66
Sous la direction de Jean-Christophe Bas L’Europe à la carte Préface de Philippe Cayla Président d’Euronews L’Europe à la carte Sous la direction de Jean-Christophe Bas 35 TTC FRANCE cherche-midi.com ISBN 978-2-7491-1543-6 Le 9 novembre 1989 « tombait » le mur de Berlin. Une génération de jeunes Européens a grandi depuis. Pour eux, le partage du monde et de l’Europe entre l’Est et l’Ouest, la réconciliation franco-allemande, l’émergence de la démocratie sur le territoire européen, la suppression des frontières, relèvent désormais des livres d’histoire et des évidences. Cette « génération Erasmus » a été élevée avec Internet, a pris les chemins de l’Europe sans frontières de Schengen grâce aux compagnies low-cost et développé sa vision de l’Europe au prisme de la globalisation. Des jeunes qui, pourtant, s’interrogent : quelle place et quel rôle pour l’Europe dans un monde global ? Est-elle une superpuissance vieillissante condamnée au déclin ? Quels sont ses atouts face à la montée des pays émergents ? L’explosion des flux migratoires modifiera-t-elle la culture et l’identité des sociétés européennes ? Quid des défis de la diversité ? L’Europe, pour quoi faire ? De Ban Ki-moon, secrétaire général des Nations unies, au pianiste virtuose et chef d’orchestre Daniel Barenboïm, en passant par Inés Sastre, mannequin vedette de Lancôme, Amr Moussa, secrétaire général de la Ligue arabe ; l’écrivain libanais Amin Maalouf ; le commissaire européen Viviane Reding ; l’éditeur du premier magazine économique indien Ninan… près de soixante- dix grands décideurs, acteurs et innovateurs du monde entier répondent à ces questions en partageant la vision de « leur Europe ». Ce livre donne également la parole à de jeunes leaders encore peu connus du grand public. Ils sont la génération montante et leurs avis – souvent décoiffants – donnent les clés pour comprendre les nouveaux atouts de l’Europe. Une « Europe à la carte », mosaïque surprenante, enrichie de cartes inédites et insolites, dont la pertinence des traits éclaire les réalités d’aujourd’hui ; des cartes souvent plus parlantes que de longues analyses. Un livre de curiosités qui donnera assurément au lecteur une nouvelle « envie d’Europe ». Jean-Christophe Bas a été responsable du dialogue paneuropéen à la Banque mondiale pendant dix ans. Engagé pendant les années 1980 dans la mouvance de Solidarnosc et du prix Nobel de la paix Lech Walesa pour la démocratisation des pays d’Europe centrale, il commence au même moment sa carrière au Parlement européen, où il collabore avec Simone Veil, avant de devenir journaliste et premier directeur de l’institut Aspen. Il vit désormais à New York et travaille auprès des Nations unies pour l’Alliance des civilisations. L’Europe à la carte Michael Adams Antoine Assaf André Azoulay Jean-Paul Bailly Ban Ki-moon Daniel Barenboïm Pierre Calame Philippe Cayla Hywel Ceri Jones CharlElie Job Cohen Michel Derdevet Paula Jon Dobriansky J. Christer Elfverson Corinne Evens le prince Turki al-Faisal Ghida Fakhry-Khane Adriano Farano José María Figueres Olsen Monica Frassoni Angela Mariana Freyre Ulf Gartzke Dominique Girard Jean-Dominique Giuliani Xavier Godinot Vartan Gregorian Pan Guang Simon Xavier Guerrand-Hermès Diego Hidalgo Christophe Jaffrelot Hubert Joly Bekir Karliga Hakim el-Karoui Craig Kennedy Bassma Kodmani Charles Konan Banny William Lacy Swing Ahmed Larouz Andras Löcke Amin Maalouf Yoyo Maeght Norbert Mao Katherine Marshall Candido Mendes De Almeida Michael Meyer Amr Mahmoud Moussa Besnik Mustafaj Maria-Cristina Necula T. N. Ninan Pierre Nougué Ana Perona-Fjeldstad Bernd Posselt Viviane Reding Jean-François Rischard Jorge Sampaio Inés Sastre Tioulong Saumura Rabbin Arthur Schneier Justine Smith Bård Vegar Solhjell Lino Spiteri Heleen Terwijn Yvon Thiec Ben Turok Benoît Vermander, s.j. Tanguy de Wilde d’Estmael

L'Europe à la carte

Embed Size (px)

DESCRIPTION

Livre de Jean-Christophe Bas

Citation preview

Page 1: L'Europe à la carte

Sous la direction de Jean-Christophe Bas

L’Europeà la cartePréface de Philippe Cayla Président d’Euronews

L’E

uro

pe

à la

ca

rte

Sou

s la

dire

ctio

n de

Jea

n-C

hris

top

he B

as

35 € TTC FRANCEcherche-midi.comISBN 978-2-7491-1543-6

Le 9 novembre 1989 « tombait » le mur de Berlin. Une génération de jeunes Européens a grandi depuis. Pour eux, le partage du monde et de l’Europe entre l’Est et l’Ouest, la réconciliation franco-allemande, l’émergence de la démocratie sur le territoire européen, la suppression des frontières, relèvent désormais des livres d’histoire et des évidences.

Cette « génération Erasmus » a été élevée avec Internet, a pris les chemins de l’Europe sans frontières de Schengen grâce aux compagnies low-cost et développé sa vision de l’Europe au prisme de la globalisation. Des jeunes qui, pourtant, s’interrogent : quelle place et quel rôle pour l’Europe dans un monde global ? Est-elle une superpuissance vieillissante condamnée au déclin ? Quels sont ses atouts face à la montée des pays émergents ? L’explosion des fl ux migratoires modifi era-t-elle la culture et l’identité des sociétés européennes ? Quid des défi s de la diversité ? L’Europe, pour quoi faire ?

De Ban Ki-moon, secrétaire général des Nations unies, au pianiste virtuose et chef d’orchestre Daniel Barenboïm, en passant par Inés Sastre, mannequin vedette de Lancôme, Amr Moussa, secrétaire général de la Ligue arabe ; l’écrivain libanais Amin Maalouf ; le commissaire européen Viviane Reding ; l’éditeur du premier magazine économique indien Ninan… près de soixante-dix grands décideurs, acteurs et innovateurs du monde entier répondent à ces questions en partageant la vision de « leur Europe ». Ce livre donne également la parole à de jeunes leaders encore peu connus du grand public. Ils sont la génération montante et leurs avis – souvent décoiffants – donnent les clés pour comprendre les nouveaux atouts de l’Europe.

Une « Europe à la carte », mosaïque surprenante, enrichie de cartes inédites et insolites, dont la pertinence des traits éclaire les réalités d’aujourd’hui ; des cartes souvent plus parlantes que de longues analyses. Un livre de curiosités qui donnera assurément au lecteur une nouvelle « envie d’Europe ».

Jean-Christophe Bas a été responsable du dialogue paneuropéen à la Banque mondiale pendant dix ans. Engagé pendant les années 1980 dans la mouvance de Solidarnosc et du prix Nobel de la paix Lech Walesa pour la démocratisation des pays d’Europe centrale, il commence au même moment sa carrière au Parlement européen, où il collabore avec Simone Veil, avant de devenir journaliste et premier directeur de l’institut Aspen. Il vit désormais à New York et travaille auprès des Nations unies pour l’Alliance des civilisations.

L’Europe à la carteMichael AdamsAntoine AssafAndré AzoulayJean-Paul BaillyBan Ki-moonDaniel BarenboïmPierre CalamePhilippe CaylaHywel Ceri JonesCharlElieJob CohenMichel DerdevetPaula Jon DobrianskyJ. Christer ElfversonCorinne Evensle prince Turki al-FaisalGhida Fakhry-KhaneAdriano FaranoJosé María Figueres OlsenMonica FrassoniAngela Mariana FreyreUlf GartzkeDominique GirardJean-Dominique GiulianiXavier GodinotVartan GregorianPan GuangSimon Xavier Guerrand-HermèsDiego Hidalgo Christophe JaffrelotHubert JolyBekir KarligaHakim el-KarouiCraig KennedyBassma KodmaniCharles Konan BannyWilliam Lacy SwingAhmed LarouzAndras LöckeAmin MaaloufYoyo Maeght Norbert MaoKatherine MarshallCandido Mendes De AlmeidaMichael MeyerAmr Mahmoud Moussa Besnik MustafajMaria-Cristina NeculaT. N. NinanPierre NouguéAna Perona-FjeldstadBernd PosseltViviane RedingJean-François RischardJorge SampaioInés SastreTioulong Saumura Rabbin Arthur SchneierJustine SmithBård Vegar SolhjellLino SpiteriHeleen TerwijnYvon ThiecBen TurokBenoît Vermander, s.j.Tanguy de Wilde d’Estmael

Page 2: L'Europe à la carte

L’Europeà la carte

Page 3: L'Europe à la carte

Sous la direction de Jean-Christophe Bas

L’Europeà la cartePréface de Philippe Cayla Président d’Euronews

Conception graphique : Franck Desplats

Éditeur : Anne BotellaResponsable éditoriale : Stéphanie TargeCollaboration éditoriale : Nathalie DargentCoordination éditoriale : Mélincia PecnardTraductions : Maria-Cristina Necula et Véronique PretIconographie : Véronique Pret

© le cherche midi, 200923, rue du Cherche-Midi, 75006 ParisVous pouvez consulter notre catalogue généralet l’annonce de nos prochaines parutionssur notre site : www.cherche-midi.com

Page 4: L'Europe à la carte

5

E

Préface

Pour Zelda et Apolline, et tous les jeunes Européens de la génération Erasmus.

Pour mon ami Michel Jacquemin.

Europe, aimée de Zeus, roi des dieux, est-elle aimée des hommes ?

À l’heure où la désaffection des Européens pour l’Euro-pe menace sa démocratie même, peut-on l’expliquer par un désamour général ? Ou plutôt l’amour d’Europe n’est-il pas contrasté au point de le rendre impossible ? Tentons, telle Madeleine de Scudéry, de tracer une carte du Tendre euro-péenne. Europe n’y est placée ni au-dessus ni en dessous des nations, elle est parmi les nations, toutes membres avec elle de la même famille.

Au sein de la famille, les Grecs occupent la place de l’aïeul fondateur : à l’origine de notre civilisation, ils aiment Europe comme on aime ses arrière-petits-enfants, des trublions ap-parentés mais déjà lointains, en pensée comme en affection. Le succès des jeux Olympiques de 2008 les a réconfortés dans le sentiment de leur capacité à assumer leur passé et leur primauté, mais le vol d’identité que l’ex-République yougoslave de Macédoine tente d’exercer sur Alexandre le Grand, et le peu de soutien qu’ils observent du reste de l’Eu-rope, les affligent. Ils se sentent délaissés par Europe, leur ingrate arrière-petite-fille, incompris. Il leur arrive même de se sentir plus proches de la Russie, cette descendance spi-rituelle et alphabétique, surtout à travers leur petite sœur chypriote devenue colonie russe.

L’Italie, c’est la grand-mère comblée par une descendan-ce prolifique et universelle. Comme Berlusconi trônant au milieu de la photo du G 20 à la une du Financial Times et du Herald Tribune, elle est la mamma qui trône au milieu et en haut de la photo de famille.

Les Français, ayant conçu l’Europe et l’ayant donnée en mariage à l’Allemagne, sont dans la position du père. En tant que tels, ils se veulent gardiens de ses valeurs morales ; sinon de sa virginité depuis longtemps évanouie, du moins de ses règles de conduite, de ses priorités, de son emploi du temps. Pas facile de la voir quitter le nid pour mener une vie indépendante. Les Français n’aiment Europe que soumise, à l’écoute du père. Sinon, qu’elle se débrouille, c’est le mes-sage du référendum de 2005.

Europe a trouvé dans l’Allemagne – Deutschland pour les intimes – plus qu’un partenaire : un mari. Après avoir violenté cette fiancée avec une barbarie indigne des droits de l’homme, Deutschland s’est résolu à un mariage de rai-son, avec le consentement du beau-père désargenté. Gendre idéal dynamique et enrichi, Deutschland aime Europe comme

un bourgeois du xixe siècle aime sa femme : sa place est au foyer, Kirche, Küche, Kinder. La femme allemande travaille peu, Europe aussi, peu importe : l’homme allemand veille et fabrique les meilleures voitures du monde. Deutschland est un machiste civilisé mais affirmé, donneur de leçons à la li-mite de la suffisance.

Le Royaume-Uni et la Scandinavie, comme l’Espagne et le Portugal, frères et sœurs de la France, ont un pied en Europe et l’autre en Amérique. Ils admirent leurs rejetons expatriés d’outre-Atlantique, qui les dépassent désormais en taille et en richesse, et ne peuvent s’empêcher de considérer leur nièce Europe avec commisération. Cette petite cousine a moins bien réussi que les États-Unis, le Brésil ou même l’Amérique hispanophone. Europe est parfois conviée à la maison, mais sans effusion. Avec indifférence et instrumentalisation.

Arrachés à leur tenancière russe, les pays de l’Est sont les enfants adoptifs d’Europe et de Deutschland. Ils ont échappé à l’orphelinat, voire à la maison de correction, et ont été pris en charge par une tutelle paternelle et directive. Ils la supportent par nécessité, mais elle leur pèse. Acquérir leur autonomie financière leur permettra de sortir de l’âge ingrat pour aimer mère Europe comme elle le mérite.

Mais Europe, pauvre d’enfants légitimes ou adoptifs, a aussi besoin d’enfants naturels. N’osant les demander offi-ciellement à ses vieilles connaissances, les cousins des cinq continents, elle condamne hypocritement leurs arrivées clandestines tout en se félicitant de leur apport en main-d’œuvre, et en exigeant d’eux un amour impossible.

Ces diverses postures, propres à toutes les familles, ne suffisent pas à créer l’esprit de famille. Alors, que manque-t-il ?

L’Europe d’aujourd’hui, celle que les jeunes ont adoptée, c’est celle de Schengen et de l’euro, du voyage et de l’échan-ge. Voyager et échanger sans frontières, voilà le socle d’une culture nouvelle, à venir, celle qu’invoquait Jean Monnet.

Pour créer cette culture, il faudrait en principe une langue unique. Hélas, notre continent, s’il peut devenir europhile, ne sera jamais europhone : la langue commune n’existe pas. Que donc les langues demeurent : l’amour des langues, c’est la condition de la diversité et de l’échange, c’est le seul amour possible en Europe, le seul qui puisse nous faire échapper à la monoculture du jeans, du T-shirt et du McDonald’s. Seules la polyphonie et la polyculture peu-vent rendre les Européens europhiles, amoureux d’Europe.

La carte du Tendre

Philippe CaylaPrésident d’Euronews

Page 5: L'Europe à la carte

6

7

Carte du Tendre, François Chauveau, 1654.

Page 6: L'Europe à la carte

9

LLe projet de L’Europe à la carte est né de l’achat au prin-temps 1989 au marché aux puces de Clignancourt d’un dessin d’août 1914 représentant une carte d’Europe singu-lière : une vieille femme dont la robe rapiécée représentait la carte d’Europe se lamentait de voir de « mauvais garne-ments » – les peuples européens – s’arracher une robe qu’elle « avait eu tant de mal à réparer ». Cette caricature, dont la force évocatrice reflète les tensions entre Européens, allait devenir la première pièce d’une collection de cartes stylisées d’Europe constituée depuis lors.

Jeune conseiller au Parlement européen, je venais d’être retenu pour figurer sur la liste de Simone Veil aux élections européennes de juin 1989. Ma passion pour l’Europe me venait de l’action de mon grand-père, André Bas, combattant des deux guerres mondiales, gazé pendant la première lors de la bataille de Seppois, engagé dans la Résistance pendant la seconde, et expulsé d’Alsace avec sa famille pendant toute la durée du conflit. Il faisait partie de cette génération, née peu avant le siècle, qui avait perdu dix années de sa vie du fait des conflits franco-allemands. Il faisait aussi partie de ceux, plus rares, qui s’étaient engagés avec détermination et passion dans la réconciliation franco-allemande, et figurait parmi les pionniers de la construction européenne aux côtés de Robert Schuman, alors même que les plaies étaient encore vives dans les mémoires. Élu député en Alsace à la Libération, il avait organisé en janvier 1950, à Bâle, la première rencontre franco-allemande de parlementaires. J’ai retrouvé bien plus tard dans ses archives des lettres d’insultes et de menaces d’électeurs alsaciens considérant cette initiative comme une trahison. Dans un éditorial publié dans Le Nouveau Rhin français, il leur répondait que « si l’on veut redonner à l’homme sa dignité, il faut lui rappeler la parole de Socrate : “L’amour est plus fort que la haine.” » Il faut parfois beaucoup de courage pour vouloir le dialogue et la paix. Mon arrière-grand-mère paternelle, Marie Simonis, fière et courageuse Alsacienne – cousine de l’abbé Simonis, député protestataire alsacien –, a changé cinq fois de nationalité au cours de son existence. Née française en 1870, elle devient allemande quelques mois plus tard, redevient française en 1918, puis allemande en 1940 et française en 1945. La famille de ma mère, les Scheck, des Alsaciens de pure souche, avait fui l’Alsace au moment de l’annexion de 1870 pour s’établir en Franche-Comté. Ironie du sort, lorsque ma mère annonça à ses amies, en 1953, qu’elle allait épouser un Alsacien – en plein procès à Bordeaux du massacre d’Oradour-sur-Glane par les nazis –, celles-ci s’indignèrent de sa décision « d’épouser un Boche ». Le sort dramatique de ces milliers de « malgré-nous », jeunes Alsaciens incorporés de force dans l’armée allemande, était en effet difficile à comprendre pour ces jeunes femmes. En

dépit de tous ces aléas, j’ai toujours été élevé dans le respect de l’Allemagne et de sa culture, et mon père déplorait souvent les réticences que nous avions avec mes frères à suivre les émissions de télévision d’outre-Rhin. L’histoire entière de ma famille a été marquée par ces mouvements liés à des conflits européens, tant militaires que religieux. La maison des Essarts, où j’écris ces lignes, a été construite en 1724 par mes ancêtres, la famille Humbert, originaire de Neuchâtel en Suisse, venue s’établir en Franche-Comté au lendemain des guerres de religion. Une croix de pierre a été incrustée sur la façade pour marquer leur attachement au catholicisme. J’en ai retenu que les frontières étaient un point de départ et une ouverture vers d’autres horizons et cultures, et non des lignes de finitude.

Le 1er mai 1989, quelques semaines après avoir acheté cette première carte, je me suis rendu à Budapest en tant que responsable du Fonds européen pour la liberté d’expression, une ONG pour la promotion de la démocratie dans ce que l’on appelait encore l’Europe de l’Est. Afin de rencontrer des réfugiés roumains qui avaient fui clandestinement le régime hideux de Ceaucescu. Des hommes et des femmes traqués, au regard livide et apeuré. La frontière roumaine était alors infranchissable, et nous étions peu nombreux à avoir des informations fiables sur la folie meurtrière et destructrice qui sévissait dans ce pays. Cette Europe de l’Est était en effet devenue en à peine une génération un obscur conglomérat de pays, dont peu d’Européens discernaient les capitales et les pays respectifs, et dont le sort ne les préoccupait guère. C’est au cours de cette même semaine qu’une toute première brèche s’est faite dans le rideau de fer, l’Autriche ouvrant timidement sa frontière à des candidats hongrois à l’exil. Je me souviens des larmes qui m’ont étreint lorsque j’ai lu, dans l’avion qui me ramenait de Budapest, cette nouvelle prometteuse, dont bien peu avaient saisi toute la portée.

Depuis 1986, grâce à cette ONG que nous avions fondée avec quelques parlementaires européens et les représen-tants en France de Solidarnosc, j’avais pu mesurer la force irréversible qui poussait les populations de ces pays vers l’avènement de la liberté et du pluralisme. En août 1986, âgé de 28 ans, j’avais conduit une petite délégation de jeunes dirigeants politiques en Pologne où nous avions rencontré Lech Walesa, le leader historique de Solidarnosc, récent prix Nobel de la paix. Il sortait de prison et vivait en liberté sur-veillée. À nos yeux, il incarnait un héros hors du commun, le combattant de la liberté, qui avait eu le courage avec ses amis syndicalistes et intellectuels de s’opposer à la chape de plomb. Jeune élu municipal de Besançon, capitale de l’hor-logerie, je lui avais offert au terme de notre entretien une montre Kelton où chaque heure était stylisée par un drapeau des douze pays formant alors la Communauté européenne.

Introduction

Jean-Christophe Bas

8

Page 7: L'Europe à la carte

1110

En la lui remettant, je lui ai dit que la prochaine fois que nous nous verrions, il faudrait certainement créer un cadran de vingt-quatre heures, et que le drapeau de la Pologne y figu-rerait. Tout en nous congratulant à la suite de ces propos, ni lui ni moi certainement ne pensions que nous serions les témoins de ce qui apparaissait alors comme une véritable utopie. Un mur nous séparait, et même les plus optimistes pensaient qu’il faudrait encore des décennies pour le faire tomber. Nous étions loin de penser que, moins de vingt ans après, l’Union européenne compterait vingt-sept pays et en-globerait la quasi-totalité de ces « pays de l’Est ».

Au cours de cette même année 1986, j’avais suivi au Parlement européen l’aboutissement laborieux des négocia-tions d’adhésion de l’Espagne et du Portugal dans ce que l’on appelait encore la Communauté européenne, et le pas-sage de dix à douze pays membres. Comme à chaque étape de la construction européenne, de nombreux responsables politiques et professionnels étaient réticents à cette adhésion qui nous paraît aujourd’hui si évidente : celle-ci allait, affir-maient-ils, tirer l’économie européenne vers le bas, compte tenu des retards de développement de ces deux économies ;

les marchés agricoles seraient inondés par des importations à bas prix de fruits et légumes ; des flux abondants de main-d’œuvre à bas prix déferleraient sur le reste de l’Europe du fait de la libre circulation des personnes ; ces pays étaient-ils authentiquement européens ? Réunissaient-ils les standards démocratiques exigés pour rejoindre le club ? De telles craintes et interrogations paraissent aujourd’hui irréelles au regard de l’intégration exceptionnelle et immédiate de ces deux pays, dont personne ne peut contester qu’ils sont au cœur même de la culture, de la société et de l’économie européennes, et que leur intégration a apporté à l’Europe autant qu’ils en ont bénéficié.

J’ai eu à ce propos en janvier 2008 une conversation qui m’a frappé et donné envie de réaliser ce livre et de le dédier à Zelda et Apolline, mes deux filles adolescentes dont je suis si fier. Bien que passionnées d’histoire, elles n’ont aucune idée des bouleversements auxquels nous avons assisté en Europe depuis vingt ans, c’est-à-dire en à peine une géné-ration. Je partageais ce jour-là par hasard un taxi à Madrid avec un collègue pakistanais travaillant à l’Unesco, et nous nous rendions au Prado pour une réception offerte par le

Premier ministre Zapatero à l’occasion du premier forum de l’Alliance des civilisations, une initiative des Nations unies en vue de promouvoir le dialogue entre les cultures. Mon interlocuteur, dont la connaissance de l’Europe était un peu approximative, me fit part de sa joie de visiter l’Espa-gne pour la première fois, tout en ajoutant que celle-ci avait joué un rôle important dans la création de la Communauté européenne. Je rectifiai poliment son propos, et lui fis part de l’image de l’Espagne pour les jeunes gens de ma généra-tion au début des années 1970 : j’ai le souvenir d’avoir appris au collège la mort de Franco, et la fin de près de quarante années d’un régime autoritaire qui avait refermé l’Espagne sur elle-même, que ses intellectuels, ses artistes de génie et ses forces vives avaient fui. Le souvenir aussi que pour nous, Français, l’Espagne comme le Portugal étaient vus avant tout comme des pays pourvoyeurs de main-d’œuvre bon marché et peu qualifiée, des maçons, des femmes de ménage. Je lus dans le regard de mon interlocuteur la per-plexité, et certainement le doute sur la crédibilité de mes propos qui contrastaient tant avec la place économique, po-litique et culturelle de l’Espagne aujourd’hui. Ne voulant pas ajouter à son trouble ni donner l’impression de lui asséner un cours d’Europe contempo raine, je me suis abstenu de lui dire comment des changements aussi radicaux, tant sur le plan économique que politique et culturel, étaient apparus en moins d’une génération en Grèce, en Irlande, dans les pays scandinaves, et en fin de compte comment toute l’Europe s’était formidablement modernisée et ouverte en à peine trente ou quarante ans, grâce à la construction européenne.

Car c’est bien de cela qu’il s’agit en réalisant ce livre, montrer à Zelda et Apolline et à tous les adolescents nés depuis la chute du mur de Berlin, enfants de la mondiali-sation en mouvement, la capacité de cette vieille Europe à se réinventer, surtout lorsqu’elle est au bord du gouffre. Et ce en donnant la parole à ceux qui la vivent, en font un espace en mouvement, une entité vivante de création et d’in-novation. Mais aussi à ceux qui l’observent depuis l’Asie, l’Afrique, le Moyen-Orient, l’Amérique, et savent poser un regard juste sur elle. Depuis près de trente ans que je me passionne pour les questions européennes, je suis toujours frappé – parfois amusé, parfois agacé – par l’obstination de ceux qui n’ont de cesse de la dénigrer, d’annoncer que les nouvelles avancées vont conduire à l’échec, voire à la ca-tastrophe. Ces « déclinologues » qui semblent impatients de voir leurs sombres prédictions se réaliser, et qui, à défaut, agitent de nouvelles inquiétudes pour entretenir un public qui veut bien les entendre. Un public qui, j’en conviens, n’a que peu d’opportunités d’entendre des commentaires posi-tifs sur l’Europe. Dès qu’un phénomène positif se produit grâce à l’Europe, les États s’en emparent pour s’en attribuer le crédit. À l’inverse, l’Europe est souvent un bouc émissaire facile pour pallier les défaillances des politiques nationales et détourner l’attention de l’opinion publique. L’absence de leadership européen fait de Bruxelles la cible idéale de discours peu scrupuleux de vérité et tournés vers un calcul politique à courte vue. Pour chaque grand sujet, un slogan :

immigration ? L’Europe « passoire ». Politique économique et sociale ? L’Europe « ankylosée ». Politique étrangère et influence de l’Europe dans le monde ? L’Europe « impuis-sante ». Gouvernance ? « Eurobureaucratie ». Commerce international ? L’Europe « forteresse ».

C’est pourtant cette même Europe qui, depuis vingt ans, depuis la chute du mur de Berlin, acte refondateur du pacte européen conçu et rendu possible par le contexte même de la guerre froide, a su se réinventer, presque à l’insu de ses cinq cents millions d’habitants. C’est cette Europe « passoire », « ankylosée », « impuissante », « forteresse », « bureaucratique » qui a réussi en moins d’une généra-tion à mettre en œuvre les réformes les plus audacieuses : l’établissement d’une monnaie unique, véritable révolution économique, qui la met à l’abri des instabilités financières in-ternationales, et sans laquelle la crise actuelle de l’économie mondiale aurait pu être désastreuse ; la mise en place avec le traité de Schengen d’une politique migratoire cohérente, assurant tout à la fois la sécurité du territoire européen et la nécessaire liberté de circulation de ses citoyens ; le déve-loppement à grande échelle avec Erasmus d’un programme ingénieux et innovant de mobilité des étudiants dont plus de deux millions ont déjà bénéficié, permettant un véritable brassage des langues et des cultures ; la création d’un ré-seau d’infrastructures ferroviaires et routières qui, avec la mise en circulation du tunnel sous la Manche et des trains à grande vitesse, a profondément bouleversé la carte de l’Europe, facilité ses échanges économiques et rapproché les Européens. C’est cette Europe « impuissante » qui est le premier contributeur de l’aide publique au développement, sans laquelle les fameux objectifs du millénaire de réduire de moitié à l’horizon 2015 la pauvreté dans le monde seraient purement illusoires. Cette même Europe « impuissante » qui est à l’avant-garde dans la résolution des défis globaux de la planète, au premier rang desquels le réchauffement cli-matique et le respect des droits de l’homme. Cette Europe « bureaucratique » qui est parvenue en à peine quelques années à intégrer sans secousse quinze nouveaux pays, en dépit d’écarts de développement considérables ; et d’éviter ainsi la résurgence de nationalismes qui les auraient assu-rément conduits, une fois libérés du joug communiste, vers des conflits meurtriers. Cette Europe qui représente à peine sept pour cent de la population mondiale, mais constitue de loin la première puissance commerciale mondiale.

Nul mieux que Jacques Delors, l’ancien président de la Commission européenne, n’a su définir la force et l’originalité du pacte européen avec « la compétitivité qui stimule, la solidarité qui unit et la coopération qui renforce ». Un véritable projet de société qui en fait bien plus qu’un espace géographique et économique. Reste à la génération de Zelda et Apolline de parachever cet édifice et d’en faire un modèle en vue de contribuer à la stabilité et au développement harmonieux d’un monde en profonde mutation.

