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L'homme et le surnaturel (Gran Chaco) 1 par Branislava SUSNIK Traduit de l'espagnol De la nature, de l'environnement, de toutes les choses qui l'entourent et de ses propres activités, l'homme primitif tire l'expérience indispensable à la satisfaction des postulats existentiels de base. A quelque niveau culturel que ce soit, l'homme doit également faire face au postulat vital lorsque le complexe d'incertitude prédomine chez l'individu ou dans la communauté et que les faits échappent à son contrôle. Sur le plan de la vie quotidienne, l'imprévisible, l'inexplicable ou l'échec, peut surve- nir; dans le cadre du cycle de la vie, la naissance, la vie et la mort enveloppent l'homme dans l'incerti- tude. Cette absence de sécurité sur ces deux plans le pousse à composer des attitudes et des conduites face à l'incontrôlable, face au surnaturel. Les deux postulats, existentiel et vital, sont étroitement inter- dépendants; les croyances, la volition, la pensée et les actions forment un tout indissociable. L'environ- nement dans lequel évolue le chasseur ou le chasseur-cultivateur, ainsi que ses activités, cons- tituent un ensemble de termes de référence pour exprimer la pensée. Ces termes de référence qui définissent la réalité de la culture des chasseurs sont pour nous souvent étranges, peu compréhensibles, - ils témoignent d'un trop grand écart par rapport à nos propres termes de référence —, d'où nos concep- tions souvent erronées de la véritable signification des mythes, des rituels et des cérémonies indigènes. 1. LE CONCEPT DE LAME. VIE ET MORT, a. L'âme du vivant Tous les anciens chroniqueurs relèvent que les Chaquéniens 2 avaient la notion de la survivance de l'âme après la mort. En réalité, c'est davantage 1 Conférence prononcée en avril 1971 à la Faculté des Humanités de l'Université nationale du Nord-Est, Resistencia. République Argentine. 1 Chaquéniens: habitants du Gran Chaco l'âme du vivant que celle du défunt qui intéresse l'indigène. La grande expérience humaine du rêve a conduit l'homme primitif à établir une distinction entre le corps et l'âme, à parler de l'âme vitale. Tous les Chaquéniens disent que l'âme se détache du corps pendant le sommeil, qu'elle se promène, rend visite et vit. Le contenu du rêve correspond à une réalité, c'est l'expérience de l'âme extériorisée. L'homme meurt lorsque son âme quitte son corps, et non à l'instant de la mort physique. Les Lengua, les Chulupl, ainsi que les Chamacoco par exemple, enterraient souvent les moribonds; l'état comateux du malade permettait de supposer que l'âme lavait déjà définitivement quitté, donc de le considérer comme mort. La vraie fonction des chamanes, leur fonction essentielle, consistait précisément à recap- turer l'âme et à la rattacher au corps des'malades. Par voie de conséquence, le pire des crimes, la plus infâme magie noire, était de voler l'âme de son pro- chain. Pour exprimer notre concept de la lutte de la vie contre la mort, les Toba utilisent l'expression «fixer l'âme, c'est fixer la vie», expression indigène quasi générale, et à leurs yeux les moyens magiques jouent un rôle considérable dans cette «fixation de la vie» puisque la simple thérapeutique curative se réfère aux maladies dans lesquelles il n'y a pas de risque que l'âme se détache du corps. Précisons ici qu'il s'agit de l'âme vitale, de l'âme du vivant, âme qui, selon le concept indigène, exige son «siège». C'est la raison pour laquelle les Chaquéniens ont en général deux mots pour désigner l'âme : l'un pour l'âme du vivant et l'autre pour l'âme post-mortem, ce dernier signifie parfois «l'ombre, l'extériorisée (qui s'en est allée)», comme par exemple en mataco «husek-axat» ou en chamacoco «eicibit-digicibit» Faisant allusion au principe vital qui les anime, les Chaquéniens ont l'habitude de parler de l'âme des animaux; les EmokToba utilisent l'expression «hi'agit», qui désigne «ce qui fait agir, vivre». A titre d'exemple, le cerf a son âme dans ses bois, le tama- noir dans ses griffes, les oiseaux dans leurs plumes. Comme on le voit, la partie de l'animal la plus impor- 35

L'homme et le surnaturel (Gran Chaco) 1

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Page 1: L'homme et le surnaturel (Gran Chaco) 1

L'homme et le surnaturel(Gran Chaco) 1

par Branislava SUSNIK

Traduit de l'espagnol

De la nature, de l'environnement, de toutes leschoses qui l'entourent et de ses propres activités,l'homme primitif tire l'expérience indispensable à lasatisfaction des postulats existentiels de base. Aquelque niveau culturel que ce soit, l'homme doitégalement faire face au postulat vital lorsque lecomplexe d'incertitude prédomine chez l'individuou dans la communauté et que les faits échappentà son contrôle. Sur le plan de la vie quotidienne,l'imprévisible, l'inexplicable ou l'échec, peut surve-nir; dans le cadre du cycle de la vie, la naissance, lavie et la mort enveloppent l'homme dans l'incerti-tude. Cette absence de sécurité sur ces deux plansle pousse à composer des attitudes et des conduitesface à l'incontrôlable, face au surnaturel. Les deuxpostulats, existentiel et vital, sont étroitement inter-dépendants; les croyances, la volition, la pensée etles actions forment un tout indissociable. L'environ-nement dans lequel évolue le chasseur ou lechasseur-cultivateur, ainsi que ses activités, cons-tituent un ensemble de termes de référence pourexprimer la pensée. Ces termes de référence quidéfinissent la réalité de la culture des chasseurs sontpour nous souvent étranges, peu compréhensibles,- ils témoignent d'un trop grand écart par rapport ànos propres termes de référence —, d'où nos concep-tions souvent erronées de la véritable significationdes mythes, des rituels et des cérémonies indigènes.

1. LE CONCEPT DE LAME. VIE ET MORT,

a. L'âme du vivant

Tous les anciens chroniqueurs relèvent que lesChaquéniens 2 avaient la notion de la survivancede l'âme après la mort. En réalité, c'est davantage

1 Conférence prononcée en avril 1971 à la Faculté desHumanités de l'Université nationale du Nord-Est, Resistencia.République Argentine.

1 Chaquéniens: habitants du Gran Chaco

l'âme du vivant que celle du défunt qui intéressel'indigène. La grande expérience humaine du rêvea conduit l'homme primitif à établir une distinctionentre le corps et l'âme, à parler de l'âme vitale. Tousles Chaquéniens disent que l'âme se détache ducorps pendant le sommeil, qu'elle se promène, rendvisite et vit. Le contenu du rêve correspond à uneréalité, c'est l'expérience de l'âme extériorisée.L'homme meurt lorsque son âme quitte son corps,et non à l'instant de la mort physique. Les Lengua,les Chulupl, ainsi que les Chamacoco par exemple,enterraient souvent les moribonds; l'état comateuxdu malade permettait de supposer que l'âme lavaitdéjà définitivement quitté, donc de le considérercomme mort. La vraie fonction des chamanes, leurfonction essentielle, consistait précisément à recap-turer l'âme et à la rattacher au corps des'malades.Par voie de conséquence, le pire des crimes, la plusinfâme magie noire, était de voler l'âme de son pro-chain. Pour exprimer notre concept de la lutte de lavie contre la mort, les Toba utilisent l'expression«fixer l'âme, c'est fixer la vie», expression indigènequasi générale, et à leurs yeux les moyens magiquesjouent un rôle considérable dans cette «fixation dela vie» puisque la simple thérapeutique curative seréfère aux maladies dans lesquelles il n'y a pas derisque que l'âme se détache du corps. Précisons iciqu'il s'agit de l'âme vitale, de l'âme du vivant, âmequi, selon le concept indigène, exige son «siège».C'est la raison pour laquelle les Chaquéniens onten général deux mots pour désigner l'âme : l'un pourl'âme du vivant et l'autre pour l'âme post-mortem,ce dernier signifie parfois «l'ombre, l'extériorisée(qui s'en est allée)», comme par exemple en mataco«husek-axat» ou en chamacoco «eicibit-digicibit»Faisant allusion au principe vital qui les anime, lesChaquéniens ont l'habitude de parler de l'âme desanimaux; les EmokToba utilisent l'expression«hi'agit», qui désigne «ce qui fait agir, vivre». A titred'exemple, le cerf a son âme dans ses bois, le tama-noir dans ses griffes, les oiseaux dans leurs plumes.Comme on le voit, la partie de l'animal la plus impor-

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tante pour sa défense est considérée comme le siègede l'âme, le symbole expressif des chasseurs. Unanimal privé de cette partie du corps serait «sansvie», mort. Ce concept se reflète dans l'attitude deschasseurs; ils arrachent par exemple quelques plu-mes des oiseaux abattus afin que l'âme de l'animalne les poursuive pas, ce qui s'explique puisque c'estdans les plumes que cette dernière est censée résider.On sait que tous les Chaquéniens détruisent immé-diatement les biens d'un défunt, que parfois ils brû-lent sa hutte et quittent l'endroit, manifestant ainsila crainte que l'âme du mort qui s'en est allée n'aittrouvé un siège dans les lieux ou les objets qui luiappartenaient de son vivant. Le cas échéant, les âmespost-mortem peuvent devenir dangereuses en raisonde leur tendance à rechercher la compagnie d'autresâmes, de celles de parents encore en vie.

