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Monsieur Régis Bertrand L'Histoire de la mort, de l'histoire des mentalités à l'histoire religieuse In: Revue d'histoire de l'Église de France. Tome 86. N°217, 2000. pp. 551-559. Citer ce document / Cite this document : Bertrand Régis. L'Histoire de la mort, de l'histoire des mentalités à l'histoire religieuse. In: Revue d'histoire de l'Église de France. Tome 86. N°217, 2000. pp. 551-559. http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rhef_0300-9505_2000_num_86_217_1432

L'Histoire de La Mort, De l'Histoire Des Mentalités à l'Histoire Religieuse (Régis Bertrand)

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[RésuméRégis Bertrand L'histoire de la mort, de l'histoire des mentalités à l'histoire religieuse — RHÉF,t 86(2000), p 551-559L'« histoire de la mort » a figuré au cours des années 1970 parmi les « nouveaux territoires del'historien » Elle illustre alors l'application des méthodes de l'histoire sérielle à l'« histoire des mentalités» dont elle constitue, par l'ambition de ses questionnements, une des réussites les plus évidentes Ellesemble connaître en revanche une eclipse dans les années 1980, rançon de ses très rapides avancées,de ses exigences documentaires considerables, mais aussi des problèmes épistémologiques poses parl'ambiguïté des notions de « mentalités » ou d'« inconscient collectif », et l'absence de contacts avecdes sciences cognitives éloignées de la démarche historique La permanence des recherches au coursdes décennies 1980-1990 est cependant manifeste, à travers thèses, livres et articles Lesproblématiques de l'« histoire de la mort » se diffusent dans la plupart des champs de la recherchehistorique L'histoire religieuse tend a fédérer une large partie de ces travaux historiques qui portent surles « fins dernières » et les rapports entre les vivants et les morts, sur l'étude des representations del'au-delà, la liturgie, les sacrements, la littérature religieuse, les « sources non-ecrites » À travers desdirections et des méthodes encore divergentes semble ainsi se mettre en place une « histoire desrepresentations de la mort et du statut des morts »]

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Monsieur Régis Bertrand

L'Histoire de la mort, de l'histoire des mentalités à l'histoirereligieuseIn: Revue d'histoire de l'Église de France. Tome 86. N°217, 2000. pp. 551-559.

Citer ce document / Cite this document :

Bertrand Régis. L'Histoire de la mort, de l'histoire des mentalités à l'histoire religieuse. In: Revue d'histoire de l'Église de France.Tome 86. N°217, 2000. pp. 551-559.

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rhef_0300-9505_2000_num_86_217_1432

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ZusammenfassungDie « Geschichte des Todes » zählte in den 70er Jahren des 20. Jahrhunderts zu den neuenForschungsgebieten des Historikers. Sie veranschauhcht, wie man serielle Methoden auf dieMentalitätsgeschichte anwandte, und trug zu deren Erfolg massgeblich bei. Als sie in den 80er Jahreneinen Niedergang erfuhr, war dies der Preis für ihren rapiden Augschwung, ihre beachthchendokumentanschen Ansprüche, aber auch die epistemologischen Probleme, die sich aus derZweideutigkeit der Begriffe « Mentalität » und « kollektives Unbewusste » ergaben, ferner das Fehlenvon Kontakten mit kogmtiven Wissenschaften, die dem histonschen Ansatz fernstanden. Aberzahlreiche Publikationen belegen, dass die Forschungen auch in den 80er und 90er Jahrenweitergingen. Aspekte der « Geschichte des Todes » wurden nun in fast alien historischenForschungsbereichen behandelt. Zahlreiche Arbeiten zur Kirchengeschichte befassen sich mit denletzten Dingen, den Beziehungen zwischen. Lebenden und Toten, die Vorstellung vom Jenseits, dieLiturgie, die Sakramente, die religiöse Literatur, die nicht-schnftlichen Quellen. Ausgehend vonunterschiedhchen wissenschaftlichen Ansätzen, scheint so eine « Geschichte der Vorstellungen vomTode und des Zuztands der Toten » zu entstehen.

