T E X T E I N T É G R A L

Fred VargasL’Homme à l’envers

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Fred VargasL’Homme à l’envers

Présentation, notes, questions et après-texte établis par

JOSIANE GRINFAS

professeur de Lettres

Collection animée par

Jean-Paul Brighelli et Michel Dobransky

Classiques Contemporains&

PRÉSENTATION

La Belle et la Bête . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5

L’HOMME À L’ENVERS

Texte intégral . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7

Après-texte

POUR COMPRENDRE

Étapes 1 à 4 (questions) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 374

GROUPEMENT DE TEXTES

Entre hommes et loups . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 382

INTERVIEW EXCLUSIVE

Fred Vargas répond aux questions de Josiane Grinfas . . . 387

INFORMATION / DOCUMENTATION

Bibliographie, sites Internet . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 391

Sommaire

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Fred VargasL’Homme à l’envers

Le mardi, il y eut quatre brebis égorgées à Ventebrune, dansles Alpes. Et le jeudi, neuf à Pierrefort. « Les loups, dit un vieux.Ils descendent sur nous. »

L’autre vida son verre, leva la main. « Un loup, Pierrot, unloup. Une bête comme t’en as jamais vu. Qui descend surnous. »

1

Il y avait deux types, allongés dans les broussailles.– Tu te figures pas que tu vas m’apprendre mon boulot ? chu-

chota le premier type.– Je me figure rien, répondit son compagnon, un grand gars

aux cheveux longs et blonds, qui s’appelait Lawrence.Immobiles et jumelles au poing, les deux hommes obser-

vaient un couple de loups. Il était dix heures du matin, le soleilleur cuisait les reins.

– Ce loup, c’est Marcus, reprit Lawrence. Il est revenu.L’autre secoua la tête. C’était un homme du pays, petit,

brun, un peu buté. Il veillait sur les loups du Mercantourdepuis six années. Il s’appelait Jean.

– C’est Sibellius, murmura-t-il.– Sibellius est bien plus grand. N’a pas cette touffe jaune à

l’encolure.Troublé, Jean Mercier réajusta ses jumelles, fit une nouvelle

fois la netteté et examina avec attention le loup mâle qui, à troiscents mètres à l’est de leur planque, tournait autour du rocherfamilial, levant parfois le museau dans le souffle du vent. Ilsétaient près, trop près, il vaudrait bien mieux reculer maisLawrence voulait filmer à tout prix. C’est pour ça qu’il étaitvenu, pour filmer les loups, puis remballer son reportage auCanada. Mais depuis six mois, il différait1 son retour sous des

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1. Retardait.

prétextes obscurs. Pour dire la vérité, le Canadien s’incrustait.Jean Mercier savait pourquoi. Lawrence Donald Johnstone,spécialiste renommé des grizzlis1 canadiens, était tombé cingléd’une poignée de loups d’Europe. Et il ne se décidait pas à ledire. De toute façon, le Canadien parlait aussi peu que possible.

– Est revenu au printemps, murmura Lawrence. A fondé safamille. Elle, je ne la remets pas.

– C’est Proserpine, chuchota Jean Mercier, la fille de Janus etJunon, troisième génération.

– Avec Marcus.– Avec Marcus, reconnut enfin Mercier. Et ce qu’il y a de sûr,

c’est qu’il y a des louveteaux tout neufs.– Bien.– Très bien.– Combien ?– Trop tôt pour dire.Jean Mercier prit quelques notes sur un calepin suspendu à

sa ceinture, but à sa gourde, et reprit la position sans faire cra-quer une brindille. Lawrence posa ses jumelles, s’essuya levisage. Il attira à lui la caméra, cadra sur Marcus, enclencha ensouriant. Il avait passé quinze ans de sa vie parmi les grizzlis, lescaribous et les loups du Canada, arpentant seul les immensesréserves, observant, notant, filmant, tendant la main, parfois,aux plus vieux de ses compagnons sauvages. Pas précisémentdes rigolos. Une vieille femelle grizzli, Joan, qui venait vers lui,

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1. Ours gris.

le front bas, se faire gratter la fourrure. Et Lawrence n’avait pasimaginé que la pauvre Europe, étriquée1, dévastée et domesti-quée, ait quoi que ce soit de correct à lui offrir. Il avait acceptécette mission-reportage dans le Massif du Mercantour avecbeaucoup de réticence, histoire de.

