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Frère Didier van HECKE, l'Évangile de Jean, GB GSA, 2013/2014. 89 11 LE RÉCIT DE LA PASSION EN JEAN 18-19 INTRODUCTION La Passion de Jésus, toujours relue à la lumière de la résurrection, fut pour les premiers disciples l'événement fondateur et originaire de leur foi. Deux chapitres d'une quarantaine de versets chacun, sont consacrés par Jean au récit de la Passion. Nulle part ailleurs, Jean n'est si proche des Synoptiques. Ce fait singulier s'explique sans doute par l'antiquité et la fermeté dans l'Eglise des traditions de la Passion. Néanmoins, le récit de la Passion dans Saint Jean présente les traits d'une vigoureuse originalité. Dans son récit, la Passion elle-même est irradiée de la Gloire qui transparaissait en Jésus dès le début de son ministère public. Sa mort, due à l’hostilité des Juifs, est présentée comme le retour au Père et le lieu de l'achèvement de la Révélation. 1 STRUCTURE DU RECIT JOHANNIQUE DE LA PASSION S’appuyant sur les indices de lieu ainsi que sur les verbes de mouvement on peut mettre en évidence une structure concentrique en cinq parties : A Introduction : la confrontation dans le jardin (18,1-11). B Interrogatoire devant Hanne (18,12-27). C Procès devant Pilate au prétoire (18,28-19,16a). B’ Exécution et mort de Jésus au Golgotha (19,16b-37). A’ Épilogue : mise au tombeau dans un jardin (19,38-42). Dans cette composition, comme le montre sa position centrale, mais aussi sa longueur, la comparution devant Pilate constitue le point culminant du récit johannique de la Passion. 2 COMPARAISON AVEC LE RECIT DES SYNOPTIQUES Le récit de la passion est, dans l’Évangile de Jean, celui qui présente le plus d’affinités avec ceux des Synoptiques. Il conserve, en gros, le même enchaînement que celui des Synoptiques. Cependant, Jean fait œuvre originale et on peut relever un certain nombre de di fférences entre lui et les Synoptiques. Cette originalité se retrouve à deux niveaux : d'une part, l'absence de certains éléments, et d'autre part, des ajouts qui lui sont propres ou des éléments de la tradition commune qu'il a retravaillés et remaniés. Mais voyons d’abord le schéma commun du déroulement de la Passion. 21 Le contenu des récits de la Passion dans les Synoptiques Les récits de la Passion s’organisent dans les quatre évangiles, selon un schéma unique, témoin d’une très antique tradition, en dépit de nombreuses variations de détails. Deux suites d’événements se laissent reconnaître, la première se subdivisant en deux épisodes et la seconde en trois épisodes. 211 Les préludes Dans la tradition synoptique, les préludes se divisent en deux cycles : 1- Le cycle du complot : Décision de mettre à mort Jésus : Mc 14,1-2 // Mt 26,1-5 // Lc 22,1-2 Onction à Béthanie : Mc 14,3-9 // Mt 26,6-13 Complot : Mc 14,10-11 // Mt 26,14-16 // Lc 22,3-6 2- Le cycle du repas : Préparation : Mc 14,12-16 // Mt 26,17-19 // Lc 22,7-13 Annonce de la trahison : Mc 14,17-21 // Mt 26,20-25 // Lc 22,14 Cène : Mc 14,22-25 // Mt 26,26-29 // Lc 22,15-20

l'Évangile de Jean, GB GSA, 2013/2014. 11 LE RÉCIT DE … recit-passion-intro.pdf · - Le chapitre 18,1-12 intitulé souvent “l’arrestation de Jésus”, avec la reprise trois

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Frère Didier van HECKE, l'Évangile de Jean, GB GSA, 2013/2014.

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11 LE RÉCIT DE LA PASSION EN JEAN 18-19

INTRODUCTION

La Passion de Jésus, toujours relue à la lumière de la résurrection, fut pour les premiers

disciples l'événement fondateur et originaire de leur foi. Deux chapitres d'une quarantaine de versets

chacun, sont consacrés par Jean au récit de la Passion. Nulle part ailleurs, Jean n'est si proche des

Synoptiques. Ce fait singulier s'explique sans doute par l'antiquité et la fermeté dans l'Eglise des

traditions de la Passion. Néanmoins, le récit de la Passion dans Saint Jean présente les traits d'une

vigoureuse originalité. Dans son récit, la Passion elle-même est irradiée de la Gloire qui transparaissait

en Jésus dès le début de son ministère public. Sa mort, due à l’hostilité des Juifs, est présentée comme

le retour au Père et le lieu de l'achèvement de la Révélation.

