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8/6/2019 lettre Strauss collège de france http://slidepdf.com/reader/full/lettre-strauss-college-de-france 1/80 La lettre Novembre 2008 Claude Lévi-Strauss centième anniversaire Hors série du Collège de Franc

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La lettre

N o v e m b r e 2 0 0 8

Claude Lévi-Strauss

centième anniversaire

Hors série

du Collège de Franc

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pages

S O M M A I R E

Claude Lévi-Strauss, une présentationPhilippe Descola 4

Entretien avec Françoise Héritier 9Réflexions sur la réception de deuxouvrages de Claude Lévi-Strauss

Maurice Bloch 16Le ciel étoilé de Claude Lévi-Strauss

  Jean-Claude Pecker 21Bricoler à la bonne distance

Michel Zink 26Entretien avec Philippe Descola 29Entretien avec Eduardo Viveiros de Castro 34

Textes de Claude Lévi-StraussDis-moi quels champignons... (1958) 38L’humanité, c’est quoi ? (1960) 41La leçon de sagesse des vaches folles (1996) 46

Claude Lévi-Strauss et le Collège de FranceRapport pour la création d’une chaired’Anthropologie sociale (1958)

Maurice Merleau-Ponty 49Présentation de la candidature deClaude Lévi-Strauss à la chaired’Anthropologie sociale (1959)

Maurice Merleau-Ponty 54Leçon inaugurale au Collège de France

Claude Lévi-Strauss (1960, extrait) 56Comment Claude Lévi-Strauss préserval’un des rites de la leçon inaugurale

Yves Laporte 57Au Collège de France

Extrait de De près et de loin 60Le Laboratoire d’anthropologie sociale

Nicole Belmont 62Le fichier des Human Relations Area Files

Marion Abélès 66Lévi-Strauss et la Côte nord-ouest

Marie Mauzé 68Le regard de l’anthropologue

Salvatore D’Onofrio 71Le moment Lévi-Strauss de la Pléiade

Marie Mauzé 73

La chaire Lévi-Strauss à l’Universitéde São Paulo

Olivier Guillaume 75Claude Lévi-Strauss, un parcours dansle siècle

Colloque au Collège de France 76Publications liées au centenaire deClaude Lévi-Strauss 77

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Qu’un homme devienne centenaire, c’est aujour-d'hui presque banal, et c’est un événement privé.Quand cet homme a parcouru le siècle et le mondeen transformant, de près ou de loin, certaines desreprésentations de ses contemporains et leur façonde se connaître eux-mêmes, c’est un événementqui appelle plus de solennité. La communautéintellectuelle, en France et dans beaucoup de paysdu monde, célèbre la personne et l’œuvre deClaude Lévi-Strauss à l’occasion de ses cent ans.Il était naturel que l’institution qui s’honore ets’enorgueillit aujourd'hui de l’avoir élu parmi lessiens lui rendît hommage, sous la forme d’uncolloque qui se tient au Collège de France le

25 novembre prochain, delieu les jours suivants, ainsi qde la Lettre du Collège de F

À personnalité exceptionn

tionnel : je remercie les collèont préparé cette LettreClaude Lévi-Strauss de latémoignage de la grandeestunanime et chaleureuse queseurs du Collège, qu’ils aidirectement à l’entreprise.

Administra

L’anthropologie est un art de l’éloignement,dit Claude Lévi-Strauss.À bonne distance, les formes se dégagent du fouillis duréel, on peut percevoir la diversité comme variation etentendre le thème. À bonne distance, le fourmillement

des étoiles peut s’ordonner en constellations. Maistandis que les constellations ne sont guère que la projec-tion sur le divers du ciel de motifs mnémotechniques –utiles à l’orientation et aux usages humains, mais sanspertinence quant aux astres eux-mêmes –, LesStructures élémentaires de la parenté et lesMythologiques décèlent, parmi les multiples reliefs despaysages culturels, ceux qui révèlent l’affleurement ensurface de structures profondes qui organisent l’expé-

rience humaine.

C’est le propre de l’anthropologue de parcourir lespaysages ethnologiques les plus éloignés, de s’avancerjusqu’aux marches des territoires humains, pour fina-lement, observant le lointain, nous éclairer sur le procheet nous parler de nous Comme d’autres grands huma

Le présent numéro a tenté mClaude Lévi-Strauss, selon lede près et de loin, pour éclal’homme et de l’œuvre. Outriques, les articles et interv

Collège de France et d’anthroun témoignage sur l’œuvre insqu’occupe Lévi-Strauss danset dans le monde. Deux teMerleau-Ponty (ses rapportsseurs du Collège de France poet la présentation du candidcomprendre la réception deau tournant des années 1960

lui-même qui sont republiés i1996, démentent la réputatiocritiques d’être abstrait et coview parue dans L’Express etravail de l’ethnologue et delogie. D’autres extraits préselent les accents humanistes d

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Claude Lévi-Strauss est sans doute l’anthropologue dontl’œuvre aura exercé la plus grande influence auXXe siècle. Son nom est indissociable de ce qu’à sa suiteon a appelé l’anthropologie structurale. Dans le foison-nement des approches qu’a connu le champ des sciencessociales au XXe siècle, celle-ci occupe une position parti-culière : ni relecture hardie d’un système explicatif déjàreconnu, ni théorie régionale d’une classe de phéno-mènes circonscrits, l’anthropologie structurale est

d’abord une méthode de connaissance originale, forgéedans le traitement de problèmes particuliers à une disci-pline, mais dont l’objet est en principe si vaste et lafécondité si remarquable, qu’elle a rapidement exercéson influence très au-delà du champ de recherche qui l’avu naître. Rarement aussi un modèle d’analyse du faitsocial aura-t-il été si étroitement confondu avec lapersonne de son créateur, au point que le structuralismeanthropologique a pu parfois apparaître comme un

système de pensée rebelle à toute application par d’autresque celui qui en était à l’origine. Lévi-Strauss en formuleles principes dès son séjour aux États-Unis, à la suitede sa découverte de la linguistique structurale et destravaux de N. Troubetzkoy et de R. Jakobson(rencontré à New York, ce dernier deviendra un ami).Dès cette époque en effet il est persuadé que l’ethno

la pensée et celles du mlogie un modèle exemintuition. Ce modèleremarquables : il abanconscients pour priviléinconsciente ; il se dondes termes, mais les rtache à montrer queenfin, il vise à découv

époque, Lévi-Straussdémarches combinéesproblèmes de parentéqu’il décèle entre les pdésigner les parents. Léléments dont la signifcombinés en systèmestionnement inconscienen maints endroits du

à des lois universelles.

Toutes les idées-force ddéjà présentes dans cd’échange, issu d’un al’Essai sur le don de Mdevant de la scène dans

Claude Lévi-Strauss,une présentation*

par Philippe Descola

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vers universel et négatif d’une règle de réciprocitépositive

commandant l’échangedes femmes dans les systèmes d’al-liance matrimoniale. Cette perspective renouvelait radi-calement l’approche des phénomènes de parenté endélaissant le point de vue de la sociologie des modes defiliation et des principes de constitution des groupes dedescendance comme celui de leur reconstruction histo-rique conjecturale, où s’étaient jusque là cantonnés lefonctionnalisme et l’évolutionnisme. Elle y substituait unethéorie générale de l’alliance de mariage qui éclaire en

retour la nature et le fonctionnement des unités socialesen jeu dans la parenté – clans, lignages, groupesexogames – tout en les replaçant dans un ensemble plusvaste. Elle fondait en outre la généralité et la récurrencedes règles ordonnant les systèmes d’échangematrimonialsur les structures de l’esprit, seule base logique permettant,selon Lévi-Strauss, de garantir le postulat de l’unité del’homme dans la diversité de ses productions culturelles.En témoigne l’organisation dualiste, un système extrê-mement commun dans lequel les membres de la commu-nauté sont répartis en deux moitiés qui entretiennent toutun éventail de relations complexes d’interdépendance.L’institution révèle nettement les mécanismes classifica-toires de la parenté – chacun se définit par l’appartenanceà sa moitié – et au-delà, le rôle crucial du principede réci-procité, dont l’organisation dualiste apparaît comme laréalisation la plus directe, mais qui peut également s’in-

carner dans de multiples autres formes de vie sociale.Entre toutes ces formes, affirme Lévi-Strauss, il y a diffé-rence de degré et non de nature, car leur base communerepose sur des structures fondamentales de l’esprithumain : le principe de réciprocité, l’exigence de la règlecomme règle et le caractère synthétique du don, c’est-à-dire le fait que le transfert consenti d’une valeur d’un indi-vidu à un autre change ceux-ci en partenaires et ajoute unequalité nouvelle à la valeur transférée(2). C’est donc, en

définitive, dans la nature de l’homme, dans des schèmes

formels et universels profon

esprit, maispas toujours conscréside le fondement des institulargement, de la culture elle-mde l’inceste marque l’émergenfoi n’est idéaliste qu’en appareélémentaires de la parenté et tLévi-Strauss se dit convaincudifférent pas de celles qui ophysique et dans la réalité soc

qu’un des aspects.

L’intitulé que Lévi-Strauss ad’études à la VIe section de l’EFrance est le même que celui qsa chaire au Collège de FranceLe choix de ces termes définperspective qu’il a apporté auelle était employée depuis deanglo-saxons, l’expression « ainusitée en France au sortir dprojet universaliste propre auphiques, elle impliquait égalmodes et des objets de connphie et l’ethnologie sont les auun ordre de dignité décroissanarticulation interne dans les

démarche scientifique(3)

. Analygraphie correspond aux premc’est l’enquête sur le terrain etoutes sortes sur une société panairement à une étude monogle temps et dans l’espace. L’etgraphie et représente un premà des généralisations suffisamrégional (ensemble de sociét

affinités) ou thématique (attenphénomène ou de pratique csociétés) pour que le recougraphiques secondaires en conla mise au jour de propriétéattendu. Plus rarement menreprésente le dernier moment

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aspirer qu’à découper dans cette trame immense des

matrices de signification fragmentées qu’un autre chemi-nement aurait peut-être ignorées. Récit d’un itinérairedans la terre ronde des mythes plutôt que géographieuniverselle de leurs réseaux, les Mythologiques invitent àreprendre un voyage que Lévi-Strauss lui-même n’a cesséde poursuivre.

L’œuvre scientifique considérable de Lévi-Strauss ne doitpas faire oublier l’importance de sa réflexion morale :

dénonçant sans relâche l’appauvrissement conjoint de ladiversité des cultures et des espèces naturelles, il atoujours vu dans l’anthropologie un instrument critiquedes préjugés, notamment raciaux, en même temps qu’unmoyen de mettre en œuvre un humanisme « généra-lisé », c’est-à-dire, non plus, comme à la Renaissance,limité aux seules sociétés occidentales, mais prenant encompte l’expérience et les savoirs de l’ensemble dessociétés humaines passées et présentes. Loin de conduirevers une improbable civilisation mondiale abolissant lessingularités, cet humanisme prend acte au contraire dece que, en matière esthétique et spirituelle, toute créa-tion véritable impose à un individu comme à une culturede puiser dans ses particularismes pour mieux lescontraster avec d’autres valeurs. La question esthétiqueforme du reste un fil conducteur dans la pensée de Lévi-Strauss, non seulement parce qu’il a considéré les formes

d’expression artistiques – ou perçues comme telles – dessociétés non occidentales à la fois comme un défi à larationalité de l’Occident et un objet légitime de savoiranthropologique, mais aussi parce que son œuvre senourrit d’une réflexion profonde sur le rôle de lamusique et de la peinture comme médiations entre lesensible et l’intelligible qui fait de celle-ci une contribu-tion de premier plan à la théorie esthétique.

L’influence de l’anthropologie structurale s’est déve-loppée de diverses manières selon les époques et selon letype de milieu intellectuel qu’elle touchait. Au sortir dela guerre, les ethnologues français de la génération deLévi-Strauss (Soustelle, Griaule, Leroi-Gourhan) étaienteux-mêmes trop engagés dans leurs propres œuvres poursubir profondément l’influence de ses idées aussi est ce

rant à la totalité des postulat

des conclusions qui définissetreprise lévi-straussienne. Noles chercheurs français qui sel’on pourrait appeler une ethnl’homogénéité est d’ailleurs mest vue de l’étranger en raismanifeste par rapport à d’autgiques nationales. Quelquesque leur somme constitue

partagé : la conviction que l’ad’élucider la variabilité apsociaux et culturels en mettaminimaux, c’est-à-dire des rél’organisation de systèmes ded’objets ou de rapports dontplus souvent à des règles incoces invariants sont fondés surrielles (la structure du cerveaugiques de l’homme, les mproductive ou les propriétés penvironnement) comme surhistoriques de la vie sociaaccordée aux analyses synchdiachroniques, non par rejetrique, mais par refus de la po

Principaux ouvrages de Cla

1948 La Vie familiale et sociaParis, Société des Amér

1949 Les Structures élémentParis - La Haye, Mout

1950 « Introduction à l’œuvin Marcel Mauss, SociParis, PUF.

1955 Tristes tropiques.Paris, Plon, collection T

1958 Anthropologie structur1961 (1952) Race et histoire.1962a La Pensée sauvage. Par1962b Le Totémisme aujourd

Paris, Presses universit

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Éléments biographiques

Claude Lévi-Strauss est né à Bruxelles le 28 novembre1908 de parents français. Après des études secondaireset supérieures à Paris (licence de droit, agrégation dephilosophie en 1931), il est nommé professeur de philo-sophie aux lycées de Mont-de-Marsan, puis de Laon(1932-1934). Membre de la mission universitaire fran-çaise au Brésil (avec notamment Fernand Braudel etPierre Deffontaines), il enseigne la sociologie et l’ethno-logie de 1935 à 1938 à la toute jeune université de SãoPaulo et entreprend plusieurs expéditions ethnogra-phiques dans le Mato Grosso puis en Amazonie avant

de revenir en France à la veille de la guerre qu’il faitcomme agent de liaison. Démobilisé après l’armisticeet frappé par les lois antisémites de Vichy, Lévi-Straussparvient à quitter la France pour les États-Unis où ilenseigne à la New School for Social Research de NewYork. Engagé volontaire dans les Forces françaiseslibres, affecté à la mission scientifique française auxÉtats-Unis, il fonde (avec Henri Focillon, AlexandreKoyré et Jacques Maritain, entre autres) l’École libre

des hautes études de New York, dont il devient le secré-

taire général. Rappelétère des Affaires étrangen 1945 pour y occuculturel près l’ambasFrance en 1948, il sousur Les Structures élémcomplémentaire portedes Indiens Nambikwexclusivement à son tLucien Febvre en 1948de l’École pratique de

des hautes études endevient sous-directeuret est nommé la mêmVe section de l’École prdes Religions comparéest ensuite professeurchaire d’Anthropologioù il prend sa retraiteLaboratoire d’anthrop

1960. Il entre à l’Acad

à rendre compte de la genèse d’un système avant d’en

avoir défini la structure.

Enfin, et parce qu’elle était une méthode de connais-sance extensible par principe à n’importe quel phéno-mène social et culturel, l’anthropologie structurale aaussi su trouver une audience hors du champ tradi-tionnellement couvert par l’ethnologie. Parmi certainsphilosophes, qui accueillaient sans déplaisir une penséerécusant le primat de la conscience et du sujet (Merleau-

Ponty, Foucault, Althusser, Deleuze). Parmi les histo-

riens aussi, surtout les

spécialistes des sociétéautant par la méthodetion d’appréhender« regard éloigné » dontant chez un peuple exriens comme J.-P. Verndes analyses tout à faitcombinée à celle decontribua de façon déc

structuraliste » des étu

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En arrivant au Collège de France au moment oùClaude Lévi-Strauss en partait, vous avez pris en quelquesorte sa succession. Comment s’est déroulée cette succes-sion ? Quels rapports aviez-vous avec lui ?

Il faut parler plutôt d’une succession intellectuelle, puisqued’une part, du point de vue institutionnel, les chaires duCollège de France n’ont pas de succession et que, d’autrepart, lorsque j’ai été élue au Collège en 1981, Lévi-Strauss y

était encore titulaire de la sienne.L’enchaînement s’est bien passé, d’abord parce que, d’unecertaine façon, Lévi-Strauss m’avait lui-même choisie : parmiles prétendant(e)s possibles, j’étais sans doute celle quicorrespondait le mieux à ses préoccupations théoriques,notamment dans le domaine de la parenté, qui avait été songrand sujet de recherche. En outre, j’ai beaucoup de respectet d’admiration pour l’œuvre, et pour l’homme une grande

affection et un attachement qui n’ont jamais varié depuis queje le connais.

 Je ne veux pas dire pour autant que nous entretenions desrapports privilégiés ou une communication très étroite :Claude Lévi-Strauss est un personnage très peu familier, etmême assez distant austère du moins est ce l’image qu’il

frère/sœur, mais il n’en a pas fmodèles qu’il a établis pour comontré comment la création dusité pour les groupes humains trouver des modes de coexistenqui est la condition essentielle dmonial avec les autres groupeéchanges a requis la prohibitionun homme de ne plus prendre

groupe, mais d’échanger ses sœfemmes provenant d’autres grouet exogamie subséquente induisenécessaire en particulier de staimpose l’union institutionnelle enlons traditionnellement le mariades tâches entre les conjoints. sentent le modèle lévi-straussienPour Lévi-Strauss, cette réparti

sein du mariage qui lie des groulider le rapport de dépendance enqui sont unis par ces liens du faitEn les rendant dépendants l’un dde la vie domestique, par la réparend durable de fait le mariagmarqueofficiellede l’exogamie

Claude Lévi-Straussvu par Françoise Héritier 

interview

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à celui d’une tribu en Chine, dont Lévi-Strauss lui-même a

montré, dans un numéro spécial de L’Homme(1) consacré auxquestions de parenté, qu’elle représente simplement une desbutées extrêmes d’un vecteur qui mène de la matrilinéarité laplus extrême à la patrilinéarité la plus extrême. Théoriquement,le mariage n’y existe pas et la paternité n’est pas reconnue. Celane veut pas dire pour autant qu’il n’y a pas d’union stable entreun homme et une femme, ni même de paternité sensible et affi-chée entre un homme et des enfants. Sur la population en ques-tion, les Na, j’ai trouvé récemment une notation intéressante

dans un ouvrage qu’on m’a envoyé. Ce n’est pas un ouvragescientifique, mais l’autobiographie d’une chanteuse d’opéraoriginaire de cette ethnie Na. La narratrice relate son enfanceet sa jeunesse dans cette société de femmes, où les hommespartaient faire du commerce et des voyages au long cours, etrevenaient de temps en temps. Elle raconte sa joie de courir àla rencontre de« son père » lors de ses retours de voyage et lebonheur partagé des retrouvailles. Il est évident qu’elle savaitparfaitement qui était son père même s’il n’y avait pas eu decérémonie « officielle » au cours de laquelle une femme auraitété donnée en mariage à un homme et même s’il n’y avait pasde résidence commune permanente. Sa mère affichait les mêmessentiments. Il s’agissait de liens moins formels, mais il y avaitbien quelque chose qui correspondait au résultat de l’unionentre un homme et une femme avec leur descendance.

Malgré cela, les explica

tion sexuelle des tâches satisfaisantes. Il m’esmanquait à cette argumSi effectivement les gropour survivre et de contplutôt que de s’entretuele fait que ce soient des het non pas l’inverse, c’estinégalité et un droit rec

disposer du corps de leule quatrième pilier des sétant, dans le schéma l’inceste, l’exogamie et llie entre eux des famillesexuelle des tâches. Ce qrépartition sexuelle des rentielle des sexes »(2

grande que celle que luma part, je donne mêmele rôle décisif. Sur ce poiété en désaccord. Donregard critique mais con

 Je considère que son œappuyée sur elle pour mà l’infini sur le caractèreniste de l’œuvre, mais o

cette pensée. Cette différence de différence des sexes est-

Certainement. Lévi-StraD’une certaine manièredes tâches est bonne, qenfantent, il est normal q

et du domestique, etc. Cn’est pas de l’aveuglempeut pas suspecter d’avequ’il entérine une situatisoi. Sur ce point, il n’a ppoursuivre l’analyse coc’est parce que je suis

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Quel homme est Claude Lévi-Strauss ?

C’est un hommed’abord extrêmement courtois. Misanthropeen général, sans doute, et bienveillant dans ses rapports avecles gens, très sensible, malgré l’image d’homme froid et loin-tain qui lui est souvent attachée. Dans son ancien bureau duCollège de France, place Marcelin-Berthelot, il avait unemanière très particulière d’accueillir ses visiteurs et de lesconduire en les tenant par la main jusqu’à des fauteuils de cuirassez profonds et un peu défoncés dont on avait le plus grand

mal à s’extraire. C’est aussi un homme qui garde toujours unecertaine réserve. Au Laboratoire d’anthropologie sociale, ilétait plus facile de communiquer avec lui dans le cadre d’unséminaire que dans des conversations en tête à tête. Il préfé-rait de beaucoup s’exprimer en public. Il attendait de ses cher-cheurs qu’ils viennent exposer leurs travaux à son séminaire.Là, il prenait le temps d’écouter et faisait ensuite une synthèsede ce qu’il avait entendu et posait des questions très perti-nentes. Ses commentaires étaient toujours éclairants.

Mais c’est surtout un homme d’écrit. Lorsque vous lui écriviezdu terrain, pour lui faire part d’un désarroi, d’une difficulté,d’une curiosité, il vous répondait toujours par des lettresmanuscrites assez longues qui reprenaient la question posée oul’éludaient,mais de manière constructive. Je me souviens d’unelettre qu’il m’a écrite lors d’une de mes premières missions enAfrique, chez les Samo. Je lui disais mon étonnement d’avoir

trouvé une société où chaque village était divisé en deuxmoitiés : moitié de la terre et moitié de la pluie. Lévi-Straussavait théorisé les sociétés à moitiés, qu’on trouve surtout enAmérique latine, et je lui demandais s’il pensait qu’il pouvaits’agir du même type d’organisation. Il en doutait – à justetitre. Mais sa réponse contenait une remarque quim’estrestéeen mémoire. Il disait en substance : « ma chère Françoise, cequ’il convient de faire sur le terrain, ce n’est pas d’essayer deretrouver ce qu’on a pu vous apprendre ou ce que vous avez

pu lire,mais il faut vous laisser porter par ce qui s’étale devantvos yeux ». Il faut d’abord observer, et interpréter ensuite. Ilfaut se laisser porter par le terrain. Ce n’étaient que quelquesmots, et c’était fondamental. J’ai repris la remarque à moncompte et j’en ai fait bénéficier mes étudiants.

C’est assez frappant pour quelqu’un dont on a dit qu’il

C’est la raison pour laquelle il

prises – Les Structures élémenMythologiques – qui nécessitabibliothèque. Cela ne veut pasIndiens dont il a partagé la vieplus du désenchantement et dutoire qu’il porte sur le mondeaussi quelque chose qui n’est nla compassion, mais qui ressemnion immédiate, d’empathie,

dans l’espèce humaine. J’aimaccompagne un petit groupe C’est la nuit, il fait froid, il pleufrileusement autour d’un feu,un abri de branchages et de fgens qui sont là, pelotonnés les phrase merveilleuse où il dit quforme la plus touchante qu’il ahumaine et de l’affection qui psociété(3).

« Dans la savane obscure, les feAutour du foyer, seule protectiodescend, derrière le frêle paravebranchages hâtivement plantés dredoute le vent ou la pluie ; auppauvres objets qui constituent tcouchés à même la terre qui s’é

d’autres bandes également hostiétroitement enlacés, se perçoivel’autre le soutien, le réconfort, ldifficultés quotidiennes et la métemps à autre, envahit l’âme napour la première fois, campe daIndiens, se sent pris d’angoisse espectacle de cette humanité si toécrasée, semble-t-il, contre le soquelque implacable cataclysme

des feux vacillants. Il circule à tbroussailles, évitant de heurter udont on devine les chauds refletcette misère est animée de chuchcouples s’étreignent comme danperdue ; les caresses ne s’interrol’étranger. On devine chez tous

f d

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Il y a une grande pudeur dans son expression de

l’amour de l’humanité ou peut-être plus justement deshumains, qui est peut-être la face cachée de sa misan-thropie.

La misanthropie a pour objet l’espèce humaine et surtout lecôté destructeur de nos civilisations, elle ne vise pas les indi-vidus.

On le ressent dans les photographies. Il a souvent saisi

des moments de joie, de fraîcheur, de grâce qui sonttouchants. On a l’impression qu’elles parlent immédiate-ment, bien que Lévi-Strauss pense qu’en réalité, chacun ymet ce qu’il veut y voir. Il se méfie de l’usage qu’on faitdela photographie.

