493
L’EVENEMENT URBAIN FESTIF : VERS UNE “ GESTION DE SITE EXPLORATOIRE ” SUR LESPACE PUBLIC ? Les cas de Nantes et de Bordeaux Monica Miranda To cite this version: Monica Miranda. L’EVENEMENT URBAIN FESTIF : VERS UNE “ GESTION DE SITE EXPLORATOIRE ” SUR LESPACE PUBLIC ? Les cas de Nantes et de Bordeaux. G´ eographie. Universit´ e Paris-Est, 2010. Fran¸cais. HAL Id: tel-00561875 https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00561875v2 Submitted on 10 Feb 2011 (v2), last revised 9 Jan 2015 (v3) HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci- entific research documents, whether they are pub- lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destin´ ee au d´ epˆ ot et ` a la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publi´ es ou non, ´ emanant des ´ etablissements d’enseignement et de recherche fran¸cais ou ´ etrangers, des laboratoires publics ou priv´ es.

L'EVENEMENT URBAIN FESTIF : VERS UNE " GESTION DE SITE

Embed Size (px)

Citation preview

  • LEVENEMENT URBAIN FESTIF : VERS UNE

    GESTION DE SITE EXPLORATOIRE SUR

    LESPACE PUBLIC ? Les cas de Nantes et de Bordeaux

    Monica Miranda

    To cite this version:

    Monica Miranda. LEVENEMENT URBAIN FESTIF : VERS UNE GESTION DE SITEEXPLORATOIRE SUR LESPACE PUBLIC ? Les cas de Nantes et de Bordeaux. Geographie.Universite Paris-Est, 2010. Francais.

    HAL Id: tel-00561875

    https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00561875v2

    Submitted on 10 Feb 2011 (v2), last revised 9 Jan 2015 (v3)

    HAL is a multi-disciplinary open accessarchive for the deposit and dissemination of sci-entific research documents, whether they are pub-lished or not. The documents may come fromteaching and research institutions in France orabroad, or from public or private research centers.

    Larchive ouverte pluridisciplinaire HAL, estdestinee au depot et a la diffusion de documentsscientifiques de niveau recherche, publies ou non,emanant des etablissements denseignement et derecherche francais ou etrangers, des laboratoirespublics ou prives.

    https://hal.archives-ouvertes.frhttps://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00561875v2

  • 1

    COLE DOCTORALE VILLE, TRANSPORTS ET TERRITOIRES

    Thse de doctorat de lUniversit Paris-Est

    Champs disciplinaire : Amnagement de lespace et urbanisme

    Mnica MIRANDA

    L'EVENEMENT URBAIN FESTIF :

    VERS UNE GESTION DE SITE EXPLORATOIRE SUR LESPACE PUBLIC ?

    Les cas de Nantes et de Bordeaux

    Thse dirige par Alain BOURDIN

    Prsente et soutenue publiquement le lundi, 22 Novembre 2010

    Jury :

    Maria BASILE : Matre de Confrences, Universit de Cergy-Pontoise

    Alain BOURDIN : Professeur des Universits, Institut Franais dUrbanisme,

    Universit Paris-Est

    Maurice GOZE : Professeur des Universits, Institut d'Amnagement, de

    Tourisme et d'Urbanisme, Universit Michel de Montaigne

    Bordeaux 3

    Maria GRAVARI-BARBAS :

    Professeur des Universits, Institut de Recherche et d'Etudes

    Suprieures du Tourisme, Universit Paris 1 Panthon-

    Sorbonne

    Claude PRELORENZO :

    Professeur de sociologie urbaine, Matre de confrences

    l'Ecole des Ponts/Paris Tech.

    Laboratoire daccueil : LabUrba - IFU

  • 2

    Mi-tou

  • 3

    REMERCIEMENTS

    Je ne serais jamais capable de formuler compltement les remerciements dont je suis

    redevable et qui me tiennent cur. Je souhaite tout particulirement exprimer ma reconnaissance

    Alain Bourdin, pour avoir accept de diriger ce travail avec confiance, pour les critiques et les conseils

    aviss quil a su mapporter et pour mavoir transmis, au moins je lespre, un peu de sa rigueur et de

    sa connaissance fine de lurbain. Aux chercheurs suivants, pour les changes et les informations dont

    ils mont gratifie : Nadia Arab, Maria Basile, Edith Fagnoni, Sylvie Lidgi, Jrme Monet, Elsa

    Vivant. A mes copains Hlne C., Irne, Julien, Sverine, et Vincent pour avoir consacr du temps

    corriger mon franais ! Je tiens galement remercier mes camarades de laboratoire avec qui jai

    partag quatre ans de ma vie, Eva, Petros, Hlne D., EunHey et Qianqian. Mes remerciements vont

    galement la Comision Nacional de Investigacion de Ciencias y Technologias de Chile (CONICYT)

    et lAmbassade de France au Chili pour le soutien conomique accord travers la bourse Master

    2 Doctorat en France ; Claude Prelorenzo, pour avoir donn le premier lan cette aventure

    intellectuelle en soutenant ma candidature la bourse et aux membres du jury pour le temps consacr ;

    tous les acteurs nantais et bordelais rencontrs, pour les informations et pour le temps quils mont

    accord ; mes parents et mes deux frres qui, depuis lautre bout du monde , mont toujours

    encourage poursuivre cette entreprise. Je tiens enfin et avant tout remercier mon mari, Pierre. Je

    ne sais pas si jaurais pu finir cette thse sans ses relectures, ses encouragements, sa patience, sa bonne

    humeur, bref, son amour.

  • 4

  • 5

    RESUME

    Les vnements urbains festifs (EUF) simposent non seulement comme de nouvelles

    pratiques sociales, mais aussi en tant quaction urbaine et objet danalyse. Ils agissent sur lespace

    public suivant des logiques distinctes phmres, cycliques, immatrielles des actions urbaines

    traditionnelles et des modalits actuelles de gestion de tels espaces. Aussi, cette recherche vise

    apprhender si les logiques de gestion des EUF ouvrent de nouvelles perspectives pour la gestion des

    espaces publics.

    Pour rpondre ce questionnement, le cadre thorique de la Gestion de site a t mobilis.

    Ce dernier dcrit les modalits de gestion de quatre sites urbains (gares multimodales, centres-villes,

    centres commerciaux, rsidences prives avec services) complexes (du point de vue de la coexistence

    de fonctions, de services urbains, dusages et dintrts sectoriels, spcifiques), permanents, de natures

    distinctes et proposant des ambiances particulires.

    Il est apparu que ce cadre thorique permettait bien dapprhender les modalits de gestion

    dautres sites urbains aussi complexes que ceux analyss par la Gestion de site , et pourtant de

    nature phmres : les sites de droulement des EUF. Ce cadre thorique a donc t confront deux

    EUF se droulant sur des sites phmres : Bordeaux-fte-le-vin et les Rendez-vous de lErdre

    Nantes. Ce choix est motiv principalement par le fait que ces EUF sont mis en place prcisment

    sur des sites composs par une srie despaces publics dont la gestion quotidienne et vnementielle

    est complexe : les espaces publics fluviaux . Lanalyse de la gestion de ces deux EUF par le

    prisme de la Gestion de site met en vidence des enseignements sur la gestion de lvnementiel

    qui, dune part, nourrissent la rflexion autour de la gestion des espaces publics complexes et, dautre

    part, enrichissent la Gestion de site en apportant des lments indits ce cadre thorique nouveau.

    Mots cls : vnement urbain festif, vnement marketing, fte, gestion, Gestion de site, gestion de

    lespace public, espace public, espace fluvial, phmre, vnementiel, ambiance, projet, opration,

    Nantes, Bordeaux, Garonne, Erdre, Bordeaux fte le vin, Rendez-vous de lErdre.

  • 6

    SUMMARY

    Festive urban events (EUF) stand out not only as new social practices, but also as urban

    actions providing a basis for urban research. Compared to "traditional" urban actions and current

    methods of public space management, Festive urban events in public spaces follow different

    dynamics; they are ephemeral, cyclic, and immaterial. This research examines the management

    implications of Festive urban events and attempts to determine if these events dynamics can unlock

    new perspectives for public space management.

    To answer our research enquiries, a Management of site (GS) theoretical framework is used.

    This theoretical framework describes and addresses the common management methods of four urban

    sites: multimodal rail stations, downtown areas, shopping malls, and private residences with services.

    These four site types are complexes, incorporating the coexistence of multiple urban functions and

    services, varied practices and interacting sector-based interests. These site types are permanent and

    offer a unique ambiance to their users.

    It appeared early on that a Management of site framework also allows describing the

    management methods of another kind of urban site, ephemeral nature, which seems as complex as

    those previously analyzed by this theoretical framework: the ephemeral sites in which Festive urban

    events are held. The Management of site framework was therefore examined with two different

    Festive urban events taking place in an ephemeral site: Bordeaux-fte-le-vin in the city of

    Bordeaux and the Rendez-vous de lErdre in the city of Nantes. This choice was made largely

    because these Festive urban events are held in ephemeral sites comprised of a number of different

    yet interacting components that require complex management: riverbank public places. The analysis of

    management methods of both these Festive urban events through the prism of the Management of

    site framework provides substantial insight into special event management. This insight enhances our

    understanding of complex public space management and enriches the Management of site

    framework by introducing new analysis criteria.

    Key words: Festive urban events, special event marketing, party, management, Management of site,

    public space management, public space, waterfront, ephemeral, special event, ambiance, project,

    operation, Nantes, Bordeaux, Garonne, Erdre, Bordeaux fte le vin, Rendez-vous de lErdre.

