L'explosion des Mathématiques

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    la brochure Lexplosion des mathmatiques , conue par la Socit mathmatique de France (SMF) etla Socit de mathmatiques appliques et industrielles (SMAI), a t ralise avec le soutien financier duMinistre de la Recherche et du CNFM (Comit national franais des mathmaticiens).

    Les diteurs remercient chaleureusement Madame Brigitte Vogler, chef de la Mission de la Culture etde lInformation scientifiques et techniques et des Muses, au Ministre de la Recherche.

    Conception ditoriale et coordinationMireille Martin-Deschamps, Patrick Le Tallec et Michel Waldschmidt,

    avec la participation de Fabian Astic, Francine Delmer et Maurice Mashaal.

    Comit de lectureFabian Astic, Jean-Michel Bismut, Jean-Pierre Bourguignon, Mireille Chaleyat-Maurel,

    Francine Delmer, Mireille Martin-Deschamps, Patrick Le Tallec,Grard Tronel, Michel Waldschmidt.

    RdactionMaurice Mashaal

    Recherche iconographiqueElectron libre, Francine Delmer et Maurice Mashaal

    Maquette et mise en pagePatricia Rocher (cole polytechnique, Palaiseau)

    CouvertureChristophe Bongrain

    Ralisation et impressioncole polytechnique, Palaiseau

    SMF et SMAI, juillet 2002ISBN 2-85629-120-1

    Les titres, intertitres, textes de prsentation et lgendes ont t tablis sous la responsabilit de la rdaction.

    SMFInstitut Henri Poincar

    11 rue Pierre et Marie Curie75231 Paris Cedex 05, France

    Tel. 01 44 27 67 96

    http://smf.emath.fr

    SMAIInstitut Henri Poincar

    11 rue Pierre et Marie Curie75231 Paris Cedex 05, France

    Tel. 01 44 27 66 62

    http://smai.emath.fr

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    5 ......................... Avant-propos Mireille Martin-Deschamps et Patrick Le Tallec

    7 ......................... Le temps quil fera Claude BasdevantLa prvision mtorologique ou climatique nest pas une mince affaire. Elle implique la modlisationde nombreux phnomnes de natures diffrentes, et lintervention de plusieurs sciences, des math-matiques la biologie, en passant par linformatique, la physique ou la chimie.

    11 ......................... Les dessous du tlphone portable Daniel KrobLe tlphone mobile est maintenant un objet relativement banal. Qui na jamais vu un portable ou tl-

    phon avec? Mais rares sont ceux qui ont une pense pour la science et la technologie mises en jeu.

    15 ........................... Cryptage et dcryptage : communiquer en toute scuritJean-Louis NicolasDans le monde actuel, o les tlcommunications occupent une place cruciale, la cryptographie est unenjeu majeur. Elle est aussi devenue une science complexe, qui ne peut se passer de mathmaticiens dehaut niveau.

    19 ......................... Contrler un monde complexe Pierre PerrierQuil sagisse de la manuvrabilit dun avion, de la tenue mcanique dune structure complique ou dela gestion du trafic automobile, le progrs dans ces domaines ne vient pas uniquement des inventions

    purement techniques. Il nat aussi de recherches abstraites, comme la thorie mathmatique du contrle.

    23 ......................... Le thorme du soufflet tienne GhysUne rgle, un crayon, du carton, des ciseaux et de la colle: il nen faut gure plus pour procurer auxmathmaticiens du plaisir et de jolis problmes dont ltude se rvle souvent, aprs coup et demanire inattendue, utile dans dautres mtiers.

    28 ........................ Trouver un gne responsable de cancer Bernard PrumLes dveloppements de la biologie moderne, et notamment ceux de la gntique molculaire, exigentde nouveaux outils mathmatiques. Exemple avec la statistique et son rle dans la recherche dun gneli au cancer du sein.

    32 ......................... Des ondelettes pour comprimer une image Stphane MallatQuelles soient stockes numriquement dans des mmoires informatiques ou quelles voyagent tra-vers Internet, les images occupent beaucoup de place. Heureusement, il est possible de les conden-

    ser sans altrer leur qualit !

    36 ........................ Empcher les ondes de faire du bruit Daniel BoucheComment chapper la dtection par un radar? Quelle est la forme optimale dun mur anti-bruit? Peut-on amliorer les images chographiques? Pour recevoir une rponse satisfaisante, ces questions deman-dent des analyses thoriques pousses.

    41 ......................... Quand art rime avec maths Francine DelmerLes mathmatiques ninspirent pas que les scientifiques. De nombreux artistes y ont puis la matire decertaines de leurs uvres. La rciproque est parfois vraie aussi, comme dans le cas de la perspective, olart a montr le chemin des thories gomtriques.

    47 ......................... De lADN la thorie des nuds Nguyen Cam Chi et Hoang Ngoc MinhLactivit biologique de la molcule dADN dpend notamment de son agencement dans lespace et de la faondont elle est entortille choses qui sont du ressort de la thorie mathmatique des nuds.

    Sommaire

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    51 ......................... Le philosophe et le mathmaticien Pierre Cassou-NogusTout au long de leur histoire, la philosophie et les mathmatiques ont entretenu une relation aussi troitequnigmatique. Il faudrait revenir Platon dans le monde grec et Descartes laube de lpoque moderne.voquons ici deux grandes figures du XXesicle, David Hilbert et Edmund Husserl.

    56 ......................... Comment rationaliser les ventes aux enchres? Jean-Jacques LaffontGrce notamment Internet, les ventes aux enchres se gnralisent. La modlisation de ces procdsde vente permet de dfinir les rgles et stratgies optimales de leur utilisation.

    61 ............................. De lconomtrie pour vendre des vinsou des obligations Philippe Fvrier et Michael VisserGrands vins ou bons du Trsor font lobjet de ventes aux enchres. Mais quel type denchres faut-il pratiquer?Pour le savoir, on complte les modlisations gnrales des enchres par des tudes conomtriques.

    66 ......................... Les casse-tte des compagnies ariennes Jean-Christophe CulioliLes problmes dorganisation et de planification poss une compagnie arienne sont analogues ceuxrencontrs dans dautres secteurs dactivit. La recherche oprationnelle, domaine qui concerne des

    dizaines de milliers de mathmaticiens et dingnieurs dans le monde, svertue les rsoudre au mieux.

    70 ......................... De la gomtrie 11 dimensions pourcomprendre la Gense? Maurice MashaalLes physiciens aspirent depuis longtemps une thorie capable denglober toutes les particules l-mentaires et toutes leurs interactions. Depuis une quinzaine dannes, ils ont une piste srieuse. Pourlexplorer, ils doivent naviguer dans des espaces hautement abstraits o mme les mathmaticiens ne

    staient pas encore aventurs.

    75 ......................... Internet: modliser le trafic pour mieux le grer Franois BaccelliLes spcialistes des rseaux de communication sefforcent de bien comprendre les proprits statistiques du

    trafic de donnes quils doivent acheminer. La gestion de ces rseaux et leur dveloppement en dpendent.

    80 ......................... Le prix des options financires Elys JouiniLe monde de la finance fixe le prix des options au moyen de formules qui ont t obtenues grce destravaux mathmatiques relativement rcents. La recherche de meilleures formules se poursuit et celane concerne pas que les boursicoteurs!

    84 ......................... Communiquer sans erreurs: les codes correcteurs Gilles LachaudPour dtecter et corriger les invitables erreurs qui affectent les changes dinformation numrise, les spcia-listes du codage numrique en appellent des mthodes abstraites qui relvent de lalgbre ou de la gomtrie.

    88 ......................... Reconstruire des surfaces pour limagerie Jean-Daniel BoissonnatReconstituer une surface en ne connaissant que certains de ses points : un problme que lon rencontre

    souvent, quil sagisse dexploration gologique, darchivage de vestiges archologiques, dimageriemdicale ou industrielle.

    92 ......................... Les mathmaticiens en France et dans le monde Jean-Pierre BourguignonJusque vers la fin duXIXesicle, les gomtres , comme on appelait jadis les mathmaticiens, taientpeu nombreux. En un sicle, leurs rangs se sont considrablement renforcs. Aujourdhui, ils doiventfaire face une profonde mutation de leur discipline.

    98 ......................... Comment devenir mathmaticien? Maurice MashaalDe longues annes dapprentissage et des talents vidents sont ncessaires pour qui veut faire de larecherche fondamentale en mathmatiques. Mais les passionns ont leur disposition plusieurs filiresde formation, avec des dbouchs varis.

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    nous vivons aujourdhui une situation pour le moins paradoxale. Les mathma-tiques sont un instrument irremplaable de formation la rigueur et au raisonnement;

    elles dveloppent lintuition, limagination, lesprit critique; elles sont aussi un langageinternational, et un lment fort de la culture. Mais elles jouent en outre, par leursinteractions avec les autres sciences, un rle grandissant dans la conception et l'la-boration des objets de notre vie quotidienne. Or cet tat de fait est en gnral tota-lement ignor par la majorit de nos concitoyens, pour qui les mathmatiques ont sou-vent perdu leur sens. Il est parfois de bon ton, y compris dans des postes responsabilit,de se vanter dtre nul en maths , ou den contester lutilit.

    On peut trouver ce paradoxe et cette incomprhension des explications quitiennent la spcificit des mathmatiques. C'est une discipline qui se nourrit de sesliens avec les autres sciences et avec le monde rel, mais qui galement s'enrichit elle-mme: les thories ne se dmolissent pas, elles se construisent les unes sur les autres.Rciproquement, mme si bon nombre de chercheurs en mathmatiques sont int-resss avant tout par le ct intellectuel et mme esthtique de leur discipline, les appli-cations surgissent parfois de manire inattendue. Ainsi, les applications enrichissent larecherche, mais ne peuvent seules la piloter.

    Cet quilibre subtil entre les facteurs de dveloppement interne et externe doitabsolument tre prserv. Vouloir dfinir l'activit ou la recherche en mathmatiquespar ses applications potentielles reviendrait les faire disparatre. l'oppos, privil-gier l'axiomatisation, l'tude des structures et la dynamique interne de la disciplinecomme l'ont fait les mathmatiques franaises partir des annes 1940, et pendantplusieurs dcennies, a conduit retarder le dveloppement en France des mathma-tiques dites appliques, contrairement ce qui se passait au mme moment aux tats-

    Unis et en Union Sovitique. Les facteurs de progrs sont trs souvent aux frontiresde la discipline.

    Aujourd'hui, et nous nous en rjouissons, les mathmatiques ont rtabli, et parfoiscr, des liens forts avec les autres sciences et avec de nombreux secteurs conomiques.La frontire entre mathmatiques pures et mathmatiques appliques est devenuefloue : les mathmatiques les plus fondamentales servent rsoudre des problmes deplus en plus difficiles. Ainsi, des domaines comme la gomtrie algbrique et la tho-rie des nombres ont trouv des applications inattendues en thorie du codage et en

    cryptographie. De mme, les liens des mathmatiques avec la finance se sont intensi-fis pour valuer, voire crer, des produits financiers de plus en plus complexes, en fonc-tion des besoins et des demandes des acteurs conomiques.