Et en fin de compte, il s’éternisait dans ce recoin de mon-tagne, il repoussait son retour. En clair, il traînait. Il traînaitpour les loups d’Europe et leur toison grise et minable, parentspauvres et haletants des bêtes touffues et claires de l’Arctique etqui méritaient, à son idée, toute sa tendresse. Il traînait pour lesnuées d’insectes, les coulées de sueur, les broussailles carboni-sées, la grésillante chaleur des terres méditerranéennes. « Etattends, t’as pas tout vu », lui disait Jean Mercier d’un ton unpeu sentencieux2, avec cette expression orgueilleuse des habi-tués, des surcuits, des rescapés de l’aventure solaire. « On n’estqu’en juin. »

Il traînait enfin pour Camille.Ici, ils disaient « s’incruster ».« C’est pas un reproche, lui avait dit Jean Mercier avec une

certaine gravité, mais mieux vaut que tu le saches : tu t’in-crustes. » « Eh bien maintenant, je le sais », avait réponduLawrence.

Lawrence arrêta la caméra, la posa délicatement sur son sac,la couvrit d’une toile blanche. Le jeune Marcus venait de dis-paraître vers le nord.

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1. Étroite, petite.2. Grave.

– Parti chasser avant la grande chaleur, commenta Jean.Lawrence s’aspergea le visage, mouilla sa casquette, but une

dizaine de gorgées. Bon Dieu, ce soleil. Jamais connu un enferpareil.

– Trois louveteaux au moins, murmura Jean.– Je cuis, dit Lawrence avec une grimace, en passant la main

sur son dos.– Attends. T’as pas tout vu.

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BIE

N L

IRE Quelle est la fonction exacte de chacun des deux hommes ?

À quelle civilisation les noms des loups sont-ils empruntés ?

POUR COMPRENDRE

Étape 1 L’intrigue et la narration...................................................... 374Étape 2 Les personnages .................................................................................. 376Étape 3 Les thèmes................................................................................................... 378Étape 4 La question du genre : L’Homme

à l’envers, polar ou épopée ?.............................................. 380

GROUPEMENT DE TEXTESEntre hommes et loups ...................................................................................................... 382

INTERVIEW EXCLUSIVE................................................................................................................................ 387

INFORMATION/DOCUMENTATIONBibliographie, Internet........................................................................................................ 391

Après-texte

POUR

COM

PREN

DRE

Lire1 Quel est le point de départ de l’his-toire ? Une chronique, un témoi-gnage, un fait divers ?

Justifiez votre réponse.

2 Le roman policier combine souventdeux actions, deux temps : ceux ducrime, et ceux de l’enquête. DansL’Homme à l’envers, les deux sériesne sont pas distinctes.

Combien de crimes jalonnent l’en-quête de Camille, Soliman et leVeilleux (chapitres 15 à 31) ? Combiende drames la précèdent (chapitres 1 à 15) ?

3 Enumérez les lieux où se produisentles massacres de brebis.

4 Quelle mort a la fonction d’élémentmodificateur et change l’orientationde l’enquête ?

5 Combien de chapitres sont consa-crés au « road-movie » ? Quel person-nage, chapitre 14, utilise le terme ?Qu’est- ce qu’un « road-movie » ?

6 Relevez les indices temporels quipermettent de calculer la durée desdrames et de l’enquête.

7 Ce roman utilise deux types de nar-ration : progressive (ou chronolo-gique) et régressive (« à l’envers ») :quel est le type qui domine ? Dansquels chapitres trouve-t-on des pas-sages de narration régressive (l’en-

quêteur se tourne vers le passé pourexpliquer les faits) ?

8 Qui a tué ? Comment ? Pourquoi ?

9 Dressez la liste complète des enquê-teurs ? Quel est le rôle et quelle est lafonction narrative d’Adamsberg ?

10 Toute une partie de l’enquête suitune fausse piste : laquelle ? Quelleest justement la fonction de cettefausse piste et des impasses dans lanarration ?

11 Dans une interview, Fred Vargascompare son écriture à celle d’un mor-ceau de jazz, avec un thème et despassages d’improvisation : quelle estl’intrigue principale du roman ? Quelsthèmes secondaires vous semblentaccompagner le thème principal ?

