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LETTRE A UN DÉPUTÉ ou EXAMEN DU PROJET DE LOI DE DOUANE PRÉSENTÉ A L A CHAMBRE DES DEPUTES LE 21 DÉCEMBRE 1832. Par le Baron de Cools. « Si le gouvernement s'est trompé, tous les intérêts qui se croi- » ront lésés pourront réclamer : ils auront des organes dans les » Chambres, ils en auront dans la presse. » ( Paroles de M. te comte d'Argout, ministre du commerce, dans ta séance du 8 décembre 1832. ) PARIS, IMPRIMERIE DE GUIRAUDET. RUE SAINT-HONORÉ, 315. 1835.

Lettre à un député ou examen du projet de loi de douane

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Auteur : A. de Cools / Ouvrage patrimonial de la bibliothèque numérique Manioc. Service commun de la documentation Université des Antilles et de la Guyane. Conseil Général de la Guyane. Bibliothèque Franconie.

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Page 1: Lettre à un député ou examen du projet de loi de douane

L E T T R E

A UN DÉPUTÉ ou

E X A M E N D U P R O J E T D E L O I

DE DOUANE

P R É S E N T É A L A C H A M B R E D E S D E P U T E S

L E 21 D É C E M B R E 1832.

Par le Baron de Cools.

« Si le go u v e r n e m e n t s'est t r o m p é , tous les intérêts qui se croi-

» ront lésés pourront réclamer : ils auront des organes dans les

» C h a m b r e s , ils en auront dans la presse. »

( Paroles de M. te comte d'Argout, ministre du commerce,

dans ta séance du 8 décembre 1832. )

P A R I S ,

I M P R I M E R I E D E G U I R A U D E T .

R U E S A I N T - H O N O R É , № 315.

1835.

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Page 3: Lettre à un député ou examen du projet de loi de douane

L E T T R E

A UN DÉPUTÉ.

MONSIEUR,

Vous vouliez bien m'inviter, il y a quelque

temps, à réunir dans un cadre aussi resserré que-

possible les renseignemens que mes études spé­

ciales m'avaient mis à même de recueillir sur les

diverses branches de la question coloniale, même

avant l'époque où ce genre de recherches est de­

venu un devoir rigoureux pour moi ; mais je pense

qu'en fait de question coloniale nous pourrions

difficilement aujourd'hui, vous et moi, Monsieur,

faire rien de plus instructif et de plus opportun que

de nous livrer à l'examen du dernier projet de loi

présenté par M. le comte d'Argout, clans la séance

du 21 décembre, puisque, dans cette conception

fiscale, il y va tout à la fois du sort de la branche

la plus importante de l'agriculture, et par consé­

quent de la richesse coloniale, de l'extension ou

du resserrement d'une industrie (la raffinerie)

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bien digne d'intérêt, car, sans parler de ce qu'elle

fournit au mouvement de notre navigation, elle

alimente encore, selon M. le ministre, quatre

mille travailleurs; enfin, puisqu'il y va pour

le consommateur, autrement dit contribuable mé­

tropolitain , de la faculté d'étendre ou de resserrer

ses jouissances en raison de l'élévation ou de l'a­

baissement de prix d'une denrée dort l'usage très

salutaire a presque passé dans les besoins.

Si vous le permettez donc, Monsieur, ce sera

sans autre préambule que j'entrerai en matière.

«Les évènemens de 185o, vous a dit le ministre ( 1 ) ,

«ont produit dans les colonies une secousse dont

«elles sont loin d'être remises: les esprits se sont

«alarmés, les affaires se sont dérangées, les arri­

vages ayant cessé d'être continus, les choses les

» plus nécessaires à la culture et à la fabrication du

» sucre sont devenues rares et excessivement chè-

» res, et cela dans un moment où les prix de vente

« se détérioraient de la manière la plus désastreuse.

«Le mal s'est accru par l'ébranlement du crédit

» des colons ; leurs traites n'ont pas été acceptées

«dans les ports de France, et sont revenues à pro-

» têt avec des comptes de retour qui constituaient

«une perte de 3o pour cent. »

(1) Tout ce qui est entre guillemets ou en caractères ita­

liques n'est qu'une reproduction des propres expressions de

l'Exposé des motifs ou des discours de quelques députes.

4

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5

Ce tableau, malheureusement trop exact, fut

vrai, non seulement pour 183o, mais encore pour

1851 ; et au commencement de 1832, M. le ministre

avoue qu'on était encore fondé à lui représenter

que « les sucres français étaient retombés dans nos

» ports aux prix qui avaient rendu nécessaires les

» dispositions de la loi du 27 juillet 1822.»

A cette époque, avoue encore le ministre, les

sucres français ne se vendaient, à l'entrepôt du

Havre, que 38 à 40 fr, les 5o kil., et après l'acquit­

tement du droit de 24 fr. 75 c., ils dépassaient à

peine le prix de 65 fr.

«A ce taux, dit le ministre, les colonies étaient

» évidemment en perte. »

Ce qu'il faut ajouter à ces aveux, parce que les

états officiels du commerce pour 1831 distribués

aux Chambres en font foi, c'est que cette situation

désastreuse a pesé pendant plus de deux années

sur tous nos établissemens d'outre-mer ; que non

seulement elle y a arrêté la marche progressive de

l'industrie et de la richesse, mais qu'elle y a re­

tardé et rendu plus difficile leur libération vis-à-

vis les ports de la métropole à l'égard desquels nos

colonies se trouvent engagées par des obligations

plus ou moins anciennes contractées sur la foi

d'une législation dont on ne devait pas s'attendre

à voir accroître les rigueurs.

Ce qu'il faut ajouter encore, c'est que si cet

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état de choses intolérable a récemment fait place à

une situation en apparence meilleure, c'est unique­

ment parce que, non seulement dans nos colonies,

mais encore dans tous les autres pays à sucre,

les sécheresses , les ouragans , les troubles, les insur­

rections , ont contribué à réduire la production or-

dinaire.

Or, c o m m e cette réduction ne peut être calculée

à beaucoup moins du quart pour la récolte qui

s'est achevée en 1832, ce triste incident suffirait

seul pour expliquer la faveur momentanée des

sucres français dans nos colonies et sur nos places

d'Europe.

Ce qu'il faut dire surtout, si l'on tient à présen­

ter une situation vraie de la question, c'est que

cette faveur est due, c o m m e le reconnaît leminis-

tre, à des causes fortuites (accidentelles et passagè­

res eût été le mot propre), ne pourra pas, m ê m e

dans l'absence de nouvelles charges fiscales, ne

pourra pas, dis-je, durer le temps nécessaire

pour cicatriser les plaies profondes qu'elle en­

dort à peine en ce m o m e n t ; ce qu'il faut dire

enfin, c'est qu'il est inouï qu'on argue d'une cir­

constance accidentelle et passagère pour conclure

à une innovation législative qu'on veut rendre du­

rable, surtout lorsqu'on doit être convaincu que

cette élévation momentanée des prix disparaîtra

aussitôt que les premiers arrivages de la nouvelle

Page 7: Lettre à un député ou examen du projet de loi de douane

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récolte auront encore une fois encombré des mar­

chés dont l'approvisionnement, selon M. le minis­

tre, dépasse habituellement les besoins de la con­

sommation de trente à quarante millions de kilo­

grammes.

Je dis selon M. le ministre, car je ne vois pas

de raison pour donner crédit à une assertion qu'au­

cun des documens officiels publiés par l'adminis­

tration ne justifie.

Après un pareil exposé dont les données sont

toutes ministérielles, croyez-vous, Monsieur, que

le moment soit heureusement choisi pour grever

l'agriculture et l'industrie coloniale d'un nouvel

impôt, et que l'administration ait beaucoup de

droits au témoignage qu'elle se rend elle-même,

d'avoir usé à l'égard des colonies de tous les mèna-

gemens, de toutes les précautions que la prudence

pouvait exiger, et que commandaient la politique, la

justice et l'humanité ?

Que si nos colonies ont été assez heureuses pour

se préserver de ces insurrections déplorables dont

la Jamaïque portera long-temps la trace doulou­

reuse et sanglante ; de ce fait qui ne sera pas pour

vous, Monsieur, sans une grande puissance mo­

rale, M. le ministre aurait dû au moins rendre

hommage à la sagesse des colons, car c'est à eux

que le mérite en appartient tout entier. En tout

état de cause c'était un triste argument à faire va-

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loir, pour la création d'un nouvel impôt que cette

heureuse absence de désordre ; encore moins fal­

lait-il le vicier, cet argument, en dénaturant les

faits sur lesquels il repose.

« L'agitation a cessé, dit l'Exposé des motifs,

» l'ordre s'est partout rétabli. » Il m'en coûte de ne

pouvoir accepter cette assertion sous la forme sous

laquelle elle est présentée ; mais ici il s'agit d'un

devoir envers mes commettans avec lequel je ne

songerai jamais à transiger.