b. La mort par magie noire et les rites funéraires devengeance

Pour tous les Chaquéniens, la mort des jeunesgens ou des adultes n'est pas considérée comme laconséquence d'une maladie, c'est-à-dire commeun phénomène naturel. Les Toba et les Chamacocoacceptent la mort naturelle~Ib7squ'il s'agit d'unepersonne âgée dont on peut dire que «le sang sesèche», état de décrépitude contre lequel on nepeut lutter- ce qui résulte symboliquement du grandpouvoir magique du soleil, toujours conçu commefigure adverse pour l'homme. Avant qu'un vieillardne meurt physiquement, on pense que son âmecherche déjà à quitter son «siège» et que, détachéedu corps, elle peut alors rencontrer ou visiter d'autresâmes vivantes. Les Lengua-Maskoy acceptent l'idéede la mort naturelle si «les os ne servent déjà plus»,lorsque la capacité de se mouvoir vient à manquerchez un vieillard. Pour tous les peuples du Chaco,la mort est inacceptable alors qu'on «vit»; et dansleur esprit, vivre c'est avoir: les os longs et forts(symbole du chasseur qui parcourt les plaines), lepoignet fort (symbole de l'archer infatigable quiassure la subsistance), le haut du bras musclé(expression désignant la force et la résistance dulancier, chez les Mbayâ-Guaycurû et les Zamucoprincipalement), le ventre volumineux (exprime lerassasiement par opposition à la faim), ou ne pasavoir de nausées (c'est-à-dire savoir manipuler lesesprits malins et rester «sain»). Que survienne lamort d'une personne jouissant de ces conditionsessentielles, on ne pourra que l'attribuer à la magienoire, à la malveillance chamanique. Refusant unetelle mort, le Chaquénien accuse son prochain,réaction humaine des plus communes lorsqu'enpériode de crise l'homme se sent impuissant.

L'idée de cette accusation est si profondémentenracinée dans l'esprit des habitants du Gran Chacoque les rites funéraires de vengeance apparaissentcomme un moyen de soulager la terreur individuelleet, par contagion, la terreur-tristesse collective. Sus-pectant un acte de magie noire lors d'un décès, lesAbipôn extraient la langue et le cœur du défunt et

les donnent à manger à un chien afin que ce dernierse venge du sorcier malfaisant. Chez les Mocovl, lechamane tire une flèche dans le cou et dans le cœurdu mort pour s'assurer que le sorcier qui a provoquéce décès (par sa magie noire) ne puisse éviter depayer pour ce crime. Chez les Lengua-Maskoy, lechamane doit localiser l'endroit «où gît la mort» dansle cadavre du défunt ; s'il estime que la «mort» résidedans la tète - ce qui est le cas lorsqu'une forte fièvres'est manifestée avant le décès - , il frappera le crâneavec une massue pour «tuer la mort» et pour quecette dernière aille frapper le coupable. Dans le mêmebut, il tire également une flèche dans le cœur dudéfunt ou écarte la poitrine de ce dernier à l'aide dechevilles. La mutilation du cadavre peut être pluspoussée et aller jusqu'à l'introduction dans le corpsde pierres chaudes, de griffes de tatou, de fourmisou d'os de chiens. De tels rites illustrent déjà unevengeance véritable, individuelle et collective; ilsreprésentent une tentative de communication avecles âmes afin que, de la Voie lactée - résidence sup-posée des âmes après la mort - , elles commandentaux pierres de tomber comme des météores sur lecoupable présumé, que les griffes du tatou raclentla terre et découvrent le sorcier inculpé et que les osdu chien poursuivent le suspect grâce au flair de cetanimal. Les Chulupi connaissent également un ritesemblable: après avoir prélevé un morceau de chairdu cadavre, ils le donnent à un chien qu'ils tuentimmédiatement; ils frottent le visage avec des plan-tes considérées comme magiques; parfois ils écar-tèlent la poitrine avec des chevilles ou utilisent desflèches brûlantes et placent une pierre chaude dansla cavité ainsi obtenue. On notera que toutes cespratiques obéissent à un même dessein : inciter l'âmed'une victime à se venger du responsable du décès.

c. Le Grand Esprit Malin

Les esprits malins peuvent s'emparer de l'âme etceux qui régissent les maladies constituent un dan-ger potentiel pour l'âme lorsqu'elle se détache ducorps du mourant. Les Toba disent que l'âme «nes'attache déjà plus au corps débile». Dans ce cascependant, l'homme croit qu'il peut lutter contre lepouvoir des esprits par le truchement des rites demagie préventive, soit par l'intervention des chama-nes, soit par des actes destinés à apaiser les espritsmalins. L'homme tente d'atteindre ce but par lacoaction magique; il n'est donc pas étonnant queces mêmes esprits malins, en prenant possession del'âme d'un homme, parviennent à transformer celui-ci en chamane. Chez les Mataco, la maladie qui meten danger la sortie de l'âme est le sang d'unchamane-sorcier qui vivait avec les esprits «welan»;les gens avaient accusé ce chamane de pratiquer lamagie noire et avaient décidé de le tuer; mais, avantde mourir, le chamane répandit le sang qui jaillissaitde sa blessure. Ainsi, l'origine de la maladie s'iden-tifie à l'acte de vengeance et démontre le pouvoirpresqu'invincible des chamanes de cette catégorie.Pour les Chamacoco. les âmes des chamanes del'époque mythique des Hommes-Etoiles se trouvent

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dans une nébuleuse: ces «osiwuro», les «impulsifs»,symbolisent la colère humaine, la vengeance cha-manique, et sont ainsi les maîtres primordiaux de lamaladie qui cause la sortie de l'âme. Ces espritsmalins sont précisément les «protecteurs des cha-manes» et l'homme croit que dominer une forcedangereuse revient à la connaître, à se la rendre fami-lière. L'idée de donner des interprétations symboli-ques de la maladie et du sang s'est conservée chezles Sanapanâ et les Lengua septentrionaux. L'arbrequebracho ' est l'arbre du sang, puisqu'on lui seréunissent les âmes des enfants morts et celles desvictimes de la magie noire. Dans ce cas, la vengeanceapparaît également comme une motivation. Chez lesEmok-Toba et les Lengua, le ver «kjagaik» qui vitdans \è~quebracho rouge est un objet de sorcelleriepouvant entraîner des conséquences mortelles.

d. Les esprits guetteurs et les cérémonies magico-prèventives

II existe une autre série d'esprits malins qui «viventdans la terre, sous la terre et dans certains arbres»selon les indigènes; ils attribuent à ces esprits lafaculté de «guetter l'homme». L'idée du «guet per-pétuel» symbolise tout l'ensemble des dangersimprévisibles que l'homme doit affronter, y comprisles maladies - dans ce cas idée de projection indi-viduelle et non collective, et d'un caractère tel qu'ilest implicite dans les violations de l'ambiance locale.Les «nohsek» des Choroti sont toujours des espritsqui amènent le mal; le «nohsek ihitek», petit espritanthropomorphe, lance des fléchettes et provoquedes maladies. Chez les loba, il en va de même avecle «payak», spécifiquement ayaqua (charançonmythique des champs), armé de petites flèches depierre; les «honatsi-lele», habitants du sol aux habi-tudes nocturnes chez les Mataco, possèdent aussicette faculté de «guetter l'homme». Les Lenguaparlent des «askok» du marais, des champs, etc., etl'esprit du marais peut par exemple causer le rhuma-tisme. Ces esprits guetteurs d'hommes ont les mêmescaractéristiques «d'être naturels», ou «de la nature»,que les Maîtres de la Nature. Ils agissent en se ser-vant de divers moyens, de la fléchette magique enpierre jusqu'aux stolons de caraguaté 4, os d'ani-maux, etc., qui sont accompagnés de leur interpré-tation symbolique respective : le stolon de caraguatéfixé au corps signifie rhumatisme musculaire parexemple. Chez les Çhamacoco, on sait que de tellesmaladies peuvent être considérées comme un châti-ment résultant de la non-observation de certainesrègles du code socio-moral ou de la rupture d'inter-dits alimentaires. La croyance selon laquelle cesesprits peuvent pénétrer par les orifices du corpshumain est commune à tous les Chaquéniens, cequi explique la variété des moyens préventifs utilisés,allant des ornements auriculaires au tatouage. Lorsd'un décès consécutif à la maladie, les Lengua ont

3 Quebracho: Quebrachia Lorentti Griseb.4 Caraguatà: Bromelia lagenaria Arr. Cam.

l'habitude de sceller la bouche du défunt avec de lacire ou de la boue, afin que l'esprit de cette maladiene puisse atteindre le corps des vivants. Cette cou-tume peut avoir parfois le sens d'une protectioncontre la contagion, contagion qui, aux yeux desindigènes, représente toujours le simple «passagede l'esprit» d'un corps à un autre.

