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Édition:Marie-EveGélinasRévisionlinguistique:MariePigeonLabrecqueCorrectiond’épreuves:SabineCerboniCouvertureetmiseenpages:ChantalBoyerPhotodel’auteure:SarahScott
Cetouvrageestuneœuvredefiction;touteressemblanceavecdespersonnesoudesfaitsréelsn’estquepurecoïncidence.
RemerciementsNousreconnaissonsl’aidefinancièredugouvernementduCanadaparl’entremiseduFondsdulivreduCanadapournosactivitésd’édition.NousremercionsleConseildesArtsduCanadaetlaSociétédedéveloppementdesentreprisesculturellesduQuébec(SODEC)dusoutienaccordéànotreprogrammedepublication.GouvernementduQuébec–Programmedecréditd’impôtpourl’éditiondelivres–gestionSODEC.
Tousdroitsdetraductionetd’adaptationréservés;toutereproductiond’unextraitquelconquedecelivreparquelqueprocédéquecesoit,etnotammentparphotocopieoumicrofilm,eststrictementinterditesansl’autorisationécritedel’éditeur.
©LesÉditionsLibreExpression,2014
LesÉditionsLibreExpressionGroupeLibrexinc.UnesociétédeQuébecorMédiaLaTourelle1055,boul.René-LévesqueEstBureau300Montréal(Québec)H2L4S5Tél.:514849-5259Téléc.:514849-1388www.edlibreexpression.com
Dépôtlégal–BibliothèqueetArchivesnationalesduQuébecetBibliothèqueetArchivesCanada,2014
ISBN:978-2-7648-0852-8ISBNEPUB:978-2-7648-0912-9
DistributionauCanadaMessageriesADP2315,ruedelaProvinceLongueuil(Québec)J4G1G4Tél.:450640-1234Sansfrais:1800771-3022www.messageries-adp.com
Àunnouveaudépart.
–P
Chapitre1
Montréal(YUL)–Rome(FCO)
ardon,monsieur,jecroisquevousêtesassisdansmonsiège…
L’hommemeregarde,étonné.J’endéduisqu’ilneparlepasfrançais.Jemepencheversluipourmereprendre:—Sorry,sir,doyouspeakEnglish?Ilsecouelatêteettousseunboncoupavantdemerépondred’unevoixenrhumée.—Non,français.Jeluisouris.Jem’apprêteàluiexpliquerlasituation,maisavantdelefaire,jem’assuredenepasêtre
cellequis’estégarée.Rapidement,jeconsultemacarted’embarquement.Effectivement,ilestbienassisau4A.Jeluienfaismentiontimidement.Enentendant lamauvaisenouvelle, il tenteunsemblantdesurpriseenbondissantsursonsiège.Son
expressionmeditquejeneluiairienapprisdutout.Ildéposesesdeuxmainssurlesaccoudoirs,puisessaiedes’avancerversmoipourmeparler.Àvoirlatêtequ’ilmefait,jecomprendsqu’iln’apasledésirniprobablementlapossibilitédeseleversifacilement.Pourunebiengrasseraison,cethommeestsansaucundoutedécidéetdestinéàdemeurerassissurmonsiègepourleresteduvol.Lorsqu’ilouvrelabouche,jeremarquesondoublementonquiballottedansmadirection.Ças’annoncemal.—Çavousdérangeraitdevousasseoiraumilieu?Sademandenemesurprendpas.Jeconnaismaréponse,maisjenesuispasprêteàlaluidonner.J’ai
besoindetemps.Justeunesecondepourassimilerlasituationou,plutôt,meprépareràcequim’attend.J’observe:lesiège4Besteffectivementlibre.Enacceptantl’offre,j’auraicommevoisinscethommeplantureusementdébordantetdel’autrecôté…sonsosie!Un petit instant. Je contre-vérifie.Àmon grand désespoir, je ne rêve pas :Monsieur 4C est aussi
corpulent queMonsieur 4 A. Voilà pourquoi une gentille et délicate Scarlett au milieu leur convientparfaitement.Etmoi,danstoutça?Mesdeuxfutursvoisinsempiètentdéjàdansl’espacevideoùl’onmedemandedem’installer.Jen’auraijamaispasséautantd’heuresensiécrasantecompagnie.Jeconsidère le refussansvraiment l’envisager,carde touteévidence,cesdeuxhommessontplusà
leuraiseainsi.Ilsontpayéleursbillets,moipas.Etbientôt,lorsquel’équipageviendramevoirpourleservice,ilsremarquerontbienquejesuishôtessedel’air.«Unpeudecompassion,Scarlett»,pensé-jeavantdemerésigneretdemefrayerunchemin.—Mercibeaucoup,medit4A.—Oui,merci,mademoiselle, ajoute 4C en remuant la tête et, par ricochet, sonmajestueux double
menton.—Derien,réponds-jedepuismonminuscule4B.
Nousn’avonspasencoredécolléetj’aimalauxépaules.Ellesdemeurentcourbéesendirectiondemapoitrine, car elles n’ont nulle part d’autre où aller.Mon voisin de droite s’étend confortablement lesavant-brasetmonvoisindegauchefaitlamêmechose.Jen’aidoncpasd’accoudoiret,àbienypenser,j’abandonnel’idéededélimitermonterritoirepourobteniruncoinàmoi.Jenepeuxmêmepascroiserles bras, car mes coudes piqueraient leurs flancs moelleux. Et pas de risque que ceux-ci dégonflent.J’optealorspourlaseulepositionqu’ilmereste:croiserlesmainsetlesdéposersurmescuisses.J’ail’airdeprier.Etc’estexactementcequejefais.Jepriepourquecevoldécolleetqu’onatterrisseauplusviteàRome.«Ah!Quejedétesteêtrepassagère!»C’estfoucequel’amourpeutnouspousseràaccomplirquelquefois.—Voustravaillezpourlacompagnie?medemande4C,quisembleêtreunfinobservateur.—Oui,eneffet.Commentvouslesavez?Jene tournepas la têtepour le regarderdroitdans lesyeux. Jesensdéjàsonsoufflemebalayer la
joue,alorsjem’imaginemalluifaireface.Jemerésigneàdévieruniquementmonregardversladroiteensignedebonnefoi.— J’ai remarqué votre valise avec l’inscription VéoAir. J’en ai conclu l’évidence, c’est tout, me
signifie-t-il,fierd’avoirélucidélemystère.—Hum…Je n’ai pas envie de lui parler, car j’ai l’esprit ailleurs. Je préfère baisser les yeux et me laisser
distraireparmespensées.Jemesuisvraimentembarquéedanstouteunehistoire.Maraisonmedisaitderefuser et de ne pas partir à Rome. Le cœur a gagné. Je m’entends encore me dire : « N’y va pas,Scarlett!Cethommeestmariéetadeuxenfants…avecunecollègue!»C’estexactementcequemamèrem’auraithurléàl’oreille.Sij’avaissuquejeseraiscoincéeentredeuxmastodontesd’hommes,j’auraispeut-êtrereconsidérélaproposition.Enfait, jeresteconvaincuequej’auraissautéàborddecetaviond’unemanièreoud’uneautre.J’étaistropdécidéeàagir.Pendantpresquedeuxans,j’aiévitédesuccomberauregardnoiretprofonddemonbeaucommandant,
maissavoix,sesyeux,soncharmem’ontenvoûtéeetjedevaistentermachance.J’enavaisassezdemedireque lasituationn’étaitpas idéale,que jenepouvaispas jouerdans lesplates-bandesd’une autrefemme et que j’étais une ingrate de la pire espèce.Au fil de nos rencontres sans rapprochement, j’aipenséquej’avaiségalementdroitàl’amouretj’aicédéàlatentation.Moncœurenavaitsuffisammentendurécommeça.Quelleégoïste!—C’est horrible à quel point on n’a pas d’espace dans cet avion, se plaintMonsieur 4 C enme
ramenantàlaréalité.—Euh…—J’ai réservéce siègepouravoirde laplaceet jeme retrouvecoincéentredeux accoudoirs,me
confie-t-il.«Enpassant,jesuiscoincéeaussi!»voudrais-jeluidire.J’aiacceptéd’êtrepriseaupiègeentredeux
hommescharnus,maispasdejoueraudépartementdesplaintes.J’aimestorts.Jeluiaiavouéêtreagentdebord,jedevaisdoncm’attendreinévitablementauxconfidences.D’ailleurs,j’aientendudesmilliersdefoislemêmedisque:«Ah!J’aidétestélerepas…maislepersonnelétaittrèscourtois»ou«Chezvotrecompétiteur,onoffrelescouvertures»,ettralaliettralala.Pouréviterunenouvelleplainte,j’essaiededésamorcersoninsatisfaction.—Jecomprends,monsieur.Votreagencevousamalconseillé.Cessiègesdonnenteffectivement de
l’espacepourlesjambes,maislesaccoudoirsneserelèventpas.L’espacerestedonclimité.(Maispour
être honnête, monsieur, il n’y a pas un seul siège d’avion qui puisse accueillir une taille dans votregenre.)—Ouais,vraimentinconfortable.—Laprochaine fois, il faut choisir des sièges à l’arrière, dans la queuede l’avion. Il y a plus de
place.(Ouvouspourriezvousenpayerdeux!)—Ahoui?—Oui,confirmé-jesansdonnerdeplusamplesdétailspourviteretournerdansmespensées.Jeneveuxpasmeculpabiliserpouravoirchoisil’amour.Ilfautquejelevive.Jel’aitropdésiré.Ce
soir,jem’envoleversRomepourpassertroisjoursderêveavecceluiquifaitbattremoncœurdepuislongtempsetqui,enl’occurrence,estlecommandantdebordquipilotel’aviondanslequeljemetrouve.Ondiraitpresqueunecomédieromantique,maisc’estlaréalité.Si cet avion finit par décoller, j’atterrirai en Italie et rejoindrai John, un peu plus tard, à son hôtel
d’équipage.Nous pourrons enfin profiter l’un de l’autre. J’ai à la fois hâte et peur. Et si, après cetteescapade, je ne suis toujours pas rassasiée de lui ? Car les probabilités que j’en redemande sontétrangementfortes.Etlui?Medira-t-ilqu’ilenveutplus?Jeredoutecettepossibilité.Serai-jecapabledecessertoutcontactavecluiaprèsRome,commemel’aconseillémameilleureamie,Béa?C’estlaseulesolutionlogique.Béameconnaît.Ellemecomprend.Biensûr,toutcommemoi,elleesthôtessedel’air,maiselleest
d’abord une merveilleuse colocataire sur laquelle je peux compter. Pour ce qui est de Rupert, notrecollègueet troisièmecolocataire,c’estdifférent. Il trouve John tellement charismatiquequ’iln’estpasobjectifenmatièredeconseils.Àlablague,jeluiaiditplusieursfoisqu’ilmelevoleraits’ilenavaitl’occasion. Il s’estcontentédemerépondrequ’ilaimemieux leshommescostauds, styledursàcuire.Néanmoins,jeresteconvaincuequeRupertestaussitombésouslecharmedemoncommandant.Jeneluiai donc pas demandé son opinion en ce qui concernema petite escapade. Je connaissais sa réponse.Catégoriquement,ilm’auraitdit:«Penseàtoietvat’amuseràRome!»CommeRupertalaréputationde semer le malheur où il passe, j’espère que ses conseils ne sont pas teintés de la même essencemaléfique…Béa,elle,aété judicieusementencourageante.Je l’entendsencoremedire :«Vas-y!Parsavec lui.
Fais-toi traiter en princesse et profites-en. Ensuite, si tu ne veux pas t’embarquer dans une histoirecompliquée,tudevrascouperlesponts,carplustucontinueras,plusceseratoiquisouffriras.»J’espèrequ’ellesetrompeausujetdelasouffrance.Ellen’aprobablementpastortnonplus.L’histoire
estdéjàrocambolesque.J’entendslenarrateurdufilmlarésumer:«L’hôtessedel’air,ScarlettLambert,s’éprendducommandantdebord, JohnRoss.Décidée à suivre sa raison, elle se refuse à écouter soncœur.Pourtant,ledestinlapousseàfairefaceàl’amouret,unjour,ellecèdeenembrassantenfin(etunpeuplus…)sonbeaucommandant.Monsieurlepiloteinaccessible,carmariéàunecollègueetpèrededeuxenfants,tentederevoirScarlett,envain.Leurrendez-voussefaitattendrejusqu’aujouroùill’inviteà le suivre incognito à Rome. Elle accepte et part avec lui. John ne voit-il en elle qu’une amante ?Scarlettsaura-t-ellecapturerlecœurdeJohnàRome?Suivra-t-ellesoncœur,oularaisonl’emportera-t-elle?Lasuitedansuninstant!»Ouais,décidément,jemesuislancéedansl’impossible.Maisilesttroptardpourmeculpabiliseret
troptardpourrevenirenarrière.N’ai-jepasdésirécequim’arrive?Terriblement!Alors,autantfaireavec.J’aibienjouélacomédiejusqu’àmaintenant.Pasunseulmembred’équipagenesedouteduvéritable
motifdemonvoyage.Mestalentsdementeuses’améliorent.Paslechoix,carsilafemmedeJohn,alias
Freaking-Debbie, savait, ellem’anéantirait sur-le-champ.Comme ellem’a déjà apostrophée pour unehistoiredesalade, jen’osemêmepas imaginercequ’elle feraitsiellesavaitcequise trame.Pour lemoment,mieuxvautcachernotre lunedemiel.Peut-êtrequ’aprèsRome,ce seradifférent.Oh là !Mevoilàentraind’ignorerlesconseilsdeBéa.—VROOM-VROOM!ZZZZZZZZ!VROOM-VROOM!ZZZZZZZZZZ!Jesorsdemarêverie lorsque j’entendsàcôtédemoidesgrognementsdignesd’unchienenragé.Je
perçois à peine le vrombissement des moteurs de l’avion, qui s’apprête à décoller. Mes tympans semettentàvibrer,nonpasàcausedelafulgurantepousséequel’appareilexercesurlapiste,maisplutôtàcause des ondes de choc de ronflements magistraux. Mes deux voisins se sont assoupis. Le mentonaffaissé et la bouche entrouverte, ils chantent une horrifique mélodie. Ils ne se réveillent même paslorsquenousnous envolons.Etmoi, j’enoublie ce à quoi je pensais…Ahoui, çame revient : aprèsRome,c’estfini!
***
—Alors,Scarlett,tut’envasfairequoiàRome?medemandeTodd,undemescollègues travaillantsurlevol.—Jevaisrejoindreuneamiepourtroisjours.—C’estcool,ellevitlà-bas?—Oui,c’estça.Jen’aipasencorepenséauxdétailsconcernantcetteamieimaginaireàquijevaissupposémentrendre
visite.Terrifiéeàl’idéedemetromperdansmesmenteries,jem’empressededétournerlaconversation.—J’espèrequeçanevousdérangepastropsijeresteunmomentdanslagalley.J’aideuxvoisinsqui
m’étouffentdepuisledébutduvol.—Oui,j’avaisremarqué!Sij’avaiseuunautresiège,jet’auraischangédeplaceavantqu’ondécolle,
meditTodd,toujourslecœursurlamain.Je le remercie etmeposte silencieusementdans le coinde laportepour laisser les agents debord
travailler.Jen’aipasenviederetourneràmonsiège.Déjàqu’ensortiraétéensoiuntourdeforce.J’aidûpasserpar-dessus4Cenbondissantd’uncouppournepas lebousculer. Il n’y avuquedu feu. Ilchantaitencoresonhymneausommeilquandjesuispartie.—TuvasdansquelcoinàRome?m’interrogeànouveaumoncollègue,visiblementintéresséparmes
plansdesprochainsjours.—Centre-ville.MonamiehabiteprèsduColisée.C’estleseulsecteurquimesoitvenuentête.Toddmesourit.Leconnaissant,jesaisdéjàoùilveuten
venir.Ilmeregardedesesbeauxgrandsyeuxvertsetmeproposecequej’attendaisdepuisledébut.—Pourquoitun’embarquespasavecnousjusqu’àl’hôtel?Aumoins,tuserasrendueenville,non?Jesuiscontentequ’ilyaitpensé.Ceserabeaucoupplussimpleainsi.Jen’auraiqu’àfairecommesi
j’allaisrejoindremon«amie»etpatienterquelquepartprèsdel’hôtel,letempsquetoutlemondeaitrejointsachambre.Nevoulantpasm’imposer,jem’assurequecelaconvientàtoutl’équipage.—Çam’arrangeraiténormément,maistuescertainqueçanedérangepersonne?Tudevraispeut-être
demanderauxautres.Est-cequelecommandantestd’accord?renchéris-jepourbrouillerlescartes.— Écoute, je vais vérifier et je te reviens. Honnêtement, je suis certain que personne n’y verra
d’inconvénient.—Super!Merci!
Deretourauprèsdemesvocalistes,jetentedem’assoupir.Jemetsmesécouteurssurmesoreillesetjemonte le volume au maximum. Libérée des ronflements, j’arrive à fermer les yeux et je m’endorsprofondément,bordéeparmesvoisins.Ilsemblequemaplacen’étaitpassiinconfortablequecelaaufinal,carlorsquejereviensàmoi,nous
sommes en descente vers l’aéroport de Rome. J’ai l’impression d’avoir été enveloppée sept heuresdurantpardeuxsacsgonflableshumains.J’aitrèsbiendormi.Difficiledecroirequejen’aipasvulevolpasser. Prenant conscience que je verrai bientôtmon commandant, je commence à angoisser. Ce seraseulementnotredeuxièmefoisensemble.Intimement,jeveuxdire.Lespremiersmomentssontenthéorielesmeilleurs.Jelestrouveplutôtstressants.— Ouin, tu as dormi ! s’exclame Todd, souriant, qui vient me rendre une dernière visite avant
l’atterrissage.Jesoulèvelesépaulespourluisignifierquejen’ycomprendsrien.Ilm’annoncelabonnenouvelle.— J’ai demandé au commandant si tu pouvais monter avec nous dans l’autobus. Il n’y voit aucun
inconvénient.—Merci,Todd!dis-je,soulagéedenepasdevoirsauterdansuntaxi.—Derien!Çafaitplaisir!répond-ilens’éloignant.JesuiscontentequeJohnaitaccepté.Ilaurait trèsbienpurefuseretmelaisserarriverseuleunpeu
plustard.Jen’auraispasaimé.Ilatoutdemêmefaitlechoixdem’inviteràRomedanslecadredesontravail.Lapossibilitéquequelqu’unnousvoieestréelle.Ildoits’endouter.—Ehbien,jevoussouhaiteunbonvoyageàRome!melanceMonsieur4C.—Merci!Àvousaussi.Ils’estprobablementréveillélorsquelesrouesontfrappélapiste.—Vouspartezpourlongtemps?continue-t-il.—Troisjoursseulement.—Vousêtescourageuse!Toutcetrajetpoursipeudetemps!—J’aifaitbienpire,voussavez,dis-jepourluirafraîchirlamémoirequantàlanaturedemontravail.—Oh!Jevouscrois!Resteque,àmonavis,c’estencoretropcourt,troisjours.C’estl’amourqui
vousfaitfaireça?Pourquoidit-ilcela?Est-cesiévident?LenomdeJohnest-iltatouésurmonfront?Surlecœur,sans
doute. Je n’arrivepas à le cacher, etmespommettes se colorent naturellement.Un fin observateur, ceMonsieur 4 C. Je lutte pour cacher mes émotions. Et puis, je réfléchis. Je n’ai pas envie de mentirinutilement.Unsoulagementm’envahit.—Oui,monchermonsieur.Toutçapourunhomme.Ils’appelleJohn.
L
Chapitre2
Rome(FCO)
orsquejemeprésenteauxdouanes,jesensquejetoucheaubut.
—BenvenutoaRoma!melancel’hommeenuniforme.J’y suis enfin !Ce n’est pas un rêve,mais la réalité : àRome avec John.Mon John. Bientôt, nous
pourronsprofiterpleinementl’undel’autre.J’aitellementattenducemoment,enm’imaginantentraindem’endormiràsescôtés…J’ail’intentiondesavourerchaqueseconde.Jeparcours l’aéroportavecunepointedenervosité.Àl’extérieur,uneagréablechaleurm’accueille.Jemedirigerapidementverslepointderencontredes
équipagespourrejoindre l’autobusquim’attend.Jemefrayeuncheminà travers la foule.Jen’avancepasaussivitequeprévu,carquelquespassagerssemblentdéterminésàmeretarder.Ousuis-jeunpeutrop pressée ? Quoi qu’il en soit, j’ai l’impression qu’on veut me freiner. Je n’arrive à dépasserpersonne.C’estcommesi,àchacunedemestentatives,onsedéplaçaitvolontairementpourm’empêcherd’exécutermonexploit.Curieusement, celam’arrive tout le temps.Lesgensne réussissentpasàmarcher de façondroite et
constante.Ilsprogressentplutôtendiagonaletoutentraînantdelapatte.Ilsserpententdegaucheàdroiteentirantleursgrosbagagesàroulettesetbloquentlepassageauxnonégarés.J’aid’ailleursremarquéquecescouleuvresduvoyageaimentfrôlerlesmursunesecondepourensuite
aller frôler lemur opposé. Cettemanœuvre s’applique aussi aux trottoirs. Ils louvoient d’un bord dutrottoiràl’autre.Toujoursfidèlesà leurnaturereptilienne, ilss’arrangentpournousempêcherdenousfaufilerdevanteux,nouscoupantchaquefoislechemin.Lescollisionss’ensuivent.Jetentealorsletoutpourletout.Jemetspleingazetj’accélèrelepasavantquelepassagenesereferme.J’excelleàcetteprouesse,maisellen’estpas sans risque.C’est souventmavalisequiécopeen frappant lemurou eneffleurantlebasdepantalondemonadversaire.Est-cesidifficiledemarcherenlignedroite?Enatteignantenfinlepointderencontre,j’apprendsqu’uneagentedebordmanqueàl’appel.Ils’agit
de Diane, une hôtesse réputée pour être insomniaque et qui est la personne la plus perdue que jeconnaisse.Elle est dugenre à aller s’asseoir dans l’autobus d’un équipage de chezAlitalia sans s’enrendrecompte.Je donne ma minuscule valise au chauffeur avant de monter à bord. Je salue tout le monde et les
remercie de bien vouloir me conduire jusqu’à Rome. On me sourit gentiment avant de continuer àspéculer sur les raisons de la disparition de notre écartée. Pendant ce temps, Johnme jette un regardfurtif, cequim’intimide, naturellement. Je décide dem’asseoir derrière lui, car l’unique autre espacedisponible se trouve à ses côtés et je n’ose pasm’y installer. Je suis certaine que, lorsquema cuissetoucheralasienne,jen’arriveraipasàdissimulermessentiments.Quiconquem’observeraattentivementremarqueramachairdepoule,causéeparlaprésencedemonvoisin.
Jouerlacomédien’estpasunartauqueljem’adonneaisément.M’éloignerdeJohnestdonc,pourlemoment,lemeilleurchoixàfaire.Jenefondraipasdedésirentrel’aéroportet l’hôtel,cartoutcequej’aperçoisde luiestunboutdevestonnoir etquelquesmèchesdecheveuxclairs.Rienpourme fairerougir.Je vois Diane s’avancer vers l’autobus. Ses couettes virevoltent au vent. Elle monte à bord et
l’équipages’exclameenchœur:—T’étaisoù?!— Ben là ! Je ne viens pas souvent à Rome, moi ! Je suis sortie par la passerelle, comme les
passagers.Jenesavaispasquel’équipagedevaitdescendresurle tarmacpourprendreunbusversunpointdefouille.Vousauriezpumeledire!—Voyons,Diane,tunenousaspasvusdescendre?Onestdixautreshabilléscommetoi!lanceune
hôtesse.—Je suis alléeaux toilettes après ledébarquement, etquand je suis sortie, l’avionétaitvide.Plus
personne,explique-t-elletoutenreplaçantsescheveuxébouriffés.—Ouin,onsedemandecequetuasbienpufairedanslestoilettespourqu’ensortantonsoittousdéjà
partis…blaguesansgêneTodd.—Franchement!Tuesdoncbienniaiseux!Diane rit jaune et prend place aussitôt sur le seul siège disponible, à côté de John. Cette dernière
remarque faite parTodd l’amisemal à l’aise,mais a fait rire tous les autres. Il y a de ces gens quipeuvent dire n’importe quoi, et des rires s’ensuivront.Dit par un autre, un tel commentaire aurait étéconsidérécommeinapproprié.Maisjedoisavouerque,cettefois-ci,j’aimoiaussilegoûtdemetordrederire,carDiane,cheveuxhirsutes,mascarasouslesyeux,gouttesdesueursurlestempes,avraimentl’aird’avoirvécuuneaventure.Enrouteverslecentre-villedeRome,lesilencerègne.L’unécoutedelamusique,uneautrefermeles
yeux.Quantàmoi,jemecontentederegarderlepaysagequidéfileauloin.J’arriveàvoirlerefletdeJohndanslaglacedelafenêtre.Jel’admireunmoment,jusqu’àcequejevoieDianeseretourner,encoresurl’effetdel’adrénaline,prêteàjaser.—Alors,Scarlett,tuvasfairequoiàRome?«Hum,attendsquejepense…Tuveuxlavraieoulafausseversion?»Biensûr,jen’aipaslechoix.—Jerejoinsuneamiepourtroisjours.—C’estcool,ça.Elles’appellecomment?—Sarah,inventé-je.—Etellefaitquoiici?Ellevoyage?«Pensevite,Scarlett!»Jesensmoncœurs’affoleretmespommettesdevenirrouges,trèsrouges.Je
doismentir encore toutenparaissantcrédible.Unedemi-seconde s’écoule.Dianeme regarde avecungrandsourire,elleahâtedesavoir.Johndétournelatêteverslafenêtreetregardemonreflet.Ilremarquemonmalaiseets’empressedeseporteràmonsecours.—Ellen’estpasvenueapprendrel’italienetelleesttombéeamoureused’unRomain?C’estbience
quetum’asdittoutàl’heure,Scarlett?—Oui.C’estbiença.Ellea finalementdécidéde faire savieen Italie.C’estbeau, l’amour.Hein,
Diane?lancé-je.
Je jette un regard complice àmon sauveur avant de fixerDiane d’un air détaché pour l’écouter. JeviensdevoirmonJohnm’esquisserunlégersourire.J’auraisenviedelaisserfabulermonimaginationpour le reste du trajet,mais je dois plutôtme concentrer surmon rôle d’interlocutrice pour distrairel’hyperactiveassisedevantmoi.Lecoudetravers,ellesevidedesonsurplusd’énergie.—Ah ! L’amour ! Bien sûr que je comprends !Mon premier chumm’en a fait voir de toutes les
couleurs.—Ahoui?Commentça?Çayest.Jeviensd’appuyersurlebonbouton.Ledisquejouedésormaisenboucle,etmoi,jenesuis
pluslecentredel’attention.
***
L’autobus s’immobilise devant l’hôtel. Je descends et ramasse ma valise rapidement. Le plan sedéroulecommeprévu.—Merci,toutlemonde!Àdanstroisjours,dis-jeaussitôt,impatientedepartir.MisàpartDiane,quiest toujours remplied’entrain, lesautres,maintenantbien fatigués,me saluent
d’un air indifférent. Je nem’en soucie aucunement. Je suis déjà en train demarcher vers le bâtimentvoisinpourensuitetournerlecoindelarueafindemeterrerquelquepart.Là,j’attendrailesignal.Sonsignal. Ilm’enverra le numéro de sa chambre. Je rebrousserai alors chemin jusqu’à l’hôtel. J’épieraid’abordlaporteprincipale.Unefois lechamplibre, j’entreraidans lehalletemprunterai l’ascenseur.Mon rythme cardiaque s’accélérera à chaque mètre parcouru, étage par étage. Une fois arrivée, jedemeureraiuninstantdevantlaporte.Jemeremémoreraiànouveauleplan,monplan.«Troisjoursderêve,Scarlett.Ensuite,rien.Aprèsn’existepas.N’oubliepas.Ilaunevie.Unefamille.Netombepasenamour.Netombepasenamour.Netombepasenamour…»
***
Lorsquejepousselaportequemoncommandantaprissoindelaisserentrouverte,jel’aperçoisassissur le lit,pensif.Lapièceest fraîche,et jepeuxsentir lesvapeursd’eaucrééespar ladouchequ’il aprisesecolleràmapeau.Surlatabledechevetreposeunebouteilledevin.Johnmeregardeentrer.Ilmesouritetselève.Jesuisdeplusenplussouslecharme.Merde!—Jem’inquiétais!Tuenasmis,dutemps!—J’étaisdanslecaféaucoindelarue.Jevoulaistedonnerletempsd’arriver.—Ah,d’accord.Jesuissicontentdetevoir!Tuessibelle!Il s’approchedemoipour récupérermesbagages.Samain sedépose surmonbraspour descendre
jusqu’àmesdoigtsetagripper lacourroiedemonsac. Il s’approcheencoreetposeses lèvressur lesmiennes.Jefermelesyeux,absorbéeparlebaiser.—Jesuisdésolépourtoutàl’heure,danslebus,s’empresse-t-ildemedireensuite.—Tun’aspasàt’excuser.Cen’estpastafautesionm’aposécesquestions.—Mais c’est à cause de moi que tu dois inventer toutes ces histoires. Je préférerais que ça soit
différent.—Jecomprends,maisonn’apaslechoix.—Pourlemoment,Scarlett.Pourlemoment,dit-ilavantdem’embrassertendrement.
Soncommentairemedonnel’espoirqu’ilexisteunavenirpournous.Brisersafamillepourenbâtirune autre. La nôtre.Àme faire embrasser comme il le faitmaintenant, sur le pas de la porte, je suistransportéeparcette idée.Monplanvacilledeplusbelle lorsqueJohnm’attirevers le lit.Uneminutepasseetjeperdslecontrôledemonesprit.Nousfaisonsl’amourpuis,dépouillésdelamoindreparcelled’énergie,nousnousendormons,enlacés.
***
—Tuasbiendormi?mechuchote-t-ilàl’oreille.—Évidemment.Toi?—Avectoiàmescôtés,c’estdifficiledefermerlesyeux.J’aimeraisluidireàquelpointjesuisbien,couchéeprèsdelui,àquelpointj’ail’impressiondele
connaître depuis toujours,mais je préfère demeurermuette.Comme s’il avait lu dansmes pensées, ilm’enlèvelesmotsdelabouche.—C’estcommesijeteconnaissaisdepuistoujours,meconfie-t-ilenmecaressantlanuque.—Vraiment?—Oui,vraiment.Jen’arrivepasàm’envouloird’êtreavectoi,Scarlett.Jenemesuisjamaissenti
commeçaavecpersonne.—Commenttutesens?—Bien.Tropbien.—Un«bien»quipourraitdurer,tucrois?—J’ensuiscertain.Qu’est-cequiarriveraitsijerefusaisdetelaissert’enaller?—Rien,John.Çan’ajamaisétéuneoption,dis-jepourmeprotéger.—Jen’ensuispassisûr.Jevoiscommenttumeregardes.Querépondreàcela?Ilestconfiant.Ill’atoujoursétéetilsaitqu’ilm’adanssapoche.Jevoudrais
jouerencorel’indifférente,maisj’ensuisincapable.Lesilences’installe,etnousrestonscouchéssouslesdrapsblancsdansl’espoirquelafaimnenouspoussepasànouslever.—Oùas-tuenvied’allermanger,cesoir?medemande-t-ildesavoixrauqueetmasculine.—Jenesaispas.Qu’est-cequetuproposes?—Trastevere?—Çameva.J’adorecequartier.—Leseulhic, c’estqu’il faudraitpartirbientôtavantque l’équipage se rejoignedans le lobby.Tu
croisquetupourraistepréparerrapidement?Ah,j’oubliais!Secacherfaitpartiedel’expérience«Roma».Cerappelmerendlégèrementamère.—Oui,sansproblème,dis-jeenmelevantd’unbond.—Super.Voilàcommentonvafonctionner…Il sort du lit et s’approchede la fenêtre. Je tentedenepasme laisser distraire par sonviril profil
éclairéparlalueurdusoleilcouchant.Jemeursd’envied’effleurerencoresoncorps,cettepeaudoucequej’aidésiréesilongtemps.Johnm’inviteàveniràsescôtésetdésignetoutenbasl’entréeprincipale.—Jevaisdescendreenpremierpourm’assurerquepersonnedel’équipagen’estdanslelobby.Jete
feraiensuiteunsignedepuislaruelled’enface,sic’estcorrect.OK?—D’accord,j’attendraitonsignal.
Une fois que John s’est rhabillé et est descendu, je ne tarde pas à rejoindre mon poste de guet.Désormais,iln’yapasdedoute,jesuisunevraieespionne.«Plutôtunemaîtresse»,pensé-je,dégoûtéepar cette évidence. Dire que j’ai évité pendant deux ans de céder à mes sentiments par refus d’êtreconsidéréeainsi, etmevoilà exactement là où jem’interdisais deme trouver. «Reste fidèle au plan,Scarlett.AprèsRome,c’estfini.»JevoisalorsJohntraverserlaruellepourmefairesignededescendre.—C’estvraimentstressant!luilancé-je,sourireauxlèvres,avantdemonterdansuntaxiaucoindela
rue.—Jenetelefaispasdire!J’ail’impressiond’êtredansunfilmdeJamesBond.—Ha!Ha!Etmoi,jesuislabelleEvaGreendansCasinoRoyale!—Pourquoipas?Ettut’apprêtesàsauverJamesd’uneviequineluiplaîtpas…—Cen’estpasplutôtJamesBondquisauvelabelle?—Négatif.C’estlabelleScarlettquisauveJohn,répond-ilenmeserrantlamaintendrement.
M
Chapitre3
Rome(FCO)
on commandant et moi sommes assis pour dîner dans une trattoria près de la piazza Navona.Commedesespions,nousavonschoisiunetableàl’intérieur,pourêtreàl’abridesregards.Ilyadixminutes,nousavonsaperçuToddquimarchaitmaindanslamainavecunefemmeinconnue.
Nous avons dû bifurquer aussitôt dans une ruelle pour l’éviter. C’était la troisième fois depuis notrearrivée que nous rencontrions un membre d’équipage par surprise. Comme s’ils s’étaient donné lamission de nous prendre en filature ! Rome est énorme, et même si nous étions conscients que nouspouvionsrencontrernoscollègues,nousavionsécartél’idéedelescroiserailleursqu’auxalentoursdel’hôtel.Lessitestouristiquessontbondés.«Aucunrisquedefaireunface-à-faceavecquiquecesoit»,avions-nous présumé. Eh bien, il semblerait que tout est possible. Et ce jeu du chat et de la souriscommencesérieusementàm’angoisser.Enrecevantmoncappuccino,jepenseàcequ’iladviendradenous.J’ypensedepuiscematin,enfait,
lorsqu’enouvrantmon iPhonedes«ding» interminablesont retenti dans toute la pièce,me rappelantqu’ilrestepeudetempsàmadolcevita.—Tuespopulaire,machérie.—Désolée.C’estvraique,pournotredernièrejournéeensemble,leréveilestunpeubrutal.—Oui,dernièrejournée…m’a-t-ilditenfaisantlamoue.Jemesuislaisséenlacersouslesdrapsencorechauds,témoinsdenosmerveilleuxébats.J’avais le
cœurgros.«Commentvais-jemeremettredecetteescapadeitalienne?»— Alors, qui peut bien te harceler comme ça ce matin ? m’a-t-il demandé en me chatouillant
délicieusementlahanche.J’aijetéunautrecoupd’œilàmontéléphone.J’avaisplusieursmessagesvocauxenattente.Tousde
mamère.Aucundoute, elle s’inquiétait demon silencedesderniers jours. Jene lui avaispasdit quej’étaispartie,préférantl’ignorerpournepasdevoirluimentir.Jen’auraispaspuluidire:«Maman,jesuispartiejouerlamaîtressequelquesjoursavecunhommedeplusdequaranteans…»Jecroisqu’ellem’auraitattachéeaulitdemachambreavecunechaîneàgrosmaillonspourêtrecertainequejen’yaillepas.Elleauraiteuraisondelefaire.Àcequejesache,demainsoir, jeseraiànouveauseule,etJohnaura retrouvé sa famille. J’ai regardé ensuite les autres messages : ils provenaient de mes cherscolocatairesauxopinionscontradictoires.Béa : « Profite de cette dernière journée avec John. J’espère que ça s’est bien passé jusqu’à
maintenant.N’oubliepasceenquoitucrois.Respecte-toi…xxx»Rupert:«Amuse-toiavectonsexycommandant!Ilestsibeau.☺Tun’asqu’unevieàvivre,alors
penseàtoi!Oubliesafemmeetlereste!»
Béa:«Rupertvientdet’envoyerunmessage…Ilnedevraitpastedireça.Tusaisqu’aufinal,c’esttoiquipleurerassi tu restes.Essaie justedeprofiterdecesderniersmomentsavec lui, commec’étaitprévu.»Rupert:«Béaestdanslechamp.Ilvapeut-êtrelaissersafemmepourtoi!Tudoiscontinuerdele
voir.Jeveuxtonbonheur,moi!Bisou!»Cesmessagesn’ontpascontribuéàéclaircirmesidées.Jemesuiscontentéedenerienmentionnerà
Johnquantà leurcontenu,carpendant toutce tempsensemble, iln’apasencoresoulevé lapossibilitéd’uneséparationd’avecsafemme.Cen’estpasàmoid’aborderlaquestion.Moncappuccinoestdélicieux.Toutcommel’hommequisetrouvedevantmoi.—Rentrons,d’accord?mesuggèreJohnenpayantl’addition.—Tuveuxdireàl’hôtel?—Oui,j’enaiassezderegarderpartoutcommesinousallionsêtredécouverts.Jenemesenspasmoi-
même.Pourcettedernièresoirée,jeveuxmeconsacrerjusteàtoi.—Etcommentcomptes-tufaireça?—Tuverras…
***
Enrevenantversl’hôtel,Johnproposedefaireunarrêtà l’épicerieducoinpour ramasserquelquesviandesfroides,dupainetduvin.J’enprofiteraiaussipouracheterdel’huiledetruffesàrapporteràlamaison.LaboutiqueportelenomdeCastronietsesvitrinesregorgentdeproduitsfins.J’entreensalivantetj’enoubliepresqueJohnderrièremoi.Jemedirigeverslemurd’huilesd’olive.Jenepeuxpasrevenird’Italiesansacheterdel’huileetunsacdeceslonguespâtescoloréesàmagauche.Jem’avancepourlesmesurer.Ellesdoiventbienfaireunmètredelong.Jenecroispasqu’ellespuissententrerdansmonsac.Jedevraidoncm’enpasser.Soudain,unevoixm’interpelle.J’auraispenséentendredel’italien,maisnon,c’estplutôtdufrançais,
commesi la femmequi s’adresseàmoiavait reconnuma têtede touriste et luun signedansmondosévoquantmalanguematernelle.Enlevantlesyeux,jecomprendsqueçan’arienàvoiravecmonécriteauimaginaire.Diane,l’hôtesseinsomniaque,setientdevantmoi.—Scarlett!Quellesurprise!Jenecroyaispasterevoiravantdemain.Commentsepassetonséjour?—Ah!Quellesurpriseeneffet…Jen’arrivepasàprononcerlesmotssuivants.Enmoinsdedeux,jebalayelaboutiqueduregard.Où
estpasséJohn?Monétonnementdoitêtretransparent,carDianes’empressedemedemandersi jemesensbien.Sacuriositém’irrite.—Toutvabien.Jenem’attendaispasàvoirquelqu’unquejeconnaisenpleincentre-villedeRome.
Lemondeestpetit!—Àquiledis-tu!Tun’espasavectonamie?continue-t-elle.—Ellem’attendàl’appartement.Jesuisdescenduefairedescourses.—Hum…maisellenevitpasprèsduColisée?Cen’estpasdutoutdanslemêmecoin…Elle a bien raison.Nous sommes à l’opposé duColisée. «De quoi jememêle ! » voudrais-je lui
lancerspontanément.Ànouveau,j’ail’impressiondejoueràl’espionne.—Jeveuxdireque j’ai faitunesortiespécialepourvenir ici.J’aimevraimentCastroni.C’estmon
épiceriepréférée!
—Heille!Regarde,c’estlecommandant!s’exclame-t-elleenignorantmaréplique.John!Salut!Elleagitelamain.Sanslemoindredoute,onl’aentenduecrierd’unboutàl’autredumagasin.Ah!
CetteDiane,complètementhyperactive!Johnlèvelesyeuxetnousregardetouteslesdeux.Ilnoussaluesobrementsansenfaireunplat,indifférent.«Ils’enfout,detevoir,Diane,alorsfiche-luilapaix!»—Ouin,pastrèssympathique,cecommandant-là,medit-elle,offusquée.—Ilapeut-êtrelegoûtd’avoirlapaix,c’esttout.—Non,ilestétrange,jetrouve.—Étrange?—Ilneparleàpersonne.Tropdiscret.Çacachequelquechose.Après l’hyperactive, j’aidroità l’investigatrice.Ellen’apas toutà fait tort,mais jene comptepas
confirmer son hypothèse. J’en ai assez. C’est le temps de savoir ce que mon beau commandant meréserve.—Bon,jedoisyaller,Diane.Monamiem’attend.—Ah…—Onsevoitdemain!Àbientôt!—Oui,OK!Àdemain!Jesors.Johnestpostéaucoindelarue.Jelerejoinsd’unpashâtif.—Çacommenceàêtreénervant,cettemiseenscène,soupiré-jeenfaisantvalsermessacsd’emplettes
auboutdemesbras.—Nemefaispassentircoupable!Tuétaisaucourantdetoutçaavantdevenir,merépond-ilaussitôt,
surladéfensive.—Euh…—Euh,quoi?Sonregardnoirmefixedurement.Jemesensminusculedevantceluiquiutilisetoutàcoupletonqu’un
pèreprendraitpourgrondersesenfants.—Excuse-moi.Cen’estpascequejevoulaisdire.—Ettuvoulaisdirequoi?medemande-t-il,toujourscontrarié.—J’auraisseulementaiméqu’onnerencontrepersonne.C’estdéjàassezdifficileàgérer.Jesavais
dansquoijem’embarquaisetjeneteremetsriensurlenez…Oublieça!Je détourne le regard pour observer mes pieds, qui se déposent machinalement contre les pierres
anciennes.Jetentedecomprendrecommentlaconversationapuenarriverlà.—Pardonne-moi,Scarlett.J’aitoutàperdre,etçamerendaussinerveuxquetoi.Maisjeveuxqu’on
profitel’undel’autrecommeilsedoit.Masurprisetientencore.— D’accord, mon beau ! Allons-y, dis-je avec un enthousiasme forcé pour chasser ce froid qui
s’apprêtaitàs’installer.
***
—Fermelesyeux.Johnatamiséleslumières.Ilm’ademandéderetirermesvêtements,jusqu’audernier,etdem’étendre
sur le dos.Une fois sur le lit, je l’ai regardé se déshabiller à son tour. Son corps était désormais nu
devantmoi.Ils’estapprochépourmedicterladernièreconsigne,etj’aiessayéd’obéir.Jen’ysuispasparvenue.Après avoir senti une odeur de fruits envahir la pièce, j’ai laissé mon instinct me guider. Mes
paupièressesontouvertes,etmaintenant,j’admireunhommequimefaitdubien.Sesmainspuissantessont recouvertesd’unehuileparfuméequi se retrouvebientôt surchaqueparcelledemoncorps. Ilmecaresselesjambesenappliquantunepressionquifriseladouleur.Lesmouvementsdesesmainssurmesmuscles les détendent et me rendent de plus en plus molle. Il atteint mes pieds, où il s’attarde. Enremontantversmonventre,ileffleureàpeinecetendroitquibouilled’impatience.Ilcaresseplutôtmesbrasetmoncoupourmeretournerensuitefaceaulit.Il recommence.Cette fois-ci, par contre, ilme frôle de plus près. Entre chaque caresse, son corps
glissecontrelemien.Mesrondeurshuilentsapeau.LescaressesperdentpeuàpeudeleurrythmeetsontremplacéesparmonJohntoutentier.Jesuisàlui.«Qu’ilmeprenneàsaguise.Monplandenepascéderàl’amourn’existeplus.»
–B
Chapitre4
Montréal(YUL)–Marseille(MRS)
onjour à tous, jem’appelle JohnRoss et je suis votre commandant de bord pour ce vol versMarseille.
Ils’adresseàl’équipageavecuneconfiancedémesurée.Quelqu’und’autretrouveraitqu’ilsegonfleletorse,maismoi,j’aimeça.Ilbraquesesyeuxsurmoiunecourteseconde,suffisammentlongtempspourquejemedemandesiceregardnepourraitpasavoiréveillédessoupçonssurnotrerelation.J’hallucine.Personnenes’endoute.—Nouseffectuonslevol290avecuntempsdevoldeseptheurestrenteminutes.Jel’admiredanssonuniformedepilote.Desimagesmeviennententête.Luietmoi,danslelitdenotre
chambred’hôtel.LesmoisontpassédepuisRome.Jenesuispaspartiecommejem’étaispromisdelefaire.J’enaiété
incapable. J’ai décidé de lui accorder du temps pour qu’il règle ses choses à la maison. Je suisconsciente que la situation n’est pas idéale,mais ce n’est pas du jour au lendemain qu’on choisit decreverlecœurdelamèredesesenfants.Jecroisquecequenousressentonsl’unpourl’autrevautbienquel’ontentelecoup.Alors,jem’accroche.J’aiéchangécevolcontreunautreavecunecollèguepourvoirJohnlepluspossible.C’estlaseule
façonpourlemomentd’êtreensemble.Deplus,surlevolderetour,Béaseraàbord.EllevavoirJohnpourladeuxièmefois!J’espèrequ’ilréussiraàl’amadouer,carjusqu’àmaintenant,toutcequ’ilaréussiàfaire,c’estdelaconvaincredesméfaitsdenotrerelation.ElleestpartievisiterDamien,sonmilliardairefrançais.Ellem’adit:«Çapasseouçacasse!J’enai
assezd’êtredansunerelationàdistance.Onavanceouc’estfini!»Jel’admire.Elleestcapabledevoirleschosesrationnellement,sanslaissersoncœurl’emporter.Tout
lecontrairedemoi.Johnpoursuitsonbriefing.—Nousvoleronsà37000piedsjusqu’àlacôteatlantique,etensuitenouseffectueronslatraverséeà
39000pieds.Pasdeturbulenceprévue.Desquestions?Silence.—Danscecas,bonvol!Avantderetournerdanslepostedepilotage,ilmesourit.Ilmemanquedéjà,mêmesinoussommes
uniquementséparésparuneporteblindée.Ladirectricedevolprendlaparole.—Commevousl’avezentendu,letempsdevolestdeseptheurestrenteminutes.Pourleservice,on
vafaireçasimpleetcommencerparlerepaspourqu’ilsmangentauplusviteetqu’onpuissefermerleslumièrespourleslaisserdormir,précise-t-elle.
Je n’ai jamais volé avec cette directrice auparavant,mais j’ai entenduparler d’elle. Elle s’appelleAnnie Réal, mais tout le monde l’appelle Annie Relax parce que, sur ses vols, comme son surnoml’indique,c’estassezrelax.Ellen’estpasdugenreàtesermonnerparcequetuasfermélesyeuxpendantune heure. D’ailleurs, elle doit sans doute s’installer la première sur les sièges d’équipage pour sereposer.Ellepoursuit.—Pour lesquestionsd’urgence,vousêtes tousdesagentsdebordqualifiés,et jenedoutepasune
seconde de vos compétences, alors on va laisser faire l’interrogatoire et choisir les positions tout desuite,conclut-elleavantd’inscrirenoschoixparordred’ancienneté.Pasdedoute,AnnieRéalestbienAnnieRelax.Entantquechefdecabine,siquelquechosesepasse
mal,elleestlapersonnequ’onappellerapourconnaîtrelesdétailsdel’événement.Elleestentreautreschargéedelancerl’embarquement,deremplirunetonnededocuments,defairelesannoncesdesécuritéetdes’assurerdescompétencesdesesmembresd’équipageenleurposantdesquestions individuellesavantlevol.Detouteévidence,elleadécidéd’ignorercettedernièretâche.Cegenred’exerciceestengénéraltrèsappréciésil’onposedesquestionspertinentes.Unequestion
telleque:«Quelestlenombremaximaldepassagersquientrentdansunradeau?»nemerendrapasplus alerte lorsque l’avion décollera. Disons seulement que, dans le cas peu probable où j’aurais àutiliser un radeau en pleine mer, je ne commencerai pas à me demander si le nombre exactétait68ou69…Logiquement, un directeur de vol posera des questions pour nous rafraîchir la mémoire ou nous
sensibiliserànouveauauxrisquesdenotremétier.«Danslecasd’unedécompressionà40000pieds,pendantcombiendetempsresterez-vousconscient?»Cegenredequestionpeutfaireréfléchir,carensachantquejen’aiqu’entrequinzesecondes(auminimum)et trentesecondes(si jesuischanceuse)delucidité,jenetarderaipasàsaisirlepremiermasqueàoxygènequitomberadanslacabine.Peuimporteoùjesuisetcequejefaisdansl’appareil,jeprendsunmasqueetjesautesurlepremierpassagerafinqu’il me retienne, car si une décompression rapide survenait, il se pourrait qu’un gros trou dans lefuselagem’expulsedanslecielenunriendetemps.Inutiled’allerrangerlechariot.Apparemment,pourAnnieRelax,s’assurerquenousconnaissonsbiennosprocéduresdesécuritéestledernierdesessoucis.Aprèslechoixdespositions,touspartentvérifierleurssections.Aujourd’hui,j’aidécidédetravailler
àl’avantavecladirectricedevolenpremièreclasse.Jemedemandesiellemedonnerauncoupdemainou si elle ira se reposer une fois la porte fermée. Ça m’est égal, car j’ai choisi cette position pourpouvoirresterprèsdemoncommandant.J’ailaresponsabilitéd’allerleserviravecsonpremierofficier.Jenepourraidoncpasm’ennuyerdeluitroplongtemps.L’embarquementvientd’êtrelancéetdéjàAnnieRelaxmedemandedel’aide.—Scarlett,tupeuxmeremplaceruninstant?J’acquiesceetjem’approchedelaportepourrécupérerlescartesd’embarquementdespassagers.Un
couplemetenddeuxbillets.—Bonsoir!dis-jeenvérifiantleursnumérosdesiègespourlesdirigerduboncôtédel’appareil.J’en profite pour jeter un coup d’œil sur la destination afin dem’assurer qu’ils se rendent bien à
Marseille.Celaconfirmé,jeleurdésigneladeuxièmeallée.Unhommemetendensuitesacarte.—Bonsoir!medit-ilenmesoufflantsonhaleinedecafé.Jereculed’unpasetluiindiquelapremièreallée.Lafemmederrièreluilesuitdeprès.Voyantqu’ils
sont ensemble, je la laisse passer.Unedame s’avance ensuite.Elle porte un joli foulard rouge et deslunettesstyléesdelamêmecouleur.Ellefrôlel’encadrementdelaporteententantd’entrersansquejel’aperçoive.
—Pardon,madame,puis-jevérifiervotrecarteunedernièrefois?luidemandé-jed’unairgênépourluisignifierqu’ilmepèseégalementdemeplieràcetteprocédure.—Ridicule!Onmel’avérifiéetroisfoisdéjà!Trois?Elleexagère.Unefoisàlabarrière,etmaintenant,deux.Sonimpolitessem’irrite,maisjen’en
fais pas de cas. Je comprends qu’il peut être agaçant de se faire demander sa carte à répétition. Parcontre,c’estmondevoirdelefaire.Jeluisuggèredoncgentimentdefouillerdanssonsacàmainetdeme lamontrer. Elleme fusille du regard tout en la cherchant désespérément. Pendant que je contrôleplusieursautrespassagers,Madameauxlunettesrougesmelancedesesyeuxdescouteauxtranchants.—Jenelatrouvepas!Jesuisassiseau30B,medit-elle.Nevoulantpasattisersonexaspération,jeluifaissignequeçavaetluiproposederejoindresonsiège
àl’arrière.Quelquesminutesplustard,AnnieRelaxrevient,etjeretourneàmesoccupations.Jeramassedeuxbouteillesd’eauetm’immisceàmongrandplaisirdanslepostedepilotage.—Voicivosbouteilles,lesgars,dis-jeenlesdéposantdansleurespaceréservé.Johnseretournepourmeremercier.Sonsourirem’intimide,etjerougis.Illeremarqueetmefaitun
discret clind’œil. Il est conscientde l’emprisequ’il a surmoi et,malheureusement, j’ai l’impressionqu’ilaimecela.Pourfairediversion,jemeprésenterapidementaupremierofficier.—Salut,moi,c’estScarlett.—Philippe,medit-ilenseretournantpourmeregarder.Sonvisagemesemblefamilier.Mâchoirecarrée,cheveuxnoirs,gelappliquéàlaperfection.Ilaassez
bellegueulemêmesisonnezressembleàceluid’unboxeur.—Onn’apasdéjàvoléensemble?luidemandé-je.—Oui,avecJohnjustement.Çadoitfairedeuxoutroisans.Onétaitallésmangersuruneterrasseavec
tabelleamie.—Hum,oui,jemesouviens,confirmé-je,maintenantmoinsdisposéeàfairelaconversationaveccelui
quiafréquentéplusieursfillesenmêmetempsquemachèreBéa.Comment pourrais-je ne pasme souvenir de cette soirée ? La première fois où John et moi avons
mangéensemble.Etlemomentoùj’aiapprisqu’ilétaitencoupleetqu’ilavaitdesenfants.QuantàBéa,elles’étaitamuséeaveccePhilippeBurns,coureurdejupons.Ilestbeaugosseetilenprofite.Jen’aipasletempsdeposerlepiedhorsdupostedepilotagequ’AnnieRelaxm’interpelleànouveau
pourquejelaremplace.Enmatièred’embarquement,celuiquiaccueille lespassagersa l’occasiondemodifier,grâceàsonsourireetàsonénergie,leurhumeur.Siunagentdebordcontrariéetbêteseposteàl’entrée,ilyadeforteschancesqueceuxquiétaientdéjàfrustrésleserontencoreplusetquelesnon-frustrés le deviendront. Il est donc recommandé d’être extrêmement heureux ou à tout lemoins de lesembler.Outre cet avantage de répandre la bonne humeur dans l’avion, s’occuper de l’embarquementpermet de prendre le pouls des passagers. Ce soir, àmon grand désespoir, je crois que nous auronsaffaireàdes«Joeconnaissants».Unedamememontresacarte.—Le26K.Parlà!m’instruit-elleendésignantlapremièreallée,commesiellesavaitoùsediriger.Sonsiègesetrouvedansladeuxièmealléeetnondanslapremière,maisàenjugerparletonqu’ellea
utilisé,lacorrigernemèneraitàrien.«Qu’elles’enrendecompteparelle-même.»Jepasseauprochainpassager.—Le27J,medit-ilsanssortirsacarte.—Jecomprends,monsieur,maisjedoisvérifiervotrecarteunedernièrefois,expliqué-je.