Non, Monsieur, il n'y a point eu en 1832 d'ordre

à rétablir dans nos colonies, parce qu'il n'y a point

eu absence d'ordre dans ce pays depuis 183o.

Quant aux causes d'agitation ou de fermentation

sourde que quelques symptômes ont pu révéler,

le gouvernement aurait mauvaise grâce à en parler

autrement que pour entretenir les chambres des

instances et des supplications qui lui ont été adres­

sées par les colonies et les délégués qui leur ser­

vent d'organe, à l'effet de voir le terme de ce pro­

visoire dangereux qui pèse sur ces établissemens.

Car il faut que vous et vos collègues le sachent

bien, Monsieur, il n'a pas tenu aux délégués co­

loniaux de voir proclamer pour les pays qu'ils re­

présentent l'installation d'un ordre politique en

harmonie avec celui qui régit la métropole, ce qu'il

eût été si facile d'obtenir d'un simple rappel lé­

gal des décrets de la Constituante sur une ma-

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tière que, depuis elle, aucun gouvernement n'a

aussi sainement jugée.

Mais le temps ou les loisirs ministériels qui man­

quent à la consécration des garanties politiques

ne manquent jamais aux propositions fiscales au

moyen desquelles on se flatte d'enfler les recettes

du trésor.

Ici, pour être vrai, Monsieur, j'ai besoin de vous

dire que les reproches que, comme délégué colo­

nial, j'ai le droit d'adresser à l'administration mé­

tropolitaine en masse n'ont rien qui soit applica­

ble à M. le ministre de la marine, qui connaît trop

bien les besoins et les droits des établissemens dont

la garde et la protection lui sont confiées pour

s'être épargné dans la défense de leurs intérêts

matériels ou politiques. Mais, vous le savez,Mon­

sieur, un tour favorable de présentation fait pour

un projet de loi la fortune d'une délibération lé­

gislative. S'il n'avait dépendu que du ministre de

la marine de nous assurer ces avantages, nous ai­

mons à penser que la loi organique si récemment

présentée à la Chambre des pairs, et qu'attendent

avec tant d'impatience nos colonies, eût été dès la

dernière session soumise à la délibération assez à

temps pour qu'aujourd'hui les colonies en éprou­

vassent déjà l'utile bienfait.

Mais revenons à la conception fiscale.

Après l'appréciation que je crois avoir faite avec

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justice du concours de circonstances dans lequel,

ou plutôt malgré lequel on en propose l'essai,

pourquoi dois je encore chicaner l'administration

sur sa théorie générale en matière de taxes? Cepen­

dant , c o m m e il y va tout à la fois de l'intérêt du

producteur et de celui du consommateur, espèces

qui toutes deux appartiennent au genre contribua­

ble, il m'est impossible de laisser passer sans au­

cune observation des doctrines qui, par l'adoption

qu'en a fait le ministre, lui sont devenues chose

propre et personnelle.

« L'impôt, dit M. le ministre du commerce, est

» devenu plus fort que la valeur de la denrée sur laquelle

» il était perçu... Mais qu'importe au consommateur

» la proportion plus ou moins forte de l'impôt com­

parativement à la valeur de la chose? Le prix de

» vente est ce qui le touche; il s'inquiète peu des élé-

» mens divers dont ce prix se compose, et pourvu

» qu'en définitive il achète à meilleur marché , il est

» satisfait. »

Théorie admirable , d'où il résulte que la quotité

de l'impôt n'entre pour rien dans les élémens du

prix de vente, et que du moment où le fisc se con­

tente de faire par ses prélèvemens une compensa­

tion absolue avec rabaissement successif du prix

vénal de la denrée , le consommateur doit être par­

faitement satisfait ! C'est en raisonnant de cette m a ­

nière qu'on est arrivé en Angleterre à ce que, selon

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la judicieuse observation du ministre, le travail

multiple, qui en définitive enrichit l'Angleterre,

nourrit ci peine ses ouvriers. En suivant celte voie,

nous ne tarderions pas non plus à voir la situation

des classes inférieures en France perdre les avan­

tages relatifs dont M. le ministre proclame qu'elle

est en possession, si on la compare à la situation

des m ê m e s classes dans un pays voisin : car c'est

avec cette théorie des impôts élevés que nos voi­

sins sont arrivés à ce que toutes les choses nécessaires

à la vie étant chez eux plus cher que chez nous, il

est peu de salaires qui suffisent aux besoins de ceux

qui les reçoivent.

J'aime à penser que M. le comte d'Argout n'a

pas du premier coup d'oeil saisi toutes les consé­

quences de cette doctrine, car dans ce cas il en eût

certes également repoussé les principes et l'appli­

cation ; ce qui ne m'empêchera pas d'ailleurs de

rendre justice à la subtilité d'esprit qui a présidé à

la rédaction de l'Exposé des motifs : car dans le

m ê m e discours s'il s'agit de se concilier le suffrage

de ce bon contribuable qui en Europe paie les

budgets et vote les lois:

«Depuis 1816 jusqu'à aujourd'hui, fait dire le

Moniteur au ministre , la valeur du sucre, abstrac­

tion faite de l'impôt, a toujours diminué »

Mais s'il s'agit de donner une fiche de consola­

tion à ce pauvre contribuable d'outre-mer qui

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paie et ne vote point de budget, pour lui l'Exposé

des motifs avait encore en réserve un argument

consolant :

« Quelle qu'en soit la cause ( permanente ou

«passagère, de minimis non curat prœtor), quelle

«qu'en soit la cause, dit M. le comte d'Argout, le

» prix du sucre est augmenté, et le colon n'est plus

» forcé de céder à toutes les exigences de l'ache-

» teur. »

J'espère que voilà un joli problème de résolu.

Certes, de pareils argumens sont un exemple

touchant d'une double sollicitude pour les intérêts

du producteur et du consommateur; mais ce n'est

pas là qu'elle s'arrête.

« Les colonies sont toujours travaillées par un

«grand mal, dit M. le ministre; elles produisent

«depuis quelques années beaucoup plus que la

«France ne consomme. » Or, le remède à ce mal,

s'il existe, c'est sans doute de décourager la pro­

duction ; et quel meilleur moyen de décourager

la production que de la rendre à peu près impos­

sible par l'addition d'un nouveau fardeau, et la

privation de toutes les garanties de protection

dont les enquêtes européennes les plus scrupu­

leuses avaient reconnu la nécessité!

N'est-ce pas là, Monsieur, je vous le demande,

une pensée gouvernementale éminemment pater-

12

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13 nelle ? car enfin, si on n'eût pas trouvé cette

pensée, que serait-il arrivé?

Il serait arrivé qu'en raison de l'excédant de

production qui afflige nos colonies, selon M. le

ministre , les sucres français se faisant concurrence

à eux-mêmes, les prix se seraient avilis si le fisc

n'y eût mis bon ordre, et alors le consommateur

eût fini par manger le sucre à 12 ou 1 5 sous la

livre, au lieu de 20 sous; ce qui eût eu le grand

inconvénient de faire contracter à une plus grande

masse de consommateurs l'usage d'une denrée

que la médecine proclame aussi utile à la santé

qu'elle est agréable au goût; ce qui eût assuré à la

raffinerie, par l'augmentation de la consomma­

tion, une espèce de compensation équitable à la

gène momentanée que la suppression des primes

peut jeter dans cette industrie; ce qui eût enfin

fourni à nos opérations commerciales et à notre

navigation un accroissement de mouvement et de

profits, dont les classes inférieures, qui sont la pé­

pinière de nos armées et de nos flottes, eussent

été appelées à recueillir le bienfait.

Alors le prix du sucre colonial ainsi avili et

les habitudes une fois contractées, M. le ministre

du commerce eût pu élever l'impôt; « car, dit-il

dans un endroit de son discours, cela n'empêche

pas la consommation de s'accroître. » Il est vrai que

quelques lignes plus haut, comme il avait besoin

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d'un autre argument, il s'est appuyé de l'opinion

d'un économiste assez éclairé (M. de Saint-Cricq,

je crois), qui prétend, lui, que la consommation

recule devant l'impôt.

C o m m e je ne veux pas être accusé d'avoir l'es­

prit mal fait, je ne presserai pas M. le ministre

du commerce de s'expliquer sur la préférence qu'il

donne à l'un ou l'autre de ces axiomes.

Mais scra-t-il mieux à moi, Monsieur, de venir

révoquer en doute l'une des principales données

dont M. le comte d'Argout se sert pour établir

qu'il n'y a que justice dans son nouvel impôt, parce

que cette surtaxe est loin de faire compensation

avec la protection exorbitante qu'ont reçue les

colonies depuis 1826, et qui a été la cause de ce

fâcheux excès de production contre lequel on ne

peut trop tôt recourir aux rigueurs salutaires d'un

nouvel impôt ?