  • 7

    SOMMAIRE

    REMERCIEMENTS ............................................................................................................................. 3

    RSUM ................................................................................................................................................ 5 SUMMARY ............................................................................................................................................ 6

    SOMMAIRE .......................................................................................................................................... 7

    INTRODUCTION GENERALE .......................................................................................................... 9

    PARTIE I. LES EVENEMENTS URBAINS FESTIFS ET LA GESTION DE SITE : CONTEXTE, DEFINITIONS ET CONTENUS. .............................................................................. 25

    Chapitre 1. De la fte lvnement urbain festif : une dfinition opratoire .................................. 27

    1.1. La fte une notion incomplte pour caractriser lEUF ................................................... 27 1.2. La notion dvnement marketing : quand la rupture du quotidien est utilis pour communiquer ................................................................................................................................ 35 1.3. Lvnement urbain festif : au carrefour de la fte et de lvnement marketing ........... 40 1.4. Les EUF : des manifestations festives professionnalises ............................................... 44 1.5. Le cadre physique de lvnement urbain festif : les espaces publics ............................. 51 Conclusions Chapitre 1 ................................................................................................................. 67

    Chapitre 2.Traits du cadre socital intervenant dans la production des Evnements Urbains

    Festifs . ............................................................................................................................................ 69 2.1. Modes de vie du cadre socital actuel ............................................................................. 70 2.2. Limportance du direct, dtre en live ............................................................................. 74 2.3. La qute dexpriences individuelles............................................................................... 81 2.4. La consommation et la ville ............................................................................................. 86 2.5. La valeur de limmatriel et de la fluidit du monde ....................................................... 91 Conclusions Chapitre 2 ............................................................................................................... 103

    Chapitre 3.Les contenus dorganisation de lvnement urbain festif ............................................ 107

    3.1. LEUF : une action concerte entre acteurs divers ........................................................ 108 3.2. Les usagers de lEUF : trois faons dexprimenter lvnement. ............................... 115 3.3. Les espaces publics investis par lEUF : du centre-ville en passant par les espaces du quartier jusquaux lieux mconnus de la ville ............................................................................ 119 3.4. Laccessibilit : par les EUF, les espaces publics sont noustous ! .......................... 123 3.5. Les fonctions et services de lEUF : une activit clectique et grand public ................ 127 3.6. La temporalit phmre, mais cyclique ....................................................................... 132 3.7. La cration dambiances festives matrises et dexpriences esthtiques .................... 134 3.8. Lexprience esthtique des EUF : affaire de professionnels et de nouvelles technologies.. .............................................................................................................................. 139

    Conclusions Chapitre 3 ............................................................................................................... 143

    Chapitre 4.La gestion de lactivit urbaine permanente :La Gestion de site ............................. 147

    4.1. La notion de Gestion de site et son cadre : les logiques conomiques actuelles. .... 148 4.2. Enjeux de la Gestion de site : des enjeux partags entre sites distincts ......................... 151 4.3. Contenus de la Gestion de site : des pratiques de gestion diffusable entre sites distincts... ................................................................................................................................ 158 4.4. Lvaluation de la GS, la promotion du site et le rapport au contexte........................... 188 Conclusions Chapitre 4 ............................................................................................................... 193

  • 8

    CONCLUSION PREMIERE PARTIE ........................................................................................... 197

    PARTIE II. LA GESTION DES EUF : DUN CAS DE FIGURE DE LA GESTION DE

    SITE VERS UN MODELE DE GESTION EXPLORATOIRE POUR LES ESPACES

    PUBLICS ? ......................................................................................................................................... 203

    Chapitre 5.Le Festival de jazz Rendez-vous de lErdre . ........................................................... 207

    5.1. Rendez-vous de lErdre : le mariage entre le jazz et la Belle plaisance .................. 209 5.2. Les acteurs des Rendez-vous de lErdre : une concertation harmonieuse sous lgide de la Ville de Nantes ....................................................................................................................... 224 5.3. La temporalit de la gestion des RVDE : dune dmarche spontane vers une procdure consolide ................................................................................................................................... 261 5.4. Thmatiques prioritaires de la mise en uvre : le confort pour le plus grand nombre sur un site fluvial complexe .............................................................................................................. 264 Conclusions Chapitre 5 ............................................................................................................... 281

    Chapitre 6. Bordeaux-fte-le-vin ............................................................................................... 283

    6.1. Les quais rive gauche de la Garonne : le site privilgi de BFLV ................................ 284 6.2. Les origines : de la Fte des Vendanges vers une nouvelle festivit autour du vin . 287 6.3. Les facteurs de BFLV : dune action institutionnelle une instance collective ? ......... 306 6.4. La temporalit de la gestion : un va et vient entre une longue et une courte dure. 346 6.5. Les thmatiques de gestion de BFLV ............................................................................ 350 Conclusions Chapitre 6 ............................................................................................................... 363

    Chapitre 7.Les enseignements de la gestion de lEUF :vers une Gestion de site exploratoire pour

    les espaces publics? ......................................................................................................................... 365 7.1. La gestion de l vnement urbain festif (EUF) vers un cas de figure du modle Gestion de site (GS) ? ........................................................................................................... 366 7.2. La singularit de la gestion des EUF comme cas de figure du modle de GS : la coordination de laction en mode projet-cyclique . ............................................................... 400 7.3. Au-del de la gestion des EUF, lmergence dune Gestion de site Exploratoire pour les espaces publics ? ................................................................................................................... 419 Conclusions Chapitre 7 ............................................................................................................... 441

    CONCLUSIONS GENERALES ...................................................................................................... 445

    BIBLIOGRAPHIE ............................................................................................................................ 461 TABLE DES ILLUSTRATIONS ..................................................................................................... 475 ANNEXES .......................................................................................................................................... 479

    Annexe 1. Liste des personnes rencontres..................................................................................... 479 Annexe 2. Abreviations utilises .................................................................................................... 480 Annexe 3. Statistiques du travail des intermittents du spctacle..................................................... 481 Annexe 4. Catgories de mtiers et de licences dfinies par la loi n 99-148 du 18 mars 1999 ..... 482 Annexe 5. Modle questionnaire appliqu au public des RDVE et de BFLV ................................ 483 Annexe 6. Quelques tableaux danalyse du questionnaire appliqu au public des RDVE et

    de BFLV.......................................................................................................................................... 486 Annexe 7. Sites Webs consults ..................................................................................................... 490

  • 9

    INTRODUCTION GENERALE

    Depuis les annes quatre vingt sont apparues -ou rapparues- toutes sortes de manifestations

    visant mettre la socit en fte pendant un bref moment : des carnavals et des frias traditionnels

    rinvents, comme le carnaval de Nice et la fria de Nmes ; des clbrations ponctuelles de faits

    historiques, comme la commmoration du bicentenaire de la Rvolution Franaise en 1989 et les vingt

    ans de la chute du mur de Berlin en 2009 ; des ftes dinauguration des vnements sportifs grande

    chelle, comme les jeux olympiques ou la Coupe du Monde de football ; des biennales dart plastique

    ou de thtre, des festivals ddis la musique, aux bandes dessines, aux arts de la rue ; des ftes des

    voisins ; des technos parades, etc. Mme si diverses recherches relatives la fte montrent que

    nombre de ces manifestations urbaines caractre festif ne sont pas nouvelles, leur succs tmoigne de

    l'ampleur d'un phnomne festif contemporain...

    Le phnomne festif contemporain ne manque pas dadeptes. Il attire lattention dacteurs

    publics, dacteurs privs et de milliers dusagers. Cependant, force est de constater que ce phnomne

    fait lobjet dune forte critique et lun des arguments les plus rpandus est celui de la standardisation

    de la culture. Le phnomne festif contemporain favoriserait par consquent la fabrication de moments

    festifs uniformes, partir de codes, dobjectifs, dambiances, voire dusagers standardiss. Ce faisant,

    il ne disposerait pas dun ancrage culturel ou territorial.

    Lintensit de ce phnomne montrerait que nous vivons paradoxalement dans une poque

    sans fte. Les manifestations festives contemporaines constitueraient plutt des pseudo ftes

    incitant uniquement la consommation conomique. Plus paradoxalement encore, lcrivain Philippe

    Muray (1999) souligne que lengouement actuel pour le festif conduit de nos jours confondre la fte

    avec le quotidien et, dans ce cadre, la fte devient le quotidien perdant ainsi sa quintessence comme

    moment de rupture de la vie routinire. Le phnomne festif contemporain, selon Muray, traduit ltat

    actuel du cadre socital o il ny a plus dhistoire, plus de progrs, plus de contraintes, en particulier

    morales, plus de culture et o le mot dordre est jouir de jouir au sein dune fte permanente

    (Muray, 2005). Paris Plage , les Jeux Olympiques 2012 ou les raves parties font ainsi lobjet

    de sa critique.

    Mais les critiques nmergent pas que du monde intellectuel. Ds lors que ces manifestations

    sont inities et/ou soutenues par des acteurs publics dans le cadre de diverses politiques culturelles, de

    dveloppement conomique, social ou de communication, lus dopposition, habitants et artistes

    montent galement au crneau ! Bien que certaines manifestations festives soient organises dans le

    cadre de diverses politiques publiques, des lus dopposition et habitants les peroivent comme une

    vitrine de limage des pouvoirs publics, bref, comme un lment de communication visant faire

  • 10

    parler des villes et des territoires linternational et non pas rsoudre les problmes concrets. Ils

    dnoncent par ailleurs les dpenses engendres au dtriment des politiques publiques quils jugent plus

    urgentes. En outre, pour certains artistes, notamment ceux habitant les villes htes des manifestations,

    les organisateurs de ces dernires privilgient trop souvent la participation des artistes trangers celle

    des artistes locaux et drainent de nombreux subsides municipaux au dtriment des projets culturels de

    moindre ampleur.

    La multiplication de manifestations urbaines1 caractre festif ces dernires annes et les

    ractions quelles provoquent, positives ou ngatives, nont pas chapp la sphre acadmique qui

    sintresse de plus en plus ces manifestations et en fait un objet danalyse. De fait, nombre dtudes

    des manifestations urbaines caractre festif et du phnomne festif contemporain en gnral ont

    t conduites ces dernires annes selon diffrentes approches : anthropologique (Segalen et de Singly,

    1998), conomique (Getz, 1991 ; Crompton, 1994), gographique (Di Mo, 2001 ; Gravaris-Barbas,

    2000), de marketing urbain (Noissette et Valledurgo, 1996 ; Rosemberg, 2000), de la sociologie

    urbaine (Chaudoir, 2000 ; Bourdin, 2005), etc. Dans le domaine de lurbanisme, ces recherches ont t

    traites, la plupart du temps, en suivant quatre grands axes : les impacts sociaux de ces manifestations

    en termes durbanit, dintgration sociale, de rappropriation spatiale et didentification territoriale ;

    ltude des transformations dordre matriel et symbolique de lespace investi par ces manifestations ;

    les retombes conomiques sur les villes et les territoires qui les accueillent ; leur utilit

    communicationnelle au sens de la production dimages publicitaires de villes exportables sur la

    scne internationale.

