les bases de la coopération entre

industriels. Les industriels français en reprennent les termes pour rédiger un

protocole en accord avec les autorités de Vichy106. L’accord prévoit la constitution

d’une société nouvelle par le seul groupe français — Péchiney et Ugine — afin de

construire une usine d’alumine d’une capacité initiale de 100 000 tonnes. La

participation du groupe allemand au capital est différée. En revanche, il est institué

un « Comité mixte », où les deux groupes seront représentés, afin de s’assurer de la

bonne exécution du contrat, et le groupe français s’engage à fournir à son

homologue allemand un million de tonnes d’alumine, s’assurant ainsi des débouchés

pour la production de dix années. En échange, le groupe allemand fournira machines,

matériel, matières premières et complément de main-d’œuvre, si nécessaire —

pendant les discussions, il a été question d’un apport équivalent à 300 millions de

francs. Enfin, l’article 7 évoque, de manière très générale, les bases de la

collaboration pour l’après-guerre : les deux groupes s’engagent à trouver alors « un

règlement (...) de l’ensemble de l’industrie européenne de l’aluminium ». Dans ce

cas, le groupe allemand pourra revendiquer une participation dans la nouvelle

société « pouvant aller jusqu’à 50 % »107.

• L’approbation de Vichy. 108 Idem, c. r. d’une réunion tenue le 18 novembre 1941 sous la présidence de Jacques Barnaud,

Note de (...)

109 Idem, observations sur le mémorandum allemand du 4 février 1942, s. a., 12 février 1942, 3 p.

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110 Idem, c. r. d’une réunion tenue le 18 novembre 1941, cité (cf. note 1).

43Le 12, puis le 18 novembre, le protocole est examiné par les industriels français,

en compagnie des représentants de l’État. Les premiers évoquent la persistance des

deux seuls points de désaccord : la part du marché français dans les livraisons

d’aluminium (que les industriels veulent accroître, par rapport aux « contrats »

d’alors) et la sauvegarde des intérêts de Péchiney dans une usine de Norvège sous

contrôle allemand (les industriels ne veulent pas qu’elle serve de monnaie d’échange

après la guerre, lors de l’organisation du marché mondial de l’aluminium). Il est

décidé que les industriels négocieront directement le renouvellement, sur des bases

plus favorables, du contrat d’aluminium et tenteront d’obtenir des garanties pour

l’après-guerre sur leur usine de Norvège. Henri Lafond ajoute même qu’on peut

« aller loin dans des concessions relatives à l’approvisionnement en aluminium du

marché français pendant la guerre », mais qu’il « importe de tenir très ferme pour la

sauvegarde des intérêts français en Norvège »108. Le 20 novembre, le groupe

français envoie donc au groupe allemand le protocole, signé par R. Piaton (Péchiney)

et G.-J. Painvain (Ugine), en même temps qu’une lettre contenant la proposition de

négociation sur les deux points en litige, ainsi que des renseignements techniques et

des plans sur la future usine109. Du côté français, on pense désormais s’acheminer

vers un accord rapide : la balle se trouve à Berlin. Parallèlement, le 18 novembre,

industriels et hauts fonctionnaires ont examiné les modalités de financement par

l’État. Comme, sur un capital total estimé à 1,1 milliard de francs, les actions ne

représentent que 200 millions, il reste à trouver 900 millions : 500 pourraient être

fournis par l’intermédiaire du Crédit national, et 400 autres par une émission

d’obligations, avec garantie de l’État. En contrepartie de l’apport de 80 % des fonds

par l’État, Jacques Barnaud obtient l’accord des industriels sur l’attribution de la

moitié des bénéfices110.

5. L’État allemand revient sur l’accord (février-mai 1942).

44Pendant une partie de l’hiver 1941-42, le groupe allemand ne répond pas à ses

interlocuteurs français.

• Un «   test   » de la collaboration. 111 Idem, Lettre de Boisanger à Hemmen, 12 février 1942, 2 p.

112 Idem, c. r. de la réunion du 5 février 1942, 3 p.

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113 Idem, Délégation française pour les affaires économiques, c. r. de la réunion du 19 mars 1942,

n° (...)

114 Idem, Délégation..., c. r. cité.

115 Idem.

116 Idem.

117 Idem.

118 Idem.

119 Idem.

45Et le 4 février 1942, Hemmen transmet un mémorandum à Boisanger pour lui faire

part de l’échec des pourparlers entre industriels, ainsi que de la proposition de leur

reprise au niveau gouvernemental, sous sa conduite. Une semaine plus tard, le

président de la Délégation française exprime nettement son désaccord, signale que

les « avant-projets sont prêts sur le plan technique », et que le protocole (contenant

les bases de l’accord arrêté en commun au début novembre), revêtu de la signature

des industriels français avec l’approbation gouvernementale, se trouve entre les

mains du groupe allemand111. Jacques Barnaud, lors d’une réunion avec les

dirigeants de Péchiney, précise que les industriels allemands n’ont, en fait, jamais

rompu les pourparlers et ajoute — ce qui se confirmera ensuite : « On peut croire que

c’est le gouvernement allemand qui freine leur aboutissement dans l’espoir d’obtenir

finalement une participation au capital de la société »112. Le 19 mars 1942, une

réunion des délégations auprès de la Commission d’armistice oppose Hemmen et

Schöne d’une part, à Boisanger, Lafond et Raty de l’autre. Hemmen réclame

effectivement une participation allemande de 50 % à la future société afin, dit-il, de

s’assurer la réception des livraisons prévues, et d’offrir une contrepartie au débouché

garanti et au matériel fourni. Henri Lafond lui rétorque qu’une participation

allemande ne se justifie pas, du fait de la bonne position française, à la fois du point

de vue technique — « la technique française est sans rivale » — financier, et de

l’apport en bauxite, entièrement assuré par les mines françaises. Il ajoute qu’il est

sans inquiétude quant aux débouchés pendant ou après la guerre, contrairement à

ce que pense Hemmen et « peut-être aussi les industriels de l’Aluminium », et que le

clearing franco-allemand peut payer machines et matériel113. Il souligne avec

habileté que les Allemands se trouvent en position de demandeurs, seule l’urgence

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des besoins de la Wehrmacht justifiant la construction rapide de l’usine. Hemmen

confirme : « L’Allemagne ne pourra tolérer aucun retard dans la construction de cette

usine ». Il parle de « test qui sera le plus bel exemple de cette collaboration dont on

parle tant et qu’on applique si peu »114. Il manie à la fois la menace — « Il faut que la

France comprenne qu’elle a un intérêt considérable à demeurer en bons termes avec

l’Allemagne » — et la séduction115. À propos des intérêts de Péchiney en Norvège, il

fait comprendre que, tant que la guerre se poursuit, il ne peut être question

d’envisager autre chose que l’utilisation maximale des ressources, mais que, après la

fin des combats, il est possible d’envisager « des participations françaises dans les

pays actuellement occupés par les armées allemandes ». Il cite notamment le cas de

la Russie, où « les intérêts français pourraient reprendre en pleine harmonie avec les

groupes allemands le contrôle des affaires qui leur a été retiré depuis la Révolution

russe »116. Il confie même : « Après la guerre, le gouvernement allemand verrait

avec faveur l’entrée des intérêts français dans des entreprises purement

allemandes », sauf en Alsace-Lorraine, où ne doit s’introduire « aucune ingérence

étrangère »117. Henri Lafond reprend la balle au bond, à propos de la participation

allemande dans la société nouvelle, et demande si l’Allemagne est disposée à

accorder une participation équivalente dans une affaire allemande : « La

collaboration ne doit pas être à sens unique »118. Hemmen répond que,

« personnellement », il approuve la conception de la collaboration en termes

d’« égalité de droits » ; il ajoute même — non sans audace, quand on connaît les

propos proférés au même moment par le dirigeant nazi sur la collaboration avec la

France — que le maréchal Goering partage les mêmes vues. Mais il précise que « le

sentiment public en Allemagne ne comprendrait pas ». Une participation à 50 % « ne

correspond pas aux possibilités politiques actuelles. Les militaires ne comprendraient

pas. Ce sera pour l’après- guerre »119. Il accepte de confirmer par écrit l’engagement

d’une participation française dans l’industrie allemande d’après guerre, mais, tout en

renonçant à des prétentions sur le capital de la société à créer, réclame la moitié des

sièges de son CA et de son Comité de direction.

• L’enterrement. 120 Idem, c. r. de la réunion du 23 mars 1942 chez Jacques Barnaud (présents : Barnaud, Raty,

Lafond, (...)

121 Idem, Délégation française pour les Affaires économiques, c. r. de l’entretien Hemmen-

Barnaud du 3 (...)

122 Idem, Délégation..., n° P. 528/DE, 3 p. et n° 508/DE, 8 p.

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123 Idem.

124 Idem, Délégation..., c. r. de la réunion du 6 mai 1942, 1 p.

46Quatre jours plus tard, chez Jacques Barnaud, les experts français rendent compte

de leur entrevue auprès des dirigeants de Péchiney, qui se déclarent « tout à fait

opposés à une participation allemande au Conseil d’Administration », mais acceptent

la nomination d’un commissaire allemand doté d’un certain droit de vote et de

pouvoirs jusqu’à la fin de la guerre. La clause contenue dans l’article 7 du protocole

(sur la participation maximale à 50 % pour l’après-guerre) serait subordonnée à un

accord général sur l’industrie européenne de l’aluminium120. Hemmen est informé de

la proposition du groupe français, le 31 mars 1942, par Boisanger121. Le 16 avril,

deux réunions successives des délégations auprès de la Commission d’Armistice — la

seconde en présence des industriels français et allemands — sont chargées

d’accorder les positions. Le représentant du Reich accepte la proposition de nommer

un commissaire allemand, sous la condition qu’il demeure en place jusqu’au

règlement des participations. Mais il trouve la formule du protocole sur la

subordination « trop incertaine », quant à la participation allemande à une entente

générale pour le temps de paix, et admet : « Le gouvernement allemand n’a pas

accepté les conclusions de l’accord de Berlin »122. Pour les industriels français, tel R.

Piaton, la formule de Berlin est « la plus souple et la plus efficace » (...). Notre désir

est d’arriver à un accord d’ensemble entre industriels. Il se peut qu’ (...) il soit

possible plus tard de fixer un plan d’exploitation européen au mieux des intérêts

respectifs et des possibilités »123. Mais Hemmen souhaite des garanties précises :

« Notre idée politique est d’organiser l’Europe ; vous voulez entrer dans le jeu ; la

question est très large ... » Espérant toujours que la guerre sera finie en 1943, il se

demande comment assurer les huit années suivantes, couvertes par le contrat.

Piaton et Vitry se retranchent derrière la Commission mixte du protocole. Plusieurs

séances de la Commission d’armistice sont consacrées à la question, à la fin d’avril,

alors que Pierre Laval est de retour. Mais, au début de mai, Hemmen confie à

Boisanger que « Berlin exigeait de nouveau une participation allemande au capital

dans l’affaire »124. À la suite du refus français (État et industriels), l’affaire en reste

là. Cette issue, opposée à celle de Francolor, ne saurait masquer des principes et

perspectives de négociations voisines. On y reviendra.

V. LES PROJETS AVORTÉS DANS L’INDUSTRIE DU CAOUTCHOUC (AOÛT 1941-NOVEMBRE 1942)

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1. L’échec des participations allemandes.

• L’acceptation du principe. 125 AN, F 37 32, d. « buna », c. r. de la réunion de liaisons Finances - Production industrielle, 23

j(...)

126 Idem, projet présenté par le ministère de l’Industrie allemand, 9 août 1941, 3 p. ; cf.

également(...)

127 Idem, c. r. des conversations des 6, 7 et 8 août 1941 à Berlin, Bave, 1941.

47À partir de 1941, du fait de la réduction sensible des arrivages de gomme naturelle

en provenance d’Indochine, le ministère de l’Industrie du Reich propose de fournir

du buna, gomme synthétique, en échange d’une collaboration technique avec les

firmes françaises, une participation financière, un engagement d’achat de longue

durée et un partage des marchés extérieurs. Lors d’une réunion de liaison Finances-

Production industrielle, il est décidé, sur proposition de Couve de Murville, d’opposer

un refus de principe aux demandes de participations allemandes125. Cependant, lors

des trois jours de conversations à Berlin (6-8 août 1941), les négociateurs français du

MPI et des Finances, après avoir tenté de le rejeter, acceptent le principe de

participations allemandes dans les firmes Dunlop (sur une fraction de la part des

capitaux anglais), Goodrich (sur les actions détenues par des Américains),

Hutchinson (pour laquelle un accord de cession de 12 000 actions au groupe italien

Semperit est en voie d’être conclu), Englebert, Bergougnan et Michelin, sous réserve

de préciser les modalités dans chaque cas. En échange, les Allemands proposent de

livrer 800 tonnes de buna jusqu’à la fin de 1941, ainsi que les tours de main et

procédés de fabrication, entièrement allemands126. Blanchard, directeur des

Industries chimiques, fait remarquer la disproportion existant entre les chiffres

proposés par les Allemands et les 30 000 tonnes de gomme naturelle réquisitionnées

ou livrées, aux termes d’un accord obtenu le 10 septembre 1940 à Wiesbaden. Il

laisse entendre, à propos des participations, que le Gouvernement ne pourra sans

doute pas accorder son approbation aux autres projets, si les dirigeants de Michelin

continuent d’opposer un refus de principe127.

• La résistance de Michelin et ses effets. 128 Idem, c. r. cité.

129 Idem, Liaison Finances - Production industrielle, 23 juillet 1941, 1 p.

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130 Idem, note DGREFA, s. a., 13 août 1941, 1 p.

131 AN, F 37 27, d. « participations allemandes », « Caoutchouc - buna », 7 feuillets manuscrits sur

l (...)

48Dans toutes les sociétés, on semble s’acheminer vers un arrangement, sauf dans

le cas de Michelin. Eckerl, représentant le ministère de la Production du Reich,

précise que c’est notamment la filiale belge de Michelin, à Zuen (près de Bruxelles)

qui l’intéresse, car située dans un « pays de protectorat allemand, probablement à

titre définitif ». Il ajoute que « Michelin devra tôt ou tard partager le marché belge

avec l’industrie allemande qui va s’y établir »128. Peu après, une réunion de liaison

Finances-MPI, en présence de Barnaud, Bichelonne, Blanchard et Perret (Répartiteur

du Caoutchouc) décide de la marche à suivre. Jean Bichelonne suggère de demander

des participations françaises dans des entreprises allemandes. Blanchard considère

qu’un accord excluant Michelin paraît difficile « pour des raisons psychologiques », la

seule entreprise refusant des participations allemandes risquant de se trouver au

chômage. En retour, il interroge : « Est-il admissible que l’intransigeance de la seule

maison Michelin risque de réduire au chômage toute l’industrie française du

caoutchouc ? »129. Une note du 13 août résume les termes du débat : « Le

gouvernement est à la fois soucieux de respecter la liberté de disposition des

maisons françaises de caoutchouc et d’éviter un arrêt complet dans cette

industrie »130. Puiseux, dirigeant de Michelin, est alors convoqué par Barnaud,

Bichelonne et Perret. Nous avons retrouvé le procès-verbal manuscrit de l’entretien.

Face aux représentants de l’État et du Répartiteur du Caoutchouc, qui évoquent

l’acceptation probable par les Allemands de la cession de la filiale tchèque de

Michelin et d’une participation minoritaire dans sa filiale belge, l’industriel maintient

son refus, par souci de préserver, dans le futur, le marché d’exportation belge, même

au prix du non-approvisionnement en buna : « J’ai fait mon choix : sacrifier le présent

pour sauver l’avenir »131.

• Le protocole Bichelonne - Eckerl (23 août 1941). 132 Idem, protocole signé Bichelonne et Eckerl, 23 août 1941, 8 p.

49Dès lors, les gouvernements français et allemand se mettent d’accord sur un

protocole, signé par Bichelonne et Eckerl, le 23 août 1941, sur la communication de

l’expérience allemande du buna et la conclusion d’une entente économique et

technique. Il comprend l’approbation de la signature de contrats de collaboration et

de participation au capital entre firmes. Le gouvernement français approuve le

principe de participations allemandes, acquises sur une partie du capital anglais de

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Dunlop, sur une fraction du capital américain de Goodrich, sur les intérêts étrangers

d’Hutchinson déjà cédés à la Semperit, sur la filiale belge de Bergougnan, ainsi que

l’extension des accords entre Englebert-Belgique et une maison allemande. Pour

Michelin, acte est pris de son refus, qui le prive de livraison de buna et limite, dans

les faits, ses approvisionnements de caoutchouc naturel aux disponibilités et aux

décisions du Répartiteur français et du Reichsbeauftragter Fur Kautschuk. Contre

l’engagement — « sous réserve de force majeure » — de livraison de 800 tonnes de

buna jusqu’à la fin de 1941 et de quantités croissantes ensuite, le gouvernement

allemand pourrait commander jusqu’à 500 tonnes mensuelles de caoutchouc (contre

700 tonnes laissées pour les besoins français)132.

• L’échec. 133 AN, F 37 32, d. « buna », Conférence de la Société Dunlop avec les délégués allemands à

Luxembourg (...)

134 Idem, c. r. de liaison Finances - Production industrielle, 5 novembre 1941, 1 p.

135 Cf. Yves Bouthillier, Le drame..., op. cit., t. 2, p. 216-217.

50Les négociations se poursuivent pour définir les modalités des participations dans

les autres sociétés. Dans le cas de Dunlop, les dirigeants Pétavy (directeur général)

et Dutreux (président) ne veulent pas d’une participation immédiate supérieure à dix

pour cent, alors que Jean Bichelonne semble mieux disposé133. Au début de

novembre 1941, les contrats Hutchinson et Dunlop sont acquis. Puiseux, convoqué à

Berlin, maintient son refus au sujet des filiales tchèque et néerlandaise de Michelin —

les Allemands abandonnent leurs prétentions sur la filiale belge — en l’absence de

garantie de présence effective sur ces marchés134. Certaines firmes, telle

Bergougnan, s’appuient sur le refus de Michelin pour ne pas conclure. De toute

façon, l’approvisionnement en gomme naturelle par un navire venu d’Indochine (pour

7 000 tonnes), à la fin de 1941, rend moins urgent le recours au buna, pour lequel,

en outre, il apparaît que les firmes allemandes ne pourront tenir leurs promesses de

livraisons : ainsi, l’affaire se perd dans les sables. L’attitude des responsables de

l’État a toutefois été beaucoup plus complexe que ne le laisse entendre Yves

Bouthillier dans ses Mémoires, qui évoque un sabotage systématique135.

2. Le projet de construction d’une usine de buna. 136 AN, F 37 34, d. « Construction d’une usine pour la fabrication du buna », c. r. de la réunion au

M (...)

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137 Idem, c. r. des pourparlers 12-14 octobre 1942 (présents du côté français, Bichelonne,

Barnaud, Pe (...)

138 Idem, Note pour M. Couve de Murville, C/MD, informations par Rougier, 31 octobre 1942, 2 p.

139 Idem, Lettre de Jean Bichelonne au docteur Michel, SM/275, copie DGREFA/2741, 3 novembre

1942, 2 p (...)

51La question rebondit dès mars 1942, lorsque l’IG Farben et Rhône-Poulenc (auquel

s’associe Ugine) s’accordent sur le principe de la construction en commun sur trois

années d’une usine de buna d’une capacité de 12 000 tonnes annuelles. Les

discussions sont portées alors sur le terrain gouvernemental. Les pourparlers se

déroulent les 12 et 14 octobre. Ce dernier jour, lors d’une réunion au Majestic, Jean

Bichelonne apporte l’accord de principe du gouvernement français. Il est prévu, à la

demande des industriels français, préoccupés d’obtenir « des garanties multiples du

fait de l’incertitude du marché à venir », que l’usine (dont le coût est estimé entre

1,2 et 1,5 milliard) sera en totalité construite aux frais de l’État français, dans l’Isère.

Une société de gérance, constituée par les trois firmes (IG Farben, Rhône-Poulenc et

Ugine) serait chargée de la construction, puis de l’exploitation en régie, pour le

compte de l’État136. Le MPI fait admettre l’idée d’un contrat de dix ans, avec option

sur l’usine en fin de bail pour les deux sociétés françaises. La participation de l’IG

Farben se limiterait entre quinze et vingt pour cent du capital social de la nouvelle

société. Elle mettrait toute son expérience technique et chimique à la disposition de

la société de gérance. Il est prévu que « la production de l’installation sera mise à la

disposition des besoins européens pour la durée de la guerre ». Le gouvernement

français approuve l’idée d’une entente franco- germano-italienne137. Rougier,

directeur adjoint des Industries chimiques au MPI indique aux Finances et à la

DGRÉFA qu’il s’agit d’une fabrication déficitaire, puisque « de caractère autarcique

dont le prix de revient est très élevé ». La possibilité de fabriquer le buna ne lui

apparaît « pas très intéressante techniquement pour le pays », mais l’application des

procédés techniques allemands peut « introduire la fabrication de toute une série de

produits annexes pouvant représenter un intérêt considérable »138. Le 3 novembre

1942, dans une lettre confirmant les termes de l’accord, Jean Bichelonne précise

pour le docteur Michel que la société « agira en suivant les règles habituelles de

l’industrie privée ». Il fait part, en outre, de la demande de libération de prisonniers,

dont le nombre sera fixé lorsque sera évaluée la consistance des travaux139.