Eh bien, Monsieur, quoi qu'il m'en coûte, j'y

serai forcé cependant, car je ne puis laisser à M. le

comte d'Argout ses étranges inquiétudes sur l'excès

actuel de nos productions coloniales. Tourmenté

comme je le suis moi-même du besoin de le guérir

de ce cauchemar économique dont je croyais le

principe morbide éteint avec feu M. de Corbière.

Je sais bien qu'à la rigueur je pourrais me tran­

quilliser sur les ravages que cette terreur de nos

excès de production peut produire dans l'esprit du

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ministre; car, dans le Rapport adressé an roi (1),

avec l'objet de présenter sous l'aspect le plus bril­

lant l'activité de toutes nos industries, je vois M. le

comte d'Argout déplorer que les raffineries de Bor­

deaux se ressentent de la. mauvaise récolte de sucres

bruts dans nos colonies, et déclarer plus bas que la

matière manque aux raffineries de la capitale ; mais

je vois aussi que, revenant bientôt à ses premières

frayeurs, dans la séance du 8 décembre il n'a pas

hésité, dans sa discussion avec M. de Mosbourg, à

avancer qu'en 1832 la production du sucre dans

nos colonies s'élève a 107 millions kilog., sans que

je puisse m'expliquer cet dissonance par la chaleur

de l'improvisation, puisque le 2 1 décembre il a re­

produit devant vous les mêmes calculs en énon­

çant dans son Exposé des motifs, sans doute mû­

rement médité, que les colonies produisent 5o à 40

millions de kilog. de sucre en sus des besoins de la

consommation , c'est-à-dire , bien près de la moitié

en sus de cette consommation.

Je ne m'arrêterai pas à ce qu'il y a d'un peu

vague dans la latitude que M. le ministre a

donnée à ses calculs en n'y tenant pour ainsi dire

aucun compte de dix millions de kilogrammes de

plus ou de moins, bien qu'ils représentent quatre-

vingt mille barriques de sucre qui n'ont pu passer en

(1) Moniteur du i»r décembre.

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douane inaperçues. Je ne m'arrêterai pas davan­

tage aux déductions que M. le comte d'Argout a

cru pouvoir tirer de son assertion, car je suis obligé

de commencer par nier le fait (1), et pour prou­

ver ma dénégation, c'est dans le document officiel

dressé par l'administration des douanes elle-même

que je puise mes preuves en chiffres ; j'ignore s'il

y a pour M. le comte d'Argout une autre source à

laquelle il ait pu puiser ses assertions.

Or, dans ce document (Tableau général du com­

merce de France), je vois à la page 90 que les co­

lonies françaises ont, dans le cours de 1801, en­

voyé dans la métropole, en sucres bruts et terrés,

en nombre rond, un peu moins de 82,000,000 kil.

Je vois bien en outre, page 3o1,

qu'il existait en entrepôt dans nos

ports, en sucres français, au 31 dé­

cembre 185o, environ 22,ooo,oookil ;

mais comme je vois que ce chiffre

est resté à peu de chose près

l'expression de l'existence en en­

trepôt au 31 décembre 1851, il ne

me semble pas qu'il puisse sans

(1) M . Henri Fonfrède ( Mémorial du 23 décembre ) ap­

pellerait cela un mensonge économique , mais cette qualifi­

cation , qui peut s'excuser par l'amitié et le goût du terroir

qui produit la saillie , je craindrais, moi, de manquer aux

convenances si je m'en servais.

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erreur être ajouté au premier

chiffre d'arrivage, bien qu'alors

cette addition produisît effective­

ment un chiffre de 104,000,000 kil.

qui ne serait pas encore, mais

tendrait à se rapprocher du chif­

fre de M. d'Argout (les. . . . 107,000,000)

qui ne lui a sans doute été fourni que parce qu'on

sera tombé dans une erreur de la nature de celle

que je signale.

Je demanderai maintenant à M. le comte d'Ar­

gout, qui, à la vérité, nous donne sans aucune

preuve le chiffre de 80 millions pour celui de la

consommation du royaume, où sont les 3o ou 4o

millions de kilogrammes d'excédant qui l'ont tant

effrayé alors que 100 millions d'excédant et plus

n'inquiètent pas l'Angleterre , qui n'y voit qu'une

cause de bénéfice pour son commerce , et de fret

pour sa navigation à toute destination.

Mais j'ai peut-être tort de m'appesantir autant

sur cette question de la situation comparée de la

production et de la consommation, après que le

ministre a confessé si ingénument lui-même à la

Chambre que l'évaluation dont il l'entretenait à ce

sujet était encore pour lui pleine de difficultés et

d'incertitudes.

Au reste, cette grave question de la consomma­

tion et des moyens d'y pourvoir est faite pour oc-

•2

Page 18: Lettre à un député ou examen du projet de loi de douane

18

cuper les bons esprits, et elle a déjà fourni, dans

le Mémorial Bordelais, à M. Henri Fonfrède, la ma­

tière de deux articles pleins, sinon de faits incon­

testables, au moins d'aperçus très ingénieux et très

piquans.

Pour moi, il ne m'en coûte pas d'avouer que,

entre M. Fonfrède et moi, il n'y a peut-être qu'une

question de temps, c'est-à-dire qu'en adoptant une

grande partie de ses idées je ne partage pas sa

conviction sur l'à-propos pour la France de leur im­

médiate application ; il raisonne clans l'hypothèse

de l'épuisement du sol des colonies françaises et

d'un accroissement immense et instantané de la

consommation. Je ne puis admettre sa théorie de

l'épuisement de nos colonies, et pendant long­

temps encore je les crois susceptibles de fournir à

nos consommations. La seule colonie de Cayenne,

qui en 183o ne nous avait encore livré que

1 ,4oo,ooo kilog. de sucre, en livrera probablement

pour 1832 4,ooo,ooo kilog. et 10,000,000 kilog. en

1835. Il existe en outre en leur faveur et en faveur

des places de commerce liées d'affaires avec elle

des droits acquis dont M. Fonfrède lui-même ne

demande pas la brusque lésion. Mais du moment

où ces droits suffisamment avertis auront été sa­

tisfaits, et où il sera prouvé que nos productions

coloniales, convenablement encouragées, ne peu­

vent plus suffire à la consommation du royaume •

Page 19: Lettre à un député ou examen du projet de loi de douane

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M . Fonfrède peut m e compter au nombre des

adhérens à ce qu'il y a de praticable dans son

système d'élargissement des voies commerciales ( 1 ).

En attendant, Monsieur, sans convenir avec

M . le comte d'Àrgout que le sol de nos colonies soit

épuisé, ainsi qu'il l'a avancé le 8 décembre dans sa

discussion avec M . le comte de Mosbourg, je ne

pourrai pas davantage lui accorder, ainsi qu'il a

trouvé commode de le dire contradictoirement

avec lui-même, dans la séance du 2 1 décembre,

que les mêmes colonies soient affligées d'un sur-

plus de productions dont on n'aperçoit pas les limites.

Grâce à une application soutenue, grâce aussi à la

nécessité impérieuse de l'ordre et de la plus stricte

économie, grâce aux méthodes de culture et de

fabrication perfectionnées, grâce aux efforts de

toute nature des planteurs français pour répondre

à l'appel de la métropole, qui, en 1816 et beau­

coup plus tard encore, leur reprochait de ne pro­

duire ni assez, ni assez beau, les colonies se sont

peut-être rapprochées du terme de leur produc­

tion possible, sans qu'on soit en droit de dire

qu'elles l'aient atteint ; c'est dire que si la consom­

mation du royaume, favorisée par une réduction

des tarifs , augmentait d'une manière sensible, ces

(1) C'est parce que je connais toute la puissance des écrits

de M . Fonfrède que j'ai cru devoir me laisser aller à cette

courte digression

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colonies pourraient bien alors cesser d'y suffire ;

mais c'est ce dont il faudrait acquérir la preuve

avant de porter trop promptement la main sur

l'édifice du système qui a créé et qui alimente les

rapports entre nos places de commerce et nos co­

lonies. Ce sont les intérêts de ces mêmes places de

commerce qui exigent non moins impérieusement

que ceux des colonies cette pause dans un régime

stationnaire.

Pendant cette période si nécessaire aux liqui­

dations et aux libérations de toute nature, la mé­

tropole pourrait examiner avec maturité ce qui

convient le mieux à ses intérêts, soit pour le main­

tien , soit pour le relâchement des liens de son mo­

nopole (1), et prendre ainsi tout le temps néces­

saire pour que ses avertissemens pussent être en­

tendus de tous ses enfans , et pour qu'une justice

mieux rétribuée , que par les dispositions du pro­

jet de loi, ne les exposât pas aux brusques sévé­

rités d'une perturbation rendue plus cruelle en­

core par une application conçue dans un tel esprit

de subversion des règles de l'équité et de la dis-

(1) L'état actuel de la question a reçu de grandes lu­

mières de la publication d'un Mémoire sorti, il y a peu de

temps, des presses de l'Imprimerie Royale, sous le titre de

Mémoire sur le commerce maritime et colonial. Ce docu­

ment est dans les mains du plus grand nombre de nos

hommes politiques, et mérite leurs méditations.