Montferrand-le-Château, le 31 mai 2009.

Ci-dessous au centre : élections européennes, juin 1989. Simone Veil à Besançon, avec Michel Jacquemin et Jean-Christophe Bas. À droite : André Bas aux côtés de Robert Schuman.

Page 8: L'Europe à la carte

12 13

AAprès la chute du mur de Berlin, une nouvelle carte d’Europe

Michael MeyerHistorien et correspondant en Europe pour le magazine Newsweek

À l’automne 1990, alors que j’occupais le poste de correspondant en chef de Newsweek de la zone qu’on appelait à l’époque « l’Europe de l’Est », je proposai à mes éditeurs, au lendemain de la chute du mur de Berlin, d’exploiter ce contexte historique et d’essayer d’imaginer les contours de l’Europe en l’an 2000. Il était alors évident pour nous, qui étions sur le terrain, que des changements fondamentaux étaient sur le point de se produire ; des changements encore plus cruciaux et spectaculaires que ceux auxquels nous avions assisté jusque-là.

Les courants politiques en Allemagne tendaient inévi-tablement vers une réunification. À l’Est, la seule question était de connaître avec quelle rapidité l’Empire soviétique s’effondrerait – et non si cela allait bel et bien se produi-re. À l’Ouest, les préparatifs pour la grande conférence de Maastricht allaient bon train, conférence qui allait poser les fondations d’une nouvelle Union européenne. Et lesquelles d’entre elles, parmi les démocraties issues de l’ancien bloc de l’Est, ne se presseraient pas à ses portes ? Enfin, au sud, dans ce qui constituait à l’époque la Yougoslavie, toutes les conditions d’une guerre étaient réunies.

Dans l’euphorie ambiante suscitée par la chute du communisme, peu d’Européens surent prédire ce qui allait arriver ; à l’exception faite – une fois de plus – de quelques correspondants qui observaient une petite poignée de voyous néonationalistes assoiffés de pouvoir, s’évertuant à faire naître un conflit dans lequel le monde serait bientôt plongé. De la même manière que la Terreur fit suite à l’euphorie de la Révolution française, Slobodan Milosevic et le charnier des Balkans succédèrent aux soulèvements de joie de 1989. Et c’est ainsi que Newsweek dessina sa carte d’Europe, dans l’édition spéciale datée du 26 novembre 1990. Était-ce une prophétie, d’avoir anticipé de si près la réalité, ou simplement un bon reportage ? Personnellement, je vois peu de différence. Ceux qui ne purent prédire ce qui allait se passer avaient, pour la plupart, choisi de fermer les yeux.

Newsweek, novembre 1990

Page 9: L'Europe à la carte

14 15

MUne carte de la réconciliation

Maria-Cristina NeculaÉcrivain

Mon père découvrit l’Europe en tentant d’échapper à son emprise à l’Est. Ingénieur expert en microprocesseurs et maître de conférences à l’université polytechnique de Bucarest, on l’autorisa, en janvier 1985, à traverser le rideau de fer afin de se rendre à un séminaire à Londres. Nourri de rêves d’évasion d’une Roumanie qui avait exploité ses ta-lents tout en l’écrasant pour le conformer aux règles du parti communiste, il posa le pied sur le sol britannique et passa à l’Ouest. Ne pouvant demander un visa pour les États-Unis depuis le Royaume-Uni, il se rendit à Vienne. Il évita sa-vamment les camps de réfugiés roumains – d’où les prêtres avaient « l’habitude » d’exercer les fonctions d’informateurs pour la Securitate (la police secrète roumaine) – et tenta de se fondre dans la vie viennoise, travaillant à temps partiel à l’université technique de Vienne tout en attendant son visa américain. Pour lui, Vienne devint alors une salle d’attente inhospitalière marquée par la solitude, la peur malgré la gentillesse occasionnelle de quelques connaissances, et le traitement absurde de quelques ambassades européennes qui rejetaient ses tentatives de demande de refuge dans les pays qu’elles représentaient, exigeant l’accord préalable de l’ambassade de Roumanie.

À l’est du rideau de fer, ma mère eut à subir une attente qui dura deux ans et demi ; une attente aussi tourmentée que ces nuits pendant lesquelles les habitants de Bucarest n’avaient ni eau ni électricité, particulièrement les femmes considérées par le régime comme épouses de traîtres. La sonnerie du téléphone devint le son de la terreur, telle une expérience visant à conditionner des rats par décharges électriques. Chaque semaine, le coup de téléphone redouté convoquait ma mère au quartier général de la Securitate, où on la faisait pénétrer dans une salle d’interrogatoire pour être confrontée à des jeux psychologiques de degrés variés. Cela allait de : « Ton mari t’a abandonnée, toi et ton enfant, car cet enfant n’est pas de lui : tu es une pute ! » en passant par « Il aura peut-être un accident de voiture » à « Nous savons que c’est un type bien ; nous lui pardonnerons s’il revient » ou encore « Vous êtes sûre qu’il va bien ? Il fait la manche sous

les ponts », « Il s’est trouvé une autre femme » : telles étaient les variantes sur les thèmes hebdomadaires que ma mère en-tendit une année durant, tout en rédigeant des déclarations pour répondre aux deux mêmes questions : « Comment s’est-il échappé ? », « Étiez-vous au courant de ses projets ? »

Calmant ses peurs du mieux qu’elle le pouvait, ma mère ne me fit jamais sentir ne serait-ce qu’un soupçon de ter-reur, tout en essayant de me préserver une vie joyeuse et en m’emmenant à l’opéra. Nous nous sommes assises dans les fauteuils de l’opéra de Bucarest, le 15 mai 1985, et M. Mozart apaisa nos âmes. Cette représentation de Le Nozze di Figaro constitua le premier pas vers un monde magique qui devint une réalité alternative nécessaire et agréable, tandis que nous attendions de retrouver mon père qui, après neuf mois d’attente à Vienne, débarqua enfin à New York.

Plus de cinquante interrogatoires et de cent repré-sentations à l’opéra plus tard, la lettre arriva. C’était une lettre signée par quarante-quatre membres du Congrès des États-Unis demandant notre libération, et adressée personnellement à Ceaucescu – le dernier effort décisif de mon père qui nous permit de nous défaire des griffes du régime. La lettre nous permit, ma mère et moi, de quitter la Roumanie et d’entrer aux États-Unis, où nous pûmes com-mencer une nouvelle vie, loin de l’Europe, mais nos racines étaient toujours très ancrées là-bas. Pour ma mère et mon père, cela voulait dire tout reprendre à zéro à l’âge respectif de 45 et 47 ans, en laissant derrière eux une vie de restriction et la vision d’une Europe divisée au sein de laquelle l’Est se languissait d’accéder au niveau de vie de l’Ouest et à une diversité de choix.

La route menant mes parents à leur épanouissement personnel et professionnel fut celle qui contourna l’Ancien Continent pour frayer de nouveaux chemins au travers de la géographie d’une culture et d’un paysage étrangers. Aujourd’hui, leurs pas résonnent, par leurs nombreux voyages, sur l’ensemble de la carte d’Europe ; des voyages qui sont autant d’explorations à la découverte de l’Europe que de périples menant à la réconciliation avec le passé.

15

Page 10: L'Europe à la carte

16 17

On pensait que le jour où il n’y aurait plus de haineentre les deux blocs, le monde serait paradisiaque.Force est de constater que ce n’est pas le cas.Mais il y a un mieux : la construction européenne.Même si, malheureusement, elle ne se fait que parl’économie pour l’instant. L’Europe devrait se construire par la culture,par l’éducation. Le monde ne peut aller de l’avant que par l’éducation et la culture.”Constantin Costa-Gavras

Ci-contre : Gérard Fromanger, « Point de vue sur l’Europe ». Dessin, bambou et encre de chine, Sienne, mars 1984.

Page 11: L'Europe à la carte

18

DDans ma jeunesse, il y avait deux Europe. Il y avait la nôtre, la pauvre Europe de l’Est, et l’autre, l’Ouest, qui brillait de mille feux. La plupart des jeunes, en Hongrie, tout comme moi, ne connaissaient pas l’Ouest. Nous autres, les habitants des « casernes les plus joyeuses » à l’Est, avions deux passe-ports : avec le passeport rouge, nous pouvions voyager dans les pays de l’Est, chez nos camarades, quand nous le souhai-tions. Avec l’autre, le passeport bleu, nous pouvions voyager à l’Ouest, dans la plupart des pays du monde d’ailleurs, mais nous ne pouvions recevoir qu’un seul visa de sortie tous les trois ans. C’était le meilleur arrangement trouvé avec le bloc de l’Est. Dans la République démocratique allemande d’Honecker, seuls les retraités étaient autorisés à voyager à l’Ouest.

Je me souviens encore de mes premières vacances à l’Ouest en 1979, j’avais 17 ans. J’avais fait du stop pour aller chez mon cousin, un transfuge originaire de Hongrie communiste qui avait acquis par la suite la nationalité allemande. Nous avons voyagé ensemble de l’Allemagne de l’Ouest à l’Espagne. Pour effectuer le trajet, j’avais besoin d’un visa d’Allemagne de l’Ouest, d’un visa français et d’un visa espagnol. En Espagne, nous nous sommes beaucoup disputés sur la manière dont nous voulions passer nos va-cances. La petite amie de mon cousin, une Allemande qui avait une bonne vingtaine d’années, voulait rester s’amuser sur la plage au soleil. Moi, de mon côté, je voulais courir de ville en ville, de musée en musée, car je voulais tout voir de

l’Espagne, je n’avais que deux semaines, et que je n’aurais pas l’occasion de revenir à l’Ouest d’ici avant les trois pro-chaines années.

Les changements engendrés en Hongrie par la transition du communisme à la démocratie ont été lents et graduels ; il n’y eut pas, selon moi, de moment cathartique. Toutefois, il y eut des moments cathartiques qui me mirent les larmes aux yeux, comme la chute du mur de Berlin ou encore l’effon-drement du régime de Ceaucescu, le plus odieux dictateur d’Europe de l’Est.

Lors de mon premier voyage aux États-Unis, j’ai réali-sé qu’il existe bel et bien une « Européenité ». J’ai réalisé que les Portugais et les Hongrois, les Polonais et les Néerlandais ont davantage en commun de ce que les Européens ont avec les Américains. Nous, les Européens – par rapport aux Américains –, semblons avoir un plus grand sens de la respon-sabilité sociale. Nous avons également davantage tendance à penser que telle ou telle chose tient du devoir de l’État. Mais j’ai aussi pu me rendre compte que nous, Américains et Européens, avions plus de choses en commun qu’avec le reste du monde. Nous aimons la réflexion scientifique et ce que nous nous plaisons à appeler le « développement ».

Aujourd’hui, les jeunes ne se souviennent même pas de l’Allemagne de l’Est et de l’Ouest ; ils ne savent pas ce qu’était le rideau de fer ; et ils peuvent voyager en Espagne sans visa ni passeport. Environ quatre cent mille de mes compatriotes travaillent dans les vieux pays de l’Union européenne, c’est-à-dire l’Europe de l’Ouest.

La majeure partie de la finance et de l’industrie hon-groise est entre les mains de l’Europe de l’Ouest. À présent, l’Europe ne fait plus qu’une, même si d’anciennes divisions est-ouest persistent dans une moindre mesure. Nous, à l’Est, sommes les employés ; eux à l’Ouest, les employeurs. Nous – les pauvres – sommes les dépensiers irresponsables, tandis qu’eux sont les sages financiers, nourris de l’éthique protestante.

La crise économique a bouleversé l’Europe tout entière et le continent ne sera jamais plus le même. Toutefois, vu de l’Est, l’Ouest demeure le foyer de la normalité qui nous manque tant.

Mon Europe

Andras LöckeRédacteur en chef adjoint du journal hongrois Nepszabadsag Zrt.

À droite : Michal Batory, illustration de l’article « Europe, continent neuf », Le Monde du 29 avril 2004.

Page 12: L'Europe à la carte

20 21

ASoutenir et acclamer l’Europe

Ulf GartzkeDirecteur de la Fondation Hanns-Seidel à Washington

Ayant grandi en Allemagne de l’Ouest dans les années 1980, je me souviens très clairement d’avoir demandé à mes parents si je devais soutenir les athlètes d’Allemagne de l’Est et les acclamer pour les nombreuses médailles qu’ils avaient récoltées au cours des jeux Olympiques successifs. Bien que ni mon père ni ma mère n’eussent espoir que l’Allemagne ne se réunisse un jour, leur réponse fut univoque : « Oui, nous sommes un seul et même peuple. »

Enfant, la question de savoir qui soutenir durant les grands événements sportifs internationaux constitua certai-nement ma première interrogation sur la notion d’identité nationale. Le questionnement en lui-même était assez simple : « Qui fait partie de l’équipe, et n’en fait pas partie ? » Mais, bien évidemment, le questionnement avait été rendu bien plus compliqué par le fait que l’Allemagne était divisée en deux États antagonistes et hostiles depuis plus de quarante ans.

Aujourd’hui, à l’approche du 20e anniversaire de la chute du mur de Berlin, il est étonnant de voir combien l’Europe a évolué au cours des deux dernières décennies. La guerre

froide est finie, l’Allemagne est réunifiée, et le projet d’Union européenne a étendu avec succès la communauté de nations libres et démocratiques jusqu’à inclure de nombreux membres de l’ancien pacte de Varsovie. Dans le même temps, nous avons assisté à l’émergence d’une authentique identité européenne se manifestant en un attachement à des valeurs communes qui nous sont chères. Il est certain qu’en temps de crise, et de tourment économique en particulier, les États-nations demeurent aux commandes de l’ultime allégeance de la plupart des citoyens. Et il va de soi que, au cours des futurs jeux Olympiques et des événements sportifs internationaux, mes jeunes enfants soutiendront certainement les athlètes représentant l’Allemagne.

Toutefois, je dirai également à mes enfants, quand il s’agit de l’Europe : « Nous sommes un seul et même continent composé de différentes nations partageant une même his-toire, des valeurs communes et, enfin, une même destinée. » Il est important, pour nous tous, de soutenir et d’acclamer l’Europe.

Il y a aujourd’hui une nationalité européenne,comme il y avait, au temps d’Eschyle,de Sophocle et d’Euripide,une nationalité grecque.”Victor Hugo

1815, « Le gâteau des rois ». Satire sur le congrès de Vienne.

Alliances militaires pendant la guerre froide.

Page 13: L'Europe à la carte

22 23

QQue Zeus eût été attiré par Europe, la princesse de Tyr, sur la belle plage de Sidon, voilà qui doit ravir l’âme romanesque des Européens épris d’aventure et d’absolu : c’était la fille du roi Agénor et de Téléphassa, et son frère Cadmos remplissait la nature de ses pouvoirs enchanteurs.

Envoûté par sa beauté, Zeus l’enleva, métamorphosé en taureau blanc pour tromper la jalousie de sa femme Héra. Europe se retrouva en Crête, dormant, inconsciente, dans les bras du dieu amoureux.

De leur amour naîtront Minos, Rhadamante et Sarpédon : trois fils, mais aussi trois terres, trois royaumes. La fille d’Agénor n’a pas seulement emporté avec elle la tendresse et la fécondité des ses ancêtres, mais aussi leur génie et leurs inventions : l’alphabet, la monnaie et l’art de la navigation. Tout ce qui est nécessaire à l’esprit humain pour

penser et parler sous la lumière du logos, pour échanger avec art et intelligence, pour naviguer et explorer des terres mystérieuses ou inconnues.

Aujourd’hui, qui pourrait encore reprocher à Zeus le rapt de la belle Phénicienne qui donna à l’Europe son nom et ses racines spirituelles ? Personne, sinon une Europe qui oublie, dort et renie la vérité de la mémoire et ses légendaires origines orientales. Comme le monde tout entier, l’Europe vit une crise. Cette crise oppose l’Orient et l’Occident dans le sillage des cultures et des religions. Toutefois, ce que l’Europe ne peut oublier, c’est l’héritage de cette déesse : le secret du bonheur de ses fils et le remède à leurs inquiétudes : la raison pour sagesse, l’art subtil de maîtriser et dompter ses désirs, et enfin l’esprit d’ouverture, sans la cruauté, la luxure et la vanité des empires.

Le mythe Europe

Antoine AssafÉcrivain philosophe

L’enlèvement d’Europe par Liberale da Verona (1445-1528/1529).

Il y a Europe là où les influences de Rome sur l’administration, de la Grèce sur la pensée, du christianisme sur la vie interieure se font sentir toutes les trois…” Paul Valéry

Page 14: L'Europe à la carte

24 25

CComment se fait-il que les peuples d’Europe – patchwork de tribus et de territoires en marge de régions bien plus grandes – aient fini par développer une vision commune et par apporter une contribution si remarquable à l’humanité ?

Au fil des années, j’ai passé au crible plusieurs explications possibles, mais celle qui me semble être la plus convaincante est celle d’une vision du monde héritée des Grecs. Cette perception apparue il y a environ trois millénaires repose sur l’idée que la vie sur Terre est agréable, intéressante, méritant d’être étudiée, et que les dieux du ciel, quant à eux, ne devraient pas être pris trop au sérieux ; une vision qui tranche avec celle, plus ancienne, qui considère que la vie ici-bas est bien misérable et, en tous points, inférieure à celle plus parfaite menée au paradis divin tel qu’il était imaginé dans une dimension céleste.

De manière générale, c’est en épou-sant cette perception du monde nouvelle et audacieuse que les peuples d’Europe sont par-venus à se défaire d’une vision ancienne, corollaire, sapant le potentiel humain : l’image de populations crédu-les maintenues en rang par des dirigeants brutaux placés au sommet de leurs hiérarchies respectives, sous prétexte de leurs soi-disant liens de communication exclusifs avec les hautes sphères divines.

Ainsi, tel que je vois les choses, l’Europe s’emplit de l’oxygène qu’incarnait la perception géniale des Grecs et se l’appropria au fil des siècles, la diffusant jusqu’à ce qu’elle

devienne le point d’ancrage du monde s’opposant à la crédulité et à la règle de la brutalité : les deux grandes idées de la quête empirique et de la démocratie.

Mais des millénaires de guerres incessantes ne firent pas de ce marathon une promenade de santé. Pendant de

longues périodes, peu de coureurs restèrent dans la course, puis l’Europe dut se défaire de deux

types de combats qui la ralentissaient. D’une part, faire disparaître les vestiges de l’autre

perception du monde, provoquant des guerres insensées nourries par des re-vendications religieuses conflictuelles. Elle réalisa cela au travers d’une autre grande idée : la séparation de l’Église et de l’État. Plus encore, l’Europe dut met-tre un terme à son réel fléau : les guerres désespérées nourries par des revendica-

tions territoriales rivales.Puisque les trois premières grandes

idées ne suffirent pas à régler le problè-me, l’Europe supprima la notion même de

guerre en inventant une quatrième idée : celle de l’Europe – la première vraie union durable entre

États-nations au monde.Alors qu’aujourd’hui nous sommes confrontés aux limites

de la planète, devant trouver des façons nouvelles en vue de résoudre les problèmes mondiaux actuels, le temps est peut-être venu pour les peuples d’Europe de faire à nouveau œuvre d’imagination et de contribuer à une nouvelle vision du monde et à de nouvelles grandes idées qui soutiendront et guideront l’humanité au fil de ses trois prochains millénaires.

Le marathon d’Europe

Jean-François RischardAncien vice-président de la Banque mondiale pour l’Europe

Ci-contre : planisphère de Ptolémée, 1482.

Page 15: L'Europe à la carte

26

EL’Europe et le monde arabeLes complémentarités

Amr Mahmoud MoussaSecrétaire général de la Ligue des États arabes Ancien ministre égyptien des Affaires étrangères

Entre les rivages de l’Europe et du monde arabe s’étend la « Medi-terra-née », c’est-à-dire le milieu de la terre… Pendant des années, voguèrent sur ses vagues des bateaux remplis d’étudiants et des bateaux remplis de soldats ; des bateaux de fruits et des bateaux d’armes à feu ; ceux qui re-cherchent la connaissance et le pain ; et ceux qui cherchent la guerre et l’or. Ce flot fit naître une relation amoureuse et conflictuelle, ainsi qu’une symbiose infinie de couleurs, de création et de vivacité.

Situé au milieu de la mer alors la plus empruntée, le monde arabe avait toujours incarné un partenaire clef de l’Europe. Le traité signé entre Charlemagne, roi des Francs, et Haroun al-Rachid constitue le meilleur exemple pour comprendre ce partenariat. Ce traité donna naissance à des accords diplomatiques et commerciaux, si bien que, à la fin du Moyen Âge, des capitales commerciales émergèrent parmi lesquelles Gênes, Venise, Pise et Amalfi en Italie, Marseille en France ou Barcelone en Espagne, mais également une chaîne de ports prospères tels qu’Alexandrie, Beyrouth, Tunis, Tripoli et Istanbul. Ces villes servaient de ports de commerce et de transit entre l’Europe et l’Orient, mais constituaient également une destination finale pour les caravanes en provenance d’Afrique et d’Asie.

Le commerce constitua un facteur de rapprochement, mais il eut également un impact décisif sur la mobilité des peuples, la promotion des échanges culturels et en influen-çant la vie quotidienne. Par ailleurs, il fut le moteur d’une meilleure ouverture sur les autres cultures et permit un transfert technique, intellectuel et scientifique.

« Quand la science parlait arabe » était une métaphore utilisée jusqu’à la Renaissance, à l’époque où de grands pen-seurs tels que Gérard de Crémone et Roger Bacon parlaient arabe et où les écoles de médecine en Europe basaient leurs programmes sur les travaux d’Avicenne.

La science ainsi que l’acquisition et la transmission des lumières constituaient le projet des institutions arabes, qui avaient gagné le respect de l’Europe en cultivant non seu-lement les valeurs universelles telles que la tolérance et la justice – appelées aujourd’hui droits de l’homme –, mais en-core la réflexion scientifique et les principes de commerce, qui étaient alors des sujets d’admiration pour l’Europe. Ce ne fut pas par coïncidence que Hegel déclara des siècles après : « Cette science et cette connaissance ont été amenées en Occident par les Arabes. »

Basons notre travail d’aujourd’hui sur des traités comme ceux de Charlemagne et d’Haroun al-Rachid. Les origines de cette vision occidentale ancienne portée sur les

accomplissements et les valeurs arabes devraient renforcer notre dialogue aujourd’hui. Les Arabes et les Européens traversent une phase historique du dialogue interculturel, avec pour objectif la restauration d’une confiance mutuelle et la création d’un monde d’harmonie où la coexistence constitue la base de notre avenir commun.

27

LCharlemagne, le père de l’Europe moderne

J. Christer ElfversonConseiller diplomatique pour Concordia 21 et le Grupo Felipe IV

Lorsque, en 800 après Jésus-Christ, le soir de Noël, le Pape Léon III plaça sur la tête de Charles, roi des Francs, la couronne impériale, il ne put saisir la portée de son geste. Proclamé, par l’onction, premier empereur de l’Empire romain sacré, Charlemagne, comme il vint à être appelé, dissiperait les « âges sombres » qui étaient descendus sur l’Europe au cours de l’Empire romain d’Occident, qui prit fin en 476.

Des générations plus tard, Charlemagne serait reconnu à juste titre comme le père de l’Europe moderne, et ce à plus d’un titre. Exalté pour ses talents au front et admiré pour ses

aptitudes à mener et à inspirer son peuple, il marqua les mé-moires par sa capacité à faire tomber les frontières, à unir les pays, à améliorer l’éducation et à moderniser l’Église, cher-chant même à introduire une monnaie commune à l’ensemble de son royaume, réunissant ainsi tous les aspects et toutes les facettes de la renaissance spirituelle carolingienne.

Les objectifs de Charlemagne n’ont peut-être pas été tous pleinement accomplis, mais, lorsqu’en cette conjonc-ture éprouvante, certains hésitent encore à se lancer dans le projet européen commun, pensons à celui qui l’avait envi-sagé si clairement, il y a déjà 1 200 ans de cela.

Le califat en 750. Expansion du royaume des Francs.

Antonio Zatta, « Empire occidental carolingien », 1785.

Page 16: L'Europe à la carte

29

L’arbre de la civilisation

Son Altesse Royale, le prince Turki al-FaisalFondateur et administrateur de la King Faisal Foundation Ancien ambassadeur du royaume aux États-Unis

L’Europe constitue l’entrepôt et la chambre d’incubation de ce qui émane du Moyen-Orient. L’Europe incarnait, et incarne toujours, la banque dans laquelle le Moyen-Orient puisait et continue de puiser ses idées, sa technologie et son savoir-faire. Les Grecs, premier peuple européen de la culture, s’inspirèrent de la culture pharaonique, phénicienne et perse, héritage qu’ils transmirent ensuite à la culture romaine, qui la légua enfin, en retour, aux peu plades du Moyen-Orient. Ils tirèrent leur alphabet de Phénicie, et Euclide et Archimède, tout comme Socrate et Aristote, eurent pour maîtres l’Égyptien Imhotep, Hammourabi et Xerxès. De l’Anatolie à la Syrie, en passant par l’Arabie nabatéenne à l’Afrique du Nord, l’architecture et l’artisanat gréco-romains marquèrent le paysage.

Lorsque les Arabes musulmans supplantèrent les Empires byzantin et perse aux viie et viiie siècles, ils distil-lèrent la culture byzantino-perse au travers de la traduction des textes et érigèrent les éléments fondateurs de ce qui devint la Renaissance européenne depuis l’Andalousie, la Sicile, les Balkans et Venise. Ce fut Ibn Sina (Avicenne), Ibn Rushd (Averroès), Ibn al-Haytham et Al-Khwarazmi qui enseignèrent aux Européens la logique socratique et aristotélicienne, la médecine hippocratique et la géométrie euclidienne. Ils introduisirent en Europe les chiffres arabes,

y compris le concept du « zéro », l’algèbre et les logarithmes, mais également la dissection des cadavres, les lentilles de verre, les clepsydres, les astrolabes et la boussole, le papier et la poudre à canon, les soies chinoises et la porcelaine, le brocart et l’acier de Damas.

L’architecture arabo-musulmane, l’irrigation, les plantes et l’herbologie, les médicaments et la pharmacologie sont tous arrivés en Europe par la péninsule ibérique, les croi-sades et la Sicile normande. Les Ottomans, quant à eux, introduisirent en Europe le café et les chocolats, et le fez marocain devint à la mode à Vienne et à Cracovie, et ce durant tout le xviie siècle. Le pape Sylvestre II, qui introdui-sit les chiffres arabes en Europe, était surnommé le pape musulman. Thomas d’Aquin, Bacon, Galilée, Copernic et Descartes reçurent les enseignements des savants arabo-musulmans, et se fondèrent sur leurs travaux.

Aujourd’hui, la tendance s’est inversée. Les Arabes et les musulmans émigrent en Europe pour y trouver un emploi et un moyen de subsistance. Les étudiants en provenance de terres arabes et musulmanes recherchent la connaissance et le savoir-faire dans les universités européennes.

La science et la finance, la philosophie et la religion, sont l’objet d’un échange perpétuel. L’Europe et le monde arabe ont tissé un lien ombilical.

La langue de l’Europe,

c’est la traduction.” Umberto Eco

Ci-contre : Mohammed al-Idrisi, Tabula Rogeriana, carte du monde orientée sud-nord, 1154.

28

Page 17: L'Europe à la carte

30

31

Dans les écoles de par le monde, on enseigne aux étu-diants que l’Europe est un des cinq continents du monde et pourtant, l’Europe est probablement le seul qui ne soit pas un continent, mais une idée qui a évolué au cours de l’his-toire. Aujourd’hui peut-être plus que jamais, elle reste une idée – grandiose et potentiellement noble.

Pourtant, cette notion d’Europa est une réussite en soi, l’Europa ayant un passé fragmenté et particulièrement san-glant. En voyant l’unité de l’Europe aujourd’hui, il est difficile d’imaginer que, à un moment donné, l’Europe était composée d’une myriade de tribus, divisées par leur langue, leur culture et leur ethnicité. Plus tard, pendant les guerres coloniales, les pouvoirs européens ont continué de se battre. L’Europa a été le théâtre de la guerre de Cent Ans et le chaudron des deux guerres mondiales. Ainsi, il est inimaginable que l’Europe se soit transformée en ce qu’elle est aujourd’hui.