    Ce travail de thse propose un axe de recherche complmentaire qui na, notre

    connaissance, pas encore t explor. Il sagit dtudier lutilit des manifestations urbaines

    caractre festif en tant quactions urbaines agissant sur les villes suivant une logique distincte de

    celle des actions urbaines traditionnelles : une logique relevant de lphmre. Lintrt pour

    cet axe de recherche se fonde sur le constat que, malgr les critiques et le caractre passager des

    manifestations urbaines caractre festif, ces dernires semblent paradoxalement sinstaller de

    manire durable dans les dynamiques de nos villes2.

    1 Toutefois, nous ne sommes pas en moyen de donner un chiffre reprsentatif de cette multiplication. Faute dacception

    commune pour la dfinition des manifestations urbaines caractre festif (ex. festivals, spectacles vivants, vnements

    culturels, manifestations etc.), les donns statistiques trouves nous semblent peu reprsentatives du phnomne. Ainsi, par

    exemple, daprs Bayle et Humeau (1997), 400 000 spectacles ou manifestations sont organiss chaque anne en France ; le

    ministre de la Culture prsente quant lui, dans Festivals et expositions et Saison Culturelle , prs de 700 festivals

    pour lanne, tandis que lOffice rgional de la culture de PACA en propose prs de 500 uniquement pour sa rgion (Benito,

    2001) ; le Centre national de la chanson des varits et du jazz (CNV) comptabilise au 30 avril 2009, 40 317 reprsentations

    de spectacles de varits et de musiques actuelles pour lanne 2008 (CNV, 2009) 2 Ceci du fait de lengouement croissant des collectivits locales pour lvnementiel, surtout dans le domaine culturel

    (Benito, 2001).

  • 11

    Proposer un axe complmentaire ltude des manifestations urbaines caractre festif nous a

    demble confront la complexit du sujet. Ainsi nous-a-t-il sembl ncessaire de borner lobjet de

    recherche. Une revue de la littrature scientifique consacre au phnomne festif contemporain et

    son rapport aux territoires urbains du contexte franais appuye par une revue de presse et de sites

    web officiels des diverses manifestations nous a permis de mettre en exergue un groupe de

    manifestations urbaines caractre festif renfermant une srie daspects communs. Ainsi, avons-nous

    limit notre champ danalyse, en premier lieu, aux manifestations festives lchelle urbaine dont le

    concept de la manifestation est notamment nouveau, ou ventuellement rinvent, en sinspirant dune

    tradition festive. Dans ce cadre, lanalyse sloigne des manifestations festives traditionnelles comme

    les carnavals, les ftes foraines, les ftes patronales. En deuxime lieu, la recherche sintresse aux

    manifestations urbaines caractre festif dveloppant un concept nouveau, et tant inities, puis

    soutenues, par des collectivits locales. Ce faisant, nous ntudierons pas les manifestations manant

    des initiatives prives, comme par exemple les gays parades, les techno bals, les apros gants3. En

    troisime lieu, cette thse porte sur des manifestations nouvelles qui, dans le cadre dune politique

    publique locale, sont reconduites de manire cyclique. Nous naborderons donc pas les vnements

    ponctuels ftant, par exemple, lanniversaire de faits historiques. En quatrime lieu, ltude se limite

    aux manifestations festives nouvelles et cycliques qui dans le cadre dune politique locale investissent

    principalement les espaces publics en plein air et de libre accs. Dans ce cadre, la thse ntudiera pas

    dvnements, de festivals ou de biennales payants et/o se droulant principalement sur des espaces

    ferms (publics et/ou privs). La cinquime considration pour limiter lobjet de recherche est celle du

    public cibl et du type dactivits proposes. La thse examine des manifestations festives grand

    public proposant des activits clectiques lies aux loisirs et au festif ainsi quune srie de services

    annexes sur lespace public en plein air et en libre accs. Elle ne sintresse donc pas aux

    manifestations dans lesquelles les activits et les services se limitent un public spcifique, praticien

    dune activit prcise, comme par exemple les manifestations phmres caractre sportif soutenues

    par les collectivits locales (marathon, rand roller, vlo). Enfin, notre recherche porte sur les

    manifestations festives nouvelles, cycliques, libre daccs, grand public, inities par une collectivit

    locale, visant laisser des traces immatrielles sur lespace public quelles affectent (dans un sens par

    exemple de requalification symbolique, de rappropriation de lespace, etc.) et non pas des

    manifestations ayant pour but ou ayant pour consquence de laisser des traces physiques

    permanentes relevant des transformations lourdes du tissu urbain, comme par exemple, les expositions

    universelles, etc.

    Ces considrations nous ont conduit la dfinition d Evnement Urbain Festif (EUF),

    dveloppe plus en dtail dans le premier chapitre de la thse.

    3 LApro Gant est une manifestation festive rcente, qui consiste rassembler au travers d'un rseau social gnralement

    virtuel comme Facebook, un grand nombre dindividus sur un espace public d'une ville pour consommer des boissons

    ensemble et faire la fte .

  • 12

    A. Pourquoi sintresser aux EUF ?

    La mondialisation, la rvolution des nouvelles technologies de la communication et de

    linformation (NTCI) et lvolution des systmes de transports ont conduit la rorganisation du

    temps et de lespace. Les individus, en mobilisant leurs connaissances comme jamais, sefforcent de

    sadapter cette nouvelle rorganisation. Ils vivent, samusent, travaillent, entretiennent des relations

    et sorganisent diffremment que par le pass. Leurs modes de vie nappartiennent plus des cadres

    rfrentiels universels. Ils sont, en revanche, de plus en plus diversifis, diffrencis et en mutation

    permanente. Ce cadre socital se rvle ainsi de plus en plus incertain et instable, mais aussi innovant

    et adaptable.

    Ces processus font merger des transformations profondes sur les territoires, notamment

    urbains. La ville contemporaine stale, les densits diminuent, le tissu urbain se fragmente, les

    activits, fonctions et services urbains se diversifient et sorganisent sur de nouveaux lieux urbains et

    des nouvelles centralits mergent. Le cadre urbain nest plus statique ni continu. Il devient un

    paysage changeant et fragment parcouru par des individus constamment mobiles sur des rseaux

    physiques et virtuels. La ville contemporaine ne fonctionne plus sur une temporalit unique et

    continue. Elle marche la carte en fonction des temporalits nouvelles relevant du renouvelable,

    du temps rel, de lphmre, voire de ljectable.

    Plusieurs recherches affirment que lurbanisme, ses instruments et ses manires de faire

    ncessitent dtre rexamins. Lurbanisme traditionnel , c'est--dire un champ daction,

    pluridisciplinaire par essence, qui vise crer dans le temps une disposition ordonne de lespace

    (Merlin, 1993 : 4)4, ne savre plus efficace face aux nouveaux cadres urbains et socitaux. Ceci dit, le

    dfi des chercheurs et des acteurs de lurbain est moins de ractualiser des concepts ex.

    amnagement, urbanisme oprationnel, urbanisme rglementaire et des instruments de lurbanisme

    traditionnel ex. tudes urbaines, schmas de cohrence territoriale, plan local durbanisme, cartes

    communales que de favoriser lmergence dapproches nouvelles, plus adaptes aux nouvelles

    ralits urbaines et socitales et capables dapporter des rponses aux problmes qui en dcoulent

    (Ascher, 2000).

    Si lurbanisme doit de nos jours mettre en uvre des instruments plus adapts, capables

    dintgrer la complexit, lincertitude, et les constantes mutations des nouvelles ralits urbaines et

    sociales, ce champ concernant spcifiquement les espaces publics devrait trouver une rsonance

    sous la forme dune partition plus adquate au rythme urbain changeant. La qute de nouveaux

    rfrentiels urbains permettant de concevoir de tels espaces demande ainsi une analyse approfondie

    4 Loin de nous de suggrer que Pierre Merlin est le seul avoir dfini lurbanisme. Nous sommes consciente quil existe

    multiples manires de dfinir ce champ car celui relve des disciplines scientifiques, des pratiques professionnelles, des

    positions politiques et institutionnelles. Nous utilisons la dfinition de Pierre Merlin pour illustrer notre propos.

  • 13

    des processus dutilisation, de production et de formation de ces espaces (Toussaint-Zimmermann,

    2001 : 62).

    Nous estimons que lEUF semble faire partie de ces nouveaux rfrentiels. LEUF, en tant

    quaction urbaine agissant sur lespace public, prsente quatre grandes singularits par rapport aux

    actions urbaines traditionnelles , telles que les oprations dquipement, dinfrastructure et

    damnagement urbain, lesquelles visent prolonger, renouveler, rhabiliter, voire restructurer

    lespace public, de manire matrielle, harmonieuse par rapport au contexte immdiat et

    relativement permanente.

    En premier lieu, lEUF constitue une action urbaine visant restructurer lespace urbain dans

    une logique d'intervention ponctuelle qui laisse rarement des traces matrielles. En deuxime lieu,

    lobjectif de laction de lEUF est dinterrompre lusage routinier de lespace public avec des usages et

    des ambiances inhabituels, et mme dissonants par rapport ce dernier. En ce sens, laction ne

    cherche pas produire de lharmonie entre le site affect et le contexte urbain immdiat. En troisime

    lieu, dans laction de lEUF, lespace public est pris en compte comme un produit de loisirs

    livrable aux usagers et non pas comme un espace vide faonn travers le bti quil faut entretenir.

    La quatrime singularit relve de sa gestion. La mise en place dun EUF ncessite un travail

    transversal de coordination de divers acteurs et dorganisation dune multiplicit de fonctions et de

    services urbains sur un espace public particulier. Dans la gestion de lEUF, tous les aspects de lespace

    public sont pris en compte simultanment (voirie, espaces verts, clairage, propret, scurit, usages,

    etc.).

