Département du territoire et de l’environnement Département de la formation, de le jeunesse et de la culture

L’herbier des chênes, un herbier vivant 1. La période de sensibilisation sur le thème de l’avenir des chênes (1975-1987) 1960-1970 Prise de conscience d’une régression du chêne en Suisse

Les milieux de la pratique forestière prennent conscience de la régression du chêne dans la forêt suisse, un déclin qui remonte déjà au milieu du XVIe siècle lorsque la culture des céréales et l’introduction de la pomme de terre font diminuer l’intérêt pour la production fruitière du chêne. Une surexploitation de son bois pour la construction du réseau ferroviaire et la concurrence naturelle des autres espèces accélèrent la régression du chêne dès le milieu du 19e siècle. Dans les années 1960, l’évolution des méthodes d’inventaire permet de mettre en évidence la régression globale du chêne en Suisse, alors que les praticiens peinent à maîtriser son rajeunissement.

1960-1980 Regain d’intérêt pour le chêne KISSLING P (1980) Clef de détermination des chênes médioeuropéens (Quercus L.). Ber Schweiz Bot Ges 90 (1/2) : 29-44

De nombreux travaux scientifiques s’attachent à décrypter le comportement du chêne, un complexe d’espèces qui fait partie des espèces forestières les plus polymorphes au plan génétique. Dans le but de guider les géobotanistes, une clé de détermination des chênes médioeuropéens est développée à l’Institut de botanique systématique et de géobotanique de

l’Université de Lausanne (Pascal Kissling, 1980). Excellent vulgarisateur, Pascal Kissling suscite rapidement l’intérêt de forestiers praticiens confrontés à la difficulté d’identifier les espèces de chêne et, par conséquent, à la difficulté de maîtriser l’adéquation entre un type de chêne et son milieu de prédilection, une connaissance indispensable pour optimiser les investissements sylviculturaux.

Diagramme des classes de chênes de Kissling (1980)

1980-1988 Un pic motive l’étude des forêts de chêne SERMET E, HORISBERGER D (1988) Distribution et habitat du Pic mar dans les cantons de Vaud et Neuchâtel. Nos Oiseaux 411 : 205-224

L’intérêt pour le maintien de la biodiversité forestière devient un thème intégré aux objectifs de l’aménagement forestier. Feu Emile Sermet, professeur à l’école secondaire d’Yverdon, découvre en 1978 deux couples de pic mar dans les Bois de Corcelles-près-Concise, un oiseau considéré comme rare, essentiellement lié à la présence de chênes. La rencontre de l’ornithologue chevronné (E. Sermet) et d’un forestier intéressé au chêne (D. Horisberger) donnera l’impulsion pour parcourir, à la découverte du pic mar, l’essentiel des forêts riches en chênes de Suisse romande, mais aussi fournit l’occasion privilégiée d’étudier la répartition du chêne et son avenir potentiel. D’où le besoin de mieux connaître les affinités stationnelles des chênes.

Pic Mar

Photo D. Gètaz

2. Récoltes de données et développement d’une clé de détermination simplifiée des types de chênes (1987-1999) 1988 L’amorce de l’herbier des chênes BURREN CH (1988). Travail de stage. Rapport interne à l’inspection cantonale des forêts.

La première enquête sur l’identité des types de chêne avec récolte systématique de matériel sur la base d’une grille d’inventaire de un point de récolte par hectare a lieu dans le Grand Bois de Champagne. 112 échantillons, à raison de dix feuilles par arbre, sont prélevés et analysés selon la clé de détermination de P. Kissling (11 caractères retenus sur 15 proposés). C’est la première étape d’une simplification de la clé à l’intention des praticiens.

Planche de l’herbier de Champagne

1990-1997 La grande période de récolte de rameaux de chêne SERVICE DES FORETS, DE LA FAUNE ET DE LA NATURE Constitution d’un herbier des chênes du canton de Vaud. Cartographie des types de chêne. Etude comparative des chênes. Développement d’une clé de détermination simplifiée. Projet interne à l’inspection cantonale des forêts.

L’impossibilité de prélever manuellement des rameaux dans la couronne des chênes depuis le sol conduit à introduire l’utilisation du fusil pour « cueillir » le matériel recherché : au moins deux rameaux et six feuilles en bon état. Fabienne Duvoisin, forestière-bûcheronne, assume les prélèvements et les opérations de séchage sous buvard durant huit saisons de végétation (juillet-août), aidée en 1995 par Micheline Meylan, stagiaire garde-forestier. La description et mise définitive en herbier a lieu en saison hivernale (deux rameaux, si possible avec pédoncules, et six feuilles, dont une réservée à des études ultérieures, génétiques par ex.). Des problèmes de santé de F. Duvoisin (notamment un zona contracté au contact avec des chenilles de chêne) mettent fin en 1997 à cette phase de travail. Les prélèvements, effectués sur une grille d’inventaire systématique à raison d’un point de prélèvment tous les 100 ou 400 m selon les cas, ont alors permis de mettre en herbier du matériel issu de près de 2800 arbres répartis dans toutes les régions du canton de Vaud.