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tance, que tandis que le raffineur et le sucrier de bet­

teraves obtiennent, contre la sévérité de la nouvelle

loi, un délai de trois ou six mois, le producteur

colon ou le spéculateur européen sont livrés sans

miséricorde aux rigueurs de cette même loi le len­

demain de sa promulgation en Europe, sans au­

cun respect pour leurs droits froissés par une

législation qui vient les saisir à l'improviste, et

qu'aucune de leurs prévisions raisonnables n'a pu

leur faire pressentir !

Il faut bien vous le dire, Monsieur, toute cette

question d'un nouvel impôt sur le sucre des colo­

nies françaises a déjà passé sous les yeux du conseil

du commerce en des termes qui ne devaient pas

faire présager la solution proposée aujourd'hui par

le ministre. Deux délégués coloniaux furent admis

devant le conseil. On leur permit d'y faire entendre

les doléances de leurs commettans, car, de discus­

sion sincère avec eux, on n'en a point accepté, bien

que même dans les précédens de la monarchie

absolue (1) ils eussent retrouvé leurs titres à une

admission complète et à une participation con­

stante aux délibérations de ce conseil.

Ces deux délégués, Monsieur, se sont tenus au-

(1) Édits de 1759 et 1763 qui donne entrée et voix aux

députés coloniaux au bureau du commerce, remplacé au­

jourd'hui , de l'aveu de M . d'Argout, par le conseil supé­

rieur du commerce.

Page 22: Lettre à un député ou examen du projet de loi de douane

22

tant que possible en dehors de la question des

primes et de celle sur l'impôt sur les sucres de bet­

teraves , quoique toutes deux fussent considérées

par de bons esprits comme connexes avec les in­

térêts que les délégués représentent.

Ils se bornèrent donc à établir, ainsi que j'ai es­

sayé de le faire plus haut, les droits des colonies

aux ménagemens de la fiscalité métropolitaine,

non seulement dans l'intérêt colonial, mais encore

dans celui des places de commerce liées d'intérêt

avec nos colonies. -

On leur demanda quel laps de temps ils suppo­

saient nécessaire pour la libération des avances

européennes sous une législation protectrice; ils se

restreignirent à la simple demande d'une garantie

de cinq années, sans faire aucune des concessions

que leur a prêtées l'Exposé des motifs. On avait

paru entendre leursargumens sans défaveur; après

qu'ils se furent retirés, les mêmes argumens, re­

produits et complétés par des bouches graves,

trouvèrent assez d'échos dans cette assemblée, où

L'INTÉRÊT colonial était sans représentation, pour

que la proposition de l'augmentation d'impôt ne

lût pas admise, la suppression de la prime, en­

visagée comme diminution de protection, parais­

sant une mesure au moins suffisante pour l'époque

actuelle.

Vous vous étonnerez donc avec moi. Monsieur,

Page 23: Lettre à un député ou examen du projet de loi de douane

2 3

que, sans tenir aucun compte de ce résultat, M . le

ministre du commerce n'ait pas hésité à vous pro­

poser tout à la fois la suppression des primes et

l'augmentation d'une taxe déjà si élevée, qu'elle dé­

passe la valeur moyenne d'un produit français.

Mais M. le comte d'Àrgout tient sans doute peu de

compte de nos étonnemens; car autrement il eût

hésité à se mettre, comme il l'a fait par cette pro­

position, en contradiction aussi manifeste avec ses

protestations du 8 décembre en faveur des co­

lonies.

Il est vrai qu'il s'agissait alors de repousser un

amendement qui, selon M. le comte d'Argout,

« pouvait compromettre le sort et l'existence des

«colonies, le sort d'une industrie qui mérite tous

«vos intérêts, et le sort de vos exportations...

«amendement qui pouvait produire une grande

» perturbation dans l'intérieur de la France, dans

» nos ports de mer et dans nos colonies. »

De quoi s'agissait-il donc? Était-ce de doubler

l'impôt sur le sucre français, ou de lui enlever la

marge de protection qui, par suite du monopole,

lui est due vis-à-vis du sucre étranger ? Non, il s'a­

gissait purement et simplement de réduire à 100 et

80 francs les primes de 120 et 110 sur l'exporta­

tion des sucres raffinés.

Il n'était donc pas si mal inspiré M. le comte de

Mosbourg lorsqu'il disait : « Si je ne suis pas mal

Page 24: Lettre à un député ou examen du projet de loi de douane

24

» instruit des dispositions du projet que le minis-

» tère prépare, les colonies seront traitées peut-être

«plus sévèrement et plus mal qu'elles ne le sont

» dans m o n projet. » Fallait-il que l'antagoniste de

la prime et de M. le ministre du commerce fût si

près de la vérité!

Peut-être aujourd'hui ou les raffineurs ou le

trésor auront-ils à regretter que l'amendement de

l'ancien ministre des finances de Naples n'ait pas

passé.

N'allez cependant pas, Monsieur, je vous prie,

conclure de cette simple observation que je sois le

défenseur à outrance de la prime et le détracteur

du drawback.

Je suis heureux de pouvoir reconnaître avec

M . d'Argout qu'en principe le système du draw­

back est tout à la fois juste et rationnel, parce que,

c o m m e le dit très bien M. le ministre, un simple

drawback bien calculé place le raffineur français

vis-à-vis de l'étranger exactement dans la position

où il se trouverait s'il n'y avait pas de tarif de

douane.

Mais ce que je m e permettrai de conseiller à

M. d'Argout, ce sera de ne se décider que pour

un drawback mieux calculé que celui qu'il pro­

pose, s'il ne veut pas le rendre plus onéreux au

trésor que la prime elle-même , et en m ê m e temps

livrer les sucres des colonies françaises à la con-

Page 25: Lettre à un député ou examen du projet de loi de douane

25

currence illégale des basses matières, qui ne sont

point aussi dépouillées de tout principe sucrant

qu'on le lui a sans doute assuré, et qui, dans leur

état équivalant au moins à celui de mélasse , rem­

placeraient très bien , pour certaines classes de con­

sommateurs (sans avoir acquitté aucun droit) l'u­

sage, sinon du sucre fin, au moins du sucre brut. Ici,

Monsieur, c'est, appuyé sur le témoignage hono­

rable de raffineurs aussi honnêtes qu'habiles que

je marcherai vers le complément de m o n asser­

tion. Quand M. d'Argout voudra, je lui procu­

rerai ce témoignage, duquel il résulte que, sans

recourir aux derniers perfectionnemens que la

chimie a fournis à l'industrie du raffineur, et en

se bornant aux seuls procédés mis en usage dans

les bonnes raffineries de la capitale, le rendement

de 1oo kil. de sucre brut est ainsi qu'il suit :

Melis.

L u m p .

54 k.

16

Rendement selon M. d'Argout. 70 % Et en outre :

Vergeoise.

Mélasse.

Perte ou déchet.

10 k.

17

3

3o

S o m m e égale. 100 k.(1)

(0 Ce rendement est obtenu par un honorable raffineur

Page 26: Lettre à un député ou examen du projet de loi de douane

26

Alors je demanderai à M. d'Argout où sont

ces matières inertes dépouillées de tout principe su­

crant qui (après les 7 0 0/°) cessent d'avoir aucun

emploi ni aucune valeur.

Il lui sera probablement d'autant plus difficile

de m e répondre qu'il a eu soin lui-même de faire

ajouter en marge de son Exposé qu'en Angleterre

le rendement pour l'exportation était calculé à

75 0/°. De ces deux faits il résulte qu'outre la res­

titution du droit perçu, M. le ministre a jugé né­

cessaire d'assurer en sus au raffineur exportant

une prime équivalente à environ 14 0/° sur le mon­

tant du droit payé. Or, cette bonification de 14 0/°

sur un droit de 104 fr. 5o c. (car M. d'Argout a

eu soin de nous démontrer que, dans son système,

le raffineur exportant ne pourrait plus désormais

employer que du sucre étranger), constitue un

de la capitale sur la qualité appelée dans le commerce bonne

ordinaire 4 e des Antilles, c'est-à-dire sur une masse impo­

sante de nos sucres coloniaux, car sur les sucres manille, par

exemple, qui seront du nombre de ceux favorisés par le nou­

veau projet, un autre raffineur obtient :

Raffiné 80

Vergeoise 8

Mélasse 10

Perte ou déchet. . . a

Somme égale. . . . 100 k.

N'est-ce pas le cas de dire, comme M. Fonfrède : Concluez.