«Que jeme trouve insistanteet énervante !»L’homme finitpar trouverunboutdepapier àmoitiédéchiréetmeleremet.Jevérifiesonsiègeetsadestinationavantdeleluirendre.—Le27F,monsieur,lecorrigé-jeenluimontrantlasecondeallée.Jevoislafiles’écourter.MaisoùestpasséeAnnieRelax?Jecroisqu’ellem’avraimentutiliséepour
sesauverd’unetâchequilarépugne.Unefoisledernierpassagerembarqué,ellerevientàl’avant.—Merci,Scarlett!Tuesunamour!—Pasdeproblème,t’étaisoù?— Dans l’allée. J’aidais les passagers avec leurs bagages. Je n’aime pas particulièrement faire
l’embarquement,meconfie-t-elle.Jeneluienveuxpas.Nousavonstousdestâchesquinousdéplaisentplusqued’autres.Siuncollègue
seportevolontairepourexécutercellequinousrebute,ceseratoujoursapprécié.—J’enconclusquejeferailedébarquementalors,dis-jepourlataquiner.—Non,non,jeleferai,celui-là.Lesvoirpartir,çamefaitplaisir!m’avoue-t-ellesincèrementavant
d’allerfaireuneannonceauxpassagers.Quand les bagages de cabine sont tous bien rangés, je me cache derrière le rideau, le temps des
dernierspréparatifs.J’entendsalorsJohnm’interpellerdupostedepilotage.—Scarlett, tupeuxdire à ladirectricequ’ellepeut fermer laportequandelle veut,m’annonce-t-il
avantdefermerlaporteblindéederrièrelui.Aupassage,unbaisers’estenvolédepuissonsiège,atraversél’embrasuredelaporteets’estposé
surmes lèvres.Délicat,mais surtout invisible.LorsqueAnnie termine sonannonce, je lui transmets lemessage.Soudain,lasonneriedel’interphonesefaitentendre.Jedécrochelecombiné.—Oui,c’estScarlettàl’avant.— Salut, c’est Nadine à l’arrière. Ne fermez pas la porte, il y a une femme qui s’est trompée
d’appareil.EllepartàParis,pasàMarseille.Elles’envientàl’avant.Jenetardepasàledireàladirectrice.Ellemeregarde,stupéfaite.—Benvoyons!Commentçasepeut?—Jenesaispas.Ilmesemblequej’aidemandélescartesdetoutlemonde…Jemesenscoupable.Jesuiscellequiaaccueillilespassagers.J’aipourtantbienvérifiéladestination
apparaissant sur les cartes. « C’est ma faute, j’en ai laissé passer quelques-uns. » J’ai peur d’êtreréprimandée.—Cen’estpasdetafaute,Scarlett,melanceAnnieRelaxenvoyantl’expressiondedoutesurmon
visage.JedoisavoirmentionnéaumoinsdixfoisquecevoldécollaitpourMarseille.Paris.Marseille.Tutrouvesqueçaseressemble?Effectivement,aucuneressemblance. Impatientedesavoirquiest l’hurluberluenquestion, je sors la
têtedansl’allée.Madameauxlunettesrougesmarched’unpasdécidéversl’avant.Elleal’airfrustrée.Ceseraitdonc
elle, la perdue ? La dame qui a refusé de me montrer sa carte… Je suis étrangement contente del’apprendre.Soulagéemême.Elle rejoint la sortie,maisavantdedescendre,elle s’arrêteen levantundoigtaccusateurversmoi.—Mademoiselle,vousauriezpumedirequenousallionsàMarseille!—Désolée,madame,maisc’estenvérifiantvotrecartequej’auraispuvousledire,luiexpliqué-je.—Jel’aimontréeavantd’embarqueretpersonnenel’aremarqué!
Jesuismoi-mêmesurprisequ’ellesesoitfrayéuncheminsansquepersonnes’enrendecompte,mêmepaselle.Annieintervientàlahâte.— Je suis désolée, madame, mais si vous ne vous envolez pas vers Marseille ce soir, il y en
a 350 autres qui aimeraient y aller, déclare-t-elle en ramassant sa valise pour la déposer sur le pontd’embarquement.«Passirelaxqueça,cetteAnnie,finalement!»medis-jeenlavoyantfermerlaported’unmouvement
debrasvigoureux.
***
AvantdequitterRome, Johnm’ademandéde lui accorderunpeude tempspour régler sa situationfamiliale.Jeluiaiditquejepatienteraisletempsqu’ilfallait,maisj’aimenti.Jenesuispassipatientequecela.Biensûr, j’essaied’êtrecompréhensive,mais j’aihâtedeconnaître le jouroù jepourraimeréveillertouslesmatinsàsescôtés.Jemesensaussiimpatientequemespassagers.Quoiqu’iln’yaitriendeplusennuyeuxqued’êtreassisdansunavion.J’aitoujourspenséquelesgensenclasseéconomique,parmanqued’espaceoudepetitesdouceurs,
étaientplusimpatientsqueceuxquiétaientassisenpremière.Entoutcas,aujourd’hui,cette théorienes’appliquepas.D’ailleurs,ensupervisantl’embarquement,j’aiflairél’impatiencequivoulaits’infiltreràbord.MêmeAnnieRelax l’a remarquée.Depuisquenousavonsdécollé, j’aidéjàserviàchacundemesquinzepassagersdepremièreclassetroisconsommationsenmoinsdetrenteminutes.Àchacunedemestraverséesdurideau,onmedemandequelquechose.—C’estmoiouondiraitqu’ilsarriventdudésertduSahara?demandé-jeàAnnieRelaxenrevenant
danslagalleyavecuneautrecommandedeboissons.—Ce n’est pas compliqué, Scarlett, on sert ces derniers verres et après on se cache, me dit-elle
sérieusement.—Euh…— Je te défends de retraverser le rideau avant qu’on soit prêtes à leur servir les repas chauds,
m’ordonne-t-elle.—OK,moncaporal!blagué-jeenportantmamainàmonfront.Elle a raison. Si nous ne faisons pas fi de leurs demandes pendant un instant, nous ne servirons
personne efficacement. Car avant de distribuer les plateaux de repas, nous devons préparer quelquesélémentsnécessairespourquetoutsedéroulebienetpouréviter lepluspossibledefaireattendrenospassagersprinciers.Aprèsavoirdéposélesderniersverresdevinsurlestablettes,j’aviselespassagersque nous distribuerons les repas très bientôt et je cours me cacher derrière le rideau. J’ai bien vuquelquesmainsseleverpourmefaireunerequête,maisjesuisdésormaisaveugle.Çasuffit!—Jesuispresqueprête,dis-jeàAnnieRelax,puisj’appellelespilotesàl’avant.—Oui,c’estlecommandantquiparle.—Salut,John,c’estScarlett,jevoulaissavoirsivousvouliezquelquechoseàboireavantquenous
commencionsnotreservice.Lepremierofficier,égalementàl’écoute,m’indiquequ’ilprendraituncafé.—Lamêmechosepourmoi,ajouteJohn.Jeprépareaussitôtlenécessaireetj’entredanslepostedepilotage.—Allo!Voicivoscafés.
—Merci,beauté!lancePhilippe.Ildéposesaboissonetselèvedesonsiège.—Jevaisenprofiterpourallerauxtoilettes.Jemepressecontrelaportepourluifairedel’espaceetmeprépareàretourneràmesoccupations.
John,voyantuneoccasiond’êtreseulavecmoiàl’abridesregards,tentedemefairerester.—Alors,Scarlett,tufaisdebeauxvolscestemps-ci?—C’estmonpremierMarseilledepuislongtemps.Difficileàavoircommedestination.Sinon,jefais
beaucoupdeParis.Toi?Philippe,maintenantprêtàpasserdel’autrecôté,mesuggèredetenircompagnieàsoncommandant
pendantsonabsence.J’accepte,bienentendu.Laporterefermée,Johnetmoinousretrouvonsenfinseuls,éclairésseulementpar les lumièresprovenantdes instrumentsdebord.Devantnous,unepleine lune àcouperlesouffle.—Viensiciquejet’embrasse,murmure-t-il,heureuxquejesoisdemeuréeauprèsdelui.Il recule son siège et avance son visage pour venir à ma rencontre. Notre baiser langoureux me
réchauffe.Je ledésire tellement.Mamainseposesursontorse.Àcausedesachemiseblanche, jenepeuxtouchersapeau,maisjen’aiaucunmalàmel’imaginer.J’orienteensuitemamaintranquillementverslebas.Johnsouritetm’empêched’atteindremonbut.—Plustard.Pasici.Jeluifaisunemouequin’estpassincèreetluidonneundernierbaiseravantd’êtreinterrompueparle
premierofficier,quiattenddesefaireouvrirlaporte.Jeluicèdemaplaceetretourneàmespassagersassoiffés.—Jesuisprête!dis-jeàmacollègue.Elleacquiesceen sortant lepremierchariot et ledéplaceenpleinmilieude lagalley. Elle dépose
ensuitequatrebouteillesdevinrougeetdeuxbouteillesdevinblancsurlecomptoir.Jevérifiequelesrepasdanslefoursontsuffisammentchaudsetleconfirmeàmacollègue.Jetermineencollantsurlemurlafeuilledétaillantleschoixderepaspourchaquepassager.Àtable!Dansunavion,toutestprévu.Commenoustravaillonsdansunespaceexiguetqueletempsestsouvent
limité, chaque élément est conçu afin de nous faciliter la vie. Les plateaux sont donc préalablementmontés tels qu’ils seront servis avant d’être chargés à bord. Nous distribuons ainsi tout à la mêmeoccasion,saufl’assietteprincipale,lepainetlevinafind’offrirunsimiliservicestyle«restaurant».Surleplateausontdéposésunverredevinvide,desustensiles,unepetiteassiettepour lepain,uneentréeainsiqu’undessert.Aprèsavoirétaléquelquesplateauxsurlecomptoir,jeconsulterapidementlalistedeschoixderepas
pourm’assurerqu’iln’yapaseud’erreur.Quelquesminutesavant,Annieestpasséedansl’alléeafindeprendre les commandes des passagers. Certains ont opté pour des pâtes, d’autres pour du poulet.Autrementdit,s’ilsontoptépourdespâtes,enrecevantleurplateaugarnid’unesimplesaladeverte,ilsdevraientcomprendrequeA)lasaladeestuneentrée,etqueB) lespâtessuivront.J’ai toujourspenséquec’étaitévident,maisaveclespassagers,onnesaitjamaisàquois’attendre.Nouscommençonsladistributiondesplateauxderepas.Jeparsd’uncôtéetAnnieRelaxdel’autre.En
moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, tous les passagers ont reçu un plateau. Pendant qu’ils serégalent,jesorslesplatschaudsdufour.Annieaoséretraverserlerideaupourremplirleursverresdevin.
Lesplatsdansleursenveloppesd’aluminiumdoiventêtretransférésdansl’assietteprincipale.Ilsuffitdesouleverlecontenantoùlanourritureaétépréalablementmontéedefaçoninverseàêtreservieafinque,unefoisleplatrenversé,ilsembleavoirétéconcoctéparlamaindel’hôtessedel’airelle-même.Pendantquejecommencelemontage,AnnieRelaxramasselesassiettesd’entréesvides.Jem’efforce
d’assemblerlesassiettesleplusrapidementpossible,maisl’espaceétantrestreintpourlesdéposer,jeneprépare que celles des premières rangées. Uneminute passe. Deuxminutes. Trois minutes. J’imaginedéjà1Aentraindes’impatienter.Ildoitgrouillerdelajambe.Etquedirede3J,quiabutroisverresdevinrougeendixminutes…Jem’inquiète.—Ondevraitsedépêcherunpeu…—Qu’ilsattendent,voyons!Iln’yapaslefeu!Onnetraînepaspourtant.Tunousasvuestraîner?me
demande-t-elle.—Non,eneffet,approuvé-je,conscientequenousn’avonspaschômé.Envérité,jesaiscequejetented’éviter.Jedétestequandilsfontcela.Etcesoir,cespassagersontle
profildel’emploi.Jelesaivusregarderparlafenêtrepourpasserletemps.Dehors,unocéannoir.Lanuit.Iln’yarienàvoir!Etpuis,lefilmestinsipide.Ilsn’ontpasouvertunlivredepuisqu’onadécollé.Ilsontbu,c’esttoutcequ’ilsontsufairepours’occuper.Ilsn’ontrienpoursedistraire,rienàobserver.Jelessenspaniquer.L’ennuipèsesurleursépaules.Ilsvontcommettrel’irréparableetfairehonteàmonefficacité.Jemedécideàcommencersansl’aided’AnnieRelax.Jedoisagirviteavantqu’ilnesoittroptard.—J’yvais!annoncé-jeenprenantdeuxassiettes.Entraversantlerideau,mesespérancess’anéantissent.Jelesavais!Ilsonttoutmangé!Tout!Ilsn’ont
passuattendreplusdecinqminutesmavenue.Impatientsdesedésennuyer, ilssesontlaisséscharmerparcettetartelettechocolatéedestinéeàêtreconsomméeendernierlieu,bienaprèsleplatprincipalquejem’apprêteàservir.Etdirequejelesappelaismespassagersde«classe»…
E
Chapitre5
Marseille(MRS)
n entrant dans le lobby de l’hôtel où nous séjournerons pour la nuit, nous nous dirigeonsimmédiatementvers les sofasdouillets au centre duhall.Le tempsqu’AnnieRelax récupèrenosclésdechambres,mescollèguesplanifientlasoirée.
—Tuprévoisfairequelquechosecesoir?medemande-t-on.—Non,jevaisrestertranquilleetmangerdansmachambre.Jesuiscrevée.Jeplanifiepasseruneadorablesoiréed’amoureuxavecmoncommandant,maisjenevaispasleleur
dire.Déjà,jesuisperduedansmespensées.J’aihâtedemeblottirdanslesbrasdeJohnpourfairelasieste et pour que l’on profite ensuite l’un de l’autre. Jeme demande ce qu’il voudra faire. Sortir aurestaurantousefaireunrepasimprovisédanslachambre,àmoitiéhabillés?Jechoisisl’optiondeux.John se tient à quelques pas de moi. Il parle avec le premier officier, celui à la chevelure gelée,
parfaitementcoiffée.J’écouteleurconversation.—Alors,onserejointvers6heuresdanslelobby?luidemandePhilippe.—Ouais,parfait. JecroisqueScarlettvoulaitaussiveniravecnous,annonceJohnenme regardant
pourconfirmer.—Euh…jevaisvoirtoutàl’heure,réponds-jeavechésitation.Ilm’apriseparsurprise.C’estuneblague?SouperavecPhilippe?Cesoir?Après troissemaines
sanss’êtrevus, Johnvoudraitquesonpremierofficiermangeavecnous? Je rage intérieurementet jesensmon visage devenir bouillant. Peut-être ne fait-il cela que pour ne pas éveiller les soupçons. Jecompteéclaircirlasituationplustôtquetard.—JohnRoss!crieAnnieRelaxdepuislecomptoirdelaréception.PhilippeBurns!continue-t-elle.Moncommandantrécupèresacléets’approchedemoipourmemontrerdiscrètementlenuméroinscrit
sur l’enveloppe la contenant. Jenotementalement les chiffres avant qu’il ne rejoigne l’ascenseur.Unefoismapropreclérécupérée,jemonteàmonétage.J’ouvrelaportedemachambre,puisjemedirigeverslafenêtrepouradmirerlapiscineencontrebas.
Une jolie femmeboituncocktailsurson transat.D’ordinaire, j’apprécierais lachanced’être ici,maispourlemoment,jebroiedunoir.Lesoleilquiplombem’agresse.«IlesthorsdequestionquejesorteavecPhilippe»,maugréé-jeencoreavantdecomposerlenumérodelachambredeJohn.—Oui,allo?—Salut,dis-jesèchement.Jesautedansladoucheetjem’enviens.—D’accord,jet’attends.Çava?Grr!Jen’arrivejamaisàluidissimulermesémotions.Lemomentestmalchoisipourluifairepartde
mafrustration.
—Oui,toutvabien.Justecrevée.J’arrivedansuninstant,conclus-jeavantderaccrocher.
***
Lorsquejecogneàsaporteetqu’ilm’ouvre,sonsouriremefaitflancherbrièvement.—Quetuesbelle!—Arrête,j’ailesyeuxrougesdefatigue.—Pasgrave,moiaussi,regarde.Il s’avance vers moi en écarquillant les yeux pour memontrer les veinules qui y apparaissent. Je
souris.Jel’embrasse,etons’étendauchaudsouslescouvertures.Latêtesurl’oreiller,jem’empressedeluidemanderquellessontsesintentionspourlasoirée.—Tun’étaispassérieuxtoutàl’heurequandtuasdonnérendez-vousàPhilippepoursouper?—Biensûrquejel’étais.Çanetetentepas?J’éloignemon visage du sien et l’observeminutieusement.Apparemment, il ne blague pas. Jemets
cartessurtableenperdantmoncalme.—Ilesthorsdequestionquej’aillemangeravectoietPhilippe.C’estnotrepremièresoiréeensemble
depuistroissemaines,etjen’aipaslegoûtdementirencorepourtoi!Moncommentairelesurprend.Ils’attendaitprobablementàcequejen’yvoieaucuninconvénient,et
je peux comprendre, car si on résume la situation, depuis le début de notre semblant de relation : jel’accompagneàRome,jemensàtoutlemonde,j’échangedescourrierspourvoleraveclui,jelerejoinsdansSAchambre,jem’adapteàSONhoraire.Cettefois-ci,jerefusedecéder.Iltentedemeconvaincre.—Commentça,mentir?Tun’auraspasàmentir,onmangeentreamis.—Bienévidemmentquejevaisdevoirmentir!SiPhilippemedemandesij’aiquelqu’undansmavie,
jedevrailuirépondrequenon.—Ilnetedemanderapasça.—Commenttulesais?Detoutefaçon,jenesaispluscommentagiravectoienpublic.Sijeteparle
trop,jemedemandesilesgensvontleremarquer.Etsijeneparlepasassez,c’estmoiquineprofitepasdemasoirée.Jenemerendraipasplusmalàl’aisequejelesuisdéjà.Voilà,j’aividémonsac.Ildoitfaireunchoixmaintenant:PhilippeouScarlett.Àmonavis,lechoix
estsimple,maisilnesemblepascomprendreledilemmedanslequelilsetrouveets’efforceànouveaudemefairechangerd’avis.—Cegars-là,jeleconnaisdepuisdesannées.Çanesefaitpasdelelaissermangertoutseulcomme
ça.Uncommandantetsonpremierofficierrestenttoujoursensemble.—Têteduredepilote!l’insulté-je,surleborddelacrise.—Tuagisvraimentenbébé,Scarlett,melance-t-il.—Laissefaire,John.Jeluitourneledos.J’aienviedepleurer,maisjeretiensmeslarmes.Jesuissifatiguéequejen’aipas
lesidéesclaires.Jepréfèrem’endormir.Chacundenotrecôté,nousnousassoupissons.
***
—Coin-coin!faitlepetitcanardduiPhone.Johnéteintl’alarme.Ils’assoitsurleborddulitetramasselecombinédutéléphone.
—Salut,Philippe,c’estJohn.J’espèrequejeneteréveillepas…J’entendslavoixàl’autreboutdufilquisembleendormie.—Écoute,jesuiscrevé,alorsjevaisresterdansmachambrepourlasoirée.Àdemain.Moncommandantseretourneensuiteetmedécocheunsourireforcé.Cesourirem’atteintcommeune
flècheenpleincœur.Johnn’estpasheureuxdesadécisionetilnel’aprisequepourmecontenter.Ilmefaitsentir comme un bébé gâté qui vient d’obtenir enfin ce qu’il désire. Pourtant, je ne demande quel’attentionquimerevient,riend’autre.Unpoidsénormepèsesurmesépaules,leslarmesveulentrefairesurface.Jeluttepourlesenempêcheretmedirigeaussitôtverslasalledebain.J’éponge de l’eau fraîche sur ma nuque. Je ne suis pas si exigeante ! J’explose en pleurs. Mon
commandantmerejointpourmeconsoler.—Nepleurepas,Scarlett,jesuistoutàtoimaintenant,medit-ilenséchantmeslarmes.—Ah,John…—Allez,jevaistefairedubien.Viensparlà,medicte-t-ilenm’escortantverslelit.Leregardqu’ilposesoudainsurmoimeréconforte.Sesyeuxbrillent.J’oublienotredifférendlorsque
seslèvrestouchentlesmiennes.Pourquoicethommeréussit-iltoujoursàmefaireoubliermessoucis?Pendantuneheure,j’ail’esprittranquille.
***
—Dupain,desfromagesetquelquespâtés,çateva?luidemandé-jedansl’alléedumarché.—Oui,etduvin,bienentendu!J’approuveetnousdéposonslenécessairedanslepanieravantdeterminerdansnotrealléepréférée.
Enmatièredevins,jechoisistoujoursdesbouteillesàmoinsdecinqeuros.Premièrement,parcequejedevraipayerdes taxessurcemontantsi jesouhaite lesrapporter,maisaussiparcequ’ilexistedetrèsbonsvinsàmoindreprix.C’estunplaisirde traînerdevantces rangéesde rougesetd’observer leursétiquettes.J’aiunbonflairengénéral,etjemefaisconfianceàcesujet.JeramassedoncunepremièrebouteilleetlamontreàJohn.—Quepenses-tudecelui-ci?—Hum,bof!Jeremetslabouteillesurl’étagèreetluiproposemondeuxièmechoix.—Celle-ci?Unfronsac,danslecoindeBordeaux.Corsé,tuvasaimer.Àpeinea-t-ilposéleregardsurmadernièresuggestionqu’ilmefaitunnoncatégoriqueensecouantla
têtedegaucheàdroitecommeunchienmouillé.Jerangelabouteille,presqueaussirépugnéequeluidel’avoirconsidéréecommeunebonneoption.Jenesuispluscertainedevouloirproposerquoiquecesoit.Maconfiancevientdeperdresesrepères.Jelelaissedécider.Ilnetardepasàfaireunchoix.—Tiens!Celle-là!m’annonce-t-ilendéposantlabouteilledanslepanier.«Tudevrais t’appelerJohnBossetnonJohnRoss»,medis-je.Detoutefaçon, ilestvraiquemon
commandants’yconnaîtenmatièredevin.Ilserasansaucundoutedélicieux.De retour à la chambre, nous nous asseyons côte à côte sur le lit pour déguster notre festin. Nous
étalonslepain,lesfromagesetlespâtéssuruneserviettepouréviterlesdégâts.Jeprofitedecemomentoùjesuisseuleavecluipourluisoulignermesinquiétudes.—John,jen’aijamaisvouluêtretamaîtresse…—Tun’espasmamaîtresse!s’empresse-t-ilderétorquer.
—Benvoyons!Jetevoisrégulièrementdepuisdeuxmoisettafemmen’enaaucuneidée!—Scarlett,tun’espasmamaîtresse,tuesplusqueça!s’obstine-t-il.—Jesuisquoi,alors?Silence.Ilréfléchit.—Pourlemoment,jenepeuxpastedonnercequetuespères.J’aidesenfants…Tunelecomprends
toujourspas?—Bienentenduquejecomprends,mais…—Jesaisquetumeveuxjustepourtoi,maisilvafalloirquetuapprennesàvivreenétantdeuxième,
parcequemesenfantssontmapriorité.Tulesais,non?—Euh…Cen’estpastoutàfaitcommeçaquej’auraisaiméquetumeleprésentes…—Scarlett!Situn’espasheureusemaintenant,tuneleseraspaspluslorsquej’auraiquittéDebbie.—Voyons,John!Çaseradifférent!Ettuasl’airdepenserquejevaist’attendreéternellement!Ce
n’estpaslecas!l’avertis-jespontanément.—Entoutcas,tuasvraimentledondegâchernotreseulesoiréeensemble,melance-t-il.—Désolée,John,jenevoulaispas…Je prends à nouveau cet air vulnérable qui neme ressemble pas. Jeme sens si petite devant lui et
j’aimeraisluidire:«Heille!Cen’estpastoitoutàl’heurequiasgâchénotresoiréeenvoulantmangeravecPhilippe?»Évidemment,cettepenséedemeuredansmatête,coincéedansun labyrinthe tortueuxd’oùellen’arriverapasàs’enfuir.Johnchangedeton.— Je sais que tu n’es pas heureuse dans tout ça,mais j’ai encore besoin de temps. Tu veuxm’en
accorder?Bienentendu,j’aiaccepté,maismapatienceadeslimites,etjecroisqueJohnn’enapasencorepris
conscience.Ilfautdirequejenel’aipasforcéàlefairenonplus…Latensiondiminuée,nousretrouvonsnosesprits,notrecomplicité.Assisdansnotrelitdouillet,nousportonsuntoastàl’amour,nesachantpasoùilnousmènera.Enentendantlesonharmonieuxcrééparnoscoupesquis’unissent,j’osecroireàcettesimplicitéquiunjourpourraits’installer. Ilm’embrasse tendrementetmeserrecontre lui. Jevoudraisquecettenuits’éternise,qu’elleneseterminejamais.
–Q
Chapitre6
Marseille(MRS)–Montréal(YUL)
uejesuiscontentedetevoir!m’exclamé-jeenapercevantBéas’avancerverssonsiège.Enplus,tuesassisedirectementdevantmonstrapontin!
—C’estledestin!melance-t-elleironiquement,enguisedeclind’œilàmafaçondevoirleschoses.—Ha!Ha!Trèsdrôle!Etpuis,tonvoyage,ç’aété?—Pastantqueça.J’allaislà-baspouravoirdesréponses.Jelesaieues.—C’estterminé?—Jeteraconterai,soupire-t-elleenprenantplacedevantmoi.Jen’insistepas. Jevoisqu’elle a le cœurgros.Mêmesi ellenevoudrapas l’admettre, elle aimait
Damienplusqu’ellen’osaitlemontrer.Jelalaisses’installeretjeparsdansl’alléeafindefermerlescompartiments.J’interpelleunedamequelquesrangéesplusloin.—S’ilvousplaît,lesacàmainsouslesiègedevantvous.Ellemeregardeenagrippantsonminusculesacàbandoulièresursesgenoux.—Jepréfèrelegarderavecmoi,m’annonce-t-elle,surladéfensive.Ellerenforcel’emprisequ’elleexercesursonprotégé.Jevoisletissusefroissersoussesdoigts.Pour
s’assurerqu’ilnedisparaîtrapas,elleaprissoind’entourerlacourroiedecuirautourdesajambe.Jem’appliquedenouveauàluirappelerlesconsignesdesécurité.—Votresacdoitêtredéposésouslesiègedevantvous,madame.Elleignoremoncommentaire,résolueàn’enfairequ’àsatête.Contraintederespecterlesrègles,jelui
expliquelepourquoiducomment,enn’oubliantpasd’ajoutermonargumentmiracle.—Dans l’éventualité où vous devriez évacuer l’appareil, la courroie de votre sac autour de votre
jamberisquedevousfairetrébucher.Ilestbeaucoupplussécuritairededéposerlessacsausol.C’estuneinfractionfédéraledenepasrespectercetteloi.Elleassimilemesproposetdéposeenfin leprécieuxobjetdevantelle.Jesavaisqueçamarcherait.
Infractionfédérale!Çafaitpeur,non?Enanglais,c’estencoremieux:FEDERALOFFENSE.Sir,thisisafederaloffense!Desfrissonsnousparcourentlacolonnevertébraleinstantanément,caronnebadinepasavec…euh?Legouvernement?Restequ’àtoutcoup,çamarche.Cesmotsobligentàobéir,etjenemegênepaspourlesutiliserquandlasituationl’exige.Aprèsavoir remercié ladamepour lecolossaleffort fourni, je retourneversBéa.En route, jedois
m’arrêterprèsd’unhommequimebloquelepassage.Ilfouilledanssonbagage,lepostérieurcourbéenmilieud’allée.—Pardon,monsieur,dis-jepourqu’ilmelaissepasser.
Ilsetourneversmoi,lamineagacée.Ilportedeslunettesrondesauxlentillestellementépaissesqu’onjureraitqu’iladesyeuxdepoisson.D’undoigt,ilselesenfoncesurlenezetmedonnedel’espacepourque je me faufile derrière lui. En le frôlant involontairement, je perçois des effluves d’alcool fortfraîchementconsommé.Cethommeabu.L’odeurestsubtileetpassuffocantecommecelleémanantd’unegueuledebois.Cependant, iln’apas l’air ivre, alors jen’en faispasdecas.« Il a sûrementbudansl’aéroport»,pensé-jeavantdem’asseoiràmonstrapontinpourledécollage.—Et toi?Commentc’était avec tonbeauJohn?mechuchotediscrètementBéaens’avançant vers
moi.—CHUT,BÉA!Jem’énerveenagitantlamain.—Woh ! T’es explosive,ma petite Scarlett…Tu as donc bien peur que quelqu’un sache. Il n’y a
personnequiécoute.—Ouin,désolée.Jemesuiseffectivementemportéepourrien.Masoiréed’hierm’adéçue,maisjen’aipasenviedelui
enparlermaintenant.—C’étaitromantique.Toi?—Ç’aété.Trèsbien,même.Onafaitdubateaupendantquatrejoursdansdesbaiesparadisiaques.Pour que personne ne nous entende, je m’avance sur le bout de mon strapontin, mes courroies de
retenuebienétirées.—Paradisiaque?Tunedisaispastoutàl’heurequeç’avaitmalété?—Oui,parcequec’estfinientreluietmoi,maislevoyages’estsuperbienpassé.—Alors,pourquoilelaisser?Siçavabien,jenevoispascommentonpeutvouloirterminerunerelation.Béaestplusrationnelle
quemoi,côtécœur.—Ons’aimebien,maisçanemèneranullepart.Iln’estpasprêtàfairelegrandsaut,etmoi,j’enai
assez d’une relation à distance. Perdremon temps, ça nem’intéresse pas, conclut-elle, complètementdétachée.—Tuesépatante!—Hein?Nous roulons toujours sur la piste, et le commandant – mon commandant – n’a pas encore fait
l’annonced’undécollageimminent,alorsjem’explique.—Jet’admired’êtreaussirationnelle.J’aimeraisêtrecommetoi.—Arrête,voyons!DamienvitenFrance.Sansdéménagement,iln’yavaitpasd’avenir.Ladécision
se prend d’elle-même.Mais toi, quand John va finir par laisserFreaking-Debbie, vous allez pouvoirbâtirunevieensemble…Béasoulèvelesourcil.Seslongscilsbattentrapidement,commepourdissimulersonregardsceptique.
Jesaisqu’elledoutefortementquecequ’ellevientdemedireseconcrétise.Quantàmoi,j’aiencoredel’espoir.JedoispensertrèsfortàJohncar,àcetinstantprécis,savoixrésonnedansl’appareil.Ilnousinforme
qu’ilmettrapleingazd’unesecondeàl’autre.Enl’entendantparler,Béaetmoinousregardons,haussonslesépaulesetsoupirons.«Onverracequel’avenirnousréserve.»
Lesrouessoulevéesdusol,l’avionprenddel’altitude.Lesmoteursbourdonnentbruyammentpuisnousatteignonsnotrealtitudedecroisière.Bientôt,jedevraimelever.JeregardeBéasansparler.Cen’estnilemomentnil’endroitpourpoursuivrecetteconversation.Nousauronsamplementletempsunefoisàlamaison.Soudain,lepassagerderrièreelleattiremonattention.C’estl’hommeauxlunettesépaisses,auxyeux
depoissonetàl’haleined’alcool.Ilmeguetteentrelesdeuxsiègesetmejettedesregardsfurtifsaprèschaquemouvement.J’ail’impressionqu’ilessaiededissimulerquelquechose.Jenesuispasdupe,maispourqu’ilnemeremarquepas,jedétourneleregard.Lorsque le signal des ceintures s’éteint, je me lève pour rejoindre mes collègues à l’arrière de
l’appareil.Aupassage,j’observeàladérobéeMonsieurŒil-de-poissonetjenotequel’odeurd’alcoolestencoreplusprononcéequeplustôt.Avantdel’accuserdequoiquecesoit,jevérifies’ilconnaît laloienmatièred’alcoolàbord.—Pardon,monsieur,seriez-vousentraindeboirevotreproprealcool?Ilmeregarde.Sespaupièresclignentlourdement.—Non,pasdutout,merépond-ilcalmementsansdéparlerunemiette.—Parfait.Jevoulaisjustem’enassurer,carcommevouslesavezsansdoute,iln’estpaspermisde
boiresonproprealcool.—Oui,oui,jelesavais,renchérit-il.Maintenant,s’ilboit, ilnepourrapasnousdirequ’ilneconnaissaitpasla loi.Avantdecommencer
monservice,j’aviseladirectricedevoletlerestedel’équipagequedessoupçonsplanentsurlui.—Jel’auraiàl’œil,meditAnnieRelaxpourmerassurer.
***
Ilnerestequedeuxheuresavantl’atterrissageet,pourlaquatrièmefoisensixheuresdevol,c’estànouveau le temps de sortir avec les chariots dans les allées. Monsieur Œil-de-poisson s’est tenutranquillependantlatraversée.Ils’estbienlevétroisfoispourallerauxtoilettes,maisriendelouche.Ilamêmeachetédeuxrhumandcokelorsduservicederepas.Jecroisavoirbienagienl’avisantendébutdevol.Commenousnousapprêtonsàservir lacollation,Béaarriveà l’arrière.Elle sembleagitéeetm’attireenretraitpours’adresseràmoidiscrètement.—Scarlett,jemesuisfaitvolermonportefeuille!Jepanique!—Tuessûre?Tusaisquequandons’affoleonnetrouverien.Tuescertainequ’iln’estpastombé
quelquepart?—Oui, j’aidéjàvérifié,et iln’estpaspar terre. Ilétaitdansmonsacetmaintenant iln’yestplus,
explique-t-elleenmeletendantpourquejel’inspecteàmontour.Jenetrouveaucunportefeuilleàl’intérieur.Jedécided’allervérifiersouslesiègedevantelle,làoù
elleavaitrangésonsac.Lorsque j’arriveà larangéeenquestion, j’observe le lieuducrimeet jem’inquiète immédiatement.
CommeBéaétaitassiseàcôtédelasortied’urgence,ellen’avaitaucunsiègedevantellepouryrangerseseffetspersonnels.Elle lesadoncdéposéssous le sien,à ladispositiondupassagerassisderrièreelle,qui,enl’occurrence,s’appelleMonsieurŒil-de-poisson.MoninstinctmeditqueBéanementpas.Son portefeuille a bel et bien disparu. Et j’ai déjà un suspect. Je rejoins ma colocataire affolée àl’arrière.—J’aiunebonneetunemauvaisenouvelle.Tuveuxsavoirlaquelleenpremier?
— Je ne sais pas, moi ! N’importe laquelle ! J’avais 300 euros à l’intérieur ! m’annonce-t-elle,angoissée.—Troiscentseuros!Qu’est-cequetufaisaisavecautantd’argentsurtoi?Oùas-tueuça?Tun’as
jamaisunsou!Décidément, je m’emporte autant que ma chère amie et ne fais qu’aggraver les choses. Je respire
profondémentenattendantdeconnaîtrel’originedecetargent,maisjemedoutedéjàdelaréponse.—C’estDamien.Ilvoulaitmefaireplaisirunedernièrefois.—OK…—Oublieça.L’importantdansl’histoire,c’estquej’avais300euros,etlà,ilsontdisparu!Envolés!
Qu’est-cequ’onfait?C’estquoi,tesnouvelles?—Jevaiscommencerparlamauvaise.—Vas-y!—Jepensequetuasraisonetquetut’esfaitvolertonportefeuille.—Tum’endirastant!Etlabonne?—J’aiunsuspect.—Oui,moiaussi,etjetejurequ’ilvameredonnermonargentavantlafindecevol,affirme-t-elle,
lesyeuxremplisderage.Quandilestquestiond’argent,Béan’enlaissepaspasserune.Surtoutsicetargentestlesien.«Vaut
mieux régler cette affaire avant qu’elle ne s’enmêle. » Je décide aussitôt d’aller parler à la chef decabine.
***
L’informationaététransmiseàAnnieRelaxainsiqu’àJohn.Pourlemoment,nousn’avonsqu’observéle suspect. Béa est retournée à son siège et a accepté de se calmer le temps que nous résolvions leproblème.Ma tactiqueestdequestionner lespassagers auxalentours,maispourcela, jedois attendrequ’il se lève de son siège. S’il est vraiment coupable, peut-être auront-ils une information clé à mefournir.Endistribuantlessandwichs,jeremarquequeMonsieurŒil-de-poissonagitesajambe,l’airstressé.
Jeluioffreàboire.Ilmedemandedel’eauenfuyantmonregard.J’observechaquedétailquipourraitletrahir, mais en même temps, je reste consciente qu’il n’est peut-être pas du tout le coupable. J’ail’impressiondejoueràCLUEetdecocherlesindicesquil’incrimineraient:1)Lesacàmainétaitàsespieds.2)Ilauraitcommislecrimeà larangée15.3)Ila l’airbizarre.4)Ilapeut-êtrebusonproprealcool.Encorelà,cenesontquedessuppositions.Ilfautplusdematièrepouraccuserquelqu’un.Jevoisqu’il
selèveetentredanslecabinetdetoilette.Jem’empressed’interrogersavoisine.— Désolée, mademoiselle, mais la dame assise en avant de votre voisin s’est fait voler son
portefeuille.Auriez-vousparhasardremarquéquelquechosedelouchependantlevol?Elleestd’abordsurpriseenapprenantlanouvelle.Ensuite,elleréfléchitetmeconfirmequel’homme
àsadroiteluisemblequelquepeuétrange.—Ehbien,j’airemarquéuntruceneffet,medit-elle,hésitante.Ilsentl’alcool.J’auraisespéréautrechose.—L’avez-vousvuboire?
—Seulementdeuxrhums.Maisétonnamment,ilsentbeaucoupl’alcool.—Ya-t-ild’autresdétailsquevousaveznotés?— Je ne sais pas si ça pourrait vous aider, mais pendant tout le vol, il portait des sandales sans
chaussettes, et puis il est allé aux toilettes et il est revenu en portant des chaussettes. J’ai trouvé çabizarre.«Oui, trèsout », approuvé-je en silence. Je doute que cette information puisse être un élément de
preuve.Néanmoins, je coche surma feuille imaginairechaussettesavec les sandales et poursuismonservice.Unefoisque j’ai terminé, je retourneà l’avantpourendiscuter avec ladirectricedevol.Entraversantlerideau,jeconstatequeJohnestsortidupostedepilotage.Jeleurexpliqueàtouslesdeuxlesindicespeurévélateursquej’aiaccumulés.—Cen’estrienpouraccuserquelqu’un,ça,conclutJohnaprèsmonénumération.—Oui,jesais.—Si ça se trouve, Béa a perdu son portefeuille avant d’embarquer dans l’avion, lance à son tour
AnnieRelax,quifaitsoudainementhonneuràsaréputation.—Peut-être,mais…Unéclairdegéniemetraversel’esprit.—L’argentestdansseschaussettes!—Dequoituparles?melanceJohnd’unairsupérieur,commesimesproposn’avaientaucunsens.—Benoui!Vousnem’écoutiezpasouquoi?Savoisineaditqu’iln’avaitpasdechaussettespendant
tout levoletque,aprèsêtrealléauxtoilettes, ilenportaitdanssessandales. Ilacaché l’argentouleportemonnaieàl’intérieur,c’estclair!—Ilamisseschaussettesparcequ’ilavaitfroid,répliqueJohn.Ilsetourneversladirectriceet,ensemble,ilséclatentderire.Detouteévidence,ilsn’adhèrentpasà
mathéorie.—Jesuissérieuse!Jesuisconvaincuequej’airaison,John!Tunepourraispaslefairearrêteràla
sortiepouraumoinslefairefouiller?—J’aibesoindepreuves,Scarlett.Pasdespéculations.—Oui,maislaseulefaçondesavoirsij’airaison,c’estdefouillerseschaussettes,etmoi,jenesuis
pasautoriséeà le faire !C’estquandmêmeàBéa, tout cet argent !Aide-moiunpeu, là, luidis-je ententantdel’attendriravecmesyeuxdoux.Ladirectriceremarquenotreproximitéets’éloignedanslacabineenhaussantlesépaules.Jen’enfais
pasdecas,carsincèrement,jem’enfous.Johnfaitunpasenarrièrepourmettreunedistanceentrenous,maisessaieaumoinsd’êtrepluscoopératif.—Tun’aspasditqu’ilbuvaitsonproprealcool?—Pascertaine.Personnenel’avuaveclabouteille.—Hum…—Autrechose?—Tuasditqu’ilestalléplusieursfoisauxtoilettes?—Aumoinstroisfois…maisc’estnormalpendantunvoldehuitheures.—S’ilestassezintelligent,ils’estdébarrasséduportefeuille.Trouve-le!Ensuite,onauraaumoins
unepreuvequ’ilaétévolé,meconseille-t-ilavantderetournerdansleposte.
Deretouràl’arrière,jedemandeàBéadem’aideràfouillerlespoubellesdestoilettes.Aucunetraceduportefeuille.Nousregardonsensuiteà l’intérieurdescompartimentscontenant lepapierhygiénique.Encorerien.Nousvérifionsenfindanslacuvettedestoilettes,etce,mêmesinoussavonsquel’objetestbeaucouptropgrospourpasserdanscepetittrou.Pasunseulindice.Pendantlarecherche,j’exposemathéoriedeschaussettesàBéa,maisjelapréviensaussiqu’ilsepeut
quenousnepuissionsrienfaire.—Rien!Commentça?—Onn’apasdepreuve.—Monsacétaitàsespiedspendanttoutlevol!Jen’yaipastouchéuneseulefois!C’estpasune
preuve,ça?—Johnditquenon.Béas’impatiente.Ilnerestequ’uneheureavantlafinduvolet,commejem’yattendais,elleessaiede
reprendrelesrênesdel’enquête.—Laisse-moivoirJohn!Jesuistameilleureamie,ildevraitconsidérermesarguments!lance-t-elle
ensedirigeantverslepostedepilotage.Moncommandantsortànouveaudanslagalley.Ilsoupiremaisesquissequandmêmeunsourireenme
regardant.Peut-être est-ce parcequeBéa se trouve àmes côtés ?Oupeut-être admire-t-ilma loyautéenversmameilleureamie?D’unecertainefaçon,jenefaisquemontravail,unautrepassagerauraitreçulemêmetraitement.Jefaislesprésentationsrapidement,conscientequ’ilsseconnaissentdéjàetqueJohndoitretournerbientôtdanssesquartierspourpréparerl’atterrissage.—Alors,c’esttoiquiasvolélecœurdemaScarlett…chuchotemonamiediscrètement.Ilsourit.Leplusbeaudessourires.Toutcommemoi,Béasemblesouslecharme,maiselles’empresse
de luiexpliquersaversiondes faits.D’un tonbienveillant, il lui soulignequ’il comprend la situation,maisàsontour,illuirépètelesformalités.— Écoute, Béa. Je comprends ta déception, mais on ne peut accuser une personne sans preuve et
encoremoinslafouillerseulementsurunsoupçon.Sitongarsnes’estpasfaitprendreenflagrantdélit,jenepeuxrienfaire.Arrêterunepersonnependantunvolestpossiblelorsquelasécuritédespassagersetdel’avionestmiseenpéril.Etlà,cen’estpaslecas.—Oui,jecomprends,dit-elle,déçue.—Par contre, ajoute John, si tu veuxdéposer uneplainte contre lui, je peux aviser les autorités et
laisserlapoliceréglerlelitige.Çateva,ça?—Hum…oui,acquiesce-t-elle,légèrementhésitante.—N’aiepaspeur.Cen’estpastoiquigérerasleconflit,maislapolice,etc’estmieuxainsiparceque,
dèsqu’unpolicieradessoupçonssurunepersonne, ila ledroitde lafouiller, larassure-t-ilavantderetournerdanssonpostedepilotage,heureuxd’avoircontribuéàaidermonamie.
***
Unefoisl’appareilimmobilisé,uneannoncesefaitentendre.—Mesdamesetmessieurs, icivotrecommandant.Jevousdemandederesterassis,car lesautorités
doivent entrer pour accompagner un passager. Vous pourrez ensuite vous lever. Merci de votrecompréhension.
JeregardeMonsieurŒil-de-poissonetjenotesaréaction.Cettedernièreinformation l’a faitbondirsursonsiège.Ilal’airnerveuxetilregardeàtraverslehublotcequisetrameàl’extérieur.Jeremarquealorsquelquesgouttesdesueurquiperlentsursestempes.Jesuiscertainequ’ilestcoupable.Onfrappeàmaporte.Jevérifiequej’aibiendésarmélaglissièreetj’ouvreensuitepourlaisserentrer
deuxhommesbaraqués. Jedévie aussitôt le regardvers l’accusé.Ses yeux sont grandsouverts et j’ail’impressiond’avoiraffaireàunbuffledelasavaneafricaineprêtàchargerpours’enfuir.Néanmoins,ilnebougepasd’unpoil.Lesdeuxagentss’arrêtentdevantsonsiège.—Nousvousdemandonsdenousaccompagnerpouruncontrôledeformalité.—Qu’est-cequej’aifaitpourmériterça?leurdemande-t-ilcalmement,sansnervositéapparente.—Jevousdemandedevousleveretdenousaccompagner,insistelepolicierenignorantsaquestion.Œil-de-poisson obéit. En sortant, il regarde Béa et me regarde ensuite avec un sourire narquois.
J’espère seulement qu’ils trouveront le portefeuille et queBéa récupérera son argent avec ses piècesd’identité.Elleselèveàsontourpourrejoindrelapolicesurlepontd’embarquement.Elledevraleurexpliquerlaraisondesaplainte.Lesremerciements,salutationsetaurevoirfaits,l’avionestdésormaisvide.Ilnerestequemachère
Béa, qui attend impatiemment sur la passerelle que les policiers reviennent pour l’informer de leurpossible découverte. Heureusement, elle ne languit pas longtemps, car un des agents s’avance à sarencontreauboutducouloir.Jetendsl’oreille.—Vousaviezcombiend’argentdansvotreportefeuille,madame?—J’avais300euros,encoupuresde20etde50,précise-t-elle.—Hum,c’estcemontantquenousavonstrouvédansleschaussettesdel’homme,confirme-t-ilense
prenantlementonàdeuxdoigts.—C’estgénial!m’exclamé-je,incapablededemeurerenretrait.Lepoliciermeregarde,désolé.Iln’apasl’airdumêmeavis.—Enfait,nousn’avonspastrouvéleportefeuille…—Etalors?demandeBéa.—Sanscarted’identité,nousn’avonsaucunepreuvequecetargentestlevôtreetqu’ilabienétévolé.
Nousnesommespasendroitd’arrêtercethommenideluiretirerles300euros.—Jenecomprendspas!Çan’aaucunsens!s’écrie-t-elle,incapabledeconserversonsang-froid.—Vousn’êtespassérieux?interviens-je,égalementcontrariée.—Malheureusement,jelesuis,conclut-ilavantdepartir.Renversée par la situation, je suis hantée par une image troublante.Celle d’un homme aux yeux de
poissondéambulantàtraversl’aéroport,librecommel’air,unsouriretriomphantauvisage.Unequestionm’intrigue:«Maisoùa-t-ilcachéleportefeuille?»
–B
Chapitre7
Montréal(YUL)
onjour, lesfilles, ilyaquelqu’und’assis ici?nousdemandeunecollègueentouchant l’uniquechaisedisponibleànotretableronde.
—Non,personne,répondBéa.—Cool!Enpassant,jem’appelleSuzie.—Enchantée,Suzie.Moi,c’estBéa,etvoiciScarlett,Rupert,CamilleetMarie-Pier,ajoute-t-elleen
nousdésignantàtourderôle.Cettefillemeditquelquechose.J’aidéjàvoléavecelle,ilyalongtemps.Jemesouviensqu’elleavait
quelquechosedespécial,maisquoi?Sesfauxseins?Non,déjàvuschezVéoAir.Sescheveuxblondplatine?Jenecroispas.Alors,quoi?Jen’enaiaucuneidée!J’aimeraisdemanderàRupert,maisilestassisàcôtéd’elle.Cen’estpasgrave,cenedevaitpasêtreimportant.—Alors,c’estvotrepremierpartydeNoël?Suzie segonfle le torse en exposant sondécolletévertigineux enpremier plan.MêmeRupert ouvre
grandslesyeux,fixelapoitrineàsadroiteetrépondaussitôtpourcorrigerlemalaise.—Non,ledeuxièmepourmoi.—Nousaussi,dis-jeaunomdeBéaetmoi.—Troisième,répondCamille.—Quatrième,ajouteMarie-Pier.—Toi?fais-jeenluiretournantlaquestion.—Moi?Jen’enaipasmanquéundepuisquejetravailleici,affirme-t-elle,lesourirefendujusqu’aux
oreilles.—Vraiment?dis-je.— Certain ! Voyons, les filles, regardez autour de vous ! s’exclame-t-elle en oubliant la présence
masculinedeRupert.—Euh…Ilyadesnappesblanches,unDJ,unepistededanse…énumèreCamilled’unevoixdouceet
posée.—Maisencore?—Del’alcoolàprofusion?tenteBéa.—Non!Despilotes!s’écrieSuzie,enthousiasméeparleconstat.—Et?—Vousavezlachanced’avoirdevantvousleplusgrandbassindepilotesdel’année!
Jenel’avaisjamaisvusouscetangle.Detouteévidence,Suzieadorelespilotes.Oh!Çamerevient!C’estSuzie,l’aguicheusedepilotes!Cellequis’esttapélamoitiédelacompagnie.J’auraispenséquece n’était qu’une réputation qu’elle s’était faite en couchant avec l’un et l’autre, ici et là, mais àl’entendreparler,ilsemblequeçasoitplusquecela.—Tuaimeslespilotes?demandeladouceCamille,ignorantlaréputationdenotreinvitée.—J’enraffole!avoue-t-ellesansgêne.—Pourquoi?Ilssontsicartésiensetfroids,déclareCamille.—Froids?Justedanslecockpit!pouffe-t-elle.Ellen’apastort.Pourcequejeconnaisd’eux,jediraisquelemienestplutôtchaleureuxunefoissous
lescouvertures.D’ailleurs,jemelanguisdelui,desesbaisers,desoncorps.Soudain,jesensdansmondosdessueursfroides.Etsicettepassionnéedepilotesconnaissaitquelquechosesurmoncommandant?—Ilssontcochons,c’estça?demandé-jedanslebutsournoisdeguiderlaconversationversunbut
précis.—Cochons?Mets-en!—Voyons!Jenetecroispas!ajouteCamille,traumatiséeparlesujet.—Oh,crois-moi!—C’estqui,tonpréféré?interviens-jeànouveau.—Ouf!Ilyenaplusieurs!Tiens,celui-là,parexemple,ilaimelesjouets.L’aguicheusemontreundesgarsassisàlatabled’àcôté.Sonvisagem’estinconnu.Jesuisheureusede
ne pas le connaître. J’espère maintenant ne jamais voler avec lui. Comment réussir à écouterprofessionnellementlebriefingd’unpilotequ’onsaitêtreunamateurdejouetsérotiques?Desimagesapparaîtraientdansmonesprit.Entreun«nousvoleronsàunealtitudede»etun«pas de turbulenceprévue»,unphallusenplastique.Toutcequ’ilyadeplusfacilepourpenser«sécurité».—Tuasquelqu’unentêtequetuaimeraisséduire?poursuis-je.—Unpilotemarié,parexemple?ajouteBéa,quicomprendoùjeveuxenvenir.Suzieréfléchit.Elleprendunegorgéedevinblanc,regardedanslasallesil’und’euxn’attireraitpas
sonattentionetprendunesecondegorgée.—Honnêtement,j’aipasmalfaitletour,laisse-t-elletomber.—Hein?m’exclamé-je,paniquée.Tuascouchéavectouslespilotesmariés?—Non,non.J’aicouchéavecceuxquilevoulaientbien.Lesautres,tropdifficilesàconquérir,jene
m’acharnepassureux.—Unexemple?glisseBéa.—Vitecommeça,aucuneidée.Bon,jevaisallerfaireuntourd’horizon,dit-elleenpartantchasser.Jesoupiredesoulagement.J’aimem’imaginerquemoncommandantfaitpartiedugroupedeceuxqui
sontdifficilesàconquérir.Pourtant,j’aiétépousséeàquestionnerSuzie,prouvantainsimonmanquedeconfiancegrandissantenversJohn.J’aimeraisdébattrelesujetavecBéaetRupert,maislaprésencedesautrescollèguesàlatablem’enempêche.Camillesembleencoresouslechoc.—Vousavezentenduça?Jen’enrevienspas!—Elles’assume,aumoins,ditRupertpourtempérer.—C’estvraiqu’ilyenaquines’assumentpas,ajouteBéad’untonsarcastique.
Pas la peine d’essayer de savoir à qui mameilleure amie fait référence. Je sais très bien qu’ellen’appuieplusmarelationcachée.Ellen’osejamaism’enparlerdirectementparpeurquej’explosederage,maisellenesegênepaspourmelancerdesflèches.Elleespèremefaireprendreconsciencequejesuisdevenueunemaîtresse,unevraie.Alorsquejem’étaisjurédenepasenarriverlà.Irritéeparsoncommentaire,jedécidedejoueraumêmejeuqu’elle.—Toi,Béa,tut’esremised’avoirperdules300eurosquetonricheFrançaist’adonnéspouravoirété
sapouledeluxe?Enlaissantéchappercesparoles,jeréalisecombienellessontméchantes.Jenemereconnaisplus.Je
n’aipasledroitdeprojetermafrustrationsurmameilleureamie.Jeneveuxpasgâcherlasoirée.—Jem’excuse,Béa!Jenelepensepas.C’eststupidedemapartd’avoirditça…Lesilencerègne.Rupertamissamaindevantsabouchelorsqu’ilaentendumoncommentaireblessant,
maisvientd’arborerunsourireenmevoyantretrouvermesesprits.Àmongrandbonheur,Béaselèveetvientmeserrerdanssesbras.—Jesais,Scarlett.Jem’excuseaussi.Jet’aipiquéelapremière.Amusons-nous.C’estvraiqu’ilya
debeauxpilotescesoir!s’exclame-t-ellepourdétendrel’atmosphère.—Jesuisbientropgênée!lanceCamilleàsontour.—Suzievatemontrercommentçamarche!blaguemabelleamieenretournantàsonsiège.
***
Leplatprincipal terminé, l’ambiancecommenceà se réchauffer.Plusieursdemes confrères se sontarrêtésànotretablepourdiscuter.J’airemarquéquelesplusdiscretsparlentplusaisément,signequel’alcoollesdécoincepeuàpeu.Jesuisheureused’êtrevenue,carcettecélébrationmepermetderevoirdes collègues que j’apprécie, mais qui ne font pas nécessairement partie de mon cercle d’amis horstravail.PlusieurspilotessontpassésvoirSuziepourlasaluer.Ilsl’ontsansdoutedéjàfréquentée,maisjem’abstiensde le lui demander.Une fois le dessert servi, le président de la compagnie s’avance aumicro.—Bonsoiràtous!C’estmaintenantlemomentdeprocéderautiragedesprix!annonce-t-il.Lafouleapplaudit.Jedonneunetapesur l’épauledeBéa.Jesuis touténervée.J’aimerais tellement
gagnerunvoyage!ChezVéoAir, lescadeauxvariententreunbilletd’avionpour l’Égypteetunséjourd’une semaine dans lesCaraïbes. J’envoie de bonnes ondes à notre table. Rupert, lisant presquemespensées,déclare:—Toi,Scarlett,tuvasgagnerunbilletd’avion!Béa,tuvasgagneruntoutinclus!Camille,uniPad!
Annieaussi!Ettoi,Suzie,unechambred’hôtelpourunenuit…—Ha!Ha!rions-nousenchœur,saufSuzie,quifaitunegrimaceamicale.L’hommeauxcheveuxblancss’approchedelaboîtedanslaquellesontréunislesnomsdesemployés
présentsà la soirée.À côté, sur un tabouret, se trouvent plusieurs enveloppes contenant les différentsprix.Ilenrécupèreuneetlalitàhautevoix.— Voici une paire de billets avec Emirates vers la destination de votre choix. Une valeur
de3000dollars!Il insère samain dans la boîte et récupère unmorceaude papier.Mon cœur bat la chamade. C’est
ridiculed’êtreaussistressée:meschancesd’êtrepigéesontminimesconsidérantlenombred’employésquim’entourent.Maisj’aiquandmêmeledroitderêver…Jeresteattentiveàsesmots.—Lepremiergagnantest:PatriceDion!