Quelques jours plus tard, le débarquement en Afrique du Nord et l’invasion de la zone

Sud modifient les perspectives aussi bien du gouvernement de Vichy, qui ne donne

pas suite au projet, que des autorités allemandes. De même, la nécessité de recourir

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aux brevets (tous allemands) de gazogènes à bois incite les autorités françaises à

accepter la fondation en 1941 de la société des gazogènes Imbert — destinée à

exploiter les brevets d’Imbert Gesellschaft, au capital de quinze millions, et de celle

des Carburants français, au capital de vingt et un puis cinquante : les participations

allemandes y sont respectivement de la moitié, et du tiers (puis du septième). La

note (déjà citée) de la DGREFA de décembre 1941, présentant « un exposé succinct

de la collaboration franco- allemande dans le domaine économique », recense, outre

les affaires citées, la participation allemande à 51 % dans la Société vinicole de

Champagne, et celle à 40 % dans la Société de gestion et d’exploitation du cinéma.

VI. UN BILAN LIMITÉ ET AMBIGU

1. Un bilan limité.52Au début de 1942, les prises de participations allemandes aussi bien dans des

sociétés situées à l’étranger qu’en France même se montent, sans doute, à

environ 3,8 milliards de francs, ainsi ventilés :

140 Cf. AN, F 37 27, d. « participations allemandes »..., cité et Yves Bouthillier, Le drame..., op.

c(...)

Participations allemandes dans les sociétés françaises140 (En milliards de francs courants)

Agrandir Original (jpeg, 110k)

141 Ibid., p. 179.

53Cela représente une somme faible, en comparaison de celle dont les Autorités

d’Occupation ont disposé jusqu’en avril 1942, au titre des frais d’occupation et du

clearing franco-allemand, qui atteint environ 260 milliards : à peine 1,5 % du total.

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Ce montant relativement faible — même si, pour certaines branches comme la

chimie, il correspond à la prise de participations importantes — résulte à la fois

d’éléments de la politique allemande et de celle de l’État de Vichy. Contrairement à

des propos rapportés par des ministres du maréchal Pétain — tel le « Tout nous

intéresse » d’un directeur de la Dresdner Bank transmis par Yves Bouthillier —

l’emprise allemande sur le capital français n’a été ni systématique, ni d’une égale

ténacité141. Les motifs de demandes de participations révèlent le souci d’accéder à

des ressources utiles pour la guerre (ex. : pétroles de Roumanie) ou de prendre une

revanche sur la situation jugée aberrante de certains concurrents (ex. : Francolor).

Pour leurs besoins immédiats, les Autorités d’Occupation privilégient les demandes

sur la production courante, dont les négociations apparaissent beaucoup moins

complexes et prolongées que celles relatives à des prises de participations. De plus,

ces dernières se justifient lorsque les firmes allemandes apportent une partie de

l’équipement ou des procédés techniques, mais toujours dans une position

hégémonique. Enfin, cela implique la perspective d’une collaboration durable, même

inégale, ce qui n’apparaît pas, du côté allemand, comme une préoccupation du

moment. Et après 1942, les prétentions dans ce domaine se raréfient.

2. Les déconvenues dans la recherche d’une «   collaboration constructive   ».

142 AN, F 60 590, p.-v. de ta séance du 18 avril 1941 du CEI. Un bon exemple de ces débats :

l’« aryan (...)

143 Idem.

54Même si le bilan se révèle limité, les débats sur les participations au capital

éclairent les différentes facettes du rôle de l’État, placé en situation d’intermédiaire

face à deux interlocuteurs, l’Occupant d’une part, les chefs d’entreprises françaises

de l’autre. L’État français élabore rapidement le dispositif institutionnel et législatif

chargé de contrôler les négociations engagées par des sociétés allemandes avec des

entreprises françaises. Selon une tendance déjà notée, le renforcement de

l’intervention étatique résulte d’une double faiblesse, à la fois économique et

politique, à l’égard de l’Occupant. Et, de fait, des industriels n’hésitent pas, dans

plusieurs cas, à se retrancher derrière l’État pour échapper à des exigences

allemandes trop élevées. De plus, les principaux dirigeants de Vichy espèrent

monnayer ces participations éventuelles, à l’intérieur d’une « négociation

d’ensemble » à laquelle ils aspirent. Ainsi, à la séance du 18 avril 1941 du CEI, il est

question des retombées de la loi du 23 juillet 1940 sur la liquidation des biens des

Juifs déchus de la nationalité française. À propos des participations industrielles —

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notamment celles de la famille Rothschild — Yves Bouthillier précise que, malgré un

système de vente amiable à des acquéreurs choisis, « on ne peut se dissimuler qu’il

faudra consentir l’intrusion allemande dans nos affaires »142. Pierre Pucheu ne

s’élève pas contre le principe, mais rejette une « négociation de détail » : « On

consent, mais on ne reçoit rien. Il faut atteindre une négociation d’ensemble »143.

144 Idem. Souligné (à la main) dans le texte.

145 Idem. Souligné dans le texte.

55François Lehideux va dans le même sens : « Collaboration oui —

maisconstructive — or actuellement nous ne sommes pas libres, nous ne négocions

pas, nous subissons »144. La conclusion du procès-verbal de la séance exprime bien

la pensée des gouvernants d’alors : « M. Lehideux résume l’avis général en indiquant

que toutes les négociations actuelles ne sont pas à proprement parler des

négociations, mais des discussions au cours desquelles on s’efforce de remédier aux

exigences des Allemands.  Il ne peut donc s’agir dans ce cas de collaboration,

laquelle ne peut être que constructive. Ce n’est qu’au moment où s’engagera une

discussion très générale et des négociations d’ensemble sur des bases bien arrêtées,

que l’on pourra envisager la reconstruction de l’Europe »145.

***

CONCLUSION DU CHAPITRE XIX

146 Yves Bouthillier, Le drame..., op. cit, t 2, p. 179.

147 Cf. Henry Rousso, « L’aryanisation économique : Vichy, l’occupant et la spoliation des

juifs », Yo (...)

56Yves Bouthillier est en droit d’affirmer dans ses Mémoires que « malgré les

activités allemandes, malgré l’importance des sommes dont le Reich disposait,

malgré la perturbation supplémentaire créée par la liquidation forcée d’entreprises

juives, le capital français fut à peine entamé »146. Sous la réserve toutefois des

entreprises « aryanisées » — qui peuvent représenter une part importante des actifs

de certaines branches (cuir notamment)147 —, le capital français a été relativement

préservé par les dirigeants du premier Vichy. Cependant, cela n’infirme pas la

perspective générale, commune (au moins jusqu’en avril 1942) aux gouvernants,

experts et chefs d’entreprises — quelle que soit la diversité de leurs convictions

politiques personnelles, comme on l’a vu — d’une « pax germanica » pour l’après-

guerre et d’une « division allemande du travail »,dans laquelle le capital français se

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trouvera d’autant mieux placé qu’il aura conservé des positions au cours du conflit.

Les réticences des experts-gouvernants de Vichy ne portent pas sur le principe de la

collaboration financière, technique et économique qu’ils souhaitent « constructive »,

mais bien plutôt sur les modalités proposées, accordant, selon eux, une part trop

écrasante aux intérêts allemands. Et la relative faiblesse des cessions aux Allemands

reflète aussi leur répugnance à s’engager dans des négociations financières,

nécessairement longues et plus contraignantes pour l’avenir que des « contrats »

commerciaux portant sur la production courante. D’autre part, même si, pour les

cessions, la responsabilité gouvernementale est engagée, la plupart des

entrepreneurs n’ont pas répugné à se retrancher par avance derrière l’État. Quoi qu’il

en soit, la faiblesse des contreparties accordées par les Autorités occupantes dissipe

les attentes d’une « collaboration constructive ». Et, après avril 1942, il n’existe

même plus l’illusion d’une collaboration financière possible. Enfin, à l’heure des

bilans, la relative préservation du capital français, alors que d’autres éléments de la

communauté nationale ont été douloureusement frappés, soulignera davantage

combien l’efficacité du « bouclier » de Vichy a été relative et sélective.

NOTES

1 L’action économique en France..., op. cit., p. 83 et 172.  JO, Lois et décrets, 24 octobre 1940.

2 Yves Bouthillier, Le drame de Vichy..., op. cit., t. 2, p. 113.

3 Ibid., p. 115-118.

4 Ibid., p. 513, Annexe 10.

5 Cf.  Ibid., p. 120 et Laval parle, p. 171.

6 Laval parle..., op. cit., p. 172 ; cf. également Fred Kupferman, Laval..., op. cit.,p. 271.

7 .Ibid., p. 272 et Yves Bouthillier, Le drame..., op. cit., t. 2, p. 135 et 159.

8 AN. F60

 590, p.v. de la séance du CEI du 5 février 1941.

9 Cf. AN, F 37 29, d. « pétrole », s.-d. « Intérêts français à l’étanger », Note « intérêts français

dans les pétroles roumains », PV/SD, s.-d., 2 p. ; DFCAA, t. II, p. 505-511 ; Pierre Arnoult, Les

finances..., op. cit., p. 30.

10 Cf. AN, F 37 30, d. « Pétrole », s.-d. « Sociétés diverses », Note de M. Terray, MH, 6 mai

1941, 2 p.

11 DFCAA, t. 2, p. 505.

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12 Yves Bouthillier, Le drame... op. cit., t. 2, p. 125.

13 Ibid., p. 514-516, Annexe 11, p.-v. de l’entretien du 16 janvier 1941 de M. Couve de

Murville avec MM. Schöne et Hartlieb.

14 Pierre Arnoult, Les Finances..., op. cit., p. 330.

15 Cf. supra, chapitre XVII.

16 Yves Bouthillier, Le drame..., op. cit., t. 2, p. 132.

17 Cf. Alan Milward, The New Order..., op. cit., p. 96.

18 Cf. Yves Bouthillier, Le drame..., op. cit., t. 2, p. 122.

19 Cf. bibliographie in Alan Milward, The New Order..., op. cit., p. 101.

20 AN, F 12 9574, d. « CNIE - Francolor », s.-d. 2, René-Paul Duchemin, Histoire d’une

négociation (21 novembre 1940-18 novembre 1941), Paris, 1942, 187 p.

21 Idem, s.-d. 1, Rapport du commissaire du Gouvernement (M. Nicolet-Dubost), contre MM.

F..., Duchemin, Thesmar, Breart de Boisanger, 30 octobre 1948, 15 p.

22 Idem, Rapport Nicolet-Dubost, cité. Il existe, en outre, en 1918 la Société des matières

colorantes et des produits chimiques de Saint-Denis, la Société Steiner et Cic

, et Les Colorants

français.

23 Source :  Idem, Rapport Nicolet-Dubost, cité.

24 Idem, rapport cité ; cf. également Alan Milward, The New Order..., op. cit., p. 101-102.

25 Idem, s.-d. 1, Rapport du Contrôleur Ferré, 18 juillet 1946, 6 p.

26 Idem, Rapport du Contrôleur Ferré, cité.

27 Idem, s.-d. 2, Extraits des Rapports établis par M. Berstein..., 7 p., déposition Schnitzler, 30

août 1945.

28 Idem, CNIE, p.-v. des séances des 21-22 juillet 1947, 81 p.

29 Idem, Rapport Nicolet-Dubost, cité, F... nie le fait in  Idem, s.-d. 2, Rapport F..., 25 juin 1947,

15 p.

30 Idem, Rapport cité.

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31 Idem, s.-d. 2, document du docteur Buhl, Réunions colorants, Francfort 15 octobre 1940, 3

p. (y assistent les principaux responsables du Comité directeur de l’IG).

32 Idem, Rapport cité.

33 Cf. DFCAA, t. II, p. 522. Le p.-v. des séances des 21 et 22 novembre 1940 se trouve

également dans AN, F 37 32, d. « Produits chimiques ». On en trouve de larges extraits dans

Yves Durand, Vichy 1940-1944, Paris, 1972, p. 42-43.

34 Ibid.

35 Ibid.

36 Ibid.

37 Ibid.

38 Ibid.

39 AN, F 37 32, d. cité, p.-v. de la séance du 22 novembre 1940, n° 8258/DE, 7 p.

40 Idem, p.-v. cité

41 Idem, p.-v. cité.

42 Idem, p.-v. cité.

43 Idem, p.-v. cité.

44 Lettre citée in Yves Bouthillier, Le drame..., op. cit., t. 2, p. 184.

45 AN, F 12 9574, d. « CNIE - Francolor », s.-d. 1, rapport Nicolet-Dubost, cité.

46 Idem.

47 Idem, s.-d. 2, Extraits des Rapports établis par M. Berstein, n° 60, pièce n° 4, Rapport du

docteur Kramer en date du 31 janvier 1941.

48 Idem, Rapport Nicolet-Dubost, cité.

49 René-Paul Duchemin, Histoire..., op. cit., p. 44 ; cette note n’a pas été retrouvée.

50 Yves Bouthillier, Le drame..., op. cit., t. 2, p. 184.

51 René-Paul Duchemin, Histoire..., op. cit., p. 33.

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52 Ibid

53 Ibid., p.-v. de la séance du Majestic du 12 mars 1941 sous la présidence du docteur Michel.

54 Ibid., p.-v. cité.

55 Ibid., p.-v. cité.

56 AN, F 12 9574, d. cité, Rapport Nicolet-Dubost, cité.

57 Idem.

58 Idem, Renseignements transmis par l’Ingénieur général militaire des Poudres Marot,

« Constitution de la Société Francolor », 17 juin 1946, 6 p.

59 Idem, Rapport Nicolet-Dubost, cité.

60 Idem, questionnaire du 17 juillet 1945, interrogatoire, pièce n° 39.

61 Yves Bouthillier, Le drame..., op. cit., t. 2, p. 197.

62 AN, F 12 9574, d. cité, Rapport Nicolet-Dubost, cité.

63 Idem, Conclusions du commissaire du gouvernement Hamel, 1947, 7 p.

64 Idem, Décisions rendues dans la première affaire Francolor, 21-22 juilet 1947, par le

président Pepy, 10 p. ; cf. également  Idem, Deuxième rapport (sous-commission de la CNIE),

31 mars 1948, 14 p.

65 Idem, Renseignements transmis..., Rapport Marot (Administrateur provisoire de Francolor)

cité.

66 Idem, coupure d’Action, 29 août 1947.

67 Source : Idem, Rapport Marot, cité :

(1) 272 pour le 1er

 semestre et 82 pour le second.

(2) 93 pour le 1er

 semestre et 30 pour le second.

(3) 44 % pour le 1er

 semestre et 16 % pour le second.

68 Cf.  Idem, selon que l’on reprend les estimations du rapport Marot ou de celui du

Commissaire du Gouvernement en 1948.

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69 Idem, Rapport du Commissaire du Gouvernement, cité.

70 Idem, Extrait des rapports établis par M. Berstein, cité.

71 Idem, Rapport Marot, p. 3.

72 Idem.

73 Idem, décisions rendues dans la première affaire Francolor, 21-22 juillet 1947, 10 p., doc.

cité.

74 Idem, Rapport Nicolet-Dubost, cité.

75 Idem.

76 Idem. « À ceux qui refusaient, il déclara en substance : « Si vous ne voulez pas signer, vous

partirez quand même et alors vous vous en repentirez », sans qu’on sache s’il s’agit d’une

menace ou d’un constat.

77 Idem, décisions rendues..., doc. cité.

78 Cf.  Idem, s.-d. 1, CNIE, p.-v. des séances des 21-22 juillet 1947, 81 p., etIdem, s.-d. 2,

Rapport F..., 25 juin 1947, 15 p. F... aurait également organisé la conférence d’un orateur de

la LVF envoyé par le préfet. Cf.  Idem, s.-d. 1, 2e

Rapport..., cité, 31 mars 1948, 14 p.

79 Idem, s.-d. 2, René-Paul Duchemin, Histoire..., op. cit., p. 43-44 ; souligné par nous.

80 Idem, s.-d. 1, premier rapport de la sous-commission, Note sur l’affaire Francolor, 16 avril

1947, 5 p.

81 Idem, s.-d. 2, Interrogatoire de René-Paul Duchemin, s. d., 4 p.

82 Yves Bouthillier, Le drame..., op. cit., t. 2, p. 185.

83 AN, F 37 28, d. «Production industrielle», s.-d.» contacts avec les Allemands», contrat entre

Zellvolle und Kunstseiden-Ring (ZKR) et France-Rayonne, 3 décembre 1940, 3 p. Cf.  Ibid., p.

188-189 et Alan Milward, The New Order..., op. cit., p. 104-105.

84 Idem, Contrat..., cité, p. 2.

85 Cf. Alan Milward, The New Order..., op. cit., p. 238.

86 AN, F 12 9579, d. « CNIE - L’Aluminium français », Mémoire personnel de Jean Dupin,

septembre 1946, 11 p.

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87 AN, F 37 32, d. « Aluminium », s.-d. « construction d’une nouvelle usine d’alumine en

France », Lettre de l’Aluminium français au ministre de la production industrielle, signée Jean

Dupin, 11 juin 1941, 2 p.

88 Idem, Lettre de  l’Aluminium français, citée.

89 Idem, c. r. des conversations sur la construction d’une nouvelle usine d’alumine en France

le 17 juin 1941, Note de M. Terray, MH, 19 juin 1941, 2 p.

90 Idem, Lettre de l’Aluminium français, citée.

91 Idem, c. r. cité (cf. note 1).

92 Idem, Lettre de l’Aluminium français, citée.

93 Idem, c. r. de l’audience de MM. Dupin et d’Auvigny. dans le cabinet de Jacques Barnaud,

11 juin 1941, 2 p.

94 Idem, c. r. cité (cf. note 5).

95 Idem, c. r. des conversations..., cité (cf. supra note 1, page précédente).

96 Idem, Lettre du président du COAM à Jacques Barnaud, signée de Vitry, 21 août 1941, 3 p.

97 Idem, p.-v. de la réunion visant la construction en France d’une usine d’alumine, Note de

M. Terray, MH, 4 septembre 1941, 5 p.

98 Idem, p.-v. cité.

99 Idem, p.-v. cité, intervention de Piaton.

100 Idem, p.-v. cité, intervention de Raty.

101 Idem, c. r. de la visite de Jean Dupin à Terray, 6 septembre 1941, 3 p.

102 Idem, Lettre de Jacques Barnaud au directeur général de l’Aluminium français, 1291-RFA,

12 septembre 1941, 3 p.

103 Idem, c. r. des conversations du 9 septembre 1941 sur les questions d’Aluminium, Note

de M. Terray, 11 septembre 1941, 2 p.

104 Idem, c. r. de la réunion du 16 septembre 1941, MH, 18 septembre 1941, 3 p.

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105 Idem, c. r. de la conversation entre MM. Terray et de Vogué, Note de Terray, 24

septembre 1941, 1 p.

106 Idem, Protocole, 20 septembre 1941, 7 p.

107 Idem, Protocole, p. 4.

108 Idem, c. r. d’une réunion tenue le 18 novembre 1941 sous la présidence de Jacques

Barnaud, Note de Mourre, 21 novembre 1941, 4 p.

109 Idem, observations sur le mémorandum allemand du 4 février 1942, s. a., 12 février 1942,

3 p.

110 Idem, c. r. d’une réunion tenue le 18 novembre 1941, cité (cf. note 1).

111 Idem, Lettre de Boisanger à Hemmen, 12 février 1942, 2 p.

112 Idem, c. r. de la réunion du 5 février 1942, 3 p.

113 Idem, Délégation française pour les affaires économiques, c. r. de la réunion du 19 mars

1942, n° P. 365/DE, 4 p.

114 Idem, Délégation..., c. r. cité.

115 Idem.

116 Idem.

117 Idem.

118 Idem.

119 Idem.

120 Idem, c. r. de la réunion du 23 mars 1942 chez Jacques Barnaud (présents : Barnaud,

Raty, Lafond, Vitry, Piaton).

121 Idem, Délégation française pour les Affaires économiques, c. r. de l’entretien Hemmen-

Barnaud du 31 mars 1942, n° P. 440/DE, 2 p.

122 Idem, Délégation..., n° P. 528/DE, 3 p. et n° 508/DE, 8 p.

123 Idem.

124 Idem, Délégation..., c. r. de la réunion du 6 mai 1942, 1 p.

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125 AN, F 37 32, d. « buna », c. r. de la réunion de liaisons Finances - Production industrielle,

23 juillet 1941, 1 p.

126 Idem, projet présenté par le ministère de l’Industrie allemand, 9 août 1941, 3 p. ; cf.

également AN, F 37 27, d. « participations allemandes ».

127 Idem, c. r. des conversations des 6, 7 et 8 août 1941 à Berlin, Bave, 1941.

128 Idem, c. r. cité.

129 Idem, Liaison Finances - Production industrielle, 23 juillet 1941, 1 p.

130 Idem, note DGREFA, s. a., 13 août 1941, 1 p.

131 AN, F 37 27, d. « participations allemandes », « Caoutchouc - buna », 7 feuillets

manuscrits sur le c. r. d’une réunion (présents Barnaud, Perret, Puiseux).