Page 27: Lettre à un député ou examen du projet de loi de douane

27

avantage supplémentaire d'environ 15 fr. (1), qui,

ajoutés aux 1o4 fr. 5o c. remboursés à l'exporta­

tion de 70 kilog. de sucre raffiné, constitue le

trésor dans l'obligation d'acquitter, sous le nom de

drawback, une prime réelle de 119 fr. 5o c. pour

chaque 100 kilog. de sucre raffiné ou laissé à la

consommation , sans parler de la concurrence rui­

neuse et illégale que cette bonification établirait à

l'avantage du sucre étranger, et au préjudice du

sucre colonial (2).

(1) Bien que le trésor ne débourse réellement que le droit

qu'il a perçu de 104 fr. 5o c. , la remise que par le fait il

effectue sur la seule sortie de 70 k. °/ 0 le constitue dans une

perte de droits non perçus sur les résidus livrés en franchise

à la consommation.

(2) Je n'ignore pas que le chiffre de cette bonification est,

jusqu'à un certain point, susceptible d'être contesté, mais

ce qui ne m e semble pas pouvoir l'être, c'est la concurrence

que les résidus de matière étrangère feront à la consomma­

tion tant du sucre colonial que du sucre indigène, concur­

rence préjudiciable au trésor lui-même, car elle le prive

d'une perception de droits sur une quantité de sucre brut

ou cassonade, sinon égale, au moins approchante de celle de

ces mélasses laissées à la consommation. E n effet, 4,000,000

kilog. de mélasses, résidus de matières étrangères qui n'ont

plus la charge du droit à supporter, puisqu'elles en ont

reçu la restitution sur l'exportation de 70 kilog. % de raf­

finés , tiendront dans la consommation la place d'au moins

2,000,000 kilog. de sucre brut ou cassonade, qui, au droit

actuel de 49 fr. 5o c. par 100 kilog., auraient acquitté au

trésor un droit d'environ un million de francs.

Page 28: Lettre à un député ou examen du projet de loi de douane

Que vous semble du procédé administratif et

économique ? Nous ne devons à nos colonies que le

monopole de notre marché, dit M . le comte d'Ar-

gout ; ce qui suppose que, dans l'état actuel des

choses, ce monopole leur est dû. Or je vous de­

manderai, Monsieur, si c'est un moyen efficace de

leur en garantir les avantages que de les abandon­

ner à la concurrence de sucres en franchise de tous

droits, et favorisés d'une protection que je n'ose

plus appeler frauduleuse, tant elle devient mani­

feste aux yeux de tous.

Q u e si M . le ministre du commerce a jugé que

l'industrie du raffineur exportant avait besoin de

ce secours, qu'il ait donc la force de l'avouer hau­

tement ; les Chambres décideront alors du mérite

d'une combinaison qui ne pourra plus au moins se

défendre au titre des intérêts coloniaux : mais qu'il

l'avoue, car rien ne serait plus funeste et plus in­

juste que ce défaut de franchise fiscale.

Je ne veux pas supposer que ceux qui ont fourni

au ministre celte combinaison se soient flattés de

lui conquérir par là des suffrages intéressés ; j'aime

mieux penser que toutes les conséquences du nou­

veau système n'ont pas été aperçues, car, au besoin,

elles trouveraient leur condamnation dans les pa­

roles m ê m e s du ministre.

« O n a prétendu que le drawback accordé en Hol-

» lande et en Angleterre, a dit M . d'Argout, renfer-

28

Page 29: Lettre à un député ou examen du projet de loi de douane

29

» mail une prime ; quand bien même il en serait ainsi;

» ce ne serait pas pour nous une raison de persévérer

» dans une mauvaise voie. »

J'ai déjà dû, Monsieur, puiser dans les rensei-

gnemens fournis par le ministre lui-même sur l'es­

timation du rendement en Angleterre, de quoi

condamner le système de rendement qu'il propose.

C'est ici sans doute le lieu d'ajouter que je ne

comprends pas pourquoi M. le comte d'Argout,

qui paraît bien connaître le système du drawback

anglais, n'en a pas purement et simplement adopté

toutes les conséquences , c'est-à-dire l'obligation

d'une réexportation totale de tous les produits

soumis au raffinage dans un délai de quatre mois.

Loin de là : aux faveurs résultant de son apprécia­

tion du rendement, M. le comte d'Argout ajoute

encore la faveur du délai d'une année pour la pré­

sentation des quittances dédouane, qui doivent

servir au remboursement du droit payé. J'ignore,

Monsieur, si vous serez plus satisfait que moi des

raisons de la préférence qu'il accorde a son délai

d'un an sur le délai de quatre mois jugé suffisant

par le gouvernement britannique ayant à statuer

sur la même matière. Car, de dire que ce terme ne

pouvait convenir en France, où il existe beaucoup de

raffineries dans l'intérieur, c'est implicitement sup­

poser que le système nouveau offrira aux raffine­

ries de l'intérieur des moyens de lutter avec les

Page 30: Lettre à un député ou examen du projet de loi de douane

30

raffineries de frontière, que la législation des pri­

mes ne leur fournissait pas, ainsi que l'a constaté

M . d'Argout lui-même qui, dans son rapport au roi

déjà cité, déclare que Marseille a remplacé Paris

dans la fourniture de la Suisse. Chose fort simple

à mes yeux en raison des avantages de localité, et

qui s'accorde d'ailleurs merveilleusement avec une

donnée que je crois, Monsieur, pouvoir puiser dans

les souvenirs d'une de nos conversations, à savoir

qu'une des maisons de la capitale, les plus mar­

quantes par l'importance de ses affaires en sucre,

aura dans l'année 1 8 0 2 acquitté 4,ooo,ooo fr. en

douane, et reçu seulement 2 0 0 , 0 0 0 fr. pour prime

d'exportation : ce qui prouve le peu de part que

les raffineries de l'intérieurprenaient à la réexpor­

tation , m ê m e sous la législation des primes à la

sortie. Il importe, a dit M . d'Argout à propos de

ces quittances d'une année de date, de ne pas don­

ner cours à des titres périmés et qui pourraient deve­

nir l'objet d'un certain agiotage. C'était pour attein­

dre plus sûrement ce but sans doute que le

gouvernement britannique n'accordait que le terme

de quatre mois pour le délai des réexportations.

Tout juste et tout rationnel que soit le système

du drawback, M. le comte d'Argout n'ignore pas

que sa première introduction dans notre législation

offrit des inconvéniens graves et suscita des plaintes

qui amenèrent sa suppression. C'est parce que je

Page 31: Lettre à un député ou examen du projet de loi de douane

31

désire son maintien que je le veux purgé de ces

inconvénient graves qui n'étaient pas tous aussi

dénuésde vérité que le donne à entendre M. d'Ar-

gour.

Entre deux natures de sucres français et étranger

dont l'un acquittait un droit de . 49 fr. 5o c.

l'autre 104 5o

si par hasard il arrivait que le sucre au droit

de 104 fr. 5o c. fût tout-à-fait propre à la consom­

mation intérieure, et que celui au droit de 4 9 fr. 5o c.

le fût au raffinage, qui empêchait un raffineur plus

particulièrement occupé de l'exportation, d'ache­

ter 200 kilog. de sucre de ces deux natures, de

mettre à la consommation le sucre au droit de

104 fr. 5o c, de mettre au raffinage celui au droit

de 4 9 fr. 5o c, et de pouvoir présenter à son gré

l'acquit en douane sur sucre étranger afin d'en re­

cevoir le remboursement à la sortie?

Vous m'objecterez sans doute que, puisqu'il

avait payé les deux droits, il était bien le maître

de faire dans ce cas de sa denrée l'usage le plus

utile à ses spéculations; mais je vous répondrai qu'à

cette époque la surtaxe du sucre étranger était à

peine suffisante à la protection du sucre colonial ;

que ce sucre étranger étant alors plus beau que

la plus grande partie de nos produits nationaux, il

était susceptible d'un emploi immédiat, et qu'ainsi

c'était au moyen d'un produit étranger qu'on ve-

Page 32: Lettre à un député ou examen du projet de loi de douane

3 2

nait faire à vospropos raffineries de l'intérieur une

concurrence dommageable et qui n'était point à

l'abri de toute espèce de blâme. Vous m'objecte­

rez peut-être encore, Monsieur, que cette circon­

stance est l'une des conséquences fâcheuses de no­

tre système de commerce colonial et maritime ;

mais quant aux inductions que vous pourriez être

tenté de tirer de votre objection, je m e bornerai

à vous dire que ce n'est point là une question

que l'on puisse traiter incidemment, qu'il s'agit

d'un sujet qui vaut bien la peine d'être traité d'une

matière spéciale, et en attendant qu'il m e soit loisi­

ble de le faire ( ce que je serais assez disposé à es­

sayer si cela vous paraissait utile), je vous prierai

de permettre que je consigue ici le jugement grave

porté sur cette matière par l'un des orateurs les

plus distingués de la chambre dans la séance

du 8 courant.