Des applaudissements résonnent dans toute la salle, et l’homme s’avance pour récupérer son prix.J’envie ce Patrice, l’espace d’un instant.Avec Emirates, j’aurais peut-être choisi Dubaï et volé dansl’AirbusA380…Lorsquej’atterrisàParis,cegrosoiseaud’acieresttoujourslà.Soitileststationnéàlabarrière, soit il seprépareàdécoller.Vuedederrière, sasilhouetteà l’horizontale formeunarcenVtellesdevéritablesailesd’oieblancheprêteàs’envoler.Unebeauté.—Maintenant,j’aiunecroisièreàfairetirer.Quiseral’heureuxgagnantoul’heureusegagnante?nous
titillenotreprésident.—Moi!Oniraensemble!meditBéaenmelançantunclind’œilcomplice.—Oui!«Sijegagne,j’inviteraiaussiBéa»,pensé-je.Detoutefaçon,Johnnepourraitpasvenir.«Ilestavec
safemme!»Monhumeurseternitunbrin,maisjesuisànouveaudistraiteparletiragequisedérouledevantmoi.—J’aiiciunesemaineàfairetirerdansleClubMeddevotrechoix!—Génial!m’exclamé-je.—Jeleveux,celui-là!ajouteBéaenfermantlesyeuxcommepourprier.Leprésidentpigeleprochainmorceaudepapier.Avantd’entendrelenomdugagnant,jesuisenvahie
parl’espoir,puistransportéedansmesrêves.Jemedétendssuruneplagedesableblanc,unpiñacoladaà lamain, et je parcours les pages de ce romanque je ne suis jamais parvenue à lire parmanque detemps. Je saute à l’eau, nage dans la mer cristalline et fais demi-tour pour regarder la personne quim’accompagne.Quiestétendusurlachaisevoisinedelamienne.John?J’endoute.—BéatriceHamelin!ditleprésident.—Noway!lance-t-elleennousregardant,ébahie.—Béa,varécupérertoncadeau!luidicté-jeenlavoyantfiger.Elle se lève et contourne la table en direction de la scène. Elle prend l’enveloppe contenant son
merveilleuxprix,serrelamainduprésidentetleremercie,uneexpressiondesurprisesurlevisage.Ellerevientensuites’asseoir,lespommettescoloréesdebonheur.—Ons’envaauClubMed,maScarlett!m’annonce-t-elleenbrandissantl’enveloppe.—Voyons,Béa,tun’espasobligéed’yalleravecmoi.Tupeuxyalleravecquituveux.—Jet’aiditquesijegagnaisj’yallaisavectoi.Unepromesse,c’estunepromesse!—Ouais,maisilpeuts’enpasser,deschoses,avantqu’onyaille.Situtefaisunnouveaucopain,par
exemple?Tuirasaveclui.—C’estavectoiquejeveuxyaller,OK?Arrêtedejoueràlafilledifficile!—Ha!Ha!Tumeconnaistrop,toi!Allonsfêterça,alors!dis-jeenl’attirantvers lebarpourun
petitremontant.Deuxshootersplustard,jeremarquequel’ambianceachangé.Lejazzrythmédudébutdelasoiréea
étéremplacépardel’électro-pop.Lestablesrondesontétéretiréespouragrandirlapistededanse,etdéjà Rupert, accompagné de quelques collègues, fait chauffer le plancher. Annie et Camille, encorediscrètes et gênées, demeurent en retrait, mais parlent avec deux pilotes. À voir la façon dont ellesréagissentàleurscommentaires,jesensquedeuxcouplesdetourtereauxviennenttoutjustedeseformer.Enfin,aumoinspourlasoirée…—Onvadanser?medemandeBéaenvalsant.—Vas-y,toi.Tusaisqueçamegêne.
—D’accordpourcettefois-ci,maistuesmieuxdedanseravecmoiauClubMedparcequejenetelepardonneraipas!—Promis!MameilleureamiesejointàRupert,etjeretourneaubarpourmecommanderunverred’eau.«Queje
peuxêtreennuyante»,mesermonné-jeenobservantmescollèguesdansersansmoiausondelamusique.Jesuisainsifaite.Jepréfèreobserverqu’êtreobservée.J’aimêmelachancedevoirSuzie,l’aguicheusede pilotes, à l’œuvre. Elle se trémousse sur la piste dans sa robe moulante. Elle s’approche de savictime, luisouffleunsecretà l’oreilleetse retourneensuiteencollantsonfessiersur leshanchesdel’homme.Jenevoisquesonprofilassombriparleslumièrestamiséesdelasalle.Elledansedevantlui,lesbrassoulevésderrièreelleenagrippantlanuquedesonpartenaire.Elleseretourne,luiprendlamainetl’attireenretrait.Qui est ce nouvel esclave sur lequel elle a jeté son dévolu ? Je plisse les yeux. Il ressemble
étrangementauprésident.Peut-êtreunvieuxpiloteauquelelleesthabituée.Commepourmedévoilersonidentité,elles’avanceversmoientenantfermementsaproiederrièreelle.Jedoutequel’hommesefasseprierpour la suivre. Elle a l’air si sûre d’elle, si confiante !À quelques pas des toilettes, une lueurillumineleursdeuxvisages.Estomaquéeparcequejeviensdevoir,jemeretourneverslapistededansepourréaliserque,aufond,toutlemondes’enfout.Jemesouviensalorsdecequem’aditRupertendébutdesoirée:«CequisepasseaupartydeNoëldoitresteraupartydeNoël!»J’enconclusquejedevraigarder pour moi le fait que Suzie l’aguicheuse de pilotes se surnomme maintenant l’aguicheuse duprésident!
–J
Chapitre8
AéroportdeMontréal(YUL)
ohnm’aappeléetoutàl’heure,dis-jeenmarchantavecBéadansl’aéroport.
—Qu’est-cequ’ilvoulait?—Ilvoulaitmedirequ’ils’ennuiedemoietquenousallonsbientôtnousvoir.—Hum.—Quoi?—Non,non.Rien.Mes talons hauts martèlent le plancher. Je me sens à bout de nerfs. En vérité, je le suis depuis
longtemps.Jen’aivuJohnqu’uneseulefoisdepuislanouvelleannée,aprèsqu’ilareconduitlesenfantsàl’écoleetalorsquesafemmevolaitquelquepartdansleciel.Ilmemanqueet,honnêtement,j’aimoiaussidesdoutesquantàlavéracitédesespropos.Jen’arrivepasàmel’avouer.—Tunelecroispas,c’estça?—Scarlett,répond-elleensoupirant,Johnteditpleindebelleschosesdepuislongtemps.—Franchement!Commenttupeuxdireça?Commes’ilmementait!Ilnepeutpass’êtreinventédes
enfants,àcequejesache!C’estpourçaqu’ilresteencoreavecelle,pourarrangerleschosesdumieuxqu’ilpeut.Jedoisêtrecompréhensive!C’estcequ’onfaitquandonestamoureux,onestcompréhensif!C’estpasdifficileàcomprendre,alorsarrêtedetoutremettreenquestion!—Desfois,j’ail’impressionqu’ont’afaitsubirunlavagedecerveau…Béa détourne son regard dumien pour scruter la piste d’atterrissage. Songloss semet à briller au
contact des rayons du soleil qui s’infiltrent par la baie vitrée. Elle ne joue plus le rôle de l’amieencourageantequiatoujoursunbonconseilpourmoi.Jemesensdésorientée.—Désolée.Jenesaisplustrèsbienoùj’ensuis.—Tuesenamour,Scarlett…follementenamour,même.Son commentaire m’enflamme. Une file de gens nous ralentit et m’empêche de m’exprimer
spontanément. Je serre les dents pour éviter d’exploser. Après avoir contourné les passagers, jem’emporte.—Tuveuxriredemoiouquoi?—Riredetoi?Jamaisdelavie!Nevienspasmedirequejen’aipasraison.Deuxdames essaient des chapeaux de paille dans une boutique. Plus loin, un homme fait du lèche-
vitrines dans un kiosque à lunettes.Béa a raison. Je dois cesser demementir. Je décide d’être enfinhonnêteenverselleetmoi-même.—JesuisaccroàJohn!
—Tucroisquejenelesavaispas?melance-t-elle,unsourireencoin.Etcen’estpassain!Cen’estplussain.Tulevoisbien.Tuastoujourslamèchecourte…—Jesais…—Allez,vienst’asseoirunpeuqu’ondiscute.Mameilleure amieme traîne par le bras vers une aire d’attente vide. Jem’assieds sur un siège en
prenantsoind’abaissermajupepournepasqu’elleremonte.Jeréfléchis.Mapatienceadeslimites.Mesprincipesaussi.C’estcommesi jevenaisderéaliserqueçanepouvaitpluscontinuer.Pasen tantquemaîtresseentoutcas.Johnn’apasl’aird’êtreprêtàmettrefinànotrehistoire.Doncjedevrailefaire?Je n’arrive plus à respirer. Pour ne pas suffoquer, je déboutonne ma chemise blanche et retire monfoulard.Cedernierglissederrièremanuque.Monamiecommenceàs’inquiéter,ellemetouchelefront.—Tuesbrûlante!—C’estJohnquimerendfolle!Jeleveuxtoutàmoi!Pascommeunemaîtresse!—Peut-êtrequ’ilvafinirparlalaisser,cettesatanéeFreaking-Debbie!déclare-t-elle,dansunultime
effortpourmerassurer.— Il ne le fera pas.C’est àmoi de terminer ça,mais je ne sais pas si je vais y arriver, avoué-je,
complètementdéstabilisée.—Tuvasencoreattendre,c’estça?—Non!Jeneveuxpas!Jeveuxseulementassumermadécision…Toi,aumoins,tuesrationnelle.Tu
asfinitarelationavecDamiensansenfaireunplat.—Damienetmoi,cen’étaitpaspassionnelcommeJohnettoi.Maistuvasyarriver.—Oui,j’imagine…Leslarmesmemontentauxyeux.J’essaiedemecontenir.Uneseuleréussitàcoulersurmajoue.Béaa
l’airdécouragée.Elles’agenouilledevantmoi.—Écoute.C’est labonnedécisionàprendre.J’ensuisconvaincue.Je teconnais,Scarlett.Cen’est
pasfaitpourtoi,cegenrederelation.Nidanslerôledelamaîtressenidansceluidelabelle-mère.Jesecouelatêtedefaçonaffirmative.Deslarmesfontleurcheminjusqu’àmabouche.—Tucroisqueturéussirasà terendre jusqu’auMexique?medemandeBéaenséchantmes lèvres
avecunmouchoir,quis’imprègneaussitôtd’unecouleurfuchsia.Plutôtquederépondreàmameilleureamie,jem’égaredansmespensées.Jerevoislesdeuxannéesoù
j’aidésiréJohnsansvraimentleconnaître.JemerappellecettepremièrenuitàDublin,oùj’aibloquél’entrée de sa chambre pour qu’il me parle. Et notre voyage à Rome ? Romantique…mais parseméd’embûches.Monanalysedoitbiens’emparerdemonesprit,car j’oubliequeBéaest là.Jeneréalisemêmepas qu’elle se lève d’un couppour rejoindre deux filles. Je sors dema rêverie et reviens à laréalité.—Heille,Scarlett!Çafaitlongtemps!m’interpellel’unedesfilles.Mavisions’éclaircit.Jedistinguelevisagedélicatetsereinquis’illuminedevantmoi.Ils’agitdemon
amiePaule.Jemelèvepourlasalueretreconnaisenvenantàsarencontremonautrecopine,Rachel.Nous avons déjà été très proches, mais depuis qu’elles ont fondé leur famille, nous nous sommes
éloignées.Entempsnormal,jeprendraisdeleursnouvellesdeboncœur,maisaujourd’hui,jeneressensaucunplaisirenlesvoyant.Jefeinsd’êtreheureuse.—Allo!Commentçava?Çafaitsilongtemps!
Je m’exclame de façon exagérée. Je veux tellement masquer ma tristesse que j’en fais trop. Jem’approched’ellespournepasdevoirm’écrierdavantage.—Vouspartezoù?demandeBéa.—EnJamaïque !C’estnotrepremiervoyageen famille ! sautilleRachel en ramassantmon bras et
celuidePauleàsadroite.Nousformonsuncercled’amitiéquinemeplaîtpasparticulièrement.Sabonnehumeurm’exaspère.
Ellecontinuesondiscoursdebonheur.—Enplus,mapetitechouetten’apasencoreunan,alorsnousn’avonsqu’àpayerpourlepetit.Ç’a
convaincumonchumdepartiravantqu’ellegrandissetrop.Pauleetmoi,onasihâtedevoirnosboutsdechoujouerdanslesable!Vousimaginez?LeurspremièresvacancesdansleSud!Racheldégoulinedebonheur.Monétatempire.C’estlemondeàl’envers.Iln’yapassi longtemps,
elle était la fille du groupe qui festoyait trop et qui, pensions-nous, ne se rangerait jamais. Et puis,soudain, grâce à Internet, elle se case, fonde une famille et part en vacances avec la marmaille,accompagnéedesabonneamie,Paule,toutaussirangéequ’elle.Quantàmoi,jemeretrouveavecunhommemarié!J’aivraimentgagnélejackpot!J’aienviedeles
chasserdansleuraviond’uncoupdetalonhaut.Jetapedupied.Béamecalmeenposantsamainsurmonépauleettentedemettrefinàlaconversation.—Ehbien, les filles,onvous souhaitedebellesvacances !Ce seragénial !Onse reparleàvotre
retour,noussommesenretardpournotrevol,dit-elleens’approchantpourleurdonnerdesbecssurlesjoues.—Mais, les filles, vousdevezvenir voirmapetiteRose ! Jen’ai paspuvous la présenter depuis
qu’elle est née.Et la petite àPaule, ça fait unbail !Violette est devenueunegrande fillemaintenant,insisteRachel,toutsourire.Je fige. Je refuse d’y croire. Ilme semble que j’en ai suffisamment enduré pour la journée.Àmon
granddésespoir,ellevavraimentnousexhibersabellefamilleparfaite!Quelcliché!RoseetViolette!Deuxamies,deuxfilles,deuxnomsdefleurs !Ma jalousie faitdessiennes.Commentm’éclipser?Ceserait impolide le faire. J’aiuncœur,normalement,mais il adisparu. Je tenteun sourire forcé et luiemboîtelepasengrinçantdesdents.—Edward!ViensiciquejeteprésenteàtanteBéaettanteScarlett!Allez!dicteRachelàsonfilsde
troisans.Cequ’ellepeutêtredevenuevieuxjeu!Racheladoptecetongaminqueplusieursutilisentlorsqu’ils
parlentàleursenfants.Jenelareconnaisplus.Elles’efforcedemontrercombienelleestdésormaisunemamanépanouie.«Est-ceque jepeuxpartir, là?Je lesaivus,sonbébéetsonfils.De loin,mais çarevientaumême,non?»Edwardarriveencourant.—Maman!Maman!Vovofaitbobo!Ilsemetàcrierenluimontrantsonbraschétif,maculédesangfrais.Ils’accrocheàlajambedesa
mère.Pendantcetemps,PauleseprécipiteverssapetiteViolettedequatreanspourvoircequ’elleafaitau bambin. Les deux conjoints des filles lisent un magazine, à peine préoccupés par l’action auxalentours.JevoisRachelapostrophersonchumdelonguedate,Jonathan,quin’apasremarquéquesonfilsavaitétégrafignésauvagementparuneVioletteagressive.Ouplutôtuncactus…J’entendsdespleursdetoutesparts,uneamiequigrondesafilleàunmètredenousetuneautrequi
partverslestoilettes,sonfilssouslebras,pourépongerle liquiderougequicoulesur leplancher.Jeressensunpressantdésirdem’éloignerdecetexaspéranttumulte.Conscientequ’uneoccasionenordem’esquivervientdeseprésenter,j’agissur-le-champ.
—Ehbien,jecroisquelemomentestmalchoisipourlesprésentations.Jesuisdésolée,Paule,maisondoitvraimentserendreànotreavion.Onsereparleàtonretourdevacances!SalueRacheldenotrepart,etamusez-vousenJamaïque!Je faisun signede lamainà leurs copainsunpeuplus loinet constate alorsquebébéRosepleure
désormais dans les bras de son père, l’empêchant ainsi de poursuivre la lecture de son précieuxmagazine.«Passicertaineque lesvacancesseront reposantes»,pensé-jeavantdemedirigerànotrebarrière.Béaaperçoitlesouriresoulagéquiilluminemonvisage.—Tut’imaginaisvraimentdevenirbelle-mèrededeuxenfantsquinesontpaslestiens?medemande-
t-elleenvoyantmaréactiondevantcepow-wowdebébés.—Non,maisj’auraisquandmêmeétéprêteàessayerpourlui…—Peut-être,mais je teconnais, tun’auraispas tenudeuxjoursaveccespetitsmorveuxquicourent
partout!Jegloussediscrètement.Elleéclatederire.—Jecroisquejevaisunpeumieuxmaintenant,dis-jeavecunepointedebonnehumeurdanslavoix.—Bon,tantmieuxparcequ’onaunelonguejournéedevantnous.Jepeuxajouterquelquechose?—Oui…—Je crois que John t’aime,mais qu’il est trop peureux pour faire quoi que ce soit. Tumérites ta
proprehistoire.Pasunequiestàmoitiécommencée.—Jevaism’enremettre,tupenses?—Oui,jetelepromets!Jevaisteletrouver,moi,tonhommeidéal!—Bah!Jenelacroispasuneseconde,maisjesuisbienheureusequesesencouragementsaientaméliorémon
humeur.
–B
Chapitre9
Montréal(YUL)–Cancun(CUN)
onjouràtous,jem’appelleRenéetjeseraivotredirecteurdevolaujourd’hui.
JedonneuncoupdecoudeàBéapourqu’ellemeregarde.Ellesourit,carellesait trèsbiencequemongestesignifie.Rupert,notrecolocataire,apassélanuitdernièreavecceRené.Noussavonsquiilest,maisluinenousconnaîtpas.Ilcontinue.—Nousopéronsle234-235endirectiondeCancun.Letempsdevolprévuestdequatreheurestrente-
cinqpourl’alleretdequatreheuresquinzepourleretour,nousinforme-t-ilenparlantsurleboutdelalangue.JenesaispascequeRupertluitrouvedesimignonpouravoirmisdecôtésaphilosophieanti-VéoAir.
«Necoucheravecpersonnedelacompagnie»,a-t-iltoujoursdit.Toutcomptefait,j’auraisdûlamettreenapplication,cetterègle.—Avantdechoisir lespositions, j’aimeraisvousmentionnerqueNicole, iciprésente, enest à son
premiervolentantqu’agentdebord,alorsnousallonstousensembleluidonnerungentilcoupdemain.Rappelez-vousvotre premier vol et soyez compréhensifs, elle nepeut pas tout savoir dès la premièrejournée,préciseRenéd’untonpaternel.Encequimeconcerne,jemesouvienstrèsbiendemonpremiervol.J’étaisloindemedouterdece
qui m’attendait. Comme première expérience, j’ai détesté. C’était pourtant un Vancouver-Londres quiallait me permettre de demeurer en Angleterre pendant soixante-douze heures ! Tout s’avérait doncmerveilleux,saufquejen’avaispasprévuquecertainsagentsdebordpouvaientmanquerlégèrementdepatienceavec lesnouveaux.C’étaitpeut-êtredûaufaitquenousétionsunecentaineà joindre la flottependant la même période. Bref, personne ne s’était offert pour m’enseigner sommairement lefonctionnement des services à bord. Je ne savais pas oùmemettre. Je ne comprenais pas nonplus lejargond’aviation,touscesmotsquinetrouventleursensquedansunavion.J’étaisperdue.—Tumepasseraisleskimtofs?—Lesquoi?—Leskimtofs!—C’estquoi,deskimtofs?Soupir.J’airapidementapprisquelemotkimtofsdésignaitdegrandesserviettesabsorbantes.—J’aibesoindecrewcups!melançaituneautre.—Desquoi?—Descrewcups!—Euh…Deuxièmesoupir.
—Lesverresenstyromoussepourlecafé!Vam’enchercher!Décidément,jeneparlaispasencorelemêmelangagequelerestedel’équipage.Pourquoicrewcups
etpasverresàcafé?Mystèreetbouledegomme.EtquediredecesatanéHolloware…Jemesouviendraitoujoursdecettehôtessequim’avaitapostrophéeenpaniquepourquejeluidonne
lespotsàcafé.J’ignoraisoùilsétaient,alorsjeluiavaisdemandé.—Ilssontoùexactement?Ellem’avaitregardécommesij’étaisidiote.Sabouches’étaitentrouvertelégèrement,prêteàaboyer.—Ben,dansleHolloware,voyons!LeHolloware?Jen’avaisaucuneidéedequoielleparlaitetj’hésitaisàluiavouermonignorance.Je
m’étaismiseàlirelesétiquettesdescompartimentsdenourriture,maisnevoyaisrienquiressemblaitaumotHolloware.Jen’avaisdoncpaslechoixdel’interroger.—C’estquoiunHolloware?Ellem’avaitdévisagée,ébahie,maistoujoursenconservantsonairdesupériorité.—Benvoyons!T’aspasfaittaformation?Bienévidemmentquejel’avaisfaite!Maisilsavaientsurvolétrèsbrièvementlecôtédaytodayet
s’étaient consacrés entièrement à la sécurité. Je ne me rappelais même pas qu’ils aient mentionnél’existenced’uncompartimentappeléHolloware,qui,enl’occurrence,contenaitdesplateauxetdespotsàcafé.On m’avait enseigné des choses plus importantes, comme ouvrir une porte en cas d’urgence ou
commentsurvivreàunamerrissage,ouencore,commentdébloquerlesvoiesrespiratoiresd’unpassager.Servirducafépendantlaturbulence,etce,sansbrûlerpersonne,nefaisaitpaspartiedemescompétenceslorsquej’aireçumondiplômed’agentdebord.Jel’aiapprissurletas.CetteNicolevaenapprendre,deschoses,aujourd’hui.Parsolidarité,jem’enfaisundevoirdelesluienseigner.Etpuis,çametiendral’espritoccupé.
***
—Alors,Nicole,tufaisaisquoiavantVéoAir?luidemandé-jedepuisl’autrecôtéduchariottoutenservantunverred’eauàunepassagère.—J’étaisadjointejuridique.J’enavaisassezdetravaillercommeunecingléedu lundiauvendredi,
chuchote-t-elleenavançantlatêteau-dessusducontenantàglaçons.Jemecontented’émettreun«oh».Jen’aipaslamoindreidéedecequepeutbienfaireuneadjointe
juridique.—Ouin,entoutcas,tun’aspasapprisàservirduPepsiautribunal,ça,c’estcertain.Ellehausselesépaulesetrenverseencoreduliquidesurlechariot.Unsourireencoin,ellemelance
unclind’œilpourm’assurerqu’ellemaîtriselasituation.Maisàlavoirservirlespassagersainsi,elleaassurémentbesoindemonaide.Arrivéeàl’arrièredel’avion,Béameboude,carelleauraitaimétravaillersurlemêmechariotque
moi.Aulieudecela,j’aidécidédejoueràl’humanitariste.—Onajusteàchangerdepositionspourleretour,luidis-je.NicoletravailleraavecMichelle,etmoi
avectoi.Çanevousdérangepastrop?lancé-jeenregardantmescollègues.—Non,pasdutout.Onferaçaauretour,merépondMichelle.Béasouritetjepoursuismatâched’instructrice.
—Nicole, viens ici que je te file des trucs de pro, lancé-je à la blague, tout en déposant sur lecomptoirunecanettedePepsietdePepsiDiète.Lagalley, cette cuisine située à l’arrière de l’avion, est silencieuse. Tous se demandent ce que je
m’apprêteàluienseigner.Jecommence.— Si tu veux servir tes passagers sans perdre de temps, il faut que tu saches qu’il ne faut jamais
déposerdesglaçonsdanslefondduverreavantdeverserlePepsi.Çavafairetropdemousseettuenauraspouruneheureàattendrequ’elledisparaisse.Nicolemeregarde,incrédule.—N’essaiepasdecomprendrelepourquoiducomment,tuperdraisdutemps.Mets-leenapplication,
c’esttout!Béaintervientpourymettredusien.ElleouvreunecanettedePepsietcommenceàleverserdansun
verre.Aucunemousseexagéréenesecrée.Ensuite,elleydéposedesglaçons.—Liquidefirst,glaçonsensuite.Gotit?s’exclame-t-elleenattendantuneconfirmationdelapartde
notrehôtesseenherbe.—Oui,c’esttrèsclair,lesfilles.EtlePepsiDiètesurlecomptoir?Ilmecacheunsecret,luiaussi?—Lui,ilfauts’enméfier!luiconfié-jetoutenletendantàBéapourqu’ellenousfasseuneseconde
démonstration.Nicolesemblecaptivée.QuepeutdissimulerunPepsiDiètedesiterriblepoureffrayerunehôtessede
l’air?D’uncoupd’ongle,Béaouvrelacanette.Jen’aijamaiscompriscommentelleparvenaitàutilisercettetechniquesansabîmersesmagnifiquesongles.Samanucureestparfaitealorsquemoi,j’aitouslesonglescassés.Àl’ouverture,pasderéaction.Rien.—Et?insisteNicole.—Cettepetitecanettesembleêtresansdanger,hein?Maisc’estfoucequel’expansiondesgazpeut
engendrerdansunavion.Regardebien,ditBéapourfairemonterlatensiondanslagalley.Elleverse le liquidedans leverre.Unegoutte,deuxgouttes, troisgouttes jusqu’aumilieuduverre.
Nousobservonsattentivementlascèneensilence.Brusquement,uneéruptiondemousseblanches’active.Lecomptoirs’enduitd’uneécumecollante.L’inondationestincontrôlable.JedétestelePepsiDiète!—Voilà!Tucomprendsmaintenantpourquoiilfauts’enméfier?—Ohqueoui!Maiscommentfairealors?Jen’aipaslegoûtdesubiruneéruptiondePepsiDiète
chaquefoisqu’onm’endemandeun…—Nousnonplus!Voiciletruc.Je m’approche d’elle pour lui chuchoter la solution à l’énigme.Même Béa se demande ce que je
pourraibien lui livrer commeastucealorsqu’iln’yavraiment aucunmoyende s’en sortirmis à partversertoutdoucementleliquide,millilitreparmillilitre.Nicoleattenduneréponse.—Àtousceuxquit’endemanderont,turépondsquetun’enasplus,déclaré-jeavecassurance.—Vraiment?Jepeuxfaireça?s’ébahitNicoleendécouvrantlepouvoirqu’ellepossède.—C’est toi leboss,Nicole.Tuchoisisceque tusersà tespassagers.Et il se trouveque,danscet
avion,lePepsiDièten’existepas,renchéritBéa,maintenantconscientedujeuauqueljejoue.—Parfait!Ceserabeaucoupplusfacileainsi!Merci,lesfilles!Elle nous a vraiment crues !Comme journéed’initiation, c’est bien commencé. J’ai hâte devoir la
petitenouvellerefuser tous lesPepsiDiètequ’elleseferademander,alorsquemoi,demoncôté, j’en
servirai.Ellefinirabienpars’enrendrecompte.Jemedemandejusqu’oùnouspourronsalleravecnosblagues.C’estletempsdemettrelecommandantdanslecoup…
***
En sortant du poste de pilotage, jeme sens soulagée d’un poids énorme. C’est comme si toute matristessed’avantvolavaitétéremplacéepardel’espoir.JouerdestoursàNicolemechangelesidées.Ellemepardonnerad’avoirmêlétoutlemondeàmaplaisanterie.Jem’assois sur le strapontin en face deRené, le directeur. Il est en train de remplir ses papiers :
rapportdevol,oùs’inscriventnosnoms,nosnumérosd’employésettoutletralala.Rienquimedonneenvied’occupercetteposition. Je l’observeun instant. J’essaiedevoircequeRupert lui trouvede sisexy.Maigrichon et imberbe,René se croise les jambes de façon efféminée, la peau de sesmains estpâlotte,etjepensemêmequ’ilporteunvernistransparentsursesongles.Ilestgai,iln’yapasdedoutelà-dessus. Curieux de savoir qui a pris place devant lui, il lève les yeux et repousse ses lunettes demarque sur son nez. Il ne dit rien et replonge dans ses papiers. « Je ne l’imagine pas du tout avecRupert.»Jefouine.—Tuesfatigué?—Unpeu.Pourquoi,çaparaîttantqueça?zozote-t-ilenposantsamainsursapoitrine.—Bof.Jedevine,c’esttout.Tuessortihier,c’estça?—Non.J’aipassélasoiréeavecquelqu’und’extraordinaire!m’avoue-t-ilenrougissant,visiblement
charméparsadernièreconquête.Rupertadetouteévidencefaitbonneimpression.Siseulementilregagnaitconfianceenl’amour!Ça
luiferaitleplusgrandbiend’êtreavecunamoureux.Nesachantpassilessentimentsdudirecteurdevolsont réciproques, jedécidedenepasdévoilermon identitéàRenénicelledeBéa.Mon interlocuteurs’ouvreàmoi.—Jeteledis,jen’aijamaisrencontréungarsaussidouxquelui.Savoixestdouce,sapersonnalité
estdouce,sapeauestdouce,mêmesonpé…—Woh!Jecomprends!Ilestdouxdepartout!Jen’aipasbesoindedétails…—Ah!Désolé,soupire-t-il,latêtedanslesnuages.Voilà une bien drôle de manière de décrire quelqu’un. Doux ? Rupert est doux jusque dans ses
culottes? Jen’auraispeut-êtrepasdû fouiner. Jem’empressede luimentionner lavraie raisondemavisiteetretourneàmesoccupations.
***
—Mesdamesetmessieurs,nousavonsamorcénotredescenteversl’aéroportdeCancun.Nousvousdemandonsdebienbouclervotreceintureetderangervosbagagespourl’atterrissage.Merci!Lapressionaugmentedansmesoreilles.Jepincemonnezetsoufflepouréquilibrer.—Cettetechnique,Nicole,ilfautquetul’utilisesaussitôtqu’onentameladescente.Situattendstrop
longtemps,ilfautéviterdesoufflerparcequeturisquesdeperforertontympan.C’estlamêmetechniquequ’enplongéesous-marine.—Ouais,lamanœuvredeValsalva,m’apprend-elled’unairdétaché.—Ehbien,tuenconnais,deschoses,toi!Mercipourl’information.J’équilibreànouveaulapressiondansmesoreilleset,avantdepartirvérifierlacabine,jerécupèreun
plateauvidepourledonneràNicole.
—Est-cequetupourraisallerporterçaàRenéenavant,s’ilteplaît?Mavictime,prêteàexécuterlestâcheslesplusingratesdepuisledébutduvol,mesouritets’empresse
dem’obéir.Lorsqu’ellefranchitlerideauetaccèdeàlagalleyavant,Renéal’airtrèsoccupé.—Ah ! Dieumerci, tu es là ! On a un problème urgent ! Peux-tu appeler le commandant ? Il va
t’expliquercequ’ilfautfaireavecça,parcequemoi,jedoisrestericipourprotégerlepostedepilotage.Sesentantdésormaisimportante,ellen’hésitepasunesecondeàdécrocherl’interphonepourappeler
lespilotes.—Oui,c’estlecommandantquiparle.—Euh…bonjour,monsieurlecommandant,bégaye-t-elleens’imaginantparleràundieu.Ledirecteur
devolm’aditquevousaviezbesoindemonaide…—Eneffet,j’aivraimentbesoindetoi…Nicole,c’estça?—Oui.C’estbienmonnom,bredouille-t-elle.—Écoute,Nicole,nousavonsunlégerproblème.Lesrouesnesortentpas.Ilvafalloirlesdébloquer
manuellement.—Lesrouesnesortentpas?Nicolenecomprendvisiblementpasl’urgenceduproblème.Lecommandantreformule.—Le traind’atterrissage,Nicole !Les rouesquinouspermettent d’atterrir sur la piste ne sont pas
descendues.—Oh!Eneffet,c’esttrèsurgent.Sonvisage se crispe et ses longs cilsbattent à lavitessede l’éclair.René semble absorbé par une
tonnedepapiersàremplir.Pasletempsd’aiderNicoleaveclasituation.Lecommandantpoursuit.— Comme je disais, la seule possibilité qu’il nous reste pour sortir le train est de le faire
manuellement.C’estpourçaquej’aibesoindetoi.— Et qu’est-ce que je dois faire ? demande-t-elle avec toute la volonté de sauver cet avion d’un
possibleécrasement.—Ilva falloirque tu ailles aumilieude l’appareil, juste au-dessusdes ailes, rangée 17, et que tu
sautespourdébloquerlelevierquiretientlesroues.—OK…Jesautecomment?— Tu sautes haut et fort. Ne t’arrête surtout pas. Tu vas entendre un bruit sourd quand les roues
sortiront.—OK…J’yvais!—Nicole!reprendlecommandant.—Oui?—Bonnechance!EllereposelecombinéaumuretregardeensuiteRené,maiselleneditrien.Pasunmot.Ellesoupire
enguised’encouragementetsedirigeenpleinmilieudelarangée17.Là,devantlespassagers,elleposesolidement les piedsdans l’allée et semet à sautiller.Unpetit saut discret ici et là,mais aucunbruitsourdnesefaitentendre.Elledécidedoncd’ymettredel’entrain.Lespassagerslaregardent,perplexes.Nicolecontinueàsauterenfaisantvoguersaqueuedechevald’uncôtéetdel’autre.«Sortez,saletéderoues!»doit-ellepenser.Béasetordderiredepuislepremiersautillement,etmoi,jeresteplanquéedel’autrecôtédel’allée,prèsdelarangée17,prêteàapplaudir.Soudain,lavoixdeRenésefaitentendreaumicro.
—Mesdamesetmessieurs,nousaimerionsvous informerque la jeunefemmequisaute dans l’alléevientdesefaireinitiercommeagentdebord.NousluisouhaitonslabienvenuechezVéoAir!
L
Chapitre10
Cancun(CUN)–Montréal(YUL)
es Mexicains ne traînent pas sur le ménage. L’avion n’avait pas encore atterri que l’équipe denettoyageattendaitdéjàdansl’escalier,prêteàmonteràbord.Nicolenousapardonnéde l’avoirridiculiséedevantlespassagers.Lapausesetermine,etRenélancelenouvelembarquement.Nous
venonstoutjustedeservirunecentainedevacanciersenprovenancedeMontréal,etilfautrecommencerlamêmesérénadeauprèsdeceuxquiyretournent.J’engloutismonsandwichetcoursaussitôtmerefaireunebeautédanslestoilettes.Lorsque les premiers passagers se pointent le bout du nez à bord, jeme redresse les épaules et je
sourisenespérantqu’ilsnenoterontpaslasueurquiperlesurmonfrontdueàlachaleurduSud.Jeresteplantée près des sorties d’urgence en saluant courtoisement les gens. Je les examine discrètement.J’analyse leurs tenues, leurs bronzages, leurs coupes de cheveux. Ouf, en voilà un qui porte unepermanente.Cen’estpasréservéauxfemmes,ça?Cesontpeut-êtredesbouclesnaturelles.Oups,celle-ci s’est fait colorer des mèches en rose et en mauve. Ça devrait être interdit, ce genre de teinturemulticolore.Jecontinued’observermesvacanciers toutbronzés. Je suis renverséedenouveau.Des tresses !Un
océandetresses!Pasn’importequellesortedetresses,desnattesmexicainesretenuespardeminusculesélastiquesfluorescents, et ce, sur la tête d’une femme à peaublanche. Ses cheveux sont probablementtressésdepuisdeslunes,carjepeuxapercevoirunecouronnedefrisottishérissésquientouresatête.UneloidevraitempêcherderamenerçaauCanada.Interditderapporterdescoquillages.Interdit,lespommesetlebeurre.Interdit,lesminitressesmexicaines!Unjour,j’enferaiuneaffaired’État.Oupas.Béas’avancepuisvientàmescôtésaumilieudelacabine.—Tuasl’airperduedanstespensées.C’estencoreJohn?Négatif.DepuisquenoussommespartisdeMontréal,jen’aipasrepenséàJohn.Macurecommence.
Jelesens.—Non,jeregardaisjustelemonde,tusais…—Oui,jesais.Justement,tuasremarquélagangdegarsenarrièreavecleurschapeauxdecow-boy?—Non.Commentj’aipumanquerça!Ilssontassisoù?—Dansnotresection.Ilsontl’airsurleparty.Jeteprometsqu’onnes’ennuierapasaveceux.—Merde,çasentlagangdegarssoûls!—Tun’asqu’àenjugerpartoi-même,melance-t-elleenricanantetenm’attirantàl’arrière.Jen’aipasletempsdedescendrel’alléequ’undescow-boysm’interpelle.—Heille!Onpeut-tuavoirunep’titebière?J’aienvied’ignorersaquestion,maisjedécidedem’arrêteràsarangéepourlesexaminer,luietses
amis.Ilssontsixetsemblentêtredanslatrentaine.Ilsportenttous,sansexception,unchapeaudepaille
entouréd’unbandeaunoiroùilestinscrit«Corona»enlettresjaunes.«Çaaussi,ildevraitêtreinterditderapporterçaauCanada»,pensé-je.L’intéresséreformulesademande.—Alors,cettebière?Elles’envientoupas?Ilmefaitunfauxsourirepourtenterdem’amadouer.Sesamisl’imitent,saufun.MonsieurXsemble
embarrassé.—Désolé.Ilssontunpeusurleparty,sejustifie-t-il.—J’avaisremarqué,dis-je,moqueuse.Corona,jesuppose?Moninstinctd’hôtessevisejuste.—Ouais!DesCorona!s’exclament-ilstousenchœur,àl’exceptionencoredeMonsieurX.—Apparemment, je ne peux rien y faire ! dit-il poliment avant de rire aux éclats enme regardant
intensément.Sonriremegêne,etjerougis.Ilfautm’enfuir.—Lesbièresviendrontseulementaprèsledécollage.Désolée!Jem’éclipseàl’arrièredel’appareiletrejoinsBéa.Cegarsm’intimide,et jenesaispaspourquoi.
Impossiblequecesoitsonchapeaudepaillequim’aitcharmé.C’estautrechose.Sesyeuxazur teluntroubleuduBelize?Sonairsympathiquedegentilgarçon?Sonteintjusteassezbasané?Béaremarquemonchangementdecouleur.—Tuesrouge!Quiestassezbeaupourtefairerougirautant?—Chut!Personne,voyons!J’agitelamainpourlafairetaireetparsmecacherderrièrelerideau.Béarevientàlacharge.—Personne?Tuessûre?Jetel’avaisditquelescow-boysnoustiendraientoccupéespendanttoutle
vol,metitille-t-ellecommesielleavaitprévulecoup.—Dequoituparles?—TunevoispasdeQUIjeparle?Jetrouvequevousirieztrèsbienensemble.—Arrête!Ilssontquétaines,avecleurschapeaux,etjesuisloind’êtreintéresséeparunegangdegars
soûls.—Et si je tedisaisquec’estunenterrementdeviedegarçonetque leurs chapeaux font partie du
spectacle?Ellesoulèvelementon,posesonindexprèsdesaboucheetsemetàdonnerdepetitscoupssurses
lèvrescommepourcompterlessecondesquipassent.Elleattenduneréactiondemapart.Jeconnaismonamie. Elle désire me remonter le moral en essayant de me trouver un homme à charmer. Elle devrareconsidérersonplanparcequejesuistoujoursavecJohn,àcequejesache.Et,mêmesiceMonsieurXestleseulbeaugarsdanscetavion,ilresteunpassager.Jenefaispasdebeauxyeuxàmesprotégés.Béainsiste.—J’ail’airdugenredefilleàtementir?—Pourmeforceràrencontrerunnouveaugars…Oui!—Tuaspeut-êtreraison,maissouviens-toi…Thebestwaytogetoveramanisto…—…getunderanother!complété-je.Cequirevientàdirequ’iln’yariendemieuxqu’unhommepournousenfaireoublierunautre.Jeme
voismal appliquer cette règle.Par contre, ce cow-boyabien réussi àme faire rougir. J’en suismoi-mêmesurprise.Peut-êtrequeBéaavaitraisonàproposdel’enterrementdeviedegarçon…
***
Quelquepartau-dessusdesÉtats-Unis,nouscommençonsleservicedesrepasauxpassagers.Avantdenous avancer dans l’allée, jem’assure queBéa,ma collègue de chariot pour ce vol, est sur lamêmelongueurd’ondequemoi.—Ons’entendpourbœufbourguignonetpâtesvégétariennes?Ellemeregarde,perplexe.Jem’explique.—Lebœufesttoujourslemoinspopulaireetc’estceluiquenousavonsenplusgrandequantité.Ne
dissurtoutpas«Alfredo»,sinonc’estsûrqu’ilsvonttousenvouloir.—Dac,approuveBéaenpoussantlechariot.Iln’yapassilongtemps,jedétestaisdistribuerlesrepasauxpassagers.Jefinissaistoujoursparme
faireengueuleràlafinduserviceparunindividuinsatisfaitquin’avaitpaseulachancedechoisirentrelaviandeetlespâtes.Dans un avion, comme tout est calculé, il n’y a que le nombre exact de repas pour le nombre de
passagers.Lestroisquartscontiendrontparexempledupoulet,etl’autrequart,despâtes.Ilsepeutdoncquelesdernièrespersonnesserviesreçoiventmalheureusementcequ’ilreste.Engénéral,lesgensn’enfont pas de cas, mais il y en a toujours un qui semble prêt à monter au front pour réclamer son dû.Difficile, lavie,hein?Elleestplussimplepourmoidepuisle jouroùuneagentedebordm’afiléunjudicieuxconseil.—Scarlett,si tuneveuxpas teretrouveravecdespassagersmécontents, ilvafalloirque tusaches
présentertonproduit,m’a-t-elleexpliqué.Elle me faisait penser à une vendeuse de plats Tupperware, avec ses cheveux blonds montés en
chignon, un eyeliner couleur émeraude sous les yeux. J’avais l’impression qu’elle s’apprêtait à meconfierl’astucedusiècle.Elleapoursuivi.—Sijetedonnelechoixentrelepouletparmigianaetlespâtesvégétariennes,tuchoisisquoi?—Lepoulet.—Etsijetedonnelechoixentrelepouletetlespâtessauceroséeaveclégumes?—Jeprendraislespâtes,ai-jerépondu,comprenantsadémonstrationdemarketing.Apparemment,cetteastuced’hôtessesdel’air, transmisedegénérationengénération,nem’avaitpas
été soufflée à l’oreille lors de mes premiers vols. Mieux valait tard que jamais. Depuis ce jour, jem’appliqueàl’utiliser.L’astucesemblefonctionner,carBéaetmoiservonsmaintenantlesdernièresrangéesettousontreçu
leur choix préféré.Ma collègue court à l’arrière et revient avec un plateau rempli des repas restants,quelques portions de bœuf et une montagne de pâtes. Désormais, il va falloir dénigrer le bœuf etavantagerlespâtes.C’estletempsd’impliquerAlfredodanslecoup.—VousaimeriezlebœufoulesfettucinesAlfredo?—Lesfettucines!merépondl’une,complètementexaltéedechoisirlespâtes.Pouraméliorermeschancesdesuccès,jerépètelechoixàvoixhauteetm’assureainsid’inspirerles
autrespassagers.Digned’unPavarotti,jem’exclame.—Ah!LesfettucinesAlfredo!Etpourvous,monsieur?Évidemment,ilchoisitlesfettucines.Jesuisauxanges.Béareculeensuitelechariotpourmepermettre
de servir les passagers suivants. Elle l’arrête à la hauteur de Monsieur X. Je continue à faire la
distribution.Lorsque j’arriveenfinà lui, ilneme restequedespâtes.Lebœufn’existeplus.Disparu.«Cen’est sûrement pas une gang de gars déguisés que ça ennuiera »,me dis-je, et je pose sur leurstablettes respectives les plateaux qu’il me reste. Je ne mentionne pas qu’un seul plat est maintenantdisponible.Jepréfèrejouerl’hypocriteplutôtquededevoirm’expliquer.Jem’empresseensuitedefilerendouceenavançantlechariot,maisBéam’enempêche.—Attendsunpeu!Jen’aipasterminé!Tuespressée!s’objecte-t-elle.J’obéisengrimaçant.MonsieurXperçoitmonexpression. Il souritetprofitede l’occasionpourme
taquiner.—Etlebœufbourguignondanssasauceauvinrouge,ilestpasséoù?Sesyeuxperçantssontstupéfiants.Jen’aijamaisvudesyeuxaussibleus.Ilssontmagnifiques,mais
surtout intimidants. Je rougis pour la seconde fois et tente de me protéger en lui coupant le siffletsèchement.—Non.Plusdebœuf.Justedespâtes.JedesserrelefreinduchariotetlepoussecontreBéapourqu’elles’écarte.Ellemefaitdegrosyeux
en reculant. Je remarquequemacollègueadistribué tous lesplateaux restants.Assurément,ellea faitexprèspourmelaisserplantéedevantcebeauMonsieurX.Enplus,ilsembleavoircomprismonastucemarketing.«Passifouqueça,lecow-boy.»
***
Après les repas, nous préparons les chariots pour le ramassage des plateaux.Nous y déposons lesboissonschaudesquin’ontpasencoreétéoffertes.Commejen’aimepasrécupérerlesplateauxsalesetqueBéan’aimepasservirlecafé,nostâchesrespectivess’établissentd’elles-mêmes.Jem’installealorsdemoncôtédechariotenfaisantfaceauxpassagersetBéas’activedel’autrecôté.Jenementionnepasàmonamiequej’aidevinésatactiqued’entremetteuse,maisjeveuxéviterdemefaireprendreànouveau.—Café,thé,del’eau?demandé-jeàuncoupledetourtereaux.L’hommeplisselesyeux.Lafemmem’ignoreencontinuantderegardersonfilm.J’avancemoncorps
dansleurdirectionpourqu’ilscomprennentquejeleurparleetrépètemaquestionendésignantlepotdecafé.—Café,thé?—S’ilvousplaît,meconfirmepolimentl’hommeenseredressantsursonsiège.Ilattendquejeluiserveuneboisson,maislaquelle?Jem’armedepatienceetreformule.—Vousvoulezducaféouduthé?—Ducafé.Je verse le liquide chaud dans une tasse et la lui tends d’unemain en lui demandant ce qu’il met
dedans.—Unecrème,m’informe-t-il.Jerépondsàsarequêteetsersleprochainpassager.—Café,thé?Cette fois-ci, je n’ai pas besoin de répéter et tous les passagers de la rangée me donnent leur
commande.Pourêtreplusrapide,jeversedeuxcafésàlafois.Pendantqueleliquides’accumuledanslecontenant,jeremarquedansmonchampdevisionunetêtetournéedansmadirection.C’estmonmonsieuraux yeux plissés qui me dévisage. Concentrée à ne pas faire de dégât, je poursuis ma besogne sans
broncher.L’hommes’impatiente.Levoilàquilèvelamaindanslesairstelunélèvedepremièreannéequiveutparleràl’institutrice.Sijeneleregardepasmaintenant, ilm’appelleraàvoixhauted’iciuneseconde.Jecessedebougerpournerienrenverseretbraquemesyeuxsurluienbaissantlatête.«Uninstant, monsieur, j’arrive », tenté-je de signaler. Toutefois, le non verbal n’est pas un langage qu’ilcomprend:ilnetardepasàmefairesarequête.Çapresse.—Unsucre!Jesoulèvelementonpourluisignifierquej’aicomprisetjedistribuelescafésdemandés.Jeramasse
ensuiteunsachetdesucreetmeprépareàmedirigerversl’hommepourleluiremettre,maisavant,jeréfléchis.Jeconnaiscegenredepassageretjedoutequ’ilneveuillequ’unseulsachetdesucre.Peut-êtredeux.
Et,tantqu’àyêtre,autrechose.Décidéeàéconomiserdesallers-retoursauchariot,j’empoignequelquescrèmes,deslaits,dessachetsdesucreetdesbâtonnets,justeaucas.Jem’avanceverslui.—Voilà,monsieur,dis-jeenluiservantdeuxsachetsdesucre.Jeleregardeensuitepourm’assurerqu’ilatoutcequ’illuifaut.Ilpoursuit.—Vousavezunbâto…Jeluitendslebâtonnet.Ilsourit.Puis-jepartirmaintenant?Jen’ensuispassicertaine,carsafemmemefixe.Ah!Sonfilmestfini.
Elleestmaintenantprêteàmeparler.—Jeprendraisuncafé,moiaussi.JeregardeBéa.Elleaparcourulamoitiédelacabine,etmoi,j’ensuisàlacinquièmerangée.Jesers
lecaféillicoàlafemmeetluitendsdescrèmes,lait,bâtonnetsetsucres.—Gardeztout,luidis-je,souriante,enm’éclipsant.Je comprends pourquoiBéa n’aime pas servir le café. Je reste positive et poursuisma besogne en
m’efforçantdesourire.Béa recule le chariot et le bloque à la rangée 34. J’ai si hâte d’en finir avec ce service que je ne
remarquemêmepasàquellehauteurelleamislefrein.Pourmapart,j’aichangédetactiqueencequiatraitàmatâche.Désormais,jemecontentederegardermesprotégésetderemuerleslèvrespourmimerlessyllabesCAetFÉainsiqueTHÉ.Jenem’acharnepasàmefairecomprendre.Onmeregarde,jesers.Onm’ignore,tantpis.J’émetsàpeineunson.Quejesuisastucieuse!Béa a terminé le ramassage. Elle m’aide de son côté de chariot à servir les dernières boissons
chaudes.J’arriveàlagangdegars.Ilsdorment,laboucheouverte,saufun.—Vousvoyagezbeaucoup?medemandeMonsieurX,apparemmentintriguéparmontravail.—Euh…Oui.—VousêtessouventàMontréal?Veut-ilm’inviteràsortir?Peut-êtrepas.Peuimporte,cen’estnil’endroitnilemomentpourmefaire
laconversation.—Non,jamaisàMontréal.Béaintervient.—Cen’estpasvrai!Elleestsouventlà,sehâte-t-elledecorriger.Espècedefouine!Jerougisdehonte.MonsieurXéclatederire.Cettesituationmerendmalàl’aise.
J’appuiesurlefreinpourlerelâcherettentedepousserlechariotpourm’échapper.Béam’enempêche
etréenclenchelefrein.Jeluifaisdegrosyeux.Àsontour,elleécarquillelesyeuxetdésignelesiègedeMonsieurX.—PARLE-LUI!articule-t-ellesilencieusement.Jerépliqueàmontour.Ellelitsurmeslèvresmonmessage.—JESUISAVECJOHN!Elleinsiste.—ILESTAVECSAFEMME!Jesuispriseaupiège,etellen’apastoutàfaittort.Jecède.—Hum,vousneportezpasvotrechapeauCorona?Ilvousfaisaitpourtantbien…Maravisseusedel’autrecôtéduchariotroulelesyeux.C’estvraiquej’auraisputrouvermieuxàdire.
Ilnes’enoffusquepas.—Soyonshonnêtes.Ilesthorrible,cechapeau.Vousnecroyeztoutdemêmepasquejeporteraisça
pourvrai?medemande-t-ilenarquantseslargessourcilsbrunfoncé.Cevouvoiementmesembleinapproprié.Malgrécela,ildemeurepolietjemedécoincepeuàpeu.—Ouf!soupiré-je.Jesuiscontentedel’entendre.Nousesquissonsunsourireréciproque.Etpuis,silence.Jeneparleplus.Luinonplus.Étrangement,
aucunmalaiseneplaneàl’horizon.Àl’inverse,unsentimentdebien-êtrem’envahitavantqueBéa,detouteévidencesatisfaitedenotreinteraction,débloquelefreinduchariot.—Tuvoisquej’avaisviséjuste,s’exclame-t-elleenmefrappantl’épauleunefoisquenoussommes
cachéesderrièrelerideau.—Onaàpeineéchangédeuxmots…—Ouais,maiscesilencevoulaitdire:«Jetetrouvetrèsmignonneetj’aimeraisavoirtonnumérode
téléphone!»fabule-t-elleensautillantdebonheur.—Tuhallucines.—Non!Pasdutout!—Ehbien,s’ilveutmonnuméro,iln’aqu’àmeledemander.—Tupourraisleluidonner,toi.—Ahça,non!Cesontlesgarsquifontça.—Quetupeuxêtrevieuxjeu!—Tunevoulaispasm’aideràtrouvermonhommeidéal?—C’estexactementcequejefais!—Alors,qu’ilmedemandemonnuméro,parcequec’estcequemonhommeidéalferait,conclus-je,
entêtée.
***
—Ilpart!s’affoleBéa.—Ilnes’intéressaitpasassezàmoi,danscecas.—Merde,Scarlett ! Il t’amontrédes signesd’intérêtet tu t’escontentéede lui parler de son foutu
chapeau!—Calme-toi!Cen’estpaslafindumonde!
—Oui,çal’est.Ilétaitparfaitpourtoi,jelesentais,s’attriste-t-elle.C’estvraiqu’iln’étaitpasmaldutout.Mameilleureamieatoujourseuleflairpourlesgars.Jesuis
déçue autant qu’elle, mais je ne veux pas le lui montrer. Je me contente de regarder Monsieur Xs’éloignerdansl’alléejusqu’àatteindrelaportedesortie.Ilnes’estmêmepasretournépourmesalueroupourmeremercierdel’avoirservi.C’estvraiquejeneluiaidonnéaucunechance.Detoutefaçon,jenevoulaispasjouerdansledosdemoncommandant,mêmesi,enthéorie,jedevraiscouperlesponts.Jeramassemavalisesansdireunmot.Béachigneenarrière.—Ah!Quejesuisdéçue!Tuasvusesyeux?—Oui,jelesaivus…—Etsavoix!Unevoixgravequit’auraitsoufflétonnomàl’oreilleentepoussantférocementcontre
lemur…décrit-ellepourstimulermonimagination.—Oui,confirmé-je,deplusenplusconsciented’avoirlaisséfilerunbeauparti.—Etsoncorps!Grand.Athlétique.RienàvoiravecJohn,quitedépassed’unmillimètre.—Bon,t’exagères,Béa!Johnn’estpassipetitqueça!Ilnefautpascomparer.Moncommandantn’estphysiquementpasmonidéal,maisilm’attirecomme
jamais.Toutdeluimerendfollededésir.L’amournes’expliquepas.—Situluiavaisdonnétonnuméro,Scarlett,onn’auraitpascettediscussionenpleinmilieudelafile,
continue-t-ellepourmeculpabiliseravantdeseprésenterdevantundouanier.Aprèsavoirdéclarélerienquej’avaisàdéclarer,jerejoinsmonamiedansl’airedesbagages.Elle
m’attend,lesbrascroisés.—Arrête,là!Àtevoirt’enfairecommeça,jecommencevraimentàmedemandersitunelevoulais
paspourtoi,cenuméro…—Voyons,tusaisbienquenon.J’aidestonnesdeprospects,moi!Ellearaison.Beaucoupdeprospects,maispeud’élus.Àl’inverse,jecherchel’élu.Intérieurement,je
sais que John ne portera jamais ce titre. «Monsieur X avait le profil, pensé-je, peinée. Il y en aurad’autres»,medis-jepourmeréconforter.Béacessedetournerleferdanslaplaie.Çanesertplusàrien,detoutefaçon.Néanmoins,jenepeux
m’empêcherd’êtredéçue,unpeupourelle,etsurtoutpourmoi.Jem’enveuxdem’êtreferméeautant.Ilméritaitsansdouteunechance.La porte vitrée s’ouvre sur l’aire d’arrivée. Les proches des passagers attendent derrière la bande
rouge qui délimite le passage. Comme d’habitude, Béa et moi empruntons le chemin de gauche pourrejoindrel’arrêtd’autobusauboutducouloir.Normalement,jenedétournejamaisleregardpoursonderlafoule,maislà,jem’amuseàm’imaginerqueceMonsieurXm’attendquelquepartpourmedemandermonnumérodetéléphone.Jelechercheparmitouscesgens.Béaremarquemadistraction.—Qu’est-cequetuasàregarderpartoutcommeça?—Hum,jemedemandaiss’ilnem’auraitpasattenduàlasortie…—Quiça?Lecow-boy?—Oui,lecow-boy!dis-je,honteused’yavoirpensé.—Sérieux?Béaéclatederire.Elleritdemoietdecequejeviensdeluiavouer.Ellenesegênepaspourmefaire
savoirsafaçondepenser.—Tuespathétique!Tulesais,ça?