De nombreux Chaquéniens accomplissent descérémonies magiques particulières pour se protégercontre les esprits de cette catégorie. Chez lesMataco, on connaît une cérémonie pour l'expulsioncollective des maladies. A cette occasion, tous leschamanes d'un village se réunissent, munis dehochets, de sifflets en os et de touffes de plumes denandou, objets nécessaires pour établir le contactavec les esprits. Ils utilisent habituellement le«hatax»-plante stimulante de cebil5 - pour entrer en transes.Les lances et les flèches étant fichées en terre demanière à former un cercle, un chamane attire cesesprits-guetteurs vers ce cercle de pointes; l'attaquecontre les esprits-maladies a lieu ensuite. Se dépla-çant à l'intérieur du cercle, les chamanes frappentl'herbe à coups de plumes et de bâtons pour effrayeret faire fuir les esprits; un chamane souffle ou passeson bouquet de plumes au-dessus de la tête desassistants. La cérémonie observée chez les Tobaorientaux revêt également ce caractère de conjura-tion ou de magie préventive; ils parlent de «donnerla mort à l'esprit du mal». Portant son tambour, lechamane se tient au milieu du cercle; autour de lui,les hommes dissimulent leurs flèches. Le chant cha-manique doit attirer les esprits malins puis, obéissantaux ordres du chamane, les hommes se ramassentsur eux-mêmes, sortent leurs flèches et les tirent àla ronde afin de «tuer les nuisibles», les «nouït». Enraison de leurs croyances en la proto-mère Esnu-warta, la cérémonie magico-préventive chez lesÇhamacoco a lieu après la grande cérémonie anab-sonique 6. Ayant réunis tous leurs ornements deplumes rouges - bouquet rouge - , les hommes leslancent dans la direction de la Voie lactée où,croient-ils, réside la proto-mère, convaincus d'éloi-gner ainsi les esprits malins porteurs de maladies.Il convient de se rappeler que pour les indigènes lanotion de maladie ne s'applique qu'aux maux sus-ceptibles de provoquer «la fuite de l'âme humaine»ou aux risques d'affections chroniques qui débilitentprogressivement le corps et provoquent ainsi l'éven-tuelle «fuite de l'âme». L'indigène n'a par contre querarement recours au chamane pour les blessures oules malaises ayant des causes naturelles; par expé-rience, les personnes âgées connaissent nombre deremèdes tels que les infusions de plantes ou deracines, la saignée ou la ligature.

e. L'âme post-mortem

Le véritable destin des âmes post-mortem n'a étéque peu étudié chez les Chaquéniens. Comme on

6 Cebil: Curupay. Piptademia. Cebil Gr.6 Anabsonlque : relatif aux Anabsonro (voir chapitre 6).

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l'a signalé plus haut, ils connaissent généralementdeux termes pour désigner l'âme : celle qui vit et celled'un défunt, «l'âme libre» et «l'âme qui s'en est allée»,c'est-à-dire qui a acquis d'autres caractéristiquespuisqu'elle a perdu son «siège». Chez les Chaqué-niens, il y a conscience de la continuité de l'âmesous deux aspects fondamentaux : la métempsycose(ce qui implique que l'âme doit trouver un «nouveausiège») ou la communauté des âmes post-mortemprovenant d'un même groupe et rassemblées en unmême lieu (les liens communautaires assureraientici la continuité entre les deux aspects de l'âme).Nous savons que les Mbayà- Guaycurû, les Payaguàet les Abipôn avaient des cimetières communautairesfixes et qu'ils pratiquaient la sépulture au deuxièmedegré. Ils étaient capables de parcourir de grandesdistances pour recueillir les ossements d'un parentmort au loin ou au combat dans le seul but del'enterrer dans un cimetière communal. Lorsqu'ilsdevaient recapturer l'âme d'un malade, les chamanesavaient l'habitude d'aller dans les cimetières pourla trouver; l'âme «sortie» était encline à rejoindre lesâmes de ses parents qui s'en sont allées. Le mêmecimetière servait ainsi de résidence post-mortempour les âmes qui pouvaient errer, se déplacer,comme elles le font durant les rêves d'un dormeur.Les Mbayà avaient une urne à esprits, petite poteriehaute d'environ 25 cm, complètement fermée àl'exception d'un petit orifice ménagé dans le fond durécipient permettant la sortie et l'entrée de l'âmelorsque cette dernière quitte la communauté desautres âmes et erre librement Cependant, ce n'estpas là le destin exclusif des âmes post-mortem; latendance socio-cérémonielle des Mbayâ et leurbellicisme même permirent le développement del'idée que les âmes des guerriers peuvent «accom-pagner les étoiles».

Pour les Lengua-Maskoy : a) quelques âmes post-mortem voyagent jusqu'au «pays des esprits» quel'on dit être à l'ouest, car c'est dans cette directionqu'était situé l'habitat pré-chaquénien des Lengua-Maskoy du groupe septentrional ; ces âmes- là restenten groupe ou en familles; b) certaines âmes, parti-culièrement celles des chamanes semble-t-il, ga-gnent la Voie lactée, symbole de la Vie et endroit où,selon leur mythe de l'origine du monde, les premiershommes restèrent prisonniers après la rupture del'arbre qui unissait la terre et le ciel; d'une certainemanière, on reconnaît également ici l'idée de conti-nuité assurée par la communauté; c) d'autres âmesenfin prennent possession d'animaux divers, spécia-lement d'oiseaux; c'est le principe de la métem-psycose.

Cette idée de la transmigration des esprits-âmesest encore plus accentuée chez les Emok-Toba quiy ont introduit certaines catégories: les âmes desjeunes se fixent dans les oiseaux «tuyuyù», cellesdes femmes dans les «alolï», etc. La continuité del'âme est aussi assurée ici puisque, selon la mytho-logie, de nombreux animaux étaient autrefois anthro-pomorphes ou anthropopsychiques. Le zoomor-phisme des préhominiens ou proto-hommes serait

dû à la punition provoquée par des cataclysmes oudes transgressions de règles socio-morales. L'oiseau«tuyuyû» par exemple était un proto-jeune zoomor-phisé, d'où l'idée que l'âme d'un jeune défunt pou-vait transmigrer précisément dans cet oiseau aupoint de s'y sentir «en communauté». On peut citerplusieurs notions à ce propos chez les Mataco.Autrefois, ces derniers avaient des cimetières com-munautaires où ils déposaient les ossements desdéfunts après que le cadavre de ces derniers eut étédécharné à la suite d'un séjour sur une plate-formeplacée dans un arbre. L'enterrement de ces osse-ments au deuxième degré était souvent directe-ment pratiqué; cette coutume dénote clairementl'influence arawak subandine. Dans ces cas-là, oncroyait aussi en la continuité de l'âme dans lacommunauté familiale.

Aujourd'hui, les Mataco croient encore en l'exis-tence «d'âmes libres» qui errent dans les forêts ouprennent «siège» dans le vent du Nord. De plus, ilscroient en une forme de métempsycose qui, aprèsle passage par les oiseaux et les mouches, prévoitque l'âme se désintègre en suivant le dessèchementdes plantes sur lesquelles elle s'était finalementfixée. Cette notion de la désintégration ou mortdéfinitive de l'âme après un lent processus transmi-gratoire est propre à quelques groupes mataco; ellerappelle le concept analogue des Kaingang-Gê.Cette transmigration incluant le passage par diversoiseaux ou autres animaux implique l'idée d'uneséparation, d'un exil de l'âme post-mortem hors dela communauté des autres âmes et de celle des survi-vants. Chez les Chamacoco, les âmes tentent deparvenir à «osypyte», lieu où elles sont réunies enétroites communautés familiales et où elles jouentau jeu sacré de la pelote «osiwute», tout en respec-tant la division clanique traditionnelle. Chez lesChamacoco encore, un léyer coup de tonnerrerésonnanfau loin est interprété comme l'appel desâmes des défunts à celle d'un parent vivant. L'idéeque les âmes post-mortem appellent celles desvivants est plus fortement ancrée chez les Çhawi)-ÇOCQ que dans les autres populations du Chaco.Quelques âmes peuvent en outre transmigrer enune série de six animaux; cette forme de métem-psycose peut se produire lorsqu'une personne rêvedu sang d'un animal, ce qui la lie à ce dernier, ou siun vieillard rêve d'un animal et désire transmigreren lui, ce qui implique que rêve et volition s'asso-cient.

2. L ' H O M M E , LA NATURE ET LE M O N D EANIMAL

a. Les Maîtres de fa Nature

Par les sens et l'expérience, l'homme primitif saitqu'il peut côtoyer des dangers insidieux ou rencon-trer des obstacles imprévisibles dans ses activitésquotidiennes, c'est-à-dire dans son environnementimmédiat. Ce savoir se traduit par deux concepts,celui de Maitres de la Nature el celui de Maîtres desAnimaux.

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Les Maîtres de la Nature sont des esprits anthro-pomorphes qui se déplacent presque toujours denuit; face à l'homme, ils adoptent une attitude pro-vocatrice et dangereuse. Cependant l'homme peut,pour échappera toute conséquence fâcheuse, recou-rir à la magie, en adoptant par exemple l'attitude quiconsiste à «se moquer des esprits», attitude corres-pondant à notre expression «avoir l'art d'éviter ledanger».

Les Emok-Toba parlent des «pîllik» ou «espritsrampants» de diverses catégories. Le «pîllik noir» ou«à jambes noires» se tient le jour dans le creux desarbres et se déplace de nuit comme un chercheur demiel, armé d'une massue, généralement dans lesforêts, ce qui a incité d'aucuns à l'identifier au Maîtredes Forêts. Il y a aussi le «pîllik» du palmier, par lafaute duquel l'homme se perd dans les palmeraiess'il ne porte pas son ornement d'oreille, et le «pîllikaux jambes rouges» qui déambule dans les marais etles lagunes, manifestant sa présence par un cri parti-culier; le «pîllik aux jambes blanches» enfin est connusous le nom de Maître des Champs ouverts. Chezles Lengua-Maskoy, on parle des «kiljikhama» ou«esprits qui attrapent»; les hommes éprouvent unecrainte particulière à l'égard du «kiljikhama» blancdes lacs, des rivières et des terrains fangeux; c'estle Grand Adversaire qui siffle, provoque, menace,nuit et représente un danger personnifié puisqu'ilest également capable de prendre possession del'âme humaine. L'homme peut toutefois s'en proté-ger «en se moquant», ce qu'il fera en portant un dia-dème fait des plumes rouges d'un oiseau rare dansla région ou en recourant à d'autres moyens similai-res. Nombre d'esprits «nohsek» mentionnés par lesMataco ont un caractère semblable. Quelquesesprits des forêts anabsoniques des Chamacocoappartiennent également à cette catégorie, quoiquemoins influencés par le milieu naturel. Dans leurmythe de l'origine de l'homme ou sa création parle Grand Escarbot mythique, les Lengua ont conservéune version relatant l'origine de ces esprits. D'aprèseux, ces derniers appartiennent â la race puissantequi habitait la terre avant les hommes, ce sont lesesprits mêmes contre lesquels les Jumeaux Siamois,le premier couple humain, ne purent jamais lutter.