    De ce fait, la gestion de lEUF semble tre diffrente de la modalit traditionnelle de gestion

    de lespace public. Cette dernire se fonde sur une logique sectorielle dexploitation, de maintenance

    et dentretien quotidien de lespace public. La gestion de lespace public suivant la logique sectorielle

    est prise en charge par divers services spcialiss des communes (espaces verts, clairage) et/ou des

    intercommunalits (voirie, eau, propret). Chaque aspect de lespace public est donc gr de manire

    indpendante, voire cloisonne, par rapport aux autres aspects (Toussaint-Zimmermann, 2001). Enfin,

    la limite spatiale des comptences de gestion de chacun de ces services relve des primtres

    administratifs communaux et/ou intercommunaux, tandis que les limites spatiales de la gestion de

    lEUF ne concident avec aucune limite administrative.

    La gestion de lEUF semble tre diffrente non seulement des modalits traditionnelles de

    gestion de lespace public, mais aussi des dmarches plus rcentes comme la Gestion Urbaine de

    Proximit (GUP), et les Directions de proximit 5. Ces dmarches visent agir sur lespace public

    de manire transversale et coordonne entre tous les services concerns. Elles sattachent galement

    5 Ces deux approches sont abordes plus en dtail dans le chapitre 1.

  • 14

    transformer matriellement lespace public et/ou le maintenir de faon routinire et dans la longue

    dure. Les dmarches de gestion intgre de lespace public sont, enfin, mises en place lchelle des

    primtres administratifs intercommunaux ( Espaces publics et Directions de proximit ) ou

    lchelle de quartiers ( Gestion Urbaine de Proximit ).

    Par consquent, la gestion des EUF se distingue des dmarches rcentes concernant la gestion

    de lespace public, car : la gestion de lEUF agit lchelle micro-locale de lespace public investi et

    non pas aux chelles plus vastes des quartiers, des communes ou des intercommunalits ; la logique

    dintervention de lEUF cherche principalement modifier immatriellement ces espaces travers une

    ambiance spcifique et non pas transformer et/ou maintenir leur aspect matriel ; la temporalit de

    gestion de lEUF relve exclusivement de la courte dure et non pas de la longue dure, ni de la

    temporalit routinire.

    Les considrations exposes ci-dessus mnent la problmatique centrale de notre thse.

    Les EUF agissent sur lespace public suivant des logiques distinctes par rapport aux actions

    urbaines traditionnelles et aux modalits actuelles de gestion de lespace public. Quels

    enseignements peut-on tirer des EUF du point de vue de leur modalit de gestion ? Les logiques

    de gestion de lEUF, lies lphmre et lchelle micro-locale (c'est--dire, lchelle

    spcifique du site investi), ouvrent-elles de nouvelles perspectives pour la gestion de lespace

    public ?

    Cette problmatique sinsre ainsi dans une approche complmentaire par rapport aux tudes

    des manifestations urbaines caractre festif. Cette recherche sattache, dune part, ltude dun type

    particulier de manifestations festives que nous nommons Evnements Urbains Festifs . Dautre

    part, langle dattaque choisi est lanalyse de leurs modalits de gestion en tant quactions urbaines

    mergentes ayant la potentialit douvrir des pistes concernant de nouvelles chelles et de nouvelles

    temporalits de gestion pour lespace public.

    B. Comment analyser la gestion de lEUF ?

    i. La dfinition du concept de gestion

    Cette thse sintresse donc la gestion de lEUF. Mais quest-ce que la gestion ? La gestion,

    ou management, est ne la fin du XIXme

    sicle, lge de la division fonctionnelle du travail.

    Lapparition de la gestion, dont le but tait damliorer la productivit des entreprises, a t,

    lpoque, vcue comme une vritable rvolution sociale : elle mettait en cause laptitude du

    propritaire diriger seul son entreprise (Hatchuel, 2000)6.

    6 Il devait dsormais avoir recours au savoir du spcialiste.

  • 15

    Si, au dpart, la gestion tait affaire dentrepreneurs, dingnieurs et dconomistes (Claude,

    2000)7, de nos jours elle est considre comme une science part entire. La gestion en tant que

    science sest dtache de lconomie politique et sest clairement diffrencie de lconomie de

    lentreprise (avec laquelle elle a t longtemps confondue) partir de la fin des annes 1970. A

    lpoque, dimportants changements ont eu lieu au sein des entreprises : limpact international des

    doctrines japonaises de la production (flux tendus, qualit totale, etc.), de fortes mutations de lemploi

    et des modes de gestion des ressources humaines dans des nombreux pays, la saturation des marchs

    conduisant les firmes entamer une concurrence exacerbe fonde sur la production de nouveaux

    produits et sur linnovation intensive. Ces transformations, qui ont concid avec la crise conomique

    choc ptrolier du milieu des annes 1970, ont men une crise didentit des entreprises, puis

    une ncessaire rorganisation de laction collective (Hatchuel, 2000).

    Ce contexte, ici retrac dans ses grandes lignes, a t propice linnovation en termes

    dorganisation et lmergence de nouvelles faons de penser laction (Claude, 2000). Les sciences de

    gestion mergent ainsi comme projet scientifique cherchant laborer des fondements universels pour

    la reconstruction et la rorganisation de laction collective au sein des entreprises : elles ont vocation

    concevoir le cadre conceptuel densemble pour la gestion et analyser les dispositifs de pilotage de

    laction collective.

    Dans ce cadre, la gestion est dfinie comme une science des dcisions stratgiques et

    tactiques [] permettant de dterminer la combinaison la plus satisfaisante en termes de rendement

    et de productivit des moyens matriels et de la ressource humaine dans les organisations (Martinet

    et Silem, 2009 : 307). Il sagit dune attitude volontaire de prendre en charge (Mattingly, 1994)

    lorganisation la plus artefactuelle (Hatchuel, 2000) de laction collective : lentreprise

    8. La gestion

    correspond ainsi la prise de responsabilit sur des actions entames au sein dune entreprise pour

    atteindre des objectifs spcifiques concernant un objet particulier. Ce sens de responsabilit se rsume

    dterminer what needs to be done, to arrange that it be done, and then make certain that it is

    done9 (Mattingly, 1994 : 202).

    7 En effet, Hatchuel (2000) souligne quau dbut la gestion, ou management, merge comme un projet ducatif des chefs

    dentreprise visant initier une nouvelle classe de dirigeants des conceptions nouvelles de la direction des affaires. Il ne

    sagit pas encore des sciences de gestion en tant que programme universel de connaissances . Les ouvrages Principles of

    scientific management de Frederick Winslow Taylor (1912), Les hommes quil nous faut, de Pierre Pezeu (1918) et

    Lducation du chef dentreprise de Pierre Jolly (1933) rendent compte de ce volet pdagogique. 8 Lentreprise est lorganisation la plus artefactuelle de laction collective car elle ne constitue pas un phnomne social

    naturel. Lentreprise est une forme daction collective qui nest ni naturelle, ni traditionnelle, ni territoriale, ni lgitime

    par une quelconque transcendance (Hatchuel, 2000 :17). Ceci dit, lentreprise nest pas un cas particulier daction

    collective. Elle constitue lune des formes les plus universelles de laction collective et au nom de cette universalit [et

    aussi de sa rflexivit] elle est voque comme un modle daction pour lEtat, les familles, ou dautres organisations

    (Hatchuel, 2000 :17). De ce fait, nombre de spcialistes des sciences de gestion largissent lobjet de la gestion toute

    organisation humaine car tout collectif peut se voir comme une entreprise . Cependant dautres ne le rduisent qu

    lentreprise (Martinet et Silem, 2008). 9 ce quil faut faire, organiser pour que cela soit fait, garantir que cela est fait traduit par lauteur (Mattingly, 1994 : 202)

  • 16

    Cette volont de formalisation sophistique de laction collective a profondment modifi les

    pratiques entrepreneuriales, mais aussi celles de lurbanisme. La crise conomique du milieu des

    annes 1970 met en cause les instruments de planification produits dans la priode de laprs-guerre.

    Des carts importants avec les prvisions des instruments de planification des annes 1960 mergent et

    la plupart de ces derniers entrent dans une phase de blocage (Arab, 2004). Cet chec signifie la remise

    en cause des dmarches de planification10

    comme mthode dorganisation de laction. Ainsi, linstar

    de lorganisation des entreprises, le plan 11

    ne tient plus dans lorganisation des villes. Dans ce

    cadre, les sciences de gestion mergent comme un nouveau rfrentiel dorganisation de laction

    urbanistique. Elles constituent de nos jours un champ de rfrence incontestable pour lurbanisme :

    les emprunts [dans les pratiques urbanistiques] ne sont plus seulement dirigs vers la gographie, la

    sociologie, les mthodes de recherche oprationnelles ou lconomtrie, mais aussi vers les

    entreprises, les savoirs et les savoirs-faires qui sy sont dvelopps autour de linformation, les

    mthodes de conception dans la production, la communication, la dcision, lorganisation,

    lvaluation et le marketing (Claude, 2000 : 232).

    Prenant en compte ces lments, nous nous intressons la gestion comme un ensemble

    artefactuel de dcisions stratgiques, de dispositifs et de techniques mis en uvre pour lorganisation

    dune action collective particulire, lEUF, ayant lieu, non pas au sein de lentreprise, mais au sein du

    cadre urbain. Cet ensemble artefactuel prend en charge ce quil faut faire, organise pour que cela

    soit fait et garantit que cela est fait pour atteindre des objectifs spcifiques. Par consquent, nous

    nous intressons la gestion des EUF du point de vue des dispositifs de conception (ce quil faut

    faire), de production et de mise en uvre (organiser pour que cela soit fait), ainsi que de contrle et

    dvaluation (garantir que cela est fait).

    Cette dfinition de la notion de gestion nous a men formuler une srie de questions

    complmentaires la problmatique centrale : comment fonctionne lensemble artefactuel de

    dispositifs et de techniques mis en uvre pour lorganisation des EUF ? Autrement dit, comment

    la conception, la production, la mise en uvre, les contrles et les valuations sont-ils organiss ?