RésuméRégis Bertrand L'histoire de la mort, de l'histoire des mentalités à l'histoire religieuse — RHÉF,t 86(2000), p 551-559L'« histoire de la mort » a figuré au cours des années 1970 parmi les « nouveaux territoires del'historien » Elle illustre alors l'application des méthodes de l'histoire sérielle à l'« histoire des mentalités» dont elle constitue, par l'ambition de ses questionnements, une des réussites les plus évidentes Ellesemble connaître en revanche une eclipse dans les années 1980, rançon de ses très rapides avancées,de ses exigences documentaires considerables, mais aussi des problèmes épistémologiques poses parl'ambiguïté des notions de « mentalités » ou d'« inconscient collectif », et l'absence de contacts avecdes sciences cognitives éloignées de la démarche historique La permanence des recherches au coursdes décennies 1980-1990 est cependant manifeste, à travers thèses, livres et articles Lesproblématiques de l'« histoire de la mort » se diffusent dans la plupart des champs de la recherchehistorique L'histoire religieuse tend a fédérer une large partie de ces travaux historiques qui portent surles « fins dernières » et les rapports entre les vivants et les morts, sur l'étude des representations del'au-delà, la liturgie, les sacrements, la littérature religieuse, les « sources non-ecrites » À travers desdirections et des méthodes encore divergentes semble ainsi se mettre en place une « histoire desrepresentations de la mort et du statut des morts »

AbstractDuring the 1970s the " history of death " figured among the " new territories of the historian ". Itillustrated the application of the methods of " serial history " to the history of mentalities, of which itbecame of the most obvious successes thanks to the questions it raised. However, it seems to be indecline since the 1980s, the price it paid for its extremely rapid advance, its considerable documentarydemands, but also of the epistemological problems raised by the ambiguity of notions like " mentalities "and " collective unconscious ", and the absence of contact with cognitive sciences far removed from theapproach of the historian. Yet the continuation of research in the field during the 1980s and 1990s isclear from theses, books and articles. The issues raised by " the history of death " have been diffusedthroughout most of the domains of historical research. Religious history brings together a considerablerange of the research which deals with " the last things " and the relations of the living and the dead, aswell as the study of the representations of the after-live — liturgy, the sacraments, religious literature,and " non written sources ". Although directions and methods still diverge, it seems that a " history ofthe representations of death and of the status of the dead " is taking shape.

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L'HISTOIRE DE LA MORT,

DE L'HISTOIRE DES MENTALITÉS

À L'HISTOIRE RELIGIEUSE

« Histoire de la mort » et « histoire des mentalités » sont déjà dans l'historiographie des expressions datées. La première correspond à un champ d'études qui semble émerger vigoureusement dans le renouvellement des problématiques qui marque, en France, les décennies 1960-1970. Si l'héritage de quelques grands « précurseurs », J. Huizinga, E. Mâle, F. Cumont ou A. Tenenti, sera ultérieurement revendiqué, son entrée dans la recherche universitaire est marquée par la publication des thèses de François Lebrun et de Michel Vovelle *, cette dernière précédée de l'étude de G. et M. Vovelle sur les retables provençaux des âmes du Purgatoire 2, puis la parution de la thèse de Jacques Chiffoleau et du livre de Jacques Le Goff sur La naissance du Purgatoire 3, cependant qu'aboutissent deux autres entreprises de longue haleine, la thèse de littérature française de Robert Favre sur La mort au siècle des Lumières et l'ample thèse d'Alain Croix 4. Entre temps, Pierre Chaunu a publié les résultats d'une vaste enquête collective dans le mmutier parisien 5. Ajoutons qu'une œuvre restée injustement méconnue, la thèse de Jacqueline Thibaut-Payen, a réintroduit l'étude de la sépulture dans l'histoire du droit français 6. Des anthropologues et des sociologues relaient le quasi-silence des historiens du xxe siècle pour étudier des aspects de la mort contempo-

1 François Lebrun, Les hommes et la mort en Anjou aux 17e et 18e siècles Essai de démographie et de psychologie historiques, Paris-La Haye, 1971 , Michel Vovelle, Pieté baroque et déchristianisation, les attitudes devant la mort en Provence au XVIIIe siècle, Pans, 1973, reed abrégées, 1978 et 1996

2 Gaby et Michel Vovelle, Vision de la mort et de l'au-delà en Provence du XVe au XXe siècle d'après les autels des âmes du Purgatoire, Paris, 1970 (Cahiers des Annales n° 29)

3 Jacques Chiffoleau, La comptabilité de l'au-delà Les hommes, la mort et la religion dans la region ď Avignon à la fin du Moyen Age (vers 1320-vers 1480), Rome, 1980 (Collection de l'Ecole française de Rome, 47) Jacques Le Goff, La naissance du purgatoire, Paris, 1981

4 Robert Favre, La Mort dans la littérature et la pensée françaises au Siècle des lumières, Lyon, 1978 Alain Croix, La Bretagne aux 16e et 17e siècles La vie, la mort, la foi, Paris, 1981

5 Pierre Chaunu, La mort à Pans, 16e, 17e, 18e siècles, Paris, 1978 Jean Meyer, « Pierre Chaunu, la mort à Paris, (xvie, xvne, xvnie siècles) », dans Revue Historique, n° 534 (1980), p 403-416

6 Jacqueline Thibaut-Payen, Les morts, l'Église et l'État Recherches d'histoire administrative sur la sepulture et les cimetières dans le ressort du parlement de Pans aux XVIIe et XVIIIe siècles, Paris, 1977

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raine 7. Enfin des colloques, de Strasbourg jusqu'à Montréal 8, et des livraisons de revues 9 ont achevé de manifester, entre les années 1973 et 1983, l'investissement rapide d'un « nouveau territoire de l'historien », pour reprendre les termes du temps 10.

