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L'EXPLOITATION DE L'IMAGE DES BIENS Jean-Michel Bruguière Victoires éditions | « LEGICOM » 2005/2 N° 34 | pages 13 à 31 ISSN 1244-9288 ISBN 2908056941 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-legicom-2005-2-page-13.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Jean-Michel Bruguière, « L'exploitation de l'image des biens », LEGICOM 2005/2 (N° 34), p. 13-31. DOI 10.3917/legi.034.0013 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Victoires éditions. © Victoires éditions. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. Powered by TCPDF (www.tcpdf.org) Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Bordeaux - - 147.210.89.212 - 11/10/2016 12h55. © Victoires éditions Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Bordeaux - - 147.210.89.212 - 11/10/2016 12h55. © Victoires éditions

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L'EXPLOITATION DE L'IMAGE DES BIENSJean-Michel Bruguière

Victoires éditions | « LEGICOM »

2005/2 N° 34 | pages 13 à 31 ISSN 1244-9288ISBN 2908056941

Article disponible en ligne à l'adresse :--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-legicom-2005-2-page-13.htm--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Pour citer cet article :--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Jean-Michel Bruguière, « L'exploitation de l'image des biens », LEGICOM 2005/2(N° 34), p. 13-31.DOI 10.3917/legi.034.0013--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Distribution électronique Cairn.info pour Victoires éditions.© Victoires éditions. Tous droits réservés pour tous pays.

La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans leslimites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de lalicence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie,sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit del'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockagedans une base de données est également interdit.

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L’exploitation de l’image des biens

Jean-Michel BruguièreMaître de Conférences à l’Université d’AvignonDirecteur de l’ERCIM, UMR 5815, Pôle Propriété Intellectuelle

L’ESSENTIELLa question de l’exploitation de l’image des biens ne peut être réduite à laquestion de la richesse économique. Le propriétaire peut tout simplementrevendiquer à l’encontre du professionnel de l’image, un droit à la tran-quillité, un souci de rétablir une certaine vérité, ou faire valoir le respectde sa personne. En outre, certains professionnels de l’image peuvent êtreanimés d’une volonté de diffusion d’un savoir. L’image d’un bien peut êtreun outil de communication qu’il est important de protéger. C’est dans laconfrontation des valeurs économiques et sociales que repose tout l’inté-rêt d’une étude sur la question. C’est pourquoi, le principe est bien ici laliberté de l’activité de l’exploitation de l’image des biens qui a été un peuperdue de vue avec la jurisprudence de la première chambre civile de laCour de cassation. Cette liberté dont on doit protéger la prospérité à l’aided’outils juridiques spécifiques, n’est ni générale, ni absolue. L’activitéd’exploitation peut en effet être l’origine de la création d’un trouble de lapropriété ou de la personne, qu’il appartient au professionnel de l’imagede supporter. �

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LA PHOTOGRAPHIE : QUESTIONS DE DROIT

L’image d’une propriété et la pro-priété de l’image. Certaines socié-tés considèrent que certaines cho-

ses peuvent être animées d’une âme. Parvoie de conséquence, ces choses se trou-vent hors du commerce juridique. Sansétats d’âmes, nos sociétés, plus matéria-listes, se contentent d’observer que lesbiens ont une image et que cette imagetend à être dotée d’une valeur écono-mique. La valeur économique suscite l’in-tervention juridique et appelle une ques-tion fondamentale : l’image d’unepropriété peut-elle conduire à la propriétéde l’image (1) ?

Le professionnel de l’image, soucieux dulibre exercice de son art, répondra aussi-tôt par la négative. « Un art libre induit unregard libre » (2). Le propriétaire attentifà son bien objectera qu’il aspire à la tran-quillité ou à plus de liquidité… Ciel monvoilier, mon citronnier ou mon bichonmaltais (3) !

La controverse suggère que la questionde l’exploitation de l’image des biens,qu’il convient au préalable de définir, sus-cite des intérêts contradictoires qui nepeuvent, à ce titre, être appréhendés demanière uniforme. Qu’entendre parexploitation de l’image des biens ?Pourquoi s’y intéresser ? Comment trai-ter la question ?

L’exploitation de l’image des biens.L’image des biens peut tout simplementêtre définie comme la représentationd’une chose appropriée. L’image quivient du latin imago (représentation, por-trait, copie) est appréhendée dans le voca-bulaire juridique de l’association Capitant(4) comme « l’apparence visible d’un indi-vidu ou d’une chose ». Il s’agit donc ici

d’une représentation suscitée par certainsmoyens artistiques ou techniques (laphotographie, la sculpture, la pein-ture…). La représentation qui retiendraici notre attention est celle des biens. Lesimages ne contiennent pas en effet seu-lement des représentations de personnes.L’on retrouve aussi (que l’on songe auxcartes postales) les traits de nombreuxbiens : maisons, tableaux, bateaux, monu-ments publics, animaux, végétaux…Lespropriétaires de ces choses ne sont peutêtre pas d’accord pour que ces bienssoient reproduits sans autorisation. Celadémontre au passage la nécessité d’ap-propriation de la chose représentée. Enl’absence de maître, la chose n’est pas unbien et elle se trouve, à l’image des cho-ses communes (un paysage par exemple),hors de notre étude. Cette image desbiens, ainsi rapidement définie, est aujour-d’hui une richesse qui suscite et résulted’une activité économique. Il y a bienexploitation de l’image des biens. Pourse limiter à l’exemple de la photographie,le photographe crée des photographies,qu’il va ensuite confier (peut-être parceque celles-ci lui ont été commandées) àune agence de photographie. Cetteagence de photographie va vendre cesimages à une agence de publicité pour laconfection d’une campagne publicitaire,à un éditeur qui va illustrer un ouvrage….Dans tous ces cas il y a bien une activitéà partir de cette image. Pourquoi s’inté-resser à cette exploitation de l’image desbiens ?

L’avoir et le savoir. L’image, qu’il s’agissede l’image des personnes ou de celle desbiens a acquis aujourd’hui une fortevaleur économique (5). Cette valeur éco-nomique est essentiellement due aux pos-sibilités de circulation de la richesse elle

1. Les premières lignes de cette chronique sonttirées de notre ouvrage, L’exploitation del’image des biens, Guide Légipresse,PUF/Victoires Editions à paraître.

2. M.-J. Mondzain, Le commerce des regards,Seuil, L’ordre philosophique.3. Cf. les exemples de revendications despropriétaires développées dans le journal LeMonde du 27 décembre 2002.

4. G. Cornu, Vocabulaire juridique, PUF, 1996,“ Image ”, p. 415.5. Et c’est bien ce mouvement qui appellel’intervention juridique.

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même favorisée par les nouvelles techno-logies de l’information. Le développe-ment des procédés de reproduction, hierla photographie, le cinéma ou la télévi-sion, aujourd’hui nos autoroutes de l’in-formation qui, précisément, transportentdes images fixes ou animées a conféré ànotre objet d’étude (en lui permettantde circuler) une forte valeur économique.Des facteurs juridiques accompagnent cemouvement tant au niveau des droits dela personnalité (qui ne cessent de se mon-nayer), qu’au niveau du droit de pro-priété (qui, quoiqu’on en dise, connaîtune forte vitalité). Nul ne s’étonneradonc, dans ces conditions, de voir la pre-mière chambre civile de la Cour de cas-sation décider que l’exploitation d’unbien sous la forme de photographiesporte atteinte au droit de jouissance dupropriétaire (6). Que l’image d’une pro-priété puisse en définitive conduire à lapropriété de l’image.

La question de l’exploitation de l’imagedes biens ne peut être réduite au soucides propriétaires ou des professionnelsde l’image de réservation des utilités éco-nomiques de la richesse. Tout d’abord (etil s’agit bien d’une valeur sociale), le pro-priétaire qui fait valoir un droit à l’en-contre du professionnel de l’image pours’opposer à la diffusion de la photogra-phie de sa chose n’est pas toujours animéd’un esprit de lucre. Il peut s’agir toutsimplement d’un droit à la tranquillité,d’un souci de rétablir une certaine vérité,en bref, au delà du respect des biens, defaire valoir le respect de sa personne.Ensuite et en contrepoint, il faut prendreconscience, qu’au delà des préoccupa-tions économiques, certains profession-nels de l’image peuvent être animés d’unevolonté de diffusion d’un savoir. Or

comme un auteur (7) l’a joliment souli-gné, le “ droit de savoir ” implique parfois“ le droit de voir ”. L’image d’un bien peutêtre un outil de communication (que l’onsonge ici à un guide du patrimoine) qu’ilest important de protéger. En ce sensnous pouvons dire que c’est dans laconfrontation des valeurs économiqueset sociales que repose tout l’intérêt d’uneétude sur la question.

Diversité des sources, diversité desdroits, mise en ordre. La confrontationde ces valeurs est l’œuvre de différentesautorités. Elle se fait à partir de diffé-rents droits. Il y a diversité des sourceset diversité des droits ce qui nécessiteune mise en ordre. Le droit d’exploita-tion de l’image des biens repose en effetsur de multiples sources. La loi tout d’a-bord si l’on considère le droit de pro-priété (et l’article 544 du Code civil) oule droit au respect de la vie privée (etl’article 9) qui permettent aux proprié-taires de biens reproduits de s’opposerà la reproduction de l’image. Le contratensuite puisque la plupart des rapportsentre les professionnels de l’image sontréglementés au moyen de cet outil. Lejuge enfin et surtout car, à l’instar dudroit à l’image des personnes, le droitsur l’image des biens est une créationprétorienne (8) (bien antérieured’ailleurs à l’arrêt du 10 mars 1999). Lelégislateur, la pratique professionnelleou le juge donc sont à l’origine de ladécouverte (redécouverte) de nomb-reux droits pour encadrer l’exploitationde l’image des biens. Il s’agira en pre-mier lieu de protéger l’activité d’ex-ploitation (au moyen des droits et liber-tés fondamentaux ou du contrat) ou leproduit lui-même (à l’aide de la pro-priété intellectuelle).