    Avant-propos

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    Cependant, un travail trs important de communication et de sensibilisation reste faire, pour modifier une image qui, elle, na pas suffisamment volu, et faire dcou-

    vrir tous les attraits et les atouts du monde des mathmatiques et de ses applications.Le but du prsent document est de faire connatre les mathmatiques sous leurs aspectsles plus divers scientifiques, techniques, culturels, sociologiques; de souligner la diver-sit et luniversalit dune discipline qui entretient des liens aussi bien avec la physique,la chimie, lconomie et la biologie quavec lhistoire, la musique et la peinture. Lesmathmatiques sont partout. Sans elles, pas dordinateurs, pas de systmes d'informa-tion, pas de tlphonie mobile ; pas dateliers de conception pour les constructeursautomobiles et aronautiques ; pas de systmes de localisation par satellite, de traite-ment du signal, de dcryptage du gnome, de prvisions mto, de cryptographie, de

    cartes puce, de robots.

    Au-del de leur rle de science acadmique et de formation de base l'cole, lesmathmatiques sont omniprsentes dans la socit d'aujourd'hui. Elles suivent, accom-pagnent et quelquefois prcdent les dveloppements scientifiques et technologiquesactuels, qui font aussi bien appel aux rsultats de la recherche fondamentale contem-poraine la plus rcente qu'ils tirent profit des dcouvertes accumules dans le pass.Enfin, les besoins en mathmatiques croissent avec l'acclration des mutations et cra-tions technologiques. On ne peut s'en passer, alors qu'on est confront la ncessitd'laborer, de matriser, ou d'analyser des systmes de complexit croissante.

    Les tats-Unis l'ont bien compris, puisque la NSF (National Science Foundation, lor-ganisme fdral charg de distribuer les crdits pour la recherche universitaire) a dciddepuis lan 2000 d'augmenter considrablement son soutien financier aux mathma-tiques. Notre chance est que l'cole mathmatique franaise reste une des meilleuresau monde, et que la culture mathmatique de ses scientifiques et ingnieurs reste detrs bon niveau l'chelle internationale. Le nombre de mdailles Fields, quivalent

    du prix Nobel qui nexiste pas en mathmatiques, en tmoigne. Rcemment, lors dutroisime Congrs europen de mathmatiques qui s'est tenu Barcelone en juillet 2000,cinq des dix laurats prims taient issus de cette cole. Donnons-nous les moyens degarder ce niveau dexcellence.

    Mireille Martin-DeschampsPrsidente de la SMF de 1998 2001

    Patrick Le TallecPrsident de la SMAI de 1999 2001

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    Claude Basdevant

    La prvision mtorologique ou climatique nest pas une mince affaire.Elle implique la modlisation de nombreux phnomnes de nature

    diffrente et lintervention de plusieurs sciences, des mathmatiques la biologie, en passant par linformatique, la physique ou la chimie.

    derrire la charmante prsentatrice quitous les soirs la tlvision nous dcrit les pr-visions mto pour les jours venir, il ny aplus de grenouille et de thermomtre depuislongtemps. Il y a des ordinateurs super-puis-sants auxquels on a fait absorber un grandnombre de mesures, obtenues principalementpar satellites, beaucoup de lois de la mca-nique et de la physique, mais aussi beaucoupde mathmatiques, parfois trs rcentes.

    Pour que les ordinateurs fournissent desprvisions, il faut laborer au pralable cequon appelle un modle numrique de pr-vision du temps. Schmatiquement, un telmodle de prvision lchance de huit dixjours reprsente ltat de latmosphre par lesvaleurs des paramtres mtorologiques(vitesse du vent, temprature, humidit, pres-sion, nuages, etc.) aux centres de botes

    denviron cinquante kilomtres de ct et dequelques dizaines quelques centaines demtres de hauteur. Ce dcoupage imaginairede toute latmosphre en botes est invitable,

    car il est impossible de spcifier les paramtresmtorologiques en tous les points de lat-mosphre (ces points sont en nombre infini!).En principe, plus les botes sont petites etdonc nombreuses , plus la description deltat atmosphrique est prcise, et plus lesprvisions le seront aussi. Mais en pratique,les botes ne font pas moins dune cinquan-

    taine de kilomtres; en de, la puissance desplus gros ordinateurs ne suffirait pas: il fautbien que le calcul sachve en temps utile, cest--dire en nettement moins de 24 heures!

    Vue dartiste des botes de calcul dun modle de prvision du tempsou du climat. (Illustration L. Fairhead LMD/CNRS).

    Le temps quil fera

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    Partant de ltat de latmosphre supposconnu au dbut de la priode prvoir, lemodle fait calculer par lordinateur son vo-

    lution future en utilisant les lois de la dyna-mique et de la physique. Lvolution dans letemps est calcule pas pas, par intervallesde quelques minutes. Tel est le principe de laprvision numrique du temps, un principeconnu depuis le dbut du XXe sicle mais quia attendu les annes 1940-1950 et les premiersordinateurs avant dtre mis en uvre.

    Les mesures mtorologiques ne sontpas directement exploitables

    Premier problme dans le schma idal deprvision qui vient dtre dcrit : savoirconstruire l tat initial de latmosphre .Les observations sont loin dtre bien adap-tes cet exercice. Les stations mto au solsont fort mal rparties sur le globe et four-nissent trs peu de mesures en altitude. Quantaux satellites, ils sont pour la plupart dfi-lement, cest--dire quils balayent contin-ment la Terre. Leurs mesures ne sont donc pasobtenues au mme instant en tous points. Deplus, les satellites mesurent des quantits int-gres sur toute lpaisseur de latmosphre (il

    sagit en gnral des flux dnergie reus dansune certaine gamme de longueurs donde) etnon pas les grandeurs mtorologiques (vent,temprature, humidit, etc.) qui entrent enjeu dans les quations des modles.

    On dispose donc dune masse de donnesdisparates, mal distribues la surface duglobe, tales sur 24 heures, avec lesquelles il

    faut initialiser une prvision, cest--direconstruire un tat mtorologique initial dontle modle simulera lvolution. Or grce auxtravaux sur loptimisation dynamique, domaine

    auquel ont beaucoup contribu le chercheurrusse Lev Pontriaguine (1908-1988) et lcolemathmatique franaise, on a pu mettre au

    point, dans les annes 1980, des mthodesdites d assimilation variationnelle qui per-mettent de reconstruire de faon optimaleltat initial. Lide sous-jacente ces mthodes,oprationnelles depuis lanne 2000 Mto-France, est dobliger en quelque sorte la tra-jectoire du modle numrique passer prs des donnes observes pendant les 24 heuresprcdentes. Lassimilation variationnelle nest

    dailleurs pas la seule technique mathma-tique moderne qui a boulevers le traitementdes observations: lutilisation des rseaux neu-romimtiques ou des ondelettes, inventsdepuis moins de vingt ans, a donn lieu desgains spectaculaires en efficacit, prcision etrapidit dans le traitement des donnes four-nies par les satellites.

    Quand lanalyse numrique entreen action

    Une fois connu ltat atmosphrique ini-tial dont a besoin le modle numrique deprvision, reste crire le programme infor-matique capable de calculer le temps futur

    partir de cet tat initial et des lois de la phy-sique. Celles-ci reposent sur une descriptioncontinue de lespace et du temps; mais notremodle numrique, lui, ne connat quunnombre, certes grand, mais fini, de botes ; demme, les intervalles de temps entre deuxtats calculs sont de plusieurs minutes ondit que le problme a t discrtis . Passerdes quations continues des schmas num-

    riques pour le modle discrtis, tout en gar-dant la meilleure prcision possible, tel est ledomaine de lanalyse numrique, une branchedes mathmatiques qui a explos depuis lar-

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    rive des ordinateurs. Lanalyse numrique apour but de savoir rsoudre des quations etmener les calculs jusquau bout, cest--direjusqu lobtention de valeurs numriques pr-cises, en investissant le moins de temps et def-forts possible. Elle est indispensable pour quesimulation ne soit pas synonyme de simulacreet pour valuer lincertitude des prvisions.Par exemple, des progrs trs importants ontt obtenus rcemment concernant lesmthodes permettant de simuler le dplace-ment des espces chimiques ou des particules

    dans la turbulence atmosphrique. Ces avan-ces ont significativement amlior ltude etla prvision de la pollution de lair.

    Peut-on prdire le temps longtemps lavance? Non, indique la thorie dessystmes dynamiques

    On a voqu jusquici la prvision dutemps courte chance, de huit dix jours.Mais pourquoi ne fait-on pas des prvisions plus longue chance? Le mtorologue

    amricain Edward N. Lorenz,dans un clbre article de1963, a montr que ctait

    probablement sans espoir.Latmosphre est un systmechaotique, cest--dire quetoute erreur sur ltat mto-rologique initial, aussi petitesoit-elle, samplifie rapide-ment au cours du temps; sirapidement quune prvision lchance dune dizaine de

    jours perd toute sa perti -nence. Nanmoins, cela neveut pas dire que lon ne peutpas prvoir le climat cest--dire faire une prvision de

    type statistique plutt que dterministe, sin-tresser la moyenne des tempratures oudes prcipitations sur une priode, pluttquau temps prcis quil fera sur la Bretagnetel jour du mois de juillet. Lenjeu est dim-portance : notre climat futur est menac parles rejets de gaz dus aux activits humaineset il faut prvoir leffet long terme de cesperturbations. Cest la thorie dessystmesdynamiques qui donne des outils pour justi-fier cette modlisation du climat. Ce domaine,pour lequel le mathmaticien Henri Poincar,

    au dbut du XXe

    sicle, fut un grand prcur-seur, a connu des progrs trs importantsdans les vingt dernires annes. La thoriedes systmes dynamiques permet parexemple de dgager ce que les mathmati-ciens appellent des attracteurs, ou desrgimes de temps pour les mtorologues.Elle permet aussi de savoir quels sont lesrgimes de temps les plus prvisibles et ceux

    qui sont les plus instables. Dans les situationsdinstabilit, un bon outil serait la modli-sation probabiliste du climat, cest--dire laconception de modles prenant explicite-

    Le temps quil fera 9

    Panache d'ozone sur la rgion parisienne le 7 aot 1998 16 heures et 300 m d'altitude.Codes en couleurs, les concentrations simules par le modle numrique CHIMERE duLMD/IPSL; en incrustation, les mesures par avion (Illustration MERLIN de Mto-France).

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    ment en compte le caractre alatoire de laprvision. Encore peu dveloppes, les mod-lisations de ce type doivent sappuyer sur des

    outils trs rcents de la thorie des quationsaux drives partielles stochastiques et desstatistiques.