    Quels acteurs sorganisent pour produire ces actions phmres ? Et comment ?

    ii. Le contexte socital comme cadre de la gestion des EUF

    Dans la gestion des entreprises, toute prise de dcision concernant les actions mener doit

    comporter un diagnostic pralable des potentialits de lentreprise en rapport avec les opportunits

    offertes par le contexte dans lequel elle volue et les attentes du client-usager (Massiera, 2003). A

    10 Des dmarches de planification fondes sur des prvisions conomiques et dmographiques dclines en nombre de mtres

    carrs et dinfrastructures construire (Arab, 2004). 11 Dans le cadre de lurbanisme, le plan est conu comme un instrument centralisateur et technocratique caractristique de

    lurbanisme daprs guerre et des Trente Glorieuses ; dans le cadre de lentreprise, le plan est conu comme un instrument

    bureaucratique et hirarchique caractristique de lorganisation fonctionnelle et verticale du travail ; dans les deux champs

    le plan est conu comme un instrument standardis, statique et dfinitif .

  • 17

    linstar de la gestion des entreprises, il convient, tout dabord, dans la gestion de lurbain, dinterprter

    et de comprendre le contexte et les attentes des clients-usagers , c'est--dire, de ceux qui utilisent et

    consomment la ville, avant dentamer des actions visant des objectifs spcifiques (Ascher, 1995). Dans

    cette perspective, ltude du contexte socital savre tre un lment cl pour la mise en place de

    nimporte quel type de modalit de gestion ou management lchelle urbaine, dautant plus que le

    contexte socital est la fois le producteur et le consommateur de la ville (Bourdin, 2005).

    Aussi nous-a-t-il sembl intressant dtudier le contexte dans lequel cette gestion sinscrit

    avant dentamer une tude de la modalit de gestion de lEUF. Nous nous sommes intresse au

    contexte socital et, en particulier, son tat actuel tant donnes les profondes mutations quil a

    expriment ces dernires annes. Cela a consist comprendre les nouveaux modes de vie, les

    nouveaux besoins, voire les valeurs mergentes qui, dune part, aident dfinir lindividu

    contemporain et, dautre part, expliquent lengouement massif pour les EUF. Un deuxime temps a

    conduit identifier les ventuelles attentes de lindividu contemporain en tant quusager des EUF.

    Cette information a permis de mettre en lumire les lments des nouveaux modes de vie, les

    nouveaux besoins et les valeurs mergentes qui sont utiliss par les gestionnaires des EUF pour

    atteindre leurs propres objectifs, la manire dont ces lments sont mobiliss et la phase de la gestion

    dans laquelle ils interviennent.

    Paralllement lanalyse thorique du contexte socital, les rsultats dun questionnaire

    appliqu dans la phase de pr-enqute de ce travail de thse ont t utiliss12

    . Bien que la

    reprsentativit des 349 rpondants l'enqute soit limite, les rsultats ont toutefois aid confirmer

    certaines tendances souleves dans ltude du cadre socital contemporain et du profil des individus en

    tant quusagers des EUF.

    iii. La construction dun cadre gnral de gestion des EUF

    Ayant saisi le cadre socital dans lequel la gestion des EUF prend forme, il nous a sembl

    pertinent dentreprendre une tude compare approfondie entre plusieurs EUF, pour soulever un cadre

    gnral de la gestion phmre . Cette tude a port sur les aspects suivants : les types dacteurs

    intervenant, la place de la collectivit locale dans lorganisation, la place de lindividu comme usager-

    consommateur de lEUF, leur attractivit vis--vis des usagers, lespace public comme support et les

    thmatiques prioritaires de la mise en uvre de lEUF sur lespace public (laccessibilit, la gratuit,

    le type des fonctions et services proposs, la temporalit, la cration dexpriences esthtiques et la

    conception dambiance).

    Huit EUF ont t analyss : Paris-Plage et Nuit-Blanche Paris ; la Fte des

    Lumires Lyon ; Estuaire , Aux heures dt et les Rendez-vous de lErdre Nantes ;

    12 Sur la mise en place de ce questionnaire, voir encadr dans le chapitre 5, page 261 et annexes 5 et 6.

  • 18

    Bordeaux-fte-le-fleuve et Bordeaux-fte-le-vin . Des raisons pratiques nous ont conduit opter

    pour ces EUF : la recherche prcdente ralise dans le cadre de notre mmoire de Master Recherche

    (Paris-Plage), lexistence de recherches dans notre laboratoire daccueil sur la mise en lumire de

    lespace urbain (dont lEUF Lyon est lun des terrains), enfin, linformation recueillie dans les

    recherches prliminaires Nantes et Bordeaux pour slectionner nos principales tudes de cas qui font

    lobjet dune analyse approfondie dans la deuxime partie de cette thse.

    iv. Le cadre thorique danalyse des EUF

    La construction de notre raisonnement sest poursuivie en changeant de focale. Ayant dj

    labor un cadre gnral de la gestion de lEUF, il sagissait alors de construire un cadre thorique

    pour son analyse. Lide a t de comparer la gestion de lEUF dautres dispositifs mergents de

    gestion agissant sur lespace urbain en gnral. Les dispositifs tudier devaient tre confronts une

    problmatique semblable celle des EUF. Primo, coordonner un travail collectif de divers acteurs.

    Secundo, organiser un espace prcis et complexe complexit du point de vue de la coexistence de

    fonctions, de services urbains, dusages et dintrts sectoriels. Tertio, mettre en place une ambiance

    spcifique sur cet espace. Lobjectif tait ici dtablir les lments de nouveaut et les points communs

    de la gestion des EUF par rapport aux autres dispositifs mergeants de gestion agissant sur lespace

    urbain avec des logiques semblables.

    Ceci dit, les villes contemporaines ne se faonnent pas quau travers du rythme phmre des

    EUF et elles ne fonctionnent pas non plus exclusivement autour de moments rompant le quotidien se

    droulant dans des ambiances festives. Aussi avons-nous dcid dlargir ltude des dispositifs de

    gestion visant, dune part, la coordination dacteurs et lorganisation de fonctions et services

    urbains non pas phmres, mais caractre routinier et permanent et, dautre part, mettant laccent

    sur la production des ambiances non pas festives, mais cohrentes avec la nature du lieu objet de la

    gestion. Cest dans ce contexte que lintrt pour la Gestion de site (GS) comme cadre thorique

    danalyse des EUF apparait.

    La recherche Produire des lieux par la gestion. Gestion de site et renouvellement

    urbain (Bourdin et al. 2003) 13

    propose lexpression Gestion de site pour faire rfrence une

    srie de techniques de gestion qui se mettent en place sur des lieux ou sites complexes et de nature

    distincte. La recherche rend compte, au travers de lanalyse de la gestion de quatre sites urbains

    diffrents (des gares intermodales, des centres commerciaux, des centres-villes et des ensembles de

    logements privs avec services)14

    , que, dans chacun de ces sites, la mise en place de lensemble de

    13 Le rapport ralis en 2003 par une quipe de sociologues et durbanistes (Alain Bourdin, Marie-Pierre Lefeuvre, Christine

    Lelvrier, Laurent Pandolfi), a t command par la Caisse des Dpts et Consignations et le Ministre de la recherche (ACI

    Ville). 14 La Gare de Lyon (gestion de transports multimodaux), le centre commercial Val-dEurope (gestion dactivits

    commerciales), le centre-ville de Roubaix (gestion de quartiers commerciaux du centre-ville), les rsidences prives Cergy

    et Val-dEurope (gestion des activits rsidentielles).

  • 19

    techniques de gestion de services vise, aussi bien rsoudre des problmes complexes dorganisation

    du site (complexit en termes de coexistence de fonctions, de services urbains, dusages et dacteurs

    ayant des intrts sectoriels) qu la production dune bonne ambiance , laquelle doit tre accorde

    la nature du site et inciter les usagers sy rendre et consommer les fonctions, les activits et les

    services proposs.

    Il est par ailleurs mis en vidence dans cette recherche que cet ensemble de techniques de

    gestion se diffusent dun site lautre, mme sil sagit de sites de nature distincte (ex. de la gestion

    dune gare intermodale la gestion dun centre commercial). Cette diffusion, qui comporte galement

    une imitation des mthodes, est pour chaque site un vecteur de changement et damlioration de leurs

    dispositifs de gestion. Pour dmontrer ceci, les sites sont compars entre eux, pour mettre en lumire

    les rapprochements et les diffrences entre les diffrents dispositifs de gestion.

    La GS, dcrivant les modalits de gestion de quatre sites urbains complexes (du point de vue

    de la coexistence de fonctions, de services urbains, dusages et dintrts sectoriels) et de nature

    indniablement distincte, apparait ainsi comme un cadre thorique, voire un modle de gestion de

    sites urbains complexes dpassant les particularits de chaque cas. Ce faisant, pourrait-elle dcrire la

    modalit de gestion dun autre type de sites urbains complexes et de nature indniablement distincte,

    savoir la modalit de gestion mise en place sur le site phmre dun EUF ?

    Nous avons alors mis la gestion des EUF lpreuve pour identifier si ses composants

    font partie du cadre thorique de la GS. Le principal intrt danalyser les EUF travers la GS a

    t dtablir si la gestion de lEUF mobilisant les composants de la GS pouvait tre considre

    comme un cas de figure de cette dernire. La singularit de ce nouveau cas de figure par rapport

    la GS relverait a priori du caractre phmre la fois de la procdure et des limites du site

    gr. Si cela savrait possible, la gestion de lEUF, en tant que cas de figure du modle de GS,

    pourrait elle-mme tre considre comme un modle 15

    de gestion transfrable, applicable et

    adaptable la gestion dautres espaces publics complexes.

    Nous avons tout dabord examin la GS de manire indpendante pour soulever ses

    composants. Ds lors, notre intrt a t dinterroger la gestion de lEUF du point de vue de la GS et

    travers les composants de ce modle rassembls dans une grille danalyse labore par nous-mmes :

    Quels enjeux de gestion ? Quelles logiques sous-tendent la gestion ? Quels acteurs participent ?

    Quelles structures de gestion ? Quel cadre juridique ? Quelles thmatiques privilgies dans la

    gestion ? Quelles temporalits ? Quels gestionnaires des structures de gestion ? La gestion des EUF

    favorise-t-elle lmergence de nouveaux mtiers ? Quel rapport au contexte urbain ?