L'homme primitif sait qu'il n'est pas «le maître, lepatron» de la nature et qu'il y a des phénomènesimprévus et imprévisibles, d'où son expression con-ceptuelle des esprits de la nature, libres et forts, quivivaient avant les hommes. Contre ces esprits,l'homme ne peut opposer que ruse et astuce, ainsique des moyens magico-protecteurs; nombre depetits ornements, qui ne signifient rien en eux-mêmes, ont précisément cette finalité.

b. Les Maîtres des Animaux

Le chasseur, qui dépend de la nature pour sa sub-sistance, apprécie celle-ci par le biais des ressourcesqu'elle lui fournit; c'est la raison pour laquelle ilcherche des formules conduisant à l'obtention de

moyens d'action afin de garantir sa sécurité vitale.Il existe dans la mythologie indigène nombre deMaîtres des Animaux. Chez les Emok-Toba parexemple, le «neenaga-lïk» ou «l'habitant deschamps» est représenté par le «marïik I: taa», c'est-à-dire le vigoureux «père des nandous» et il en vade même chez les Lengua-Maskoy. Par ce terme,ces derniers désignent un «chef des nandous» ou,selon leur expression, le «nandou-homme» quidirige et protège ces oiseaux. Lorsque les chasseursmultiplient par trop leurs prises, ce «père des nan-dous» peut cacher ses protégés en ouvrant son ailegéante et tenter de les venger, comme, chez lesMaskoy, en touchant le genou du chasseur et pro-voquant ainsi une crise de rhumatisme articulaire.Le cas échéant, il convient de faire appel au chamanepour que celui-ci apaise le «maître irrité des nan-dous» et que la chasse redevienne fructueuse, cequi est essentiel en raison de la place qu'elle occupedans le domaine de l'alimentation. De véritablesrègles de comportement sont issues de cette pré-misse mythologique, règles qui sont observées à lachasse et dont la finalité apparemment mythiqueassure en réalité la sauvegarde du territoire de chassetribal. Le thème du «père des nandous» est un mytho-logème commun à tous les chasseurs chaquéniens.

On peut également citer l'exemple de «l'habitantdu marais», aussi nommé «chef/père des cerfs»,capable de faire disparaître les cerfs lorsque leschasseurs transgressent certaines règles. L'échecd'une chasse collective est généralement attribué àl'intervention de ces «chefs/maîtres des animaux».Au nombre des croyances des Ayoweo et des Cha-mà£9S*SU ~ rappelons-nous l'idée de la proto-mèretsnuwarta - , figure la mère-tamanoir en tant quemaîtresse des animaux.

Aussi bien cette «mère-maîtresse» que les «pères-chefs» sont conçus comme des «gardiens chiches»des animaux qu'ils protègent, ce qui explique lanécessité d'un rite d'exorcisme destiné à apaiser lesMaîtres des Animaux. A titre d'exemple, citons lerite zamuco qui veut que le chamane offre le premiermorceau de viande rôtie de tamanoir à la «mère-maîtresse». Avant une chasse collective aux cerfs,nandous ou pécaris, le chamane s'efforce d entreren contact avec ces Maîtres dans le but de déter-miner le lieu où la chasse devra se dérouler. Chez lesChamacoco. qui ont développé le concept de «pro-tecteurs» sous l'influence de la religion des Chiguitude l'Est bolivien, on reconnaît le «chasseur-protec-teur» Xoxyt et la «maîtresse-protectrice» XosytaPour s'assurer d'une bonne chasse, c'est-à-dire parvoie de conséquence la subsistance nécessaire, ilsuffit de s'identifier avec le chasseur-protecteurmagique. Pour le Chamacoco, s'identifier signifieréaliser la concrétisation de l'alliance de l'hommeet de Xoxyt que l'on considère comme le surhomme-chasseur. Il est intéressant de noter que te mouve-ment pseudo-messianique des Chajngcocq, quivise à les libérer de l'influence blanche pour retrou-ver l'ancienne tradition, s'est particulièrement appuyésur la recherche de ce chasseur-protecteur.

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c. La métamorphose animal-homme

II importe d'étudier également la relation concep-tuelle que le chasseur primitif établit avec son envi-ronnement animal immédiat, monde avec lequel ilest étroitement associé et qui lui procure nombre determes pour exprimer ses conceptions mentales etmorales. Le concept de la métamorphose de l'hommeen animal à l'époque mythique est commun à tousles Chaquéniens. Les Mataco et les Toba orientauxparlent de la métamorphose homme-animal surve-nue après le Grand Incendie Universel. D'autres,tels les Mocovi, les Lengua et les Chamacoco, pos-sèdent un véritable stock légendaire sur cette méta-morphose attribuée à des transgressions socio-morales liées au fait que les proto-hominiens - plustard animaux - auraient exagéré leur rôle vital sym-bolisé ultérieurement dans le caractère offensif etdéfensif propre à chacun des animaux dans lesquelsils se sont transformés. Pour les Emok-Toba, letamanoir résulte de la métamorphose d'une vieillefemme, agressive et vindicative, qui exige le respectdes obligations sociales. Selon les Mocovi, la femmequi rompit l'arbre mythique qui unissait le ciel et laterre se métamorphosa en carpincho 7. Le cerf avecses bois est, aux yeux des Emok, un puissant cha-mane transformé pour avoir abusé de son pouvoir.Selon les Caduveo-Mbayâ, le «yryvù-cara/?c/7O» a

est un ancien chasseur, excellent et presque infail-lible, mais qui a été métamorphosé en animal pours'être montré mesquin et égoïste en ne répartissantpas la viande entre ses compagnons. Pour lesMataco, les pécaris sont des femmes transforméesqui, sorties pour récolter des feuilles de caraguaté,ne sont pas revenues à temps à leur campement.Ces quelques exemples suffisent à montrer l'idéede base d'où procède la métamorphose mythique:en raison du danger que cela présente pour la com-munauté, le fait d'exagérer une qualité, une conditionou une circonstance entraine l'apparition du mytho-logème commun de répréhension. Bien que l'idéereligieuse du châtiment post-mortem ne soit pascontenue dans la conception que les Chaqué-niens se font des âmes post-mortem, on trouve ce-pendant un élément indigène original: il s'agit duchâtiment-blâme réservé à tout ce qui est abusif etqui est assimilé au danger potentiel pour la commu-nauté et l'individu.

d) Le symbolisme conceptuel et la projectionde la vie

A l'intérieur de cette conceptualisation qui s'étendjusqu'à la survivance du groupe, le chasseur chaqué-nien développe toute sa capacité symbolico-inter-prétative à travers sa profonde compénétration dumonde animal. Pour les Zamyco. le cerf symboliseun chef communal, un cacique rusé métamorphosé

7 Carpincho petit rongeur, Hydrothoerus capybara Erxl.(Water-dog, riverpig, etc )

8 Carancho: oiseau falconidé. argentin et paraguayen.Polyburus thaurus (Mol).

et en même temps l'homme, protecteur vigilant desfemmes, luttant pour son terrain de chasse; onle décrit toujours comme un homme-animal quiaffronte les dangers avec prévoyance et agressivité sinécessaire. En fait, le caractère propre de la vitalitédu cerf amène à la transposition symbolique de laconduite de l'homme lui-même. La femme-cerf estconsidérée comme la vraie procréatrice. La proto-mère Esnuwarta elle-même se métamorphosa enfemme-cerf pour donner une nouvelle origine à lafemme iamuco. Dans les légendes, l'once est quali-fiée de «grand patron solitaire de son territoire», de«marcheur solitaire». Le jaguar est présenté commeagressif, mais en même temps comme véritable «co-errant» de l'homme chasseur en raison de leur com-mun souci de la chasse. Ces éléments conduisentà la naissance de toute une série de nouveaux mytho-logèmes. Le chasseur est en effet conscient du faitque la seule agressivité ne suffit pas à sa survie, ilsait l'importance de la valorisation réelle - et égale-ment symbolique - de la ruse, du «savoir tromper»,prémisse fondamentale de la conceptualisationmagique de la vie, de l'activité et de la conduitemême. Les Zamuco imaginent aussi le tamanoircomme une femme métamorphosée, symbole deprévoyance en matière de descendance, la pré-chamacoco dont les griffes renferment le pouvoirdéfensif; on notera que nombreux sont les récitsmythiques et légendaires qui mettent en évidencede tels caractères. L'interprétation du monde orni-thologique est encore plus diversifiée; pour les indi-gènes, l'oiseau lui-même symbolise le don de «visionde la terre», symbole d'où procèdent les conceptsd'oiseaux prémonitoires, d'oiseaux auguraux, etc.Les âmes post-mortem des chamanes et celles, libé-rées, des chamanes vivants - pendant les rêves oules visions - peuvent prendre «siège» chez les oi-seaux (métempsycose visionnaire des chamanes),d'où elles parviendront à entrer en contar' avec lesâmes cosmiques des grands chamam défunts.Pour sa part, l'homme cherche à s'assoc dr avec lesoiseaux - à s'identifier è eux - afin d'obtenir ainsiquelque chose de leur vision de la terre, ce qui expli-que pourquoi les ornements de plumes ne sont pastoujours seulement de simples objets de parure maisqu'ils revêtent souvent la signification - ou co-signification -de«couleur-symbole» et de «pouvoir-vision».