Il faut mentionner aussi son goût esthétique. Il y a quelquesannées est paru un ouvrage de photographies(4) réalisées parLuiz de Castro Faria, un des accompagnateurs brésiliens de

Lévi-Strauss lors de l’expédition de 1938 dans la Serra doNorte. Le livre présente, comme l’indique son titre, Un autreregard . En comparant les clichés, on a le sentiment que,photographiant la même scène, bien souvent Lévi-Straussavait tendance à évacuer du champ – à la prise de vue ou enrecadrant l’image publiée –,ce qui pouvait paraître laid, ce quipouvait évoquer le monde contemporain et l’invasion, jusquedans la forêt amazonienne, des déchets du monde industriel.

Ce n’est pas pour camoufler la réalité, qu’il connaissait parfai-tement, mais probablement par souci esthétique. Il avait envieque ses photographies soient belles et rendent ainsi hommageà leurs sujets.

Il s’est beaucoup intéressé à l’esthétique du corps, auxtatouages et aux peintures corporelles.

Il en fait l’inventaire, avec cet intérêt esthétique qui est toujours

présent chez lui. La Voie des masques témoigne du mêmeintérêt, bien qu’il s’agisse d’une analyse structurale. Lévi-Strauss est très sensible à la beauté des objets, il a un goût pourles décorations, pour les tatouages, les peintures, les masques,etc. Dans sa jeunesse, il aurait aimé, dit-il, faire de la mise enscène. Il a rapporté de ses missions des objets magnifiquesque l’on peut voir au Musée du quai Branly C’est une

C’est aussi une manière

d’obliger l’Occident à svivent dans des univers tient pour arriérés, incultont en fait dans les usagrien à envier à toutes no

A-t-il réussi à modifconsidère avec curiosité

Il a réussi dans les cerclespense pas qu’il ait touchpeser sur les représentatil’on continue largement des usages différents demoderne sont des sauvageons tous ce constat d’épas à faire entendre, msimples : que ces gens so

tionnement intellectuel ettent le respect autant qcostumes, postures, ciga

On l’a parfois accusà la télévision suisse TSRvalence apparente qui a de l’ethnologie, il déclare

offenser la dignité de l’honos études dans ce domamollusques ou des coqudeux choses, un animal objet admirable par ses pdureté, sa stabilité, ses comême. Les institutions hsont bien plus fugaces quils ont néanmoins une ri

la différence peut-être dus’intéresse moins à la limCes propos pourraient prhumanisme, mais Lévi-Stion de l’anthropologie qélan de l’humanisme occtableau de la totalité de l

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ploration du passé par l’histoire et l’exploration contempo-

raine de la diversité humaine par l’anthropologie en uneentreprise humaniste commune(6). D’un côté, donc,l’anthropologue-entomologiste, de l’autre l’humaniste :s’agit-il de deux attitudes contradictoires ?

Elles ne sont pas contradictoires. Lévi-Strauss a été trèssensible à certaines critiques qu’il récuse en disant que laplupart de ceux qui le critiquent l’ont mal lu. Et il est vrai quedans une œuvre aussi riche, il est inévitable que les points de

vue et les formulations évoluent, qu’il y ait des discordancesentre les textes de jeunesse et de la maturité. On lui a reprochéd’être abstrait, anti-humaniste, d’avoir une vision totalementdécouplée du réel et de ne garder que la structure des choses.On a retourné le structuralisme contre lui pour en faire uneaccusation. Il s’est défendu en expliquant qu’il s’agissait d’uninstrument,une procédure pour mieux comprendre le monde.Il a utilisé des métaphores, comme celle du microscope. Il ya différentes méthodes, différents niveaux pour appréhender

le réel. L’eau, par exemple : on peut la voir comme une gouttequi tombe d’un robinet. Mais si on la regardeau microscope,on peut descendre jusqu’au niveau de la structure moléculaire– c’est cela, le travail du scientifique. C’est toujours de l’eau,mais on ne la voit plus du tout de la même façon. La méta-phore sert simplement à faire comprendre qu’il peut y avoirdifférents niveaux de regard.

De la même manière, le mollusque et son coquillage ont unrôle métaphorique. Le mollusque produit sa coquille et cefaisant, crée un objet fascinant par ses propriétés mathéma-tiques et physiques. Dans une espèce donnée, on relève desconstantes remarquables.Lévi-Strauss veut montrer que dansles sciences humaines, on peut aussi trouver des constantes– des lois ou des invariants – qui nous permettent de faire

des comparaisons comme entr

mollusques – escargot ou huîtremécanismes de fabrication protrouvent à l’intérieur de la coqstructure est déjà dans les chosealéatoires de la diversité individsemblables dans leur organisatn’est semblable à une autre). Pcomparer au travail de Mendeltotalité des cultures humaines co

dans un classement systématiqudique des éléments culturels(7).coup d’ambition, on peutespérer parvenir à comprendreles sociétés – les formes et struc-tures de nos coquilles – et lesclasser dans un tableauprogressif, à la manière deMendeleïev ou de la physique

actuelle dont la cohérencerequiert l’existence du boson deHiggs, même si on ne l’a jamaisobservé.

L’entreprise est plausible à lacondition d’admettre quecertaines possibilités logiquesn’ont jamais été réalisées et nepeuvent pas l’être (au moinsdans l’état actuel de l’évolutionde l’humanité, ce qui n’est paspréjuger de l’avenir), parcequ’elles contreviendraient à descontraintes fondamentales qusont de l’ordre des paramètresconceptuels initiaux dont l’hu-

manité s’est dotée. À mes yeux,la valence différentielle des sexcentral, structurant. Tout un enle domaine de la parenté, des tede la filiation et de l’alliance, dejeu du pouvoir, qui sont des sibles sont néanmoins irréalis

« L’ensemble des coutumes d’un peuple est toujours

marqué par un style ; elles forment des systèmes. Je suispersuadé que ces systèmes n’existent pas en nombreillimité, et que les sociétés humaines comme lesindividus – dans leurs jeux, leurs rêves ou leurs délires –ne créent jamais de façon absolue, mais se bornent àchoisir certaines combinaisons dans un répertoire idéalqu’il serait possible de reconstituer. En faisantl’i t i d t t l t b é d t t

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La métaphore du mollusque et de la coquille secrétée ouvre

sur une autre piste extrêmement féconde qui oblige à associerstructuralisme et humanisme et non à les dissocier. Il appa-raît en effet que le jeu individuel (de tel mollusque, de tellepersonne), pour évident qu’il soit, se coule dans les struc-tures auxquelles il croit échapper.

Sur la question du naturalisme et du rapport nature-culture, la pensée de Lévi-Strauss a varié au cours de sonœuvre. Les débats sur ce point ont évolué notamment

avec les apports de l’éthologie.

Oui. On ne voit plus vraiment la nécessité d’établir deslignes de rupture, de définir un point de césure. Pour Lévi-Strauss, c’était fondamental parce qu’il faisait de la prohi-bition de l’inceste ce point nodal où tout d’un coup,l’homme entre dans la culture par la nécessité du sens. Il aressenti le besoin de justifier la distinction entre un avant etun après par ce passage obligé, ce seuil à franchir. Je crois

qu’il s’est rendu compte lui-même qu’en réalité la frontièren’était pas aussi nettement marquée et je ne suis pas sûrequ’il tiendrait aujourd’hui le même discours qu’à l’époqueoù il écrivait Les Structures élémentaires de la parenté, c’est-à-dire avant-guerre. Pour ma part, ces questions ne sontpas au centre de mes préoccupations, mais j’ai tendance àpenser qu’il n’y a pas entre nature et culture une barrièreaussi nette, manifeste exclusivementdans la prohibition del’inceste. Il s’agit peut-être plutôt d’une sorte de zonetampon, ou d’un passage assez sinueux et complexe. Enoutre, c’est probablement un passage progressif, dont il estdifficile de retracer une chronologie précise.

L’éthologie nous montre de plus en plus de sociétés animalescapables d’acquisition de techniques, d’apprentissage, detransmission aux générations suivantes, et même capablesd’anticipation. Des affects qu’on croyait proprement

humains peuvent être repérés dans des espèces animales,comme un certain sens de l’équité ou un calcul des bénéficescomparés de l’égoïsme et de l’altruisme. Tout cela faitvaciller la notion d’une frontière nette entre nature etculture.

Mais il est vrai qu’il y a un avant et un après Avant les gens

corps des hommes, le fa

qui enfantent et qu’ellesdeux sexes). Le questionpeut pas être daté avecdifférentielle des sexes pavec, la prohibition de lque la création du lien sobition de l’inceste, dont tence de la valence difféles humains se sont abste

groupe et ont pris des Dès lors, le passage de dans ses manifestationsdans l’espace et il est va

Pensez-vous que Léfaire un voyage dans le l’espace ?

 Je ne pense pas qu’il ait vun travail intemporel, ctout à dater. Comment des faits qui sont des fhypothèses, vraisemblabla réalité que nous connavrons, mais ce n’est rien dégage la logique d’une histoire qu’il ne cherchMais le regard esquivécertainement induit à pcomme un fait social isole lieu du passage d’un sau statut éclairé du socisur les autres aspects dleur univers biologique,rait-il pas postulé de ce

et culture une ligne de dcause.

Quelle est la place d

Lévi-Strauss est un ethdique Si dans lesmythes

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vers des Indiens. Cette représentation mentale leur permet

d’établir des catégories abstraites qui servent d’armatureconceptuelle aux mythes. C’est un cheminement trèscomplexe. Mais l’anthropologie du corps n’était pas enelle-même son objet, comme c’est devenu le mien dans monenseignement.

Quelle importance Lévi-Strauss donnait-il à lastructure du cerveau ?

On ne savait pas grand-chose du fonctionnement cérébralà l’époque où Lévi-Strauss écrivait ses grandes œuvres.C’était le début des ordinateurs et du modèle informatiquedu cerveau. Il a écrit que le cerveau humain procède commeun ordinateur, sur un mode d’encodage binaire, et consi-dérait que cette structure fondamentale du fonctionnementdu cerveau, qui nous était donnée en partage dès la nais-sance, influait sur la création de catégories dualistes. Il yvoyait une capacité universellement partagée par toute l’hu-

manité. Pour ma part, j’accorde ce rôle à l’observation parles humains de certaines caractéristiques naturelles commele fait qu’il y a deux sexes seulement.

On pensait à l’époque que l’enfant naissait avec la totalitéde son organisation synaptique. On sait maintenant quenous fabriquons des synapses toute notre vie, ce qui permetpar exemple au cerveau de récupérer même après deslésions graves. On sait aussi que les apprentissages précocespermettent de créer des circuits qui se consolident par l’ha-bitude. Il est donc légitime de penser que ces opinionscourantes selon lesquelles, par exemple, les hommesseraient plus doués pour les mathématiques et les femmespour la littérature dépendent beaucoup de l’apprentissageet de ses effets sur l’organisation du cerveau. Si les enfantspartageaient le même type d’éducation, il est probable queces inégalités s’estomperaient. L’enfance est en effet une

période déterminante pour le développement cérébral. C’estune chose qu’on ignorait à l’époque où Lévi-Strauss s’est

référé à une organisation céréb

la naissance.

Pour conclure, que vous incet homme qui a donné à l’antnouvelle ? Un jeune homme deenseignant deux ans au lycée eprojeté dans un monde inconnavec passion ?

Lévi-Strauss a eu sa part des male départ forcé aux États-Unis, C’est aussi un homme qui a euet qui a su en tirer un parti exd’être formé pour un métier –seur – et il a saisi l’opportunité au Brésil. En changeant radicative tout en restant fidèle à sadépart très philosophique, il a

pline – elle existait avant lui – mune réalité, une vérité qu’elle qu’il y ait eu de grands anthrEurope. Lévi-Strauss a réussi ufique et il a su théoriser une dlettres de noblesse.

 J’ai dit qu’il avait eu de la chadu courage. Avec sa belle inteavec ces ingrédients, un destin

Entr

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Il existe un contraste frappant entre la réputation quasi-

héroïque dont bénéficie en France Claude Lévi-Strausschez les intellectuels et dans le grand public et le regardporté sur son œuvre par les anthropologues à l’étranger,surtout dans les pays de langue anglo-saxonne.Assurément ces derniers connaissent bien ses écrits etnombreux sont ceux qui leur accordent une immenseimportance. Pourtant, cette évidente reconnaissanceintellectuelle va de pair avec un sentiment de gêne : onpeine à assigner à l’œuvre de Lévi-Strauss une place biendéfinie dans le paysage théorique de l’anthropologie.Elle constituerait une sorte d’anomalie au regard del’entreprise anthropologique ; elle serait isolée parrapport aux différents courants et écoles de la disci-pline. Au demeurant, cette incertitude qui a marqué etcontinue de marquer la réception de ses ouvrages àl’étranger se laisse aussi déceler, au moins en pointillé,dans la façon dont les anthropologues français, eux-

mêmes, traitent de la pensée de Lévi-Strauss.

En quelques pages trop courtes, je voudrais montrerque cette incertitude, portant sur la nature de l’œuvre,et les inquiétudes qu’elle vient parfois à susciter d’unpoint de vue théorique ont une double origine. D’unepart elles tiennent au caractère profondément original

une sorte d’explorateu

crées aux populations premier avocat du derentes cultures du moqui ont longtemps étéDans le même temps, une nouvelle théorie glisme, qui aurait, ditdominer la science anLévi-Strauss un précurle plus célèbre, Tristesun événement majeur esophie. Tel est en brStrauss.

Il est inévitable que ceLévi-Strauss soit bien dles anthropologues, n

eux n’ignore qu’il n’culture amérindiens eanthropologique ne s’n’est pas, heureusemecomprendre et à explinautés d’hommes orgaet s’appliquaient à déc

Réflexions sur la réception de

deux ouvrages deClaude Lévi-Strauss

par Maurice Bloch

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Tous savent bien aussi que le structuralisme n’est pas la

seule théorie – à supposer qu’elle en soit bien une, ainsiqu’en doute Lévi-Strauss lui-même – disponible enanthropologie, comme ils savent que d’autres théoriesfurent bien davantage en vogue au cours du demi-siècleprécédent et que la méthode structurale fut assez peuutilisée par d’autres que lui, du moins sous la formequ’il lui a assignée.

Si l’on veut comprendre le regard porté à l’étranger sur

l’œuvre de Lévi-Strauss, il faut donc oublier le portraitque l’on trace de lui en France ; il faut également mettrede côté Tristes tropiques, ouvrage bien davantage ludans les départements de langue française et de littéra-ture que dans ceux d’anthropologie. En revanche, ongardera en mémoire le fait que, pour beaucoup d’anthro-pologues du XXIe siècle dans de très nombreux pays – ycompris ceux de langue anglo-saxonne, là où la disci-pline s’est principalement développée – l’œuvre de Lévi-

Strauss constitue une source majeure d’inspiration.Source majeure d’inspiration mais aussi, j’y reviens,quelque peu énigmatique dans sa nature et ses ressorts.

Il y a des raisons évidentes, quoique superficielles euégard aux enjeux de connaissance, à ce sentimentfréquemment éprouvé que l’on se trouve face à uncorpus d’écrits guère conformes aux canons acadé-miques. Ils sont marqués, en effet, par un ton éminem-ment personnel et une présentation quasiment unique enson genre, ne serait-ce que dans l’utilisation de gravuresdu XIXe siècle en guise d’illustrations. Cette impressiond’étrangeté, ressentie à l’étranger, a été certainementvoulue par Lévi-Strauss. N’a-t-il pas cherché à présenterses idées selon une modalité presque ludique, empruntéeà bien des registres, évidente dans le choix des titresdonnés à ses livres comme à ceux des chapitres qui s’y

succèdent ? Ne se serait-il pas amusé à brouiller quelquepeu les pistes du long itinéraire intellectuel le condui-sant, à travers l’examen de ses matériaux, à des conclu-sions soudainement exposées ? Toujours est-il que lerésultat est là : le lecteur se retrouve en état d’admira-tion face à des intuitions géniales dont il se demandecomment elles ont bien pu être formées et d’où vient

dans cette œuvre, constitue sa

science anthropologique. Povais évoquer ce qu’il en fut dde deux des ouvrages les pStrauss. On verra pourquoi sodifficile à situer dans l’hiscontemporaine.

Le premier livre qui attira llogues anglophones – à l’e

groupe d’initiés qui en avaienfut Les Structures élémentairlangue anglaise en 1969. L’divisée de l’intérieur en deux rentes. L’une était d’extractpologie culturelle ; l’autre àl’anthropologie sociale.

L’anthropologie culturelle se

mettre en évidence le caractètions culturelles. Elle était, ppar un fort relativisme culturique s’accompagnait d’un end’une opposition résolue à culturel dans lequel on discerracisme. Les anthropologues la diversité des langues et derences de valeurs entre les pd’ethos et, en général, de « reLes anthropologues cultureculture et, pour eux, la culturmental des hommes : ce qu’ilhabitant d’une communauté hn’est pas dans la tête de celui En revanche, les anthropologuguère d’intérêt pour les ph

sociale tels qu’ils se donnentLeurs prédécesseurs évolutiopour leur part une grande im

L’autre école de pensée étainique. L’anthropologie angll’œuvre d’Emile Durkheim et

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tise en matière de parenté : la parenté ne constitue-t-

elle pas un élément clé de l’organisation sociale dessociétés sans État ? Les systèmes de parenté n’étaientdonc pas, à leurs yeux, des systèmes culturels ou encoredes systèmes de classification mais bien des systèmes depratiques permettant à chaque entité sociale de fonc-tionner dans ses aspects politiques et économiques.

C’est dans ce contexte de division en deux camps queparaissent Les Structures élémentaires de la parenté :

un livre cumulant les bizarreries, qu’on l’envisage ducôté des anthropologues culturels ou de celui desanthropologues sociaux. L’ouvrage est inclassable pourles uns et pour les autres. En premier lieu, voici unanthropologue, Lévi-Strauss, qui se dit proche du véri-table refondateur de l’anthropologie culturelle nord-américaine, Franz Boas, celui-là même dont toutel’œuvre exprime un refus catégorique de l’évolution-nisme social et des relents de racisme susceptibles de s’y

attacher. Or, à l’évidence (pour les anthropologuesculturels), Les Structures élémentaires de la parenté sontun ouvrage qui traite des sociétés et de l’évolutionsociale. Il ne peut donc s’agir d’une contribution à l’an-thropologie culturelle. En second lieu, il s’agit d’un livrecensé porter sur les systèmes de parenté, comme entémoigne son titre. Voilà qui, maintenant, devrait enrattacher l’inspiration à celle prévalant en anthropo-logie sociale. N’est-ce pas d’ailleurs l’intitulé choisi parLévi-Strauss pour sa chaire au Collège de France ? Or,constate-t-on, outre-Manche, l’ouvrage se consacre fortpeu à tout ce que la parenté implique en matière d’or-ganisation pratique des relations sociales au sein dessociétés passées en revue ; il s’attache bien davantage àune vieille thématique, celle constituée par l’examen dessystèmes de classification impliqués dans les termino-logies de parenté. En dernier lieu, si Les Structures

élémentaires de la parenté abordent bien le chapitre del’organisation sociale, l’ouvrage centre son attention surle phénomène de l’échange en général, et plus particu-lièrement sur l’échange matrimonial, sujet fort peuabordé par les anthropologues sociaux – à l’exceptionde quelques anthropologues hollandais, fort peu connusen Angleterre et il reste étonnamment silencieux sur

sable selon ses critères

Lévi-Strauss développelement inédite dont il fondements, faute sansanthropologique, d’enformule. C’est plus taressorts.

Le contraste entre unentière dédiée à l’inves

sentiments, et une anthl’étude des modalités vie en société, reflètepensée de sens commpratique et travail intea ce qu’on pense. Cetune multitude de formsavante. La question Structures élémentaire

quel camp anthropologsomme de découvrir s’ibien du mental, des cosentations. Or c’était pse poser puisque l’orirefuser la pertinence d

À lire ce livre en tant qpologie sociale, il paraquences entraînées para pour effet la créatiomoniaux entre groupepement de différentes bien ainsi qu’il fut lu Edmund Leach. Ils en vStrauss n’ait pas prisd’échanges, d’autres sy

coup, le livre de Lévi-Scontribution incomplmique » des alliances manthropologues fémifemmes y apparaissenune marchandise en q

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pour le moins singulier que Lévi-Strauss n’y fasse

aucune mention des théories développées sur les classi-fications, notamment celles qui portent sur les termes deparenté et d’alliance, présentes sur la scène anthropo-logique à l’époque où fut publiée la traduction desStructures élémentaires de la parenté.

En fait, l’objectif de Lévi-Strauss était d’intégrer les deuxapproches. À ses yeux, l’évocation de groupes échan-geant entre eux comme des pièces de machine agissent

les unes sur les autres procède d’une erreur fondamen-tale : c’est au travers de l’acte d’échange que les groupesse forment en tant que groupes et se définissent en tantque tels. L’échange est performatif : il crée du fait mêmequ’il advient. La signification ne précède pas l’action,comme le présupposent les théories culturalistes propresà la tradition anthropologique américaine ; l’action neprécède pas la pensée, comme le sous-entend le point devue adopté par l’anthropologie sociale anglaise. La

signification et l’action s’engendrent mutuellement. Ilest impossible de les séparer, en tout cas dans les sociétéssans écriture dont traite essentiellement Lévi-Strauss.C’est pour cette raison qu’il accorde une telle place audon qui est, par excellence, l’acte producteur de sens.

Cette unification du « pratique » et du « signifié », del’action et de la pensée, est, à mon sens, la contributionthéorique majeure des Structures élémentaires de la

 parenté. Lévi-Strauss ne l’explicite que partiellementdans cet ouvrage. Sa formulation complète se trouvedans un second livre, La Pensée sauvage. Il sembla toutautant insolite et inclassable aux yeux des anthropologuesde langue anglo-saxonne. De plus, il paraissait n’avoirrien à voir avec Les Structures élémentaires de la

 parenté. En revanche, si l’on admet que la visée fonda-mentale du premier est bien la démonstration de l’unité

entre la signification et l’action, alors La Pensée sauvagese situe bien dans le prolongement direct des Structuresélémentaires de la parenté : il en développe le thème, ilen expose l’argument central, encore en pointillé dansl’ouvrage précédent.

Convenons que La Pensée sauvage qui suscite encore

alors. Enfin l’inclusion dans

 Jean-Paul Sartre, à propos ddialectique, fut regardée avecy voir la volonté d’engager unintellectuel, une pratique qulangue anglaise, surtout en Ggeaient qu’avec la plus extrêm

En dépit de ces traits, constitsa réception, La Pensée sau

l’admiration, bien réelle, s’acsentiment de gêne. Cette gênecelle éprouvée face aux Stru

 parenté. Elle procédait des msauvage, qualifiée de sciencepar Lévi-Strauss comme uneposition entre le monde de ll’action, cette opposition qutraditions anthropologiques.

parfaitement explicitée. Lévcomprendre de bien des façoconcret. Il pose surtout, à caurait dû être posée par tout qui mérite qu’on lui accordeElle est, en effet, fondamenta

Cette question est la suivantedes inventions aussi détermindes plantes et des animaux,somme de connaissances, un sdérable sitôt que l’on y réfl’œuvre d’hommes n’étant ensens que nous donnons au témerge ce savoir ? Lévi-Strauen proposant l’hypothèse d’uutilisant le concret, le monde

animaux, le corps humain, etl’activité spéculative, comme slectuelle. Dans la pensée sauvà l’action ; elle pense en expéren agissant. Après tout, c’estdans la vie quotidienne ! Cesuperbement l’idée moderne d

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Pourquoi Lévi-Strauss fut-il, au bout du compte, si peu

suivi dans cette entreprise ? La principale raison en est,à mes yeux, que l’anthropologie d’aujourd’hui manquetout à fait de l’ambition qui a nourri le projet anthro-pologique de Lévi-Strauss. Mais il en est peut-être uneautre qui se loge dans son œuvre elle-même. N’a-t-il pascontribué lui-même à ce que cette œuvre ne soit pascontinuée par d’autres ?

