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  Sédir, Paul (1871-1926). Sédir. Lettres magiques. 1903. 1/ Les contenus accessibles sur le site Gallica sont pour la plupart des reproductions numériques d'oeuvres tombées dans le domaine public provenant des collections de la BnF.Leur réutilisation s'inscrit dans le cadre de la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 : *La réutilisation non commerciale de ces contenus est libre et gratuite dans le respect de la législation en vigueur et notamment du maintien de la mention de source. *La réutilisatio n commerciale de ces contenus est payante et fait l'objet d'une licence. Est entendue par réutilisation commerciale la revente de contenus sous forme de produits élaborés ou de fournitur e de service. Cliquer ici pour accéder aux tarifs et à la licence 2/ Les contenus de Gallica sont la propriété de la BnF au sens de l'article L.2112-1 du code général de la propriété des personnes publiques. 3/ Quelques contenus sont soumis à un régime de réutilisation particulier. Il s'agit : *des reproductions de documents protégés par un droit d'auteur appartenant à un tiers. Ces documents ne peuvent être réutilisés, sauf dans le cadre de la copie privée, sans l'autorisation préalable du titulaire des droits. *des reproductions de documents conservés dans les bibliothèques ou autres institutions partenair es. Ceux-ci sont signalés par la mention Source gallica.BnF.fr / Bibliothè que municipale de ... (ou autre partenaire). L'utilisat eur est invité à s'informer auprès de ces bibliothèques de leurs conditions de réutilisati on. 4/ Gallica constitue une base de données, dont la BnF est le producteur, protégée au sens des articles L341-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle. 5/ Les présentes conditions d'utilisation des contenus de Gallica sont régies par la loi française. En cas de réutilisation prévue dans un autre pays, il appartient à chaque utilisateur de vérifier la conformité de son projet avec le droit de ce pays. 6/ L'utilisateur s'engage à respecter les présentes conditions d'utilisation ainsi que la législation en vigueur, notamment en matière de propriété intellectuelle. En cas de non respect de ces dispositions, il est notamment passible d'une amende prévue par la loi du 17 juillet 1978. 7/ Pour obtenir un document de Gallica en haute définition, contacter [email protected].

Lettres Magiques

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Sdir, Paul (1871-1926). Sdir. Lettres magiques. 1903.

1/ Les contenus accessibles sur le site Gallica sont pour la plupart des reproductions numriques d'oeuvres tombes dans le domaine public provenant des collections de la BnF.Leur rutilisation s'inscrit dans le cadre de la loi n78-753 du 17 juillet 1978 : *La rutilisation non commerciale de ces contenus est libre et gratuite dans le respect de la lgislation en vigueur et notamment du maintien de la mention de source. *La rutilisation commerciale de ces contenus est payante et fait l'objet d'une licence. Est entendue par rutilisation commerciale la revente de contenus sous forme de produits labors ou de fourniture de service. Cliquer ici pour accder aux tarifs et la licence

2/ Les contenus de Gallica sont la proprit de la BnF au sens de l'article L.2112-1 du code gnral de la proprit des personnes publiques. 3/ Quelques contenus sont soumis un rgime de rutilisation particulier. Il s'agit : *des reproductions de documents protgs par un droit d'auteur appartenant un tiers. Ces documents ne peuvent tre rutiliss, sauf dans le cadre de la copie prive, sans l'autorisation pralable du titulaire des droits. *des reproductions de documents conservs dans les bibliothques ou autres institutions partenaires. Ceux-ci sont signals par la mention Source gallica.BnF.fr / Bibliothque municipale de ... (ou autre partenaire). L'utilisateur est invit s'informer auprs de ces bibliothques de leurs conditions de rutilisation.

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LETTRES

MAGIQUES

PARIS DE L'INITIATION DITION SUCIT D'DITIONSLITTRAIRES ET ARTISTIQUES Librairie Paul Ollendorff 5O 5o, HUECHAUSSK-D'ANTIN, 1903

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Magiques

OUVRAGES DU MME AUTEUR

Le Messager cleste de la Paix universelle, traduit de l'anglais de Jeanne Leade, br. in-18. Ls Tempraments et la Culture psychique, d'aprs Jacob Boehme,br. in-18. Le Gui et sa philosophie, traduit de l'anglais de P. Davidson, br. in-i6 (puis). Les Miroirs magiques, br. in-18, 2ed. Les Incantations, vol. in-18, avec schmas. La Cration, thories sotriques, br. in-S. Theosophia practica, trad. de l'allemarid de Gichtel, vol. in-8 carr, fig. en couleurs hors texte. L'Almanach du Magiste, annes 1894 1899, br. in-18 (en collaboration avec Papus). L'Esprit de la Prire, trad. de l'anglais de William Law, br. in-8. Penses de Gichtel, avec une notice biographique, trad. de l'allemand, br. in-8. Les Plantes magiques, vol. in-18. La Vie, les OEuvreset la Doctrine de Jacob Boehme, avec portrait, br. in-18, 2e d. lments d'Hbreu, d'aprs Fabre d'Olivet, br. in-i 8.

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LETTRES

MAGIQUES

PARIS DE L'INITIATION DITION SOCIT D'DITIONSLITTRAIRES ET ARTISTIQUES Librairie Paul Ollendorjf 5O 5o, RUECHAUSSE-D'ANTIN, 1903

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^PRFACE .'/;

,-'tV MONCHER SDIR,

Suivant votre coutume, vous ouvres encore une nouvelle voie aux adaptations de l'occulte. Jusqu' prsent, nos traits indigestes et techniques ont rebut beaucoup de lectrices, il/'allait donner l'aridit des sujets mystiques l'adaptation littraire que nul, mieux que vous, n'tait capable de raliser. Vous ave\ essay, et du premier coup, vous avez russi au del de toute esprance dans les pages suivantes. Si vous ramnera l'idalit quelques mes de plus, vous savez que votre rcompense sera assez grande pour qu'il me soit inutile de vous accabler d'loges \uper/lus. Celui qui a fait son devoir a bien mrit du ciel et j'ai t toujours heureux de trouver en votre amiti l'appui dans les luttes et l'assistance dans l'effort commun. Il ne nous reste plus qu' vous souhaiter la seconde dition augmente encore de ces sduisanies lettres magiques qui paraissent au/'ourd'hui. En attendant, croyez-moi toujours votre vieux camarade. PAPUS.

PROLOGUE

Mon ami Dsidrius, mortily a de longues annes, tait un personnage fort bizarre, si l'on veut dsigner de ce mot une originalit d'une logique implacable qui ne consulte qu'elle-mme pour se conduire dans l'Univers. Il tait n pauvre, mais son application prcoce et son intelligence des affaires lui permirent de rparer assez vite cet oubli des bonnes fes ! Comme je le vis, au collge, dsorienter la routine dans la vie pdagogique, de mme continua-t-il taillader les quinconces et saccager les parterres de ce beau parc qu'est la bourgeoisie moderne. Lassant la rouerie comme le formalisme, il allait toujours au but par une combinaison d'aspect puril, et personne ne voyait l'acuit de son regard, mais tout le monde s'exclamait : A-t-il de la chance 1 Autres inquitudes pour les sympathies commerciales et les curiosits voisines : quoi les bnfices de la maison taient-ils Dsidrius respectables On organisa des surveillances savantes employs? pour dcouvrir celle d'entre les femmes de ses amis qu'il prfrait ; de gais compagnons de brasserie, qui

_ 6 la curiosit inspira des ruses de trappeur, le filrent les soirs de pluie aux music-halls, ou les matins de ses frquentes courses dans la banlieue : rien, pas le moindre trottin l'horizon, point d'accorte soubrette dans son home, pas mme le soupon de ces vices esthtiques dont l'Allemagne, la France et l'Angleterre se renvoient le nom. Le hasard servit beaucoup la curiosit de nos enquteurs ; l'un deux menant sa famille au bassin du Luxembourg, tel, une mre cane ses petits, aperut au coin du Pont-Neuf Dsidrius les bras chargs de vieux livres, courber sa haute taille sur les botes des bouquinistes ; le mot de l'nigme tait trouv ; notre homme devait tre quelque chercheur de chimres biscornues, collectionneur maniaque ou fantasque rudit. Sans lasser plus longtemps la patience du lecteur bnvole, je lui rvlerai que Dsidrius collectionnait de vieux bouquins. Quels taient-ils? Jamais je n'ai pu le savoir. Quand les lisait-ils ? Mystre I Dans quel but? Impntrable comme une volont providentielle. Les hasards du noctambulisme nous firent rencontrer ; la premire parole qu'il m'adressa fut pour rectifier une erreur de diagnostic que je venais de hiroglyphes commettreendchiffrantd'hypothtiques dans la main molle d'une fille; il sut piquer ma curiosit au premier mot ; son systmedechiromancie n'tait ni celui de Desbarroles ni celui de D'Arpentigny, et ne concordait avec les leons d'aucun des vieux matres du seizime. Il avait une faon de lire

7 dans la main, en la regardant de haut, qui me rappelait celle des gypsies d'Angleterre, et je sus plus tard que son systme tait celui des Tantriks indous. Un curieux de choses rares, tel que moi, ne pouvait s'attacher cette piste inexplore; mais Dsidrius, fort malin ne se laissa point prendre la diplomatie de mes conversations ; il les ramenait toujours vers le terrain monotone des affaires, de la vie banale et des thmes vulgaires d'o sa singulire perspicacit faisait jaillir des rapprochements inattendus et des analogies instructives. C'tait l en effet le caractre de son esprit : il semblait possder une circonvolution crbrale nouvelle qui pntrait le trfonds des tresune loupe qui, faisant abstraction des diffrences, ne laissait apparatre aux yeux de l'observateur que les similitudes des objets les plus divers par l'extrieur. Il devait connatre la loi des choses, et savoir les grouper selon leur gense intrieure ; on l'et dit semblable au voyageur se reposant sur le fate d'une montagne et prenant d'en haut une vue claire et relle du pays dont, perdu dans la valle, il n'avait aperu que des aspects sans cohsion. Ce spectateur solitaire de la vie ressemblait un lord : de haute taille, maigre, la figure rase, la peau brune et les cheveux chtains, toujours vtu d'toffes aux couleurs indcises, on l'et dit descendu d'un cadre de Rembrandt. Il paraissait ensommeill; parlant sans clat, riant peu, et sous son air spleentique, cachant une endurance extraordinaire la fatigue physique comme au travail de bureau. Je ne vis jamais chez Dsidrius le signe d'une passion quelconque :

8 en face des maladresses ou de la mauvaise volont, sa voix devenait plus caressante et son front plus serein : mais l'obstacle s'vanouissait toujours rapidement par une circonstance de hasard ; alors il en faisait le texte d'une petite leon de psychologie des gens ou mme des choses, car c'tait l une de ses thories favorites que les vnements vivent, qu'ils ont leur anatomie, leur physiologie et leur biologie, et qu'on arrive bout d'un enfant peut lesgouvernercommeon indocile et capricieux. Vers cette poque, je m'pris d'un beau zle pour les tudes historiques et archologiques ; et je portai plus mes recherches sur la corporation particulirent mystrieuse des Templiers. Tous les historiens s'accordent faire de cet ordre une socit d'hommes d'affaires adroits, ambitieux et avides ; je fus bientt convaincu de la fausset de cette opinion. Grce d'anciennes amitis, j'avais mes entres libres dans les bibliothques prives de certains rudits d'Allemagne et d'Angleterre ; et c'est l que d'heureuses dcouvertes me donnrent l'orgueil d'tonner le monde savant par une thse originale et neuve. Je pus reconstituer leurs rites, dvoiler ce qu'tait le trop fameux Baphomet dgnr en le petit chien Mopse du 0 XVIII scle, faire connatre les travaux effectus dans les commanderies et la raison des architectures imposantes de ces primitifs maons. Un soir, je racontais mes travaux Dsidrius, pensant en moi-mme l'tonner et tout prt le lorsqu'il rpondit l'une de mes complimenter, priodes :