6. Cass. civ. 1re ch., 10 mars 1999, JCP, 1999,II, 10078, note P.-Y. Gautier. Bien que cettesolution ait été aujourd’hui remise en cause parl’Assemblée plénière, 7 mai 2004, D., 2004, J.,p. 1545 et nos observations.

7. C. Bigot, “ La liberté de l’image entre sonpassé et son avenir ”, 2e partie, Du droit desavoir au droit de voir, Légipresse, 2001, n° 183-II-81.8. Si l’on veut bien faire abstraction de

l’imprécise proposition de loi visant à donner uncadre juridique au droit à l’image déposée le16 juillet 2003 à l’Assemblée nationale, et notrecommentaire, J.-M Bruguière et B. Gleize, D. ,2004, Point de vue, p.2643.

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9. Automatiquement en effet, avec cettejurisprudence ; les professionnels étaient en faute

de ne pas avoir sollicité l’autorisation despropriétaires.

10. TI Nancy, 21 juin 1991, Gaz. Pal., 1992,Sem 1, p. 232.

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LA PHOTOGRAPHIE : QUESTIONS DE DROIT

En second lieu, le droit de propriété,matérielle comme immatérielle, permet-tra aux possesseurs des biens reproduitsde s’opposer à la reproduction de l’imagede la chose. Comme nous l’avons inci-demment souligné, le droit de propriétén’est pas la seule arme des propriétaires.Il faut aussi compter (et c’est tout le sensdu revirement de jurisprudence du 7 mai2004) avec la responsabilité…. Commentarticuler l’ensemble de ces droits ? Quelfil d’Ariane faut-il suivre pour présentercette question de l’exploitation de l’imagedes biens ? Le mieux est de raisonner demanière méthodique et de commencer,comme toujours, par le principe. Or leprincipe est bien ici la liberté de l’activitéde l’exploitation de l’image des biens quia été un peu perdue de vue avec lajurisprudence de la première chambrecivile de la Cour de cassation (9). Cetteliberté dont on doit protéger la prospé-rité, n’est ni générale, ni absolue.L’activité d’exploitation peut en effet êtrel’origine de la création d’un trouble qu’ilappartient au professionnel de l’image desupporter. La trame de notre chroniquesera donc implicitement construite surcette base. Plus précisément nous envisa-gerons successivement : les garanties dela prospérité de l’exploitation (I), lesrisques du trouble (II).

Activité et produit. L’exploitation de l’image des biens est avant tout, nous l’avons souligné, une activité économiqueque notre système juridique doit s’effor-cer de protéger. Cette activité écono-mique est par ailleurs à l’origine de lacréation de nombreux produits que l’onne peut, là aussi, valoriser qu’à l’aide decertains “ outils ” juridiques. Dans cetteperspective toute instrumentale nous

allons donc envisager successivement laprospérité de l’activité (A), puis celle desproduits de l’activité (B).

A. La prospérité de l’activitéContrats et libertés. L’activité d’exploita-tion de l’image des biens repose sur dif-férents “ moteurs juridiques ” : le droit dessociétés, le droit des contrats, les droits etlibertés fondamentaux… Le profession-nel de l’image doit en effet veiller à adop-ter une bonne structure sociétaire afind’exercer son art. Lorsqu’il intervient surle marché de l’image, seul ou avec desassociés, il doit également être attentif auxcontrats qu’il passe. Enfin si l’exercice deson activité est menacé par d’autres agents,il peut être tenté d’invoquer les droits etlibertés fondamentaux…En privilégiantici ce qui participe vraiment de la spécifi-cité de l’image, nous envisagerons suc-cessivement les droits et libertés fonda-mentaux (a) et le droit des contrats (b).

a. Les droits et libertés fondamentauxPrésence des droits fondamentaux dans ledébat sur l’exploitation de l’image desbiens. Les droits et libertés fondamentauxont rarement été invoqués dans le débatsur l’exploitation de l’image des biens. Ils’agit pourtant d’une pièce essentielle quele juge ou la doctrine a eu l’occasion d’évoquer. En ce qui concerne le juge, lesdroits et libertés fondamentaux peuventêtre invoqués de manière directe, positive,à travers l’idée que l’exploitation de l’image des biens met en œuvre la libertéde création. On peut ainsi lire dans unjugement du tribunal d’instance de Nancyle 21 juin 1991 (10) : « Les droits de propriétéet de personnalité invoqués par des époux pourfonder leur action ne peuvent être utilement invo-qués pour interdire à une personne de reproduireun bien meuble ou immeuble…En effet juger lecontraire aboutirait à empêcher toute œuvre créa-trice de l’esprit pictural ou photographique qui

I-LES GARANTIES DE LA PROSPÉRITÉ

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serait la reproduction d’un bien appartenant àune personne privée ou publique étant rappeléque, en principe, toute œuvre artistique a pourvocation à être commercialisée ». La doctrinea elle même également souligné cettedimension. Le premier auteur (11) ayantenvisagé la question de manière globaleavait ainsi pointé l’impératif du respect decertaines libertés publiques. « Aujourd’huila liberté de réaliser, de publier, et d’exploiter l’i-mage des biens visibles sans autorisation de leurpropriétaire se trouve incluse dans plusieurs liber-tés auxquelles le Conseil reconnaît un caractèreconstitutionnel » (l’auteur vise alors la libertéindividuelle, la liberté de communicationet la liberté du commerce et de l’indus-trie). Afin de ne pas rester dans les for-mules incantatoires ou les arguments d’au-torité, il est important de donner quelquesillustrations concrètes.

Illustrations. « Privatisation de l’espacepublic ». « Patrimoine, il faut payer pourvoir », « La privatisation de l’image menacela photographie », « Sommes nous contraintsde ne photographier que la mer ? »… Au len-demain des arrêts de la première cham-bre civile de la Cour de cassation, de nom-breux professionnels de l’image se sontinquiétés des risques de cette jurispru-dence dans la presse (12). En écho à cettecontestation, la doctrine s’est demandée sil’image n’était pas menottée, « menacée »(13) ? Les arguments avancés au soutiende la critique de la position de la Cour decassation tournaient souvent autour del’idée de “ privatisation de l’espace public ”(14). En définitive, plusieurs risques sontdénoncés. Il s’agit tout d’abord du coûtfinancier des autorisations des auteurs oupropriétaires de biens reproduits, cescharges financières conduisant souvent àl’abandon de projets. Ceci fait écho à lafois à la liberté de création et à la libertédu commerce et de l’industrie. Il s’agit

ensuite de l’origine publique des fondsayant permis la création des œuvres repro-duites (et autorisant en conséquence unelibre reproduction). Il s’agit enfin et sur-tout de l’idée selon laquelle, l’espacepublic (la rue par exemple) est libre dedroits comme cela était le cas à la fin duXIXe siècle en un temps où les droits depropriété intellectuelle (et ici le droitd’auteur des architectes) n’étaient pasparticulièrement affirmés en ce domaine.Sans qu’il soit ici possible de discuter l’en-semble de ces arguments, il faut observerque la légitimité des droits de propriétéest ouvertement remise en cause sansbeaucoup de mesure car il faut impérati-vement distinguer entre les droits de pro-priété matérielle (effectivement mena-çant pour la liberté du commerce) et lesdroits de propriété immatérielle (parfai-tement légitimes en cas de respect desconditions d’accès à la protection).

Illustrations. Le risque du “ floutage ”,de l’image aseptisée… Au delà de la pri-vatisation de l’espace public, les profes-sionnels de l’image ont pointé de nomb-reux risques de la jurisprudence de lapremière chambre civile. Par crainte deprocès de propriétaires, les photographesont pu, par exemple, être tenté de tour-ner les difficultés en pratiquant le “ flou-tage ” c’est à dire en masquant le bienreproduit ou en le reproduisant à une dis-tance telle qu’il ne pourrait être identifié(15). Il est bien évident qu’ici un tel com-portement conduit à une forme de “ cen-sure ” dommageable et à un risque d’ap-pauvrissement, les mêmes images étanttoujours présentées à l’appui de textes. Asupposer que le professionnel de l’imagesollicite bien l’autorisation des proprié-taires, celui-ci pourrait encore voir saliberté réduite au cas où le possesseurimpose certaines prises de vue et en

11. P. Kayser, “ L’image des biens ”, D. , 1995,Doct., p. 291.12. A la une du journal Le Monde du 27 décembre2002, le dossier consacré à cette question.

13. L’image menacée ?, Forum Légipresse,4 octobre 2001, Victoires-Editions.14. Cette expression est à attribuer auphotographe Patrick Bard (à propos alors de

l’image des personnes).15. Le Monde, 29 mars 2003, “ Lesphotographes face au piège du juridiquementcorrect ”.

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refuse d’autres. Or, “ l’image est un instantet sans cet instant l’image perd son âme ” (16).On retrouve ici à nouveau la liberté decréation.

b. Le contratLa richesse de l’outil contractuel. La pro-spérité de l’activité d’exploitation de l’image des biens ne résulte pas seulementde droits et libertés fondamentaux. Elleprocède également du contrat qui est unadmirable instrument de circulation desrichesses. A admettre sans plus de discus-sion que l’image puisse bien être l’objetd’une convention (17), il faut ici constaterque l’outil contractuel favorise de nom-breuses choses. Il est en effet possibled’ordonner la création de l’image aumoyen d’un contrat de commande oud’un contrat de travail (ce contrat impli-quant lui même en amont le consente-ment du propriétaire du bien reproduit).De la faire circuler au moyen d’un contratde prêt, de cession, d’édition, de mandatde commercialisation… Nous pouvons icimettre l’accent sur le contrat de com-mande ou les contrats de mandat.