Toutefois, le débat sur l’expansion de l’Union europé-enne dénonce le fait que l’Europe n’est pas exclusivement la réussite d’un processus endogène et interne, mais la culmi-nation de faits historiques et ancestraux au cours desquels les emporiums européens se sont tournés vers l’extérieur pour élargir leur pouvoir, coloniser des peuples et s’enri-chir. L’Empire grec s’est tourné vers l’est pour atteindre les confins de la Perse, de l’Inde et de l’Afghanistan. L’Empire romain a regardé vers le sud et a subjugué l’Afrique du Nord. Les Espagnols et les Portugais sont allés vers l’ouest pour coloniser l’Amérique centrale et du Sud, et, dans un passé plus récent, les Empires français et britannique sont allés à

la conquête de l’Amérique du Nord, de l’Afrique et des ré-gions de l’Asie. Et ne l’oublions pas, les armées islamiques ont occupé l’Espagne et la moitié de la France, atteignant la ville de Poitiers au viiie siècle, et se sont presque emparées de Vienne au xviie siècle.

Ces conquêtes impériales et entreprises coloniales peuvent être considérées, à certains égards, comme ce que nous appelons, dans le langage courant, les précurseurs de la mondialisation.

L’introduction de la foi comme un critère d’adhésion à l’Union européenne a beaucoup choqué en Europe, habituée à la séparation de l’Église et de l’État. L’argument le plus convaincant à opposer à la volonté de la Turquie d’adhérer à l’Union européenne a peut-être été que, malgré sa petite enclave européenne, la Turquie fait partie du continent asiatique et, par conséquent, n’est pas « européenne ». Mais alors, comment peut-on expliquer sa participation pleine et entière depuis 1949 dans le Conseil de l’Europe ? Qu’est-ce que cela signifie pour le Kosovo, l’Albanie ou la Bosnie-Herzégovine ? Et que dirait-on des pays membres de l’Union européenne dans lesquels une majorité de la population est, ou peut devenir essentiellement athée ou agnostique ? Cesseraient-ils vraiment d’être européens ?

L’Europa devrait rester une déesse, fidèle à ses nobles idées d’unité et de progrès, plutôt que de succomber aux concepts étrangers à ses actes fondateurs. Si elle le fait, l’Eu-rope pourra être fière d’être le seul continent qui soit une grande idée, et pas simplement une plaque tectonique.

L’Europe : continent ou déesse ?

Ghida Fakhry-KhanePrésentatrice du journal télévisé de la chaîne Al-Jazeera

Sebastian Münster, « La reine Europe », 1570, Bâle.

Page 18: L'Europe à la carte

32 33

LL’Europe s’ennuie mais elle ne le sait pas. Ses citoyens vivent confortablement et longtemps. On leur a dit que le bonheur, c’était la satisfaction de leurs besoins et envies personnels, et que le projet européen était de réussir la construction de l’entité Europe. Mais l’individu, pour être heureux, a besoin d’un projet plus grand que lui-même, et l’Europe ne s’accomplira qu’en se projetant dans un ave-nir plus universel. De l’autre côté de la Méditerranée,

il y a un besoin d’Europe. Besoin politique, économique, culturel. De la Turquie au Maroc et de l’Égypte à la Palestine, les gouvernements et les sociétés trouvent que la pro messe d’Europe tarde à se réaliser. En attendant, les individus cherchent désespérément à y accéder. En répondant à cette attente, l’Europe ne sera pas seulement plus généreuse. Elle sera plus heureuse.

L’Europe s’ennuieUn besoin d’Europe de l’autre côté de la Méditerranée

Bassma KodmaniDirectrice de l’Initiative arabe de réforme

F. Bertin, « Les expéditions d’Hannibal à travers l’Espagne, la Gaulle, l’Italie, et l’Afrique ».

Quand, depuis Rabat ou Essaouira, nous regardons au nord, c’est d’abord sur vos rivages en Europe, nourris par des siècles de destinée commune, que nos regards se posent.

Nous, Marocains, nous le savons et nous sommes nom-breux à avoir intégré sans état d’âme cette dimension plurielle dans l’écriture et la lecture de notre histoire. Nous l’avons fait pour certains, par romantisme, pour d’autres, par réalisme, mais en aucun cas, nous n’avons été tentés par une identité fracturée, qui se serait forgée un peu lâchement, au gré des vicissitudes de l’instant.

Et pourtant, sommes-nous à ce point amnésiques pour avoir oublié que, pendant trois ou quatre millénaires, les mi-grations ont fait au nord comme au sud l’histoire, la richesse et l’unité de la Méditerranée ? Cette Méditerranée qui n’a jamais cessé d’attirer des peuples venus d’ailleurs.

Cette Méditerranée qui, grâce à la circulation des hommes et des valeurs, a constitué l’espace social, culturel et spirituel le plus fécond, le plus créatif et le plus audacieux de tous les temps.

Il en est d’ailleurs des hommes, comme du reste.Qui sait encore se souvenir que ces fruits d’or, oranges ou

citrons, identifiés à nos régions, sont des étrangers extrême-orientaux arrivés en Méditerranée par les Arabes.

L’eucalyptus, au nom bien grec, a pourtant un passeport australien et le cyprès est d’identité persane, comme la to-mate est péruvienne et le piment guyanais.

Pourtant, tout cela est devenu le paysage même de la Méditerranée.

Peut-on imaginer l’Andalousie sans oranges ou la Toscane sans cyprès ?

Si donc l’on dressait le catalogue des hommes de la Méditerranée, ceux nés sur ses rives ou ceux qui ont na-vigué sur ses eaux, puis tous les nouveaux venus qui tour à tour l’ont envahie, n’aurait-on pas la même impression qu’en dressant la liste de ses plantes et de ses fruits ?

Ce constat est heureusement celui du passé.Un passé certes récent, mais désormais sublimé par la

perspective historique de l’Union pour la Méditerranée. Une Union qui, pour la première fois dans les annales de l’his-toire contemporaine, nous propose un futur qui sera celui d’une destinée commune qui apportera la réponse la plus cohérente, la plus lucide et la plus réaliste aux défis poli-tiques, économiques et humains auxquels est confronté ce grand arc de nations et de peuples qui vont du détroit de Gibraltar aux confins du golfe Persique.

Chacun y trouvera son compte et l’Europe, chemin faisant, aura alors retrouvé son sud, pour proposer à la com-munauté des nations l’espace reconquis et réconcilié de tous les possibles et de toutes les richesses.

Pour que l’Europe retrouve son sud

André AzoulayConseiller du roi Mohammed VI Président de la fondation euro-méditarranéenne Anna Lindh

Barbary Map, « Comment les Barbares augurèrent des événements à venir », par Joe Lertola.

Page 19: L'Europe à la carte

34 35

Je suis convaincu que le plan Schuman constitue

le tournant décisif de l’histoire de l’Europe.”

Konrad Adenauer

La force de l’Europe est d’avoir su inventer, par le génie de Jean Monnet, des façons nouvelles d’unir les hommes. Or, l’un des enjeux clefs du xxie siècle sera de faire vivre en bonne intelligence un monde occidental inquiet et un monde arabo-musulman à la recherche d’une identité. L’Europe, par sa géographie, son histoire et sa culture, est l’espace politique le mieux placé pour favoriser le dialogue et la com-préhension mutuelle avec l’aire arabo-musulmane. Reste à imaginer des solutions à la mesure de la déclaration de Robert Schuman du 9 mai 1950 qui affirmait : « La paix mondiale ne saurait être sauvegardée sans des efforts créateurs à la me-sure des dangers qui la menacent. La contribution qu’une Europe organisée et vivante peut apporter à la civilisation est indispensable au maintien des relations pacifiques. » Le premier fruit de ces efforts créateurs fut l’établisse-ment de « solidarités de fait » fondées sur des intérêts mutuels. Il faut s’inspirer de ce glorieux exemple pour identifier des complémentarités et trouver un méca-nisme d’échange équilibré. L’Europe vieillit et a besoin d’immigrés. Le Maghreb est jeune, il commence à for-mer des diplômés en nombre et a un besoin urgent de cadres expérimentés pour transmettre leurs savoir-faire. Une CECA (Communauté européenne du charbon et de l’acier) migratoire permettrait de gérer en commun les

migrations, avec ouverture contrôlée des frontières pour les jeunes maghrébins diplômés, et l’expatriation nombreuse, financée et coordonnée de cadres européens, pour un trans-fert de technologies dans les administrations et les projets privés. Tout le monde serait concerné, y compris des seniors à la retraite ou en préretraite, ce serait une excellente oppor-tunité de poursuivre leur activité tout en formant de futurs jeunes talents.

L’idée peut paraître provocatrice au regard des craintes en Europe liées à l’immigration musulmane. Mais, à moyen terme, les Européens comprendront qu’ils ont plus d’affinités avec les Maghrébins – qu’ils côtoient depuis l’Antiquité – qu’avec par exemple l’Asie. Sur le modèle de la Commission européenne, une Haute Autorité des migrations euro-méditerranéenne (HAME) serait chargée de définir l’intérêt général commun des pays adhérents avec un pouvoir par conséquent supranational.

Jean Monnet disait : « Les propositions Schuman sont révolutionnaires ou elles ne sont rien. Leur principe fonda-mental est la délégation de souveraineté dans un domaine limité mais décisif. » Ce qui était vrai pour l’Europe hier est vrai pour l’Euro-Méditerranée aujourd’hui. Là réside peut-être l’identité de l’Europe, celle qu’en tout cas j’appelle de mes vœux : la capacité constante d’invention.

Pour une CECA migratoire

Hakim el-KarouiDirecteur chez Rothschild Banque, fondateur et président du Club du xxie siècle

JJe me souviens de ces jours où, jeune adolescent, je rê-vais de traverser les frontières pour vivre le rêve européen. C’est assez proche du rêve américain, que j’ai finalement compris à travers le phénomène de l’« Obamania ».

Le monde entrait dans une phase de changement, et je tannais mes parents afin qu’ils nous accordent la chance de réaliser le vrai rêve : partir voyager et vivre en Europe.

Ce rêve, en devenant réalité, nous a ouvert les yeux sur les nouveaux défis de ce monde : l’ouverture, la chance d’une vie meilleure, la démocratie, de nouvelles opportunités, ainsi que la possibilité de vivre le rêve américain en Europe.

Si nous traversons les frontières qui nous séparent du Nouveau Monde, cela signifie que nous sommes les penseurs de l’avenir aussi bien que des « acteurs du changement ». La question qui se pose aujourd’hui est la suivante : que vou-lons-nous changer ? Est-ce moi, que je veux changer ? Est-ce mon environnement ? L’Europe ? Le Maroc ?

Aujourd’hui, j’ai vécu pendant plus de vingt ans en Europe – aux Pays-Bas pour être précis –, et je me demande toujours si je peux trouver des réponses à ces questions. Si j’en crois les bruits qui ont couru ces derniers temps, je suis en mesure de me demander s’il existe un avenir et même s’il existe une société multiculturelle en Europe. Les perpé-tuelles remarques odieuses, l’incompréhension, les préjugés, mais aussi beaucoup d’ignorance, nous ont presque portés à croire que le mot « tolérance » serait effacé à jamais du dictionnaire Larousse.

Je ne me laisserai pas porter par le flot incessant d’allé-gations et de discussions futiles. Je considère – non, je suis convaincu – que la société multiculturelle, largement criti-quée en Europe, a un avenir. Comment puis-je en être si sûr ? La réponse est Makin et Nuhayla. Mes deux enfants sont nés aux Pays-Bas et parlent parfaitement néerlandais. Une si-tuation remarquable, et qui ne pourrait conduire quiconque à suspecter qu’ils puissent entretenir des liens avec un autre pays que celui où ils sont nés. Rien n’est moins vrai ! Des liens avec le Maroc, ils en ont très certainement. Le Maroc fait partie de leur vie de manière inhérente. Ils y vont chaque année en vacances et retrouvent avec la même joie leurs amis néerlandais à leur retour. Au Maroc, ils connaissent le monde de leurs parents et profitent de l’attention qu’ils reçoivent de la famille et des amis. Le monde, les coutumes et la culture que leurs parents ont portés dans leurs cœurs il y a tant d’années, sont restés ancrés en eux et ils ont conti-nué à en perpétuer les traditions dans leur pays d’accueil, les Pays-Bas.

Si je demande à mes enfants où ils se sentent le plus chez eux, je reçois la réponse que mes parents n’auraient jamais pu imaginer. Ils répondent vivement, clairement et sans hé-sitation : « Aux Pays-Bas. » Makin et Nuhayla se sentent chez eux, grâce aux Pays-Bas, et non pas malgré les Pays-Bas. Ils n’ont pas encore remarqué les accusations qui vont et viennent.

Quand je me remémore les effets du 11-Septembre, en regardant les enfants jouer, j’en oublie presque ce qui s’est passé après cette date fatidique. Des enfants issus de dif-férents groupes ethniques et religieux jouent et font leurs devoirs ensemble, et mangent tous des tartines de beurre de cacahuète pendant la récréation. Ils ne sont pas conscients de la violence. Apparemment, mes deux enfants n’ont pas vécu leurs origines comme une barrière les empêchant de se sentir chez eux dans un pays qui a montré des signes d’into-lérance au cours de ces dernières années. Ils n’ont toujours pas subi le contrecoup de toutes les stigmatisations qui ont eu lieu partout sur le globe. Ils sont parvenus à trouver un équilibre entre les Pays-Bas et le Maroc. Ils sont tous deux fiers de leur héritage néerlandais et marocain.

L’avenir de l’Europe est aussi compliqué que le mot « changement ». Le dialogue est une clef pour réaliser cette transformation. Les immigrés doivent encourager le dia-logue entre eux et engager les autres cultures à différents niveaux. Les gens changent, et Makin et Nuhayla sont le symbole de ce changement. Gardons bien à l’esprit que ces enfants grandissent à une période où le processus d’inté-gration est nettement mis à l’épreuve. C’est à ce moment le plus critique que la société européenne, pour la premiè-re fois, reconnaît à l’évidence que ces « fils d’immigrés » existent vraiment.

Je me réjouis de constater que, grâce à cette évolution, les immigrés eux-mêmes deviennent plus critiques que ja-mais. Nous devrions considérer cela comme un avantage, mais également comme une source de motivation supplé-mentaire pour l’éducation des nouvelles générations.

Nous devons mettre l’accent sur ces enfants, plutôt que de les négliger. Dans une vingtaine d’années, les jeunes d’aujourd’hui seront plus forts et, la plupart du temps, mieux représentés dans les différentes couches de la société euro-péenne. Ce n’est pas un rêve, mais une ambition. L’ambition ne connaît pas de frontière, alors il est de notre devoir de stimuler leurs ambitions et d’arrêter de perdre du temps à construire des frontières. Je crois en un changement positif et nous y arriverons, inch’Allah.

Les mettre en valeur plutôt que de les négliger

Ahmed LarouzFondateur de Bridgizz Ltd.

Un rêve d’Europe, 2005.

Page 20: L'Europe à la carte

36 37

LL’Europe représente une palette d’idées, de cultures, de parfums, de couleurs, de paysages, de religions et de langues, une mosaïque qui a été conçue par des centaines d’années d’interaction. Dans le passé colonial, les Européens lancèrent des vagues de conquête tout autour du globe. Mais il y a tou-tefois une autre vague, plus frappante, que nous perdons à l’esprit : les vagues des immigrés européens qui, comme tant d’autres aujourd’hui, sur d’autres continents, laissèrent der-rière eux leurs familles, leurs traditions et leur histoire dans l’espoir d’horizons meilleurs et d’un avenir plus radieux.

Mes ancêtres ont quitté l’Italie en bateau – comme plu-sieurs millions – pour rejoindre les légendaires pampas argentines. Nous avons grandi en nous considérant comme des « Européens qui vivent à l’étranger ». Mais était-ce vrai-ment notre cas ?

Notre identité européenne est ancrée dans l’Europe du passé, tandis que nos racines latino-américaines caracté-risent l’énergie chaotique du Nouveau Monde. Où sont nos attaches ? L’Europe est-elle prête à nous accepter à nouveau et à nous considérer comme un atout, ou nous perçoit-elle comme les pauvres cousins gênants, retournant vers leurs racines ? Jusqu’à quel point l’Europe intègre-t-elle ces immi-grés, ces « Européens de la vieille époque » avec à la main un aller simple pour, cette fois, « rentrer à la maison » ?

Des Européens qui rentrent à la maison ?

Ana Perona-FjeldstadDirectrice exécutive au centre européen Wergeland

Page 21: L'Europe à la carte

38 39

Pour des relations réciproquement bénéfiques Afrique-Europe

Ben TurokMembre du Parlement sud-africain Fondateur et éditeur du New Agenda, revue sud-africaine d’affaires sociales et économiques

EEn ce moment, l’Europe éveille en moi des sentiments très partagés.

Je suis né en Lettonie et, quand j’avais 7 ans, ma famille et moi avons quitté l’Europe et avons fui le fascisme pour partir vivre en Afrique du Sud. Auparavant, mon père avait fui l’Ukraine à cause de la terreur blanche des Cosaques. J’ai également vécu de nombreuses années au Royaume-Uni, une expérience qui m’a énormément enrichi. Mes trois fils y vivent toujours et y ont très bien réussi et prospéré : deux sont professeurs à l’université, et le troisième est un brillant homme d’affaires. L’Europe occupe donc une place élevée dans ma conscience. Mais suis-je fier de l’Europe ?

Franchement, non. Je suis africain à présent, et l’Europe paraît tellement peu obligeante à l’égard de notre continent. Il y existe un esprit de mesquinerie sur des sujets comme l’aide au développement, le commerce et l’ensemble des pro-blèmes économiques qui divisent tellement notre monde… Il est vrai qu’il y a beaucoup de gens de qualité en Europe,

et tant et tant d’organisations généreuses et guidées par un esprit civique ! Mais il manque aux chefs d’État euro-péens la générosité d’esprit et la vision des premiers jours, de personnes comme Willy Brandt. Cette vision étroite des intérêts européens est perceptible sur les questions d’immi-gration. Je comprends bien que des pays veuillent préserver leur identité, leur langue, etc. Mais les Européens se sont installés en grand nombre dans certains pays africains, en ont bénéficié considérablement, et souvent encore, mais ils n’acceptent pas le mouvement inverse. Cela exige des solu-tions consensuelles et non une régulation étroite.

Cette étroite et égoïste vision apparaît également dans les discussions sur le terrorisme, le changement climatique et une foule d’autres problèmes mondiaux. Où est passée la volonté de promouvoir le multilatéralisme et la résolution conjointe des problèmes ? L’Europe fait preuve de bien trop de népotisme et de belles postures. Nous ne pouvons pas construire un monde meilleur ainsi.

Qui dois-je appeler si je veux appeler l’Europe ?” Henry Kissinger

Tayo Fatunla, « L’Afrique disparaissant de la carte des préoccupations mondiale ».

Page 22: L'Europe à la carte

40 41

LL’Europe en tant que réalisation politico-économique est à mes yeux le reflet des miracles que permet d’accom-plir la volonté quand elle s’efforce de dépasser les conflits multiples qui opposent les communautés ou les nations. Austerlitz, Waterloo, Trafalgar, Sarajevo, Stalingrad, Berlin, la Marne, le Rhin… sont des noms qui ont résonné dans le monde comme l’écho des inimitiés héréditaires ir-réductibles entre des peuples que la raison a conduits, depuis cinq décennies, sur le chemin de la construction européenne. L’Europe nous apparaît, dès lors, comme une victoire du meilleur de l’homme sur ses pulsions destructrices. L’Europe, c’est un merveilleux parcours qui a vu se dé-composer et se recomposer des ensembles humains avec toujours pour ligne de mire l’harmonie finale dans laquelle se dissolvent les rancœurs du passé. L’Europe, c’est l’aboli-tion des frontières et l’association des différences en vue du bien-être et du progrès communs. En dépassant les motifs de discorde et en prenant le parti du rassemblement et de l’union, les nations européennes sont parvenues à constituer une puissance planétaire qu’aucun État ne pouvait plus pré-tendre devenir seul. En rivalisant avec les pôles de puissance asiatique et américain, l’Union des Européens nous montre la voie à suivre. Elle nous enseigne que les querelles de clo-cher et la haine de l’autre ne provoquent que destruction et stagnation, alors que la mise en commun des potentialités accroît la force commune.

À ce titre, l’Europe, ce merveilleux édifice, nous offre un miroir où nous pouvons lire à la fois l’image de nos propres turpitudes et l’espoir d’un futur radieux. Pour un Africain, l’Europe est une sorte de Terre promise, le modèle d’une possible rédemption. Si, à partir du duo franco-allemand qui n’allait pas de soi, les bases de la nouvelle concorde se sont agrandies progressivement grâce à une communauté économique qui atteint aujourd’hui son plein accomplis-sement par l’intégration généreuse et salutaire de près de trente États, pourquoi l’Afrique ne pourrait-elle pas aboutir elle aussi à l’union ? L’exemplaire Europe ne peut que sti-muler notre propre désir de transformer nos discordes en accords. Ce qu’elle a pu réaliser en surmontant ses divergences, l’Afrique pourrait l’accomplir à son tour, pour peu qu’elle s’astreigne à la même discipline. Je rêve d’une Communauté eurafricaine vers laquelle l’histoire, la géographie et la culture nous font obligation de porter nos regards. L’Europe est notre horizon et l’Afrique unie devrait avoir avec elle des relations privilégiées.

Si, demain, l’Afrique voit à son tour le jour, je songe à ce futur, que j’espère proche, où les ponts seront jetés par-dessus le détroit de Gibraltar pour arrimer à nouveau ensemble l’Europe et l’Afrique, ces deux continents que tout rapproche et qui sont nés pour vivre en symbiose.

L’Europe, miroir et horizon

Charles Konan BannyAncien Premier ministre de Côte-d’Ivoire, économiste

Faire l’Europe, c’est faire la paix.”Jean Monnet

Carte humoristique de l’Europe, 1915.

Page 23: L'Europe à la carte

42 43

Un point de vue africain

Norbert MaoGouverneur de la région de Gulu en Ouganda

Je suis né en Ouganda en 1967. La guerre froide faisait rage depuis plus de vingt ans. Dans les écoles primaires, les ouvrages les plus populaires étaient Africa learns about Europe et Europe learns about Africa. C’étaient des récits d’explorations, d’aventures et de mésaventures.

Ces ouvrages parlaient des conquérants, des mission-naires et des impérialistes européens. Un événement en particulier laissa sur l’Afrique une marque européenne in-délébile. En 1884, les puissances européennes se réunirent à Berlin pour se partager l’Afrique. L’Allemagne, la Grande-Bretagne, le Portugal, la France et l’Italie étaient les principaux acteurs. L’Europe ne s’était pas encore débarrassée de son passé féodal. Du fait de mariages internes au sein des clans dominants, la communication était simple, et les concessions faciles à effectuer. La plupart des concessions négociées entre les grandes puissances d’Europe consistaient à pas-ser de l’argent de la poche gauche à la poche droite. Les transactions se faisaient au sein des grandes familles impé-riales européennes. Voyez comment la frontière séparant le Kenya de la Tanzanie fut décidée. On donna à l’Allemagne le Tanganyika (plus tard connu sous le nom de Tanzanie) et le Kenya fut cédé à la Grande-Bretagne. Toutefois, les acteurs du partage en Allemagne et en Grande-Bretagne étaient des parents. Au Kenya, se trouvait le mont Kenya. Mais les cousins allemands de la maison britannique impériale vou-lurent eux aussi une montagne. Pour avoir le Kilimandjaro, ils durent conclure un accord afin que la frontière entre le Kenya et la Tanzanie emprunte un chemin sinueux vers le nord, laissant ainsi la montagne dans le territoire allemand. La frontière resta même lorsque les Allemands furent re-poussés de Tanzanie après la Première Guerre mondiale.

Mais l’Europe légua également au monde la culture de la révolution. De la Révolution française à la révolution de

velours marquant la fin de la guerre froide, en passant par la révolution russe, l’Europe n’eut jamais peur de passer d’un extrême à l’autre.

Plus tôt, l’Europe s’était embarquée dans la plus am-bitieuse entreprise coloniale, avec pour but de modeler le monde entier à son image. Des personnalités littéraires telles que Rudyard Kipling, le poète cher au cœur des im-périalistes, considéraient la mission de civiliser le monde comme la destinée manifeste de l’Europe. Kipling immorta-lisa ce point de vue dans son célèbre poème « Le fardeau de l’homme blanc ». L’Europe cédant à son appétit impérialiste, les langues européennes se sont répandues de par le monde, laissant une empreinte indélébile sur les cultures aliénées. Et même aujourd’hui, l’Europe revendique des territoires éloignés. Il n’est pas étonnant que, dans les années 1980, la Grande-Bretagne soit entrée en guerre contre l’Argentine pour les îles Malouines.

Enfin, les ambitions de l’Europe allèrent jusqu’à re-dessiner la carte d’Europe. La phase d’industrialisation massive contribua à unifier le continent et à établir les fondations de l’Union européenne. Cette avancée tech-nologique facilita les transports et la communication : un réseau routier et ferroviaire bien agencé constitua un moteur décisif pour l’unité de l’Europe. La plus récente initiative fut la construction du tunnel sous la Manche, re-liant les îles Britanniques au continent européen. Des pays qui autrefois se faisaient face derrière des barricades for-tifiées vivent à présent en paix côte à côte, et prospèrent en semble. Malgré de nombreux reculs, de changements de cap et de doutes, l’Europe a su prouver son succès. Le temps des guerres de conquête est révolu. Les préoccupa-tions de l’Europe sont à présent centrées sur le commerce et la sécurité commune.

Deux grandes drogues européennes, l’alcool et le christianisme.” Friedrich Nietzsche

Ci-contre : Plantu, illustration pour l’article « L’Afrique pauvre se presse aux portes de l’Europe », Le Monde du 8 octobre 2005.

Page 24: L'Europe à la carte

44 45

E

A

Enfant, ma vision de l’Europe était celle d’une Europe partagée entre rêve et réalité. Je vivais derrière le rideau de fer. Les pays situés derrière ce rideau semblaient être des pays de contes de fées où planaient les douces senteurs eni-vrantes des parfums de Nina Ricci et du chocolat Toblerone – les rares produits occidentaux qui parvenaient occasion-nellement jusqu’à la Roumanie. J’ai vécu avec une idée de l’Europe tel un mythe façonné par ma fascination pour la mythologie grecque. Son image, sous les traits d’une femme magnifique aimée et kidnappée par Zeus, donnait une touche d’émerveillement à l’idée que je me faisais de la vie là-bas.

Mais l’idée de l’Europe en tant que continent et globa-lité s’est présentée à moi alors que je m’en trouvais à des milliers de kilomètres, lorsque je suis arrivée aux États-Unis avec mes parents. À 12 ans, j’ai finalement appris ce qu’était le rideau de fer et à 14, collée sur CNN, je regardais le ri-deau s’effondrer et produire un « effet domino » dans toute l’Europe orientale. Après l’université, j’ai vécu un an en Roumanie : une Roumanie sans rideau de fer, aux yeux écar-quillés, désorientée. Puis au cours de séjours successifs, je l’ai vue se rapprocher de l’intégration à l’Union européenne, avec timidité et parfois maladresse.

Mes voyages suivants m’emmenèrent dans les contrées magiques dont j’avais rêvé enfant, celles de cette magnifique Europe aimée de Zeus. Au cours des vingt ans qui séparent la révolution de la Roumanie d’aujourd’hui, j’ai observé ce personnage mythique étendant les bras de part et d’autre du vibrant fossé laissé par le rideau de fer, embrassant les ma-nifestations de son évolution dans toute sa partie orientale.

Quand la Roumanie fut finalement acceptée dans son sein, j’ai réalisé ce que l’Europe avait avant tout symbolisé à mes yeux durant toutes ces années : l’espoir.

Du conte de fées à l’espoir

Maria-Cristina NeculaÉcrivain

La mystique de l’Europe

Katherine MarshallSenior fellow at Georgetown’s Berkley Center for Religion, Peace and World Affairs

Aimer son pays natal semble être un aspect de la condi-tion humaine. Cet attachement a d’autant plus de sens aujourd’hui, alors que chaque jour nous nous déplaçons, nous bougeons, nous décollons et atterrissons à un nou-vel endroit, aux quatre coins de la Terre ; chaque peuple et chaque culture devient un nouveau terrain de découverte. Se défaire des attaches liées à notre identité et à notre lieu de naissance peut être libérateur et positif. Mais il existe une saveur particulière et persistante que l’on trouve dans cet amour du « chez-soi » européen, ancré dans un espace phy-sique qui respire tout entier la culture et l’histoire.

Nous sommes tous saisis d’une profonde et vibrante émotion à savourer la beauté de la Seine au soleil couchant, avec ses péniches intemporelles passant sous les ponts ; à se promener dans les rues de Rome où le passé et le présent s’entremêlent ; à s’arrêter dans un village suisse où la verte fraîcheur des vignobles contraste avec les sommets s’élevant vers le ciel tandis que les clarines carillonnent paisiblement en une lointaine musique ; ou encore à vibrer dans l’énergie des rues trépidantes de Londres où les cabines de téléphone

rouges et les taxis noirs semblent demeurer des icônes intemporelles.