1 STRUCTURE DU RECIT JOHANNIQUE DE LA PASSION

S’appuyant sur les indices de lieu ainsi que sur les verbes de mouvement on peut mettre en

évidence une structure concentrique en cinq parties :

A Introduction : la confrontation dans le jardin (18,1-11).

B Interrogatoire devant Hanne (18,12-27).

C Procès devant Pilate au prétoire (18,28-19,16a).

B’ Exécution et mort de Jésus au Golgotha (19,16b-37).

A’ Épilogue : mise au tombeau dans un jardin (19,38-42).

Dans cette composition, comme le montre sa position centrale, mais aussi sa longueur, la

comparution devant Pilate constitue le point culminant du récit johannique de la Passion.

2 COMPARAISON AVEC LE RECIT DES SYNOPTIQUES

Le récit de la passion est, dans l’Évangile de Jean, celui qui présente le plus d’affinités avec

ceux des Synoptiques. Il conserve, en gros, le même enchaînement que celui des Synoptiques.

Cependant, Jean fait œuvre originale et on peut relever un certain nombre de différences entre lui et les

Synoptiques. Cette originalité se retrouve à deux niveaux : d'une part, l'absence de certains éléments, et

d'autre part, des ajouts qui lui sont propres ou des éléments de la tradition commune qu'il a retravaillés

et remaniés. Mais voyons d’abord le schéma commun du déroulement de la Passion.

21 Le contenu des récits de la Passion dans les Synoptiques

Les récits de la Passion s’organisent dans les quatre évangiles, selon un schéma unique, témoin

d’une très antique tradition, en dépit de nombreuses variations de détails. Deux suites d’événements se

laissent reconnaître, la première se subdivisant en deux épisodes et la seconde en trois épisodes.

211 Les préludes

Dans la tradition synoptique, les préludes se divisent en deux cycles :

1- Le cycle du complot :

Décision de mettre à mort Jésus : Mc 14,1-2 // Mt 26,1-5 // Lc 22,1-2

Onction à Béthanie : Mc 14,3-9 // Mt 26,6-13

Complot : Mc 14,10-11 // Mt 26,14-16 // Lc 22,3-6

2- Le cycle du repas :

Préparation : Mc 14,12-16 // Mt 26,17-19 // Lc 22,7-13

Annonce de la trahison : Mc 14,17-21 // Mt 26,20-25 // Lc 22,14

Cène : Mc 14,22-25 // Mt 26,26-29 // Lc 22,15-20

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212 La Passion elle-même

Elle comprend trois cycles :

1- Le cycle du jardin :

Sortie et annonce du reniement de Pierre : Mc 14,26-31 // Mt 26,30-35 // Lc 22,39

Agonie à Gethsémani : Mc 14,32-42 // Mt 26,36-46 // Lc 22,40-46

Arrestation de Jésus et fuite des disciples : Mc 14,43-52 // Mt 26,47-56 // Lc 22,47-53

Jean ignore la seconde scène et retravaille la scène de l’arrestation de Jésus.

2- Le cycle du procès : Mc 14,53-15,20 // Mt 26,57-27,26 // Lc 22,54-23,25.

- Le procès juif connaît un dédoublement chez Mc et Mt. Il comprend une séance de nuit avec

l’interrogatoire de Jésus (Mc 14,53-65 et //) et le reniement de Pierre (Mc 14,66-72) et une

séance de jour (Mc 15,1 // Mt 27,1-2) se terminant par le transfert de Jésus chez Pilate.

- Le procès romain a pour moments principaux l’interrogatoire de Jésus (Mc 15,2-5 et //), la

libération de Barabbas (Mc 15,6-15) et la scène d’outrages (Mc 15,16-20 et //).

Jean ignore le procès juif et développe longuement le procès romain.

3- Le cycle de la mort : Mc 15,21-47 // Mt 27,27-66 // Lc 23,26-56.