Le contrat et la réalisation de l’image.L’exemple du contrat de commande. Le photographe peut créer ses photogra-phies dans différents cadres juridiques. Il peut tout d’abord agir de manière indé-pendante c’est à dire sans être lié par uncontrat de travail ou par un contrat decommande. Une fois sa création achevée,il va alors se tourner vers un éditeur ouune agence de photographie afin de valo-riser ses images. Le photographe peutensuite agir dans le cadre d’un contratde travail ou d’un contrat de commande.Le contrat de commande est un contratd’entreprise puisqu’il s’agit pour l’auteurde fournir une prestation (ici artistique).

Lorsque le contrat de commande a pourobjet des images destinées à un usagepublicitaire, le contrat est alors dénommé“ contrat de commande pour la publicité ”(L.132-31 CPI). Dans tous les autres cas,le régime juridique du contrat est celuid’un louage d’ouvrage envisagé par leCode civil à l’article 1710. Les principalesdifficultés ici concernent les frontières dece contrat avec le contrat de travail. Pourdistinguer les deux, il faut s’attacher audegré d’indépendance du professionnelde l’image. « Si un lien de subordination peutêtre établi entre le client et le prestataire, lecontrat perd la qualification d’entreprise pourdevenir un contrat de travail. En revanche, sile prestataire conserve une indépendance dansl’exécution, fondée sur sa compétence profes-sionnelle, le contrat peut être qualifié de contratd’entreprise » (18).

Il faudra ici être attentif à la rédaction ducontrat et spécialement à la définition desmodalités d’exécution de la tâche. Uneclause qui précise que le client : « pourraexiger du photographe qu’il consacre chaquemois une ou plusieurs journées à la réalisationde sa mission, ce que le photographe accepteexpressément… Que les photographies serontréalisées sur instruction [du client] qui don-nera au photographe toute indication quantau choix des lieux, des objets photographiés, deleur mode de présentation … » (19) laissepenser que le professionnel de l’imagene dispose pas d’une grande marge demanœuvre. Tout penche donc, malgréune qualification contraire, vers le contratde travail. Les intérêts de la distinction nerelèvent pas de la “ coquetterie intellec-tuelle ”. Les régimes juridiques des deuxconventions diffèrent quant à la compé-tence des tribunaux, quant à l’applicationdes lois sociales, quant à l’organisation dela révocation et quant à la rémunération.

16. Sur ces difficultés cf. Zoom sur l’image desbiens. “ La création photographique en danger ”,A. Fusco-Vigné, et B. Gleize, Annales de lafaculté de droit d’Avignon, 2000, p. 63.17. L’image des personnes est-elle un possible

objet de commerce au sens de l’article 1128 duCode civil ? Sur cette discussion, cf. L. Marino,CCE, Mars 2003 p.10. Pour l’image des biens, leproblème était différent (avant le revirement dejurisprudence du 7 mai 2004) puisque l’on

admettait bien en amont l’existence de la propriété.18. J. Cayron, “ La situation du photographedans les contrats de cession de droits d’auteur ”,Légipresse, 2003 n°205-II-129.19. Citée par J. Cayron, chron. précit.

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L’exploitation de l’image des biens

Le contrat et la circulation de l’image. Unefois que l’image a été créée, le photogra-phe entend la valoriser à des fins écono-miques. Pour cela de nombreux contratssont à sa disposition. Il peut directementconfier sa richesse à un éditeur qui sou-haite diffuser son œuvre par le biais d’uncontrat d’édition. La plupart du temps, leprofessionnel de l’image conclura uncontrat que la pratique nomme “ Contratde mandat ”. Par cette convention lephotographe confie à une Agence dephotographie ses créations et donne man-dat à celle-ci de l’exploitation de ses droits.Le mandataire s’engage à faire respecterl’intégrité de l’œuvre cédée, à la défendrepar toute action en justice et à verser unprix qui est généralement de 50 % dumontant hors taxes de la cession des droitsfacturés. En contrepartie, l’auteur est tenuà différentes garanties et notamment à lagarantie d’éviction. A son tour, l’Agencede photographie va, dans le cadre de sonmandat, concéder des droits d’auteur àtoute personne désireuse d’exploiter cer-taines images. Ces conventions sont sou-mises au formalisme de tout contrat d’au-teur.

B. La prospérité des produitsde l’activité

Protection physique, protection juridique,droit d’auteur. L’activité d’exploitationdont il est impérieux de défendre lesmoteurs juridiques génère un certainnombre de produits : photographies, cro-quis, tableaux, dessins… Les profession-nels de ces images peuvent avoir lavolonté de protéger ces produits. Cetteprotection peut être physique, si l’imageest tenue à l’abri des regards (rangée surle disque dur de l’ordinateur d’un photo-graphe). Elle peut être juridique notam-

ment par le jeu de l’assurance (il s’agitalors de préserver la valeur de l’image)ou plus directement par le droit de la pro-priété intellectuelle (il s’agit de réserver savaleur). Toutes les protections ne pouvantêtre développées nous nous attacheronsà la plus efficace et la plus centrale : lapropriété intellectuelle et plus précisé-ment au droit d’auteur. Sans revenir surl’évolution par laquelle la photographiea été saisie par le droit d’auteur, il noussemble plus important de pointer lesrisques de surprotection de l’image (a)et de s’attacher aux alternatives à cettesurréservation (b).

a. Les risques du système actuelLa confusion des valeurs. Comme unauteur a pu le souligner (20), « la protec-tion semble acquise au genre » photogra-phique et « l’on en vient parfois à se demanderquelles sont, parmi les milliards de photogra-phies réalisées,… celles qui n’auraient pas lafaveur du droit d’auteur ». La numérisationne va faire qu’accentuer cette difficulté enmême temps qu’elle risque d’encouragerde nombreux musées (pratique déjà cou-rante) à reproduire à l’aide de cette tech-nique l’ensemble de leurs collections auxfins d’exploitation commerciale (21). Doit-on pour autant considérer que la repro-duction photographique d’une œuvred’art est elle-même une œuvre protégée ?Une réponse est ici donnée par un arrêtde la Cour d’appel de Paris du 26 septem-bre 2001 (22) ayant jugé que des repro-ductions d’œuvres de Picasso constituentdes œuvres photographiques bien quel’objectif du photographe était, les jugesle soulignent au passage, de livrer aupublic la “ quintessence de l’œuvre ”. Ici lecaractère servile des reproductions auraitdû conduire au rejet de la prétention decontrefaçon.

20. A. Latreille, “ L’appropriation desphotographies d’œuvres d’art : éléments d’uneréflexion sur un objet de droit d’auteur ”, D.,2002, Chron., p. 299.

21. Sur ce point, V. le rapport gouvernementaldestiné à “ Préparer l’entrée de la France dans lasociété de l’inform@tion ”, programme d’actiongouvernemental, Premier ministre, service

d’information du gouvernement, 1997, p. 22.22. Paris, 26 septembre 2001, CCE, 2002,comm. 18, obs. C. Caron.

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LA PHOTOGRAPHIE : QUESTIONS DE DROIT

23. A. Latreille, “ L’appropriation desphotographies d’œuvres d’art : éléments d’uneréflexion sur un objet de droit d’auteur ”, préc.,p. 299.24. Pour reprendre l’expression de M. Latreilleop. cit.25. Pour de plus amples développements surcette question, V. M. Buydens, La protection de

la quasi-création, Larcier, Bruxelles, 1993,p. 192 et s.26. La directive du 29 octobre 1993 (art. 6)relative à l’harmonisation de la durée deprotection du droit d’auteur et de certains droitsvoisins réserve en effet la possibilité, pour lesÉtats membres, de prévoir la protection d’autresphotographies que celles traditionnellement

appréhendées.27. Aix-en-Provence, 20 janvier 2004, CCE,.2004, comm. 37, obs. C. Caron.28. Nous verrons au cours de nosdéveloppements que le juge protège en effetsouvent la personnalité au moyen du droit depropriété.

Un système conduisant à protéger laquasi totalité des photographies repré-sente plusieurs dangers. Sur le terrainde la propriété intellectuelle, du droitd’auteur plus précisément, il y a unrisque de remise en cause de la philoso-phie du système. Comme on le sait, dansnotre système juridique, la propriétéintellectuelle est une exception. Elle estune exception parce qu’elle institue unmonopole d’exploitation qui vientcontrarier la liberté de création et lalibre concurrence. La pratique jurispru-dentielle que nous venons de présenterconduit au contraire à faire de la pro-priété intellectuelle le principe et de laliberté l’exception ce qui n’est pas accep-table. Sur le terrain de l’appropriationde l’image des biens, on peut se deman-der si « l’accès quasi automatique des clichésau droit d’auteur ne légitime […] pas enquelque sorte les revendications […] des pro-priétaire des objets photographiés ? » (23).En d’autres termes, le propriétaire,informé de cette jurisprudence bien-veillante à l’égard des photographes,peut en effet être tenté de faire valoirqu’il n’y a pas beaucoup de différenceentre le droit qu’obtient si facilement lephotographe (à la limite en appuyant surle déclencheur) et celui (le droit de pro-priété protégé par l’article 544 du Codecivil) qu’il revendique à partir de lajurisprudence de la première chambrecivile.

b. Les alternatives à la surprotectionŒuvre et travail photographique. Afinde sortir du système que nous venons dedécrire, plusieurs solutions sont possi-bles. La plus raisonnable consiste certai-nement à écarter de la protection les

photographies-instruments (24), c’est-à-dire celles qui ne reposent pas sur unecréation mais qui se contentent (ce quiest déjà très bien) de reproduire le réel.Plus précisément, il faudrait à l’imagedu droit allemand, italien ou espagnol(25), s’attacher à distinguer l’œuvrephotographique du travail photogra-phique à partir d’un seuil d’intensitécréatrice. Au delà de certains droitsétrangers (26), une telle position est par-fois adoptée par le juge comme entémoigne cette décision de la Cour d’ap-pel d’Aix-en-Provence ayant refusé laprotection à des photographies d’objets(à usage d’équipement de magasins)figurant dans un catalogue (27). Aprèsavoir souligné qu’il s’agit là de « repro-ductions fidèles », ils relèvent que les« objets sont photographiés sur fond unichromeet sans décor et qu’il est dès lors impossible dedistinguer un effort de créativité ». Ilconviendrait de généraliser cette solu-tion encore bien isolée.