« Dans toutes les questions de cette nature en

» Angleterre, disait M . Mauguin, le parlement or-

» donne une enquête. Il examine les faits, il inter-

»roge les parties intéressées, et cherche jusqu'à

» quel point une mesure proposée peut affecter les

«intérêts de l'État, soit à l'intérieur soit à l'exté­

rieur : voilà ce que nous devions faire. La ques-

» tion des sucres tient à toutes les questions, à celle des

» fers, des laines, des soieries; elle tient a notre sys­

tème colonial, à notre système d'exportation. Je

Page 33: Lettre à un député ou examen du projet de loi de douane

» crois que nous ne pouvons la résoudre avec trop

» de précaution. »

Mais revenons à la seule question de drawback :

je ne puis croire que M. d'Argout ait oublié que les

inconvéniens que j'ai signalés étaient du nombre

de ceux qui fournirent alors matière aux plaintes

des raffineries de l'intérieur, et que ces plaintes ne

furent point étrangères aux modifications plus ou

moins heureuses que la législation de 1822 eut à

subir.

En présence de tels souvenirs il eût donc été

plus sage de s'en tenir au délai de quatre mois qui

peut toujours suffire aux raffineries de la frontière

maritime ou terrestre.

Quant aux raffineries de l'intérieur, si véritable­

ment M. le ministre n'a prétendu que les placer vis-à-vis de l'étranger exactement dans la position où elles se trouveraient s'il n'y avait point de tarifs de douane, il est évident qu'elles sont ici hors de

cause, car notre supériorité de fabrication et l'éco­

nomie comparée de nos transports par voie de

terre et de mer ne sont pas telles que ces établis-

seinens puissent triompher des obstacles de leur

emplacement pour venir encore disputer aux raffi­

neries de Hambourg la fourniture de leur propre

place.

Peut-être trouverez-vous, Monsieur, qu'au lieu

d'un examen que je vous avais proposé je me suis

33

3

Page 34: Lettre à un député ou examen du projet de loi de douane

34

laissé aller à une critique trop absolue des vues ou

des projets de l'administration. Je vous avouerai

cependant que je n'ai pas la prétention d'avoir suf­

fisamment signalé ou relevé toutes les contradic­

tions , les assertions inexactes et les doctrines erro­

nées qui ont trouvé place dans l'Exposé; mais

d'abord ce qui me paraissait le plus urgent, c'était

d'appeler votre attention sur le caractère de cette

conception ministérielle , et par conséquent de

mettre votre jugement sur ses gardes ; en second

lieu, je sentais que déjà ma revue m'entraînait au-

delà des limites du cadre dans lequel j'aurais voulu

rester, et que d'ailleurs il n'était pas nécessaire de

tout dire à des esprits aussi éclairés que ceux

qui se trouvent en grand nombre parmi les juges

en dernier ressort de l'administration et de l'ad­

ministré.

C'est par cette raison que je m'abstiendrai de

qualifier la proposition que vous a faite M. le

ministre d'un premier impôt sur la production du

sucre indigène.

Ici le jugement des législateurs métropolitains

n'a besoin ni d'avertissement, ni de renseignemens

spéciaux. M. le ministre du commerce a très bien

constaté tout ce que l'ancien système des primes

offrait de faveur à la production du sucre indigène,

puisque, sans acquitter aucun droit, et sans être

soumis à aucune des charges de la navigation, des

Page 35: Lettre à un député ou examen du projet de loi de douane

avaries et du transport sur le sol métropolitain, il

bénéficiait de toute la valeur de la prime à la

sortie.

Si j'étais député de la France, j'aurais sans doute

un avis à émettre sur cette question; mais délégué

colonial, je m'abstiens d'y prendre part et en aban­

donne le jugement aux bons esprits de la métro­

pole.

J'ai déjà prévu, Monsieur, que vous aviez pu

me trouver un peu sévère à l'égard des concep­

tions de l'administration : je pressens encore que

vous pouvez m'adresser un reproche plus fondé,

celui de m'ètre borné à attaquer l'oeuvre ministé­

rielle sans avoir rien proposé pour mettre à sa place.

Pour ce qui est de ma sévérité, depuis que j'ai lu le

Mémorial Bordelais des 19 et 20 décembre, je me

trouve à l'abri de tout reproche, car je n'ai encore

écrit nulle part, comme M. Henri de Fonfrède, que

la combinaison ministérielle réunissait les vices de

tous les systèmes, que cette mesure ruinera les co­

lons au point de les amener à arracher la moitié de

leurs plantations. Je n'ai jamais écrit non plus qu'un

impôt de consommation établi, et rendant une cer­

taine somme, si le gouvernement a besoin d'une

somme double, et qu'il arrive un financier vulgaire,

il double le chiffre de l'impôt et se croit un grand

homme ; le tout orné de commentaires fort piquans

qui m'ont fait songer à cet ancien apophthegme de

35

Page 36: Lettre à un député ou examen du projet de loi de douane

m o n professeur de sixième: Qui bene amat... Ainsi

donc qu'il ne soit plus question de mes observations

raisonnées, et passons aux substitutions que je

désirerais voir s'opérer dans le projet de loi.

C o m m e je ne suis m û par aucun motif de dé­

nigrement ou d'opposition systématique ( car si je

ne suis pas c o m m e M. Henri de Fonfrède l'ami poli­

tique de M. le comte d'Argout, je suis encore

moins son ennemi, nec odio, nec beneficio Othon,

Galba...). Je vous dirai d'abord, Monsieur, que je

ne demande pas mieux que d'adopter, dans le sys­

tème de l'administration, tout ce qui n'est pas trop

manifestement injuste ou contradictoire; ainsi je

rendrai très volontiers hommage à la seule amé­

lioration réelle que j'aperçoive dans le nouveau

projet, savoir l'uniformité de droit sur les sucres

non terrés de diverses nuances, et cet hommage,

si j'y suis disposé, ce n'est pas parce que le gouver­

nement, c o m m e l'a dit M. le ministre, tranche la

difficulté en faveur des colonies, mais parce que cet

encouragement juste et nécessaire d'une bonne

fabrication répond à des efforts qui n'ont pas moins

tourné à l'avantage de la métropole qu'à celui

des colonies , puisqu'au lieu de ces matières infé­

rieures qu'on leur reprochait de produire, elles

sont parvenues, non pas sans sacrifices encore loin

d'être couverts, mais enfin elles sont parvenues dès

183o, ainsi que le reconnaît M . le ministre, à im-

36

Page 37: Lettre à un député ou examen du projet de loi de douane

porter des sucres d'un aspect remarquablement beau

et susceptible d'être immédiatement employé par les

confiseurs et les liqaoristes.

Je ne querellerai pas davantage M. le comte

d'Argout sur la préférence qu'il donne au draw-

back sur les primes, me bornant à lui demander

un rendement mieux calculé qui n'enlève pas aux

sucres des colonies une part frauduleuse dans le

marché de la métropole, et qui n'aille pas au-delà

du but avoué d'assurer au raffineur la possibilité

d'exporter à l'étranger, en tant qu'il trouvera cette

possibilité, dans la simple restitution du droit. J'ai

déjà dit que deux moyens peuvent également con­

duire à ce résultat, soit une fixation plus élevée du

rendement, soit, selon le système anglais, l'obli­

gation d'une réexportation de tous les produits li­

vrés à l'industrie de la raffinerie avec cette desti­

nation ; ce qui coupe court au vague et à l'arbitraire

des fixations du rendement.

En ce qui tient aux produits de notre agricul­

ture coloniale, je crois avoir suffisamment démon­

tré l'injustice et l'inopportunité de toute augmen­

tation de taxe à leur égard.

On a trop dit sans doute que la législation des

primes avait été fondée dans leur seul intérêt, mais

enfin cette industrie des raffineries exportantes ne

fit-elle que donner un cours régulier à 1 écoulement

des sucres indigènes, ainsi qu'il est arrivé dans les

37

Page 38: Lettre à un député ou examen du projet de loi de douane

38

dernières années, prévenait par là jusqu'aux en-

combremens passagers, et contribuait à donner

quelque fixité aux prix de la denrée; ce qui est

toujours pour le spéculateur comme pour le pro­

ducteur un état préférable à ces fluctuations

extrêmes qui causent tant de mécomptes et de

perturbations ruineuses dans les opérations, que

l'éloignement des deux termes entre lesquels elles

s'accomplissent soumettent déjà à tant d'autres

éventualités.

Si le drawback n'est admis que d'après un ren­

dement véritable, comme alors il sera moins favo­

rable au raffineur que la prime, il est permis de

penser qu'il y aura au moins un ralentissement

momentané dans l'industrie du raffineur exportant,

et par conséquent un avilissement plus ou moins

long, et peut-être permanent, de la denrée. Est-ce

là le cas de grever d'un nouvel impôt la production

dont la valeur va se trouver réduite entre les mains

du producteur ?