    15 Sur la dfinition de modle, voir le chapitre 7.

  • 20

    Cette dernire question concernant le rapport entre la gestion de lEUF et le contexte

    urbain a conduit formuler des questions spcifiques concernant lutilit de cette procdure en

    termes de nouvelles approches pour la gestion de lespace public. Comment la structure de

    gestion des EUF sinscrit-elle au sein des jeux dacteurs locaux ? Comment la structure de

    gestion des EUF interagit-elle avec les acteurs publics gestionnaires au quotidien de lespace

    public ? Cette interaction fait-elle merger de nouveaux dispositifs de coordination entre la

    structure gestionnaire et les services publics ? Fait-elle merger de nouveaux mtiers lis cette

    gestion ?

    v. Choix des tudes des cas

    Pour examiner la gestion des EUF sous le prisme de la GS, nous avons braqu le projecteur

    sur deux vnements particuliers. Parmi les huit EUF tudis pour fixer le cadre gnral de la gestion

    des EUF, le Festival de Jazz Rendez-vous de lErdre Nantes et Bordeaux-fte-le-vin ont t

    retenus. Ce choix est motiv principalement par le fait que ces EUF sont mis en place prcisment sur

    un type despace public dont la gestion est complexe : l espace fluvial .

    Officiellement, il nexiste pas de dfinition du terme espace fluvial . Cet espace est

    cependant souvent dcrit de manire symbolique et fonctionnelle. Symboliquement, lespace fluvial

    constitue un espace ambivalent porteur dun rapport dynamique et complexe entre le milieu aquatique

    et le milieu urbain. Fonctionnellement, lespace fluvial savre polyvalent, car il accueille un grand

    nombre dusages, de pratiques et dacteurs, qui doivent sorganiser sur cet espace pour coexister, tout

    en prservant des intrts spcifiques en respectant ceux des autres. Il en va ainsi de lEtat, des

    collectivits territoriales, des intercommunalits, des acteurs conomiques, sociaux, et mme du

    citoyen lambda. La complexit de lespace fluvial relve aussi du statut juridique de certains de ses

    composants, par exemple, le statut juridique des berges (Lechner, 2006). Tous ces aspects nous

    conduisent affirmer que ces EUF se droulant sur des espaces fluviaux constituent des tudes de cas

    intressantes pour discuter notre problmatique de recherche.

    Le choix de ces deux terrains obit autant des similitudes qu des diffrences permettant

    une comparaison intressante. La premire similitude est le type de ville. Bordeaux et Nantes

    constituent deux mtropoles rgionales mergentes (Fabris-Verfaillie et Stragiotti, 2000). Leur taille

    dmographique et leur fonction administrative sont assez semblables16

    . Elles constituent des ples

    urbains combinant trois activits : portuaire, industrielle et de services rgionaux (Renard, 2008).

    La deuxime similitude est leur rapport leau. Il sagit de deux villes portuaires possdant

    chacune une longue histoire lie aux cours deau qui les traversent. Lvolution de leur relation avec

    ces cours deau est aussi trs semblable : aprs une forte dpendance notamment conomique par

    16 Bordeaux compte en 2005 220 000 habitants et Nantes 280 000. Ceci dit, le poids dmographique de chaque ville,

    considr diffrentes chelles, en particulier lunit urbaine Insee et lAgglomration, nest pas identique (Renard, 2008).

  • 21

    lactivit portuaire puis un dtachement symbolique et physique, ces dernires annes se

    caractrisent par un engouement de reconversion, de revalorisation et de retour leau 17

    .

    Troisimement, ces deux villes se trouvent gographiquement en dehors du circuit des grandes

    mtropoles europennes. Depuis quelques annes, Bordeaux et Nantes sengagent renverser cette

    situation et se repositionner en tant que villes internationales. Parmi les nombreuses dmarches

    mises en place, la stratgie vnementielle occupe une position centrale. Elle comporte la production

    de festivals, de salons professionnels, de foires internationales, danimations culturelles et dEUF18

    .

    Lobjectif partag par ces deux villes est la promotion aux niveaux national et international de leurs

    spcificits historiques, culturelles et sociales. Elles souhaitent se prsenter comme des villes

    conviviales , ouvertes au monde , voire privilgies , runissant tous les atouts ncessaires

    pour linstallation dentreprises, dinvestisseurs et pour la migration dune population intressante

    appartenant la dite classe crative (Florida, 2000). Le recours lvnementiel concide dans les

    deux villes avec llection de nouvelles quipes municipales. A Nantes, cette politique est ne au

    dbut des annes 1990 linitiative du Maire Jean-Marc Ayrault. A Bordeaux, elle prend forme la

    fin de cette mme dcennie, en 1998, sous lgide du Maire Alain Jupp.

    Mme si les deux EUF choisis se droulent dans des villes prsentant diverses similitudes, ils

    ne sont pas pour autant similaires. Les deux EUF retenus sont porteurs de diffrences qui, a priori,

    semblent intressantes analyser en tant quexemples opposs. Rsumons quelques-unes de ces

    diffrences : lespace fluvial qui accueille chaque EUF est distinct, il sagit dune rivire dintrt

    dpartemental Nantes et dun fleuve europen Bordeaux ; lorigine de linitiative est culturelle

    Nantes et touristique Bordeaux ; le public cibl Nantes est local, et international Bordeaux ; le

    quartier environnant est rsidentiel sans intrt patrimonial au niveau architectural Nantes, par

    contre Bordeaux, il sagit de la zone classe au patrimoine mondial par lUNESCO ; enfin, lEUF de

    Nantes se met en place dans un schma spatial multi-sites, stendant au-del des limites de Nantes,

    tandis que celui de Bordeaux est mono-site, concentr au cur de la ville.

    Enfin, ces deux terrains ont t choisis pour des raisons pratiques dopportunit. La pr-

    enqute ralise au dbut de la thse nous a permis de faire connaissance dacteurs cls de chaque ville

    qui nous ont facilit le recueil de donnes et la rencontre des autres acteurs : le deuxime Adjoint au

    Maire de Bordeaux et Directeur de lOffice de Tourisme de la Ville, M. Stephan Delaux, et lAdjoint

    la Culture de la Ville de Nantes, M. Jean-Louis Jossic.

    17 Mais ce retour leau nest pas limit qu ces deux villes, ni au milieu fluvial. Dans les annes 1980, le culte

    leau (Prelorenzo : 1996, 39) mrge en puissance comme une nouvelle valeur urbaine : la ville bleue tend remplacer,

    meilleur tour, la ville verte de lurbanisme des CIAM (Prelorenzo : 1996, 45). 18. Ici nous rappelons que nous considrons les EUF comme un type de production vnementiel part entire (gratuite,

    cyclique, se droulant sur lespace public en plein air, comptant une participation forte du pouvoir public municipal local).

    LEUF se diffrencie donc de certains festivals, salons professionnels, foires internationales, et productions culturelles qui

    sont payants, se droulent dans des espaces fermes, et qui sont organiss et financs en particulier par des acteurs privs.

  • 22

    C. Plan de thse

    Les considrations exposes ci-dessous ont amen structurer le texte en deux parties. La

    premire, compose de quatre chapitres, dveloppe les grandes thmatiques auxquelles la gestion des

    EUF nous a confronte.

    Le premier chapitre vise dfinir lEUF en tant quobjet de recherche. Il sagit de rendre

    compte que les EUF ne constituent pas seulement des expressions issues de la fte en tant que telle,

    mais plutt des phnomnes festifs nouveaux. LEUF reprend des lments de la fte, certes, mais

    aussi dune autre manifestation typiquement contemporaine : l vnement marketing . Cest la

    fusion des lments de la fte et de l vnement marketing qui imprime lEUF son caractre

    de nouveaut. Pour ceci, les notions de fte puis d vnement marketing sont revisites. Enfin,

    lespace public en tant que support spatial de lEUF est tudi. La notion despace public ainsi que les

    problmatiques actuelles quil soulve sont discutes.

    Le deuxime chapitre se consacre ltude du contexte socital comme cadre des EUF. Les

    nouveaux modes de vie, les nouveaux besoins, les valeurs mergeantes du cadre socital actuel sont

    tudies pour comprendre tout dabord lengouement massif pour les EUF. Cette analyse sert aussi

    dcrypter comment la gestion des EUF se sert de certains traits du cadre socital pour atteindre ses

    objectifs et comment ces lments sont mobiliss dans la procdure de gestion.

    Le troisime chapitre cherche construire un cadre thorique de la gestion des EUF. Les EUF

    sont-ils des dispositifs suis-generis ou relvent-t-ils de procdures standardises ? Pour rpondre

    cette question, le contenu gnral, les lments communs et les lments distincts prsents dans huit

    EUF sont dcrits : Paris-Plage et Nuit-Blanche Paris ; la Fte des Lumires Lyon ;

    Estuaire , Aux heures dt et Rendez-vous de lErdre Nantes ; Bordeaux-fte-le-

    fleuve et Bordeaux-fte-le-vin .

    Le quatrime chapitre cherche construire un cadre thorique danalyse pour la procdure de

    gestion des EUF. Le modle Gestion de site est alors examin en dtail. Il sagit dtudier travers

    cette approche analytique divers dispositifs de gestion relevant du permanent qui, linstar des EUF,

    sont mis en place sur un site particulier, privilgient la production dune ambiance spcifique la

    nature du site et cherchent coordonner des sites complexes en termes dacteurs, dintrts, de

    fonctions de services et dusages grer. La dfinition de Gestion de site , les logiques qui la sous-

    tendent, les principaux enjeux, thmatiques et instruments de gestion sont ainsi abords, ainsi que

    lancrage territorial des dispositifs de gestion.

    La deuxime partie de la thse prsente lanalyse des dispositifs de gestion de deux EUF se

    droulant sur des espaces publics fluviaux : le Festival de Jazz Rendez-vous de lErdre Nantes et

    Bordeaux-fte-le-vin .