Ces dimensions de l’Europe nous appartiennent à nous tous. Mais pour les Européens, l’amour de l’Europe dépasse la majesté sophistiquée du lieu et sa signification dans la destinée. Et ce lien d’amour du « chez-soi » semble persister. Une mystique européenne bien à elle engage et lie ensemble, dans un rapport inextricable, lieu et culture. Si Dieu a créé la Terre avec soin et affection en en façonnant chaque courbe et chaque couleur, alors on peu Le suspecter de s’être at-tardé avec émotion un peu trop longtemps en Europe pour y créer une beauté éternelle tout en contraste.

L’Europe est avant tout un espace physique, et cet espace semble lié à un peuple ; tout comme un lieu est lié à son his -toire, l’Europe a l’indéfinissable magie des différentes cultures qui l’ont façonnée. La manière dont identité et lieu, ou encore culture et destinée, sont liés est nettement en mutation. Mais il existe un attachement tout particulier, ainsi qu’un amour du lieu, qui semble constituer un élément durable et faire de l’Eu-rope ce qu’elle est, tout en la rendant différente et inimitable.

Sebastian Münster, « La reine Europe », 1570, Bâle.

Si on vit en Europe… les choses changent… mais la continuité ne semble jamais se rompre… il n’est pas nécessaire de se débarrasser du passé.”Nadine Gordimer

Page 25: L'Europe à la carte

46

47

ALa quête commune de l’Europe

Michael AdamsPrésident de l’université Fairleigh Dickinson Président élu de l’Association internationale des présidents d’université

À l’université Fairleigh Dickinson, nous préparons nos étudiants à devenir des citoyens du monde capables de saisir les opportunités et les dangers d’une vie dans un monde toujours plus interconnecté, et en mesure de collaborer avec des partenaires originaires d’autres pays et issus d’autres cultures. Toutefois, les sceptiques clament que les liens nationaux supplantent toute autre considération et que nous vivrons à jamais dans un monde divisé entre « eux » et « nous ». Je leur dis qu’il y a de l’espoir. Je leur dis qu’il existe déjà un endroit où des rivalités nationales farouches ont été réduites, où des manifestations de citoyenneté plus ouvertes apparaissent, et où une génération grandit en parvenant à créer un confortable équilibre entre racines nationales et engagements supranationaux. Cet endroit, c’est l’Europe.

La formation de l’Union européenne est le fruit d’un développement rare et magique dans l’histoire de l’humanité. Des rivaux acharnés qui s’étaient encore très récemment entre-déchirés se sont engagés à s’unir afin de servir leurs intérêts communs. Tandis que l’Union européenne grandissait et évoluait, des droits et des devoirs spécifiques

se sont développés et ont supplanté les intérêts nationaux individuels. Dans le même temps, des traditions culturelles continuent à se perpétrer, prouvant ainsi que l’intégration ne mène pas à la destruction des identités et cultures locales.

Le sens du compromis et de la coopération à la base de l’Union européenne constitue une promesse à l’égard de ceux qui cherchent à s’unir pour vaincre les problèmes qui frappent l’ensemble des hommes. De la même manière que des considérations politiques et économiques ont pu être à la source d’alliances entre les nations, aujourd’hui les défis mondiaux et les crises poussent notre réflexion au-delà des frontières de nos nations, et nous conduisent à prendre en compte la planète entière. Et bien que nous n’ayons ni le besoin ni le désir de créer de manière formelle une union planétaire, nous avons, de toute évidence, besoin d’une conscience mondiale commune. Pour atteindre ce but, l’Union européenne nous offre, par son exemple d’unité, une source d’inspiration. Elle œuvre également à la construction d’un pont érigé vers un avenir où les citoyens du monde pourront s’allier ensemble dans leur quête commune pour la sécurité, la liberté et la justice.

Les nations d’Europe doivent être guidées vers le super-État sans que leurs peuples se rendent compte de ce qui se passe. Cela peut être accompli par des pas successifs semblant avoir des buts économiques, mais qui conduiront irréversiblement et finalement à une fédération.”Jean Monnet

Carta del Cantino, charte de navigation pour les îles nouvellement découvertes dans les environs de l’Inde, 1502.

Page 26: L'Europe à la carte

48 49

La vieille Europe a un avenir radieux

Hubert JolyPrésident-directeur général de Carlson

En ce siècle de mondialisation et d’intégration, l’Europe bénéficie d’une situation idéale pour jouer un rôle de lea-dership au sein de ce nouveau monde multipolaire.

Il y eut beaucoup de discours à la fin du xxe siècle sur le déplacement du centre de gravité du monde, passant de l’Atlantique à l’océan Pacifique. Il se peut que ce raisonne-ment ait été motivé par l’émergence de l’Asie comme nouveau centre d’impulsion économique ainsi que par le taux de croissance élevé de la côte ouest des États-Unis. Cette théorie soutenait que cette évolution aurait pour effet de mettre l’Eu-rope sur la touche, et que le commerce et la communication se détourneraient de l’Europe. Mais… pas si vite.

L’Europe bénéficie d’un avantage unique, du fait de sa situation géographique. Dans une large mesure, il peut s’avérer plus facile de mener une organisation mondiale depuis l’Europe que de n’importe où ailleurs. Les vols pour l’Asie sont plus courts depuis l’Europe que depuis les États-Unis. Par exemple, il faut 9 heures pour se rendre à Delhi

depuis Paris, contre 15 heures depuis New York, et 20 de-puis Los Angeles. Un vol Paris-Singapour dure 13 heures, contre 15 en provenance de New York et 20 en provenance de Los Angeles. Alors que les horaires de bureau se re-coupent entre l’Europe et l’Asie mais aussi entre l’Europe et les États-Unis, ce n’est pas le cas entre les États-Unis et l’Asie (il y a un décalage de 12 heures entre New York et Singapour, et seulement 6 heures depuis l’Europe). Cette donnée offre de meilleures conditions de communication et de collaboration depuis, et avec l’Europe…

En outre, l’Europe donne aux Européens, et ce dès leur plus jeune âge, une idée de la diversité culturelle : un avan-tage pour ceux qui essaient de saisir et de gérer les subtilités propres à chaque peuple ainsi que les normes culturelles et les coutumes de ce monde multipolaire. Ainsi, Charles de Gaulle a certainement fait preuve de talents de prédicateur lorsqu’il déclara : « Ce n’est pas un chef d’État européen qui unira l’Europe. L’Europe sera unifiée par les Chinois. »

Le véritable voyage de découverte ne consistepas à chercher de nouveaux paysagesmais à avoir un regard neuf.”Marcel Proust

Ci-contre : temps de vol dans le monde.

Page 27: L'Europe à la carte

50 51

LL’Europe aux nouveauxparapets

Candido Mendes de AlmeidaSecrétaire général de l’Académie de la latinité

L’avance de l’histoire doit à l’Europe le saut des grands viols ; de la possession par les lumières, au grand large des absolus de la raison.

Lieu non pas des cartes mais des arcanes.De l’agora, comme des places de la Renaissance et de la

règle d’or du postnational, de « l’Europe des Six », de Jean Monnet, et ses compagnons.

Paradigme perdu, hélas, par les redonnés du continent revenu à son planisphère. La mort de la Constitution en avant, par les plébiscites peureux, canonise la « vieille Europe ».

La construction de l’Europe est un art.C’est l’art du possible.”

Jacques Chirac

Radu Ceuca, « Creative Europe », carte des communautés en ligne.

Page 28: L'Europe à la carte

52 53

HPar-delà les mers

Vartan GregorianPrésident de la société Carnegie, New York

Historiquement, l’Europe a été à l’avant-garde du pro-grès : songez à la Renaissance, à la révolution scientifique, au rationalisme et au siècle des lumières. Mais l’Europe a également été le berceau du nationalisme, du socialisme, du marxisme, de l’anarchisme, du fascisme, du nazisme et du communisme et a donné naissance à la guerre de Cent Ans, aux guerres napoléoniennes, aux deux guerres mondiales et à l’Holocauste. Autrement dit, elle a écrit les meilleurs, mais aussi quelques-uns des pires chapitres de l’histoire de l’humanité.

Aujourd’hui pourtant, l’Europe joue un rôle différent puisqu’elle offre une vision d’avenir au travers de l’Union européenne. Grâce à elle, d’anciens concurrents, voire d’an-ciens ennemis, vivent sur un continent qui, dans une large mesure, a aboli les frontières, et où les idées, les peuples et les cultures transcendent à la fois les bornes histo riques et les souvenirs d’anciennes divisions et animosités. Le continent sert aussi de pont entre l’Afrique, l’Asie et le

Nouveau Monde. Toutefois, certains auteurs comme Samuel Huntington, auteur du Choc des civilisations, sont restés an-crés dans une perception traditionnelle de l’Europe, en tant que civilisation occidentale, fondée non pas sur l’idée d’une entité géographique, mais sur celle d’une Europe culturelle excluant, par exemple, les Slaves et les Grecs orthodoxes de la civilisation européenne. Cette vision n’est guère récente. Au lendemain de l’effusion de haine et de destruction qui fit suite à la Première Guerre mondiale, nombre d’intellectuels et d’historiens remirent en doute l’appartenance de l’Alle-magne au cadre de l’Europe, qu’ils considéraient de façon prédominante catholique et anglo-saxonne au détriment de ses racines germaniques. On peut espérer que l’avènement de l’Union européenne proclamera l’intégration des Slaves et des Russes au sein d’une civilisation européenne dont la défi-nition aura été élargie, et ce dans le but de créer non pas une île, mais un pont encore renforcé aussi bien avec ses conti-nents voisins, que par-delà les mers.

L’Europe a été créée par l’histoireet l’Amérique par philosophie.”

Margaret Thatcher

Vladstudio, « Carte typographique du monde », 2008 (détail).

Page 29: L'Europe à la carte

54 55

Vers une CECA de solidarité de l’énergie avec la Russie

Tanguy de Wilde d’EstmaelPrésident du département des sciences politiques et sociales de l’université catholique de Louvain

AAprès la chute du mur de Berlin, les relations entre l’Union européenne et la Russie ont été élaborées par idéal et nécessité. L’arrimage progressif des pays d’Europe cen-trale et orientale à l’Union européenne devient alors un puissant stimulant à la coopération avec une Russie orphe-line de son empire. Un triptyque balise d’emblée les relations Union européenne-Russie : adhésion impossible (le rapport de force l’interdit), confrontation improbable (le retour de la guerre froide est un spectre évanescent), coopération néces-saire (la stabilité du continent induit la gestion concertée des défis issus de sa reconfiguration).

Mais sous les pavés des idéologies, resurgit la plage de la géopolitique. La question énergétique l’atteste. Le parte-nariat euro-russe s’y décline sous divers modes : sécurité d’approvisionnement, garantie des prix, souci environne-mental, sécurité dans le voisinage commun pour que les zones de transit ne soient pas des théâtres de contentieux. Ces aires correspondent précisément à des points de tension ré-cents (Biélorussie, Ukraine, Moldavie, Géorgie). La diffi culté vient du fait que les acteurs, surtout la Russie, envisagent

l’intervention dans ces zones comme un jeu à somme nulle. Or, il y aurait moyen de transformer la coopération en un jeu à somme positive. L’Union européenne devrait reconnaître que le poids de la Russie demeure plus grand que le sien dans cette région ; mais Moscou devrait cesser de percevoir l’action européenne comme concurrente.

Il est néanmoins un paradoxe : pour éviter que la Russie n’utilise la fourniture d’énergie comme une arme, l’Union européenne se trouve dans l’obligation de diversifier ses sources et ses fournisseurs. À l’heure actuelle, la dépen-dance commerciale de la Russie atténue cependant le risque en la matière. Mais cette dépendance devrait préci-sément inciter Moscou à diversifier à son tour ses clients et ses fournisseurs.

Est-il utopique de penser que l’Union européenne et la Russie pourraient, à l’instar de l’Allemagne et de la France jadis dans la CECA, développer demain une solidarité concrète sur les questions énergétiques ?

Assurément, ce serait un prélude à une communauté de sécurité continentale.

En novembre 1991, près d’un an après la chute de la dictature chez nous – entre-temps j’avais été élu député au Parlement albanais –, je voyageais pour la première fois en Grèce. Le Parlement européen organisait à Salonique une réunion à laquelle devaient participer des parlementaires de la région. J’étais accompagné de Donika, ma femme. À l’époque, elle avait 31 ans et c’était la première fois qu’elle se rendait en Grèce et, du même coup, à l’étranger.

Nous sommes arrivés à Salonique à la tombée du soir. Donika a voulu prendre un café avant d’aller découvrir la ville. Nous nous sommes installés dans le bar de notre hôtel. Le garçon, un homme trapu frisant la quarantaine, dont je n’oublierai jamais l’aspect, s’est approché à petits pas allègres et, l’air très amical, nous a demandé ce que nous désirions.– J’aimerais bien un café turc, a dit Donika.– Qu’avez-vous dit, madame ? a fait le garçon, les traits du visage déjà altérés.

Ma femme s’apprêtait à répéter sa demande, mais, de-vant le regard courroucé du garçon, les mots lui sont restés dans la gorge. Se tournant vers moi, elle m’a demandé en albanais si elle n’avait pas commis un impair.– Non, lui ai-je répondu, soucieux avant tout de la rassurer.

Moi non plus, je n’avais pas compris ce qui venait de se passer. Pourquoi le garçon s’était-il formalisé ? Donika n’avait plus envie de prendre un café.– Sortons, m’a-t-elle dit, allons ailleurs.

Le garçon a vu que nous nous étions levés, mais il n’a rien fait pour nous en dissuader. Il s’est contenté toutefois

de me demander dans quelle langue j’avais communiqué avec madame. Dès qu’il a appris que nous étions albanais, son visage s’est assombri à nouveau.– Vous ne devez pas venir nous provoquer chez nous, a-t-il dit, et il a esquissé un pas pour s’en aller.– Attendez, ai-je dit en haussant involontairement la voix.– Je ne vous permets pas de me provoquer, a-t-il insisté.Il était inutile de prolonger cette discussion. J’ai fait signe à ma femme de sortir. Je ne voyais pas pourquoi le garçon s’était fâché. J’avais l’impression que cet homme-là était tout simplement un peu fou.– Ici, on est en Grèce, a-t-il lancé dans notre dos, et on y boit du café grec ou du café express. Mettez-vous ça bien dans la tête : du café grec. Du café turc, buvez-en chez vous, si le cœur vous en dit.

Dehors, dans le bar le plus proche, Donika et moi avons commandé chacun un café grec, curieux de découvrir en quoi il était différent du café turc.

C’était tout à fait le même, comme goût et comme cou-leur, que celui que nous, en Albanie, avions toujours bu et continuions de boire sous le nom de café turc.

Timides comme nous étions, à une époque où nous ve-nions enfin de voir le bout du tunnel, ma femme et moi, nous n’avons pas osé demander à qui que ce soit en quoi nous nous étions mal conduits avec le garçon du bar de l’hôtel.

Plus tard, nous avons découvert avec étonnement que même des Européens ayant grandi dans la liberté recelaient de nombreux symptômes d’un mal hérité du passé.

Traduit de l’albanais par Edmond Tupja

Un café turc ou un café grec ?

Besnik MustafajÉcrivain, homme politique et diplomate albanais

Si une autre guerre doit éclater en Europe, cela viendra sûrement d’une broutille dans les Balkans.”Otto von Bismarck

Tibor Kajan, « Le nouveau rideau de fer ».

Page 30: L'Europe à la carte

56 57

Dans la savane du nouveau monde

Jean-Dominique GiulianiPrésident de la Fondation Robert Schuman

Le xxie siècle n’est pas la jungle.Plutôt la savane, avec ses prédateurs, mais aussi ses va-

riétés infinies d’animaux qui cohabitent avec l’homme, un peu perdu dans la belle immensité de ses paysages.

On y côtoie toutes les espèces.L’aigle américain rivalise avec les tigres asiatiques, la

vache indienne étonne et on la vénère, les chevaux latinos gambadent dans les espaces infinis. Les gazelles africaines pourraient bien étonner et prendre quelque revanche, les caribous du Grand Nord résister au réchauffement clima-tique ; on y trouve même un ours russe, peu à l’aise sous ce climat…

Et l’Europe ? À quoi l’identifier ?Elle est l’éléphant.Premier par son poids, le vieux continent produit le pre-

mier PIB du monde, est la première puissance commerciale, le premier investisseur, le premier marché de consommation.

Tout respire en lui la puissance tranquille sous son cuir tanné qui en a tant vu.

L’éléphant vit vieux. Très vieux.Il a une longue histoire et une prodigieuse mémoire, par-

fois peut-être un peu trop présente. Le passé ne doit jamais obscurcir l’avenir.

Mais il est sympathique. Éminemment. Il semble tou-jours sourire. Et, l’air de rien, il fait son chemin, attaqué par personne, dompté quelquefois, montré partout.

Il a des valeurs. Familiales. Il protège ses enfants et vit en société. Civilisé.

Il mange beaucoup. Parfois trop. Mais il n’est le préda-teur de personne d’autre que les maigres forêts que lui seul peut engloutir. Quel appétit !

Il aime son confort, ses territoires et n’imaginerait pas de ne pouvoir les revoir à sa fin.

Il abuse de l’eau, luxe suprême sous les chaudes lati-tudes… Mais c’est propre et c’est une habitude.

Ingénieux, résistant, immuable, solide, il ne séduit pas que par l’ivoire.

Il est là depuis toujours. Des siècles.Certes, s’il pouvait se muscler encore un peu, il courrait

plus vite… comme les grands fauves, tant enviés. Car un regard tendre n’est pas ce qu’on imagine d’abord dans la savane…

On le dit en voie de disparition. Mais depuis si longtemps…

Il est toujours là. Comme l’Union européenne est désor-mais indispensable au paysage du monde.

Il ne peut y avoir de monde sans Europe, comme il ne peut y avoir de savane sans éléphant.

Il lui manquerait l’essentiel : la mémoire du vent dans les branches du baobab ou celle du monde dans l’épopée de l’histoire.

Les frontières politiques sont nées d’une évolutionhistorique et ethnique respectable, d’un long effort d’unification nationale ; on ne saurait songerà les effacer. À d’autres époques, on les déplaçaitpar des conquêtes violentes ou par des mariages fructueux. Aujourd’hui, il suffira de les dévaluer.Nos frontières en Europe devront être de moins en moins une barrière dans l’échange des idées, des personnes et des biens.”Robert Schuman

Détail de l’illustration p.108-109 : l’illustration de la Grande Guerre en Europe. Ici l’Europe de l’Ouest.

Page 31: L'Europe à la carte

58 59

Le but de la séparation de l’État et de l’Église est de tenir pour toujours à distance de ces rivages les conflits ininterrompus qui ont trempé le sol de l’Europe dans le sang pendant des siècles

L

L’Europe moderne et son union

Bekir KarlıgaProfesseur, docteur Conseiller auprès du Premier ministre à Istanbul Président du comité de coordination turc de l’Alliance des civilisations

L’Europe moderne dépasse le simple espace géogra-phique. C’est une expérience, une histoire, et un patrimoine culturel. Ce dernier n’est pas le fruit d’une seule société, na-tion, région, langue ou religion. Il s’est constitué et développé durant des siècles, à partir des apports de nombreuses po-pulations provenant de différents espaces géographiques et parlant diverses langues. C’est pourquoi il est, d’une certaine manière, chinois, indien, égyptien, mésopotamien et même américain. De la même façon, il est également chrétien, juif, musulman, voire athée. Si toutes ces cultures n’avaient pu se développer, la culture européenne serait-elle celle qu’elle est aujourd’hui ? Toutefois, elle a très habilement intériorisé les patrimoines des autres cultures ; c’est même devenu une de ses composantes. Ainsi, ses valeurs ont gagné un caractère universel. Quand elle a tenté d’imposer avec violence ses va-leurs à d’autres sociétés, elle n’a guère obtenu de résultats

satisfaisants. Mais lorsque ces valeurs ont été présentées librement comme modèle, elles ont été très sollicitées.

Au cours de son histoire, elle a su trouver le juste milieu entre les extrêmes. Se débarrassant des idéologies, elle a eu le courage de regarder à travers différentes perspectives et a pu alors réaliser de grandes réussites, ouvrant la voie à l’humanité. En revanche, quand elle a été en proie à l’obscu-rantisme – en particulier religieux et idéologique –, elle n’a pu éviter de tomber à la merci d’un vandalisme destructeur. L’Europe de l’avenir doit désormais éviter ces impasses et avancer dans la voix de la raison. Sans égoïsme ni brutalité, elle doit désirer et atteindre ces objectifs, non pas simple-ment pour elle, mais pour l’humanité entière.

Voilà ce que j’attends de l’Europe, et c’est pourquoi j’œuvre avec ardeur pour que mon pays prenne place au sein de l’Union européenne.

Le but de la séparation de l’État et de l’Église est de tenir pour toujours à distance de ces rivages les conflits ininterrompus qui ont trempé le sol de l’Europe dans le sang pendant des siècles.”James Madison (4e président américain)

Ci-contre : carte caricaturale.

Page 32: L'Europe à la carte

60 61

LHarmonie politique et diversité culturelle

Angela Mariana FreyreVice-présidente senior, directrice générale adjointe et conseillère juridique pour les affaires stratégiques, Company Nielsen

L’Union européenne représente la forme d’organisa-tion politique la plus sophistiquée jamais développée par l’homme, compte tenu de sa capacité à unir ensemble diffé-rentes cultures, différentes idéologies et différents groupes. Dans un même temps, elle permet aux différences de s’épa-nouir tout en assurant la promotion des intérêts communs partagés entre les pays à travers l’intégration politique, économique et sociale. Voilà mon opinion, l’opinion d’une citoyenne du monde née à Cuba, qui a étudié et travaillé en France pendant de nombreuses années, et qui, à présent, vit et travaille aux États-Unis.

La question de l’intégration de la Turquie illustre parfaitement les aspects les plus positifs de l’Union européenne. La Turquie est européenne et fait partie de l’histoire de l’Europe depuis des millénaires, et y a joué un rôle majeur sur un plan commercial et politique, contribuant à la façonner. Si Venise constitue le point où l’Europe se termine et où l’Asie commence, à Istanbul commence l’Asie et se termine l’Europe. Quiconque connaît un peu l’histoire et

les magnifiques ruines du quadrant sud-ouest de la Turquie sait que la Turquie, c’est l’Europe.

Le fait que la Turquie soit musulmane est une des raisons d’être de cet argument.

L’islam a fait partie intégrante de l’Europe et de son his-toire, et ce depuis sa naissance. Les Maures régnèrent sur l’Espagne et le sud de la France jusqu’au xve siècle, ce qui revient à dire, au regard de l’histoire de l’Europe, jusqu’à hier. On dit d’ailleurs que quiconque a des ancêtres origi-naires de la péninsule Ibérique est un tiers arabe, un tiers juif et un tiers chrétien. Nier ces ascendances revient à nier l’histoire. Cela reviendrait à nier la présence historique et culturelle des juifs en Europe. L’Union européenne, en mon-trant qu’elle peut harmoniser ces différences, n’en ressortira que plus forte.

Voyageuse et citoyenne du monde, rien ne m’est plus cher que l’harmonie politique et la diversité culturelle. Cela constitue la raison d’être de l’Union européenne ainsi que sa force.

Ci-dessus : Burki, « La Turquie, ça passe pas », illustration pour le journal 24 heures, Lausanne.

EFable européenne

Jean-Paul BaillyPrésident du groupe La Poste

Europe, racontait-on, était la fille d’un roi de Phénicie, éblouissante de beauté et d’esprit. Zeus, le souverain des dieux, en devint amoureux dès qu’il la vit : il prit la forme d’un magnifique taureau, s’approcha d’elle ; l’amour la saisit, elle s’installa sur sa croupe, il l’emporta de l’autre côté de la mer ; ils eurent une belle postérité et son nom s’étendit, progressivement sans doute, de la péninsule balkanique à l’extrémité occidentale du continent asiatique.

Méditer sur des fables anciennes éclaire souvent – même si c’est un jeu – un peu du présent, voire de l’avenir. La belle Europe et son aventure sont des symboles de bon augure. C’est aussi un rappel : Europe est venue de l’autre rive de la Méditerranée. L’Europe a beaucoup reçu de ces rivages, elle a beaucoup échangé (les hommes, les outils, les produits, les idées…) – avec l’ensemble du monde aussi. L’intensité de ces mouvements, leur extension, leur variété caractérisent l’Eu-rope : ils ont rythmé son histoire, façonné sa personnalité. L’organisation de ces relations sur ses territoires, vers le sud et partout ailleurs, sont des défis du futur. Les Européens, instruits par leur passé, le voudraient établi de façon durable sur le respect mutuel, la réciprocité, la solidarité, l’équité… Dans le mythe, la confiance a prolongé les coups de foudre, mais des poètes moins idéalistes ont depuis longtemps fait observer qu’après tout l’Europe avait été enlevée et que cela a entraîné ressentiments et guerres, une violence qui

pourrait représenter celle des conflits armés que l’Europe a parfois menés au paroxysme de l’horreur, des impérialismes, des dominations coloniales ou des aveuglements ethnocen-triques… Toutefois l’histoire, avec du temps, de la lucidité et la résolution des hommes, peut aussi se construire avec optimisme et humanisme.

Longtemps avant que les peuples d’Europe prennent conscience de leur identité et de leurs intérêts communs

et décident de leur donner une réalité, fut fondée, en 1874, l’Union postale univer selle. C’était au lendemain d’une guerre – et au surlendemain de pas mal d’autres. C’était une initiative européenne, mais également une institution mondiale. Elle ouvrait à tous l’exercice d’un droit, celui de recevoir et d’expédier son courrier, et de correspondre li-brement pour un prix abordable, une trentaine d’années après que les premiers timbres-poste – autre initiative euro-péenne – ont rendu plus aisés de tels échanges.

Aujourd’hui, les peuples européens ont, au cours de plus d’un demi-siècle d’union et de communauté, appris à vivre ensemble, à s’écouter et à rechercher – à négocier – des règles et des politiques qui les réunissent. Il leur reste à poursuivre dans cette voie, qui peut être exemplaire, à donner corps à des volontés communes et à placer leur union dans un monde multipolaire.

Page 33: L'Europe à la carte

62 63

Le pari de la génération Erasmus

Adriano FaranoCofondateur de cafebabel.com

Une nouvelle génération est née, fille de la mobilité étu-diante, de la monnaie unique et des vols low-cost. C’est la première qui vit vraiment l’Europe, au quotidien. Pour elle, le but de la construction européenne n’est pas de ramener, enfin, la paix sur le Vieux Continent. Ce but – noble et ô com-bien difficile – a été atteint par les pères fondateurs.

Pour nous, les enfants d’Erasmus, le rôle de l’Europe est d’élargir les horizons de ses citoyens. D’offrir à tous de plus grandes possibilités de vie, de travail, de business, de voyage, de découverte et – pourquoi pas ? – d’amour. Lorsqu’il s’approprie une nouvelle ville, ses bars et ses lieux de vie, qu’il sent frémir une nouvelle langue sur ses lèvres, découvre d’autres façons d’étudier ou se laisse emporter par un amour pas si étranger que cela, l’étudiant Erasmus éprouve un extraordinaire sentiment de liberté.

C’est cette magie d’Erasmus, merveilleusement décrite dans le film de Cédric Klapisch, L’Auberge espagnole, qui nous a assaillis à l’automne 2000 quand, avec un groupe d’étudiants originaires de douze pays européens, nous avons fondé cafebabel.com, le premier magazine européen d’actualité entièrement traduit en six langues. Pour faire face aux énormes défis du xxie siècle, nos sociétés nationales ont besoin d’une bouffée d’air frais, de s’ouvrir les unes aux autres, de se parler ; mais au fur et à mesure qu’elle acquiert des nouvelles compétences, l’Union européenne souffre d’un terrible déficit démocratique qui l’éloigne de ses citoyens. Aussi devient-il urgent de créer une opinion publique européenne, avec ses débats, ses agitateurs d’idées, ses médias multilingues. Voilà notre travail quotidien : repor-tages exclusifs, interviews uniques, tribunes et blogs qui ouvrent le débat.

La génération Erasmus est la première à pouvoir réussir ce pari. Car elle « pense et parle » européen, contrairement aux leaders des différents pays qui multiplient les plans de relance nationaux, s’affrontent sur des questions de poli-tique étrangère, et agissent « comme si » le partage de la souveraineté (monnaie, frontière, législation…) n’était pas déjà une réalité.

L’Europe politique ne se construira pas ainsi. Elle se fera avec la création d’un espace public transnational. C’est à ce défi que notre magazine répond depuis huit ans avec la méthode du journalisme collaboratif. Ces points de vue transnationaux sont riches de perspectives multi culturelles auxquelles réagissent mensuellement 300 000 internautes. Grâce à la génération Erasmus, une opinion publique euro-péenne est en train de naître. Il faut l’écouter.

Il faut, dans nos temps modernes,

avoir l’esprit européen.”Germaine de Staël

Fred Rose, « La pêche en eaux troubles », 1899.

