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1 LHASSA LA MÉMOIRE CONFISQUÉE Recherches et écriture: LEPAC / Virginie Vaillant Réalisation : Laurène L'Allinec Graphisme : Frédéric Lernoud Diffusion sur Arte le 29.03.2008 à 20:00 Diffusion sur TV5 le 10.05.2008 à 07:45 Aujourd'hui, le Dessous des Cartes s'ouvre au travail d'une voyageuse, Virginie Vaillant, qui a pu, yeux grands ouverts, marcher dans les rues de Lhassa, la capitale du Tibet. Son carnet de voyage, composé d'images, de plans de la ville, de dessins permet de saisir la géographie spirituelle de cette ville, dont l'urbanisme est lentement, volontairement, systématiquement transformé par l'occupant chinois. 1. Place Tien An Men, Pékin le 1er octobre 1999 C’est le jour du 50ème anniversaire de la révolution communiste. Pour l’occasion, il y a là les portraits de Mao Tse Tung mais aussi de Sun Yat-sen ; et à leurs pieds, déposés comme des tributs à l’empereur, autant de chars de parade que de provinces chinoises. 2. Le Tibet, porte drapeau de la Chine Seul un char porte le drapeau national chinois, c’est celui de la région autonome du Tibet. Autrement dit : Sur le toit du monde, il y aurait la Chine, dont le Tibet ne serait qu’une province. 3. Le Tibet une province chinoise D’ailleurs, les atlas entérinent, sans nuance, l’annexion du Tibet dans le découpage administratif chinois. 4. Le Tibet historique La région autonome du Tibet ne couvre pas en réalité la moitié de l’aire tibétaine. Car le sentiment d’être Tibétain ne renvoie pas à un Etat-nation avec des frontières, mais à une communauté, dont la mémoire et la culture se sont façonnées à partir du bouddhisme tibétain. 5. Le Bouddhisme tibétain Aujourd’hui plus que jamais, être Tibétain c’est être bouddhiste et le pèlerinage, une manière de l’affirmer et même de résister. 6. Le Jokhang, symbole de l’histoire tibétaine Le temple du Jokhang a été construit par Songsten Gampo, le roi qui unifia le Tibet au 7ème siècle. Il y introduisit le bouddhisme et fit de Lhassa sa capitale. Comme ce roi devenu symbole de l’unité et de l’indépendance du Tibet, le Jokhang représente son cœur spirituel, mais aussi le cœur géographique de Lhassa. 7. Le pèlerinage, facteur d’identité tibétaine Les pèlerins se réapproprient leur histoire, leur espace et ils entretiennent ainsi l’identité collective tibétaine. C’est ce qu’ils font à Lhassa, en foulant le Barkhor, c’est à dire le parcours de pèlerinage qui fait le tour du sanctuaire le plus ancien et le plus sacré du Tibet : le Jokhang.

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LHASSA

LA MÉMOIRE CONFISQUÉE Recherches et écriture: LEPAC / Virginie Vaillant Réalisation : Laurène L'Allinec Graphisme : Frédéric Lernoud Diffusion sur Arte le 29.03.2008 à 20:00

Diffusion sur TV5 le 10.05.2008 à 07:45

Aujourd'hui, le Dessous des Cartes s'ouvre au travail d'une voyageuse, Virginie Vaillant, qui a pu, yeux grands ouverts, marcher dans les rues de Lhassa, la capitale du Tibet. Son carnet de voyage, composé d'images, de plans de la ville, de dessins permet de saisir la géographie spirituelle de cette ville, dont l'urbanisme est lentement, volontairement, systématiquement transformé par l'occupant chinois.

1. Place Tien An Men, Pékin le 1er octobre 1999

C’est le jour du 50ème anniversaire de la révolution communiste. Pour l’occasion, il y a là les portraits de Mao Tse Tung mais aussi de Sun Yat-sen ; et à leurs pieds, déposés comme des tributs à l’empereur, autant de chars

de parade que de provinces chinoises.

2. Le Tibet, porte drapeau de la Chine Seul un char porte le drapeau national chinois, c’est celui de la région autonome du Tibet. Autrement dit : Sur le toit du monde, il y aurait la Chine, dont le Tibet ne serait qu’une province.

3. Le Tibet une province chinoise D’ailleurs, les atlas entérinent, sans nuance, l’annexion du Tibet dans le découpage administratif chinois.

4. Le Tibet historique La région autonome du Tibet ne couvre pas en réalité la moitié de l’aire tibétaine. Car le sentiment d’être Tibétain ne renvoie pas à un Etat-nation avec des frontières, mais à une communauté, dont la mémoire et la culture se sont façonnées à partir du bouddhisme tibétain.

5. Le Bouddhisme tibétain Aujourd’hui plus que jamais, être Tibétain c’est être bouddhiste et le pèlerinage, une manière de l’affirmer et même de résister.

6. Le Jokhang, symbole de l’histoire tibétaine Le temple du Jokhang a été construit par Songsten Gampo, le roi qui unifia le Tibet au 7ème siècle. Il y introduisit le bouddhisme et fit de Lhassa sa capitale. Comme ce roi devenu symbole de l’unité et de l’indépendance du Tibet, le Jokhang

représente son cœur spirituel, mais aussi le cœur géographique de Lhassa.

7. Le pèlerinage, facteur d’identité tibétaine Les pèlerins se réapproprient leur histoire, leur espace et ils entretiennent ainsi l’identité collective tibétaine. C’est ce qu’ils font à Lhassa, en foulant le Barkhor, c’est à dire le parcours de pèlerinage qui fait le tour du sanctuaire le plus ancien et le plus sacré du Tibet : le Jokhang.