Crucifixion, mort, ensevelissement.

22 L'absence de certains éléments plus ou moins importants des Synoptiques

Des passages rapportés par les synoptiques n’apparaissent pas chez Jean :

- L'institution eucharistique (Mc 14,22-25 et //),

- L’agonie de Jésus à Gethsémani (Mc 14,32-42 et //),

- Le procès devant le Sanhédrin (Mc 14,55-64 et //),

Des détails ou points particuliers sont absents de la rédaction johannique :

- Le baiser de Judas et la fuite des disciples (Mc14,44.50-52 et //),

- Les humiliations de Jésus, injures et moqueries (Mc 14,65 ; 15,16-20 et //),

- Les injures des passants (Mc 15,29-32 et //),

- Le cri de désespoir (Mc 15,34 et //),

- Les prodiges symboliques au moment de la mort de Jésus, ténèbres et voile du Temple

déchiré (Mc 15,33.38 et //).

Ce qui est commun à tous ces éléments, c'est qu'ils présentent pratiquement tous la passion

négativement, sous un jour sombre.

23 Des éléments qui sont propres à Jean

On peut tout d'abord relever des ajouts propres à Jean :

- Le récit du lavement des pieds (13).

- La comparution de Jésus devant Hanne (18,19-25).

- La présence de Marie et la lance au côté (19,25-27.31-37).

- Les dernières paroles de Jésus en croix (19,28.30).

- L'intervention de Nicodème (19,39-40).

On retrouve ensuite des passages communs aux synoptiques mais traités et présentés de

manière très personnelle par Jean. On trouve ainsi des différences notables révélant le travail de

rédaction théologique de Jean. Jean retravaille ces éléments et y imprime sa marque, en particulier

en ajoutant des dialogues dans les différents récits :

- Le chapitre 18,1-12 intitulé souvent “l’arrestation de Jésus”, avec la reprise trois fois de

l’expression “c’est moi”, met au contraire en évidence la majesté de Jésus.

- Le procès romain décrit par Jean est beaucoup plus long que celui rapporté par les

Synoptiques (18,29-38).

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- La discussion des juifs avec Pilate à propos de l’inscription sur la croix et le partage de la

tunique (19,19-24).

Tous ces détails jettent sur l’événement un jour très différent. Jean laisse de côté ce qui est

humiliant, douloureux et tragique, mettant l’accent sur ce qui, dans la passion, laisse déjà transparaître

la lumière de Pâque.

3 LES GRANDS TRAITS DE LA VISION JOHANNIQUE DE LA PASSION

Chez Jean, la passion et la mort de Jésus ne sont pas tant considérées comme un sacrifice que

comme une révélation du mystère du Christ. En d’autres termes, la Passion n’est pas le lieu de la

souffrance, de l’abaissement et de l’abandon de Jésus. A la différence des Synoptiques, le Christ n’est

pas d’abord le juste souffrant, ni le Serviteur broyé et humilié d’Isaïe. Ce n’est pas non plus le langage

de l’expiation ou du pardon des péchés qui occupe le devant la scène.

En Saint Jean, le Christ qui entre dans sa Passion est un Christ qui garde l’initiative et fait

preuve de souveraineté aussi bien au niveau de l’agir que de la connaissance. Il n’est pas présenté

comme celui qui souffre mais comme celui qui agit à chacun des moments clés du récit, que ce soit

lors de son arrestation ou lors de ses entretiens avec Hanne ou avec Pilate.

Pour Jean, la Passion est « l’heure » de l’accomplissement de la révélation et du retour au Père.

Elle est l’espace de la glorification et de l’élévation du Fils. Le Christ johannique crucifié est un Christ

victorieux.

31 La Passion comme élévation et retour au Père

On ne retrouve pas chez Jean les trois annonces de la Passion des synoptiques où il est question

du côté négatif des souffrances du Christ (Mc 8,31-33 ; 9,30-32 ; 10,32-34). Par contre, on relève dans

l'évangile de Jean trois textes présentant la Passion comme élévation et comme glorification du Fils de

l'Homme et trois textes présentant l'annonce de son départ.