Page 34: L'Europe à la carte

64 65

A

ADes mots pour dire l’Europe

Jorge SampaioPrésident de la République portugaise de 1996 à 2006 Haut représentant des Nations unies pour l’Alliance des civilisations

Une identité plus cohérente et visible

Viviane RedingMembre de la Commission européenne, chargée de la Société de l’information et des médias

Au début, la paix servait de mobile à la construction européenne, à laquelle se sont naturellement ajoutées la prospérité et la démocratie. Aujourd’hui, après plus d’un demi-siècle de construction européenne, pour éviter qu’elle ne devienne une coquille vide, l’Europe a besoin d’un sup-plément d’âme. Autrement dit, il faut rétablir la confiance des citoyens à l’égard du projet européen, les ramener à la cause européenne, leur donner des raisons de faire leur la maison Europe. Comment dès lors regagner cette confiance perdue ?

Tout d’abord, en misant sur une obligation de résultat. Et là, l’Europe des projets a un rôle à jouer. Nous réussi-rons à rétablir la confiance dans le projet européen si nous commençons à résoudre les problèmes qui touchent les Européens, si nous sommes capables d’aller à la rencontre de leurs attentes, si nous parvenons à effacer leurs craintes, leurs doutes et leur sentiment d’insécurité. Il importe, donc, de miser sur ce désir d’Europe émanant des citoyens pour relancer la construction européenne, d’autant plus que les États, dans la plupart des cas, ne sont déjà plus en mesure de répondre adéquatement, au niveau strictement national, à la pression de la mondialisation et aux changements opérés par l’ère de l’information.

Aussi il y a aujourd’hui un nouveau cap à franchir, celui d’une Europe véritablement politique et sociale, concentrée sur les problèmes de l’emploi, de la recherche et de l’inno-vation, de la sécurité, de l’énergie et de l’immigration – pour ne donner que quelques exemples. Nous avons besoin de politiques européennes capables de répondre aux nouveaux défis de la mondialisation de l’économie et de créer entre les partenaires européens des nouvelles solidarités, sans les-quelles nous pourrions entrer dans une longue période de stagnation, où la seule alternative serait la résurgence de na-tionalismes inappropriés, de protectionnismes de tous bords, avec les tensions et les conflits qui leur sont inhérents.

Je suis convaincu que les valeurs européennes – la liberté et les droits de l’homme, notre modèle de démocratie, de so-ciété et de développement, basé sur le pluralisme, le respect de la diversité et une économie sociale de marché, ainsi que le rôle que nous attribuons au multilatéralisme sur la scène internationale – sont des armes indéfectibles qui nous per-mettront de resserrer davantage nos liens de solidarité et de tenir bon face aux défis que nous avons à relever.

Avec ses racines historiques complexes et sa diversité linguistique, l’Europe constitue un exemple unique d’inté-gration pacifique et volontaire de sociétés multinationales, multiethniques, pluralistes et ouvertes sur le monde. Notre force repose dans notre reconnaissance mutuelle de cette diversité et dans le besoin qui en a résulté de continuer à œuvrer à la construction d’un avenir mutuel, fondé sur nos valeurs et notre héritage commun. Ce projet européen reste vivant aujourd’hui, comme il l’a toujours été.

Cinquante ans après l’établissement de la Communauté européenne, et vingt ans après la chute du communisme et le lancement d’un grand projet visant à réunir l’Est et l’Ouest de l’Europe, notre Union est plus grande et plus forte en interne.

Cela nous permet de projeter une identité plus cohérente et plus visible à l’extérieur. Le quasi-doublement du nombre de pays membres a augmenté notre poids dans le monde et ren-force l’impact de nos politiques, y compris celle dont je suis responsable : la Société de l’information et des médias.

Dans le monde numérique dans lequel nous sommes, Internet et les médias constituent des moteurs du déve-loppement, et les connexions Internet à haut débit sont aussi importantes que l’était le chemin de fer au xixe siè-cle. Mon but est de contribuer à l’émergence d’une société de l’information ouverte à tous, grâce à laquelle les tech-nologies sont au service des populations. Je suis fière des réalisations de l’Europe.

Le Portugal, le plus court chemin entre l’Europe et l’Afrique. Publicité de la Portugal Society à Lisbonne.

John Yunker, « Codes des pays du monde » (détail).

Page 35: L'Europe à la carte

66 67

Un nouveau pacte européen

Hywel Ceri JonesAncien haut fonctionnaire européen Concepteur du programme Erasmus Directeur du Réseau des fondations européennes

LLe programme Erasmus s’est emparé de l’imaginaire du public et s’impose à présent clairement comme l’une des ini-tiatives les plus réussies de l’Union européenne. Il est né en 1976, et constituait l’un des vingt-deux points du programme d’action pour l’éducation. Ce programme préfigurait l’émer-gence d’une stratégie d’apprentissage tout au long de la vie, et a été établi à l’échelle de l’Europe entière. Sur le principe, tous les pays membres se sont engagés à y participer, mais, en pratique, cet engagement demeure insuffisant.

Avec la perspective morose d’une importante croissance du chômage et de l’exclusion sociale – qui risque encore une fois de hanter nos communautés –, naît un besoin de transformer cet engagement en un principe placé au cœur de la stratégie économique et sociale de l’Union européen-ne. L’agenda de Lisbonne, croulant sous son propre poids, n’est pas parvenu jusqu’ici à donner de l’ampleur à cet engagement.

Placer l’investissement dans le capital humain au centre de notre agenda politique nécessite l’adoption d’un nouveau pacte européen entre les autorités publiques et les parte-naires sociaux. Or, ces dernières années, les aspirations rhétoriques n’ont pas manqué. Les employeurs ont la res-ponsabilité spécifique de devoir jouer leur rôle de manière constructive. Sans un ambitieux bond en avant soutenu par un large cadre légal et financier de la part de l’Union euro-péenne – d’une échelle comparable aux programmes de recherche de l’Union européenne et à Erasmus –, les décla-rations et les aspirations rhétoriques des gouvernements ne parviendront pas à relever les défis auxquels nous sommes confrontés à l’heure actuelle.

Vai

nc

re u

n a

dve

rsai

re, c

e n

’est

pas

le b

attre n

i oc

cuper so

n territo

ire,

c’e

st fai

re d

ispar

aître le

s obst

acle

s qui l’e

mpêchent d’ê

tre v

otre a

llié.”

Jean

de

Pan

ge

Ci-contre : carte satirique de l’Europe, 1914.

Page 36: L'Europe à la carte

68 69

L’enseignement au monde réel

Heleen TerwijnPsychologue et fondatrice de l’École du week-end IMC

Demandez aux Américains ce qu’est l’Europe, et beau-coup répondront : « L’histoire. » Demandez aux Européens ce qu’est l’Europe, et beaucoup répondront : « Bruxelles. » Cela semble étrange : comme si la bureaucratie aveuglait l’Europe. Pourtant, ce n’est pas le cas. La culture européenne échappe à toute tentative de définition. Cela constitue un atout majeur, mais encore faut-il engager nos élèves dans la bonne voie.

Les écoliers européens apprennent que Platon était grec, Descartes, français, et Goethe, allemand. Bien que des épisodes de l’histoire s’entremêlent et que des modèles européens émergent, on n’enseigne pas explicitement aux étudiants les « valeurs européennes », et encore moins la no-tion d’« identité européenne ». Ils apprennent à lier l’histoire à leur société et, s’ils ont de la chance, à leur propre vie.

Le grand problème de l’Europe,

c’est comment forgerune mémoire historiquecommune.”Daniel Cohn-Bendit

L’euro constituant en pratique le seul symbole européen, il n’existe pas grand-chose pour encourager la création d’une identité européenne. Personne ne soutient une équipe de football européenne (d’ailleurs il n’en existe pas) ou ne jure allégeance au drapeau européen. Les confins de l’Eu-rope restent flous, marqués par l’histoire et la diversité culturelle, et « Bruxelles ».

Est-ce une menace pour l’Europe ? Non. Cela consti-tue davantage une chance. Les Européens sont déjà bien conscients qu’il existe d’autres cultures que la leur. Les élèves apprennent combien les racines de leur société sont tortueuses, ils apprennent à vivre côte à côte avec les autres cultures européennes, et beaucoup d’entre eux parlent plus de deux langues, notamment les immigrés.

La prochaine étape serait de cultiver et d’entretenir chez nos étudiants une capacité déjà existante de comparaison

culturelle et de tolérance, mais en ne les figeant pas dans une « identité européenne » forcée, qui, au contraire, y nuirait. Nous devrions sensibiliser nos étudiants aux problèmes d’actualité tels que la migration, la diversité religieuse, le changement climatique et l’injustice sociale. C’est précisément en découvrant le monde, qu’ils découvriront à quel point ils sont « européens ». Comme le dévoile mon expérience avec l’École du week-end, une fois l’enseignement organisé autour de ce principe, les enfants développent une volonté d’apprendre. Et, comme le dit Sajjaad, un ancien élève : « À l’École du week-end, j’ai appris à oser réfléchir. »

L’idée d’une « identité européenne unique » ne fait pas partie de nos enseignements. En encourageant nos élèves à penser le monde, nous embrassons le meilleur de la tradition européenne, notamment celle de l’échange et de la tolérance.

David Cerny, Exposition Entropa, Bruxelles, 2009.

Page 37: L'Europe à la carte

70

71

T

L’éducation pourla compréhensionet le dialogue

Bård Vegar SolhjellMinistre de l’Éducation et de la Recherche nationale, Norvège

Tout enfant naît avec un esprit ouvert et ne connaît pas, dès l’origine, le concept de préjugé.

Les systèmes d’éducation jouent un rôle majeur dans l’éducation des jeunes hommes et des jeunes femmes qui sauront respecter les opinions de chacun ainsi que la diver-sité des milieux sociaux et ethniques.

Le rôle des enseignants occupe de même une place cru-ciale dans la démarche de transmission des valeurs. Être enseignant dans une classe multiculturelle est une responsa-bilité exigeante, qui demande une formation spécifique.

Par conséquent, la Norvège, avec la coopération du Conseil de l’Europe, a décidé de créer un centre international dont la mission sera, entre autres, d’offrir aux enseignants des formations dans les domaines du dialogue intercultu-rel, des droits de l’homme et de la démocratie. Le centre, situé à Oslo, porte le nom d’un auteur : le Centre européen Wergeland. Nos enfants ont besoin d’apprendre à donner de la valeur à la diversité et à considérer les différences comme un atout. Le fait de les aider à comprendre que nous sommes tous égaux les encouragera à éviter les conflits et à mettre, à l’avenir, un frein à la violence.

Ci-contre : Walter Emanuel, 1914 : « Oyez, oyez ! les chiens aboient ! »

Page 38: L'Europe à la carte

72 73

Les enjeux énergétiques de la Communauté euro-méditerranéenne

Michel DerdevetDirecteur de la communication et des affaires publiques RTE (Réseau de transport et d’électricité)

2001 : vingt-huit pays européens vivent électriquement ensemble, en temps réel, interconnectés et partageant le même « tempo » (50 Hz).

Facteur historique de solidarité et de complémentarité des moyens de production, cette interconnexion va de la péninsule balkanique au Maghreb : grâce à un câble sous-marin posé dès 1996 sous le détroit de Gibraltar, le Maroc, l’Algérie et la Tunisie font déjà partie intégrante de l’Europe électrique.

L’horizon des prochains mois, quelques années au plus, est d’aller de la frontière libyenne à Istanbul, et de construire les 8 000 kilomètres permettant de finaliser la « boucle élec-trique méditerranéenne ».

Ce projet global est emblématique des défis et des enjeux d’un partenariat renouvelé entre le nord et le sud de l’espace euro-méditerranéen.

L’urgence est là. Neuf millions de Méditerranéens du sud n’ont pas encore accès à l’électricité. À l’horizon 2020, la

demande énergétique dans la région devrait être satisfaite à 83 % par des énergies carbonées, avec une part croissante du gaz naturel, sans permettre pour autant une réduction des besoins en pétrole et en charbon.

En signant le traité instituant la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA), six pays européens ont construit un espace de paix et de développement économique fondé sur l’énergie.

Près de soixante ans plus tard, l’heure est venue d’une Communauté de l’énergie euro-méditerranéenne (CEEM), permettant à la fois de contribuer à la sécurité de l’approvision-nement énergétique de la région, d’attirer les investissements et de privilégier un modèle de développement durable. Une telle initiative redonnerait une perspective concrète et dyna-mique au formidable « carrefour de civilisations » qu’est la Méditerranée, et serait le symbole d’une coopération réussie entre pays riverains de la Mare nostrum.

L

Une Europe dynamique et juste

Job CohenMaire d’Amsterdam

Agir pour ce rêve

Monica FrassoniDéputée européenne Coprésidente du groupe des Verts au Parlement européen

Il y a quatre cents ans, en 1609, un ressortissant anglais qui travaillait alors pour la Compagnie des Indes, Henry Hudson, prit la mer depuis Amsterdam à la recherche d’une route navale reliant les Indes par le nord-ouest. L’endroit où il accosta (l’île de Manna-hata, l’actuel Manhattan) et la ri-vière qui porte aujourd’hui son nom furent revendiqués par les Hollandais, qui y établirent un comptoir de fourrures baptisé New Amsterdam.

En 1664, les Britanniques conquirent les territoires hollan-dais d’Amérique du Nord et les rebaptisèrent « New York ». Lors de la cession, le maire hollandais alors en fonction, Peter Stuyvesant, parvint à négocier la garantie des libertés

hollandaises alors en vigueur, parmi lesquelles figuraient la liberté religieuse et la liberté d’expression, qui demeurèrent en usage sous le régime britannique.

Ces libertés furent préservées et incluses dans la Constitution des États-Unis d’Amérique. Mais elles repré-sentent aussi le fondement même de la Constitution hollandaise, assurant ainsi la persistance de la réputation d’une Amsterdam libre, tolérante et multiculturelle accueillant, au sein d’un continent multiculturel, des citoyens originaires de plus de 170 pays, coopérant étroitement entre eux tout en échangeant librement au cœur d’une Europe dynamique et juste.

L’Europe a toujours été, pour moi, à la fois un rêve, une réalité et un instrument pour réaliser un monde meilleur.

C’est pour cela que je suis émue quand j’entends l’hymne européen, que je me sers des procédures européennes les plus techniques et les moins romantiques, et je travaille avec acharnement pour faire en sorte qu’une Union européenne

ouverte et démocratique devienne le vrai moteur de la ré-volution verte qui seule pourra nous conduire hors de cette crise, à la fois écologique, économique et sociale.

J’aime pouvoir rêver, et en même temps agir pour ce rêve qui n’est pas un but en soi, un bel idéal inutile, mais une condition nécessaire pour changer le monde.

Boucle électrique méditerranéenne.

Pour comprendre l’Europe,il faut être un génie – ou être français.”Madeleine Albright

Page 39: L'Europe à la carte

74 75

L’Europe contemporaine, une expérience pionnière

Amin MaaloufRomancier et journaliste

De mon point de vue, l’expérience de l’Europe contem-poraine indique, pour l’humanité entière, le chemin à suivre : mettre peu à peu derrière soi les haines accumulées, les que-relles territoriales, les rivalités séculaires ; laisser les filles et les fils de ceux qui s’étaient entre-tués se tenir par la main et concevoir l’avenir ensemble ; se préoccuper d’organiser une vie commune, pour six nations, puis pour neuf, douze ou quinze, puis pour une trentaine ; transcender la diversité des cultures sans jamais chercher à l’abolir, pour que naisse un jour, à partir des nombreuses patries ethniques, une patrie éthique.

Tout au long de l’histoire, chaque fois qu’une voix s’éle-vait pour dire que les différentes nations de la planète devraient se réconcilier, se rapprocher les unes des autres, gérer solidairement leur espace commun, envisager l’ave-nir ensemble, elle a été immanquablement taxée de naïveté pour avoir osé prôner pareilles utopies. L’Union européenne nous offre justement l’exemple d’une utopie qui se réalise. Elle constitue, de ce fait, une expérience pionnière, une préfiguration plausible de ce que pourrait être demain une humanité réconciliée, et la preuve que les visions les plus ambitieuses ne sont pas forcément naïves.

Cela dit, l’entreprise n’est pas sans failles. Tous ceux qui y participent expriment parfois des doutes. J’éprouve moi-même, à son endroit, certaines impatiences. Je voudrais que

l’Europe donne l’exemple de la coexistence, aussi bien entre ses peuples fondateurs qu’à l’égard des immigrés qu’elle accueille ; je voudrais qu’elle se préoccupe bien plus de sa di-mension culturelle, qu’elle organise bien mieux sa diversité linguistique ; je voudrais qu’elle résiste à la tentation d’être un « club » des nations chrétiennes, blanches et riches, et qu’elle ose se concevoir comme un modèle pour l’ensem-ble des hommes ; et je voudrais aussi qu’elle ose bâtir, sur le plan institutionnel, une seule entité démocratique, un équi-valent européen des États-Unis d’Amérique, avec des États dotés d’une plus grande spécificité culturelle et qui se pré-occuperaient de la défendre et de la promouvoir, mais avec des dirigeants fédéraux élus le même jour sur l’ensemble du continent, et dont l’autorité soit reconnue par tous ; oui, je m’inquiète des frilosités que je perçois, et de certaines myo-pies morales.

Mais ces réserves que je formule ne diminuent en rien ma foi en la valeur exemplaire du « laboratoire » que repré-sente la construction européenne à l’étape cruciale où se trouve l’humanité.

Texte sélectionné par l’auteur pour L’Europe à la carte, ex-trait du livre Le Dérèglement du monde, publié chez Grasset en 2009.

Des frontières sculptées par les migrants

William Lacy SwingDirecteur général de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM)

L« La connaissance de la géographie a évolué d’est en ouest et du sud vers le nord, selon le mouvement du soleil, des voyageurs et de leurs caravanes. L’histoire du voyage et l’histoire de la cartographie sont entremêlées de manière inextricable », a ob-servé Predrag Matvejevitch1.

Tel le roulement des vagues dessinant des lignes de sable sur la rive, les migrants ont sculpté les contours des cartes d’Europe. Les limes d’Afrique du Nord furent redessinés dans la Méditerranée latine lorsque 80 000 hommes, femmes et enfants des tribus asdingues, silingues, vandales et alans traversèrent les colonnes d’Hercule de l’Espagne à l’Afrique du Nord en 429, pour ensuite s’emparer des régions productrices de grain de la Tunisie actuelle. De même, la transformation politique contemporaine de l’Europe doit beaucoup à la migration.

C’est ensuite le fourmillement libre et tumultueux d’hommes traversant les frontières en 1989 – d’abord la frontière hongroise, puis la brèche creusée dans le mur – qui déclencha d’impensables mutations sociales et politiques. Pendant la seule année de 1989, 1,2 million de gens passèrent des anciens pays du pacte de Varsovie à l’Ouest… et l’ancienne carte d’Europe fut décrochée des murs dans les salles de classe.

Cela montre que les migrations internatio-nales ont été, et demeurent jusqu’à aujourd’hui, une caractéristique inhérente à la race humaine. Dans un monde globalisé de bientôt 7 milliards d’habitants, nous avons fini par reconnaître que la mobilité démographique est devenue une ques-tion politique et sociale centrale, partie intégrante de cette révolution qui refonde aujourd’hui l’en s emble de l’Europe et du monde.

1. Predrag Matvejevitch, Bréviaire méditerranéen, Paris, Fayard, 1992.

Plantu, Cité nationale de l’histoire de l’Immigration, Paris.

Page 40: L'Europe à la carte

76

JUne duplicité coupable

Xavier GodinotDélégué du Mouvement international ATD Quart Monde pour la région océan Indien

Je rêve d’une Europe réconciliée, humble défenseur des droits de l’homme, qui ferait sienne l’affirmation récemment gravée à l’entrée du Conseil économique et social français : « Considérer les progrès de la société à l’aune de la qualité de vie du plus démuni et du plus exclu est la dignité d’une nation fondée sur les droits de l’homme. »

Réconciliée, l’Europe l’est déjà largement, grâce à la vision et à l’action de ses pères fondateurs. Ma mère, dont les parents ont vécu les horreurs de la Grande Guerre à Verdun, a traversé les atrocités de la Seconde Guerre mondiale, dont elle nous a conté les moments les plus dramatiques. Elle en a tiré une solide haine contre ceux qu’elle a longtemps nommé « les Boches ». Dans les années 1960, l’accueil à la maison d’un correspondant allemand, invité par ses fils, l’a complètement bouleversée. Par un intense travail sur elle-même, elle est passée de la haine au respect et à l’estime des Allemands. Lors des fêtes familiales, elle est toujours très émue lorsqu’elle entend ses enfants, petits-enfants et arrière-petits-enfants lui chanter en chœur L’Hymne à la joie, de Ludwig van Beethoven, devenu l’hymne de l’Union européenne.

Les pays d’Europe ont largement contribué à l’avènement de la démocratie et à l’affirmation des droits de l’homme. Sous la poussée du mouvement ouvrier, de patrons sociaux et de responsables politiques éclairés, ils furent les premiers à mettre en œuvre les droits économiques et sociaux par la création d’un vaste système de protection sociale.

Mais ils n’ont cessé en même temps de trahir les valeurs humanistes dont ils se prétendaient messagers, se faisant esclavagistes, colonisateurs, impérialistes, anéantissant des peuples et des civilisations entières. Plus récemment, ils n’ont pas résisté aux séductions de l’argent roi, organi-sant l’impuissance publique par la dérégulation économique et financière, qui a contribué à la crise mondiale actuelle. Distribuant d’une main des flux d’aide publique au dévelop-pement considérables, tout en obligeant de l’autre les pays les plus pauvres à s’ouvrir à une concurrence mondiale à laquelle ils n’ont pas les moyens de faire face, l’Union euro-péenne fait preuve d’une duplicité coupable.

Carte humoristique de l’Europe en 1914, Dresden.

Page 41: L'Europe à la carte

78 79

PMa vision de l’Europe ?

Corinne EvensPrésidente de la Fondation Evens

Pour une femme née dans une famille de miraculés, des immigrés juifs polonais qui s’installèrent à Anvers au lende-main de la guerre, l’Europe, c’est d’abord une terre d’accueil et de réconciliation.

Une terre d’accueil qui a permis à une famille qui avait tout perdu, ses racines, sa famille, ses amis, ses biens, de se reconstruire. Une terre d’accueil qui a su donner à la petite fille que j’étais la confiance nécessaire pour croire en l’avenir et en l’homme.

C’est aussi une terre de réconciliation. Il y a bien sûr le processus de réconciliation entre les Français et les Allemands, mais aussi les Allemands et les juifs, entamé au lendemain de la guerre, mais pas seulement. Il y en a beau-coup d’autres encore en cours aujourd’hui. Je pense, pour ce qui me concerne directement, à la réconciliation entre les Polonais et les juifs d’origine polonaise, dont l’un des symboles devrait être le beau musée d’histoire des juifs de Pologne qui ouvrira en 2011 à Varsovie à l’endroit même de

ce que fut le ghetto où tant de crimes et d’attitudes humaines innommables eurent lieu.

Mais si la réconciliation, l’hospitalité, la dignité de la per-sonne humaine sont au cœur de nos valeurs communes, si l’Europe veut continuer à rayonner dans le monde de de-main, elle doit aussi prendre son destin en main. À quoi sert l’Europe si elle n’est pas capable d’apporter une réponse forte à la crise ? À quoi sert l’Europe si elle n’est pas en me-sure d’investir dans l’avenir ? Comment croire en l’Europe quand aucun dirigeant ne l’incarne ?

Ma vision de l’Europe ? Une Europe forte, incarnée, audacieuse qui assume ses valeurs et n’a pas peur d’être puissante. Une Europe qui sait prendre des risques avec courage et promouvoir l’innovation, qui renoue avec sa longue tradition de génie, mais qui sache aussi être solidai-re et responsable. Cette Europe est à portée de main pour autant que nous, citoyens des pays de l’Union et donc ci-toyens européens, la voulions.

Une fois l’Europe faite, il va falloir faire des Européens.”

Romano Prodi

Une fois l’Europe faite, il va falloir faire des Européens.

Ci-contre : J. H. Amschewitz, carte illustrée de la zone de guerre en Europe publiée dans la revue Geographia, Londres 1914.

Page 42: L'Europe à la carte

80

81

PContribuer à l’État universel

Yvon ThiecDélégué général d’Eurocinéma

Pour ma génération, née alors que le dernier grand conflit mondial n’était plus qu’un souvenir et que les conflits postcoloniaux s’éteignaient, il n’était pas difficile de choisir et de s’investir dans l’Europe. En août 1968, j’avais 15 ans et j’étais en Allemagne. La panique du peuple allemand, alors que les chars russes entraient dans Prague tout proche, me dictait ce choix.

L’Europe est une grande réussite, il y aura toujours l’intendance à gérer, mais l’on peut considérer que le plus dur est fait : le marché, la monnaie, la concurrence. D’où le sentiment d’ennui et de nostalgie de certains. Nostalgie de quoi ? Du bruit et de la fureur de l’Europe avant l’Europe unie. N’oublions pas le mot fulgurant de George Steiner : « L’histoire de l’Europe, c’est l’histoire d’une guerre civile. »

Il est dorénavant une autre mission pour l’Europe, celle de contribuer, selon la formule magique d’Ernst Jünger, à l’édification de l’État universel. L’État universel, c’est, à l’échelle mondiale, la construction d’une société de droit, fondée sur l’interaction constante des grands fondements de nos démocraties : égalité et liberté.

Carte satirique de l’Europe : Première Guerre mondiale, 1914.

Page 43: L'Europe à la carte

82

83

Europe : unité ou non-sens ?

Diego HidalgoCofondateur et membre du conseil d’administration d’El País

Nous demandonsaux nations d’Europe,entre lesquelles des rivièresde sang ont coulé,d’oublier les querellesde mille ans.”Winston Churchill

Dans le monde multipolaire du xxie siècle, les gou-vernements de l’Union européenne doivent d’abord reconnaître que personne ne peut décider de l’avenir de manière unilatérale.

Des approches isolées ou bilatérales manqueront de pertinence et aboutiront à une perte de pouvoir. Les États doivent, par conséquent, rendre compatibles leur politique étrangère et leur politique de sécurité afin d’établir une po-litique européenne commune, parlant d’une seule et même voix.

Nous, les Européens, sommes par définition des insu-laires. Mais l’Europe ne peut pas devenir une forteresse protectionniste, ni en termes de commerce, ni au regard de son peuple, car les murs de cette forteresse finiraient par s’écrouler et il ne resterait plus, pendant des décennies, qu’un château en ruine. Le monde d’aujourd’hui – la mon-dialisation – nous pousse à regarder vers l’extérieur, à être compétitif sur le marché du commerce et des idées, à être audacieux et à innover, et à défendre nos valeurs profondes tout en adoptant celles des autres, et ce dans le but d’inté-grer de nouveaux Européens dans ce projet d’ensemble.

Antonio, illustration pour la revue Expresso, Lisbonne.

Page 44: L'Europe à la carte

84 85

Élevée parmi les artistes, les poètes, les cinéastes, les écrivains, j’avais conscience que mon quotidien était très différent de celui des enfants de mon âge. Alors, je cher-chais la moindre réalité tangible. Aussi, quand, vers l’âge de 10 ans j’ai découvert une grande carte de l’Europe dans un Tout l’univers, je m’en suis immédiatement emparée pour y inscrire mes expériences. Armée d’un stock de gommettes autocollantes, j’entrepris de signaler en rouge les artistes Maeght qui vivaient hors de France, et en jaune les villes où j’avais déjà séjourné. Très vite, les pastilles ont recouvert la carte.

À cet âge, je n’avais bien sûr aucune notion d’une Europe politique, mais je savais qu’il y avait des frontières. La pre-mière fois que j’ai accompagné à l’étranger mon grand-père, Aimé Maeght, c’était à Venise pour une biennale.

À la maison, les artistes et écrivains étrangers me semblent bien moins exotiques que nos cousins du Nord qui parlent ch’timi. Chez Maeght, l’Europe des arts s’est faite bien avant l’Europe politique : dès l’ouverture de la galerie à Cannes en 1936, puis à Paris en 1946, des artistes de toutes nationalités y ont été défendus, exposés et publiés par ma famille.