Dès les années 1940, Lévi-Strauss fut influencé par les

acquis de la linguistique structurale. Celle-ci acclima-tait sur le sol américain des thèses de provenance euro-péenne. Le bénéfice qu’a retiré Lévi-Strauss desméthodes de la linguistique structurale est évident ; ils’en est longuement expliqué. C’est à cette influence dela linguistique structurale que l’on peut attribuer le souciqui a constamment animé Lévi-Strauss de lier étroite-ment cognition et culture, en faisant appel au fonction-nement de l’esprit pour expliquer la manière dont les

hommes déchiffrent le monde dans lequel ils agissent. Àce titre, l’originalité de son œuvre, à l’époque où il l’éla-bore, saute aux yeux. Malheureusement, la mise enavant par Lévi-Strauss lui-même de cette traditionlinguistique risque de tromper sur la nature exacte de sacontribution à l’anthropologie et d’en amoindrir laportée. En effet, parmi les éléments considérés commeayant participé à l’avènement de la linguistique struc-turale, et donc de l’anthropologie structurale, se trouvela référence à la sémiologie, à l’idée d’une science géné-rale des signes appelée de ses vœux par Ferdinand deSaussure. Le projet de la sémiologie prend appui sur larelation exclusive entre un signifié, situé à l’extérieurdu langage et donc dans le « vrai » monde, et un signi-fiant arbitraire. Sans doute la formulation de cette rela-

tion a-t-elle eu le mér

entretenues par la lingl’importation de la foranthropologique de Lmalentendu. Le recouret le signifié tend, en efnition de la science du la séparation entre ce tion et ce qui est de l’olà le signifiant. Ainsi la

menace-t-elle d’estomLévi-Strauss à l’anthro

Il convient, à mes yeuentre les thèses de la Strauss use parfois cosont les siennes propdehors des premières. paraître fructueux d

logique et de participgénérale des signes ; eroute. Et ce n’est aucfaut placer toute entisémiologie en est un hrisque d’empêcher de vpologique et la direcscience. I

IlluM.

CoPh.

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« Et, penchés à l’avant des blanches caravelles,

Ils regardaient monter dans un ciel ignoré,Du fond de l’Océan des étoiles nouvelles. »

(José-Maria de Hérédia)

Comme les conquistadors de jadis, c’est par la mer queClaude Lévi-Strauss a découvert l’Amérique indienne.D’emblée (Tristes tropiques) le coucher de Soleill’émerveille. Avant de connaître et d’aimer lesAméridiens, il s’enthousiasme pour la beauté du ciel, quilui inspire des accents lyriques :

« Pendant ce temps, derrière les célestes récifs obstruantl’occident, le Soleil évoluait lentement : à chaque progrèsde sa chute, quelqu’un de ses rayons crevait la masseopaque ou se frayait un passage […] Avec l’obscurité,tout s’aplatit de nouveau comme un jouet japonaismerveilleusement coloré. »

Le vénérable maître se reconnaîtrait-il aujourd’hui dansla vision édénique du jeune professeur ? Je n’en suis passûr. Son œil est devenu plus lucide, son sourire s’estaccentué d’ironie. Mais dès ses premiers contacts avecles Indiens, l’omniprésence du ciel revient en force :

L’astre de feu.

On peut sans doute se livrer àaux divers mythes des peuple

L’astre par excellence reste le plus brillant que tout le rerégularité, il se lève tous les msoirs. Pour les Indiens du basClaude Lévi-Strauss, et qui nl’équateur, la différence entreet les courtes journées d’hivcontrairement à ce qui se paIndiens Inuits, beaucoup plus

Claude Lévi-Strauss, qui se prla cuisine chez les Indiens, reSoleil sur sa route. Comment

n’intervint pas dans des mytheétant devenus trop nombreuBororo), n’est-ce pas le Soleil comment réduire leur nombrdéclenche le récit mythique ? Soleil, que l’on voit, lui, tous lcivilisation N’est ce pas la cha

Le ciel étoilé deClaude Lévi-Strauss

par Jean-Claude Pecker

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permet la division du temps en mois. Ses phases mêmes

sont un symbole de faiblesse, de corruption… mais ausside renaissance. Or la Lune éclipe parfois le Soleil – unphénomène terrible qui déclenche souvent des réactionstrès émotionnelles. Claude Lévi-Strauss évoque les« charivaris » et les « vacarmes » auxquels se livrent encertaines circonstances les sociétés dites primitives. Leséclipses de Lune et de Soleil sont (furent !) l’occasionfréquente de « vacarmes ». Le but du vacarme serait« d’effrayer, pour le mettre en fuite, l’animal ou le

monstre prêt à dévorer le corps céleste » – et celafonctionne ! L’analogie entre le charivari et le vacarmeest celle de la rupture d’un ordre établi : le charivari sedresse contre la rupture (d’ordre sociologique) desmariages non conformes aux bonnes règles, le bruit duvacarme contre la rupture d’un ordre cosmologique,l’éclipse. Claude Lévi-Strauss rapproche cette dualité dela dualité ciel-Terre déjà notée des mythes Gê. « Or selontous les mythes, la découverte de la cuisine(1) a

profondément affecté les conditions qui prévalaientjusqu’alors entre le ciel et la Terre. Avant de connaître lefeu et la cuisson des aliments, les hommes étaient réduitsà placer la viande sur une pierre pour l’exposer auxrayons du Soleil (attributs terrestre et céleste parexcellence). Par le moyen de la viande, on attestait ainsila proximité du ciel et de la Terre, du Soleil et del’humanité. Un mythe le dit expressément : “Jadis lesTenetehara ne connaissaient pas le feu. Ils cuisaient leurviande à la chaleur du Soleil, qui, en ce temps-là, étaitplus proche de la Terre” ». Autre sujet de fureurnotamment de la part des Sherenté : des sécheressesanormales, « dues à la colère du Soleil contre leshommes ». Ces périodes suscitaient un ritueld’abstinence (forcée ?), le « Grand Jeûne ». Comme lapresque conjonction entre étoile et Soleil (lever oucoucher héliaque) donnaient à telle étoile un rôle

annonciateur, elle assigne aussi à cette étoile le rôle decompagnon (momentané) du Soleil. Asaré (c’est-à-dire κ

d’Orion), héros du mythe Sherenté M124 (sur lequelnous reviendrons), est devenu le « héraut » du Soleil, àl’issue d’un Grand Jeûne rituel.

À ce Soleil et à cette Lune dévoreuse de Soleil il faut une

puisse plus le voir ». O

de références à un mysont les mythes d’origimoins à la question po

Les astres errants du

Peu de planètes, cinq sMais Mercure, trop observable, et Saturne

brillant. Restent, pour et Jupiter, très brillmoyenne et en ordre debrillantes. Ces planètesmêmes étoiles, et leursde ciel ne semblent eapparent du Soleil, eévénement annuellemene peuvent pourtant

Vénus, Mars, et Jupimportant et interviedivinités célestes, témo« Grand Jeûne », céSherenté, on dresse uciel ». Au cours des cérest faite aux hommes trois officiants qui rep

  Jupiter et Mars. Lesclaire. Mais les hommqu’il offre …». J’auraislumière de l’évidente c

Selon le mythe KarajÉtoile, semble être ideattribue l’origine des psuite d’une extrapola

planète dans le retocependant lui être l’astronome.

Bêtes, étoiles, et héro

Deux mille étoiles au

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sa belle-sœur ; il se réfugie sur un arbre élevé avec safemme. Mais pas assez vite : « sa belle-sœur lui coupeune jambe ; le membre s’anime, devient la Mère desoiseaux. On voit toujours, dans le ciel nocturne, lafemme du héros (les Pléiades), plus bas celui-ci (lesHyades), et plus bas encore, la jambe coupée (le baudrierd’Orion) ». Ces astérismes sont en effet, proches del’équateur ou de l’écliptique, particulièrementreconnaissables à l’œil nu. Ils ont dans les mythesamérindiens une importance particulière.

Revenons aux études de Claude Lévi-Strauss sur lesBororos. Dans Le Cru et le cuit , Claude Lévi-Straussanalyse les relations triangulaires hommes-Terre-ciel,avec un grand souci de la justesse des considérationsastronomiques. Dès l’étude du « mythe de référence »bororo M1, qui sert à Claude Lévi-Strauss de fild’Ariane dans le labyrinthe des mythes amérindiens,mythe dit du « dénicheur d’oiseaux », le ciel est

discrètement présent. Le nom même du héros,Geriguiguiatugo, ne signifie-t-il pas parfois« constellation du Corbeau » ? Et n’est-ce pas uneconclusion obligatoire que d’associer en un dialogueconceptuel la mère, le père, les fils, la grand-mère, au cielaux eaux, à la Terre ? Le fils est tantôt (M2) le ciel (et lepère est alors la Terre), tantôt (M5) la Terre (et la mère,est alors l’eau). « Une conception démesurée desrapports familiaux entraîne la disjonction d’élémentsfermement liés. La conjonction se rétablit grâce àl’introduction d’un tiers intermédiaire, dont le mythe sepropose de retracer l’origine : l’eau (entre ciel et Terre),les parures corporelles (entre nature et culture), les ritesfunéraires (entre les vivants et les morts), les maladies(entre la vie et la mort). » Les mythes bien sûr décriventces rapports. Ils tentent aussi de fournir des réponses.Pourquoi le feu ? Pourquoi les cochons sauvages ?

Pourquoi les étoiles ? Pourquoi le tabac ? Pourquoi lesjaguars ?... Pourquoi les femmes ? Pourquoi ? Ou plutôtcomment ? Tous ces mythes s’entrelacent,s’enchevêtrent. Les histoires racontées restent trèshumaines, reflets des passions, et des interrogations de lavie de tous les jours. Mais par le moyen d’un grandarbre les protagonistes montent souvent au ciel qui

éclairante, montrant continurégimes des pluies ici et transformation des mythes. (10° de latitude australe), auaccorde une grande importancAsaré. Ses sept frères, coupabs’enfuient et se baignent dans dont ils ont déclenché aujourd’hui, vers la fin de la sdu côté de l’ouest le bruit qu

l’eau. Peu après, on les voit apropres et rénovés, sous l’appAsaré lui-même, selon certainous l’avons déjà signalé, l’é« genou droit » du chasseur cdes Pléiades se voit donc icpluies… Selon Claude Lévi-StM1 et le mythe M124, M1 évdes pluies (le héros est iden

Corbeau), et M124 son débuκ d’Orion) ; on notera que séparés de plus de 100constellations, Claude Lévi-Sdes relations, à coup sûr indentre les mythes du nouveau MMonde, qui a nommé le Corb

« Les Grecs et les Latins ass

saison pour des raisons emppremièrement, que dans lesuivaient une démarche cCorbeau à la saison des pluieet le Corbeau dominent le ciedifférentes, pour qu’il en rs’opposent entre eux aussi sM124 tout en recourant a

concerne l’origine de l’eau cchtonienne, enfin, si l’un dconstellation du Corbeaunécessairement à celle d’Orqu’une opposition entre leffectivement conçue par la p

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commence à voir cet astérisme dans le ciel, après des moisoù l’on ne le voyait pas, trop proche du Soleil, déjà levé. Orles rites de chasse, de pêche, de culture surtout, sont liésfortement aux conditions climatologiques, liées elles-mêmes à la succession des saisons, marquée par les aspectssuccessifs, et régulièrement récurrents, du ciel des étoiles.Les Bororo, à 15° environ de latitude australe, sous letropique du Capricorne, y sont sensibilisés. Leurs mythesreflètent cette sensibilité séculaire.

Les compagnons du Soleil.

Soleil et telle étoile ne sont compagnons que pendant

une très courte période dans l’année, toujours la mêmepour un astre donné, celle du « lever héliaque » ou du« coucher héliaque » de l’astre. Ce compagnonnage peutdonc marquer des événements importants dans la vie deshommes et de la nature. Ce sont les étoiles, etsingulièrement celles qui sont proches de l’équateur et del’écliptique qui ont ce rôle. D’où l’importance dans lesmythes amérindiens des constellations du Corbeau,

d’Orion, du Taureau (et de ses deux astérismes, Pléiadeset Hyades, – des amas d’étoiles). On pourrait s’enétonner a priori puisque, contrairement aux habitantsdes contrées de latitude élevée, les Inuits par exemple,ceux des régions tropicales et équatoriales voient assezpeu les saisons se marquer dans le ciel comme sur laTerre Pour eux point d’étoile circumpolaire ; presque

remarquable. Au voisétoiles sont visibles la njour pendant six molatitudes moyennes ou en une saison ou bien uproches des pôles céleun tour autour du Solele Soleil se déplace donfixes… En une année, toutes les constellation

une étoile donnée se lèle lendemain, elle se lè(exactement 3 minutecette durée, c’est présuivant encore un peu pmois, dans le ciel noctumême temps que celuijour de son « lever hélile « coucher héliaqu

l’équinoxe (de printemtoute la Terre, la duréégales l’une à l’autre. Àen face d’une portion zodiacal, très précis(printemps) ou du « poLe point γ entre actueVerseau (symbole ; dans la constellation d

des astrologues, est pré

La présence du ciel dandes Indiens s’affirme agricoles.

Quand les équinoxes

Les mythes ont une hipar une sorte de cristmillénaires peut-être. Odu lever héliaque de tmodifié, dans une évolrégulière. On ne le revevingt six mille ans !

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civilisations primitives. De son côté, il m’interrogea surcertains aspects de ses recherches (il achevait alors LeCru et le cuit ), car il lui semblait naturel, on a vupourquoi, que l’astronome eût son mot à dire sur lesconnotations astronomiques de certains mythes, et ritesagricoles.

Seconde digression astronomique. Notre premièredigression dérivait du fait que la Terre est animée dedeux mouvements principaux, qui entraînent les deux

mouvements apparents principaux du ciel. Ce sont sarotation (autour de l’axe des pôles célestes – en un jour),et sa révolution (autour du Soleil, dans le plan del’écliptique – c’est la définition même de ce plan –, en unan). Ces deux mouvements apparents du ciel s’effectuentautour de deux axes différents, celui des pôles del’équateur, et celui des pôles de l’écliptique, situés sur unaxe perpendiculaire à l’écliptique, et passant par lecentre de la Terre.

Il y a plus de deux millénaires, Hipparque (le plusnovateur des astronomes de l’Antiquité gréco-romaine,au second siècle avant notre ère) qui connaissait les deuxmouvements principaux, découvrit un troisièmephénomène, qui résulte de la rotation de l’axe del’écliptique autour de l’axe des pôles de l’équateur (ouvice-versa !), en 26 000 ans : c’est la   précession deséquinoxes. Les points de l’équateur qui se trouvent dans

le plan de l’écliptique (déjà définis dans la premièredigression) sont les « points γ et γ’ » ( pointséquinoxiaux, ou équinoxes ; le point γ est aussi appelé« point vernal ») ; ils se déplacent par rapport auxconstellations du Zodiaque.

La rotation de la Terre a pour conséquence la successiondes jours et des nuits. La révolution de la Terre a pourconséquence (en raison de l’inclinaison de l’axe de laTerre sur le plan de l’écliptique) la succession dessaisons. Quelle est donc la conséquence majeure, pourl’habitant de la Terre, de la  précession des équinoxes ?Le point γ se déplace par rapport aux constellations, etévidemment, les constellations par rapport au point γ ;de même le lever héliaque et le coucher héliaque de tout

« 1°, que, vers 1000 av J.-Ccessait d’être observé vers la fcoïncidant avec le début desdéjà levé quand les étoiles crépuscule), 2°, qu’à cette éppleine signification météoroloopposition de phase avec l’observer aujourd’hui ; ce dernière constellation pour l’hémisphère sud – mais par s

dévolu à Orion dans l’hémisp

En laissant à Claude Lévi-Straraisonnement, nous constaintérêt pour les subtilités des mastres, mais sa maîtrise des co

Nous n’avons ici offert qu’ul’univers astronomique de

considérable érudition, y comspécialisé que l’astronomie, luœuvre profonde et subtile, adEn ce qui me concerne, je gsouvenir admiratif, amical et

Illup. 2de p. 2

oct

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Chacun a en mémoire le chapitre intitulé « La science du

concret » qui sert d’introduction à La Pensée sauvage.L’entrée en matière in medias res, appuyée sur une telleaccumulation d’exemples qu’elle fait l’effet d’une prépa-ration d’artillerie, établit d’abord que la richesse et laprécision stupéfiantes du vocabulaire dont disposentbeaucoup de peuples dits primitifs pour désigner la floreet la faune démentent le préjugé selon lequel l’absencede mots désignant certaines catégories générales seraitle signe d’une absence de pensée abstraite ; ensuite, que

ces connaissances si étendues et si attentives ne se limi-tent nullement au champ de l’utilitaire, mais révèlentun effort de compréhension du monde.

Alors commence le morceau de résistance du chapitre,destiné à montrer que la pensée mythique, dans le cadrede laquelle s’inscrit cet effort, est au regard de la penséescientifique dans la situation du bricoleur au regard del’ingénieur. Le bricoleur doit « s’arranger avec les moyensdu bord » (p. 31), pratiquer le remploi, détourner de leurusage premier les matériaux, les emplois qui sont à sadisposition. L’ingénieur conçoit et construit les élémentsde son œuvre en fonction d’un plan et d’une visée préala-blement définis. Il est du côté de l’ouverture, le bricoleurdu côté de la réorganisation :

[…] Or un lien existe e

le signe » (pp. 31-32).des images dont elle faidans un univers où « lfiants et inversement »la réorganisation de cele cadre de l’en deçà.

Voilà subjugué le lectelogue et qui plus loin

dans tout le minutieuxsauvage. Le voilà subjubien, il l’a reconnu sansi pénétrante et si précla pensée des peuples s

Et la preuve qu’il ne sese poursuit en effet pconsacré au problème tableau de François toujours su parler dejusqu’au prodigieux esouvre Regarder écoutesauvage. Rien d’étonnseux bien que paresse

Bricoler àla bonne distance

par Michel Zink

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que le point de départ de Lévi-Strauss n’est pas celuiqu’il attendait :

« L’art s’insère à mi-chemin entre la connaissance scienti-fique et la pensée mythique ou magique ; car tout le mondesait que l’artiste tient à la fois du savant et du bricoleur. »(p. 37)

Le pauvre lecteur ignorait ce que tout le monde sait.À ses yeux, l’artiste ne tient pas du tout du savant et il

a au contraire tout du bricoleur. La lecture des pages quiprécédaient l’en avait pleinement convaincu. Enrevanche, il ne lui était jamais apparu que l’art eûtquelque chose de la connaissance scientifique. Sur cepoint, le discours de Stockholm de Saint-John Persel’avait laissé perplexe. Mais Lévi-Strauss, c’est autrechose !

C’est que, si disposé qu’il soit à prêter beaucoup à la

pensée mythique, Lévi-Strauss considère que la penséescientifique lui est supérieure. Le mérite de la penséemythique est d’avoir en elle quelque chose qui l’enrapproche :

« On comprend ainsi que la pensée mythique, bien qu’en-gluée dans les images, puisse être déjà généralisatrice, doncscientifique. » (p. 35)

En montrant, avec quel éclat !, que la pensée mythiqueet l’art tiennent de la pensée scientifique autant qu’ilss’en distinguent, il les réhabilite et leur rend leur vraiedignité. Il ne saurait sans cela les estimer. À tout ce qu’ilaime, il assure la rédemption par la communion à lapassion intellectuelle qui l’anime.

Mais « les autres, les pauvres autres, / Les faudra-t-ilmépriser » ? Je me démasque parmi eux, lecteur pares-seux et content de bricoler, sans souci de ma vraiedignité. Dans le bricolage que décrit « La science duconcret », j’ai toujours reconnu l’art en général, et parti-culièrement le mien, la littérature.

La littérature se fait avec les moyens du bord à partir

presque informulables, qui ecelles de n’importe quel romqu’on les viole, n’importe,commencer et où finir le chdoit boire et avoir eu des mdoivent être longues ou brèvdans l’au-delà, tout dans l’en

Et aussi, tout est dans l’en deest un art de la surface. Qu

surface dans l’espoir d’en décomporte comme ces person Jean-Luc Godard qui, au cipointe des pieds pour tenter drebord de la baignoire, le corla tête dépasse, et qui finissentlant derrière lui une courquelques poubelles. La littsurface, et c’est pourquoi elle

de la métonymie. La formuLévi-Strauss à propos de la peparfaitement : « Les signifiéset inversement ». La littératuqu’elle est un art de la surfaraison encore : pour dire dchoses essentielles, elle utilisebroutilles et des détails, de petdes regards étroits ou myop

pour Lévi-Strauss, la définitic’est ce bricolage qui fait d’echoses avec de grands mots etalent, forcément sublime, despécialiste des « grands probcontraire de la littérature.

Mais le bricolage ne définit paboration de la littérature. Il s’interprétation. Là encore, je fune lecture qu’il désavoueraij’ai bien conscience qu’elle nde même qu’il situe l’art sur lmême qu’il loue la pensée mdéchiffrement du monde des

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Il est possible d’étudier scientifiquement le bricolage.L’œuvre de Claude Lévi-Strauss en est la preuve. Maiselle nous enseigne aussi que, face à un univers mentalétranger au nôtre, la principale difficulté est de se situer,comme il le dit, « à la bonne distance ». S’il se placetrop près, l’observateur est menacé par l’illusion fusion-nelle et chaque détail, démesurément grossi, perd sasignification. Mais s’il se place trop loin, tout se brouille,et il perd de vue le détail qui le mettrait sur la voie d’uneinterprétation de l’ensemble. Pire encore, il se croit tota-

lement étranger à un monde auquel il est pourtant lié demille façons : parce qu’en l’observant, il agit sur lui ;parce qu’en l’observant, il est influencé par lui ; parcequ’il y a, si ambigus soient-ils, des traits communs entrece monde et le sien, et qu’il serait absurde de renoncerà utiliser cette unique passerelle au motif qu’elle estétroite et dangereuse.

La recherche de la bonne distance est, bien entendu,

aussi importante quand il s’agit d’éloignement dans letemps que quand il s’agit d’éloignement dans l’espace.Mais elle n’est jamais aussi cruciale que quand on lit lalittérature du passé. Entre l’éloignement et le rappro-chement fusionnel, l’historien n’hésite pas : seule la miseà distance permet l’analyse et la compréhension, seuleelle évite les anachronismes et les brouillages. Il est,certes, légitime et rassurant de tenir de la même façonà distance les textes littéraires. Ce sont alors des docu-

ments historiques comme les autres, simplement pluspauvres et moins sûrs que beaucoup d’autres. Mais s’ilsm’émeuvent quand je les lis, si je prends plaisir à leurlecture, si elle me donne à penser, que dois-je faire ?Chasser cette émotion, ce plaisir, cette réflexion, néces-sairement trompeurs et anachroniques, fondés sur demauvaises raisons, puisque à tant de siècles de distance,ces œuvres n’ont pas été composées pour un lecteurcomme moi ? Autrement dit, dois-je m’interdire la seuleraison qui existe au monde de lire un poème ou unroman ? Au nom de quoi ?

Quiconque n’a pas cetant pas se contenter dune lecture anachroniqcesse la bonne distancdes tâtonnements. S’il nées nées d’une premdes poèmes plutôt qucomptes ? Ce sont donnent le courage decorriger. Au retour de s

il lit différemment. Ses savoir rend son plaisiret-vient est particulièrment périlleux, s’agisspropre civilisation : laentre elle et nous, risqtandis que ce qui nouguère, ou nous semblenous avons oublié.

Est-il bien nécessaire dtelles évidences ? Nouà son ombre quand no

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Pourriez-vous présenter le paysage de l’anthropologie

française et la place qu’y occupe Claude Lévi-Strauss ?

Avant la guerre l’anthropologie française était surtout lefait d’anthropologues de cabinet – armchair anthropolo-

 gists, comme on disait en Angleterre. Dans cette période,des hommes seuls comme Mauss ou Lévy-Bruhl en France,Frazer ou Tylor en Angleterre, maîtrisaient des massesconsidérables de données qu’ils essayaient d’organiser pourrésoudre un problème ou expliquer une institution : le sacri-

fice, la magie, etc. Il y a quelques exceptions : certainsanthropologues faisaient déjà de l’ethnographie, notam-ment Claude Lévi-Strauss, Jaques Soustelle, Denise Paulme,Germaine Tillion et quelques autres. C’était un tout petitnoyau, comparé à ce qui se faisait déjà de manière systé-matique en Angleterre et aux États-Unis.

Dans une deuxième période, les recherches ethno-graphiques se sont multipliées, mais en l’absence d’une struc-ture orientée vers un but d’intelligibilité anthropologiquegénéral. L’action de Lévi-Strauss a contribué à fonder unetroisième période, dans les années 1960, où la réunion desexpériences ethnographiques d’un ensemble de chercheurscompétents sur des aires culturelles particulières a permis defaire avancer la réflexion anthropologique générale

novateur de ses idées qu’à l’o

l’institutionnalisation de la dide l’homme, puis à la Ve secthautes études, ainsi qu’à la VIl’École des hautes études en scCollège de France, où il a créélogie sociale.