132 Idem, protocole signé Bichelonne et Eckerl, 23 août 1941, 8 p.

133 AN, F 37 32, d. « buna », Conférence de la Société Dunlop avec les délégués allemands à

Luxembourg, signé A. Dutreux, 29-30 août 1941, « strictement confidentiel », 10 p.

134 Idem, c. r. de liaison Finances - Production industrielle, 5 novembre 1941, 1 p.

135 Cf. Yves Bouthillier, Le drame..., op. cit., t. 2, p. 216-217.

136 AN, F 37 34, d. « Construction d’une usine pour la fabrication du buna », c. r. de la réunion

au Majestic du 14 octobre 1942, MS, 1 p.

137 Idem, c. r. des pourparlers 12-14 octobre 1942 (présents du côté français, Bichelonne,

Barnaud, Perret, Grillet et Bô pour Rhône-Poulenc, Painvain et Gall pour Ugine.

138 Idem, Note pour M. Couve de Murville, C/MD, informations par Rougier, 31 octobre 1942,

2 p.

139 Idem, Lettre de Jean Bichelonne au docteur Michel, SM/275, copie DGREFA/2741, 3

novembre 1942, 2 p.

140 Cf. AN, F 37 27, d. « participations allemandes »..., cité et Yves Bouthillier,Le drame..., op.

cit., t. 2, p. 125-133.

141 Ibid., p. 179.

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142 AN, F 60 590, p.-v. de ta séance du 18 avril 1941 du CEI. Un bon exemple de ces débats :

l’« aryanisation » des Galeries Lafayette, où le prétendant soutenu par les Allemands

l’emporte sur celui de Yves Bouthillier.

143 Idem.

144 Idem. Souligné (à la main) dans le texte.

145 Idem. Souligné dans le texte.

146 Yves Bouthillier, Le drame..., op. cit, t 2, p. 179.

147 Cf. Henry Rousso, « L’aryanisation économique : Vichy, l’occupant et la spoliation des

juifs », Yod, 15-16, 1982, p. 51.

Chapitre XX. Le second Vichy (avril 1942-août 1944)p. 671-715

TEXTE NOTES ILLUSTRATIONS

TEXTE INTÉGRAL

1Le retour de Pierre Laval marque  la poursuite de certains principes,notamment pour la direction des finances publiques, mais aussi  l’amorce de nouvelles structures et de nouvelles pratiques, surtout en matière industrielle, en partie du fait de contraintes aggravées de la part de l’Occupant, alors acquis à l’économie de guerre.

2Cependant, le caractère désormais totalement vassal de l’État français rend les structures dirigistes largement tributaires de choix définis par les Occupants.

3Alors que la pression de l’Allemagne, non sans contradictions entre ses divers responsables, se fait plus rude,  les structures du dirigisme industriel se renforcent, dans la perspective d’une intégration de l’économie française. Mais les aléas issus du conflit lui-même et certaines résistances laissent cette grande construction inachevée.

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I. L’ÉQUIPE LAVAL   : LE PARTAGE DES TÂCHES1. Le double tournant.

• Le Reich et l’économie de guerre   : des exigences accrues.

1 Cf. Burton H. Klein,Germany’s Economic Preparation for War,Cambridge (Massachussets), 1959 et Al(...)

2 Cf. Burton H. Klein,Germany’s Economic Preparation for War,Cambridge (Massachussets), 1959 et Al(...)

3 Cf. Jacques Benoist-Mechin, De la défaite..., op. cit., t. 2, chapitre VII, p. 84-115.

4 Cf. Robert Aron,Histoire..., op. cit., p. 476.

5 AN. F37 31, d. « charbon (questions générales) », c.-r. de la réunion au Majestic du 18 mars 1942, (...)

4Le retour de Pierre Laval au pouvoir marque une inflexion dans la politique vichyssoise, mais résulte aussi d’une pression allemande, à un moment où la politique du Reich aborde une étape nouvelle. On sait que, à Berlin, la décision de s’engager dans une véritable économie de guerre et d’abandonner  la politique du Blitzkrieg a été prise tardivement : seulement au début de 1942, lorsqu’il apparaît que la guerre à l’Est ne peut être terminée rapidement1. Cela signifiait, pour la France, des prélèvements terminée rapidement2. Cela signifiait, pour la France, des prélèvements accrus sur les ressources matérielles, et surtout des exigences désormais considérablement supérieures en matière de main-d’œuvre. Cette question représente à la fois l’un des prétextes de la chute de l’amiral Darlan, et l’une des principales contraintes initiales pour le gouvernement de Pierre Laval. Les dirigeants français ne sont pas totalement pris au dépourvu à ce sujet. Dès la fin de 1941,

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Jacques Benoist-Méchin, secrétaire d’État à la vice-présidence du Conseil, tente de coordonner, de rationaliser et d’impulser la politique des départs volontaires d’ouvriers en Allemagne, qui représentent alors une centaine de milliers d’hommes. À la fin de décembre 1941, il s’entretient à Berlin avec le général Thomas, chef des services de l’Armement à l’OKW, qui lui fait part de besoins supplémentaires en ouvriers français, de l’ordre de 200 à 300 0003. En janvier 1942, le général Michel demande une déclaration gouvernementale française, afin d’encourager les départs de travailleurs4. Et, un mois avant l’arrivée de Pierre Laval, lors d’une réunion au Majestic, il prévient Jacques Barnaud que l’envoi d’ouvriers français en Allemagne est « le problème qui est au premier plan des préoccupations du Reich » ; il cite le chiffre de 150 000 travailleurs français volontaires pour les prochains mois, et ajoute : « De toute façon, le gouvernement allemand est décidé à prendre les mesures nécessaires pour obtenir un tel résultat »5.

• Les postulats de Laval   : victoire allemande et collaboration pacifique et laborieuse.

6 Laval parle..., op. cit., p. 95 ; confirmé par Pierre Cathala, Face aux réalités. La direction des (...)

7 Jacques Benoist-Mechin,De la défaite..., op. cit., t. 2, p. 43.

8 Cf. Louis Noguères, Le véritable procès du maréchal Pétain, Paris, 1955, p. 39 et suiv.

9 Cf. Otto Abetz, Pétain et les Allemands, Paris, 1948, p. 158 ; Fred Kupferman,Laval.., op. cit., (...)

5Le retour de Pierre Laval coïncide avec une pression allemande accrue : ce dernier l’ignore d’autant moins que, en mars, il aurait (d’après le texte rédigé dans sa geôle de Fresnes, en 1945) rencontré Goering, lequel lui aurait déconseillé de revenir, tellement les exigences de l’Occupant allaient croître6. Il n’en a cure, convaincu d’être « seul désigné

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par la Providence pour régler le différend franco-allemand »7. D’emblée, le « chef du gouvernement » — fonction nouvelle créée par l’Acte constitutionnel n° 11 du 18 avril 1942 — affirme sans détour sa volonté de collaboration à la victoire allemande contre la menace bolchevique, auprès d’une triple série d’interlocuteurs. D’abord, aux Français eux-mêmes, par une allocution radiodiffusée le 20 avril, dont les termes sont repris de manière plus nette, le 22 juin 1942, dans le discours contenant la célèbre et redoutable phrase sur « la victoire de l’Allemagne », à propos de laquelle le Maréchal n’aurait émis qu’une objection de forme8. Puis, à Ribbentrop, dans une lettre du 12 mai, où il promet sa contribution à la victoire, notamment sous la forme d’un accroissement des envois de main-d’œuvre. Enfin, face aux journalistes étrangers, il précise qu’une telle politique ne saurait toutefois entraîner la France dans le conflit9.

10 Jacques de Fouchier, Le goût..., op. cit., t. 2, p. 133.

11 Cf. Jacques Benoist-Mechin, De la défaite..., op. cit., t. 2, p. 119.

6Collaboration donc, mais pacifique, c’est-à-dire économique et laborieuse.Une telle politique s’explique dans la mesure où, en amont, Pierre Laval est convaincu de la victoire allemande. Jacques de Fouchier rapporte les propos tenus par Pierre Cathala, le ministre le plus dévoué au chef du gouvernement, lors d’un déplacement entre Paris et Vichy, au printemps 1942 : « Mon petit, me dit-il, il faut que vous compreniez que, pour un millénaire peut-être, l’Europe sera dominée par l’Allemagne (...) Ce que je viens de vous dire correspond à l’opinion mûrement réfléchie de Pierre Laval. Je le tiens de sa propre bouche et je suis sûr qu’il a de bonnes raisons de le penser »10. D’autre part, Pierre Laval est persuadé, dans les premières semaines, détenir les clés d’une négociation avec Ribbentrop, ce qui le conduit à considérer comme subalternes des concessions économiques, même sans contreparties11. Désormais, les hommes placés aux plus hautes responsabilités de l’État sont avertis que l’engagement des ressources françaises du côté des forces de l’Axe — même si le chef du gouvernement insiste sur son souci

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permanent de ne pas faire revenir la France dans la guerre — implique sans doute contraintes et sacrifices aggravés. Et les exigences des Occupants en matière financière et économique risquent d’être d’autant plus élevées, qu’ils ne manquent pas d’occasion de souligner que les Français, eux, échappent à l’impôt du sang.

2. Une concentration accrue et illusoire des pouvoirs de Pierre Laval.7Les structures d’organisation en matière de décision économique et financière se trouvent doublement modifiées : par la conception que Pierre Laval se fait de la conduite des affaires, mais surtout par l’infléchissement de la politique du Reich.

• Ministres et hauts fonctionnaires   : des changements inégaux.

12 Les archives ne fournissent plus de comptes rendus importants après cette date.

8Le retour de Pierre Laval entraîne des secousses très inégales, selon que l’on s’attache à l’une ou l’autre strate de l’État. Pour ce qui intéresse la direction des finances et de l’économie — il en est autrement pour l’Intérieur, où les remplacements de préfets sont nombreux — les hauts fonctionnaires restent massivement à leurs postes. Pour les ministres, il ne peut en être de même, car Laval est décidé, contrairement à la situation de 1940, à arbitrer souverainement la hiérarchie des problèmes et à trancher lui- même les questions de grande politique, en particulier les rapports avec l’Allemagne. De surcroît, il ne saurait laisser en place ni les proches du Maréchal, instigateurs ou apologistes du « complot » du 13 décembre, ni les fidèles de l’Amiral. Ainsi, sont sacrifiés Yves Bouthillier, Jean Berthelot, René Belin, François Lehideux, Pierre Pucheu, Pierre Caziot. Seuls, parmi le « groupe », Jacques Barnaud, Jacques Leroy-Ladurie, et Jacques Benoist-Méchin demeurent, mais pour quelques mois. Cependant, Laval ne peut faire table rase et,

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même en monopolisant les portefeuilles stratégiques (Affaires étrangères, Intérieur et Information), il ne saurait tout diriger seul, d’où de multiples dosages. Pour une charge aussi importante que les Finances et l’Économie, il fait appel à l’un de ses rares fidèles, Pierre Cathala. Vieux routier de la IIIe République, ancien radical proche de Franklin-Bouillon (qu’il suit en 1927, lors de sa rupture avec la rue de Valois), ce dernier est devenu un inconditionnel de Pierre Laval, dont il a été le ministre de l’Agriculture en 1935. À un moindre niveau, il désigne un autre proche, Max Bonnafous, ancien « Néo », à la tête du Ravitaillement. Pour le reste, il lui faut des techniciens compétents, qui ne se mêlent pas de définir les choix politiques fondamentaux. Pour cela, il promeut certains des hauts fonctionnaires les plus brillants : ainsi, Jean Bichelonne, déjà pourvu de responsabilités administratives multiples (Secrétaire général à l’Industrie et au Commerce, Répartiteur-général, secrétaire à la Répartition) franchit le pas, et devient ministre de la Production industrielle. Robert Gibrat, directeur de l’Électricité au MPI, succède à Jean Berthelot, comme ministre des Communications. Si le gouvernement, dans son ensemble, apparaît comme un mélange hétéroclite (où voisinent marécha- listes, amiralistes, collaborationnistes, anciens de la IIIeRépublique...), pour la direction de l’économie et des finances, un contrat tacite semble être passé entre Laval et les nouveaux responsables. Une sorte de partage des tâches s’établit : au chef du gouvernement les choix décisifs, en amont de la définition de toute politique économique et financière, dont les modalités techniques demeurent du ressort des ministres. Il en est ainsi particulièrement dans les affaires où l’Occupant est impliqué. Comme en 1935, il ne déplaît pas à Laval d’assumer les responsabilités majeures, de braver l’impopularité, en reléguant les autres ministres à un rôle technique, accepté par certains d’autant mieux qu’il leur épargne des décisions souvent douloureuses (à propos desquelles la radio de Londres parle déjà de châtiment futur). Il résulte de cette situation une concentration accrue des décisions par le chef du gouvernement et ses collaborateurs directs. Ainsi, les organes

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de concertation, tel le Comité économique interministériel, dont on a pu mesurer l’importance en 1941, perdent de leur influence. Et après novembre 1942, le CEI semble ne plus se réunir périodiquement12. De même, la délégation française auprès de la Commission d’Armistice, du fait de la double évolution — à Vichy et chez l’Occupant — occupe désormais une place mineure.

• Le poids des débats berlinois. 13 Cf. Alan Milward, The New Order..., op. cit., ch. V « The Level of

Exploitation increased », p. 11 (...)

9Mais ce renforcement relatif des pouvoirs du Chef de gouvernement ne saurait faire illusion : il correspond à un affaiblissement général de Vichy, face à une pression allemande de plus en plus ouverte et brutale. Du côté allemand, on sait que le débat principal, à propos de la situation des territoires occupés, se mène entre Fritz Sauckel, nommé commissaire du Reich à la main-d’œuvre au début de 1942, et Albert Speer, désigné comme ministre de l’Armement en février 1942, après la mort de Todt, ainsi que comme successeur de Goering à la tête des services du Plan. La situation française est de plus en plus tributaire de l’audience respective et fluctuante des deux hommes auprès de Hitler lui-même. On y reviendra. De ce fait, la Commission d’Armistice et sa délégation économique perdent de l’importance, ainsi que Hemmen. De même, une fraction décisive des services dirigés par la Wehrmacht au Majestic — le Rüstungsstab Frankreich — passe, le 20 mai 1942, sous la direction directe du ministère de Speer. Ainsi, les dirigeants de la Wehrmacht à Paris — malgré le remplacement du général Otto von Stülpnagel par son cousin et homonyme Carl-Hein- rich, précédemment Chef de la Délégation allemande à la Commission d’Armistice — et, plus spécialement, les services économiques du Majestic se trouvent plus directement soumis aux directives de Berlin. La conjoncture économique et financière de la France dépend, elle aussi, de manière de plus en plus directe, des décisions prises à la tête du Reich et, en particulier, de l’issue du débat engagé

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entre le parti nazi et les services du Plan sur l’utilisation des ressources humaines et matérielles des territoires occupés13. Cependant, dans les deux hypothèses, comme Goering l’a clairement exprimé en mars 1942 à Laval, la personnalité des dirigeants de Vichy importe désormais assez peu pour le Reich, dans la mesure où la pression allemande doit, de toute manière, s’exercer de manière plus brutale, et où il ne saurait être question de trouver des partenaires pour un dialogue. Ainsi, l’heure est moins que jamais — l’a-t-elle seulement été ? — à la collaboration, mais à la contrainte. Cela n’est toutefois pas sans incidence sur la composition de l’équipe dirigeante, du côté français.

• Le départ de Benoist-Méchin   : politique du «   soldat   » et de 1’«   esclave   ».

14 Jacques Benoist-Mechin,De la défaite..., op. cit., t. 2, p. 101.

15 Ibid., t. 1, p. 351 et suiv.

16 Ibid., t. 2, p. 133 ; souligné par nous.

17 Ibid., t. 2, p. 132-133 ; souligné dans le texte.

10Bien qu’il ait éliminé plusieurs ministres de l’équipe de Darlan, Pierre Laval a dû maintenir deux personnalités, qui jouent un rôle de premier plan dans les relations avec l’Occupant, Jacques Benoist-Méchin et Jacques Barnaud. Or, son souci de vouloir diriger seul la politique de collaboration et les conditions dans lesquelles celle-ci peut être désormais conduite entraînent assez rapidement le départ des deux responsables. Quelques jours avant le retour de Pierre Laval, Jacques Benoist-Méchin peut se féliciter d’être parvenu à ses fins : il a été chargé de la direction du « Service de la main-d’oeuvre française en Allemagne » — institué par un décret du 28 mars 1942 — dont le directeur général, Bruneton, est un chef d’entreprise14. Mais les divergences éclatent assez vite avec le nouveau chef du gouvernement sur la politique de la main-d’œuvre. Non pas sur le principedu transfert de travailleurs

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français, mais sur ses modalités et son articulation avec les autres aspects de la politique de collaboration. Jacques Benoist-Méchin est partisan d’une politique cohérente de collaboration,qui ne saurait en rester à la seule collaboration pacifique et laborieuse,défendue par Laval : en janvier 1942, il a préparé pour le gouvernement de Vichy un projet de « Pacte transitoire » — prévoyant l’alliance franco-allemande — ainsi qu’un plan de défense impériale et de coopération militaire en Afrique, qui offriraient la possibilité de modifier les termes de l’armistice. Les propositions n’ont suscité en fait aucun écho chez les dirigeants allemands, à l’exception de Otto Abetz, de plus en plus marginalisé dans ses rêves de collaboration franco-allemande15. Aux yeux de Benoist-Méchin, la collaboration économique est illusoire, si elle n’est pas assortie d’une collaboration militaire. La ligne directrice suivie par le secrétaire d’État depuis 1941, « Faire la politique du soldat pour ne pas avoir à faire la politique de l’esclave », se trouve en contradiction avec celle de Pierre Laval, soucieux d’échapper au conflit, au moins de manière ouverte16. Dès lors, pour les partisans les plus résolus d’une collaboration cohérente, comme Benoist-Méchin, la France risque de subir trop de sacrifices dans le domaine économique — à la fois pour les ressources et la main-d’œuvre — faute d’avoir voulu en consentir assez sur le terrain militaire. Benoist-Méchin confie, deux ans plus tard : « J’étais prêt à toutjeter dans la balance pour aider l’Allemagne à gagner la guerre. Je lui avais proposé par deux fois l’alliance militaire et la mise en commun de toutesnos ressources. Ce n’était pas pour lui marchander quelques milliers d’ouvriers. Mais je demandais, en échange, que l’on remplaçât l’état desujétion où la guerre nous avait placés, par un état d’association librement consenti (...). Toute mon activité s’inspirait de quelques principes invariables : Agir, pour ne pas subir (...). Faire entrer la France tout entièredans le camp des puissances de l’Axe, pour les empêcher de nous débiter,morceau par morceau »17. Le refus de Pierre Laval d’entrer dans ces vues entraîne le départ de Benoist-Méchin du gouvernement, avant même le débarquement en Afrique du Nord, le 27 septembre 1942.

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• Le départ de Jacques Barnaud et l’échec de la «   collaboration constructive   ».

18 Charles Rist, Une saison gâtée. Journal de la Guerre et de l’Occupation 1939-1945,établi, présent (...)

11De manière distincte mais parallèle, Jacques Barnaud, partisan en 1941 d’une collaboration économique et financière « constructive » (sans se manifester en faveur d’une collaboration militaire), au sens où la France y aurait puisé, en échange de concessions négociées, adoucissements et avantages, accepte de plus en plus mal la manière dont Pierre Laval tient à garder la haute main sur les relations avec l’Occupant et répond aux exigences de main-d’œuvre de Sauckel, sans se préoccuper assez de « contreparties » éventuelles. Il lui reproche de reléguer la DGREFA à un rôle d’exécution. Il laisse apparaître ses désaccords, au point que, dès septembre 1942, au moment où son adjoint Terray (gendre de Vogué) démissionne, Charles Rist note dans son  Journal : « On dit que Barnaud lui-même commence à en avoir assez. Les exigences allemandes pour la main-d’œuvre en seraient la cause »18. Le débarquement anglo-américain de 1942 offre l’occasion à Jacques Barnaud, de même qu’à Robert Gibrat, de quitter le gouvernement. Dès lors, la DGREFA disparaît, ce qui renforce la concentration des décisions entre les mains du chef du gouvernement, qui accroît encore son pouvoir par deux actes constitutionnels, lui restituant sa situation de « dauphin », et dessaisissant le Maréchal, réduit à ses seuls pouvoirs constituants. Ainsi, de manière (apparemment) paradoxale, les partisans d’une collaboration intégrale (tel Benoist-Méchin) ou d’unecollaboration économique « constructive » (comme la plupart des ministres économiques de l’équipe Darlan, dont Jacques Barnaud est le dernier représentant au gouvernement) ne peuvent se satisfaire de l’orientation donnée par Pierre Laval, dans laquelle l’économie et les finances françaises subissent, sans rien recevoir en contrepartie.

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• Jean Bichelonne, homme-orchestre de l’économie dirigée.