L'histoire de la mort connaît alors de surcroît une certaine médiatisation avec les publications de Philippe Ariès n. Historien de formation mais non de profession, se situant aux marges de l'institution universitaire mais occupant une place originale au sem de Y intelligentsia parisienne, Ph. Ariès réunit en 1974-1975 des textes de conférences et d'articles sous le titre ďEssais sur l'histoire de la mort en Occident du Moyen Age à nos jours. Ph. Ariès y avance les idées essentielles d'« un livre qui n'en finit pas », qu'il publiera deux ans plus tard 12.

Cette première période se caractérise à la fois par la mise en œuvre d'une histoire sérielle fondée sur des dépouillements considérables d'archives, selon des méthodes héritées de la démographie historique et de l'histoire sociale et aussi une démarche plus traditionnelle, soumettant une mosaïque de documents divers à des questionnements neufs 13. Dans les deux cas, l'« histoire de la mort » est d'emblée exceptionnellement ambitieuse par l'espace et le temps étudiés : elle embrasse une province entière (l'Anjou, la Provence, la Bretagne), ou l'une des principales villes de l'Europe (c'est le cas de Paris, mais aussi de l'Avignon pontificale) sur une durée séculaire, voire plunséculaire. Elle est non moms ambitieuse par ses questionnements — prendre la déchristianisation des consciences sur le fait, définir l'identité religieuse d'une région, suivre la tripartition des représentations catholiques de l'au-delà. Dernière originalité, l'extrême précocité des essais de synthèse de Ph. Ariès et de M. Vovelle 14, qui viennent baliser un « territoire » pourtant fort récent, avant toute sédimentation érudite.

L'on ne peut en effet que souligner la place atypique qu'occupe L'homme devant la mort dans la production historiographique française des trois dernières décennies. Ample fresque sous-tendue par une vaste culture et un

7 Louis- Vincent Thomas, Anthropologie de la mort, Pans, 1975 , Jean Ziegler, Les vivants et la mort Essai de sociologie, Pans, 1975 , Jean-Didier Urbain, La societě de conservation Etude sémiologique des cimetières d'Occident, Paris, 1978

8 Societě des médiévistes de l'enseignement supérieur public, La Mort au Moyen Age, Strasbourg, 1971 , Claude Sutto ed , Le sentiment de la mort au Moyen Age, etudes presentees au cinquième colloque de l'Institut d'études médiévales de l'université de Montreal, Sartelon, 1979

9 Archives des sciences sociales des religions (« La sociologie de la mort », n° 39, janvier-juin 1975) , Annales ESC (« Autour de la mort », janvier-février 1976)

10 Emmanuel Le Roy Ladurie, « Chaunu, Lebrun, Vovelle la nouvelle histoire de la mort », dans Le territoire de l'historien, Paris, 1973, p 493-403

11 Sur lesquelles on peut consulter Allan Mitchell, « Notes and suggestions Philippe Aries and the French Way of Death », dans French Historical studies, t 10 (1978/4), p 684-695 , Pierre Chaunu, « Sur le chemin de Philippe Anes historien de la mort », dans Histoire, Economie et Société, 1984/4, p 651-664, et Philippe Aries, Essais de mémoire 1943-1983,Pams, 1993

12 Philippe Aries, Essais sur l'histoire de la mort en Occident du Moyen Age a nos jours, Paris, 1975 et L'homme devant la mort, Paris, 1977

13 C'est le cas des deux ouvrages d'Anes mais aussi de Michel Vovelle, Mourir autrefois Attitudes collectives devant la mort aux XVIF et XVIIIe siècles, Pans, 1974 (Archives, n° 53)

14 Michel Vovelle, La mort et l'Occident de 1300 a nos jours, Paris, 1983

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constant bonheur d'écriture, expression d'une forte personnalité, l'ouvrage semble a priori appartenir, comme celui qui l'avait annoncé, à ce genre spécifique de la production éditoriale française qu'est l'essai, œuvre de franc- tireur défrichant une question dont il propose son explication personnelle. Il n'a guère d'équivalent histonographique, sinon peut-être ces livres pionniers que furent pour l'histoire rurale pendant l'Entre-deux-guerres YHistoire de la campagne française de Gaston Roupnel ou Les caractères originaux de l'histoire rurale française de Marc Bloch. En fait ces derniers livres, et en particulier le second, se rappprochent davantage de la synthèse que procurera peu après Michel Vovelle, dans la mesure où l'auteur n'y expose pas les observations et les intuitions d'un parcours solitaire mais y fait aussi son miel d'une vaste bibliographie préexistante ou très récente, susceptible d'alimenter une problématique nouvelle.