—Non!Pasdutout!—Oui ! PATHÉTIQUE ! Tu croyais vraiment qu’après ton attitude de méchante sorcière, il allait
t’attendreàlasortie?—Pourquoipas?Jeluiaiquandmêmeparlé!Çaauraitpuarriver!—Danslesfilms,Scarlett!Danslesfilms!Jedemeuremuette,consciented’avoirquelquepeudivagué.Mameilleureamien’osepasenrajouter
etpoursuitsarouteà travers lafoule.Je luiemboîte lepaset fixesoncarry-onqui rouledevantmoi.J’aimebienlesétiquettesqueBéayaapposées.Ilyenaunequidit:«Quandjenesuispasdansl’allée,fichez-moilapaix!»LegenrededevisequeBéaassumeentièrement.Alorsquejemeplaisàcouvrirmentalementmavalisedecesbadgessoulignantnosfrustrationsd’hôtessede l’air,unsourires’affichesurmon visage. Je n’aurais qu’à parader avecmon bagage et tous les passagers resteraient sagementcalésdansleursiège.Béa s’arrête brusquement. Je trébuche quasiment sur son carry-on. Elle reste figée. Elle n’a
probablementpasencoreavalésapilulepourlecow-boy.—Çava,Béa,j’aicompris.Jerêvaisencouleurs,dis-jepourl’empêcherdemesermonnerànouveau.—Peut-êtrequej’avaistort,finalement…—Non,çava,j’avaisencoredesattentestropgrandes!Tuasraison.—Non!Non!Scarlett,tunecomprendspas!—Quoi?Elleseretourneetmefaitface.Ellen’affichepasunbrindefatigue,etjejureraisqueBéavas’envoler
auMexiqueaulieud’enrevenir.Elleredresselesépaulescommepourm’indiquerdefairedemême.Jenecomprendstoujourspaspourquoiellemedemandedemetenirdroite.Elles’empressedeparler.—Tunerêvaispas…Regarde!Elles’écartedupassagepourmefaireremarquercequisecacheauloinderrièreelle.Unhommese
tientprèsdumur.Uncharmantcow-boyquitientunmagnifiquebouquetdefleurs.Ilmesouritetmefaitsigned’avancer.Jetrembledegêne,maism’exécute.Johnn’existeplus.Pasmaintenant,entoutcas.
–A
Chapitre11
Montréal(YUL)–Varadero(VRA)
ïe,j’aidesgaz!nousinformeRupertdepuislefonddelagalley.
—Chut!Scarlettnousrrrracontesonhistoire!She’stellingmeherstorrrry!ditSilvia,uneagentedebordd’origineitalienne.—Maisj’aimalauventre!— Heille ! Je ne veux pas te sentirrrr ! Va péter dans les toilettes ! Not here ! Go fart in the
washroom!luiconseille-t-ellesansgêne.Rupert baisse la tête et fait lamoue avantde sediriger au cabinet. «Qu’il peut être bébéquand il
veut!»medis-je.Iln’estpasmalade.Iln’aqu’unsurplusd’airdans leventre.J’ai l’impressionque,chaque fois que quelqu’un d’autre que lui raconte une histoire, il s’amuse à faire diversion. Il esttellementhabituéà recevoirde l’attentionavec sesanecdotesàcoucherdehorsqu’il n’apprécie guèrepartager leprojecteur.C’estvraiqu’onnes’ennuie jamaisavecRupert-porte-malheur.Onn’aqu’à luidemandercequiestarrivésursonderniervolpouroccuperlesdiscussionstoutelasoirée.J’appréhendetoujourslepireaveclui.—Commejedisais,poursuis-je,ilm’atendulebouquetdefleursetm’ademandéquandilpourraitme
revoir.—Quec’estrrrromantique!It’ssorrrrromantic!s’exclameSilvia.—Oui…—Alorspourrrrquoitufaiscettetête-là?Ças’estmalpassé,cettedate?You’rrrrelookingatmelike
somethingwentwrrrrong…—Enfait,ladaten’apasencoreeulieu…Jenel’aijustepasrappelé!—Quoi?Tuesfolle!You’rrrrecrrrrazyorwhat?—Jen’yarrivepas.Jefréquentequelqu’un,luiavoué-je.Silviameregarde,étonnée.Sonfardàpaupières«mauveétincelantjusqu’auxétoiles»deCoverGirl
remontejusqu’àsessourcils.Saboucheencœurrecouverted’unrougeàlèvres«violettropépais»deRimmelformeuncercleparfaitsousl’effetdelasurprise.Jenesuispasdecellesquiseconfientàleurscollègues,maismaconfidenteestlegenredefillequiréussitànoustirerlesversdunezenuntourdemain.Heureusement,elleestaussidugenreàoublieraussitôtcequ’onvientdeluidire,pluspréoccupéeànousracontersavie.—Wow,tonmecdoitêtrevrrrraimentspécial,plushotquelecow-boy!Thisguymustbeperfectfor
youtosaynotoacowboy!Pouruneraisonquim’estinconnue,Silvias’appliqueàtraduiretoutcequ’ellemedit.Commesielle
voulaits’assurerdebiensefairecomprendre.Ouest-ceseulementsafaçondes’exprimer?S’ilfallait
qu’elle se mette à ajouter sa langue maternelle, la conversation s’éterniserait. Quoiqu’elle s’éternisedéjà…—Je le prrrrendrais bien,moi…hum…comment il s’appelle déjà ?What’s his nameagain?me
demande-t-elleens’appuyantsurlecomptoirdelagalley.—Ethan.Ils’appelleEthan.—Well ! I would love yourrr Ethan ! Je l’aimerais bien, moi ! Un vrrrai gentleman ! A trrrrue
gentleman!Bringingyouflowerslikethat!—Desfleurs?C’esttoutcequetudemandesd’unhomme?Ouin,tun’espascompliquée…—Biensûr, ilvafalloirqu’ilaitunbonsalaire,anicesalarrrybecauseIwill takecarrrreof the
kids.Jevaisrrrresteràlamaisonetprrrrendresoindesenfants.C’estdemêmequeçavamarrchercheznous.Themangoestoworkandthewomanstayshome!C’estl’hommequitrrravaille!—OK…—Qu’ilaitaussiunebonnejob,agoodjob,carrrrincluded.Unbeaucharavecça.—Autrechose?—Écoute,j’aiungroslifestyle,youknow!J’aibesoindeluxe.Ineedluxury! Jenepeuxpasêtre
avecn’importequi!Àl’entendre,jecomprendsrapidementqueSilvianefréquenteraitpasunhommemariéetque,sielle
étaitàmaplace,elleauraitdéjàcomposélenuméroducharmantEthanauxyeuxd’ange.MaisSilvian’apasvécul’histoired’amourqueJohnetmoiavonsvécue.D’unautrecôté,jemedemandecequej’attendspourterminerunehistoirequin’ajamaiscommencéetquinecommencerajamais…MonquestionnementestinterrompuetSilviacessedeparlerlorsqueRupertouvrelaportedestoilettes.—N’allezpaslà-dedanstoutdesuite!Çapue!nousavertit-ilpournotreprotection.JesorsmonFebreze,toujoursenfouidansmesbagages,etenrépandsaussitôtàl’intérieurducabinet.
Il y ade ces situationsquine réussissentplus ànous surprendre.Ondevient plutôt compréhensif et àl’aised’enparler,etce,mêmesionneconnaîtpaspersonnellementnoscollègues.Car,commeagentsdebord,onatousvécuceballonnementquinousforceàévacuerd’éparsfiletsd’aird’unerangéeàl’autreenparcourantl’allée.L’astuceestcelle-ci:pouréviterd’êtredémasqué,mieuxvautaccuserquelqu’und’autre.Etquoide
mieuxqu’unbassindepassagers commecoupablespotentiels ?On ne risque pas de se faire prendre.Aprèsdesheurespasséesdansunavionpressuriséà38000piedsd’altitude,ilestquasimentimpossibledenepasgonfler.Enfin,toutlemondegonfleetexpulsedel’air,saufmoi,bienentendu…Ladescentecommencée,nouspréparons lacabinepour l’atterrissage.Jeparcoursunepremière fois
l’alléepourvérifierquetouslesbagagessontrangésadéquatementsouslessièges.Jesuisralentieparunedamequimeremetuncrayonempruntéàuneagentedebord.Jesuissurprisedevoirqu’ellen’apasdécidédelegarder.Resteàtrouveràquiilappartient.Jemerendsjusqu’àl’avantetdemandeàMarie,unecollègueayantplusieursannéesd’ancienneté:—C’esttonstylo?—Non.JenedonnequeceuxduHilton.Cetteaffirmationpiquemacuriosité.—Qu’est-cequ’ilsont,ceuxduHilton,tunelesaimespas?—Non.Ilss’accrochentmalaublouson,alorsjelesdonneauxpassagers.
Décidément,Maries’yconnaîtenqualitédestylos.Elledoitpasserbeaucoupplusdetempsquemoidansleshôtelspourenavoirfaituneétudeaussiapprofondie.—Çaparaîtquetuessouventenlayover,toi!—Oui,toutletemps.Encoreaujourd’hui,d’ailleurs.—TudescendsàVaradero?—Pourdeuxjoursenplus!—Chanceuse!luilancé-je,envieuse.Jen’aipasconsultél’itinérairedevol, jenesavaisdoncpasqu’ungrouped’agentsdebordséniors
descendaient pour passer la nuit à Cuba. Ils seront remplacés par d’autres qui nous attendentprobablement déjà à l’aéroport. Je lui souhaite de s’amuser pour moi et pars à la recherche de lamystérieusepropriétaired’unstyloduCrownPlaza.Enarrivantenarrière,jetrouveRupert,déjàattachéàsonstrapontin,prêtàatterrir.Ilsetientleventre
commes’ilallaitmourir.—Çanevapasmieux,Rupert?Jem’approchedeluipourluifrotterledos.—Ilamangéquelquechosedemauvais,maisilnesaitpasquoi.Iln’arrêtepasdecourirauxtoilettes,
m’expliqueSusan,uneautreséniorquidescendégalementàdestination.—Tuasmangéquoiavantlevol?Moncolocataire lève lesyeux. Ilest toutpâle.Depuisqu’onaamorcé ladescente, tous lesgazqui
avaientprisdel’expansiondanssonventreveulents’échapper,carlapressionaugmentedeplusenplusaufuretàmesurequenousperdonsdel’altitude.Lesmauxdeventres’accentuent,maissecalmerontunefoisquenousauronsatterri.Rupertn’enestpassisûr.—Jenemesuisjamaissentiautantprêtàexploser.J’aimangétroisyogourtsavantlevol,est-ceque
çapourraitêtreça?—Oui,c’estpossible.Onatterritdanscinqminutes.Ausol,çavapasser.J’essaiedeleréconforter.Ilsourit.J’entendssonventregargouillerquandlesrouessortentendessous
denospieds.Avectoutça,j’enoublielestyloquitraînedansmapochedevestonetquiencoreunefoisdeviendramapropriété.
***
Après avoir souhaité de bonnes vacances à mes passagers, je m’installe au soleil, dans l’escalierdonnant sur la porte arrière. La chaleurme permet de décompresser. J’ai forcé Rupert à s’asseoir àl’extérieur pour respirer l’air frais. Il reprend des couleurs peu à peu. Leménage terminé, la routinerecommenceetilestdéjàtempsderemonteràbord.Jevoisalorss’avancerdanslacabinenosnouveauxcollèguespour levolde retour.Tousmesemblent familiers,maisunepersonneparmi legroupeattiredavantagemonattention.Jeplisselesyeuxpouréclaircirmavision.Etpuis,soudain,jemaudisRupert-porte-malheur.Jesavaisbienquequelquechoseallaitarriver!Unmalaisem’envahit.Jeredeviensuneespionnedontl’identiténepeutêtredévoilée.Jesaisquielle
est,maisellen’aaucuneidéedequijesuis.Ouplutôtdecequejefais.—Bonjour,toutlemonde,dit-elle,sansintonationdanslavoix.Elledéposesavalisedansuncompartimentets’empressedesefaireuncafé.—JeremplaceSusanàl’arrière,annonce-t-elle.Jem’appelleDebbie.
Jenotedanssavoixunmanqueapparentd’énergie. Jenecherchepasà savoirpourquoi, carmoinsd’interactionsj’auraiaveclafemmedeJohn,mieuxjemesentirai.Aprèsm’êtreprésentéeànouveauàelle, jeretourneàmesoccupations.Ellenesemblepassesouvenirdenotrederniervolensemble:cejouroùellem’asermonnéepourluiavoir«volé»sasalade.Devieuxsouvenirsresurgissentdansmonesprit. Je tente de les ignorer.Monmalaise s’accentue.Àmon grand désespoir,Freaking-Debbiemeperturbe.Secrètement,jelajalouse.Jeladéteste.Jel’envie.Jem’éloignedanslacabine.En fermant les compartiments, je sens grandir la haine enmoi. «Sans cetteFreaking-Debbie, John
seraitavecmoi!»Jepoussesurunbagagedetoutesmesforcespourenclencherleloquetdefermeturedupanneau.Commentpuis-jevouloircontinueràmentirainsi?Jenesuispascellequiaunefamille,jesuisl’étrangèrequiveutlabriser.Cen’estpasmoi,ça!Parprofessionnalisme,jetentederedevenirzen.Unefoistouslespassagersàbord,jeretournem’asseoirsurmonstrapontinpourledécollage.Jeme
crois prête à travailler l’esprit en paix. « Tout ira bien », me dis-je. Lorsque je franchis le rideau,Freaking-Debbien’estpaslà.Jenelavoispasnonplusdanslacabine.Rupertmefaitsignequ’ellesecacheàsontourdanslestoilettes.Ilenprofitepourmechuchoter:—Tuvaspouvoirtravailleravecelle?—Est-cequej’ailechoix?—Non,pasvraiment.Tudoisêtreforteetoublierquielleest.—Net’inquiètepaspourmoi.C’estdéjàfait,mens-jeavantdedétournermonregardverslecabinet,
d’oùproviennentd’étrangessons.Ellevabien?—Ellevomit.Quoi?Moncœurs’affole.Elleestenceinte!Jeveuxm’effondrersur-le-champ.Monamiremarque
monairpaniquéetintervientavantquejenem’évanouisse.—Calme-toi!Elleajustetropbuhier.Mojitosetcubalibre…—Ah!dis-je,soulagée.La chasse d’eau s’enclenche et Freaking-Debbie revient parmi nous. Elle a l’air particulièrement
maganée.Degroscernessedessinentsoussesyeuxveineux.Dansmamémoire,elles’affichaitdavantagecommeunemamandouceet tranquillequecommeuneconsommatricedemojitos. Jedouteque,quandnous aurons décollé, son état s’améliore. En vol, c’est toujours pire. Par compassion, je lui tends unGingerAledégazéifié.—Ouin,lasoiréeaétédure…— J’en avais vraiment besoin, affirme-t-elle avant d’être aussitôt interrompue par l’assourdissante
annonceducommandantpourledécollage.J’enprofitepourm’esquiverjusqu’àmonstrapontinsansluiposerd’autresquestions.Elleavaitpeut-
êtrebesoindedécrocherdesenfantsetdesonmerveilleuxmari…Bah!Jeneveuxpaslesavoir!Jenevoulaisquel’aideràrécupérerunpeud’énergie.Parcontre,celan’aapparemmentpasfonctionné,carune fois enmontée, je vois son teint virer au vert.Elle semble faible, presque endormie, laissant soncorpspencherversl’avant,retenuuniquementpardeuxcourroiesdesécuritébientenduessurchacunedesesépaules. JedonneuncoupdecoudeàRupertpourqu’il la regarde. Jen’avaispas remarquéqu’ildormaitaussi.Ilbonditsursonsiège.—Quoi?—Désolée,dis-jeenm’empressantdeledévisagerpourluisignifierquecen’estpaslemomentde
dormir.—J’aimalauventre!
«Qu’est-cequ’ilsont tousàêtremaladesaujourd’hui?»Peut-êtrequ’unvirus flottedans l’air.Unvirus rupérien ?Et quoi encore ?Une attaque terroriste ?La présence deFreaking-Debbieme suffit,merci.Lesignaldesceinturess’éteintetnouspouvonscirculerdanslacabine.Avantdemedirigeràl’avant
pour distribuer les cartes dedéclarationpour leCanada, je tente de guérirRupert à l’Alka-Seltzer. Ilengloutitlescomprimésdiluésdansleverred’eauquejeluidonneetpatienteàl’arrière,letempsquelasolution fasse effet. Pendant ce temps,Freaking-Debbie retourne se cacher dans les toilettes. Son cassembleempirer.Cruellement,jenem’eninquiètepas.En distribuant les cartes de douanes, je suis distraite par un couple qui attiremon attention. Ils se
bécotentprèsd’unhublot. Ilsdoiventavoiràpeinevingtans.Àcetâge, j’étaisaussiamoureuse.Monpremieramour,leplusbeaudetous.Oncroitqueriennenousséparera,qu’onestàjamaisfaitsl’unpourl’autre.Etpuis,ongrandit,chacundesoncôté,sansseretrouver.Je continue d’avancer vers eux. Entre chaque passager à qui je tends une carte, je jette un regard
discret dans leur direction. Le jeune homme donne un baiser dans le cou de la jeune femme pourl’embrasser langoureusement ensuite. « Un peu déplacé dans un avion. » Je m’approche encore. Unecouverturelesrecouvre,etjeremarquelamaindel’adolescenteendessous,prèsdelaceinturedesoncopain.Jesuissaisie.Quefait-elleaujuste?J’oseespérerquecen’estpascequejepense.Jem’approcheducouplepour
leur remettre la carte.Enmevoyant, lesdeux tourtereaux s’immobilisent.La jeune femmedétourne leregardpourportersonattentionsurlepaysagequenoussurvolons.Soncopain,embarrassé,récupèrelepapierque je lui tends.De retourdans lagalleyarrière, jem’assured’aviser l’équipagede ceque jeviensdevoir.— Je crois qu’on va surveiller 37 A-B parce que je viens de les prendre en train de faire des
cochonneriessousunecouverte,dis-jeàmescollèguesentraindepréparerleschariots.Ilsacquiescent.JeremarquequeRupertmanqueàl’appel.Silviamemontrelestoilettes.Décidément,
ce n’est pas trois yogourts qui peuvent le rendre si malade. À moins qu’ils aient été périmés. Maisencore…Jecogneàlaporte.—Rupert?Çavalà-dedans?Pasderéponse.Troispetitscoups.—Rupert?Jem’inquiète.Troisautrespetitscoups.Pasderéponse.Jetourneinstinctivementlapoignée,maiselle
estverrouillée.Jefrappemaintenantàgrandscoupsdepoing.—Ils’estpeut-êtreévanoui!m’alarmé-jeenregardantmescollègues,quiobserventlascène.Jen’attendsplusetdéverrouillelaportedel’extérieurgrâceaumécanismedesecours.—Ah!Non!s’exclameRupert,mefaisantpresquefaireunarrêtcardiaque.Cequejedécouvredel’autrecôtém’horrifie.Rupert, lesfessesàl’air,devienttoutrouge.Ilest là,
avecsespapiersabsorbants,tentantdenettoyerunecertainesubstancerépanduesurleplancher.—Maisqu’est-cequis’estpassé?luidemandé-jeenrefermantàmoitiélaportepourcacherlascène.—Pourquoituasouvertlaporte!?—Pourvoirsitun’étaispasmort!Tun’avaisqu’àmerépondre!J’aicogné,tusauras!—OK!Benlà,tuvois,jenesuispasmort,justemaladecommeunchien.
—Remontetesculottes,jevaistedonnerlenécessairepournettoyer,luiordonné-jeenchuchotantàtraversl’ouverturepourquepersonnenem’entende.J’agis comme si de rien n’était devant le reste de l’équipage, qui mange du popcorn en regardant
l’action. Je ramasse des gants de plastique, un gel anti-bactérien, de l’eau chaude et une tonne deserviettes absorbantes et je tends le tout au pauvre malade dans les toilettes. Silvia, la fouine,m’interroge.—Ilvabien?Isheok?Ilabesoind’unantibiotique,d’uneupeptique,d’ibuprrrofène?Nameit!Je
l’aidansmasacoche.Ihaveeverrrrything!—Toutvabien,Silvia,merci.—Tuescerrrrtaine?Areyousurrrrre?J’aiduCyprrrro,del’Advil,desDoliprrrane…—C’estcorrect,insisté-je.—Tantmieux, parce qu’on est prêts pour le service,m’informeFreaking-Debbie sans lamoindre
parcelled’énergie.Jeme joins à elle en laissant Rupert tout seul avec sa besogne. Pendant le service, je me détache
complètementdecequemacollèguereprésentepourmoi:uneennemie.Jetentederesterdemarbreetdeplutôtdéplacermonattentionversautrechose,commelecouplede tourtereauxdu37A-B.Depuis lespremièresrangées,j’aperçoisleboutdeleurstêtesquisefontallerd’uncôtéetdel’autre.Leursébatsamoureuxontrepris.Ilssecroientvraimenttoutpermis,cesdeux-là,etilspensentpeut-êtreque,commenoussommesoccupésdans l’allée,nousne lesavonspasremarqués.«Jevousaià l’œil»,medis-jeavantdeconstaterleteintlividedeFreaking-Debbie.—Tutesensbien?—Non,pasvraiment.—Faisunepausealors,proposé-jepourm’endébarrasser.—OK,donne-moiuneminute.«Prendstouttontemps!»Depuisl’allée,j’aperçoisRupertsortirdupetitcointandisqueFreaking-
Debbieyentre.«Cettetoiletteenauravudetouteslescouleursaujourd’hui»,medis-jetoutenservantunverred’eauàunpassager.Quelquesrangéesplusloin,monattentionestdirigéeànouveauverslestourtereauxquis’activentprès
du hublot. Ils s’embrassent langoureusement.Chaque coup de langue produit un bruit de succion. J’ail’impressionderevivrelascènedansCry-Baby,quandJohnnyDepp,aliasWadeWalker,donneuncoursdefrenchkissàlabelleblonde,Allison,saufque,présentement,jen’aipaslegoûtderemplacerl’élève.«Ilfautqueçacesse»,tranché-je,mefaisantundevoirdeleurmontrerlesbonnesmanières.Freaking-Debbie ne revient pas etRupert arrive pour la remplacer. Il semble plus en forme et, en
moinsdedeux,nousatteignonslarangée37.—Heille,lesjeunes!Lesmouvementsdelanguecessentenfin.Lejeunehommereplacelacouverturesursesjambes,pour
cacher son érection, sans doute. Heureusement, je ne fais que déduire l’évidence, car à mon grandbonheur, je n’ai aucune preuve de ce que j’avance. Les deux accusés demeurent muets, me regardantcommesij’étaisuneméchantemaîtressed’école.Jedécidedenepasabuserdemonpouvoirsoudain.Lasituationestdéjàassezgênante.—Je suis certainequevous avez eu toute la semainepourvousminoucher àCuba, alors s’il vous
plaît,unpeuderespect.OK?
Lestourtereauxnegazouillentplus.Ilshochentla têtepourmemontrerqu’ilsontcompris.Rupertetmoiterminonsdeservirlesdernierspassagersetentronsdanslagalleyaveclechariot.—Snif,snif,faitFreaking-Debbie,accotéesurlecomptoir.—What’sgoingon?Qu’est-cequ’ilya?luidemandeSilvia.—Rien.Çanevapas,c’esttout.—Tuveuxunpetitremontant?Advil,Motrrrin,Tylenol?Nameit!Ihaveit!—Non,non,merci,Silvia,c’estque…hésite-t-elle.«Maisqu’est-cequ’elleaencore?Elledoitenavoirbu,desmojitos,pourperdreautantlecontrôle
d’elle-même.»Jevoudraism’éloigner,maissespleursme retiennent. Jeveuxsavoir.Ces larmessontdes larmesde tristesse,dedésespoir,dequoi ?Que s’est-ilpassé? Jem’inquiètepour Johnet jemerésousàresterpourconnaîtrelavérité.Rupertdésapprouvemonchoixenroulantlesyeuxetsesauveàl’avantdel’appareil.—Jen’arrivepasàlecroire!sanglote-t-elle.—Allez,dis-moi,tellme.Çavatefairrredubien.Really,it’llmakeyoufeelbetter.Macuriositéfaitdessiennes.«Allez,Freaking-Debbie,crachelemorceau!»Toutenluitournantle
dos, je recule pour m’approcher d’elle et poursuis hypocritement mon nettoyage de chariot. Je tendsl’oreille.—Snif,snif!continue-t-elleententantdereprendresonsouffle.«C’estpeineperdue,ellenedirarien.»Désespérée,jerangelechariotpourallerrejoindreRupertà
l’avant.Alorsquejem’éloigne,ellelarmoieànouveau.Àmongrandétonnement,elleseconfieenfinàSilvia.Jefige.—Monmarimetrompe!s’écrie-t-elle.—NOWAY!Areyousurrre?Tuessûrrrre?—Ouietnon.—Maispourrrrquoitudisçaalorrrrs?Whydoyousaythat?—Ilestdistantdepuisquelquetemps,ils’occupedesenfants,maispasdemoi!—Voyons,çaneveutriendirrrre,itdoesn’tmeananything!—Unefemmesentceschoses-là,Silvia!Jelesais,c’esttout!Àcesmots, uneboule se formedansmagorge. Je suis à la fois rempliede joie et de compassion.
Freaking-Debbie pleure encore plus fort. Malgré le fait que je vienne d’apprendre que John m’estexclusif,jemesensplusingratequejamais.Devant moi, j’aperçois le couple de tourtereaux s’avancer main dans la main jusqu’au cabinet de
toilette.Secroyantinvisibles,ilss’empressentd’yentrerenverrouillantlaportederrièreeux.Jenetentepasdelesenempêcher.Etpuis,auboutd’unmoment,unsourireencoinsedessinesurmonvisage.Jerepenseàcequecettetoiletteaenduréaujourd’hui.Mesdeuxtourtereauxneluiapporterontqu’unpeudebonheur.
–J
Chapitre12
Montréal(YUL)
enepeuxpasteparlermaintenant,John,jereçoisdesinvités.Jevaisdevoirraccrocher.
—Tunepeuxpas laisserallernotrehistoirecommeça, intervient-ilpourm’empêcherdecouper laconversation.—Pourquoipas?Çafaitdéjàsixmoisquejetedisquej’enaiassez!Voirtafemmepleurerm’afait
comprendrequejen’arriveraispasàmepardonnerd’avoirbrisétafamille.—Tumeniaises,j’espère?—Non,pasdutout.—C’est tellement ironique ! Iln’yapas troismoisdecela, tume faisaisune scènepourque je la
laisse!—J’airéalisébiendeschosesdepuis.—Commequoi?—John,onaeucetteconversationilyaunesemaine.Onpourras’enreparler,maispourlemoment,je
doisraccrocher,j’aiunrepasàpréparer.—Tunepeuxpasmelaisser,Scarlett,onn’ajamaisriencommencé.—Nesoispasméchant.C’estmafêteaujourd’hui,l’aurais-tuoublié?—Désolé…Amuse-toiavectesamis.Oncontinueracetteconversationuneautrefois.Jet’embrasse.Jen’arrivepasàrépondrequoiquecesoit,misàpartun«Bye»secetforcé.J’aidécidédepenserà
moipourune foisetd’en finiraveccette relationquineme rendque terneet amère. J’enai assezdem’adapter à sa vie, à son horaire et de « passer en deuxième », comme il me l’a si bien dit. J’ail’impressionquelemeilleurm’attend.D’ailleurs,j’aienfinprisladécisiondecomposerlenumérod’uncertaincow-boyrencontrésurl’undemesvolsilyaunmois.Commec’estmonanniversaire,j’aipensél’inviteràmonpetitsouperprivéentrecolocataires,carsi
çanecliquepasentrenousdeux(jedoutequeçasoitlecas),d’autresserontaumoinslàpoursauverlasoirée.Rupertprofitedoncde l’occasionpour nous présenter officiellementRené, le directeur de volqu’ilfréquente.QuantàBéa,ellevienttoutjustederencontrerunnouveaumecetl’ainvitéàsejoindreànous.Ellen’apaseuletempsdem’enparler.Jesaisseulementqu’ilseprénommeSimonetqu’ilferait,selonelle,untrèsboncopainàlongterme.Pourquetoutsoitparfait,j’aipenséêtrel’hôtessedemapropresoiréeetveilleràcequelatablesoit
bienmiseetquelevincouleàflots.Nesachantpasquoicuisiner, j’aiproposéquenousrassemblionssimplement sur la table des produits étrangers que nous avons rapportés de nos voyages. «Un repaséclectiquedigned’unehôtessedel’air.»J’aidéposésurlecomptoirplusieursalimentsquenousavionsentreposésaucongélateurpourlespréserver.
Ethan n’est pas encore arrivé et je commence à m’inquiéter, car dehors une tempête fait rage. Lanervositémegagne.«Illuiestpeut-êtrearrivéquelquechose…»Pourmecalmer,jeverseduvinàmesinvitésetjenetardepasàm’enservirunverre.—Unvinrougequej’aiachetéenEspagnecetété,dis-jefièrementenregardantmamontre.—Délicieux,lanceSimon.Onleretrouveici,tucrois?—Peut-être,maisildoitêtredoublementpluscher.—Scarlettaraison,intervientRené,c’estfoucommelesbouteillessontpluschèresiciqu’enEurope.—Cen’estpaspourrienquej’enrapportechaquefoisquejepars!dis-jeenplaçantmalonguenatte
tresséeenqueuedepoissonsurmonépaule.Béa,toutendéposantlepanierdepainsurlatable,sejointàlaconversation.—Attends!Tun’enrapportespastoutletemps,seulementlorsquetuasledroit,mecorrige-t-elle.Surpriseparsoncommentaire,jem’apprêteàluirafraîchirlamémoire,maisellem’enempêche.—Scarlett,lorsqu’onpartmoinsdequarante-huitheureshorsdupays,onnerapportepasdebouteilles
devinparcequ’onn’apasledroit,selonlaloicanadienne.Mes sourcils s’arquent. Je suis vraiment étonnée de l’entendre dire ça.Depuis quandmameilleure
amierespecte-t-ellelesrègles?Etpuis,onatoujourseuledroitderapporterdesbouteillesdevin,saufqu’il fallait payer les taxes. Je contemple notre cellier, dont nous sommes si fiers. Il est rempli debouteilles toutes aussi bonnes les unes que les autres. Je me prépare à argumenter, mais je suisinterrompueparunbruitsourdprovenantdel’extérieur.—Ah!C’estlui!C’estlui!fais-je,énervée.Jem’avanceprèsdelaporte.Personnen’aencorecogné,maisjesuisdéjàprêteàouvrir.—Calme-toi,Scarlett,ilvateprendrepourunedétraquéeetvapartirencourant,meprévientRupert
enmerepoussantpourmeremplacer.Je retourne près de la table, le cœur battant. Je n’arrive pas à croire qu’un autre homme que John
puisseme faire vivre autant d’émotions. J’entends aussitôt frapper à la porte et, aumêmemoment, lasonneriedemontéléphoneretentit.Unmessages’affiche.AvantdevoirRupertaccueillirmonbeaucow-boy,jejetteuncoupd’œilrapideàmoniPhone:«J’ailaissémafemme.Jet’aime!»Desmontagnes russes soulèventmoncœurdans lesairs,me le retournentà l’enverspour ensuite le
faire redescendred’un trait. Johnvamerendre folle !Depuis le tempsque j’attendscettenouvelle, etpourtant, elle n’a pas l’effet escompté. Je tente d’oublier temporairement ce que je viens de lire, cardevantmoisetientungarsauxyeuxd’angequi,jelesais,envautvraimentlapeine.—Salut,moncher!l’accueilleRupertensedéhanchantdanslehalld’entrée.Tuestoutenneigé!Moncolocataireestdéjàsouslecharmeets’appliquerapidementàretirerlaneigecollantequis’est
déposée sur le manteau de mon invité. Je m’approche de lui, me hisse sur la pointe des pieds pouratteindresesdeuxjouesglacées.Ellespiquent,j’aimeça.—Bonnefête,Scarlett!J’espèrequejen’arrivepastropenretard.Ilyaunedecestempêtes…—Pasdutout,Ethan!Ont’auraitattendutoutelasoirée!luilanceRupertspontanément.—Rupert!intervientBéaens’avançantversnous.—Jeblague,jeblague,dit-ilenretournantauprèsdeRené,quilui,afficheunemouediscrète.—Rupertaraison,chuchoté-je,gênée.Jet’auraisattendutoutelasoirée…
***
Lesprésentationsfaites,jerangemontéléphonedansmachambre,surmatabledechevet.Jeneveuxpas l’entendre, s’il sonne à nouveau. J’ignore lemessage de John pour lemoment et regagne la fête,l’esprittourmenté.J’étalequelquesfromagesdansunelongueassietteblanchequejedéposeaucentredelatable.Suruneplanchedebois,jetrancheunsaucissonenrondelles.—C’estunchorizoespagnolqueRupertarapportédeMadridl’autrejour,expliqué-je.Moncolocatairebonditdufonddelacuisine.—Non,jen’aipasrapportéça!Ceneseraitpastoi,plutôt?Ilmefaitdouter.C’estpeut-êtremoiquienaiglisséunincognitodansmavalise.—Jenesaispasquil’aramené,maisonl’aachetéenEspagne.Depuisledébutdelasoirée,Simon,lecopaindeBéa,s’esttenutranquilleenbuvantsonverredevin.
Ilm’al’airennuyeux,etjenesuispascertainedel’aimer.Ethanabiententédeluifairelaconversation,maisçan’amenénullepart.Jesuisdoncsurprisedelevoirouvrirlabouchepournousparler.—Sijecomprendsbien,quelqu’unarapportécesaucissonillégalementdel’Espagne?—Oui,c’estcequej’aidit.L’Espagne.IlnerépondpasetregardeBéaenriantjaune.Quepeut-ildonctrouverdesidrôleàcetteréplique?
«Ilestétrange,cegars-là»,pensé-jeavantdechangerdesujet.—René,tudisaisquetuplanifiaisunvoyage?—Oui,jeparsdébutmaiauPortugalpourdeuxsemaines,zozote-t-ilensetournantversRupert.—Tudevraispartiraveclui!proposé-je.—Oui,j’ypense,avoue-t-iltimidement.Jesaisquec’estpeut-êtretôtpourplanifierunvoyageavecsonnouveaucopain,maisçafaitunbail
que jen’aipasvuRupertaussibienavecquelqu’un.Etpuis,c’estsibeau, lePortugal !Ethansemblepartagermonopinion.—C’estmagnifique,lePortugal.Tuprévoisquoicommeitinéraire?—Lisbonne,Portoetl’Algarve,expliqueRené,lesyeuxpétillants.Tuconnais?—Oui,unpeu.J’ysuisallépourletravaill’anpasséetj’enaiprofitépourfaireunpeudekitesurf.
Trèsbeaupays!—Wow!C’estcool,ça!s’exclameBéa,enmetapantl’épaule.Scarlett,cen’estpascesport-làqu’on
afaitl’autrejouràCabarete?Tuétaistrèsbonneenplus…—Ouais,c’estbiença,confirmé-je,encoreintimidéeparlaprésenced’Ethan.—LaRépubliquedominicaineestunebelleplacepourenfaire!Tuasaimé?Leregardqu’ilposesurmoivautmillemots.Jevoisquejeluiplais,etce,sansmêmequ’onsesoit
vraimentparlé.Jepourraisêtreégalementsouslecharme,maiscemessagequejeviensdelirebrouillelescartes.AprèsavoirpartagéavecEthanmondésirdemeperfectionnerdanscesport, je redirige laconversationversRené.—TucomptesvisiterlePortugalenvoiture?—SiRupertm’accompagne,oui,ajoute-t-ilenluiserrantlebras.Noussommesavidesdeconnaîtrecequemonsieurporte-malheurdiraetnoustournonstousversluiun
regardattentifenespérantqu’ilacceptel’invitation.Ilsedéfaitdel’emprisedeRenéetlepoussepourletaquiner.—J’aimeraisbeaucoupt’accompagner!
Cettenouvelleétapequ’ils’apprêteàfranchirluiferaleplusgrandbien.L’atmosphèreestdétendue,etje pars chercher une autre bouteille de vin. Depuis le cellier, j’entends René expliquer à Rupert lespossibilitésquis’offrentàeux.—OnpourraitcommencerparPortoetdescendrejusqu’enAlgarve.—Jetesuis!—EtonpourraitvisiterlavalléeduDouroenbateau…Apparemment,c’estvraimentcool!—Ou envoiture, pour faire des pauses dans les vignobles…suggèreRupert en lui lançant un clin
d’œilcoquin.«SacréRupert,toujourslesidéesailleurs»,pensé-je.—Vousrapporterezdubonporto!proposé-jeavantdefaireunepausecalculée.N’oubliepas,tun’as
droitqu’àdeuxbouteilles,pasplus!Jepouffederire.Ethanaussi,sansdoutepourm’encourager.Quantauxautres,ilsrientjaune.«Qu’est-
cequ’ilsonttousàêtreaussiconstipés?»m’offusqué-jeintérieurement.Simons’empressederétorquer.—Tuasvraimentunblocageaveccetteloi,toi.Béa,encorepluscoincéequ’audébutdelasoirée,intervientpourm’empêcherderépondre.—Non,non,ellen’apasdeproblèmeavecça,pasvrai,Scarlett?medemande-t-elle,commesi je
n’avaispasledroitdedéfendremonpointdevuesurcesujet.Pourtant, j’en ai justement un, « blocage ». Pourquoi mentirais-je ? Je suis certaine que, d’ici un
instant,Simonadhéreraàmonopinion.Jetentedeleconvaincre.— Pour être totalement honnête, je n’aime pas la façon dont les douaniers appliquent leurs lois
stupides.Certainsabusentdeleurautorité,etçam’enrage!Béas’étouffeavecsagorgéeetcommenceàtousser.RupertetRené,maindanslamain,observentla
scène,captivés.QuantàEthan,ilsembleadmirermonassurance.—Je crois que certains douaniers pourraient avoir unpeuplus de considérationpour lesmembres
d’équipage,continué-je.— C’est-à-dire de vous laisser rapporter du vin même si vous êtes partis moins de quarante-huit
heureshorsdupays?demandeEthan,quin’étaitpasencorearrivélorsquelaquestionaétésoulevée.—Entreautres.Ilmesembleque,lefaitd’avoirtraversél’océanAtlantiquedeuxfoisenquarante-cinq
heures, çadevraitpermettrede rapporterdeuxbouteillesdevin sanspayerde taxes, surtout quandons’estépuisésàservirdespassagersexigeants.—Laloi,c’estlaloi,décrètesèchementSimon.Mesyeuxs’agrandissent.Quelpauvreargument!Jecommenceàbouillir.Béas’immisceaussitôtentre
nousdeux.—Scarlettnesesentpastrèsbienaujourd’hui.Hein,Scarlett?—Non!Aucontraire,jemesenstrèsbien!Pourquoidit-ellequejenemesenspasbien?Personneneconnaîtl’originedemonirritabilité.Jene
luiaipas faitmentiondecederniermessagedeJohn. Je suisplutôt joyeused’avoirunbrasqui frôleceluidubelEthan.Sanscompterqu’ilaréussiàmefairerougirchaquefoisqu’ils’estadresséàmoi.Jesuisbiendécidéeà fairevaloirmavisiondeschoses, et je reformulemonargument.Béa insiste pourcloreladiscussion.—Çane sert à rien d’expliquer ton point de vue,Scarlett. Simon a raison. Il faut respecter la loi,
ajoute-t-elle,telleunefilletteobéissante.
Cellequis’estdéjàchicanéeavecundouanierestentraindemedireque,laloi,c’estlaloi?Jesaistrèsbienoùellevoulaitse lamettre, la loi,quandelleenaeupourdeuxansàse faire fouilleraprèschaquevolpouruneaffairedepommeoubliée.Jetentedeluirafraîchirlamémoire.—Béa,c’étaitcombienencore,tonamende,pouravoiroubliéunepommecanadiennedanstoncarry-
on?—Euh…—Cinqcentsdollars,c’estça?—Euh…EllesetourneversSimon,gênée.—C’estcherpayépourunepommeoubliéedanslefondd’unsacetquienplusprovenaitduCanada.
Sicen’estpasmanquerdejugementetdeconsidérationpourunepauvrehôtessedel’air,jenesaispascequec’est,conclus-je.Simonesquisseunsourireencoin.J’ail’impressionqu’ilsedonneunairdesupériorité.Ilprendune
profonderespirationetmesertunlancerrapideetglissant.—Tucroisque,parcequetuasfaitletourdumondeetquetuesfatiguée,tuméritesunpasse-droit?
Monsieuroumadamequivoyagel’estaussiquandilarriveàlaported’embarquement.Iladûsubirlespoints de fouille, faire sa correspondance à toute vitesse ou au contraire est resté enfermé dans unaéroportpendantcinqheures.Ilamontrésacarted’embarquementàquatrereprises.Ils’estfarcipourlamillième fois la chorégraphie des agents de bord. Il s’est fait interrompre son film pour que vousannonciezvotrefoutuDutyFree.Iln’estpasmoinsfatiguéquevousetildoitluiaussiseconformeràlaloi.Lesagentsdebordn’ontpasunstatutau-dessusdesautresvoyageurs,termine-t-ilenmeretirantsitôtaumarbre.«Cegarsestidiot»,pensé-je.Aurait-iloubliéquesadatetravailledansunavion?Qu’ellevitavec
deux autres agents debord, dont l’un fréquente également unmembre d’équipage ?Et au cas où il nel’avait pas remarqué, nous sommes tous autour de cette table avec lui. Simon doit l’ignorer, car ilconserveencore sonairhaïssable, fierde sa réplique. Jen’aipasditmonderniermot.Rupert etBéatententdemettrefinàcedueld’opinions.—Çasuffit,vousdeux!s’écrieRupert.— Tout le monde a droit à son opinion, Scarlett, renchérit Béa en levant la main vers moi pour
m’empêcherd’ajouterquelquechose.Jene comprendspas cequ’ils ont tous àvouloirme faireporter le chapeau.Depuis le début de la
soirée, on me corrige chaque fois que j’ouvre la bouche. Rupert a toujours détesté les douaniers,pourquoireste-t-ilsoudainementtranquilledanssoncoinavecRené?Jen’aipasl’intentiondetirermarévérence.Jeréfléchis.Jerevoisnotreinteraction.LesargumentsdeSimon,sesréactions.Pourquoicetintérêtàdéfendrela
réputationdesdouaniers?Quepeut-ilvouloirentireretdansquelbut?Etpuis, toutàcoup,uneidéegermedansmonesprit.Àmoinsque…Non!C’estimpossible!PasBéa!Jemeredresseetposemesdeuxmainssurlecomptoir.Jem’apprêteàretourneraubâtonetàfrapper
uncoupdecircuit.J’aiflairél’intrusparminous,ilesttempsdedévoilersonidentité.—Simon, toi qui es si rusé, tu sais ce qu’un douanier pense d’une hôtesse de l’air lorsqu’elle se
présenteàsoncomptoir?Ilréfléchituncourtinstantenregardantleplafond.—Facile!m’annonce-t-il.
Àleregarder,j’ail’impressiond’avoirjetéunosàunchientellementilsemblecontentdeconnaîtrelaréponse.—Ellearrived’oùencore,celle-là?déclare-t-il,enétalantainsitoutel’enviequ’ilcacheenlui.—HA!m’écrié-je,épatéeparlesuccèsdemaruse.Tuesdouanier!Jesautedejoie.Ethanestséduitparcetteprouesseetlaisseéchapperànouveauceriresincèrequia
pour effet de colorer instantanémentmes pommettes d’un rouge vif. J’ai enfin démasqué l’espion quitentaitdes’infiltrerdanslecampdesgentils!Lesautresnesemblentpasaussienchantésquenous.Je remarquequeBéame lancedes flèches avec sesyeuxdepuis l’autre côtéde la table.Elle s’est
rapprochéedesondouanier,commepourluimontrersonindifférencequantàsajalousieévidenteenversnotremétier.RupertetRenéarborentunsourireencoinetsoulèventtousdeuxlesépaulespourmefaireconstaterl’évidence:touslesavaientsaufmoi!
E
Chapitre13
Montréal(YUL)–PuntaCana(PUJ)
nrépondantautéléphoneà4heuresdumatin,jeréaliselagrosseerreurquejeviensdecommettre.Depuis au moins deux ans, je ne suis plus sur appel ou en réserve, mais ça n’empêche pas lacompagniedem’appelersiellemanquedepersonnelpourcomblerlesvolsdelajournée.C’estun
peucommejouerauchatetàlasouris.Sionmelaisseunmessage,j’ailedroitdenepasrappeler.Parcontre, si je réponds, je suis piégée et je dois accepter l’affectation. À moins, bien sûr, d’être enSaskatchewanoutropivre…saufquecen’estmalheureusementpasmoncas,cargrâceàmapetitescèned’hier, lasoirées’est terminéeplus tôtqueprévu.Jesuis la reineducassagedemonpropreparty. Àentendrecettechèrevoixauboutdufil,jesensquelajournéevaêtrelongue.—Bonjour,Scarlett,c’estAnnieaucrewsked.Onestenprocédurededraftetonauraitbesoindetoi
cematinpourrécupérerunvolenretardpourPuntaCana.Jereposebrusquementmatêtesurl’oreiller,encolèrededevoirmeleverd’iciuneseconde.Soudain,
jesensunechaleuràmagaucheetm’aperçoisrapidementqu’ilyaungarsdansmonlit.—Euh…oui…dis-jeàmonbourreau,ententantdemeremémorerlesévénementsdelanuitdernière.—Le vol est en retard depuis hier soir à cause de la tempête, alors le plus vite tu pourras être à
l’aéroport,lemieuxcesera.Décollageprévupour7heures.Ahoui,latempête!C’estpourçaqu’Ethanestallongéàcôtédemoi.Hiersoir,depuislafenêtre,je
n’arrivaispas àvoir le trottoir. Il aurait étédangereuxde le laisser partir parun tempspareil.MêmechosepourRenéetSimon-le-douanier.Onadonctoussagementrejointnosquartiers.Béaasansdouteexigéàl’ennemidesexplicationsquantausensdesoncommentaireenvieuxconcernantnotremétier.Ila,jel’espère,reconquissoncœurpendantlanuit.Ainsi,ellemepardonnerapeut-êtredem’êtreemportéeetd’avoirseméladiscordeparmilesinvités.—Ethan, jevaisdevoirmelever.Jedoisaller travailler,dis-jedoucement,consciented’avoirdéjà
troublésonsommeilenrépondantàcesatanétéléphone.—Ouin,jenemesuisjamaisfaitchasseràuneheurepareille…Mademoisellel’hôtessedel’airn’y
vapasdemainmorteavecmoi,blague-t-ilensoulevantlacouverture.Jeremarquelereliefdesescôtesquisaillentàtraverssapilositémasculine.Sesabdominauxdiscrets,
cachéssouscettepeauencorebronzée,medisent:«Vienstecoller.»Dessouvenirsdenotrepremierbaiser jaillissent dansmon esprit.C’était si doux, si lent.Moi qui adore embrasser, j’ai l’impressiond’avoirtrouvémondouble.Dèsquenoslèvressesonttouchées,j’aichasséinstinctivementJohndemonesprit.C’étaitcommesicetinstantm’étaitréservé,qu’iln’avaitpasledroitd’yentrer.Àmongranddésespoir,cematin,moncommandantestrevenuparminous.Ilvogueàprésentquelque
partdanslapièce.Jem’efforcedelechasserenembrassantEthanunedernièrefoisavantdemepréparer.—Tuesbizarre.Tuvasbien?
—Oui, ça va. Je n’ai pas envie d’aller travailler,mens-je, consciente d’avoir l’esprit brouillé parJohnpourlamillièmefois.—Jevaistelaissertepréparer,dit-ilens’habillantàlahâte.Sij’avaissuquecemomentallaitêtreledernieraveclui,j’auraispeut-êtrefaitleschosesautrement.
Jel’ailaisséfilerenajoutantseulement:«Jeterappelleàmonretour.»Ilasentimadistance.Iln’estpas dupe. La veille, j’avais compris ses intentions : rien de compliqué.Or, il s’avère que, depuis uncertaintemps,mavieestcompliquée,moncœuresttourmenté.Jesuisloind’êtreprête,etillesait.Deretourdanslesalon,jerestecampéeaumilieudelapièce,pensive.—Qu’est-cequetufaisplantéelà?melanceRupert,àmoitiéhabillé.—Qu’est-cequisepasse,Scarlett?Ondiraitquetuasvuunfantôme,ajouteaussitôtBéaenouvrant
laportedesachambre.—Benvoyons,ilyaunpartydanslesalon?ajouteironiquementRené,latêteposéesurl’épaulede
moncolocataire.—Euh…non!Etvousautres,qu’est-cequevousavezàvousleveràcetteheure-là?—Renéetmoivenonsd’êtredraftés,ditRupertenbâillantàs’endécrocherlamâchoire.—Hein!Moiaussi!lanceBéa,étonnée.—CeneseraitpaspourunPuntaCanaenretardparhasard?leurdemandé-jeenespérantquecesoit
lecas.—Oui!Commenttusaisça?—Devine?
***
Leblizzard avait enfin passé lorsquenous avons pris la route à borddumêmevéhicule. Simon-le-douaniers’estproposépournousconduireàl’aéroport.Latensionentrenousavaitdisparu.Jemesuismêmesurpriseàl’imaginerenrelationàlongtermeavecBéa.Ilfautdirequenousétionssurlequi-vivependant le trajet. Les routes déneigées pendant la nuit avaient été balayées à nouveau par le vent, etSimon,désormaispilotedecourseautomobile,adûmettrepleingazpourtraverserleslonguestraînéesdeneigedurciesausol.Çaenétaitinquiétant,delevoirrepartirseulauvolantdesaPassatVolkswagen.D’ailleurs,jeremarqueenmarchantrapidementverslabarrièrequeBéasemblepréoccupée.—Tul’aimesbien,Simon,hein?—Tedirenonseraittementir…—Jesuisdésoléepourhier,Béa.Johnm’aunpeuperturbée.—Bon,qu’est-cequ’ilafaitencore?—Avant,jeveuxquetumedisesquetumepardonnes,exigé-jeenfaisantlamouepourl’amadouer.
Finalement,ilestgentil,tondouanier!Béasouritetattrapemonbras.Jecomprendsqu’ellenem’enveutpas.Jesuissoulagéeetluiannonce
lanouvelle.—JohnalaisséFreaking-Debbie…—Quoi?C’estunebonneouunemauvaisenouvelle,ça?—C’estça,leproblème…Jenelesaispas!—C’estcequetuattendais,non?
—Oui,maislà,jeviensderencontrerEthan!Ilmefaitdel’effet.—Fallait s’y attendre, Scarlett.C’est toujours quand l’un décide de tourner la page que l’autre se
réveilleenfin,m’explique-t-elleavantd’êtreinterrompuepardesapplaudissements.—Enfin!Onvapouvoirpartir,ditunhomme.—Onvapeut-êtreréussiràlevoir,notresoleildelaRépublique!s’écrieunautre.Étrangement, je ne décèle pas la moindre parcelle d’arrogance dans ces propos. La foule est
hystérique,maispasenragéecommejel’auraispensé.Enréalité,unbrefcoupd’œilàtraverslafenêtresuffit pour comprendre que la colère n’aurait pas arrangé les choses. Les véhicules de déneigements’affairentsur lapistepour retirerune tonnedeneigeempêchantdepuis laveille toutdécollage.À cequ’il paraît, notre avion était sur le point de partir quand l’aéroport a été fermé. Les passagers ontpatientéuneheuredansl’appareiltoujoursstationnéàlabarrièreavantderetournerdansl’aired’attentejusqu’àcequelatempêtesecalme.Maintenantquelesautoritésaéroportuairesontdonnélefeuvertauxdécollages,lesappareilss’alignentsurlapistel’unàlasuitedel’autre.En arrivant à la porte d’embarquement, je constate que les anciensmembres d’équipage qui étaient
censéstravaillerpendantlevollaveillesonttoujourslà.Commepersonneneconnaissaitladuréedelafermeture,ilsontétécontraintsdedemeurersurplace,carsilatempêtecessaitenfin,ilfallaitpartirdansl’immédiat.Malheureusementpourmoiouheureusementpoureux,toutecetteattenteagrugéleurtempsendevoiretiln’estdésormaispluslégalpoureuxdetravaillersurlevol.René reçoit une dernièremise à jour des événements par son homologue qui, pour son plus grand
plaisir,estenfinrelevédesesfonctions.—Unefoislaporteferméeettouslespassagersàbord,lesservicesausolontcommencéàreculer
l’avion,maisaussitôt,lecommandantareçul’ordrederetourneràlabarrière.Latempêteétaittellementintensequelesautoritésontdécidédefermerl’aéroport,c’étaitplussécuritaire.—Unebonnebordéedeneigecommeonn’enapaseudepuislongtemps,ajouteRené.— Pour une fois que ce n’est pasmoi qui ai vécu ça !me lance Rupert en faisant référence à sa
réputationdeporte-malheur.—Neparlepastropvite,toi!lepréviens-je,conscientequetoutestencorepossible,carcommele
dictonleditsibien:«Tantquelesrouesnesontpasrentrées,onn’estpasparti.»