Libre et responsable. La propriété et lapersonne. L’activité d’exploitation, librecomme nous venons de le voir, peut êtrel’origine de la création d’un troublequ’il appartient au professionnel de l’i-mage de supporter. Plus précisément,deux séries de troubles sont suscepti-bles d’intervenir : des troubles à la pro-priété tout d’abord (A) des troubles àla personne ensuite (B), même s’il estvrai que le juge a eu parfois tendance àles confondre (28) et qu’un certainnombre d’arguments pourraient être

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L’exploitation de l’image des biens

29. Que l’on relise l’admirable ouvraged’Emmanuel Mounier, De la propriété capitalisteà la propriété humaine, 1936, pour qui lapropriété ne peut prendre un sens que dans uneimprégnation de l’objet par la personne. Cettephilosophie reçoit, souvent discrètement, debelles consécrations. Ainsi la Cour européennedes droits de l’homme (CEDH, 24 avril 1998,RTD Civ., 1998 p. 996 obs J.-P Marguénaud) a-

t-elle pu juger que la destruction d’un logementen Turquie, marquait, au-delà d’une atteinte aurespect des biens, un mépris pour les sentimentsdes propriétaires caractéristiques de « traitementsinhumains » au sens de l’article 3 de laConvention européenne. Le bien qui fait corpsavec la personne en quelque sorte. Voilà peut-être pourquoi l’on devrait nuancer plusl’opposition de la propriété à la personne.

30. Sur les références de cet important arrêt cfinfra.31. F. Zénati, RTD Civ., 1999, p. 860.32. préc., p. 868.33. Si l’on veut bien faire abstraction de la vieilledécision du 27 mai 1842 (sur cette décision, cfinfra) dans laquelle M. Zénati voit l’arrêt fondateur.34. Trib. Com. Meaux, 7 mars 1905, confirmépar Paris, 27 avril 1906, Annales, 1907, p.16.

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mis en avant pour nuancer l’opposition(29).

A. Le trouble à la propriétéLa propriété matérielle et immatérielle.L’exploitation de l’image d’un bien peuttroubler deux propriétés que le profes-sionnel de l’image doit ne pas confondre :la propriété matérielle (a) et la propriétéimmatérielle (b). La première est celledu Code civil (le célèbre article 544) etdes propriétaires qui considèrent que lareproduction de leur bien sans autorisa-tion est préjudiciable. La seconde est celledu Code de la propriété intellectuelle etdes créateurs soucieux de défendre uninvestissement original ou nouveau.

a. La propriété matérielleLa protection de l’image des biens par ledroit de propriété n’a pas toujours étéadmise par le juge (1). Quant elle l’a été,elle a suscité d’importants débats doctri-naux qui ne doivent pas occulter les dis-cussions pratiques (2) pour les profes-sionnels de l’image.

1) Les solutions jurisprudentiellesAvant et après le 10 mars 1999.Discrètement envisagée au cours du XXe

siècle dans quelques décisions, la protec-tion de l’image des biens par le droit depropriété de l’article 544 du Code civil asurtout été envisagée par la premièrechambre civile de la Cour de cassation le10 mars 1999 (30). C’est autour de cetarrêt (l’avant et l’après) que l’on peut pré-senter ces solutions jurisprudentielles.

Avant le 10 mars 1999, une jurisprudenceagitée. La décision du 10 mars 1999 a rapi-

dement été présentée comme la consécra-tion d’une jurisprudence ancienne. Elle« avalise une jurisprudence des juges du fondlargement favorable à la thèse du pourvoi » (31)a-t-on souligné. Plus directement encore,elle ne serait que « la mise en forme d’une solu-tion latente mûrie par la sagesse des tribunaux »(32). Une analyse attentive des jugementset arrêts rendus avant la décision du 10mars 1999 montre cependant que cetteconclusion est bien hâtive. Le droit de pro-priété n’est pas toujours consacré en tantque fondement du droit de reproductionde l’image des biens. Il est même parfoiscombattu ou alors profondément confonduavec d’autres droits que nous exposeronsplus tard : le droit à vie privée, le droit àl’honneur… En bref, la lecture des déci-sions précédant l’arrêt du 10 mars 1999n’est pas le long fleuve tranquille que ladoctrine veut bien nous présenter. Nouspouvons ici, pour illustrer cette tendance,relever une décision basée sur le droit depropriété, une combattant ce droit et enfinune dernière mélangeant un peu tout.

Décisions fondées sur le droit de pro-priété. Avant que la première chambrecivile de la Cour de cassation choisisse derattacher le droit de reproduction de l’image au droit de propriété, cette solu-tion avait déjà été suivie par d’autres juges(du fond, il est vrai (33)). L’un des pre-miers jugements en ce sens émane du tri-bunal de commerce du 7 mars 1905 (34) :« Lorsqu’une propriété est entièrement close demurs, que l’accès en est interdit au public, etqu’elle ne peut être photographiée du dehors,les personnes autorisées par le propriétaire peu-vent seules reproduire par la photographie, dansun but commercial, les vues de cette propriété ;peu importe que, à certains jours, les grilles

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soient ouvertes et que le public soit autorisé àpénétrer dans la propriété, cette autorisationn’étant donnée qu’en vue de l’agrément deshabitants de la commune ; le propriétaire étantdans ces conditions, et sans qu’il y ait lieu d’in-voquer dans l’espèce les lois sur la propriétéartistique, seul en droit d’autoriser la repro-duction et la mise en vente des vues prises danssa propriété ».

Décisions combattant le rattachement àla propriété. Les décisions qui contestentl’idée d’une propriété de l’image desbiens sont aussi nombreuses que cellesqui l’admettent. Pour parvenir à cettecontestation, les juges empruntent diffé-rents chemins. La critique peut porter surle principe même de la reconnaissanced’un droit à l’image des biens. Selon laCour d’appel de Bordeaux (35) : « Iln’existe pas au profit des époux X d’actionconcernant le droit à l’image de leur immeu-ble, qu’aucune autorisation préalable n’estnécessaire pour photographier depuis un lieupublic un immeuble offert à la vue du public ».Ici les magistrats n’offrent aucune alter-native. Plus souvent (et il s’agit de laseconde voie), les juges suggèrent uneautre piste de protection. Selon la Courd’appel de Caen (36) (dans la célèbreaffaire Gondrée ayant été à l’origine del’arrêt du 10 mars 1999) : « L’image d’unbien n’étant pas expressément protégée par laloi, sa reproduction ne peut constituer une fauteque dans le cas où elle porte atteinte à l’inti-mité de la vie privée du propriétaire ».

Décisions mélangeant un peu tout. Lajurisprudence antérieure à l’arrêt du10 mars 1999 comporte également unensemble de décisions qui ne se rattachent

ni au droit de propriété, ni à la contesta-tion du droit subjectif. Elles mélangent unpeu tout (37). Le droit de propriété et ledroit au respect de la vie privée, le droitde la propriété et le droit de la responsa-bilité ou bien encore le droit de propriétéde l’article 544 et celui organisé par lapropriété intellectuelle et le droit d’au-teur. Ceci sans évoquer celles qui mettentl’accent sur le droit subjectif pour finale-ment se raviser (38). On comprend pour-quoi il était important que la Cour de cas-sation intervienne dans ses conditions.

L’arrêt du 10 mars 1999. La décisionGondrée est connue. On sait qu’aprèsavoir affirmé de manière solennelle que« le propriétaire a seul le droit d’exploiter sonbien sous quelque forme que ce soit », les jugesen concluent que « l’exploitation du biensous la forme de photographie porte atteinte audroit de jouissance du propriétaire ». Le rat-tachement de l’image des biens au droitde propriété est ainsi effectué. Il seraconfirmé par la première chambre civilede la Cour de cassation le 25 janvier 2000(39). Par la suite, la même chambre semontrera plus sévère. Il est en effetdemandé (40) aux juges du fond de dire« en quoi l’exploitation de la photographie parles titulaires du droit incorporel de son auteurportait un trouble certain au droit d’usage oude jouissance du propriétaire ».