* * *

Pourtant, les livres de Ph. Aries et M. Vovelle semblent moins marquer l'avènement d'un « nouveau territoire » historique qu'ils ne concluent les années fastes de F« histoire de la mort », même si, pour reprendre le titre significatif d'un article de M. Vovelle, cette dernière s'avère « un peu plus qu'une mode ». A bien des égards, l'examen critique de ses champs, ses méthodes et ses systèmes explicatifs auquel se livra Roger Chartier à l'orée des années 1980 semble moms annoncer un renouvellement affiné des procédures d'études de ses sujets qu'il n'explicite une crise déjà latente 15.

Non seulement son exigence de la longue durée s'inscrivait, comme R. Chartier le soulignait, « à contre-courant de l'histoire la plus récente, qui privilégie des temporalités plus menues », mais la poursuite des grandes avancées quantitativistes qui l'avaient fondée rencontrait ses limites. Les promoteurs de l'histoire sérielle des années 1960-1970 avaient placé très haut les exigences documentaires en s'appuyant, pour dégager moins des conjonctures fines que des trends, sur des dépouillements d'une ampleur mouie qui, en ces temps d'« histoire globale » visaient à « épuiser la source ». Or, de telles prouesses allaient se révéler peu rentables, non seulement à cause de la réglementation de plus en plus restrictive des communications de documents dans les archives, mais surtout parce qu'il n'était point assuré que leurs résultats se démarqueraient suffisamment de ceux déjà engrangés pour justifier de tels efforts — aussi longtemps du moins que l'on étudierait l'espace français d'Ancien Régime. D'autant que les exigences de gigantisme qui affectaient la thèse d'état en ces temps qui marquaient sa phase terminale n'avaient guère encouragé une réflexion sur les modalités de détermination, et surtout de validation, d'échantillons représentatifs minimaux.

15 Michel Vovelle, « Note critique Encore la mort un peu plus qu'une mode ' », dans Annales ESC, 1982/2, p 276-287 Roger Chartier, « Histoire de la mort et histoire culturelle » dans Cahiers de Samt-Maximm, college d'échanges contemporains La Mort aujourd'hui, Marseille, 1982, p 111-130

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De plus, l'« histoire de la mort » était fondée sur une ambiguïté : il s'avérait en effet qu'elle n'avait guère été conduite pour elle-même par la plupart des auteurs, sauf peut-être Ph. Ariès. L'histoire « des attitudes devant la mort » était conçue soit comme l'étude des superstructures « idéologiques » ou « mentales » d'infrastructures sociales ou démographiques sous-jacentes, soit comme le révélateur privilégié d'évolutions collectives de longue durée, de mutations des représentations ou d'éléments constitutifs d'une identité régionale. La recherche d'indices confirmatifs de ses résultats ne pouvait se poursuivre qu'en dehors de son « champ » spécifique. D'où sans doute le refus, qui paraît quasi-unanime, des auteurs des recherches sur ce sujet, de se voir affecter une mention exclusive d'« historiens de la mort ».

L'« histoire de la mort » avait été considérée comme un des exemples les plus accomplis des réussites de l'« histoire des mentalités » 16. Mais l'« histoire de la mort » allait contribuer à rendre manifeste, au tournant des années 1980, l'impasse auquel conduisait l'histoire « des mentalités », dès lors qu'elle nourrissait l'ambition de sonder « les rems et les cœurs » de ceux qui autrefois moururent, dans l'espoir d'établir, parfois mieux qu'ils ne le surent, ce qu'ils auraient pensé, cru ou cru croire, et même ressenti collectivement, voire « l'histoire des évolutions non perçues par les hommes » 17. Vouloir découvrir un sens profond qui échappe à la conscience des acteurs et qui puisse être en contradiction avec les « idées claires » que ces derniers se font de leurs actes équivalait à faire entrer l'histoire dans la voie des démarches interprétatives, davantage familières jusqu'alors à d'autres disciplines déjà rompues à l'analyse des conduites et des sentiments. Il s'agissait à bien des égards des sciences humaines qui s'étaient le plus nettement développées hors des préoccupations de l'historien, et les adeptes de Freud ou de Jung étaient apparemment peu soucieux ou désireux de soumettre leurs théories et leurs concepts à l'épreuve d'une démarche historique.