9 C'est trs bien d'avoir travaill cette question : votre ide est ingnieuse, mais vous ne l'puiserez jamais entirement parce qu'il vous manque la thse mtaphysique de votre antithse physique. Je ne compris pas et j'interrogeai : Une thse mtaphysique? Oui, si la terre existe, c'est parce qu'il y a des deux, et si les cieux s'lvent au-dessus de nos ttes, c'est parce que la terre est sous nos pieds, expliqua Dsidrius avec un demi-sourire. Je vous donne l des formules trop gnrales ; vous n'avez pas encore l'esprit habitu saisir d'un coup les rayonnements d'une ide ; c'est cependant une chose ncessaire. Ainsi, pour la question qui nous occupe, vous n'avez pas fait cette simple remarque que, si les Templiers ont donn lieu une lgende, celte lgende est leur fantme rflchi, leur contraire analogique. Si donc on les croit une association de changeurs et de banquiers, c'est que leurs richesses relles venaient d'une tout autre source ; si l'on sait vaguement ce qu'ils faisaient dans les salles hautes de leurs forteresses, c'est que l'on ignore tout fait l'usage de leurs caves et de leurs galeries souterraines o circulait, active et insaisissable, la vritable vie de l'Ordre. Voil ce que vous auriez pu voir. Votre ide est pour le moins originale, lui rpondis-je; mais sur quels documents prcis l'appuyer ? En avez-vous des preuves? Mon cher ami, rpliqua Dsidrius en tirant de sa pipe d'gales bouffes, toute notion intellectuelle a autant et plus.de ralit que cette table de marbre, ou

10 cette tasse caf ; mais il est beaucoup de choses que les gens n'ont pas besoin de savoir ; nos yeux sont conforms pour recevoir une telle quantit d'nergie lumineuse; mais vous savez bien qu'un clat trop brillant nous aveugle. Toute chose est parfaite dans l'univers. Et ces documents? Oh! nous verrons plus tard; il faut que vous vous dbarrassiez au pralable d'un certain acquis mental qui, lom de vous aider, vous cre un mur. Si vous voulez vivre, commencez par tuer le vieux monstre qui est tapi en vous. Allons, voil que vous allez me faire de la mystique. J'ai lu Jacob Boehme, le cordonnier... Mais vous ne l'avez pas conu ? Et vous ? Oh moi ! il faut bien se donner un intrt dans la vie. Mais enfin verrai-je un jour vos documents ? Je suis certain que vous devez possder des trsors; pourquoi neconsentiriez-vous pas m'en fairevoir un petit coin ? Vous savez que je connais lord L***qui a dans les Highlands un si beau manoir et de si belles antiquits druidiques. J'ai pntr dans la bibliothque de M. S***qui a pass sa vie collectionner des manuscrits thibtains, dans celle triplement ferme du professeur K***de Nuremberg, o toute la mystique occidentale se trouve avec l'histoire des socits secrtes; j'ai... Vous avez vu galement la collection d'Abraxas du prince romain C***, et quelques autres endroits

II ferms ont reu encore votre visite, ajouta Dsidrius d'un ton placide, je le sais; c'est moi que ces diverses personnes se sont adresses lorsqu'il a fallu avoir des renseignements; et vous vous trouvez dj mon dbiteur... Attendez un peu, je pense n'avoir plus beaucoup de temps vivre ici-bas. Je vous donnerai du travail pour aprs ma mort comme je vous en ai dj donn de mon vivant. Et mon bizarre compagnon, ayant rallum sa pipe, me souhaita une bonne nuit, bien qu'il ft peine une heure aprs midi, et disparut dans la foule. Quel dommage, murmurai-je, qu'un tel homme aime faire poser ses contemporains 1Au fond, je vais le soigner, parce qu'il doit certainement avoir des trsors dans sa bibliothque.

Plusieurs semaines se passrent sans revoir Dsidrius, lorsqu'un matin je reus un billet encadr de noir, m'annonant sa mort subite ; pas d'indication de service funbre; seulement, ajouts la main, ces simples mots: Rendez-vous rue du Champ-d'Asile 5 heures du matin. Cet homme tnbreux a donc des accointances avec les F.". M.',, pensai-je aussitt. Au lieu indiqu, je trouvai dans une salle basse quelques hommes, entre lesquels je reconnus le comte Andras de R., ce fastueux dandy, qui avait dissip une fortune sculaire avec la belle Stella, disparue depuis; il y avait aussi un Hindou barbu, un Allemand lunettes et un des seuls reprsentants que

12 j'aie jamais vu de l'antique race, presque teinte, des montagnards chinois autochtones, un athlte de six pieds de haut, dont les yeux obliques conservaient une fixit gnante. Toutes ces personnes paraissaient attendre quelqu'un ; nous tions en habit de crmonie, que les Orientaux portaient avec autant d'aisance que l'exdandy. Au bout d'un instant, la porte s'ouvrit, donnant passage un homme de haute taille, dont l'aspect imposait l'attention et provoquait la curiosit; il me parut le type accompli de la beaut occidentale; son regard contrastait trangement avec l'aspect viril de toute sa personne ; on et dit les yeux d'un bambino, frais, jeunes, brillants; ils avaient cette mme fixit que ceux du Chinois; tous les assistants le salurent avec une nuance de respect, et, prenant aussitt la parole : Nous allons, dit-il, nous rendre de suite au domicile de Dsidrius, o chacun recevra le legs qu'indique le testament; vous savez qu'il faut aller vite. Du reste, tout doit tre prt. Et sur ces mots nous partmes. Une demi-heure aprs, arrivs chez le dfunt, le mystrieux inconnu ouvrit la porte du petit htel, et nous trouvmes dans le vestibule quatre normes colis prts tre emports, qui furent atribus chacun de nous. Voici, mon cher Andras, toute la collection chimique de notre ami : installez le tout dans notre cave ; ayez bien soin d'tre seul, et ajustez un verre violet votre lampe, parce que vous trouverez un cer-

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tain nombre de produits que les rayons rouges dcomposent; cette caisse renferme aussi les livres, les manuscrits et les clcfs^cryptographiques. Permettezmoi de vous recommander la patience. J'ai rserv au Swmi les livres de physiologie et de psychologie, il y retrouvera les shastras secrets du sivasme; sa caisse contient galement tout ce qui est ncessaire l'agencement d'unecellulesouterraine, les gommes, les vernis, les couleurs spciales, la terre enfin la pierre noire et la sphre de d'alluvion, cristal. Pour vous, mon cher magicien, voici tout le matriel de l'hermneutique occulte; les mtaux sont alchimiquement purs, les plantes ont cr dans des terres prpares ; vous trouverez enfin les rituels schmatiques de l'Occident. Enfin, Monsieur, reprit l'inconnu en 'adressant moi, je vous ai fait mettre de ct ce qui m'a sembl devoir vous intresser le plus, c'est--dire une collection de documents indits sur les socits secrtes de nos pays avec la description de leurs enseignements respectifs. Un tableau gnral vous donnera la marche de leur dveloppement; enfin, si jamais le dsir vous naissait de vous mettre l'oeuvre, un petit cahier reli en parchemin vous indiquera les travaux prparatoires. Sur ce, Monsieur, vous allez, si vous le voulez bien, transporter ces objets et revenir ici pour la crmonie funbre.

Quelques heures plus tard, nous nous retrouvions

14 tous les six prenant place dans le nombreux cortge des amis du dfunt que nous conduisions sa dernire demeure. Les vnements de cette matine m'avaient plong dans une surprise croissante; et tout ce dcor de roman-feuilleton n'tait pas sans jeter quelque ombre sur la joie que je ressentais de possder enfin ces documents tant dsirs : je bouillais d'impatience en attendant l'heure delasolitude o jepourraisenfin les voir. Je me mis le jour mme aprs dner dclouer la caisse. Elle tait hermtiquement remplie de papiers, de livres et de dessins ; j'y trouvai des rarets inconnues : une collection de miniatures de l'poque reprsentant les Grands Matres du Temple ; des toiles peintes roules, portraits de tous les personnages ayant eu un nom dans l'histoire de l'occultisme; les alchimistes taient l, avec les astrologues, les magiciens, les kabbalistes et les mystiques. Je fis plus tard des recherches pour m'assurer de l'authenticit de ces peintures ; les experts et les critiques d'art furent tous unanimes la reconnatre. Il y avait l desincunables, des livres dont les collectionneurs ne connaissent dans toute l'Europe que deux ou trois exemplaires ; enfin une srie de soixante-douze tableaux peints repn sentant des suites de figures gomtriques encadrs dans des guirlandes de roses et d'une sret d'excution parfaite. Il y avait des lignes, des cercles, des triangles, des toiles, des cubes dans toutes les positions, des figures de serpents comme sur les gemmes gnostiques, bref, tout un fouillis videmment hermtique auquel je ne compris rien. -

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A ce moment, je m'aperus qu'une odeur inconnue flottait lgrement par ma chambre ; elle tenait de la myrrhe et de l'essence de rose, et paraissait provenir du vernis qui recouvrait la collection des soixantedouze tableaux hiroglyphiques ainsi que les portraits et les reliures des livres ; en examinant ce vernisodorant, je m'aperus qu'il ne s'caillait pas sous l'ongle et qu'il paraissait faire corps avec la substance qu'il protgeait. C'est une composition perdue, pensai-je, mais que l'on doit retrouver dans les livres de Lemnius ou de Porta ; nous verrons cela plus tard, plutt encore dans le gros in-octavo de Wecker... L'odeur orientale continuait pntrer doucement l'air, et je crus sentir son action se porter sur moi d'une faon toute spciale ; ce n'tait pas un engour- dissement de la vie organique, ni un trouble de physiologie ; ma tte restait libre, et mon pouls battait rgulirement ; mais chaque fois que j'aspirais, avec une bouffe d'air, un peu de cet arme, je sentais l'pigastre une douce chaleur et une sorte de rayonned'un vin gnreux ment intrieur, commel'absorption pourrait en faire natre ;en mme temps, mon systme musculaire s'harmonisait dans une sorte de quitude nouvelle et qui demande pour ,trecomprise quelques mots d'explication. Nous avons tous remarqu, au cours des actes ordinaires de notre vie, que nous dpensioi.i beaucoup plus de force musculaire qu'ils n'en exigeraient exactement ; nous sommes plus ou moins semblables au robuste garon de labour qui dirige sans fatigue sa

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charrue, mais qui sue grosses gouttes lorsqu'il met la main la plume ; en un mot nous apportons chacun de nos mouvements une sorte de raideur, de tension nejveuse, trs fatigante, et qui perturbe l'harmonie de nos fonctions corporelles. Cela provient sans doute d'un manquede srnit et de spontanit; la civilisation a dessch le libre influx de la nature en nous ; beaucoup des formes les plus vivantes de notre me ont t froisses depuis des sicles sans nombre, et les atavismes de la gne, de la restriction de tous les antiphysismes de l'homme des villes, psent d'un poids inexorable sur ce bb futur que portenttrop rarement nos petites Parisiennes nvroses. Cet tat de fausse tension est perceptible par la dtente qui s'opre lorsque nous prenons le soir, ou plus souvent vers le matin, quelques heures de' sommeil inquiet ; le corps semble avoir t dlivr d'un moule constricteur, et les millions de petits tres cellulaires qui le composent paraissent entrer dans une pause rparatrice. Telles sont du moins les impressions qu'prouvent tous ceux qui ont l'habitude de s'observer eux-mmes. Or ce parfum produisait sur moi un effet exactement analogue ; toutes mes articulations contractes semblaient se.dtendre comme sous les rayons d'un chaud soleil; ma vie physique semblait reprendre son amplitude., je sentais mon sang battre dans mes veines en ondes rythmiques, tandis qu'un frmissement intrieur centralisait ma force nerveuse comme pour quelque soudaine et toute proche activit. Dans l'examen de ces phnomnes nouveaux, mon regard