311 Les trois annonces de l'élévation

Dans ces trois textes, on retrouve le même verbe, "être élevé" : 3,14-15 ; 8,28 ; 12,32-34 et

dans deux d'entre eux, on parle, comme dans les Synoptiques de nécessité : "il faut" (3,14 et 12,34).

> Jn 3,14 : Il faut que le Fils de l'Homme soit élevé afin que quiconque croit, ait en lui la vie

éternelle.

Dans ce verset, le verbe "être élevé" est mis en relation avec la vie que Jésus vient nous donner.

Le parallèle avec le serpent d'airain de Nb 21,8-9 montre que chez Jean, le verbe "élever"

implique l'idée de vie et de salut par la croix du Christ.

> Jn 8,28 : Quand le Fils de l'Homme sera élevé, alors vous connaîtrez que moi, Je Suis.

Dans ce verset, le verbe "être élevé" est mis en lien avec la connaissance de l'identité de

Jésus. C'est bien la croix qui va achever la révélation du mystère de Dieu en Jésus-Christ. Ce verset

souligne le paradoxe de la transcendance qui se révèle dans la singularité de la personne de Jésus mise

en croix.

> Jn 12,32 : Et moi lorsque je serai élevé de la terre j'attirerai tous à moi.

> Jn 12,34 : Et comment dis-tu toi qu'il faut que le fils de l'homme soit élevé ?

Ces versets font pendant au verset 24 qui parle du blé tombé en terre. Ici, l'élévation du Christ

est mise en lien avec le rassemblement de tous les enfants d'Israël.

Pour Jean, l'élévation du Christ en croix (12,33) est présentée comme un "lieu théologique" :

- lieu de vie et de salut pour tous les hommes,

- lieu de connaissance et d'achèvement de la révélation du mystère de Dieu,

- lieu de rassemblement des enfants dispersés d'Israël.

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312 Les trois annonces de son départ

Ces trois annonces de son départ et de son retour au Père soulignent son origine "d'en haut".

Elles s'appuient les trois sur le procédé du malentendu :

affirmation de Jésus incompréhension

des auditeurs

aveu

de ne pas comprendre

7,33-36 33

Jésus dit : « Je suis

encore avec vous pour un

peu de temps et je vais

vers celui qui m’a

envoyé. 34

Vous me

chercherez et vous ne me

trouverez pas ; car là où

je suis, vous ne pouvez

venir. »

35Les autorités juives dès

lors se disaient entre

elles : « Où faut-il donc

qu’il aille pour que nous

ne le trouvions plus ? Va-

t-il rejoindre ceux qui

sont dispersés parmi les

Grecs ? Va-t-il enseigner

aux Grecs ?

36Que signifie cette parole

qu’il a dite : “Vous me

chercherez et vous ne me

trouverez pas”, et “là où

je suis, vous, vous ne

pouvez venir” ? »

8,21-22 21

Jésus leur dit encore :

« Je m’en vais ; vous me

chercherez, mais vous

mourrez dans votre

péché. Là où je vais, vous

ne pouvez aller. »

22Les autorités juives

dirent alors : « Aurait-il

l’intention de se tuer ?

puisqu’il dit : “Là où je

vais, vous ne pouvez

aller” ? »

13,33-38 33

Mes petits enfants, je ne

suis plus avec vous que

pour peu de temps. Vous

me chercherez et comme

j’ai dit aux autorités

juives : “Là où je vais,

vous ne pouvez venir”…

36Simon-Pierre lui dit :

« Seigneur, où vas-tu ? »

Jésus lui répondit : « Là

où je vais, tu ne peux me

suivre maintenant, mais

tu me suivras plus tard. »

38Jésus répondit : « Te

dessaisir de ta vie pour

moi ! En vérité, en vérité,

je te le dis, trois fois tu

m’auras renié avant

qu’un coq ne se mette à

chanter. »

Le retour de Jésus vers Celui qui l'a envoyé manifeste la distance d'une incommensurabilité

absolue : "où je suis, là où je vais, vous ne pouvez aller, vous ne pouvez venir" ! Mais le v. 33 est suivi

du commandement de l'amour mutuel (13,34-35). C'est l'amour des disciples les uns pour les autres qui

va donc dorénavant actualiser la présence en eux et au milieu d'eux de Celui qui est retourné vers le

Père et qui semble désormais absent.