***
—Mesdames etmessieurs, bienvenue à bord de ce vol deVéoAir qui partira sous peu vers PuntaCana!annonceRené,pleind’entrain.Tous les passagers applaudissent, heureux de commencer enfin leurs précieuses vacances. Les gens
s’exclament en lançant d’éclatants «WOUHOU ! » et en soulevant les bras vers le plafond. Je suisagréablement surprise par cette bonne humeur qui flotte dans l’air. À croire qu’ils ont tous dormisagementdansleurlitdouilletpendantlanuit.Oupeut-êtreont-ilsengloutiunélixirdebonheur,souslaformedequelquesverresd’alcool?Étonnamment,jecroisquelescocktailsn’ontrienàvoirlà-dedans.Les portes ont été fermées plus tôt que prévu et nous nous dirigeons maintenant vers l’aire de
dégivrage.C’était inévitable, car comme l’appareil a été contraint de demeurer longtemps au sol, uneabondante quantité de neige s’est accumulée sur le fuselage. Des flocons particulièrement collants etlourdssesontdéposéssurlesailes.Ilfautdoncretirertoutecetteneigeavantdeparcourirlapiste,carellepourraitnepass’envolerlorsquenousprendronsdelavitesse.Etpasquestiondeprendrelerisquede s’écraser en bout de piste à cause de l’avion qui serait trop lourd ou parce que le profil
aérodynamiquedel’aileestcompromisparungivreindésirable.Autantl’aspergerimmédiatementd’unesolution miracle. Ce n’est pas quinze petites minutes supplémentaires qui tortureront les passagersdavantage.Assisesurmonstrapontin, j’observelepeuquis’offreàmoi.Je fais faceàquelquescompartiments
avecl’inscriptionVéoAirembosséedanslemétal.Deuxfoursargentéssontverrouilléspardesloquetsde sécurité.À leur gauche, un passagemène jusqu’au poste de pilotage. Je n’entends pas un son s’enéchapper. L’unique bruit perçu à l’intérieur de la cabine est celui des jets de liquide de dégivrageprojetés contre le fuselage de l’avion. Puis, le silence, et nous roulons à nouveau vers la piste. Uneannonce se fait entendre. Elle rappelle aux passagers les consignes de sécurité. Le décollage estimminent,alors je resserremaceinturede sécurité,baisse la tête, tandisque,àviveallure, nousnousenvolons.Enmontée,jerevoislanuitquivientdepasser.Ethanestdansmachambre,entrainderetirersont-
shirt blanc. J’ai les jambes qui ramollissent en le voyant se rapprocher de moi pour m’enlacer, meréchauffer. Et même si mon corps a envie de réclamer toute son attention, nous nous contentons dequelquesbaisers.Malheureusement, ce matin, la réalité m’a rattrapée : une autre histoire d’amour n’est pas encore
terminée.Ilfaudralavivrepoursavoirsiellesetermineoupas.Enregardantparlehublotcirculairedemaporte,jenevoisquedelabrumeetdesnuages.Noussommesencoretropbasenaltitudepourquelecielbleume fasseoublier leblizzardau sol.Néanmoins, lecommandantéteint le signal des ceinturespourquenouspuissionscirculerdanslacabine.Jen’aipasletempsdemedétacherqueRupertarriveàl’avant.Ilm’ignorecomplètementetseposte
enpleinmilieudelagalley.Ilestblanccommeundrap,onjureraitqu’ilavuunfantôme.Ils’adresseimmédiatement à René, chef de cabine et donc première personne à être mise au courant lors d’unproblèmependantlevol.—René!Ilyadufeusurl’aile!Quoi ?! Je fige et reste bien collée surmon strapontin. Je tends l’oreille, car René, bien qu’il ait
parfaitemententendulapremièrefois,secroitsoudainementsourd.—Hein?Peux-turépéter,Rupert,jen’aipasbienentendu…—FEU!J’aiditFEU,René!IlyaduFEUsurl’aile!—OK,calme-toi.Quelleaile?—Ladroite!Therightone!Celleàtribord!—Ilfautquetutecalmesmaintenant.Viensmemontrer!Ils partent ensemble dans la cabine. Avant d’appeler dans le poste de pilotage, un directeur doit
s’assurer d’avoir recueilli toutes les informations importantes concernant le problème. Pendant queRupertetRenés’avancentdansl’allée,jemecachederrièrelerideauetj’observelascène.PendantqueRupert-porte-malheurmontrediscrètementl’endroitexactoùlefeufaitrage,jevisualise
cetteailerempliedekérosènes’enflammerpourcalcinerenpeudetempstroiscentspersonnes.Renésepenche vers une rangée et s’allonge au-dessus des trois passagers qui le dévisagent, les yeux rondscomme des boules de billard. Évidemment, ce sont eux qui ont remarqué les flammes et rapportél’observationàunmembredel’équipage.Ledirecteurregardeàtraverslehublot,etmoi,jemevoisdéjàbienmorte,brûlée,entraindem’éparpillerencendresquelquepartau-dessusdesfrontièresaméricaines.Les voilà qui reviennent ! À voir la vitesse à laquelle René s’avance vers la galley, je déduis le
verdict:iln’estpaspositif…
Iltraverselerideau.Ilal’airentranse.Ilestsûrementenmode«survie»,mais,extraordinairementcalme,ilappelledanslepostedepilotage.— Salut, Henry, c’est René. Écoute, je pense qu’on a un problème. Il y a des passagers qui ont
remarquédesflammessurl’aile.Jeviensd’allervérifieret,effectivement,ilyabiendesflammes.Lecommandantluiposedesquestions.—Ladroite.Enboutd’aile.Oui…Prèsdesvolets.C’estça,derrièrelemoteur.Oui…OK!Ilraccrochel’interphoneetnousregarde.Rupertetmoiblanchissonsàvued’œil.—Lepremierofficiervasortirpourallervérifier,nousinformeRené.«Silepilotesortducockpitpourvoirparlui-mêmel’aile,c’estencoremoinsbonsigne»,pensé-je.
Laporteblindée s’ouvre immédiatement et l’hommeà la chemise auxgalonsdorés sediriged’unpasrapideversl’ailedroite.Renél’accompagne.JejetteunregardapeuréàRupert.Ilmefixesansdireunmot,maisjesupposequ’ilsemauditlui-mêmed’êtreuntelporte-malheur.Dansmon scénario imaginaire, les recherches persistent pour retrouver la carcasse de l’avion.Ma
mèreetmonpèrenes’enremettrontjamais.Leurfillechérievenaittoutjusted’avoirtrenteetunanslaveille.Sijeunepourquittercemonde.Jen’aipaspuleurdireundernieradieu.Johnvapeut-êtres’envouloird’avoirautantattendupourlaissersafemme.Ethanvarestersursafaim.Jetentedemeressaisir:l’avionestencoreenentier,bienentraindevoler,iln’yapaseud’explosion.«Ilmesemblequedesflammesetuneailerempliedekérosènenefontpasbonménageetn’allouentpasautantdetempspourréfléchir…»Lepremierofficierretraverselerideauàpeineuneminuteplustard.Sonteintestdemeuré lemême
qu’avantsavisiteenclasseéconomique.Positif?Renésuitderrière. Ila la langueà terre,probablementàcausede lanervositéainsiquedesallers-
retoursexécutésenuntempsrecord.Malgrétout,sacoiffuretientencoreparfaitementenplace.Unvraibichonfrisédansunconcoursdebeauté,saufqu’ilsouritetessuielui-mêmelasueurquiperlesursonfront.Encorepositif?—Iln’yapasdefeu,annoncelepilote,l’airsoulagé.—Commentça,iln’yapasdefeu?s’énerveRupertpoursefairerassurer.Jel’aivudemespropres
yeux!—C’estleglycolorangequis’échappeencoredesailes…Mêmecouleurquedesflammes.—Quoi?Leliquidededégivrage?demandé-je,curieusedesavoircommentunliquideappliquéau
soln’apasencoreétééliminépar800kilomètresàl’heuredepuissance.—Enthéorie,ilauraitdûs’enleveraudécollage…—Entoutcas,tonglycolvientdemefaireunedecespeurs!dis-jeenriant.—Ouf…J’aimeraispastevoirdansuncockpit,toi!melance-t-ilpourmetaquiner,ouplutôtpourme
montrerl’immensitédesonsang-froid.Onnesaitjamaiscequisepointeauboutdesonnez…surtoutpasquandcenezestceluid’unavion.
–J
Chapitre14
Envol(20000piedsavantd’atterriràPUJ)
en’arrivepasàcroirequ’ona juste fait lamoitiédenotre journée, lanceBéaenappliquantunglossàlaframboiseavantl’atterrissage.Jeresteraisbienici,moi.
—Voyons!Qu’est-cequetupourraisbienvouloirfaireici?Lesableestbientropblanc!—Ha!Ha!Jenesaispas,moi…rienfaire,justement!—Ehbien,j’aiunemauvaisenouvelleàt’annoncer,Béachérie…Onnerestepas!—Mercipourl’info…Detoutefaçon,jen’aipasmarobedeplagenimonmaillotdebain.Ilm’aurait
aussifalludessandalessexypourallerdanser.—Tuvoiscommelavieestbienfaite!—Malfaite,tuveuxdire…—Mal?TuasquandmêmerencontrétonbeauSimongrâceàtontravail.C’estcool,ça…—Trèscool!m’avoue-t-elle,surunnuageenpensantàsondouanier.Plusieurs disent que l’amour des premiers mois est le meilleur. Des papillons nous parcourent
l’estomac,notrecœurdévaleàrépétitiondesmontagesrussesetnospetiteshormoness’excitentpourunseulregard.Àl’inverse,j’aimeceluiquigrandit,lorsquelaconfiances’installeetquel’onsebâtitunevie ensemble. L’homme que l’on aime nous connaît alors mieux, nous comprend mieux et nous faitl’amour, je l’espère, comme un dieu. Je laisse Béa voguer sur son nuage, quoique nous sommeslittéralementdansunnuage…Lesignalnousindiquantquel’avioneffectuemaintenantsonapprochefinaleversnotredestinationse
faitentendre.Renérappelleauxpassagerslesdernièresconsignesdesécurité.Jeparcoursensuitel’alléepourvérifierlacabine.Lesbagagessont-ilsbienrangéssouslessièges?Lesceinturessont-ellesbienattachées ? Les tablettes et les dossiers sont-ils bien relevés ? Au passage, je rencontre Rupert, quis’assoitsursonstrapontin.Jel’informequej’aivérifiésasection.Enavançantpourregagnermonsiège,jem’assuredevérifierlesdernièresrangées.Ma ceinture bouclée, je contemple depuis mon hublot l’océan bleu qui s’étend en contrebas. Le
turquoise s’étire à perte de vue sans laisser apparaître une seule inégalité, indice d’un vent quasiinexistant.J’entendslatrappedutraind’atterrissages’ouvrirpourlaissersortirlesroues.«Bientôt,nousallonsatterrir»,pensé-je,etjeneremarquepasquelepanneau«SORTIEDESECOURS»au-dessusdema porte n’est toujours pas allumé, ce qui indique dans ce type d’appareil que les roues sonteffectivementsorties.Subitement, les moteurs bourdonnent plus fort, une poussée se fait sentir et nous regagnons de
l’altitude.Lasonneriespécifiqueaupostedepilotagesefaitentendre,etRenédécrochel’interphone.— Oui, c’est René. (Pause) Oui, je comprends. (Il me lance un regard furtif.) OK. (Pause) Bien
compris.(Pause)Tulefaisouc’estmoi?(Pause)Parfait.J’avertistoutlemonde.
Ilraccroche.—Quoiencore?!lancé-jedel’autreboutdelagalley.—Répondsàtoninterphone,jevaisfaireun«appelconférence».Sontonn’estpasrassurant.Jedécrochelecombinédèsquejeperçoislasonnerie.—C’estScarlettàlaporteavantdroite.—C’estBéaenarrière.—Ariane,àlaportecentralegauche.—Rupertàlaportecentraledroite.Lesautresmembresd’équipages’annoncentàleurtour.Ledirecteurdevol,maintenantcertaind’avoir
notreattention,poursuitaussitôtd’unevoixcalme.—Lecommandantvientdem’appeler.Ilditque,selonsesinstruments,letraind’atterrissageavantne
seraitpasverrouillé,doncilnesaitpass’ilestvraimentsorti…Renésetrouvedansmonchampdevision,etsanervositémesembleévidente.Ildécroiselesjambes,
replacel’interphonesursonautreoreille,enfonceseslunettessursonnezetcontinue.—Dansun instant, onvadescendrevers l’aéroportpourpasser àbasse altitudeprès de la tour de
contrôle.Ilsvontnousdiresiletrainestaumoinssorti.Ensuite,selonleverdict,onvas’ajuster.Tantqu’onn’apasplusdedétailssurl’étatdesroues,onresteassissurnosstrapontins.Lecommandantvafaireuneannonceauxpassagerspour les informerde lasituation. Iln’yaaucuneraisondes’inquiéterpour lemoment, nous annonce-t-il d’un ton placide, alors que, selonmoi, cette affirmation est plutôtalarmante.Aprèsavoirraccroché, je jetteunbrefcoupd’œilàmondirecteur.J’airemarquéqu’ilzozotaitplus
qued’habitude.«Sousl’effetdustress,lenaturelrevientviteaugalop»,medis-je.Pendantquel’appareilrecommenceàdescendre,lavoixducommandantsefaitentendreàtraversla
cabine.—Mesdamesetmessieurs,icivotrecommandant.Commevousl’aurezremarqué,nousavonsreprisde
l’altitudeetvolonsmaintenantauxalentoursdel’aéroport.Nousavonsnotéunproblèmemécaniqueauniveaudutraind’atterrissage…Les passagers s’étonnent à voix basse commepour ne pas enterrer la voix aumicro. J’entends des
« hein ? »murmurés dans les rangées voisines. Jeme réjouis demon ancienneté, quim’a permis dechoisirunepositionàl’abridesregardsdespassagers.—Pourdesraisonsdesécurité,nousdevonsdescendreprèsdelatourdecontrôleafinqu’ilsvérifient
l’étatdutrain.Jevoustiendraiinformésentempsetlieu.Mercidevotrecompréhension.Commesiderienn’était,l’appareilchangededirectionetsedirigeverslatourdecontrôle.J’imagine
alorsunDominicain,desjumellesdanslesmains,tentantd’examinerdepuissonmiradorledessousdel’avion.Lesoleill’aveugle,ilchanged’anglepourmieuxvoir,ilsedit«Diosmio!Quelafenêtreestsale ! » et conclut, après plusieurs tentatives d’observations, qu’une série de roues très importantesmanquenteffectivementàl’appel.L’avionremonteenfinetjechassecetteidéedemonesprit.J’entendsune fois de plus le timbre spécifique au poste de pilotage retentir dans la cabine. René décrochel’interphone.—C’estRené ! répond-il à lahâte. (Pause)Oui, je comprends. (Soupirdedésespoir)OK. (Pause)
Trenteminutes?Compris. (Pause)Pasde relocalisationdespassagers?Parfait.Merci. Je te rappellequandlacabineestprête.
«Çasentmauvais!»pensé-je,etjedécrochepourladeuxièmefoismoninterphonepoursavoirdansquelpétrinnoussommes.—Bon, le trainest sorti,mais il y a encorecette indicationquiditqu’iln’est pas verrouillé, nous
informed’entréede jeu lechefdecabine,quidemeurecurieusement impassible.Engros, çaveutdirequ’à l’atterrissage il pourrait se replier sur lui-même, et on piquera du nez. Il va falloir préparer lacabinepouruneéventuelleévacuation.Jusqu’àmaintenant,çava?Telsdesrobots,nousapprouvonsmachinalement.Jenerevoispasmoncorpsquigîtparmilesdébris
d’avion.Mamèren’estpasnonplusentraindepleurersurmatombe.Jemesurprendsplutôtàréviserenbouclelessituationsd’urgencepourlesquellesjemesuisexercéeausimulateurcetteannée.Jesuisenmodeautomatique,prêteàagir.LavoixdeRenéestclaireetaucunsonneréussitàmedistrairedesesparoles.—Commeilsepeutquel’onpiquedunez,lecommandantvatournerautourdel’aéroportpourbrûler
leplusdecarburantpossible.Onvaatterrirdanstrenteminutes.Touslespassagersdoiventresteràleurplace.C’estluiquivalesinformerd’iciuneminutedelasituation.Maintenant,àvospositions,ordonne-t-il.Jemelibèreaussitôtdeslargescourroiesquiserrentchaquecôtédemapoitrine.Jeramasseunecarte
de sécurité etm’avance dans l’allée.Bien droite, j’appréhende les réactions des passagers lorsqu’ilsentendrontlecommandantleurannoncerlamauvaisenouvelle.J’aiunevued’ensemble sur la cabine.Rupertm’aaffichéuneminedépitée lorsqu’il s’est posté en
milieud’alléeavecsacartedesécuritéà lamain.Béa, toutaufond,avaitplutôt l’airconcentrée,sansexpression.Quantàmesautrescollègues,ilsontrapidementrejointleurpositionrespectivedansl’allée.—Mesdamesetmessieurs,icidenouveauvotrecommandant.Jeviensd’êtreaviséquelesrouesavant
sonteffectivementsorties…Les passagers s’exclament de soulagement. Je demeure demarbre, prête à observer sous peu leurs
regards de joie se transformer en regards de terreur. Les cris stridents de femmes meurtrirontcertainementmontympanalorsqu’ellesagripperontlesbrasde leursmaris.Desbébéspleurerontsousl’effetdel’agitation.Lecommandantpoursuit,etl’euphorieestanéantie.—…malheureusement,nosinstrumentsindiquenttoujoursquelesrouesnesontpasbienverrouillées.
Parprécaution,votreéquipagedoitvousprépareraucasoùnousdevrionsévacuerune foisau sol. Jevousdemandederestercalmesetd’écouterattentivementleursinstructions.Merci!Àmongrand étonnement, le silence règne.Lespassagers attendent sûrement la suite. «C’est tout ?
Justeçacommeexplications?»semblent-ilssedire.Oui,justeça.Nosdeuxpilotesontd’autreschatsàfouetterpourlemoment,etc’estmaintenantàl’équipagedeprendrelarelève.Renénetraînepasetavecunsang-froidinégalécommenceàlirelepland’actionpourunatterrissaged’urgence.Pendantcetemps,commenousl’avonssisouventrépété,nouseffectuonslesdémonstrationsdesécurité.Saufque,pourunefois,nosspectateursnousportentuneattentionsoutenue.Chaquephraseprononcéeparledirecteuresttransforméeengesteexécutéparl’équipage.Jerevérifie
quelesbagagessontbienrangés,quelesceinturessontbienattachées.Renédemandeauxpassagersderetirerlescravatesetderangertouslesobjetspointus,incluantlescrayons,quipourraientblesserautrui.Nousdémontronslapositiond’urgence.Jem’accroupisdansl’alléepourentourermesjambesdemes
bras et baisser la tête. Je leur enseigne aussi une seconde façon pour se protéger en cas d’impact. Jebloquematêteentremesbrastendus,quisontcroisésl’unsurl’autre.Jem’assurequetouslespassagersl’appliquentàlaperfectionendéposantlesbrascontrel’appui-têtedusiègedevanteux.Tousl’exécutentsansbroncher.
Jemontreensuiteoùsontsituéeslessortiesd’urgenceenprenantsoind’indiquercellesquisetrouventdevant lespassagersetnonderrière,car jesaisqu’enétatdepaniqueunpassagersedirigera toujoursinstinctivement vers ce qui se trouve devant lui. Finalement, j’écoute les dernières explications dudirecteurdevolauxpassagers.Il leurprécisedesauterdanslaglissièrelesbrascroisésetdenerienapporter. Cette dernière précision me laisse perplexe, car je suis consciente que plusieurs passagersn’hésiterontpasàprendreleursbagagesmêmesicesobjetssansvierisquentdeleurcoûterlavie.Letempss’écoulerapidement,etaprèsavoirrevérifiéchaquerangée,jecoursàl’arrièreavantqu’il
nesoittroptard.—Béa!m’écrié-je,perdantsoudainementmonsang-froidenlavoyant.Ellecessederetirerlesrideaux,quidoiventêtreenlevéspournepasbloquerlessorties,etmeprend
danssesbras.—J’ailegoûtdepleurer,m’avoue-t-elle,tremblotante.Jen’osepasluiconfierquejeressenslamêmeenvieetj’essaieplutôtdelarassurer.—Çavabiensepasser.Letrainvaresterenplace.—Tucrois?—Oui,j’ensuiscertaine.LecommandantarappeléRenéetilluiaditqueletrainserétractedansle
sens inverseque celui oùon atterrit.Donc, en touchant le sol, les rouesdevraient se bloquer d’elles-mêmes,inventé-jeenpensantàdesinformationsquej’ailuesquelquepartsurInternet.—Ah…OK!—Jedoisretourneràmaporte,maisavant,jevoulaistedirequejet’aime…—Moiaussi,Scarlett!C’estfait,jen’aipaspum’empêcherdetomberdanslesentimental.Etsiçatournaitmal?Ilfautêtre
réaliste:unoiseaud’aciernesurvolepasdeprèslesolpoursepercheravecgrâcesurlapiste.Non!Unavionquis’écrase,ILS’ÉCRASE!Ilseposeavecduretéenproduisantun«BOUM»fracassant!Sileschosestournentmaletquecegrosnezglissesurlesol,jepeuxm’attendreàouvrirmaporteA)danslechampdebléd’unlatinoenpaniqueouB)peut-êtreenboutdepiste,làoùj’aivucetteeauturquoisetoutàl’heure.Voilàquejem’affoleencore.Jenedoispaslaissermonimaginations’emballer.En remontant l’allée, je chercheRupert-porte-malheur pour lui déclarermon amour sincère,mais il
n’estpassursonstrapontin.J’arriveà l’avantet ilest là,enpanique, tenant lamaindesonamoureux,René.—Commentveux-tuquejeneperdepasmonsang-froiddevanttouscespassagersquimescrutentàla
loupe,lapeurdanslesyeux!—Je sais,Rupert,mais il va falloirque tu te calmes.C’est toiquidoisouvrir cette porte, si nous
devonsévacuer.—Jesais,jesais!Donne-moideuxminutes…Ilprenduneprofonderespiration.Enlevantlesyeux,ilm’aperçoitdanslecoindelagalley,prèsde
maporte.—Scarlett!Jem’approcheaussitôtdelui.Jeluiflatteledoset,enfaisantunclind’œildiscretàRené,jemensà
nouveaupourlerassurer.—Toutvabienaller,Rupert.Lecommandantarappelétoutàl’heureetaditqueletrainserétracte
dans lesens inversedeceluioùonatterrit.En touchant le sol, les rouesdevraient sebloquerd’elles-
mêmes.—Ahoui?—Oui ! Les chances que tu doives ouvrir ta porte sontminces. Calme-toi,maintenant, et retourne
t’asseoiràtonstrapontin.Monmensongefonctionneetmoncolocatairereprendsesesprits.IldonneunbaiserdiscretàRené,se
retourne,m’embrasse sur la joue, s’encourage lui-mêmeenproclamant : IamSuperman ! Il se dirigeensuiteverssaporte.Renéetmoiéchangeonsundernierregard,puisjeregagnemonsiège,jem’attacheetjeprévoismentalementlesprochainesétapes.1)Avant l’impact, lavoixducommandant se fera entendreaumicro :BRACE!BRACE !BRACE !
ordonnera-t-il.2)Jememettraiàcrier:«PRENEZLAPOSITIOND’URGENCE!PENCHEZ-VOUS!»3) J’entendrai des passagers hurler aumeurtre à travers la cabine. 4) Je répéterai, le cœur battant :« PENCHEZ-VOUS ! » 5) Les passagers crieront encore plus fort. Et peut-être Rupert aussi… 6)L’appareilvoleratoutprèsdusol,etlecommandantredresseraaumaximumlenezdel’avionpourqu’iltoucheentoutdernierlieulapiste.7)Unevoixrobotiséesemettraàparlerdanslecockpit.Jel’entendraiensourdineàtraverslaporteblindée:ONEHUNDREDFEET!FIFTY!THIRTY!TEN!annoncera-t-elleauxpilotes.8)Jeferaipipidansmaculotte!9)LesrouesarrièretoucherontlesoletBOUM!Uneétape de faite ! 10) Le nez sera encore bien soulevé. Je me questionnerai. Les roues vont-elles sereplier?Lenezva-t-il toucher le sol, glisser sur lapiste en faisant jaillir desmilliers d’étincelles ets’enflammeravecmoijusteau-dessus?11)BOUM!Çayest!Jevaism’évanouir!
–H
Chapitre15
PuntaCana(PUJ)
a!Ha!Ha!Sit’avaisvulatêtequetum’asfaiteavantd’atterrir!
—Tublagues,j’espère,Rupert?—Pasdutout!Tonteintétaitgrisâtre,commeceluid’unhommeenpleinecrisecardiaque.—Jenepeuxpascroirequetumedisesça!Toi,tuétaisauborddeslarmesentenantlamaindeRené
ettunevoulaisplusretourneràtonstrapontin!Tul’asdéjàoubliée,celle-là?—Euh…Oubliemoncommentaire,jeblaguais…C’est fou comme une situation d’urgence peut vous décharger instantanément une dose extrême
d’adrénalinepourvousplonger soudainementdansunétatde transe.Nous sommesmaintenant sainsetsaufs,maisnouséprouvonstousànotrefaçondespertesdemémoireencequiconcernel’événementquenousvenonsdevivre,ilyadecelaàpeinedeuxheures.Lessouvenirsreferontsurfacesansaucundoute,saufque,pourlemoment,noussommesencoredroguésparlesémotions.Commehypnotisée,j’aiexécutémachinalementcepourquoij’aiétéengagée.Toutcequimerevient,
c’est ce «BOUM» qu’a produit le train avant en touchant le sol.Un «BOUM» pas trop fort, justehabituel.J’aisuimmédiatementquenousallionsrestersagementassisànossiègesetquejen’auraispasàouvrircettedamnéeporte.J’ainéanmoinscontinuéàcriermesordresetcommandementsauxpassagers,conscienteque,tantquel’appareilroulaitsurlapiste,toutétaitpossible.Pourtant, le faible impact des roues contre le solm’a tiré un soupir de soulagement. J’ai su que la
glissièren’allaitpassedéployersousmesyeux,quejenelaverraispassegonflerencinqsecondesetqu’aucunpassagern’auraitàysauter.Pendantquedeshurlementsstridentsfaisaientpresqueéclaterlesvitresdeshublots,jesuisrestéesur
lequi-viveetj’aiattenduimpatiemmentlesignalducommandant.Etpuiscettevoixrassuranteaannulél’évacuation,ettouslespassagerssontdescenduscommed’habitudeparlesescaliers.Cettefois-ci,parcontre,ilsontétéaccueillisparunescadrondepompiersàborddeleurscamions.Unaccueilcommeilsn’enavaientjamaiseu.C’estd’ailleursparcesmêmesescaliersque tout l’équipageestdescendusur le tarmacaprès avoir
appris que l’avion était cloué au sol jusqu’au lendemainmatin, car la pièce nécessaire pour réparerl’indicateurdesrouesn’arriveraitquedemain.—Bonnefête,Scarlett!s’estalorsécriéeBéa,exaltéedepouvoirpasserlanuitàPuntaCana.—Yeah!mesuis-jeégalementexclaméeenentendantlanouvelle.—Euh…Ilyaquelqu’unquiaapportésonkitdesurvie?Parcequemoipas…ademandéRupertà
l’équipageenentier,commandantetpremierofficierinclus.
Toussesontregardésavecuneexpressiondedoutepeintesur leurvisage.C’estalorsque j’ai revumonsacrougeentissucontenantunepairedesandales,unmaillotdebain,unerobedeplage,unepetiteculotteainsiqu’unpyjama,poséparterredanslecoindemachambre.Jen’oubliejamaisd’apportermonkitdesurvie,maisilfallaitquejelefasselejouroùj’enauraiseubesoin!J’aijetéuncoupd’œilàmescollègues,etmesinquiétudessesontdissipées.Aumoins,nousétionstousdanslemêmebateau!
***
—Let’sgo,gang!lanceRenéàl’équipageenbrandissantsacartedecréditaunomdelacompagniepournousinciterànousdécider.—Donne-moideuxminutes,jeveuxaumoinsmetrouverdessous-vêtementsderechange,ditAriane,
unehôtessedontlamanucuresuggèreuncertainraffinement.—Retournetespetitesculottes,voyons!luiconseilleRupertavantd’êtrefusilléduregard.—Benquoi?Unenuit,tun’enmourraspas!sejustifie-t-il.Elleignoresaremarqueetcontinuesaquêteactive.Jedoutequ’elletrouvecequ’ellecherche,carce
n’est pas dans la boutique d’un resort de la République dominicaine que sont vendus les plus beauxvêtements.Surlestablettes,deuxchoixdebermudas:ceuxdontl’impriméestcouvertdejolisdauphinsouceux
quisontconstellésdenoixdecoco.Aumoins,l’assortimentdes t-shirtsestpluscomplet.Lesmodèlessontrépartispargenreetdivisésensections:hommeetfemme,ensuiteadulte,enfantetbébé.Côtélook,c’est tout à fait unique et très recherché commedesign…En gros, on peut lire pratiquement lamêmechosesurchaquet-shirt,saufquelestylevarielégèrementdel’unàl’autre.J’ai bien hésité entre le « PUNTA CANA ROCKS » et le « PUNTA CANA – DOMINICAN
REPUBLIC»,maisj’aifinalementoptépourceluiquitémoignaitd’unpeuplusd’«attitude».Mont-shirtblancavecl’inscription«BEACHBUMPUNTACANA»afaitfureur,ettouslesmembresd’équipageontprislemême.Unevraieéquipe,iln’yapasàdire!—Tunevaspasmettreçapourvrai?m’étonné-jeenvoyantlebikinijaunefluorescentqueBéatient
danssesmains.—Oh oui,ma chère !C’est le seul quime fait ! Pas question que je reste assise surma chaise à
contemplercettemerbleuequim’appelledepuisqu’onestarrivées.Allez,choisis-enun!—Quand tu n’as pas le choix, tu n’as pas le choix ! dis-je en attrapant un bikini à paillettes rose
bonbonsurl’étagère.
***
—Heille!Vousneseriezpasleshôtessessurmonvoldecematinparhasard?L’hommebedonnantbarbotteàdeuxmètresdeBéaetmoi.Sonvisagenemeditrien,maisjelecrois
surparole.Aprèsunvolaussimouvementé,inévitablement,ilreconnaîtnosvisages.Parcontre,jedoisavouer que je déteste lorsquemes passagersme reconnaissent, surtout lorsque je nage en pleinemer,vêtueduplusaffreuxbikiniquej’aieuàporterdemavie.Encrawlantplusloin,jeluiconfirmequ’ilasûrementraison.Ilrenchérit.—Onavuaujourd’huique,danslefond,vousnefaitespasjusteservirduPepsi!Hein?Ilrit.Aumoins,ilnenousenveutpaspourleretardd’hiernideluiavoirfichulatrouilleenpleinvol.
Il est de toute évidence heureux d’être arrivé dans son tout inclus. Béa paraît choquée par son
commentaireetme regarde, ébahie.« Ilnousdemandevraimentça? semble-t-elle dire.C’est évidentqu’onnefaitpasjusteça!»Jedoutequ’elleseretiennepourl’inviteràs’expliquer.Commejelecraignais,ellecrawlemaintenant
dans sa direction, pose les pieds sur le sable blanc et, en se laissant ballotter par la houle, elle luidemande:— Est-ce que vous voulez dire que vous pensiez qu’un agent de bord n’est là que pour servir du
Pepsi?—Benoui,avoue-t-ilsansgêne.—OK…Béaavalesasalive.Jecroisqu’elleavécusapartd’émotionspouraujourd’huietqu’ellen’aplusles
idéesclaires.«Allons-nous-en»,luiordonné-jementalementenluitirantleboutdudoigtpourqu’ellemesuive.Apparemment,ellen’estpasdécidéeàpartir,prêteàdéchargerlestressqu’ellevientdevivresurunpauvrepassagerignorant.—Eh bien, on emmène aussi des passagers comme vous en vacances, déclare-t-elle en retenant la
colèrequimenacedes’échapper.—Hum,cesontlespilotesquinousemmènentdansleSud,pasvous!MonsieurBedonnantn’adécidémentpasfroidauxyeux.Soncommentairevientderéveillerunvolcan,
etl’eaucommenceàbouillirautourdeBéa.Desbullesremontentjusqu’àlasurface.Mameilleureamiemeurtd’enviedeluidiresafaçondepenser,maisjeluidonneunlégercoupdepiedsousl’eaupourl’enempêcher.Àlarescousse,jetented’éduquercethommequisautilledevantnousetqui,entrechaquebond,nous
offreunevueimprenablesursonénormepanse.—Voussavezque,sansagentdebord,aucunavionnepeutdécolleravecdespassagers?précisé-je.—Çaveutdire«bye,bye»lesvacances!ajouteBéa,moqueuse.—Benvoyons!MonchumGuyaunCessna,etj’embarqueavecluidesfois.Iln’apasd’hôtesseà
bord,rétorque-t-il,avantd’ajoutersansretenue:quoique,unefois,ilyaunefillequ’onafaitvenirpours’occuperdenouspendantletrajet…Silence. Seules des éclaboussures projetées sur la surface de l’eau se font entendre. Monsieur
Bedonnantsautilletoujoursautant,maissemblemaintenantperdudanssespensées,quelquepartàbordd’unCessnalibertin.JefaissigneàBéadenagerverslaplage.Cen’estpaslegenredeconversationquejem’attendaisàengageravecl’undemespassagers.Nousvoyantnouséloigner,ilrevientàlaréalité.—Bye,bye,leshôtesses!Àlasemaineprochaine!J’aihâtequevousmeserviezmonPepsi!lance-t-
il,labedainedanslevent.Béa,surleborddel’éruptiondepuisunmomentdéjà,s’arrêtenet.J’ail’impressionqu’ellevabondir
commeunpoissonvolantetatteindreenpleinefigurecethommedégoûtant.Ellesemetplutôtàtousser.Elle a peut-être avalé de l’eau salée en nageant rapidement pour rejoindre la plage. Elle tousse fort,commesielledevaitexpulserungrosmorceaud’unesubstanceinconnuecoincédanssonœsophage.—Béa,çava?Monsieur Bedonnant, soudainement attentif à la scène, ouvre grands les yeux. Il s’avance
tranquillement,inquiet.—Çava?s’écrie-t-il,légèrementpaniqué.Etpuis,àmongrandsoulagement,Béaparvientenfinàexpulsercequiafailli l’étouffer.Elleprend
unegrandeetprofonderespirationettousseundernierboncoup.
—Kof!Imbécile!Kof!Ellesourit,visiblementcontented’avoirchassécemotqu’ellemouraitd’envied’expulser.Satisfaite,
elle s’adresse gentiment et avec un professionnalisme exagéré àMonsieur Bedonnant, qui sans aucundouten’arienentendu.—Maintenant,çava,lerassure-t-elleavantquenousregagnionsnoschaisesàl’ombre.
***
—¡Señor!UngintonicconBombayGinporfavor,lancé-jeauserveurderrièrelebar.—Tufaistadifficile…—Situveuxquejedansetoutelasoirée,Béa,c’estleBombayGinquim’aidera.Sinon,c’estlemal
detêteassurésijeboisleurginmaison.—¡Dos!crie-t-ellealors,convaincue.Ça fait une éternité que je n’ai pas passé une nuit à Punta Cana. J’ai toujours aimé danser, mais
curieusement,jenelefaisquedansleSud.Enattendantmonverre,j’observelapistededanse.Pasdedoute,cettesoiréeseramémorable.RupertsedéhanchelangoureusementavecRené.Ilsecollederrièreluietposelesmainssurleshanchesdesoncopain.Cecoupledetourtereauxs’agenceàmerveille.L’unportelesbermudasparsemésdedauphins,etl’autre,ceuxauxnoixdecoco.Rupertachoisiunt-shirtdetaillesmallpourmoulersesformesetRenél’aimité.Etquedisentlest-shirts?BEACHBUMPUNTACANA!D’ailleurs,mes autres collègues portent également fièrement leur «BeachBum» en dansant sur la
piste. Les pilotes ont choisi les bermudas aux noix de coco. Un plaisir pour les yeux ! Quant àmescollèguesfémininesetmoi,nousavonschoisiunparéoagencéaveclehautdenosmaillots.Aprèstroisgintonic,j’assumetotalementmonchoix.Déjàuneheurequenoussommesarrivésetnousn’avonspascessédedanser.L’ambianceestfestive,
car un autre équipage de Toronto s’est joint à nous. C’est comme s’il n’y avait que le personnel deVéoAirdanscettediscothèque.Enfait,j’ail’impressionquec’estexactementlecas.J’aibesoind’unepause,alorsjem’approchedubarpourcommanderunebouteilled’eau.Jem’assois
surletabouretprèsducomptoir.Àmagauchesetrouventdeuxpilotes:Henry,lecommandantsurmonvold’aujourd’hui,etunautrequim’estinconnu.—L’histoireseterminebien,finalement,hein?dis-jeàHenry.—Ouais,paspire!Jepensaisbienqu’avecunproblèmedugenreonallaitrestericipourlanuit.—Moi,jepensaisplutôtylaissermapeau!avoué-jeenriant.—Çanem’amêmepastraversél’esprit.—Vraiment?—Paseuletemps.Tropdechosesàgéreret,surtout,letrainétaitsorti.Plusrassurant,jesuppose.—Ouais,sousl’effetdel’adrénaline,tunepensesàriend’autrequ’àfairecequ’ilyaàfaire,ajoute
l’autrepilote.—Désolée,fais-je,jenemesuispasprésentée.Jem’appelleScarlett.—Olivier!—Tuesarrivéaujourd’huitoiaussi?—Oui,versmidi.—C’estqui,tonéquipage?
—Jenelesconnaispaspersonnellement,maissitulescherches,ilssontlààsautercommedesfoussurledancefloor!précise-t-ilens’esclaffantetenlesmontrantdudoigt.Jerisaveclui,consciented’avoirprobablementeul’airaussifollequ’eux,ilyadeceladeuxminutes.
Jecommandeunautregintonic.—Tiens,aumoins,jeleconnais,lui!lanceOlivierenfixantl’entréedeladiscothèque.—Unechancequetuleconnais!s’exclameHenry.C’esttoncommandant!Les deux gars se mettent à rigoler ensemble. Je ramasse mon drink sur le comptoir et fais un
180degrésdepuismontabouretpourvoirdequiilsparlent.Etpuis,jefige.Moncœurarrêtedebattreunmillième de seconde pour pousser ensuite à grands coups demasse contrema poitrine. J’ai chaud. Ilremarquemasurpriseetjeremarqueaussilasienne.Ilnes’attendaitpasàmevoirici.Enfait,jenesuispas censée y être.Me voyant incapable de dire quoi que ce soit, arrivé à côté de moi, il prend lesdevants.—Salut,Scarlett,soupire-t-il,visiblementheureuxdemevoir.—Salut,John…Riend’autrenesort.Jenesaisplusquoipenser.—Beaut-shirt…metaquine-t-ilpourm’arracherunsourire.—Ouf!Tuneveuxpasconnaîtrel’histoire.—T’inquiètepas,jelaconnaisdéjà.Commentvas-tu?Tun’aspaseutroppeur,j’espère?—Justeunpeu…Jedétournelatête.Jesuisdéjàsousl’emprisedesoncharme,maisjetentedenepasleluimontrer.
Mevoyantdistante,ils’excuseauprèsdesescollèguespourm’attirerenretrait.Mamaindemeuredanslasiennejusqu’àlasortiedubar.—Allonsnouspromener,j’aibesoindeteparler.À mon grand désespoir, je meurs d’envie de le suivre. J’approuve d’un mouvement de la tête, et
rapidement, il me guide vers la plage. Nous prenons place sur deux chaises oubliées pour la nuit.J’entendslesvaguesdéferlersurlarive.Unedoucebrisemefaitfrissonner.—Tuveuxmachemise?m’offre-t-ilgentiment.—Merci,çava,dis-jeenfixantlesétoilesauciel.—Jesaisquetum’enveuxdenepasavoiragiplusvite,maisj’avaisdeschosesàrégler.Ilposesamainsurmacuisse.Jelarepousseaussitôt.—Non,John!Jet’enveuxd’avoiragiuniquementparcequej’aidécidédem’enaller!Tunel’aurais
jamaisfaitsinon…C’estcequim’attriste.—Jen’étaispasprêt.Maintenant,jelesuis.—Ettuaspenséàmoi?Àcequejeressentais?Tuessicertainquej’aiencoreenviedecontinuer?
J’ailedroitdedécider,moiaussi!—Tuasledroitdefairecequetuveux,Scarlett.JenesuisplusavecDebbie,etçaresteracommeça,
quetureviennesàmoioupas.—Vraiment?—Oui,vraiment.Jen’étaispasheureuxavecelle.Lebonheurestailleurs.Jelesaismaintenant.—Tantmieux.
Jedétourneleregard,encoreplusconfusequ’avant.Desbranchesdepalmiervirevoltentdanslevent,leurssilhouettesilluminéesparuncroissantdelune.Johnselèveets’approprieuncoindemachaise.Ilposeànouveauunemainsurmacuisse.Jenelachassepas.—Scarlett,situmelaissest’aimer,tuferasdemoileplusheureuxdeshommes.—Même sans ta femme dans le décor, John, je n’arrive pas à voir comment nous pourrions être
ensemble.—Pourquoi?—Unjour,tum’asditquetesenfantsétaienttaprioritéetquejepasseraistoujoursendeuxième.Tu
croisquec’estalléchant,ça,passerendeuxième,aulieudebâtirunefamilleensemble?—J’aifaituneerreurentedisantçaetjem’enexcuse.Jemesentaiscoupablevis-à-visdesenfants.Je
n’auraispasdûlaissernotrerelations’envenimer.—Hum…—Onpeutsevoirpourlemomentlorsquejen’aipasmesgarçons.Unjour,tupourraslesrencontreret
nousseronsréunispourdebon.Jevaisvivreauchaletpourunbout,tupourrasvenirdèsquetuserasencongé.—Hum…Jeprendsuntasdesableetlaisselesgrainsglisserentremesdoigts.Monsilenceluifaitpeur.Ilme
sortlegrandjeu.—Tevoiraujourd’huimeprouvequelessentimentsquej’éprouveenverstoisontencoreplus forts
quejenel’avaisimaginé.Laisse-nousaumoinsunechancepourvoir jusqu’oùl’amourquel’onal’unpourl’autrevanousmener.Jenevaispastelaisserpartirainsi.Jet’aimetropetjesaisquetoiaussi.Sondiscoursestbalayéaussitôtparlabrisemarinequisalepeuàpeumapeau.Jeleveuxencoredans
mavie,etillitmaréponsedansmesyeux.Ils’approchealorspourm’embrasser.Jeflairesonodeuretjeressensundésirfoudetoucherseslèvres.Ausondesvagues,jem’abandonneàlui.Cachédansuncoinsombre,sousunpalmier,ilmefaitl’amour.Uneécorcerugueusem’écorcheledosàchaquemouvement.Maisjeneressensaucunedouleur,leplaisiresttropgrand.
–C
Chapitre16
Montréal(YUL)–PanamaCity(PTY)
omment tu as pu avoir ça sur ton horaire ? Tu as fait un échange de vols ? me demandemacollègueenentrantdansl’avion.
Diane, l’hôtesse insomniaque, bascule la tête en attente d’une réponse. Ses cheveux ébourifféssemblentavoirsouffertlemartyre,etjemedoutequ’elleaencorecourupourserendreàl’aéroport.—Non, imagine-toi donc que j’ai eu ça sans rien demander. Je suis la language qualified sur le
Malaga-Montréal,réponds-je.—Hein?Tuparlesespagnol?—Oui.—Vraiment?—Bienoui…—Tuasdesparentslatinos?Tun’aspasunetêtedelatino,ilmesemble.—Voyons,Diane,unelangue,ças’apprend!Ellen’apasl’airdemecroire.J’essaiedechangerdesujet.—Enpassant,toiaussituesassezjunior…—Ouais ! J’ai fait un échange avec une vieille sacoche. Elle voulait rester à la maison. Je suis
tellementcontente!Ilfallaitabsolumentquej’aillechezPrimarkfairedesemplettes.—Cool!Commeça,jeneseraipaslaseulejunioravecunegangdesacoches.Jen’enrevienspasmoi-mêmed’avoirobtenuce long-courrier.Car,bienque jesoisagentedebord
depuisbientôtsixans,jesuisencoreaubiberondansl’aviation.Étantdonnémonancienneté,ilm’arrivedoncrarement,voirejamaisdepasserdutempsdansleSud,misàpartcettemésaventureàPuntaCana,ilyadeuxmois.Aussi, jevolerarementversl’Europeenhiver,maisquelquefoisdejoliessurprisesmesontoffertes,commeencemoisd’avril,oùunhuit joursa fait surface.Auprogramme :PanamaCity,Calgary,LondresetMalaga.Tousdesvolsdirects.Pendantqueladirectricenoustransmetlesinformationsduvol,j’observemescollèguesunàun.En
général, je me fais rapidement une idée de l’ambiance qui régnera entre nous, mais curieusement,aujourd’hui, rien.Aucune idée. J’aidéjàvoléaumoinsune fois avecchacund’entreeux,mais jen’aijamaiseulachancedetisserdesliens.Heureusement,j’aidéjàdemandéàRupertdemefairelepointsurlespotinsconcernantmescollègues.Ilssonttoustrèsdifférents,selonlui,maiségalementsympathiques.C’estrassurant.J’aitoutdemêmeenvied’avoirl’avisdeJohn.Ilestassezsénior.Illesconnaîtpeut-êtreetmefourniraplusd’informations.Discrètement,jesorsmoniPhoneetm’empressedeluiécrireavantd’effectuermesvérificationsprévol.
« Dans l’avion. Mis à part Diane l’insomniaque, équipage inconnu. Qu’est-ce que tu en penses ?DeniseThivierge.MarioPoulin.AlainLessard.RobertDutil.Harriettecommedirectrice…»Comme avant chaque embarquement, je vérifiema section et, en premier lieu,mon strapontin.Des
scénarios catastrophes envahissent soudainement mon esprit. Peut-être les séquelles de ma dernièreurgence?Aujourd’hui, tandisque jem’assurequemaceinturede sécurité s’attachebien,une idéemepasseparlatête.«Jemedemandesijeresteraisaccrochéeàmonstrapontinsimaportes’arrachaitenpleinvol…Pasde chanceque ce siège tienne ! »Une idée absurde, car en vol,maporte n’a aucunechancedes’ouvrirmêmesijesoulèvemoi-mêmelapoignée.Àmoinsqu’uneexplosioncréeuntroudanslefuselage?Jechassecetteidéeenentendantlasonneriedemontéléphoneretentir.«Ouf,bonnechance!»merépondmonbeaucommandant.Assezminimalistecommeréponse.«Fidèleàlui-même»,pensé-jeavantdelepousseràs’expliquer
parun«?».Jegrogneintérieurement,carj’auraisaiméqu’ilmefournissedesexplicationssansquej’aieàleslui
demanderexplicitement.«Monpremiermessagel’invitaitpourtantclairementàdonnersonopinion»,medis-je.Despointsdesuspensions’affichentdanslafenêtredetexte.Ilm’écrit.«Dianevaencoreêtreenretard.AlainetRobert,connaispas.Denise,jolisourire.Mario,unbongars.
Harriette,tuestranquille,tuesunefille.»À nouveau, il pique ma curiosité. Tout ce que Rupert m’a dit au sujet d’Harriette, c’est qu’elle
rencontredeshommesàchaqueescale.Johnsembleensavoirdavantage.Je l’inciteunefoisdeplusàdonnerdesdétails,etpendantcetemps,jecoursdansl’alléepourvérifiersichaquesiègedepassagerestmunid’ungiletdesauvetage.Deretouràmonsacàmain,j’aiunnouveaumessage.«Envahissante!Toujoursentrainderentrerdanslepostepourvenirsefrottersurnous.Contentdene
paspiloteraujourd’hui☺.Bonvol,mabelle!»«Mercipourlesinfos…Amuse-toiaveclesenfantscettesemaine!xxx»Je fermemon téléphone,conscientequ’ilest tempsde travailler etque Johnne répondrapasàmon
dernierenvoi.Jesuisdéçuedenotreinteraction.Jesuiscellequicourtdepuistoutàl’heured’unerangéeàl’autre,maisj’ail’impressionquec’estplutôtJohnquiestoccupé,alorsquejesaisquecen’estpaslecas.Ilestactuellementseulauchaletetsesdeuxgarçonslerejoindrontcesoirpourlesouper.Envoyantles passagersmonter à bord, je tente deme ressaisir. Passer une semaine avec des collègues que jeconnaispeunepeuts’avérerquemémorable.
***
—¿Quélegustaríabeberparaempezar?nousdemandeleserveurpanamien.—¡Cerveza!ditMario,leseulhommehétéroparmil’équipage.—Ahnon,moi,jeveuxduvinblanc,ajouteAlaind’unevoixféminine.Scarlett,tupeuxluidirequeje
veuxdublanc?—Oui,oui.Moiaussi,jevaisenprendreavectoi.Quelqu’und’autreenveut?LachaleurduSudn’étantpasidéalepourunrouge,tousapprouventleblanc,etjepasselacommande
auserveur.—Sonvin,Scarlett…ilestfroid?medemandeensuiteAlain.—Sûrement.Duvinblanc,c’estservifroid…—Demande-lui!Justepourêtresûre.
Alain semble inquiet.On jurerait qu’il a dix ansd’âgementalmalgré ses cheveux poivre et sel. Jem’empressederépondreàsarequêtepourlecalmer.—Unapregunta…¿Suvinoblancoestáfrío?—¡Porsupuesto!meconfirmeleserveuravecunsourire.—Ilditqueoui.— Il est froid un peu ou bien froid, froid ? Parce que moi, je le veux presque glacé, sinon c’est
dégueulasse!—Hum…tuveuxvraimentquejeluidemandeça?—Oui,s’ilteplaît!insiste-t-il.Moncheranxieuxagitelatêtedehautenbastoutenregardantàtourderôlemescollèguesassisautour
delatable.Ilessaiedenousvendresonopinion.Qu’ilsoitfroid,moyennementfroidoubienfroid,àmonavis,auPanama,unefois le liquideversédans leverre, lesdegrésde sa température remontentassezvite.Alainal’airdugenred’hommeexcessivementsoucieuxdesdétails.Jel’airemarquédansl’avion.Sursonchariot,iladéposélesbâtonnetsdansunverreetaprissoindepiquerminutieusementquelquescitrons.Puis ilaouvert lesserviettesenaccordéonafinqu’ellessedistribuentconvenablement.Jemecontentealorsdeluisourireetexécutesademande.—Disculpeseñor.Ultimapregunta.¿Suvinoestábienfrío?—Puessi,frío,señora…—Síentiendo,¿perobienfrío,no?—Estáfrío…répète-t-ilencomprenantmallesujetdemoninterrogation.Maintenant,c’estmoiquiail’aird’unecapricieuse.JeregardeAlain,quiscruteleserveurintensément
enquêted’unindicequidévoileraitunmensongedesapart.Mapatienceaseslimites.—Por favor, traenos un recipiente con hielo para el vino.Gracias, conclus-je en accordant une
pauseauserveur.—Bon,Alain,ilvat’apporterunpichetdeglace.Tuveuxunthermomètreavecça?dis-jeenfaisant
riretoutlemonde.
***
Quelques verres de blanc plus tard, le serveur réapparaît. Vêtu d’une chemise blanche, un nœudpapillon noir attaché au cou, il dépose discrètement les plats principaux sur la table. Je le remarquebrièvementenoubliantdeleremercier,tropabsorbéeparleshistoiresd’Harriette,ladirectricedevol.—Demain,àCalgary,j’aiunrendez-vous!lance-t-elle.Assiseauboutdelatable,ellenousdévoilesavieintimesansquenousenayonsfaitlademande.Tous
l’écoutentattentivementpournepasl’offusquer,maisaussienyportantunréelintérêt.Cedoitêtrenotrecôté«potineux»d’agentsdebord…Iln’yaqu’Alainquirouledesyeuxauxdeuxminutes;ilasûrementdéjàentenducesmêmeshistoiresdesmilliersdefois.—C’estavecqui,cerendez-vous?demandeDenise.—Aucuneidée.Jesaisseulementqu’ils’appelleDevonKlane.—OK…Etvousallezmangeroùpourvotrepremièredate?—Nullepart.Ilmerejointdansmachambred’hôtel,etmoi,jevaisallersouperseuleaprès,précise-
t-elle.—Attendsuneminute!intervientDianeàbrûle-pourpoint.Tul’invitesdanstachambrepour…
—DUSEXE,DIANE!s’exclameMario,quis’estdéjàfaitunetrèsbonneidéedelascène.—Hein?Maistunesaismêmepasquiilest!Tuasaumoinsvuunephoto?ToutcommeDiane,jesuissouslechoc,maisjemecontented’écouterensilence.Lesautresmembres
del’équipageparticipentactivementàladiscussion,etj’ail’impressionquecen’estpasleurpremièrefois avecHarriette. Les confidences se poursuivent et, pendant quema directrice des prochains joursnousparledesaviesexuelle,jel’analyse.Jemedemandequelgenred’hommesellepeutbiendénicher,carpourêtrehonnête,ellenepossède
pasdesattributsdignesdunombred’or.Sonnezest longet retroussé,et ses sourcils, inexistants, sontdessinés par un fin trait de crayon noir. Elle doit être dans la cinquantaine, et ses cheveux sont d’unartificiel noir d’ébène. Sa silhouette est trapue et ronde. Elle doit habiller une tailleHULK, et jemedemandedequoielleavaitl’airlorsqu’elleaétéembauchéecommeagentedebord.Impossiblequ’elleaitétéaussi«pulpeuse»:ellepeutàpeinecirculerdansl’allée.Enfait,j’airemarquéaucoursduvolqu’elle s’y aventure uniquement de côté, son plantureux diamètre dépassant la limite permise pour yévoluerdeface.Lesminutespassent,etj’ensuisencoreàl’observerdanslesmoindresdétails,muniedemesjumelles
invisibles.Aprèsanalyse,j’arriveàvoircequidoitséduireleshommes.Elleestarméed’uncharmefou.Sonregardestpénétrantetsesyeuxnoisettesontfascinants.Chaquegesteestfaitavecdouceuretexécutésensuellement.Enportantdoucementsonverredevinàsabouche,elledéposedélicatement les lèvressurlerebordtelleunetigressecaressantl’herbepournepasêtresurpriseparsaproie.Seslèvressontteintéesd’unrougecharnel.Monvisagedoitafficheruneexpressiondestupéfaction,carHarriettesetournedansmadirection.«Je
nedoutepasunesecondequecertainshommesytrouventleurcompte,maisjesuisbiencontentequecene soit pas le cas de John », pensé-je avant d’être interrompue dans mon examen approfondi. Elleesquisseunsourire,puiss’adresseàmoi.—Scarlett,tuasl’airenétatdechoc.J’espèrequejenet’aipastroptraumatiséeavecmeshistoires…—Non,non,Harriette!Jesuisjustecurieuse,c’esttout.—Curieusedequoiexactement?—Euh…—Allez,nesoispastimide!Jesuiscellequienparleouvertement.—Jemedemanded’abordoùtulestrouves,cesgars-là?—SurInternet!—OK…Maistudisquoi,commedescription?«Jesuisunefemmequiveutjustefairedu…»?—Ouais!T’écrisquoi?interviennentDianeetDenise,vraimentcaptivéesparlaquestion.—Bon,bon,jevaisvousexpliquerçaendétail,lesfilles.—Benlà,pastropdedétails,ajouteAlain.—Non,non,tais-toi,Alain!Mets-enàlatonne,desdétails!corrigeMario,quisembleséduitparla
maîtressedecérémonie.Harriette soulève sa fourchette, pique un ravioli et l’engloutit d’une seule bouchée. Elle se lèche
ensuiteleslèvresetpoursuit.—Premièrement,jesuismariéeetjenecherchepasunerelation.—Euh…T’esmariée?m’étonné-je.
—Oui,Scarlett…Maisécoute ! J’aime le sexe, etmonmari aimemoinsça. Jen’ai pas le choix !Quandjeparstravailler,jeluidisquejevaism’envoyerenl’air!Jeneluiaijamaismenti…—Ha!Ha!s’exclameDiane.Tueshôtessedel’air!C’estévidentquetut’envoiesenl’air!Ha!
Ha!—Monpauvremaririgolechaquefoisquejedisça.Iln’ajamaisprismoncommentaireaupremier
degré.—Tantmieux!lanceDenise,avecunepenséepourlemari.—Bref,toutçapourvousdirequejenecherchepasunerelation.Madescriptionserésumeà«sexe
poursexe».—C’esttout?Ettuattiresn’importequelgars?demandé-je.—Ehbien,seulementdesgarsquiaimentdesfillescommemoi.Parcequ’onnevapasselecacher,je
suis ronde. Ce n’est pas tous les hommes qui sont attirés par une grosse paire de fesses comme lesmiennes…Quoiqu’ilyenaitbeaucoupplusquevouspuissiezlepenser!—Ah!Jetecrois!affirmeMarioenriant.Laplantureusedéesseseretourneillicoversleseulhétérodelatable.Riennepassesoussonradar.