Après le 10 mars 1999. L’infléchissementde la jurisprudence Gondrée ne vient passeulement de la Cour de cassation. Lesjuges du fond également ont grandementcontribué à remettre en cause la solutiondu 10 mars. La solution est en effet par-fois directement contestée. En ce sens la

35. Bordeaux, 16 octobre 1995, inédit.36. Caen, 18 juin 1996, inédit.37. Sur toutes ces confusions, cf. notre ouvrage,op. cit. note n°1.38. Très significatif (TGI Paris, 13 septembre1989, inédit) : “Attendu que le propriétaire d’unimmeuble s’il est, en vertu de son droit de jouirde sa chose de la manière la plus absolue, fondéà s’opposer à ce que des photographies des

parties non visibles de l’extérieur en soientprises sans son autorisation, ne peut toutefoisprétendre à une réparation qu’à la condition dedémontrer soit une atteinte à sa vie privée, soitl’existence d’un préjudice se trouvant dans unerelation de cause à effet avec la réalisationfautive des clichés ”. On ne comprend paspourquoi si le propriétaire ne peut agir que dansle cadre de l’article 1382 et 9 du Code civil, il

est important de rappeler que le droit depropriété permet à celui-ci de s’opposer à. Ledroit de propriété refoule ici les autresfondements.39. Cass. civ 1re ch., 25 janvier 2000, et notrecommentaire Légipresse, 2000, n° 171-II-60.40. Cass. civ 1re ch., 2 mai 2001, et nosobservations, LPA, 22 août 2001.

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Cour d’appel de Rouen le 31 octobre2001 (41) a pu juger, à propos de lareproduction d’un immeuble d’un cachetcertain sur un dépliant publicitaire des-tiné à vendre un projet immobilier que :« Le droit de propriété n’est pas absolu et illi-mité et ne comporte pas un droit exclusif pour lepropriétaire sur l’image de son bien. Il en résulteque la seule reproduction d’un immeuble sans leconsentement de son propriétaire ne suffit pasà caractériser le préjudice subi par celui-ci ».On ne peut pas être plus clair dans lacontestation. Sans contrarier directementla solution, la plupart des décisions ren-dues après le 10 mars 1999 témoignentde la volonté des juges d’inventer de nou-velles limites à la propriété plutôt que deconsacrer ledit droit. Ceci sans évoquerles quelques jugements continuant àconfondre les valeurs protégées (42)… Anous en tenir aux seules limites, il fautconstater que la non application de lajurisprudence Gondrée résulte parfois del’absence d’identification du bien ou dupropriétaire (43), ou parfois de la priseen compte d’un certain cadre ou de cer-taines finalités de la reproduction (44).

Le revirement. Le rejet de la propriété.En posant que : « Le propriétaire d’une chosene dispose pas d’un droit exclusif sur l’imagede celle-ci » ; il « peut toutefois s’opposer à l’u-tilisation de cette image par un tiers lorsqu’ellelui cause un trouble anormal ». l’Assembléeplénière le 7 mai 2004 (45) rejette la pro-priété et fait retour à la responsabilité. Lerejet de la propriété s’explique par, outreles hésitations jurisprudentielles que nousvenons de présenter, les nombreux argu-ments techniques susceptibles d’être avan-cés à l’encontre de la solution de l’article544 du Code civil. Sans développer ici cesarguments, il faut observer que ce revire-ment avait été quelque peu annoncé par

la décision de la seconde chambre civiledu 5 juin 2003 (46). La réunion del’Assemblée plénière était donc indispen-sable.

Le retour à la responsabilité. Une fois lemodèle de la propriété clairement rejeté,l’interprète de la décision du 7 mai estinévitablement confronté à l’interroga-tion du choix du nouveau rattachement :responsabilité civile, de droit commun ouspéciale, responsabilité pénale, droits de lapersonne (vie privée, honneur…), toutcela à la fois ? Contrairement à ce que cer-tains auteurs veulent comprendre, lechoix est certainement beaucoup pluslarge que la simple alternative de la pro-priété (et 544) ou de la responsabilité (et1382). Toutes les pistes sont à explorermême si toutes ces pistes sont toutes trèscertainement portées par l’idée deresponsabilité. À admettre cette idée, ilfaut alors s’attacher à la nature puis aucontenu de cette responsabilité.

Nature. Une responsabilité inspirée destroubles du voisinage ? Que penser decette formule selon laquelle le proprié-taire « peut toutefois s’opposer à l’utilisationde cette image par un tiers lorsqu’elle lui causeun trouble anormal ? » L’institution juri-dique ayant vocation à structurer le débatde la diffusion de l’image des choses serait-elle à rechercher du côté de la théorie destroubles du voisinage ? Une lecture immé-diate peut légitimement accréditer unetelle idée. L’expression trouble anormalévoque bien ladite théorie. Surtout,l’Assemblée plénière s’est bien gardée dereprendre la formule de la Cour d’appelde Rouen selon laquelle il appartenait aupropriétaire de démontrer « l’existence d’unpréjudice ». Autrement dit, le « trouble » del’Assemblée plénière n’est pas le « préju-

41. Rouen, 31 octobre 2001, RJDA, 2002, n° 447.42. En ce sens, TGI Paris, ord. réf., 5 avril 2001,qui sollicite la propriété alors que la valeurprotégée est morale, Légipresse, 2001, n° 182-I-69.43. TGI Clermont-Ferrand, 23 janvier 2002, D.,

2002, J., p. 1226, note J.-M. Bruguière, CCE,avril 2002, p. 15, note C. Caron ; Légipresse,2002, n° 191-III-84, note E. Derieux.44. Paris, 19 février 2002, JCP, 2003, II, 10073,note J.- M. Bruguiere.

45. Ass. Plén., 7 mai 2004, D., 2004, J.,p.1545, note J.-M. Bruguière et E. Dreyer, JCP,2004, II, 10 085, note C. Caron.46. Cass. civ 2e ch., 5 juin 2003, D., 2003, J.,p. 2461, note E. Dreyer.

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LA PHOTOGRAPHIE : QUESTIONS DE DROIT

dice » de la Cour d’appel de Rouen, et lesjuges de la Cour de cassation veulent cer-tainement se placer dans un cadre autreque celui de 1382 du Code civil.Pourquoi ? Peut-être pour justement évi-ter les délicates caractérisations de la fautedes professionnels de l’image. On sait eneffet que la décision par laquelle la troi-sième chambre civile (47) avait posé en1990 « le principe » selon lequel « nul nedoit causer à autrui un trouble anormal de voi-sinage » était précisément adoptée pourcontourner l’irritante question de la faute(en d’autres termes la Cour de cassationa imaginé un principe afin de ne pas avoirà caractériser une faute dans le voisinagesouvent difficile à caractériser). Enfin,pourquoi ne pas viser (48) directementl’article 1382 du code civil ?

Réfutation de l’analyse. A l’analyse, cettelecture nous semble trop rapide.L’expression trouble anormal évoque bienles troubles anormaux du voisinage. Etaprès ? Le trouble se retrouve souvent cons-taté dans notre système juridique, demême que la normalité. Il n’y rien ici detrès original. Les difficultés de caractérisa-tion de la faute dans le cadre de 1382 ducode civil, dans et hors le contexte de laconcurrence déloyale, sont certes délica-tes, elles ne sont pas insurmontables. Dansles deux cas (et surtout dans le premier), ilfaut déjà dire que le juge se montre sou-vent peu exigeant en la matière, la fauteétant souvent présumée à partir du préju-dice. Nous ne voyons pas pourquoi l’ondevrait raisonner dans ce cadre différem-ment. A admettre que l’argument ne soitpas pertinent, la faute est encore percep-tible dans nombre d’agissements des pro-fessionnels de l’image. Retour à nos trou-

bles du voisinage. Il n’est nullement besoinde sortir de 1382 du code civil pour s’en-fermer dans un système spécial puisqu’ilest encore possible de caractériser unefaute. L’absence de visa de 1382 ou de1384 est logique puisque nous sommes enprésence d’un arrêt de rejet (49). De sur-croît, s’il y a bien quelque chose quedéteste la Cour de cassation c’est bien des’enfermer dans un système (50)… Il estdonc fort possible qu’elle ne se soit pasenfermée dans une responsabilité spéciale.

L’hypothèse d’une jurisprudence cadre.Que signifierait alors la formule selonlaquelle le propriétaire « peut toutefois s’op-poser à l’utilisation de cette image par un tierslorsqu’elle lui cause un trouble anormal » sil’on n’écarte le rattachement exclusif à lathéorie des troubles du voisinage et à l’idée d’une responsabilité spéciale ? A laréflexion, nous pensons (51) quel’Assemblée plénière adopte ici unejurisprudence cadre (c’est à dire unejurisprudence qui prépare des jurispru-dences d’application comme c’est le caspour les contrats). qui laisse la porteouverte à beaucoup de rattachements : lafaute de 1382, la vie privée de l’article 9, ladiffamation de la loi de 1881, la concur-rence déloyale voire une responsabilitéspéciale car celle-ci (que l’on songeencore à nos troubles de voisinage) n’ajamais refoulé la responsabilité civile dedroit commun. Bref, dans tous ces fon-dements, il peut y avoir un trouble anor-mal et, redisons-le, il n’y a aucune raisonde s’enfermer dans un système plutôt quedans un autre.

2. Les discussions pratiquesAutorisation et abus de droit. Au delà des

47. Cass. civ 3e ch. 24 octobre 1990 Bull civ III,n° 205.48. Le visa de la cassation représente le, ou lestextes, généralement en tête des décisions, quecite la Cour afin de fonder sa solution. Ici, laCour n’en vise aucun.49. Parmi les arrêts de la Cour de cassation, ondistingue généralement les arrêts de rejet (du

pourvoi) qui confirment la solution des juges dufond qui ne comportent généralement aucuntexte dans le visa et les arrêts de cassation (quiremettent en cause la décision) qui, encontrepoint visent une disposition.50. “ Une fois pour toutes le Parlement fait laloi, l’administration fait les règlements et nostrois grandes juridictions font la jurisprudence.

Mais la doctrine fait le système ”. P. Jestaz,C. Jamin, “ L’entité doctrinale française ”, D.,1998, J., p.171.51. Sur cette démonstration, v. notre chroniquesous la décision du 7 mai 2004 avec BérengèreGleize, Légipresse, 2004, n° 213-III-117.