Dès 1974, Jacques Le Goff, faisant l'inventaire des disciplines proches de l'histoire des mentalités insistait à juste titre sur « le psychologue social », tout en observant que « la mentalité ne joue pratiquement aucun rôle en psychologie, qu'elle ne fait pas partie du vocabulaire technique du psychologue », pour en conclure que les mentalités constituaient « une frontière où historiens et psychologues devront bien un jour se rencontrer et collaborer », ce qui ne se produisit guère 18. L'« historien des mentalités », et en particulier celui qui étudiait les attitudes devant la mort, allait dès lors se borner à l'utilisation

16 Louis Trenard, « Note de lecture Un aspect de la nouvelle histoire les hommes devant la mort », dans L 'information historique, n° 42 (1980), p 186-188 Michel Vovelle, « La mort a une histoire », dans La Nouvelle critique, n° 114 (1978), p 28-36 , « La redécouverte de la mort », dans Etudes corses, n° 12/13 (1979), p 27-42

17 Michel Vovelle, « La longue durée », dans J Le Goff, R Chartier, J Revel, La nouvelle histoire, Paris, 1978, p 325 , et M Vovelle, Ideologies et mentalités, Pans, 1982

18 Jacques Le Goff, « Les mentalités Une histoire ambiguë », dans J Le Goff et P Nora, Faire de l'histoire, t III, Nouveaux objets, Paris, 1974, p 78, 84 et 89 Analyses également critiques d'un socioloque Jean-Claude Chamboredon, « La restauration de la mort Objets scientifiques et phantasmes sociaux », dans Actes de la recherche en sciences sociales, n° 2-3 (juin 1976) et « Sociologie et histoire sociale de la mort transformation du mode de traitement de la mort ou crise de civilisation ? », dans Revue française de sociologie, t 17 (1976/4), p 665 676

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d'expressions (« travail de deuil », « inconscient collectif »), détournées des théories psychanalytiques, mais sans bénéficier des acquis, des concepts, voire des interrogations et des incertitudes d'une science humaine connexe puisqu'il répugnait visiblement à s'engager dans la voie de la psychanalyse (jungienne de surcroît) ou de l'ethno-psychiatrie. Cette notion (ou expression) d'inconscient collectif n'est ainsi quasiment jamais référée sous la plume de Ph. Ariès à celui à qui la paternité en est ordinairement reconnue, C.-G Jung ; lorsque Gilles Ernst questionne vainement l'historien, lors du colloque de Samt-Maximin, sur la « ressemblance entre (ses) propositions » et celles du psychanalyste, sa remarque semble si peu entendue que le nom du savant viennois est orthographié « Young » dans la transcription des débats 19. L'« historien de la mort », accoutumé par sa formation à induire du traitement des données une rationalité explicative, se trouvait confronté, plus qu'aucun autre peut-être, à l'apparente irrationalité des affects, des représentations, des pratiques et des croyances anciennes. L'« histoire de la mort » avait du moins le mérite d'achever de démontrer combien il est illusoire pour l'historien de projeter dans le temps ses sentiments, ses idées, voire ses émotions, pour tenter de comprendre les groupes humains qu'il étudie en croyant se mettre « à leur place ». L'étrangéité du passé, entrevue à travers l'opacité de ses traces, s'avérait irréductible à la raison présente.

Un certain effacement du terme d'« histoire des mentalités » pendant les années 1980-1990, au profit de l'histoire socioculturelle, l'histoire « des représentations » ou F« ethno-histoire », s'accompagne d'une perte de visibilité de Г « histoire de la mort » — expression qui a été assez rarement usitée au cours de la décennie qui s'achève, sinon à titre rétrospectif. De grandes thèses dont le sujet s'inscrit dans le champ qu'elle ambitionnait naguère de couvrir ne semblent pas avoir bénéficié du retentissement que connurent, vingt ans auparavant, leurs équivalents de la génération précédente 20. D'autres thèses dont les sujets ont été également choisis dans les années 1970-1980, sont restées inédites 21 ou semblent avoir eu un rayonnement essentiellement régional 22. Les ouvrages importants de John Mac Manners, Richard Etlm et Thomas Kselman n'ont pas été traduits en français 23. En revanche, Fessai

19 Cahiers de Samt-Maximin, op cit , p 127 20 Ainsi, Jean-Loup Lemaitre, Mourir a Saint-Martial La commémoration des morts et les

obituaires a Saint-Martial de Limoges du XIe au XIIIe siècle, Paris, 1989 , Claude Carozzi, Le voyage de l'âme dans l'au-delà d'après la littérature latine (Ve-XIIIe siècle), Rome, 1994 (Collection de l'Ecole française de Rome, 189) , Michèle Fournie, Le ciel peut-il attendre ? Le culte du Purgatoire dans le midi de la France (1320 environ-1520 environ), Pans, 1997