« Cueillette » de rameaux de chêne Parallèlement, le développement d’une clé de détermination simplifiée se poursuit. Une analyse des plants de chêne vendus par les pépiniéristes et plantés par les forestiers démontre la non maîtrise de la problématique par toute la chaîne des praticiens, réalité expliquant les nombreux et coûteux échecs observés dans le rajeunissement des chênes.

1993-1996 Du chêne pour le vin GETAZ J (1996) Valorisation du bois de chêne indigène pour la tonnellerie. Projet de recherche. Ecole d’ingénieurs de Changins. GETAZ J, CANETTI J, LEBEDEFF J, HORISBERGER D (1996) Utilisation de chênes indigènes pour la construction de barriques: une solution d’avenir! Revue suisse Vitic. Arboric. Hortic. Vol 28 (3) : 183-194.

Suite à un travail de diplôme d’un jeune œnologue (feu J. Canetti), l’année 1993 voit naître l’idée d’un projet de recherche au sujet des possibilités d’utilisation du chêne suisse indigène dans la tonnellerie. Le projet se concrétise en 1996 Sous l’impulsion de son initiatrice, Judith Gétaz-Auer, œnologue à l’Ecole d’ingénieurs de Changins. Comme le bois de chaque forêt et chaque espèce de chêne présente des qualités aromatiques particulières, les connaissances descriptives acquises au travers de la constitution de l’herbier des chênes trouvent

un terrain de développement particulièrement enthousiasmant. Les projets se succèdent pour développer un label identifiant les bois depuis la détermination de l’espèce de chêne en forêt jusqu’à la construction des barriques, en passant par toute la chaîne des opération d’abattage, débitage, transport, sciage et séchage, avec analyse des composants aromatiques du bois dans un laboratoire spécialement

conçu à cet effet.

3. Exploitation des données de l’herbier (1997-2008) 1999 Diffusion d’une clé de détermination simplifiée des chênes HORISBERGER D (1999) Dossier « Chêne » Guide d’analyse des classes morphologiques de chêne. Répertoire de référence des classes morphologiques de chêne. Document inspection cantonale des forêts.

Fruit d’une douzaine d’années d’analyse et de réflexion, un guide de détermination simplifiée des chênes est diffusé par l’inspection cantonal des forêts. But de la publication : rendre accessible à tout praticien forestier ou pépiniériste la détermination des types de chêne pour améliorer la connaissance de leurs spécificités et, par conséquent, améliorer la qualité de leur culture.

Fiche d’inscription 1999 des caractères différentiels d’une feuille de chêne

2001 Création de l’association suisse proQuercus

L’association suisse proQuercus est créée après quelques années de rencontres informelles entre praticiens intéressés. Soutenue financièrement par la Confédération, elle adopte le guide de l’inspection cantonale des forêts comme base de détermination des types de chêne dans ses travaux de vulgarisation, notamment dans les conseils à la plantation offerts aux praticiens.

2005 Une stratégie pour la promotion du chêne BONFILS P, HORISBERGER D, ULBER M (2005) Promotion du chêne. Stratégie de conservation d’un patrimoine naturel et culturel en Suisse. Berne : Office fédéral de l’environnement, des forêts et du paysage. 102 p.

L’Office fédéral de l’environnement, des forêts et du paysage publie en 2005 un document dédié à la promotion du chêne, rédigé sous l’égide de proQuercus. Il intègre notamment des connaissances acquises par les travaux effectués sur la base de l’herbier des chênes. S’ensuit un développement des aides financières fédérales et cantonales accordées à la gestion du chêne et des forêts riches en chênes, y compris les actions entreprises en faveur du pic mar.

Concise. Août 2003. Le chêne résiste à la canicule.

2006-2008 Développement de la marque de garantie « Terroir chêne » HORISBERGER D (2006) Les « Terroirs Chênes » suisses. Revue suisse Vitic Arboric Hortic. Vol 38 (4) : 227-231. AUER J, RAWYLER A, DUMONT_BEBOUX N (2006) Le projet « Fûts de chêne suisse » de l’Ecole d’ingénieurs de Changins – Elevage des vins du terroir en fûts de chêne du terroir. Revue suisse Vitic Arboric. Hortic. Vol 38 (6) : 379-387).

Logo de la marque

La question des terroirs suscitant toujours de l’intérêt dans les milieux viticoles, un effort de communication est fait dans leurs médias spécialisés, d’autant plus que les paramètres génétiques des chênes trouvent une correspondance avec ceux de la vigne, par ex. en matière de phénologie. Les données de l’herbier permettent en particulier de documenter la notion de « terroir chêne ». Une marque de garantie « Terroir chêne » consacré à la promotion du chêne indigène pour la tonnellerie est déposé par l’Ecole d’ingénieurs de Changins. Dans ce cadre, en collaboration avec l’inspection cantonale des forêts, se développe une série d’études concrétisant des

concepts aussi variés qu’une base de données interactives à l’intention des tonneliers (sur le même modèle que celle concernant les terroirs viticoles vaudois), un outil prédictif des apports du bois au vin, la certification de la filière ou encore la promotion des barriques suisses. De nombreuses publications sont

rédigées. Le chimiste attitré du projet, André Rawyler, en reprend la direction. Le projet se termine en 2008, laissant derrière lui vastes connaissances… insuffisamment exploitées à ce jour !