19 Cf. Alfred Sauvy, La vie économique des Français de 1939 à 1945, Paris, 1978, p. 177 et du même De (...)

12Pour le reste, l’équipe de Laval reste assez stable dans les postes de direction économique et financière. Jean Bichelonne apparaît comme le pilier irremplaçable de la direction de l’économie. Outre le ministère de la Production industrielle, il prend en charge celui des Communications après le départ de Gibrat et assure même l’intérim du Travail, de novembre 1943 à janvier 1944. Technicien hors pair aux connaissances encyclopédiques, d’une capacité de travail surhumaine, ce géant au visage encore poupin ne se préoccupe pas des décisions prises en amont de son domaine technique, c’est-à-dire celles de  la grande politique, donc des relations avec l’Occupant. Ministre idéal pour Laval, en ce qu’il allie une grande compétence technique et une quasi-abstention politique. Soucieux de faire fonctionner efficacement la direction d’une économie, sans s’interroger sur le fait qu’elle sert de plus en plus les besoins de l’Occupant, il subit une sorte de complexe « de la rivière Kwaï », selon l’image heureusement proposée par Alfred Sauvy19. Il reste loyal à Laval (sauf le bref et pitoyable épisode du complot «ultra» avorté du 5 juillet 1944) jusqu’à l’exil et la mort (le 21 décembre 1944).

• Pierre Cathala et les «situations ambiguës   » aux Finances.

20 Jacques de Fouchier, Le goût..., op. cit., p. 130.

21 Cf.  Ibid., p. 130 et suiv. ; cf. François Bloch-Lainé, Profession fonctionnaire, Paris, 1976.

22 Ibid., p. 123.

13Pierre Cathala apparaît comme un fidèle de plus longue date. « Dévoué corps et âme à Pierre Laval qu’il admirait sans

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réserve », il est l’un des rares ministres à rester à ses côtés lors du « complot » de juillet 1944, et l’accompagne également jusqu’à Sigmaringen20. Cependant, à la différence du sectarisme de son prédécesseur, Pierre Cathala, d’après plusieurs témoignages convergents, manifeste une tolérance certaine rue de Rivoli, malgré la rigueur des temps, n’hésitant pas à sauver certains de ses collaborateurs ne partageant pas ses vues sur l’issue de la guerre21. Ne sachant comment composer son cabinet, il demande conseil à Adéodat Boissart — ancien membre du cabinet de Pierre Laval en 1931 et 1935 et directeur général de l’Enregistrement — qui, après consultation des principaux directeurs, Jacques Brunet (Trésor), Henri Deroy (secrétaire général aux Finances) et Maurice Couve de Murville (Finances extérieures), suggère le nom de Jacques de Fouchier. Ce dernier, dans ses souvenirs, interprète ce choix comme le signe de la volonté, de la part de ces principaux hauts fonctionnaires, de compter, dans l’entourage du ministre, sur la présence d’un homme « prêt à soutenir leur action de freinage de la collaboration économique et financière et de maintien en place de structures aptes, au lendemain de la future défaite allemande, à promouvoir un nouveau démarrage de notre pays »22.

23 Ibid., p. 131.

24 Ibid., p. 131.

14Avec Thierry de Clermont-Tonnerre et Jean Ricquebourg à Paris, Yves de Chomereau et Pierre Hedde à Vichy, Jacques de Fouchier dirige ainsi le cabinet de Pierre Cathala, jusqu’en novembre 1942, date à laquelle ils démissionnent tous. Jacques de Fouchier occupe alors un poste de sous- directeur du Trésor, Jacques Brunet n’ignorant pas que son adjoint d’alors cherche à rejoindre la Résistance extérieure via l’Espagne, ce qu’il fait, à la fin de février 1943. Cette cohabitation pendant six mois avec Pierre Cathala reflète « une de ces situations ambiguës que permirent l’existence du gouvernement de Vichy et le mythe du double jeu »23. La situation des différents hauts fonctionnaires de l’Économie et des Finances en général n’est pas dépourvue

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de ces « ambiguïtés », d’autant plus que la plupart exercent une fonction où la composante technique apparaît souvent prédominante. Quelles que soient leurs convictions profondes, les principaux responsables des directions de la rue de Rivoli n’ont toutefois pas quitté leurs postes, après novembre 1942. Seuls, en février 1943, Paul Leroy-Beaulieu (Directeur des Accords commerciaux) et Maurice Couve de Murville profitent de négociations à Madrid pour passer à Alger, où ce dernier va soutenir le général Giraud, avant de devenir le premier Commissaire aux Finances du CFLN, de juin à novembre 1943. Toutefois, avec prudence et honnêteté, Jacques de Fouchier ne se sent pas en mesure d’affirmer que les « conséquences bénéfiques » de ces « situations ambiguës » ont « compensé les méfaits de l’apparente trahison des élites qui en était la contrepartie »24. Cependant, la brutalité accrue de l’Occupant le conduit à une série d’arrestations à la mi-août 1943, parmi des hauts fonctionnaires des Finances (Jacques Brunet, directeur du Trésor et secrétaire général ; Adéodat Boissard, directeur général de l’Enregistrement ; Georges Pebrel, directeur du cabinet), de la Production industrielle (René Norguet, secrétaire général à l’Industrie et au Commerce ou de Calan, du cabinet de Bichelonne) ou de personnalités telles que Wilfrid Baumgartner, directeur du Crédit national, Louis Escallier, directeur de la Banque d’Algérie. Seuls Brunet et Calan ne sont pas déportés. Même si la plupart n’avaient rien à se reprocher, ils ne se comptaient pas parmi des résistants actifs. Ces arrestations faciliteront après la Guerre des assimilations hâtives, selon certains hauts fonctionnaires écartés en 1940. Comme l’indique, au même moment, le rapport d’Émile Laffon pour la résistance extérieure, en citant certains de ces noms, « plusieurs se garantissent pour l’avenir. C’est le moment où les dossiers se constituent pour les plaidoyers de demain ».

II. LA DIRECTION DES FINANCES   : CONTINUITÉ ET

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LIMITES DE LA «   POLITIQUE DU CIRCUIT   » 1. Les principes   : Pierre Cathala et le Père Ubu.

• «   Financer l’Occupation par elle- même   ». 15Lorsque Pierre Cathala arrive à la tête des Finances, la balance entre charges et ressources mensuelles du Trésor se présente schématiquement ainsi (avec une double série de dépenses : pour les besoins du Trésor français et pour ceux de l’Occupant) :

25 Source : Pierre Cathala, « Le fonctionnement du circuit monétaire », note écrite à la fin de 1944 (...)

Situation de la trésorerie (avril 1942) (Moyennes mensuelles en milliards de francs courants)25

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26 Ibid., p. 43 ; cf. supra,chapitre XVII.

27 Cf. supra, chapitre I.

28 Pierre Cathala, Face aux réalités..., op. cit., p. 153 (annexe II).

16L’élément le plus instable est constitué par l’importance relative des prélèvements allemands par rapport aux versements effectués, tous les dix jours, sur le compte de la Reichskreditkasse, à la Banque de France. On a vu qu’à partir

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du début de 1942, les prélèvements de l’Occupant l’emportent sur les versements, et que le solde non employé de leur compte se réduit dangereusement. Alors que les Autorités militaires d’Occupation reçoivent 300 millions de francs quotidiens, elles dépensent, en moyenne, 280 millions sur toute l’année 1941, 352 millions le premier trimestre de 1942 et 382 millions au second26. Pour combler l’écart entre charges et ressources, il faut recourir périodiquement à des avances de la Banque de France. En moyenne, sur l’année 1942, cela ne représente que 22 % du total des charges de trésorerie27. Le nouveau ministre s’inspire de principes analogues à ceux énoncés par Yves Bouthillier et appliqués par les hauts fonctionnaires, restés en place : faire revenir par l’impôt et l’emprunt les francs mis en circulation par les dépenses des services français et par celles de l’Occupant, qui, pour la plus grande part, étaient payées à des Français, sous forme de prix ou de salaires. Il l’exprime dans une note de la fin 1944, retrouvée dans ses papiers : « Il fallait que l’Occupation puisse se financer elle-même. L’argent mis en circulation devait revenir au Trésor. C’était la théorie du circuit monétaire à propos duquel, avec un peu d’irrévérence, on peut aussi évoquer la pompe à Phynance du Père Ubu »28.

• La politique des bons et ses limites. 29 Ibid., p. 146.

30 Cf. supra, chapitre I.

17La défense du franc, même dans des conditions de plus en plus précaires, demeure la ligne de conduite majeure, rue de Rivoli. L’abondance monétaire ne peut être exploitée, aux yeux des dirigeants, pour assurer l’accroissement de l’équipement industriel, du fait de la privation des principales matières premières. Aux difficultés de la pénurie, Pierre Cathala ne veut ajouter la ruine définitive de l’épargne, même si la rémunération des bons à court terme est de plus en plus infime. Élément de continuité : la création effective des bons d’épargne, décidée par Yves Bouthillier et appliquée par Pierre Cathala. L’idée était de créer un titre nouveau pour résorber

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des capitaux jugés moins mobiles que ceux du marché : la thésaurisation paysanne, sollicitée au même moment par une émission permanente de la Caisse de Crédit agricole, était particulièrement visée. Titre à 3 % et à quatre ans d’échéance, sorte de bon de la Défense nationale, le bon d’épargne pouvait être remboursé lors de divers événements, mariage du propriétaire, achat d’une maison ou de matériel agricole. Formule ingénieuse, elle n’eut qu’un succès limité : quinze milliards récoltés en 1942. Les justifications nécessaires pour obtenir le remboursement anticipé semblent avoir rebuté des souscripteurs, « soucieux avant tout de secret et de mystères »29. Pendant toute la gestion de Pierre Cathala, les souscriptions et renouvellements de bons du Trésor à court terme ont constitué l’arme principale de la « politique du circuit » : ils ont laissé un excédent net annuel d’environ 100 milliards, soit entre un tiers (en 1942) et un quart (en 1943) des charges totales de trésorerie30. De plus, en 1943 et jusqu’au début de 1944, les caisses publiques placent des obligations trentenaires au taux moyen de 3 1/2 pour un total de cinquante-sept milliards. Et, en juillet 1944, le ministre se félicite du fait que le vieux 3 % perpétuel se trouve en Bourse au-dessus du pair !

31 Ibid., p. 154.

32 Ibid., p. 147.

18Cependant, cette situation reflète surtout le manque d’occasions autres pour l’épargne et les effets d’une politique coercitive et dissuasive à cet égard. Le fonctionnement, relativement bon jusqu’en 1943, du « circuit » monétaire ne saurait occulter  la quasi-impossibilité d’amortir ou d’investir,malgré des disponibilités accrues pour les vendeurs. D’autre part, les dépenses allemandes entraînent une disparition des stocks. Après l’Occupation, Pierre Cathala constate : « La circulation facile d’une monnaie, dont le volume allait sans cesse croissant, masquait des pertes de substance et d’énergie, une dégradation constante du capital national, et une diminution par la France (sic) de sa puissance de

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production »31. Et la technique du fonctionnement du « circuit » reposait sur la confiance accordée aux titres d’État à court terme. La hantise du ministre demeure que la brèche dans le « circuit », représentée par les avances de la banque, ne s’écarte davantage. Il s’agit, en outre, de trouver les formules les plus ingénieuses pour faire refluer vers le Trésor les francs émis et éviter en particulier qu’une défiance à l’égard de la monnaie n’entraîne une ruée sur des valeurs réelles, quel qu’en soit le prix, sur l’or ou les denrées sur les marchés clandestins. Pour cela, il convient de comprimer les dépenses de l’État : « Le désordre et la prodigalité dans les dépenses françaises étaient particulièrement périlleux et auraient ouvert tout droit la route à l’inflation qu’il s’agissait précisément de contenir »32. Mais la part, majoritaire etcroissante — d’un peu plus de la moitié au début de 1942, aux deux tiers en 1943 — des charges publiques provient des dépenses allemandes. Leur progression rend la situation financière et monétaire très vulnérable.

2. Continuité et contraintes dans l’application de la politique du «   circuit   ».

• Les dépenses allemandes «   incompréhensibles et incontrôlables   » et la crise financière d’août 1942.

33 Cf. supra, chapitre XVII.

34 Pierre Cathala, Face aux réalités..., op. cit., p. 41.

19L’une des solutions eût été, bien entendu, la réduction du montant des « frais d’occupation ». Mais, abaissés à 300 millions de francs par jour lors d’une négociation avortée en juillet 1941, ils pouvaient être, bien au contraire, accrus en cas de reprise de négociation, ou assortis de conditions quant au règlement de participations françaises dans des affaires industrielles, comme cela était intervenu en 1941, sans

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lendemain33. Or, de ce point de vue, Pierre Cathala, à la différence de son prédécesseur, épouse le point de vue des hauts fonctionnaires du Trésor et des Finances extérieures, et préfère l’inflation fiduciaire à la cession de participations : « Appliquée à des versements périodiques, dont le montant pouvait varier à la volonté de l’Allemagne, ce procédé me sembla très dangereux ; par la remise de biens réels, il préparait notre appauvrissement définitif et notre asservissement économique (...) Quel que soit le danger au point de vue monétaire des frais d’occupation, je préférais payer en billets que d’aliéner le patrimoine français »34. De toute façon, à la demande de réduction des « frais d’occupation », transmise en août par Boisanger à Hemmen, ce dernier, après avoir laissé traîner l’affaire, exprime verbalement une fin de non-recevoir à Pierre Laval. Au même moment, il semble que la « politique du circuit » subisse une crise de défiance. L’accélération du rythme des prélèvements des Autorités d’Occupation sur leur compte se manifeste au troisième trimestre de 1942 : 443 millions de moyenne quotidienne, soit un alourdissement de près de 30 % par rapport au premier trimestre. Parallèlement, l’accroissement mensuel de la circulation monétaire s’emballe à l’été 1942, avant le débarquement en Afrique du Nord.

35 Ibid., p. 208-209.

20L’État français dépense alors mensuellement environ onze milliards pour les besoins français et dix-sept pour les moyens de paiement sollicités par l’Occupant. Les services des Finances constatent, à l’été, un mouvement de défiance à l’égard de la monnaie, perceptible à travers le ralentissement des dépôts bancaires, l’acquisition de valeurs réelles, la forte élévation des prix des marchés libres d’objets d’art et d’occasion, ainsi que ceux des marchés clandestins de l’or et des devises. En outre, malgré les taxes, impôts et blocage des dividendes, les valeurs en Bourse, à la baisse jusqu’alors, remontent brusquement à la fin août 1942 : les Autorités d’Occupation, sollicitées, acceptent un quasi-blocage des cours. Dès le mois de septembre, le ministre des Finances propose des mesures, afin de renforcer la

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« politique du circuit ». Approuvées en conseil des ministres en octobre, elles sont ensuite négociées, entre le début et l’été de 1943, avec les services du Majestic. Dans la lignée des mesures prises antérieurement, il s’agit de rendre encore plus difficiles et plus rares les investissements en valeurs réelles et de perfectionner les mécanismes de résorption des moyens de paiement. Le contrôle est accru sur les achats de fonds de commerce, sur les ventes d’objets mobiliers de plus de 100 000 francs, sur les valeurs à revenu variable acquises depuis la guerre. Il est proposé d’imposer les enrichissements opérés depuis la guerre (les négociations avec les Allemands traînent jusqu’en juillet 1943). Le plafond des livrets d’épargne est relevé de 25 à 40 000 francs, des facilités nouvelles de remboursement anticipé sont accordées aux bons d’épargne et sont créés des bons du Trésor à 3 ans. Enfin, afin de réduire le marché noir, le ministre demande une accélération de la répression et même une application de la loi de septembre 1942 sur le travail obligatoire à l’égard des « individus incapables de justifier de moyens d’existence réguliers »35. Mais, alors que les négociations se poursuivent avec l’Occupant, les événements de novembre 1942, loin de réduire les charges, les accroissent.

• Les exigences allemandes accrues (décembre 1942).

36 Ibid., annexe V, p. 191. Note remise le 17 décembre 1942 par le ministre des Finances au chef du g (...)

37 Fred Kupferman, Laval, op. cit., p. 385.

21Les contraintes allemandes s’alourdissent brutalement à la fin de l’année. Après le débarquement de novembre 1942 et l’invasion de la zone Sud, le 15 décembre 1942, Hemmen fait savoir à Laval, Boisanger et Cathala la double exigence du Gouvernement du Reich de porter le taux des acomptes journaliers à 500 millions de francs et de faire placer un conseiller financier allemand auprès du gouvernement français. Deux jours plus tard, une note interne, signée par Pierre

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Cathala et rédigée par ses services — notamment par la Direction du Trésor, sous l’autorité de Jacques Brunet — est transmise à Pierre Laval, afin de lui fournir des arguments, destinés à écarter la double prétention allemande. Le raisonnement principal repose sur l’idée que la dégradation de la situation financière et monétaire depuis le début de l’année 1942 est tributaire avant tout de l’augmentation du rythme d’utilisation des sommes disponibles sur le compte des « frais d’occupation » : « C’est aux dépenses allemandes et à celles-là seules qu’on doit imputer la terrible inflation monétaire dont les indices sont, d’ores et déjà, évidents »36. Il ne saurait donc être question d’accroître les acomptes journaliers, d’autant plus qu’une grande partie des sommes employées à partir du compte allemand ne correspondent pas à la couverture des charges d’occupation, mais à la poursuite de la guerre contre les Alliés, et même à des dépenses sans rapport avec l’effort de guerre : achats par des services ou des particuliers de titres, bijoux, œuvres d’art... Les services des Finances estiment ces sommes à plus du quart des 300 milliards de francs déjà versés depuis l’été 1940. De plus, les dépenses effectuées par les services allemands échappent au contrôle de l’Administration française, à la fois du point de vue des prix fixés, des salaires versés — notamment par l’organisation Todt — ou des prescriptions touchant l’emploi des chèques, d’où les facilités accrues pour l’évasion fiscale et le développement du marché noir. Le gouvernement français parvient à faire reculer le Reich sur la question du conseiller financier allemand, mais pas sur les 500 millions journaliers, qui sont effectivement acquittés à compter du 11 novembre 1942, jusqu’au 12 août 1944. Au même moment, les quelques atouts de l’Armistice (flotte, Empire, zone Sud) s’évanouissent, l’État français n’apparaissant plus que comme une « fiction utile au Reich »37.

• La «   résistance   » ambiguë. 38 Pierre Cathala, Face aux réalités..., op. cit., p. 69.

39 Jacques de Fouchier, Le goût..., op. cit., p. 132.

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40 Cité in Pierre Cathala,Face aux réalités..., op. cit.,p. 194 ; souligné par nous.

41 Ibid., annexe VI, p. 212.

22Parallèlement, les Finances négocient avec le Majestic sur les mesures proposées en octobre, et parfois âprement, comme sur la création d’un Comité d’enquête sur les enrichissements réalisés depuis la guerre. Dans son plaidoyer d’après guerre, Pierre Cathala signale la longueur des négociations avec le Majestic comme « la meilleure justification (...) du caractère nettement français de la politique financière ... »38. Mais, comme l’indique son principal collaborateur entre avril et novembre 1942, une telle politique était en fait « dictée par les circonstances ». Il ajoute : « Tenter d’obtenir une réduction des charges d’occupation, s’efforcer de ramener dans les caisses publiques l’argent que les dépenses allemandes mettaient en circulation, de manière à faire fonctionner « le circuit » et à limiter l’inflation, tenter de freiner les appétits des affairistes nazis sur certaines firmes françaises — en particulier qualifiées de juives — tout cela s’imposait à n’importe quel ministre de l’Économie et des Finances, appartînt-il même à un gouvernement ouvertement collaborationniste »39. D’ailleurs, dans sa note du 17 décembre 1942 à Pierre Laval, le ministre des Finances souligne que la lourdeur des dépenses allemandes, comme l’impunité des opérations frauduleuses auxquelles elles conduisent,s’opposent à l’intérêt bien compris de l’Occupant lui-même : « Par ses méthodes d’achat sur le territoire français, l’autorité occupante dérèglel’un des secteurs économiques destinés à s’intégrer dans l’espace européen, alors qu’en Allemagne il en est tout autrement et que les plus grandes restrictions y sont imposées dans les achats de produits non rationnés »40. Dans une autre note contemporaine à Pierre Laval, Pierre Cathala indique que seule la réduction des dépenses allemandes peut assurer la défense du franc, et écarter le spectre de l’inflation allemande de 192341. Ce n’était d’ailleurs que la reprise du raisonnement de Yves Bouthillier. Comme son prédécesseur, Pierre Cathala est conduit à renforcer, par des contraintes croissantes, la « politique du

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circuit », alors qu’il ne maîtrise pas l’une des composantes essentielles, les dépenses allemandes.