  • 23

    Les chapitres cinq et six proposent de braquer le projecteur sur les deux EUF fluviaux. La

    description de chaque procdure de gestion fait lobjet dun chapitre indpendant. Cela permet de

    mettre en lumire deux dispositifs de gestion qui montrent des signes particuliers de complexit, en

    particulier par rapport au type despace public investi et la nature des lieux. La dmarche

    monographique simpose ainsi pour, dune part, comprendre les logiques propres chaque dispositif

    de gestion tudi et, dautre part, ne pas ngliger le contexte de chaque gestion. Ceci dit, les deux

    chapitres monographiques sont orients vers des objectifs de comparaison. Il sagit de comparer la

    gestion de deux EUF pour, ensuite, mettre en lumire les points de convergence.

    Le dernier chapitre interroge la dmarche de gestion des deux EUF par rapport aux aspects

    structurants du modle de GS et permet ainsi de rpondre au questionnement de la thse. La gestion

    des EUF est une dmarche volutive, toujours en cours de dfinition. Lexamen de la gestion de ces

    actions urbaines phmres est men dans ce chapitre travers un cadre thorique galement nouveau

    et volutif. Tous deux sinscrivent dans des dynamiques actuelles de la recherche et de la pratique

    urbaine, renvoyant aux questions des nouvelles formes dorganisation de laction ; aux questions des

    nouvelles chelles de gestion de lespace urbain ; aux questions relatives aux nouvelles temporalits de

    laction (temps rel, courte dure, phmre) et lmergence de nouveaux mtiers de lurbain. Ce

    dernier chapitre de la thse souhaite, de ce fait, dmontrer en quoi cette action et ce cadre thorique

    permettent dapporter des lments nouveaux concernant laction urbaine.

  • 24

  • 25

    PARTIE I.

    LES EVENEMENTS URBAINS FESTIFS

    ET LA GESTION DE SITE :

    CONTEXTE, DEFINITIONS ET CONTENUS.

  • 26

  • 27

    Chapitre 1.

    De la fte lvnement urbain festif : une dfinition opratoire

    La puissante intellectualisation urbaine

    a transform ces actes sublimes en rites.

    On dgrade la fte en clbration ordonne

    (Jean Duvignaud, 1973 : 195)

    Ce travail de thse sintresse un type particulier de manifestation festive que nous nommons

    vnement urbain festif (EUF). Aussi convient-il, avant dentamer une tude des EUF, de dfinir

    ce terme. Si la fte en tant que telle existe depuis toujours , les EUF sont-ils vritablement des

    phnomnes festifs nouveaux ou sagit-t-il seulement de lvolution de la premire ?

    Ce premier chapitre approfondira la dfinition dEUF et montrera quelle dcoule, certes de la

    notion de fte , mais aussi de celle d vnement marketing . Pour ce faire, une analyse de ces

    deux notions sera mene dans un premier temps. Ceci permettra de comprendre pourquoi lEUF ne

    peut tre dfini ni comme fte ni comme vnement marketing. Nous estimons quil reprend toutefois

    des lments de ces deux notions et que cest prcisment la fusion de ces lments qui constitue a

    priori lune des nouveauts de lEUF en tant que phnomne festif contemporain. Nous tudierons,

    ensuite un lment qui distingue lEUF dautres manifestations festives contemporaines : lespace

    public en tant que support spatial. Nous aborderons la dfinition de lespace public et sa problmatique

    actuelle. Enfin, nous ferons le lien entre lespace public comme cadre des EUF et les potentialits que

    la gestion de ces actions vnementielles peut offrir lespace public pour sa propre gestion.

    1.1. La fte une notion incomplte pour caractriser lEUF

    La fte19

    a t tudie par diffrentes approches, anthropologique (Duvignaud, 1973),

    sociologique (Caillois, 1939, Villadary, 1967), philosophique (Wunenburger, 1977), historique (Berc,

    1994 ; Vovelle, 1976), gographique (Claval, 1981, 2006 ; Di Mo, 2001), etc.

    Agns Villadary (1967) propose les notions de fte-essence et de fte-existence, comme deux

    concepts opratoires pour rendre compte de lvolution de la fte en particulier dans un mouvement de

    dsacralisation. Dans la mme logique expliquant la dsacralisation de la fte, Jean-Jacques

    Wunenburger (1977) propose deux grands groupes : les ftes archaques (c'est--dire la fte ltat pur

    lie au rituel religieux) et la festivit scularise. Jean Duvignaud (1973), dans la mme ligne de

    pense puriste, mais avec une drive institutionnalisante et non pas scularisante, suggre la notion de

    fte ( ltat pur) et celle de pseudo-fte (la fte institutionnalise). Enfin, Philippe Chaudoir et Sylvia

    19 Ici nous faisons rfrence la fte publique.

  • 28

    Ostrowetsky (1996) proposent dans cette mme perspective dsacralisante la fte spontane et la

    fte officielle.

    Historiquement, Michel Vovelle (1976) distingue les ftes caractre familial, les ftes

    saisonnires, les ftes villageoises, les ftes urbaines et celles caractre national. Pour Yves-Marie

    Berc (1994) les ftes, notamment de la France des XVIme

    au XVIIIme,

    , peuvent tre classifies de la

    manire suivante : ftes religieuses, ftes civiques, ftes de la jeunesse, ftes de labondance.

    De ces exemples de classification dcoulent deux premiers constats : dune part, la complexit

    de la dfinition et de la classification de ce comportement exclusivement humain, dautre part, le

    caractre volutif de la notion. Ce caractre volutif va de la fte ltat pur , issue de traditions

    anciennes et populaires, voire sauvages lies ou pas la religion, jusqu la fte officielle et ordonne

    par un pouvoir sculaire ou religieux. Par rapport aux objectifs de cette thse, nous nous intressons

    dans ce chapitre la fte publique europenne et son volution en termes dinstitutionnalisation et

    non pas sa scularisation. Dans cette perspective, nous mobiliserons le terme fte spontane pour

    faire rfrence la fte originelle ou ltat pur et le terme fte officielle pour faire rfrence

    la fte ltat pur dj transforme et dsacralise.

    1.1.1. De la fte spontane la fte officielle du milieu du XXme sicle

    Certains chercheurs dfinissent la fte spontane comme une manifestation lintrieur de la

    socit et comme tant associe au sacr et au rituel (Caillois, 1939 ; Claval, 2006 ; Villadary, 1967 ;

    Wunenburger 1977), ce qui implique son association des rglementations collectives et la

    rptition de certaines routines. Il sagit pour ces chercheurs dun moment de parenthse de la

    quotidiennet et des rgles de la socit au sein dune atmosphre de joie (Villadary, 1967).

    Dautres chercheurs sont plus radicaux. Daprs Jean Duvignaud (1973), la fte spontane est une

    rupture totale, mme si passagre, avec la quotidiennet et les normes du cadre socital au sein dune

    atmosphre non pas de joie, mais subversive et de tension destructrice (Duvignaud, 1973). Dans ces

    conditions la fte spontane ne peut pas tre conue lintrieur de la vie sociale ni du collectif. Elle

    est selon lanthropologue le non-social passager , dans la mesure o elle abolit (pour tout le temps

    de sa dure) les reprsentations, les codes, les rgles de la socit mme si elle utilise momentanment

    des signes collectifs et se rapproche des rituels ; mme si elle se met au service du pouvoir ; mme si

    elle est une manifestation prive. Duvignaud souligne de plus que le caractre sacr (crmonies

    respectes et soigneusement codifies) impos certains moments cls de la fte spontane nest

    quune chose invente par les anthropologues . Les seules rgles dune fte spontane sont le

    trouble, le vague, le trbuchement, la voix fausse, la distraction. Or quand une fte spontane prsente

    des rgles, des normes de codes, elle ne peut plus tre dfinie comme telle (comme fte). Il sagit de

    lintellectualisation urbaine de la fte qui transforme ces actes sublimes en rites, dgradant la fte

  • 29

    spontane en clbration ordonne : ce quil appelle la pseudo-fte et que nous appellerons la fte

    officielle.

    La pseudo-fte ou fte officielle est une faon de canaliser linsurrection souligne Duvignaud.

    La fte officielle en tant que clbration ordonne et institutionnalise sinscrit toujours dans la

    logique du cadre socital (idologique et politique) du moment. En ce sens, elle peut servir non

    seulement reflter la socit au sein de laquelle elle se produit, mais aussi la contrler (Di Mo,

    2001). La fte officielle peut ainsi devenir un instrument de laction politique par laffirmation des

    groupes et des valeurs dominantes. A titre dexemple, nous pouvons citer les Ftes de la

    Renaissance . Ces feries donnes en lhonneur de la naissance et du mariage des princes ont pour

    but la soumission des villes cherchant la protection des rois. Chaudoir et Ostrowetsky (1996)

    soulignent qu partir du XVIIme

    sicle, les autorits religieuses, publiques et civiles se mfient des

    ftes spontanes, intervenant dans leur distribution gographique et leur organisation. La fte autrefois

    lie aux plaisirs collectifs (fte spontane) se transforme en une thtralisation officielle, en une mise

    en scne du lieu de droulement et du pouvoir qui lorganise partir de dcors et des constructions

    phmres et/ou durables : la fte perd son caractre festif et devient spectacle (Chaudoir et

    Ostrowetsky, 1996). Par exemple, les entres-royales qui servent de justification au pouvoir

    royal saccompagnent dune mise en scne constitue de monuments tels que les arcs de triomphe, la

    porte aux colonnes, etc.

    Mme si elle est contrle et transforme en spectacle, la fte officielle peut toutefois offrir la

    possibilit de sexprimer, mme fugacement et sur le mode du drisoire , ceux qui nont pas la

    parole (Grme et al., 1988). Par exemple, les ftes de la priode rvolutionnaire entre 1789 et 1799

    constituaient des propagandes idologiques et visuelles sur lespace public. Elles sont conues comme

    des rituels officiels pour servir aux objectifs de ceux qui ont le pouvoir. Elles permettent aussi

    danimer la spontanit populaire. Deux traits caractrisent ces ftes : la transgression populaire et la

    matrise du pouvoir (Ozouf, 1976).