Combien la chambre de commerce du Havre

jugeait plus sainement la question lorsqu'en 1831

elle demandait qu'on appliquât à la réduction du

droit sur les sucres français les économies que le

gouvernement pouvait faire sur la diminution ou

la suppression des primes! L'accroissement de

consommation signalé par M. d'Argout, malgré

l'énorme élévation du droit, eût sans doute été en-

Page 39: Lettre à un député ou examen du projet de loi de douane

39

core accélérée par la réduction de ce droit. Alors

si cet accroissement eût réellement dépassé la pro­

duction coloniale ou métropolitaine, il eût tou­

jours été facile de trouver des moyens supplémen­

taires d'y satisfaire; et dans les deux cas il en fût

résulté, en dépit de la réduction du droit, un ac­

croissement de recette pour le trésor; mais alors

cet accroissement, dû à l'accroissement des trans­

actions commerciales, à celui de notre navigation

et de tous les bénéfices qui, pour les classes ou­

vrières, en découlent, eût été de bon aloi; car il

eût constitué un profit fiscal, sans détriment des

intérêts ni lésion des véritables principes commer­

ciaux, ce qui n'est pas toujours facile.

Il est bien vrai que, dans ce système, M. le comte

d'Argout n'aurait pu entretenir la chambre de cette

immédiate augmentation de perception de 15 à

20 millions , dont je maintiens toutefois qu'il a

plutôt donné l'espoir que la certitude; mais il se

plaçait dans la voie qui convient au ministre du

commerce ; car, ainsi que le professait en janvier

1822 M. de Saint-Cricq, qui n'était pas alors mi­

nistre du commerce, mais tout bonnement direc­

teur des douanes, « l'intérêt fiscal des douanes doit

«s'effacer devant toute espérance, même contesta-

» ble, d'un meilleur état de choses pour notre agri-

» culture, notre commerce et nos industries. »

En entrant dans la voie des taxes réduites ainsi

Page 40: Lettre à un député ou examen du projet de loi de douane

40

que le demandait la chambre de commerce du

Havre, et que, comme nous sommes fondés à le

croire, le demandait encore cette place, celles de

Rouen , de Nantes , et m ê m e de Bordeaux, le gou­

vernement faisait un pas vers les saines théories

d'une véritable économie politique , car, sans di­

minuer ses recettes , ainsi que l'a éprouvé l'Angle­

terre dont les erremens en ce genre sont bons à

étudier (1) et à suivre, elle enlevait à la contre­

bande un de ses plus grands moyens de succès.

Ici, Monsieur, je suis encore forcé d'ajouter

quelques commentaires aux théories de M. le mi-

nislre du commerce , tant en matière de contre­

bande qu'en matière de taxes élevées. En ne par­

lant à la chambre que du chiffre actuel de la taxe

de consommation sur le sucre en Angleterre, M. le

comte d'Argout ne lui a présenté qu'un côté de la

(1) Mais quand on veut étudier ces erremens il vaut

mieux le faire dans les originaux que dans les traductions

administratives si l'on veut se préserver des contresens,

ainsi qu'il en existe dans les documens traduits probable­

ment par les soins de la douane, et dont il ne serait

pas juste de rendre M . le comte d'Argout responsable.

Exemple : Art. 7 de la loi anglaise , page 43 de l'annexe,

délivré à la Chambre en m ê m e temps que le projet de loi :

Si le sucre a été déclaré ne pas valoir, etc. ; lisez : si le

sucre a été déclaré valoir, etc., ou n'être pas de plus grande

valeur. — If such sugar shall be entered as not being of

greater value than, etc., etc., act of july 1828.

Page 41: Lettre à un député ou examen du projet de loi de douane

question, il vous a bien dit que, puisque les An­

glais, après réductions successives, payaient encore

59 fr. o5c. de taxe, nous pouvions bien, au moyen

d'une augmentation , acquitter sur le même objet

un impôt de 55 fr. ( 1 ) , ce qui n'est pas rigoureuse­

ment logique, mais ce qu'il aurait pu dire s'il eût

été plus désireux d'éclairer toutes les faces de la

question, c'est que l'exagération des taxes est la

plaie la plus profonde du peuple et du gouverne­

ment anglais , que cette exagération date de la

grande guerre, que l'orgueil de l'aristocratie britan­

nique avait forcé la nation de soutenir à outrance

contre la France; qu'à cette époque de besoins pres-

sans, le gouvernement était mal placé pour bien

apprécier le mérite des grosses taxes; qu'en raison

de l'abondance relative des capitaux sinon réels

au moins fictifs, une taxe de 5g fr. o5 c, payée

dans le meilleur papier-monnaie possible, était

moins lourde qu'une taxe de 55 fr. payée en nu­

méraire; que d'ailleurs, en raison même de l'élé­

vation à laquelle ces grosses taxes avaient été long-

tempsmaintenues,l'état actuel de la législation dans

(1) Car il faut se défier des illusions de la douane, qui ne

vous parle que d'un droit de 5o fr., et qui ne chiffre pas

le décime en sus. Ce décime chiffré vaut 5 fr., dont la douane

ne fait remise à personne, ce qui constitue bien, non pas un

impôt de 5o, mais de 55 fr. en tout, et surtout en compte de

deniers il faut être clair.

41

Page 42: Lettre à un député ou examen du projet de loi de douane

42

ce pays pouvait y être considéré comme une amé­

lioration sensible dont les effets ne s'étaient pas

fait long-temps attendre, puisque la consommation,

qui sous l'empire de taxes plus élevées n'avait été

évaluée de 18o5 à 1808 qu'à 2,374,0oo quintaux,

est estimée, avec la taxe réduite, de 1825 à 1828,

à 3,o54,ooo quintaux: différence annuelle en plus,

680,000 quint. (1), c'est-à-dire environ 54,000,000

kilog., sur une population totale d'environ 20 mil­

lions d'âmes, dont il faudrait encore déduire la

plus grande partie de cette malheureuse popula­

tion irlandaise pour laquelle le luxe serait la

p o m m e de terre à discrétion avec ou sans sel (2).

Il est assez piquant que ce chiffre de 34,000,000

kilog. soit celui du prétendu excédant de nos cul­

tures coloniales, qui cause tant de sollicitude à

M. le ministre du commerce, et qui, s'il existait, se­

rait certainement bien facile à faire entrer dans la

consommation au profit commun du trésor et du

(1) The Courrier, 27 septembre 1832.

(2) M . Henri Fonfrède, Mémorial bordelais du 23 cou

rant, porte la consommation de l'Angleterre encore plus

haut, car il l'évalue à 11 kilog. par tête , et il ajoute que le

droit de consommation relativement réduit a rendu au tré­

sor, en 183o, 153,ooo,ooo de fr. , c'est-à-dire, ajoute-t-ii,

presque le double de la totalité des droits de douane sur

toutes les marchandises introduites en France pendant ra

m ê m e année: aussi finit-il par dire : Concluez.

Page 43: Lettre à un député ou examen du projet de loi de douane

consommateur, non pas par une une augmenta­

tion, mais par une réduction de la taxe.

Quant à la question de contrebande qu'il est

difficile de séparer de la première , n'en déplaise à

l'administration, toutes les ressources de l'esprit le

plus délié ne suffiraient point à prouver que l'exa­

gération des taxes actuelles ne soit une prime très

efficace en faveur du commerce frauduleux qui

exerce une influence si fâcheuse sur la moralité de

toutes les classes de la société qui s'y livrent. Les

journaux du Havre ont souvent retenti de plain­

tes contre la contrebande pratiquée dans le nord

de la France; M. Fonfrède (Mémorial du 19 dé­

cembre), nous dit que les terrés havane introduits

en fraude tuent la consommation des raffinés dans

tout le midi de France.

En Angleterre la race des smogglers (contre­

bandiers maritimes) était arrivée à un tel degré de

dépravation et de criminelle audace, qu'il était bien

rare que la déportation pût suffire aux peines en­

courues par cette espèce de malfaiteurs. Cepen­

dant la sévérité des lois ne pouvait rien contre

l'appât d'un bénéfice assuré par l'exagération des

droits, notamment ceux mis sur les spiritueux. La

législation fiscale dut se modifier, non seulement

pour faire rentrer l'industrie dans des voies plus

honorables, mais encore pour donner relâche aux

geôliers et même au bourreau , et il arriva que les

43

Page 44: Lettre à un député ou examen du projet de loi de douane

44

recettes du trésor un instant affectées, obtinrent

bientôt après un accroissement de produits qui ne

resta pas dans les termes d'une simple compensa­

tion. Grâce à Dieu , nous n'avons point vu sur nos

frontières de terre et de mer ces troupes de forbans

et de bandits qui, comme en Angleterre et dans le

midi de l'Espagne, ont souvent forcé la douane à

des espèces de batailles rangées ; mais enfin la ruse

fait quelquefois ce que n'eût pas fait la violence.