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L’exploitation de l’image des biens

52. Cass. civ. 1ère ch., 13 janvier et 10 février1965, Gaz Pal., 1965, sem. 1, p.236. Dans lemême sens, Trib. Civ. de Caen, 28 avril 1929,

La loi, 11 octobre 1929.53. Paris, 18 février 1972, RIDA, 1972, p. 214.

54. L. Cadiet et P. le Tourneau, Rep. Civ.Dalloz, “ Abus de droit ”, n° 35.

LÉGICOM N° 34 – 2005/2 – 25

solutions jurisprudentielles et de la dis-cussion doctrinale, le choix de la pro-priété (ou le choix d’un autre système)se traduit par des conséquences pratiquesspécifiques pour la profession. Avec lapropriété, l’autorisation du possesseur dubien dont l’image est reproduite étaitindispensable. Par ailleurs, il était plusfacile de plaider l’abus de droit du pro-priétaire.

La propriété et l’autorisation. Principe.En ce qui concerne l’autorisation, le droitde propriété permet au propriétaire, nousl’avons vu, d’interdire à autrui de repro-duire l’image de son bien. Dans ces condi-tions, l’autorisation était indispensable.Dit autrement, faute de consentement dela part du possesseur, le professionnelétait ipso facto en faute puisqu’il est dejurisprudence constante que même siaucun dommage n’a été subi du faitd’une immixtion, le propriétaire seraitfondé à demander réparation. « Le pro-priétaire peut empêcher quiconque de se servirde sa chose quand bien même cet usage ne luioccasionnerait aucun préjudice » (52). Lerespect de cette autorisation va mêmeplus loin. Il ne suffit pas en effet de solli-citer l’autorisation du propriétaire. Il fautencore que la reproduction du profes-sionnel de l’image soit bien conforme auxlimites de l’autorisation donnée. Le pro-priétaire peut ainsi autoriser la repro-duction partielle de son bien. Il a été ainsijugé que le possesseur d’un château peutinterdire aux visiteurs d’effectuer certai-nes prises de vues (53). Cette règle mon-tre d’une part tout l’intérêt d’une bonnerédaction de l’autorisation et d’autre parttous les dangers de cette solution auregard des droits et libertés fondamen-taux, le professionnel de l’image pouvantêtre fortement limité dans l’exercice deson art.

La propriété et l’abus de droit. Principede la reconnaissance. L’autre intérêt pra-tique attaché à la reconnaissance du droitde propriété est celui de l’abus de droit.Le droit de propriété est un droit fort quia été très rapidement canalisé par le jugeau moyen de la théorie de l’abus de droit.Rappelons que cette théorie consiste àsanctionner les hypothèses où le titulaired’un droit (ici le droit de propriété)exerce celui-ci sans intérêt sérieux et légi-time (ou pire, avec une intention denuire). Or dans le domaine de l’imagedes biens, avec le droit de propriété, ilétait tout à fait possible de faire jouercette théorie.

La propriété et l’abus de droit. Modalitésd’exercice. A quelles occasions aurait-onpu faire jouer l’abus de droit et à quellesfins ? Les cas dans lesquels l’on aurait pufaire jouer l’abus de droit du propriétaireauraient pu être fort nombreux. Outrel’hypothèse où le possesseur du bienrévoque brutalement son autorisation (leprofessionnel de l’image ayant par exem-ple réalisé d’importants investissements),l’on peut songer aux situations où l’in-transigeance du propriétaire peut paraî-tre disproportionnée par rapport à l’in-térêt (culturel par exemple) de lapublication de l’image. En bref l’abuspeut être dans le refus de faire repro-duire son bien, dans la manière d’accep-ter (en imposant par exemple des exi-gences financières trop importantes) oudans la révocation d’une autorisation.Dans ce cadre, que pouvait obtenir leprofessionnel de l’image ? Outre les tra-ditionnels dommages et intérêts (et lamise en jeu d’une responsabilité civile),l’annulation de l’acte (l’autorisation quiimpose une condition financière draco-nienne) ou même la privation d’un droit(54) (ce qui peut s’entendre de la neu-tralisation du droit de propriété condui-

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sant à la neutralisation du refus du pro-priétaire).

La propriété et l’abus de droit. Preuve.Les intérêts de plaider l’abus de droit n’étaient donc pas minces. Par rapport àla responsabilité qui, seule, semble aujour-d’hui gouverner les relations entre pro-priétaires et professionnels de l’image, ladifférence était aussi marquée au niveaude la preuve. Le mieux ici est de citerM. Zénati (55) : « Ces deux régimes se rap-prochent en ce qu’ils reconnaissent au juge unpouvoir d’appréciation sans le lier par rapportaux principes, mais ils se différencient nette-ment au plan de la preuve : si l’on raisonneen termes d’abus de monopole, c’est à celui quia reproduit ou veut reproduire le bien d’autruide démontrer cet abus, alors que c’est aucontraire au propriétaire de prouver la fautesi l’on fonde sa protection sur la responsabilitécivile ». On aura compris que la solutionde la propriété n’était pas favorable, surle terrain probatoire, aux professionnelsde l’image puisqu’ils étaient tenus deprouver l’abus des propriétaires.Aujourd’hui les choses semblent inver-sées. C’est au propriétaire de démontrerune faute du fait de l’exploitation de l’image du bien. Là est une différencefondamentale. En est-il de même enmatière d’autorisation ?

La responsabilité et l’autorisation. Etmaintenant ? Depuis le revirement dejurisprudence opéré par l’Assemblée plé-nière, le 7 mai 2004, revirement ayantconduit au rejet de la propriété, on pour-rait être tenté de dire que cette autorisa-tion n’est plus nécessaire. Si le proprié-taire n’est plus fondé à s’opposer à lareproduction de l’image de son bien enmettant en avant son droit de propriété,pourquoi le professionnel de l’imageaurait-il à solliciter le possesseur ? Il faut segarder d’une conclusion aussi rapide.

Certes (et le point est déjà fondamental),le professionnel de l’image n’est plusconsidéré aujourd’hui ipso facto commefautif pour avoir reproduit sans autorisa-tion l’image d’un bien.

Pour autant la liberté n’est pas entière.Comme nous l’avons souligné, et abstrac-tion faite de la question de l’accès frau-duleux à la propriété (56), le profession-nel de l’image doit s’abstenir decauser « un trouble anormal » : atteinte à lavie privée, préjudice matériel ou moral…On pourrait dès lors considérer que l’undes moyens de prévenir le trouble anor-mal consiste précisément à informer et àsolliciter l’autorisation du propriétaire(ou ici de toute autre personne habilitée,l’action ne trouvant plus sa source dansle droit de propriété). Le juge se mont-rera très certainement plus ouvert vis àvis d’un professionnel soucieux d’associerd’une manière à une autre le propriétairedont l’image du bien a été reproduite. Ille saura d’autant plus lorsque l’exploita-tion a vocation à troubler la tranquillitédes propriétaires.

En ce sens, nous voulons dire que les cir-constances de reproduction et d’exploi-tation de l’image du bien seront certai-nement encore très importantes. Il faudradonc savoir si l’exploitation de l’image estou non commerciale (s’agit-il d’une cam-pagne de publicité, de l’illustration d’unouvrage d’art ?), si la photographie repro-duit une partie ou l’ensemble du bien, sice bien s’inscrit dans un ensemble plusvaste…Il est bien difficile ici de raisonnerde manière abstraite. Le cadre de l’imagerestera déterminant. La nécessité de l’au-torisation du propriétaire ou du posses-seur du bien reproduit après l’arrêt du 7mai 2004 se justifie également par le faitque le juge peut encore peut être “ décou-vrir ” un usage professionnel à l’origine

55. F. Zénati, “ Du droit de reproduire lesbiens ”, D., 2004, Doct., p. 962.

56. Le bien clos suppose nécessairement dansson accès l’autorisation du propriétaire (faute dequoi il y aurait violation de domicile). Nous

raisonnons ici sur la base de l’hypothèse d’unbien visible du domaine public.

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57. Ou bien encore peut-être la maison de notrepropriétaire vu plus haut qui serait embellie demanière telle qu’elle serait susceptible d’uneprotection par le droit d’auteur. Sur cettepossibilité, TGI Valence, 26 avril 1973, Gaz.Pal., 1974, sem.1, 25, qui considère que « ladécoration et l’installation d’un salon

constituent une création originale et personnellede leurs auteurs ».58. Paris, 19 juin 1979, inédit.59. D. Amson, “ Le droit à l’image et la rue ”,Légipresse, 2000, n° 175-II-106.60. Trib. com. Seine, 7 mars 1861, DP., 1861, 3,p. 32. Antérieurement encore cf. supra.

61. Le dossier du Monde du 27 décembre 2002,“ La privatisation de l’image menace laphotographie ”.62. Rabat, 12 décembre 1955, Gaz. Pal., 1956,sem.1, p. 232.

LÉGICOM N° 34 – 2005/2 – 27

L’exploitation de l’image des biens

de l’autorisation. En bref là encore, selonles circonstances de l’exploitation de l’i-mage, le juge pourrait être tenté de consi-dérer que le défaut d’autorisation est auto-matiquement fautif afin d’inciter leprofessionnel à plus de prudence.

b. La propriété immatériellePropriété littéraire et artistique et propriétédes signes distinctifs. La seconde propriétéque le professionnel de l’image est sus-ceptible de troubler est la propriété imma-térielle. Cette propriété immatérielle peutêtre celle des auteurs dans la propriété lit-téraire et artistique (1) comme celle(même si l’hypothèse est moins fréquente)des titulaires de signes distinctifs (2).