Ce laboratoire était une vral’époque assez peu d’ethnologu

CNRS. La plupart avaient arecherche britannique fondée sdurée et se trouvaient donc sotrès peu d’instruments de rechthèques étaient en mauvais étaten déshérence. On n’avait pascommun et d’échanger des insociétés du monde entier – ceprincipe puisqu’on disposait d’la plupart des régions de la pland’anthropologie sociale, Lévi-pouvait faire de l’anthropologdes sciences expérimentales, ctive. En choisissant le nom deeût imposé institut ou un équiv

Claude Lévi-Straussvu par Philippe Descola

interview

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Ainsi, Lévi-Strauss, qu’on a tendance à dépeindre commeun solitaire, une figure de grand penseur – qu’il est sansconteste – a joué aussi unrôle institutionnel important dansla structuration des dispositifs de recherche en anthropo-logie en France. Il y a une autre image à rectifier. On atendance à associer Lévi-Strauss avec les sociétés sans écri-ture – avec le primitivisme pour les plus critiques. En réalité,il a été à l’origine des premières recherches ethnographiquessur les sociétés complexes puisqu’il a dirigé une recherchemenée par Lucien Bernot, un membre du Laboratoire qui

devint ensuite professeur au Collège de France. Ce travailprécurseur, intitulé « Nouville, un village français », a étéréalisé bien avant la mode des monographies de ce type.Une autre recherche menée par Pierre Clément, portait surVienne, en Isère. À l’époque, seuls les sociologues menaientdes travaux de ce genre : ils étaient tout à fait hors ducommun en ethnologie. Lévi-Strauss a donc souligné trèstôt l’intérêt de la méthode ethnographique pourcomprendre les réalités les plus contemporaines.

Ensuite, à partir des années 1960, on a vu se dessiner enFrance deux orientations divergentes. Certains se sonttournés vers l’anthropologie fondamentale telle que Lévi-Strauss en avait posé les principes et qui tentait decomprendre les propriétés formelles de la vie sociale, enfaisant varier les contextes, mais à un niveau élevé de géné-ralité théorique. D’autres étaient plus intéressés par lesdynamiques de transformation, les mutations, les ruptures,

dans une perspective plus sociologique, au sens traditionneldu terme. Ils s’intéressaient aux différentes forces quiconcouraient, dans le monde occidental comme dans lespays en développement, aux transformations des habitudes,des systèmes sociaux, etc. L’histoire joue un rôle importantpour comprendre ces dynamiques de transformation à longterme. On peut associer ce second courant au nom deGeorges Balandier qui, par ses recherches en Afrique et lestravaux qu’il a suscités, s’inscrivait dans cette tradition. Ils’agit là d’orientations générales : on trouve entre les deuxtoute une gamme de positions intermédiaires ou croisées.

À partir des années 1970, le marxisme a joué un rôle impor-tant dans toutes les sciences sociales, avec autant de variétésqu’il y a de lectures de Marx Il y avait une tension très

Pour conclure ce survolinstitutionnalisation desuccès que la France esttrouvait le plus d’ethnolpays de l’ethnologie, ledrastiquement réduit àL’ethnologie française tion très favorable. Un gont trouvé des postes etconditions qui leur perm

grande minutie, avec langues et du temps pouensuite leurs matériauxprivilégiée a conduit àanthropologique parce ont eu accès à une telle qtrouvés découragés de fale développement des coà théoriser cette impui

l’époque des grandes thcontenter d’essayer deproduction d’énoncés sou tel fait dans une sociéd’aller plus loin. Il y eutest une qualité, mais qui même sa propre fin.

Nous sommes en train

sciences cognitives ont pparce que les chercheupremiers à avoir l’audations générales. Ils ont fiété longtemps marginad’une manière généralelrées de thèmes qui, depude l’anthropologie comppar d’autres disciplinsemblent souvent échapconcentrés sur l’accumudétriment de synthèses logie doit pouvoir maintcable et des théories génà d’autres De même q

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concepts de la psychanalyse auxquels il accordait crédit,mais pas de la psychanalyse en tant que telle. Lévi-Straussest très naturaliste. Je ne dirais pas qu’il est scientiste, maisil aime la science. Lorsqu’il a créé le laboratoire, il a pris unabonnement à la revue Science. Il lisait régulièrementNature. Il se tient informé des découvertes, on le voit dansson œuvre. S’il écrivait aujourd’hui, il parlerait de neuronesmiroirs et de génomique. Pour lui, l’anthropologie doitnécessairementse saisir des résultats des autres sciencesquiproduisent des savoirs sur l’homme.

Il s’est beaucoup servi de la linguistique.

Elle a servi de modèle et de source d’inspiration. Mais Lévi-Strauss lisait aussi de la psychologie. Il connaissait Piaget,un auteur majeur dans ce domaine. Il a toujours souhaitése tenir au courant de l’état des recherches parce que pourétudier une espèce aussi complexe que la nôtre, il faut mobi-liser une grande quantité de connaissances sur ses diffé-

rents aspects. L’un des reproches que l’on peut adresser àbeaucoup d’anthropologues est d’avoir négligé les apportsde la psychologie. Si l’on s’intéresse à l’humain, on ne peutpas négliger ce que la psychologie cognitive nous apprendsur les mécanismes du raisonnement, de la perception, dela mémoire ou du repérage spatiotemporel.

Lévi-Strauss n’a-t-il pas ici une part de responsabilité,dans la mesure où Race et histoire était une manière de

rompre avec une anthropologie physique que l’évolution-nisme réintroduit et que les anthropologues n’aiment pas ?L’idée que la culture est un phénomène sui generis est bienancrée chez ceux qui étudient les phénomènes sociaux : ilsconsidèrent que les contraintes naturelles ou biologiquesn’ont pas à entrer en ligne de compte parce que la culturecompose un monde soustrait à ces contraintes.

Bien sûr, l’anthropologie physique a mauvaise presse, maisentre ses versions anciennes et les études fines qu’on peutmener aujourd’hui sur les mécanismes du raisonnement oude la navigation dans l’espace, il y a un abîme. Et en effet,pour une grande majorité des anthropologues dans lemonde, la culture est un phénomène sui generis. Pourtant,on ne peut pas soutenir que l’humanité est une sphère

Aux États-Unis, on a voulu maà-dire la collaboration de quaanthropologie sociale, anthroplogie. Ces quatre disciplines sontconnaissances dans les trois aulogie des primates supérieurs. Mtenu que la fiction des foudépartements où des spécialcôtoient, mais ils n’ont paL’interdisciplinarité est difficile

ce que font les autres. Pour ma paux travaux de McGrew sur l’chimpanzés, à ceux de Tomcompare la cognition chez l’hom

Qu’est-ce qui caractérise l’anthropologie ?

 Jean Pouillon en a donné une

qu’on est vraiment structuralistaux ressemblances qu’aux diffordonner de façon systématiqucrois que c’est très juste. Le struseulement sur les différences à l’sur l’idée que ces différences ditique et que tout le travail d’inconsiste à mettre en valeur ce cdifférence des variations. Tou

illustre cette idée. Cette approchd’observations d’un genre partde celles que l’on prend dans américaine. Dans l’anthropolovation est la société, society : onrelations sociales. Dans l’anthqui a hérité sur ce point de l’antla culture. Là aussi, il s’agit d’upar une histoire, une langue, ucroyance. Ce sont des objets emalors que l’unité de travail du sde transformation. C’est le choiquels éléments vont constituetion. Dans ce cas, l’unité n’a cela peut être une échelle de com

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ethnographique et le travail anthropologique, qui se situeà une échelle différente. Bien sûr, la disjonction n’est pasabsolue. Le matériel anthropologique que nous utilisonsn’est jamais complètement purifié des conditions de sonobtention : il porte en lui la trace des contextes, des situa-tions d’observations et d’énonciation, etc. À la différenced’une table périodique des éléments, on ne peut pas décon-textualiser complètement les pièces élémentaires – même sicette ambition demeure.

Pour Marx, ce qui est réel, ce sont des structures, deschoses qui sont de l’ordre de la société. C’est assezdifférent pour le naturaliste inspiré de l’évolutionnismebiologique. De quel côté se situe Lévi-Strauss ? Saposition a-t-elle varié sur cette question ?

Ses idées ont probablement évolué, mais je pense que ce quiimporte pour lui, c’est de comprendre les lois de la pensée :c’est le point fondamental dont dérive tout le reste. Cette

conviction est présente très tôt. Si Lévi-Strauss s’est d’abordintéressé aux institutions, c’est parce que dès Les Structuresélémentaires de la parenté, son premier grand livre dethéorie sociologique, il fait l’hypothèse que les élémentsprincipaux de la vie sociale sont des sortes d’impératifscognitifs. L’étude des produits de la pensée, des classifica-tions, des savoirs écologiques, des mythes, etc., vientensuite, motivée par l’idée que les combinatoires institu-tionnelles qu’il a étudiées sont peut-être simplement le

résultat du jeu de la vie sociale, une objectivation depropriétés de l’interaction sociale, qu’il est difficile de relieraux lois de la pensée. Pour les comprendre, il vaut doncmieux aller en amont, vers l’intellect, pour reprendre laformule qu’on lit dans Le Totémisme aujourd’hui, et passerdes institutions aux énoncés, et notamment aux mythes.En effet, dans les mythes, l’esprit se dédouble en quelquesorte, se prend lui-même comme matière et joue avec lui-même.

Dans les courants évolutionnistes, on recherche desinvariants propres à une espèce. Lévi-Strauss sembleplutôt rechercher des différences ou un système dedifférences – qu’on peut sans doute considérer lui-mêmecomme un invariant : après tout la prohibition de

psychologie, à la lingudisciplines relevant des sur cette question.

N’est-ce pas ce que

schèmes de pensée que totémisme, naturalisme

Ces schèmes constituentétendu à l’échelle de tougénérateur, un dispositcapter une certaine classde manière rationnelle. versaux dans le cas prés

mentales.

 J’ai suivi la voie tracée pde l’observation des instdes enseignements sur travers ses effets présuménoncés, dans les pratiqusitif inférentiel – il compbase. Je fais l’hypothèsela forme, puis j’en examquences dans différen

 J’aimerais pouvoir travalogues du développementance psychologique dac’est le cas la psycholo

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Il est vrai qu’on a souvent tendance, en dehors de la France,à classer Lévi-Strauss parmi les auteurs philosophiques. Ilfaut probablement reconnaître surtout que c’est une penséequi atteint un niveau de complexité inégalé en anthropo-logie, et qui révèle en effet une manière de poser lesproblèmes informée au départ par des questions philoso-phiques, soit pour s’en démarquer, soit pour les reformuler,à la lumière du matériau humain dont elle se saisit. Pourcette raison, elle suscite beaucoup de malentendus parce quec’est une pensée incroyablement difficile, aux articulations

conceptuelles complexes. Il y a des pages extraordinaires etcomplexes de Durkheim notamment dans Les formesélémentaires de la vie religieuse, il y a aussi des pages trèscomplexes de Lévy-Bruhl, mais il est rare qu’une œuvreentière se tienne à un niveau d’exigence aussi élevé. S’ajouteà cela la technicité de la discipline elle-même : Lévi-Straussest donc un auteur vraiment difficile, malgré cette impressionde facilité que donnent des textes comme Race et histoire ouTristes tropiques, qui sont faussement transparents.

Mais il ne faut pas s’y tromper : ce que fait Lévi-Strauss,c’est de la science, avec un régime de vérité et de traitementdes énoncés entièrement distinct de celui de la littérature oude la philosophie. La question du sens de la destinée indi-viduelle n’est pas un problème qu’il traite dans ses livres. Leproblème du sujet, du mal, etc., ces questions philoso-phiques et morales très anciennes dans la tradition judéo-chrétienne, que soulève Lévinas, par exemple, n’ont pas de

pertinence dans la perspective anthropologique que déve-loppe Lévi-Strauss.

Pourtant, on perçoit bien chez lui une inquiétudepour l’espèce, une désapprobation de la manière dont ellese comporte, et une défiance vis-à-vis du « sujet ».

Il fait penser aux moralistes du XVIIe siècle – jusque dans safaçon d’écrire, d’ailleurs, qui oscille entre Montesquieu etRousseau d’un côté et Chateaubriand de l’autre, selon lestextes, pour l’économie de moyens ou l’usage du lyrisme.Il est sensible à l’idée d’une responsabilité collective. Il n’estpas très intéressé à penser l’individu. Pour lui, les humainssont des êtres plongés dans des institutions collectives. Biensûr certains individus sortent de l’ordinaire il en est un

Lévi-Strauss dans Race et h Par-delà nature et culture adoneutralité par rapport aux difféparlez. On peut objecter que ceimpossible parce qu’on écrit tovue particulier, selon un mode l’occurrence occidental et natus’empêcher de porter des jugemexemple qu’il y a des modes ded’autres, des structurations de

d’avoir sur le monde une prise garantissent mieux la survie de– à une échéance difficile à évaLévi-Strauss cette idée que la pscience et la technique qui donefficaces pour les individus et pdésastreuses pour l’humanité, qêtre de détruire ?

Certainement, et le procès en refaire à Lévi-Strauss est absurde.une telle intelligence, une telle prpour certaines des grandes et mêmde la culture occidentale. Ce qu

 paille d’Italie, par exemple, monl’intelligence et la complexité d’uà une époque à stigmatiser le relaLévi-Strauss étant considéré com

Mais ce n’est pas l’anthropologi– lequel n’est qu’une méthode dune posture morale ; c’est une nhistoriens ont été les premiers à

D’autre part, il est exact que Léd’être le moins ethnocentriste pode l’idée qu’en effet certaines forrents égards, plus efficaces que dgenre d’entreprise dans laquelle gues se sont engagés, de rendre cusages du monde par les humaipensée sont plus efficaces que d’aefficacité, à mon avis, sera d’auaurons réussi à repérer dans no

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Le centième anniversaire de Claude Lévi-Strauss et la

grande attention qu’il suscite agissent comme un révélateurde la place exceptionnelle que tient dans le mondeintellectuel français l’auteur de Tristes tropiques. Il est célébréaujourd’hui comme une des grandes figures de la pensée duXXe siècle, comme si l’on s’était aperçu tout à coup, avec unmélange de surprise et de fierté, qu’il faisait déjà partie dupanthéon national. Mais à l’étranger, et au Brésil, quelle estl’influence de Lévi-Strauss ?

Lévi-Strauss correspond au personnage de l’intellectuel français,grande figure classique et patrimoniale, qui déborde largementle cadre de sa discipline, même s’il est soucieux de ne parlerqu’en tant qu’anthropologue.

Le fait que, par un concours de circonstances, sa carrière setrouve liée au Brésil semble donner aux brésiliens une espèced’autorité pour parler de Lévi-Strauss, surtout à São Paulo,où il a enseigné et s’est découvert une vocation d’anthropo-logue. En outre, il est une figure tutélaire de l’université de SãoPaulo. Mais c’est surtout après que Tristes tropiques a ététraduit du français que les brésiliens se sont aperçus de l’exis-tence et de l’importance de Lévi-Strauss. En réalité, soninfluence a vraiment commencé à se faire sentir au Brésil dansles années1960 au moment où l’anthropologie a commencé

Au Brésil, les cours d’anth

de l’école américaine, end’anthropologie culturellel’archéologie, l’anthropoldes départements formés sLévi-Strauss a ouvert d’afois à l’école française et plusieurs traditions. À l’odans le style de Mauss et Dl’apport fondamental de la

En vérité, Lévi-Strauss est du XXe siècle.

On lui en a quelquefplusieurs traditions, il ne inclassable.

 Je préfère la version poévidemment tort de faexagérée et de dire qu’ine serait pas injuste de dsimplement une grandec’est une sorte d’outsideni à l’école anglaise, nl’école française puisq

Claude Lévi-Straussvu par Eduardo Viveirosde Castro

interview

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En ce sens, on peut dire que Lévi-Strauss a réinventé l’anthro-pologie. C’est lui le Boas et le Malinowski français. C’est lui qui

a donné à l’anthropologie française sa véritable dimensionthéorique et institutionnelle. Il n’a pas fait école, il n’a pas dedisciple : c’est plutôt un homme qui se tenait à distance.Pourtant, c’est lui qui a créé l’anthropologie française commediscipline. Le laboratoire d’anthropologie sociale est la premièreinstitution anthropologique au sens moderne du terme enFrance.

Lévi-Strauss a aussi une dimension littéraire et politique.

Tristes tropiques a été un livre révolutionnaire. Du point devue de la forme, si l’on ne s’en tient pas simplement au style,mais qu’on adopte un point de vue plus général, il s’agit au fonddu compte-rendu d’un terrain manqué. C’est postmoderneavant l’heure. C’est un livre paradoxal et novateur.

Surtout, avecTristes tropiquesmais aussi avecRace et histoire,

un opuscule qui a eu un impact considérable, Lévi-Strauss ajoué un rôle fondamental pour forger une nouvelle sensibiliténon seulement française mais mondiale. Il a transformé leprimitif en sauvage et il a redonné au sauvage le rôle qu’il avaitau XVIe siècle, renouant avec des inspirations présentes chezMontaigne et Rousseau, qui sont des références fondamen-tales pour Lévi-Strauss.

C’est donc en effet une figure de grand intellectuel, une

référence de son temps. Paradoxalement, il manifeste unecertaine réticence à tenir ce rôle d’intellectuel public. Trèssouvent, il évite de se prononcer sur les points où on lepresse de le faire. Il n’aime guère les situations où on luidemande de parler « au nom de ». En réalité, il se refuseassez systématiquement à parler au nom de quoi que cesoit, sinon quelquefois de l’espèce humaine – et il prendalors ce ton sombre et pessimiste qui est le sien, celui d’ungrand moraliste à la manière du XVIIIe siècle. Il me sembleque cela lui convient bien dans la mesure où il a réussi à tirerde ce pessimisme des effets de connaissance.

Pourtant, il a connu une sorte de traversée du désert. Il asouffert notamment des critiques portées contre lestructuralisme et du reflux de ce courant

De même, on lui a souvent reppourtant, c’est un homme qui pa

nité et de l’espèce humaine. Simnotion d’humanité de la notion dsauvage, dans un dialogue polémil soutient qu’il faut oser « entremain en non humain. » Cela poà étudier les hommes comme si cexplique Lévi-Strauss, outre que celle de tout homme de science tique, elle n’est guère compromleurs champignonnières artificiemessages chimiques, offrent déjàcoriace aux entreprises de la rais

La question du naturalisme culture sont des grands thèmes qLévi-Strauss, et qui ont suscité be

La position de Lévi-Strauss a beauvoit dans son œuvre comment ceculture passe d’une universalité obon dire, à une universalité subjcesse d’être une opposition réelleinhérente à la réflexion de l’hum

Faut-il y voir l’héritage d’undualiste que Lévi-Strauss a assim

formation philosophique ?

Lévi-Strauss a commencé par souque l’opposition, si fondamentaltaires de la parenté, avait « unegique »(1). Par la suite, notammRaymond Bellour(2), il indique qà donner à l’opposition entre natchangé de la façon la plus impol’opposition nature-culture comnant, dit-il, je la vois comme étauniverselle. C’est un peu commede son sommeil dogmatique, pnature-culture en une sorte d’illusiconséquent à ses yeux si elle n’e

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– si c’est bien de cela qu’il s’agit partout – n’est pas posée de lamême manière que chez nous.

Finalement, il me semble que pour Lévi-Strauss, cette opposi-tion apparaît moins comme un point d’aboutissement quecomme un instrument pour aller ailleurs. Il montre par exempleque la mythologie sud-américaine est focalisée sur cette oppo-sition, mais qu’à y regarder de plus près, elle se laisse démulti-plier, décliner en d’autres oppositions. C’est une caractéristiquede sa pensée : pour lui, une opposition, un contraste binairen’est jamais un objet simple, je veux dire un objet simplementdouble. À une question sur l’avenir de l’anthropologie, il avaitrépondu un jour: « vous savez, on dit toujours, de deux chosesl’une, et c’est toujours la troisième.» Il en va de même pour l’op-position nature-culture : il est hasardeux de se risquer à choisirl’une des deux, car les choses intéressantes se passent entre lesdeux, là où les deux sont en train de communiquer.

Une glande pinéale anthropologique, en somme, qui

relierait deux éléments logiquement ou ontologiquementincompatibles ?

L’opposition n’est posée que pour faire valoir ces phénomènesdont l’intérêt réside précisément dans le fait qu’ils ne sont nientièrement nature, ni entièrement culture, mais qu’ils font laconnexion entre les deux – une connexion toujours inachevée,imparfaite, déséquilibrée. Et il y a une question supplémen-taire. On se demande ce qui est venu d’abord: l’opposition ou

l’élément qui fait le lien, l’opposition n’étant posée que pourmontrer finalement qu’elle ne marche pas. Lévi-Strauss ne posel’opposition nature-culture que pour ajouter aussitôt, avec cetteespèce de maniérisme dont il est coutumier, « ce n’est pas tout»,comme il le fait souvent à l’issue d’une démonstration compli-quée, au moment où l’on pense qu’il est parvenu à refermer uneboucle argumentative et à donner une cohérence systématiqueà sa présentation. Il suffit alors, pour remettre la pensée enmouvement, d’une de ces petites phrases : « mais il y a plus ».

Et s’ouvrent aussitôt de nouveaux chemins encore inaperçus.

Quelle a été pour vous l’influence de Lévi-Strauss ?

 J’ai eu peu de rapports personnels avec lui : deux ou troisrencontres quelqueséchangesdecorrespondance Maisil s’est

villes, l’industrialisation, paysannerie, etc. Les Ind

schéma. Ceux qui existaipaysans ou apparaissaienpérimée de l’histoire du p

Quand je me suis renduencore et qu’ils avaient philosophiquement fascien anthropologie. Lévi-logie. Son nom et son œpersonnelle.

Peut-on encore être aqu’à l’époque de Lévi-Str

Oui et non. Prenons les travaille sur la base de mgraphes, des voyageurs, et

sous forme traduite – paAujourd’hui, on voit parles Indiens eux-mêmes. présenter les mêmes variaformation que ces mythn’étaient en fait que les trfait, lorsqu’un groupe prtemps après, un autre grodonner sa version, et prés

les mythes en question. Àproduire exactement les md’inversion, etc., qui procselon Lévi-Strauss. Ainsilittérature indigène n’a pmais elle a tout de mêcommencent à contrôlerpropre connaissance, deproduisent des mythes à

qu’autrefois, mais que l’ofaisait Lévi-Strauss. Simpmentaire, puisqu’on disporique nouvelle : les sourccomparées aux sources pc’est à direà toutunense

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tisation qui pousse du dedans. Notre société devient de plus enplus étrange en elle-même, dans tous les sens du terme : bizarre,

divisée, non coïncidente avec elle-même, étrangère. La mondia-lisation a redistribué les cartes. Les Africains ne sont plus seule-ment en Afrique : ils sont aussi en Europe, aux États-Unis, etc. ;de même pour les populations de l’Asie ou de l’Océanie.

Tristes tropiques se présente comme un témoignagenostalgique sur un monde en train de disparaître, avec l’idéeque la soi-disant civilisation détruit la diversité culturellecomme elle détruit des biotopes.

Lévi-Strauss semble penser que l’espèce est en train de vivreses derniers siècles, qu’elle fait subir à l’environnement et aumonde humain des dommages irréversibles. Sans doute, noussavons que l’espèce humaine s’est tirée de situations qui étaientprobablement pires, mais il y a bien des motifs d’inquiétude. Ladémographie en est une, et c’est un thème présent chez Lévi-Strauss. Bien sûr, le malthusianisme a mauvaise presse. Pour ma

génération, surtout au Brésil, il était tenu pour un discours dedroite : il fallait le combattre, renforcer les sources vives desforces populaires. Mais comment gérer l’expansion démogra-phique quand elle devient aussi envahissante ? Il est possible quenous soyons vraiment dans une impasse anthropologique, quiest en même temps une impasse biologique, planétaire, cosmo-logique. La distinction entre nature et culture s’est estompée defaçon dramatique : si l’on avait des doutes sur le fait qu’ellessont totalement imbriquées, on n’en a plus. On voit maintenant

que la culture est une force naturelle, et que la nature est telle-ment prise dans des réseaux culturels, la perception naturelletellement enveloppée dans des contraintes culturelles, qu’ildevient absurde d’essayer de les distinguer.

Il se pourrait que nous soyons la seule espèce qui va s’éteindreen le sachant, tout en ne parvenant pas à le croire – pas assezpour y changer quelque chose, pour autant que cela soitpossible. Mais on voit se développer un imaginaire du salut de

l’espèce, avec par exemple toute une littérature posthumaniste,technophile..., à la manière de Kurzweil, des cyberpunks, etc.,qui proposent des eschatologies transfiguratrices. Nous n’avonsplus de grandes mythologies : elles ont disparu ou ont tournéau (mauvais) traité de sociologie. La science-fiction est peut-êtrela métaphysique populaire de notre temps notre nouvelle

technicisé et cette convergence, mde la pensée de gauche américai

technophilie, que l’on présente smain par notre espèce de son propnologie. Mais cela pourrait ausgence accidentelle de chemins quque l’occident est un accident, rejoindre, grâce à la pointe la plula matrice anthropologique univsorte pente naturelle de l’espèccourants post-humaniste. C’escomplètement utopique, bien sû

Il est frappant que dans ces courpensée contemporaine, l’un dmonisme. Tout le monde est dualisme : il faut faire l’un, mêmesa nature. Les créationnistes sonaturalistes également. Mais le m

comme une sorte de dualisme cacmonisme est un dualisme dont obranches en l’intégrant dans l’autdire son nom et qui a escamoté fait le matérialisme classique lorsd’autre que de la matière, sinon mettant dans la matière ? Il en va le corps, notamment en phénomnouveau nom de l’esprit. Tout

c’est maintenant le corps qui lemoderne de l’esprit. Ces questionchez Lévi-Strauss.