Eût-on une armée de surveillans bien éprouvés ce

serait toujours une mauvaise mesure administra­

tive que de les placer dans une situation qui les

exposât à des tentations telles qu'ils ne pussent

rester tout à la fois en dehors du délit et à l'abri

du soupçon.

Entre autres plaintes graves qui ont trouvé

place dans les journaux, en février dernier, le Jour­

nal de Rouen, répété par le Journal de commerce de

Paris du 11 du même mois, affirmait et prouvait

que sous le régime des primes le raffineur avait

plus de bénéfice à livrer son sucre à 10 sous en

Suisse, qu'à le livrer à 20 la livre à la consomma­

tion du royaume. Tout système de drawback basé

sur un rendement mal calculé aurait les mêmes ré­

sultats. Certes j'aurais regret au temps que je per­

drais à prouver qu'un tel état de choses est insépa­

rable d'une contrebande active; car lorsqu'il y a

au moins 100 p. °/0 à gagner, il ne s'agit plus d'exa-

Page 45: Lettre à un député ou examen du projet de loi de douane

4 5

miner avec M. le ministre « s'il y a autant de profit à

» importer en fraude des sucres raffinés étrangers,

» que de réimporter des sucres français, » ni m ê m e

d'examiner les difficultés d'introduction d'une ma­

tière encombrante qu'on ne peut diviser en petits

ballots, et qu'il faut garantir de l'humidité. En tout,

pays (et il n'est guère probable que celui-ci fasse

une complète exception), lorsqu'il y a d'aussi

énormes bénéfices à faire la fraude, on doit quel­

quefois pouvoir échapper aux difficultés de la ré­

introduction par un sacrifice fait en faveur de la

non sortie.

En m e résumant donc, Monsieur, et en ne rai­

sonnant que clans le propre système du nouveau

projet de loi, telle serait, en dernière analyse, la

rédaction que je désirerais voir mettre à la place de

celle du ministre :

Art. Ier. « A partir du 1er juillet 1833, les primes

» à la Sortie des sucres raffinés, fixées par la loi de

» 1816, sont supprimées (1).

(1) Le système d'une prime décroissante par intervalle de

six en six mois serait bien préférable et bien plus juste. Si je

n'en fais pas ici la demande formelle, c'est que j'ai toute

raison de croire que les organes que les raffineurs et les ar­

mateurs de nos ports trouveront pour la défense de leurs in­

térêts , conduiront la Chambre à cet acte de justice, où les

colonies ne sont pas seules intéressées. Mais en tout état de

cause leur éloignement doit suffire à prouver qu'on ne peut,

Page 46: Lettre à un député ou examen du projet de loi de douane

46

Art. II. « Les droits payés à l'importation des su-

» cres étrangers ou français, tels qu'ils sont fixés

» par les tarifs en vigueur, seront restitués à l'ex-

• portation de ces mêmes matières, pourvu que

«dans un délai de quatre mois le raffineur expor­

tant justifie par des quittances de douane des

» paiemens par lui lors effectués, et qu'en même

«temps il justifie de la sortie de tous les résidus de

ces matières au taux de 70 °/0 de raffinés (comme

«le propose le ministre). Cette sortie conservera

«aux mélasses le droit de la prime affectée à l'ex-

» portation de ce produit par la loi de 1826(1).

Art. III. « Tous les sucres des colonies françai-

«ses, autres que terrés, de quelque nuance qu'ils

«soient, seront soumis à la taxe uniforme du droit

«imposé aujourd'hui sur les sucres bruts de ces

«mêmes colonies, sans qu'aucune augmentation

«puisse être faite à ce tarif avant cinq ans.

sans commettre une iniquité qui équivaudrait à une confis­

cation , leur enlever une part proportionnelle dans le béné­

fice des délais.

(1) Cette disposition m'a paru équitablepour le raffineur,

et en m ê m e temps favorable à notre navigation du nord,

l'Allemagne septentrionale ayant absorbé la plus grande

partie des 4,ooo,ooo kilog. de mélasse que nous avons ex­

portées en 1831. ( Voir le Tableau du commerce. )

Page 47: Lettre à un député ou examen du projet de loi de douane

47

L'article 3 du projet ministériel deviendrait

alors l'article 4 de celui-ci, si la chambre se déci­

dait pour l'établissement de l'impôt proposé sur le

sucre de betteraves.

Je vous ai déjà dit, Monsieur, pourquoi je trou­

vais superflu de me prononcer sur cette question.

Telle est, dans l'hypothèse ministérielle (1),

mon opinion personnelle sur le projet de loi sou­

mis à la Chambre. Il est probable que le conseil

des délégués coloniaux ne tardera pas non plus à

faire connaître aux Chambres le point de vue sous

lequel il envisage les propositions du ministre.

Sans rien préjuger encore sur les motifs que le

conseil aura pour s'écarter plus ou moins des dispo­

sitions du projet présenté , vous voyez, Monsieur,

que, quelque bonnes raisons que je pense vous

(1) Je dis dans l'hypothèse ministérielle, car si j'avais osé

m'en écarter tout-à-fait (ce que j'aurais certainement fait

si je n'avais été retenu par la crainte d'affecter m ê m e m o ­

mentanément les recettes du trésor, je m e serais rallié bien

plus volontiers encore aux propositions de diverses chambres

de commerce, dont une entres autres, si je suis bien informé,

demande :

1° Réduction de la taxe sur les sucres

français à 3o fr. les 100 kilog.

2° Réduction sur les sucres étran­

gers à . 6o fr.

Conservation de la prime au taux de 6o fr.

pour les raffinés obtenus des sucres de toute origine.

Page 48: Lettre à un député ou examen du projet de loi de douane

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avoir fournies en faveur d'un système de réduction

de la taxe sur nos sucres, je n'insiste pas personnel­

lement en ce moment sur cette condition de protec­

tion pour notre industrie coloniale, quelque facile

que soit à justifier cette protection dans le qua­

druple intérêt du producteur, du consommateur,

de la navigation, et même du trésor. Mais si je m'en

abstiens, c'est uniquement pour ne pas courir le

risque, m ê m e éventuel, de porter en ce moment

quelque incertitude dans les recetttes de l'État, et

aussi parce que j'aime à penser que dans un meil­

leur avenir, rendu plus probable et pius proche

sans doute par la gloire récente de nos armes, la

réduction des dépenses générales du royaume per­

mettra d'envisager sans effroi l'idée d'un dégrève­

ment qui tournerait bien certainement au profit de

notre mouvement commercial, et ne serait en

m ê m e temps qu'une compensation équitable,

mais tardive, aux souffrances que, pendant les

deux dernières années, ont éprouvées les colonies

françaises, sans qu'elles aient reçu aucuns des se­

cours que la métropole n'a point refusées à ses au­

tres industries malheureuses.

Vous voyez donc, Monsieur, que je ne demande

pas mieux que de laisser à M. d'Argout ce qu'il y

a de plus réel dans l'espoir qu'il a voulu donner à

la chambre d'une augmentation actuelle de per­

ception.

Page 49: Lettre à un député ou examen du projet de loi de douane

4 9

4

Si j'ai bonne mémoire, M. le ministre des finan­

ces, en sa qualité de rapporteur des recettes, ne de­

mandait, l'année dernière, aux consommateurs de

sucre et aux industries sucrières, qu'un sacrifice

de 4 à 5 millions de francs; peu de jours après son

avènement aux affaires, un article du Nouvelliste,

portant tout-à-fait le cachet d'un e émanation du

cabinet ministériel, donnait lieu de penser qu'à ce

sujet la conviction du rapporteur ministre n'avait

pas changé, et que ses prétentions en faveur du tré­

sor n'étaient pas augmentées. Ce sacrifice de 4 à

5 millions, il sera facile de l'obtenir, soit parla dimi­

nution des primes, soit par leur suppression et la

substitution d'un drawback sincère et à l'abri de

la fraude tel que je le propose, sans qu'il soit be­

soin pour cela de faire peser un double fardeau

sur la production coloniale.

Quant aux 15 ou 20 millions de francs de M. le

comte d'Argout, je n'hésite pas à affirmer que tout

en écrasant cette production agricole et indus­

trielle, il ne les obtiendra pas de son système, qui

me semble mieux calculé pour élever que pour ré­

duire la somme de protection à accorder aux raf-

fineurs exportans, avec cette seule diffiérence que

cette fois ce serait au profit exclusif des sucres

étrangers, c'est-à-dire au mépris de toutes les ga­

ranties, que dans son Rapport au roi, déjà cité, et

dans les séances du 8 et 21 décembre, M. le comte

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d'Argout a semblé vouloir assurer à l'existence et

à la prospérité de nos colonies, ainsi qu'au main­

tien du système qui règle en ce moment leurs

rapports avec la métropole.

J'ai l'honneur d'être avec une haute considéra­

tion,

Monsieur,

Votre très humble et très obéissant

serviteur,

B o n de C O O L S ,

Délégué de la Martinique.

Paris, 31 décembre 1832.

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