    Des prvisions mtorologiques auxprvisions climatiques

    Les modles numriques de prvision du

    climat ressemblent comme des frres auxmodles de prvision du temps, deux dif-frences essentielles prs. Pour des raisons detemps de calcul, leurs botes sont plusgrandes (200 300 km de ct) ; les tempssimuls allant de quelques mois des cen-taines voire des milliers dannes, il est impos-sible dtre plus prcis. Mais la diffrenceimportante tient au fait que les variations cli-matiques ont lieu de longues chelles detemps, et quil nest alors plus possible dengliger les interactions entre latmosphre,locan, les glaces de mer, voire la biosphre.Cest pourquoi un modle de climat doit com-biner un modle datmosphre, un modledocan, un modle de glaces de mer, unmodle de biosphre. Au-del de la com-

    plexit informatique dune telle construction,se posent de dlicats problmes mathma-tiques sur la bonne manire de coupler cesdomaines et sur la spcification des conditionsaux interfaces atmosphre-ocan, ocan-glaces, etc. Et pour que le calcul dans les grandes botes reste significatif, il fautvaluer leffet statistique, lchelle de cettebote, de processus qui se produisent des

    chelles beaucoup plus petites (par exemple:quel est leffet statistique, sur le bilan dner-gie dune bote de 300 km de ct, des petitscumulus de quelques km de diamtre qui sy

    dveloppent?). Il reste, dans toutes ces ques-tions, encore beaucoup de matire dve-loppements mathmatiques.

    Claude BasdevantLaboratoire de mtorologie dynamique,

    cole normale suprieure, Paris etLaboratoire Analyse, gomtrie et applications,

    Universit Paris-Nord.

    10 Lexplosion des mathmatiques

    Quelques rfrences:

    La Mtorologie, n 30, numro spcial sur laprvision mtorologique numrique (2000).

    M. Rochas, et J.-P. Javelle, La Mtorologie -La prvision numrique du temps et du climat(collection Comprendre , Syros, 1993).

    R. Temam et S. Wang, Mathematical Problemsin Meteorology and Oceanography , Bull. Amer.Meteor. Soc., 81, pp. 319-321 (2000).

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    Daniel Krob

    Le tlphone mobile est maintenant un objet relativement banal.Qui na jamais vu un portable ou tlphon avec? Mais rares sont ceux

    qui ont une pense pour la science et la technologie mises en jeu.

    Les dessousdu tlphone portable

    le tlphone mobile est aujourdhui dunusage trs courant dans beaucoup de pays. Ilny a pas si longtemps, la situation tait biendiffrente. En 1985, existaient un grandnombre de systmes de tlphonie sans fil,conus, dvelopps et commercialiss par lesgrands oprateurs nationaux historiques; maisils taient mutuellement incompatibles.Diffrant par leurs caractristiques techniques,ces systmes ne permettaient pas de commu-niquer dun rseau lautre. Pour les rendre

    compatibles, il fallait donc se mettre daccordsur tout un ensemble de spcifications tech-niques, cest--dire sur une norme commune.Cela a dbut au cours des cinq annes sui-vantes, quand a merg en Europe la normeGSM (Global System for Mobile communica-tions), la suite dune initiative de FranceTlcom et de Deutsche Telekom, les deux op-rateurs tlphoniques franais et allemand de

    lpoque. Les premiers systmes commerciauxfonds sur cette norme ont alors vu le jour audbut des annes 1990. Mais ce nest finale-ment que vers le milieu, pour ne pas dire la

    Une radiographie dun tlphone mobile. Llectronique de cet appa-reil semble complique, mais elle ne laisse pas entrevoir les travauxde nature mathmatique qui ont t ncessaires pour mettre au pointla tlphonie mobile. (Clich Stock Image)

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    fin, de cette mme dcennie que le GSM sestvraiment impos comme le seul rel standardinternational de tlphonie mobile. Le dve-

    loppement actuel des rseaux mobiles de troi-sime gnration est dailleurs un excellenttmoin de limportance prise par le GSM, dansla mesure o la norme sous-jacente cettetroisime gnration, lUMTS (Universal MobileTelecommunications System), constitue uneextension naturelle de la norme GSM.

    La norme GSM cache une grandecomplexit scientifique ettechnologique

    Lutilisateur a rarement conscience que,derrire les rseaux radio-mobiles, se cacheune grande complexit scientifique et tech-nologique. Par exemple, la norme GSM repr-sente plus de 5000 pages de spcificationstechniques, difficiles lire mme pour le sp-

    cialiste ! Et le GSM est loin dtre fig :dnormes efforts de recherche et dvelop-pement sont investis, tant par les grandes soci-

    ts dingnierie radio-tlphonique que parles laboratoires universitaires, pour amliorersans cesse la qualit et lefficacit des rseauxde tlphonie mobile.

    La norme GSM repose sur un ensemble detechniques labores provenant tant des tl-communications classiques que de linforma-tique, des mathmatiques et du traitementdu signal. En particulier, les mathmatiques

    et lalgorithmique jouent un rle fondamen-tal dans la conception et le bon fonctionne-ment des mcanismes internes des rseauxradio-mobiles. Les mathmatiques fournissentle substrat thorique sur lequel sappuientpresque toutes les tapes fondamentales detraitement de linformation ncessaires lagestion dune communication tlphonique partir dun portable. Lalgorithmique, elle,permet de transformer ces rsultats fonda-

    12 Lexplosion des mathmatiques

    Une antenne relais pour la tlphonie mobile GSM, en campagne, sur exploitation agricole. (Clich REA)

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    mentaux en protocoles effectifs et efficaces,pouvant tre mis en uvre concrtement ausein dun rseau radio-mobile.

    Des algorithmes pour numriserlinformation, la dcouper en

    paquets, la crypter, etc.

    Pour illustrer limpact de ces deux disci-plines en tlphonie mobile, regardons unpeu plus en dtail la manire dont une com-

    munication tlphonique est gre lorsquunutilisateur compose un numro sur son appa-reil. Tout dabord, toutes les donnes trans-mises au sein dun rseau radio-mobile sontuniquement numriques: elles sont en effetconstitues de paquets , cest--dire desuites de 0 et de 1 de longueur fixe, mis tousles quarts de seconde, qui contiennent len-semble des informations (parole, identifica-tion du portable, qualit de rception telleque la mesure le mobile, etc.) lies une com-munication tlphonique donne. Outre lagestion de la mobilit des utilisateurs, lagrande diffrence entre la tlphonie mobileet la tlphonie fixe classique rside bienentendu dans le fait que les paquets dinfor-mation numrique sont transmis par ondes

    hertziennes et non par cbles; cela a nces-sit la mise au point dun ensemble de tech-niques algorithmiques et mathmatiques trsspcifiques. Celles-ci font intervenir la foisde lalgorithmique rpartie, de loptimisationcombinatoire, du traitement numrique dusignal, de la gomtrie algorithmique ou ducodage correcteur derreurs, pour ne citer quequelques domaines parmi beaucoup dautres.

    Les paquets dinformation ne sont en effetpas transmis de manire brute. Pour assurerla confidentialit des communications, chaque

    paquet est crypt laide dun protocole cryp-tographique spcifi par la norme et utilisantdes clefs secrtes propres chaque oprateur

    (et lon sait que les mthodes cryptographiquesreposent sur des techniques et concepts alg-briques ou gomtriques souvent trs labo-rs). La gestion de la transmission hertzienneproprement dite ncessite elle-mme un trai-tement pralable de chaque paquet dinfor-mation. Le canal hertzien est en effet soumis plusieurs types de perturbations qui affec-tent les signaux mis par un portable. Par

    exemple, les absorptions et rflexions desondes hertziennes par les btiments entra-nent une attnuation et un dphasage dechaque signal mis par un portable. De mme,chaque signal engendre de nombreux chos,dont il faut tenir compte. Aussi, une partie dechaque paquet dinformation est spciale-ment dvolue la rcupration du signal dori-gine au sein de la mer dchos dans laquelleil est noy.

    Ces problmes ont bien entendu t tu-dis depuis longtemps, tant au niveau tho-rique que pratique. Les contraintes ding-nierie propres aux rseaux radio-mobiles ontnanmoins ncessit de dvelopper et dadap-ter une partie importante de lappareil math-

    matique classiquement utilis dans cescontextes.

    De la thorie des graphes pourallouer convenablement les

    frquences

    Lapport de lalgorithmique et des math-

    matiques ne se limite pas la chane de trai-tement de linformation numrique que nousvenons (trs rapidement) desquisser. Les tech-niques algorithmiques sont en particulier fon-

    Les dessous du tlphone portable 13

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    14 Lexplosion des mathmatiques

    damentales pour grer efficacement les fr-quences radio dont dispose chaque opra-teur. Les pouvoirs publics louent relative-

    ment cher chaque oprateur la bande defrquence quil peut utiliser; cependant, seulun petit nombre, de lordre de 300, de fr-quences est rellement utilisable au sein decette bande. Deux communications ralisesen mme temps par deux portables diffrents,mais gographiquement proches, ne peuventtre achemines sur des frquences voisinessous peine dinterfrences affectant la qua-

    lit des transmissions. Il est donc ncessairede savoir rpartir de faon optimale les fr-quences disponibles parmi tous les utilisateurs qui sont bien plus nombreux que les fr-quences. On peut dmontrer quun trehumain nest pas capable de rsoudre exac-tement ce type de problme en un temps rai-sonnable. Les mthodes algorithmiques, fon-des sur des modles mathmatiques tels quela thorie des graphes, ont ici t dtermi-nantes pour raliser des logiciels de planifi-cation qui permettent effectivement dersoudre de manire approche ces pro-blmes dallocation de frquences. Tous cesproblmes ont une grande importance dupoint de vue industriel, et font encore lob-jet de recherches trs actives.

    Daniel KrobDirecteur de recherches au CNRS et

    directeur du LIAFA (Laboratoire dinformatiquealgorithmique: fondements et applications),

    Universit Paris 7 et CNRS

    Quelques rfrences:

    D. Krob et E.A. Vassilieva, Performance

    evaluation of demodulation methods:a combinatorial approach ,Proceedings of DM-CCG, Discrete Mathematicsand Theoretical Computer Science, pp. 203-214(2001) (disponible en ligne:http://dmtcs.loria.fr).

    X. Lagrange, P. Godlewski, S. Tabbane, RseauxGSM-DCS(Herms, 1997).

    J. G. Proakis, Digital communications

    (McGraw-Hill, 3e dition, 1995). C. Servin, Tlcoms: de la transmission

    larchitecture de rseaux(Masson, 1998).

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    Jean-Louis Nicolas

    Dans le monde actuel, o les tlcommunications occupent une placecruciale, la cryptographie est un enjeu majeur.