1. L’atteinte à la propriété littéraireet artistiqueLe professionnel de l’image face à l’œuvrecomposite. L’image d’un bien peut, à cer-taines conditions, être considérée commeune œuvre originale qui mérite protection.Il faut ici prendre conscience que cetteimage peut elle même se heurter à uneautre œuvre : le bâtiment d’un architecte, letableau d’un peintre (57). Cela n’empêchenullement cette image d’exister (du moinspeut-on l’espérer). Nous sommes ici en pré-sence de ce que le spécialiste du droit d’au-teur nomme par œuvre composite c’est àdire, selon l’article L. 113-3 al 2 une « œuvrenouvelle à laquelle est incorporée une œuvre pré-existante sans la collaboration de l’auteur de cettedernière ». Le professionnel de l’image nepeut donc exploiter son image sans l’au-torisation du créateur des éléments quisont empruntés. La Cour d’appel de Parisle 19 juin 1979 l’a rappelé (58).

Exceptions à l’autorisation. Le réflexe duprofessionnel de l’image (et du profes-

sionnel du droit) confronté à la prétentiond’un auteur peut être de plaider l’une desexceptions au droit d’auteur ou, plus radi-calement, de faire admettre que la chosereproduite n’est pas couverte par le droitd’auteur faute d’œuvre. En ce sens l’onpeut reprendre la décision de la Cour d’ap-pel de Paris du 19 juin 1979 qui illustre par-faitement les différents moyens qui peu-vent être soulevés en défense. Afin d’éviterla condamnation l’opérateur ayant publiél’image faisait valoir : que ce n’était pas l’en-semble de la cité qui était reproduit maisjuste un immeuble, que cet immeuble étaitdépourvu d’originalité, qu’il se trouvaitdans un lieu public et qu’enfin il avait agide bonne foi (autrement dit ici, seul lephotographe ou l’agence de photographieayant fourni le cliché devaient être tenuspour responsables). Nous pouvons icireprendre la discussion relative à la situa-tion des biens sur l’espace public.

Œuvres situées dans l’espace public Peut-on en effet échapper à la contrefaçon eninsistant sur la situation publique de l’œu-vre ? Dit autrement, le simple fait d’édi-fier une œuvre dans l’espace public doit-ilentraîner une renonciation au monopolede propriété intellectuelle (59) ? On pour-rait être tenté de le soutenir sur le fonde-ment de vieilles décisions ayant posé que :« Les vues de villes, sites et monuments obte-nues par la photographie sont des objets dudomaine public » (60). Certains auteursn’ont pas en ce sens hésité à poser que larue était libre de droit ou bien encore àdénoncer le risque de privatisation del’espace public (61) si l’on admettait lecontraire. Il faut pourtant bien se rendre àl’évidence. Comme l’a justement relevé laCour d’appel de Rabat (62) : « Le fait d’é-difier ou de placer sur la voie publique une

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œuvre architecturale n’implique en lui-mêmeaucun abandon de droits de propriété artistiquede l’auteur, et celui-ci, à moins qu’il n’y aitvolontairement renoncé ou ait accepté qu’il soitréglementé, n’en conserve pas moins le droitexclusif de reproduction ». Cette jurispru-dence est constante (63).

2. L’atteinte à la propriétéindustrielleL’image du bien, signe distinctif. Le pro-fessionnel de l’image respectueux desdroits d’auteur ayant vocation à s’appli-quer sur le bien reproduit peut égalementêtre confronté à certains droits de pro-priété industrielle. Tous ne sont pas heu-reusement ici concernés. L’image desbiens peut en effet difficilement accéderà la brevetabilité ou à la protection par ledroit des obtentions végétales. En revan-che, une marque, une enseigne (maisnous attacherons essentiellement à la pre-mière) peut aisément être construite àpartir de l’image d’une chose : le pontd’Avignon, la cathédrale de Strasbourg…

Quelles sont ici les difficultés ? Avant toutechose, il est important de rappeler cequ’est une marque. Selon l’article L. 711-1du Code de propriété intellectuelle lamarque est « un signe susceptible de représen-tation graphique servant à distinguer les pro-duits ou services d’une personne physique oumorale ». Ce même texte poursuit en pré-cisant que peuvent notamment constituerun signe, les signes figuratifs tels que lesdessins ou encore les formes. Il est dès lorsassez facile, dans ce contexte, d’envisagerl’image d’un bien comme marque. Pourautant toutes les difficultés ne sont paslevées. Le dépôt de l’image d’un bien àtitre de marque soit par le professionnel,soit par le particulier qui s’oppose à l’ex-ploitation de l’image, oblige à envisager

plusieurs hypothèses. Le bien reproduitpeut être mobilier ou immobilier, privé oupublic. Il peut appartenir à son titulaire ouà un tiers, voire même parfois à plusieurspersonnes. Nous nous contenterons icid’envisager l’hypothèse du dépôt de l’i-mage d’un bien public à titre de marque.

Hypothèse du dépôt de l’image d’un bienpublic à titre de marque. Le bien repro-duit et déposé comme marque peut eneffet être un bien public. Une communepourrait-elle ainsi s’opposer à la repro-duction d’un monument public célèbre ?Peut-on tout d’abord déposer à titre demarque l’image d’un bien public ? Ici leschoses sont un peu plus complexes quepour un bien privé. En premier lieu, sepose la question fondamentale consistantà savoir si l’on peut s’approprier l’imaged’un bien public. Dans l’affirmative, lacommune, le particulier qui s’est réservéle signe serait fondé à interdire au pro-fessionnel de l’image l’exploitation de lareprésentation. Sur ce point, nous dispo-sons d’une décision riche d’enseigne-ments précisément rendue à partir de lacathédrale de Strasbourg (64). Enl’espèce la brasserie Adelshoffen titulaired’une marque comprenant parmi denombreux éléments une silhouette styli-sée de la cathédrale de Strasbourg assi-gnait en contrefaçon la brasserieKronenbourg pour avoir utilisé dans sapublicité l’image de la cathédrale. Le jugede tribunal de grande instance deStrasbourg va ici souligner le caractèresymbolique du monument qui « rappellela ville de Strasbourg comme la statue de laliberté évoque nécessairement New York ». Parla suite, les magistrats précisent que : « lesmarques qui comportent des éléments tels qu’unmonument tombé dans le domaine public nesont originales que par le mode de présentation

63. On retrouve ainsi la même formule, motpour mot, dans la décision de la Cour d’appel deParis du 19 juin 1979, op. cit. Dans l’affaire dela Géode, le juge souligne que « la loi du 11mars 1957 n’a prévu aucune disposition venant

restreindre la protection des droits relatifs auxœuvres d’art situées dans un lieu accessible aupublic et qu’il appartient en conséquence auxseuls titulaires de ces droits de consentir à leurreproduction ».

64. TGI Strasbourg, 10 février 1965, D., 1966,J., p. 425 ; en appel, Colmar, 22 juin 1966, D.,1966, Somm., p.98.

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65. Cass. com., 15 mai 1968, D. ,1968, J., p.697.66. La jurisprudence est ici constante ; Paris,15 mai 1970, D., 1970, J., p. 466 , concl.

Cabannes. Les décisions antérieures à la loi du17 juillet 1970, dont celle-ci, sont rendues sur lefondement de l’article 1382 du Code civil.

67. Sur cette jurisprudence et son application àl’exploitation de l’image des biens, notreouvrage op. cit. supra note n° 1.

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L’exploitation de l’image des biens

de ces éléments et qu’il n’y a de contrefaçonqu’à partir du moment où c’est la dispositionoriginale de l’élément banal qui a été repro-duite ». Cette solution va être confortéepar la chambre commerciale de la Courde cassation le 15 mai 1968 (65).

Concrètement, cela signifie qu’un parti-culier ne peut interdire à un autre parti-culier (ou à notre professionnel de l’image) d’exploiter l’image d’un monu-ment public célèbre (sauf si celui-ci estprésenté de telle manière qu’il donneprise à un droit d’auteur). Cela ne signifiepas que l’image d’un bien public puisseêtre déposée. Elle peut l’être. Néanmoins,celui qui a déposée ne pourra pas empê-cher d’autres particuliers d’utiliser l’imagedu bien public. Tout se passe comme sinous étions en présence d’un patrimoinecommun ou plus techniquement d’unesorte d’appellation d’origine contrôléedont l’usage appartient aux producteursd’une région. Le professionnel de l’imagequi exploite un cliché d’un monumentpublic pourra donc difficilement se voiropposer, sur le terrain du droit desmarques, la propriété du signe.

B. Le trouble à la personneLa personnalité et la responsabilité. Laseconde valeur que le professionnel del’image est tenu de respecter à l’occasionde l’exploitation de la richesse est cellede la personne. La personne est en effetdirectement protégée par des droits ditsde la personnalité (a). Indirectement ellepeut l’être également au moyen du droitde la responsabilité (b)

a. Droits de la personnalitéDroit au respect de la vie privée et altéra-tion de la personnalité. La diffusion de l’i-mage d’un bien peut porter atteinte aux

droits de la personnalité de deux maniè-res : directement par le biais d’une atteinteà la vie privée et indirectement par lemoyen d’une altération de la personnalité.

Atteinte à la vie privée, domicile, patri-moine. La première rencontre de la dif-fusion de l’image des biens et de la vie pri-vée est le domicile. La divulgation del’adresse du domicile ou de la résidenced’une personne, sans le consentement decelle-ci, constitue bien en effet une atteinteillicite à sa vie privée (66). La secondechambre civile de la Cour de cassationdans l’arrêt dissident du 5 juin 2003 quenous avions relevé plus haut l’a encorerappelé : « Mais attendu que la cour d’appela justement retenu que la publication dans lapresse de la photographie de la résidence de M.X accompagnée du nom du propriétaire et desa localisation précise, portait atteinte au droitde M. X au respect de sa vie privée ».