En elle-même, toute identification implique uneinter-relation symbolique; c'est ainsi que le mythologème ornithomorphologique inclut le concept dela coloration des plumes des oiseaux. D'après laversion des Caduveo-Mbayà, la mère, qui voit sesenfants monter au ciel dans un récipient, coupe lajambe de son fils; le sang se met à couler et coloreles plumes des oiseaux blancs, les proto-oiseaux.Dans la version chamaçoço, deux fils montent éga-lement au firmament, mais l'un d'eux ne peut retirersa jambe à temps lorsque les cieux se referment;son sang coule et les oiseaux blancs - ici essentielle-ment symboles des nuages et des pluies - reçoiventla couleur de leurs plumes. L'idée conceptuelle debase est la même; l'association de l'homme et de

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l'oiseau se fait par le truchement de la colorationsymbolique des plumes par le sang de l'homme qui,par là même, participe à cette «vision de la terre» sidésirée.

3. L'HOMME ET LE COSMOS

a. Hommes-Etoiles

L'homme cherche aussi à s'associer avec lesforces naturelles, les corps et les phénomènes cos-miques; cette association lui procure une certaineconfiance face à des phénomènes qui échappentcomplètement à son contrôle. La plupart des peupleschaquéniens connaissent le mythologème de l'arbred'union entre le ciel et la terre. Les Mocovl parlentde l'arbre «nallaidigua», grâce auquel les proto-hominiens mythiques montaient au ciel pour ypêcher dans les lagunes et les cours d'eau. Alorsqu'une vieille femme tentait d'y monter sans y par-venir, des pêcheurs qui regagnaient la terre parl'arbre refusèrent de lui donner à manger. La vieillefemme se métamorphosa alors en carpincho et ron-gea l'arbre; séparé de la terre, le firmament s'élevadavantage. Les (Aatfço parlent de la même manièredu «nilok», arbre brûlé par un vieillard vindicatif. LesLengua-Maskoy décrivent une «corde d'union»rompue par un homme-perroquet. Les Chamacocoont également une version particulière de l'arbred'union, mais ils en développent davantage le con-cept et distinguent le «ciel noir, obscur, jaune, blanc,bleuâtre» correspondant aux couleurs du jour, ducrépuscule, de la nuit avec ou sans étoiles. La fina-lité de ce mythologème, si répandu parmi les Cha-quéniens, apparaît dans les mêmes récits: ceux quirestèrent dans les cieux lors de la rupture de l'arbred'union, ou de la corde, se convertirent en «hommes-étoiles». Pour la même raison, ils parlent du «grandfeu gelé», du froid des étoiles, du ciel étoile commereflet du «feu-lumière jaune». Les grandes constel-lations astronomiques - Pléiades, Voie lactée, etc. -sont toujours conceptualisées comme «gens-étoiles», alors que les astres isolés sont considéréspar les Chamacoco- Tomàrxa par exemple commede simples «fils» de la Lune (masculin) et de l'Etoiledu matin. De cette manière, le chasseur chaquéniense croit associé au monde stellaire par la coexistencedes «gens-étoiles» et des «étoiles-fils»; par cetteconfiguration, il établit aussi la possibilité de «com-munication réciproque» et ce sont les chamanes quipeuvent entrer en contact avec les «gens-étoiles».

b. Pléiades

Chez les Guaycurû. - les Abipùn, les Mocovl, lesMbayé et partiellement les Toba - , le concept desPléiades est spécifiquement mentionné comme«notre grand-père». L'apparition des Pléiades estsaluée, car elle symbolise la période de «rassasie-ment et de victoire», d'abondance et de succès dansles activités pour les Abipùn et les Toba: pour eux,c'est le début d'une année nouvelle et l'oubli tacite

des privations de la «vieille année», c'est-à-dire del'époqueoù les Pléiades étaient invisibles.On reprendalors espoir. Quelques variantes existent quant à lamotivation des nouvelles apparitions des Pléiades.Chez les Mbayé et les Abipùn, les Pléiades sont «legrand-père qui tombe malade et qui se rétablit»; cetaïeul est aussi parfois le «grand chamane», commeil appert du nom appliqué à cette constellation iden-tifiée comme le «grand esprit». Ici prédomine l'idéefondamentale de vivre, vieillir, s'affaiblir, pour bien-tôt se rétablir, revivre, renaître: c'est la certitudequasi cosmique, de revivre. Dans ce concept, ilconvient de rappeler la tradition chamacoco surl'interaction des grands chamanes qui savaient«faire revivre» les adolescents en leur «rendant leurâme» après une pénible capture onirique; c'est uneélaboration chamano-magique de l'ancêtre-chama-ne proto-homme issu du complexe stellaire des«gens-étoiles».

Chez les Emok- Ixiba, les Pléiades ne représententpas spécifiquement «l'ancêtre» mais les «jeunes quiéchappèrent au cataclysme de l'incendie universel».L'idée d'une «adolescence prometteuse» prédo-mine; les Emok-Jobâ._ donnent cependant plusd'importance à la «Lune-homme»: les phases decroissance et de décroissance de la lune correspon-dant à la même idée d'affaiblissement et de renais-sance. Pour les Mataco, les Pléiades représententles jeunes qui sont restés dans le firmament après larupture de l'arbre d'union, ceux qui n'ont pas réussià redescendre sur terre malgré leur désir. Dans uncertain sens, il s'agit encore de la même idée : lapermanence, liée à quelque chose des «gens de laterre». Il existe une version différente chez lesMataco:. les Pléiades sont les fils mythiques del'homme-cerf et de la proto-femme mataco, dontils fuirent la colère après avoir tué les fils qu'elleavait eus de l'homme-jaguar; on retrouve la mêmeidée fondamentale: la procréation est opposée aufait d'être «dévoré» et à la mort. Chez les Tereno-Chanè-Arawak, on trouve également la cérémoniedes Pléiades, considérées comme «grand-père,ancêtre» garantissant les nouvelles récoltes. Leshommes forment un cercle et, se tournant vers lesquatre points cardinaux, demandent la pluie et uneabondante récolte. Le jour suivant a lieu l'épreuvedu pugilat entre les adolescents, moyen magiquepour «forcer» la croissance naturelle.

c. Voie lactée

Comme les Toba, les Guaycurû assimilent la Voielactée au «chemin du nandou» ou avec «l'éleveur denandous géant». Les Lengua-Maskoy et les Emok-Toba voient un autre symbole dans la Voie lactée:ce sont les «vieilles femmes-étoiles» qui tamisentla farine du caroubier noir, ou le «siège étroit» de«femmes et enfants-étoiles», et le chemin jusqu'oùpeuvent arriver les âmes post-mortem. Ces deuxsymboles, nandou et farine de caroube, - avec leurréférence aux nébuleuses - représentent la subsis-tance de base des Chaquéniens.

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û. Soleil-Lune

En ce qui concerne le soleil et la lune (tous deuxconsidérés comme masculins), les traditions cha-quéniennes présentent deux versions différentes:la première est reliée aux aventures terrestres des«deux compagnons» (jeunes anthropomorphes) etla seconde est transposée dans l'opposition «cha-mane: homme». Dans la première version, le soleilreprésente le compagnon fort, «connaisseur deruses», invincible, en complet contraste avec «le»lune, qui est présenté comme un imitateur grossierne possédant pas le talent de «savoir faire les cho-ses»; le soleil le défend ou le châtie. Dans la secondeversion, le soleil est un grand chamane aux yeuxbrillants et brûlants, puissant et omniscient; seulsles chamanes de la plus haute catégorie peuvents'en approcher dans leurs visions, lorsqu'une grandecalamité ou des «monstres» menacent les hommes.

En raison de son extraordinaire pouvoir, les Cha-quéniens estiment que le soleil est un «adversaire».En analysant bien le terme, on comprend cependantqu'il ne s'agit pas d'un simple ennemi mais d'un êtrequi, de par sa nature intrinsèque, représente «l'ad-verse», le «contraire» pour l'homme. Le soleil «des-sèche le sang» et l'homme meurt, c'est le chamanepar excellence qui, doté de caractéristiques excep-tionnelles comparé aux gens normaux, est crainttout en étant réclamé et nécessaire. Dans le mêmecontexte, «le» lune est considéré comme bienveil-lant à l'égard de l'homme; les Emok-Toba, les Makàet d'autres encore, le nomment «notre frère», quimeurt toujours mais revit également, renaissant àchacune de ses phases cycliques. C'est le représen-tant de l'homme commun, «imitateur impétueux»,juxtaposé au soleil chamanique, «connaisseur etpossesseur du pouvoir.»

noirs selon la couleur des nuages. Ces oiseaux serangent en deux groupes: ceux de la pluie et ceuxde la pluie-tourmente. L'homme-pluie, le «grandmarcheur», comme le «waganagaedzi» des Toba,est associé aux oiseaux-pluie. Lorsqu'il défait sachevelure nattée, la pluie tombe; mais cette pluieest bénéfique, c'est elle qui peut remplir les puits etles lagunes, c'est «l'eau» pour le Chaquénien. Al'homme-pluie, les mythologèmes rattachent sonfils-pluie, qui, en tombant sous un quebracho, réus-sit à sauver un chamane. Cet acte secourable permitla conclusion d'une alliance entre l'homme et le fils-pluie : la possibilité de la communication, c'est-à-direle pouvoir d'invoquer le ciel pour ou contre la pluieselon les besoins des hommes.