Miró, Tàpies et Chillida sont espagnols, mais affirment leurs identités et origines : catalan ou basque ; Bacon est an-glais ; Bram Van Velde évoque sa Hollande ; Alechinsky, Bury

et Ubac qui sont belges, nous rapportent régulièrement des chocolats de leur pays ; Adami reste le plus français des Italiens et me parle de la beauté de la lumière sur les lacs du nord ; Takis conçoit ses œuvres avec le vent de sa Grèce na-tale ; Giacometti dessine avec acharnement ses montagnes de Stampa en Suisse italienne ; Gasiorowski revendique ses origines polonaises ; Chagall a su mêler culture russe et française ; Fiedler a quitté la Hongrie durant la guerre pour ne jamais y retourner ; le Brocquy exposait chez nous bien avant d’être encensé en Irlande…

Les artistes qui exposent chez Maeght furent, et sont en-core de nos jours, choisis pour leur apport à l’histoire de l’art et non pour leur passeport. Aujourd’hui, Marco Del Re pré-fère vivre sur les quais face au Louvre plutôt qu’à Rome ou Venise ; Aki Kuroda retourne au Japon, mais c’est à Paris qu’il peut créer ; Chen Man a été révélée chez Maeght, à Paris, bien avant d’être reconnue en Chine ; Steve Hiett reconnaît qu’il ne peut pas prendre de clichés dans son Angleterre natale ; Angelin Preljocaj, chorégraphe albanais connu, est aussi un peintre de talent. Tous se retrouvent chez nous.

Voilà mon Europe. Elle est multiculturelle et riche d’in-dividualités fortes. Les artistes, les écrivains, les créateurs aiment Paris. Ils composent, inventent et réinventent sans cesse notre culture.

L’École de Paris, mon Europe

Yoyo MaeghtDirectrice des éditions Maeght et administratrice de la Fondation Maeght, à Saint-Paul-de-Vence

Un artiste n’est chez lui nulle part en Europe,

sauf à Paris.”Friedrich Nietzsche

Pierre Alechinsky, page d’atlas, 1984.Encre de chine sur carte du xixe siècle, 61 x 82 cm, « dressée par A.-H. Dufour, gravée par Ch. Guyonnet, Abel Pilon (sic) Éditeur, Paris ».

Page 45: L'Europe à la carte

86 87

L’Europe culturelle, celle des tags et des grafs

CharlElieArtiste, poète et musicien

On ne voit pas un match de la même manière selon qu’on est sur le terrain ou dans les tribunes.

Depuis que j’habite à New York, je veux croire que l’Eu-rope pourra être aussi un jour une nation, solidaire d’une même bannière. Mais à la différence des États-Unis, l’Eu-rope n’est pas un pays, c’est un pacte économique, inventé afin de fluidifier les échanges commerciaux.

Certes, l’Europe existe aujourd’hui sur les contrats d’en-treprises multinationales, mais c’est un concept abstrait pour un habitant d’Oulu en Finlande, de Setubal au Portugal, de Plouézec en Bretagne, ou Skagen au Danemark. L’apparition de l’euro, monnaie unique, a correspondu en France à une augmentation inconsidérée des prix des aliments de base et des objets industriels de nécessité. Cette planification tarifaire n’a pas aidé à la bonne compréhension de l’idéal européen…

Il y a un certain paradoxe à vouloir d’une part unifor-miser les codes-barres des objets industriels en effaçant les frontières afin d’atteindre plus de consommateurs stan-dardisés, et, d’autre part, désirer protéger les spécificités propres à chaque région.

S’il existe une Europe culturelle, c’est celle des villes, celle des tags et des grafs.

Radu Ceuca, « Creative Europe 2 ».

Page 46: L'Europe à la carte

88

89

JMa vieille et euro-Europe(s)

Justine SmithArtiste

J’ai récemment commencé à utiliser l’argent pour mon travail. « Vieille Europe » et « Europe de l’euro » sont des cartes de la monnaie, sur lesquelles chaque pays est repré-senté par ses propres billets de banque. Ces deux cartes ont été conçues pour aller de pair, le sens de l’une mettant ainsi en valeur le sens de l’autre. Le design et le stylisme d’un billet de banque sont chargés de sens et des idéaux défendus à la fois par la culture d’un pays et par la société dans laquelle vit son peuple.

« Vieille Europe » est une carte historique constituée à partir des billets de banque en circulation avant l’introduc-tion de l’euro. Elle présente des devises à présent retirées de la circulation comme le Deutsche Mark, le franc fran-çais, etc., qui mettent fortement en valeur des identités nationales individuelles. Cela entre fortement en contraste avec la cohésion et l’uniformité de l’« Europe de l’euro » qui témoigne de la diffusion de l’euro : des pays ancienne-ment délimités se confondent en un amalgame prenant la forme d’un supra-État ou supra-empire constitué d’allian-ces économiques, et dominant le reste de la carte.

Je veux que toute l’Europe ait la même monnaie,cela facilitera le commerce.”Napoléon

Justine Smith, « Old Europ » (ci-dessus) et « Euro Map » (ci-contre), 2007.

Page 47: L'Europe à la carte

90 91

PEuropéenne sans frontières

Inés SastreActrice et mannequin

Pour ma génération née à la fin du régime franquiste, l’Europe est une évidence, presque un dû avec lequel nous avons grandi.

Mes parents m’ont encouragée à apprendre plusieurs langues dès mon enfance, je vivais entourée de cartes et d’atlas, notre maison en était pleine. La petite fille espagnole, élevée dans une école française, rêvait de voyager…

Le bac en poche, j’ai choisi la France pour étudier la lit-térature du Moyen Âge à la Sorbonne, tout en dévorant les auteurs sud-américains et Thomas Bernhard. Littérature sans frontières…

Le cinéma m’a fait voyager sur tous les continents, je re-présente les marques de Lancôme tout autour du monde.

Je suis européenne, c’est une véritable empreinte avec laquelle je me sens en phase : espagnole, vivant à Paris, travaillant à Londres, parlant quatre langues, chantant en italien, j’ai cinq ou six patries, « le moyen d’être à l’aise en tout lieu », disait le prince de Ligne.

Vue satellitaire de l’Europe de nuit.

Page 48: L'Europe à la carte

92 93

I

J’imagine que Beethoven écrivaitses sonates en rêvant d’être l’héritierde toute la musique européennedepuis ses débuts.

Le pouvoir de la musique : l’engagement de l’Europeau Moyen-Orient et dans le monde

Daniel BarenboïmPianiste et chef d’orchestre

Il n’y a pas de meilleur moyen pour un Allemand de comprendre le point de vue des Français que d’écouter la musique de Claude Debussy, et, pour un Italien, de com-prendre la mentalité des Norvégiens que de découvrir les œuvres d’Henrik Ibsen.

Au cours de l’histoire de l’Europe, les pays ont défini leurs valeurs, leurs points de vue et leur identité à travers le récit de leur production artistique, c’est vrai encore aujourd’hui. Ce canon est une ressource inestimable pour surmonter les barrières sociales et politiques qui se dressent sur le chemin de la coopération et de l’entente mutuelle. Elle

doit être reconnue comme telle, et se rendre accessible à tra-vers l’éducation.

Sous les régimes totalitaires et autocratiques, les ar tistes ont su demeurer intransigeants dans leur art, dans des cir-constances toutefois très restrictives. La culture, dans ce contexte, s’est souvent présentée comme l’unique voie vers une pensée indépendante. Elle demeure le seul moyen par lequel des gens se retrouvent égaux les uns des autres, et échangent des idées sans entrave. La culture l’emporte alors sur la politique, en tant que vecteur de changement…

Discours du 29 janvier 2007, à Bruxelles, EEC (extrait).

J’imagine que Beethoven écrivaitses sonates en rêvant d’être l’héritierde toute la musique européennedepuis ses débuts.”Milan Kundera

Heinrich Bünting, « Le monde entier dans un trèfle », 1581.

Page 49: L'Europe à la carte

94 95

LLa liberté triomphe

Paula Jon DobrianskyAncienne sous-secrétaire d’État à la Démocratie et aux Affaires mondiales de l’Administration Bush

Le jour de la chute du mur de Berlin, les journaux rapportèrent que des foules de gens – jeunes, vieux, Allemands et étrangers – se retrouvèrent au pied du mur, y peignant le mot « Liberté » tout en démolissant les restes de l’édifice de fer et de béton érigé par la guerre froide.

Pour nous, qui suivions les événements depuis l’Ouest, ces anecdotes demeurèrent les images les plus marquantes. De mon côté, ce qui se passa à Berlin ce jour-là me marqua profondément sur un plan personnel. C’était la fin d’un voyage, qui avait commencé avec le long combat que mon père avait lancé dans les années 1950 pour la dignité et la liberté. Mon père, le Dr Lev Dobriansky, célèbre dirigeant et auteur ukraino-américain, était bien sûr désireux de voir une Ukraine indépendante se saisir de son droit le plus strict à se forger une place dans la grande famille des nations européennes. C’était un fervent patriote et un partisan de la liberté et de la dignité humaine, et il avait instillé en moi la conviction la plus inébranlable selon laquelle les êtres humains veulent plus que tout être libres, et que ce profond désir de liberté et de dignité triompherait de la tyrannie.

Au fil des décennies, avant mais aussi après la chute du mur, les valeurs défendues par l’Europe et l’Amérique

ont établi des fondations solides sur lesquelles nous avons construit des structures fortes qui nous ont servi à concrétiser notre coopération.

La liberté a triomphé. Nous avons constitué, et nous demeurons aujourd’hui, des partenaires cruciaux dans l’élaboration d’une Europe unifiée, libre et pacifiée. Alors que la fin de la guerre froide a constitué une étape ma-jeure vers l’atteinte de cet objectif, l’histoire nous a, par la suite, montré que ce n’était pas l’étape finale. Nous avons étendu cette collaboration afin d’implanter la paix dans les Balkans. Notre partenariat s’étend bien au-delà de l’Europe. Chaque jour, nous nous allions dans notre combat contre le terrorisme, et coopérons à l’échelle mondiale dans des domaines allant de l’assistance humanitaire au commerce international, en passant par le changement climatique et la non-prolifération.

Nous faisons également partie de la plus grande alliance économique au monde. Si les débats sur de nouvelles inté-grations ont été le lot quotidien de l’évolution de l’Europe au cours de ces dix dernières années, ces débats ont également marqué les relations entre les États-Unis et l’Europe. Les objectifs énoncés par le Nouvel Agenda transatlantique de 1995 demeurent les mêmes : promouvoir la paix, la démocra-tie et le développement dans le monde, étendre les principes du commerce international, réagir face aux défis mon-diaux et établir des ponts par-dessus l’Atlantique.

Au xxie siècle, cette relation ne va pas seu-lement se poursuivre, elle va continuer de s’intensifier. Je suis consciente de l’impor-tance du lien historique fort qui fonde les valeurs et les objectifs que nous parta-geons et qui constitue la base de notre relation transatlantique, et je m’engage à le maintenir.

Un jour, sur le même modèledes États-Unis d’Amériquese constituerontdes États-Unisd’Europe.”George Washington

Leopold Kohr, « L’écroulement des nations », 1957.Carte de gauche : l’Europe divisée du point de vue américain. Les grandes puissances ont cédé la place aux petits États gouvernés par Genève aussi facilement que les États-Unis sont gouvernés par Washington.Carte de droite : subdivision historique des grands pouvoirs par la force considérant que le problème de l’Europe n’est pas la division, mais l’union.

Page 50: L'Europe à la carte

96 97

L’état d’esprit européen

Craig KennedyPrésident du German Marshall Fund of the United States

La politique, au sein de l’Union européenne, est marquée de manière inhérente par le conflit et la tension. Toutefois, cela ne doit pas obscurcir le fait que l’on assiste en Europe à l’émergence d’une vraie mentalité continentale, transcen-dant les nationalités individuelles et le nationalisme.

Elle n’est pas définie de manière aussi cohérente qu’aux États-Unis, mais il y a un sens grandissant, chez les jeunes comme chez les vieux, de ce que veut dire être européen et de ce que l’Europe représente en tant que concept politique.

Pour les pays situés à l’extérieur de l’Europe, et plus par-ticulièrement pour les États-Unis, ce sens de « Européenité » peut décevoir, et même devenir inquiétant. Bien sûr, cet engagement nouveau dirigé vers une « voie européenne » in-dépendante dans les affaires internationales est susceptible de devenir une source de problèmes pour la relation trans-atlantique. Mais étant donné les tensions et les conflits qui ont marqué l’histoire de ce continent, le monde, quoi qu’il en soit, bénéficiera de ce sentiment d’unité grandissant.

En Amérique, il y a une incapacité à apprécier le rôle dirigeant de l’Europe dans le monde.”Barack Obama

Ci-contre : Ajubel, illustration parue dans El Mundo, Madrid.

Page 51: L'Europe à la carte

98 99

LUn brillant exemple d’unité et de diversité

Rabbin Arthur SchneierPrésident de la Fondation Appel de la Conscience, grand rabbin de la synagogue Park East, New York

Il est difficile de saisir comment le continent, qui a donné naissance aux grands idéaux universels de liberté et d’indé-pendance, ait pu, dans le même temps, devenir le berceau du nationalisme, du communisme et du fascisme. L’Europe a été au centre de la création des idées et des événements qui ont déterminé les plus grands chapitres de l’histoire de la modernité. Hélas, une grande partie de ses accomplis-sements scolastiques et culturels ont été éclipsés par les guerres qu’elle a menées à la fois au sein de ses frontières, et contre ses voisins. Moi-même survivant de l’Holocauste, j’ai fait l’expérience de ce que l’Europe avait de meilleur et de pire à offrir.

Heureusement, j’ai survécu et j’ai pu voir l’Europe re naître des ravages de la Seconde Guerre mondiale : une Europe déterminée à tirer les dures leçons du passé, et à aider les nations voisines à les enseigner. Depuis l’établissement de la Communauté européenne par Maastricht, elle s’évertue à réfréner les tendances nationalistes par le biais d’accords continentaux et d’un système de coopération internationale. Les conditions d’entrée dans l’Europe constituent un enga-gement aux principes de la gouvernance mondiale et de la dignité humaine de chacun. Le grand défi, à la fois moral et éthique auquel l’Europe est confrontée aujourd’hui, est centré sur la manière dont l’Europe saura faire preuve de compréhension et de respect de l’autre, tout en gérant la di-versité religieuse.

Pendant plus d’un millénaire, les juifs ont résidé en Europe, apportant ainsi une contribution à la société à tra-vers la culture, les arts, la médecine et les sciences, ce tout en endurant des persécutions et des actes de discrimination. Jusqu’à l’Holocauste, les manifestations d’exclusion culturelle et de haine étaient très largement ignorées, et, contrairement à ce que certains peuvent se plaire à penser, elles teintent encore toujours l’Europe contemporaine. Malheureusement, le nationalisme enragé, la xénophobie et l’antisémitisme ont refait surface, notamment en ces heures d’instabilité et de difficulté économique. Nous vivons à une époque d’identi-tés multiples. L’Europe peut devenir un brillant exemple d’unité et de diversité du fait de l’évolution constante de sa composition démographique. Afin de préserver les valeurs historiques de la civilisation occidentale tout en respectant la dignité d’une population hétérogène, il sera essentiel de pro-mouvoir une coopération interreligieuse ainsi qu’un mode de coexistence pacifique. Bien que, au cours de ce dernier demi-siècle, l’attention du monde se soit détournée de l’Eu-rope pour se concentrer sur l’Asie, je pense que l’Europe, en tant que gardien de la démocratie, n’a pas perdu l’occasion de jouer dans ce monde en transition un rôle majeur au sein d’un partenariat transatlantique avec les États-Unis.

Qui connaît l’histoire, et plus particulièrementl’histoire de l’Europe, saura, je pense, reconnaître quela domination d’une foi religieuse sur l’éducation ou le gouvernement ne constitue jamais pourle peuple un arrangement heureux.”Eleanor Roosevelt

LLes fondations spirituelles de l’Europe

Bernd PosseltPrésident de Pan-Europa Deutschland, Membre du Parlement européen pour Munich

Le débat sur l’élargissement et ses limites, mais égale-ment celui sur le traité constitutionnel, ont nettement remis à l’ordre du jour la question des fondations spirituelles de l’Union européenne.

Le premier président de la République fédérale d’Alle-magne, Theodor Heuss, un libéral, avait dit un jour que la culture européenne s’est construite sur trois collines : l’Acro-pole, le Capitole et le Golgotha – c’est-à-dire sur la philosophie grecque, le droit romain et le christianisme. Lorsqu’on re-garde de près nos villes et villages européens, avec leurs églises au centre, on constate rapidement que, sans le chris-tianisme, l’Europe n’aurait jamais pu se constituer.

Cependant, nous ne souhaitons pas transformer l’Eu-rope en un musée chrétien, mais vivre notre foi aujourd’hui, dans notre époque. Certes, les chrétiens ne sont plus majori-taires dans plus d’une région en Europe, bien que la culture européenne, aujourd’hui encore, reste toujours influencée par le christianisme.

Mais Jésus nous exhorte à être le levain ou encore le sel de la terre. Si ni le levain ni le sel ne sont majoritaires, sans levain, on ne peut cuire de pain, et sans sel les aliments n’ont aucun goût.

Il est intéressant d’observer que de plus en plus de poli-tiques, de scientifiques et de pédagogues exigent de la part de l’Église une parole plus fortement missionnaire, car ils constatent que la société, dont ils portent la responsabilité, perd peu à peu l’assise qui la soutient.

Et ce sont avant tout, contrairement aux xviiie et xixe siècles avec leur credo matérialiste et au xxe avec sa croyance pseudo-scientifique dans le progrès, une partie des élites qui suscitent les débats religieux. Quiconque est d’avis que la religion est accessoire dans un monde où la question reli-gieuse joue un rôle de plus en plus important aura beaucoup de mal à résoudre raisonnablement les problèmes liés au vivre- ensemble des hommes.

Non seulement les thèmes liés à la foi mais la foi elle-même jouent un rôle croissant dans l’Europe agrandie. Et indépendamment de la conviction de chacun, la part de ceux qui pensent, ou tout au moins en ont l’intuition, que l’Europe en tant qu’îlot des non-croyants n’a aucun avenir, et qu’une foi bien comprise ne sépare pas et ne génère pas de conflits mais peut rassembler les hommes dans un respect mutuel, augmente.

Traduit de l’allemand par Troy Davis

Je ne suis pas catholique ; mais je considère l’idée chrétienne, qui a ses racines dans la pensée grecqueet qui, au cours des siècles, a nourri toute notre civilisation européenne, comme quelque chose à laquelle on ne peut pas renoncer sans se renier.”Simone Weil

Ci-dessus : carte de l’Europe des religions, 2006. Trois grands ensembles en Europe : en violet, l’Europe protestante ; en rouge, l’Europe orthodoxe ;

en bleu, l’Europe catholique. En vert, les pays où la religion musulmane est majoritaire.

Page 52: L'Europe à la carte

100 101

Les Indiens demandent des recettes

Christophe JaffrelotPolitologue français Directeur du Centre d’études et de recherches internationales (CERI) de 2000 à 2008 Directeur de recherche au CNRS

Indianiste, j’ai souvent à expliquer la « construction européenne » à mes collègues et amis de l’Asie du Sud. Ils perçoivent aisément les traits qui rapprochent l’Union indienne et l’Union européenne : la taille, le nombre des « composantes » – vingt-sept pays d’un côté, vingt-huit États de l’autre –, plus de vingt langues de part et d’autre, de nom-breuses religions…

Le parallèle s’arrête là. Non seulement l’Union euro-péenne n’est encore que l’assemblage disparate d’États souverains, mais le projet d’une « Europe puissance » ne trotte guère que dans quelques têtes françaises. La construction européenne n’est peut-être qu’une affaire de temps mais son évolution n’a rien de linéaire – l’on enregistre même des retours en arrière avec la perte de substance européenne de champions industriels comme EADS dont British Aerospace s’est retiré récemment.

À ce point de la conversation, l’Europe est sauvée aux yeux des Indiens par un mot magique : la démocratie, dont l’Inde a fait sa principale source de fierté nationale. La Cour européenne des droits de l’homme met à l’amende les pays membres qui prennent trop de liberté avec l’État de droit au sein de leurs frontières, et les gouvernements les moins regardants en la matière à l’international ne peuvent pas s’affranchir aussi facilement des règles élémentaires

de la morale politique, qu’il s’agisse de prohiber toute visite officielle à Narendra Modi, chef du gouvernement du Gujarat qui a couvert un véritable pogrome en 2002, de soutenir – même verbalement – le dalaï-lama ou d’imposer des sanc-tions sur les ventes d’armes à la Chine suite à la répression de 1989. Livrés à eux-mêmes, les États européens n’auraient sans doute pas fait preuve de la même cohésion.

En outre, l’Union européenne a contribué à renforcer la démocratie en accueillant d’anciennes dictatures

et en faisant de la démocratisation la condition de l’entrée dans ce pôle de stabilité politique et

de relative prospérité qu’elle représente. De l’Espagne à Chypre en passant par les anciens pays communistes de l’Europe de l’Est, elle a favorisé des transitions en douceur qui sont appelées à se répéter d’ailleurs en Croatie et dans les Balkans. De cette œuvre-là, les Européens ne sont pas assez fiers, sans doute

parce que les heureux élus – non pas au sud, mais en tout cas à l’est – font preuve d’une

certaine ingratitude en se complaisant dans un euroscepticisme souvent déplacé.Du coup les Indiens, malades de leur région

– coincés entre des États qu’ils qualifient volontiers de « faillis » ou de « voyous » –, demandent des recettes : de fait, l’Europe peut se prévaloir d’une intelligente politique de voisinage.

I

Nous ne coalisons pas les États, nous unissons

les hommes.”Jean Monnet

JCinq générations

T. N. NinanRédacteur en chef et éditeur de The Business Standard, premier journal financier en Inde

Je me suis rendu quelques jours à Bruxelles en 1989 afin de comprendre l’Union européenne. Et j’ai dîné un soir avec un jeune Français qui travaillait à la Commission européen-ne. Il m’expliqua pourquoi il travaillait pour la Commission : « Mon arrière-grand-père s’est battu contre les Allemands pendant la guerre de 1870. Mon grand-père s’est battu contre les Allemands pendant la Première Guerre mon-diale. Mon père s’est battu contre les Allemands pendant la Seconde Guerre mondiale. Pour ma part, je n’ai pas l’inten-tion de me battre contre les Allemands, et je ne veux pas non plus que mes enfants aient à le faire. »

Cet effort de réconciliation est, bien sûr, digne du projet de toute une génération. À mes yeux, l’autre grande réussite est d’être parvenus à ce que les pays les plus riches trans-fèrent, en connaissance de cause, des ressources aux pays les plus pauvres ; d’abord au sud puis à l’est, et ce dans le but d’uniformiser le niveau de vie. Si nous avions été les té-moins de telles relations de bon voisinage sur le continent

américain, nous aurions une Amérique centrale bien diffé-rente de celle que nous avons aujourd’hui.

Le capitalisme américain est une source d’admiration pour son énergie et sa créativité. Mais l’Europe a consti-tué un merveilleux exemple pour le reste du monde pour sa capacité à transformer une zone de conflit en une commu-nauté parvenant à se fixer des objectifs communs plutôt que de se quereller au sujet de considérations géographiques. Il semble que l’Europe soit confrontée aujourd’hui à deux nouveaux défis. L’un sera de définir le rôle de l’Europe dans un monde dont l’agencement multipolaire aura été modifié par l’inévitable déclin relatif des États-Unis (la fin du « mo-ment unipolaire »). L’autre sera de gérer un nouvel ensemble de voisins bien plus divers et plus éloignés culturellement. Ces deux objectifs sont bien sûr liés, et ne pourront être at-teints si les Européens adoptent une vision nombriliste du futur se cantonnant aux frontières de l’Europe.

Page 53: L'Europe à la carte

102 103

Ci-contre : bilan de l’été en Europe, 1915.

La puissance de l’exemple européen

Ban Ki-moonSecrétaire général des Nations unies

L’ancienne division « Est-Ouest » de l’Europe a cédé la place, il y a deux décennies, à l’Union européenne moderne. Plus qu’une notion géographique, l’Europe est ainsi devenue une idée - un idéal même - du pouvoir d’intégration comme moteur de la prospérité et des avancées sociales.

Ce brillant succès a inspiré le reste du monde. Les Latino-Américains et les Nord-Américains ont longtemps rêvé de créer une zone de libre-échange. L’Union africaine aspire à devenir davantage qu’une collection d’États ; certains parlent même des États-Unis d’Afrique. C’est seulement en Asie, et plus particulièrement en Asie du Nord-Est, malgré son dy-namisme, que cette idée n’a pas eu d’emprise. Pourquoi ?

Je pourrais réciter la litanie habituelle des raisons, des différences historiques et culturelles aux discordes terri-toriales et politiques irrésolues, ou encore la présence de deux centres de pouvoir sur le continent. Mais la raison principale, c’est que nous n’avons pas essayé. En tant que secrétaire général asiatique, j’espère pouvoir assister à ce changement. J’espère qu’un jour je verrai l’Asie à la fois plus intégrée et plus engagée sur le plan international, plus prompte à mettre à contribution ses talents et les savoir-faire qu’elle a développés au cours de son histoire afin de s’impliquer dans la résolution des problèmes mondiaux les plus urgents à ce jour.

En d’autres mots, j’espère voir une Asie qui reconnaîtra la puissance de l’exemple européen. Mais cela n’est pas seulement mon souhait, c’est le devoir de l’Asie.

Page 54: L'Europe à la carte

104 105

Ce n’est pas un chef d’État européenqui unira l’Europe. Ce sont les ChinoisCV

Un sentiment ambivalent

Pierre CalameDirecteur général de la Fondation Charles-Léopold-Mayer pour le progrès de l’homme

L’Europe et l’Asie indispensables l’une à l’autre

Dominique GirardDirecteur exécutif de la Fondation Asie-Europe

Contrairement aux Européens, les Chinois n’ont oublié ni les guerres de l’opium, ni l’expédition franco-anglaise, ni les concessions occidentales sur son territoire, ni les humiliations ressenties au cours du xxe siècle. Aussi le positionnement de la Chine vis-à-vis de l’Europe est-il aujourd’hui fortement ambivalent, fait d’admiration, de ressentiment et d’un désir de revanche.

Chine et Europe se sont par le passé considérablement influencées. Au siècle des lumières, le régime impérial chinois était une référence pour les philosophes. En Chine, depuis l’arrivée des premiers missionnaires, l’Europe est ap-parue comme le berceau de la modernité, un modèle dont il fallait s’inspirer pour lutter à armes égales.

Un fossé d’incompréhension s’est creusé entre les opi-nions publiques chinoise et européenne.

La Chine, qui se sent vocation à devenir rapidement la pre-mière puissance mondiale, considère l’Union européenne et son soft power avec une pointe de commisération : les procé-dures de décision y semblent lentes et difficiles. L’Europe est aussi suspectée de pouvoir changer les règles du commerce international quand celles-ci ne lui seront plus favorables. Et si le pillage du Palais d’été de Pékin en 1860 n’évoque

rien aux petits Européens, tous les enfants chinois en connaissent l’histoire. L’opinion publique chinoise, très sensible aux critiques occidentales, notamment à propos des droits de l’homme et du Tibet, estime que des peu-ples s’étant comportés de manière aussi barbare n’ont pas de leçon à lui donner. Paradoxalement, cette méfiance se double, chez les élites chinoises, d’un intérêt sincère pour la construction européenne, sa conception de l’unité dans la diversité et du dépassement des souverainetés nationales. Aux yeux de beaucoup, l’Europe incarne encore la culture.

Côté européen, la Chine apparaît souvent comme une menace. Si on admire son développement économique, on l’attribue au fait que ce pays est une dictature, où les ouvriers sont exploités, où les règles de la propriété intel-lectuelle sont contournées pour mieux déjouer celles du libre commerce.

On s’intéresse surtout à l’histoire ancienne de la Chine, et rares sont les intellectuels de Chine continentale publiés en occident. Considérant implicitement la République populaire comme une grande prison, les Européens ne font confiance qu’aux réflexions des dissidents ou de la diaspora chinoise.

Vue d’un peu haut, l’Europe est pour moi cette main pointée vers l’ouest, l’avenir, forcément. Mais à son orient, comme une base solide et formidable, il y a l’Asie, énorme, intimidante, indispensable. Ma vie d’adulte, celle d’un diplo-mate obstinément attaché à cette Asie dont je n’ai jamais ignoré l’inéluctable importance dans l’histoire de l’humani-té, n’a été qu’un cheminement heureux aux quatre coins du continent asiatique. Même quand elle paraissait vouée à la misère et à la guerre, même quand elle a commencé à oublier ses pauvres dans les effluves ambigus de la consommation, l’Asie n’a pas cessé pour moi d’être une source d’émerveille-ment, la certitude que mon ignorance, et donc ma capacité d’encore apprendre, restaient inentamées.

Ma jeunesse européenne m’a donné les quelques certitu-des sur lesquelles établir ma quête asiatique. Kant et quelques autres. L’injustice coloniale. La réconciliation franco-allemande et la construction de l’Europe. La liberté dans le respect de l’autre. Le sens du doute. Le goût de l’histoire. Le désir de paix

et le refus de la lâcheté. Le malaise, aussi, quand, à la bourse de la globalisation, la valeur des choses l’emporte sur celle des hommes.