À vous entendre, l’anthropophilosophie, chez Lévi-Strauss, a

Tim Ingold, un anthropologuetion : Anthropology is philos

L’anthropologie, c’est de la phigens en dehors, qui aborde les pdans la réalité de ceux qui lesformule s’applique bien à Lévine pas couper le lien entre an

tout en disant le contraire Il

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Nous croyons tous, ou presque, êtreamateurs de champignons. Paris adonné son nom à la seule espèceeuropéenne cultivée, le champignonfigure à nos menus, c’est une« garniture » prescrite de la cuisined’apparat. Pourtant, interrogezautour de vous, demandez à vosamis le nombre d’espèces connues

et consommées par eux : ils vousparleront du champignon de Paris,du cèpe, de la girolle, de la morille,de la truffe. Bien rares ceux quiiront au-delà.

Cette attitude timorée envers leschampignons n’est pas seulement,comme on pourrait croire, l’effet

d’une sage prudence. Les spécialistesestiment qu’une seule espèce dechampignon – l’amanite phalloïde –est mortelle. La méfiance pour desespèces qui nous sont inconnues, lefait même que celles ci soient infi

Telle est, justement, la thèse soutenuepar V.P. et R.G. Wasson, dans unmonumental ouvrage, somptueuse-ment présenté et illustré, tiré àquelques centaines d’exemplaires, etdans lequel ils posent les fondementsd’une nouvelle étude anthropolo-gique : l’ethno-mycologie(1).

Le public français connaît déjà unepartie des recherches de V.P. etR.G. Wasson, puisqu’elles ont trouvéleur couronnement dans les décou-vertes de l’éminent mycologue qu’estle professeur Ruger Heim, directeurdu Muséum national d’Histoirenaturelle. C’est lui, en effet, qui,répondant à l’appel de M. et

Mme Wasson, a, pour la premièrefois, identifié les champignonshallucinogènes du Mexique, faitl’étude scientifique des troubles de laperception et de l’imagination qu’ilsprovoquent et a tout récemment

M.viede leuligneux– pSlaSax

PlusondanLespodesKacuelui

de conautpoTerpo

Dis-moi quelschampignons...par Claude Lévi-Strauss Article paru

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Keats évoque « les champignons,race morbide et pâle, aux couleurs

pareilles à la joue d’un cadavre ». EtShelley : « champignons dont s’écaillela moisissure jusqu’à ce que leur piedépais semble un poteau de supplice,au sommet duquel frémissent encoredes lambeaux de chair... »

Entre la dévotion et la tendresse dontles Russes entourent leurs cham-pignons et l’horreur que ceux-ciinspirent aux Anglo-Saxons et auxpeuples germaniques, les Françaisoccupent une position intermédiaire :avec la plupart des habitants dubassin méditerranéen, Italiens en tête,les Provençaux sont mycophiles,ainsi que les Catalans. Dans le reste

du pays, on observe des conduitesambiguës. Les paysans des Cévennesméridionales, où je vais en vacancesdepuis bientôt trente ans, éprouventune passion immodérée pour cer-taines variétés de cèpes (ceux dont lachair est parfaitement blanche et quine bleuissent pas). Qu’on annonceleur « sortie » dans la montagne,

chacun abandonne sa boutique, sonatelier, son verger ou son champ,pour se livrer à la précieuse collecte,qui a presque le caractère d’un rituel,et à laquelle se rattache toute unemythologie. En revanche, les autresvariétés de cèpes, même inoffensives,et tous les autres champignonscomestibles sont tenus pour des

poisons mortels. Les Cévenols seconduisent donc comme des Slavessous un rapport et comme desAnglo-Saxons sous un autre.

Comment expliquer ces attitudes

mélange de révérence et d’effroi enquoi consiste le sentiment du sacré

aurait pu, selon les sociétés, et unefois disparues les motivations primi-tives, se dissocier et libérer tantôt ladévotion et l’attachement, tantôt unehorreur également imprégnée d’unesorte de respect mystique.

Or, on sait qu’au XIXe siècle encore,certaines populations sibériennes

utilisaient un champignon – le mêmeque nous appelons amanite tue-mouches ou fausse oronge – pour seprocurer des hallucinations divina-toires. Ces états psychiques étaient siappréciés des Koriak qu’ils selivraient à un singulier trafic avecl’urine des consommateurs privilégiésde la précieuse drogue : les moins

fortunés se contentant de boire lesprincipes actifs recueillis, si l’on osedire, de seconde main, et les pluspauvres encore , se satisfaisant desrésidus éliminés par les précédents.

pignons, éprouvé à

manifestas’enorguequi règne champignautomne,Muséumtrès ancie

L’amanite

pignon hade l’Europchapeau rsymbole sorcellerienelle ? Orqu’elle tuecipe actif, à la cuisso

péennes bien aux comme l’« siège duserait-ce R G Was

Une hallucination aux champignons, d’après un an

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sion de la racine indo-européennequi a donné naissance au latin

fungus. Elle s’étend de l’Atlantiqueau Pacifique, recouvrant ainsi toutel’Eurasie. On va moins loin, dansl’espace et dans le temps, avec lesétudes d’iconographie, bien que V.P.et R.G. Wasson aient consacré destrésors de goût et d’ingéniosité àétudier, pour la première fois, laplace du champignon dans l’art :depuis les fresques de Pompéi jusqu’àGainsborough et à Granville, enpassant par Jérôme Bosch,Arcimboldo et les peintres de laRenaissance flamande... Parmi lesquatre-vingt-deux planches horstexte qui illustrent l’ouvrage, il fautfaire une mention spéciale des aqua-

relles inédites de Fabre, qu’il avaitrenoncé à publier, par crainte quel’imprimeur ne trahisse les nuances,et dont un choix admirable est icioffert, reproduites à la main et aupochoir.

Voilà de quoi réjouir l’esthète. Quantau moraliste, il s interrogera sur

l’étrange coïncidence entre paysmycophiles et pays mycophobesd’une part, ceux du pacte Atlantiqueet du pacte de Varsovie de l’autre.N’est-il pas curieux, de ce point devue, que les deux pays les plus myco-philes d’Europe occidentale (bien quetrès loin derrière la Russie) soient laFrance et l’Italie, où l’extrême-gauche est particulièrement puis-sante ? Qu’en Espagne même, laforteresse de la mycophilie soit juste-ment la Catalogne ? Quel beau rêve,pour l’ethnologue et le préhistorien,d’imaginer que les frontières politi-ques et idéologiques du mondemoderne se modèlent encore sur le

contour de failles, recoupant les civi-lisations depuis des millénaires !Gobineau serait comblé ; mais Marxaussi pourrait y trouver son compte,puisque le parti des hommes, pour oucontre les champignons (qui subsis-tent dans l’économie moderne,

comsau

ramqufiand’eentmo

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 L’Express. - Qui était Alfred-LouisKroeber, que vous considérezcomme votre maître, et qui vient demourir ?CLAUDE LÉVl-STRAUSS. - C’est ledernier des ethnologues del’Amérique du Nord à avoir connudes Indiens. Des Peaux-Rouges nonpas sauvages – bien entendu il n’y en

avait plus – mais qui l’avaient étédans leur jeunesse. Kroeber était néen 1876, son premier travail sur leterrain des Arapaho date de 1900.Or, la pénétration de l’Ouest par lesBlancs américains n’a commencéqu’aux environs de 1850 et n’a étécomplètement achevée que vers1880. Par conséquent, les vieillards

de 70 ou 80 ans qu’a pu connaîtreKroeber avaient encore mené,pendant la plus grande partie de leurvie, l’existence d’Indiens sauvages...Avec Kroeber, c’est vraimentl’Amérique d’avant Christophe

retourné pour la dernière fois chez lesYurok, dont certains subsistent partoutes petites bandes d’une dizaine depersonnes, quelquefois d’une famille,voire une seule personne, qui parleencore la langue d’origine et qui serappelle les mythes et les légendes. Cesont des gens qui vivaient de collectes,de ramassages et de chasses, et qui

représentent probablement ce qu’il ya de plus archaïque en Amérique.

- Kroeber était-il le seul à s’intéresserà eux ?C.L.-S. - Non, il y a eu d’autres ethno-logues – quoique Kroeber fût le seul àavoir des liens aussi forts, aussi person-nels avec eux – et il y a eu aussi des

psychanalystes. Ils se sont passionnéspour les Indiens de Californie, d’ailleursrécemment et en partie sous l’influencede Kroeber. Il avait fait lui-même unepsychanalyse didactique pendant troisans aux environs de 1920 je crois tout

- En quoi par exemples psychaC.L.-S. - Jpsychana« caractèrcollectionqui accumconsistaie

lames d’obcertaines longueur,cinquantemais étaieobjets extexhibait dsion de jeudes jeux d

d’écraser ltion de laplus bellesune stratsortait touqu’on po

L’humanité,

c’est quoi ?Entretien paru dans L’Express,

le 20 octobre 1960 (extraits).

À l’occasid’Alfred-Louis Kroebe

de la gethnClau

dans cet

représente cette permondiale et répond

lui pose Male trav

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sa vie non seulement ethnographe deterrain – il a étudié directement un

nombre considérable de populationsaméricaines – mais aussi archéologue(il a fait des fouilles au Pérou qui ontpermis de proposer certaines classifi-cations pour les anciennes culturespéruviennes, restées désormais clas-siques), il a été historien (sur les popu-lations disparues du nord del’Amérique du Sud, comme lesChichas), toute une partie de sonœuvre est de caractère philosophique(il a même étudié les variations de lamode féminine au siècle dernier !). IIa fait de la linguistique, des enquêtessociologiques, consacré tout un livreaux rapports entre les milieux géogra-phiques de l’Amérique du Nord et des

sociétés qui s’y sont développées...Enfin, c’était un homme d’une cu-riosité et d’une intensité d’esprit toutà fait exceptionnelles.

- Mais d’abord un ethnologue ?C.L.-S. - Oui. Il m’avait dit plusieursfois, d’ailleurs, combien il était surpris

de voir que les jeunes ethnologuesaméricains d’aujourd’hui choisissaientl’ethnologie pour des raisons arbi-traires, comme ils auraient pu choisirla sociologie ou la psychologie,comme une science sociale parmid’autres ; tandis que, pour Kroeber,et les hommes de sa génération, l’ethno-logie n’était pas une science sur le

même plan que les autres, l’anthro-pologie, pour lui, c’était une religion.

renouvelables à l’infini, est-ce quel’ethnologue ne risque pas de se

sentir dérouté, pris de vertige ?C.L.-S. - Moi, je pense au contraireque cela lui permet d’accéder à lasagesse...

- Comment cela ?C.L.-S. - Eh bien ! précisément par lesentiment que rien de ce qu’il vit n’estprofondément essentiel. Ce qui paraîtle plus important ne l’est vraiment quedans la mesure où l’on se situe à unecertaine échelle du temps. Si l’ethno-logue veut bien par une gymnastiquequi lui est habituelle, opérer uneconversion et se placer, ne fut-ce quepour un instant, à l’échelle des sièclesou des millénaires – au lieu de se

placer à l’échelle des décennies – leschoses qui semblent capitales luiapparaîtront sous une tout autrelumière...

- Lorsqu’on croit que vous étudiezles mœurs des hommes, au fond onse trompe un peu ; ce qui vousintéresse essentiellement c’est l’esprit

humain ? Ses reflets ? Saconstitution ?C.L.-S. - Oui. Mais notre contribu-tion à la connaissance de l’esprithumain consiste à l’aborder d’uneautre manière, par un autre bout etune autre voie que ceux du psycho-logue, par exemple, ou de l’historien.Disons que nous cherchons à l’appré-

hender dans ce que Sartre appelle les« totalités » ou les « totalisations »...

- Quel est votre outil, à vous ?C.L.-S. - L’éloignement. Non seule-ment parce que les sociétés que nous

- Lpro

moen homd’épro

C.Lbie

Sudpaslogquigarun rienoueh

Chla sl’etils conlogquten

tioconquoméchapo

Ce qui paraît le plusi l’

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- Croyez-vous qu’on aille versl’unification des sociétés?

C.L.-S. - C’est encore une questionqu’on avait discutée en Autriche avecKroeber(1). Lui, semblait-il, le pensait,et les autres membres du colloque nele croyaient pas. Nous lui opposionsque pour autant que les sociétéstendraient à s’homogénéiser, proba-blement d’autres points de rupture,d’autres points de clivage, apparaî-traient à des endroits que nous nesoupçonnons pas du tout.

- Où ? N’en avez-vous pas lamoindre idée ? Serait-ce entre laBretagne et la France...C.L.-S. - Peut-être pas ! Mais peut-être, par exemple, sur le plan des géné-

rations. Les problèmes de délinquancejuvénile ont existé en tout temps et àtoutes les époques, mais peut-êtrequ’aujourd’hui, dans la mesure où surle plan d’une génération donnée, lesdifférences tendent à s’abolir à traversl’espace, s’accusent-elles d’une façonbeaucoup plus marquée entre unegénération et la suivante...

Il vient d’y avoir en Angleterre uneenquête tout à fait curieuse sur lefolklore des enfants des écoles. Ons’est aperçu que dans toute l’Angle-terre, les types des jeux, des façons deparler des enfants – dont les adultesne soupçonnent même pas l’exis-tence – étaient remarquablement

homogènes... Et on ne sait pas du toutcomment s’en fait la propagation.

- Alors, même si les sociétésprimitives disparaissent de la surfacede la Terre les ethnologues auront

curieuse note de J.-J. Rousseau – quise trouve en fin du « Discours sur

l’inégalité ». Il commence par seplaindre qu’on ne fasse d’études quede la nature, et pas de l’homme, et ilfait appel à des gens ou des groupestrès riches pour qu’ils veuillent biensubventionner des voyages ayant pourbut d’aller étudier l’homme (ensomme, il annonce les grandes fonda-tions consacrées aujourd’hui à larecherche anthropologique !), et puisil donne comme exemple ceci : desvoyageurs lui ont rapporté deshistoires très curieuses à propos desociétés d’êtres étranges vivants enAfrique, qui s’appellent les « gorilles »,et que, par ignorance, on déclare dessinges, alors qu’il est tout à fait clair

qu’il s’agit là de préjugés, et qu’en faitces êtres sont des hommes ! Et si onn’était pas si ignorant sur la diversitédes sociétés humaines, on s’aper-cevrait qu’un gorille est un homme aumême titre qu’un autre !

Là-dessus, je veux bien, Rousseau se

trompait ; mais il se trompait en ayantpris une attitude qui est typique del’attitude ethnologique : se mettretoujours au-delà de ce qu’on consi-dère être le possible, pour l’homme,et arriver à ramener à l’intérieur de

- Les ethnd’étudier l

C.L.-S. - Pplus elle même, pluAinsi, les Acience du ils sont uncents millicomme noquante – eux-mêmen’est pas usi l’anthroveloppée edernières étudier lesétudier la

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considère à un momentdonné, à une époque

donnée, comme celles del’humanité.

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beaucoup de bêtises, dès que nousnous intéressons à des choses que

nous ne connaissons pas directement.Alors il faut choisir.

- Est-ce que la personnalité de celuiqui exerce votre métier ne comptepas beaucoup plus que dans uneautre discipline ?C.L.-S. - Elle compte énormément.Kroeber lui-même a souvent dit queles sociologues sont des genstoujours prêts à jouer, disons le jeude leur propre société – qu’ils soientpour ou contre, cela n’a pas d’im-portance – mais ils veulent se situerà l’intérieur d’elle, pour la discuterou l’améliorer. Tandis qu’aucontraire l’anthropologue – d’après

Kroeber – est un homme qui ne sesent pas à l’aise à l’intérieur de sapropre société et qui essaie de se si-tuer par rapport à d’autres, commepremier système de référence.

- Je me suis demandé parfois si, eneffet, l’anthropologue ne se rendaitpas dans d’autres sociétés parce qu’il

ne parvenait pas à établir descommunications satisfaisantes avecla sienne propre. Là-bas, il est surun pied tout à fait différent, il n’estplus question d’égalité et, de toutefaçon il est l’autre, l’étranger...C.L.-S. - Oui, mais ce n’est pas avecles hommes en général que l’anthro-pologue communique mal – sinon, il

ne serait pas anthropologue, il lesfuirait tout à fait et se ferait archéo-logue – c’est avec son groupe social.D’autre part, tout l’effort de l’ethno-logue, sur le terrain, est de passerinaperçu de se faire oublier ; ce n’est

lopper harmonieusement sur tousles plans possibles à l’être humain ?

C.L.-S. - Oh ! non, là, franchement, jene crois pas ! Je pense que, danstoutes les sociétés, il y a des gens quisont heureux et d’autres qui sontmalheureux – et dans les sociétésprimitives il y a des gens très malheu-reux.

En les regardant du dehors, cessociétés peuvent donner une impres-sion d’équilibre, car elles ne veulentpas changer. C’est cela la différenceavec la nôtre. Vous comprenez, laquestion n’est pas de savoir si elleschangent ou si elles ne changent pas ;en fait, elles changent parce que detoute façon toutes les sociétés chan-

gent. La seule différence entre elles etnous c’est que nous avons consciencede ce changement, nous le voulons,nous voulons l’utiliser – à notre détri-ment ou à notre profit – nous voulonsasservir l’Histoire, comme une forcequi serait à la disposition même denotre société ; tandis que les sociétésprimitives, au contraire, repoussent,

rejettent l’Histoire, font tout cequ’elles peuvent pour qu’il n’y ait pasde changements – et d’ailleurs n’y

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- Y en a-t-il ?C.L.-S. - Non, je ne crois pas. Je pense

que toute société a trouvé l’essentielde ce qu’il fallait à l’être humain,sinon elle n’existerait pas.

- Quelles sont les sociétés qui vouspassionnent le plus, vouspersonnellement, ethnologue ?C.L.-S. - Ce qu’il y a de plus sédui-sant à titre de connaissance, pour unethnologue, ce sont les sociétés méla-nésiennes ; je ne dis pas que ce sont lesplus sympathiques ou les plus plai-santes, mais ce sont les plus extraor-dinaires. D’abord par leur multiplicitésur un territoire donné, c’est unepartie du monde où une quantitéprodigieuse d’expériences se sont

trouvées réalisées ; d’expériencesextraordinairement différentes lesunes des autres ; ce sont des sociétésoù l’organisation sociale pose toutessortes de problèmes, dont l’Art estprobablement le plus surprenant... Etpuis c’est probablement la seulerégion du monde où il existe encoredes endroits inconnus.

- Vous y êtes allé ?C.L.-S. - Non.

- Comptez-vous repartir un jour,personnellement sur le terrain ?C.L.-S. - Non, je ne crois pas. Voussavez, si tous les ethnologues sontd’accord pour dire qu’on ne peut pas

faire leur métier si on n’a pas été surle terrain, si on n’a pas une solideexpérience du terrain, à partir de là jepense que les voies peuvent diverger.Il y en a qui ne sont heureux que lors-qu’ils se trouvent chez les indigènes et

déteste le plus au sein de notre civili-sation : les problèmes du départ, des

moyens de transport, des formalitésadministratives, la lutte contrel’inertie des bureaux, la mauvaisevolonté des gens, enfin tout ce quiuse... En ethnologie, c’est commedans toutes les sciences, il y a des gensqui aiment le laboratoire, d’autres quipréfèrent le tableau noir et le morceaude craie. C’est mon cas.

- Préparez-vous un ouvrage en cemoment ?C.L.-S. - Oui, un gros livre de mytho-logie, mais lentement. Il s’agit d’unesérie d’expériences mythologiques, sij’ose dire... À partir d’exemples trèsvariés, j’essaie de montrer que les

mêmes méthodes d’explication oud’interprétation peuvent marcher.

- Qui sont aujourd’hui les grandsethnologues ?C.L.-S. - En Amérique, c’est la find’une génération. Le fondateur del’ethnologie américaine, c’était Boas,et il est mort en 1942 ; restaient les

grands élèves de Boas : Lowie, Radinet Kroeber, et ils viennent tous les troisde mourir en trois ans. Et le plusbrillant de la génération immédiate-ment suivante, Kluckhohn, est mortcet été à cinquante-sept ans.

- Et ailleurs, qui citeriez-vous ?C.L.-S. - L’école anglaise est excel-

lente ; il y a Evans-Pritchard, Forter,Firth. Il y en a d’excellents enHollande, en Australie...

- Et en Russie ?C L S Les Russes sont en retard à

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Pour les Amérindiens et la plupart des

peuples restés longtemps sans écriture,le temps des mythes fut celui où leshommes et les animaux n’étaient pasréellement distincts les uns des autreset pouvaient communiquer entre eux.Faire débuter les temps historiques à latour de Babel, quand les hommesperdirent l’usage d’une langue com-mune et cessèrent de se comprendre,

leur eût paru traduire une vision singu-lièrement étriquée des choses. Cette find’une harmonie primitive se produisitselon eux sur une scène beaucoup plusvaste ; elle affligea non pas les seulshumains, mais tous les êtres vivants.

Aujourd’hui encore, on dirait que nousrestons confusément conscients de cette

solidarité première entre toutes lesformes de vie. Rien ne nous semble plusurgent que d’imprimer, dès la naissanceou presque, le sentiment de cette conti-nuité dans l’esprit de nos jeunesenfants Nous les entourons de simu

humains, qu’ils en soient conscients ou

non, un problème philosophique quetoutes les sociétés ont tenté de résoudre.L’Ancien Testament en fait une consé-quence indirecte de la chute. Dans lejardin d’Éden, Adam et Ève se nour-rissaient de fruits et de graines (GenèseI, 29). C’est seulement à partir de Noéque l’homme devint carnivore (IX, 3).Il est significatif que cette rupture entre

le genre humain et les autres animauxprécède immédiatement l’histoire de latour de Babel, c’est-à-dire la séparationdes hommes les uns des autres, commesi celle-ci était la conséquence ou un casparticulier de celle-là.

Cette conception fait de l’alimentationcarnivore une sorte d’enrichissement

du régime végétarien. À l’inverse,certains peuples sans écriture y voientune forme à peine atténuée de canni-balisme. Ils humanisent la relation entrele chasseur (ou le pêcheur) et sa proieen la concevant sur le modèle d’une

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La leçon de

sagesse desvaches follespar Claude Lévi-Strauss

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pas sans précédent dans l’histoire. Destextes de l’époque affirment que

pendant les guerres de Religion quiensanglantèrent la France au XVIe siècle,les Parisiens affamés furent réduits à senourrir d’un pain à base de farine faited’ossements humains qu’on extrayaitdes catacombes pour les moudre.

Le lien entre l’alimentation carnée etun cannibalisme élargi jusqu’à lui

donner une connotation universelle adonc, dans la pensée, des racines trèsprofondes. Il ressort au premier planavec l’épidémie des vaches follespuisque à la crainte de contracter unemaladie mortelle s’ajoute l’horreur quenous inspire traditionnellement lecannibalisme étendu maintenant auxbovins. Conditionnés dès la petiteenfance, nous restons certes des carni-vores et nous nous rabattons sur desviandes de substitution. Il n’en reste pasmoins que la consommation de viandea baissé de façon spectaculaire. Maiscombien sommes-nous, bien avant cesévénements, qui ne pouvions passerdevant l’étal d’un boucher sans

éprouver du malaise, le voyant paranticipation dans l’optique de futurssiècles ? Car un jour viendra où l’idéeque, pour se nourrir, les hommes dupassé élevaient et massacraient des êtresvivants et exposaient complaisammentleur chair en lambeaux dans desvitrines, inspirera sans doute la mêmerépulsion qu’aux voyageurs du XVIe ou

du XVIIe siècle, les repas cannibales dessauvages américains, océaniens ou afri-cains.

La vogue croissante des mouvementsde défense des animaux en témoigne :

commentateurs ont préféré ignorer, lamettant au compte de ces extrava-

gances auxquelles ce grand génie s’estsouvent livré. Elle mérite pourtantqu’on s’y arrête.

Comte répartit les animaux en troiscatégories. Dans la première, il rangeceux qui, d’une façon ou de l’autre,présentent pour l’homme un danger, etil propose tout simplement de les

détruire.

Il rassemble dans une deuxième caté-gorie les espèces protégées et élevées parl’homme pour s’en nourrir : bovins,porcins, ovins, animaux de basse-cour...Depuis des millénaires, l’homme les a siprofondément transformés qu’on nepeut même plus les appeler des ani-maux. On doit voir en eux les « labo-ratoires nutritifs » où s’élaborent lescomposés organiques nécessaires ànotre subsistance.