    Elle est aussi devenue une science complexe, qui ne peut se passerde mathmaticiens de haut niveau.

    en mars 2000, un grostitre avait fait la une desjournaux : Alerte lascurit des cartes ban-caires . Que stait-ilpass? En France, le secretdes cartes puce tait pro-tg depuis 1985 grce une mthode de cryptagefaisant intervenir un grandnombre N, constitu de 97

    chiffres. Ce nombre Ndoittre le produit de deuxgrands nombres premiers,cest--dire de nombresqui, comme 7 ou 19, nesont divisibles que par 1 etpar eux-mmes. Le secretdune carte bancaire estconstitu prcisment par ce couple de

    nombres premiers; les calculer partir de Ntait pratiquement impossible dans la dcen-nie 1980. Mais avec laugmentation de la puis-sance des ordinateurs et lamlioration des

    mthodes mathmatiques, la taille des

    nombres Ndont on peut calculer les facteurspremiers en un temps raisonnable a dpassla centaine de chiffres dans les derniresannes du sicle(le record actuel, 158 chiffres,

    Cryptage et dcryptage :communiqueren toute scurit

    Payer avec sa carte de crdit, faire des achats sur Internet: les mthodes cryptographiques, qui met-tent en jeu de belles mathmatiques, sont indispensables la scurit de ces oprations.(Photo: Getty Images.)

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    date de janvier 2002). Un informaticien astu-cieux, Serge Humpich, avait ainsi pu trouverles deux nombres premiers ultra-secrets dont

    le produit vaut Net les avait utiliss pour fabri-quer de fausses cartes. Alors, pour garantir lascurit de nos petits rectangles de plastique,lorganisme de gestion des cartes bancaires aaussitt construit de nouveaux nombres N,nettement plus grands.

    La cryptographie moderne,

    au croisement des mathmatiqueset de linformatique

    Cette priptie illustre limportance consi-drable que revt aujourdhui la science ducryptage, cest--dire du codage de messagesen vue de les rendre illisibles par des personnesindiscrtes. Crypter et dcrypter des messagessecrets est une activit vieille de plusieurssicles, voire millnaires. Et cette activit a lar-gement dbord du cadre strictement diplo-matique ou militaire pour investir des pansentiers de lunivers des communications civiles:procdures dauthentification, transactionsbancaires, commerce lectronique, protectionde sites et fichiers informatiques, etc.

    La cryptographie a connu beaucoupdavances au cours des dernires dcennies.Ce faisant, elle est devenue une science com-plexe, o les progrs sont gnralement le faitde spcialistes ayant reu une formation pous-se en mathmatiques et en informatique.Cette spcialisation sest manifeste ds laDeuxime guerre mondiale. On le sait aujour-dhui, le dchiffrage par les Allis des mes-

    sages cods par les fameuses machines alle-mandes Enigma a jou un rle dterminantdans ce conflit. Or cest un minent math-maticien britannique, Alan Turing, par ailleurs

    lun des pres de linformatique thorique,qui a apport une contribution essentielle ce dcryptage.

    Dans les annes 1970, la cryptographie aconnu une petite rvolution: linvention de lacryptographie cl publique , avec lamthode RSA. De quoi sagit-il ? Jusque-l, lescorrespondants voulant changer des mes-sages secrets devaient partager une cl secrte,et le risque dinterception de cette cl par len-nemi tait grand. Le protocole RSA, nomm

    ainsi daprs ses trois inventeurs (Ronald Rivest,Adi Shamir et Leonard Adleman), rsout ceproblme. Cette mthode utilise deux cls :une cl de cryptage publique elle peut treconnue de tous et une cl de dcryptage,qui reste secrte. Elle est fonde sur le prin-cipe (utilis par la suite pour protger les cartesbancaires, comme on la vu plus haut) quil estpossible de construire de grands nombres pre-miers (de cent, mille chiffres, voire plus), maisquil est extrmement difficile de retrouverles facteurs premiersp et q dun grand nombreN = p x q lorsque lon connat seulementN. Schmatiquement, la connaissance de Nrevient celle de la cl publique de cryptage,tandis que la connaissance dep et q revient celle de la cl secrte de dcryptage.

    videmment, si quelquun trouvait unemthode pour dcomposer rapidement enleurs facteurs premiers de grands nombres, leprotocole RSA deviendrait caduc. Mais il sepourrait aussi que les mathmaticiens prou-vent quune telle mthode nexiste pas, ce quirenforcerait la scurit du protocole RSA. Cesont l des sujets de recherche dcisifs.

    Les mthodes qui, comme le protocoleRSA, font intervenir de la thorie des nombreslabore, apportent une grande leon: des

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    recherches mathmatiques (sur les nombrespremiers notamment) tout fait dsintres-ses peuvent se rvler, des annes ou des

    dcennies plus tard, cruciales pour telle outelle application; et ce de manire imprvi-sible. Dans son livre Lapologie dun math-maticien, le grand thoricien des nombres bri-tannique G. H. Hardy (1877-1947), qui taitun fervent pacifiste, se targuait de travaillerdans un domaine parfaitement pur, larith-mtique, et de navoir rien fait qui puisse treconsidr comme utile . Ses travaux taient

    peut-tre inutiles son poque. Cest fauxaujourdhui.

    Courbes elliptiques: la gomtriealgbrique au service des agentssecrets

    Et cela ne concerne pas uniquement lathorie des nombres. Dautres domaines desmathmatiques, auparavant considrscomme dpourvus dapplications, contribuent la science du cryptage. Des mthodes cryp-tographiques prometteuses et fondes sur desprincipes voisins de ceux du protocole RSAsont apparues au cours des dernires annes.Il en est ainsi de la mthode dite du logarithme

    discret. Celle-ci a servi son tour concevoirdes mthodes qui sappuient sur les propri-ts des courbes elliptiques. Il ne sagit pas decourbes ayant la forme dune ellipse, mais decourbes dont ltude a dbut au XIXe siclepour rsoudre le problme difficile du calculdu primtre dune ellipse. Ces courbes, dontles coordonnes (x, y) de leurs points vrifientune quation de la formey2 =x3 + ax+ b, ont

    dintressantes proprits dont ltude faitpartie de la gomtrie algbrique, trs vastedomaine des mathmatiques actuelles. Parexemple, laide dune construction gom-

    trique approprie, il est possible de dfinirune addition entre les points dune courbe

    elliptique. Plus gnralement, les objets go-mtriques que sont les courbes elliptiques pos-sdent des proprits arithmtiques quelon continue dexplorer susceptibles derendre service la cryptographie. Cest ainsiqua t dveloppe une mthode crypto-graphique intitule logarithme discret sur lescourbes elliptiques.

    Une autre direction sest rvle rcem-ment. Au congrs international des math-maticiens Berlin en 1998, Peter Shor, deslaboratoires AT & T, obtenait le prix Nevanlinna

    Cryptage et dcryptage 17

    Le graphe de la courbe elliptique dquation y2

    = x3

    +1.Les courbes elliptiques ont une proprit remarquable: on peut addi-tionner leurs points selon le procd reprsent sur le dessin.L addition ainsi dfinie respecte les lois arithmtiques attendues,telles que (P1 + P2) + P3= P1 + (P2+ P3). Certaines mthodes modernesde cryptographie font appel aux courbes elliptiques et leurs propri-ts algbriques.

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    Pierre Perrier

    Quil sagisse de la manuvrabilit dun avion, de la tenue mcaniquedune structure complique ou de la gestion du trafic automobile,

    le progrs dans ces domaines ne vient pas uniquement des inventionspurement techniques. Il nat aussi de recherches abstraites, comme

    la thorie mathmatique du contrle.

    on comprend aisment lintrt de savoircontrler la raction dun avion ou dune fuseaux turbulences de lcoulement de lair, dedterminer la dmarche suivre en cas din-cident dans une cen-trale nuclaire, degrer le rseau dedistribution de llec-tricit en cas depannes, etc. Dans dessituations normales,

    le contrle vise optimiser quelquechose, amliorerdes performances, faire des conomiesde matriaux ou dar-gent : cest le cas lors-quon veut maintenirun satellite sur sa

    bonne orbite en uti-lisant le minimum decarburant.

    Penchons-nous sur lexemple de la gestiondes pannes dans un rseau de distributiondlectricit. Un incident tel quun court-cir-cuit ou une rupture de contact (due par

    Contrlerun monde complexe

    Le pont Vasco de Gama sur le Tage, Lisbonne. La rsistance dune structure complexe telle quun pontpeut tre contrle de faon active en plaant, en des endroits bien choisis, des dispositifs qui vont, selon lesmouvements de la structure, modifier ses caractristiques mcaniques afin de contrecarrer les effets de rso-nance. La thorie mathmatique du contrle traite de telles situations. (Clich Gamma/Gilles Bassignac)

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    exemple la chute dun pylne), un surcrotde consommation dnergie en un lieu donn,peut avoir sur le rseau une cascade de cons-

    quences. Or il nest gnralement pas possiblede raliser une tude exhaustive de tous lesincidents possibles, ni de calculer exactementchaque tape de la propagation de leffet duntel incident. Le nombre de possibilits explo-rer est gigantesque, en tout cas beaucoup troplev, mme pour les ordinateurs les plus puis-sants. On est alors conduit concevoir unmodle mathmatique qui dcrit de faon sim-

    plifie le rseau et son fonctionnement.Moyennant des essais et des calculs dampleurraisonnable, une telle modlisation permet decerner le comportement du systme, au moinsapproximativement. En retour, cela peut aider amliorer la conception des rseaux. Mais onvoudrait aussi pouvoir contrlerune situationcritique, provoque par exemple par une sur-charge localise ou rpartie sur une rgionentire. Autrement dit, on voudrait savoir quelest lenchanement des actions que le poste decommande doit effectuer afin de minimiser lesconsquences de la panne. Une telle connais-sance est-elle possible, en thorie? Existe-t-ildes stratgies de contrle optimales? Si oui,quelles sont-elles? Et ensuite, quels algorithmesfaut-il employer pour les vrifier par une simu-

    lation numrique, sur ordinateur, avant de ten-ter lessai en grandeur relle?

    Il est important de fournir un cadre dtuderigoureux ce problme de gestion des res-sources, si lon ne veut pas gaspiller lnergie,ni tre victime de coupures de courant gn-ralises. On a avec cet exemple un premiertype de problmes de contrle complexe o

    les mathmaticiens renfort de logiquemathmatique, de thorie des nombres, dethorie des probabilits, danalyse et de tho-rie du contrle apportent leur contribution.

    tout le moins, ils peuvent fournir quelquescertitudes a prioriquant lexistence dunesolution acceptable et aux moyens de lobte-

    nir solution que des expriences devrontpar la suite valider.

    Empcher les ponts de scrouler

    La complexit nest pas ncessairement rat-tache un rseau. Elle peut rsider dans lamanire dont ragit un objet, comme un pont.

    La tenue dune telle structure dpend dungrand nombre de paramtres, de son com-portement vibratoire entre autres. Comme cha-cun sait, les vibrations dun pont peuvent treprovoques par le passage de camions en fileou par le vent dune tempte. Parfois, ce ph-nomne samplifie jusqu provoquer la rup-ture de louvrage. Un pont, comme toute autrestructure mcanique, possde une srie de fr-quences de vibration caractristiques; si la per-turbation extrieure apporte de lnergie desfrquences qui correspondent aux frquencespropres de vibration, une rsonance se produitet le pont accumule de lnergie dans ses modespropres de vibration. Ceux-ci samplifient alors,tant que dure la perturbation extrieure, ettant que la structure rsiste aux contraintes

    mcaniques qui en rsultent.