17 errait l'aventure de mon bureau mes livres, des livres la lampe et de l aux moustaches raides de mon chat, juch en sphinx sur le large dossier d'une cathdre; lorsque, en reportant mes yeux sur l'un de ces tableaux symboliques, je m'attachai, avec le mme plaisir que donne la contemplation d'une belle statue, aux lignes multicolores d'une grande toile, analogue celles que l'on voit dans les loges des maons, portant leur centre la lettre G/ c'est ce signe que Faust et qui les magiciens appelle le Pentagramme attribuent les vertus les plus extraordinaires. Celui que je regardais se dtachait en trompe-l'oeil sur un fond dgrad, bleu obscur comme l'espace qu'aperoivent les aronautes au-dessus de la rgion des nuages. Il tait rouge, bleu, vert, jaune et blanc ; les ingalits de l'clairage en faisaient chatoyer les couleurs, et il me charmait littralement comme un objet quelconque enchante les rves du haschichen. Autour de mon pentagramme flamboyaient, sur le fond bleu sombre, les lettres d'une inscription circulaire crite en une langue inconnue ; ce n'tait ni le sanscrit, ni l'hbreu, ni l'arabe, ni lethibtain, ni aucun des dialectes hindous; je ne me rappelais pas en avoir vu de semblables dans la Stganographie ni dans la Polygraphie de ce Trittenheim appel mal propos Trithme, que l'on dit avoir appartenu aux socits les plus mystrieuses de son temps. Peut-tre tait-ce un des idiomes secrets de l'Inde, le parvi ou le senzar ; sans doute les manuscrits m'en donneraientils la clef; et je commenais dj d'appliquer mentalement cette phrase les premires rgles de la

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18 cryptographie, lorsqu'une secousse intrieure retentit en moi, je sentis ma vie, condense en sphrode; sortir par la gauche du plexus solaire ; mon cabinet disparut de mon regard ; je me trouvais dans une obscurit profonde, j'entendis deux ou trois accords d'une admirable harmonie ; un point lumineux s'ouvrit devant moi comme un diaphragme iris et je me trouvai dans une lumire violette, sur les dalles d'une chambre basse o flottaient des fumes lourdes et amres. Je n'euspas l'ide de m'enqurir du modus operandi par lequel j'tais amen sur cette scne inattendue ; le spectacle que je contemplais m'intressait puissamment et centralisait toutes les forces de mon tre. Je n'tais pas seul : je comptai trois hommes vtus de robes noires et cinq femmes en tuniques vert ple. Au fond de la salle je discernai une sorte de pyramide basse forme de sept marches ; deux mtres au-dessus d'elle brillait, d'un clat immobile, une petite lumire violette; chaque homme tait entre deux femmes, et les huit personnages taient disposs sur un triangle dont la pointe tait la petite pyramide ; les hommes reposaient chacun de leurs bras sur les paules de leurs compagnes; ils avaient devant eux des trpieds o brlaient des baies et des rsines blanches; derrire nous, sur le sol, on avait dispos une ligne ininterrompue de pommes de pin. J'essayai de distinguerlesfiguresdemescompagnons de hasard ; il y en avait de tout ge ; mais une certaine uniformit de type les reliait. Les hommes taient maigres, hauts et d'aspect douloureux ; il y

avait trois femmes d'une beaut extraordinaire ; brunes, ples, la figure fige, les yeux ferms ; elles dressaient, dans une immobilit statuaire, des visages de souffrance et d'accablement. Quelles douleurs indicibles devaient-elles porter? Du faix de quels pchs ne semblaient-elles point dfaillir? Chez les deux plus ges, la vie ne semblait plus tre dans leurs rorps, mais rfugie tout entire dans la figure ; dans les plis des bouches ples logeait la rsignation ; sur les fronts sans rides, la seule lumire d'une fermet dans les yeux,la splendeur du sacrifice inbranlable; secret; et je m'enfonais tout entier dans un tonnement quelque peu craintif, lorsque, tout coup car j'avais conserv ce que les modernes appellent la pleine conscience l'tat de veille les trois hommes commencrent profrer des phrases rythmiques. Ah! quel mystre que leur voixI Ils parlaient l'unisson, dans une langue sonore, sourde et berceuse ; en les coutant, j'imaginais un bronze forg par les Kobolds, avec les pleurs, les douleurs et les soupirs des hommes ; un mtal dur et fluide et vibrant qui sonnerait des glas brlant, d'agonie basse, les hoquets d'un coeur tortur, les angoisses lentes, les peurs sans raison, comme un gong o passerait la plainte du vent d'hiver, les hurlements de la mer, ou le silence affreux des landes hantes. Ah Ivoici le cri d'une vktimede l'Inquisition ; voici le rle d'un coeur tromp ; voici la plainte d'un supplici d'Orient ; voici l'affre d'une me assaillie par les dmons I Et chaque parole rebondissait sur mon tre, me dchirant, me consultant, me faisant

20 crier grce vers les enchanteurs immobiles et glacs. Au lieu du rpit que j'esprais, la voix des cinq femmesvint aiguiser mon nervement.Elleschantaient par intervalles, donnant comme la couleur et des clairs livides l'eau forte monotone et vertigineuse droule par les hommes. La musique tait aussi trangre et indfinissable ; elle m'obsda, et, implacable dans sa plainte, elle eut raison de l'attitude de dfiance que j'avais prise ds le commencement de ce rve singulier. Je laissai tomber ma prvention et aussitt les symboles mystrieux entrrent dans mon me et s'y dnudrent, mais, avec quelle vive nergie, avec quelle vhmence cruelle, avec quelle dchirante acuit! Parvenu aux portes de la tombe, je ne repense pas encore sans frmir cette nuit de mon ge mr. Le chant de ces femmes se tenait dans les hautes notes de supplication et de pnitence ; alors l'espace obscur devant mes yeux s'illuminait d'une tincelle d'toiles, ou un clair violet traversait des coins d'ombre; c'tait alors une me affole, dchire dans ses entrailles, le dsespoir inexprimable d'un ternel adieu aux tres chers, et la flamme des brle-parfums devenait vivante ; elles'levaittoute droite commel'humble et pur repentir du pcheur, ou elle se tordait comme la douleur d'un tre tenaill par les dmons. Ah I les affreux tableaux de soufre et de poix brlants, dcrits par le murmure monotone des prtres, clairs par les fers rougis, les ruisseaux de plomb fondu, les pierreries mchantes desdouloureuses voix fminines; la sensation d'immondes et visqueux contacts o glue toute la lpre luxurieuse de ^humanitr les faces

21 spectrales de cynisme et de vice apparues sur le velours noir de l'air suffocant ; toute l'horreur des cauchemars monastiques tait certainement l, m'excdait jusqu' la nause, me faisait crier grce, allait me ruer sur les acteurs impassibles, lorsqu'un silence se fit plus effrayant dans sa nudit que l'inexprimable laideur de ces fantmes ; les flammes des brle-parfums s'aplatirent vers l'intrieur du triangle, et, la lueur blouissante que jeta, avant de s'teindre, la petite lampe violette, j'aperus mes pieds le corps de Dsidrius ; je n'avais plus la force d'une rsistance, lorsque les assistants se jetrent, m'entranant avec eux, la face contre le sol ; mon souffle presque suspendu allait caresser le visage du mort; une sensation de fluide extraordinaire me traversa la colonne vertbrale, l'horreur entra dans mon tre, mes dents se heurtrent convulsivement, un craquement lectrique se fit entendre la fois aux quatre coins de la pice. Je vis le sang jaillir de la bouche du cadavre, et je perdis connaissance ; je veux dire que toute la scne disparut de devant mes yeux comme avait fait ma chambre. Il me semblait avoir perdu mon corps, ou plutt chacune de mes facults avait reu une vie autonome, et chacune de mes motions, chacun de mes dsirs s'envolait de moi comme un ange de jubilation ; je nageais au fond d'une mer de douceur et de repos, avec l'intuition d'un soleil resplendissant, sur la route duquel toutes, mes aspirations me prcdaient en m'ouvrant la voie. Les mystrieux oprateurs de la salle nocturne m'environnaient, transfigurs et ravis ;

22 et nous suivions, dans une allgresse silencieuse, l'me de Dsidrius revtue de science et de volont, allant recueillir dans la lumire de gloire le prix de ses travaux. Il me semblait deviner l'nigme de l'Univers ; avec une rapidit vertigineuse, je revoyais les spectacles de ma vie, j'en pntrais le sens, je concevais l'action perptuelle et vivifiante de Dieu dans la nature; les hommes avec qui je parlais autrefois comme tout tait loin m'apparaissaient comme des mots anims, rvlateurs d'une volont divine; ils taient moi-mme et, en chacun d'eux, unedes facults de mon me se reconnaissait avec admiration. Tout coup, un clair blouissant : je suis aveugl ; je repasse dans une fulguration dans la salle obscure, c'est mon cabinet de travail avec sa lampe qui charbonne ; la petite pendule ne marche plus ; le chat est en catalepsie ; la mme odeur subtile flotte dans l'air, et je meurs littralement de faim et de fatigue. J'essaie de me lever du divan o ce rve trange m'a surpris, mes mains battent l'air pour aider l'effort impuissant des jambes, et leur geste fbrile ramne le petit cahier noir, dont l'inconnu m'avait recommand la lecture. A la premire page, une belle criture de calligraphe a trac un titre: Lettres de Thophane Stella. Thophane ! Celui qui voit Dieu 1 Je ne raconterai pas toutes les rflexions que je fis le jour suivant; ellesm'induisirentendesaventurescomplexes qui influrent considrablement sur le reste de mon existence ; comme je n'estime rien de meilleur au monde que le charme d'une vie active et mouvemente, je crois rendre service au public, ou

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plutt cette petite partie du public qui sait retirer l'amande de son enveloppe amre, en lui donnant connaissance de ces lettres. Que les lecteurs en usent chacun pour le mieux, et je pense qu'ils tireront de leur tude quelque profit.

1 ANDRAS STELLA. A

Tu t'es toujours montre, ma chre Stella, comme une me fire que n'effraient point les coups du Destin ; c'est pourquoi tu seras la premire connatre celui que je viens de recevoir de ce matre du monde. Je suis ruin; les mtaux,qui avaient eu pour mes mains jusqu' prsent quelque sympathie, ont brusquement chang de got, et me laissent dans un dnment peu prs complet. Tu me connais assez pour savoir que je n'irai point solliciter la compassion de mes amis, ou plutt de mes camarades de festins. C'est sans aucun regret que je les quitte ; nous avons trop souvent remarqu ensemble leurs petitesses et leurs mesquineries pour ne pas souhaiter quelque autre dcor notre orgueil. Ce que je regrette, ce sont les belles architectures, les pures formes de marbre, les tableaux savoureux qu'il va falloir abandonner aux hasards de la fortune, ce sont les souples tentures, les orfvreries, les cristaux dlicats, les armures hroques qu'appellent les

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hasards d'une destine d'aventures chez de riches et barbares trangers ; toutes ces formes magnifiques, je les aimais comme des images de mon esprit, comme des repoussoirs de ta beaut, ma chre Stella; comme des lixirs d'ternelle jeunesse pour la sensibilit de mon got et pour les dlicates motions de nos cerveaux. Mais toute chose passe ici-bas ; et si, dans la fleur de l'ge, le Destin m'a les pauvres hres et les vaincus, moi jet parmi qui n'ai cependant jamais lutt, c'est apparemment pour quelque raison secrte et purile, comme toutes celles qui font agir les hommes. Peut-tre vais-je passer par ce creuset terrible de la misre et de la faim pour en sortir ..veuli jusqu' la lchet, ivre d'orgueil solitaire ou transform jusqu'au gnie ? Ces prvisions ne t'amusent-elles pas ? Je vois ton beau sourire et toute l'harmonie de ton corps. Il faut aussi que je dise adieu ce chef-d'oeuvre ; ne pourrais-je le saluer encore une dernire nuit, Stella, avant de m'engloutir dans les tnbres froides o le sort me jette.