Aujourd’hui, à la tête de la Fondation Asie-Europe, j’ai la difficile mission – et le bonheur – de construire et de renforcer des passerelles entre les sociétés civiles d’Asie et d’Europe : un vaste programme, dont le seul fait qu’il existe montre que l’Asie et l’Europe ont compris qu’elles ne pouvaient limiter leurs rapports à la seule gestion de leurs intérêts, fussent-ils souvent communs.

Il est facile de dauber sur ce qui sépare l’Europe et l’Asie, et d’abord en niant qu’il y ait « une » Asie et « une » Europe. Mais toutes deux, dans leur extrême diversité, dans leur his-toire plurimillénaire, dans l’énormité des souffrances qu’ont connues leurs peuples, trouvent aujourd’hui la même vo-lonté de se développer dans la paix et la stabilité. Plus que le volume de leurs échanges économiques, c’est ce qui les rend, irréversiblement, indispensables l’une à l’autre.

La guerre et la culture sont les deux pôles de l’Europe, son paradiset son enfer, sa gloire et sa honte,et on ne peut pas séparer l’une de l’autre.”Milan Kundera

Ce n’est pas un chef d’État européen qui unira l’Europe. Ce sont les Chinois.”Charles de Gaulle

Page 55: L'Europe à la carte

106

107

LUne vision chinoisede l’Europe

Pan GuangDirecteur et professeur au Centre d’études internationales de Shanghai

L’Europe est un concept pluriel en constante mutation, non seulement pour moi mais également pour la majorité des Chinois, je pense.

L’Europe dans l’histoire. La route de la soie constitua le premier lien entre l’Europe et la Chine, marquant le point de départ d’une relation historique à deux facettes, qui com-mença plus ou moins sur un pied d’égalité. Quand Marco Polo parcourut la route de la soie jusqu’en Chine, il trouva une Chine prospère et bien gouvernée, apparemment plus évoluée que l’Europe sous plusieurs aspects. Toutefois, quand les vaisseaux de guerre européens atteignirent la Chine quelques siècles plus tard, l’Europe devint synonyme de colonialisme.

Dans les yeux de mon grand-père, de mon père et de leur génération, le déclin de la Chine et les souffrances de son peuple étaient intimement liés au colonialisme européen. Toutefois, les Chinois apprirent beaucoup de l’Europe : la science moderne et la technologie, les concepts de li-berté, d’autodétermination, de fraternité et de démocratie parlementaire, jusqu’au marxisme qui vint à guider les révo-lutionnaires chinois.

L’Europe sous l’ère de la guerre froide. Sous l’ère de la guerre froide, la Chine fut confrontée aux menaces sé rieuses de deux superpuissances : d’abord les États-Unis, puis l’Union soviétique. Pour beaucoup de Chinois, y compris pour leurs leaders tels Mao Zedong et Zhou Enlai, la Chine et l’Europe constituaient deux alliés stratégiques se trouvant l’un comme l’autre sous la pression des superpuissances. Le Royaume-Uni fut le premier pays occidental à reconnaître la Chine nouvelle, et Hongkong constituait autrefois le pont re-liant la Chine à l’Europe. Je me souviens très bien combien les Chinois étaient heureux d’apprendre l’établissement de relations diplomatiques entre la Chine et la France, en jan-vier 1964. Bien sûr, le général de Gaulle devint par la suite un héros immortel dans le cœur des Chinois. Ces derniers étaient également de fervents défenseurs de la réunification allemande et de l’intégration européenne, cela expliquant pourquoi ils sont si perturbés lorsque des hommes poli-tiques allemands et européens appuient les revendications du dalaï-lama relatives à l’indépendance du Tibet.

Ci-contre : l’illustration de la Grande Guerre d’Europe, 1914. Atlas humoristique du monde, n° 16.

Page 56: L'Europe à la carte

108 109

Marx a bâti sa doctrine sur une certaine philosophiede l’histoire. Mais quelle histoire ?Celle de l’Europe. Mais qu’est-ce que l’Europe ?Ce n’est pas toute l’humanité.”

L’Europe sous l’ère de la réforme et de l’ouverture. Les relations sino-européennes connurent un regain de vi-gueur lorsque la Chine s’embarqua sur la voie de la réforme et de l’ouverture, sous le leadership de Deng Xiaoping. Les deux parties établirent un partenariat stratégique englobant les secteurs du commerce, de la science et de la technologie, de l’éducation, de la santé, de l’énergie, des transports, de la protection de l’environnement, de la pratique juridique, etc. Nombre de jeunes Chinois se sont établis alors en Europe pour étudier tandis qu’un plus grand nombre encore de Chinois se déplacèrent en Europe en voyage d’affaires et pour y effectuer des visites touristiques. De même, de plus en plus d’Européens se rendirent en Chine pour y investir, y séjourner dans le cadre d’échanges universitaires, ou même pour visiter ou y étudier. Cette époque constitua bien évidem-ment une « lune de miel » dans les relations sino-européennes ; les deux parties interagissant, et tirant des leçons l’une de l’autre dans le cadre d’un partenariat égalitaire. On peut dire que, à l’époque, une nouvelle « route de la soie » s’était tissée entre la Chine et l’Europe.

L’Europe de 2008. 2008 fut une année de fierté et d’émoi pour les Chinois accueillant les jeux Olympiques de Pékin. Toutefois, certaines rues d’Europe devinrent les té-moins d’actes de violence contre la torche olympique, et attirèrent des Européens non seulement approuvant de tels actes, mais brandissant également le drapeau au lion des neiges, symbole de la sécession tibétaine. Les Chinois, furieux, se demandèrent : « Nous n’avons jamais cessé de soutenir la réunification allemande et nous avons toujours été en faveur de l’intégration européenne, mais pourquoi ces types insistent sur la séparation d’une Chine unifiée ? » Un de mes étudiants, qui a beaucoup lu sur l’histoire euro-péenne, fit la remarque suivante : « Le Tibet a été intégré à la Chine dès le xiiie siècle, c’est-à-dire bien avant que la Corse ne soit intégrée à la France et que l’Allemagne ne soit réu-nifiée. S’ils veulent que les Chinois quittent le Tibet, alors pourquoi les Blancs ne quitteraient pas les États-Unis, le Canada et l’Australie ? »

Fin 2008, lorsque le sommet régulier entre la Chine et l’Union européenne fut annulé en raison de l’accueil du

da laï-lama par le président français, la quasi-unanimité des Chinois exprima son soutien face à la décision du gouver-nement. De nombreux Chinois pensent que si un dirigeant chinois accordait un entretien très médiatisé aux leaders séparatistes irlandais, basques (Vasco) ou corses, les chefs d’États européens auraient la même réaction. Plus tard, lorsque certaines personnes prirent la décision de politiser la vente aux enchères des reliques chinoises saisies dans l’an-cien Palais d’été, beaucoup plus de Chinois s’offusquèrent. Ils demandèrent : « Si nous dérobions du Louvre des reliques culturelles en disant aux Français qu’elles seraient rendues

à leur propriétaire si l’on prononçait l’indépendance de la Corse, qu’en penseraient les Français ? »

C’est ainsi que, en l’espace d’un an, l’image de l’Europe chuta de manière drastique

dans l’esprit des Chinois pour être de nouveau associée au colonialisme, à

l’impérialisme et à la géopolitique réaliste.

L’Europe du futur. Alors que l’intégration européenne demeure un processus inévitable, nombreux sont les Chinois estimant qu’il est

encore difficile de parvenir à une « identité européenne » uniforme, du

fait du clivage relativement important séparant la soi-disant « vieille Europe »

de la « nouvelle Europe ». Pourtant, pres-que tous les Chinois sont convaincus qu’une

Europe unifiée jouera un rôle croissant dans les affai-res du monde, même s’ils sont loin d’être unanimes sur les implications positives ou négatives que ce rôle moteur d’in-tégration aura sur la Chine. D’autres pensent qu’une Europe unifiée et renforcée permettra de développer un sens accru de l’expansion du pouvoir, et débouchera sur de nouvelles tentatives visant à modeler la Chine à l’image de l’Europe, et, par conséquent, à plus de conflits entre les deux. Mais plus encore estiment que, malgré les points de discorde actuels ou potentiels, la Chine et l’Europe peuvent très bien « rechercher un terrain d’entente en mettant de côté leurs différences ». Et même, au-delà de cela, Chine et Europe devraient, dans ce monde pluraliste, mettre en œuvre tous les moyens de promouvoir un mode de développement mutuel auquel se joindrait le reste du monde au sein d’un système de coopéra-tion commun. Personnellement, je soutiens coûte que coûte cette dernière vision, et j’espère sincèrement que ce souhait de respect mutuel se changera en réalité dès que possible.

Europe fascination

Tioulong SaumuraDéputée cambodgienne

Pour nous autres, habitants de pays vivant dans des ré-gimes autoritaires et souvent dans la misère, persécutés par des dirigeants sous le joug desquels les peuples suffoquent, l’Europe est le symbole de la démocratie, du développement économique dans la justice sociale, et de la modernité où le pouvoir de l’État central diminue au profit de la supranationa-lité et du régionalisme. L’euro est un exemple extraordinaire de limitation de la souveraineté nationale.

L’Europe nous fascine, elle nous étonne. Comment ont-ils fait, les Européens, pour se réconcilier et vaincre les démons du passé ? Deux guerres mondiales n’ont-elles pas été initiées en Europe ? Sans parler de la guerre de Cent Ans, des guerres de religion et de tant d’autres conflits qui ont déchiré l’Europe. Alors que nous restons empêtrés dans nos vieilles querelles sans pouvoir avancer.

L’Europe nous fascine, elle force notre admiration car elle est née du triomphe de la civilisation et de la raison sur les instincts bestiaux des hommes, dorénavant bridés par l’état de droit, le respect des autres, l’esprit de tolérance.

L’Europe nous fascine, elle inspire l’espoir. Certaine-ment, cette grande sœur va nous guider dans la voie de la coexistence avec l’autre dans l’harmonie, pour la prospérité

de tous. Car l’Europe, c’est la Déclaration française des droits de l’homme de 1789, la justice sociale des pays scan-dinaves, la social-démocratie à l’allemande, la juxtaposition de géants comme l’Angleterre, l’Allemagne et la France avec des lilliputiens comme le Luxembourg, la Slovénie et les États baltes.

L’Europe nous fascine, elle nous déçoit. Comme si, ignorant sa propre force et le rayonnement des valeurs européennes, elle n’ose s’avancer sur la scène internationale et ne s’occupe que d’elle-même, de sa construction toujours en chantier, de son élargissement qui n’en finit pas.

Pourtant, c’est un devoir pour l’Europe de répondre au nouvel ordre américain, à la montée de l’islam militant, à l’émergence de la Chine communiste. En ne faisant pas résonner la symphonie des valeurs européennes dans le concert des nations, l’Europe déroge à ses obligations de première puissance économique mondiale, l’Europe nous fascine, elle nous indigne.

Européens, cessez de vous regarder le nombril : le reste du monde a besoin de vous, des principes humanistes et des lumières de l’Europe.

Marx a bâti sa doctrine sur une certaine philosophiede l’histoire. Mais quelle histoire ?Celle de l’Europe. Mais qu’est-ce que l’Europe ?Ce n’est pas toute l’humanité.”Hô Chi Minh

Page 57: L'Europe à la carte

110 111

PL’Europe de l’espoir

Pierre NouguéPrésident de Reporters d’espoirs Cofondateur des Journées de l’entrepreneur

Les cartes brouilléesde la mondialisation

Benoît Vermander, s. j.Directeur de l’Institut Ricci de Taipei

Pour tous ceux qui doutent encore de l’humanité dans ce qu’elle a de meilleur, rendez-vous à Berlin. Qui aurait ima-giné, après deux guerres mondiales et un mur séparant un même peuple, familles, amis, ce que cette ville est devenue aujourd’hui, à l’aube de son vingtième anniversaire ?

À mes yeux, l’Europe est un symbole d’espoir. Elle dé-montre que rien n’est insurmontable. Que par le dialogue, la politique, l’économie, on peut vivre et partager de nouveaux destins communs, inverser le cours des choses en très peu de temps.

Lorsque l’on vient soi-même de l’enfer, on sait physique-ment combien la paix est fragile et combien chaque jour elle reste à conquérir, à dorloter, à chérir, à préserver, mais aussi et surtout à partager. Quelques centaines de millions d’Euro-péens s’unissent pour tenter de bâtir un monde meilleur, mais n’oublions pas que notre propre avenir passe par un véritable équilibre avec les intérêts des quelque 6,5 milliards d’êtres humains qui peuplent notre Terre… L’Europe n’est pas le centre du monde.

Dans ma jeunesse, le mot « Europe » sonnait comme une idée et une réalité nouvelles, porteuses d’avenir. Et, après tout, ce n’était pas une erreur. Robert Schuman aurait été heureux de savoir que son rêve prendrait les proportions qu’il a aujourd’hui : l’Europe constituait un dépassement de l’idée de nation.

Toutefois, les vieilles nations étaient alors elles aussi dé-bordées par la menace des « nouveaux empires », l’Union soviétique en premier lieu.

À cette époque, nous savions encore très peu de choses sur la Chine : les échos des atrocités de la Révolution cultu-

relle ne nous parvenaient que très assourdis. L’autre force politique nouvelle, qui prit forme à partir des années 1960, est la communauté internationale elle-même – constituée à la fois par les institutions et l’opinion publique. Dans de nombreux pays, les revendications régionalistes ont aussi limité, par le bas, l’influence de l’État.

Aujourd’hui, la nation est devenue un acteur politique parmi d’autres. Il en va de même pour l’Europe.

La carte qu’il nous faut dessiner à présent devra donner sens à l’enchevêtrement des acteurs et décideurs de l’ère de la mondialisation…

Reconnaître l’Europe

Lino SpiteriAncien ministre des Finances de Malte Chroniqueur pour The Sunday Times et The Times of Malta

L’île de Malte a passé de nombreuses années à dé battre des raisons pour lesquelles elle devrait ou non rejoindre l’Union européenne. Elle a également passé des années à attendre d’être admise au sein de l’Union. À présent, elle en est membre depuis plus de cinq ans. Toutefois, la réelle signification de cette intégration ne semble pas avoir été in-tégrée autant qu’il aurait fallu.

Cela a été mis en évidence par la discussion passionnée se déroulant actuellement entre le gouvernement et l’oppo-sition sur la question de la contribution financière nette de Malte aux fonds de l’Union européenne : sommes-nous bé-néficiaires ou débiteurs ?

En tant qu’économiste de métier et ancien homme poli-tique, la passion engendrée par ce débat trahit la tendance à la frivolité qui marque la politique maltaise, et ce jusqu’aux affaires les plus complexes telles que l’économie. Mais cela révèle également quelque chose de pire, à savoir la tendance à réduire la valeur de l’Europe de manière simple et gros-sière à des considérations monétaires à courte vue, avant de l’apprécier pour ce qu’elle a de bon et d’essentiel à offrir.

Ce que l’adhésion nous apportera, ce sera un change-ment de mentalité fondamental. Lorsque cela se produira, peut-être que les Maltais reconnaîtront et apprécieront l’Eu-rope pour ce qu’elle est vraiment, avec tous ses défauts.

Carte de l’invasion des barbares.

Abraham Ortelius, « Europe insulaire », 1587.

Page 58: L'Europe à la carte

112 113

Un miroir et un modèlepour le reste du monde

Simon Xavier Guerrand-HermèsMembre du conseil d’administration et vice-président d’Hermès of Paris, New York Président de la Fondation Guerrand-hermès pour la Paix

L’Europe nous surprendra toujours, par la richesse de ses cultures et de ses langues. Cette unité recèle une extra-ordinaire diversité. Elle est baignée d’un côté par un océan, de l’autre par trois mers, mais son creuset historique est la Méditerranée, d’où elle regarde et reconnaît l’Afrique.

La religion chrétienne, son principal soutien, fut la cause de nombreux conflits. Au cours des siècles, l’Europe a connu bien des guerres, dont les deux dernières – les plus terribles en dehors des campagnes napoléoniennes – ont permis son émergence. Depuis la chute du mur du Berlin, événement historique majeur qui pour une fois s’est produit sans vio-lence, elle est devenue plus homogène.

Alors, est-ce une gageure de croire que vingt-sept pays peuvent s’entendre ? Cela doit-il rester un sujet d’étonnement et d’admiration ? Sans doute faut-il désormais la défendre des bureaucrates, et la laisser découvrir son identité non seulement dans sa monnaie, ses défenses, ses cultures, mais aussi dans la promotion de ses valeurs humaines, environ-nementales, et agricoles.

Aujourd’hui, l’Europe peut défendre fièrement ses va-leurs et espérer devenir un miroir, voire un modèle, pour les pays développés ou en voie de développement – je songe en particulier à son combat pour les droits de l’être humain et au soutien qu’elle semble prête à apporter aux continents voisins.

Si elle a beaucoup à apprendre, elle a encore beaucoup plus à donner.

Une guerre entre Européensest une guerre civile.”

Victor Hugo

Fred Rose, carte comique de guerre pour l’année 1877. Série publiée en 1900 par Bacon & Co.

Page 59: L'Europe à la carte

114 115

Viva Europa ! Viva !

Viva Europa ! Viva !

Joies et grandeur !

José María Figueres OlsenAncien président du Costa Rica

Viva Europa ! Viva !

Viva Europa ! Viva !

Viva Europa ! Viva !Viva Europa !

Viva !Viva Europa ! Viva !

Chaque Costaricain apprend, dès la petite enfance, une chanson intitulée « La Patriotica costarricense ». Écrites afin de mettre en lumière nos accomplissements nationaux, les paroles disent à un moment donné : « Yo no envidio los goces de Europa, la grandeza que en ellos se encierra », ce qui veut dire : « Je n’envie pas les joies de l’Europe ni la grandeur qu’elles représentent. »

Combien de fois ai-je chanté cette chanson et pronon-cé ces paroles, sans qu’elles n’aient vraiment de sens pour moi ? Depuis près d’une décennie que je travaille sur le Vieux Continent, je réalise les vraies joies et la grandeur de l’Europe. C’est la terre de la diversité culturelle, célébrée afin d’enrichir tous ses citoyens. C’est le continent des valeurs, dans un monde qui semble les avoir perdues. C’est l’incarna-tion des droits de l’homme, de l’expression de la solidarité ; c’est également le continent le plus impliqué en faveur du développement durable.

Oui, il se peut que l’Europe ait encore beaucoup de tra-vail à réaliser, comme certains l’affirment un peu vite et lourdement. Toutefois, c’est sans conteste le meilleur endroit où vivre dans ce monde.

Viva Europa ! Viva !

Viva Europa ! Viva !

Viva Europa ! Viva !VivaEuropa !

Viva !

Page 60: L'Europe à la carte

116

117

L’Europe est le derniergrand rêve du xxe siècle.”

Bronislav Geremek

Stevie Weir, « Une perspective européenne », 2009.

Page 61: L'Europe à la carte

118 119

n Michael ADAMS a rejoint l’université Fairleigh Dickinson (New Jersey, États-Unis) comme président en 1999. Il s’est beaucoup engagé sur l’égalité hommes/femmes et l’accès à l’éducation, et soutient les expériences internationales et la compréhension interculturelle. Il a inspiré une nouvelle vision et une mission consacrée à la préparation des citoyens globaux évoluant dans un monde de diversité, avec une technologie de plus en plus sophistiquée et qui change rapidement.

n Écrivain et philosophe franco-libanais, Antoine ASSAF est professeur à l’université de la Sorbonne à Paris. Auteur de Terre blanche, journal d’un otage au Liban, aux éditions du Sarment-Fayard, du Martyre des justes, aux éditions de l’Âge d’homme, il est également capitaine de frégate de réserve.

n André AZOULAY, conseiller du roi du Maroc depuis 1991. Président de la Fondation euro-méditerranéenne Anna Lindh (Alexandrie) et de la Fondation des Trois Cultures (Séville), il est aussi membre de l’Académie royale du Maroc et de l’Académie royale d’Espagne pour les sciences économiques et financières.

n Diplômé de l’École polytechnique et du MIT, Jean-Paul BAILLY a consacré l’intégralité de sa carrière au service public. Après avoir exercé plusieurs responsabilités au sein de la RATP, il en a été le P-DG de 1994 a 2002. Depuis 2002, il préside le groupe La Poste. Depuis 2006, il est également président du conseil de surveillance de la Banque postale. Membre du Conseil économique, social et environnemental depuis 1995, Jean-Paul Bailly est par ailleurs président d’International Post Corporation et administrateur de GDF-Suez, d’Accor, de CNP Assurances et de la Fondation du Collège de France.

n BAN Ki-moon, né en 1944 en Corée du Sud, est le huitième secrétaire général des Nations unies depuis le 1er janvier 2007. Il a été ministre des Affaires étrangères et du Commerce de la république de Corée de 2004 à 2006. Il a toujours défendu la vision d’une péninsule coréenne pacifique, assumant un rôle de plus en plus important en faveur de la paix et de la prospérité dans la région et dans le monde.

n Né à Buenos Aires en 1942, Daniel BARENBOÏM est pianiste et chef d’orchestre, de nationalité argentine et is-raélienne. Désireux de promouvoir le dialogue et la paix au Proche-Orient au travers de la musique classique, il est à l’origine de l’orchestre Divan occidental-oriental, atelier musical et orchestre israélo-arabe. En 2006, il reçoit le

prix Ernst von Siemens, considéré comme le « Nobel de la mu sique », et accepte en 2008 le passeport que le gouverne-ment palestinien lui offre en signe de reconnaissance. Daniel Barenboïm est directeur à vie de la Staatskapelle de Berlin.

n Polytechnicien, ingénieur des Ponts et Chaussées, Pierre CALAME a travaillé vingt ans au ministère français de l’Équipement, où il occupait diverses responsabilités de gestion territoriale et d’administration centrale. Il a quitté la haute administration, convaincu de la nécessité d’une ré-forme radicale de l’État. Après un passage dans l’industrie comme secrétaire général d’Usinor, il dirige depuis 1988 la Fondation Charles-Léopold-Mayer. Il est l’auteur de L’État au cœur (éd. Desclée de Brouwer, 1997), La Démocratie en miettes (Descartes & Cie, éd. Charles Léopold Mayer, 2003) et Essai sur l’œconomie (éd. Charles Léopold Mayer, 2009).

n Président d’Euronews depuis 2003, Philippe CAYLA a mené sa carrière dans l’administration (ministères de l’Équi-pement, de l’Industrie, du Commerce extérieur) puis dans l’industrie (Alcatel, Matra Espace, Eutelsat). En juin 2000, il avait rejoint le groupe France Télévisions, où il était direc-teur du développement international.

n Hywel CERI JONES a occupé plusieurs postes à res-ponsabilités à la Commission européenne depuis le début des années 1970 jusqu’en 1999. Il a été responsable de la conception et de la mise en place de la première généra-tion de programmes européens sur l’éducation : Erasmus, Comett, Petra. Président du bureau du European Policy Centre à Bruxelles, il a été membre du conseil d’administra-tion de l’IEEPS (Institut européen d’éducation et de politique sociale) depuis sa création en 1975 et son président de 2001 à 2004. Il a été également directeur de NEF (Network of European Foundations).

n Diplômé de l’École nationale supérieure des Beaux-Arts, CharlElie s’inscrit dans le courant « multiste » des artistes pluridisciplinaires dont la démarche consiste à chercher des interconnexions entre les formes d’expression que sont la musique, l’écriture et l’image. Depuis 2004, il vit et travaille à New York, et concentre sa réflexion picturale et photogra phique esthétique autour du thème de la « RE-construction ».

n Job COHEN, né à Haarlem en 1947, est un homme politique néerlandais, membre du parti socialiste. Après des études de droit à Groningue, il devient professeur puis recteur de l’université de Maastricht. Il était secrétaire d’État à l’Éducation universitaire et à la Science, devient membre

du Sénat, puis secrétaire d’État à la Justice et il est nommé bourgmestre d’Amsterdam en 2001. C’est à ce poste qu’il poursuit, depuis, son combat pour l’unité et la tolérance, que ce soit en unissant un couple homosexuel par les liens du mariage, ou en prenant position après l’assassinat de Theo Van Gogh par un extrémiste musulman, appelant la ville au calme et prônant l’intégrité de tous les citoyens, quelle que soit leur appartenance religieuse.

n Michel DERDEVET, né en 1960 à Béziers, est depuis avril 2000 membre de la Comex et directeur de la com-munication et des affaires publiques de RTE (Réseau de transport d’électricité), filiale d’EDF en charge de la gestion et de l’exploitation du réseau électrique français à haute et à très haute tension. Il fut le chef de cabinet de Martin Malvy, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargé des Relations avec le Parlement. Maître de conférences à l’Ins-titut d’études politiques de Paris, conférencier à l’ESSEC et à HEC, il est l’auteur d’articles et de publications dans la presse nationale et internationale.

n Paula Jon DOBRIANSKY est experte en politique étrangère américaine. Elle a servi comme sous-secrétaire d’État à la Démocratie et aux Affaires mondiales, et comme représentant spécial en Irlande du Nord pendant l’adminis-tration du président George W. Bush.

n J. Christer ELFVERSON est actuellement conseiller diplomatique senior de Concordia 21 à Madrid. Il a tra-vaillé pour les Nations unies dans différentes positions clés en Europe, en Amérique et au Moyen-Orient, et a été chef d’état-major pour le Sahara occidental ainsi que directeur dans le programme d’Irak. Il a exercé plusieurs positions directoriales dans le groupe d’Axel Johnson en Suède, au Mexique et en Australie, et a occupé le poste de conseiller de risque souverain pour diverses banques des États-Unis et du Royaume-Uni. Il a également servi dans la diplomatie suédoise comme conseiller commercial, à Madrid et Paris. Il a aussi créé et dirigé la Fondation Mentor.

n Corinne EVENS est auteur, productrice de documen-taires et présidente de la Fondation Evens fondée par ses parents Georges Evens et Irène Evens-Radzyminska, im-migrés en Belgique depuis la Pologne. La Fondation Evens est une organisation philanthropique basée à Anvers, en Belgique, et disposant d’antennes à Paris et à Varsovie. Elle contribue à la construction de l’Europe par le biais de projets concrets, à échelle humaine, qui permettent de renforcer la cohésion sociale entre les citoyens de l’Union européenne.

n Son Altesse royale le prince Turki al-Faisal (né en 1945 à La Mecque, en Arabie saoudite) est devenue, en 2002, am-bassadeur au Royaume-Uni et en République irlan daise, avant sa nomination en 2005 comme ambassadeur aux États-Unis. Membre du conseil d’administration du centre islamique d’Oxford, il est un des fondateurs et membre du

conseil d’administration de la King Faisal Foundation, et président du conseil du King Faisal Center pour la re cherche et les études islamiques, à Riyad. Il est aussi membre de la Commission internationale sur la non-prolifération nucléaire et le désarmement.

n Ghida FAKHRY-KHANE est présentatrice des informa-tions télévisées pour la version anglophone d’Al-Jazeera. Elle est journaliste et chroniqueuse de télévision et de presse. Elle a couvert les Nations unies depuis 1995 ainsi que certai-nes des crises majeures récentes du monde, comme l’Irak, l’Iran et le conflit israélo-palestinien. Née à Beyrouth, au Liban, elle est titulaire d’une maîtrise en relations internatio-nales de l’université de Boston et d’une maîtrise en études du Moyen-Orient de l’École d’études orientales et africaines de l’université de Londres.

n Né en Italie en 1980, Adriano FARANO s’est établi en France depuis 2001 où il a cofondé cafebabel.com, le pre-mier webzine paneuropéen disponible en six langues. Depuis 2003, il en est le directeur exécutif et rédacteur en chef. Auparavant, il a travaillé comme journaliste pour plu-sieurs médias français (Le Figaro, Courrier international…). Il enseigne le journalisme web dans plusieurs écoles.

n José María FIGUERES OLSEN (né en 1954 au Costa Rica) est un homme politique et un expert international dans le développement et les technologies durables. Ministre du Commerce extérieur de son pays (1986-1988), puis minis-tre de l’Agriculture (1988-1990), il a été président du Costa Rica de 1994 à 1998. Il est, aujourd’hui, directeur général de Concordia 21, consacré au soutien des organisations pour la promotion du développement et des valeurs démocratiques dans le monde.

n Monica FRASSONI, née à Veracruz en 1963, a été élue députée au Parlement européen en Belgique sur les listes des Verts belges (Écolo) en 1999, puis réélue sur les listes des Verts italiens. Depuis 2001, elle est coprésidente du groupe des Verts/ALE (Alliance libre européenne) au Parlement européen aux côtés de Daniel Cohn-Bendit. Elle est membre du conseil du réseau parlementaire sur la Banque mondiale (PNoWB). Elle a également été chef des missions d’observa-tion électorale en Bolivie et au Venezuela en 2006.