    Pour contrler de tels phnomnes, il fautles comprendre, savoir les prvoir et mettre enplace des dispositifs techniques capables decontrecarrer les dangereuses rsonances. Onparle de contrle passiflorsquon calcule o ins-taller les amortisseurs qui absorberont assezdnergie avant quelle ne saccumule aux

    endroits critiques. Mais on parle de contrleactifsi, une fois reprs ces points critiques, onplace en des endroits bien choisis des disposi-tifs actifs, des actionneurs; ces derniers agiront

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    alors en fonction de lamplitude des dplace-ments des points critiques, de faon vitertoute volution dangereuse de la structure.

    Cest une analyse mathmatique du systmetudi qui dtermine les emplacements ad-quats des capteurs et actionneurs et les proc-dures de contrle les mieux adaptes.

    Malheureusement, le calcul exact du com-portement du systme en labsence de contrle,de sa sensibilit et de son aptitude tre contrlest, le plus souvent, inaccessible. La raison est

    en gnral soit la complexit mathmatique desproblmes ds quils sont non linaires (impos-sibilit de les dcomposer en somme dlmentssimples et peu prs indpendants du point devue mathmatique), soit le temps de calcul surordinateur qui serait trop long. En consquence,le contrle est souvent imparfait. Il se peut parexemple que lon russisse contrler des modesde vibration provisoirement seulement lner-gie extrieure saccumule dabord dans de nom-breux modes de vibration de faible amplitude,avant de se combiner et de resurgir dans unnombre plus petit de modes, mais avec une forteamplitude. Beaucoup reste faire pour biencomprendre ces processus et remdier leurseffets ngatifs.

    Tenir bon malgr les turbulences

    Prenons un troisime exemple: les cou-lements de fluide grande vitesse, commelcoulement de lair autour dun avion, dunefuse en dcollage, ou de leau autour dunbateau rapide. Dans ces situations, on estconfront la turbulence, cest--dire des

    mouvements complexes et instables du fluide, une perptuelle destruction et reconstruc-tion de structures si compliques quelles sem-blent relever dun dsordre total. Les turbu-

    lences peuvent gner considrablement lemouvement dun vhicule, arien ou autre.On comprend que le contrle soit ici beau-

    coup plus difficile obtenir. Mais ces pro-blmes ont une grande importance pratique.Aussi les ingnieurs ont-ils essay, par tton-nements, et en sinspirant par exemple du voldes oiseaux pour concevoir les avions, dassu-rer une certaine contrlabilit de lcoule-ment. Ils y ont partiellement russi en ren-forant notamment les bords de fuite etdattaque des ailes, en plaant des capteurs

    en des endroits peu perturbs et des action-neurs des gouvernes aux endroits sen-sibles, prs des bords de fuite.

    La thorie mathmatique du contrle apermis dans un premier temps de retrouverces rsultats empiriques. Puis elle a permis deproposer des stratgies dactions, des plansde conception qui renforcent ou diminuent,selon le cas, la sensibilit aux actions dun op-rateur humain ou aux perturbations ext-

    rieures. On en est maintenant au point diden-tifier des dispositifs lmentaires de contrleactif qui agiraient lchelle quasi microsco-pique, celle dune couche de fluide de

    Contrler un monde complexe 21

    Limage du haut montre un coulement fluide supersonique relative-ment rgulier. Dans limage du bas, laction dun petit jet de fluideinject latralement a eu pour rsultat le dveloppement dinstabilitsdans lcoulement. Une telle manipulation illustre lide que lon peutagir sur un coulement laide de petits dispositifs, notamment en vuede le contrler (Clich Erwan Collin-LEA/CEAT-Universit de Poitiers).

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    22 Lexplosion des mathmatiques

    quelques diximes de millimtre dpaisseur:par exemple de petits volets ou des micro-mcanismes permettant de dformer locale-

    ment le profil du vhicule aux points critiquesde lcoulement du fluide. En coordonnantlaction de trs nombreux micro-dispositifs dece genre, on obtiendrait, lchelle macro-scopique, un coulement fluide ayant les pro-prits souhaites. Dans le domaine ducontrle de la turbulence des fluides, desrecherches mathmatiques, allies des essaisphysiques ou techniques, vont ainsi ouvrir un

    monde de performances inimaginables il y aquelques annes; un monde o, pour obte-nir un mme effet, lnergie ou la taille desdispositifs ncessaires sera diminue de plusdun ordre de grandeur.

    La thorie du contrle met en jeu diverschamps mathmatiques, en particulierla thorie des quations diffrentielles

    Les problmes de contrle que lon a vo-qus ici peuvent concerner de banals essuie-glaces de voiture comme le lanceur spatial leplus labor. La thorie du contrle, ne dansles annes 1940-1950 en relation notammentavec les activits arospatiales, puise ses

    mthodes et ses concepts dans plusieursbranches des mathmatiques. Elle concernesurtout des quations diffrentielles (o lin-connue est une fonction) et des quations auxdrives partielles (quations diffrentielleso la fonction inconnue est une fonction deplusieurs variables), un vaste champ dtudedj ancien mais toujours trs actif. En effet,pour la plupart des systmes rencontrs dans

    le monde rel, leur comportement peut tremodlis laide dune telle quation. Un pro-blme de contrle se traduit alors par une ouplusieurs quations diffrentielles ou aux dri-

    ves partielles, qui contiennent des termesreprsentant des actions de contrle, dfiniespar lhomme. Notons globalement Cces termes

    de contrle, et f la fonction reprsentant lecomportement du systme; fest la solutiondquations diffrentielles o intervient C, etdonc fdpend de C. Le but de la thorie ducontrle est alors, en gros, de dterminer le Cadquat pour que f, le comportement du sys-tme, soit acceptable. Pour un mathmaticien,il ne sagit pas tant de le faire avec telle outelle quation particulire, mais plutt dob-

    tenir des rsultats gnraux, valables pour denombreuses classes dquations et donc appli-cables de nombreuses situations diffrentes.

    En France, la thorie du contrle figureen bonne place au sein de la brillante colede mathmatiques appliques qua su crerJacques-Louis Lions (1928-2001). Mais elleseule, une bonne cole mathmatique ne suf-fit pas. Il faut galement que ses rsultatssoient connus et appliqus par tous ceux quipourraient en avoir besoin. Do lintrt deresserrer les liens entre la communaut math-matique et les mcaniciens, les ingnieurs, leschimistes ou les biologistes.

    Pierre Perrier

    Acadmie des sciences etAcadmie des technologies, Paris.

    Quelques rfrences:

    J. R. Leigh, Control theory. A guided tour (PeterPeregrimus, Londres, 1992).

    J. Zabczyk, Mathematical control theory: an intro-

    duction (Birkhaser, 1992). J.-L. Lions, Contrlabilit exacte, perturbations et

    stabilisation de systmes distribus (Masson, 1988).

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    tienne Ghys

    Une rgle, un crayon, du carton, des ciseaux et de la colle:il nen faut gure plus pour procurer aux mathmaticiens du plaisir

    et de jolis problmes dont ltude se rvle souvent, aprs coupet de manire inattendue, utile dans dautres mtiers.

    construisons unepyramide en cartonPour cela, on com-mence par dcouperun patron SABCDEdans une feuille decarton comme indi-qu sur la figure 1,puis on plie le longdes lignes pointilleset, enfin, on colle les

    cts AS et ES.

    Le rsultat est une espce de cornet dontle sommet est le point S et dont le bord est unquadrilatre ABCD. Cet objet est flexible. Sion le tient dans la main, le quadrilatre ABCDpeut se dformer et souvrir plus ou moins : laconstruction nest pas trs solide. Pour com-plter la pyramide, il faut encore dcouper un

    carr en carton et le coller sur le quadrilatrepour former la base. Aprs cette opration, lapyramide est solidifie, rigidifie. Si on la posesur une table, elle ne scroule pas. Si on la

    prend dans la main et si on essaye de la dfor-mer (avec douceur!), on ny parvient pas, moins de dformer les faces en carton. Demme, un cube en carton est rigide commetout le monde la souvent constat. Quen est-il pour unpolydre plus gnral, possdantpeut-tre des milliers de faces? La gode de

    la Villette, Paris, est-elle rigide? Cette der-nire question laisse entrevoir que le sujet dela rigidit et de la flexibilit nest peut-trepas seulement thorique!

    Le thorme du soufflet

    Figure 1. La construction dune pyramide en carton. Dpourvu de la base ABCDA, cet objet est flexible.

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    Un problme encore dactualit et quiremonte lAntiquit

    Le problme de la rigidit de ce typedobjets est trs ancien. Euclide en avait pro-bablement connaissance. Le grand math-maticien franais Adrien-Marie Legendre syest intress vers la fin du XVIIIe sicle et ena parl son collgue Joseph-Louis Lagrange;lequel suggra son tour au jeune Augustin-Louis Cauchy dtudier cette question en1813. Ce sera le premier rsultat marquant

    du baron A.-L. Cauchy, qui deviendra par lasuite lun des plus grands mathmaticiens deson sicle.

    Cauchy sest intress aux polydresconvexes, cest--dire aux polydres qui nontpas dartes rentrantes. Par exemple, la pyra-mide que nous avons construite ou le ballon

    de football sont convexes, tandis que lob-jet dessin droite de la figure 2 ne lest pas.

    Le thorme tabli par Cauchy est le sui-vant: tout polydre convexe est rigide. Celasignifie que si lon construit un polydreconvexe avec des polygones indformables(en mtal par exemple) ajusts par des char-nires le long de leurs artes, la gomtrieglobale de lensemble empche les jointuresde jouer. Le cornet que nous avons construitest flexible mais cela ninvalide pas le tho-rme : il lui manque une face, et cest la der-nire face qui rigidifie la pyramide

    Faire des mathmatiques, cest dmontrerce quon affirme! Or la dmonstration deCauchy est superbe (mme si certains ont faitremarquer par la suite quelle tait incomplte).

    Il nest malheureusement pas question dans cepetit article de donner une ide de cette preuve,mais jaimerais en extraire un lemme , cest--dire une tape dans la dmonstration.

    Posons sur le sol une chane constitue dequelques barres mtalliques assembles bout bout, comme sur la figure 3. En chacun desangles de cette ligne polygonale, bougeons les

    deux barres de faon diminuer langle corres-pondant. Alors, les deux extrmits de la chanese rapprochent. Cela vous semble vident?Essayez de le dmontrer

    24 Lexplosion des mathmatiques

    Augustin-Louis Cauchy (1789-1857), lun des grands mathmati-ciens de son poque. (Clich Archives de l'cole polytechnique)

    Figure 2. Un polydre convexe et un polydre toil, non convexe.