J’ail’impressionque,d’icilafindelasemaine,ilyenauraunquitomberadanssonfilet.—Pournedécevoirpersonne, jemesuis inscriteàdes sites réservésaux femmescommemoi.Par
exemple,«Rondeetjolie»ouLargelovers,précise-t-elle.—OK…maisunefoisquelerendez-vousestfixé,çasepassecomment?Jeveuxdire,unefoisdans
lachambre?demandesansgêneMario,enquêtededétailsjuteux.—Woh!TIMEOUT!Jeneveuxpaslesavoir!s’offusqueAlain.—Moinonplus!renchéritRobert.«Ah !Qu’il se taise, ceAlain !»pensé-je.De toute évidence, le restede l’équipage est avide de
connaîtrelasuite.Harriettesourit.Ellemeurtd’enviedetoutdévoiler.J’aiaussilegoûtdesavoir.Ellevanousledire,jelesais.ElleprendunegorgéedevinetavaleleliquideenregardantMario,quifiguremaintenantclairementsursalistedefuturesconquêtes.Noussommessuspendusàseslèvres.— Demain, après le vol, je vais appeler Devon pour lui donner mon numéro de chambre. En
l’attendant,jevaismedoucher.Ilm’adéjàditcequ’ilaime,alorsjeprévoisbienluifaireplaisir.—Tuvasfairequoipourluifaireplaisir?demandeMario,lalangueàterre.—Jevaisresternuesousmanuisette,etquandilvaouvrirlaporte,jevais…Alainsemetàtousserenfrappantsurlatable.—CHUT!Nousnous tournonsenblocversnotrecollègueplaignard.«Qu’ilparte, s’ilneveutpas savoir ! »
Mêmesinouslefusillonsduregard,Alaincontinuesapetitescèneenfrappantsurlatable.Ilacessédetousseretvientsoudainementd’agrandirlesyeux.Ilportesamaindroiteàsagorgetoutencontinuantdecognerdevantlui.Toutàcoup,nouscomprenons.—Ils’étouffe!s’écrieRobert,enpanique.Commeagentsdebord,nous avons tous suiviune formationafinde savoir comment réagir dans de
tellescirconstances.L’instinctdevraitenthéorieprendreledessusetnousdevrionsvenirenaideànotrecollègue,quiviretranquillementaubleu.Cesoir,auPanama,notrecompétenceestmiseàl’épreuve,etcurieusement,pendantquelquessecondes,personnenebouge.—Benvoyons,ils’étouffe!renchéritDiane,quidemeureassisesursonsiègesansrienfaire.
Jefigeégalement,encoreentraind’assimilerlasituation.Alain,assisenfacedemoi,netousseplus.Sesvoiesrespiratoiressontofficiellementbloquées.Ilfautagiretvite!—Débloque-le!crié-jeenregardantMario,leplusfortd’entrenous,maisaussilevoisindegauche
del’étouffé.Mariomefixe,stupéfait,commes’ilvenaitd’êtreramenéàlaréalité.Ilbonditd’untraitenposantles
deuxpiedsfermementausol.Sachaisereculed’unmètrederrièrelui.Ilramassesonvoisinpar-derrièreet lesoulèvedans lesairs.Sonbanc tombesur leplancher,mais jen’entendspas lebruitproduitparl’impactsurlasurfacedure.Jeresteconcentréesurl’opérationdesecoursquisedérouledevantmoi.Notre héros presse fortement sur l’abdomen de son collègue. Une fois. Deux fois. Il continue la
manœuvreenlesecouantdebasenhaut.Uncoupdeplus,maisriennesort.—Plusfort!hurleDianeaunomdetous.Mariofrappeviolemment l’estomacd’Alain. Ilseditsansdoute :«Audiable, lacôtecassée!» Il
appuie tellement fort que, enfin, des sons commencent à s’échapper par la bouche de notre étouffé. Ilrecommence à tousser. Le silence règne. Nous l’encourageonsmentalement. D’un élan de courage, iléjecteunmorceaudeviandeàpeinemâchouillésurleborddesonassiette.Personneneparle,commesinous n’arrivons pas à croire ce qui vient de se passer. Je soupire, soulagée de la tournure desévénements.L’étoufféreprendsesesprits.Ilnousregardeunàunettermineenadressantunregardlarmoyantàson
sauveur,quivientdeserasseoir.—Merci…luidit-ild’unevoixrauque.Mariosoupireàsontour,luidonneunegrandetapedansledos,commeleferaitunmeilleuramiet,en
affichantunsouriretaquin,seretourneaussitôtversHarriette.—Donc,tuvasêtrenuesoustanuisette,ilvacogneràtaporte,etensuite?
–B
Chapitre17
Calgary(YYC)–LondresGatwick(LGW)
onjour à tous. Jem’appelle StevenMcNamara et je serai votre commandant pour ce vol versGatwick.Mon commandant en second s’appelle Joey Roy. Le temps de vol prévu est de huit
heurestrente-cinq,effectuéàunealtitudede37000pieds.Pasdeturbulenceprévue.Lecommandant, arméd’un séduisant sourire,nous souhaiteunbonvol.C’estvrai qu’il a unebelle
gueule,mais ilestsurtoutgrandetcostaud.Ilsembleque jenesoispas laseuleàavoir remarquésonbeau physique, car Harriette vient de lui flatter le bras en le remerciant de nous avoir fourni lesinformationsconcernant la traversée.Lesdeuxpilotessontensuiteretournésdans leposte. Ilsontsansdoutepensé:«C’estqui,elle?»Croyez-moi,lesgars,vouslesaurezassezvite!—Bon,est-cequevousvoulezconserverlesmêmespositionsqu’hier?nousdemandeHarrietted’un
tonmaternel.—Oui!nousexclamons-nousspontanément.Depuis l’attaque dumorceau de steak, une complicité règne parmi l’équipage. C’est comme si nos
différences de caractère étaient devenues complémentaires. J’ai cessé de juger Alain et ses caprices.J’appréciemêmesoncôtétatillon.NotrevoldepuislePanamaversCalgarys’esttrèsbiendérouléet,cesoir,j’aiencoreenviedetravailleravecDianesurlemêmechariot.Enfait,ellen’estpassiperduequecela.J’aiapprisàlaconnaîtreetmaintenant,lorsquejelasenségaréedanssespensées,jemedépêchedelarameneràlaréalité.J’imaginequec’estl’undesbonscôtésdevivreunesituationdestressentrecollègues,lesliensseresserrent.Notreétouffés’estdoncavérélamascottedelasemaine.—MonpetitAlain,veux-tucontinueràtravailleravecRobertsurtonchariot?letitilleMariod’unair
protecteur.—Oui,oui,jesuisheureuxcommeça,monbeau,luilance-t-ilavecunclind’œilcoquin.—Woh!Énerve-toipas!Jenesuispasdetonbord!leprévientl’éternelcélibataire.Nouspouffonsderire,maisrapidement,ladirectricenousramèneàl’ordreparobligation.C’estvrai
quenousavonsunvolàeffectuer.— Allez vérifier vos sections et revenez ensuite signer la feuille pour que je commence
l’embarquement.Bonvol,meschéris!noussouhaiteHarriette,débordantedebonheur.Nous connaissons tous la raison de son humeur radieuse. Dans le bus privé qui nous a amenés à
l’aéroport, elle s’est fait un plaisir de nous parler de sa dernière conquête. Heureusement, elle s’estgardéedenousfournirlesdétailsintimes.Detoutefaçon,j’avaislesidéesailleurspendanttoutletrajet.Jevolaisdéjàdanslesnuages,pourêtre
exacte.UnendroitoùJohnm’ararementtransportéedepuisquenousavonsrenoué.Pourêtrehonnête,jen’ai vécu que des déceptions avec lui depuis deuxmois, toujours forcée dementir pour cacher notrerelation.Jesaisquecen’estpasencorelebonmomentpours’afficherensemble.Freaking-Debbieest
toutdemêmeunecollègue,etjel’aivuepleurerdansl’avion.Jen’avaispasledésird’empirersoncas.Par respect pour elle, nous avons convenu de dissimuler notre amour. Seulement, quelquefois, je medemandesi j’aipris labonnedécision.JerepenseàEthanetàsesbeauxyeux.J’auraisaimémieuxleconnaître. Il est arrivédansmavie àun trèsmauvaismoment.Hier, avant dem’endormir, j’ai euunepenséepourlui.Étrangement,commesijen’avaispasledroitdelefaire,Johnm’aramenéeàlaréalité.J’aientenducogneràlaportedemachambre.Jemesuislevéeprécipitammentdulit.Quipouvaitbien
vouloirmeparleràuneheurepareilleàCalgary?UnMarioenrut?J’endoutaisfortement.J’aidoncregardéàtraverslejudasdelaporteetj’aiaperçulemaîtred’hôteltenantunbouquetdefleursàlamain.Ildevaitfaireerreur.—Hello?l’ai-jesaluéparl’embrasuredelaporte.—MissLambert?—Yes?—Thisisforyou,ma’am.Haveagreatnight!m’a-t-ilditenmetendantunbouquetderosesrouges.J’étaisstupéfaite.Desrosesrouges!Jen’aipastardéàlesdéposersurlebureaupourpartirenquête
de l’enveloppe contenant sans doute le nom de l’expéditeur. Jusqu’à cet instant, le nom de John nem’avait pas encore effleuré l’esprit. J’ai plutôt pensé à Ethan…Pourtant, une seconde plus tard, j’airéaliséqu’iln’avaitaucunmoyendesavoirdansquelhôteljeséjournais.Quoiqu’ilauraitpudemanderàBéadeconsultermonitinérairedevol…J’aiouvert demanière expéditive l’enveloppeet, en lisant lesmots« Je t’aime,monamour» et la
signaturedeJohnendessous,j’airessenticommeunsoulagement.«Ilm’aime!»ai-jepensé.Commesij’endoutais…J’étaisfolledejoie!J’aiadmiréencoremonbouquetetj’aicomptéchaquefleur.Ilyenavait douze. Je connaissais bien la signification d’un tel bouquet : l’amour passionnel, l’une des plusbellespreuvesd’amour.Unbouquetdedouzerosesrougespouvaitégalementsignifierunedemandeenmariage.Moncommandantn’enétait sûrementpasconscient.Peu importe, ilvenaitdemesoulever auciel. J’ai composé immédiatement son numéro de téléphone, mais son appareil était fermé. Il devaitdormiràuneheureaussitardive.Cematin, comme c’est le réveil de l’hôtel quim’a obligée à sortir du lit, je n’ai pas eu le temps
d’appelerJohnpourleremercier.J’auraispuluiécrireuncourtmessage,maisj’avaisenvied’entendresavoix.Untextonemeconvenaitpas.UnefoisàLondres, jecomptebienl’appeler.Çanepourrapasnousfairedetortqu’ilselanguisseunpeudemoi.Endéposantmavalisedanslecompartimentàbagages,jem’assurequemonbouquetnes’abîmepas.Il
était hors de question que je m’en départisse. Je préfère lui faire parcourir le monde. Ainsi, monamoureuxserad’unecertainefaçonprésentavecmoijusqu’enEspagne.Biensûr,j’aiomisdementionneràmescollèguesqu’unbouquet de roses rougesm’avait été offert la veille, nevoulant pas susciter dequestionsquimeforceraientàinventerunehistoireridicule.L’embarquementterminé,jeparcoursunedernièrefoisl’alléeafindem’assurerquetouslesbagages
sontrangéssouslessièges.Unedameàl’accentanglaism’interpelle.—Excuseme,areyouexpectingturbulenceduringtheflight?—Well,fortunately,thecaptainsaysnot.—Oh,lovely!1soupire-t-elleendonnantdeuxpetitestapessurlebrasdesavoisine.Jerejoinsensuitemonstrapontinenmilieudecabine,letempsquelavidéodesécuritésoitvisionnée
parlespassagers.N’ayantrienàfaire,uneidéemetraversel’esprit.«C’esttoujourslorsqueleplandevoln’enprévoitpasqu’onena.»Biensûr,jemegardedepartagercettepenséeavecMadameLovely.
***
Nous volons depuis environ trois heures au-dessus du Nord canadien. Diane et moi servons lesplateauxderepasauxpassagers.Ilmemanquedescasseroles,alorsj’avisemacollèguequejeparsenchercheràl’arrière.—Tiens!meditMario,l’agentdebordresponsabledelagalley,enmetendantuncontenantremplide
casseroles.Je rejoinsensuiteDiane,quin’aavancéqued’une rangéedepuisque je suispartie.En déposant le
contenantsurlechariot, j’aperçoislesignaldesceinturesdesécurités’allumer.Lavoixd’Harriettesefaitentendreaumicro.—Mesdames etmessieurs, nous traversons une zone de turbulence, s’il vous plaît retournez à vos
siègeset attachezvosceinturesde sécurité.Veuilleznepasutiliser les toilettespendant cettepériode.Merci!L’appareilnevalsanttoujourspasdefaçonanormale,jeterminedeservirmarangée.Diane,mevoyant
continuer,m’interroge:—Oncontinuequandmême?—Non,non,jevoulaisjusteservirtouslespassagersdemarangée.Allonsrangerlechariot.Ellesemblesoulagéequejeneveuillepaspoursuivreladistribution.Pourtant,elleconnaîtautantque
moilaprocédure.Silecommandantprévoitquelquessecousses,ilestplussécuritaired’interrompreleserviceletempsnécessaire.Noussuivonsdonclesrèglesetsécurisonsleschariotsàl’arrière.J’informeensuite Diane qu’en remontant pour m’asseoir à mon strapontin je vérifierai si les ceintures sontattachées.Enparcourantl’allée,jeremarquequedesverresglissentlégèrementsurlestablettes.Desondesde
chocparcourent le liquideà l’intérieur,mais j’arriveà rejoindrenormalementmonsiège.Une foismaceinturebouclée,lecalmerevientetlecommandantéteintlesignal.Nouspouvonsdenouveaucirculerdanslacabine.Ayantl’impressiond’avoirfaitunaller-retouràmonstrapontinpourlesimpleplaisir, je redescends
l’alléeenaffichantunsouriregêné.Ladameanglaisem’agrippeaupassage.—Yousaidwewerenotexpectinganyturbulence…—Yes,butwecan’tpredict itonehundredpercent.Thiswasreally light turbulence,weshouldn’t
experiencemorethanthat.—Lovely2,réplique-t-elleencore,confiante.Comment lui expliquer que le ciel est un environnement changeant et que, bien que notre route ne
prévoiepasnousfairepasserdansunezonedeturbulence,ilsepeutqu’enhuitheuresdevollasituationévolue ? Si, par chance, un avion nous précède, les pilotes en feront mention par radio aux autresappareils.Cedoit êtrecequi s’estproduit cette fois-ci, étantdonnéqu’aucunesecoussene s’était faitsentiravantquel’annoncesoitentendue.Moncommentairesoulignantquecen’étaitquedelaturbulencelégèresemblerassurerMadameLovely,carelleseretrempeleslèvresaussitôtdanslevinrouge,tandisquejeretourneàmonchariot.—Vousêtesrendusoùexactement?demandeMariopourévaluerletempsqu’ilnousreste.—Àmi-cabine,préciseAlain.—Nousaussi,dis-jeavantd’entendreànouveaulesignaldesceinturesdesécurités’allumer.
—Vraiment?s’exclameDiane.Iln’auraitpaspulelaisseralluméaulieudenousfaireperdrenotretempscommeça?Envérité,certainspilotesn’ontpaslanotiondutemps,àmonavis.Ilssontlà,dansleurcoqueron,à
regarder le beau ciel étoilé et les aurores boréales du Nord alors que, de notre côté, une fois laturbulenceannoncée,plusieursminutess’écoulentavantquenouspuissionsenfinnousattacher.Larègledu«quinzeminutes»devraitexister:«Pilotes!LorsquevousenclenchezleboutonSEATBELTON,pourriez-vousaumoinslelaisseralluméquinzeminutespourquel’équipagen’aitpasl’aird’unegangdecrétins?»Jeretournem’asseoiràmonstrapontinsansmêmesentiruneseulesecousse.Cette fois-ci,aumoins,
j’ailetempsdem’imaginermafutureconversationavecJohn.J’aihâted’entendresavoixetdeluidirecombienilm’afaitplaisirenm’offrantdesfleurs.Jem’ennuiedelui.Nousn’arrivonspasànousvoirsouvent,car lorsqu’ilne travaillepas, ila lesenfants.J’aibienessayéd’échangerquelquesvolspourtravailleraveclui,maisçan’apasfonctionné.J’aihâtederencontrersesdeuxgarçons,seulementpourmefaireuneidéedenotrefuturerelation.Jeluienaiparlél’autrejour,maisilm’aditqu’ilsn’étaientpasprêts.Pourtant,jen’aijamaisenvisagédelesrencontrerdefaçonofficielle.J’auraistoutsimplementpu les croiser à l’épicerie, « par hasard ». Le signal s’éteint et je retourne à l’arrière avec un airembarrassé,carcettefois-ciiln’yaeuaucunesecousse.Deretouràmi-cabine,nouspoursuivons ladistributiondes repas.Certainssontdésormais tièdes et
j’aihontedelesoffrir.J’essaiedumieuxquejepeuxdesélectionnerlescasseroleslesplusprésentables,conscientepourtantquelesdernièresrangéesseferontoffrirlesmoinsavantageuses.Jepriepourquelesendormisnesesoientpasréveillés.—Bonappétit!Enjoy!dis-jeavantd’entendrepourlatroisièmefoislesignaldesceinturess’allumer.
Diane,oncontinue,luilancé-jeenroulantdesyeux.Elleapprouveenagitantlatêteetparlefaitmêmesesmultiplescouettesrebelles.Nosdeuxcollègues
dansl’alléevoisinenousimitentets’activentàservirauplusvitelesdernierspassagers.Àentendrelavoixmonotonequ’utilise la directrice, j’ai l’impressionqu’elle se croit aussi victimed’unemauvaiseblague.—Mesdames etmessieurs, comme vous pouvez le voir, le commandant aÀNOUVEAU allumé le
signaldesceintures.Nousnousexcusonspourcedésagrément.VeuillezvérifierUNEFOISDEPLUSquevotreceintureestbienbouclée…Commeprévu,l’appareilcommenceàbouger.Àsentirceslégèressecoussesquineferaientpasdemal
àunemouche,unjugementmetraversel’esprit:«Unvraipeureux,cepilote.»Jepoursuismabesogne.Soudain,Marios’approchedemoipourmeparler.—Harriette fait dire de tout ranger parce qu’on va passer dans une grosse zone de turbulence,me
soufflet-ilàl’oreille.Vraiment ? «Hou ! J’ai peur », pensé-je sarcastiquement en continuant de servir les deux rangées
restantes.Lorsquejerapportelechariotàl’arrière,moncollègueresponsabledelagalleym’ordonnederetourneràmonstrapontinimmédiatement.—Oui,oui,c’estcequejefais!m’offusqué-je,necomprenantpassasoudaineimpatience.Quiconque a déjà vécu de la forte turbulence sait qu’il ne faut pas prendre les avertissements à la
légère.Etmêmesiuncommandantcrieauloupdeuxfoisenquinzeminutes,latroisièmeserapeut-êtrecelle qui nous secouera assez fort pour nous faire prier que ça cesse.En ce quime concerne, je n’aijamaiseupeur enzonede turbulencepour la simple etbonne raisonque jen’en ai jamais vécu de lavraie,commedanslesfilms.Oups,ai-jeparlétropvite?
—Diane,jevaisvérifiertasectionenremontant.Jem’immisceaussitôtdansl’allée,maisjeneparviensàavancerqued’unerangée,immobiliséepar
une secousse brutale qui m’aspire vers le bas. Je note une pression anormale dans mes jambes, quipoussent fermement contre le plancher.Mes deuxgenoux fléchissent et, instinctivement, je soulève lesbras pour agripper avec force la bordure de soutien sous les compartiments à bagages. La pressions’équilibreensuite,etj’arriveàavancerpeuàpeu.J’ai une envie démesurée deme rendre àmon siège pourm’attacher solidement. Un pressentiment
m’avertit qu’ilme faudra fairevite, car l’appareil estmaintenant secoué d’un côté et de l’autre d’unemanièreétrangementforte.J’entendsdesceinturesseboucler.CLIC!CLIC!CLIC!Décidément,jenesuispaslaseuleàavoirdoutédusérieuxdelasituation.Pouratteindremonbut,jegardelesdeuxmainsagrippéesàlabordureetposeunpieddevantl’autre
enm’assurantd’ouvrirlesjambespourgardermonéquilibre.Jemarchecommeuncanard,maisaulieud’émettredescoin-coin,jerépèteàvoixhautelaconsigne:—Ceintures!Seatbelts!Ceintures!Seatbelts!Lorsquej’atteinsmonsiègeetquejem’assoisenfin,ledegréd’intensitédessecoussesvientdemonter
d’uncran.Une force invisiblemepoussecontremescourroiesdesécurité,etma têtevalsedechaquecôté. Je feins leparfaitbonheur envoyant toutes cespaires d’yeux rivées surmoi.Bienque jemeured’enviequecetteagitationse termine, lapeurnemegagnepas.Toutceque jeredouteest l’inévitableconséquenced’aprèsletumulte…Commedespantinstiréspardesficelles,mespassagerssuiventenparfaitesynchronisationlesmêmes
mouvements.Àgaucheetàdroite.Àdroiteetàgaucheunesecondefois.Uncripar-ci,uncripar-là.Jeresserremescourroiesensentantmonpostérieursesouleverdanslesairs.Uneannoncesefaitentendre.— Mesdames et messieurs, ici votre commandant. Nous traversons actuellement une zone de
turbulence et nous venons de demander l’autorisation de changer d’altitude. La situation devraits’améliorersouspeu.J’entends lesmoteursvrombirpour atteindreune altitude supérieure.Les secousses s’accentuent. Je
tiensfermementmonsiègeencuir,cequirendmesmainsmoites.Desbrasdepassagerss’élèventversleplafond.Onme demande de venir. Il est hors de question que jeme détache. Je refuse demettremapropresécuritéendanger.J’oseespérerquetouteslespochettescontiennentdessacsàvomi.C’estcequim’effraieleplus.Jen’ainullementledésirdesentircettehorribleodeurserépandreàtraverslacabine.Je nem’agenouillerai pas non plus pour ramasser les dégâts, mais fournirai plutôt le nécessaire auxmalchanceux.Nousmontonstoujours,maisjeneremarqueaucuneaméliorationdupointdevuedessecousses.Les
coupspersistentàunrythmeeffrénécommeleferaitunelocomotiveàvapeurencirculanttropvitesurlesrailsd’unchemindefer.Demaporte,jeregardeàl’arrièredel’appareil,làoùDianeestassise.J’arriveàpeineàlirelemot«EXIT»au-dessusd’elle,carmavueestbrouilléeparlesvibrations.Unemainattireànouveaumonattention.C’estcelledeMadameLovely.Jemedoutequelapaniquel’a
gagnée depuis belle lurette. Je soulève alors mon bras pour lui signifier que j’ai noté sa détresse.Néanmoins,jedemeuresagementattachéeàmonsiège,cequi,detouteévidence,nelasatisfaitpas.Elleselèveets’avanceversmoientenantlessiègesdespassagers.Sadémarcherapidem’informequ’ellen’enapaspourlongtempsavantd’expulsertoutcevinrougequ’elleaingurgitédepuisledébutduvol.Conscientequelessecondessontmaintenantcomptées,j’ignoreàmontourlesconsignesdesécuritéet
lalaissesedirigerverslestoilettesquisesituentderrièremonstrapontin.Enfait,j’étireplutôtlebraspour luiouvrir laporte,carvoirunpassagervenirainsiverssoisèmeaussitôtunesombre inquiétude
chezunagentdebord.Sicettedameneparvientpasàatteindrelecabinetdetoiletteàtemps,oùva-t-elleinvolontairement déverser le tout ? Par expérience, je sais que la réponse est : quelque part près demoi…Elle presse le pas, me dépasse et atteint la cloison derrière mon siège. Je soupire de bonheur en
l’imaginantdéjààl’intérieurducabinet.Unstrapontinest toujours installéprèsdes toilettesets’avèreêtreunecibleparfaitepouruneattaque«vomissante».Enpériodedeturbulence, jedemeureclouéeàmonsiège,etlesrisquesquecevilaindesignd’avionjouecontremoisonttrèsprésents.Me croyant hors de danger, je dévie la tête en direction de la cabine. Dansmon champ de vision
arrière,MadameLovely chancelle vers l’entrée et pose une main sur le cadre de la porte. Pourquoin’entre-t-ellepas?Jemeretournerapidement,maisn’auraipasletempsd’achevermarotation:ladames’immobilise,sepencheversl’avantet,pouréviterdedéverserlecontenudesonestomacsurlemur,surleplancherousurmoi,elleposeinstinctivementsesdeuxmainssursaboucheenpensantpeut-être:«Jevais réussir àcontenir le tout dansmesmains ! »Vraiment ?Ehbien,NON !NON ! etNON !C’estimpossible!Àunevitesseimpressionnante,unliquidechaudpleindegrumeauxjaillitenuntraitrectiligneverssa
premièredestination:lespaumesdeMadameLovely.Enrevanche,sontrajetnes’arrêtepaslà.Etoùsetermine-t-il?Exactement làoù je l’avais tant redouté : sur lemur,sur leplancher, sur lecoindemonstrapontin…etsurmoi.BEURK!
1—Pardon,prévoyez-vousdelaturbulencependantlevol?—Enfait,noussommeschanceux,lecapitaineditquenon.—Oh,merveilleux!2—Vousavezditquevousneprévoyiezpasdeturbulence...—Oui,maisc’estimpossibleàprédireaveccertitude.C’étaitdelaturbulencetrèslégère,etnousnedevrionspasensentirdavantage.—Merveilleux.
–S
Chapitre18
Malaga(AGP)
carlett,tuvasàl’épicerie?medemandeDianeaprèsavoirrécupérésaclédechambre.
—Jevaisallerjoggeravant.Tuveuxquejet’expliqueoùc’est?Après avoir donné les directions duCorte Inglés àDiane etDenise, jemonte àma chambre. Il est
14heuresetnousvenonsd’effectuerunemiseenplaceavecBritishAirwaysvers lesuddel’Espagneafin d’entreprendre demain la dernière portion de vol de notre itinéraire. J’ai hâte de retourner à lamaisonpourrevoirmoncommandant.J’airéussihiersoiràlejoindredepuisl’hôtelàLondres.J’avaistantd’histoiresàluiraconter!—John!Tunecroirasjamaiscequivientdem’arriver!mesuis-jeexclaméenentendantsavoix.—TuasreçuunbouquetdefleursàtachambreàCalgary?—Oui!Oui!Merci!Tum’astellementfaitplaisir!ai-jecontinuésansluirévéler ladégoulinante
raisondemonénervement.—Jesuiscontentquetulesaiesaimées.Etmonmot?—Tulesais,John…—Jeveuxtel’entendredire,a-t-ilinsisté.—Jet’aime!—Bon,j’aimemieuxça.J’aisentiunsourires’affichersursonvisage.J’aidécidédeprofiterdecemomentdetendresseentre
nousetd’omettredeluimentionnermamésaventureavecMadameLovely.Detoutefaçon,jen’auraispaseuassezdemotspourdécrireconvenablementcombiencetteodeurâcrem’avaitpiquélesnarinesenserépandantsurmonuniforme.—Tureviensdemain?—Non,dansdeuxjours.Demain,jevaisàMalaga.—Super!Tuveuxvenirmerejoindreauchaletaprèstonvol?—Euh…tun’aspaslesgarçons?— Non, Debbie vient les chercher demain soir. J’ai quatre jours pour toi, m’a-t-il annoncé, tout
heureux.—Jedoisregarderça.Sijen’atterrispastroptard,jepourraismontertoutdesuiteaprès.—Bon, tiens-moi au courant alors. Je dois te laissermaintenant, j’ai des courses à faire pour les
poussins.—Oui,jecomprends…—Jet’embrasse.
—Jet’embrasseaussi,ai-jerépondu,déçuedenepaspouvoirparlerdavantageaveclui.Pendantmondeadheaddetroisheurestoutàl’heure, j’airéfléchiàma«relation»avecJohn.Mon
manquedeluidrainemonénergie.J’aimeraislevoiretluiparlerplussouvent,maisjesaisquej’espèreenvain.Carmisàpart le faitqu’il ait laissé sa femme, rienn’achangédepuisnotre retourensemble.Bon,jeleverraitoutdemêmedemain.Peut-êtresuis-jetropexigeante?Jesorsimmédiatementàl’extérieurpourjoggerauborddelamer.Commejeprévoisfaireunsautà
l’épicerieauretour,jeglissemacartedecréditdansmapochedecuissard.Letempsestdouxetlabrisesalinemeremplitd’énergie.Aprèsavoirparcourulepaseoversl’est,jerebroussecheminverslecentrecommercial.Raressontlesescalesoùjenefaispasunarrêtdansunsupermarché.Biensûr,ledimanchequandtout
estfermé,jesuiscontraintedem’ysoumettre.Maisencore.Ilyauratoujoursunopportunistedebanlieuequiouvrirasesportes.Àmonavis,entrerdansuneépicerie,c’estvisiterunpays.Lesalléesmeparlent,me donnent des indices sur ses habitants, sur ses spécialités locales. Même le design intérieur d’unsupermarchéestrévélateur.En descendant au niveau inférieur du Corte Inglés, je remarque à l’entrée un café où sont offertes
quelquestapas.Toutcequ’ilyadeplussimple:unmorceaudepainrecouvertdejambonséché.Pasdesauce,pasdemayo,pasdeflafla,peut-êtreseulementunfiletd’huiled’olive.LesEspagnols,chaleureux,maisdirects,nepassentpasparquatrecheminspoursefairecomprendre.
Etc’estd’ailleurspourcetteraisonquejelesaimetant.Dansunavion,pasbesoindelescourtiserpoursefaireaimer.Sil’unmelancerudement:¡Quepasa!jeleremettraiàsaplacesanshésitation,etce,sansmêmeessuyerune réplique.En fait, cethomme,apriori impoli,m’appréciera et s’excusera sansdouted’avoirréagidelasorte.Jeprendsunpanierrouge.J’ydéposed’abordunsacderoquettepourmeconcocterunesaladelorsde
mon vol de retour. Si je le pouvais, j’en achèterais une déjà préparée,mais ici, les plats individuelsn’abondentpas.Commequoi,enEspagne,lacultureindividualisteestmoinsprésentequ’enAmérique.Unpeuplusloin,jem’arrêtedevantlasectiondesvins.Jeprendsunplaisirfouàlirelesétiquettessur
chaque bouteille. J’opte pour deux, hum… trois… hum, quatre riojas ! Je me dis : « Au diable lestaxes!»etpoursuismavisitedeslieux.Aprèsavoirdéposédel’huiled’olivedansmonpanier,jepassedevantlasectiondesconserves.Jenesuispascharméeparl’offre:delapieuvrecoupéebaignantdansl’huile,desboquerones(poissonsdelafamilledesanchois),desaspergesblanchesdanslevinaigre…Jepassemontourpourterminermacourseaucomptoirdescharcuteries.—¿Síseñora?meditl’employéehabilléed’undébardeurrayévertetd’unnœudpapillon.—Holà,megustaríaalgunaslonchasdejamónserrano,porfavor,luidis-jeensalivantdéjà.Poser les pieds au pays de Don Quichotte sans déguster une ou deux tranches de jambon cru
traditionnelseraitcommettreunpéché.Jelesengloutissurlecheminduretour,unebouteilled’eauàlamain.Ainsi,lafaimnemegagnerapastropavantderejoindrel’équipagepourl’apéro.
***
—Alors,onvaoù,Scarlett?medemandentmescollègues,enmedésignantd’officecommeguide.—Ehbien,jenevienspassouventici,jeconnaisquelquesendroits,maissansplus…—Pasgrave,ontefaitconfiance,mabelle,m’encourageHarriette.—OK…Pourvuqu’Alainnemangepasdesteak!blagué-jepourletaquinerunemillièmefois.
Joueràlaguidenemeplaîtpasparticulièrement.J’aimeproposerdesendroitsoùsortir,maisdelààprendrelegroupeencharge,pasvraiment.Peut-êtreest-ceparcequej’aipeurdedécevoirquelqu’un?Ily a un peu de cela. Avant de choisir un resto où m’asseoir, j’analyse les lieux. Les prix sont-ilsabordables ? La nourriture est-elle de qualité ? Y a-t-il suffisamment d’espace pour l’équipage ? Jedétestemangerpourmanger.J’aimepasserdesheuresàdiscuter,àgrignoter.Enoptantpourl’apéroprèsdelacathédraledel’Incarnation,jesavaisquel’expérienceenvaudraitla
peine.Surlaplace,unhommejouedel’accordéonetdeschevauxpatiententsagementaucoindelarue,letempsqu’untouristes’offreuntourdecarriole.Quantànous,nousbuvonsdelasangriaausondelamusique.—J’aifaim,grogneAlain.—Moiaussi,renchéritsacopie,Robert.—Vousvoulezdestapas?Onpeutcommanderquelquestrucsetensuiteonvamangerailleurs,dis-je
pourlesrassurer.—Est-cequevouscomptiezrentrertard?demandeDenise.Jeveuxmecouchertôtcesoir.—Comeon, ilest juste8heures!répliqueMarioenlançantunclind’œilàHarriette,qui leguette
depuisquenoussommespartisdel’hôtel.—Tuveuxquejem’étouffe,monbeauMario?menaceAlainironiquement.—Lemenuaquandmême l’air correct ici.Ona juste à rester, commeçaceuxqui voudront partir
aprèspourrontlefaireetlesautrespourrontallerailleurs,interviens-jedanslebutdetrouverunterraind’entente.—Parfait!Qu’est-cequ’onmange?lanceHarriette.Une fois les plats déposés sur la table, nous commandons un autre pichet de sangria. Je pique une
croquetademorueainsiquequelquesolivestoutenrestantconcentréesurlaconversation.—J’aihâtederetourneràlamaison,maisçaneserapasreposant!Monmariainvitésesdeuxfillesà
souperavecmabelle-mère,ditDenise,unebelleblonded’unequarantained’années.—Tun’aspasditl’autrejourquetuavaisquatreenfants?l’interrogeDiane,mêlée.—Oui.Monmarienavaitdéjàdeuxquandons’estrencontrésetonenaeudeuxautresensemble.—Ahoui?Tul’asrencontrécomment,sicen’estpasindiscret?demandé-jeaussitôt,intriguée.—Tropcliché…—Ilestpilote?avancé-je,aveclafermeconvictiondeviserdroitdanslemille.—Ouais…Je l’ai rencontréquand j’ai commencéchezVéoAir.Çava fairequinzeans cette année
qu’onestensemble,précise-t-elle.Je posemes deux coudes sur le rebord de la table.Mon intérêtmarqué pour l’histoire de la belle
Deniseestévident.Jemedisquejedevraiscessermoninterrogatoire,car j’aipeurdesusciteràmontour des questionnements ou de devenir la prochaine personne à être interviewée. Néanmoins, lessimilitudesentresavieet lamiennemegardentenhaleineetmedonnentespoirqueJohnetmoi,c’estpossible.Jeveuxensavoirplus.—Etsijepeuxmepermettre,Denise,tonmariavaitquelâgequandvousvousêtesrencontrés?—Trente-huit ans, et ses deux filles en avaient huit et dix. Il s’est casé trop tôt avec lamauvaise
femme.Çan’apasétéfacileaudébut,maismaintenantlapoussièreestretombée.—Ah!Leshommes!Ilsnousrendentfolles,s’exclameHarrietteenagitantlamaindevantsonvisage
enguised’éventail.
—C’estvous,lesfemmes,quinousrendezfous!lacorrigeMarioenluicaressantl’avant-bras.—OK,onchangedesujet!s’énerveAlainenremarquantlatensionsexuellegrimperd’uncranentre
nosdeuxcollèguesdetravail.Je suis consciente qu’en escale ou même sur la ligne, des rapprochements peuvent arriver. Avec
Rupert,mondictionnaire ambulant de potins, difficile de l’ignorer. Et puis, je n’ai pas rencontrémonbeaupilotechezlenettoyeur…Cependant,toutcommeAlain,jepréfèreêtretémoindeloin.LesproposdeDenisem’ayant insuffléde l’espoir, je décidedepartir enmême tempsqu’elle pour
retourneràl’hôteletappelerJohn.Avantdecomposersonnuméro,jem’assurequ’ilestdisponiblepourmeparler,carc’estlafindelajournéepourluietc’estunmomentoccupéauretourdel’école:«Salut,amour.Jemecouchebientôt.Tuesdispopourjaserunpeu?»Jeparsmebrosser lesdents.Avantdem’installerau lit, je récupère lecasquededoucheoffertpar
l’hôteletyemballelatélécommandedelatélévision.Jesuiscertainequ’iln’yapasuneseulefemmedeménagequinettoiecetobjetquipassed’unclientàl’autre.Enallumantl’écran,unmessageapparaîtsurmoniPhone.«Plustard.Peuxpasparlermaintenant.»«OK…Plustardseratroptardpourmoi.Jemecouche»,répliqué-je.Jesuisdéçue.Jemedemandesij’airaisondel’être.Jechangedechaîneetm’arrêtesurunfilm.John
merassureaussitôt.«Onsevoitdemain?Àquelleheuretuatterris?»«À14heures.Jemontedirectaprèssituveux?»«Jet’attends.J’aienviedetoi…»Seule dans mon lit, je suis assaillie d’images suggestives. J’ai le goût de m’aventurer dans cette
avenue.D’ailleurs,n’est-cepasluiquivientd’entrouvrirlaporte?«Tuvasmefairequoi,parexemple?»«L’amour,belleScarlett…»«Oui,maisquoi?☺»«Necommencepas…Jesuisaveclesenfants…»Si j’avais le choix entre me faire lancer un seau d’eau au visage et relire ce dernier message, je
choisirais le seau. À nouveau, la déception m’envahit et je n’ose plus soutirer à John davantaged’attention,craintived’enressortirblesséeenmefaisant rappelerencoreunefoisqueScarlettpasseratoujoursendeuxième.Jemecontented’un«bonnenuit»etrègleleréveilpourlelendemain.Latêtesurl’oreiller,jen’arrivepasàfermerl’œil.Ledécalagebatsonplein:cesderniersjours,j’ai
dormichaquesoirdansunfuseauhorairedifférent.Moncorpsnesaitpluscommentsecomporter,etjecomprendsmaintenantlesvieillessacochesquim’ontvantélesbienfaitsdessomnifères.J’auraisdûlesécouteretm’enprocurerjusteaucas.Jelesentendsencoremedire:—Tuasdeuxchoix:1)tun’enprendspasettutravaillescommeuneloquehumainelelendemainou
2)tureniestesprincipesettudorscommeunbébépourêtreenpleineformelelendemain.Tupréfèresquoi?Jen’airiencontrel’optiondeux.Saufquejenesuisjamaisalléechezlemédecinpourmeprocurerle
nécessaire.J’auraispuaussiacheterdesDonormyl,enventelibreenFrance,maisj’aitoujourspenséquej’étaisblindéecontrel’insomnie.Cesoir,j’ailapreuvequej’avaistort.
Unpetitinstant!Jeconnaisl’experteenproblèmesdesommeil.Elledoitavoirunesolutionmiraclepour moi ! Je décroche le combiné de téléphone, regarde son numéro de chambre sur la feuilled’équipageetl’appelleaussitôt.—Allo?—Salut,Diane,désoléedet’appeleràcetteheure-là…—Non,çava,jen’arrivepasàdormirdetoutefaçon.—Hum.Moinonplus.C’estpourçaquejet’appelle.Tun’auraispasunepilule,quelquechose?—Bienoui.Vienslachercher,jeteprépareça.Je sorsdu lit et je pars immédiatement récupérermonprix.Ma sauveusem’ouvre sa porte dans un
pyjamaencotonouatérosefuchsia.Sescheveuxsontencoreplusdécoiffésqued’ordinaireetsescernesbleutéssontplusprononcés.—Tiens.Tulaprendsseulementunefoisdanstachambre,parcequ’aprèsdeuxminutestuvastomber
raideendormie,meconseille-t-elle,bienveillante,enmetendantlecompriméblanc.—Ah!Merci!Prends-enuneaussisituveuxdormir.— Rien à faire. Ça marche plus pour moi, ces pilules-là. Il faut que j’aille voir mon médecin
justement.—Hum…c’estplate,ça.Tucroisquetuvasfinirpardormirunpeuaumoins?—Oui,oui.Net’inquiètepas.Bonnenuit!Deretouràmachambre,j’avalelecachetavecdel’eauetretourneaulitenregardantleplafond.Le
portmaritimeàproximitéprojettedesfaisceauxdelumièredansplusieursdirections.Commej’ailaisséle rideau légèrement entrouvert, des ombres se dessinent au-dessus de moi. Sur la peinture blanche,j’imagineuncœur,unprofild’Indienouunobjetquineressembleàrienquejeconnais.Jemedemandesijevaisfinirparsombrerdanslesommeil.Soudain,monjeud’ombresetdelumièrescesse.Pasquemespaupièress’alourdissentouquejesois
déjàentrainderêver,maisplutôtparcequ’unsonextérieurattiremonattention.J’entendsun«boum»suividequelquessecoussesquifontvibrer lemurderrièrematête.Quelqu’unest-il tombé?Avantdem’alarmer,jetendsl’oreille.«Boum!Boum!Boum!»entends-jeencore.Cebruitprovientdelachambred’àcôtéets’accentuerapidementenébranlantdeplusbellelemurde
machambre. Je remarque le rythmeconstantdessecousseset je conclusquepersonnene s’estblessé.Desvoixmarmonnent,maisjeneparvienspasàpercevoircequ’ellesdisent.Auboutd’uneminute,ellesdeviennentplusfortes.Maintenant,jepeuxclairementdistinguerlavoixd’unhommeetd’unefemmequis’activentdanslachambrevoisine.L’hommes’exclame:«AH!AH!AH!»Lafemmehurle:«OUI!OUI!OUI!»Etlemurderrièrematêtefait:«Boum!Boum!Boum!»Je suis sidérée. Il n’y a pas de cela une heure, j’ai eu des pensées intimes pourmon commandant.
J’étais loin de me douter que son refus d’alimenter mon désir serait remplacé par de torrides ébatsprovenantdelachambred’àcôté!Commentvais-jeréussiràdormiravectoutcevacarme?Celafaitunevingtainedeminutesquedes«boums»déchaînésperturbentmestympansàenfairerougirmapudeur.Consciente que j’ai affaire à de vraies bêtes de sexe, j’enfonce des bouchons dans mes oreilles.
Désormais, les cris résonnent en bruit de fond et, peu à peu, mes paupières deviennent lourdes. Les«AH!OUI!»meparviennentauralenti,tellerefraind’unemélodie.TransportéedanslesbrasdeMorphéeparcettemusiquelibertine,jenotesoudainementunevariation
danslesparoles,maisjesuisdéjàtroploinpourréagiràquoiquecesoit.Jeremercielapilulesalvatrice
deDiane au son d’un «AH !HARRIETTE ! » chanté par l’homme à bout de souffle et d’un «AH !MARIO!»chantéparmaplantureusedirectricedevol.
–T
Chapitre19
LesLaurentides
iens,tiens,tiens…Quiest-cequimerendvisitepourquatrejours?
John descend les escaliers du chalet en bois rond et s’avance vers moi en affichant un sourireaccueillant. Il a l’air heureuxdemevoir etm’embrasse aussitôt après avoir ouvert la portière demavoiture.—Tonvolabienété?—Oui,trèsbien,maisjesuiscontented’êtrearrivée.C’étaittroplongcommecourrier.—Tuesfatiguée?Tuasfaim?—Oui,çanevapastarder.J’aisurtoutenviedeprendreunedouche.—Allez,entrequejeprennesoindetoi.L’avantagedefréquenterunpiloteestquenousnouscomprenons.Johnsaitqu’enrevenantd’unvolje
ressens le besoin pressant de prendre une douche. Il sait aussi que mon énergie s’est fait aspirer àrépétitionetqu’unmomentde tranquillitéseraplusquebienvenu.Enentrantà l’intérieurduchalet, jeretrouvepeuàpeumasérénité.Lesnuitsétantencorefraîches,unfeuaétéallumé.Surlacuisinière,unCreusetorangefaitmijoternotrerepas.Uneodeurdetomateetd’ailflottedansl’air.—Qu’est-cequetunousprépares?—Unesauceàspaghettimaison.Jenousaiaussiachetédelalaitueromaine.Tucroisquetupourrais
préparertasaladeCésar?—Biensûr!Tuasachetélenécessaire?—Anchois,jauned’œuf,Dijon,vinaigredevinrouge?—Oui,çafera.Tiens,j’aiachetéduvinenEspagne.Unebonnebouteillederioja.Ouvre-lapendant
quejeprendsmadouche,dis-jeavantdemedirigerdanslapièced’àcôté.L’eauchaudesurmoncorpsestaccueilliecommeuncadeauduciel,etjem’empressedemesavonner
pourimprégnermapeaud’uneodeurdelavande.Enfermantlesyeuxpournettoyermonvisage,j’entendslerideaudedoucheglissersurlatigemétallique.—Jenepouvaispasattendre.Tum’astellementmanqué,mesoufflemoncommandantà l’oreilleen
s’approchantderrièremoi.—Ahoui?dis-jeinnocemmentenretirantlerésidudesavonsurmonvisage.Aucuneréponseàmaquestion.Jen’enattendaispas réellement.Une languerôdeplutôt derrièrema
nuqueetglisse tout le longdemacolonnevertébrale.Ellem’oblige à ouvrir les jambes et s’immisceentremeshanches.Jesoulèvelepostérieuret la laissemefairedubien.Commesic’était lapremière
fois,nousnousdécouvronsavecpassion.Puis,lejetd’eaufinitparpasserdetièdeàglacialet lafaimnousgagne.
***
—Regardelebeaubouquetquej’aireçu!dis-jeenbrandissantlesfleursàmoitiéséchées.—Tul’asrapporté?—Oui!Lesrosesétaientsibellesquejen’arrivaispasàlesjeter.—Jesuiscontentqueçat’aitfaitplaisir.Ànousdeux,alors!trinque-t-ilenapprochantsonverredu
mien.—Miam,délicieux,levin!Avouequej’aifaitunbonchoix.—Enfait,jen’aipasouverttabouteille…—Ahnon?—J’aipenséqu’unitaliensemarieraitmieuxaveclespâtes.Onboiralatiennedemain.—OK…Quelquesgorgéesplustard,lafatiguemegagnetranquillement.John,conscientdeseffetsdudécalage,
propose une soirée cinéma. J’approuve, ravie de pouvoir m’installer confortablement sur son divan.Pendantqu’il fait bouillir lespâtes, je prépare la salade.Notre repasmaintenant prêt, ilme sertmonassiette et nous nous asseyons pour regarder le film. Plus tard, bien au chaud sous la couverture, jetenteraienvaind’êtrecaptivéeparl’écran.SeulementJohnyparviendra,etjem’endormiraiàsescôtésjusqu’àcequenousrejoignionslachambreprincipalepourlanuit.
***
—Dring!Dring!Dring!Jedemeureimmobile.Johnsoulèvemonbrasqui l’entoureets’étirepourrépondreàson téléphone,
maisavantdedécrocher,ilseretourneaussitôtversmoipourmeparlerd’unevoixpaniquée.—C’estDebbie!—Hein?dis-je,àmoitiéendormie.—Chut!Pasunmot!m’ordonne-t-il.Complètementréveillé,ilselèveets’assoittoutdroitauborddulit.Iltoussepours’éclaircirlavoix
et répond.À l’autreboutdu fil, j’entends lavoix féminine s’exprimer avecvigueur.Pendantque Johntente de calmer son ex-femme, j’assimile ce « chut » qu’il m’a lancé avant de décrocher. De touteévidence,iln’estpasprêtàluidévoilermaprésence.Aprèsdeuxminutesdeconversation,ilraccrocheetposesurmoiunregardfroid.—Lève-toi,ilfautquetut’enailles!—Quoi?Ilsoulèvelacouverturequimegardeauchaudpourm’obligeràmelever.Jemefrottelesyeuxpour
éclaircirmavision.Jenecomprendspastrèsbienlasituation.—Debbieestenroute.Ellemeramènelesenfants.Ellenesesentpasbien.Jeneveuxpasqu’ellete
voieici!Allez,vite!—Attendsuneminute!Tuveuxquejepartemaintenant?—Oui!Maintenant!Ellevaarriverd’uneminuteàl’autre!VITE!
Àpeineai-je le tempsdeposerunpied sur le tapisque Johnadéjàenfilé son jean et un t-shirt. Ilsemble être en transe, et je comprends qu’un refus de partir n’est pas à considérer. Je m’habillerapidementenavalantavecdifficulté,conscientequ’unegoutted’eauvientdefairedébordermonvase.«Jen’enpeuxplus!»Pourmeconvaincrequ’iln’yauraplusderetourenarrière,jeregardel’hommequejecroyaism’aimers’activerpourmechasserdesonprécieuxterritoire.D’unemain,ilrécupèremonuniformedéposésurlachaiseàl’entrée.Illejettedansmavalisesans
mêmesesoucierdelefroisser.Ilparcourtensuitelapièceàlarecherched’autresvêtementsquej’auraispulaissertraînerquelquepart.Ilentreentrombedanslasalledebainetrécupèremabrosseàdentsetmespotsdecrème,quifinissenteuxaussiavecl’uniforme.Ilramasseendernierlieumabouteilledevind’Espagneetmelatendaussitôtpourquejelarangedansmonsac.—Jetelalaisse,medit-il,commepourmefaireplaisir.—Non,çava,garde-la,jel’avaisapportéepournousdeux…Cederniercommentaire, je l’ai faitdans lebutprécisdesusciteren luiunminimumde culpabilité,
maisjenerécoltepasl’effetescompté.Mesespoirss’anéantissentlorsqu’ildéposelui-mêmelabouteilledansmonsac.Ilfaitensuiteunderniertourd’horizonetfigeprèsdupassagemenantàlacuisine.—Oh!Tunepeuxpaslaisserçaici!s’affole-t-il.Ignorant encore quel objet l’a presque poussé à faire un arrêt cardiaque, je sors la tête dans le
vestibule.Jeremarquealorsmonbouquetdefleurssurlecomptoir.Oups!Apparemment,mesrosesdel’amournereprésententrienpourlui.Niplusrienpourmoi,d’ailleurs.—Jette-lesdonc!crié-jed’unairdétaché.—Tublagues,j’espère!Silesenfantslestrouvent!—Ah!Désolée,jen’yavaispaspensé…Ilestclairque,pourJohn,cetterecherched’objetscompromettantsestun travaild’équipe.Unefois
mesvalisesprêtes, jerestenéanmoinssur lepasdelaporteuncourt instant,curieusedeconnaître lesprochainesétapes.Ilm’aideàsoulevermesbagageset les transportejusqu’àlavoiture.Jesorsàmontourennevoyantpasd’autreoptionquecelledelesuivre.—Jetetéléphonecesoir,medit-ilenposantseslèvrescontrelesmiennes.—OK…—Soisprudentesurlaroute,ajoute-t-il.Laclédans lecontact, je faisdémarrer lavoitureet jem’éloignesur lecheminde terre.J’aimerais
pleurer,crier,mais j’ensuis incapable. Jesuisvidée. Johnvientdem’assommer toutenme réveillantbrusquement.Danssesyeux,jen’ailuaucunecompassionenverscellequil’aaiméavantmêmequ’ilnelui adresse la parole, il y a de cela trois longues années. Il vient de chasser celle qui l’attend depuispresquedeuxans,quil’asuivijusqu’àRome,quiamentipourlui,quiamissesfoutusprincipesdecôtéparamour.Qu’est-cequej’entireauboutducompte?Uncoupdebalaidanslederrière!Àmi-chemindeMontréal,jechoisisdepoursuivremarouteverslenordjusqu’àMont-Laurier.J’aile
cœurgrosetseulementmamèrepourraprendresoindemoi.Jemedemandecequej’aifaitpourmériterça.C’estcommesij’avaisvoulumefairedumal.Maisjemeconnais.Si j’avaischoisiEthan, jen’enaurais jamais eu le cœur net : je me devais d’aller jusqu’au bout de mon histoire avec John. Uneobstination qui ne m’aura menée nulle part. J’aimerais parler à Béa pour lui vider mon sac avantd’arriver,maiscommelesignalvaried’untournantàl’autre,jedécidedepatienterjusqu’àmonarrivée.Jemontealorslevolumedelamusiqueetmemetsàchanter.Àchaquerefrain, j’évacuepeuàpeumafrustrationenme sentantplus légère. Jedoisme rendre à l’évidence,une conversation s’impose entre
John et moi. Je ne compte pas laisser traîner cette histoire bien longtemps. Côté patience, j’ai assezdonné!
***
—Mafille!Qu’est-cequetufaisici?s’écriemamèredepuislacuisine,uncaféàlamain.—J’aibesoindemeressourcer.—Ahoui?Qu’est-cequis’estpassé?—Rien,maman.J’aiseulementbesoindemefairedorloterpendantquelquesjours.— Je vais m’occuper de toi, tu vas voir. Viens ici que je t’embrasse, me rassure-t-elle avant de
s’époumonerenappelantmonpère.—Victor!Notrefilleestvenuenousrendrevisite!Soncriréussitàfairevibrerlamaisonentière.Jejureraisquel’échodesavoixs’estfaitentendreà
deskilomètresàlaronde.Latélévisiondiffusedesbruitsdesirènesdepolice,sansdoutelesnouvellesmorbides quemonpère a l’habituded’écouter.Levolumebaisse, et je voismonpère s’avancer dansl’entréepourm’accueilliràsontour.—Ahben,map’titepuce!Tuesdebonneheuresurlepiton!—Jesuisalléeauchaletd’uneamiehiersoir.J’avaislamoitiéduchemindefait.—Ontemanquait?Dis-le!—Oui,beaucoup,réponds-jeenleurdécochantunsourire.—Tuvasresterlongtemps?ajoute-t-il.—Jevaisvoir…—Victor,aideScarlettavecsesbagages,intervientmamère.Monpèresoupireetrécupèremesvalises.Ilretourneensuiteàsesoccupations,letempsquemamère
mefassesondiscoursdebienvenue.Chaquefoisquejefranchislepasdelaportedelamaisonfamiliale,j’ai le droit à un drainant interrogatoire.À tout coup, lamême routine :mamère s’installera sur unechaiseetmeforceraàl’imiter.Engigotantdebonheur,ellemequestionnerasurmavie,surmesderniersvoyages,toutenmescrutantàlaloupe.Ensuite,sij’hésiteàrépondreàsesquestionsoudemeureplutôtsilencieuse,elleenchaînerasurlespotinsdelaville.Unvraimoulinàparoles.—Tuarrivesd’oùcommeça?m’interroge-t-elleensefrottantlesdeuxpiedsensemble,unsignede
jubilationdem’avoirauprèsd’elle.—Uneamie.EllevitprèsdeTremblant.—Tuasdormilàhier?—Oui.—Ettuasvoyagéoùdernièrement?—Unpeupartout,maman,tusaiscommentc’est…—Çaveutdireoù,ça?insiste-t-elle.—Panama,Londres,Espagne.—Oh!Mafille,quetueschanceuse!—Ouais,réponds-jeavecunmanqued’entrainapparent.Mamère se lèveet se sertun secondcafé.Elleyajoutedu lait enm’observantde sesgrandsyeux
bleus depuis le comptoir. J’ai l’impression qu’elle m’analyse sous toutes mes coutures, et c’est
exactementcequ’ellefait.—Tun’aspasl’airdanstonassiette.Qu’est-cequisepasse?—Rien,maman.Jesuisjustefatiguée,mens-je,conscientequemamèremelitcommeunlivreouvert.—Justeça?Tum’aspourtantl’airdifférente,m’avoue-t-elleenrevenants’asseoirprèsdemoi.Mamèreaundonpourtoutflairer.Jenepeuxrienluicacher,etmêmesijetente l’impossiblepour
resterdiscrète,ellefinittoujoursparmesortirlesversdunez.Cettefois-ci,parcontre,jerefusedeluidévoiler la raisondemaminebasse. J’ai trophontedemoi. J’ai réellement cruqu’unhommecommeJohnenvalaitlapeine.Alorsquetoutmepoussaitàendouterdepuisledébut.Entendrel’opiniondemamèreneferaqu’empirerlasituation.—Ah,jenesaispas,maman,nousavonsbeaucoupbuchezmonamie,c’estsûrementça.—Bon,situledis.J’auraispenséquec’étaitungars…Je rougis, incapable de cacher la vérité. Comment peut-elle le savoir ? Je sais bien qu’une mère
connaîtsesenfantscommelefonddesapoche,maislamienneexcelledanscedomaine.Jem’efforcedebrouillerlescartes.—Non,non.Pasdegars.Jetel’auraisdit,tulesais.—Ouin,dit-elleenmeregardantd’unœilsuspicieux.Ellenemecroitpas.Maisellen’insistepas.J’espèreseulementqu’ellenemequestionneraplusàce
sujet.Laconnaissant, jedoutequ’elleen reste là.Ellese lèvepourallerchercherun livredecuisine.Revenues’asseoir,elletournequelquespagesets’arrêtesurl’uned’elles.—Tuprévoissoupericicesoir?—Biensûr,voyons!—Parfait!Lebœufbourguignondetagrand-mèreteconvient?—Miam!Vraiment!— Tu pourrais me donner un coup de main avec les patates pilées, propose-t-elle. Comme ça, tu
oublierasunpeucepetitgarsquit’afaitdelapeine…Ellevientdemeprendreparsurprise.Jesavaisqu’ellereviendraitàlacharge,maisjenepensaispas
qu’elleleferaitaussivite.Jemeursd’enviedeluifairepartdel’histoire.J’enaiassezdementiràtoutlemonde.Detoutefaçon,l’opiniondemamèreneferaquemeconvaincredavantagequejeprendslabonnedécision.—Tuasraison,j’airencontréquelqu’un,maman.—Jelesavais!s’exclame-t-elleenbondissantdebonheursursachaise.Monpères’immiscedansla
conversation.—Tuasrencontréquelqu’un,Scarlett?—Hum…Oui,maisc’estdéjàfini.—Hein!Pourquoi?Çafaisaitsilongtempsqueçanet’étaitpasarrivé!s’attristedéjàmamère.—Disonsquec’étaittropcompliqué.—Bon,bon,ilyenaurad’autres,mapuce,m’encouragemonpèreavantderetourners’asseoirdansle
salon.Leconseilpaternelprodigué,mamèreenquêtedeplusbelle.—Ils’appellecomment,lepetitgars?—John,confié-je,enriantdiscrètementdutermequ’elleaemployé.