42 Ibid., p. 211.

43 Ibid., annexe II, p. 159 ; souligné par nous.

23D’une part, il est lucide sur la multiplication des « fuites », parallèlement aux mesures mêmes de renforcement de la « politique du circuit » et à travers les opérations de l’Occupant : « La plupart d’entre elles [les mesures d’octobre 1942] augmenteront nécessairement, par leur rigueur même, la prime qu’offre la fraude. Ceux qui pratiquent des opérations désormais interdites, contrôlées ou surtaxées auront tendance à les poursuivre clandestinement. Si le secteur des besoins de l’occupation continue d’échapper aux règlements et à la surveillance administrative, il sera (...) la terre d’élection du marché noir dont l’activité s’étendra, par surcroît, à de nouveaux domaines tels que celui des ventes d’objets d’art et de valeurs mobilières »42. Mais, d’autre part, conformément à la politique de « présence », il ne saurait se soustraire aux contraintes imposées par les dirigeants du Reich, bien que ceux-ci paraissent moins décidés que jamais à écouter les raisonnements anti-inflationnistes sur leur intérêt bien compris, et résolus désormais à la politique de force brutale. Pierre Cathala conclut ainsi sa note de la fin 1944 : « Une politique qui poursuivait comme but final la défense du franc impliquait, à cette époque, l’exécution des obligations imposées par l’Allemagne et, par conséquent, le fonctionnement du mécanisme financier agencé par mon prédécesseur.Tout défaut de paiement aurait amené de la part de l’occupant des mesures de contrainte et des prises de gages qui auraient été interprétées comme une menace supplémentaire pour la monnaie et qui auraient immédiatement mis en retrait la masse des épargnants »43. L’âpreté des débats avec l’Occupant n’était pas incompatible a priori avec la perspective à moyen ou long terme d’une victoire du Reich, ni, à court terme, avec celle d’une soumission à ses exigences du moment.

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• 1943   : la dégradation inexorable. 44 Cf. supra, chapitre I.

24Par rapport à 1942, où les charges de l’Occupation étaient à peine supérieures à celles issues des besoins « français », en 1943, celles-là sont presque deux fois plus élevées que celles-ci (155 milliards pour les charges françaises, 275 milliards pour les charges allemandes). L’accroissement en valeur des charges totales de trésorerie, par rapport à 1942, représente près de 130 milliards de francs courants, presque entièrement imputable aux servitudes des besoins allemands. Et l’impasse, qui était retombée aux deux tiers du total des charges en 1942, se relève à 72 % de celles-ci. Le marché monétaire parvient à couvrir la moitié en valeur de l’impasse, mais les avances de la Banque de France progressent inexorablement : elles représentent, en 1943, 37 % de l’impasse et 27 % du total des charges de trésorerie44. L’alourdissement des contraintes allemandes se lit particulièrement dans l’aggravation du déséquilibre du clearing franco-allemand. Les avances en francs, situées entre deux et trois milliards mensuels, bondissent à sept milliards en septembre 1943 : signe de prélèvements accrus ! Pour toute l’année 1943, la charge du Trésor au titre du clearing s’élève à soixante milliards, pratiquement la moitié du montant des avances totales depuis octobre 1940 (115 milliards). En outre, les charges françaises elles- mêmes s’aggravent, du fait des bombardements (allocations aux réfugiés) et de vingt milliards de subventions à diverses denrées, pour lesquelles les Autorités d’Occupation refusent les réajustements de prix sollicités (en particulier le pain et les métaux). De manière paradoxale, les « recettes normales » couvrent une fraction croissante des seules « charges françaises ».

45 Source : Pierre Cathala,Face..., op. cit., p. 235.

Couverture des « charges françaises » par les recettes normales (En %)45

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25Mais cela reflète surtout l’affaiblissement de l’Etat français, qui ne dispose plus ni de flotte, ni d’armée, ni d’Empire, ni même de véritable souveraineté, et dont les dépenses ordinaires — notamment les traitements des fonctionnaires — ou extraordinaires se trouvent particulièrement comprimées. Pierre Cathala poursuit la politique de Bouthillier de  liaison étroite entre banques, marché monétaire et Trésor. Ce souci apparaît dans le parallélisme qui marque l’évolution entre la circulation monétaire, les dépôts bancaires et la circulation des bons à court terme. Mais, par rapport aux années 1940-41, 1942 et 1943 témoignent d’une moindre progression dans les dépôts bancaires, compensée en partie par un accroissement des dépôts dans les caisses d’Épargne. De plus, à la fin de 1943, 90 % du portefeuille des banques — soient 180 milliards — se composent de bons à court terme (contre 80 %, à l’arrivée de Pierre Laval) [cf. figure, p. suivante].

GRAPHIQUE 9 LE PARALLÉLISME DE L’ÉVOLUTION ENTRE CIRCULATION MONÉTAIRE, DÉPÔTS BANCAIRES ET BONS A COURT TERME en milliards de francs courants

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26Malgré le fonctionnement du marché monétaire, le Trésor n’est pas à l’abri d’un mouvement de défiance. En septembre-octobre 1943, une crise financière plus grave que celle de l’année précédente se manifeste, à travers des symptômes analogues : envol des cours de la Bourse, de ceux de l’or sur le marché clandestin, ruée sur des biens réels, diminution du volume des dépôts bancaires...

III. LA DIRECTION DES PRIX ET DES SALAIRES   : UN DOUBLE SECTEUR1. Le blocage allemand des salaires (été 1942).

46 Cf. supra, chapitre XVII.

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47 AN, AGII 544, c.-r. de la séance du 17 juillet 1942 du CEI, Vichy, 6 p.

48 Idem, c.-r. de la séance du 31 juillet 1942 du CEI, Vichy, 8 p.

49 Idem, c.-r. de la séance du 17 juillet 1942, cité.

50 Idem, c.-r. cité.

51 Idem, c.-r. de !a séance du 31 juillet 1942, cité.

27La crise d’avril 1942 interrompt les négociations qui sont laborieusement reprises par Jacques Barnaud et Hubert Lagardelle (nouveau secrétaire d’État au Travail) avec le Majestic, sur une éventuelle revalorisation des salaires46. Or, dans le même temps, Jacques Barnaud est sollicité quotidiennement pour faire accepter par les Autorités allemandes les hausses de prix demandées par les services français. À la séance du CEI du 17 juillet 1942, en particulier, Jean Bichelonne réclame une augmentation du prix de l’électricité, qui n’a pas varié depuis le 9 avril 1940 : il propose une hausse de 15 %, dont 5 % seraient bloqués, afin « d’être utilisés conformément à un plan d’équipement électrique du pays »47. Le secrétaire d’État à la Production industrielle fait écho aux projets d’équipement, élaborés au CO de l’Énergie électrique, dont le financement passe par une « vérité » plus grande des prix. C’est aussi la position de Robert Gibrat, qui souhaite une hausse des tarifs SNCF, afin de « maintenir les possibilités financières pour l’avenir de la construction »48. Les ministres techniciens modernisateurs se montrent ainsi favorables à un réajustement des prix de base, afin de dégager des ressources destinées à améliorer l’équipement des secteurs correspondants. Mais une telle logique industrielle se heurte à un double obstacle, qui relève à la fois de la politique sociale et de la politique financière. En effet, le 17 juillet 1942, l’opposition à la proposition de Jean Bichelonne provient à la fois de Barnaud et de Lagardelle, qui font connaître aux autres ministres du CEI le refus exprimé, le matin même, par les Autorités allemandes d’autoriser une quelconque augmentation des salaires, comme ils semblaient s’y résoudre en mars. Ils en

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concluent : « les salaires se trouvant bloqués, tous les autres prix doivent l’être »49. Toutefois, en cas d’impossibilité d’empêcher la hausse des prix, il paraît alors nécessaire de différencier production et consommation, à travers une politique de primes et de subventions, « en dépit de l’absurdité et des inconvénients graves d’un tel système »50. Ainsi, devant le refus allemand d’une augmentation des salaires, Pierre Cathala est conduit à préciser pour le CEI, le 31 juillet 1942, les principes à appliquer. Il rappelle que la politique suivie jusque-là « repose essentiellement sur le principe de la stabilité des prix, tempérée par des hausses par paliers, quand le coût général de la production les rend nécessaires ». Il s’affirme « d’autant plus décidé à maintenir les prix de la façon la plus ferme que la hausse des salaires a dû être ajournée »51. Cependant, le sous-directeur des Prix indique qu’il ne peut être question de différer la hausse des prix de certains produits et services de base, qui est effective à l’été 1942. Cela crée à la fois des difficultés d’ordre social, pour les salariés-consommateurs, et financier, si le Trésor se résoud à amortir pour ces derniers les effets d’une hausse des prix reconnue inévitable.

2. Contradictions entre logiques industrielle, sociale et financière.

52 Idem, c.-r. de la séance du 16 septembre 1942 du CEI, Paris, 4 p.

53 Idem, c.-r. de la séance du 31 juillet 1942, cité.

54 Idem, c.-r. de la séance du 17 juillet 1942, cité.

55 Idem, c.-r. de la séance du 11 septembre 1942 du CEI.

28Ainsi, le prix de l’électricité est effectivement relevé de 12,5 % en septembre, après négociation avec les Allemands (contre les 15 % demandés), dont 2,5 % doivent constituer un ensemble de recettes bloquées, destinées à alimenter un fonds d’amélioration de l’industrie électrique, dont la Production industrielle pourra diriger l’emploi52. Mais il est décidé que les petits consommateurs pourront être exemptés de la hausse à la

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consommation. De même, pour les tarifs de chemins de fer, la hausse accordée en août doit être en partie couverte par une subvention du Trésor. Le secrétaire général pour les Finances publiques, Henri Deroy, souligne le « danger » d’une telle politique, « au moment où l’importance des dépenses faites par les Autorités d’Occupation jette sur le marché monétaire de grosses disponibilités » ; car, en accordant des subventions, l’État « accroît les liquidités entre les mains des particuliers au lieu de les résorber »53. Pierre Cathala en convient, mais ne voit guère le moyen d’écarter la hausse des prix de l’énergie, ni de ceux des transports. Il a reconnu, peu avant, le droit pour ces secteurs, « non seulement de vivre, mais de se développer »54. De même, il a dû accepter une augmentation du prix du blé (dont le quintal passe de 270 à 375 francs). Il la justifie ainsi pour le CEI : « la hausse des prix des produits agricoles a été nécessaire pour encourager les producteurs et la solution du problème du ravitaillement reste essentiellement un problème de production »55. Dès lors, se pose la question de l’augmentation du prix du pain. Ainsi, le refus des Allemands d’autoriser une augmentation des salaires place les responsables de l’économie et des finances dans une situation doublement insatisfaisante. Ou bien, ils accordent l’augmentation des prix des produits de base et réduisent encore le pouvoir d’achat des salariés les plus modestes, en régression constante depuis le début des hostilités. Ou bien, ils font prendre en charge par le Trésor l’équivalent de cette augmentation, ce qui contredit la politique de compression budgétaire et de résorption des signes monétaires.

56 Idem, c.-r. des séances des 9 octobre 1942 (6 p.) et 28 octobre 1942 (4 p.) du CEI.

57 Cf. AEF 5 A 29 (Papiers Cusin).

29Pierre Cathala s’achemine vers cette seconde solution. Il décide toutefois, en septembre, de reprendre la négociation sur « la mise en ordre » des salaires avec le Majestic. Mais les discussions traînent. Les Allemands acceptent une hausse inférieure à celle demandée et proposent la fixation de salaires

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maxima inférieurs à la plupart des salaires alors constatés et même à certains salaires versés en 1940 !56. La « mise en ordre » aboutit à accroître, par un arrêté du 21 juin 1943, le salaire horaire du manœuvre de la métallurgie de 0,75 F (soit 7,5 %). À l’heure du bilan, l’écart salaires-prix soulignera les retards des salaires, malgré des réajustements clandestins, rendus inévitables. D’autre part, l’attitude des Autorités d’Occupation apparaît contradictoire car, dans le même temps où elles s’opposent aux relèvements des salaires, certains services officiels allemands — bien identifiés dans un rapport du Contrôle économique d’octobre 1945 — alimentent le marché noir allemand en « interférence » avec le marché noir français.57

IV. LA DIRECTION DE L’INDUSTRIE   : LA FRANCE INTÉGRÉE PAR L’AVAL   ?

58 Cf. E. Homze, Foreign labor in Nazi Germany,Princeton, 1967 ; Jacques Evrard, La déportation des(...)

30On connaît les effets de la politique allemande à l’égard de la main- d’œuvre française58, ainsi que le terrain de convergence qui rapproche, à partir de l’été 1943, Albert Speer et Jean Bichelonne. Mais, fait moins connu, c’est toute la direction de l’industrie française qui est, dès 1942,ainsi conduite à évoluer, du fait d’exigences, d’ailleurs contradictoires, de la part des divers représentants de la puissance occupante. Il convient d’établir les liens entre  les diverses facettes de cette évolution (politique de la main-d’œuvre, mesures de « concentration », signature de « contrats », réorganisation de l’appareil dirigiste), qui se fixait comme terme une véritable tripartition de l’économie française, et de mesurer l’attitude des responsables de l’État à cet égard.

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1. La «   première action   » Sauckel   : la «   Relève   », scepticisme et divergences (mai-décembre 1942).

59 Cf. E. Homze, Foreign labor in Nazi Germany,Princeton, 1967 ; Jacques Evrard, La déportation des(...)

31La politique allemande de prélèvements de main-d’œuvre française, à travers les différentes « actions » de Fritz Sauckel entre mai 1942 et 1944, est connue, surtout à partir des archives allemandes59.

• La «   Relève   » et le scepticisme. 60 Jacques Benoist-Méchin,De la défaite..., op. cit., t. 2, p. 121.

61 Cf. circulaire du SEPI du 2 juillet 1942.

32La plupart des témoignages et analyses s’accordent à souligner la manière brutale, voire bornée, avec laquelle, Fritz Sauckel, nommé le 21 mars 1942 Haut-Commissaire du Reich à la main-d’œuvre, accomplit la mission qui lui a été confiée par le Führer. Cet ancien marin, prisonnier en France lors de la Première Guerre mondiale, membre des Corps francs en 1919 et pionnier du nazisme, exprime cependant la politique défendue à l’intérieur du Parti nazi, à l’heure des exigences accrues de l’économie de guerre. La première livraison de travailleurs français est formulée le 15 mai 1942, et porte sur 250 000 ouvriers, dont 150 000 spécialistes, pour le 15 juillet suivant. Jacques Benoist-Méchin, présent lors de l’entrevue Laval-Sauckel rue de Lille, affirme, dans ses Mémoires, avoir été surpris par la facilité avec laquelle le chef du Gouvernement accepte les chiffres demandés (sous réserve cependant du rapatriement de 50 000 prisonniers, selon le principe de la « Relève »). Laval lui confie, peu après l’entrevue, qu’il escompte alors une négociation rapide avec Ribbentrop, dont l’issue, espère-t-il, rendra caduc l’accord consenti à Sauckel60. Lorsqu’il apparaît que cet espoir est illusoire, Jacques Benoist-Méchin, par une note du 17 juin, exprime ses doutes sur le

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succès de la « Relève », fondée sur le volontariat, et recommande le « peignage » des usines par des commissions indépendantes comprenant des techniciens allemands, afin de prélever le nombre de techniciens nécessaires. Laval accepte le « peignage » par des commissions mixtes, mais fait réunir, le 30 mai 1942, les responsables des CO, en présence de Bichelonne, Barnaud et Terray, et leur demande de faire désigner, par les chefs d’entreprises eux-mêmes, les ouvriers susceptibles de partir en Allemagne61.

62 AN, F37 27, d. cité, compte rendu..., cité, p. 23.

63 Idem.

33Les demandes du chef du Gouvernement sont reçues avec réserve par les représentants des industriels. Lors de sa conférence, prononcée devant les personnalités de la Région économique de l’Est, en septembre 1942, Jean Bichelonne peut constater un certain scepticisme. Marcel Paul-Cavallier, président de la Région économique, bien que favorable à la « Relève », pour laquelle la Région de l’Est aurait fourni 9 000 ouvriers depuis juin (ce qui paraît exagéré), fait état des atouts d’une « contre-propagande très active ». Selon lui, celle-ci prétend que la Relève « constitue une frime et un trompe-l’œil (...) affirmation trop bien servie par le fait que les ouvriers ne sont généralement pas à même de constater d’une manière concrète le retour des prisonniers »62. Il suggère de faire disparaître l’anonymat des retours, afin de convaincre les partants de la réalité de la « Relève ». Mais le « couplage » entre l’ouvrier qui part et le prisonnier qui rentre est impossible, lui rétorque Jean Bichelonne, car les Allemands opèrent eux-mêmes le choix dans les stalags. Et, en fait, ils ne se montrent pas pressés de procéder aux retours, dont la proportion est incertaine par rapport aux départs (et très inférieure au tiers : mille prisonniers sont revenus contre 16 800 spécialistes partis). Marcel Paul-Cavallier propose, à défaut, de proportionner les retours aux départs, par département : une telle suggestion reflète le scepticisme qui accueille la « Relève », dans une région où le gouvernement se trouve

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pourtant bien relayé et où Jean Bichelonne est apprécié63. Les résultats apparaissent très éloignés des chiffres demandés par Sauckel, qui repousse l’échéance au 15 août : les départs mensuels oscillent, en moyenne, entre 7 et 8 000 d’avril à juillet. À cette date, il apparaît que le volontariat ne peut suffire.

• Les divergences gouvernementales   : Benoist-Méchin contre Laval.

64 Jacques Benoist-Méchin,De la défaite..., op. cit., t. 2, p. 125-126.

65 Ibid., p. 124.

66 Ibid.

34Dès le 18 juillet, Jacques Benoist-Méchin recommande, en vain, dans une note à Laval de désigner par priorité les affectés spéciaux et d’organiser une réquisition sur critère démographique : il suggère un « Service obligatoire du Travail », limité dans un premier temps aux classes 1941 et 194264. Selon lui, entre « la vindicte de leur personnel » et « les sanctions des Allemands », il est prévisible que les chefs d’entreprises préfèrent 1’« union sacrée » avec leurs ouvriers65. Le secrétaire d’État a d’ailleurs recommandé en juin des « commissions de peignage » choisies en dehors des usines, craignant que « la mauvaise volonté des inspecteurs du Travail se (sic) conjuguât à celle des patrons »66. Les commissions mixtes (un Allemand, deux Français, un ingénieur du SEPI, un inspecteur du Travail) combinent effectivement des résultats médiocres et des choix arbitraires. Les Allemands proposent, au début de septembre 1942, que Jacques Benoist-Méchin, jusque-là responsable du Service de la main-d’œuvre française en Allemagne, soit chargé de la « Relève » : la question est débattue au Conseil des ministres du 5 septembre, mais le secrétaire d’État décline la proposition, et s’achemine vers une démission, qui l’écarté définitivement du pouvoir.

67 Cf. E. Homze, Foreign..., op. cit., p. 182.

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35Pierre Laval a mené, pendant les dix mois qui suivent son retour au pouvoir, une politique incohérente, se refusant d’abord à la contrainte, pour y céder finalement. En effet, face aux résultats dérisoires, Sauckel revient à la charge en août 1942 et promulgue une ordonnance pour les pays occupés, astreignant hommes et femmes au travail obligatoire. Pour y échapper, Laval fait adopter une loi française (du 4 septembre 1942) engageant le gouvernement à soumettre au travail obligatoire les hommes de 18 à 50 ans et les femmes non mariées entre 21 et 35 ans. Dès lors, les départs, très faibles jusque-là — inférieurs à 70 000 — gonflent, mais à travers des incidents répétés67. Au total, à la fin de 1942, Sauckel a bien obtenu les 240 000 hommes demandés en mai (selon le Bulletin n° 14 rédigé en juin 1944 par Sauvy), ou un peu moins (si l’on se réfère aux chiffres de la Commission du Coût de l’Occupation, publiés après la guerre). L’«  invention » de la « Relève » n’a été qu’une manœuvre de retardement de six mois. L’opposition de Jacques Benoist-Méchin à la « Relève » repose sur la conviction de son inefficacité : d’emblée, il souhaitait rationaliser les transferts de main-d’œuvre par une politique de réquisitions sélectives, maîtrisées et dosées.

2. La main-d’œuvre française, enjeu entre Sauckel et le Majestic   : politique de «   concentration   » et accord sur les Poudres.

• Logique négrière contre exploitation sur place.36On connaît bien les termes du conflit Sauckel-Speer, qui ne se développe vraiment qu’à l’été 1943. Mais, un an auparavant, la France est déjà le théâtre de divergences, qui apparaissent entre les « actions » de Sauckel et la politique menée par la Wehrmacht, à Paris, sous l’autorité des services du Majestic. Le premier mène une politique fondée de manière irréductible sur  la logique négrière : la main-d’œuvre française

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ne peut bien travailler qu’en Allemagne. C’est l’avis de la plupart des dirigeants nazis et de Hitler lui-même (au moins jusqu’à l’été 1943). Les Autorités du Majestic, quant à elles, mènent déjà une politique d’exploitation de la main-d’œuvre sur place. Or, au cours de l’année 1942, les deux politiques coexistent, non sans contradiction. La poursuite des mesures de « concentration » et l’accord sur les Poudres illustrent cette coexistence contradictoire.

• La politique de «   concentration   », doublement contradictoire avec les «   actions   » de Sauckel.