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    Pendant longtemps,beaucoup de mathmaticiensse sont demand si lespoly-

    dres non convexes taientgalement rigides. Peut-ontrouver une preuve de la rigi-dit qui nutiliserait pas lhy-pothse de convexit? Lesmathmaticiens aiment lesnoncs dans lesquels toutesles hypothses sont utiles pourobtenir la conclusion. Il a fallu

    attendre plus de 160 ans pourconnatre la rponse dans cecas particulier.

    En 1977, le mathmaticien canadienRobert Connelly cra la surprise. Il a construitun polydre (assez compliqu) qui est flexible,bien sr non convexe pour ne pas contrarierCauchy! Depuis, sa construction a t quelquepeu simplifie, en particulier par Klaus Steffen.Je prsente dans la figure 4 un patron quipermettra au lecteur de construire le flexi-dron de Steffen. Dcoupez, pliez le long deslignes. Les lignes en continu sont des artessaillantes et les lignes en pointill correspon-dent aux artes rentrantes. Collez les bordslibres de la manire vidente. Vous obtien-

    drez une espce de Shadok et vous verrez quilest effectivement flexible (un peu).

    Le volume dun polydre varie-t-illorsquon le dforme?

    lpoque, les mathmaticiens furentenchants par ce nouvel objet. Un modlemtallique fut construit et dpos dans la sallede th de lInstitut des hautes tudes scienti-fiques, Bures-sur-Yvette prs de Paris, et lonpouvait samuser faire bouger cette chose vrai dire pas trs jolie, et qui grince un peu.Lhistoire raconte que Dennis Sullivan eut lidede souffler de la fume de cigarette lint-

    rieur du flexidron de Connelly et quil constataquen faisant bouger lobjet, aucune fumene sortait Il eut donc lintuition que quandle flexidron se dforme, son volume ne variepas! Lanecdote est-elle vraie? Quoi quil ensoit, Connelly et Sullivan conjecturrent quelorsquun polydre se dforme, son volumeest constant. Il nest pas difficile de vrifiercette proprit dans lexemple particulier du

    flexidron de Connelly ou encore pour celui deSteffen (au prix de calculs compliqus maisdpourvus dintrt). Mais la conjecture enquestion considre tous les polydres, y com-

    Le thorme du soufflet 25

    Figure 3. Si lon diminue les angles que font les segments entre eux,les extrmits de la chane de segments se rapprochent.

    La gode de la Villette, la Cit des sciences Paris, est un polydre convexe form de 1730facettes triangulaires. La rigidit des polydres articuls donne lieu un joli problme math-matique qui a t rsolu seulement en 1997. (Clich Cosmos/R. Bergerot)

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    pris ceux qui nont jamais t construits enpratique ! Ils ont appel cette question la conjecture du soufflet : le soufflet au coin

    du feu jecte de lair quand on le presse; autre-ment dit, son volume diminue (et cestdailleurs sa fonction). Bien sr, un vrai souf-flet ne rpond pas au problme de Connellyet Sullivan: il est en cuir et ses faces se dfor-ment constamment, contrairement nospolydres aux faces rigides.

    En 1997, Connelly et deux autres math-

    maticiens, I. Sabitov et A. Walz, ont finalementrussi prouver cette conjecture. Leur dmons-tration est grandiose, et illustre une fois deplus les interactions entre toutes les parties desmathmatiques. Dans cette question mi-nemment gomtrique, les auteurs ont utilisdes mthodes trs fines dalgbre abstraitemoderne. Il ne sagit pas dune dmonstrationque Cauchy aurait pu trouver : les tech-niques mathmatiques de lpoque taientinsuffisantes. Je voudrais rappeler une formuleque lon apprenait autrefois lcole secon-daire. Si les longueurs des cts dun trianglesont a, b et c, on peut calculer facilement lasuperficie du triangle. Pour cela, on calcule

    dabord le demi-primtrep = (a + b + c)/2 etensuite on obtient la superficie en extrayantla racine carre dep(p - a)(p - b)(p - c). Cette

    jolie formule porte le nom du mathmaticiengrec Hron et nous vient de la nuit des temps.Peut-on calculer, de faon analogue, le volumedun polydre si lon connat les longueurs deses artes? Nos trois mathmaticiens contem-porains ont montr que oui.

    Ils partent dun polydre construit par-tir dun patron form dun certain nombre de

    triangles et ils appellent l1, l2, l3, etc. les lon-gueurs des cts de ces triangles (ventuelle-ment trs nombreux). Ils trouvent alors quele volume Vdu polydre doit satisfaire unequation du ne degr, cest--dire une qua-tion de la forme a0 + a1V+ a2V2 ++ anVn = 0.Le degr n dpend du patron utilis et lescoefficients de lquation (a0, a1, etc.) dpen-dent explicitement des longueurs des cts l1,l2, l3, etc. Autrement dit, si lon connat lepatron et les longueurs des cts, on connatlquation. Si le lecteur se souvient quunequation a en gnral une solution lorsquelleest du premier degr, deux solutions lors-quelle est du second degr, il pourra deviner

    quune quation de degr n nagure que n solutions.

    Conclusion : si lon connat lepatron et les longueurs, on neconnat pas ncessairement levolume, mais on sait au moinsque ce volume ne peut prendrequun nombre fini de valeurs.Lorsque le flexidron se dforme,son volume ne peut donc pasvarier continment (sinon, le

    volume prendrait une infinit devaleurs successives); ce volumeest bloqu et la conjecturedu soufflet est tablie

    26 Lexplosion des mathmatiques

    Figure 4. La patron du flexidron de Steffen.

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    Bernard Prum

    Les dveloppements de la biologie moderne, et notamment ceuxde la gntique molculaire, exigent de nouveaux outils

    mathmatiques. Exemple avec la statistique et son rle dansla recherche dun gne li au cancer du sein.

    dinnombrables maladies ont une com-posante hrditaire: le risque dtre atteintest plus ou moins lev chez un individu selonquil est porteur ou non dun gne dit desus-ceptibilit la maladie en question. Cest pour-quoi la gntique daujourdhui cherche comprendre le rle des diffrents gnes, et enparticulier leur rle dans ltiologie des mala-dies dans lespoir de mettre au point unjour une thrapie. Prenons comme exemple

    le cancer du sein qui, en France, touche outouchera environ une femme sur huit. ctde divers facteurs de risque (alimentation,tabac, exposition aux radiations, etc.), on aidentifi il y a quelques annes un gne dontles mutations sont impliques dans un pour-centage lev de femmes atteintes dun telcancer. Ce gne a t baptis BRCA1 (pourbreast cancer 1). Un tel rsultat, de nature bio-

    mdicale, na pu tre obtenu que par une suc-cession danalyses statistiques qui, nous allonsle voir, ont permis de localiser le gne de faonde plus en plus prcise.

    Trouver un gneresponsable de cancer

    Dans cette mammographie en fausses couleurs, une tumeur cancreu-se est visible en rose. Une partie des recherches sur les cancers du seinsont consacres leur aspect gntique. La thorie des statistiques y joueun rle capital. (Clich Kings College School/SPL/Cosmos)

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    La gntique a longtempsignor la nature matrielle desgnes. Ce nest que depuis une

    vingtaine dannes que lon aaccs massivement auxsquences dADN, la chanemolculaire qui matrialise lin-formation gntique transmisedes parents aux enfants. Pourautant, lignorance de la com-position chimique des gnes nanullement empch dobtenir

    des rsultats fins sur lhrditde tel ou tel trait.

    La premire question que lon se pose face une maladie comme le cancer du sein est: est-ce une maladie gntique, existe-t-il desgnes qui prdisposent cette maladie? . Pourles cancers, la rponse a longtemps t incer-taine. On sattend une rponse positive si lonconstate des concentrations familiales de lamaladie, si lon peut attribuer la fille ou lasur dune femme atteinte un risque plusgrand que celui encouru par lensemble de lapopulation. Et pendant longtemps, le statisti-cien gnticien a eu pour donnes de base despedigrees comme celui de la figure 1.

    Que faire dun tel pedigree ? On sait,presque depuis Mendel, quun caractre hr-ditaire est souvent dtermin par un gne pouvant prendre plusieurs formes, appeles sesallles. Chaque individu hrite un allle de sonpre et un allle de sa mre; il transmet cha-cun de ses enfants lun de ces deux allles auhasard. Le gnticien propose alors, pour latransmission de la maladie tudie, un modle,

    qui suppose lintervention de certains gnes etallles. Ce modle, le statisticien doit le valider laide de tests statistiques appropris, qui per-mettront par exemple dliminer les hypothses

    les plus simples, comme: la maladie tudiena aucune composante gntique .

    Dans le cas de plus en plus tudi des mala-dies tiologie complexe (cas du cancer dusein), o interviennent des facteurs denvi-ronnement ou bien dont lincidence dpendde lge, il convient de traiter des donnesqui dpendent du temps; on doit alors faireappel lastatistique des processus. Cest unebranche mathmatique labore, qui sappuieen grande partie sur les rsultats obtenus parlcole franaise de probabilits des annes1980 (P. A. Meyer, J. Jacod) et ceux de statis-tique dus lcole scandinave.

    Des statistiques pour dterminer lechromosome porteur du gne

    Une fois tablie par lanalyse des pedi-grees lexistence dun gne de susceptibilitau cancer du sein, la seconde tape consiste le localiser, au moins grossirement, sur lundes 23 chromosomes humains. Pour cela, on

    dispose depuis les annes 1980 de marqueurs ;ce sont de petites chanes dADN bien dter-mines que lon peut lire moindre cot,disons par une analyse chimique rapide. Balises

    Trouver un gne responsable de cancer 29

    Figure 1. Une famille o lon observe une concentration de cancers du sein. Les carrs indi-quent les hommes, les cercles les femmes. Un individu est indiqu en noir sil est atteint,barr sil est dcd. On constate que la grand-mre, une de ses filles et trois de ses petitesfilles ont eu un cancer. Bien sr, chez dautres membres de la famille, la maladie peut encorese dclarer. Cest partir de tels pedigrees que les gnticiens sont conduits supposer lexis-

    tence de gnes de susceptibilit la maladie.

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    du reste? Il savre que le style dans lequelsont crits les gnes diffre du style interg-nique: les frquences de successions de lettres

    ne sont pas les mmes. On peut chercher exploiter cette diffrence de style pour anno-terla squence et distinguer les gnes de lapartie intergnique. Le dfi est ardu. On doitfaire appel des modles statistiques appelschanes de Markov caches et dvelopps dansles annes 1980, en liaison notamment avecdes problmes de reconnaissance automatiquede la parole ; ils ont d tre adapts la gno-

    mique, en mme temps que lon mettait aupoint des algorithmes capables la fois decaractriser les diffrents styles et dattribuerun style chaque position sur le chromosome.