n Angela Mariana FREYRE est vice-présidente senior et conseillère générale adjointe en charge des affaires légales et stratégiques de la société Nielsen. Avant cela, elle a tra-vaillé pour le cabinet juridique privé Coudert Frères. Née à La Havane, à Cuba, elle a étudié et exercé à Paris pendant de nombreuses années, en tant que bénéficiaire d’une bourse d’études Fulbright. Elle vit et travaille à New York.

n Avant de devenir le directeur du bureau à Washington de la fondation allemande Hanns-Seidel-Stiftung en 2004, Ulf GARTZKE a travaillé pour le Forum économique

Biographies

Page 62: L'Europe à la carte

120 121

mondial à Genève, le bureau d’affaires à Washington de DaimlerChrysler, le Centre d’études stratégiques et interna-tionales (CSIS), la Banque mondiale à Paris et le siège du parti de l’Union chrétienne-sociale (CSU) à Munich.

n Ministre plénipotentiaire, Dominique GIRARD a été successivement ambassadeur en Indonésie (1992-1995), en Australie (1995-2000) et en Inde (2002-2007). Il a également été directeur d’Asie et d’Océanie au ministère des Affaires étrangères de 2000 à 2002 et à ce titre « SOM leader » pour l’ASEM. Président du Conseil des affaires étrangères et conseiller diplomatique du gouvernement français en 2007 et 2008, il est le directeur exécutif de la Fondation Asie-Europe.

n Jean-Dominique GIULIANI est le président du conseil d’administration de la Fondation Robert-Schuman, think tank de référence sur les politiques européennes. Il a été pendant six ans le directeur de cabinet de M. René Monory, prési-dent du Sénat français. Après une carrière dans la fonction publique et l’exercice de mandats électifs, il est entré dans le secteur privé où il a fondé une entreprise spécialisée dans le conseil stratégique et international. Auteur de nombreux articles et ouvrages sur l’Europe, il est un avocat fervent et un expert reconnu de la construction européenne.

n Xavier GODINOT, domicilié avec son épouse à Madagascar, est délégué du Mouvement international ATD Quart Monde pour la région océan Indien, et coordinateur du livre collectif Éradiquer la misère. Démocratie, mondiali-sation et droits de l’homme (Presses universitaires de France, 2008).

n Vartan GREGORIAN (né en 1934) est un universitaire américain né à Tabriz (Iran) de parents arméniens. Il est ac-tuellement président de la société Carnegie de New York. Titulaire d’un double doctorat d’histoire et des humanités de l’université de Stanford en 1964, il a travaillé pour plu-sieurs universités américaines avant de rejoindre celle de la Pennsylvanie, où il est devenu le doyen fondateur de la faculté des lettres et sciences en 1974, et le vice-recteur général en 1978. De 1981 à 1989, il a été le président de la bibliothèque municipale de New York City et a été nommé président de l’université Brown en 1989. En 1997, il est devenu le président de la société Carnegie, une fondation philanthropique. En 1998, le président Clinton lui a accordé la médaille des Humanités nationale. En 2004, le président Bush lui a accordé la médaille de la Liberté, la récompense civile nationale la plus haute.

n Le Dr Pan GUANG est directeur et professeur au centre d’études internationales et directeur universitaire de l’ins-titut d’études européennes et asiatiques à l’Académie des sciences sociales de Shanghai, directeur du centre d’étu-des d’OSC (l’Organisation de coopération de Shanghai), doyen au centre des études juives de Shanghai (CEJS) et

vice- président de la Société chinoise d’études du Moyen-Orient. Il est membre du conseil international de la Société de l’Asie et conseiller senior du Forum Chine-Eurasie aux États-Unis, administrateur consultatif de Asia Europe Journal (par ASEF) à Singapour, membre du conseil de di-rection de la Fondation de Bourse asiatique à Bangkok. Il a été nommé, par le secrétaire général de l’ONU Kofi Annan, membre du groupe de haut niveau pour l’Alliance des civili-sations en 2005 puis ambassadeur de l’Alliance en 2008.

n Simon Xavier GUERRAND-HERMÈS est directeur et vice-président d’Hermès of Paris à New York. Il représente la cinquième génération de la famille à la tête de la société Hermès. Il est membre du conseil de l’école de théologie de Harvard. Il a été aussi Honorary Fellow à l’université d’Oxford et il est le trésorier de la Conférence mondiale des religions pour la paix. Il a fondé la Fondation Guerrand-Hermès pour la paix qui soutient activement les dialogues interreligieux.

n Diego HIDALGO (né en 1942 à Madrid) est président de Fride, fondateur du Club de Madrid et du Centre internatio-nal Toledo pour la résolution des conflits et la paix. Président et fondateur de Fundación Los Santos de Maimona, ancien conseiller à la commission des Nations unies sur l’autono-misation juridique des pauvres, membre fondateur de la Gorbachev Foundation of North America, fondateur de Concordia 21, membre du conseil d’administration et du comité exécutif de Prisa (comprenant El País, Cadena SER et Sogecable), il est également le fondateur du Conseil euro-péen des relations étrangères.

n Diplômé de Sciences-Po, de l’université de Paris-I Panthéon-Sorbonne et de l’Institut national des langues et civilisations orientales, docteur en science politique, Christophe JAFFRELOT est un politologue français, spécia-liste des questions politiques et régionales de l’Asie du Sud. Directeur du Centre d’études et de recherches internationales (CERI) de 2000 à 2008, et directeur de recherche au CNRS, il est l’auteur de nombreux ouvrages sur l’Inde et le Pakistan.

n Hubert JOLY est président-directeur général de Carlson, groupe mondial familial basé à Minneapolis (Minnesota), présent dans les secteurs de l’hôtellerie, des services marke-ting, de la restauration et des voyages. Les marques et services de Carlson emploient environ 150 000 personnes dans plus de 150 pays. Hubert Joly est également président du conseil d’administration de Carlson Wagonlit Travel, vice-président du conseil d’administration du groupe hôtelier Rezidor et administrateur de Polo Ralph Lauren. Il est, par ailleurs, mem-bre du comité exécutif du World Travel & Tourism Council.

n De formation théologique musulmane, le professeur Bekir KARLIGA est spécialisé en philosophie islamique, do-maine dans lequel il a produit de nombreuses publications. Conseiller auprès du Premier ministre à Istanbul, il est actuellement président du Centre de recherches sur les

civilisations de l’université de Bahçeşehir et président du co-mité de coordination turc de l’Alliance des civilisations.

n Ancien élève de l’École normale supérieure, agrégé de géographie, Hakim el-KAROUI a été conseiller technique chargé des discours du Premier ministre français Jean-Pierre Raffarin puis conseiller du ministre des Finances Thierry Breton. Il est aujourd’hui directeur chez Rothschild & Cie Banque où il est en charge de fusions-acquisitions dans la zone Méditerranée. Il est le président fondateur du Club xxie siècle dont la vocation est de montrer par l’exemple que la diversité est une chance pour la France. Il a également fondé les Young Mediterranean Leaders qui visent à rassem-bler la nouvelle génération de dirigeants de la Méditerranée. Il est l’auteur d’un essai, L’Avenir d’une exception, pourquoi le monde a encore besoin des Français (Flammarion, 2006).

n Craig KENNEDY est président du German Marshall Fund of the United States (GMF), une institution améri-caine de politique publique qui a pour objectif de valoriser les relations transatlantiques grâce à un réseau d’experts et de financement. Il était auparavant président de la Joyce Foundation. Craig Kennedy est membre du comité scienti-fique de la Fondation Thomas Fordham, de l’Institut Rocky Mountain et de l’European Foundation Center à Bruxelles.

n Bassma KODMANI a quitté la Syrie en 1968 avec ses parents, contraints de partir pour des raisons politiques. Chargée de mission au CNRS, elle est la directrice de l’Initiative arabe de réforme, un consortium d’instituts de re-cherche du monde arabe travaillant en partenariat avec des instituts européens et américains sur la transition démocra-tique dans le monde arabe. Elle est l’auteur de nombreuses publications sur le Moyen-Orient.

n Charles KONAN BANNY, né en 1942, est un économis-te ivoirien. Ancien diplômé de l’Essec, à Paris, il consacre la première partie de sa carrière au monde économique et financier. En 1976, il entre à la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest, à Dakar, en devient le gouverneur en 1990 et occupe ce poste jusqu’en 2005. De décembre 2005 à mars 2007, il est le Premier ministre de la Côte-d’Ivoire.

n L’ambassadeur William LACY SWING des États-Unis a été élu directeur général de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) en juin 2008. De 2001 à 2008, l’am-bassadeur Swing a été le représentant spécial du secrétaire général de l’ONU pour le Sahara occidental et ensuite pour la République démocratique du Congo (RDC), dirigeant la plus vaste opération de maintien de la paix de l’histoire des Nations unies. Pendant sa longue carrière diplomatique au département d’État des États-Unis, il a été nommé six fois ambassadeur.

n Né et élevé au Maroc, Ahmad LAROUZ est établi aux Pays-Bas depuis l’âge de 18 ans. Il est le fondateur de Bridgizz

Ltd., une société de communication globale et marketing/commercialisation, opérant en Europe, au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Il est membre du conseil de Rabobank, TANS, Marokko Fonds, membre fondateur d’Entrepreneurs marocains et de Réseau entrepreneurial mondial. Il a aussi créé le festival de Ramadan.www.larouz.nl/pagina4.html

n Andras LÖCKE est journaliste, il travaille actuel-lement au lancement du premier journal du dimanche hongrois. Auparavant éditeur chez HVG, le plus grand hebdomadaire hongrois, il est, depuis 2001, le président de la Soma Foundation, une ONG qui défend le journalisme d’investigation.

n Né à Beyrouth (Liban) en 1949, Amin MAALOUF vit à Paris depuis 1976. Après des études d’économie et de socio-logie, il entre dans le journalisme. Grand reporter pendant douze ans, il a effectué des missions dans plus de soixante pays. Ancien directeur de l’hebdomadaire An-Nahar International, ancien rédacteur en chef de Jeune Afrique, il se consacre aujourd’hui à l’écriture de ses livres, traduits en trente-sept langues. Son dernier ouvrage Le Dérèglement du monde est paru aux éditions Grasset en 2009.

n Yoyo MAEGHT a commencé à travailler, dès l’âge de 18 ans, à L’Automobiliste, le magasin de jouets et d’objets cultes ouvert par son père, rue du Bac à Paris, à côté de la galerie du 42. À la mort de son grand-père en 1981, elle prend en charge les relations de la galerie avec les artis-tes. Directrice des éditions Maeght et administratrice de la Fondation Maeght, à Saint-Paul-de-Vence, elle est égale-ment commissaire d’expositions pour de nombreux musées et centres d’art.

n Norbert MAO est actuellement gouverneur de la région de Gulu en Ouganda du Nord. Il a été pendant dix ans (1996-2006) membre du Parlement de l’Ouganda et a cofondé le Forum parlementaire des Grands Lacs pour la paix (Forum Amani) ainsi que le Réseau parlementaire sur la Banque mondiale.

n Katherine MARSHALL enseigne à l’université de Georgetown après une longue carrière à la Banque mon-diale. Depuis 2000, elle travaille sur l’éthique, la religion et le développement. Elle a notamment écrit Le Développement et la Foi : où l’esprit, le cœur et l’âme travaillent ensemble (La Banque mondiale, 2007), Development and Faith : Where Mind, Heart and Soul work Together (World Bank, 2007).

n Candido MENDES DE ALMEIDA est professeur de droit et de sciences politiques, recteur de l’université Candido-Mendes, ex-président de l’institut de sciences sociales de l’Unesco et de l’Association internationale de sciences politiques. Secrétaire général de l’Académie de la latinité et membre de la commission des Nations unies pour

Page 63: L'Europe à la carte

122 123

l’alliance des civilisations, il est également membre de l’Aca-démie brésilienne des lettres.

n Michael MEYER, un haut responsable de l’ONU, a été le chef du bureau de Newsweek pour l’Allemagne, l’Europe de l’Est et les Balkans de 1988 à 1992. Il est par la suite devenu le rédacteur en chef du magazine Newsweek international pour l’Europe. Il est l’auteur de The Year That Changed the World : The Untold Story Behind the Fall of the Berlin Wall (L’Année qui a changé le monde : l’histoire non dite derriè-re la chute du mur de Berlin), publié par Scribner-Simon & Schuster en septembre 2009.

n Amr Mahmoud MOUSSA est né en Égypte, en 1936. Après des études de droit à l’université du Caire, il devient avocat, puis travaille au ministère des Affaires étrangères égyptien. Membre non permanent de l’Égypte aux Nations unies de 1981 à 1983, ambassadeur de l’Égypte en Inde jusqu’en 1986, il devient en 1990 l’ambassadeur de l’Égypte aux Nations unies, avant d’être nommé ministre des Affaires étrangères égyptien de 1991 à 2001. Depuis mai 2001, il est le secrétaire général de la Ligue des États arabes.

n L’œuvre romanesque de Besnik MUSTAFAJ, né en 1958 en Albanie, est publiée en français chez Actes Sud et Albin Michel. Son livre Pages reservées, un Albanais à Paris (Grasset) est le fruit de son séjour en France comme ambas-sadeur de l’Albanie de 1992 à 1997. Cofondateur du Parti démocratique albanais, le parti qui a renversé la dictature de son pays, il devient membre du Parlement albanais aux premières élections libres en 1991 jusqu’en 2009. Il a occupé les fonctions de ministre des Affaires étrangères de son pays entre 2005 et 2007.

n Maria-Cristina NECULA est une écrivaine d’origine roumaine établie à New York. Son livre Life in Opera : Truth, Tempo and Soul sera publié par Amadeus Press-Hal Leonard et sortira en octobre 2009. En 2007, elle a publié une pre-mière collection de ses poésies, Shadows and Miracles, chez Xlibris. Elle travaille aussi en tant que directrice du réseau des anciens élèves de son université, le collège Purchase de Suny. Ces dernières années, elle a sorti deux CD : One Millennium Before Sunrise (2005) et My Vie en Rose (2009).www.cristinanecula.com

n T. N. NINAN est rédacteur en chef et éditeur de The Business Standard, l’un des principaux journaux financiers indiens. Il a précédemment été le rédacteur de The Economic Times et rédacteur exécutif de India Today. Il est devenu une figure bien connue à la télévision nationale indienne comme commentateur sur des questions économiques.

n Cofondateur et président exécutif de Reporters d’es-poirs, Pierre NOUGUÉ est également cofondateur des Journées de l’entrepreneur en France et membre de la Global Entrepreneurship Week. Il est à l’origine de la création de

plusieurs entreprises dans le domaine du marketing, de la communication et de la production de contenus. Il est de-venu récemment producteur associé du film Nous resterons sur Terre, très engagé sur les nouvelles valeurs d’économie durable.

n Née en Argentine, Ana PERONA-FJELDSTAD a la double nationalité argentine et italienne, et vit en Norvège. Juriste titulaire d’une maîtrise en relations internationales, elle a travaillé pour le Parlement argentin et pour FLACSO, la faculté de sciences sociales d’Amérique latine. Depuis fé-vrier 2009, elle est directrice exécutive du centre européen Wergeland, un centre de ressources sur l’éducation à la compréhension interculturelle, aux droits de l’homme et à la citoyenneté démocratique.

n Bernd POSSELT est né en 1956, à Pforzheim, Allemagne. Il est député au Parlement européen, membre du bureau de la CSU, président fédéral de l’Association des Allemands des Sudètes et président pour la Bavière de l’Union des per-sonnes déplacées.

n Née au Luxembourg, Viviane REDING est commis-saire européen chargée de la Société de l’information et des médias dans la commission Barroso depuis 2004. Elle était auparavant membre de la commission Prodi. Elle est membre du Parti chrétien-social dont elle fut la vice-prési-dente entre 1995 et 1999.

n Jean-François RISCHARD (né 1948) a été vice- président de la Banque mondiale de 1992 à 2005. Il est l’auteur du livre High Noon : 20 Global Problems, 20 Years to Solve Them (Autour de minuit : 20 problèmes globaux, 20 ans pour les résoudre) et conseille des gouvernements comme consultant international. Il est luxembourgeois et vit actuellement à Paris.

n Jorge SAMPAIO a été président de la République portugaise de 1996 à 2006. Il est aujourd’hui envoyé spé-cial des Nations unies pour la lutte contre la tuberculose et haut représentant des Nations unies pour l’Alliance des civilisations.

n Inés SASTRE, née à Valladolid en Espagne, est actrice et mannequin dès l’âge de 12 ans. Elle tourne avec de grands cinéastes, devient ambassadrice des marques Lancôme et met sa notoriété au service de la recherche médicale et d’œuvres caritatives. Ambassadrice bénévole de l’Unicef, elle collabore sur le terrain à des actions concrètes.

n Tioulong SAUMURA, née en 1950 à Phnom Penh, est diplômée de l’Institut d’études politiques de Paris, section économique et financière en 1974. Vice-gouverneur de la Banque centrale du Cambodge de 1993 à 1995, elle a né-gocié et supervisé l’application des premiers programmes de soutien du FMI au Cambodge. Elle a été présidente du

Comité interministériel contre le blanchiment des capitaux. Depuis 1998, elle est députée de Phnom Penh, membre du comité directeur du parti Sam Rainsy. Tioulong Saumura est également porte-parole de l’opposition pour les affaires étrangères et la coopération internationale.

n Le rabbin Arthur SCHNEIER (né en 1930 à Vienne, en Autriche) a émigré aux États-Unis en 1947. Fondateur et président de la Fondation Appel de la conscience depuis 1965, et rabbin senior à la synagogue Park East, à New York, depuis 1962, il est connu internationalement pour son travail œcuménique en faveur de la liberté religieuse, des droits de l’homme, de la paix et du dialogue interreligieux.

n Née à Somerset, Justine SMITH est une artiste établie à Londres où elle étudie à la City & Guilds of London Art School de 1990 à 1993. Elle a toujours travaillé avec le pa-pier comme moyen principal d’expression artistique et se concentre actuellement sur la création d’ouvrages à partir des monnaies et de l’argent. Ses créations sont devenues la propriété de la collection d’œuvres d’art du gouvernement du Royaume-Uni, du British Council, des institutions finan-cières et des musées.

n Bård Vegar SOLHJELL (né en 1971) est un homme po-litique norvégien membre du Parti socialiste de gauche et ministre de l’Éducation et de la Recherche nationale depuis 2007. Il a été précédemment conseiller politique au Parti so-cialiste de gauche et secrétaire d’État au cabinet du Premier ministre. Il est diplômé en sciences sociales des universités d’Oslo et de Bergen.

n Lino SPITERI (né en 1938 à Malte) est diplômé en éco-nomie politique de l’université d’Oxford. Il est économiste et ancien ministre des Finances maltais. Il est chroniqueur régulier au The Sunday Times et The Times of Malta.

n Heleen TERWIJN a étudié la psychologie à l’univer-sité d’Amsterdam. Après un troisième cycle de formation en psychothérapie, elle poursuit une carrière de cher-cheuse et de psychothérapeute. En 1998, elle fonde la IMC Weekendschool afin de mettre en pratique sa conception de l’enseignement : ouvrir les enfants issus de quartiers dé-favorisés sur le monde extérieur, les connecter à la société qui les entoure, les aider à découvrir leurs talents et leur donner confiance en eux afin d’élargir leurs perspectives d’avenir. Aujourd’hui, neuf IMC Weekendschools existent aux Pays-Bas, toutes financées par des sociétés et fonda-tions privées.

n Yvon THIEC est dirigeant d’une association profes-sionnelle dans le secteur de la culture et de l’audiovisuel au niveau européen. Il est par ailleurs vice-président pour l’Europe du réseau international pour la diversité culturelle et expert sur les questions audiovisuelles pour les pays en développement.

n Ben TUROK est un vétéran du Congrès national afri-cain (ANC) ayant participé au Congrès du peuple en 1955. Chef de la commission de PRD (Plan de reconstruction et de développement) dans le cabinet Gauteng, il est député à l’Assemblé nationale sud-africaine. Il est parti en exil en 1966, et est devenu universitaire enseignant dans diverses universités au Royaume-Uni et en Afrique. Il est le fonda-teur et le rédacteur en chef du Nouvel Ordre du Jour (New Agenda), magazine de politique économique et sociale.

n Benoît VERMANDER, jésuite francais, né en 1960, est docteur en sciences politiques et en théologie. Il dirige l’Insti-tut Ricci de Taipei. Il a notammment publié Les Mandariniers de la riviere Huai (Desclée de Brouwer, 2002), Chine brune ou Chine verte (Presses de Sciences-Po, 2007), L’Enclos à mou-tons, un village nuosu au Sud-Ouest de la Chine (Les Indes savantes, 2007) et La Chine ou le Temps retrouvé (Academia Bruylant, Presses universitaires de Louvain, 2008). Il dirige le magazine électronique erenlai.com.

n Le professeur Tanguy de WILDE D’ESTMAEL a été directeur du CECRI de 2001 à 2007. Il est président du dé-partement des sciences politiques et sociales de l’université catholique de Louvain, directeur de la chaire InBev-Baillet Latour Union européenne-Russie. Ses domaines d’expertise sont la politique étrangère et de sécurité, l’action extérieu-re de l’Union européenne, l’analyse politique des mesures coercitives non militaires, la géopolitique des conflits inter-nationaux et la politique étrangère de la Belgique.

Page 64: L'Europe à la carte

Un nouveau pacte européen 66Hywel Ceri Jones

L’enseignement au monde réel 68Heleen Terwijn

L’éducation pour la compréhension et le dialogue 71Bård Vegar Solhjell

Une Europe dynamique et juste 72Job Cohen

Agir pour ce rêve 72Monica Frassoni

Les enjeux énergétiques de la Communauté euro-méditerranéenne 73Michel Derdevet

L’Europe contemporaine, une expérience pionnière 74Amin Maalouf

Des frontières sculptées par les migrants 75William Lacy Swing

Une duplicité coupable 76Xavier Godinot

Ma vision de l’Europe ? 79Corinne Evens

Contribuer à l’État universel 81Yvon Thiec

Europe : unité ou non-sens ? 83Diego Hidalgo

L’École de Paris, mon Europe 84Yoyo Maeght

L’Europe culturelle, celle des tags et des grafs 87CharlElie

Ma vieille et euro-Europe(s) 89Justine Smith

Européenne sans frontières 90Inés Sastre

Le pouvoir de la musique : l’engagement de l’Europe au Moyen-Orient et dans le monde 93Daniel Barenboïm

La liberté triomphe 94Paula Jon Dobriansky

L’état d’esprit européen 97Craig Kennedy

Un brillant exemple d’unité et de diversité 98Rabbin Arthur Schneier

Les fondations spirituelles de l’Europe 99Bernd Posselt

Les Indiens demandent des recettes 100Christophe Jaffrelot

Cinq générations 101T. N. Ninan

La puissance de l’exemple européen 102Ban Ki-moon

Un sentiment ambivalent 104Pierre Calame

L’Europe et l’Asie indispensables l’une à l’autre 105Dominique Girard

Une vision chinoise de l’Europe 107Pan Guang

Europe fascination 109Tioulong Saumura

Reconnaître l’Europe 110Lino Spiteri

L’Europe de l’espoir 110Pierre Nougué

Les cartes brouillées de la mondialisation 111Benoît Vermander, s. j.

Un miroir et un modèle pour le reste du monde 112Simon Xavier Guerrand-Hermès

Joies et grandeur ! 114José María Figueres Olsen

Biographies 118

Préface : La carte du Tendre 5Philippe Cayla

Introduction 9Jean-Christophe Bas

Après la chute du mur de Berlin, une nouvelle carte d’Europe 12Michael Meyer

Une carte de la réconciliation 14Maria-Cristina Necula

Mon Europe 18Andras Löcke

Soutenir et acclamer l’Europe 20Ulf Gartzke

Le mythe Europe 23Antoine Assaf

Le marathon d’Europe 24Jean-François Rischard

Charlemagne, le père de l’Europe moderne 26J. Christer Elfverson

L’Europe et le monde arabe Les complémentarités 27Amr Mahmoud Moussa

L’arbre de la civilisation 28Son Altesse Royale, le prince Turki al-Faisal

L’Europe : continent ou déesse ? 31Ghida Fakhry-Khane

L’Europe s’ennuie Un besoin d’Europe de l’autre côté de la Méditerranée 32Bassma Kodmani

Pour que l’Europe retrouve son sud 33André Azoulay

Pour une CECA migratoire 34Hakim el-Karoui

Les mettre en valeur plutôt que de les négliger 35Ahmed Larouz

Des Européens qui rentrent à la maison ? 37Ana Perona-Fjeldstad

Pour des relations réciproquement bénéfiques Afrique-Europe 38Ben Turok

L’Europe, miroir et horizon 41Charles Konan Banny

Un point de vue africain 42Norbert Mao

Du conte de fées à l’espoir 44Maria-Cristina Necula

La mystique de l’Europe 45Katherine Marshall

La quête commune de l’Europe 47Michael Adams

La vieille Europe a un avenir radieux 48Hubert Joly

L’Europe aux nouveaux parapets 50Candido Mendes de Almeida

Par-delà les mers 52Vartan Gregorian

Vers une CECA de solidarité de l’énergie avec la Russie. 54Tanguy de Wilde d’Estmael

Un café turc ou un café grec ? 55Besnik Mustafaj

Dans la savane du nouveau monde 57Jean-Dominique Giuliani

L’Europe moderne et son union 59Bekir Karlıga

Harmonie politique et diversité culturelle 60Angela Mariana Freyre

Fable européenne 61Jean-Paul Bailly

Le pari de la génération Erasmus 62Adriano Farano

Des mots pour dire l’Europe 64Jorge Sampaio

Une identité plus cohérente et visible 65Viviane Reding

Sommaire

Page 65: L'Europe à la carte

Remerciements

L'Europe à la carte est un ouvrage collectif auquel ont contribué de nombreux amis, collègues, personnes passionnées par le projet.

Jean-Christophe Bas tient à exprimer à chacun sa reconnaissance et à remercier particulièrement :– l'ensemble des auteurs et contributeurs qui ont rédigé un texte ;

– les partenaires qui ont soutenu financièrement la publication du livre et sans lesquels le projet n’aurait pu voir le jour : la Fondation Hippocrene, Euronews, la Fondation Alexandre Varenne, le German Marshall Fund of the United States,

La Poste, la Fondation Robert Schuman, Carlson, le British Council, la Fondation Evens, l’université Bahçesehir de Turquie ;– tous ceux qui depuis des années l'ont conseillé, soutenu, aidé, accompagné dans la réalisation du projet,

particulièrement Emmanuel Kattan, Christian de Pange, Pierre-Henry Bas, Troy Davis, Susana Esteban Berrocal, Didier de Jeager, Adriano Farano, Naye Bathily, Pascal Perzo, Valérie Vim Datin, Gauthier Bas, Mathieu Bas,

Gilles Garcia, Martine Fougeron, Bénédicte de Montlaur, Jean Brousse, Daniel Pouzadoux, Paul Jaeger, Michael Meyer, Maria-Cristina Necula, Daniel Scheck, Bruno Dellinger ;

– l'ensemble de ses collègues du secrétariat de l'Alliance des civilisations des Nations unies ;– sa mère Odile Bas et ses filles Zelda et Apolline.

Chacun d'entre eux a apporté un élément indispensable à la réalisation du projet.

Crédits

© Pierre Alechinsky, ADAGP : 85.© Michal Batory : 18-19.

© Su concessione del Ministero per i Beni e le Attività Culturali, Biblioteca Estense Universitaria, Modena : 47.© Biblioteca nacional de Portugal : 64.

© Bibliothèque nationale de France : 25, 92, 102.© David Cerny : 68.

© Radu Ceuca : 51, 86.© Collection J.-C. Bas : 8, 10, 36, 78, 111.© Collection Maria-Cristina Necula : 15.

© Collection particulière : 6-7, 20, 27, 29, 30, 42, 44, 61.© Corbis : 58.

© Courrier international : 60, 83, 96.© Vladislav Gerasimov : 53.

© European Communities, 2008 : 98.© Eyedea (ADPC/Keystone France) : 21, 91.

© Tayo Fatunla : 39.© Gérard Fromanger : 17.

© Tibor Kajan : 54.© Leopold Khor : 93, 94.

© Newsweek international : 12-13.© Ocean World : 49.

© Plantu : 43, 75.© RMN : 23.© RTE : 73.

© Barry Lawrence Ruderman Antique Maps Inc. : 26, 32, 110, 113.© San Jose, 2006 : 18.

© Justine Smith : 88-89.© Special Collections, University of Amsterdam : 40, 66-67, 70-71, 76-77, 80-81, 102-103.

© Université de Princeton : 56, 106-107.© Université de Yale : 63, couverture bas.

© John Yunker : 65.© [email protected] : 117, couverture haut.

© www.leblogdegab.canalblog.com : 33, 34.

Page 66: L'Europe à la carte

Photogravure : Nord CompoImprimé en France par Pollina

Dépôt légal : octobre 2009N° d’édition : 1543

978-2-7491-1543-6