II A ANDREAS STELLA J'ai t touch, ma trs chre amie, et peut-tre pour la premire fois, depuis les jeunes annes o le souffle du vent crpusculaire me remplissait d'une secrte terreur! Ta lettre m'a fait sentir l'amour, ce

26 papillon aprs lequel a couru en vain le fastueux Andras, et que trouve l'Andras misrable et tomb. Je ne croyais devoir ton affection qu' un peu de science emprunte aux livres sotiques de certaine pagode de Nguyen ; et voici que luit dans ton coeur la flamme irrelle d'un autre amour. Comme tu devais tre belle en crivant cette lettre que je veux garder comme la seule relique qui me reste de toi et de nos belles annes 1 Non, je ne veux pas faire ce que tu dis ; et quoique nous aurions d couvrir, d'un manteau de correction, ce que ton offre aurait de choquant pour le vulgaire, je ne l'accepterai point. Tu sais que j'ai toujours t un peu pote, c'est--dire un peu fou; pourquoi me soustraire ma destine, pourquoi la craindre ? Si l'orgueil fut, pendant mes jours de bonheur, l'lixir qui rendit mes joies plus subtiles et plus hautes, il sera, dans ma dtresse, le bton qui cartera la pierre de mon pied et l'agresseur de ma route, aussi je ne crains rien, chre Stella. Et surtout, ne vois pas dans mon refus le recul d'une vanit blesse : nous sommes tous deux, je pense, d'une race plus haute et plus simple, qui ne veut connatre que des sentiments divins. Reste dans ta splendeur; continue de rayonner sur la foule blouie quelques reflets de ta Beaut. Pour moi, j'emporte ton image, le splendide souvenir de ton corps, la vision perptuelle de tes attitudes de volupt, la saveur de ta chair. Crois-tu pas que ce trsor de vie ne vaille les froides copies de l'Art ? Mais, aprs tout, je commence penser que toute

27 chose est vraie ; les artistes pris d'artificiel et de monstrueux empruntent sans doute leurs conceptions quelque ralit interne, comme les amants de la vie s'inspirent des spectacles de la nature extrieure; mais qui dira o commence l'extrieur, o finit l'interne ? Quels rves n'avons-nous pas vcus dans nos nuits de volupt? O tions-nous? Qu'tions-nous au juste ? Comme tu sentais le fin tissu de tes nerfs s'tendre dans la chambre, comme tes yeux hallucins perdaient, dans une vapeur lgre qui semblait sortir de lui, les contours de ton corps, ainsi ton esprit s'ouvrait des ides trangres aux mditations des femmes ; en proie l'ivresse d'Eros, tu te sentais devenir tel objet qui, pendant le jour, avait arrt ton regard ; tu souffrais les douleurs de la rose que tes fins doigts cueillent au matin, tu chantais avec les frles oiseaux de ta volire, joyeux de retrouver leur matresse ; et, imitant la mditation immobile de nos chats aux grands yeux, tu sentais descendre en ton sein les forces caches de l'Univers ou tu dcouvrais, dans les coins d'ombre de la chambre, la silhouette dansante d'un gnie familier. Chre Stella, ces fantmes taient vrais puisque tu les voyais; taient-ce les lourds parfums de l'Inde qui leur donnaient un corps ? ou bien les thmes rythmiques des danses que je t'ai enseignes dveloppaient-ils dans l'air des forces inconnues, ainsi que le veut un de nos savants modernes, ainsi que le croient les Orientaux superstitieux ? Peut-tre les rites compliqus que les prtres des pagodes enseignent pour l'amour sont-ils vritablement efficaces

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28 exalter les amants en des extases indicibles? Tout n'est il pas vraisemblable? et pourquoi, en disant: Non, cela n'est pas; se priver peut-tre d'une jouissance ou d'une ide? Eh bien, donc, mon amie, j'irai la fte que vous allez donner pour moi. Nous dirons nos camarades, nos parasites, que je pars pour un trs long voyage, pour un temps indtermin; j'emporterai ainsi, de toi, dans ma solitude misreuse, un souvenir de splendeur et de beaut. Ton amour vaut que je te fasse part de mes projets ; aussi bien ta discrtion est celle d'un homme, et je te prie de garder absolument le silence sur ceci et sur les nouvelles que tu pourrais recevoir ensuite de moi. De mes voyages en Orient, j'ai rapport la connaissance de quelqu'un sur qui je compte ds aujourd'hui ; de mes relations avec cet homme, je ne te dirai rien, parce que ces secrets ne m'appartiennent pas. J'ai toujours suivi avec intrt la vie des pierres et tu m'as souvent entendu suppose que les gemmes, que les perles, que les plus obscurs minraux sont des tres inconnus qui naissent, vivent, aiment et meurent. Je vais, puisque je n'ai rien d'autre faire, continuer l'tude qui m'a toujours passionn ; peuttre me reverras-tu vieil alchimiste hirsute, environn de retortes, mais plus srement tu me verras aprsdemain pour t'admirer une dernire fois. Tu verras aussi ce soir-l l'ami dont je viens de te parler, et que nous appellerons Thophane, si tu le veux bien; ce sera d'ailleurs un convive peu bruyant et sobre.

29 A bientt, chre Stella, la plus prcieuse de mes oeuvres d'art, le plus rare de mes anciens trsors.

III A ANDREAS STELLA. Hlas! chre Stella, je n'ai pu me dfendre de la tristesse, depuis huit jours, en pensant que je t'ai perdue ; comme notre dernire nuit fut dlicieuse, comme la douleur d'une sparation imminente aiguisa toutes nos volupts I Nous nous transportmes jusqu'aux portes de la mort, et nous avons subi ensemble le terrible et dlicieux frisson de la prsence d'Azral. Mais j'ai tort de me rappeler ces adorables instants ; voil huit longs jours et huit nuits plus longues encore que je lutte contre leur souvenir redoutable. Pour toi au moins, le ciel favorable te donnera, de nos ferveurs, des commmorations pleines de charmes; tandis que ton malheureux amant, vou la solitude, n'aura pour se consoler que le spectacle du mariage des mtaux liquides dans les creusets de son laboratoire. Mais ma mlancolie me fait en vrit oublier toute convenance et je nglige de te renseiJe me doutais gner sur les sujets qui l'intressent. bien que l'apparition de mon ami ne te laisserait pas indiffrente, et ne te rien cacher, je comptais sur lui pour te distraire de ta douleur. Puisque tu m'en pries avec une si charmante in-

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sistance, je vais te raconter les dtails de ma premire rencontre avec Thophane ; aussi bien, suis-je moimme trs heureux de pouvoir prolonger ma causerie avec toi ; tu sais si nous sommes faibles, quand il s'agit d'excuter les rgles que nous nous sommes donnes nous-mmes. Je t'ai dj appris qu'il y a une dizaine d'annes, je me promenais sur le versant septentrional des montagnes qui sparent les deux empires de Chine et de Siam. Cette contre, encore inconnue, m'avait tent cause des lgendes qui couraient sur elle ; des forts interminables, des paysages splendides, des cours d'eau imptueux, une flore et une faune exubrantes, le tigre chasser : autant de motifs qui m'affermirent dans ma rsolution. J'tais alors Rangoon, o je me reposais de mes prgrinations dans l'Inde, en prparant mon prochain voyage dans un doux farniente. Il faut avouer un acte de scepticisme dont la religiosit des Occidentaux, si tide cependant, s'carte toujours un peu. J'avais remarqu l'extrme courtoisie des peuples d'Orient envers les Europens et leur fiert vis--vis de leurs infrieurs; d'autre part leu; insouciance de la mort et du danger m'indiquait que cette politesse tait toute de surface et dicte par d'autres sentiments que la crainte; je crus qu'elle venait de leur orgueil et de la conscience de leur supriorit sur nous. Mais en quoi cette supriorit rsidait-elle ? C'est ce que je ne pouvais dcouvrir. Je pris alors un parti fort simple : J'tais au milieu d'une population bouddhiste, je rsolus de me faire bouddhiste. Je parlais dj la

3i langue du pays, j'appris en outre le pli, pour lire sur les antiques manuscrits les paroles du Sublime ; je m'habituai marcher pieds nus et contenir mon attitude et mes regards; je fis enfin un beau Jour, aprs avoir renvoy tout mon attirail d'explorateur, profession entre les mains d'une dizaine de rahans. Je m'accoutumai trs vite - la vie simple du mendiant religieux; mis dans l'impossibilit de suivre tous les prjugs qui rglent l'habillement, la nourriture et la vie de l'Europen dans ces contres, je sus bientt quel accroissement de vigueur et de sant ce rgime donnait au corps, je me sentais redevenir jeune ; le bien-tre physique, la libert de mes sens, la vivacit de mon intelligence, tout croissait en de notables proportions. J'tais rsolu ne donner aux tudes religieuses que le strict temps ncessaire pour conserver mon incognito; je m'aperus au bout d'une semaine avoir entrepris un travail fort compliqu. Crdule comme tous les voyageurs, je croyais les religieux de Siam indolents, paresseux et inoccups ; tous les orientalistes ne lesreprsentent-ilspas comme sachant juste les quelques formules de prire demandes parleurs fonctions? Je fus vile dtromp. Chaque novice est attach au service d'un parfait pour au moins un an. Celui qui on me confia tait un homme d'environ calme et d'extrieur ans, sympathique quarante comme tous ses confrres; c'tait un des rares phonges qui le sourire tait habituel, car d'ordinaire ces moines ont l'air absorb et sombre. Il me parlait sur le ton des ecclsiastiques de nos pays, ressemblance amusante ; ajoute cela une corpulence assez forte et

32 des airs de tte expressifs : tu auras alors, ma chre amie, une esquisse de celui que j'appelais Monseigneur et qui je lavais les pieds plusieurs fois par jour. Tout alla bien la premire semaine ; je me levais avant le soleil pour faire mes ablutions, et pour balayer la cour du monastre ; jamais je n'ai retrouv l'impression de lgret et de paix que dgageait toute la fort environnante; le reste de la journe se passait sous ce charme pntrant et la lecture du soir me trouvait encore dans une reposante quitude. Malgr cela je ne perdais pas de vue mes projets de voyage; je n'avais besoin pour les mettre excution que de l'envoi d'une mission vers le Nord-Est et que d'une arme dfensive. Le premic point devait se prsenter tout naturellement ; c'tait l'poque o la Francecommenait conqurir le Tonkin ; et, chose inconnue nos diplomates, ces hostilits avaient mu toute la frontire nord de l'Indo-Chine; quant aux raisons de ces inquitudes extraordinaires chez ces peuples si diffrents de race, de langue et de religion, je n'ai jamais pu les connatre. Toujours est-il que nos bouddhiste Jsiamois taient en correspondance suivie avec des monastres perdus au nord de la montagne. 11 y avait l des constructions difier, des travaux actifs, auxquels on me reconnut trs dispos, d'autant plus que l'tat religieux prescrivait une sagesse exemplaire dont je n'aurais jamais t capable sans la surveillance troite de mes frres et sans de grandes fatigues musculaires. A mon dpart, mon prcepteur m'adressa un petit discours o il m'exprima en termes voils, avec des souhaits et