21 Ainsi, Alam-J Lemaitre, Regime des âmes, gouvernement des hommes la mort en Bretagne aux XVIIF-XIXe siècles (1746-1856), université Paris-IV, 1982 et Regis Bertrand, Les Provençaux et leurs morts Recherches sur les pratiques funéraires, les lieux de sepultures et le culte du souvenir des morts dans le Sud-Est de la France depuis la fin du XVIIe siècle, université Paris I, 1994

22 L'on craint que ce soit le cas de celle de Raymond Sala, Le visage de la mort dans les Pyrénées catalanes Sensibilité et mentalités religieuses en Haut-Vattespir, XVIIe, XVIIIe, XIXe siècles, Pans-Perpignan, 1991

23 John Me Manners, Death and the Enhghtment Changing attitudes to death among Christians and Unbelievers in Eighteenth-century France, Oxford-New York, 1981 , Richard A Etlin, The Architecture of Death The Transformation of the Cemetery in Eighteenth-Century

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d'Anes, repris en livre au format de poche, tend à faire figure de grand classique, voire d'acquis définitif sur la question — et point seulement pour les spécialistes d'autres sciences humâmes ou sociales que l'histoire — , ce qui constitue un cas de régression scientifique, tant le renouvellement des connaissances a été considérable en vingt ans.

* * *

La permanence de recherches correspondant à l'« histoire de la mort » est en effet manifeste, même si ce n'est plus désormais l'historien mais l'anthropologue ou le sociologue voire le médecin qui dynamise ce champ du savoir, en particulier dans le monde anglo-saxon.

Au cours des années 1980-1990, des travaux très divers ont d'abord contribué à diffuser ses problématiques dans des spécialisations historiennes aux contours d'ailleurs parfois mouvants. L'histoire du corps et celle de la médecine ont ainsi repris, outre l'étude des contagions, l'« histoire de la mort » au sens le plus strict du terme avec les travaux de Claudio Milanesi sur la définition clinique de la mort et les recherches en cours d'Anne Carol sur la médicalisation de la mort 24. Les travaux de Madeleine Lassere sur les cimetières contemporains et l'ouvrage récent de Danielle Tartakowski sur le Père-Lachaise se situent au croisement de l'histoire urbaine et de l'histoire politique 25. L'histoire des pratiques sociales et des corps sociaux a inclus l'étude des attitudes de diverses catégories, des marins aux membres de l'élite 2б. Une histoire militaire renouvelée a porté attention aux monuments aux morts aussi bien qu'à la présence de la mort dans la « culture de guerre » 27. L'étude de la symbolique du pouvoir a trouvé dans le cérémonial mortuaire et les tombeaux des grands un objet d'études fécond 28. Enfin des monographies et des articles d'histoire locale révèlent la diffusion des problématiques de l'« histoire de la mort » au niveau des érudits. Les résultats sont

Pans, Cambridge-London, 1984 et reed 1987 , Thomas A Kselman, Death and the Afterlife m Modem France, Princeton, 1992

24 Claudio Milanesi, Mort apparente, mort imparfaite Médecine et mentalités au XVIIF siècle , Paris, 1991

25 Madeleine Lassere, Villes et cimetières en France de l'Ancien Regime a nos jours Le territoire des morts, Paris, 1997 , Danielle Tartakowski, Nous irons chanter sur vos tombes Le Pere-Lachaise, XIXe-XXe siècle, Paris, 1999

26 Alain Cabantous, « Le corps introuvable Mort et culture maritime (xvie xixe siècles) », dans Histoire, Economie, Sociétés, 1990/3, p 321-336 , Claude-Isabelle Brelot, « La reinvention du patriciát au xixe siècle a travers necrologies et tombes bisontines », dans Cl Petitfrere (ed ), Construction, reproduction et representation des patnciats urbains de l'Antiquité au XXe siècle, Tours, 1999, p 497-515 et Jean-Pierre Chaline, « Patriciens pour l'eternite les monu ments funéraires dans trois villes du nord-ouest de la France », ibid , p 517 528

27 Annette Becker, La guerre et la foi De la mort a la mémoire, 1914-1930, Paris, 1994 (Collection U)

28 Alain Erlande-Brandenburg, Le Roi est mort etude sur les funérailles, les sepultures et les tombeaux des rois de France jusqu'à la fin du XIIIe siècle, Pans, 1975 , Ralph E Giesey, The royal Funeral ceremony m Renaissance France, Geneve, 1960, trad fr par Dominique Ebno- ther, Le roi ne meurt jamais Les obsèques royales dans la France de la Renaissance, Pans,1987 et Ceremonial et puissance souveraine France XVe-XVIF siècles, Pans, 1987 (Cahiers des Annales, 41)

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moins certains en revanche dans l'exercice biographique et, fait remarquable, dans « l'histoire de la famille » aux temps modernes et contemporains 29.