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8. Lhassa 1948 Quand les Chinois arrivent au Tibet en 1948, Lhassa n’a pratiquement pas changé depuis trois siècles et compte à peu près 30 000 habitants. La ville s’organise autour du Lingkhor, une route de piété que les pèlerins doivent parcourir avant d’entrer à Lhassa. Le Lingkhor encercle le quartier du Barkhor et du Jokhang, mais aussi le collège de Chapkori, et le Potala où siège le Dalai Lama. Au delà du Lingkhor, se trouvent sa résidence d’été, le siège des oracles de Nechung, et les collèges monastiques de Drepung et de Sera.

9. Lhassa 1980 Trente ans plus tard, en 1980, la géographie spirituelle de Lhassa semble déjà céder aux nouvelles constructions : bâtiments techniques et administratifs, que les Chinois construisent à l’extérieur de la ville tibétaine, c’est à dire au-delà du Lingkhor.

10. Le programme chinois de “développement du Tibet” Voici la photo de ce que les Chinois appellent le " nouveau visage de Lhassa ". Il s’agit d’un programme de 83 projets de construction, dont toute une série d’édifices dans la capitale. Car si pour les Chinois, la vieille Lhassa n’est que dédale et rues étroites, les nouveaux quartiers, eux, adopteront non seulement les migrants qui arriveront de Chine, mais aussi le béton, les angles droits et les avenues larges. Face à l’archaïsme et au désordre de la vieille ville, la Chine proposerait à la fois le progrès et sa métaphore : l’urbanisme ordonné d’une société éclairée.

11. Lhassa 1994 En 1994, le Lingkhor a disparu dans les artères du réseau de circulation. Et autour de la vieille ville tibétaine, qu’on ne distingue plus qu’à sa densité, se développe une nouvelle métropole d’environ 150 000 habitants.

12. La place du Potala, cadeau de la Chine aux Tibétains En 1994, pour fêter le 30ème anniversaire de l’autonomie du Tibet, la Chine offre au Tibet le plus impérial des cadeaux : la place du Potala. Cet emblème du Tibet est à son tour garni d’un parvis colossal. Là non plus pas de hasard. En coupant le Potala de la vieille ville, en le flanquant d’une place, d’une avenue et d’un drapeau, les Chinois l’ont sinisé. En l’inscrivant au patrimoine mondial de l’humanité, ils font de la résidence du chef spirituel et temporel des Tibétains un simple musée.

13. Lhassa, ville chinoise En juin 2000, Lhassa s’étend sur près de 60 km2. La vieille ville, qui ne couvrait que 3 km2 est maintenant enclavée dans la modernité chinoise, et ne compte plus qu’un tiers de ses maisons d’origine.

14. La destruction des maisons

tibétaines Confisquées et nationalisées dans les années 1960, délaissées par la suite, les maisons traditionnelles autour du Barkhor sont, depuis 1993, détruites, chaque année par trentaine.

15. Scènes curieuses sur le place du

Jokhang En ce mois de juin, les Tibétains affluent par milliers à Lhassa pour célébrer Saga Dawa, leur plus grande fête religieuse. Or, c’est aussi le mois que les autorités chinoises ont choisi pour paver de marbre la place du Jokhang.

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16. Une simple coïncidence ? Difficile de croire à une simple coïncidence. Car selon la coutume, c’est au moment où le soleil se couche, que les pèlerins affluent vers le temple. Or, c’est aussi l’heure où le chantier s’active, justement là, sur le passage des pèlerins, au pied des poteaux de prière qui fixent leur parcours.

17. Profaner ou interdire les pratiques religieuses Occuper leur ville, ou détruire leurs maisons, ne suffit pas aux Chinois à confisquer la mémoire des Tibétains. Pour cela, c’est de leur culture qu’il faudrait les priver. Alors, il y a les brimades profanes, comme cette musique chinoise devant un lieu sacré, ou de plus en plus d’interdits sur les pratiques religieuses. Par exemple, les employés de l’administration qui se rendraient sur le Barkhor pendant Saga Dawa sont menacés de licenciement. Ainsi ce sont surtout des vieux, sans doute des retraités, qui narguent les anathèmes à coup de moulins à prières. Et puis ces jeunes qui attendent la nuit pour venir se prosterner en bravant les interdits.

18. Vers la fin de la culture tibétaine ? En quittant Lhassa, on se demande pour combien de temps encore ? Car en prenant le soin d’appliquer à huis clos les recettes coloniales, Pékin a déjà fait du Tibet une province chinoise ; puis de Lhassa une ville chinoise ; des Tibétains une minorité nationale.

19. Les Tibétains, une minorité chinoise ? Comme sur cette affiche de propagande où le Potala se retrouve à l’intérieur de la grande muraille, les Tibétains sont devenus, dans leur propre capitale, une minorité. Déjà près de 300 000 Chinois vivent aujourd’hui à Lhassa, c’est à dire trois fois plus que de Tibétains. Aux confins de la ville, des nouveaux quartiers sont construits pour accueillir les futurs migrants que les autorités courtisent vers le nouvel eldorado.

20. Les Tibétains, un peuple “folklorique” chinois ? Et comme si cela ne suffisait pas, ce que les Chinois tentent maintenant de faire, c’est de réduire leur culture religieuse en curiosité folklorique. Finalement, c’est cela le plus inquiétant.