33 des conseils, qu'il n'tait pas trs certain de la parfaite sincrit de mes convictions bouddhiques; et, comme, tonn de sa pntration, je protestais de ma ferveur : C'est bien, mon fils, me dit-il en souriant et les yeux baisss ; mais pourquoi cherches-tu du poison ? Je fus stupfi, car il disait juste; je m'ingniais rellement fabriquer en cachette, pour mes chasses au tigre, une sarbacane et tuer une varit de vipre dont le venin est foudroyant ; je n'avais souffl mot personne de mon projet; en un instant toutes les hypothses se prsentrent mon esprit ; je crus qu'il m'avait espionn. Je niai avec tout le sang-froid possible ; il m'couta en silence et me rpondit : Mon fils, le mensonge est un suicide ; mais tu as encore vivre dans le monde avant de voir la lumire ; va dans la montagne, puisque ton destin t'y appelle; tu apprendras l-bas comment celui qui s'est dgag des douze enchanements pntre les penses d'autrui. Je te ferai grce du rcit de mon voyage ; tous les rcits des voyageurs se ressemblent et tu connais par toi-mme les beauts de la flore orientale ; mais tu ne connais pas les flaux de ces promenades : les moustiques etlesbtes venimeuses. Par unhasard singulier, en deux mois de marche, travers tous les genres de pays, forts, jungles, clairires, broussailles, rochers, marcages, pas un de nous ne fut mordu par un serpent ou piqu par une mouche. Je passe sur les dtails de notre arrive et la construction du Vihara ; je commenais trouver le temps long et je combinais mes plans de voyage dont le 3

-34meilleur tait fort peu pratique ; nous tions sur :le versant oriental de 1-Indo-Chine, par consquent, en suivant l'un quelconque des nombreux ruisseaux qui arrosaient la montagne, j'arriverais certainement en qulquessemaines en plein Annam. Nous demeurions sur un plateau herbu compltement entour d'une fort de multipliants ; l'air y tait sec, aromatique et charg d'lectricit ; aussi, selon les critures, notre suprieur nous avait ordonn une retraite svre, et, seul de la communaut, j'avais le droit de sortir pour rcolter les fruits ncessaires la subsistance de tous. J'tais entirement pris par la magie du site et par ce charme certain que dgage une collectivit de volonts unies vers un mme idal. Un jour dans la fort, en sautant par-dessus un tronc vermoulu, le bruit que je fis rveilla une de ces petites vipres tte plate que je recherchais ; elle se dressa plus rapide que l'clair ; mon regard rencontra ses yeux ronds et fixes, elle s'enfuit toute vitesse. Aussitt, le chasseur ressuscita en moi; je me prcipitai aprs elle sautant pieds joints, je lui crasai la tte avec mes talons. Je recueillis aussitt le venin de ses rservoirs et, ayant nettoy une pierre creuse, je l'y dposai ; puis je rentrai au monastre, bien dcid partir le soir mme. Je pus mettre heureusement mon projet excution, et ds que la lune se laissa apercevoir travers les larges feuilles de figuiers, je me mis en route, vtu de la robe jaune sous laquelle je cachai ma sarbacane et mes flches, portant le vase aumnes et arm de beaucoup deconfiance en mon toile. L'entreprise tait

35 tmraire ; de la part de ceux que je quittais je n'avais rien craindre, mais j'allais m'exposer tous les dangers dans un pays infest de btes froces. Les pentes rapides qui descendent des montagnes sont en effet un fouillis inextricable de hautes herbes, de buissons pineux et droches, o gtent des tigres en grand nombre. Je commenai les entendre ds la cinquime nuit de marche, et, pour dormir un peu, je dus ds chaque coucher du soleil grimper sur un gros arbre, me fiant ma bonne fortune pour viter soit la rencontre d'un scorpion dans le creux du bois, soit le risque d'tre dcouvert sur une grosse branche par un de ces terribles mangeurs d'hommes. Vers le milieu du sixime jour, je dcouvris du haut d'un rocher un mince filet d'eau coulant dans la prairie basse; j'y courus avec joie, car je n'avais pas bu depuis mon dpart ; et, ma soif tanche, je le suivis, persuad qu'il me conduirait quelque part vers l'Est; je prenais d'ailleurs les points de repre, la nuit d'aprs les toiles, sur la position desquelles je m'tais inform auprs des bouddhistes. Mon ruisseau augmentait peu peu ; un beau jour, je le vis former une petite cascade ; son cours devenait plus rapide, je voulus m'en servir ; je me construisis une sorte de radeau troit avec des lianes et des feuilles, que je remplaais tous les jours. Je cassai un jeune arbre de 2 3 mtres qui me servit de gouvernail et d'aviron, et j'embarquai insoucieusement sur une eau accidente et assez rapide. L'un des jours suivants j'aperus un homme de grande taille, conduisant un boeuf ; je ne pus m'arrter

36 cause de la violence du courant. Quelques heures plus tard un bruit inconnu me fit dresser l'oreille, il ressemblait assez celui de la mer sur des brisants; trs lointain d'abord, il augmenta brusquement un dtour de la rivire; mon coeur se serra, j'avais reconnu un rapide ; trop inexpriment pour avoir confiance dans le maniement de ma godille, je me sentis perdu pourvu que la cascade ft haute. Rien faire ; les deux rives s'encaissrent brusquement dans des murailles de granit ; le bruit devint assourdissant, je filais bien plus vite qu'un cheval au galop, j'aperus la barre d'cume qui se formait au-devant des roches fleur d'eau ; je fermai les yeux et me cramponnai mon radeau. La sensation d'une chute, une contusion, un plongeon ; je me vois au fond d'une eau plus calme, je remonte d'un coup de talon dsespr et j'arrive puis sur une langue de sable o je perds connaissance. Je fus rendu la conscience par une douleur aigu qui me dchirait le dos ; je sentis un poids norme m'touffer,unehaleinepuantemesuffoqua; je devinai, avec terreur, car j'tais tomb la face contre terre, qu'un tigre tait sur moi ; il ne se pressait pas de m'emporter, je sentais sa langue rpeuse lcher le sang qui coulait de mon bras; je vis, avec la rapidit fulgurante de l'agonie, une flche sortie de ma robe, le tigre piqu et me tuant dans son spasme de mort. Je voulus tenter la chance : avec une lenteur de PeauRouge, je repliai le bras, saisis une flche, la sortis, et je me prparais me tourner de ct pour voir mon ennemi dont le flanc devait tre ma porte, lorsqu'il

-.37poussa un rugissement pouvantable et s'accroupit sur mon corps en m'enfonant les griffes dans les chairs ; je crus mourir de douleur ; dans une convulsion je tournai violemment la tte el aperus un homme de haute taille qui sortait lentement du bois et approchait de la rive, les bras colls au corps et le regard riv sur le tigre ; je mourais d'touffement, de douleur, de faiblesse et de colre ; j'avais ce bras qui tenait la flche cras par une patte de l'animal, je sentais ses griffes sortir et rentrer dans ma chair vive; au bout de quelques secondes, une grande lassitude m'envahit, j'oubliais la souffrance, je regardais ma situation en spectateur. Je voyais l'homme approcher lentement.; c'tait une admirable musculature, il me paraissait gigantesque ; je gotais toute sa perfection physique avec une entire srnit ; comment se fait-il, me disais-je, qu'il porte sa barbe? Il n'est pas de ce pays; je voulus regarder mieux son visage, mais mon puisement me faisait voir devant ses yeux un nuage violet, travers lequel passait le feu de ses prunelles claires. Le tigre continuait gronder sourdement, et j'entendais sa queue puissante battre la terre, avec le bruit du flau sur le sol dur. L'homme tait quelques pas de nous ; je sentis les griffes du tigre entrer plus profondment ; il allait sauter, mais un frisson courut sur sa peau, il eut un miaulement suraigu; l'homme tait l et lui avait mis une main sur les yeux et l'autre sur le mufle ; les jambes de l'animal tremblrent, les muscles terribles se dtendirent, les griffes quittrent les gaines rouges qu'elles avaient creuses dans ma chair, le poids terrible qui

38 m'touffait fut t de ma poitrine, la bte froce s'en, alla en rampant aux pieds de mon sauveur, la. tte aplatie,.les oreilles basses comme un chien sous la menace du fouet ; je la vis disparatre peu peu dans, les fourrs profonds. L'homme me prit dans ses bras, me lava dans la. rivire et appliqua sur mes blessures les feuilles d'une., petite plante en les bandant avec des lianes vertes et flexibles. Tu as devin que ce dompteur tait Thophane; le reste de notre histoire n'offre pas d'intrt ; laisse-moi maintenant esprer que l'inconnu ne troublera pas ton sommeil, que je souhaite profond et berc de beaux rves. cris-moi, chre Stella, je t'aime de jour en jour davantage.

IV ANDRAS ASTELLA Je pressentais bien que ma curieuse amie s'intresserait au convive silencieux de sa dernire fte ; je ne me rappelle pas sans sourire l'arrive de Thophane dans la cohue lgante qui se pressait en ton palais. Beauts brunes et beauts blondes, dandiesla Byron, jeunes dieux en frac, grands seigneurs ruins, ils ont tous senti la prsence d'un Inconnu; les sourires ont t figs, les paradoxes expirrent et le dsir voluptueux mourut pendant une seconde, tandis que la

-39haute taille de Thophane s'inclinait pour murmurer, ton oreille des paroles qui durent t'mouvoir.. Et un bon moment, tout l'essaim de.tes convives rieuses, contempla en silence le visage, le. corps, l'attitude et. les manires du nouvel arriv ; puis.elles se. communiqurent en chuchotant les rsultats.de leur.examen. Il a l'air d'un athlte , dit la premire. Il ressemble,.dit l'autre, qui se pique d'rudition, au basrelief assyrien du Louvre,-o l'on. voit, un homme, qui tient sous son bras un lion. C'est un vieux, s'exclama la troisime. Il a le mauvais oeil, frissonna une Italienne. Il m'a touche en passant , avoua une blonde rougissante, tandis que ma chre Stella reprenait, comme par la vertu d'un philtre puissant, plus de splendeur, de rayonnement et de charme qu'elle n'en avait jamais possd. Tu veux revoir Thophane, ma pauvre amie, et tu crois ne cder qu' la purile curiosit que l'on a pour une bohmienne trange; l'astrologie, la chiromancie sont de fort belles sciences, certes, et il y est, parat-il, fort expert ; mais prends garde ; si tu connaissais quelles douleurs tu cours, quelles fatigues tu te voues, quelles humiliations tu souscris, l'obscur dsir qui se lve en toi, la ple lueur de ta secrte intuition s'enfuiraient pouvants de la hardiesse de leur projet. Ah 1 que ne restes-tu dans la sphre brillante o le Sort t'a place; chercheuse tmraire, comment pourras-tu vivre dans la solitude et dans ladouleur? Car tu vas l'aimer, cet homme dont tu es curieuse ; tu vas tre initie aux secrets du coeur ; et tu achteras ces secrets de toute ta.beautj.de ton

-4osang, de ta vie mme. Pauvre Stella ! tu vas, en me lisant, me croire jaloux ; ce n'est pas ton corps qu'il va prendre, il n'inventera pour toi ni caresses nouvelles, ni mots d'une surhumaine tendresse; malheur toi s'il ne t'aime pas, mais encore plus malheur s'il t'aime ; son amour est un feu dvorant ; tu souffriras par lui toutes les agonies; c'est, du moins ils le disent l-bas, dans les cryptes secrtes, la seule voie qui s'ouvre la femme pour arriver la Voie. Chre Stella, sur qui je vais pleurer, tu verras Thophane et il te parlera sans doute. Adieu, cette fois, pour longtemps.