La seconde rencontre plus délicate estcelle qui se noue à partir du patrimoine.La diffusion de l’image d’une choseappartenant à une personne porte en elledifférents messages. D’une part, elle livreau public une part de l’intimité, de la per-sonnalité de tout possesseur. Mais, ellepeut aussi, d’autre part, livrer une infor-mation purement patrimoniale au publicqui va enfin connaître la possession demon voilier ou la superficie de mondomaine (ou à l’inverse ma faillite attes-tée par ma vie en mobile home). Or sur cepoint et malgré les hésitations jurispru-dentielles (67) en la matière nous pou-vons tout à fait admettre que la publica-tion d’une information patrimoniale (parle biais de la diffusion de l’image d’unbien) porte atteinte à la vie privée.

Notion d’altération de la personnalité. Lanotion d’altération de la personnalité est

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doctrinale. Nous l’empruntons à JacquesMestre qui a montré tout l’intérêt de dis-tinguer ce concept de celui de vie privée(68). « La protection qu’il s’agit ici d’établir nevisera pas à préserver la vie intime de la per-sonne de l’indiscrétion du public, mais à défen-dre aux yeux de celui-ci, la réalité de sa person-nalité ». L’altération de la personnalité dupropriétaire par la diffusion de l’image deson bien n’est pas seulement doctrinale.Elle a été perçue dans plusieurs décisions.Nous rappellerons la teneur de la plus célè-bre jugée par le Tribunal de grandeinstance de la Seine le 1er avril 1965 (69).Il s’agissait de se prononcer sur la diffu-sion d’un roman-photo intitulé L’amourmène la danse illustré de photographiesreprésentant le domicile du maire d’unepetite commune, par ailleurs respectableprofesseur de lettres dans une institutionprivée. Estimant, d’une part, qu’une tellepublication laissait penser qu’elle avaitdonné son accord aux reproductions etd’autre part que l’aspect licencieux duroman photo lui causait un préjudice évi-dent du fait de la possibilité, pour les lec-teurs de la région, d’identifier sa demeure,le maire de la petite commune assigna l’é-diteur et obtient gain de cause. Les jugesvont en effet souligner « qu’il n’est pas dou-teux que les lecteurs voisins des lieux ne peuventmanquer de les identifier et de considérer avecsurprise que la dame X a permis que sa pro-priété serve de cadre au tournage d’un romanen forme de film, dont l’esprit est difficilementcompatible avec sa personnalité ».

b. Droits de la responsabilitéResponsabilité civile délictuelle et contrac-tuelle. A délaisser la responsabilité pénale(exemple de la violation de domicile),l’exploitation de l’image des biens peutsusciter une responsabilité civile contrac-tuelle et délictuelle.

Responsabilité civile contractuelle. Dansle droit de la responsabilité civile, le pro-priétaire soucieux de protéger l’image deson bien peut, dans un premier temps, icide manière préventive, soumettre sa repro-duction à une autorisation contractuelle.Le professionnel de l’image qui mécon-naîtrait cet engagement engagerait saresponsabilité contractuelle sur la base del’article 1147 (supposant, comme pour laresponsabilité civile délictuelle, faute pré-judice et causalité). Ce recours à l’outilcontractuel trouve une parfaite illustrationdans la pratique des musées (70). Lesmusées ne sont pas les seuls à utiliser l’ou-til contractuel dans la défense de l’imagede leurs biens. Les particuliers le peuventaussi. En témoigne cette décision ayantcondamné le peintre Bernard Buffet pouravoir reproduit un château non visible dudomaine public (71) alors même que lecontrat l’interdisait clairement. L’attenduprincipal mérite d’être cité intégralement.« Considérant qu’agissant ainsi, Bernard Buffeta méconnu les conditions auxquelles était sub-ordonné le droit de pénétrer dans la propriétéprivée de Compaignon de Marcheville, condi-tions figurant sur le billet d’entrée et auxquellesil avait implicitement mais nécessairementadhéré ; que l’ensemble de la notice inscrite auverso de ce billet et spécialement l’emploi des ter-mes très généraux “ documents” et “commercia-lisation” manifestent, sans ambiguïté, la volontédu propriétaire de réserver son autorisation pourtoute utilisation de l’image de son château sousune forme quelconque dans l’intention d’en obte-nir un avantage pécuniaire »

Responsabilité civile délictuelle.L’exploitation de l’image d’un bien peutenfin susciter une responsabilité civiledélictuelle sur la base du droit commun.Abstraction faite de la concurrencedéloyale lorsqu’il y a commercialisation

68. J. Mestre, “ La protection indépendante dudroit de réponse, des personnes physiques et despersonnes morales contre l’altération de leurpersonnalité aux yeux du public ”, JCP, 1974, I,2623 qui distingue des altérations directes et

indirectes.69. TGI Seine, 1er avril 1965, JCP, 1966, II,14762, note Lindon.70. Sur ce point, voir M. Cornu et N. Mallet-Poujol, Droit, œuvres d’art et musées, CNRS

éditions, 2001, notamment n° 552 et s.71. Paris, 18 décembre 1972, RIDA, 1972,p. 215. Voir également, pour le même châteauque dans l’affaire Bernard Buffet, TGI Paris,27 septembre 1976, RIDA, 1976 p. 160.

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Page 20: L'EXPLOITATION DE L'IMAGE DES BIENS

LÉGICOM N° 34 – 2005/2 – 31

L’exploitation de l’image des biens

de l’image de la richesse, nous pouvonsraisonner, pour finir, à partir de l’hypo-thèse d’un bien non clos, visible dudomaine public. De prime abord, l’onpourrait être tenté de rejeter toute idéede responsabilité. Le professionnel de l’i-mage pourrait en effet faire valoir que lerevirement de jurisprudence del’Assemblée plénière de la Cour de cassa-tion en date du 7 mai 2004 (72) le libèrede tout demande d’autorisation de repro-duire le bien qui l’intéresse aux particu-liers (et de toute faute consécutive à l’ab-sence d’autorisation). Par ailleurs (sansdoute suite à la confusion entre la pro-priété matérielle et la propriété intellec-tuelle faite par beaucoup), ils pourraientinvoquer cette vieille jurisprudence de lafin du dix neuvième siècle par laquelle lesmagistrats posaient que : « Les vues de villes,sites et monuments obtenues par la photogra-phie sont des objets du domaine public » (73).

La rue n’est pas nécessairement libre dedroits. Nous l’avons vu à propos de la ques-tion du droit d’auteur. La fin de la jurispru-dence sur le terrain du droit de propriétéque marque l’arrêt du 7 mai 2004 signifietout au mieux (ce qui est déjà très bien)que le propriétaire ne peut plus s’opposersystématiquement (en faisant valoir ses pré-rogatives) à la reproduction de l’image deson bien. Cela ne dispense nullement leprofessionnel de l’image de solliciter l’au-torisation des particuliers (s’il ne le fait pas,il ne risque plus rien sur la base du droitde propriété). Dit autrement, il est encoretout à fait concevable d’engager sa respon-sabilité civile sur la base de l’article 1382du Code civil à l’occasion de la reproduc-tion de l’image d’un bien. La faute peut eneffet être encore présente lorsque le photo-graphe, le publicitaire, l’agence immobi-lière, omettent par exemple de préciser

que le propriétaire s’est opposé à la repro-duction de l’image de son bien (commecela s’est déjà vu dans certaines décisionsavant l’arrêt du 7 mai) ou lorsqu’il y a déna-turation. Surtout elle pourrait encore êtreidentifiée par le juge à l’occasion de la vio-lation d’un usage professionnel imposantaux photographes de solliciter l’autorisa-tion des propriétaires et ceci en faisantabstraction de toute idée de propriété. Onpeut très bien imaginer des codes de bonneconduite à l’origine de la création d’usa-ges imposant cette demande de la part desphotographes.

On peut en ce sens relever une décisiondu tribunal civil de la Seine du 15 février1952 (74) par laquelle les juges estimentque : « La maison d’édition qui, pour un butcommercial, prend des vues d’une propriété par-ticulière, sans se munir de cette autorisation,a commis une faute génératrice de dommagesintérêts et elle doit en outre être condamnée àla remise sous astreinte des photographies cli-chés et impressions : elle ajoute une lourde fauteprofessionnelle en passant outre à toutesdémarches amiables, protestations et défenseset en continuant l’édition, le débit et la miseen vente ». Le juge reconnaît bien ici unefaute génératrice de responsabilité, enajoutant qu’elle se double d’une fauteprofessionnelle pour avoir ignoré toutdémarche amiable. En bref, la responsa-bilité civile, tout comme hier la propriété,peut imposer ce civisme élémentaire del’autorisation (Même s’il est vrai qu’il étaitplus commode de débusquer la fautedans la violation du droit de propriété).

En définitive, le lecteur aura compris le sensde notre propos. « Un art libre induit unregard libre » (75). Libre mais responsable !

J.-M. B.

72. Sur ce revirement cf. supra. 73. Trib. Com Seine, 7 mars 1861, DP., 1861,3, p 32. Antérieurement, par exemple, Paris, 5juin 1855, DP., 1857, 2, p.28 ; le juge établissaitune distinction entre les personnes et les biens.

La reproduction d’un monument étaitnécessairement dans le domaine public, celle dela personne faisait l’objet d’une ‘propriétéprivée’ et supposait en conséquence uneautorisation.

74. Trib. Seine, 15 février 1952, Gaz. Pal.,1952, sem. 1, p.16.75. M.-J Mondzain, Le commerce des regards,Seuil, L’ordre philosophique.

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