Écrire12 On peut lire chapitre 34, lignes 87-88 : « les flics mirent plus de deuxjours à lui arracher, bout par bout,son histoire toute entière ».

Imaginez le récit que Lawrence fit à lapolice en suivant la chronologie desfaits et en vous exprimant à la pre-mière personne. Votre « déposition »doit tenir en une trentaine de lignes.

13 Imaginez une autre fausse piste.Justifiez-la en expliquant l’intérêtqu’elle présenterait pour la narration.

374 L’INTRIGUE ET LA NARRATION

POUR

COM

PREN

DRE

Chercher14 Citez le titre d’autres romans poli-ciers que vous connaissez et dont lepoint de départ est un fait divers.N’oubliez pas de préciser le nom del’auteur.

15 Citez un roman d’Edgar Poe et unroman d’Arthur Conan Doyle dont

l’une des figures centrales est unebête.

16 Connaissez-vous la « bête duGévaudan » ? Renseignez-vous surcette créature qui terrorisa la région àla fin du XVIIIe siècle.

17 Quel est le nom du jeu de sociétéinspiré des romans à énigme ?

375CHAP. 1 À 35PAGES 9 À 372

LES TYPES DE ROMANS POLICIERS

L’intrigue et surtout les choix de la narration permettent d’en distinguertrois.• Le roman d’énigme.

Il s’apparente à un puzzle que le lecteur doit reconstituer avec l’aide de l’en-quêteur, détective ou policier : un ou des crimes ont été commis ; il y a destraces, des indices qu’il faut ordonner et interpréter. On suit souvent deux nar-rations, mêlées ou distinctes : celle des drames et celle de l’enquête qui per-met de les élucider. Le mode de narration peut être progressif (il suit la chro-nologie des évènements) et régressif (l’enquêteur remonte dans l’histoire,comme ici dans celle du personnage de Lawrence). L’énigme repose sur l’élu-cidation de l’identité du criminel, d’autant plus savoureuse que celle-ci estinattendue.• Le roman à suspense.Il attache plutôt le lecteur à l’histoire de la victime. Plus « cinématogra-phique », il joue sur le décalage entre le point de vue de la victime et celui dulecteur : ce dernier « en sait » souvent plus et « tremble » pour elle, d’où leterme américain de « thriller ». C’est un roman d’angoisse qui joue plus avecles sensations du lecteur qu’avec son intelligence.• Le roman noirLe récit y coïncide avec l’action criminelle et la dépasse pour proposer une cri-tique de la société. Celle-ci est dominée par le mal et corrompue. Elle cachede lourds secrets et la victime est souvent un faible écrasé par des« salauds ». L’enquêteur est un privé et affronte cet ordre du monde glauque,effrayant et injuste.

À SA

VOIR

Fred Vargas L’Homme à l’envers

Le Mercantour est en ébullition : les loups sont de retour et lais-sent derrière eux leurs traces sanglantes ; les éleveurs sont prêtspour la battue et certains racontent que le meurtrier serait unsolitaire, de taille exceptionnelle… À moins qu’il ne s’agisse d’unloup-garou ? Tout le monde y pense, surtout quand au massacredes brebis vient s’ajouter la première victime humaine ! Cinq per-sonnages se lancent sur la piste du coupable et se jettent danscette histoire extravagante d’homme à l’envers…

Fred Vargas est déjà connue des adolescents qui ont décerné àL’Homme à l’envers le premier prix « Sang d’encre ». Sontalent, du reste, ne fait pas de doute : en mêlant subtilementfantastique et intrigue policière, en créant des personnagesauthentiques et ambivalents, elle est à l’origine d’un genre àpart, reconnu des critiques. En plus de l’appareil pédagogiquesitué à la fin du volume, une interview exclusive permettra auxélèves d’entendre la voix d’un auteur qui, par son ton décaléet son goût de l’anticonformisme, renouvelle le roman à énig-mes.

NIVEAU 3 : recommandé pour les classes de troisième (enseignementgénéral), et de seconde, première et terminale (enseignementprofessionnel).

ISBN 978-2-210-75435-5

9:HSMCLA=\ZYXZZ:>Pour télécharger gratuitement le Livretdu professeur de L’Homme à l’envers, tapezwww.classiquesetcontemporains.com(NUMEN obligatoire).

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