Lepetitgars!Mamèreestloindesedouterquejesuistombéeamoureused’unhommedequarante-deuxans.—Ilfaitquoidanslavie?—Ilestpilote.—Ouf…Çadoitêtreuncoureurdejupons!Ilt’atrompée,c’estça?Sonjugementnemesurprendpas.Moi-même,j’aitoujourseuunepiètreestimedespilotesenmatière
defidélité.J’avaisprésuméqueJohns’ysoustrayait,maisn’était-cepascontradictoireaveclefaitqu’ilaittrompésafemmeavecmoi?Commepoursalirsaréputation,jen’éprouveaucunscrupuleàrévélerenfinlesfaits, lesvrais.Jen’aiplusdehonteàledire.Jeprendsalorsuneprofonderespiration.Moncœur s’emballe peu à peu, car je suis consciente quemamère s’énervera en entendantmesprochainsaveux.—Enfait,ilatrompésafemmeavecmoi.—QUOI?crie-t-ellesansretenue.—Jesuistombéeamoureused’unpilotequiavaitunefemme!reprends-jeenmelibérantd’unpoids
énorme.—Victor ! s’écrie ma mère en ouvrant les yeux aussi grands que ceux d’un primate miniature de
Bornéo.T’entendsça?Tafilleétaitunemaîtresse!—Maman!—Commentas-tupu?mereproche-t-elle,sanstenterdecomprendre.—J’étaisenamour!hurlé-je.L’actiondepuis la cuisineobligemonpère à fermer le téléviseur et àvenir tempérer la tension qui
monte.—Calme-toi,Agathe !Cen’estpaspour rienque ta fillene te raconte jamais rien.Allez,Scarlett,
continue.—Non,oubliezça!—Jevaismecalmer,m’avisemamère.—Ilaquelâge,cethomme?medemandeposémentmonpère.—Euh…—Quoi,trente-six?tentededevinermamère.—Non,ilestunpeuplusvieuxquecela.—Trente-neuf?avancemonpèreenfaisantunegrimacedansl’espoirqueçanesoitpaslecas.—Quarante-deux,dis-je,honteuse.—Quarante-deuxans!—Agathe!Calme-toi!—OK.OK.Jemecalme.Jesoupire,gênée.—Quarante-deuxetpasd’enfants?continue-t-ellepoursetorturerdavantage.—Maman,tuneveuxpassavoir…—Oui,jeveuxlesavoir!Combien?—Combienquoi?fais-jeinnocemment.
—Combiend’enfantsila?J’aimaintenantpeurdelaréactionhystériquequis’ensuivralorsqu’elleentendramaréponse.Elleme
fixedurement,commesij’étaislaplusignobledesfilles.Elleselèveetposesesdeuxmainsàplatsurlatable.Jejureraisque,d’iciuneminute,sijeneluifournispasl’informationqu’elledésire,ellebondirasurlatableetsortirasescrocs.Jecède.—Ilenadeux.—Deuxenfants!rugit-elleenseprenantlatête,découragée.Monpère,restédemarbredepuisledébutdelaconversation,ajouted’untonbienveillant:—Ehbien,Scarlett,tut’esévitébiendutrouble!— Oh oui ! Crois-moi ! réponds-je solennellement, convaincue qu’un retour en arrière n’est plus
envisageable.
–L
Chapitre20
Montréal(YUL)–NewYork(JFK)–Providenciales,Turks-et-Caïcos(PLS)
adiesandgentlemen,wearenowonourfinaldescentintoProvidencialesairport,weaskthatyoufastenyourseatbelt,makesureyourtraytableisintheuprightposition…
L’appareileffectueunviragepours’orienterverslapisted’atterrissage.Étantdonnénotreinclinaison,ilmesuffiraitd’ouvrirmonhublotpourtomberenlignedroitedansl’océan.Heureusement, leshublotsd’avionnes’ouvrentpas.Quoiqu’ilyaitcertainementunedamedanscemondequilepensetoujours.Jel’entendsencoremedire:«J’aibesoind’air,vouspourriezouvrirlafenêtre?»C’estvraiqu’ilfaisaitchaudàbord.—Regardecommelamerestbelle!melanceBéa,lesyeuxrivéssurlepaysageparadisiaque.—Magnifique!Jen’aijamaisvuunemeraussibelle!Les îles Turquoises sont réputées pour leurs superbes plages de sable blanc bordées par une mer
cristalline. Plus nous perdons de l’altitude et plus je remarque les dégradés de bleu de l’océan. Lesvaguesdéferlantsurlarives’affichentenbleuetblancpourensuitevireraubleucrèmeensemélangeantavec le sable. Plus loin, un turquoise vif peinture l’océan sur une centaine de mètres puis passeradicalementaumarinefoncé,làoùlabarrièredecorailsetermine.«LaTerreestsibelle»,pensé-jeenmetournantversBéa,unsourireaccrochéauvisage.—Merci,dis-jeenluiprenantlamain.—Merciàtoid’êtrevenueavecmoi.—Non,Béa,merci à toi.Tuasgagnécevoyage, tu auraispu inviterSimon, et c’estmoique tu as
choisie.Jesuissiheureuse!J’avaistellementbesoindedécrocher…—Jesaisetjepeuxtejurerquecettesemaineseramémorable!—Tucrois?—Ohyeah!Jen’aipaschoisin’importequelClubMed,Scarlett!Celui-làestréservéauxdix-huit
ansetplus,etréputépoursesclientscélibataires!—Maistun’esmêmepascélibataire…—Non,maistoioui!—Fraîchementcélibataire…Etpourêtrehonnête, jenesaispassi jepourrai retomber amoureuse.
Johnm’aaspirétoutemonénergie.—Voyons!NemedispasquesijemettaislebeauEthandevanttoi,tun’envoudraispas?—Hum…Jenesaispas.Çafaittroplongtempsquejenel’aipasvu.—Tupourraisl’appelerànotreretour?—Jedoisacceptermeschoix,Béa.Çanesertàrienderegarderenarrière.—Jetetrouvepasmaltêtue…
—J’aibesoind’oublierlepassépourlemoment,OK?—C’estjustementpourçaqueceClubMedvateconvenirparfaitement!—Arrête!Toutcequej’espèredecevoyage,c’estdeprendredubontempsavectoi,riendeplus.—Moiaussi,maisfais-moiunefaveur,veux-tu?—Quoi?—Ouvreseulementlesyeux.Danstouslescas,tonJohnneserapassidifficileàbattre!—Ahça,jetel’accorde!
***
—Bonjouràtous!JevoussouhaitelabienvenueauClubMedTurquoise!nousannonce lechefduvillage,vêtudesonpoloblanc.L’équipe des GO (gentils organisateurs) applaudit aussitôt, rendant l’ambiance festive. Pour la
prochainesemaine,nousseronsdesGM(gentilsmembres)etparticiperonsàtoutessortesd’activitéssurle site. J’ai déjà l’intention d’apprendre la planche à voile, et Béa, le trapèze. Toutefois, en cettepremièrejournée,nousconvenonsd’allernousétendresurlaplagepournousfairedorer.—TucroisqueJohnm’enveutdel’avoirlaissépartéléphone?—Est-cequeçaadel’importance?—C’estjusteque,partéléphone,c’estordinaire,non?—Tun’avaispaslechoix.Tuteconnais.Tuauraisfonduenlevoyantettun’auraisjamaisétécapable
delelaisser.—Tu as peut-être raison,mais après tout ce qu’on a vécu ensemble, ilméritait une explication en
personne.—Arrêteça!Qu’est-cequevousavezvécuensemble?Jeprendsunelonguegorgéedepiñacoladapourréfléchiràlaquestion.Uneseuleréponsemevienten
tête.—Dusexe.C’esttoutcequ’onavécuensemble,dis-je.—Exactement.Passionetsexe.Johnnet’ajamaisriendonnéd’autre.—Etunbouquetdefleurs!lancé-jeententantd’enrire.—Ha!Ha!Sérieusement,ilesttempspourtoidetournerlapage…Béaaraison.Jenepeuxpasruminermesvieilleshistoiresencoreetencore,carcelasignifieraitqueje
nesuispasprêteàoubliermoncommandant.Jedoistournerpourdebonladernièrepaged’unchapitreappelé«John».Uneidéefarfeluegermedansmonesprit.—Attends-moiici,jereviens,ordonné-jeàBéa,enenroulantmonparéoautourdemataille.Jecoursaubarcentraletm’adresseauserveur.Ilmeregarde,étonné.Ilseditsûrement :« Iln’ya
qu’unefillepourmedemandercegenredechose!»Peut-être,mais j’ai toujours rêvéd’accomplircerituel.Unefoislenécessaireobtenu,jerejoinsmonamie.Ilfautfairevite,lesoleilsecoucherabientôt.—Wow,tuasbuvite!s’exclameBéaenvoyantlabouteilledevinvidequejedéposesurlatable.—Elleétaitdéjàvide…c’estnotre«bouteilleàlamer»!—Bonneidée!Je tendsunboutdepapieràmameilleureamieet lui indiqued’y inscrire sonnom, ladateetnotre
adresseàMontréal.Quisaitquirécupéreranotrebouteille?Unmarinirlandais?UnBrésiliendeRiode
Janeiro ? De mon côté, je m’installe confortablement et extériorise une dernière fois cette histoired’amourquis’estterminéeetquejesuisenfinprêteàlaisseraller.Jetracelesmotssansrancœursurleboutdepapier.Jemesenslégèrecommel’air.QuantàBéa,elleinscritcequiluiplaît.Jenelelispas.Unmessagepersonneldontelleseuleconnaîtralecontenu.Nous enroulons tel un parchemin nos messages et les glissons dans la bouteille. À l’intérieur, ils
prennentdel’expansionetbordentlasurfacerondevitreuse.J’insèreensuitelebouchondeliègeet,pourm’assurerqu’aucunegoutted’eaunes’infiltrera, je faiscouler lacirechauded’unechandelle que j’airécupéréeenallantaubar.—Wow,tuaspenséàtout!ditBéa.—Presque.Resteàsavoiroùnouslanceronscettebouteille.—Là,devantnous,suggère-t-elleavecassuranceenregardantl’océan.—Aveclescourants,ellerisqued’êtreramenéesurlaplage.Ilnousfautunquai.Quelquesmètresde
plusdanslameraugmenterontnoschancesderéussite.Mon amie se lève et s’avance sur la rive pour scruter les alentours. Elle remarque une plateforme
flottante à l’extrémité droite de la plage et nous convenons de marcher dans cette direction. Trenteminutes plus tard, nous y sommes. La noirceur s’installant peu à peu, nous nous rendons rapidementjusqu’auboutdecetasdeplanchesenboisfixéesentreellespardegrosclousrouillés.Lequaibougeaveclahouleetnoustentonsdenepasbasculerpar-dessusbord.—Tuveuxlalancer?demandé-je.—Non,lance-la,toi.Je fais un pas en arrière pourme donner de l’impulsion. Je brandis sans attendre la bouteille et la
laisses’envolerauloinentournoyantsurelle-même.Jel’imaginedéjàenrouteverslecontinentafricain.Jen’entendsque lesonqu’elleproduiten touchant lasurfacede l’eau.Ce«plouc»signifiepourmoiqu’unchapitrevientdeseterminer.J’aidéjàhâtedeconnaîtreleprochain.
***
—Plancheàvoile,çatedit?proposé-jeàBéa,ensautanthorsdulit.—Çatedérangesijeprendsçarelaxaujourd’hui?—Dutout!Çatedérangesij’essaiesanstoi?Ellemesourit.Ellesaitque,lorsquej’aiuneidéeentête,elleestlàpouryrester.—Non.J’iraiavectoidemain,m’assure-t-elle.Aprèsledéjeuner,jepassem’inscrireautableaudesactivitésnautiques.Dansuneheure,jesuivraiun
coursdeplancheàvoile.J’espèrenepasêtretroprouillée.Madernièrefoisremonteàlorsquej’avaisseizeans.Nous déposons nos serviettes sur deux chaises à l’ombre d’un palmier. Pour ma part, je déteste
m’étendrecommeunesardineausoleilpourgriller,sueretdevenirtropbrune.Ilesthorsdequestionquejeressembleàl’undemespassagers«vieuxpruneau».Ceux-là, on les reconnaît assez vite. Ils font partie de ce groupe de gens qui bronzent sans brûler.
Seulement,ilsn’arriventpasàgérerleurtempsd’expositionausoleil.IlsontcrééunedépendanceauxrayonsUV. Ils se lèvent à sept heures dumatin pour aller déposer égoïstement leur serviette sur unechaise.Ilspartentensuitedéjeuneretreviennentdeuxheuresplustardpoursemettreàl’horizontaleetyrester.Ilssefontdoreruncôtéducorpsdurantquelquesheures,puisc’est l’autrecôtéquiypasse.Lelendemain,lamêmeroutine.
Àlafindelasemaine,ilssontnoirs,calcinés.Leursdentsblanchesnousaveuglent.Poursourire,ilsdoiventfaireuneffortsupplémentaire,carleursmusclesfaciauxsontcomplètementfigés.Toutlesébumdeleurpeaus’estévaporésousl’effetdelachaleur,leurdonnantuneallureterneetsèche.Décidément,j’aimemieuxressembleràuneoasisfleurissantedudésertdeLibyequ’audésertduSahara.Après avoir appliqué une bonne dose de crème sur mon corps, je salue mon amie et rejoins
l’instructeurdessports.Ils’affaireencoreàsortirl’équipement.—Hi,luidis-je.I’mhereforthewindsurfinglesson.—Scarlett?—Yes!—Hi,I’mSam.I’llbeteachingyoutoday.Ildoitavoirvingtans,maisdégagel’assuranced’unhommequienadixdeplus.Sescheveuxblonds
bouclésluidonnentl’allured’unsurferdeMalibu.Ilsemblequej’auraidroitàuncoursprivé,caraprèsavoirenfiléungiletdesauvetage,l’instructeurinstalleunevoilesurl’unedesplanches,s’assurequelewishbone,cettebarrequientourelavoilepourpermettredelamanœuvrer,estbienàmahauteur,et ilm’entraîneaussitôtdansl’eau.—Haveyouwindsurfedbefore?medemande-t-ilafindeconnaîtremonniveaudeconnaissance.—Yes,butalongtimeago…Ilmesourit,commesimonaffirmationrevenaitàdirequejeneconnaisrienàcesport,etilselance
dans les explications.Le vent soufflant de la terre vers l’océan, si je réussis à contrôlerma voile, jepourrailongerlacôtesanstropm’enéloigner.Deparfaitesconditions,m’annonce-t-il.Unefoissurmaplanche,jemontemavoiledosauventetagrippeimmédiatementlabarrederetenue
avec force. Je restestablesurmesdeuxpiedset jeprendsde lavitesse. Je regardeSam,et ilme faitsigned’effectuerunvirementdebord.Jetentelecoupsansaideetj’yarriveauboutdequelquesessais.Finalement, jenesuispassidébutantequecela.J’imaginequec’estcommeapprendreàpédaler :unefoislemouvementmaîtrisé,onneleperdjamais.—Well,youdon’tneedmyhelpanymore!melanceSam,impressionnéparmonautonomie.Moninstructeur,conscientquemesnotionsenmatièredevoilesuffisentpourmelaisserpartirseule,
me suggère de longer la côte jusqu’au quai à l’extrémité droite. Une fois là-bas, je n’aurai qu’àrebrousserchemin.Jem’élancedanscettedirectionavecconfiance.Quelquesmètresplus loin, jenoteuneaugmentationdelapuissanceduvent.Larapiditéàlaquellejemerapprocheduquaimesurprend.J’essaiedefixerl’horizonsansbaisserlatêteafind’éviterdeperdremonéquilibre.Néanmoins,jesuiscertainequ’enunseulcoupd’œiljepourraisapercevoirmaréflexionsurcettemerlisseetcristallineoùjeglisseàviveallure.Mesbrastendustententdegarderlavoilesoulevée,maispeuàpeujeperdsdesforces.Jeregardederrièremoi.LeClubMedsetrouvedéjàbienloin.J’aidépassélequaisansmêmem’enrendrecompte.«Ilesttempsdefairedemi-tour»,pensé-je.J’essaie de virer tranquillement vers la gauche. Je baisse la voile vers l’avant. Ou est-ce vers
l’arrière?Ilesttroptard,carjeplongelatêtelapremièresousl’eau.Jeremontesurmaplancheetlatourneendirectioninverse,ainsijen’auraipasàm’inquiéterpourlevirage.Jetiresurlacordeattachéeaumât,maismesforcesontdéclinédepuismondépartetjen’yarrivepas.Jereprendslamanœuvreet,unefoislewishboneenmain,jeglissesurquelquesmètresavantderetomberàl’eau.J’aibesoind’unepauseetmerésousàm’asseoiruneminutesurmaplanchepourreprendremonsouffle.Jen’aimepas flotterainsiau-dessusdeplusieursmètresdeprofondeur.Mon imaginations’emballe.
Qu’ya-t-ilsousmespieds?Unrequinmangeurd’hommes?Non,probablementunetortueinoffensive,me dis-je pour me réconforter. Comme la peur commence à me gagner, je perçois derrière moi des
éclaboussures dans l’eau. Je suis si terrifiée et mon expression doit parler d’elle-même, car en meretournantpourvoirl’originedubruit,j’entends:—Don’tworry,it’snotashark,justaguyofferinghelp.Monvisiteurlaissetombersavoileetseretrouveauneutresursaplancheàmescôtés.Jebégayeun
semblantde«euh»avantd’esquisserunsourire.Cettehésitationn’estpasdueausoulagementd’avoirévitélamort,maisbienaufaitquejesuisbouchebée.J’ai devantmoiunmâle alpha toutdroit sorti d’unepubdeRalphLauren.Sespectoraux saillissent
sousunchandailmoulantquileprotègedusoleil.Malgrésonvisaged’unblancimmaculé,jesuisdéjàsouslecharme.Sanscetteépaisseprotectionsolaire,quirésisteraitprobablementàunebombenucléaire,j’oublierais que nous sommes respectivement en train de pratiquer la planche à voile et je luidemanderaissur-le-champs’ilestcélibataire.Hum…jemens.Jamaisjen’oserais.—Areyouokay?medemande-t-il.—Yes,I’mfine.Onlyabittired,that’sall,réponds-je,sansavouermesdoutesquantàmacapacitéde
merendreàbonport.—Isawyoufall.Thewindispushinghardnow.MaybeIcanhelpyougetbacktowhereyoucame
from?1
Àl’entendrem’offrirsonaidepourregagnerlarive,jen’aid’autrechoixqued’accepter.Monorgueiln’ensouffrirapastrop.Commeilvientdelementionner,levents’estlevé.Sansaidenitechnique,jen’yarriverai pas. Je préfère qu’un beau gars comme lui vienne àma rescousse qu’être remorquée par lebateauduClub.—Thanks,dis-je.—You’rewelcome.What’syourname?—Scarlett.You?—Ryan.Nicetomeetyou,Scarlett,medit-ilavantdemontersursaplancheetdem’inviteràfairede
même.Monsauveurm’expliquequ’ilmefautmetenirdroite,toutenpliantlégèrementlesjambespourgarder
l’équilibre. Il m’est inutile de forcer, m’annonce-t-il, car en soulevant la voile, l’eau s’en échapperagraduellement.Aprèsdeuxtentatives,jeglisseànouveauendirectionduresort.—Wahou!m’exclamé-je.Je file à toutevitesse sansmepréoccuperdeRyan,quime suit. Il est àquelquesmètres demoi en
diagonale,etjel’entendsmedonnerdesinstructions.Plusverslagauche.Plielesgenoux.Remontelesfesses. Je réalise qu’il a une vue panoramique surmon postérieur.Mais pour lemoment, tout ce quim’importeestderangercetteplanchepourlajournée.Enfinprèsdelarive,jelâchelemâtetsauteàl’eau.Jesuissaineetsauve,enunseulmorceau.—Goodjob!melance-t-ilens’arrêtantàmescôtés.—Thanks!Reallyhappytobeback!Jeluisourisetdétourneleregard,intimidée.JevoisBéaquis’approchepourm’accueillir.—Wow!Tuesunevraiepro!déclare-t-elleavantdemechuchoter:«C’estqui,cegars-là?»—C’estRyan.Ilm’asauvéedesdentsdelamer.Ilestbeau,hein?Jen’hésitepasàprononcercesmotsàunedistanceaudibledemonsauveur.De toute façon, jesuis
presquecertainequ’ilneparlepas français.Jemeretournevers luipour luiprésentermonamie. Il lasalue,seprésenteàsontouretmeregardeensuitedesesbeauxyeuxbleus.
—So,doyougirlshaveanythingplannedfortonight?Pour une fois, je n’éprouve pas le désir dem’enfuir en courant.Mis à part manger et boire, nous
n’avonsriendeprévu.Jeluienfaismention.Ils’empressedesautersurl’occasion.—Well,wouldyouliketojoinmefordinner?Jemeursd’envied’acceptersoninvitation.Monexpressionenditlong,etBéaaccepteennosnoms.—Greatthen!I’llpickyouupat6inthelobby.I’llbringmymate,annonce-t-il.—Yourmate?demandeBéa.—Yes,mymate.I’macaptainandtheguyworkingwithmeismyfirstmate.Reallyniceguy,you’ll
likehim.—Isee2…fait-elle,distraite.En route vers notre chambre, le silence règne. Mon amie demeure muette. Elle sait qu’elle sera
soumiseàlatentationaveccesecondofficierdebateauquinousaccompagnerapourlasoirée.Résistera-t-elle?Pourmapart,ilsemblequej’attirelescapitaines.Monsailorm’adéjàcharmée.Resteàsavoirs’ilsauraconserverlespointsqu’ilvientdemarquerenuntourdemain.
1—Jet’aivuetomber.Leventestfort.Peut-êtrequejepeuxt’aideràretournerlàd’oùtuviens?2—Alors,lesfilles,avez-vousquelquechosedeprévucesoir?[...]—Voudriez-vousvousjoindreàmoipourlesouper?[...]—Super!Jevaispasservousprendreà18heuresdanslehall.Etj’amènemonlieutenant.—Tonlieutenant?demandeBéa.—Oui,monlieutenant.Jesuiscapitaine,etceluiquitravailleavecmoiestmonlieutenant.Ungarstrèsgentil,vousallezl’aimer.—Jevois...fait-elle,distraite.
–C
Chapitre21
Providenciales,Turks-et-Caïcos(PLS)
heers!Nous
soulevonsnosnoixdecocorespectiveset trinquonsàl’agréablesoiréequis’annonce.Lecocktailàbasede rhumestdélicieux,et j’aimebien laprésentation.Lebarmanacoupé ledessusd’unenoixdecoco,enaexpulsél’eauavantdeverser ledrinkà l’intérieur.Apparemment, ilne fautpasenprendreplusquedeux,carilprovoquedeseffetssecondaires:frivolité,dévergondage,adultère…Àenjugerparletauxd’alcoolqu’ilcontient,jepariequ’unseulsuffirapourmemettreàl’aise.—So,yougirlsareflightattendants?nousdemandeSuperDave,l’amideRyan.—That’sit,confirmeBéa,déjàsouslecharme.Whataboutyou?Wheredoes«SuperDave»come
from?Eneffet,sonsurnomm’intrigueaussi.SuperDave?Est-iluneespècedehéros?Ilsembleraitquece
soitlecontraire.Ryannousexpliquecombiensonamiattire lamalchancesur lui.Endeuxans, ils’estretrouvéàl’hôpitaldouzefois.Sadernièrevisiteremonteàdeuxsemaines.Ilétaitentraindenettoyerlacoque du bateau lorsqu’un groupe de méduses l’a entouré. Des démangeaisons intolérables s’en sontsuivies.Sapeauestdevenuerougeetirritée.Unevisitechezlemédecinaéténécessaire.Maischaquefois,l’issueestlamême:ilenrevientindemne,d’oùsonsurnomdeSuperDave.—AreyoufromTurksandCaicos?demandé-jeàmoncapitainedevoilier.—No,I’mfromTexas.—Youlearnedtosailoverthere?JesaisquecetÉtatesténormeetqu’ilbordeenpartie legolfeduMexique,mais lemot«Texas»
évoquepourmoides imagesdechevauxetdecow-boys. Jenevoisni voilier ni capitainedebateau.CommentunTexans’est-ilretrouvésuruneîleparadisiaquedesAntillesàpiloterunbateau?—Well, I learned how to sail on a lakewhen Iwas little.But Imostly practiced on the Pacific
Ocean.Afewyearsago,IcrosseditalonefromSanDiegotoAustralia.Quoi?Ai-jebienentendu?Cebeaugarsquimeregardelangoureusementdanslesyeuxenbuvantun
délicieux cocktail et quim’agalamment aidée à regagner la rive tout à l’heure a traversé d’unbout àl’autrel’océanPacifiquesursonvoilier,seul?—Didyoureally?dis-je,convaincued’êtrevictimed’uneblague.—Yes,Idid.Ittookmethreeyears.—You’reinsane!1
PendantqueBéaetSuperDavejasentdeleurcôtéetquejeréalisequ’ellesauterasansaucundoutelaclôtured’icilafindelasoirée,Ryanetmoiapprenonsànousconnaître.Jerestelucide,conscientequecen’estqu’unehistoiredevoyage,maisjenepeuxm’empêcherd’êtresouslechoctantluietmoivoyons
la vie du même œil. Il m’explique qu’il a décidé de prendre le large parce qu’il en avait assez detravailler du lundi au vendredi, à gagner de l’argent pour un autre, à attendre les week-endsimpatiemment.—That’sexactlywhyIfly.Idon’twork,Ifly.Ihavefun!—Well,that’simportant.Youshouldliveyourlife.Don’twaittoliveit2,ajoute-t-ilenserapprochant
demoi.Desfrissonsparcourentmanuque.Parcequejemedoutequeseslèvresnetarderontpasàtoucherles
miennes,maisaussiparcequesavisiondelaviem’impressionne.Ilvoulaitvivrepleinementchaquejouretnepasattendredixanspours’offrirdesvacances. Iln’apasattendu. Il s’estachetéunvoilieravectoutesseséconomies,aplanifiésonvoyageetaprislelarge.—Whatwasthenameofyourboat?luidemandé-je.Souvent,celaenditlongsurlesgens.—Bula,medit-il.—Bula?— It means anything from hello, goodbye, welcome, love and more in Fiji culture. Basically, it
meanslife.Cette explication intensifie mon désir de l’embrasser sur-le-champ. Bula pour amour, bonjour,
bienvenue.Unnomdebateauayantunepuissantesignification.J’appréhendaisunBeautéchérie ouunSexylady.Passongenre,c’estévident.Mesbarrièresviennentdetomber;j’avancemonvisageverslesien.Ilcessedeparler.Ilmesourit,posesamaindansmachevelureetm’attireversluipourrencontrermes lèvres à mi-chemin. Un baiser doux pour s’apprivoiser. Juste assez pour me donner envie decontinuer.—Heyguys!nousinterrompentàdesseinBéaetSuperDaveensetenantlamain.J’éclatederire,unpeugênée,commesijevenaisdefaireunmauvaiscoup,alorsquec’estplutôtmon
amiequis’apprêteàsombrerdanslevice.—Béa?Tusaisceque tu fais? luimurmuré-jepourm’assurerqu’ellen’auraaucunregretaupetit
matin.—Ilestmignoncommetout!J’ailegoût,OK?Je n’ai aucun problème avec cette affirmation. Je suis beaucoup trop heureuse d’être ici avec ce
charmantRyanquimefaitsentirbelle.C’estexactementcedontj’avaisbesoin.—Wouldyougirlsliketogotothebeach?nousdemandemoncapitaine.Je regardeBéa.L’invitation est alléchante, d’autant plusquenous avons affaire à deuxhommesqui
saurontprendresoindenous.—Sure,répliqué-je.Lorsque je monte à l’avant de la jeep, je souris en voyant les quelques exemplaires froissés du
NationalGeographic qui gisent sousmespieds.Béa et SuperDave s’installent à l’arrière.Nous nousengageonssuruneroutesablonneuseetsombre.Auboutdequelquesminutes,nousnousarrêtonssurlaplage,faceàl’océan.Laluneéclairelamer,lafaisantrayonnertellesdesmilliersd’étoiles.LemoteurbourdonneencorequeBéaetSuperDaves’élancentdansl’eauàmoitiénus.Jeregardelebelhommeàmescôtés.Ilvientdecouperlecontact.Lesclésbalancentdoucement. Il
monte le volumede la stéréo.Unair desRollingStonesme transporte àmes seize ans. J’ai envie del’embrassertoutelanuitcommemonpremierboyfriend.
—Comehere,murmure-t-il.Jem’approche.Jesenssarespirations’affoler.Moncœurbatàenexploser.Là,surlabanquetted’une
jeeppoussiéreuse,jemelaisseguiderparmonsailortelleunevoilesursonvoilier.
***
—Quellesbellesvacancesonaeues!dis-jealorsquenousnouspromenonssurlaplage.—Jesais!C’estdifficiledecroirequ’onpartdéjàdemain.Ç’apassésivite.—TuvasledireàSimonpourSuperDave?—Tuesfolle!Jamaisdelavie!C’estundouanier,pasunsaint.Ilnemelepardonnerajamais.—Tucroisqueçavadureraveclui?—Entoutcas,c’estmalparti…—Jepensaisquetul’aimais.—J’aiditquejel’aimaisbien.Ilmanquequelquechose.—Quoi?—Un«je-ne-sais-quoi»…Apparemment,cettechèreBéaneregrettepas lesévénementsdesderniers jours.Commentpourrait-
elle, c’étaitmagique !Chaque jour, nous avions l’impressiond’être les seules femmes qui comptaientpourcesdeuxAdonis.Nousseronssansdouteremplacéespard’autreslasemaineprochaine,maisjenelesauraijamais.Pendantmonséjour,Ryanetmoiavonsfaitdelaplancheàvoile.Jemesuisbeaucoupamélioréegrâceàlui.Nousnoussommesquittéshiersoir,carildevaitrendrevisiteàsamèreauxÉtats-Unis.Pournotredernièresoiréeensemble,ilm’ainvitéedansunrestaurantappeléSomewhere.Ungroupe
jouaitdelamusiquereggae.Nousavonspartagéunpoissonentier.Ilm’aditqu’ilaimeraitbeaucoupmerevoir«quelquepart».J’airidujeudemots,maisilétaitsérieux.Ilainsisté.Jedevaisêtrehonnêteaveclui:jenesuispasprêteàfairedesallers-retoursauxîlesTurquoisesenplusdevolerauxquatrecoinsdumondepourmonjob.Jeluiaiavouéquej’avaisvraimentappréciénotretempsensemble,maisquejen’endemandaispas
plus.Jemesuissurpriseàêtresincèreàcesujet.J’auraisplutôtétédugenreàvouloirtenterletoutpourletoutauparavant.MarelationavecJohnm’acertainementramenélespiedssurterre.—Jesuisfièredetoi,Scarlett,meditBéa.Turéalisesquetuasréellement tournélapageavecton
pilote?— Je pense que oui. J’espère quandmême ne pas tomber face à face avec lui prochainement. Ça
m’aiderait…—Ilesttellementbonmanipulateurqu’ilpourraittefaireflancher.—Ahça,non!Jamaisplus!CetteviveréactionrassureBéa.Elleafaitcecommentairepourmetester.C’estbienjoué,carjesuis
enflammée.Jeviensdevivreenunesemaineceque j’aurais tantvouluvivreavecJohnetque jen’aijamaiseu.J’accélèrelacadenceencreusantdelargesempreintesdepasdanslesable.—Passivite!C’étaitseulementpourvoirsituétaissérieuse!—Çava.Jenesuispasfâchée.Seulementconvaincue,dis-jeavantderalentirpourobserverlascène
devantnous.Ungroupede touristes enmaillot debain sont rassemblés en cercle. J’entendsdes «Ho ! » et des
«Ha !». Ils s’étonnentenchœurcommes’ilsvenaientde faire ladécouvertedu siècle. Je regarde lesablesousleurspieds.Jen’yvoisaucunanimalquipourraitsusciterautantdestupéfaction.Béaetmoinousapprochonsdavantage.Quepeuvent-ilsavoirrepéré?Untrésordepirates?Aussicurieusequ’eux,jem’abaisseàimitercesgensquis’arrêtentsurlelieud’unaccidentpourfaire
duvoyeurisme.Quelquepeugênéesdenous immiscerdans legroupe,Béaetmoi restonsen retrait enbasculant la tête d’un côté et de l’autre pour tenter de voir ce qui retient leur attention. Soudain,j’entends:—Ilyaunmessageàl’intérieur!—Peut-êtrequ’ilaétéécritparunpetitAfricain,lanceunefilletteauxcheveuxbouclés.Moninstinctmeditquecemessageprovientdedeuxjeuneshôtessesdel’airenquêtedelibertésurles
plagesd’unClubMed.Quiplusest,jesuisprêteàgagerqu’ilestcontenudansunebouteillelancéeàlamerilyamoinsd’unesemaine…— Jemedoutaisqu’unquaineseraitpasassez long!m’exclamé-jeendonnantuncoupdecoudeà
Béa.—Tunecroispasque…Pendantquejehochelatêteenguised’approbation,unefemmesemetàliretouthautletexteécritsur
undesmorceauxdepapier.—Jem’appelleBéatriceHamelin.J’aiécritcemessagele20avril2013surlaplageduClubMeddes
îlesTurquoises.Cettesemaine,jecomptetromperSimon.Jenesuispassatisfaiteaveclui.Lorsqu’ilmefaitl’amour,il…Cellequitraînaitdelapattependantnotrepromenadearetrouvésonénergie.Ellevientd’arracherle
boutdepapierdesmainsde ladame,qui s’apprêtait sansdouteàdévoilerd’éloquentsdétails sur leslacunessexuellesdesondouanier.Jem’excuseauprèsdugroupepourtenterderéparerlespotscassés.Ils éclatentde rireenvoyant la couleurpourpreduvisagedeBéa. Jenecomprendrai jamais rienauxcourantsmarins…
1—J’aiapprisànaviguersurunlacquandj’étaispetit.Maisjemesuissurtoutentraînésurl’océanPacifique.Ilyaquelquesannées,jel’aitraverséseul,deSanDiegoàl’Australie.[...]—Vraiment?—Oui.Çam’apristroisans.—Tuesfou!2—C’estexactementpourçaquejetravailledansl’aviation.Jenetravaillepas,jevole.Jem’amuse!—C’estimportant.Ilfautvivretavie.N’attendspaspourlavivre.
–P
Chapitre22
Montréal(YUL)–Istanbul(IST)
ardon,madame,vousallezbien?murmuré-jeàunepassagèreassiseducôtédel’allée.
Mespréoccupationsexprimées,jem’attendsàcequ’ellelèvelesyeuxpourmerassurer.Aucontraire,ellem’ignore.Jeprendsunedemi-secondepourl’observer.Lafemmevoiléeestàgenouxsursonsiègeetfaitfaceaudossier.Elleestsiminusculequ’ellearéussi
à se recroqueviller dans son fauteuil tout en se balançant de l’avant vers l’arrière. Comme je suisconvaincuequ’elle sanglote, jem’apprête à lui toucher le bras,mais je remarque que ses deuxmainss’ouvrent devant elle comme un livre.À cet instant, je remerciemonmoment d’hésitation quim’auraévitéd’interrompresaprière.Misàpartuntempsdevolmortellementlong,jemedemandaisenquoiunvolversIstanbuldifféraitd’unversPuntaCana.J’enaimaintenantunevagueidée.DeuxmoissesontécoulésdepuismonvoyageauxîlesTurquoises.J’aitroquélesvolsduSudcontre
leslongscourriersversl’est.Danshuitheures,unenouvelledestinations’inscrirasurmaliste.J’aihâtedevisitercetteville.L’équipages’estmisd’accordpour faireunevisiteéclair,carnousnedisposonsmalheureusementqued’unevingtained’heuresenescale.Pendant que je serai à Istanbul, Béa visitera Athènes. Ah, j’oubliais ! C’est finalement Simon le
douanierquiapris lapoudred’escampette.Ellen’amêmepaseuàcouper lesponts. Iladûsentir lasoupechaudeetapréféréseretirerlatêtehaute.PourcequiestdeRupert,ilvisitelePortugalavecsoncopainRené.Jesuiscertainequ’ilvaadorer.C’estunsibeaupays,quicharmedèslespremiersinstantsparseshabitantssympathiques,sacuisinetraditionnelleetsesplagesmagnifiques.Jeviensdeparcourirl’alléedel’avantversl’arrière.J’aimisuneéternitéàgagnerlagalley,car je
distribuaislescouvertures.Lacabineétaitglacialeettouslespassagersm’ontretenueparlebraspourenobtenir une. J’ai pris le temps d’aviser ceux qui n’en voulaient pas qu’après le décollage l’air serafraîchitnaturellement.Trenteminutessontnécessairesavantqu’unetempératureagréableserétablisse.Lorsquejetraverselerideaupourrejoindremescollègues,jeremarquequ’unhommesetientdebout
prèsdestoilettes.Ilporteunvoileouplutôtuneépaissecouverturesurlatête.Ledraptombedechaquecôtédesapersonne.Unenfantpenseraitqu’unfantômehantel’avion,maisjesaisqu’uneprièreestplutôtencours.J’ignoreMonsieurFantômeetpréparemonchariot.— Tu es déjà allée à Istanbul ? demandé-je àAnick, une jeune hôtesse qui, lorsqu’elle parle, finit
toujoursparmeperdreencoursderoute.—Oui,unefois,l’anpassé.(Unesecondepasse,puisuneautre.)C’esttrèsbeau,ajoute-t-elle. (Une
seconde,deuxsecondespassent.) J’aimeraisallerauGrandBazar,m’annonce-t-elleenfinenarticulantlentement.Letempsqu’elleaprispourm’expliquersonplandematchsuffitàmedéciderànepasenfairepartie.
Àcettevitesse,onrisquedenejamaisréussiràvisiterlaMosquéebleue.Jetâteleterrainauprèsdemon
collègueDavid,unhyperactif.—GrandBazar,Mosquéebleueetensuiteresto.Jeneveuxvraimentpasm’éterniser,souligne-t-il.Tantmieux,carjepariequ’aprèsleshuitheuresdevolqu’ilrestej’auraiunefaimdeloup.J’aipeut-
êtretrouvémoncompagnondevisite.—Tiens!Tupeuxinstallerlesverressurlechariot,medit-ilenm’entendantquelques-uns.J’aimebienmontermonpropredessusdechariot.Parexemple,jedéposetoujourslabouteilled’eauà
madroite,car jesuisdroitière.Undétailquisemble insignifiant,maisquimefaitgagnerbeaucoupdetempsetd’énergie.Pendantquejem’assurequetoutestenrègle,desmurmuresattirentmonattention.Ilsproviennentdederrièrelerideau.Jepassematêtedel’autrecôté.—Sami’a Allahou liman hamidah, chanteMonsieur Fantôme en se tenant bien droit.Rabbanâwa
lakalhamd,continue-t-ildeplusenplusfort.Curieusedeconnaîtresonrituel,jel’observepluslongtemps.Detoutefaçon,étantdonnélelongdrap
opaquequ’il s’est déposé sur la tête pour s’accorderde l’intimité, il nepeut pasmevoir.Voilàqu’ils’agenouille sur le plancher, bloquant ainsi le passage vers les toilettes. Heureusement, personne nesembleavoirunbesoinurgentd’alleraupetitcoin.Quoique,sij’étaisunpassager,jen’oseraisenaucuncasl’importuner.— Allahu Akbar ! Soubhâna Rabbiya-l-’a’lâ ! Soubhâna Rabbiya-l-’a’lâ ! Soubhâna Rabbiya-
l-’a’lâ!glorifie-t-ild’unevoixlancinante.Je ne peux m’empêcher de penser qu’il ne devrait pas poser sa tête sur ce plancher crasseux
d’apparencepropre.Maissonbesoindepriersupplantesonsoucidel’hygiène.—Onestprêts (unesecondepasse)pourdistribuer (elleprendunepausepour réfléchir) les repas,
m’annonceAnick,encoreenpremièrevitesse.—Onaunproblème,alors…—Quoi?demandeDavid,lesourcilarqué.—Viensvoir,dis-jeenmontrantl’autrecôtédurideau.Moncollègues’avanceetpousselacloisonentissusurlatringle.Ill’attacheaveclacourroiefixéeau
murtoutenanalysantlasituation.—Onnepeutpasvraimentluidiredecesserdeprier,maisilnousbloquelecheminpourpasseravec
lechariot,conclut-il.—Onattendqu’ilfinisse?—Paslechoix.Nous croisons les bras et avisons nos collègues de patienter. « Cela ne devrait prendre qu’une
minute»,pensé-je.Lesminutespassent.MonsieurFantômevientdeseremettredeboutetposesesdeuxmainssursesgenouxensepenchantversl’avant.—AllahuAkbar!— Peut-être qu’onpourrait lui demander de se tasser juste pour nous laisser passer ? proposé-je à
David.—Etc’esttoiquicompteslefaire?—Biensûrquenon…C’esttoi,dis-jeenarborantleplusbeaudessourires.Moncollègue soupirepuis s’approchede l’homme.Bienqu’il nepuissepasvoir son visage, il est
impossiblequeMonsieurFantômenel’entendepasàcettedistance.—Sorrysir,butweneedtokeepworking.Wouldyoumoveabittothesidetoletusthrough?
Sontondoux,maisautoritairedevraitenthéorieinciterquiconqueaumouvement.Néanmoins,l’hommeresteenplace,continuantsasérénade.Ilnecomprendpeut-êtrepasl’anglais.— Pardon, monsieur, nous devons travailler. Pourriez-vous nous laisser passer ? Cela ne prendra
qu’uneseconde,reformuleDavidenesquissantunegrimaceàmonintention,anticipantquelepassagerneréagirapas.Jesoulève lesépaules.Mescollèguescommencentàsoupirerd’impatience.Nousfrapponsdupied.
Cinqminutessesonttransforméesenquinze.Ledirecteurdevolvientd’appelerpourconnaîtrelaraisondeceretardanormal.MonsieurFantômenesemblepass’enpréoccuper,denouveauàgenouxentraindebaiserleplancher.—Bon,çasuffit!s’énerveDavid.Onnevapasypassertoutlevol!Sanshésitation,ils’accroupitprèsdel’homme,lèvesonvoilepourvoirsonvisage.Il lefaitsivite
qu’ilnerencontreaucunerésistance.—Désolé,monsieur,maisvousêtesdansunendroitpublic.Vousaccapareznotreespacede travail.
Laissez-nouspasser!Le drap retombe brusquement sur la tête du passager.Mon collègue exaspéré se relève et pose ses
mains sur seshanches. Je suggère intérieurement àMonsieurFantômedenous laisser passer pour sonpropre bien. L’équipage se tient alerte, prêt à avancer les chariots dans l’allée lorsqu’il dégagera lepassage.Sanstropsepresser,l’hommeseredresseenfin.Ilneretirepassonvoilepourrepérerlesenvirons,il
connaîtapparemment lesmoindres recoinsdeson lieudeprière. Il faitunpasvers lagauche.Puisunautre,enneprononçanttoujoursaucuneparole.Ànotregrandbonheur,nouspoussonsenfinleschariotsdansl’allée.Jemedemandes’ilauraterminésonrituellorsquenousatterrironsenTurquie.
***
Lesrepasterminés,jepeuxm’asseoirpourengloutirmasaladesantéquej’aiapportéedelamaison.Jeramasse un plateau, un pain et un petit beurre etm’assois sur les sièges d’équipage, complètement àl’arrière de l’appareil. Il est minuit, heure deMontréal, mais je jurerais qu’il est midi. Une file depassagersattendentpourlestoilettes,etDavidetAnickviennentdesedirigerenmilieudecabinepourrépondreàdesappelsdepassagers.Comme agents de bord, nous devons composer avec certains éléments irritants lorsque nous
travaillons.Uncollèguedétesterarécupérerlesplateauxvides,alorsqu’unautrenebroncherapaspourun plateau,mais sautera un plomb si les verres recueillis sont àmoitié remplis de liquide. Est-ce sidifficile que cela de finir sonminuscule verre d’eau ? Apparemment, oui. Bref, demon côté, ce quim’horripile,misàpartlejusdetomate,biensûr,c’estceDINGquiretentitquandunpassagerappuiesurleboutond’appel.Enparlantduloup…—DING!DING!DING!entends-je,enmâchouillantunebouchéedepain,l’estomacgargouillant.Grrr!J’aifaim.LeDINGpersiste.Uneurgence?J’endoute,maisjeveuxmangerenpaix,alorsjene
tardepasàmelever.Jem’avancedansl’alléejusqu’àlarangée19.Unefemmeetsonenfants’ytrouvent.Jusqu’àmaintenant,jesuisconvaincuequ’iln’yapaslefeu,que,commed’habitude,leboutond’appelaétéenclenchéparerreur.—Vousavezbesoindequelquechose?demandé-jeàladameenneutralisantlebouton.—Oui!J’aimeraisavoirdulaitpourmonfils.
Jefeinsunsourireetretourneàl’arrièrepourremplirlebiberondupetit.Sondésirexaucé,jeretourneàmasalade.Lafourchettedanslabouche,jeperçoisdenouveauleDING.Àcetinstant,jemaudislesdesigners d’intérieur de ce type d’appareil qui, de toute évidence, n’ont jamais eu à subir ce DINGinterminable.Ilssesontsûrementdit:«Onvamettreleboutond’appelaccessiblepourfaciliterlatâcheaupassager.»Pourtant,dans90%descas,lemécanismeseconvertitplutôtenunvraipiègeàpresserlebouton.Mêmelesbébéss’amusentàl’enfoncer.Cesoir,aprèsquelquesallers-retours,jeremarqueunedifférencequantaupourcentagedeDINGqui
s’enclenchentparerreur.En fait, lamajoritéd’entreeux sont le résultat d’ungestevolontaire.ChaqueDINGégaleunerequête!—Onterminenoslunchsetonvafaireunserviced’eaupourlescalmer,nousaviseledirecteurdevol
parinterphone.—J’espère!Jen’enpeuxplus!maugréeDavid,quiamangésurlecoinducomptoir.—Onpourraitdiluerunsomnifèredansleureau?—Ha!Ha!J’aimeraisça!merépond-il.—Moiaussi,avoué-jesansremords.
***
L’hôteloùnousséjournonssedressemajestueusementenamontd’unecolline,dansunquartiermoinstouristique de la ville d’Istanbul. En faisant notre entrée dans le lobby, nous sommes fouillés par lasécurité. Nous déposons nos valises pour qu’elles soient inspectées et passons sous un détecteur demétal.Nousprenonsensuiteplace sur lesgrands sofas sous l’escalier central enattendantnosclésdechambre.— Wow, je ne suis plus certaine de vouloir visiter la ville, dis-je, en imaginant le confort de la
chambreenmebasantsurleluxedel’entréeprincipale.—Ondorttellementbienici!Ilyamêmedespantouflesoffertes,préciseuncollègue.—PassurprenantqueBarackObamasoitdéjàpasséparici,ajouteChristian,lepremierofficier.—Ah,cool!ditDavid.Mais,Scarlett,onvaenville,non?medemande-t-ilpourvérifierlesérieux
demadernièreaffirmation.—Oui,oui,jevaismejoindreàvous.Paslechoix.C’estmapremièrefoisàIstanbul.Aprèsavoir récupérémaclédechambre, jeconfirme l’heuredurendez-vousavec l’équipageetme
dirigeaussitôtversl’ascenseur.J’aibesoindeprendreunedouche,caruneforteodeurdetranspirationémane demon uniforme. Je n’ai pas l’habitude de suer au point de m’empester moi-même, mais lesdernièresheuresdevolm’ontexténuée.Laportecoulissantes’ouvreaudix-neuvièmeétage.Jeprendslecouloiràmadroiteetm’arrêtedevant
machambre.Laserruremagnétiquepasseauvertetjefileàl’intérieur,impatientedemedéshabiller.Jenevaismêmepasdéposermesvalisessurleporte-bagages.Jeresteàl’entrée,prèsdelasalledebain.Jemelibéreraidemesvêtementsenpremier,sauteraisousladoucheetrégleraileresteensuite.—Ah!soupiré-jedebonheurenlaissanttombermonjumpersurleplancher.Je déboutonne ma chemise avec ardeur. Si je le pouvais, je ferais éclater les boutons pour m’en
départir plus rapidement. Mes jambes coincées dans mes bas de compression semblent sur le pointd’exploser.Uneodeurpoussiéreused’avions’échappe lorsquemescollantséchouentàcôtédesautresvêtements.Dansuneminute,jeseraienfinsousladouche.
Toutendétachantlesagrafesdemonsoutien-gorge,jelèvelesyeuxpourregarderlepaysagequisedessineàl’horizonparlafenêtresituéeaufonddelapièce.Quejepeuxêtrepressée!Jen’aimêmepasprisletempsd’admirerlabeautédelachambrenileBosphorequidéfileauloin.Jesuiscurieusedevoirces mosquées se dresser par centaines dans la ville, et je décide de m’accorder une minute pourcontemplerledécor.Je laisse tomber lemorceaude tissuavantdem’avancerprèsde labaievitrée.Mapoitrine respire
enfin.La lumièrem’aveugle et, pour une seconde, je n’arrive plus très bien à distinguer les environs.Celam’importepeu, car les rayonsdu soleil réchauffentmon corps, et je les accueille en fermant lesyeux.Mespaupièress’entrouvrentetmavisions’éclaircit.Jefaisdemi-tourpourregagnerlasalledebain,
maissoudain,unélémentattiremonattention.UnevaliseLouisVuittonestdéposéesurleporte-bagages.Cette valise n’est pas la mienne ! Je n’ai pas de Louis Vuitton ! Mon cœur s’emballe. Je me suisintroduitedanslachambredequelqu’und’autre!«Heureusementqu’ilsnesontpaslà»,pensé-jeavantdemeretournerpourregarderlapièceenentier.—Ah!hurlé-jeàpleinspoumons.—Ah!s’écrieavecterreuruncoupled’Asiatiquescachéssouslesdrapsblancsdulit.J’aimeraiscourirpourmecacher,maisjefigetelunchevreuilsurlarouteavantdesefairehapperpar
unevoiture.Lecoupleauxyeuxexorbitéssemetàparlerdansunelanguequim’estinconnue.Lemalaisea assez duré. Je vole la serviette blanche qui gît sur une chaise. J’aimerais m’excuser d’avoir faitintrusiondansleurchambre,maisj’ensuisencoreàmedemandercommentj’ensuisarrivéelà.Avantdequitter la pièce, mes deux spectateurs joignent leurs mains, se penchent et, contre toute attente, melancent:Sorrrrry!Sorrrrry!Nesuis-jepascellequidevraits’excuser?Peut-êtrepas,finalement.Ilsm’ontquandmêmeobservée
pendantdeuxlonguesminutessansm’avertirdeleurprésence.J’espèrequ’ilsenonteupourleurargent!
A
Chapitre23
Istanbul(IST)
prèsavoirracontémamésaventureàmescollègues,enleurépargnantquelquesdétails,nousfilonsendirectionducentre-ville.J’aibienproposéquenouspartagionsdestaxispournouséviterdesdésagréments, mais Vivianne, une sénior que je n’aime pas trop, a assuré les autres membres
d’équipage qu’elle savait comment se rendre jusqu’au quartier de Sultanahmet. Elle s’est ensuiteempresséedenousaviserquenouspouvionslasuivrejusqu’aucentre-ville,maisqu’unefoisàbonport,unautrecollègueetelleprendrontunedirectiondifférente.Sijeconnaissaiscetteville,jeseraisdéjààl’intérieurduGrandBazarsansdépendredequiquece
soit,maisquelquefois,ilfauts’adapter.Enroute,nousfaisonsunarrêtauguichetautomatiquepourfairelepleindelires,ladevisedupays.—Elliotetmoiavonsdescoursesàfaire.Vousn’avezqu’àcontinuertoutdroitetàprendrelebateau
jusqu’aucentre-ville,nouslanceVivianne,impatiente.Nousn’avonspasletempsdeluidemanderdenousattendrequ’elleestdéjàbienloin,suivieparson
chiendepoche.C’estvraiquenoussommesplusieursàrécupérerdel’argent,maiscelan’auraitprisquequelquesminutes.Lavoyants’éloigner,jesenslesdoutesm’envahir.Nousneparlonspaslalangue,etjen’airiencomprisdesesdernièresexplications.—Pasdepanique,nousrassureDavid.Jesuisvenulasemainepassée.Unefoisauxbateaux,çavame
revenir.—Onajusteàprendreuntaxi,dis-je.—Çavanouscoûtercher,untaxi,lancel’ennuyeuseAnick.—Onesthuit.Çafaitquatrepartaxi,çanepourrapasnouscoûtercher,insisté-jeencore.Masuggestionnefaitpasl’unanimité.J’ensuisbienpeinée,caraprèsneufheuresdevoletunenuit
blanche, jevoudraisbienconserver lepeud’énergiequ’ilmereste.D’ailleurs, jen’ai jamaiscompriscettefaçondepenser.Certainspréfèrentsauverquelquesdollarsetmettreleursécuritéendangerplutôtquedegagnerdutempsenmontantàbordd’untaxi.Ledicton«L’argentmènelemonde»trouvepeut-êtresonoriginedansl’aviation.Les bateaux s’alignent dans le port. Lequel devons-nous prendre ? Fatima, une hôtesse d’origine
iranienne, tente de communiquer avec un vendeur de billets derrière un kiosque. Elle comprendvaguement qu’il n’y a pas de bateau pour se rendre à Sultanahmet et qu’il vaudrait mieux utiliser letransportroutier.—Quelbus?demandé-jeensoupirant.—Undeceux-là,maisjenesaispaslequel.—Prenonsuntaxi,çaseramoinscompliqué,suggèreàsontourChristian,lepremierofficier.—Oui!fais-je,heureusequ’ilyaitenfinunintéresséparmonidéededépart.