V A THOPHANE STELLA Vous tes accourue, Stella, o vous croyiez que j'tais, et, derrire la lourde porte, seule, la voix d'un chien enferm vous a rpondu. Voyez comme les choses extrieures sont l'exact symbole des choses intrieures. N'tes-vous pas aujourd'hui, au milieu de votre luxe, de vos ftes et de vos courtisans, comme une pauvre crature abandonne, qui cherche anxieusement son matre, qui croit le reconnatre sans cesse et qui retombe de dsillusions en secrtes dsesprances, perdant peu peu jusqu'au courage mme de se relever, tandis que les chos de votre douleur taient

-4 les seules rponses que vous receviez de tout ce vaste univers qui semble ne vous avoir jamais connue. N'en croyez rien, cependant; tout au contraire, une** multitude sans nombre d'yeux attentifs et sympathiques regarde votre misre et y compatit. Le monde extrieur que vous avez seul aperu jusqu'ici, par ses formes les plus hautes et ses plus splendides magnificences, n'est qu'un ple reflet, qu'une enveloppe grossire et ronge par la corruption d'autres mondes plus purs et plus beaux ; ces sphres inconnues sont peuples d'tres prestigieux qui, comme le? filles de Jrusalem la Sainte, sont les spectateurs apitoys de vos erreurs, de votre lutte dans la tnbre, et de vos souffrances. Ah ! si votre corps est beau, votre me l'est aussi, mais seulement par l'attrait de ses larmes; vous ne ftes rien jusqu' ce jour, qu'un instrument de luxure, qu'un prtexte de convoitises et de cupidits; cependant cette matire vile cache le germe du diamant que vous deviendrez peut-tre un jour. Cette obscurit secrte o vous errez, elle n'est pas hors de vous seulement, elle est aussi en vous ; elle vous oppresse, vous torture, vous accable mystrieusement; les baisers n'ont plus de saveur, les doigts se lassent de la caresse des toffes et les yeux des merveilles de l'art; en vous s'agenouille, se lamente et sanglote une pleureuse voile que les larmes suffoquent. Regardez cette pleureuse, coutez sa lamentation, Stella; c'est la forme qu'a prise, pour vous, celui qui se tient au centre du monde comme le piquet d'une tente, le formidable Architecte qui sculpte les pierres avec la foudre; celui qui prend la matire dans

42 le creux de sa main, qui l'y crase et qui en fait jaillir de longs jets sanguinolents d'entre ses doigts impitoyables. Il est immobile pendant que les-sphres tournent autour de lui ; il est muet, mais ses yeuxdistribuent les clairs vers les quatre bornes du monde; il est invisible, mais les palais qu!il construit sont splendides au dehors et sombres au dedans. Ne hassez pas cet ouvrier, Stella, bnissez sa main et.dsirez ressentir encore et longtemps la dtvhirure de ses ongles.

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VI THOPHANE STELLA A Ne cherchez pas de consolation au dehors ; les ralits visibles existent mais nesont pas. Vous croyez trouver le remde de votre mal et l'oubli d votre angoisse dans l'entranement du luxe et des volupts; vous sentez bien cependant en vous-mme que vous avez vid la liqueur dlicieuse et qu'au fond del coupe une lie amre vous reste seule boire. coutez la petite voix qui murmure imperceptiblement dans, votre coeur. Ne vous montrez pas, cachez-vous ; ne vous levez pas, abaissez-vous ; ne 'cherchez pas le soleil, mais, la nuit ; car vous tes toute noire, et le feu.glac de l'astre nocturne est leseullixir qui puisse vous rendre une vie nouvelle. Rentrez en vous-mme et voyez, l'enchanement

-43merveilleux des vnements de votre existence, l'invisible sagesse de leur succession. Ce qui est aujourd'hui votre moi a parcouruTimmensecycled'innombrables existences ; il a t le feu latent qui se cache dans lecaillou silencieux ; puis la molcule de terre o une herbe modeste a puis un peu de sa sve ; joyau prcieux, il a brill pendant des semaines de sicles sur la poitrine des antiques danseuses ou au front d'hirophantes majestueux ; mais la colre des puissances cosmiques a dchan sur l'univers o il vivait, des cataclysmes d'eau et.de feu ; prcipit nouveau; dans l'ocan confus des germes primitifs, il en.est ressorti lev d'un rgne dans la hirarchie physique.; cet atome de feu vital s'est revtu des formes diverses, des racines, des herbes, des fleurs et des fruits; travailleur obscur enfoui dans le sein de la terre, cellule, brillante des ptales, grain de.pollen parfum, arbre enfin centenaire et vnrable,.des millions de fois il a vu le soleil natre et mourir aux points opposs de l'horizon ; pendant des ges sans nombre, il a reu les leons des fes, des dryades et des faunes. Le voici, replong dans la grande mer vgtale, d'o le nouveau souffle de l'esprit le fait resurgir crature sponr tane, libre dans ses mouvements, laquelle furent dvolus successivement la masse profonde des eaux, la surface.de la terre verdoyante et l'espace azur des airs. Votre corps, Stella, est un rsum de la cration tout entire ; immobile, il est un palmier lgant ; votre dmarche a emprunt, aux serpents sacrs qui se dressaient prs des brle-parfums, la perfidie da leurs ondulations ; vos cheveux, sont le.duvet soyeux

-44~ et chaud de quelque cygne d'Australie ; vos lvres sont une rouge corolle humide de rose ; vos ongles sont des coraux polis par la caresse incessante de la grande Thalassa ; vos yeux sont des gemmes affines dans les creusets souterrainsdesgnomes ; votre voix est l'hymne matinal des oiseaux; au fond de votre coeur, enfin, est tapiequelque voluptueuse et cruelle panthre altre de luxure et de sang. Telle est la Stella infrieure, telle est la forme inconsciente qui, jusqu' ce jour, dispensa sur la foule des germes de crimes et de perversits. Ce petit feu follet ivrede sa libert et de sa fausse lueur a peupl sa sphre d'extravagance^ et de rvoltes ; il ne sentait pas la main de la grande Harmonie, mesurant ses carts, et dispensant, selon la norme, les proportions de ses activits; ainsi un feu vivant s'attachait votre sein, consumant sans relche les matires viles de votre tre et vous faisant peu peu descendre du royaume joyeux au royaume de la tristesse. Ainsi, ce monde, que vos multiples beauts subjugurent, a secou peu peu les chanes flexibles que vos sductions lui avaient forges. Plus bas votre charme imprieux fit se prosterner vos pres vos pieds, plus consumante brle dans leurcoeurla haine inconsciente qu'ils nourrissent contre vous. L'astre qui a rayonn voitson corps rduit en cendres lorsque l'tre des tres retire Son souffle de lui. Lorsque l'ternel jeta, dans le sein de la Mre cleste, le petit germe, qui est vous-mme et qui fut, depuis le commencement des ges, le spectateur toujours jeune de ses propres transformations, il lui

-45donna dans le vaste Univers un petit monde gouverner, et ce monde c'est votre nom, chre soeur ignorante, qui vous fut donn au commencement, qui vous a protge dans toutes vos chutes, et qui sera votre vtement de gloire, lors de votre future exaltation. Ce petit cosmos o vous tes reine, vous avez reu la mission de le garder, de le cultiver et d'en surveiller les productions. C'taient l vos fils mystiques, sur qui devait se pencher la tendre sollicitude d'une mre, et de qui les sductions de l'antique seront pent YOUS fait dtourner les yeux.

VII ANDRAS STELLA A Laisse-moi, Stella, pour bercer la petite douleur peiptuelle qui niche dans ton me, laisse-moi te raconter des contes de fes. Ne t'tonne point que je sache, sans t'avoir vue, l'tat dans lequel tu te trouves. Ne t'ai-je pas dit, il y a quelque temps, que je commenais t'aimer ; et si tu te rappelles qu'autrefois les dlicieuses lassitudes de nos caresses relchaient, chez nous, les lourdes chanes de la matire physique, tu comprendras comment, si mon coeur s'lance vers le tien, il sent, comme s'il tait toi, les palpitations de la vie et les asprits du roc par o tu t'lves aux flancs de la montagne mystrieuse. Il tait une fois un pauvre berger qui passait pour

46 -innocent; il gardait lesmoutons des habitants d'un petit village perdu dans:les profondeurs de la FortNoire, bien plus profonde et bien plus dserte cette poque lointaine que maintenant. Ce petit berger, qui s'appelait Hans, ne connaissait point ses parents; il tait arriv, tout enfant, dans ce village, dont les habitants, simples et bons, l'avaient recueilli ; mais ds qu'il fut en ge de se reconnatre dans les sentiers peine tracs qui traversaient l'immense fort, on l'utilisa pour conduire aux pturages des montagnes le petit troupeau qui constituait la principale fortune de ces pauvres gens. Hans avait une vie trange ; on le voyait trs peu ; peine au matin le temps qu'il traversait la route en soufflant dans sa corne, le scir en remettant ses btes dans leurs tables; il parlait peu, avec l'air absent ; et la nuit, au lieu de dormir dans la bonne paille frache des granges, ou sous l'haleine chaude des bestiaux, l'hiver, il errait dans la'fort, la face tendue vers la lune et vers les toiles, et les bonnes gens le croyaient quelque peu sorcier. On l'avait vu, au milieu des hautes futaies, prtant l'oreille des voix caches, souriant des spectacles invisibles ; la Fort semblait lui donner des leons ; il connaissait le temps l'inspection des dchirures de ciel'bleu aperues au travers des feuillages ; ilapprenit peu peu quelles herbes font disparatre les contusions, schent les plaies ou gurissent le btail ; la corneille et le hibou lui parlaient mme, et quand la Mort visitait ce hameau perdu, il savait d'avance sur quelle hutte elle allait s'arrter. Ainsi Hans grandit joyeusement, dans les souffles embaums de la fort ;

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-47 les fleurs de l't, les fruits et les horizons dors de l'automne, le tapis des neiges hivernales se succdrent bien des fois sans qu'il connt d'autres sentiments que l'admiration et la paix ; il n'avait que des amis parmi les arbres et les herbes parce que jamais 11 n'avait fait de mal aucun d'eux; avant de cueillir un fruit, d'arracher une racine, dcouper une tige, il avait toujours demand l'intress la permission de le faire, et quand il cherchait de bonnes feuilles bien juteuses pour panser une plaie, jamais 11ne dpouillait le petit arbuste de sa propre autorit; il allait par la fort, demandant haute voix : O sont les mille-pertuis ? ou telle et telle autre plante, et il ajoutait: Quel est celui qui veut bien me donner quelques feuilles pour gurir la vieille Gretel, ou pour arrter le sang d'une coupure que s'est faite Fritz le charpentier? Alors, un petit arbuste lui rpondait : C'est moi, prends ce qu'il te faut de mes feuilles, mais ne me fais pas trop mal. Pour ne pas faire de mal ses amis, le petit Hans attendait qu'ils fussent endormis sous la lune ; et quand tous les enfants de la fort sommeillaient paisiblement, il prenait ses feuilles celui qui les lui avait offertes, tout doucement, en faisant le moins de dchirures possible et en fermant avec soin la cicatrice verte. Aussi tous l'aimaient et se faisaient un plaisir de lui donner ce qu'il leur demandait. Tout au moins Hans prtendait que les choses se passaient ainsi ; et :Jes gens du village l'coutaient avec tonnement parce qu-ils n'avaient jamais entendu la voix d'un arbrisseau; quand on lui disait