32 La Passion comme glorification

On retrouve ce thème de la glorification dans la 1ère

partie de l'évangile : 7,39 ; 8,54 ; 11,4 ;

12,16.23.283. Toutes ces occurrences du verbe glorifier dans cette partie de l'évangile ont surtout pour

effet d'anticiper chaque fois ce qui doit s'accomplir à travers la mort et la résurrection du Christ.

Chez Jean, la Gloire de Jésus, c'est ce qui le révèle, le fait apparaître comme l'unique engendré

du Père, comme l'envoyé du Père. Et cette gloire qu'il reçoit non des hommes mais du Père s'est

manifestée tout au long de son ministère public (de 2,11 à 11,4). Pour Jean, le moment par excellence

de cette glorification, c'est sa passion et sa mort.

La Passion elle-même est irradiée de la gloire qui transparaissait en Jésus dès son ministère en

Israël ; le crucifiement apparaît ainsi comme une élévation au-dessus de la terre. L’évangéliste a

intégré l’événement dans le parcours de l’Envoyé qui, étant descendu du ciel pour accomplir sa

mission et l’ayant exécuté fidèlement, retourne à Celui qui la lui a confiée. La dernière parole du

Christ en croix n’est pas un cri de déréliction, mais de victoire. Jean voit le Christ élevé en croix

comme un roi qui trône au-dessus de son peuple. Déjà là, il est Seigneur et Roi des siens.

33 La Passion comme anticipation des événements eschatologiques

Pour Jean, les événements décrits par les prophètes pour la fin des temps, sont situés comme

déjà présents, concentrés autour de la croix. C’est le cas pour deux événements eschatologiques : le

jugement du monde et le rassemblement des enfants d’Israël.

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> Pour le jugement, les textes majeurs sont 12,31 et 16,7-11 ainsi que 3,18-21 :

C’est maintenant le jugement du monde, maintenant le prince de ce monde va être jeté dehors. (12,31)

Et lui, par sa venue, il confondra le monde en matière de péché, de justice et de jugement... en matière

de jugement, en ce que le prince de ce monde a été jugé. (16,8.11)

Et le jugement le voici : la lumière est venue dans le monde et les hommes ont préféré l'obscurité à la

lumière. (3,19)

> Pour le rassemblement des enfants d’Israël, l’événement est anticipé à la croix : le nouveau

peuple naît là en la personne de Marie et du disciple bien-aimé. On retrouve cela annoncé en 12,32 :

Pour moi, quand j’aurai été élevé de terre, j’attirerai à moi tous les hommes. (12,32)

La mort du Christ en croix est le lieu où l’Eglise se constitue, la référence qui fonde son unité

et le moment de l’effusion de l’Esprit (19,23-30).

34 La Passion comme accomplissement des Écritures

L’événement tragique de la Passion fut très tôt mis en relation avec les annonces des psalmistes

et des prophètes : “Christ est mort... Selon les Écritures” (1 Co 15,3). Les synoptiques insistent sur la

conscience qu’avait Jésus de les accomplir (Mt 26,54.56 ; Mc 14,49).

Chez Jean, le Christ lui-même détermine un ultime accomplissement de ce qui était écrit à son

sujet :

Après quoi, sachant que tout était achevé, pour que l'Écriture soit accomplie jusqu'au bout, Jésus dit

"j'ai soif"... Dès qu'il eut pris le vinaigre, Jésus dit "tout est achevé" ; et inclinant la tête il remit

l'esprit. (Jn 19,28-30)

Mais les allusions scripturaires de Jean présentent une perspective différente de celle des

Synoptiques : le but principal n’est plus de justifier le scandale de la croix en le montrant prédit et

préfiguré dans les Écritures, mais d’évoquer l’effet positif de l’élévation de Jésus.

Plutôt que de reprendre les prophéties de la souffrance présente, Jean se sert du donné

scripturaire pour projeter le regard du lecteur au-delà de la Passion, vers le salut et la vie qui vont en

résulter pour Jésus et pour tous les croyants.

Le récit de la Passion contient quatre citations de l’Écriture dont trois lui sont propres :

1- Jn 19,28 :

Après quoi, sachant que dès lors tout était achevé pour que l'Écriture soit accomplie jusqu'au bout,

Jésus dit : j’ai soif.