La pluie-tourmente, par contre, correspond pourtous les Chaquéniens - avec toutefois quelques va-riantes dans les détails symboliques - à la «femmefurieuse», la «femme-chamane en colère», qui com-mande les «oiseaux obscurs de la pluie». Les indigè-nes font souvent allusion, comme les Zamuco parexemple, à deux femmes-tourmentes qui se réfèrentà l'orage de l'est et à l'orage du sud. Premièrement,l'orage est «la lutte contre les oiseaux eux-mêmes»,puis sa furie se déchaine contre les arbres et leshommes. L'homme recourt alors au chamane pourque celui-ci apaise la «furie-tourmente» et certainspeuples du Gran Chaco vont jusqu'à pratiquer unvéritable rite d'exorcisme. Ainsi les Payagué, navi-gateurs fluviaux, lancent des tisons enflammés versle firmament et frappent l'air. Pour les ienyua et lesSanapané. comme pour les Chamacoco d'ailleurs,la foudre est également symbolisée par un oiseaumythique appartenant au complexe pluie-tourmenteet qui détruit les caroubiers et d'autres arbres où ilcherche le «sang-vie» puisque, comme on l'a vu, lesâmes post-mortem des enfants peuvent trouver leur«siège» dans le caroubier, arbre symbole de la viepropre à tous les Chaquéniens.

4. L ' H O M M E ET LES P H É N O M È N E SM É T É O R O L O G I Q U E S

En bon observateur, le chasseur chaquénien pos-sède des notions claires sur les phénomènes météo-rologiques, mais ce qui le préoccupe surtout, c'estsa propre relation avec ces derniers et sa possibilitéde les dominer au moyen de la magie. La nuit elle-même, réelle et concrète en soi, implique l'idée sym-bolique d'un «oiseau géant» ou «d'ailes géantes»,siège du puissant esprit «kiljikhama» des Lenguaqui assume un véritable rôle de punisseur pour lestransgressions socio-morales de l'individu. Cetteidée de châtiment, associée à l'esprit de la nuit,semble également commune aux Ayoweo-Moro,bien que nous n'ayions guère de renseignementsvalables à ce sujet. Enfin, on peut dire que la craintedu châtiment potentiel, pour des transgressionsindividuelles toujours possibles, est implicite dansla peur que les indigènes éprouvent à l'égard de lanuit.

Les Tofai. les Lengua et les Chamacoco interprè-tent la pluie comme des oiseaux, blancs, bleus ou

5. L ' H O M M E , LA GENÈSE ET LES HÉROSC U L T U R E L S

a. Genèse

Si l'on se réfère à leur mythologie, il apparaît queles Chaquéniens manifestent généralement peud'intérêt pour la genèse de l'homme. Quand ils par-lent de l'origine de l'homme et de la femme ou des«gens-communauté», ils ont l'habitude de les relierà quelque cataclysme, spécialement au Grand Incen-die, thème qui les louche davantage que celui dudéluge. L'idée de base du Chaquénien est quel'homme a été découvert par quelque héros culturelet non «créé, fait» en réalité; seuls les MaskoyLengua, Sanapanà, Angaitè - ont une autre versionà ce sujet. D'après eux, «Kiljakmexet, l'Escarbotgéant mythique», modela le premier couple humainavec de l'argile, mais sous la forme de jumeaux sia-mois. Ce mythologème correspond à la tradition desMosetene et des Yuracmè de la Bolivie orientale où

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était situé l'ancien habitat des LenguaMaskoy àI époque précolombienne. L'influence andine estindubitable: le héros culturel, l'Escarbot géant,«modela» l'homme au même titre que, dans quelquesgroupes chiquitano ou paressi-arawak, les proto-mères du monde «modèlent et remodèlent» l'homme.Tous les autres Chaquéniens connaissent le mytho-logème de «l'origine souterraine de l'homme» oumieux de sa découverte dans des grottes ou des puitspar le héros culturel. Les 7o£&Jes Mbayà et lesMataco, par exemple, parlent du Grand Incendiecausé par le «sawagaik/homme-puma»; l'incendieaurait marqué la fin de l'époque des hommes-ani-maux et les aurait dégagés de leur élément animal.Mais ceux (ou celui) qui se réfugièrent dans desgrottes et des puits auraient déjà été des «hommes»(ou un homme). Pour les Chamacoco. les proto-hommes apparaissent également comme sauvés del'incendie provoqué par l'homme-tatou mythique.Seuls les Emoks-JTqpa expliquent la cause de l'incen-die: châtiment de l'inceste, acte pour lequel les pri-mitifs ont toujours ressenti une véritable horreur,la parentèle frappée par l'interdit s'étendant jus-qu'aux premiers croisements.

On constate cependant quelques variantes dansl'explication de cette origine souterraine. Si l'on serappelle que la conception du firmament et de laterre était «l'union du haut et du bas», le «souterrain»serait en réalité le «puits-terre», exprimé ainsi par sapropre couleur symbolique noirâtre. Il semble qu'ils'agisse dans les traditions modernes - les anciennesn'ont pas été recueillies - de la fusion de deux, voiredavantage, mythologèmes. Le mythologème selonlequel les premiers hommes vivaient seuls sur laterre ou, selon les Mataco. «avec une mère» maissans épouses, est commun aux Toba et aux Mataco.Chez les Choroti et les Mataco septentrionaux, latradition veut que «la mère» des hommes ait eu undroit exclusif au sang du chevreuil chassé par les«fils»; cette «mère» conserva ce sang dans un réci-pient, de là proviendrait l'origine des premières fem-mes Ce mythologème est caractéristique du com-plexe femme-chevreuil ou femme-cerf qui symbolisela procréation humaine; la version chamacoco, selonlaquelle «la femme nouvelle» naquit du sang de la«biche àrpilla», correspond au même mythologème.Ce thème de l'origine, dans ce cas, associe symbo-liquement l'existence de l'homme, l'homme-cerfavec ses caractéristiques propres, à celle de lafemme-cerf détentrice de la fonction essentiellementprocréatrice dans la vie humaine. Chez les Toba etles groupes mataco méridionaux, la version est rela-tivement différente, en ce sens que, lors de l'Incen-die, les femmes se seraient sauvées au moyen d'unecorde de caraguatà jusqu'«en haut», puis seraientredescendues par la même corde, mais «en se ca-chant et en volant de la viande ou du poisson auxhommes-chasseurs», jusqu'au moment où les«oiseaux avec des âmes chamaniques» auraientdécouvert la vérité. Nous reconnaissons ici le mytho-logème des femmes-esprits qui exigeaient des hom-mes la subsistance, sans vivre ni cohabiter avec eux ;à ce propos, nous pourrions comparer un mytholo-

gème diffusé chez les Viirqççrt les Zamuco et jusquechez les Fuégiens sur le «changement du monde»,le passage du règne des femmes-esprits à celui des«hommes à masque d'esprits», ce qui indique,d'après le langage indigène, certaines modificationsallant du matriarcat au patriarcat et mettant en reliefle «nouvel ordre social exclusif de l'homme». Il estintéressant de relever que, parallèlement à ce mythe,nous voyons apparaître également le mythologèmede la «vu/va dentada». soit implicitement la déflo-ration magique de la femme.

b Héros culturels

L'homme ressent constamment la menace du«danger potentiel» et a besoin d'un symbole pours'armer de courage face aux obstacles de la vie ; c'estainsi que surgit le concept des héros culturels. Danschaque culture, on rencontre un héros culturel àl'image et à la volition de cette culture. Pour les cul-tivateurs néolithiques - les Guarani par exemple - ,le héros culturel, «père des jumeaux cosmiques», estl'initiateur de l'agriculture et de la danse sacrée. Chezles Chaquéniens, détenteurs d'une culture originellepaléolithique de chasseurs, le héros culturel estgénéralement interprété comme un homme-animalqui peut tout résoudre, la solution restant en fin decompte propice aux hommes. L'bomme-caranchoou l'homme- caracaré a sont les figures les plus repré-sentatives de cette catégorie. Fondamentalement, lehéros culturel est un «transformateur» qui métamor-phose les choses généralement par des moyensmagiques. Selon les indigènes, le monde est unemétamorphose constante des choses, et non unecréation; de cette façon, le pouvoir de «changer leschoses» et celui de «prendre possession des âmesd'autrui» constituent l'expression ultime de ce quenous pourrions nommer la relation pseudo-religieusede la vie.