Si Comte expulse cette deuxième caté-gorie de l’animalité, il intègre la troi-sième à l’humanité. Elle regroupe les

espèces sociables où nous trouvons noscompagnons et même souvent desauxiliaires actifs : animaux dont « on abeaucoup exagéré l’infériorité men-tale ». Certains, comme le chien et lechat, sont carnivores. D’autres, du faitde leur nature d’herbivores, n’ont pasun niveau intellectuel suffisant qui lesrende utilisables. Comte préconise de

les transformer en carnassiers, chosenullement impossible à ses yeux puis-qu’en Norvège, quand le fourragemanque, on nourrit le bétail avec dupoisson séché. Ainsi amènera-t-oncertains herbivores au plus haut degré

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Surtout, cette transformation ne fut pasmenée au profit des auxiliaires actifs de

l’homme, mais aux dépens de cesanimaux qualifiés par Comte de labo-ratoires nutritifs : erreur fatale contrelaquelle il avait lui-même mis en garde,car, disait-il, « l’excès d’animalité leurserait nuisible ». Nuisible pas seulementà eux mais à nous : n’est-ce pas en leurconférant un excès d’animalité (dû àleur transformation, bien plus qu’en

carnivores, en cannibales) que nousavons, involontairement certes, changénos « laboratoires nutritifs » en labo-ratoires mortifères ?

La maladie de la vache folle n’a pasencore gagné tous les pays. L’Italie, jecrois, en est jusqu’à présent indemne.Peut-être l’oubliera-t-on bientôt : soit quel’épidémie s’éteigne d’elle-même commele prédisent les savants britanniques, soitqu’on découvre des vaccins ou des cures,ou qu’une politique de santé rigoureusegarantisse la santé des bêtes destinées àla boucherie. Mais d’autres scénariossont aussi concevables.

On soupçonne que, contrairementaux idées reçues, la maladie pourraitfranchir les frontières biologiquesentre les espèces. Frappant tous lesanimaux dont nous nous nourrissons,elle s’installerait de façon durable etprendrait rang parmi les maux nés dela civilisation industrielle, qui compro-mettent de plus en plus gravement la

satisfaction des besoins de tous lesêtres vivants.

Déjà nous ne respirons plus qu’un airpollué. Elle aussi polluée, l’eau n’estplus ce bien qu’on pouvait croire dispo

Ce n’est d’ailleurs pas le seul facteur quipourrait contraindre l’homme à s’en

détourner. Dans un monde où lapopulation globale aura probablementdoublé dans moins d’un siècle, le bétailet les autres animaux d’élevagedeviennent pour l’homme deredoutables concurrents. On a calculéqu’aux États-Unis, les deux tiers descéréales produites servent à les nourrir.Et n’oublions pas que ces animaux nous

rendent sous forme de viande beaucoupmoins de calories qu’ils n’enconsommèrent au cours de leur vie (lecinquième, m’a-t-on dit, pour unpoulet). Une population humaine enexpansion aura vite besoin pour survivrede la production céréalière actuelle toutentière : rien ne restera pour le bétail etles animaux de basse-cour, de sorte quetous les humains devront calquer leurrégime alimentaire sur celui des Indienset des Chinois où la chair animalecouvre une très petite partie des besoinsen protéines et en calories. Il faudramême, peut-être, y renoncer complè-tement car tandis que la populationaugmente, la superficie des terres

cultivables diminue sous l’effet del’érosion et de l’urbanisation, les réservesd’hydrocarbures baissent et lesressources en eau se réduisent. Enrevanche, les experts estiment que sil’humanité devenait intégralementvégétarienne, les surfaces aujourd’huicultivées pourraient nourrir unepopulation doublée.

Il est notable que dans les sociétésoccidentales, la consommation deviande tend spontanément à fléchir,comme si ces sociétés commençaient àchanger de régime alimentaire En ce

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Rapport deMaurice Merleau-Ponty

pour la création

d’une chaired’Anthropologie socialeAssemblée des professeurs du Collège de France

30 novembre 1958

Monsieur l’Administrateur, mes chers collègues,Un enseignement général relatif à la société a existé sans inter-ruption au Collège de France depuis 1897 jusqu’à la mort deM. Halbwachs en 1945. Pendant la même période, la psycho-logie a été constamment représentée par deux chaires. Encréant aujourd’hui une chaire d’anthropologie sociale, c’està la coutume d’un demi-siècle que nous reviendrions.

Mais la science sociale n’est pas seulement ici une coutume.Elle a au Collège de France une tradition, un passé vivant, qui

travaille et opère encore dans le présent. Ce que nous appe-lons aujourd’hui anthropologie sociale, – d’un mot, usuelhors de France, qui se répand en France, – c’est ce que devientla sociologie quand elle admet que, comme l’homme lui-même, le social a deux pôles ou deux faces : il est signifiant,on peut le comprendre du dedans, et en même temps l’in-tention personnelle y est généralisée, amortie, elle tend vers leprocessus, elle est, selon le mot célèbre, médiatisée par leschoses. Or personne en France n’a anticipé cette sociologie

assouplie comme Marcel Mauss dans sa chaire du Collège deFrance. L’anthropologie sociale, c’est, à plusieurs égards,l’œuvre de Mauss qui continue de vivre sous nos yeux.

Après vingt-cinq ans, le fameux Essai sur le Don, formearchaïque de l’Échange vient d’être traduit pour les lecteurs

et non plus comme des « systMais, dès qu’elle cherchait à pdéfinir le social que comme «disait-on, des « représentationsindividuelles, elles étaient « codiscutée de la « conscience colletitre distinct au cœur de l’histoiredividu, comme entre deux chosedonnait à l’explication sociologtion psychologique ou physiolo

Par ailleurs Durkheim proposalogie sociale, une genèse idéalenaison de sociétés élémentaicomposés entre eux. Le simple tiel et avec l’ancien. L’idée, p« mentalité prélogique » ne noce qu’il peut y avoir d’irréductibdites archaïques, puisqu’elle les

insurmontable. Des deux façoncet accès à l’autre qui est pourtlogie. Comment comprendre l’alogique ou sans la lui sacrifier ?réel à nos idées, ou qu’au contméable la sociologie parlait tou

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social qu’éclate leur différence. Dans l’étude de la magie,disait-il, les variations concomitantes et les corrélations exté-

rieures laissent un résidu qu’il faut décrire, car c’est en lui quese trouvent les raisons profondes de la croyance.

Il fallait donc entrer dans le phénomène par la pensée, le lireou le déchiffrer. Et cette lecture consiste toujours à saisir lemode d’échange qui se constitue entre les hommes par l’ins-titution, les connexions et les équivalences qu’elle établit, lamanière systématique dont elle règle l’emploi des outils, desproduits manufacturés ou alimentaires, des formules

magiques, des ornements, des chants, des danses, deséléments mythiques, comme la langue règle l’emploi desphonèmes, des morphèmes, du vocabulaire et de la syntaxe.Ce fait social qui n’est plus une réalité massive, mais unsystème efficace de symboles ou un réseau de valeurs symbo-liques, va s’insérer au plus profond de l’individuel. Mais larégulation qui circonvient l’individu ne le supprime pas. Iln’y a plus à choisir entre l’individuel et le collectif : « ce quiest vrai » écrit Mauss « ce n’est pas la prière ou le droit,mais le Mélanésien de telle ou telle île, Rome, Athènes ».De même, il n’y a plus de simple absolu ni de pure somma-tion mais partout des totalités ou des ensembles articulés,plus ou moins riches. Dans le prétendu syncrétisme de lamentalité primitive, Mauss remarque les oppositions, aussiimportantes pour lui que les fameuses « participations ».En concevant le social comme un symbolisme, il s’étaitdonné le moyen de respecter la réalité de l’individu, celle du

social et la variété des cultures sans rendre imperméablel’une à l’autre. Une raison élargie devait être capable depénétrer jusqu’à l’irrationnel de la magie et du don : « il fautavant tout » disait-il « dresser le catalogue le plus grandpossible de catégories ; il faut partir de toutes celles dont onpeut savoir que les hommes se sont servis. On verra alorsqu’il y a encore bien des lunes mortes, ou pâles, ou obscures,au firmament de la raison... »

Mais Mauss avait cette intuition-là du social plutôt qu’il n’ena fait la théorie. C’est peut-être pourquoi au moment deconclure, il reste en deçà de sa découverte. Il cherche le prin-cipe de l’échange dans le mana, comme il avait cherché celuide la magie dans le hau. Notions énigmatiques, qui donnentmoins une théorie du fait qu’elles ne reproduisent la théorie

du symbolisme, et nousparadoxes de la paro

– analogue de ce « phlinguistes, et qui, sans avs’oppose à l’absence de pflottant » qui n’articulede signification possible.le mouvement de Mausnous le voyons rétrospl’anthropologie sociale, autre conception et d’un

Elle va appeler structurenisé dans un secteur deentière. Les faits sociauxce sont des structures. avait au départ un sens pà désigner les configuratiarticulées par certaines mène tient d’elles sa valstructure est un systèmque le signe linguistiquepar sa dif férence, par unsignes, et non pas d’abpositive, Saussure rendadessous de la significatiose fait en elle avant que ll’anthropologie sociale,

société est faite : systèmeles règles convenables dlinguistique, système de mythe et du rituel... Elsystèmes en interaction.tures, on les distingue dephilosophie sociale. Lesn’ont pas nécessairemd’échange qui les régit, pa

pour parler de passer paLa structure est plutôt prSi l’on peut dire, elle « lla comparons au langagparole, ou encore à son uparler d’eux mêmes et d

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que les mêmes traits de physionomie peuvent avoir un sensdifférent dans différentes sociétés, selon le système dans lequel

ils sont pris. Si la société américaine dans sa mythologieretrouve aujourd’hui un chemin qui a été suivi jadis ouailleurs, ce n’est pas qu’un archétype transcendant s’incarnetrois fois dans les saturnales romaines, dans les katchinas duMexique et dans le Christmas américain. C’est que cettestructure mythique offre une voie pour la résolution dequelque tension locale et actuelle, c’est qu’elle est recrééedans la dynamique du présent. La structure n’ôte rien à lasociété de son épaisseur ou de sa pesanteur. Elle est elle-même

une structure de structures : comment n’y aurait-il aucunrapport entre le système linguistique, le système économiqueet le système de parenté qu’elle pratique ? Mais ce rapportest subtil et variable : c’est quelquefois une homologie.D’autres fois – comme dans le cas du mythe et du rituel, –une structure est la contrepartie et l’antagoniste de l’autre. Lasociété comme structure reste une réalité à facettes, justi-ciable de plusieurs visées. Jusqu’où les comparaisons peuvent-elles aller ? Finirons-nous par trouver, comme le voudrait lasociologie proprement dite, des invariants universels ? C’està voir. Rien ne limite dans ce sens la recherche structurale,– mais rien aussi ne l’oblige en commençant à postuler qu’ily en ait. L’intérêt majeur de cette recherche est de substituerpartout aux antinomies des rapports de complémentarité.

Elle va donc rayonner dans tous les sens, vers l’universel etvers la monographie, allant chaque fois aussi loin que

possible pour éprouver justement ce qui peut manquer àchacune des visées prise à part. La recherche de l’élémen-taire, dans les systèmes de parenté, va s’orienter, à travers lavariété des coutumes, vers un schéma de structure dont ellespuissent être considérées comme des variantes. À partir dumoment où la consanguinité exclut l’alliance, où l’hommerenonce à prendre femme dans sa famille biologique ou dansson groupe et doit nouer au dehors une alliance qui exige,pour des raisons d’équilibre, une contrepartie immédiate ou

médiate, un phénomène d’échange commence qui peut indé-finiment se compliquer quand la réciprocité directe cède laplace à un échange généralisé. Il faut donc construire desmodèles qui mettent en évidence les différentes constella-tions possibles et l’arrangement interne des différents typesde mariage préférentiel et des différents systèmes de parenté

l’observation empirique vers cerqui, sans cette anticipation thé

çues. Ainsi apparaît au fond destructure formelle, on est tenté de une anticipation de l’esprit humétait déjà faite dans les choses, de la culture était un second d’autres invariants. Mais mêcomme la phonologie au-dessosociale trouve au-dessous des strlaquelle elles se conforment,

viendrait ainsi ne se substituerala géométrie généralisée n’annutions de l’espace euclidien. Il y a, dérations d’échelle, et la vérité n’ôterait rien à celle de la microd’une structure formelle peuvnécessité interne de telle séqueelles qui font qu’il y a des hommUn portrait formel des sociétésgénérales de toute société n’estmodèles purs, les diagrammes qment objective sont des instL’élémentaire que cherche l’anencore des structures élémentad’une pensée en réseau qui nol’autre face de la structure, et à

Les opérations logiques surprenformelle des sociétés, il faut biemanière accomplies par les psystèmes de parenté. Il doit donvalent vécu, que l’anthropologupar un travail qui n’est plus seuleconfort et même de sa sécurité. Cobjective au vécu est peut-êtrel’anthropologie, celle qui la

sociales, comme la science éconLa valeur, la rentabilité, la promaximum sont les objets d’une pOn ne peut exiger d’eux qu’ils al’expérience de l’individu. Aul’anthropologie on doit les retr

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pouvons apprendre à parler d’autres langues. Il y a là uneseconde voie vers l’universel : non plus l’universel de

surplomb d’une méthode strictement objective, mais commeun universel latéral dont nous faisons l’acquisition par l’ex-périence ethnologique, incessante mise à l’épreuve de soi parl’autre et de l’autre par soi. Il s’agit de construire un systèmede référence général où puisse trouver place le point de vuede l’indigène, le point de vue du civilisé, et les erreurs de l’unsur l’autre, de constituer une expérience élargie qui devienneen principe accessible à des hommes d’un autre pays et d’unautre temps. L’ethnologie n’est pas une spécialité définie par

un objet particulier, les sociétés « primitives ». C’est presqueune manière de penser, celle qui s’impose quand l’objet est« autre », et exige que nous nous transformions nous-mêmes.Aussi devenons-nous les ethnologues de notre propre société,si nous prenons distance envers elle. Depuis quelques dizainesd’années, – depuis que la société américaine est moins sûred’elle-même, elle ouvre aux ethnologues la porte des servicesd’État et des états-majors. Étrange méthode : il s’agit d’ap-prendre à voir comme étranger ce qui est nôtre, et commenôtre ce qui nous était étranger. Et nous ne pouvons pasmême nous fier à notre vision de dépaysés : la volonté departir a elle-même ses motifs personnels , qui peuvent altérerle témoignage. Ces motifs, il faudra donc les dire aussi, juste-ment si l’on veut être vrai, non que l’ethnologie soit littéra-ture, mais parce qu’au contraire elle ne cesse d’être incertaineque si l’homme qui parle de l’homme ne porte pas lui-mêmeun masque. Vérité et erreur habitent ensemble à l’intersection

de deux cultures, soit que notre formation nous cache cequ’il y a à connaître, soit qu’au contraire elle devienne, dansla vie sur le terrain, un moyen de cerner les dif férences del’autre. Quand Frazer disait, du travail sur le terrain, « Dieum’en préserve» il ne se privait pas seulement de faits, maisd’un mode de connaissance. Il n’est bien entendu ni possibleni nécessaire que le même homme connaisse d’expériencetoutes les sociétés dont il parle. Il suffit qu’il ait quelquefoiset assez longuement appris à se laisser enseigner par une

autre culture, car il dispose désormais d’un organe deconnaissance nouveau, il a repris possession de la régionsauvage de lui-même qui n’est pas investie dans sa propreculture, et par où il communique avec les autres. Ensuite,même à sa table, et même de loin, il peut recouper par unevéritable perception les corrélations de l’analyse la plus

le notre. Laissant ce queet qui nous détournera

l’articulation interne, prequ’ils ont, pour parler cet qu’ils mettent en scènrécurrente. On verrait, –non à titre de théorie –,reparaît trois fois, le mdeux fois. Deux autresconfirmer ceux-là. On acomparables dans la m

arriverait, par des recoureproduire ici, à cette hexprime dans sa structuchtonie de l’homme et dparenté. De ce point de vconnues, engendrer l’unformation réglée, voir emodes de médiation poumentale. Nous nous sonous aboutissons à un aussi bien dire ontologiqdu Pacifique suppose, enraît à l’indigène commeformules abstraites et ldébut, il y a ceci de comqui guide, sentie d’abordappréhendée enfin dans

L’anthropologie vient icversion freudienne du mparticulier dans sa vel’homme à la terre n’y Freud, fait la crise œdipteurs, le paradoxe de l’orneutique freudienne ellecontestable, est bien le d

et réticent, celui de notreindividuel. Et le mythe s’une série de stratificatioaussi : une pensée en spirse masquer sa contradic

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le chaman aussi nous fait comprendre que la psychanalyseest notre sorcellerie. Même sous ses formes les plus cano-

niques et les plus respectueuses, la psychanalyse ne rejoint lavérité d’une vie qu’à travers le rapport de deux vies, dans l’at-mosphère solennelle du transfert qui n’est pas (s’il en existe)une pure méthode objective. À plus forte raison quand elledevient institution, quand elle est appliquée aux sujets dits« normaux » eux-mêmes, elle cesse tout à fait d’être uneconception que l’on puisse justifier ou discuter par des cas,elle ne guérit plus, elle persuade, elle façonne elle-même dessujets conformes à son interprétation de l’homme, elle a ses

convertis, peut-être ses réfractaires, elle ne peut plus avoir sesconvaincus. Par delà le vrai et le faux, elle est un mythe, etle freudisme ainsi dégradé n’est plus une interprétation dumythe d’Œdipe, il en est une variante.

Plus profondément : il ne s’agit pas pour une anthropologied’avoir raison du primitif ou de lui donner raison contre nous,il s’agit de s’installer sur un terrain où nous soyons l’un etl’autre intelligibles, sans réduction ni transposition téméraire.C’est ce qu’on fait en voyant dans la fonction symbolique lasource de toute raison et de toute déraison, parce que lenombre et la richesse des significations dont dispose l’hommeexcèdent toujours le cercle des objets définis qui méritent lenom de signifiés, parce que la fonction symbolique doittoujours être en avance sur son objet, et ne trouve le réelqu’en le devançant dans l’imaginaire. La tâche est doncd’élargir notre raison, pour la rendre capable de comprendre

ce qui en nous et dans les autres précède et excède la raison.Cet effort rejoint celui des autres sciences « séméiologiques »et en général, des autres sciences. Niels Bohr écrivait : « lesdifférences traditionnelles (des cultures humaines)..., res-semblent à beaucoup d’égards aux manières différentes etéquivalentes dont l’expérience physique peut être décrite ».Chaque catégorie traditionnelle appelle aujourd’hui une vuecomplémentaire, c’est-à-dire incompatible et inséparable, et

c’est dans ces conditions difficiles que nous cherchons ce quifait la membrure du monde. Le temps linguistique n’est pluscette série de simultanéités familières à la pensée classique, età laquelle Saussure pensait encore quand il isolait clairementles deux perspectives du simultané et du successif : lasynchronie avec Troubetzkoy enjambe comme le temps

Or il s’agit là justement de formpossible le savoir scientifique et

progressive. La culture, dans sesdu moins les plus efficaces, serarusée de la nature, une série den’émerge jamais d’emblée commappeler, sinon histoire, ce milicontingence ouvre soudain un cyavec l’autorité de l’institué ? Nqui voudrait composer tout le csitués et datés dans le temps série

mais cette histoire qui sait bien qdaire hantent toujours sous d’ahumaines, qui cherche au-delà parcellaires, et qui s’appelle just

C’est tout un régime de pensée qde structure dont la fortune domaines répond à un besoin deprésente hors de nous dans les set en nous comme fonction schemin hors de la corrélation sujsophie de Descartes à Hegel. Eculier comment nous sommes avdans une sorte de circuit, l’hommême, et le social ne trouvant solà trop de philosophie, dont l’anle poids. Ce qui intéresse le phi

ment qu’elle prenne l’homme coeffectivede vie et de connaissancresse n’est pas celui qui veut explmais celui qui cherche à approl’être. Sa recommandation ne sal’anthropologie puisqu’elle se foconcret dans sa méthode.

Que cette esquisse de l’anthropologi

abstrait de quelqu’un, qu’il y ait unnous cette recherche et cet enseignla chose est d’autant moins douteréflexions autour d’une œuvre oùpersonnelle, sensible.Quant à ce que les

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Présentation de lacandidature de Claude

Lévi-Strauss à la chaired’Anthropologie sociale

(extrait)Maurice Merleau-Ponty

Assemblée des professeurs du Collège de France15 mars 1959

Monsieur l’Administrateur, mes chers Collègues,C’est récemment que l’anthropologie sociale, entre sociologieet ethnographie, a conquis son autonomie. Les travaux deM. Claude Lévi-Strauss sont presque les seuls en France àsuivre précisément cette ligne. En essayant de la décrire devantvous, je leur empruntais donc presque tout, et, pour motiveraujourd’hui la candidature de l’auteur à la nouvelle chaire, ilne me reste guère qu’à montrer comment une vocation préciseet une suite méditée de travaux l’ont amené à l’ensemble deméthodes et d’idées dont vous avez bien voulu reconnaître

l’importance en créant la chaire d’anthropologie sociale.M. Lévi-Strauss est agrégé de philosophie, et a mêmeenseigné pendant deux ans après l’agrégation dans des lycéesde province. Mais, aussitôt que l’occasion lui en a étédonnée, il a gagné le Brésil et mis à profit ce séjour pour allervisiter dans des conditions difficiles et même risquées despopulations de l’intérieur. Appartenant à une générationtrès voisine de la sienne, je peux dire comme cette initiative

était alors originale : il fallait à un universitaire de vingt-sixans la plus ferme vocation pour passer sans transition desquatre années d’études philosophiques à un travail sur leterrain que n’avait pratiqué, à ma connaissance, aucun desgrands auteurs de l’école française.

la fois ce qu’on pourraitqu’il n’est qu’une des mament d’une humanité plde nous que la sociologied’une étrange parenté hments brésiliens publiés

Cependant, il n’y a là enpologue n’est pas seulemnication qu’il a obtenue

entend la penser, s’en rpendant les années de la vrage théorique qu’il puStructures élémentaires dil le fait, si la multitude dau mariage et à la parentéde quelques lois fondamsavoir le problème que l’quand il cherche à entre

Et les solutions sur les dethéorique, M. Lévi-Strapar l’analyse des faits ausde considérer les systèmedu phénomène central société puisqu’il institue

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donne au phénomène toute sa portée doctrinale en l’identi-fiant à la fonction symbolique. Ce qui sacralise l’interdiction

de l’inceste, ce qui constitue chez le primitif le sentiment dumana, ce n’est rien d’autre que le même pouvoir humain quisoutient le langage : celui de considérer un son, un geste, unêtre, non seulement pour lui-même, mais comme symboled’autre chose, selon une certaine valeur d’emploi, étantentendu que le circuit ainsi ouvert sera fermé, que cette sorted’abstention sera compensée, que la signification instituéesera rendue définitive par la conduite symétrique des autresmembres du groupe qui répondent et rendent ce qu’ils ont

reçu. Cette analyse reliait les coutumes apparemment les plusirrationnelles à la même fonction qui fonde chez nous la ratio-nalité, et tenait ainsi la promesse de l’anthropologie sociale,qui est d’ouvrir un champ commun aux cultures, d’élargirnotre raison en la reconduisant à ses sources et de la rendreainsi capable de comprendre ce qui n’est pas elle.