Cette « histoire de la mort » évolutive n'a cessé d'entretenir des rapports privilégiés avec une histoire religieuse non moins évolutive. Cette dernière a tendu à fédérer, depuis une vingtaine d'années, une large partie des travaux historiques portant sur ce que l'on appelait autrefois les « fins dernières », mais aussi sur les rapports entre les vivants et les morts. L'étude des représentations de l'au-delà et de l'angoisse du salut a constitué un secteur particulièrement dynamique, faisant naître des œuvres majeures 30. Celle des attitudes devant la mort conçues comme révélatrices des convictions religieuses (ou de leur refus par la libre-pensée 31) et des représentations des disparus 32 a été également féconde. En revanche, le renouvellement de l'étude des confréries a été d'abord impulsé par la problématique de la sociabilité associative et l'aspect fondamental de la solidarité des confrères vivants et morts dans la communion des saints a été peu pris en compte, sauf par Michel Bée 33. L'apport des historiens de la liturgie, des sacrements et des rites a commencé de passer des bibliothèques de séminaire à celles des universités et a fait l'objet d'intéressantes relectures 34. Face à l'immense corpus de la littérature religieuse, si les historiens ont, dans les chantiers de l'« histoire de la mort », privilégié la vulgarisation pastorale et normative à destination des laïcs à travers les sermons et les préparations à la mort 35, ils savent de façon croissante y reconnaître les allusions et citations scripturaires et patnstiques 36. Ce dernier trait semble révélateur d'une évolution plus générale : les historiens français récents manifestent le souci, à travers une spécialisation beaucoup plus étroite qu'à la génération précédente et des problématiques très délimitées, d'appréhender dans toute leur complexité les traces du passé et de les soumettre à une critique adaptée à la spécificité de chacune.

29 Exception due a un sociologue cependant Jean-Hugues Deghaux, Le souvenir des morts Essai sur le lien de filiation, Pans, 1997

30 J Baschet, Les justices de Гаи-dela Les représentations de l'Enfer en France et en Italie (Х1Г '-XVe siècles), Rome, 1993 (Bibl des Ecole françaises d'Athènes et de Rome, 279) , Carozzi, op cit , Jean Delumeau, La peur en Occident, XIVe -XVIIIe siècles, Paris, 1978, Le pèche et lapeur La culpabilisation en Occident, XIIIe-XVIIIe siècles, Pans, 1983 et Une histoire du Paradis, Paris, t 1, 1992, t II, 1995, t III, 2000 , Fournie, op cit , M Vovelle, Les âmes du Purgatoire ou le travail du deuil, Paris, 1996

31 Jacqueline Lalouette, La libre-pensée en France, 1848-1940, Paris, 1997 32 Jean-Claude Schmitt, Les revenants Les vivants et les morts dans la société medievale,

Paris, 1994 33 Michel Bee, « La société traditionnelle et la mort », dans XVIIe siècle, n° 106-107 (1975),

p 81-111, et « Religion, culture et société les confréries en Normandie, XVIIe-XXe siècles », dans Histoire, Economie et Société, 1992/2, p 277-293

34 Michel Lauwers, La mémoire des ancêtres Le souci des morts Morts, rites et société au Moyen Age (diocese de Liège, ХГ-ХПГ siècles), Paris, 1997 С Treffort, L'église carolingienne et la mort, Lyon, 1996

35 Daniel Roche, « La mémoire de la mort (xviie-xvnie siècles) recherche sur la place des arts de mourir dans la Libraire et la lecture en France aux xvne et xvine siècles », dans Annales E S C, 1976/1, p 76-119, repris dans Les Républicains des lettres Gens de culture et Lumières au XVIIIe siècle, Pans, 1988, p 103-156

36 La mort et l'au-delà en France méridionale ( XIIe -XVe siècle), Toulouse, 1998 (Cahiers de Fanjeaux, 33)

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L'un des apports de l'« histoire de la mort » a été la mise en œuvre de ce que l'on a appelé malencontreusement des « sources non-écrites », c'est à dire m manuscrites ni imprimées en leur principe (l'une des principales pour l'« histoire de la mort », les tombeaux, porte ordinairement des mentions épigraphi- ques). Soit, outre les « ethnotextes » de F« histoire orale », les tableaux, statues, monuments, objets, paysages funéraires 37, photographies anciennes, voire restes des morts eux-mêmes — qu'étudie une anthropologie physique liée depuis peu à l'exploitation des découvertes archéologiques 38. Si l'historien est par excellence le chercheur capable de documenter ces sources par l'archive, leur exploitation passe par des emprunts à d'autres disciplines : une histoire de l'art renouvelée 39, l'archéologie funéraire antique et médiévale (et une « archéologie des temps modernes et contemporains » à définition extensive, que la revue Ramages s'est efforcée de promouvoir) ; mais aussi la sémiologie de l'image et l'analyse des textes lapidaires 40. À travers des directions et des méthodes encore divergentes semble se mettre en place une « histoire des représentations de la mort et du statut des morts ».