    Cest ainsi que lon a fini par localiser pr-cisment BRCA1. On peut dsormais le lirefacilement chez chaque malade. Ce gne desusceptibilit au cancer du sein compte 5592lettres et lon en connat plus de 80 allles.Reste un nouveau travail pour le statisticien:tablir les relations entre les divers allles etla prvalence de ce cancer.

    La biologie offre aux mathmatiquesun nouveau terrain daction

    Lexemple du gne BRCA1 le suggre, labiologie jouera probablement vis--vis desmathmatiques le rle dtenu par la physiqueau cours dune bonne partie du XXe sicle:offrir un champ dapplication aux outils tho-riques rcents et susciter llaboration de nou-veaux outils (nous avons voqu ici les outilsstatistiques, mais on pourrait voquer dautres

    domaines des mathmatiques comme les sys-tmes dynamiques, loptimisation, jusqu lagomtrie la conformation spatiale desmolcules joue, on le sait, un rle essentiel

    dans leur fonction). Un nouveau dfi estaujourdhui lanc au statisticien: on est actuel-lement capable de placer quelques milliers de

    ractifs sur une surface de verre dun centi-mtre carr (les puces ) et de savoir ainsiquels gnes travaillent dans quels tissus, dansquelles conditions exprimentales ou dansquelles cellules cancreuses. Les mesures effec-tues en laboratoire, selon des centaines deconditions diverses, fournissent aux chercheursun nombre considrable de donnes num-riques, qui caractrisent lexpression de mil-

    liers de gnes. ce jour, seules des analysesstatistiques peuvent prtendre les traiter etprciser ainsi les liens entre gnes et maladies.

    Bernard PrumLaboratoire Statistique et Gnome

    (UMR CNRS 8071),La Gnopole, Universit dvry

    Trouver un gne responsable de cancer 31

    Quelques rfrences:

    B. Prum, Statistique et gntique dansDevelopment of Mathematics 1950-2000

    (sous la dir. de J.-P. Pier, Birkhuser, 2000). C. Bonati-Pelli, F. Doyon et M. G. L, O en est lpidmiologie du cancer en lan2001 , Mdecine-Science, 17, pp. 586-595 (2001).

    F. Muri-Majoube et B. Prum, Une approchestatistique de lanalyse des gnomes , Gazettedes mathmaticiens, n 89, pp. 63-98(juillet 2001).

    B. Prum, La recherche automatique des

    gnes , La Recherche, n 346, pp. 84-87 (2001). M. S. Waterman, Introduction to computational

    biology(Chapman & Hall, 1995).

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    Stphane Mallat

    Quelles soient stockes numriquement dans des mmoiresinformatiques ou quelles voyagent travers Internet,

    les images occupent beaucoup de place. Heureusement, il est possiblede les condenser sans altrer leur qualit !

    une image numrise se comprime, toutcomme un jus dorange que lon rduit quelques grammes de poudre concentre. Ilne sagit pas dun tour de passe-passe, maisde techniques mathmatiques et informa-tiques permettant de rduire la place occupepar une image dans un ordinateur ou dans un

    cble de communication. Elles sont aujour-dhui indispensables pour stocker de linfor-mation ou la transmettre par Internet, tl-phone, satellite ou autre.

    La compression dune image revient reprsenter celle-ci laide dun nombre rduitde paramtres, en liminant les redondances.Un exemple caricatural aidera comprendrelide de principe: dans le cas dune imageuniformment blanche, il est inutile de prci-ser explicitement pour chacun de ses points le

    niveau de gris correspondant; cela serait beau-coup plus long que dnoncer: tous les pointsde limage sont blancs . Le problme de lareprsentation est un sujet central en math-

    Des ondelettespour comprimer une image

    Figure 1. Ces trois images illustrent la puissance des mthodes de compression actuelles. Limage originale (A) est constitue de 512 x 512 points,chacun deux ayant un certain niveau de gris, pris dans une palette de 256 niveaux. Limage (B) est le rsultat dune compression par un facteur8, ralise en rduisant les niveaux de gris 2 valeurs possibles seulement (noir ou blanc). Limage (C) a t obtenue de (A) par une compressiondun facteur 32 en utilisant une base dondelettes. La diffrence de qualit avec limage initiale est peine perceptible. (Illustration auteur)

    A B C

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    matiques, et ses applications vont bien au-del de la compression de donnes. Durantces dix dernires annes, des avances consi-

    drables ont eu lieu grce au dveloppementde la thorie des ondelettes. Dans le domainedu traitement dimages, ces progrs ont abouti ladoption du nouveau standard de com-pression JPEG-2000. Cette histoire a de nom-breux mandres, qui illustrent bien le rle desmathmatiques dans le paysage scientifiqueet technologique moderne.

    Trente-deux fois moins de place grceaux ondelettes

    Considrons une image comme celle de lafigure 1A. Elle est constitue de 512 x 512points, dont les niveaux de gris peuvent varierde 0 (noir) 255 (blanc). Chacun des 256 niveauxde gris possibles peut tre reprsent par unoctet, cest--dire un nombre binaire constitude 8 bits (un octet est donc simplement unesuite de 8 chiffres 0 ou 1, comme 11010001).Il faut donc 512 x 512 x 8 = 2097152 bits pourcoder une seule image de ce genre, ce qui estbeaucoup! Premire ide qui vient lespritpour rduire le nombre de bits: diminuer lenombre de niveaux de gris, par exemple en se

    limitant du blanc ou du noir, comme dans lafigure 1B. Les deux valeurs possibles du niveaude gris se codent avec un seul bit (valant 0 ou1), et lon a ainsi diminu le nombre de bits par8. videmment, la qualit de limage sest beau-coup dgrade. Regardez maintenant limagede la figure 1C. Elle est code avec 32 fois moinsde bits que limage originale, par une mthodeutilisant la thorie des ondelettes; pourtant,

    la dgradation est peine perceptible !Pourquoi? Parce quau lieu de rduire la pr-cision, cest la manire de reprsenter linfor-mation qui a ici t change.

    Au commencement tait lanalyse deJoseph Fourier

    Comme on la dit, limage numrise estdfinie par les 512 x 512 nombres qui spci-fient lintensit lumineuse en chaque point.On peut donc interprter cette image commeun point dans un espace 512 x 512 dimen-sions de la mme faon quun point sur unesurface, espace deux dimensions, peut trerepr par deux coordonnes et se deman-der quels sont les axes de coordonnes les plus

    appropris pour reprsenter un tel point. Unsystme daxes (ici de nature plus abstraiteque les axes familiers de la gomtrie l-mentaire) dfinit ce que lon appelle une base.

    Une premire avance fondamentale at ralise par le mathmaticien-physicienJoseph Fourier en 1802, dans son mmoire lAcadmie des Sciences sur la propagation dela chaleur, sujet a priorisans relation avecnotre problme. Fourier a notamment mon-tr que, pour reprsenter de faon compacteet commode une fonction f(x) (du point devue mathmatique, une telle fonction est unpoint dans un espace ayant une infinit dedimensions), on peut utiliser des axes construits laide dun ensemble infini de

    fonctions sinusodales. En des termes un peuplus prcis: Fourier a montr que lon peutreprsenter une fonction f(x) par une sommedune infinit de fonctions sinus et cosinus dela forme sin (ax) ou cos (ax), chacune affectedun certain coefficient.

    Ces bases de Fourier sont devenues unoutil essentiel, dusage extrmement frquent

    dans les sciences, car elles servent repr-senter de nombreux types de fonctions, doncde nombreuses grandeurs physiques. En par-ticulier, on les utilise aussi pour reprsenter

    Des ondelettes pour comprimer une image 33

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    des sons ou des images. Et pourtant, les ing-nieurs savent bien que ces sinusodes sont loindtre idales pour des signaux aussi complexes

    que des images: elles ne reprsentent pas effi-cacement des structures transitoires telles queles contours de limage.

    puis est venue la transforme enondelettes

    Les spcialistes du traitement des signaux

    ntaient pas les seuls prendre consciencedes limitations des bases de Fourier. Dans lesannes 1970, un ingnieur-gophysicien fran-ais, Jean Morlet, sest rendu compte quellesntaient pas le meilleur outil mathmatiquepour explorer le sous-sol; cela conduisit lunedes dcouvertes dans un laboratoire dElf-Aquitaine de la transforme en ondelettes.Cette mthode mathmatique, fonde sur unensemble de fonctions de base diffrentes desfonctions sinusodales utilises dans la mthodede Fourier, remplace avantageusement la trans-forme de Fourierdans certaines situations.Par ailleurs, ds les annes 1930, les physiciensstaient rendu compte que les bases de Fourier

    ntaient pas bien adaptes pour analyser lestats dun atome. Cela a t lorigine denombreux travaux qui ont, ultrieurement,

    beaucoup apport la thorie des ondelettes.Cest aussi vers les annes 1930 que des math-maticiens se sont mis tenter damliorer lesbases de Fourier pour analyser des structuressingulires localises, ce qui a ouvert un impor-tant programme de recherche toujours trsvivant. Autrement dit, une multitude de com-munauts scientifiques ont dvelopp, avecles moyens du bord, des modifications des

    bases de Fourier. Dans les annes 1980, YvesMeyer, un mathmaticien franais, a dcou-vert les premires bases dondelettes ortho-gonales (lorthogonalit dsigne une propritqui facilite beaucoup les raisonnements et lescalculs; les bases de Fourier sont galementorthogonales). Cette dcouverte, suivie dequelques rencontres inopines autour de pho-tocopieuses ou de tables de caf, ont dclen-ch en France un vaste mouvement scienti-fique pluridisciplinaire, dont limpactinternational fut considrable. Les applica-tions de la thorie et des algorithmes don-delettes ont fait leur chemin non seulementdans de nombreux domaines scientifiques et

    technologiques, mais sont aussi lorigine de la cration de plusieurs

    entreprises aux tats-Unis.

    Les mathmatiques desondelettes ont jou un rlede pivot dans nombre dedomaines

    Les mathmatiques ont eu ici

    un rle fondamental, la fois decatalyse, de nettoyage et dappro-fondissement. En dgageant lesconcepts fondamentaux des appli-

    34 Lexplosion des mathmatiques

    Figure 2. Le graphe dune ondelette utilise dans la compression dimages.

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    cations spcifiques, elles ont permis desscientifiques de domaines trs divers enphysique, en traitement du signal, en infor-

    matique, etc. de se rendre compte quilstravaillaient sur le mme outil. Aller au-del,affiner ces outils, contrler leurs perfor-mances: ce sont les travaux mathmatiquesmodernes sur lanalyse de Fourier qui ontrendu tout cela possible. Enfin, cette thoriea donn une technique standard de calculscientifique (la transforme en ondelettesrapide) grce une collaboration entre

    mathmaticiens et spcialistes du traitementdes signaux. Limage de la figure1C a ainsi tobtenue grce aux mmes bases dondelettesque celles utilises en statistique, en sismique,ou en calcul scientifique, avec le mme algo-rithme rapide. Et travers le standard inter-national JPEG-2000 pour la compressiondimages, ces ondelettes envahissent actuel-lement tous les domaines de limage, delInternet aux appareils photos numriques,et se dirigent vers les satellites.