Après ces années de travail théorique, suivant le rythme d’al-ternance qui est exigé par son entreprise, M. Lévi-Straussretourne en 1950 à l’expérience ethnographique avec unséjour au Pakistan et sur la frontière de la Birmanie, – puis denouveau à la théorie avec des travaux relatifs à l’objectivitéen anthropologie et à la notion de modèle. Il s’agit toujoursde transformer en conscience l’expérience directe : la cons-truction des modèles est la méthode intellectuelle qui nouspermet de comprendre le pressentiment fort et confus quenous avons eu de la valeur émotionnelle des symboles dans

le récit mythique ou dans le déroulement du rituel.Les travaux présents de M. Lévi-Strauss et ceux qu’il préparepour la suite procèdent évidemment de la même inspirationmais en même temps, la recherche se renouvelle elle-même,elle rebondit sur ses propres acquisitions. Sur le terrain, il envi-sage de recueillir dans l’aire mélanésienne une documentationqui permettrait, dans la théorie, le passage aux structurescomplexes de la parenté, – c’est-à-dire à celles dont relève en

particulier notre système matrimonial. Or il lui apparaît dèsmaintenant que ceci ne sera pas une simple extension des précé-dents travaux et leur conférera au contraire un surcroît deportée. Les systèmes modernes de parenté, – qui abandonnentau conditionnement démographique, économique ou psycho-logique la détermination duconjoint devraient être définis

de parenté, – qui ruse plutôt avefois la prohibition de l’inceste. C’e

de culture qui s’est montré capcorps avec la nature », de créer lanique de l’homme et ce qu’on a appoint de vue donc des systèmessociétés historiques, l’échange immédiate de la nature apparaîtrrelation plus générale d’altérité. ment arrêté le sens dernier des preStrauss, la nature profonde de

symbolique. Au niveau des strucl’échange, qui enveloppent comsusceptibles d’une étude statiqutoujours les formuler en une théorcomme l’atome observe la loi del’autre bout du champ de l’asystèmes complexes, les structurqui concerne la détermination d« historiques ». Ici l’échange, la fone jouent plus comme une secondl’autre, et qui l’efface. Chacun esystème d’échange ; par là mêms’estompent, pour la première fomondiale est à l’ordre du jour. Lcomplexe avec la nature et la vpsychologie animale et l’ethnolognon certes l’origine de l’humanité

gurations partielles, et commeL’homme et la société ne sont paset du biologique : ils s’en distingu« mises » de la nature et en les bouleversement signifie des gainentièrement neuves, comme d’aillmesurer, des risques que nousL’échange, la fonction symboliqaussi leur beauté hiératique ; à

substituent la raison et la méthoprofane de la vie, accompagnécompensatoires sans profondeucela que l’anthropologie sociale s’l’esprit humain et vers une vue d

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« [...] Pour conclure cette leçon, je voudrais, en effet,Monsieur l’Administrateur, mes chers Collègues,évoquer en quelques mots l’émotion très exceptionnelleque ressent l’anthropologue, quand il entre dans unemaison dont la tradition, ininterrompue durant quatresiècles, remonte au règne de François Ier. Surtout s’il estaméricaniste, tant de liens l’attachent à cette époque,qui fut celle où l’Europe reçut la révélation du NouveauMonde, et s’ouvrit à la connaissance ethnographique. Ilaurait voulu y vivre ; que dis-je, il y vit chaque jour en

pensée. Et parce que, très singulièrement, les Indiens duBrésil, où j’ai fait mes premières armes, pourraient avoiradopté comme devise : « je maintiendrai », il se trouveque leur étude affecte une double qualité : celle d’unvoyage en terre lointaine, et celle – plus mystérieuseencore – d’une exploration du passé.

Mais, pour cette raison aussi – et nous rappelant que lamission du Collège de France fut toujours d’enseigner

la science en train de se faire – la tentation d’un regretnous effleure. Pourquoi cette chaire fut-elle créée sitard ? Comment se peut-il que l’ethnographie n’ait pas

reçu sa place, quand efaits gardaient leur ricen 1558 qu’on se plaîalors que Jean de Léry,premier ouvrage, et qde la France antarctiq

Certes, l’anthropologimieux assurée, si la rvenue, au moment où

projets. Pourtant, à supelle ne serait pas cerecherche inquiète et fd’interrogations moraétait, peut-être, de la apparût simultanémenun retard, et comme uauquel certains de ses attribués.

Si la société est dans l’amême est dans la sociétprogressivement son objlité des sociétés humainpériode tardive de leur h

Leçon inaugurale au

Collège de France5 janvier 1960

Extrait

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dernier avatar de l’esprit colonial : une idéologie honteuse,qui lui offrirait une chance de survie.

Ce que nous nommons Renaissance fut, pour le colonialismeet pour l’anthropologie, une naissance véritable. Entre l’unet l’autre, affrontés depuis leur commune origine, un dialogueéquivoque s’est poursuivi pendant quatre siècles. Si le colo-

nialisme n’avait pas existé, l’essor de l’anthropologie eût étémoins tardif ; mais, peut-être aussi, l’anthropologie n’eût-elle pas été incitée, comme c’est devenu son rôle, à remettrel’homme entier en cause, dans chacun de ses exemples parti-culiers. Notre science est arrivée à la maturité, le jour oùl’homme occidental a commencé à comprendre qu’il ne secomprendrait jamais lui-même, tant qu’à la surface de laTerre, une seule race, ou un seul peuple, serait traité par luicomme un objet. Alors seulement, l’anthropologie a pu s’af-

firmer pour ce qu’elle est : une entreprise, renouvelant etexpiant la Renaissance, pour étendre l’humanisme à lamesure de l’humanité.

Vous permettrez donc, mes chers Collègues, qu’après avoirrendu hommage aux maîtres de l’anthropologie sociale

dans le début de cette leçon, mpour ces sauvages, dont l’obscule moyen d’assigner aux faits hsions : hommes et femmes qui,milliers de kilomètres d’ici, dapar les feux de brousse, ou dapluie, retournent au campemen

pitance, et évoquer ensemble ltropiques, et leurs semblables enseigné leur pauvre savoir oùdes connaissances que vous mà d’autres ; bientôt, hélas, tous choc des maladies et des modhorribles encore – que nous leuqui j’ai contracté une dette dmême si, à la place où vous m

fier la tendresse qu’ils m’inspireje leur porte, en continuant à parmi eux, et tel que, parmi vod’être : leur élève, et leur témo

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Comment ClaudeLévi-Strauss

préserva l’undes rites de

la leçon inaugurale Yves LaporteAdministrateur du Collège de France

de 1980 à 1991

Il y a plus d’un quart de siècle, le nouvel Administrateurdu Collège que j’étais se demandait comment éviter que

le début des séances de leçons inaugurales soit perturbépar le mouvement désordonné qui survenait à cemoment là dans la salle, en raison d’un nombre de siègestrès inférieur à celui des auditeurs.

Ces leçons étaient alors prononcées dans l’ancienne salle 8,qui ne comptait que 204 sièges dont ceux des premiers rangsétaient réservés aux professeurs du Collège. Cependant,

comme ceux-ci n’assistaient pas tous à chaque leçon,plusieurs sièges restaient inoccupés après que le corps profes-soral, introduit dans la salle par l’appariteur avec une certainesolennité, eût fini de s’installer. Aussitôt, de nombreux audi-teurs entassés debout au fond de la salle, se précipitaientpour se disputer les sièges convoités. Ce mouvement, le plussouvent bruyant, ne durait qu’une ou deux minutes, mais ilparaissait long au nouveau professeur et à l’Administrateur.Debout sur l’estrade, ils attendaient que le calme se réta-

blisse, l’un pour présenter le nouveau titulaire, l’autre, natu-rellement un peu tendu, pour commencer sa lecture.

Il m’avait semblé que laapportait au dérouleme

inaugurale pourrait êtrela salle le groupe del’Administrateur et le nointroduire ces derniers qcupation des sièges de sde suite la parole. Je padoptions cette façon drale du 11 décembre 19

les choses se déroulèrenIl fut le seul à bénéficieaprès sa leçon Monsieuremarquer que si cette inniquement efficace, ellelique de l’accompagnel’ensemble du corps prodonner l’impression qu

sa caution et son soutien’était que l’un des profchargé par ses pairs deprises collégialement eme recommanda de neseurs pour accompagne

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Assemblée des Professeurs - 1967De gauche à droite

1er rang : F. Perrin, E. Benvéniste,R. Labat, M. Bataillon, E. Wolff,

P. Courcelle, S. Mandelbrojt,L. Robert, P. Gourou.

2e rang : A. Dupont-Sommer,H. Laoust, J. Prentki, F. Lecoy,

B. Halpern, F. Braudel, J. Leray,G. Blin, P. Develay.

3e rang : G. Posener, J.-P. Serre,  J. Laval, A. Lichnerowicz,

G. Dumézil, A. Horeau, F. Jacob,F. Perroux, L. Hambis, I.-S. Revah.

4e rang : L. Chevalier,I. Hyppolite, A. Lallemand,C. Lévi-Strauss, R. Minder,H.-C. Puech, A. Abragam,

 J. Berque, P.-M. Duval, J. Vuillemin, J. Gagé

Assemblée des Professeurs - 1977De gauche à droite

1er rang : F. Lecoy, G. Blin,  J. de Romilly, G. Posener,

A. Horeau, A. Chastel, A. Leroi-Gourhan, R. Aron, A. Fessard.

2e rang : J.-C. Pecker, J. de Ajuriaguerra,

G. Duby, J. Berque, J.-P. Vernant,

A. Bareau, J. Leray, E. Laroche.3e rang : A. Lichnerowicz,

C. Lévi-Strauss, F. Gros, J. Vuillemin, A. Miquel,

A. Abragam, J. Delumeau, J. Prentki, G. Dagron,

C Cohen Tannoudji A Jost

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Au Collège de France

Entretien de Claude Lévi-Straussavec Didier Éribon

Extrait de De près et de loinEditions O. Jacob, 1996, pp. 109-113.

Didier Éribon : Le Collège de France est une institutiontrès prestigieuse. Le sommet d’une carrière universitaire.

Pourtant, vous m’avez dit un jour que vous aviez faittoute votre carrière en dehors de l’université tradition-nelle.

Claude Lévi-Strauss : C’est une institution prestigieuse,mais c’est vrai que depuis sa création par François Ier,elle est et entend rester hors de l’université. Auparavant,j’avais enseigné au Brésil, aux États-Unis ; puis enFrance à l’École des hautes études. Jamais à l’univer-sité.

D.E. : Quels avantages avez-vous trouvés à travailleren dehors de l’université traditionnelle ?

C.L.-S. : Une plus grande liberté, et, en un sens, uneconcession à un esprit indiscipliné. Les obligationsprécises et régulières me rebutent : suivre un

programme, faire passer des examens, participer à desjurys de thèse (je ne peux l’éviter de temps en temps). Unprofesseur au Collège n’est soumis à d’autre obligationque celle de traiter chaque année un sujet nouveau. Celam’allait tout à fait.

C.L.-S. : Le grand évélation du Laboratoire

bâtiments du Collège.

 Je me souviens que, lors1959, j’avais été reçugéologie. Son laboratoiaile du bâtiment édifiégrin. Outre le bureau dcomposait pour l’essenoù quelques rares persotables en chêne. Le lonpilastres, on voyait des pui, d’un style dépouillles proportions. Sous lasenter le nec plus ultramobilier de bureau. J’aptions minéralogiques d

Le titulaire de la chaPour cette raison peut-ratoire gardât un pard’Henri IV grandeur nface au fond d’un vastsur les frondaisons d’a

f dé id d l l h i d’ C’ l ’ i

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professeurs décida de la remplacer par une chaire d’as-tronomie. Même situé au dernier étage et dans les

combles, le laboratoire de géologie n’était pas assez prèsdu ciel pour offrir à celle-ci un local approprié ! MarcelBataillon, alors administrateur du Collège, conçut l’idéede nous y installer, et l’Assemblée des professeurs donnason accord. Le miracle auquel je n’aurais jamais osésonger quand je pénétrai pour la première fois dans cetendroit de rêve se réalisait donc.

Lorsque nous quittâmes l’avenue d’Iéna et l’ancien hôtel

particulier d’Émile Guimet, où nous nous étions installésprovisoirement, pour prendre possession des lieux, lesprécieux meubles d’acajou, les collections minéralo-giques furent transportés à Meudon dans le domainelégué au Collège par Marcelin Berthelot. On mit notrebibliothèque dans une des deux salles, le Centre docu-mentaire d’ethnologie comparée (nom que nous avonsdonné aux millions de fiches des Files(2) venues de Yale)dans l’autre. Il fallut, hélas, un peu cloisonner, surtout à

l’étage mansardé pour y pratiquer des cellules indivi-duelles. En salle commune, le travail eût été renduimpossible par le bruit des machines à écrire et desconversations. Mais je voulus au moins que le bureau duprofesseur restât intact avec ses armoiresbibliothèquesd’autrefois et ses boiseries peintes en imitation chêne :travail d’artiste, qui alourdit un peu le devis. La réfectionde l’ensemble n’était d’ailleurs pas superflue : on n’avaitpas repeint depuis quatre-vingts ans.

D.E. : Le laboratoire d’anthropologie est resté dans le« vieux » Collège tout le temps où vous avez enseigné.

C.L.-S. : Oui. Mais nous nous heurtâmes vite à desdif ficultés. Personnels technique et scientifique réunis,nous dépassions la trentaine. Faute d’un nombre suffi-sant de bureaux, la moitié des chercheurs attachés au

laboratoire devaient travailler chez eux, ou attendrele départ en mission d’un des mieux lotis pour occupersa table pendant quelques mois. La bibliothèque s’ac-croissait ; on ne savait plus où mettre les livres.Surtout, en notre qualité d’abonnés, nous continuionsà recevoir de Yale des fiches par kilos Les intégrer aux

C’est alors qu’un autre miracPrésident de la République

partie des anciens bâtiments sur la montagne Sainte-Gend’y rassembler quelques lhumaines, dont le nôtre. Nousuperficie doublée. Il fallut sobtenir les crédits et faire encore, avant de prendre masur l’aménagement d’un locatige historique, avec le souci q

chitecture métallique et la amphithéâtre Arago destinéthèque et autour duquel se di

Françoise Héritier-Augé, titucomparées des sociétés africaicomme directeur du laborattemps de 1985, entourée d’nombreuse dont elle voulut

faire partie. Le Laboratoirefondé en 1960, commençait

D.E. : Vous n’avez pas gardé dratoire d’anthropologie soccomme professeur?

C.L.-S. : Ah non ! Je fais aun’être plus qu’un membre p– retiré maintenant – plus dtoujours en activité. J’ai connd’anciens acharnés à se survque ce ne serait jamais mon un avis si on me le demande.

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Le Laboratoire

d’anthropologiesocialeNicole Belmont

« Certains se sont étonnés que le terme de laboratoirepuisse s’appliquer à un centre de sciences humaines. En

l’adoptant, on n’a pourtant pas cédé à la mode ou augoût du faux-semblant. Selon l’étymologie, un labora-toire est d’abord un lieu où l’on travaille. Et il suffit depénétrer dans le nôtre pour constater que les méthodesde la recherche ethnologique prennent aujourd’hui unstyle qui les rapproche de celles des secteurs plusavancés. »

C’est par ces mots que Claude Lévi-Strauss présentaiten 1967 le Centre qu’il avait fondé sept ans plus tôt,en même temps qu’il était élu professeur au Collège deFrance(1). Ce « lieu de travail » a connu trois locali-sations successives, qui ont donné, chacune à leurtour, une tonalité particulière au regroupement deschercheurs et des moyens documentaires qu’il avaitvoulu.

 Le 19 avenue d’Iéna

Faute de locaux disponibles au Collège de Francemême, le Laboratoire est abrité, à ses débuts, dansune annexe du Musée Guimet, grâce à l’aide de laVe Section de l’École pratique des hautes études

tait aux chercheurs instants ou quelques

pièces, étaient disposStrauss, de Isac Chivaet de Jean Pouillon, rCe lieu était autrefoisde mosaïques muralesd’arrivée et d’évacuatras du sol(2).

 Place Marcelin-Ber

C. Lévi-Strauss ne cevastes, en envisageantions. La meilleure, l’aCollège de France, obtdes professeurs en 196minéralogie méditerrand’être attribué à celui

septembre, mais la prfera qu’à la rentrée 1daient exactement à lressenti lors d’une visiDidier Eribon lors de(cf p 60 du présent n

qu’ils ne pouvaient faire que de brèves apparitions diversité des sociétés dont l

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qu ils ne pouvaient faire que de brèves apparitionsavenue d’Iéna, les chercheurs rattachés se virent attri-

buer des bureaux, parfois partagés, dont la plupartétaient situés au dernier étage, sous les combles, aussiexigüs que pleins de charme. Les séminaires setenaient à l’étage noble, dans une grande salle où avaitété installée la bibliothèque, éclairée des deux côtéset dont les tables étaient alors diposées en carré. Lefichier du Centre documentaire d’ethnologie comparéeoccupait la plus vaste des pièces, celle par laquelle onentrait dans le laboratoire et qui donnait l’impression

de pénétrer dans une forêt dense de fichiers gris vert.C. Lévi-Strauss occupait la pièce d’angle, ayantconservé le bureau de son prédécesseur, impression-nant par ses dimensions hors normes.

Il exigea dès lors que ces locaux prestigieux devinssentvéritablement un « lieu où l’on travaille », où seraientprésents non seulement le personnel technique etadministratif, mais les chercheurs, afin de montrer

que la recherche en sciences humaines ne se faisait passeulement dans la solitude(3). Le Centre documentaired’ethnologie comparée disposa d’un espace suffisantpour intégrer au fur et à mesure les apports prove-nant de l’Université Yale. On put y recevoir sansrestriction les personnes désirant y mener unerecherche. Et enrichir la biliothèque, en privilégiant lesouvrages nécessaires aux travaux des chercheurs.C. Lévi-Strauss accueillit, à partir de 1966, uneSection de sémio-linguistique, dirigée par Algirdas

  J. Greimas et Christian Metz, rejoints ensuite parRoland Barthes. Il mettait ainsi en pratique sa convic-tion profonde, selon laquelle l’anthropologie structu-rale procède de la linguistique et de la « science dessignes »(4).

 Recherches

Dans le premier programme d’activité du laboratoire(12 décembre 1961), C. Lévi-Strauss en définit leprojet :

« [Il] se consacre [ ] aux coutumes aux croyances et

diversité des sociétés dont let avec le souci d’introd

méthodes rigoureuses perconstantes et des corrélatio

Trois plans d’action : l’enseiLaboratoire et sur le terrapremier est largement couvnaires que C. Lévi-StrausFrance, à l’EPHE, Ve Sectiodes peuples sans écritu

(« Anthropologie sociale »)recherche, l’anthropologu« terrains ». En premier, letaine constituent pour les ethexpériences de laboratoire det naturelles(7). Ensuite, maisdispose en particulier d’un oule fichier des Human Relatiod’une part, de trouver une d

certaines populations, et d’aprésence ou l’absence de ctraits cuturels(8) ».

Des masques et des mythes Si bien qu’il put ann

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 Des masques et des mythes

Une des toutes premières tâches que m’avait confiéeC. Lévi-Strauss fut de faire photographier dans sonentier l’exposition sur le masque organisée, dans lamême annexe du Musée Guimet, par la Ve Section del’EPHE et la Direction des Musées nationaux. Il avaitd’ailleurs donné un texte pour le catalogue, à proposdes masques des deux Amériques(9). Son projet étaitde constituer une photothèque importante en acqué-rant des documents disponibles à l’étranger et en archi-

vant les dépôts obligatoirement faits par les chercheursau retour de leurs terrains. Pour ce qui est desmasques, déjà se profilait la superbe publication qu’illeur consacra en 1975(10). Bien évidemment, je n’ensavais rien ; de la même façon que, chargée de réunirune partie de la documentation nécessaire aux quatrevolumes des Mythologiques, je voyais ensuite, émer-veillée, dans ses cours puis dans les ouvrages, s’orga-niser ce qui avait été pour moi des bribes et des

morceaux, à la manière d’un gigantesque puzzle, dontj’ignorais, au départ, l’image même partielle.

Un autre chantier lui tenait donc à cœur durant cespremières années : la mythologie. Le thème était loind’être nouveau, puisque son enseignement à laVe Section de l’EPHE, dans la décennie 50, lui étaitlargement consacré, et, particulièrement de 1951 à1954, à celle des Indiens Pueblo.

« Il me fallait, en effet, pour mettre à l’épreuve les hypo-thèses de travail et la méthode que je commençais àélaborer, disposer d’un ensemble très dense et très compact,comprenant de nombreuses variantes des mêmes mythes,et qu’en raison de ses traits originaux, on puisse provisoi-rement isoler du reste de la mythologie américaine »(11).

Le chantier repris en 1960 fut confié à un jeunephilosophe attiré par l’anthropologie, Lucien Sebag,assisté d’une petite équipe. Les résultats de sontravail firent l’objet du séminaire de l’année 1960-61.

« [ ] Je n’ai jamais connu une entreprise poursuivie avec

Si bien qu il put annd’un gros volume con

orientaux. Ce ne fut ml’immédiat, à cause dLucien Sebag en 196accordée par C. Lévi-Sque le tout premier pconcerner ces mythes son choix définitif sur

Les années passant, l

tution toujours plnombreuses et retenDirecteur, à la reconnétait toujours plus l’oenseignants et des ctravaux, à l’expansioÉtudes rurales, à l’acdevenue un lieu de cet les anthropologues

Les locaux devinrent l’annexe de la rue dcoïncida avec la retratitution, nous menanpromise »(14).

Ce ne sont pas seulemqui doivent une granautant pour son accuson souci permanent trées par les chercheliberté laissée dans même s’ils n’étaientstructuraliste. Ce sonlogues qui lui sont redpu, une fois élu au C« dans cet endroit sp

la seule préparation tions. Il a voulu fondele statut scientifique jusque là, représentadomaine quasi littétropiques ou au m

Assurément, le meilleur hommage qu’on puisse lui thropologie fait partie au pre

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Assurément, le meilleur hommage qu on puisse luirendre serait de ne pas brader la discipline dont il a

entériné l’existence et démontré la nécessité, et de nepas pousser à la ruine les sciences humaines, dont l’an-

thropologie fait partie au premanité en a plus que jamais

Au premier rang (en partant de la droite) :Nicole-Claude Mathieu (appuyée sur le bureau),puis debout derrière : Jacqueline Angelopoulos, EvaKempinski Evelyne Guedj Marie Claire Beauregardt

Au deuxième rang, en partanMarc Abélès, Gérard LencluPatrice Bidou, Monique LévBenoist Marion Laurière Je

Les membres du Laboratoire d’anthropologie sociale rassemblés autour de Cllors de son dernier cours au Collège de France (1982).

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Le fichier des HumanRelations Area FilesMarion Abélès

C’est en 1960 que le Centre documentaire d’ethnologiecomparée a été créé au sein du Laboratoire d’anthro-

pologie sociale pour exploiter le fichier des HumanRelations Area Files. Cet instrument de travail a sûre-ment été, en matière de documentation, ce que ClaudeLévi-Strauss a eu le plus à cœur de promouvoir enFrance. D’ailleurs ce Laboratoire « a été primitivement

conçu et organisé autourde ce centre… instrumentscientifique comparable,sur le plan des scienceshumaines, à ce quepeuvent être un télescopeou un microscopeélectronique, dans ledomaine des sciencesnaturelles(1) ». Seul exem-plaire en Europe(2), ilavait été acquis par

l’Unesco « pour ledonner à la France àcondition qu’elle l’ouvrîtà tous les chercheurseuropéens ». C. Lévi-Strauss qui était alors

hautes études – qu’il thropologie sociale. A

dernier au Collège ddéployé avenue d’Iénplace (voir l’article dnuméro).

Dans le programme d’Strauss insiste sur l’impodait parfaitement auLaboratoire. En 1965,supérieur, son directeurle « Laboratoire d’anthseul en Europe à possédconstitué par les Humauquel] les phases prraccourcies et simplifiéchacun des semainesdépouillements dans le

Conçu par l’anthropoMurdock, pendant l’enHuman Relations de l’Umentaire a pour but ddiverses sociétés tiréesd

critères de diversité culturelle maxi- LA DOCUMENTATION

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male (organisation sociale, histoire,

langue, économie, etc.). Plus de6 000 sources (livres, articles oulittérature grise, toutes traduites enanglais) y sont analysées ligne àligne ce qui représente plus d’unmillion de pages de textes etplusieurs millions de fiches. Lestextes sont classés dans des fichierspar populations – répertoriées dans

l’Outline of World Cultures – etpar matière – selon un plan de clas-sement présenté dans l’Outline of Cultural Materials. Qualifié parC. Lévi-Strauss de « trésor biblio-graphique(4) », cet outil peut êtreutilisé soit comme une biblio-thèque (des milliers de documentsy figurent photocopiés in extenso),

soit comme un système derecherche comparative sur un sujetdélimité.