Les rapprochements et les esquisses de dialogue avec d'autres sciences humaines ont été plus inégaux. L'ethnologie (ou anthropologie culturelle) et la sociologie sont les deux disciplines qui ont entretenu avec l'« histoire de la mort » les rapports les plus nets. Les historiens ont d'abord puisé dans le réservoir d'observations accumulées par ces deux disciplines, et ces dernières leur ont emprunté les informations historiques qu'elles jugeaient nécessaires à leurs analyses. La sociologie religieuse a aussi aidé en ses débuts F« histoire de la mort » sérielle par ses méthodes et ses modes de représentation des données statistiques et spatiales. Les historiens ont utilisé plus récemment des schémas et des concepts de l'ethnologie, dès lors qu'ils leur paraissaient opérationnels. Ainsi la théorie des rites de passage d'A. Van Gennep. Ils commencent à appréhender les liens entre les vivants et les morts en termes d'échanges, de dons et contre-dons. L'historien de la mort, surtout s'il est « rurahste » fait aussi son profit de bien d'autres aspects de l'ethnologie : sa perception du « terrain », son approche des phénomènes jugés « irrationnels », sa réflexion comparatiste nourrie de l'exotisme bénéfique d'autres rationalités qu'occidentale et d'autres cosmogonies que monothéistes 41.

L'on soulignera néanmoins l'hésitation, qui n'est pas propre à l'« histoire de la mort », à analyser les représentations d'exception très individualisées issues de l'expérience ascétique ou mystique et de la création littéraire — si l'on excepte du moms les cosmogonies issues des échanges verbaux entre

37 Michel Vovelle et Regis Bertrand, La ville des morts, essai sur l'imaginaire urbain contemporain d'après les ̂ cimetières provençaux, Pans, 1983

38 Michel Signoli, « Étude anthropologique de crises démographiques en contexte epidemi- que Aspects paleo- et bio-démographiques de la peste en Provence », thèse, Marseille II, 1998

39 Antoinette Le Normand-Romain, Mémoire de marbre La sculpture funéraire en France, 1804-1914, Paris, 1995 et « L'architecture et la mort », dans Monuments historiques, n° 124 (décembre 1982-janvier 1983)

40 Jean-Didier Urbain, op cit et L'archipel des morts Le sentiment de la mort et les derives de la mémoire dans les cimetières d'Occident, Paris, 1989

41 Signalons en particulier « Retour des morts », dans Etudes rurales, nos 105-106 (1987)

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meuniers frioulans ou cathares occitans et inquisiteurs. Le renouveau de l'histoire de la spiritualité chez les historiens français devrait à terme développer ces études, et des échanges plus soutenus pourraient être entretenus avec les historiens de la littérature — d'autant que le thème de la mort a retenu plusieurs d'entre eux et que l'œuvre d'un grand écrivain constitue une « étude de cas » pour laquelle le dialogue a été déjà amorcé par eux avec les sciences cognitives.

L'« histoire de la mort » est désormais éclatée. Cette apparente dispersion semble indispensable à l'approfondissement des éléments très divers qu'elle a initialement rassemblés dans un premier souci d'exploration parfois boulimique et prométhéenne d'un « territoire ». Il semble difficile qu'un chercheur qui ferait de F« histoire de la mort » stricto sensu (c'est-à-dire l'étude des représentations du processus de mort et de ses définitions médicales) analyse également la symbolique des cimetières et les débats théologiques sur la justification. Aussi doit-on se féliciter que l'« histoire de la mort » ne soit nullement devenue une micro-spécialité et que son éclipse la réduise plutôt aujourd'hui à des problématiques diversifiées et à des approches multiples 42, dont le point commun est de réintroduire, dans nombre de recherches très différentes, cette dimension importante du vécu que furent et restent le souci du salut, la mort et la présence des morts.

Régis Bertrand, Université de Provence

42 Daniele Alexandre-Bidon et Cécile Treffort (dir), A réveiller les morts La mort au quotidien dans l'Occident médiéval, Lyon, 1993 , С Treffort (dir), Mémoires d'hommes Traditions funéraires et monuments commemoratifs en Poitou-Charente De la Préhistoire a nos jours, La Rochelle, 1997