    Un pont reste construire entre lemonde des ondelettes et le monde dela gomtrie

    Les bases de Fourier ntaient pas bienadaptes lanalyse des phnomnes transi-toires, tandis que les bases dondelettes lesont. Est-ce la fin de lhistoire? Non. En trai-tement dimages, comme dans tous les autresdomaines o les ondelettes sont devenues unoutil de base, chacun bute actuellement surle mme type de problme: exploiter les rgu-larits gomtriques. En effet, on sait quune

    image, mme complexe, est remarquablementbien reprsente par un simple dessin com-pos de relativement peu de traits, et lonpeut souvent assimiler les contours des objets

    figurant dans limage des courbes gom-triques assez simples. Mettre profit cescourbes et leur rgularit devrait donc per-

    mettre damliorer considrablement les rsul-tats obtenus jusqu prsent; mais la thoriedes ondelettes nen est pour linstant pascapable. Construire ce pont avec le monde dela gomtrie pose des problmes mathma-tiques difficiles. Cependant, lenjeu scienti-fique et industriel tant important, on peutsattendre ce quil soit construit dans les dixannes venir. En France?

    Stphane MallatDpartement de mathmatiques appliques,

    cole polytechnique, Palaiseau

    Des ondelettes pour comprimer une image 35

    Quelques rfrences:

    B. B. Hubbard, Ondes et ondelettes - La saga dunoutil mathmatique(Pour la Science/Belin, 1995).

    S. Mallat, Une exploration des signaux en ondelettes(cole polytechnique/Ellipses, 2000).

    Y. Meyer, Ondelettes et algorithmes concurrents(Hermann, 1992).

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    Daniel Bouche

    Comment chapper la dtection par un radar?Quelle est la forme optimale dun mur anti-bruit?

    Peut-on amliorer les images chographiques?Pour recevoir une rponse satisfaisante, ces questions demandent

    des analyses thoriques pousses.

    quest-ce quune onde? Bien malin celuiqui saurait donner une rponse la fois pr-cise et unique cette question! Pourtant, lesondes sont omniprsentes et constituent lequotidien dun grand nombre de scientifiqueset dingnieurs. En termes un peu vagues etintuitifs, on peut dire quune onde est la pro-pagation dun signal, dune perturbation, dansun certain milieu, une vitesse identifiable.

    Les exemples ne manquent pas. Il y a bien

    sr les vaguelettes que lon peut crer la sur-face de leau en y jetant un petit caillou; ici,cest une perturbation de la hauteur de leauqui se propage. La distance entre deux vague-lettes successives est la longueur donde, unegrandeur fondamentale dans la descriptiondes phnomnes ondulatoires. Les ondessonores, elles, mettent en jeu des variationsde la pression et de la densit du milieu

    ambiant (lair le plus souvent), ces variationsse produisant des frquences audibles. Lesondes acoustiques sont de mme nature, etenglobent la fois les ondes sonores et celles

    que loreille ne peroit pas. Lorsquelles se pro-pagent au sein dun solide, on parle pluttdondes lastiques, dont font partie les ondessismiques qui traversent lintrieur de notreplante et que dtectent les sismographes.

    Le cas des ondes lectromagntiques estparticulirement important. Ce sont des varia-tions de champs lectrique et magntique, quise propagent dans le vide la vitesse de lalumire. La lumire visible, les infrarouges, les

    ultraviolets, les rayons X, les rayons gamma,les micro-ondes, les ondes radio, les ondesradar, tous ces phnomnes sont des ondeslectromagntiques. Ce qui les distingue, cestleur frquence, ou encore leur longueurdonde (quelques fractions de micromtre pourla lumire visible, encore moins pour les ultra-violets et les rayons X et gamma, quelquescentimtres quelques centaines de mtres

    pour les ondes radar et radio).

    Ltude du comportement des ondes sertnon seulement comprendre la nature qui

    Empcher les ondesde faire du bruit

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    nous entoure, mais aussi matriser quantitde techniques, et a fortiori crer de nou-velles inventions pointues. Le comportement

    des ondes lumineuses touche tout le domainedes instruments optiques, quil sagisse dob-jectifs photographiques, de microscopes,dappareils de tlmtrie, etc. On peut pen-ser aux ondes radar et leurs applicationsmilitaires, la conception dengins militairesfurtifs, cest--dire qui chappent autant quefaire se peut la dtection par les radars.Quant aux ondes acoustiques, on peut vo-

    quer la conception de salles de concert ayantune acoustique optimale, de matriaux oude structures absorbant le bruit, de disposi-tifs anti-bruit actifs (cest--dire qui mettentdes ondes sonores opposes celles du bruit,pour neutraliser celui-ci), dappareils dcho-graphie ou de destruction de calculs rnaux,dappareils de contrle non destructif (dtec-tion de dfauts dans des pices davions parexemple), etc.

    Des quations connues, maisdifficiles rsoudre avec prcision

    Les quations qui rgissent les diffrentstypes dondes sont bien connues depuis long-temps. Ainsi, celles relatives aux ondes lec-tromagntiques ont t tablies par le physi-cien cossais James Clerk Maxwell il y a plusdun sicle, vers 1870. Mais il ne suffit pas deconnatre les quations auxquelles obit uneonde radar, par exemple, pour savoir com-ment cette onde va se propager, interagir avec

    lobstacle constitu par un avion ou unautre objet que lon cherche dtecter et localiser et se rflchir partiellement verslantenne radar qui la mise. Il faut en effetpouvoir rsoudre ces quations, dont lin-connue est le champ ondulatoire, cest--direles amplitudes de londe en chaque point delespace et tout instant. Ce nest pas du toutfacile. Il sagit dquations aux drives par-tielles (o interviennent lamplitude inconnuede londe et ses drives par rapport aux coor-

    donnes spatiales et au temps), quelon doit complter par des condi-tions aux limites . Celles-ci spcifientmathmatiquement des donnesessentielles comme le champ ondula-toire linstant initial, la forme de lobs-

    tacle et la faon dont londe se com-porte sa surface (rflexion,absorption, etc.), la manire dont lam-plitude de londe dcrot trs grandedistance de la source et de lobstacle.

    La rsolution de ce type de pro-blmes, o londe est diffracte (dvie,modifie) par des objets, est complexe;

    elle ncessite des outils mathmatiques,certains simples et connus depuis long-temps, dautres beaucoup plus labo-rs et encore en dveloppement. Plus

    Empcher les ondes de faire du bruit 37

    Le Petit duc est un drone (petit avion tlcommand) que dveloppe Dassault

    Aviation. Cest un appareil furtif: sa forme et ses matriaux sont choisis de manire ce quil soit difficile dtecter par les ondes radar. Ce choix seffectue sur la basede calculs compliqus portant sur la propagation dondes; dans certains cas, laprcision de tels calculs laisse dsirer et fait lobjet de recherches soutenues (ClichDassault Aviation).

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    gnralement, dailleurs, les quations auxdrives partielles reprsentent une branchetrs importante des mathmatiques, qui fait

    lobjet de recherches actives depuis plus dedeux cents ans. Une fois les quations et leursconditions aux limites tablies, lune des pre-mires tches du mathmaticien consiste for-muler le problme en termes rigoureux et dmontrer que les quations ont une solution,et que si cest le cas, la solution est unique(autrement, cela signifierait que le problmeest mal pos, que la modlisation est incom-

    plte). Une telle tude peut tre ardue, et onne sait pas toujours la mener bien; mais ellepermet de sassurer que lon ne se lancera pasen vain dans des calculs de rsolution!

    Lanalyse mathmatique permet deformuler rigoureusement le problmeet de mettre au point des mthodes dersolution efficaces

    Il sagit ensuite de proposer des mthodesefficaces pour rsoudre, avec une prcisionsuffisante, le problme pos. La rsolution diteanalytique, o lon obtient un rsultat exactet gnral, exprim par une formule compacte,est gnralement hors de porte, sauf cas

    exceptionnels et trs simples. Le scientifiqueou lingnieur doit se contenter dune rso-lution numrique ralise par ordinateurcar les calculs ncessaires sont trs volumineux qui donne le rsultat sous forme de valeursnumriques (des nombres), valables avec unecertaine approximation. Dimportantes diffi-cults apparaissent ici aussi.

    Ainsi, dans les problmes mettant en jeula diffraction dondes par des objets, le milieude propagation est souvent illimit: londepeut aller jusqu linfini. Or pour que la solu-

    tion du problme soit unique, il faut imposerune condition dite de rayonnement qui sp-cifie comment lamplitude de londe dcrot

    au fur et mesure quelle sloigne. Cettecondition nest pas simple imposer numri-quement. Lune des solutions proposesconsiste transformer lquation aux drivespartielles dorigine en une quation intgrale(quation o les fonctions inconnues appa-raissent dans des intgrales); lavantage decette formulation est quelle satisfait auto-matiquement la condition de rayonnement.

    Cest dans les annes 1960 quont t critsles premiers programmes informatiques de

    rsolution par quations intgrales. Ils ne per-mettaient de calculer que la diffraction pardes objets petits par rapport la longueurdonde; de plus, ils donnaient souvent des

    38 Lexplosion des mathmatiques

    Un problme typique de propagation dondes: une source S met uneonde radar, lumineuse, acoustique ou autre (en rouge sur la figure)de longueur donde bien dfinie; londe se rflchit partiellement (enbleu et vert sur la figure) sur les deux obstacles prsents O1 et O2;quelle va tre lamplitude de londe rsultante en chaque lieu, parexemple au niveau dun dtecteur plac en S? La rsolution de ce pro-blme difficile doit prendre en compte le type dondes mises, leur lon-gueur donde, la forme des obstacles, le matriau dont ceux-ci sontconstitus, etc.

  • 8/10/2019 L'explosion des Mathmatiques

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    rsultats aberrants, faute dune analyse math-matique suffisante. La comprhension desproblmes rencontrs et leur rsolution ont

    permis, partir de la fin des annes 1980, decalculer avec de plus en plus de prcision ladiffraction dune onde par des objets de plusen plus grands par rapport la longueurdonde. Les recherches se prolongent aujour-dhui dans divers domaines: choix de la for-mulation intgrale la mieux adapte au pro-blme, techniques numriques pour rsoudrelquation. En particulier, les mthodes dites

    multipolaires ont permis daugmenter nota-blement la taille des problmes traitables. Cestravaux ont contribu la ralisation doutilslogiciels fiables, capables de calculer avec pr-cision le champ ondulatoire diffract par desobjets de taille atteignant plusieurs dizainesde fois la longueur donde. Cest, notamment,le cas dun avion dans le champ dun radar delongueur donde mtrique.

    Une mthode concurrente de la formula-tion en quations intgrales consiste rsoudredirectement lquation aux drives parti