68 Cf. supra, chapitre XVIII.

69 AN, F12 9966, d. « Concentration industrielle », s.-d. « Textiles », Lettre de Jean Bichelonne aux (...)

70 Idem, Lettre du général Michel, 20 août 1942, 2 p.

71 Cf. AN, F37 27, d. cité, compte rendu..., cité.

72 Cf. AN, F12 9966, d. « Concentration industrielle », sd. « Fermetures d’usines 1941-1946 ». (...)

73 Idem, Lettre citée (cf. note 3, page précédente).

74 AN, F12 10 030, d. « Rapports annuels des directions », Rapport du directeur du Bois, des Industri (...)

75 AN, F12 10 102, d. « 477. Méthodes allemandes d’Occupation », Fichier des autorités allemandes..., (...)

76 Idem, Fichier cité, article Matzke.

77 AN, F12 10 030, d. cité (cf. note 2), rapport du directeur des Mines pour 1943, 30 p.

78 AN, F12 10 102, d. cité, note de M. Bellier, DIME, 16519 - EG/2729, 5 mars 1945, 4 p.

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37On a vu que, depuis la loi du 17 décembre 1941, une lutte oppose le SEPI et le Majestic pour le contrôle de la politique de « concentration »68. Une ordonnance de l’Administration militaire allemande, en date du 25 février 1942, donne droit aux Feldkommandanturen locales de procéder aux fermetures d’usines, sans dédommagement, ni compensation69. Des négociations sont engagées par la Production industrielle pour suspendre cette ordonnance et conserver la maîtrise et les modalités de fermeture : le 18 juin 1942, la suspension est obtenue et les propositions des Feldkommandanturen seront transmises au SEPI, pour en discuter avec les Autorités d’Occupation. Et le 24 août 1942, un décret prévoit l’application du « plan d’aménagement de la production », par des fermetures provisoires d’usines, décidées sur arrêtés de la Production industrielle70. Mais les services français ont du mal à le faire respecter71. En fait, les services ont opposé une certaine inertie pour l’adoption des arrêtés de fermeture, qui ne commencent à être effectifs qu’en avril 1942, pour des entreprises textiles. Les propositions de fermeture par les CO donnent lieu à des discussions interminables, d’autant plus que le SEPI a prévu un système complexe d’indemnisation ou de travail à façon72. La fonction initiale de ces fermetures répondait aux nécessités d’économiser l’énergie et les matières premières. Mais leur effet permet d’atteindre, en outre, un double résultat. Tout d’abord, en « libérant » de la main-d’œuvre, ces mesures de concentration semblent converger avec les demandes de transfert d’ouvriers, pour l’Allemagne. Or, les propositions émanent des CO, qui ont eu tendance à freiner le mouvement. Les résultats ont été également tributaires du plus ou moins grand zèle des Referat allemands du Majestic selon les branches. Mais les objectifs de la « concentration »,tels que poursuivis par la Wehrmacht, sont apparus en contradiction avec ceux recherchés par Sauckel. Les industries visées par les arrêtés de fermeture étaient notamment les entreprises peu concentrées consommant trop d’énergie et de matières et n’intéressant pas l’effort de guerre, comme le signale la lettre du docteur Michel du 20 août 1942, en particulier toutes les industries

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« diverses », regroupées, seulement en janvier 1943, dans la Direction du Bois, des Industries diverses et des Transports industriels73. Dans le rapport de cette direction pour 1943, il est fait état de 1 365 demandes de fermetures présentées par l’Occupant, et de 223 effectivement exécutées, du fait du freinage des CO et de la direction74. L’intérêt des services de Sauckel se porte au contraire sur les grandes masses d’ouvriers qualifiés de la métallurgie et des industries mécaniques : or, elles se trouvent le plus souvent dans des établissements dont la consommation d’énergie n’est pas parmi la plus dispendieuse et, de ce fait, non visés par les arrêtés de fermeture. De surcroît, une partie de cette main-d’œuvre travaille déjà soit partiellement pour les commandes allemandes, soit directement pour les services de la Rüstung. Seconde contradiction entre politique de « concentration » et chasse à la main-d’œuvre : les arrêtés de fermeture, demandés par certains Referat du Majestic, sont destinés, non pas à obtenir une main-d’œuvre pour l’Allemagne, mais à exercer une pression pour faire accepter par les entreprises françaises des commandes allemandes. Ainsi, les Referat du Groupe des Chaux et Ciment ou Verre et Céramique se montrent particulièrement exigeants. Donath (de novembre 1940 à juin 1943), puis son successeur, le docteur Fischer, ont tenté de réaliser un plan de concentration des industries des briques et des tuiles : selon les commentaires des services de la Production industrielle après la Libération, leur souci était de n’avoir à contrôler que quelques usines importantes, à capacité maximale et travaillant pour les besoins allemands75. De même, Matzke, chef du service Glas und Keramik a tenté de faire signer aux représentants des usines de faïence des engagements de fournir 80 % de la production pour les besoins allemands, sous menace de mesures de concentration76. Le rapport annuel interne de la Direction des Mines pour 1943 confirme que le CO de la Céramique a eu « beaucoup à se défendre »77. Et le directeur des Industries mécaniques et électriques, Bellier, souligne, dans un rapport de 1945 sur les méthodes de l’Occupant, que les demandes allemandes de fermeture fournissaient le moyen d’exercer le chantage

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suivant : l’annulation de la décision par la prise de commandes allemandes78.

• Un bilan limité. 79 AN, F12 9966, d. « Concentration industrielle », s.-d. « Fermetures

d’usines 1941-1946 », note du (...)

38Les mesures de « concentration » ne répondent pas non plus à un véritable plan rationnel d’« assainissement » industriel, tel que le souhaite par ailleurs Jean Bichelonne, mais forment un instrument supplémentaire pour exploiter les capacités françaises, en fonction des besoins de l’Occupant. D’autre part, les critères retenus pour la fermeture pouvaient ne pas coïncider avec ceux d’une modernisation durable. Ainsi, certaines entreprises, bien que productives, pouvaient être fermées pour des raisons conjoncturelles de manque d’approvisionnements énergétiques (par exemple, dans l’Ouest normand). Et inversement, des unités peu rentables pouvaient rester ouvertes, du fait de la proximité de leurs approvisionnements. La crise des transports, de plus en plus aiguë après 1942, accentue ainsi les distorsions conjoncturelles. Au total, si le nombre d’établissements fermés en application de la loi du 17 décembre 1941 n’a pas été considérable, il dépasse largement 10 000. Une statistique du Secrétariat général à la Production indique le nombre de 14 171 fermetures au 31 août 1943, dont près d’un tiers pour la seule DIME. Un recensement effectué par cette direction (au 1er octobre 1943) donne une ventilation par CO, en pourcentage du nombre d’établissements et du chiffre d’affaire global. L’impact de ces décisions est difficile à mesurer, car il s’agit de surcroît de mesures transitoires. Les protestations certes abondent de la part de représentants des petites et moyennes entreprises, qui se jugent lésés, comme en témoignent celles de Léon Gingembre79.

• Un exemple de collaboration économique insolite   : les poudreries.

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80 AN, F12 9576, d. « CNIE - Omnium français des produits azotiques », Parquet de la Cour de justice (...)

81 AN, F37 34, d. « Poudres et explosifs », c.-r. des réunions du 5 mai 1942 au 4 juillet 1942 avec l(...)

82 Idem, c.-r. de la rencontre du 5 août 1942 à 20 h au Ritz.

83 Idem, c.-r. de la réunion au Majestic le 4 juillet 1942 à 12 h, de V/PF., 7 p. ;Idem, Lettre DSA (...)

84 Idem, c.-r. de la rencontre du 5 août, cité (cf. note 2) ; souligné par nous.

85 Idem, c.-r. cité.

86 Idem, protocole concernant la livraison de poudres à l’Allemagne, Paris, 8 août 1942, 2 p.

87 AN, F12 9576, d. « CNIE-OPA », rapport-affaire 680-OPA, signé R. Cahart, 28 avril 1948, 3 p.

88 Alan Milward, The New Order..., op. cit., p. 130.

39En décembre 1940, les Allemands demandent officiellement la remise en service des poudreries nationales. Après l’acceptation de principe du général Huntziger, en février 1941, trois poudreries de zone occupée (Angoulême, Saint-Médard, Blancpignon) sont officiellement désignées. La gestion en est confiée à une entreprise privée l’Omnium des Produits azotiques (OPA), officiellement constituée le 17 avril 1941 par sept sociétés. Un contrat est signé le 1er octobre 1941 avec la Koln Rottweill pour une remise en état des trois établissements et la livraison d’explosifs80. Peu après le retour de Laval, le 9 mai 1942, lors d’une réunion au Majestic, les Autorités militaires allemandes proposent deux plans de production portant sur les poudreries de la zone Sud, dont le produit serait en grande partie réservé à l’Allemagne. Le surlendemain, lors d’une rencontre avec la Staatsrat Schieber, à Moulins, Pierre Laval

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signe un protocole en acceptant le principe81. Schieber affirme, trois mois plus tard, que Laval a déclaré ne pas vouloir « réaliser une affaire ni demander de contreparties »82. Les négociations techniques se déroulent jusqu’au début août 1942. Les négociateurs français (Bichelonne, Barnaud, l’amiral Platon) réclament la livraison des matières premières nécessaires, une part des fabrications pour la France (15 % du total), la libération d’ouvriers prisonniers, et, à défaut de la restitution, l’autorisation de fabriquer du matériel de DCA pour protéger les usines83. L’ultime négociation se déroule dans la nuit du 5 août, au Ritz. L’accord se fait sur tous les points, sauf le dernier, les Allemands ayant accepté seulement le déstockage de trois batteries de 75 et onze batteries légères, et refusant des fabrications nouvelles. L’amiral Platon, en qualité de Secrétaire d’État à la présidence du Conseil, exprime le point de vue de Laval et justifie la demande de protection militaire : « Le programme de fabrication de poudres pour compte allemand ne constitue pas un marché entre les deux gouvernements, mais bien une contribution de la France à la victoire allemande. Il constitue en fait presque un acte d’alliance comportant des risques graves au point de vue bombardement »84. Le conseiller d’État Schieber, muni des pleins pouvoirs de la part de Hitler, signale que ce dernier « a refusé l’autorisation de mise en fabrication par la France des batteries demandées »85. On semble s’acheminer vers une rupture, mais, au même moment, Laval cède : le protocole est signé le 8 août86. La part française disparaît après novembre 1942. La participation française au Pulverplan, telle qu’elle ressort des chiffres du Commissaire du Gouvernement de la Commission nationale interprofessionnelle d’Épuration, apparaît faible. Au total, les livraisons depuis 1941 se montent à 41 586 tonnes de poudres, représentant une valeur peu inférieure à trois milliards de francs. D’après la Production industrielle, cela correspond à la consommation allemande pendant un seul mois : la production a été visiblement fort réduite, surtout à partir de 194387. Au delà de l’intérêt politique et militaire de l’événement, il convient de souligner que l’Administration militaire en France comme le ministère allemand de l’Armement acceptent, au moment où

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s’intensifie la première « action » Sauckel, des fabrications militaires en France même, et consentent à libérer pour cela 139 officiers et 364 ouvriers qualifiés des Poudres. Alan Milward y voit les premiers pas du ministère de Speer sur la voie d’une nouvelle approche, quant à l’exploitation des ressources françaises, ainsi que la manifestation du rapprochement tacite avec le Majestic à ce sujet88.

3. Les accords Speer-Bichelonne et leurs enjeux   : l’intégration de l’économie française par l’aval.

• Les seconde et troisième «   actions   » Sauckel   : l’efficacité décroissante.

89 Cf. Fred Kupferman,Laval..., op. cit., p. 403.

90 Cf. Alan Milward, The New Order..., op. cit., p. 124.

40À l’aube d’une « seconde action », le 2 janvier 1943, Sauckel exige 250 000 ouvriers, dont 150 000 spécialistes, avant le 15 mars. Laval et Bichelonne, acquis à l’idée d’une coopération économique avec l’Allemagne, tentent d’échapper à la brutalité des exigences de Sauckel, mais se résolvent à reprendre la proposition de Benoist-Méchin de juillet 1942 : la loi du 16 février 1943 institue le Service du Travail obligatoire pour les hommes nés entre le 1er janvier 1920 et le 31 janvier 1922 (ce qui représente 245 000 travailleurs potentiels). Des emplois exemptent du départ forcé : mines, chemins de fer, police, pompiers, prisons, eaux et forêts89. Après un nombre de départs élevé en mars 1943, du fait de la loi (plus de 120 000 : record de toute l’Occupation), les chiffres retombent ensuite en dessous de 20 000. Le 10 avril, Sauckel réclame 120 000 ouvriers pour mai et 100 000 pour juin. Sans résultat. Et le 6 août, lors d’une « troisième action », il exige 500 000 nouveaux travailleurs d’ici la fin de l’année. Laval se récrie, d’autant qu’il espère au même moment pouvoir compter sur la convergence d’approches entre Speer et Bichelonne. À partir de ce moment,

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les chiffres de départs deviennent très faibles90. Une dernière tentative, au début de 1944, ne peut redresser la situation.

91 Ibid., p. 147 et suiv.

92 Albert Speer, Au cœur du Troisième Reich, trad. fr. Paris, 1971, 816 p., p. 438.

93 Jacques Benoist-Méchin,De la défaite..., op. cit., t. 2, p. 127.

41On connaît bien l’opposition entre Fritz Sauckel, soutenu par les principaux dirigeants du Parti nazi, et Albert Speer, ministre de l’Armement depuis février 1942 et responsable du Plan. Elle grandit au cours de l’année 1943, sans être véritablement tranchée par Hitler, qui ne s’est jamais rallié de manière durable au point de vue du second91. Les archives allemandes signalent que les doutes du ministre de l’Armement quant à l’efficacité des actions Sauckel n’apparaissent vraiment qu’à l’été de 1943. Dans ses Mémoires, il évoque une première plainte auprès de Sauckel, en mai 194392. D’ailleurs, jusqu’à l’été, sa tâche a surtout consisté à réorganiser l’industrie allemande elle-même. Benoist-Méchin affirme néanmoins (en 1944) avoir rencontré Albert Speer, venu à Paris, à la fin de juillet 1942, assister à la clôture de l’exposition de son ami Arno Breker. Et,dès cette époque, le ministre allemand lui aurait confié : « Les projets de Sauckel ne sont pas raisonnables. Il est imprudent de concentrer toute la main d’œuvre européenne sur le territoire du Reich où elle servira de cible aux avions de la RAF. Avant la guerre, nous avons déconcentré notre industrie en la dispersant dans toutes les régions d’Allemagne. Aujourd’hui, il faudrait employer la même méthode, en la dispersant à travers tous les territoires que nous occupons (...). Les gens qu’il [Sauckel] va rassembler en Allemagne travailleront mal... »93.

94 Ibid, p. 117.

42Au cœur des débats entre Allemands sur le choix des lieux d’exploitation et de productivité optimales de la main-d’œuvre, les divergences françaises sont nécessairement secondes. Et

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l’opposition de Benoist-Méchin à la brutalité des exigences de Sauckel repose d’abord sur la conviction qu’elle compromet les bases d’une collaboration souhaitable : « Sous prétexte d’aider à vaincre l’URSS, on peut se demander si le gauleiter Sauckel n’était pas, à son insu, un des auxiliaires les plus précieux du communisme »94.

• L’exploitation rationnelle par la Répartition des produits finis.

95 Albert Speer, Au cœur..., op. cit., p. 440.

43Les convergences avec Albert Speer, que Benoist-Méchin n’a pas eu l’opportunité d’exploiter, à l’été 1942, Jean Bichelonne peut en tirer profit, un an plus tard. On connaît la version de Speer sur la rencontre des deux ministres à Berlin, le 17 septembre 1943, et leur communion dans l’organisation d’une Europe technicienne, sous domination allemande95. On a surtout retenu de leur accord, scellé par une poignée de main, la conclusion d’une alliance contre les « actions » de Sauckel et la garantie de véritables sanctuaires pour la main-d’œuvre française, grâce au classement d’entreprises protégées, dites « S » ou « Sperr-Betriebe » (source d’un jeu de mot facile sur les « Speer-Betriebe »), qui ne sont, en fait, que le prolongement des entreprises classées RU (Rüstung) et préservées, dès 1942, de la première « action Sauckel ». Bénéficiant aussi de priorités et de facilités d’approvisionnements et de transports, ces entreprises constituent un véritable domaine privilégié dans l’économie française, affaiblie par la pénurie, l’absence de renouvellement, l’épuisement des stocks et les bombardements. Il est vrai que les accords Speer-Bichelonne constituent pour Pierre Laval un point d’appui, face aux exigences de Sauckel. Mais — aspect peu souligné — ils se conjuguent à une modification antérieure, au moins aussi importante, de l’appareil dirigiste industriel français. Les accords Speer-Bichelonne se situent dans la continuité de la politique des services du Majestic, qui souhaitent, dès 1942, intensifier les commandes allemandes passées à l’industrie française et multiplier en conséquence les

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fermetures ou les interdictions d’emplois, afin de réserver aux entreprises classées les matières premières, devenues de plus en plus rares. Dans cette perspective d’une intensification de l’exploitation des capacités industrielles françaises, les actions de Sauckel apparaissent comme des éléments perturbateurs. Au printemps de 1943, les Autorités militaires allemandes et l’Office central de Planification à Berlin, après les médiocres résultats de la politique de « concentration », veulent renforcer les pouvoirs des services de Répartition, qu’ils contrôlent étroitement, et limiter ceux des CO (dont les obstructions ont été nombreuses, notamment pour les mesures de « concentration »). De plus, dans le souci de mieux harmoniser organisation française et allemande, ils veulent imposer la création d’un Répartiteur des Produits finis, sur le modèle des Lenkungsbereiche : ainsi, serait accrue leur faculté d’interdire la réalisation de nombreux produits, en dehors des « programmes de fabrication » définis par le Répartiteur.L’industrie française se trouverait ainsi dirigée par l’aval et, de ce fait, orientée de manière plus rationnelle vers les besoins de la Wehrmacht.

96 AN, F12 10157, d. « 221-Répartition », exposé fait par J.-M. Richard, à la réunion des présidents (...)

97 Idem, arrêté du 17 juin 1943.

98 Idem.

44Des discussions serrées sont menées par les services de Jean Bichelonne et débouchent sur la publication, en date du 17 juin 1943, d’un arrêté « pris à la suite de tractations délicates avec les autorités occupantes »96. Il est précisé, dans l’article 1er, que le « Répartiteur ayant la charge d’un produit fini » « a... compétence en même temps que les Répartiteurs de matières premières et dans les conditions définies par le secrétaire à la Répartition (...) pour régler l’affectation de ces matières (...) à la fabrication dudit produit fini »97. Et l’article 2 prévoit, « dans le cas où l’intérêt public et la situation des ressources en matières premières l’exigent », que le Répartiteur des Produits finis peut interdire la production de ceux « déterminés par le Ministre

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Secrétaire d’État à la Production industrielle »98. Jean Bichelonne, qui demeure secrétaire à la Répartition, se réserve, en dernier ressort, la possibilité de définir les programmes à autoriser et les produits à interdire. Mais les moyens d’intervention des Autorités d’Occupation sont- désormais grandement facilités, grâce à leur emprise sur l’OCRPI, pour canaliser les matières premières, en fonction des produits finis dont elles souhaitent ou non maintenir la fabrication.

Figure 11 - LA RÉORGANISATION DE LA RÉPARTITION L’INTÉGRATION PAR L’AVAL (printemps 1943)

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(Source : AN, F12 10157, d. cité, cf. note 1, supra, page précédente.)

• La mise en «   programmes   » de la production française.

99 Idem, d. cité, exposé fait par J.-M. Richard..., cité.

45Les nouvelles structures sont mises en place, dès le printemps de 1943. Un arrêté du 20 avril 1943 crée une nouvelle section de l’OCRPI : la « Section des Produits finis et des Matières diverses », placée sous l’autorité de Jean-Marie Richard. Un arrêté du 2 août en fixe les compétences : la section a en charge surtout les produits mécaniques et électriques ; d’autres sections, déjà existantes (Cuir, Textiles, Chimie, Bois, Papier-Carton), intègrent à leur activité la répartition des produits finis de leur domaine d’application. Une

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circulaire du 7 septembre 1943, issue du Secrétariat de la Répartition et négociée avec l’Occupant, définit l’instrument d’intervention privilégié du Répartiteur de Produits finis : le « programme de fabrication ». L’idée directrice des responsables du Majestic et du ministère de Speer était double : d’abord, traduire la production française en « programmes de fabrication » de produits finis. Le contrôle sur la répartition par l’OCRPI des matières premières leur est apparu insuffisant pour exploiter de manière plus intensive la production française. Ensuite, centraliser ces « programmes de fabrications » entre les mains d’un Répartiteur de Produits finis de l’OCRPI, qu’ils pourront contrôler plus aisément. La circulaire du 7 septembre 1943 fait du Répartiteur du produit fini la « plaque tournante » entre le CO, la Direction du MPI, le ou les Répartiteurs des matières premières et le Délégué technique des Autorités d’Occupation. Il se situe à l’amont et à l’aval du processus d’élaboration du « programme de fabrication »99 (voir grapique page suivante).

100 Idem.

46Le Répartiteur du Produit fini promulgue une « Décision de Réglementation générale de Fabrication », déterminant les autorisations et les interdictions d’objets à fabriquer, ainsi qu’une ou plusieurs « décision(s) de programme particulier », d’où découlent des « ordres de fabrications » — véritable « cheville ouvrière » du programme — assortis d’« Agréments- matières » : seule cette pièce officielle autorise les industriels à fabriquer le produit désigné et les habilite à obtenir les titres de répartition nécessaires100. L’objectif consiste donc à renforcer le dirigisme par les quantités, en l’appliquant à tous les produits finis en aval, le Répartiteur ayant désormais un pouvoir absolu de faire bénéficier des matières premières les « programmes de fabrication » jugés utiles, et d’interdire les produits considérés comme superflus. Une telle machinerie impliquait de traduire en « programmes de fabrication » impératifs toute la production des branches industrielles françaises, tâche monstrueuse et d’autant plus titanesque

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qu’elle intervient à un moment où la pénurie s’aggrave, où les transports apparaissent de plus en plus défaillants.