En fait, cette parole de Jésus n'est pas une citation d'Écriture. Elle évoque simplement le

Psaume 22,16 (renvoi de l'édition critique du Greek New Testament) :

Mon palais est sec comme un tesson et ma langue collée à la mâchoire.

Le cri "j'ai soif" n'apparaît en fait jamais dans les psaumes ni dans l'Écriture.

2 et 3- Jn 19,36-37 : 36

En effet, tout cela est arrivé pour que s'accomplisse l'Écriture : pas un de ses os ne sera brisé. 37

Il y

a aussi un autre passage de l'Écriture qui dit : ils verront celui qu'ils ont transpercé.

Chacun des deux textes cités par Jean ouvre une perspective de victoire.

Le premier évoque d’une part la résurrection et le rôle salvifique du Crucifié et d’autre part

l’agneau pascal de l’Exode :

Le juste a beaucoup de malheurs, chaque fois le Seigneur le délivre.

Il veille sur chacun de ses os, pas un ne sera brisé. (Ps 34,21)

Voici le rituel de la Pâque… Ses os, vous ne les briserez pas. (Ex 12,46)

Dans cette perspective, Jésus est présenté comme le nouvel agneau pascal.

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Le second évoque la communication de la vie aux croyants :

Je répandrai sur la maison de David et sur l'habitant de Jérusalem un esprit de bonne volonté et de

supplication. Alors, ils regarderont vers moi, vers celui qu'ils ont transpercé. Ce jour-là une source

jaillira pour la maison de David et de Jérusalem en remède au péché et à la souillure. (Za 12,10 cité

par Jn 19,37).

4- Jn 19,24 :

24Les soldats se dirent entre eux : « Ne la déchirons pas, tirons plutôt au sort à qui elle ira », en sorte

que soit accomplie l’Ecriture : Ils se sont partagé mes vêtements, et ma tunique, ils l’ont tirée au

sort. Voilà donc ce que firent les soldats.

En tirant au sort la tunique de Jésus, les soldats réalisent ainsi le projet de Dieu à l'œuvre dans

le Christ et en eux-mêmes dont témoigne l'Écriture (Ps 22,19). Ce projet dépasse les hommes mais

ceux-ci y contribuent positivement en faisant ce qu'ils ont à faire.

CONCLUSION

Le récit de la Passion chez Jean est ainsi bien présenté sous un autre jour que chez les

synoptiques. Pour Jean, la Passion est bien d’une part le lieu de la révélation ultime de l’identité de

l’Envoyé du Père, le Fils monogénès et, d’autre part, elle est le lieu de l’accomplissement de sa

mission et de son retour au Père. La croix apparaît ainsi comme la parole ultime du Fils au monde.

Dans l'Evangile de Jean, le récit de la Passion est beaucoup plus qu'un récit de Passion.

L'itinéraire qui mène Jésus sur la croix ressemble davantage aux étapes d'une intronisation qu'à un

chemin de souffrance et la révélation de sa Gloire n'attend pas le troisième jour. Elle a lieu dès son

arrestation, dans les dialogues qu'il conduit tant avec Hanne qu'avec Pilate et enfin dans sa montée au

Golgotha et sur la croix.

Plan :

INTRODUCTION ............................................................................................................................................. 89

1 Structure du récit johannique de la passion ................................................................................... 89

2 Comparaison avec le récit des synoptiques ..................................................................................... 89 21 Le contenu des récits de la Passion dans les Synoptiques ................................................................... 89

211 Les préludes ..................................................................................................................................................................... 89 212 La Passion elle-même................................................................................................................................................... 90

22 L'absence de certains éléments plus ou moins importants des Synoptiques ............................... 90 23 Des éléments qui sont propres à Jean ......................................................................................................... 90

3 Les grands traits de la vision johannique de la passion .............................................................. 91 31 La Passion comme élévation et retour au Père ........................................................................................ 91

311 Les trois annonces de l'élévation ............................................................................................................................ 91 312 Les trois annonces de son départ............................................................................................................................ 92

32 La Passion comme glorification ..................................................................................................................... 92 33 La Passion comme anticipation des événements eschatologiques................................................... 92 34 La Passion comme accomplissement des Écritures ............................................................................... 93

CONCLUSION ................................................................................................................................................... 94