Le héros culturel est souvent flanqué d'un compa-gnon: l'antique idée du compagnonnage qui reflètele concept dualiste du monde et de la vie. Ce com-pagnon du héros culturel a toujours des facultéslimitées, devenant soit un «moqueur», soit un«moqué», symbolisant parfois - indirectement - lesimperfections existantes, visibles ou expérimentéesdans la nature et dans la vie. Ainsi «notre pèie». luhéros culturel des Guarani néolithiques, a pour com-père le «mbaé-cuaa», «celui qui sait faire les choses».En d'autres termes, le véritable héros culturel doitdétenir le pouvoir magique et posséder un caractèrequelque peu chamanique, alors que son compagnonreprésente simplement le savoir de l'homme et setrouve de ce fait non seulement exposé aux erreursmais encore à en commettre. Chez les Maskoy, lehéros culturel est l'homme-caranc/io et son compa-gnon «fourbe» «Wa|akàlicigi»: ce dernier est sanscesse en train de transformer quelque chose, maistoujours avec ruse et fourberie: il se moque du fores

* Caracarâ : oiseau falconidé semblable au cardncho. maisplus répandu (jusqu'aux Etats-Unis)

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tier anthropomorphe et, en tant que chasseur, del'homme-jaguar; il est cependant aussi lui-mêmeparfois «moqué» ou «vaincu» au cours de ses ma-nœuvres, mais il reprend toujours pied A côté duhéros culturel, l'homme-caranc/ïo, les Mataco ontégalement leur «Tawkwah» moqueur. Quelquesexemples illustreront la fonction symbolique de cepersonnage de héros-homme opposé au héros-cha-mane. opposition entre le «connaître/savoir com-mun» et le «savoir/comprendre les âmes». Le mytho-logème «fourbe et pécaris» parle d'une fête desanimaux organisée par une mouffette; celle-ci, grâceà son odeur caractéristique, parvint à tuer de nom-breux pécaris durant la fête et elle en répartit ensuitela viande entre les hommes. Le «fourbe» voulut imi-ter cette expérience, mais, n'ayant pas d'odeur, il netua qu'un seul pécari ; il invita également les hommespour leur distribuer la viande tout en se proclamantgrand chasseur et en racontant, en guise de plaisan-terie, que les autres pécaris qu'il avait tués avaientdisparu. Un autre mythologème, «fourbe et tatou»,relate la guerre que se firent ces deux personnages:le «fourbe» a de nombreuses massues de bois tendre,l'homme-tatou n'en a qu'une en bois dur de jujubier;le «fourbe» est vaincu et tué, mais l'homme-renardle réanime en rassemblant ses os. Un troisièmemythologème, «fourbe et pêche», enseigne la tech-nique de la pêche au filet dans les gués.

Imitation, limitation et expérience sont trois élé-ments du rôle de l'homme qui «sait, mais cependant,échoue en quelque point»: on reconnaît ici de vraistermes de référence des indigènes quant à la menta-lité propre de l'homme en soi. On relève quelquesvariantes chez les Mabyà-Guaycurû: eux aussi par-lent du héros culturel, l'oiseau caracarà, mais ils luidonnent pour compagnon le «onoengrodi», le«pêcheur» qui découvrit les hommes dans la caverne,corrélation avec le mythologème de l'origine del'homme. «L'onoengrodi» apparait comme «bénin»et agit comme «homme», mais le caracarà. en don-nant des armes aux premiers Guaycurû, exige de cesderniers qu'ils «luttent, guerroient pour de nouvelleschasses»; c'est le reflet de la tendance guerrière desGuaycurû, peut-être caractéristique du changementculturel des cavaliers. D'autres versions mbayé seréfèrent au mythologème du caracarà géant, desœufs duquel seraient issus les hommes; dans cemythologème. il semble qu'il s'agisse de refléter ledéveloppement de la stratification sociale eyigua-yegi-mbayà.

6. LA RELIGION DE LA P R O T O - M E R E

Les Zamuco, en particulier les Chamacoco et lesAyoweo, sont les seuls Chaquéniens qui possèdentun patron religieux défini et non seulement magi-que. La principale figure religieuse est Esnuwarta.la grande proto-mère du monde. Un sujet similaireexiste dans les religions des Çhiquito. des Kagaba,des Tucano, ainsi que partiellement, dans celle desParessi-Arawak. L'idée de base réside dans «lafemme qui procrée et qui peut aussi être associée

dans n'importe quelle circonstance», idée qui révèlele désir des indigènes «d'établir communication oualliance» avec les phénomènes, les esprits et leshommes. Aujourd'hui, les Chamacoco sont forte-ment acculturés; ils dispose"hTcTûn temple protes-tant couvert de palmes dans leur propre village etont des pasteurs, mais ils tremblent encore au sou-venir de l'ancienne proto-mère Eênuwarta, qu'ilsconsidèrent comme celle «qui ne se termine jamais»,l'Inextinguible.

Les phases associatives de la proto-mère avec lesforces naturelles et extra-naturelles sont les suivan-tes: 1) ESnuwarta s'associe avec le complexe desforces naturelles sous deux aspects. D'une part, elles'allie avec l'homme-pluie ou avec les oiseaux dela pluie-eau bénéfique pour l'homme, les «osâsero»;sous cet aspect, Esnuwarta incarne, dans un certainsens, «la grande femme de l'eau». D'autre part, ellepeut aussi terroriser l'homme en prenant l'aspectde la pluie-orage, de la «grande femme-chamanede la furie»; 2) ESnuwarta entre ensuite en relationssexuelles avec Poitcuwo, le puissant homme-chiendémoniaque, et parvient ainsi à dominer le mondedes esprits forestiers anthropomorphes - «Anâb-sonro» - , fils de Poitcuwo, adversaires et ennemisdes hommes; elle se trouve alors convertie en«grande maîtresse des forces démoniaques». Lemythologème «femme et chien» est également connud'autres Chaquéniens. Les Choroti-Mataco parlentdes fils-gens et des fils-chiens d'une même mère,et ces fils échangent des cadeaux - calebassespleines de fruits - , établissant une alliance entre lesesprits forestiers et les hommes. Chez les Lengua,on trouve le même thème et les fils-chiens se consi-dèrent comme les «neveux de l'homme». Le mytholo-gème du chien est largement diffusé dans l'airecircum-pacifique et nous savons que le «chienaméricain» existait déjà dans la culture néolithiqueaméricaine. 3) Dans cette phase, la proto-mères'allie directement avec l'homme - l'homme proto-zamuco o\ij>io\ochamacoco-, engendrant avec lemythique Cyry un fils qui sera ultérieurement le«premier initié». Ici, ESnuwarta se transforme en«porteuse de la parole», de la loi d'organisationsociale en clans pseudo-totémiques. Tout le codesocio-moral et socio-religieux est attribué à la«parole d'Eànuwarta», qui doit s'accomplir minutieu-sement car, si tel n'était pas le cas, la proto-mèrepourrait déchaîner «eau, feu et esprit de maladie».C'est déjà une authentique idée religieuse puisquel'homme est tenu de se soumettre à l'inexorable«parole» de la proto-mère et qu'il ne peut plus réagirpar la seule magie. 4) Lorsqu'à lieu te «changementdu monde», ainsi qu'est symbolisé mythologiquement le remplacement du matriarcat par le patriarcat,Esnuwarta devient «la grande mère, la grandepatronne» du nouveau monde social de l'homme.Alors que toutes les femmes «anciennes» ont péripar châtiment, la proto-mère se métamorphose enfemme-cerf, se laisse tuer et de son sang surgit lanouvelle femme chamacoco exclue du monde socialmasculin. 5) Le pouvoir ultime de la proto-mères'exprime par le truchement de son association avec

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le monde cosmique: elle se transforme en «kardzywyste». la «grande gerbe de plumes bleues», c'est-à-dire en Voie lactée. Chaque année, à la fin du céré-monial anabsonique, les hommes lancent leurs plu-mes rouges dans la direction de la Voie lactée, à lafois en souvenir et symbole de «l'alliance», de «l'aided'ESnuwarta».

Le sentiment religieux du Chamacoco envers laproto-mère se cristallise sous trois aspects: a) lapreuve de l'aide résultant de son alliance avecl'homme, puisque déjà dans la «grande lutte» entreles esprits forestiers et les hommes, elle a révélé àceux-ci le secret de la vulnérabilité de ces espritsanthropomorphes; b) lorsque surviennent de gran-des calamités, le «grand chamane solitaire» peutinvoquer ESnuwarta «pour faire passer la grandetristesse»; c) la grande peur de la fin du monde,c'est-à-dire l'extermination de la race des hommesconsécutive à la désobéissance à sa «parole», à soncode social. Dans un tel cas, «le grand craint», uni-que esprit anabsonique survivant et gardien de laparole d Esnuwarta, Némur interviendra.

La même lutte entre les esprits forestiers et leshommes fait également partie des traditions socialeset religieuses des Zamuco. Selon le mythologèmecorrespondant, ils classent ces esprits en: A) lesdémoniaques Anâbsonro, fils du grand Anâbson-chien Poitcuwo, terribles «solitaires forestiers», etB) les mères anabsoniques dont le chef, au tempsdes événements mythiques, est la même Esnuwarta.Ces Anâbsonro vivent en communauté, mais seule-ment avec leurs «mères», sans femmes; le thèmerappelle un peu les mythologèmes mataco et lobasur l'origine des hommes et des femmes, mais aussi- surtout pour le cérémonial commémoratif annuel -le mythologème propre des peuples de Patagonie -Yamanà. Ona - où ces «mères démoniaques» jouentle rôle de femmes-esprits. Tout l'extra-naturel, oule surnaturel, présuppose que les êtres de cetteespèce recèlent quelque chose d'anormal, quelquechose de non-humain et, par conséquent, de secretou de craint: les Anâbsonro étaient invulnérableset seule leur cheville était vulnérable.