-48de telles choses, le petit ptretaitbienun peu tonn, mais comme c'tait un enfant simple et plein de respect pour les hommes gs et les vieilles femmes, il ne tirait pas de gloire de ses relations forestires et n'en cherchait point la cause. Tous les jours, cependant, il apprenait quelque chose merveilleuse de ses amis les arbres, et il la racontait ses amis les hommes pensant leur tre utile, comme il dcrivait aux arbres les moeurs des paysans ; or les arbres seuls l'coutaient avec srieux et profitaient des leons de leur ami, parce qu'ils taient humbles et savaient que l'homme leur est de beaucoup suprieur ; mais les paysans disaient de Hans: C'est un simple, les nixes lui troublent l'esprit , et ils oubliaient ses avertissements, et bien des fois payaient cher leur indiffrence. Car les arbres sentent beaucoup de choses que les hommes, mme les gens rustiques, ne sentent pas : ils savent le temps qu'il fera, non seulement plusieurs jours mais encore plusieurs lunes l'avance ; les gants de la fort prdisent mme ces choses pour les annes futures ; ils connaissent aussi les prsences mystrieuses qui remplissent d'effroi le voyageur sous les votes de verdures sombres ; ceux d'entre eux qui vivent sur les bords des clairires rondes o viennent danser les fes le sixime, le treizime, te vingtime et le vingt-septime jour de la lune sont les plus renseigns ; si les hommes savaient les couter et le leur demandaient, ils les mettraient en relations avec les gnies des prs, des ruisseaux, des cascades, des rochers, des ravines et des montagnes; alors on apprendrait les endroits o les gnomes travaillent les terres

49 utiles, les minerais prcieux, o lesondins dispensent aux sources une vertu mdicinale, o les fleurs sont balsamiques ; on saurait que tel centenaire a t bni par les austrits d'un ermite, que tel autre est hant par le souvenir d'un crime ou les affres d'un suicid, et bien d'autres choses encore. Mais, semblables en cela aux gens civiliss et aux savants, les braves cultivateurs parmi lesquels vivait Hans ne prtaient aucune attention ses rcits, et s'en moquaient mme entre eux. La gele blanche ou la grle arrivaient toujours quand le petit berger l'avait dit, mais ces leons ne leur profitaient pas, parce que c'tait une sorte de petit vagabond tomb on ne savait d'o qui les leur donnait. Or, un bel aprs-midi, Hans, en marchant dans un sous-bois tapiss de lierre rampant, en vit les aux feuilles, non pas dresses perpendiculairement rayons solaires, comme elles auraient d se tenir, mais se prsentant eux par la tranche, il connut de suite qu'il avait t attir dans ce coin parce qu'un vnement important allait fondre sur sa tte; le lierre, qui voit les mauvaises humeurs des corps animaux, ne voulait pas ce jour-l obir la Loi, et Hans se sentit froid au coeur. Son troupeau rentr, il courut sous la lune devant le grand chne Arra'ch, le Matre de la Fort, mais c'tait une nuit de Conseil, et Arra'ch tait all la tte des Esprits des arbres prendre les ordres et recevoir les nouvelles de la bouche du vieil ours par qui parlaient beaucoup de gnies de cette antique contre. Ce n'est donc que vers le matin que Hans entendit en rve la voix 4

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d'Arra'ch : Tu vas souffrir, lui disait-il, et quoi que tu fasses tu vas grandir; tu vas tre oblig de choisir entre deux routes, de goter de deux fruits l'un, et de jeter l'autre; mais il faut que tu choisisses tout seul ; je ne puis rien pour toi, parce que tu es un homme; ton Esprit est plus haut que le mien, et s'il choisit avecsagesse, il deviendra un jour le matre de cette fort, mon matre moi, le matre du vieilburs et celui des gnomes qui travaillent dans les rochers vers le nord. Mais comme tu as t bon pour nous, nous serons avec toi, et je m'engage, au nom de la Fort tout entire, t'aider si tu ne nous oublies pas. Et Hans entendit le murmure immense des grands arbres, des arbustes, des herbes qui juraient avec leur matre Arra'ch fidlit k Hans, si Hans ne les oubliait pas. Il faut dire que le petit ptre tait devenu un bel adolescent blond ; droit et vigoureux comme une jeune pousse, et dont la belle mine ne passait pas inaperue des filles du hameau. Mais il n'avait jamais remarqu leurs sourires rougissants; elles n'taient pour lui que des camarades moins lestes et moins hardis que les garons. Or, quelques jours aprs qu'il et vu les feuilles de lierre sylvestre se dresser devant lui, arriva au village une brune fille inconnue, avec de grands yeux immobiles, de larges hanches et de longs cheveux; Hans, sa vue, sentit quelque chose trembler dans sa poitrine et ses narines, habitues aux fraches et pures odeurs des herbes et des blanches dames, connurent le vertige des parfums de la chair. Dans son trouble, il recourut ses conseillers ordj-

5i naires ; mais la Fort lui fut muette cette nuit-l, et le matre Arra'ch lui dit : C'est tout l'heure qu'il te faudra choisir. La fille brune lui parla, puisqu'il n'osait le faire ; elle venait d'une rgion voisine o il n'y avait pas de fort, o les hommes vivaient runis en grand nombre, habitant non> pas des huttes mais des constructions en pierre ; ils avaient des usages compliqus et de nombreux vtements ; beaucoup d'objets leur tait ncessaires pour manger, pour dormir, pour soigner leur corps, et l'inconnue s'tonnait de n'en point trouver de semblables dans le hameau ; Hans lui raconta sa vie, ses amis, ses matres, les arbres, ses guides, les fes, leurs discours et leurs prdictions, il voulut que son amie leur parlt, mais elle n'entendit pas leur voix, et elle n'aurait d'ailleurs pas compris leur voix, car son esprit venait d'un autre royaume. Alors elle se moquait de Hans, et Hans souffrait de ses sarcasmes quoiqu'il respirt avec dlices l'haleine de la fille brune et le parfum oppressant de son corps ; elle voulait l'emmener vivre parmi ces hommes qu'elle disait savants, puissants et riches ; mais Hans ne savait pas ce que c'est que la richesse ; il avait ide de ce que c'est q''.'un homme savant ; il voulait apprendre des choses secrtes, lointaines et obscures, et parmi elles l'nigme qu'il sentait se cacher dans la beaut de son amie ; mais il n'osait pas quitter sa Fort ; il sentait qu'il y perdrait beaucoup de choses ; il ne croyait pas non plus pouvoir vivre sans la caresse des yeux noirs, sans l'odeur dlicieuse et un peu inquitante, sans la vue du beau corps de l'Inconnue. Il se

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fit donc du souci jusqu'au jour o, d'un coup, mettant sa main dans celle de la tentatrice, il partit vers la ville inconnue, pour connatre la richesse et la science. Il voulut apprendre le secret dtenu par les rouges lvres de l'amie ; mais elle le repoussa en lui disant : Reviens avec de l'or et tu dcouvriras le mystre de ma beaut ; quand il eut de l'or, il connut donc ce mystre, il l'puisa et s'en lassa ; il le connut galement chez beaucoup d'autres femmes et il s'en lassa; il s'enquit alors du mystre de la science; il apprit beaucoup de choses oublies, les langues des peuples disparus, les rves des sages antiques ; mais le mot du mystre de la science, il n'arrivait pas le prononcer ; il crut un jour ne jamais pouvoir le dcouvrir et il s'aperut alors qu'il tait devenu vieux, que ses mains tremblaient, que ses cheveux avaient blanchi. Il retourna donc dans sa vieille Fort, et redevint, dans le hameau o il avait vcu son enfance, et o personne ne le reconnut, gardeurde moutons comme autrefois. Il passa beaucoup de nuits pleurer sur lui-mme, sur sa vie dpense si vite ; il pleura la richesse, l'amour et la science, sans s'apercevoir que c'tait l l'preuve dont lui avait parl le vieux chne Arra'ch ; mais aprs avoir longtemps lutt en esprit contre luimme, il connut qu'il y avait un Dieu autrement que dans les livres des sages ; et il se prosterna en dedans de lui-mme devant ce Dieu, et ce moment l'immense arme des Esprits de la fort, de la Terre et des Eaux, vint, prcde par les Esprits de l'Air, lui

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faire hommage, se soumettre son Esprit et lui promettre obissance. Hans alors leur dit : Ne vous soumettez pas moi, mais celui que je sens enfin vivre en moi, qui a men mon me par des chemins secrets, et qui lui donne enfin la Pauvret, la Bont et la Vie au lieu de l'Or, de la Luxure et de la Science aprs qui j'ai si longtemps couru. Voil l'histoire du blond petit Hans, l'enfant trouv. Je souhaite qu'elle t'ait un peu fait oublier tes peines, chre Stella.

VIII THOPHANE STELLA A Vous pleurez, chre soeur ; vous aurez donc encore une joie, car rien n'existe sans son oppos ; bientt vous sourirez, bientt vous aurez abandonn un peu de vous-mme. Vous ne verserez jamais autant de larmes que vous en avez fait verser vos frres ; sachez bien que la nature n'aurait pas de prise sur nous si nous ne lui en donnions pas ; nous sommes attaqus peu prs autant que nous avons attaqu auparavant, il y a huit jours ou cent sicles; la Justice des choses a des comptables scrupuleux el qui n'omettent pas la plus petite de nos incartades. Alors pourquoi pleurer ? direz-vous ; ah ! chre soeur, pleurez non cause des douleurs que vous subissez, mais pleurez d'amour repentant et de compassion ; perdez-

-54vous, sombrez, prcipitez-vous d'une chut perdue dans les gouffres de l'humilit et de l'holocauste. Alors vous goterez la saveur rafrachissante et sereine de la paix ; les battements des ailes angliques viendront rafrachir votre coeur ; vous dormirez dans les bras des messagers divins et votre esprit sera conduit vers les montagnes sacres dont les ocans des forces et des essences astrales battent les flancs sans les entamer.

IX ANDRAS STELLA A Me voici reparti pour cet Orient qui est comme ma seconde patrie. Les longueurs d'une traverse monotone me parurent courtes cette fois ; j'tais dvor de curiosit au sujet des inconnus qui je devais prsenter ma lettre de crance ; on m'avait dit d'eux : ce sont des savants positivistes, des exprimentateurs; et la cervelle d'un Occidental serefuse toujoursd'abord admettre qu'il puisse y avoir des exprimentateurs autre part que dans les laboratoires de spn pays. Dbarqu dans un petit port de la cte de Malabar, j'avais ordre de me promener dans la ville, vtu en Indou, avec une certaine amulette au poignet; j'excutai scrupuleusement ces instructions et, vers le soir, un homme de basse classe vint moi et m'emmena hors la ville; l je trouvai une lgre voiture qui nous

55 transporta pendant la nuit jusqu'aux Ghattes, dont nous fmes pied l'ascension. Les escarpements de ces montagnes ne permirent point de jouir de la fracheur de l'air, du calme de la nuit ni del srnit du paysage ; les ronces, les pierres, quelque crainte aussi des fauves et des vermines venimeuses employrent toutes mes forces. Aprs deux heures d'ascension, nous arrivmes une sorte de plateau granitique, dpouill d'herbes, et que bossuaient de loin en loin quelques amas de pierres, ranges en cercle; mon guide me mena vers le plus considrable de ces monticules, dont le centre tait une masse rocheuse assez semblable aux pierres leves des pays celtiques ; les blocs de pierre formaient une vote irrgulire sous laquelle nous nous tranmes quatre pattes; au bout se trouvait non pas un puits mais un trou irrgulier, dans lequel mon guide disparut et o je le suivis, tandis qu'il guidait de ses mains mes pieds ttonnant le long des parois irrgulires ; nous descendmes quelques mtres, et un couloir inclin nous amena en une demi-heure au centre d'une oubliette o des reptiles se tranaient parmi quelques crnes humains. Nous entrions dans les ruines d'une de ces nombreuses cits brahmaniques que leur population a abandonnes, ou que des guerres civiles ont dtruites; il y en a beaucoup dans le Dekkan, disent les pandits. L'accs de celle o on m'avait amen se trouvait mer.veilleusement dfendu par la jungle et son peuple de singes gris, de serpents, de panthres et de tigres. Le spectacle d'une ville hindoue en ruines envahie par la jungle est une chose admirable ; il est l'idal du