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• La tripartition de l’économie française et l’intégration dans la Division allemande du Travail.47Ces structures nouvelles sont mises en place simultanément à la conclusion des accords Speer-Bichelonne. La nouvelle Section des Produits finis est confiée à Jean-Marie Richard, nommé également par Jean Bichelonne, le 4 octobre 1943, Répartiteur général adjoint du Secrétariat à la Répartition et exerçant, à ce titre, la direction technique de l’OCRPI. Il dirige le Service des Programmes de Fabrication et de Coordination : c’est le principal collaborateur du ministre, chargé de mettre en œuvre la politique des « programmes ». Il s’entoure, au Service de Coordination de la Section Centrale, de Raymond Dreux, Laguerre et Aubry. Les accords Speer-Bichelonne confortent l’organisation nouvelle, bâtie avec le Majestic, mais en l’infléchissant dans le sens de la nouvelle Division allemande du Travail,pronée depuis l’été 1943 par le puissant ministre de l’Armement. Speer a fait admettre l’idée de réserver à l’industrie allemande les productions liées à l’armement et de disperser, notamment en France, principal pays occupé, les fabrications destinées à la population civile allemande. Les chances de survie et d’approvisionnement de l’industrie

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française se trouvent désormais largement tributaires de cette fonction de pourvoyeuse de biens de consommation au marché allemand, dans l’espace européen ainsi rationnellement divisé.

101 Idem ; souligné par nous.

102 Idem.

103 Idem ; souligné par nous.

48Ainsi,  les nouvelles structures dirigistes mises en place sous la pression du Majestic se trouvent insérées dans le vaste plan de mobilisation européenne de Speer, accepté par Bichelonne. Chargé de présenter, en janvier 1944, le nouveau système des « programmes de fabrication » à la réunion des présidents et directeurs de CO, Jean-Marie Richard en retrace les origines et les enjeux. Outre les « nécessités techniques », provenant de l’aggravation de la pénurie, il y voit aussi le résultat d’une « opportunité politique » : « On a été amené à rechercher des moyens de produire en France, avec notre équipement industriel et nos ouvriers protégés sur place, des produits pour les besoins civils allemands. Or qui dit commandes allemandes et entreprises « S », dit obligatoirement programme »101. L’insertion dans l’économie européenne, définie par Albert Speer, signifie  la constitution en France d’une économie tripartite :une partie destinée aux besoins allemands, une partie pour les besoins intérieurs prioritaires, et le reste laissé à la disposition plus ou moins « libre » des entreprises. Ces trois secteurs revêtent, pour les Autorités d’Occupation, une importance décroissante. Selon J.-M. Richard, l’ensemble bénéficie « de la protection négociée et largement obtenue »102. L’élaboration de «programmes de fabrication» doit permettre d’» y voir clair » et de « pouvoir autant que possible étaler la protection sur toutes les entreprises participant aux diverses tranches de l’œuvre (...) Chaque programme a valeur de protection et de préservation d’une parcelle du potentiel économique et social du pays, en assurant un secteur de travail (...) pour l’équipement et les ouvriers français, sur le territoire français »103. Mais, suivant

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une ambivalence fréquemment constatée à Vichy depuis 1940, l’organisation qui a valeur de « protection » et « préservation » conjoncturelles doit également fournir l’instrument d’améliorations durables pour l’avenir.

• Vichy et la conversion de la dépendance présente en relèvement futur.

104 Idem ; souligné par nous.

105 Idem ; souligné par nous.

106 Idem ; souligné par nous.

49Selon une tendance déjà analysée, les responsables de la Production industrielle, à commencer par Jean Bichelonne, veulent convertir les contraintes issues de l’Occupation en occasions de relever, de manière durable et « rationnelle », l’économie française. L’insertion présente et délibérée dans la Division allemande du Travail doit apporter les éléments de rénovation économique future des structures de la production française : la mise en « programmes » est destinée à jouer un double rôle. Ainsi, la direction technique de l’OCRPI, selon J.-M. Richard, dans la mesure où elle doit coordonner tous les « programmes de fabrication »,... « doit donc fournir la seule clé possible, rationnellement et pratiquement, de tout « Plan » d’ensemble. Ceci d’ailleurs (...) aura une valeur aussi longtemps qu’une orientation par la matière, seule forme de dirigisme qui soit essentiellement plus durable que celle détournée de ses buts par les conditions actuelles, restera à la fois un postulat nécessaire et un moyen sain de réalisation du redressement de l’économie de production et de consommation dans un pays diminué, sinon abattu »104. De même, le « programme de fabrication » fournit « le moyen de passer d’une procédure négative, génératrice d’asphyxie, à une procédure positive qui psychologiquement et matériellement comporte de véritables avantages (...). Le programme est, d’une part, aujourd’hui en défense, demain en reprise, un moyen d’amélioration et de rationalisation, dans le domaine de

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la technique, de l’économie et des disponibilités, relativement aux fabrications »105. D’après le Répartiteur des Produits finis, il ne faut pas se laisser inquiéter par 1’« anachronisme » entre la définition des programmes et les circonstances, marquées par la pénurie d’énergie, de transports et de matières. Il est nécessaire de « continuer l’édifice » autour de l’élaboration des programmes, qui sont à la fois « un élément de défense du secteur prioritaire » et de « préparation pour des reprises qui ne doivent pas (nous) prendre au dépourvu » ; l’œuvre entreprise est positive « tant sur le plan d’une amélioration industrielle durable que sur celui d’une protection contemporaine »106.

107 Idem.

50J.-M. Richard n’hésite pas même à recourir à un certain lyrisme pour tracer, auprès des dirigeants des CO, l’avenir de l’organisation en cours : « Nous avons (...) fait naître par le concours des circonstances et de la logique des faits qui entourent l’idée de « Plan » un enfant dont je vous ai défini les origines et dépeint la figure. Nous vous le confions aujourd’hui pour que vous considériez de près et en profondeur sa formation, son éducation. Pour le pays, pour son économie, pour son industrie, pour ses travailleurs, il vaut la peine qu’on le soigne »107. Pour Jean Bichelonne et ses principaux collaborateurs, l’intérêt bien compris de l’économie française vaut de pousser l’expérience jusqu’au bout.

4. L’application des accords   : freinages et anachronisme.51L’application des principes énoncés connaît une double source d’obstacles : d’une part, les difficultés issues de la pénurie, du poids croissant de la part allemande, des bombardements et de la désorganisation occasionnée par les actions de la Résistance. D’autre part, le freinage interne opposé par certains services de la Production industrielle.

• L’articulation Répartition-Planification. 108 Cf. R.-F. Kuisel, Le capitalisme..., op. cit., p. 263.

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52Tout d’abord, il a fallu plusieurs mois pour organiser la Direction des Services techniques de l’OCRPI, hiérarchiquement subordonnée au Répartiteur général, comprenant l’ancien Service de la Coordination de la Répartition (où sont réunis le Service de Coordination des Programmes, sous l’autorité de J.-M. Richard, et le Service de Coordination des Méthodes) baptisé « Service d’Études industrielles ». On sait que, dans le même temps, Jean Bichelonne confie à Gérard Bardet la direction d’un Conseil supérieur de l’Économie industrielle et commerciale (CSEIC) et que la DGEN poursuit des études de planification, qui débouchent en 1944, sous l’autorité de Frédéric Surleau, sur la tranche de démarrage108. Mais ces organismes, tout en affirmant des principes antimalthusiens et dressant des projets d’équipement, dont les planificateurs d’après guerre ne pourront pas ne pas tenir compte, se trouvent largement déconnectésde la direction de l’économie par la répartition qui, elle, engage l’avenir de manière plus précise.

• Les réticences des directions (avril 1944).

109 AN, F12 10157, d. « Répartition 221 », s.-d. « Programmes de fabrication », note du secrétaire à l (...)

110 Idem, note du directeur des textiles et des cuirs, n° 1063, TEX A/36, 5 avril 1944, 3 p.

111 Idem, Programmes de fabrication de la section des cuirs et pelleteries du 1eravril au 30 septembr (...)

53En réponse à une note du 16 mars 1944 de J.-M. Richard sur l’élaboration de « programmes », les différents directeurs du MPI réagissent plutôt de manière négative en avril 1944109. Le directeur des Textiles et des Cuirs est l’un des rares qui puisse faire état de l’existence de « programmes », notamment pour les textiles110. Cela résulte d’une double caractéristique. D’une part, la grande concentration de pouvoirs attribués au Répartiteur de la Section Textile ou à celui du Cuir et Pelleteries, qui sont également directeurs généraux des CO des

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industries textiles et du cuir et répartissent à la fois la matière première et le produit fini. D’autre part, le fait que, dès 1941, ces deux branches aient été intégrées dans l’économie européenne, en particulier les textiles, à travers les Plans Gruber ou Kehrl, ce dernier étant devenu d’ailleurs, depuis cette date, le principal collaborateur d’Albert Speer à la tête de l’Office central de Planification. On trouve, dans les archives du Secrétariat à la Répartition, une liste détaillée de « programmes de fabrication » émanant de la Section des Cuirs et Pelleteries, et portant sur des pantoufles, bottes, galoches, sabots (parmi lesquels viennent d’abord les chiffres de production destinée aux Allemands), ainsi que des programmes pour la ganterie, maroquinerie, bourrelerie...111. Autrement dit, dans ce cas,  la rationalisation — relative, compte tenu des détournements clandestins de matières, qui échappent à la Répartition — de la production a permis d’intensifier les prélèvements allemands.

112 Idem, note du directeur des Industries aéronautiques DIA/I n° 3107, 29 mars 1944, 1 p.

113 Idem, note du directeur des Mines, 848, 1eravril 1944, 1 p.

114 Idem, note pour le secrétaire-général à la Production industrielle du directeur des Industries chi(...)

115 Idem, note du directeur de l’Électricité (par intérim), 128-d, 4 avril 1944, 1 p.

116 Idem, note citée.

117 Idem, note du directeur du Bois, des Industries diverses et des Transports industriels, n° 277, 4 (...)

118 Idem, note citée.

119 AN, F12 10030, d. « Rapports annuels des directions », rapport du directeur du Bois, des Industrie (...)

120 Idem, rapport cité ; souligné par nous.

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121 AN, F12 10 157, d. cité note signée Bellier, DG 13453, 3 avril 1944, 5 p.

122 Idem, souligné par nous.

54Pour certaines directions, la programmation apparaît sans objet. C’est le cas, par exemple, du directeur des Industries aéronautiques, qui n’en voit pas 1’« intérêt immédiat », puisque « l’ensemble des établissements industriels qui lui ressortissent travaille actuellement pour des commandes extérieures, dont le programme est établi par les seuls services allemands »112. De même, pour les directions qui contrôlent surtout des industries de matières premières, comme les Mines113. Les autres directeurs manifestent de profondes réticences. Le directeur des Industries chimiques signale que seule l’industrie du verre a fait l’objet de décisions de « programmes ». Il précise que des « difficultés de tous ordres » (transports, réquisitions, destructions) « empêchent l’exécution même approximative » des programmes. Il ajoute que, selon lui, c’est « un paradoxe de perdre son temps et du crédit à établir des programmes dont on sait manifestement qu’ils ne pourront pas être tenus »114. Le directeur de l’Électricité se plaint de l’emprise croissante des services de Répartition (une Section de Répartition de l’Électricité a été créée, sous pression allemande, depuis l’été 1943), alors que la Direction « qui préside aux destinées de l’industrie électrique depuis plus de trente ans », veille au programme quotidien (par le biais du Bureau central de l’Exploitation et de la Coordination) et au programme d’avenir : « Appliquer les directives de M. Richard revient à donner à la Section de l’Électricité le pas sur la Direction (...). Tout en effet est conditionné dans un service public par la nécessité de réaliser les programmes. J’ai toujours protesté contre la possibilité de séparer la répartition de la Direction. En passant outre à nos protestations, M. le Ministre m’avait cependant toujours assuré que le Directeur de l’Électricité resterait en dernier ressort le Chef du Service public dont il a la responsabilité (...). Le répartiteur est le chef d’État-Major et le Directeur est le général dans la bataille de l’Électricité »115. Le directeur considère comme impossible que la Direction de

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l’Électricité « démissionne, ne fût-ce que quelques années, devant l’hypertrophie passagère de la Répartition »116. Le directeur du Bois et des Industries diverses redoute « les progrès dangereux de l’étatisme au détriment d’une saine organisation professionnelle de l’Économie »117. La possibilité pour le Répartiteur de donner des directives directement aux entreprises « ne peut prévaloir contre la nécessité reconnue d’organiser l’économie par l’intermédiaire et avec le concours entier des professions elles-mêmes »118. Devant les réticences des CO et de la Direction il a d’ailleurs fallu, sous pression allemande, créer une branche des industries du Bois à l’OCRPI, en février 1944. Le directeur, dans son rapport pour 1943, souligne d’ailleurs « l’antinomie manifeste entre les besoins immédiats (...) et le souci de maintenir dans l’avenir la qualité de notre production ». Il signale le fait que de nombreux articles mis en « programmes » sont des produits de remplacement ou de mauvaise qualité, fabriqués avec une matière première médiocre119. Il ajoute que le « recours systématique à la politique des programmes » entraîne « la disparition de l’esprit commercial qu’implique presque nécessairement une surveillance étatique poussée jusqu’au détail technique d’exécution »120. Le directeur des Industries mécaniques et électriques, Bellier, formule les critiques les plus vives. Il signale l’établissement de programmes pour certains produits finis, « selon une liste dont la contexture apparaît disparate, n’ayant aucun lien avec l’activité globale des branches d’industries ». Il cite aussi bien des « programmes » pour les briquets, bicyclettes, règles à calcul, réveille-matin, etc. qui ne rentrent pas dans le cadre de la répartition des matières premières. Il conclut en défendant le statu quo : « On peut donc prédire (...) que la méthode actuelle, si elle était poursuivie, aboutirait, sinon à un blocage total de la répartition, du moins à des difficultés graves, et, en dernier ressort, à une désorganisation des secteurs de production qui, à ce moment-là, n’auraient pas été programmés (...). Les programmes de fabrication de produits finis doivent être subordonnés aux programmes de répartition des matières premières principales, et être placés dans le cadre de ces programmes, qui assurent, actuellement,

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la régulation indispensable de l’activité des différentes branches de production »121. Il annonce : « ...Dans les conditions actuelles de répartition des matières premières, il ne faut pas attendre, sauf en cas de contrôle strict, une grande efficacité des programmes de produits finis (...) Il y a lieu de craindre (...) un échec à peu près complet du système toutes les fois que la demande des objets est très supérieure à l’offre (...). L’échec se généralisera au fur et à mesure de l’extension des programmes... »122.

• Un compromis   : les deux niveaux de «   programmes   ».

123 Idem, lettre de Jarillot au secrétariat à la répartition, SGP, n° 1473, 14 avril 1944, 1 p.

124 Idem, exposé de J.-M. Richard sur les programmes de fabrication, direction générale de l’OCRPI (en (...)

55Face à la résistance des directions, Jarillot, secrétaire général à la Production industrielle, propose à J.-M. Richard de s’en tenir à des « programmes de devis-matière », et non des «programmes exclusifs »123. Lors d’une réunion avec le docteur Weniger, « champion de la doctrine de l’Autorité occupante en la matière », J.-M. Richard fait admettre l’idée de deux niveaux de programmes. D’abord des « programmes exclusifs » (ou « de répartition »), définissant avec précision les produits fabriqués, où l’intervention du Répartiteur des Produits finis est contraignante et aboutit à une interdiction des fabrications en dehors des « ordres de fabrication » attribués. Ces « décisions de programme » sont publiées au JO et soumises au Majestic. Mais il est prévu un second niveau, moins contraignant : des « programmes-devis-matières » (ou « programmes de direction »), fixant les quantités de matières allouées sans préciser le caractère et le nombre de produits à fabriquer. Ces programmes relèvent des CO, en accord avec les directions du MPI, sans dépendre du Répartiteur, ni être publiés au JO (et donc, non soumis au Majestic). En privilégiant ce second

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niveau, la centralisation, et donc l’intégration à la machine allemande, pouvait être davantage freinée124.

• Tripartition et exploitation renforcée.56Le système se met en place en mai-juin 1944, au moment où l’économie est complètement désorganisée. Le premier état de conjoncture, élaboré par la Direction des Services techniques de l’OCRPI, le 30 juin 1944, donne des indications assez complètes. À cette date,  la tripartition de l’économie française (entre les commandes allemandes, le secteur dirigé pour les besoins vitaux, le secteur « libre ») est bien engagée. La ventilation par produits de Répartition est la suivante :

Situation au 15 juin 1944 (En %)

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Source : AN, F12 10157, (note de la direction des Services techniques de l’OCRPI, signée Raymond Dreux : « Vues sur l’industrie française n° 1 », situation au 15 juin 1944, 30 juin 1944, 19 p.).

125 Cf. Alan Milward, The New Order..., op. cit., p. 132-133.

126 AN, F12 10102, d. « 477 c - Méthodes allemandes d’occupation », s.-d. « Occupation allemande - M. (...)

57Cette répartition de l’activité souligne le poids croissant de la production pour compte allemand. De ce point de vue, la politique d’exploitation rationnelle, amorcée par le Majestic et systématisée par Speer malgré les actions de Sauckel, a été

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relativement efficace, au point que, en 1943, environ quarante pour cent de la production française sont destinés aux besoins allemands. Et les pourcentages, cités par Alan Milward, marquent une nette progression de 1942 à 1943125.De plus, dans le cas de certains accords généraux, tels les plans franco-allemands pour le textile (Plans Kehrl), il est prévu l’exécution prioritaire des fabrications pour compte allemand, les retards — qui atteignent presqu’un an en juillet 1944 — se portant principalement sur les secteurs français. Les besoins reconnus à la population française vont s’amenuisant, alors que la part allemande va croissant, à la suite des destructions en Allemagne par les bombardements aériens126. Et les « contrats » signés à partir de 1943 le sont dans des conditions encore beaucoup plus rigoureuses pour les négociateurs français.

58Parallèlement, dans la production, on compte, au 31 mai 1944, 13 002 entreprises « S » (sans compter les 350 entreprises « S » du Nord-Pas-de-Calais), ainsi ventilées par directions du MPI :

Entreprises protégées (« S ») au 31 mai 1944 (types « SI » et « S2 ») Ventilation par direction

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Source : AN, F12 10157, d. et s.-d. cités, note citée.

59C’est dans les industries mécaniques et électriques — où l’on trouve presque quarante pour cent des entreprises « S » — qu’il devait y avoir le plus grand nombre de « programmes de fabrication ».

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• Désorganisation et anachronisme. 127 Idem, liste des programmes de fabrication dressée par CO remis par

l’OCRPI à la fin mai (1944). La (...)

60Mais, au 15 juin 1944, l’OCRPI ne recense qu’une soixantaine de « programmes impératifs » (émanant pour la plupart de la Section des Métaux ferreux, des Produits finis et divers) visés depuis le début de l’année, ainsi qu’une vingtaine de programmes en instance d’approbation et une cinquantaine (émanant de la même section) encore à l’étude127. La « mise en programme » apparaît alors surtout limitée à la Section confiée à J.-M. Richard qui, à partir du printemps 1944, a adjoint les métaux ferreux aux produits finis et apparaît en tête de l’organigramme de l’OCRPI. Le 1eraoût 1944 — soit trois semaines avant la Libération de Paris ! — Jean Bichelonne fait modifier ainsi la codification des Sections de Répartition, consacrant la suprématie des Produits finis, confirmant l’existence de la Section de l’Électricité, malgré les protestations de la Direction, et adjoignant une Section de Récupération.

Codification des sections de répartition (1er août 1944)

Agrandir Original (jpeg, 79k)

Source : AN, F12 10157, d. « circulaire du secrétariat à la répartition de la production industrielle, codification des sections de répartition, 1er août 1944, 1 p.

128 Idem, note citée.

61Alors que les blindés américains roulent vers la capitale, l’État-Major du ministre de la Production industrielle parachève l’appareil de direction, destiné à insérer l’industrie française dans l’Europe allemande ! Mais l’asphyxie de l’économie due,

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en particulier, à la « désarticulation » du réseau SNCF (21,7 % en moyenne des wagons chargés en mai 1944 par rapport à mai 1938), ainsi qu’aux restrictions de gaz et d’électricité, à la pénurie de charbon et aux « troubles sociaux » rendent impossible l’exécution des programmes. En outre, les entreprises pour compte allemand bénéficient de nombreuses dérogations par les Autorités d’Occupation, notamment pour l’électricité. Pour les carburants, le Groupe Mineralöl dépossède, en juillet, la Section du Pétrole de la Répartition des carburants liquides. Raymond Dreux, directeur des Services techniques de l’OCRPI note, le 30 juin 1944 : « Dans ces conditions, la Répartition, que l’on a appelé (sic), pendant la période vécue depuis l’Armistice, l’Administration de la pénurie, se trouve peu à peu empêchée de jouer le rôle qui lui est propre (...) par l’impossibilité où elle se trouve de mettre effectivement à la disposition des bénéficiaires les matières allouées »128.