Le mythe de la «grande lutte» contient les élé-ments suivants: I) une femme prolo-chamacocoen train de récolter rencontra un des démons Anâb-sonro; par la suite, toutes les femmes qui niaientavoir des maris furent invitées à vivre cérémoniale-ment avec les Anâbsonro. Les hommes découvrirentla raison de l'absence de leurs femmes, mais laterreur de l'inconnu, de la magie anabsonique, lesretint. Il) S'étant rendu compte de l'imposture desfemmes, les Anébsonro les repoussent mais exigentque les hommes «viennent comme hôtes cérémo-niels» en présence des mères anabsoniques. Le filsd'ESnuwarta et du Chamacoco Cyry naît pendantcette période de cohabitation anabsonique-c/ïama-coco. Un ordre de «couples d'adversaires» s'établitpuisqu'un Anâbsonro et un Chamacoco participenttoujours ensemble aux chasses. Les Anâbsonro seréservent la prédominance en agissant également

comme «maîtres» de chaque activité. Lorsque lesAnâbsonro tuèrent le jeune initié métis -chamacocopour avoir failli aux règles cérémonielles, Cyry, quine peut le ranimer, fait appel à Esnuwarta, celle quirévéla le secret de la vulnérabilité anabsonique. Legrand massacre des forestiers a alors lieu, avec unseul rescapé, le grand Némur, auquel la proto-mèreelle-même confie le devoir de veiller à l'accomplis-sement de sa «parole» par les Chamacoco. III) Decette manière, Némur devient la seconde figured'importance religieuse, après Esnuwarta. Il est tou-jours à l'affût des transgressions sociales des Chama -coco, cherchant ainsi à venger le massacre desAnâbsonro; dans ses mains, sur sa nuque, il portele bâton-du-châtiment, le bâton-de I équilibre dumonde et s'il arrivait à ce bâton de tomber, le châti-ment serait la fin du monde, l'extinction du mondechamacoco, tout comme cela arriva mythiquementavec les Anâbsonro.

L'extraordinaire puissance acquise par Némur, legrand vengeur-destructeur, l'implacable ennemianabsonique, explique la crainte des Chamacoco àenfreindre les lois sociales compliquées, le rite d'ini -tiation des jeunes gens ou le cérémonial annuelcommémorant les étapes de la Grande Lutte et ducommencement du Monde Nouveau des clanspseudo-totémiques. Cette conscience particulière-ment vive des Chamacoco se manifesta très nette-ment il y a une quinzaine d'années lorsque, sousla pression de l'évangélisation chrétienne, ils durent renoncer à leur cérémonial annuel qui duraithabituellement un mois Cette interdiction provoquaune résistance tacite, tant était enracinée chez lesanciens la crainte panique de la fin du monde ensuite des représailles de Némur. Les Chamacococonnurent une attente angoissée et le calme psycho-logique ne revint que lorsqu'il se confirma que «lesenfants continuaient à vivre», ce qui constitue lagarantie la plus sûre de la survie de la tribu, préoc-cupation majeure du «Yshyr-C/?amacoco».

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Zusammenfassung

Im vorliegenden Artikel erlàutert die Verfasserindie geistige Einstellung der Eingeborenen des GranChaco, eine Einstellung, die jene sich als Einzelneoder als Mitglieder einer Gemeinschaft in ihremtaglichen und zyklischen Leben angesichts derErscheinungen machen, die die einfache natùrlicheErfahrung nicht mehr zu bewaltigen vermag.

Nach der Auffassung der Eingeborenen bedeutetder Kampf um das Leben und gegen den Tod dasBefestigen der Seele; letztere kann sich allein schonim Traum entfernen, und der Mensch lauft daher dieGefahr eines endgùltigen Verlustes seiner lebens-wichtigen Seele, welche dann selbst vom Schama-nen nicht wiedererlangt werden kann. Die Ableh-nung des natùrlichen Todes làsst die EingeborenenVermutungen anstellen, welche in den Bereich derschwarzen Magie gehoren; wie etwa den Raub derentfernten Seele oder die Emmischung des grossen,bosen Geistes, was auch die Abhaltung von rachen-den Begràbnisriten erklart. Was die weniger bedeu-tenden Geister anbelangt. sind dièse in der Auffas-sung der Eingeborenen ebenfallsvertreten; es handeltsich dabei um die Gesamtheit der unvorhersehbaren

Gefahren, welche den Menschen fortwàhrendbedrohen. In solchen Fallen nehmen die Eingebore-nen des Gran Chaco ihre Zuflucht zu verschiedenenmagischen Verhùtungszeremonien. Die nach demTode fur immer entfernte Seele scheint die Einge-borenen weniger zu beschàftigen; letztere Einstel-lung làsst auf einen still-schweigenden Glaubenandie Gemeinschaft der Verstorbenenseelen und einedamit verbundene Seelenwanderung schliessen.

Oie Eingeborenen sehen und erleben in ihremnatùrlichen Milieu négative und verderbliche Faktoren, die sie den Herren der Natur zuschreiben ; sienehmen in diesem Fall eine "tauschende" magisch-schûtzende Haltung ein. Sogar die Nahrung derJager des Chaco wird als eine potentiel! von denTierherren bestimmte aufgefasst. Daher die scha-manistichen Praktiken, die darauf abzielen, die"zornigen Herren zu besanftigen".

Die Jàger des Chaco fuhlen sich aufs engste mitdem Tierreich verbunden; so finden sich unzàhligeMythen der Mensch-Tier-Metamorphose, und jedeenthàlt wirkliche Ausdrucke der geistigen Bezug-

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nahme, die nicht nur einfach Ergebnis einer sub-tilen Naturbeobachtung sondern im Grunde realeSymbole des mdividuellen und sozialen Verhaltenssind.

Der grosse Ehrgeiz des Eingeborenen, sich ma-gisch mit dem vogelgestaltigen Reich zu verbinden,- dem Symbol der Macht der "grossen Erdvision" -findet sich ebenfalls.

Der Eingeborene sieht sich auch mit dem Kosmoskonfrontiert. Er strebt eine Assoziierung an, die ihmdie notwendige Zuversicht verleihen soll; daher derUrsprung der Mythen "von den Sternen- Menschen",der Mythen vom "grossen Vorfahren, genannt Pleia-den", der periodisch sichtbar und unsichtbar ist; derMythen vom " Mondmann", der im Lauf seiner Phasestirbt, um anschliessend wieder neu zu erstehen;der Mythen von Sonne und Mond in anthropomor-pher (mànnlicher) Form, die die Menschheit beglei-ten. Durch die Magie und die Schamanen sucht derEingeborene die meteorologischen Phénomène zubeherrschen, die in der Regel als vogelgestaltigeWesen oder als aufgebrachte Schamanenseelenvorgestellt werden. Die Mythologeme verweisenauf eine Verbindung mit dem "Regen-Mann", einemSymbol des wohltàtigen Wassers; sie verweisenauch auf die Angst vor der "wùtenden Regenfrau",die mit den gefùrchteten Regenstùrmen identifiziertwird.

Die Chaquenos zeigen nur wenig Interesse an dermenschlichen Genèse. Das Mythologem der "unter-irdischen Entstehung des Menschen" ist sozusagenîiberall vorhanden; die Proto-Menschen werdendabei jeweils durch einen Kulturheroen entdeckt.

Eine andere im Chaco weit verbreitete Mythe istdie der grossen Feuersbrunst, die die Sequenz des

"Anfangs von Mensch und Tier" enthalt. Aile Cha-quenos kennen Mythenvarianten, die vom Kultur-heroen handeln, wobei dieser nach dem Bild undden Wunschvorstellungen der entsprechenden Kul-tur konzipiert ist. Hàufig hat der Kulturheros einen"spottlustigen Begleiter", der den Unterschiedzwischen der magischen Kraft des Helden und demblossen "Konnen" (bzw. Wissen) des menschlichenBegleiters hervortreten làsst.

Das religiôse Muster der Chamacoco-Zamucobetont die Figur der Proto-Mutter der Welt, ESnu-warta, der "Unauslôschlichen" (Unsterblichen) -ein Motiv, das auch den Kâgaba, Tucano, Chiquitound den Paressi gelaufig ist.

Eânuwarta ist die "Frau des Wasser-Regens" undmit den mythischen Vôgeln Osâsero verbunden; sieist durch ihre Assoziierung mit den Waldgeistern die"grosse Herrin der dàmonischen Gewalten". Sie istdie "Mimer des Wortes" durch ihre Beziehung mitden Proto-Chamacoco, denen sie ihren sozialen undmoralischen Code gegeben hat. Sie ist die "grossekosmische Verbùndete" und sie ist in einen himmel-blauen Blumenstrauss verwandelt. wenn sie vonden Nebelflecken der Milchstrasse Besitz ergreift.

Die Proto-Mutter zeigt allerdings auch eine ganzandere Seite: sie ist die "Herrin der schadlichenRegenstùrme" ; sie ist es, die die grossen Epidemienzu entfesseln vermag. Sie ist ebenfalls die anspruchs-volle "soziale Mutter", die den "anabsonique"Nemur ùberleben Mess, den rachsuchtigen Wacht-herrn und Verfolger, der die "Welt der Chamacoco"aus dem Gleichgewicht bringen und ein Ende derWelt herbeifùhren mbchte.

Bramslava SUSNIK - Anthropologue d'ongine Slovène-yougoslave; naturalisée paraguayenne depuis 1955 1952-1954: années de recherches dans la région chaquémenne(Maka, Lengua, Chulupi). Dès 1955, directrice technique duMusée ethnographique «Andfés Barbero» d'Assomption; réorganisation du Musée et acquisitions de nouvelles collectionslors de recherches sur le terrain Dès 1958, professeur de lachaire d'Archéologie et d'Ethnologie améiicame (comprenantl'ethnographie paraguayenne) a la Faculté de Philosophie del'Université nationale d'Assomption 1954 1972 réalisationde diverses recherches: a études ethnographiques sur leterrain (Chamacoco, Lengua-Maskoy, Sanapana, Guayaki.Emok Toba, Ayoweo Moro, etc.) ; b. études ethno historiqueset ethno-sociales (sur la base des Archives Coloniales),c. enquêtes linguistiques (structures grammaticales, etc )sur le terrain. Organise divers séminaires et cours sur l'ethno-graphie et l'anthropologie sociale paraguayennes. Nombreu-ses publications.

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