Profil aromatique d’un bois de chêne pédonculé

(Bueren an der Aare)

4. Exploitation des données de l’herbier (2008-2013) 2009 Une stratégie de promotion du chêne pour affronter le réchauffement climatique HORISBERGER D, MEYLAN M (2009) L’observatoire de l’écosystème forestier du canton de Vaud : aire et gestion des ressources en chêne du canton de Vaud : dossier d’un avenir immédiat. J for suisse 160 : s65-s73.

En construction depuis 1988, la carte de la végétation forestière du canton de Vaud (plus de 50’000 relevés de végétation effectués et interprétés à ce jour sous la direction de Micheline Meylan, garde forestier à l’inspection cantonale des forêts) permet d’intégrer les données de l’herbier des chênes aux données stationnelles, d’aménagement et de gestion de l’Observatoire

de l’écosystème forestier du canton de Vaud. L’importance de l’herbier s’en trouve renforcée car, parmi les essences indigènes, les chênes sont probablement les mieux équipés pour affronter le réchauffement climatique grâce à leur diversité génétique exceptionnelle, sous réserve de suivre la maxime « les bons chênes aux bons endroits », avec pour avantage supplémentaire d’entraîner avec eux une biodiversité remarquable. Micheline Meylan, formatrice en matières de

végétation forestière et de détermination des chênes

2012-2013 L’herbier des chênes prend sa forme définitive

Constat est fait en 2012 que l’herbier des chênes, malgré toute la valorisation de ses données effectuée en un quart de siècle, n’avait jamais été analysé globalement… et pouvait bénéficier d’outils d’analyse plus performant qu’auparavant. Sous l’égide de l’association proQuercus, en collaboration avec l’inspection cantonale des forêts et grâce à des outils d’analyse plus performants qu’auparavant, s’engage une phase d’analyse dans l’optique de documenter une nouvelle clé de détermination des chênes. Pour éviter une manipulation trop intensive de l’herbier, cette démarche s’intègre aux opérations de conditionnement définitif de l’herbier avant dépôt aux Musées et jardins botaniques cantonaux. Le scannage de chaque feuille de référence sélectionnée dans l’herbier, 2800 feuilles appartenant à autant d’arbres, et la photographie digitale de trois caractères différentiels (pétiole, nervure principale et limbe) sur 1000 d’entre elles permettent de créer un véritable herbier informatique aisément consultable, un outil ouvrant de nouvelles perspectives de recherches.

Part de l’herbier traditionnel

Fiche de l’herbier informatique

5. Exploitation des données de l’herbier (2014 et au-delà) 2014

L’herbier des chênes est déposé aux Musées et jardins botaniques cantonaux le 11 février 2014. Jean-Louis Moret, conservateur des herbiers, assure les opérations de conditionnement (congélation durant 3 jours à -25oC, stockage) avant de prendre une retraite trop brusquement interrompue par la maladie puis son décès le 7 novembre 2014. Sur la base de l’analyse de l’herbier, une clé de détermination simplifiée dite « du praticien » est construite. Elle fait appel à quatre caractères discriminants aisément observés, mesurés et appréciés sur le terrain. Disponible sous forme de fiche A4 recto-verso, elle est conçue pour être pliée en quatre et ainsi être facilement emportée sur le terrain. De plus, elle fournit les informations minimales permettant au praticien de favoriser « la bonne espèce au bon endroit ».

Parallèlement se poursuivent des analyses encore plus détaillées destinée à produire une clé de détermination dite « d’expert » qui fait appel à davantage de caractères discriminants et un outillage professionnel (notamment un microscope de poche et un microscope digital), moyens nécessaires pour mieux distinguer l’originalité des différentes populations de chêne existantes à travers toute la Suisse.

Au-delà de 2014

Objectifs :

a) utiliser et appliquer les connaissances issues de l’analyse de l’herbier, b) compléter l’herbier informatique sur le plan suisse par une documentation ciblée de

forêts riches en chêne ou de peuplements affectés à des objectifs particuliers, notamment les peuplements semenciers,

c) rédiger la clé de détermination dite « de l’expert », d) rédiger une publication scientifique décrivant les bases de la démarche et ses résultats. e) valoriser l’herbier dans le cadre de projets scientifiques et de recherches appliquées.

Ci-dessous, un exemple d’application avec une projection de la distribution potentielle du chêne sessile (modélisation statistique) pour le Canton de Vaud et dans un scénario de réchauffement de +4°C de la température annuelle prédit pour la fin du XXIe siècle. Le chêne sessile risque de gagner des nouveaux habitats en altitude et perdra des habitats favorables sur le Plateau.

Renseignements complémentaires: DTE, Denis Horisberger, inspecteur forestier (retraité), 024 436 18 49 ; DFJC, Christophe Randin, conservateur des collections du Musée botanique, 021 316 99 91.