    Au cours du XIXme

    sicle, les ftes officielles sorganisent de plus en plus au sein des socits

    prives de jeunesse. Ceci se fait au dtriment des ftes spontanes caractre public, comme les

    carnavals et les kermesses, qui commencent progressivement sofficialiser et se privatiser (Fournier,

    2006) ou simplement disparatre20

    (Chaudoir et Ostrowetsky, 1996). Ce mouvement dofficialisation

    de la fte a t marqu par un contrle plus strict des pouvoirs publics sur le contenu festif (des chants

    et des danses de rue) et par lmergence de nouveaux codes moraux au sein de la nouvelle bourgeoisie,

    lie au commerce et lindustrie. Ce groupe social a pour but de se diffrencier de la classe populaire,

    en affichant son opposition ces manifestations populaces telles que les carnavals, les ftes

    20 Dans le nord de la France, la tradition festive populaire est encore persistante durant le XIXme sicle (Gueusquin, 1995).

    Le jet et le destin : prodigalits festives en France du Nord au Sud, vol. XCVIII, 1995.

  • 30

    foraines et en mettant en vidence les problmes divresse et de violence quelles peuvent susciter. Le

    mouvement dofficialisation de la fte a galement t marqu par certaines transformations du milieu

    rural. La mcanisation, le commerce et les mouvements migratoires de lpoque (des jeunes paysans

    vers les villes et dimmigrants trangers vers les campagnes) mettent progressivement fin

    linterdpendance entre voisins qui servait souvent de prtexte de nombreuses ftes (Fournier, 2006).

    Ce dclin de la fte spontane et publique se poursuivra jusqu'au milieu du XXme

    sicle, plus

    spcifiquement jusquaux annes 1950/60.

    Un autre type de fte apparat au milieu du XIXme

    sicle au cur de la rvolution industrielle :

    les Expositions Universelles21

    . Il sagit de la fte officielle une chelle dpassant le local, voire le

    national. Ces festivits prennent une nouvelle ampleur, en termes spatiaux et dobjectifs. Elles

    sorientent vers des enjeux politiques et conomiques internationaux, directement lis au contexte

    mondial de lpoque. Outre les expositions universelles, partir du XXme

    sicle, mergent des

    festivits dordre politique et social, telle que la clbration du 1er mai instaure par le Parti

    communiste22

    .

    Jusquau dbut des annes 1960, la fte est un phnomne gnralement rgl, contrl et

    matris par la socit comme une tendance gnralise de la qute de complicits nouvelles qui ne

    risquent pas de remettre en question lquilibre social (Duvingnaud, 1967). La fte perd son caractre

    de subversion et de contestation des murs. Elle perd aussi son caractre sacr et de rituel fix une

    date prcise. Dsormais, elle peut se drouler tout moment ; elle est associe une qute dquilibre

    et non pas une recherche de contestation sociale.

    Les annes 1960-1980 constituent un vritable tournant. Les principaux dclencheurs sont la

    croissance du niveau de vie et du pouvoir dachat permis par lindustrialisation, la rvolution des

    mdias et des transports, les nouvelles mobilits lies au tourisme et accentues par lamlioration des

    transports et du pouvoir dachat (Villadary, 1967). Deux formats festifs apparaissent : dune part,

    des festivits locales revisites mettant en valeur des aspects de la culture villageoise et des

    lments identitaires locaux et visant intgrer des lments nouveaux provenant de la nouvelle

    socit de consommation ; dautre part, des vnements jusqualors sui generis lis certains traits de

    la fte spontane au sens de Duvignaud, et attachs particulirement des expressions artistiques de

    la dite contre-culture , qui sopposent la socit de consommation mergente.

    Les festivits locales autour de la culture villageoise et dlments identitaires locaux

    exprimentent entre 1960 et 1970 une sorte de rinvention en intgrant des aspects typiques de la

    socit de consommation. Daprs Fournier (2006), quatre aspects expliquent ces changements. En

    premier lieu, nombre de festivits rurales changent de date en se dplaant vers la priode estivale

    21 La premire a eu lieu en 1851 Londres, et la deuxime en 1855 Paris. 22 La premire clbration du 1er mai a eu lieu en 1890 en France et dans de nombreux autres pays.

  • 31

    pour sajuster aux temporalits typiques de lpoque industrielle : travail-grandes vacances.

    Deuximement, le concept de qualit de vie qui merge cette poque met en valeur le retour aux

    communauts traditionnelles, leur style de vie rural et la revitalisation, voire rinvention des

    anciennes festivits rvolues ou en voie de disparition. Troisimement, ces festivits se construisent

    sur une ambivalence de deux contextes sociaux dans la mesure o elles cherchent satisfaire les

    besoins, dune part, de la population locale ( travers ses rituels typiques) et, dautre part, des touristes

    curieux ( travers lincorporation des aspects ludiques) en qute du style de vie rural. Enfin, cette

    dmarche suscite chez les locaux (habitants et pouvoirs publics) une prise de conscience de la valeur

    de la fte en tant qulment identitaire et de limpact important de la festivit par rapport une

    activit conomique et une population externe : le tourisme de masse et les touristes. La fte locale

    sintgre ainsi de plus en plus dans des pratiques quotidiennes lies notamment aux loisirs et au

    spectacle (Villadary, 1967). Elle est petit petit conue dans une ambivalence partage entre

    particularisme et standardisation, dans un but de double identification locale (habitants) et externe

    (touristes).

    Le deuxime format festif apparu dans les annes 1960, relevant des vnements sui

    generis, est symbolis particulirement par le Happening (littralement lvnement en train davoir

    lieu ). Ce terme, introduit par lartiste amricain Allan Kaprow en 1958, dfinit toute sorte de

    manifestation collective sollicitant le public, et dans laquelle le processus a autant, sinon plus,

    dintrt que le rsultat (Durozoi, 2002 :39). Selon Kaprow, il sagit dune forme dart dun

    nouveau genre ; une forme dart alatoire et phmre qui se caractrise par sa mise en jeu, son

    humour, et par une mise en scne thtrale anarchiste (Kaprow, 1961). Le Happening, ne faisant pas

    rfrence une culture artistique en particulier, octroie une libert dinterprtation et une libert de

    prsentation aux participants. Ce faisant, il savre, toute comme la fte spontane, contestataire et

    drangeant. Le Happening dfini par Kaprow (1966) comme une communaut phmre dagitation

    culturelle et politique, runissant un groupe pluraliste dartistes, de militants, de provocateurs

    (Kaprow, 1966), se droule loin des lieux institutionnaliss. Il investit des btiments vides, des lofts,

    des sous-sols, des environnements naturels (des fort, des grottes) et mme la rue.

    Les 18 Happenings en 6 parties organiss par Kaprow la galerie Reuben de New York en

    1959 sont considrs comme la premire manifestation artistique relevant de ce genre nouveau.

    Programms entre les 4 et 10 octobre 1959, ils marquent un point de non retour au-del duquel les

    limites traditionnellement attribues diffrentes formes dexpression artistique (danse, thtre,

    musique, posie, peinture) implosrent dfinitivement 23

    . Le Happening de Kaprow en tant que

    dmarche mancipatrice, artistique, en tant quaction festive, provocatrice et humoristique, sduit

    23http://www.universalis.fr/encyclopedie/Z030080/18_HAPPENINGS_EN_6_PARTIES_A._Kaprow.htm

  • 32

    rapidement de nombreux artistes. Le Happening devient lune des grandes rfrences de la contre-

    culture des annes 1960 et de nouvelles manifestations vnementielles indpendantes24

    .

    Un deuxime type dvnement suis generis issu de la dite contre-culture est le festival de

    musique grande chelle, dont Woodstock Music and Art Fair est le paradigme. Ce festival sest

    droul entre le 15 et 18 aot 1969 Bethel dans une proprit prive aux tats-Unis, 60 km de

    Woodstock dans l'tat de New York. Dinitiative prive, il sest constitu, non seulement comme un

    festival de musique internationale populaire (folk, rock, soul et blues), mais aussi comme un vritable

    rassemblement social et festif autour des mouvements du hippisme et de la contreculture des annes

    soixante.

    La mise en uvre du festival sest rvle particulirement ardue. Le terrain choisi ntait pas

    facile daccs. Il a t ncessaire de drainer, forer des puits, tailler, dbroussailler et enclore le terrain.

    Pour construire la scne et le Lodge des artistes, il a fallu apporter des tonnes de bois et des centaines

    de poteaux tlgraphiques. Un pont a t construit dailleurs pour connecter le Lodge des artistes et la

    scne. Pour la sonorisation, des kilomtres de cbles ont t tirs et enterrs. Enfin, la restauration de

    milliers de visiteurs ainsi que la scurit ont t sous-traits.

    Cette ville phmre ddie la musique a t conue pour accueillir entre 100 000 et

    150 000 personnes pendant deux jours. Le Festival a finalement attir plus de 450 000 visiteurs,

    obligeant les organisateurs, la fin du premier jour, faire tomber les grilles qui entouraient le terrain,

    rendre l'accs gratuit et prolonger la programmation un jour de plus25

    . Si Woodstock a marqu

    lhistoire de la musique et de lvnementiel, ce festival na pas t reconduit avant bien long temps.

    Seules deux ditions ultrieures, en 1994 et en 1999, ont eu lieu loccasion de la clbration des 25

    et des 30 ans du droulement du festival original.

    Du cot franais, le festival Printemps de Bourges est la rfrence de lvnement de

    musique grande chelle issu de la dite contre-culture . Aussi dinitiative prive, la premire

    dition du festival a eu lieu entre les 6 et 10 avril 1977 sous lgide du directeur de la Maison de la

    Culture, Jean Christophe Dechico, le chanteur et comdien Alain Meilland et lagent de spectacle

    Daniel Colling. Lambition originelle du festival ntait pas seulement de rassembler des

    24 En Europe, le Happening est poursuivit particulirement par Fluxus et par le franais Jean-Jacques Lebel. Ce dernier

    organise Venise, avec L'enterrement de la Chose , le premier Happening europen. Nombre dautres Happenings seront

    organiss sous lgide de Lebel parmi lesquels : L'Anti-Procs , une exposition internationale nomade regroupant des

    artistes divers, qui manifestent contre la guerre d'Algrie et contre la torture ; le Festival de la Libre Expression en 1964 et

    le Festival International Polyphonix en 1979, des manifestations itinrantes ouvertes et diffrents expressions artistiques