56 ferique et du fantastique ; la vie des habitants de la fort y est diffrente aussi ; elle semblerait un peu civilise, si l'on peut dire ; les oiseaux y chantent, les insectes y bourdonnent, les singes y jacassent chacun leur tour et avec quelque savoir-vivre ; c'est le rauquementdu tigre ou le miaulement de la panthre qui est le chef de cet orchestre vivant ; les silences en sont majestueux et pleins de secrets; les ensembles assourdissants. Mon guide se htait travers les terrasses aux dalles disjointes, sous les colonnades dmolies et les carrefours pleins d'herbes folles ; l'immense toit sculpt d'une pagode assombrit le ciel tout coup au-dessus de nos ttes; nous tions arrivs. L, je fus remis aux mains d'un brahme vishnouite, qui me salua en anglais etme prsenta des fruits et desboissons glaces. Cependant j'examinais la structure du temple qui, pour la beaut de la masse et la richesse des dtails, ne le cdait en rien aux plus fameux monuments de Bnars et d'Ellora ; autant que mes souvenirs de Tantras me le faisaient croire, ce temple avait d tre bti en l'honneur de Ganea, le dieu lphant. 11tait composd'une immense enceinte ougalerie circulaire, comprenant cinq autres enceintes plus petites; deux temples taient rigs en hauteur, le premier comprenait trois autels, avec leurs votes en tiare ; mihauteur s'tendait une cour intrieure ou terrasse ellipsode, aux deux foyers de laquelle taient dresss ks quatrime et cinquime autels. L'ensemble des sculptures et des frises reprsentait la lgende de Siva peu prs telle que la dcrit le Skhanda Pourana. La

57 pierre tait seule employe dans la dcoration de cette immense architecture. Parama Siva et ses vingt-cinq mourtis sont sculpts sur la premire de ces pyramides ; sur la seconde, on voit Daksha au milieu des Pradjapatis, faisant pnitence Siva; engendrant le premier mille de ses fils, les Haryasouas, puis le second millier, les Sabalasouas, ceux qui connaissent les essences subtiles de l'Univers, ou Tattouas; puis Daksha engendre ses soixante filles, parmi lesquelles resplendit Oumah, l'pouse de Shiva; et la longue thorie de ces personnages, accomplissant chacun le symbole de la force cosmique qu'il exprime se droule sur toutes les faces de l'autel quadrangulaire, de la pyramide et des colonnes. Sur le troisime autel se voit la chute de Daksha et la transformation de sa fille Oumah en Parvti, sur le mont Himavn ; tandis que Shiva, sous la forme de Dakshinamourthi, essaie en vain d'initier les mounis l'ombred'un banian, puis essaie de nouveau ausommet du Kaila; pendant cette initiation, les asouras se rpandent sur la terre et y commettent mille atrocits; alors leMahadeva mane Koumar ou Soubramanyia le guerrier spirituel. Le quatrime autel retrace les incidents de la naissance du second des fils de Shiva, Ganea le pacifique. Enfin le cinquime autel, selon le mythe du Linga Pourann, reprsente le quintuple Shiva et ses vingt fils sous les aspects de Sadhyodjata, par qui la vie est rsorbe, de Vmadeva, qui accomplit la loi et le rituel, de Tatpourousha, qui fixe les tres dans la science et l'essence suprmes, d'Aghorale terrible. ~

58 la Yoga, et enfin d'Isna la forme qui enseigne de toutes les formes, qui fond ensemble l'Union, la Raison, la Pnitence, la Science, l'Observance religieuse, et les vingt-sept autres qualits de l'me qui a atteint la Dlivrance. Le long du pristyle extrieur rampaient les serpents de l'ternit avec leurs sept ttes ; les gardiens symboliques des mystres se dressaient de distance en distance ; les lphants sacrs porteurs de la Gnose et portiers du Temple abaissaient vers le visiteur leurs trompes et leurs dfenses de granit ; le soutnement disparaissait sous le grouillis de formes dmoniaques, confines, suivant les livres, aux mondes infrieurs de l'Invisible; sous les feuilles des cactus, des euphorbes et des bananiers, se modlent dans l'ombre les faces lippues, les canines pendantes des vampires, des Pisatchas, des Katapoutanas et des Ulkamoukhas Prtas; sur les parois extrieures des murs sont sculpts les concerts clestes desGandharvas, dansant et jouant de leurs instruments; vers le nord sont les images deSoma et d'Indra ; vers l'est celles des gardiens des trsors, les Yakshas, prsids par Koubera et Yakhshini son pouse ; sur le ct ouest est l'arme des Rkhshasas commande par Khadgha-Rvana qui donne la victoire sur les ennemis. Le culte de toutes ces entits plus ou moins dmoniaques est encore en vigueur, mme dans les hautes classes, Travancore et dans le Malabar. J'ai mme t tmoin, dans cette localit, d'un fait fort trange, que mon amie me fera souvenir de lui raconter. Mais je m'attarde beaucoup trop, je crois, d'arides

-59descriptions; j'ai laiss un brahme m'offrirdes rafrachissements et je reprends mon rcit au point o je l'avais interrompu. Ce brahme, maigre de corps, avec un grand nez el de beaux yeux, quoique enfoncs dans leurs orbites, m'exposa en un trs pur anglais que tout ce qui se trouvait dans ce vieux temple transform en laboratoire tait ma disposition, et que tous ses htes se considraient, en raison de la haute recommandation qui m'avait permis de pntrer jusque-l, comme mes serviteurs. Je le remerciai suivant les interminables et hyperboliques formules de la politesse orientale, et il commena pour moi le tour du propritaire. Il y a une chose que je vous supplierai de faire, tout d'abord, me dit mon cicrone ; c'est de ne pas vous presser, de considrer que vous avez beaucoup allez tre mis en face detempsdevantvousetquevous de nouveauts compltes. La hte ou l'impatience seraient donc des obstacles et non des aides. Je lui promis de faire des efforts pour raliser le calme oriental, en lui demandant d'user lui-mme de beaucoup de patience mon gard, et une srie d'merveillements commena pour moi. Ce temple, me dit en substance mon guide, est du genre des laboratoires et de la classe des ateliers ; par suite je ne devais y trouver ni minraux rares, ni pences prcieuses, ni appareils de magie psychologique; les savants qui l'habitent tudient peu prs ce que nous appelons les forces physiques, et cela au moyen d'un petit nombre d'appareils d'une sensibilit exquise; cette sensibilit est obtenue par l'isolement des courants

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magntiques qui passent dans le sol et de ceux qui circulent dans l'atmosphre; cet effet, ils emploient des procds spciaux de fabrication des fils mtalliques ; ces procds sont toujours manuels ; on rprouve l'emploi des machines, des laminoirs et autres perfectionnements industriels; tout s'y fait la main, et avec une patience qui lasserait le plus patient de nos saints d'Occident. Pour t'en donner une ide, Stella, j'ai vu un brave Hindou, assis dans l'ombre du rez-de-chausse, tapoter sans arrt un fil de cuivre avec un marteau qui pesait bien 20 grammes ; j'entendais le bruit mcanique de ses coups ds 3 heures du matin, jusqu'au coucher du soleil ; alors un autre frappeur venait le remplacer pendant la nuit ; et ce travail durait, m'a-t-on dit, pendant des mois. Je te ferai grce de la description de tous les' appareils dont mon guide il s'appelait Sankhyananda dmontait les rouages et les remontait avec dextrit, pour la commodit des explications. Il en est un cependant, dont l'usage est tellement extraordinaire et semble une histoire si vraisemblablement signe Jules Verne, que je veux t'en parler un peu en dtail pour amuser ton imagination. Mais je m'aperois que ma lettre est dj bien longue : je ne t'ai pas parl de toi, non plus que de moi d'ailleurs. Pardonne-moi en considrant quel zle j'ai mis remplir mon rle de narrateur. A bientt, mon cher souvenir, encore si vivace en moi.

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X THOPHANE ASTELLA Il y a longtemps, plus longtemps que vous ne le supposez vous-mme, chre enfant, que les choses conspirent autour de vous pour vous induire couter les murmures ensorceleurs d'Eros-Roi. Beaucoup d'oreilles sont ouvertes en nous pour l'couter, et notre candeur est si grande, petits enfants qui croyons tre des hommes, que nous nous imaginons tre tout entiers dans le petit coin de nous-mmes o II parle. Notre Moi est infiniment plus haut et plus vaste cependant ; mais nous appelons Moi justement ce par o nous touchons au Nant ; et nous ignorons les radieuses essences par lesquelles nous atteignons l'Absolu. Vous avez cru aimer cause d'une sympathie nerveuse, ou pour avoir connu des motions analogues, ou par bont, ou par lassitude, ou par curiosit, ou peut-tre parce que le soleil tait trop chaud, ou de l'lectricit dans l'air; et vous vous tes toujours dit : J'ai aim tel tre ; cela n'est pas vrai cependant, ce n'est pas vous qui avez accompli ces actes, ce sont des soldats de vous-mme, souvent indisciplins, mais qui ont, du moins, l'excellente habitude d'aller de l'avant et de faire faire des expriences la secrte Stella qui n'est gure courageuse et qui recule devant l'effort.

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XI ANDRAS STELLA A Je t'ai fait attendre bien longtemps la suite de ma visite, la ville perdue; c'est que j'ai trouv ici de quoi exercer ma curiosit : des livres, des appareils et des expriences ; je me suis lanc l dedans, il faut bien te l'avouer avec quelque honte, en esprant endormir ma douleur et t'oublier un peu ; j'y ai presque russi ; la science est une matresse jalouse et qui ne souffre mme pas une pense vagabonde chez ses amants. Aussi, pour le moment, elle est parcimonieuse et ne me comble pas de ses faveurs. Mais je veux reprendre mon histoire ; je t'avais promis la description d'une machine fantastique : tu vas juger toi-mme si mon tonnement fut justifi. A travers cette foule d'appareils et d'instruments de travail, Sankhyananda s'arrta devant une sorte de caisse cubique faite d'une substance jaune comme l'or et transparente comme du verre. Ceci, me dit-il, est un Doracpalam, ce que vous pourriez appeler dans votre langue une tlmobile. Nous nous servons de cela pour voyager dans les plantes de notre univers matriel. J'ouvris des yeux fort ronds, mais mon interlocuteur continua : C'est toujours une application de la thorie des tattwas, dont vos philosophes monistes ont redcouvert une partie avec la quatrime

63 dimension. Voici quelle est la suite de raisonnements qui nous conduits cette application. Ici mon interlocuteur me donna tout au long la thorie connue du systme rationaliste hindou sur les lments constituants de l'Univers ; thorie longue et ennuyeuse que je ne transcris pas, vu qu'elle n'est point absolument ncessaire la comprhension du systme. Tous les objets externes sont perus par l'un des cinq sens, et comme chacun de ces sens ne vibre synchroniquement qu'avec une des formes de la substance universelle, les objets de perception externes peuvent se classer selon les cinq lments que nous appelons Tattouas et dont je vous ai expliqu la nature et les proprits. Celle de l'Ether est d'tre peru par le sens de l'oue ; celles de l'air, du feu, de l'eau et de la terre sont d'tre respectivement perus par le toucher, la vue, le got et l'odorat. Ainsi ces manifestations mentales objectives causes par ces sensations varies possdent les mmes qualits spcifiques que les objets externes qui les provoquent. Elles ont en outre certaines qualits gnriques. Par exemple, le son possde une for