Longtemps très fréquenté par leschercheurs du monde entier, cecentre est aujourd’hui délaissé auprofit de la version électroniquedes Files accessibles en ligne et surabonnement, mais toutes lessociétés ne figurent pas dans cetteversion qui évoluera au fil desannées. Cet outil documentaireunique est cependant conservésous sa forme papier dans labibliothèqueet est consultable surplace. I

Illustrations :

LA DOCUMENTATION

« Le Laboratoire d’anthropoloseul en Europe à posséder le pconstitué par les « Human Arcinq exemplaires, dont vingt-Nord, un au Japon. Il s’agitdocumentaires dont le nombmillions (cent mille pièces envenrichir le fichier), rassemblandantes, la matière de plusieurs

constituant un échantillon, lrégulier, de trois cents popumonde entier et choisies en raisentatif du point de vue de lcroyances et des coutumes, ou

Ces pages disjointes, reproduont également été codées lignelignes renvoie donc à une ou tiques, classées séparément psystématique. L’ensemble formà plusieurs milliers d’entrées,correspondante peut être mobToute hypothèse de travail pocorrélation, positive ou négatvariables, peut trouver ainsi u

Bien entendu, la recherche n’epour autant. Aucun moyen d

tionné soit-il, ne saurait remplabeur personnel, l’imaginationmoins, les phases préliminaires dcies et simplifiées. Mis chaqueplusieurs dizaines d’auteurs dd’université, ou d’État, le fichid’ethnologie comparée, géré pacertainement épargné à chacumois, de lassants dépouillemenreste à souhaiter que, comme administrations et les pouvoirchemin du Centre, et utiliser sleur doctrine et préparer leurs

Marion Abélès, responsable de la bibliothèque duLaboratoire d’anthropologie sociale,ingénieur de recherche (CNRS)

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Lévi-Strauss etla Côte nord-ouestMarie Mauzé

C’est en 1974-1975, alors que j’étais étudiante en maîtriseà l’Oregon State University, que j’ai découvert en anglais

les travaux de Lévi-Strauss dans les cours que dispensait John A. Dunn, linguiste et auteur d’un dictionnaire et d’unegrammaire du tsimshian (sm’algyax). Les premiers grandsouvrages de Lévi-Strauss avaient déjà été publiés soit enGrande-Bretagne soit aux États-Unis, seulement deux desvolumes de ce qui est appelé dans le monde anglo-saxon« Introduction to the Science of Mythology » avaient ététraduites en anglais, The Raw and the Cooked (1969),From Honey to Ashes (1973). En vérité, le cours de JohnDunn n’était qu’une introduction à l’œuvre de Lévi-Strauss,centrée si mes souvenirs sont exacts sur la lecture deTotemism (traduit par R. Needham en 1964). À monretour des États-Unis venait de paraître La Voie desmasques (Skira, 1975) ouvrage dont j’avais immédiate-ment fait l’acquisition en dépit de son prix élevé pour uneétudiante désargentée. Le hasard a voulu que je m’inscriveen DEA à l’Université Paris-VII où Lévi-Strauss à l’époque

n’était pas en odeur de sainteté auprès de Robert Jaulinqui dirigeait le département d’anthropologie. Ce n’est doncqu’au printemps 1981, alors que je revenais d’un séjour dedix-huit mois en Colombie britannique dont quinze passéssur le terrain dans une communauté kwakwaka’wakw(kwakiutl) de l’île de Vancouver que j’ai rencontré Lévi

étapes à venir de ma reseul spécialiste des socié

ouest en France et mêmsuscité en moi la prochl’univers de la mythologen rêves dans une cavementales représentant l’nages principaux de Laenfants et les manger, mses protégés, richesses doparer après l’avoir tuée

La Côte nord-ouest a jles recherches de Lévi-l’organisation sociale ; syrégion a grandement béGeste d’Asdiwal » (1958exemplaire de sa méthodavait été définie trois an

dologique, « La Structuune série de niveaux (p(géographique, économipropres à appréhender lleurs pratiques matrimodifférentes versions du m

par les spécialistes de la Côte nord-ouest qui lui repro-h i d ’ i ili é d é i d d

de maison et autres objets de lad l d é i

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chaient de n’avoir utilisé que des matériaux de secondemain et d’avoir faussement interprété les données, estaujourd’hui reconnu, à la suite d’un examen attentif de lalittérature ethnographique comme présentant des hypo-thèses valides sur une forme de mariage certes peu répandue(mariage avec la cousine croisée matrilinéaire), mais quiillustre les tensions entre système de parenté et alliance(3).

Avec Asdiwal, Lévi-Strauss met l’accent surun point ethnographique précis et propre à

une société singulière. En proposant d’intro-duire la notion de « maison » comme typed’organisation sociale, il donne une clépermettant de répondre à certaines questionsauxquelles ont été confrontés les ethnologuesdepuis le début du XXe siècle pour comprendreles institutions de la Côte nord-ouest. Lestravaux classiques ont utilisé une typologieimprécise pour définir les unités constitutives

pertinentes de l’organisation sociale. D’uncôté, on cherchait à distinguer les uns desautres les différents types d’organisation àl’honneur dans cette région, de l’autre, onutilisait un vocabulaire plus ou moins perti-nent – phratrie, gens, clan, lignée – pour iden-tifier différents niveaux d’organisation dechacune des sociétés étudiées. Lévi-Straussmontre qu’un vaste ensemble de sociétés quis’étend de l’Alaska à la Californie – en passantpar les Kwakwaka’wakw qui servent de casexemplaire de la démonstration – possèdent en communun type d’organisation unique en Amérique qui n’a pu êtremis en évidence qu’en comparaison avec celui des maisonsnobles européennes au Moyen Âge. En établissant ce lienentre formes institutionnelles qui n’ont rien à voir dans letemps et l’espace, Lévi-Strauss apporte une contribution

importante à l’ethnologie de la Côte nord-ouest et à d’au-tres parties du monde. Il met en évidence que les formesinstitutionnelles de type « maison » se jouent des tensionsentre filiation et alliance de manière à assurer la transmis-sion d’un patrimoine matériel et immatériel au sein d’ungroupe mais aussi d’en augmenter la valeur Lévi Strauss a

des peuples de cette région esArt of the Northwest Coast aNatural History » publié en Beaux-Arts, repris partiellemenpremier de La Voie des masqument apparaît dans la dernièobjets) de Regarder Ecouter L

ment inconnu pendans une langue baudelairiennes,

toute surréaliste, la confrontation de l’ethnologue révèle avec une même de la créatbles et vivants desla présence se maleur donne corpsou historien de l’

de l’absence de frginaire, le natureêtres et les chosescette pirogue-oucomprendre le lannourrir pour qu’el’océan. À la difféde la Côte nord-ochef, qui ont prinsur des questionscite la mytholo

conception de l’œuvre d’art daavec le surnaturel ; l’artiste n’evirtuose, il a pour vocation de dn’est pas immédiatement saisisse faire l’interprète des émotiogouvernance de la mytholog

semble bien interpréter la nattiques des peuples amérindiensaussi en germe des intuitiondonnera corps dans ses travau

Lévi Strauss n’est pas seulement

satisfaire de ce « lien presque charnel » qu’il avait noué avecl’ t d l Côt d t Lé i St t f té à

Une autre énigme est à ld L V i d

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l’art de la Côte nord-ouest, Lévi-Strauss est confronté à unesérie de mystères portant sur des analogies ou des opposi-tions formelles. Dès 1944-1945, avec l’étude publiée auxÉtats-Unis dans la revue Renaissance, Lévi-Strauss s’attaqueà la question du dédoublement de la représentation, procédéque l’on retrouve dans la peinture et la sculpture des peuplesde cette région, mais qui est aussi présent, dans l’art de laChine ancienne, chez les Caduveo du Brésil et les Maoris deNouvelle-Zélande(4). Il propose d’appliquer la méthode del’analyse structurale des formes, née quelques années avant

l’analyse structurale des mythes, qui permet selon lui derendre compte d’une manifestation stylistique commune àdes sociétés qui n’ont eu aucun contact entre elles dans letemps et l’espace. Au terme de l’analyse des rapports entreéléments graphiques et plastiques considérés à la lumièredu cadre social et du statut de la personne, Lévi-Straussmontre qu’il existe une relation étroite et nécessaire entrestyle de représentation et organisation sociale. Le dédou-blement de la représentation présent aussi bien dans le style

figuratif que géométrique est caractéristique de sociétés oùdominent mascarade et structure hiérarchisée. Mais plusencore, Lévi-Strauss cherche le trait structural commun à cesquatre arts en analysant les relations fonctionnelles et lesrelations d’opposition entre élément graphique (le décor) etélément plastique (le support – visage ou corps). Il conclutà un dénominateur commun : décor et support ont partieliée, mais c’est le décor qui transforme le support, ou pourle dire autrement, dans l’art de la Côte nord-ouest, un coffre

n’est pas seulement un meuble, mais il est le décor qu’ilreprésente ; en d’autres termes, s’il porte le décor d’un ours,il devient ours : il grogne, il est un être animé ; en tant queblason, il remplit une fonction sociale ou rituelle(5). Si l’hy-pothèse est intéressante, on peut se poser la question desavoir si elle s’applique avec une égale rigueur ou pertinenceà chacun des quatre arts, tatouages chez les Caduveo etMaoris et sculptures en Chine et sur la Côte nord-ouest.

de La Voie des masqutrouve sa résolution daplication de l’analyse strudes formes combinée à cmythes car mythes et ms’éclairent mutuellS’interrogeant sur la singulière d’un masqSwaihwé des Salish)Strauss développe l’idé

laquelle « pas plus qmythes, les masques ne ps’interpréter en eux et pomêmes en objets séparés comme le mythe qui prenune fois replacé dans le de ses transformations, de masque considéré d’ude vue plastique fait éch

autre de type de masqueinverse ou transforme cecaractéristiques formemise en lumière d’une des formes n’est pas supour appréhender la sition d’un masque ; celleêtre établie à partir de en relation de faits myth

de fonctions sociales ogieuses elles-mêmes condans le même rapport dformation que la plastiqStrauss nous montre dcompréhension d’une œde la totalité des niveaudont elle est issue. Dansquestion de mythes quanalysés à la lumière de lles masques.

Si la Côte nord-ouest ament intellectuel de Lév

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Le regard del’anthropologue*Salvatore D’Onofrio

« Ce spectacle avait quelque chose d’écœurant et de fasci-nant ; il se combinait dans ma pensée avec celui de la forêt,

pleine de formes et de menaces. Je me mis à dessiner, prenantma main gauche pour modèle, des paysages faits de mainsémergeant de corps tordus et enchevêtrés comme des lianes.Après une douzaine d’esquisses qui ont presque toutes disparupendant la guerre – dans quel grenier allemand sont-ellesaujourd’hui oubliées ? – je me sentis soulagé et je retournai àl’observation des choses et des gens. »

Claude Lévi-Strauss, Tristes tropiques.

Un nouveau regard, le regard éloigné, regards croisés...Parmi les dispositifs naturels de l’homme, le regard estcertainement celui que les sciences sociales ont le plus et lemieux qualifié. L’anthropologie, en particulier, se prétenddétentrice d’un regard autre sur le monde, en raison deméthodes d’analyse de plus en plus sophistiquées, maisaussi du fait que la capacité d’observer par ses propres yeuxdemeure l’outil principal et incontournable de toute expé-rience de terrain. Perçue comme un don de nature, lapossession du regard a même poussé à affirmer – que d’or-gueil disciplinaire ! – qu’avant de le devenir « on naîtanthropologue ».

Cependant c’est précisément à l’anthropologie que nous

conduite à tenir vis-à-vis des adceux que le système de paren

différenciées. Affecté par des forbien porté droit au cœur de la p– ce qui impose des postures centre des préoccupations donAucune d’entre elles ne peut sedomestiquer.

Une ressource élémentaire telrecherche anthropologique au m

d’une part, la possibilité d’inveobservé et, d’autre part, la connature humaine à partir des diCette caractérisation de l’anthrnon seulement sur la spécificrapport à d’autres formes de reréalité, mais aussi sur ses limigraphique.

Contrairement au peintre, quœuvre ou la reprendre plus tarpar la technique qu’il utilise deen principe fini. Au-delà de l’inl’image photographique s’affi

regard, celui du sujet photographié inclus. En participantde l’attitude boulimique de l’œil photographique on a enfin

cela permet d’ajouter us’aventurer dans des

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de l attitude boulimique de l œil photographique, on a enfinl’impression de pouvoir tout contrôler, à commencer par lamémoire. Mais, une fois de plus, l’anthropologie se doitd’en fournir un démenti.

Rappelons ce que Lévi-Strauss a écrit dans l’introductionà son volume Saudades do Brasil. Les photographies deses missions des années 1930 en Amérique du Sud n’ontpour lui qu’une valeur d’indices, car tout en prouvant l’exis-tence d’une certaine réalité, elles ne sont pas capables de

témoigner de ses qualités sensibles. Ces photographies luilaissent « l’impression d’un vide, d’un manque de ce quel’objectif est foncièrement impuissant à capter », alors queles odeurs, les couleurs et les sons apparaissent – dit-il –des parties toujours réelles de ce qu’il a vécu. Notammentles odeurs « ravivent mieux les souvenirs que les images ».Pour un anthropologue, l’appareil photographique nepourra jamais devenir, comme pour Cartier-Bresson, leprolongement de l’œil. Et pourtant, rien mieux que ces

photographies vieilles de plus d’un demi-siècle n’a pu nousaider à comprendre le sentiment « de vide et de tristesse »de Lévi-Strauss face à la dépossession des Indiens, d’abordà la suite de la Conquête, puis, irréversiblement, du fait dudéveloppement des communications et de l’explosiondémographique.

Les observations de Lévi-Strauss nous invitent donc à réflé-chir sur le rapport entre le regard de l’anthropologue et

l’œil photographique qui a été parfois le sien. Mais qu’ar-rive-t-il lorsque l’objet du photographe est l’anthropologuelui-même ?

Ce qu’encore aujourd’huije ressens face aux imagesde Marion Kalter, introduitbien la réflexion sur cettequestion : lorsque j’y pensesans qu’elles soient sousmes yeux, je n’arrive à mesouvenir que du regard deLévi-Strauss, en l’associantpar ailleurs immanquable

s aventurer dans des rapport à l’autre : de qLévi-Strauss ? On se tropénétrante à l’âge : rien que le regard, dont la sinl’enfance à la vieillessede Lévi-Strauss sur les bconvaincre.

S’il est vrai, comme l’a éc

la photographie, que «l’objet photographié »,l’œil photographique enregard la pensée qu’il inde Lévi-Strauss semble géologiques superposéecaractérisent : non seuletelligence ou son « tristedes choses, ce regret te

mot portugais saudadepoètes connaissent – dembrasser. Les photogrbien cette prégnance. Dprécier les qualités du podit Verlaine), la soliditévagesque de la lumière. tant est la complicité quétablir avec Lévi-Straus

par le regard de l’anthroil suffit de l’avoir vu danmême dans celles où il nse repose sur sa canne.mains de Lévi-Strauss, coudoir de son fauteuil tenir jointes pendant quStrauss sont inséparabC’est un autre des mérien avoir montré le rappbien le regard qu’il faudet cerveau établie par le

Il est enfin significatif

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Le moment

Lévi-Straussde la PléiadeMarie Mauzé

La publication en mai 2008 d’Œuvres de Claude Lévi-Strauss dans la Bibliothèque de la Pléiade (Gallimard)

a été au départ d’une fièvre médiatique qui ne manquerapas de se prolonger jusqu’au centième anniversaire del’auteur, en novembre 2008. On parle à ce sujet deconsécration, voire de « panthéonisation » de l’anthro-pologue académicien promu au rang de figure natio-nale, ses travaux relevant du meilleur du patrimoineintellectuel français, voire du patrimoine mondial.

C’est en septembre 2004 qu’Antoine Gallimard propose

à Lévi-Strauss d’être publié dans la « Bibliothèque de laPléiade », collection prestigieuse qui consacre l’œuvre

des plus grands écri-vains, philosophes etpenseurs français etétrangers dont un petitnombre seulement ontpu se prévaloir derejoindre la collectionde leur vivant, telsAndré Gide, PaulClaudel, Julien Gracq,Saint-John Perse,Marguerite Yourcenar

hybride et mal construit. En communique au directeur litté

« idéal » structuré autour dformant chacun à ses yeux « utenu de la vocation de la colleréunir en un unique volume –les notes et notices…. – une publications. Tristes tropiqulu, dont on s’accorde à louer lectuelle que la qualité d’écrRegarder écouter lire (1993),

Les deux autres blocs sont pLe Totémisme aujourd’hui etcomme formant un tout et l’autre, d’autre part, les trois La Voie des masques (1975),et Histoire de Lynx (1991), quintellectuel que les grandes mteur tient pour une voie Considérées comme des « amajeure sur la mythologie, trouvent leur cohérence danselon Lévi-Strauss, à mi-chemle roman policier.

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Œuvres comprenant sept titres le dernier ouvrage« fabriqué » par Lévi-Strauss qui reflète l’itinéraire intel-

lectuel du savant sur quasiment un demi-siècle. Doit-on parler de saisie partielle de ses travaux, doit-on sedemander si son œuvre est autant littérature qu’anthro-pologie ? – questions qui ont animé les débats autour decette récente publication. La réponse est à chercher nonpas dans les gloses interminables mais dans le souci dela cohérence qui animait Lévi-Strauss dans cette entre-prise. Littérature et/ou anthropologie : les éditeurs,Vincent Debaene qui a coordonné et préfacé le volume,

Frédéric Keck, Martin Rueff et moi-même n’avons pufaire l’économie dans l’appareil critique d’un éclairageethnographique et anthropologique afin de situer lestextes retenus à la fois dans les publications de l’auteuret dans le contexte institutionnel (École pratique deshautes études et Collège de France) et intellectuel qui lesa vus naître. Tous les textes publiés dans le volume dela Pléiade ont été revus par l’auteur, un nombre assezimportant de notes a été ajouté, et les pages du

chapitre X de La PensComte ont été largem

prend également quelqtenu par Lévi-Strauss expédition brésilienned’Auguste » (1938-1tropiques et une noRegarder écouter lire.vrage en dépit de son un véritable succès dehumaines ne font plus r

réimprimé dès juin 20

IlluPag

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Au milieu des années 30, de jeunes professeurs fran-çais furent appelés à enseigner à l’Université de São

Paulo qui venait d’être créée. L’un d’eux était ClaudeLévi-Strauss.

Quelques décennies plus tard, lorsque les gouver-nements des deux pays souhaitèrent l’ouvertured’une chaire d’accueil pour professeurs français auBrésil, la responsabilité en fut confiée au Collègede France et à l’Université de São Paulo et, toutnaturellement, le nom de Lévi-Strauss y fut

associé.

C’est ainsi que les deux établissements signèrent, le27 mai 1998, à São Paulo, une convention portantcréation de la chaire Lévi-Strauss pour laquellel’Ambassade de France au Brésil accorda un finan-cement. À cette occasion, le professeur Jean-PierreChangeux, qui représentait le Collège de France,donna lecture d’un émouvant message de ClaudeLévi-Strauss :

« C’est avec une profonde émotion et beaucoup dereconnaissance que je salue l’inauguration de cettechaire Elle eût pu porter le nom de tant d’autres

pensées très fidèles qui témoporte à votre grand pays. »

La chaire Lévi-Strauss est pd’études avancées de l’Univla vocation est de favoriserplinaire. Depuis sa créationconférences près d’une dizCollège de France, de prochains seront, en 2009Chartier (« Ecrit et cu

moderne »), Antoine Compaçaise moderne et contempothéorie ») et Roger Guesneret organisation sociale »).

Sur le modèle de la chairchaires d’accueil pour les pFrance ont ensuite été crééed’enseignement et de recheElles sont aujourd’hui au nobuent au rayonnement inteet au renforcement des écha

La chaireLévi-Strauss

à l’Université deSão PauloOlivier Guillaume

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Claude Lévi-Strauss,un parcours dans

le siècleColloque international25 novembre 2008

Depuis la première publication de Claude Lévi-Strauss en1926 jusqu’à la plus récente en 2008, son œuvre a traversé

le long XXe siècle en le marquant profondément. On trouvebien sûr des traces de cette influence dans l’anthropologie,une discipline que Lévi-Strauss a refondée en France ausortir de la guerre et dont il a orienté le cours dans des voiesnouvelles partout ailleurs, mais aussi dans un champ beau-coup plus vaste allant de l’esthétique à la philosophie de laconnaissance en passant par la réflexion sur le racisme, surle langage ou sur la responsabilité des humains vis-à-visdes non-humains. Ce sont quelques-uns de ces domaines

que le colloque a pour but d’explorer grâce à certains deceux sur qui l’influence de Lévi-Strauss s’est exercée à diversmoments au cours des cinq dernières décennies. C’est aussiune manière de ressaisir dans le vif, au moment du centièmeanniversaire de sa naissance, ce que le grand anthropo-logue a contribué à faire advenir dans la pensée. I

organisé parle Collège de France

l’École des hautes études en sciences socialesl’École pratique des hautes étudesavec le soutien du Ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche

li C llè d F

PROGRAMM

Terrains et thèmes

D’un opérateur structurl’Amérique du NordMarie Mauzé, CNRS,

Art et pensée sauvageCarlo Séveri, CNRS et

Lévi-Strauss et l’interfManuela Carneiro da

(USA) et de São PauloL’Amérique dans le strAnne-Christine TaylorBranly

Domaines et problème

L’Aigle et le Corbeau Claude Lévi-StraussRoberte Hamayon, EP

Si on en revenait à la pFrançoise Héritier, Co

Peut-on « donner un stribu » (Stéphane Mal

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Cette liste, non exhaustive, présente quelques-unesdes publications consacrées à C. Lévi-Strauss à

l’occasion de son centenaire.

G « Claude Lévi-Strauss : regards éloignés »Le Courrier de l’Unesco, n° 5, février 2008,numéro multimédia.

G « Le dernier des géants »Le Nouvel Observateur, n° 2269, mai 2008.

G Claude Lévi-Strauss, ŒuvresParis, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 2008.

G Saudades do Brasil Paris, Plon, 2008 (réédition).

G « Claude Lévi-Strauss, le penseur du siècle »Le Magazine Littéraire, mai 2008.

G « Claude Lévi-Strauss : langage, signes,symbolisme, nature »Philosophie, n° 98, été 2008.

G « Claude Lévi Strauss l’école d’anthropologie

G Claude Levi-Strauss, le paMarcel Hénaff 

Librairie Académique Perseptembre 2008.

G Le Siècle de Lévi-Straussouvrage collectif,réalisé par Le Nouvel ObCNRS, octobre 2008.

G Abécédaire de Claude Lév

 Jean-Philippe Cazier (souSils Maria, janvier 2008.

G Claude Lévi-StraussDenis Bertholet,Paris, Éd O. Jacob, Coll.

G Claude Lévi-StraussMichel Izard (sous la direCahier de l’Herne, octobr

G Lévi-Strauss musicien : eshomologiqueJean Jacques Nattiez

Publications liées aucentenaire de

Claude Lévi-Strauss

G Lévi-Strauss, le passage du Nord-Ouest .Précédé de : Indian Cosmetics deCl d Lé i St

G Lévi-Strauss, l'homVincent Debaene eP i G lli d (D

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Claude Lévi-StraussClaude ImbertParis, L'Herne, 2008.

G Nature et cultureClaude Lévi-StraussParis, Flammarion, 2008 (Les Structuresélémentaires de la parenté, ch. I et II., rééd.).

G

Lévi-Strauss, l’homme derrière l’œuvreÉmilie JouliaParis, Éd. Jean-Claude Lattès, à paraître.

Paris, Gallimard (D

N Claude Lévi-StrauDVD : Pierre-AndStudio : Gaumontnovembre 2008.

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 ÉVÉNEMENT S

● Le monde du symboliqueen hommage à Claude Lévi-StraussColloque international organisé par le Centre decoopération franco-norvégienne en sciencessociales et humaines et par l’Institut Ferdinand de

● D’Isaac Strauss à Claude Lévi-Strauss :le judaïsme comme cultureConférence de Daniel Fabre27 novembre 2008, 18h00, EHESS(105 bd Raspail - 75006 Paris)

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La Lettre du Collège de France

Directeurs de la publication : Pierre CORVOL, Administrateur du Collège de France etFlorence TERRASSE-RIOU, Directrice des Affaires culturelles et relations extérieures

Direction éditoriale : Marc KIRSCH - Patricia LLEGOU

Conception graphique : Patricia LLEGOU - Relecture : Céline V AUTRIN

Crédits photos : © Collège de France, P ATRICK IMBERT, JEAN-PIERRE M ARTIN - Reproduction autorisée avec mention d’origine.ISSN 1628-2329 - Impression : ADVENCE

11 place Marcelin-Berthelot – 75231 Paris cedex 05      P     r      i     x     :      8

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p

Saussure21-22 novembre 2008, Maison de Norvège(7 bd Jourdan - 75014 Paris)

● Claude Lévi-Straussun parcours dans le siècleColloque international organisé par le Collègede France, l’École des hautes études en sciencessociales et l’École pratique des hautes études25 novembre 2008, Collège de France

● Et la nature humaine ?Conférence de Dan Sperber26 novembre 2008, 18h00, Collège de France

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● ARTE – Programmation spécialeClaude Lévi-Strauss27 novembre 2008 de midi à minuit(www.arte.tv/levistrauss)

● Claude Lévi-Strauss a 100 ans Journée spéciale28 novembre 2008, Musée du quai Branlymusée en accès libre de 11h00 à 21h00(222 rue de l’Université - 75007 Paris)

Nous remercions les membres du Laboratoire d’anthropologie socialepour leur collaboration et leur contribution à ce numéro hors série.

Dessin de Claude Lévi-StraussAvec Roman Jakobson, Claude Lévi-Strauss a écrit un article intitulé « “Les chats” de Charles Baudelaire » (1962),

illustré dans la version publiée par les Cahiers de l’Herne (2004),par de nombreux dessins de chat dont Claude Lévi-Strauss est l’auteur.