***

CONCLUSION DU CHAPITRE XX 129 AN, F12 10102, d. « 477 c - Méthodes allemandes d’occupation », s.-

d. cité, note de Bellier, DIME (...)

62Ainsi,  la désorganisation issue des combats liés au débarquement et à la Libération du territoire a empêché la réalisation de l’organisation conçue lors des accords Speer-Bichelonne. Comme le note Bellier, en mars 1945, la méthode de direction de l’économie française par les Autorités d’Occupation, à travers la Répartition des Produits finis, « ... d’une efficacité certaine, commençait seulement à être mise en pratique en 1944 »129. Les Autorités militaires allemandes et l’Office Central de Planification étaient en voie de resserrer leur contrôle sur la production française, à travers une intégration par l’aval, à laquelle Jean Bichelonne, par zèle dirigiste et fascination pour l’organisation « rationnelle », a contribué jusqu’à la fin, poussant ainsi au bout le syndrome du « pont de la Rivière Kwaï ». Mais plusieurs des directions du MPI et des CO ont exercé un rôle de frein à l’égard de cette intégration, à l’exception des CO comme ceux des

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Textiles ou du Cuir, qui ont manifesté une attitude pionnière, allant, dès 1941, dans ce sens.

63À partir du printemps 1942 et l’élévation des exigences de l’Occupant, confronté désormais à une guerre totale, la direction de l’économie et des finances françaises se trouve soumise à une double situation contradictoire : le renforcement nécessaire du dirigisme pour faire face à ces exigences, et l’affaiblissement de l’État français, doublé de l’aggravation brutale des divers prélèvements allemands, qui compromettent et menacent le fonctionnement même de l’appareil financier et économique de l’État.

64Bien que l’heure ne soit plus à la « collaboration constructive », certains experts comme Bichelonne, couverts en amont par les choix décisifs de Pierre Laval, tentent de bâtir, non sans anachronisme, les structures dirigistes aptes à la fois, selon une ambivalence liée au régime de Vichy dès l’origine, à  intégrer l’économie française dans la division allemande du travail et à  la rénover pour le temps de paix. L’ampleur et l’inopportunité même de l’entreprise, l’évolution du conflit et les résistances rencontrées dans l’Administration ont ainsi empêché la constitution de l’appareil dirigiste destiné à intégrer l’économie française par l’aval. Cependant, vont demeurer, au-delà de l’été 1944, des structures et des pratiquesdisponibles pour d’autres fins.

NOTES

1 Cf. Burton H. Klein, Germany’s Economic Preparation for War, Cambridge (Massachussets), 1959 et Alan Milward, The New Order..., op. cit.

2 Cf. Burton H. Klein, Germany’s Economic Preparation for War, Cambridge (Massachussets), 1959 et Alan Milward, The New Order..., op. cit.

3 Cf. Jacques Benoist-Mechin, De la défaite..., op. cit., t. 2, chapitre VII, p. 84-115.

4 Cf. Robert Aron, Histoire..., op. cit., p. 476.

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5 AN. F37 31, d. « charbon (questions générales) », c.-r. de la réunion au Majestic du 18 mars 1942, DGREFA 4922, 24 mars 1942, 3 p.

6 Laval parle..., op. cit., p. 95 ; confirmé par Pierre Cathala, Face aux réalités. La direction des finances françaises sous l’Occupation, Paris, 1948, 305 p. Sur Pierre Laval, cf. H. Cole, Pierre Laval, Paris, 1964 ; G. Warner, Pierre Laval and the Eclipse of France, Londres, 1968 et récemment, Fred Kupferman, Laval, op. cit.

7 Jacques Benoist-Mechin, De la défaite..., op. cit., t. 2, p. 43.

8 Cf. Louis Noguères, Le véritable procès du maréchal Pétain, Paris, 1955, p. 39 et suiv.

9 Cf. Otto Abetz, Pétain et les Allemands, Paris, 1948, p. 158 ; Fred Kupferman,Laval.., op. cit., ch. 11 « Le syndic de la faillite », p. 323 et suiv.

10 Jacques de Fouchier, Le goût..., op. cit., t. 2, p. 133.

11 Cf. Jacques Benoist-Mechin, De la défaite..., op. cit., t. 2, p. 119.

12 Les archives ne fournissent plus de comptes rendus importants après cette date.

13 Cf. Alan Milward, The New Order..., op. cit., ch. V « The Level of Exploitation increased », p. 110-146.

14 Jacques Benoist-Mechin, De la défaite..., op. cit., t. 2, p. 101.

15 Ibid., t. 1, p. 351 et suiv.

16 Ibid., t. 2, p. 133 ; souligné par nous.

17 Ibid., t. 2, p. 132-133 ; souligné dans le texte.

18 Charles Rist, Une saison gâtée. Journal de la Guerre et de l’Occupation 1939-1945, établi, présenté et annoté par Jean-Noël Jeanneney, Paris, 1983, p. 277.

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19 Cf. Alfred Sauvy, La vie économique des Français de 1939 à 1945, Paris, 1978, p. 177 et du même De Paul Reynaud..., op. cit., p. 134.

20 Jacques de Fouchier, Le goût..., op. cit., p. 130.

21 Cf.  Ibid., p. 130 et suiv. ; cf. François Bloch-Lainé, Profession fonctionnaire,Paris, 1976.

22 Ibid., p. 123.

23 Ibid., p. 131.

24 Ibid., p. 131.

25 Source : Pierre Cathala, « Le fonctionnement du circuit monétaire », note écrite à la fin de 1944 et reproduite in Face aux réalités..., op. cit., p. 151-159, annexe II.

26 Ibid., p. 43 ; cf. supra, chapitre XVII.

27 Cf. supra, chapitre I.

28 Pierre Cathala, Face aux réalités..., op. cit., p. 153 (annexe II).

29 Ibid., p. 146.

30 Cf. supra, chapitre I.

31 Ibid., p. 154.

32 Ibid., p. 147.

33 Cf. supra, chapitre XVII.

34 Pierre Cathala, Face aux réalités..., op. cit., p. 41.

35 Ibid., p. 208-209.

36 Ibid., annexe V, p. 191. Note remise le 17 décembre 1942 par le ministre des Finances au chef du gouvernement pour répondre aux exigences allemandes tendant à la majoration des frais d’occupation.

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37 Fred Kupferman, Laval, op. cit., p. 385.

38 Pierre Cathala, Face aux réalités..., op. cit., p. 69.

39 Jacques de Fouchier, Le goût..., op. cit., p. 132.

40 Cité in Pierre Cathala, Face aux réalités..., op. cit., p. 194 ; souligné par nous.

41 Ibid., annexe VI, p. 212.

42 Ibid., p. 211.

43 Ibid., annexe II, p. 159 ; souligné par nous.

44 Cf. supra, chapitre I.

45 Source : Pierre Cathala, Face..., op. cit., p. 235.

46 Cf. supra, chapitre XVII.

47 AN, AGII 544, c.-r. de la séance du 17 juillet 1942 du CEI, Vichy, 6 p.

48 Idem, c.-r. de la séance du 31 juillet 1942 du CEI, Vichy, 8 p.

49 Idem, c.-r. de la séance du 17 juillet 1942, cité.

50 Idem, c.-r. cité.

51 Idem, c.-r. de !a séance du 31 juillet 1942, cité.

52 Idem, c.-r. de la séance du 16 septembre 1942 du CEI, Paris, 4 p.

53 Idem, c.-r. de la séance du 31 juillet 1942, cité.

54 Idem, c.-r. de la séance du 17 juillet 1942, cité.

55 Idem, c.-r. de la séance du 11 septembre 1942 du CEI.

56 Idem, c.-r. des séances des 9 octobre 1942 (6 p.) et 28 octobre 1942 (4 p.) du CEI.

57 Cf. AEF 5 A 29 (Papiers Cusin).

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58 Cf. E. Homze, Foreign labor in Nazi Germany, Princeton, 1967 ; Jacques Evrard, La déportation des travailleurs français dans le IIIe Reich, Paris, 1972 ; voir également Jacques Desmarets, La politique de la main-d’œuvre en France, Paris, 1946 ; Eberhardt Jäckel, La France..., op. cit. ; Alan Milward, The New Order..., op. cit., ch. VI, p. 147 et suiv.

59 Cf. E. Homze, Foreign labor in Nazi Germany, Princeton, 1967 ; Jacques Evrard, La déportation des travailleurs français dans le IIIe Reich, Paris, 1972 ; voir également Jacques Desmarets, La politique de la main-d’œuvre en France, Paris, 1946 ; Eberhardt Jäckel, La France..., op. cit. ; Alan Milward, The New Order..., op. cit., ch. VI, p. 147 et suiv.

60 Jacques Benoist-Méchin, De la défaite..., op. cit., t. 2, p. 121.

61 Cf. circulaire du SEPI du 2 juillet 1942.

62 AN, F37 27, d. cité, compte rendu..., cité, p. 23.

63 Idem.

64 Jacques Benoist-Méchin, De la défaite..., op. cit., t. 2, p. 125-126.

65 Ibid., p. 124.

66 Ibid.

67 Cf. E. Homze, Foreign..., op. cit., p. 182.

68 Cf. supra, chapitre XVIII.

69 AN, F12 9966, d. « Concentration industrielle », s.-d. « Textiles », Lettre de Jean Bichelonne aux directeurs et chefs de service du MPI, 27 mai 1942, 1 p.

70 Idem, Lettre du général Michel, 20 août 1942, 2 p.

71 Cf. AN, F37 27, d. cité, compte rendu..., cité.

72 Cf. AN, F12 9966, d. « Concentration industrielle », sd. « Fermetures d’usines 1941-1946 ».

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73 Idem, Lettre citée (cf. note 3, page précédente).

74 AN, F12 10 030, d. « Rapports annuels des directions », Rapport du directeur du Bois, des Industries diverses et des transports industriels en 1943, 4 avril 1944, 15 p.

75 AN, F12 10 102, d. « 477. Méthodes allemandes d’Occupation », Fichier des autorités allemandes..., cité, article Donath et Fischer.

76 Idem, Fichier cité, article Matzke.

77 AN, F12 10 030, d. cité (cf. note 2), rapport du directeur des Mines pour 1943, 30 p.

78 AN, F12 10 102, d. cité, note de M. Bellier, DIME, 16519 - EG/2729, 5 mars 1945, 4 p.

79 AN, F12 9966, d. « Concentration industrielle », s.-d. « Fermetures d’usines 1941-1946 », note du SGP « Le plan d’aménagement de la production », 2 p. ; cf.Idem, s.-d. « 45. Réactions provoquées par la concentration », on y trouve nombre de pétitions et réclamations de producteurs et associations professionnelles.

80 AN, F12 9576, d. « CNIE - Omnium français des produits azotiques », Parquet de la Cour de justice du département de la Seine, exposé du commissaire du Gouvernement, 22 février 1946, 58 p.

81 AN, F37 34, d. « Poudres et explosifs », c.-r. des réunions du 5 mai 1942 au 4 juillet 1942 avec les Allemands a/s fabrication française de poudre à canon, par l’ingénieur général de Varine-Bohan, directeur du Service industriel des poudreries nationales.

82 Idem, c.-r. de la rencontre du 5 août 1942 à 20 h au Ritz.

83 Idem, c.-r. de la réunion au Majestic le 4 juillet 1942 à 12 h, de V/PF., 7 p. ;Idem, Lettre DSA au président de la Délégation française auprès de la CAA, signée Amiral Platon, « très secret », PN/CAB/ HB, n° 2548, 22 juillet 1942, 4 p.

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84 Idem, c.-r. de la rencontre du 5 août, cité (cf. note 2) ; souligné par nous.

85 Idem, c.-r. cité.

86 Idem, protocole concernant la livraison de poudres à l’Allemagne, Paris, 8 août 1942, 2 p.

87 AN, F12 9576, d. « CNIE-OPA », rapport-affaire 680-OPA, signé R. Cahart, 28 avril 1948, 3 p.

88 Alan Milward, The New Order..., op. cit., p. 130.

89 Cf. Fred Kupferman, Laval..., op. cit., p. 403.

90 Cf. Alan Milward, The New Order..., op. cit., p. 124.

91 Ibid., p. 147 et suiv.

92 Albert Speer, Au cœur du Troisième Reich, trad. fr. Paris, 1971, 816 p., p. 438.

93 Jacques Benoist-Méchin, De la défaite..., op. cit., t. 2, p. 127.

94 Ibid, p. 117.

95 Albert Speer, Au cœur..., op. cit., p. 440.

96 AN, F12 10157, d. « 221-Répartition », exposé fait par J.-M. Richard, à la réunion des présidents et directeurs des CO, CII, 17 janvier 1944, 15 p.

97 Idem, arrêté du 17 juin 1943.

98 Idem.

99 Idem, d. cité, exposé fait par J.-M. Richard..., cité.

100 Idem.

101 Idem ; souligné par nous.

102 Idem.

103 Idem ; souligné par nous.

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104 Idem ; souligné par nous.

105 Idem ; souligné par nous.

106 Idem ; souligné par nous.

107 Idem.

108 Cf. R.-F. Kuisel, Le capitalisme..., op. cit., p. 263.

109 AN, F12 10157, d. « Répartition 221 », s.-d. « Programmes de fabrication », note du secrétaire à la répartition au secrétaire général à la production industrielle, signée J.-M. Richard, JMR/EB, SR 1, n° 100, 16 mars 1944, 5 p.

110 Idem, note du directeur des textiles et des cuirs, n° 1063, TEX A/36, 5 avril 1944, 3 p.

111 Idem, Programmes de fabrication de la section des cuirs et pelleteries du 1eravril au 30 septembre 1944, envoyés le 5 mai 1944 à SGPI.

112 Idem, note du directeur des Industries aéronautiques DIA/I n° 3107, 29 mars 1944, 1 p.

113 Idem, note du directeur des Mines, 848, 1er avril 1944, 1 p.

114 Idem, note pour le secrétaire-général à la Production industrielle du directeur des Industries chimiques, 2290 G/DIC, 4 avril 1944, 2 p.

115 Idem, note du directeur de l’Électricité (par intérim), 128-d, 4 avril 1944, 1 p.

116 Idem, note citée.

117 Idem, note du directeur du Bois, des Industries diverses et des Transports industriels, n° 277, 4 avril 1944, 3 p.

118 Idem, note citée.

119 AN, F12 10030, d. « Rapports annuels des directions », rapport du directeur du Bois, des Industries diverses et des Transports industriels en 1943, 4 avril 1944, 15 p.

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120 Idem, rapport cité ; souligné par nous.

121 AN, F12 10 157, d. cité note signée Bellier, DG 13453, 3 avril 1944, 5 p.

122 Idem, souligné par nous.

123 Idem, lettre de Jarillot au secrétariat à la répartition, SGP, n° 1473, 14 avril 1944, 1 p.

124 Idem, exposé de J.-M. Richard sur les programmes de fabrication, direction générale de l’OCRPI (en présence de Jarillot), 28 avril 1944, 3 p. ;  Idem, note du secrétariat à la répartition aux directeurs responsables et présidents des CO, signée Bichelonne, transmise le 23 mai 1944, 4 p.

125 Cf. Alan Milward, The New Order..., op. cit., p. 132-133.

126 AN, F12 10102, d. « 477 c - Méthodes allemandes d’occupation », s.-d. « Occupation allemande - M. Claudot », note du SGP, n° 3135 SGP, 17 avril 1945, 18 p.

127 Idem, liste des programmes de fabrication dressée par CO remis par l’OCRPI à la fin mai (1944). La liste comprend les moteurs électriques, postes de TSF, cycles, emballages métalliques...

128 Idem, note citée.

129 AN, F12 10102, d. « 477 c - Méthodes allemandes d’occupation », s.-d. cité, note de Bellier, DIME 16 519, EG/2729 - 5 mars 1945, 4 p

Conclusions de la cinquième partiep. 716-717

TEXTE

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TEXTE INTÉGRAL

1La défaite, l’occupation, la pénurie et le us entraînent la formation d’un appareil dirigiste économique et financier et l’instauration de pratiques nouvelles. Pour la direction des finances, face à la « triple pompe aspirante » imposée à travers l’Armistice par les autorités d’Occupation, Yves Bouthillier systématise les principes d’une « politique du circuit » défendus lors de la « drôle de Guerre » et se donne les moyens institutionnels et administratifs d’une compression de la demande,destinée à défendre le franc à travers le contrôle des prix, des salaires et de certains revenus mobiliers. Cette politique « austère » pèse avant tout sur les non-vendeurs, tout particulièrement les salariés des villes, privés en outre des organisations syndicales, interdites depuis août 1940. Pour les ressources, le Trésor fait surtout appel au marché monétaire, en liaison étroite avec les banques, et profite de la pléthore relative de l’épargne par rapport aux emplois pour en déprécier la rémunération. Cette politique est poursuivie par Pierre Cathala, mais avec une efficacité décroissante, du fait des failles grandissantes dans le « circuit », en liaison avec les exigences aggravées de l’Occupant à partir de 1942. Pour les charges, même si les dépenses d’équipement apparaissent réduites du fait du malheur des temps, des structures de financement public (lettres d’agrément et CNME, loi du 23 mars 1941) sont destinées à perdurer, de même que des pratiques de concertation entre industriels et responsables de l’État. Dans le domaine industriel et commercial, est créé dès l’été 1940, un énorme appareil de répartition et de sous- répartition par les quantités produites et consommées, mobilisant à la fois les experts de l’État et l’élite des firmes privées. L’effort de répartition, la création de structures de rencontre entre fonctionnaires et entrepreneurs, la réaction face à la défaite et la pénurie contribuent à préciser et engager des efforts de rénovation en matière d’élaboration statistique, de démarche planificatrice et surtout de définition de programmes d’équipement ou de modernisation pour le temps de la guerre, et même au-delà. La plupart des grands objectifs et des grands programmes d’investissements relatifs au « complexe énergico-

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sidérurgique » se trouvent ainsi élaborés lors de ces années noires.

2Mais l’ambiguïté de ces efforts  institutionnels, administratifs et économico-techniques provient du fait qu’ils se trouvent mêlés et imbriqués aux choix socio-politiques de l’Armistice et, par conséquent, aux relations nouées avec l’Occupant. Or, de même qu’en matière politique — comme l’ont établi Henri Michel, Eberhard Jäckel et surtout Robert Paxton — la « collaboration d’État » apparaît comme une stratégie originelle délibérée des autorités de Vichy, de même, en matière industrielle, commerciale et financière, le souci d’établir une « collaboration intelligente et compréhensive » ou « constructive » (François Lehideux) se manifeste dans les premiers mois de l’Occupation. Et l’appareil dirigiste se trouve largement ajusté aux structures mises en place par les Autorités militaires allemandes. Même si experts et gouvernants défendent les intérêts financiers ou commerciaux de l’État, voire ceux de certaines firmes françaises, ils le font dans la perspective de la future « pax germanica », estimée comme la perspective probable, quels que soient les sentiments profonds qu’elle inspire. Mais la faiblesse des contreparties allemandes, les déséquilibres à sens unique des accords conclus ruinent tout espoir de « dépassement de l’Armistice », d’autant plus qu’à partir du printemps et surtout de l’automne 1942, les exigences accrues de l’Occupant compromettent les fondements mêmes du système dirigiste, de plus en plus intégré et subordonné à la machine de guerre allemande.

3Il reste de l’expérience de ces quatre années, un triple et durable héritage. Tout d’abord, de manière paradoxale, l’État a renforcé son emprise sur l’économie, à travers un double affaiblissement : celui de la France, vaincue et humiliée, et celui de nombreuses entreprises, touchées par la pénurie, le blocus, les retombées de la guerre. Les structures dirigistes destinées à suppléer l’initiative défaillante des entrepreneurs vont subsister au-delà de la fin des combats. Second aspect : à la fin de l’Occupation, le déphasage entre l’intégration de l’appareil étatique dans l’économie de guerre allemande et les sentiments de l’opinion, sous l’influence croissante de la

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Résistance, inspire, du fait de 1’« apparente trahison des élites » (Jacques de Fouchier), une méfiance durable à l’égard de la technocratie, dont ces années ont facilité la première expérience véritable en France. En outre, l’efficacité, très inégale selon les couches sociales, du « bouclier » de Vichy face aux coups de l’Occupant accroît  la double déconsidération des élites de l’État et de l’économie. Enfin, une fois levée l’hypothèque des conditions humiliantes de leur genèse et de certains de leurs attributs, plusieurs des institutions, structures, pratiques et projets de l’appareil dirigiste apparaissent assimilables pour la direction de l’économie et des finances au-delà de l’Occupation. Et ceci d’autant plus que les contraintes matérielles imposent le maintien de disciplines nécessaires. Experts et gouvernants de la Libération ne peuvent négliger notamment l’expérience pionnière d’un appareil financier de contrôle de la demande, de structures de répartition par les quantités et par les prix ou l’élaboration de programmes d’équipement destinés à desserrer les goulots du « complexe énergico-sidérurgique » qui entravent le relèvement de l’économie française.