—Untaxi,c’esttropcher,affirmeAnick.Nousmontonsàbordd’unbusqui,supposons-nous,vaverslecentre-ville.Uneodeurdetranspiration
pèseàl’intérieur.Jem’imagineleconfortdemachambred’hôtelpourmechanger les idées.Quelquesminutespassentetmoninstinctmeditquenousnenousdirigeonspasdanslabonnedirection.Enmatièredetouristes,iln’yaquenous.—Fatima,tuveuxdemandersinoussommesdanslebonbus?—Maisjeneparlepasturc…—Essaiequandmêmeeniranien,c’estmieuxquerien,dis-je.Elles’approcheduseulhommequisembleouvertàladiscussion.Ilretientunsacd’emplettesentre
sesjambesetluisouritlorsqu’elles’adresseàlui.—GrandBazar?demande-t-elle.Ilsoulèvelessourcils.Detouteévidence,ilneconnaîtpaslemot«bazar».—Souk?tente-t-elleensuite.Ildemeuresilencieux.—Sultanahmet?Ilsecouelatêteetluibaragouinequelquechosedontellenecomprendpaslesens.Unétudiantassisen
retraitdécidedejouerauhéros.—Wrongbus.Needtotakethetram.Nextstop.Jeregardemamontre.Ilestdix-huitheures.Considérantquenoussommesdanslemauvaisvéhiculeet
que nous devrons prendre un tramway, je calcule que nous n’atteindrons jamais ce marché avant safermeture.Personnenerechignemêmesi,intérieurement,certainss’enveulentsûrementd’avoirrefuséletaxi. Lorsque nous descendons au prochain arrêt, nous sommes prêts à en prendre un, mais aucun nedaignesepointerleboutdunez.Paslechoix:nousdevronspoursuivrel’aventuresurdesrails.—Ilarrive!annonceDavidenvoyantleconvois’avancerverslaplateforme.—Ouf,onattendleprochain?proposé-je,récoltantl’approbationdemescollègues.Comment aurions-nous pu entrer là-dedans ? Les portes coulissantes se sont ouvertes et la foule
compactéeàl’intérieurabienfaillisedéversersurleciment.—Envoilàunautre!Letramterminesacoursedevantnous.Àtraverslesvitresembuéesetsales,jeremarquedesvisages
aux expressions ternes et fatiguées. La chaleur extérieure plombe sur le toit au-dessus de leurs têtes,incommodantcestravailleursauretourduboulot.Lorsquelesportess’ouvrent,iln’yapasplusd’espacedisponiblequedansleprécédent.—C’estl’heuredepointe,conclus-je,lesautrestrainsserontpareils.—Onyva,alors!déclareDavid,quisautedanslepremierwagonenpoussanttoutlemonde.Sanshésitation,nouslesuivonsdanssonélandecourage.Mescollèguessefrayentuncheminsanstrop
dedifficulté,enrétrécissantpetitàpetitl’espacedisponiblepourunhumainenplus.Àmontour,jetentedem’immiscer,maisjenevoisaucunefaçonderéussircetteprouesse.Àmadroite,Christian,lepremierofficierbaraquécommeunearmoireàglace,meregardeavecdudésespoirdanslesyeux.—Impossiblequejerentrelà-dedans!L’annonce de la fermeture imminente des portes réveille en moi l’instinct de survie. Si nous
n’embarquonspasmaintenant,nousneretrouveronsjamaislegroupe.Jesaisisalorslamaindupiloteet
l’attire dans un secondwagon.À peine sommes-nous entrés quemon nez se retrouve à un centimètred’unevitrecrasseusemepermettantàpeinedevoirlesbâtimentsdéfileràl’extérieur.—Tusaisàquellestationilfautsortir?demandé-jeàChristian.—Aucuneidée.Jenefaisquesuivredepuisledébut.—Moiaussi!—Lesautressontdanslewagonvoisin.Onlesverrasortiretonsortira,merassure-t-il.—OK…Àl’arrêtsuivant,jesorslatêtepourfaireleguet.Tellementdegensmontentetdescendentqu’ilm’est
impossiblededistinguerunseulvisagefamilier.L’alluredélabréedecettestationmeconvaincquemescollègues sont encore à bord. Je décide tout de même de m’informer auprès d’une jeune femme àl’apparencesympathique.—Sultanahmet?Ellemedévisage,apeurée,etdétournesonregarddumien.Lesgensréagissentdedifférentesmanières
dansdessituationsd’inconfortetd’incompréhension.Cettedameapréférém’ignorer.—Jepensequ’onvasedébrouillerseuls,dis-jeenmetournantversChristian.—Onvasortirauprochainarrêt.J’ail’impressionqu’onestbeaucouptroploin.Enposantlespiedsausol,j’observelewagonvoisin,maispersonnen’ensort.Jen’aperçoispasnon
plusmescollèguesàl’intérieur.—Ondiraitquec’estjustetoietmoimaintenant…—Parfait!Ceseramoinscompliqué,merassure-t-il.Tuveuxalleroù?—Entaxi,onapeut-êtreletempsdeserendreauBazar.Qu’est-cequetuendis?—Jetesuis.Le hasard fait bien les choses. À deux, sans exigences de personne, on finira peut-être par visiter
quelque chose.Nous sautonsdansun taxi et lui demandonsdenousdéposer devant l’entréeduGrandBazar.
***
—Sorry,we’reclosing,nousinformel’hommeàl’entrée.—Please!Oneminute!supplié-je,lesmainscolléesenguisedeprière.Jem’attendsà récolterun second refus,mais au lieudecela,onnous laissepasser.Lesmarchands
fermentboutiqueetjesaisquejen’auraipasletempsd’acheterquoiquecesoit.Néanmoins,jemesensprivilégiée d’avoir réussi à entrer. LeGrandBazar d’Istanbul est l’un des plus grands aumonde ! Jeprendsquelquesclichésavantd’êtrerapidementencouragéeàquitterleslieux.—Onvamanger?demandé-jeàChristianendéambulantdanslesruellesavoisinantes.—Commetuveux.Jecommenceàavoirfaim.—Moiaussi.Onvaoù?—Quelquepartdanslecoin.Tienslà,çasemblebien.—Hum…Plutôtcelui-là,dis-je,attiréeparlaterrassed’unrestaurant.—Çameconvientparfaitement!—Ah,c’estsisimpleavecvous,leshommes!—Etc’estsicompliquéavecvous,lesfemmes!blague-t-il.
***
Leserveurnoussert levinenattendant leplatprincipal. J’aichoisi lekébabetmoncompagnon, lamêmechosequemoi.—C’estleseulmotquejeconnaissurlemenu!melanceentoutehonnêtetéChristian.—Moiaussi!C’esttapremièrefoisenTurquie?—Jesuisvenuilyadixans,maisavecVéoAir,c’estmapremièrefois.—Çafaitlongtempsquetutravaillespourlacompagnie?—Unan.GrâceàJohnRoss,quim’aaidéàêtreengagé.—Ah…fais-je,surprised’entendrelenomdemoncommandant.—Ilestpilotepournous,précise-t-il.—Oui,jepensesavoirquic’est.Jesuissouslechoc.Jenem’attendaispasàentendreparlerdelui.Lepiredanstoutça,c’estqu’une
fois encore, je cache la vérité. Je pourrais plutôt dire : « Oh ! Je le connais très bien. On a couchéensemblependantdeuxans!»Maisçamèneraitàquoi?Seulementàmedonnerunesaleréputation.Jepoursuislaconversationenjouantl’innocente.—John,c’estluiquiétaitavecuneagentedebord?—Quiétait?Ilestencoreavecelle,àcequejesache.Jem’étouffeavecmagorgéedevin.—Çava?medemandeChristianenm’entendanttousser.—Oui,oui,désolée,j’aibutropvite.Tudisais?—SeulementqueJohnétaitencoreavecsafemme.—C’estdrôle,j’étaiscertainequ’ilsavaientdivorcé.— Ça fait deuxmois qu’ils sont de retour ensemble. Je suis content pour eux. Il y a tellement de
couplesquiseséparentdenosjours.—Jenetelefaispasdire!Jesuiscontentepoureuxaussi!Etjelesuis…Jesuismêmesoulagéed’apprendrequ’ilarenouéavecFreaking-Debbieplutôtqu’être
encoupleavecuneautre.—Heille,regarde,c’estAnicketlesautres!Le premier officier pointe le doigt en direction de la rue, changeant par bonheur le sujet de la
conversation.Mescollègues,entraindemarchanderavecunvendeurdefauxsacsdemarque,nenousontpasaperçus.—Onleurfaitsignedevenirnousrejoindre?JedétournemonregarddesChaneletPradaetfixeChristian,incrédule.Commes’ilavaitludansmes
pensées,ilseravise.—Nah!Justeleurtrouverunetableoùs’asseoirrisqued’êtrecompliqué!Lelendemain,lorsqueAnickmedemanderacequinousestarrivéaprèsletram,jemegarderaidelui
mentionnerquecettemésaventurenousarenduungrandservice.
–R
Chapitre24
Montréal(YUL)
enéetmoiavonsquelquechoseàvousannoncer…
Rupert soulève son verre de vin blanc dans les airs. Béa etmoi nous regardons. Que peut-il bienvouloirnousdirepourorganiserlejourdesonretourduPortugalunsouper-barbecueàl’appartement?—C’estunpeutôtdansunerelationpourvouloiradopter!letaquiné-je.—Avantd’adopter,ilfaudraitvivreensemble…Moncolocataireagranditlesyeux.Jecomprendsqu’ilvientdefairesonannonce.Ilveutemménager
avecRené!—Wow!Félicitations!s’exclameBéaenserrantRupertetRenédanssesbras.Jetrinqueaveceuxpourleurmontrermoncontentement,carjesaisquepourRupertc’estunegrande
étape.Iln’a jamaisvécuavecunamoureux.C’estdusérieux!Puisune idéeme traverse l’esprit :quiprendrasaplace?—Tantqu’àêtredanslesujetdudéménagement,ajouteBéa,quisembleavoirludansmespensées,ça
tediraitqu’onemménagejustetoietmoi?L’idéemeplaît.J’aiadorévivreàtrois,maisnotreRupert-porte-malheurestirremplaçable.Etnotre
salaires’estaméliorédepuisnosdébutsdansl’aviation.Sanshésitation,j’acceptesaproposition.—C’estpeut-êtreladernièrefoisqu’onmangeraensembleici…dis-je,unbrinnostalgique.—Ilsn’aurontqu’àvenirnousrendrevisitedansnotrefutur«palace»!ditBéa.—Tuvasvenir,Rupert?—Biensûrquejevaisvenir,Scarlett!Pourquoijeneviendraispas?—Parcequetuesencouple.Souvent,unefoisencouple,onnégligesesamis…—Passesbonsamis,ajouteRenépourmerassurer.Enparlantdecouple,onarencontréquelqu’unde
trèsintéressantàl’aéroport…—Qui?RupertfixeRenéd’unairégaré,commes’iln’arrivaitpasàsesouvenirdequiils’agissait.Pourlui
rafraîchirlamémoire,soncopaintournelatêtepourmeregarder.Uneodeurdefuméeserépanddanslacour extérieure. Jeme lèvepour aller vérifier la cuisson des steaks ; ils ne sont pas tout à fait cuits.Lorsquejereviensàmachaise,Rupertvientd’avoirunflash-back.—Ah!s’exclame-t-il,contentdenepassouffrirdelamaladied’Alzheimer.Pourtant,ilometdemerévélerlenomdumystérieuxinconnu.Ilapeut-êtrepeurdemaréaction.Pour
atténuersesappréhensions,jem’empressed’intervenir.—Sic’estdeJohnquetuparles,ilestretournéavecsafemme.Etjen’aiaucunproblèmeavecça!
—John?demandeRupertensecouantlatête,incertaind’avoirbienentendu.—Cen’estpasluiquetuasvuàl’aéroport?—Non!Maisattendsuneminute…John,TONJohnestderetouravecsafemme?—Oui.C’étaitprévisible.Ilnepeutpasêtreseul.—Scarlett!Commenttuasprisça?—J’avouequej’aieuunpincementaucœur,maisenréalité,jesuiscontentequ’ilsoitretournéavec
elle.—Aumoins,iln’apasjetésondévolusurunejeunehôtessepourterendrejalouse,ajouteBéa.—Mêmesiçan’avaitpasétédanscebut-là,j’auraistrouvéçainsultant.—Jecomprends.Donc,justepourclarifier,tuesvraimentpasséeàautrechose?demandeRupert.—Oui!Tuesfierdemoi,hein?RupertetRenésourient.Ilsdoiventsedire:«Ilétaittemps!»Pendantquejerécupèrelespiècesde
viandesurlegril,ilsmepartagentlefonddeleurpensée.—Enfait,onavulebeauEthanàLisbonne.Ilarrivaitquandnousonpartait.Tudevraisl’appeler…J’avaledifficilementmabouchéedeT-bone,légèrementsouslechocd’entendrelenomdumystérieux
inconnu.Jamaisjenel’auraisdeviné.—Ethan?Commentallait-il?bégayé-jesansm’enrendrecompte.—Ehbien,il…commenceRupert.—Onne lesaitpas! intervienten trombeRené.Nousne luiavonspasparlé.Lorsqu’ilestsortide
l’avion,nousétionsdel’autrecôtédelabaievitrée.—Ilvousavus?—Non!Ilnenousapasvus,précise-t-ilendonnantuncoupdecoudeàRupert.—Alorspourquoivousditesquejedevraisl’appelersivousneluiavezpasparlé?—Ontrouveseulementquevousalliezbienensemble,répondmoncolocataire.Jedemeuremuette,tentantd’analyserlasuggestion.AppelerEthan?Pourluidirequoi?«Jenet’ai
pas contacté parce que j’ai choisi un pilote marié avec deux enfants au lieu de toi ? Je m’en veux,pardonne-moi?»MonsilenceprolongépousseBéaàmedonneraussisonopinion.Elleinsistepourquejel’appelle.Jenesuispasdumêmeavis.—J’auraisdûlerappelerilyaquatremois.Maintenant,c’estcommedire:«Jen’aitrouvépersonne
d’autre, alors j’ai pensé à toi. » Il va être insulté. En plus, qu’est-ce qui me dit qu’il est encorecélibataire?—Tunelesauraspastantquetunel’appelleraspas,répondBéa.—Jepensequ’ilvoyageaitseulauPortugal,siçapeutt’encourager,ajouteRupertpourmeconvaincre.—Çaneveutriendire.IlvasouventenEuropepourletravail.—Peut-être.Maistudevraisl’appelerquandmême,répète-t-il.—Detoutefaçon,ilesthorsdupays.J’ailetempsd’ypenser…—N’ypensepastroplongtemps,sinonc’estmoiquileferai!memenaceBéa,àdemi-sérieuse.Jeluifaisdegrosyeuxquipourraientsetraduirepar:«Mêle-toidetesaffaires!»Or,jesaisqu’il
vaudraitmieuxpourmoiquejeluidonnemonaccord.J’aitellementhonted’avoirchoisiJohnaulieudetentermachanceavecEthanquejamaisjen’oserailecontacter.Malgrémarésolutionderegardervers
l’avant, Ethan reste dans mes pensées. Intérieurement, je souhaite que ma meilleure amie joue àl’entremetteuse.Cettefois-ci,j’enseraisravie.
***
Lerepasterminé,lecoupledetourtereauxsedirigeàl’intérieurpourdéposerlesassiettesvides.Béaetmoiprofitonsdecemomentpourfairenotreanalyse.—Jepensequeçavadurerentreeux,dis-je.—Jelepenseaussi.J’espèrem’entendreunjourcommeçaavecmonfuturcopain.—Onleveuttoutes,avoué-jeenfixantlesol,pensive.—Tusais,toutàl’heure,lorsqu’onaparléd’Ethan…—Oui?—Jen’insisteraispassijepensaisquevousn’étiezpascompatibles.—Jesais.Jel’aimaisbienaussi.Jemesentaisàl’aiseaveclui,saufqu’onn’apaseusuffisammentde
tempspourseconnaîtreetlàilesttroptard.—Troptard?Iln’estjamaistroptard,Scarlett,surtoutpasenamour.Mespenséesdemeurent orientéesversEthanpendant un instant.Unequiétudegagne la cour, etBéa
n’insistepas.Ellepensesûrementqu’ilvautmieuxmelaisserréfléchir.Ainsi,jemedécideraipeut-êtreàdécrocherletéléphonepourcomposersonnuméro.—Scarlett,j’aibesoindetonaide!melanceRupertducoindelaporteenbrisantlesilence.—Qu’est-cequejepeuxfairepourtoi?—J’aiunBarcelonedansdeuxsemainesavecRené,maisj’aiunrendez-vouschezlemédecin.Jedois
l’échanger.Tupourraisleprendre,etmoi,jeprendstonBarcelone,unjourplustard?—C’estquoitonvol?Ruperthésite.—C’estunBarcelone,jeviensdeteledire.—Hum…JeteconnaisRupert,qu’est-cequetumecaches?—Ben…iln’estpasdirect.—OK…C’estquoilevol?—UnParisdeadheadBarcelone.Jeréfléchis.Moncolocatairevientdemedemanderlalune.J’aihorreurdesmisesenplaceaprèsun
volversl’est.Depuisledébutdel’été,j’airéussiàm’ensauver.Rupertlesait.Ils’approcheetposesatêtesurmonépaulepourm’amadouer.—S’iiilteplaaaaaît!chante-t-ild’untonmielleux.—J’imaginequejepourraisfaireçapourtoi…—Ah!Merci!Merci!s’exclame-t-il,surexcité.Jen’auraispassurefuser,etce,mêmesijeluilaissemonBarcelonedirectenéchanged’unemiseen
place mortelle. Je comprends sa reconnaissance. Toutefois, il avait demandé de voler avec René…Pourquoil’échangeralors?Ahoui!Unrendez-vouschezlemédecin.
***
—Dring,dring,dring!
—Béa!Tontéléphonesonne!crié-je.—Réponds,s’ilteplaît,j’ailesmainsdansl’eau,lance-t-elledepuislacuisine.Jeglissemondoigtsurl’inscription«Répondre».J’aidéjàdécrochélorsquejeconstatequelenom
affichéestceluidenotreemployeur.—Oui,allo?—Bonjour,j’aimeraisparleràBéatriceHamelin.—Euh…Jedéduis l’évidence.VéoAir veut affecterBéa sur unvol de dernièreminute. Je suis incapable de
mentiretc’estpourtantcequejedevraisfaireàl’instant:répondrequ’ellen’estpaslà.Jemeprépareàrétorquer à mon interlocutrice que ma colocataire est absente sauf que Béa m’arrache le iPhone desmains.«Non!Nefaispasça!»—Oui,allo?—BéatriceHamelin?—Oui,c’estmoi,dévoile-t-elleinnocemment.—C’estcrewsked.—Merde…chuchote-t-elle,enmelançantdesflèchesdepuislecoindelatable.—Jevousappellepourvousinformerquenousavonsretrouvévotreportefeuille.—Ahoui?L’expression de Béa change pour irradier le soulagement. Rupert, René et moi la scrutons
attentivement, tentantdecomprendreceque ladamepeutbien lui avoir annoncépourque sonattitudechangeainsi.Ellepressesurlehaut-parleurdutéléphone.—Vousl’aviezperdu?—Non!Onmel’avolé!corrige-t-elle.—Ah…çaexpliquetout,émetlavoixsansdonnerdeprécisions.—Alors,ilétaitoù,finalement?s’énerveBéa.—Danslestoilettes.«Hein?»Nousavonsinspectétouslesrecoins.Béaaussiestétonnée.—Oùça,danslestoilettes?—Ilétaitcachédanslecompartimentquicontientlesmasquesàoxygène.Nousl’avonstrouvélorsdu
contrôlegénéraldel’appareil.—Wow,çaenaprisdutempspourquevousinspectiezl’avion!—Cecontrôles’effectueauxmilleheures.Jen’aipasdepouvoirlà-dessus,sejustifie lafemme,un
brinagacéeparletondemonamie.Vousvoulezrécupérervotreportefeuilleoupas?—Biensûr…—Jeletransmetsdoncàvotresuperviseur,dit-elleavantderaccrocher.Lefameuxportefeuilleaétéretrouvé!SaufquecetteannoncenepermetpasàBéaderécupérerses
troiscentseuros,emportésparMonsieurŒil-de-poisson.D’aprèssonallure,jenel’auraispascruaussibrillant.Béasembledumêmeavis.—Lamoraledecettehistoire,dit-elle,c’estqu’ilnefautjamaissefierauxapparences!
C
Chapitre25
Montréal(YUL)–Paris(CDG)–deadheadBarcelone(BCN)
esoir,jem’envolepourParis.Légèrevariante:jeterminemarouteàBarcelone.Depuisledébutdel’été, j’éviteà toutprix lesmisesenplaceaprèsunvol,car j’aihorreurdedevoir jouerà lapassagèreaprèsavoirtravaillétoutelanuit.J’auraispréférédormiràPariscesoir,maisaulieude
cela,jedoisembarqueravecuneautrecompagnieaériennepourrejoindreillicoBarcelone.Rupertsaitqu’ilm’endevraune.«Undeadhead,cen’estpassipirequecela»,ai-jetentédemeraisonnerlorsquej’ai accepté l’échange.Vraiment ? Pas quand il doit être effectué avec une compagnie à bas prix quis’assuredefairelaviedureàsespassagerspourseremplirlespoches.—Scarlett,tuasprisletempsdet’enregistrerpourtondeadheadavantdepartir?René,mondirecteurdevol,vientdemerappelerlaprocédured’enregistrement.Oups!J’aioublié.—Ilyauradesfraisaucomptoir,m’avise-t-il.—Çanemesurprendpas !Je te jurequecettecompagnie-lànous ferabientôtpayerpouralleraux
toilettes!—Ellen’yapasdéjàpensé?—Hein?—J’ailuçaquelquepart.— Incroyable ! m’exclamé-je avant de retourner dans l’allée pour effectuer le service du petit-
déjeuner.Lerideautraversé,jeregagnel’arrièredel’appareilpourrécupérermonchariot.Lesoleils’estlevéà
l’horizon.Depuis leshublots semi-fermés,un filetde lumièreparcourt lacabinede longen large.Lespassagersdormentencoreàpoingsfermés.L’unalecoutorduentresonsiègeetceluidesonvoisin.Unefemme,laboucheentrouverte,adéposésatêtesurl’épauledesonmari.J’ail’impressionquelechandailencotondel’hommeserahumideàsonréveil.Çanetarderapas,carRenéfaitalorsentendrel’annonce.Dansuninstant,jeseraidansl’alléeetjeredoutecequim’attend.Enfait,j’ensuisvenueàdétesterlamarquedeyogourtque je sers, carune foisouvert et englouti par trois cents personnes, son odeur defraiseoudepêches’imprègnedanslacabinepourunboutdetemps.Ilyatroisheures,j’aiserviunrepaschaud.Lesplateauxrécupérés,jen’aiaperçuaucunpassagerse
leverpourallersebrosserlesdents.Sil’unm’apassésouslenez,ilaétésansdoutel’exception.Lesgenssesontassoupis,fermantl’œil,maisaussilabouche.Aumicroscope,onpourraitvoirungroupedebactériesquiontdéclarélepartyenapprenantqu’ellesavaientlechamplibrepourlestroisprochainesheures.Depuismagalley,jeflaireàdistancelerésultatdeleurpetitefête.Etpuis,unefoisdansl’allée,l’odeurdumatinm’attaque!—Uncafé,monsieur?demandé-jeà10A.
—Volontiers!—Noir?—AvecduSUCCRRREE,s’ilvousplaît.Ouf ! Une odeur de mauvaise haleine envahit mes narines. J’éloigne la tête discrètement pour me
distancerducourantd’air.—DeuxSUCCCRRREES,ajoute-t-il.—Voilà!dis-jeenleslançantsursatablette.Leglamourdemonmétiers’envoleavecleleverdusoleil.Jeneleretrouvequ’unefoisàl’hôtel.—TuesalléaunouvelhôtelàBarcelone?demandé-jeàmoncollègueManuel,unefoisladescente
commencée.—Non,pasencore.SeulementàceluideParis.—C’estcomment?—L’hôtelestconfortable,maisonestloind’êtrechoyésenétantàcôtédel’aéroport.—Lemétroestproche?—Oublielemétro!Avecvingtheuresenescale,çanevautpaslapeine.Etdirequ’onétaitenplein
centre-villeilyadeuxmois…—VéoAirveutéconomiser.Ondevras’habituer.—Jesais,saufquemonsourirerisquedeseperdreentrel’hôteletl’avion.—Ouquelquepartpendantnotredeadheadsurlesailesd’unecompagniebric-à-brac!
***
—Lecoûtdel’enregistrementaucomptoirestde70euros,m’informel’agenteausol.—Pardon?—C’est70euros,répète-t-elled’unairdétaché.Je fais demi-tour pourm’adresser àRené. Ilm’avise qu’il n’a pas sa carte de crédit au nomde la
compagnieetquejedoisdéboursermoi-mêmelemontant.«VéoAirteremboursera»,medit-il.«Etàqueltauxdechange?»Mabonnehumeurs’évaporeenvoyantmacartedébitéed’untelmontant.—Vousavezdesbagagesàenregistrer?Jevoyageavecmoncarry-on.Commetoutl’équipaged’ailleurs.Celacomprenduneminusculevalise
àroulettessurlaquelleestdéposéunsacnoiràbandoulière.Ilaétéconçupourlesmembresd’équipageafinqu’ilsn’aientjustementrienàmettreensoute.Pasdebagagesenregistrés,pasdepertedetemps,pasdebagageségarés.—Non,réponds-je.—Vousn’avezdroitqu’àunseulbagageencabine,ajouteladameenscrutantmesdeuxsacs.—Jesuisagentdebord.Jen’airienàmettreensoute,insisté-je.—Jesuisdésolée,madame,maisvousavezégalementunsacàmain.Celafaittroisbagagesautotal.
Vousdevezenenregistreraumoinsunetmettrevotresacàmaindansvotrevalise.Unseulbagageestpermisàbord.Jegrogneetfaispartdelaprocédureàsuivreaurestedel’équipage.Renés’enveutdenepasavoirsa
cartedecréditets’excuseàmaintesreprisesdenepaspouvoirpayerlesfraispourtousnosbagagesàenregistrer. Je décide de conserver avec moi la valise à roulettes et dépose sur la balance mon sac
contenant les liquides. Son poids n’excédant pas quinze livres, je paie les frais minimums. Quant àManuel,ildoitdébourser50euros.Lagaietéquiluirestaits’effacelorsqu’ilrèglelanote.—Etvotresacàmain?reprendladameaucomptoir.—Quoi,monsacàmain?—Vousaveztoujoursdeuxbagages,madame.Unseulestpermisàbord.Jesoupire.«Vousêtessérieuse?»pensé-je.Sonexpressionm’informequ’iln’yapasdedoutesur
sesintentions.Sicen’estpasmoiquiinsèremonsacàmaindansmavalise,c’estellequis’enchargera.Je le pousse commeune vieille serviette à l’intérieur en espérant quemes vêtements se compacterontdavantagepourluilaisserdel’espace.Mongenoumepermetenfindefermerlafermetureéclair.Lasueurperlesurmonfront.Lepeudefraîcheurqu’ilmerestaitvientdes’envoler.Nos billets récupérés, nous traversons la sécurité. Il estmaintenant sept heures dumatin, heure de
Montréal, et je n’ai pas encore fermé l’œil.Nous nous installons en retrait des autres passagers pourprofiterd’unpeudecalme.Jedéposemavaliseàmespiedspouryallongermesjambes.Mespaupièress’alourdissentetjem’assoupis.Lavoixrobotiséeénumérantlesprochainsdépartsmeréveille.Lamélodiequijouaitdansmesoreilles
n’apasréussiàétoufferlesbruitsextérieurs.Jesursautecommesij’avaispassétoutdroit.Uneminutevientdes’écouler,maisj’ail’impressiond’avoirété«déconnectée»pendantuneheure.Jeréalisequejesuissifatiguéequejepourraisnepasmeréveillerlorsquel’onsignaleral’embarquementpournotrevolversBarcelone.Jerefusedemefieràmescollègues,carmêmeRenédortàlaverticalesursachaise.Unrapidecoupd’œilaugroupemerévèlequelagrâceattribuéeànotreuniformen’existeplusdepuisunbonmoment.L’uneaenrouléungrosfoulardautourdesatêtepourseprotégerdelalumière.Uneautredortsur l’épaule de Manuel, qui a la tête tombante. J’aimerais changer de vêtements, mais l’énergie memanque.Une annonce se fait entendre. Je secoue la jambe de mon directeur de vol, ce qui le fait bondir,
terrorisé.—Quoi?—Désolée…Onvientd’annoncerl’embarquement.Ilregardeàl’extérieur.—Tuescertaine?—C’estcequej’aientendu.—Bizarre,parcequel’avionn’estpasarrivé,remarque-t-il.Jevérifieparmoi-même.Lapasserellepourrejoindrel’appareilestbeletbienlà,maiselles’allonge
danslevide.Malgrécetteévidence,unefouledepassagerscommenceàs’entasserprèsdelabarrière.Ilssepoussent,sedépassent,s’agitent.Jemesouvienssoudainquecettecompagnieaériennen’attribuepasdesiègesàl’avancesil’onnepaiepasunsupplément.Premierarrivé,premierservi!Aprèsunvoldenuit,jerefusedefinirentredeuxinconnus.—Sionnes’avancepasnousaussi,onvafiniréparpillés,dis-je,dégoûtéeparcetteidée.—Ouin,çanemetentepastrop,meconfieRené.Commedes sardines,nousnousentassonsdans la filed’attente.Lesminutespassent et toujourspas
d’appareil.Mesjambesdeviennentlourdesetj’aienviederetournerm’asseoirconvenablementdanslasalled’attente.Maisjen’aipasattendutoutcetempspourperdremaplace!Ilestneufheuresdumatinàlamaison et mes collègues ont laissé leur professionnalisme en chemin. Ils utilisent désormais leursvalisescommebanc.Jelesimitesanshésiter.Lebancportatifestné!
—Sérieux?m’exclamé-jeenconstatantquelasituationneprogressepas.—Jenepeuxpascroirequ’ilsaientannoncél’embarquementsansmêmeavoird’avion!s’énerveà
sontourManuel,lacravatedetravers.Lespassagers s’impatientent.Uneheurevientdepasser et toujourspasdemoyen de transport pour
nousconduireenEspagne.Lafatigueestremplacéeparl’exaspération.Laflammedumétiernem’animeplus.Jemesermonne:«Plusjamaisdedeadhead!Pourquoiai-jeacceptéd’aiderRupert?Jesuistropgentille!Laprochainefois,ceseraunNONCATÉGORIQUE!»Lemiraclesurvientauboutd’uneheureetdemie.UnBoeings’avanceànotrebarrière.Dessoupirsde
bonheurparcourentlafile.Jedemeuredemarbre,conscientequelespassagerstoujoursàbordn’ontpasencoredébarqué,quel’avionn’apasétéravitailléetnettoyé,quenousnesommespasembarqués.Pourmerassurer,jemedisqu’ilnemerestequesoixanteminutesdevol.Ensuite,unlitdouilletm’attend.Jesais pourtant que cette prochaine heure est une heure de trop. Une heure de cauchemar. J’en suisconvaincuelorsquej’aperçoisl’ennemijurédesvoyageurssejoindreàlapartie.—Cachezvosvalises!nousavertitmacollègueAriane,quin’aconservéavecellequelepetitsacen
bandoulière.Pourfaireécranentreleradardel’hommeenhabitnoiretjauneetmavalisesurlaquellejesiège,je
collemesjambesensemble.—Vousdeux,montrez-moivotrevalise,ordonnel’agentausol.JeregardeManuel,quivient, toutcommemoi,desefaireappréhenderparMonsieurRack-Surprise.
Cederniertientunestructureenferoùilestinscrit:«Illogedansleformat:apportez-leàbord.Ilnelogepas:payezlesfraisoulebagagenevoyagepas!»Monacolytemeregarde,médusé.«Impossiblequ’onnousoblige,nous,membresd’équipage,àinsérernotrevalisedansceminusculeespace»,doit-ilsedire.Ehoui!J’obéis etme lèveendévoilant lesdimensionsdemonbancportatif improvisé.Voyant lamargede
manœuvredontjedispose,jem’avance,lesépaulesbasses.Cen’estpasunrackdeBoeingquijugeramonbagage,maisceluid’unCessnaàdeuxpassagers!Jesaisàpremièrevuequemapauvrevaliseàroulettes n’entre pas dans ce rack,mais je suis aussi convaincue qu’elle loge sans problème dans lecompartimentsupérieurd’un737.Manuel passe en premier. Il dépose sa valise entre les deux barres de fer. Elle n’y entre pas si
facilement,alorsillapousseàl’intérieurenlacompressantdechaquecôté.Auboutdedeuxtentatives,iltriompheàl’épreuveets’ensortindemne.Àmontour,arméed’unnaïfespoir,jetented’insérerlamiennedansceminusculevide.Aucunrésultat.
Commel’afaitmonprédécesseur,jepoussedechaquecôté.Rien.«Timeout!pensé-je.J’aidroitàunedeuxièmechance!»Jel’enlèvedusupportetladéposeausolpourpousserdessusdetoutmonpoids.Mon genou presse telle une massue contre mes effets personnels. Je les ai peut-être suffisammentcompactéspourréussirlechallenge.Jeréessaiel’insertion,maisjenenoteaucunchangement.Jepoussedeplusbelle.J’aichaud.—Madame,jesuisdésolé,maisvousdevrezlamettreensouteetpayerlesfrais.—Non,attendez,ellevaentrer!insisté-jeenpoussantplusfort,lasueuraufront.—Ellen’entrepas,madame!—J’abandonne!déclaré-je,àboutdesouffle.Combien?—Trente-cinqeuros.—Quoi?
—C’estavecmacollègueaucomptoirquevousdevezréglerlanote,medit-ilsanscompassionavantdepartiràlarecherched’autresvictimespourremplirlespochesdesonemployeur.Unefoislemontantdébitédemacartedecrédit,ladameapposeuneétiquetteCARGOsurmavaliseet
m’expliquequ’unresponsablelarécupéreraàl’entréedel’appareil.Jelaremercied’unairsarcastiqueetrejoinsmescollèguesqui,parsolidarité,n’osentpasdireunmot.Lorsque l’embarquementcommence,nousavonsdroitàunevraiepartiedehockey.Coupsde coude
par-cietcoupsdebagagespar-là.Prêteàmonteràbord,j’attendsuneminuteprèsdelaporte.N’ya-t-ilpasquelqu’unquidevraitrécupérermavalise?Curieusement,jen’aperçoispersonne.Jem’avancedansl’allée.J’entendsmaintenantdes:«Tassez-vous,j’étaislàavant!»Lespassagerss’arrachentlessiègesprès
deshublots.Jeremarqueplusieurstêtesalignéesprèsdufuselagealorsqu’ilyenapeudanslessiègesdumilieu.Parchance,uneplaceenbordd’alléeestdisponible.—Oh!C’estvraiquemavaliseestbeaucouptropgrossepourcetavion!m’exclamé-jeavecironieen
ladéposantsansdifficultédanslecompartimentau-dessusmonsiège.Je prends place à côté de René. Manuel s’assoit devant moi. Quant à mes autres collègues, ils
s’éparpillentcontreleurgréàtraverslacabine.—Monsieur,vouspourriezm’aideravecmonbagage?demandeunepassagèreàManuel,toujoursvêtu
desonuniformed’agentdebord.—Jenetravaillepaspourcettecompagnie,madame!l’informe-t-il.Ladameinsiste.Elleluifaitdegrosyeux.Illèvelebrascommepourlachasser.Elles’offusqueen
soupirant.Ilbonditsursonsiège,scandalisédelasituation.—Jen’enrevienspas!Onnepeutpasavoiruneminutepournous!s’énerve-t-ilenrépondanttoutde
mêmeàsarequête.René etmoi éclatons de rire.Mon collègue vient de se transformer en passager perturbateur.Nous
l’incarnonstousdésormais.Noussommeslepassagerquiaenduréavantd’exploser.Iln’al’airderien.D’unangemême.Etpuis,l’obligationd’attachersaceinturedesécuritéouunrefusd’utiliserlestoilettesenturbulence,etc’estl’éruption.Ilcrie.Ilnoustraitedetouslesnoms.Noussaisissonssonpasseport,lefaisons arrêter. Pour ne pas en arriver là, je respire, ferme les yeux etm’endors sur l’épaule demonvoisin.
***
—Cigarettesélectroniquesàvendre!Cigarettesélectroniquesàvendre!Jebondissurmonsiège.J’essuielasalivequicoulesurmajoue.L’annonceretentitdansmesoreilles
commeuncrideguerre.Jesuisenvoiedemerendormirlorsquel’hommeaumicroreprendsaventeàpression.—Billetdeloterie!Billetdeloterie!Moncouseraidit.JerêvaisàEthan…Mestympansvibrentencoresousl’effetdelasurprise.Vais-je
réussiràdormir?J’endoute,carc’estlemomentdelaboutiquehors-taxes.Lesagentsdebordlancentenchœurdansl’allée:DutyFree!DutyFree!Jesuisagresséedetoutesparts.Jenepeuxpascroirequejesuisaussidérangeante lorsquej’ai l’obligationd’accomplir lamêmetâche. Impossible !Jeprendsuneprofonderespiration.Plusquevingtminutesdevol,etl’enferseraderrièremoi.
***
—Surnotreitinéraire,c’estécrit:«PointderencontreaupoteauE,arrivéesinternationales.»Renéobservelesalentours.NoussommesbienaupoteauE,maisaucunbusaffichantune inscription
«CrewVéoAir»n’attirenotreattention.Plusieursvéhiculess’alignentdanslestationnement;jedécidedem’approcherpourvérifier.Jereviensbredouille.—Çafaitquinzeminutesqu’onattend.Çacommenceàfaire!Ildevraitêtrelà,surtoutqu’onestpartis
enretard…seplaintArianepourlapremièrefoisdepuisledébutdel’aventure.—C’esttoujourscommeçaenEspagne!dis-je,l’airfataliste.—Bon,resteztousici,jevaisallerlesappeler.Mon directeur de vol laisse sa valise auprès de nous et retourne à l’intérieur de l’aéroport pour
dénicheruntéléphonepublic.— Voilà pourquoi je ne serai jamais directrice de vol, ajouté-je, vidée d’un quelconque esprit
d’équipe.—Moinonplus!Tutetapestoutlefardeau!m’appuieunecollègue.Cetteattented’unedizainedeminutessetransformeenuneséancedemauvaisehumeur.Jechigne.Tu
chignes.Nouschignons.Trèslibérateur,maisçan’amélioreenrienlasituation.— Bon ! J’ai parlé à crewsked. Le gars sera là dans cinqminutes ! nous assureRené qui semble
reprendredupeps.—Mets-enplutôtdix!grogneManuel.Jenepourraispasmieuxdire!
–B
Chapitre26
Barcelone(BCN)–Montréal(YUL)
onmatinàtous!noussouhaiteRené,pleind’énergie.
—Bonmatin,réponds-jesansentrain.Moncollègueavéritablementréussiàrechargersesbatteriespendantlanuit.Ilseretournesurlesiège
dubusprivéquinousconduitàl’aéroportets’apprêteàfairesonbriefing.Avant,ilmejetteunrapidecoupd’œilpoursavoirquellemouchem’apiquée.—Scarlett,tuasunedecestêtes!—Wow,René…Tusaisparlerauxfemmes,toi.—Désolé,tuasl’airfatiguée,c’esttout.Est-cequeçava?—Tusais,lapremièrechosequ’ilfautéviterdedireàunefemme,c’estqu’elleal’airfatiguée.Même
si,entretoietmoi,c’estlecas…—Jem’excuse!Tuestellementbelle!J’aibesoindeventiler.— Je ne sais pas pour toi, maismoi, j’ai été obligée demanger des conserves de thon hier pour
souper!Jepeuxtedirequej’aidévorélebuffetdecematin!Jen’aijamaistrouvélesrestaurants.Jemesuisréveilléeàtroisheuresdumatin,incapabledemerendormir.Etjem’ennuiedemonhôtelaucentre-ville.Jeneveuxplusjamaisrevenirici!René me comprend, car il a dû marcher quarante minutes aller et retour pour trouver le centre
commercialafindes’acheterunsandwich.Enfait,ilsemblequ’iln’yaitquemoiquinel’aipastrouvé,carmescollèguessesontrejointsdanslelobbypours’yrendreensemble.Manuelm’aditqu’ilestvenucogneràlaportedemachambre,etquejen’aipasrépondu.J’étaispourtantlà,maisjen’airienentendu,lesommeilm’ayantemportée.Àmonréveil,jemesuisdirigéeàl’épicerie,pourdécouvrirqu’elleétaitfermée. L’homme à la réception m’avait fourni un plan, alors j’ai marché pendant trente minutes endirectionducentrecommercialdansl’espoirdetrouverunendroitoùmerestaurer.Pasâmequiviven’acroisémonchemin.Nimêmeunevoiture.Jesuisrevenuebredouille.EnEspagne,ledimancheestunjourconsacréaurepos.Pourunagentdebordquiséjournedésormais
horsducentre-ville,loindescommodités,lejourduSeigneursignifieplutôtladescenteauxenfers.Lesjambes lourdes, j’ai regagné mes quartiers et appelé le service aux chambres. « Los domingos, noofrecemosesteservicio»,m’a-t-on réponduauboutdu fil.Cettemauvaisenouvelleaeu l’effetd’unebriquedansmonestomac.Pasdeserviceauxchambressignifiaitquejedevaismecontenterdemonkitdesurviealimentaire.Aumenu:conservesdethon,gruau,barregranoladurandonneur.Unvraifestin.Sansêtrerassasiée,jemesuisassoupiepourcalmermafaim.Résultat:jemesuisréveilléebrutalementàtroisheuresdumatin.
—J’aiunRedBulldansmonsac,tuleveux?—Jeneprendsjamaisça,maisjevaisfaireuneexception.René me tend la boisson énergétique et pendant que j’engloutis le liquide, il nous fournit les
informationsduvol.Quelquesgorgéesplustard,jeremarqueaumoinsunélémentpositif:àBarcelone,letransportnousamènejusqu’àl’avion.Quelplaisir!Jen’auraiàinteragiravecpersonnetantetaussilongtempsquelespassagersnemonterontpasàbord.Notrepointdefouilleestsituéenretraitdelapiste.Lechauffeurs’arrêtedevantl’étroitbâtimenten
béton. Pendant que nous passons la sécurité, qui est plus reposante que celle des États-Unis ou del’Angleterre, lebus est fouillé.Nousy remontons de l’autre côté de la barrière, section tarmac.Nouscirculonslelongduterminalenpassantsouslespasserellesreliéesauxavions.Lorsquenousarrivonsànotreappareil,l’équipageduvold’allerdescendlesescalierspournousrejoindre.Ilsprendrontlemêmebusquenouspourserendreàl’hôtel.—Rupert!m’exclamé-jed’untonlamentable.—Scarlett!Encoremillemercispourl’échange!Chanceuse,tuasavectoi lemeilleurdirecteurde
vol!—C’estaumoinsça!—Çan’apasbienété,ondirait?Tuasl’airfatiguée.Tudevraispeut-êtretemaquillerunpeuplus,
suggère-t-il,inquiet.—J’ail’airsipirequeça?—Non,non,maisunpeudeblushneteferaitpasdemal.—J’aipasséuneaffreusenuit.Dublush,tuessûr?—Certain!Allez,vaterefaireunebeauté,insiste-t-ilavantdemefairelabiseetdesaluersoncopain
avantnotredépart.Aprèsavoirmontélesescaliersetouvert laportequimèneàl’intérieurdelapasserelle, je regrette
aussitôt dem’être précipitée à bord. «Davantage d’air frais nem’aurait pas fait de tort. »Des sacs-poubelles traînent à l’entrée de l’avion. L’équipe de nettoyage s’active dans les allées.Une odeur depoussière flottedans l’air. Jedécidedenepasm’avanceràmonstrapontin et d’attendre à l’extérieur,prèsdelaporte.Pourm’occuper,jefouilledansmonsacàmainetrécupèreunmiroir.—AH!dis-jeenapercevantmonreflet.—Qu’est-cequetuasàhurler?medemandeAriane,surpriseparmaréaction.—Tuasvulatêtequej’ai?—Tuesjusteunpeucernée.Ducache-cernesettoutestréglé.—Jenemetsjamaisça!Tuenas,toi?Jeluiposelaquestionenconnaissantdéjàlaréponse.Arianeal’aird’uneBarbie.Toutepoupéequise
respectevoyageavecsoncache-cernes.—Voilà!Uneombreàpaupièresmauveouroseneteferaitpasdemalnonplus…—Woh!Cache-cernes,oui,maisombreàpaupièresmauve,çanepassepas.—C’étaitjusteunesuggestion…Ellemeconnaîtmalpourmeproposerdescouleursaussiflamboyantes.Untraitdecrayonnoirsurles
paupières,durougeàlèvresetunpeudeblush,commeRupertl’asuggéré,suffiront.Monéclatàpeineretrouvé,jemonteàborddel’appareiletrejoinsmapositionàl’arrière.J’aichoisi
lagalleypourm’éviterdecôtoyerlespassagers.Quellechancepoureux!Jen’effrayeraipersonne.Je
vérifie d’abord mon strapontin et mon équipement d’urgence. Ensuite, je m’assure que nous ayonssuffisammentderepasàbord.Aprèsavoiradditionnéleschiffressurlesétiquettesdeschariots,jesuisrassurée : 342 repas ! Un pour chaque passager. Je vérifie ceux qui sont réservés aux membresd’équipage.Jemangerarementlemien,meprocurantlaplupartdutempsunesaladefraîcheàdestination.Maishier,j’aifailliàmamission,ouplutôt,l’Espagneetsondimanchedesiestam’onttrahie.J’aifaimetjenepartiraipasd’icisansm’assurerquenousauronsdequoinousmettresousladent.Soudain, jenoteunespacevidedanslescompartiments.Ildevraitêtrerempli.Jeprédisqu’ils’agitdemonchariotpourl’équipage.Aprèsvérification,j’ensuisconvaincue.J’appelleRené.—C’estScarlettàl’arrière.Ilmanquenosrepas.Nousn’avonspasreçulessnacksnonplus.Àmoins
qu’ilssoientàl’avant?—Non,jenelesaipas.Jevérifieavecl’équipeausoletjetereviens.Jereposel’interphoneetcontinuemavérification.Manuels’avancepourmedonneruncoupdemain.—EntreBarceloneetParis,tupréfèresquoi?luidemandé-je.—Nil’unnil’autre.—Maistun’aspaslechoix…—Oui,jel’ai!Jepeuxallerailleurs.—Où,parexemple?—ÀToulouseouàAmsterdam,làoùl’ondortencoreaucentre-ville,medit-il.—Essaieseulementdelesobtenirsurtonhoraire,parcequej’aiessayéetc’estdevenuséniorcomme
destination.—Jem’endoute.Avant,lessacochesdemandaientParis,etmaintenant,ellesveulentToulouse…—Etnous,onramasselesmiettesquirestent!déclaré-jeavecunbrind’envie.—C’estlaloidel’ancienneté,maScarlett!—Plutôtuneloimonarchique,ajouté-jespontanément.—Qu’est-cequetuveuxdire?Devrais-jeluiavouerqu’àl’occasionj’ail’impressiond’êtreunepaysannequi,àlavuedeshoraires,
envie ses collègues rois et seigneurs, qui récoltent les plus belles richesses enmatière de courriers ?Commejem’apprêteàdébattremesidéaux,unhommeauxcheveuxcourtsàl’avantetlongsàl’arrières’avancepourmeparler.—Youdidn’tfindthemeals?Non,eneffet, jenetrouvepaslesrepas.Çafaitunboutdetempsquejel’aisouligné.Selon lui, ils
devraient s’y trouver. Il semet à chercher. Je suis peut-être fatiguée,mais encore lucide, à ce que jesache.Leverdicts’ensuit.—You’reright.They’renotthere.I’llbringthem,m’annonce-t-ilavantderetournerdanssoncamion
pourdénicherlechariotoublié.Aprèsquej’ai informémondirecteurdevoldelasituation, ilcommencel’embarquement.Le temps
quelespassagersmontentàbord,nousauronssansdoutereçunotrecolis.—Alors,tudisais?insisteManuelpourquejeluiexpliquemathéoriemonarchique.—Hum,hésité-je,incertainedevouloirsouleverundésaccordentrenous.Tuconnaislestroisrègles
importantesdansl’artdecommuniquer?—Non…—Pouréviterlesdébats,toujourss’abstenirdeparlerd’argent,dereligionoudepolitique.
—Et?—Mathéoriesurlaloidel’anciennetéentredanscescatégories…L’annoncepournoussignalerquel’embarquementestterminésefaitentendreetmetuntermeànotre
conversation.Jeregardelacabineafindevoiroùnousensommes.Touslescompartimentsontétéfermésparmescollègues,jedemeuredoncàl’arrièredansl’attentedemonchariot.—Mais qu’est-ce qu’elle essaie de faire ? chuchoté-je en voyant une passagère examiner l’étroite
cloisonderrièreladernièrerangéedesièges.—Jecroisqu’ellecherchelestoilettes…m’éclaireManuel.La jeune femme aux talons aiguilles et au décolleté plongeant tire sur la poignée miniature d’un
compartimentlocalisédanslemur.Lepanneauaucontourmétallisénedoitpasmesurerplusd’unpieddehautparunpieddelarge.Impossiblequ’unetoilettes’ytrouve.J’yairangédesbouteillesd’eauparcequel’espacedisponiblenepermetpasd’yinsérerautrechose.Puisquej’aiverrouillélaporteavantledécollage,lafemmen’arrivepasàouvrir les«toilettes».Ellearrêtedeforceretanalyselasituation.Uneseconded’observation,etelleamorceunenouvelletentative.—Est-cequejerêveouquoi?murmuré-jesanscompassionpoursonégarement.—Non,tunerêvespas.Tul’aidesoujelefais?—Vas-y!Manuelavanced’unpasafinqu’elleleregarde.Ellecessedes’acharner,confuse.D’unegentillesse
inégalée,ilélucidelemystère.—Vouscherchezlestoilettes,madame?Unsourires’affichesursonvisage.«Mercideveniràmarescousse!Jemecroyaisfolle!Ilyabien
destoilettesdanscetavion!»doit-ellesedire.—Lestoilettessontparlà,précise-t-ilenluiindiquantlabonnedirection.—Ah!Jecroyaisqu’ellesétaient…—Non,madame,ça,c’estuncompartimentpourlerangement.
***
L’interphonesonne.Jem’assiedssurmonstrapontinetdécrochelecombiné.—Scarlettàl’appareil.—Salut,c’estRené.Tuasreçutonchariot?—Non,pasencore.C’estlong!dis-jeensoupirant,peusurprisederecevoirunservicedestylesiesta
jusquedansl’avion.— Le commandant vient dem’informer que, si on ne ferme pas la porte d’ici cinqminutes, on va
manquernotrecréneauhoraire.—Jecomprends,René,maisas-tudequoimangerpourleshuitprochainesheures?—Non,jesais.Onvadevoirmettreundélai.Jevaisledireauxpilotes.—Paslechoix!ajouté-je,déçue,maisprêteàpatienterpouréviterdejeûner.Surlepointderaccrocher,Reném’interpelleunedernièrefois.—Quandtuaurasuneminute,medit-il,tudevraisvenirmevoiràl’avant.J’aiuncadeaupourtoi.—Uncadeau?—Oui.Tupeuxvenirmaintenantsituveux.
—OK…Jem’enviens!J’aviseManueldemonabsenceetavanced’unpaspressédansl’allée.J’aitellementhâtedesavoirde
quoiils’agitquej’enperdsmonradard’hôtessesurletrajet.Jeheurtemaladroitementtouslescoudesqui dépassent des sièges. Les passagers qui débordent, je les bouscule sansmêmeme retourner pourm’excuser.Qu’est-cequeReném’aacheté?CedoitêtreRupertquiluiaremisquelquechosepourmeremercier.Lorsquej’arriveàl’avant,lecommandants’entretientavecmondirecteurdevol.—J’ai réussiànousavoiruneslot dans trenteminutes, sinonçavadansuneheure. Jenevaispas
mettre un délai aussi longpour des repas.Vanous acheter des sandwichs dans l’aéroport, ordonne lecommandant,inquietdeconserversoncréneauhorairedanscetespaceaériensurchargé.Renéapprouveaussitôtet ramassesonportefeuille. Je suiscertainequ’ilnem’amêmepas aperçue
tellementilyad’actiondansl’air.Enposantlepiedsurlapasserelle,ilseretournepourmeparler.—Toncadeauestà1H!Jelelaisses’éloigner,muette.J’assimilesarévélation.1H?Moncadeauseraitdoncunpassager?Je
bondisdanslemilieudelagalleypourmecacherprèsdesfours.Lapeurmegagne.Etsic’étaitJohn?Jeneveuxpas le voir !Freaking-Debbie ? Je réfléchis.Reném’a bien dit qu’il s’agissait d’un cadeau.J’agrippeparlebrasmacollègueassignéeàlapremièreclasse.—Ariane!Quiestlepassagerassisà1H?Laplantureuseblondejetteunrapidecoupd’œilàl’extérieurdurideau.—C’estungars.Unbeaugars,m’annonce-t-elle.Pourquoi?—Dequoiilal’air?—Pourquoituveuxsavoirça?Vavoirpartoi-même,ilestassisjustelà…—Non!Jenepeuxpas!J’aibesoindetoi!Dequoiilal’air?—Cheveuxbrunfoncé.Mâchoirecarrée.Belleshape.Yeuxbleuspétillants.—Impossible!m’exclamé-jeenramenantmamaincontremapoitrine.—Çava?Tuestoutepâle!—Donne-moilemanifestedespassagers!dis-je,affolée.Arianemetendledocument.Mondoigtglissedehautenbasàlarecherchedescinqlettresfatidiques.
Moncœursecontracte.Unesensationdepicotementmeparcourtlebrasjusqu’auboutdesdoigts.C’estbienlui!—Dequoij’ail’air?demandé-je,enpanique,àAriane.—D’unefillehystérique…—Arrête!Jelesais,ça!Dequoij’ail’airphysiquement?Fatiguée?—Jetel’avaisditqu’uneombreàpaupièresnet’auraitpasfaitdemal.—Donne-moitatroussedemaquillage,vite!J’entredanslestoilettesetenclencheleverrouderrièremoi.Jetrembledenervosité.Monrefletdans
laglacen’amélioreenrienmonétat.«Espècedemiroird’avionquienlaidit!»Lefaisceaudelumièreplombe sur mon visage tel un phare de voiture. Mes traits semblent durcis, et mes pores de peau,obstrués.J’applique encore du blush couleurmandarine surmes pommettes. L’éclat s’améliore.D’ordinaire,
monrougeàlèvresmedonneraitunealluresophistiquée,maisaujourd’hui,jetrouvequ’ilmedonneunairsévère.Unglossferal’affaire.
Prêteàregagnerlecœurdel’hommequej’ailaisséfiler,jedébloqueleverrou,éteignant l’ampoulechargéedefausserlesapparences.«Ah!Jenesuispassipirequeça,finalement.Jesuisbelle!Jesuisbonne!Jesuiscapable!»medis-jepourm’encourageravantdepenserauplusimportant.Est-ilencorecélibataire?
–E
Chapitre27
Barcelone(BCN)–Montréal(YUL)
than?
Jedéposemamainsursonépauleunbrefinstantpourqu’ilseretourneetcessedebavarderavecladameassisesurlesiègevoisindusien.Jejouelasurprise,commesijen’avaisjamaisétéinforméedesaprésenceàbord.Ildétournelatêtepourmeregarderdesesbeauxyeuxbleus.Mesmainstremblaiententraversantlerideauettremblotentdavantageenvoyantl’expressionsursonvisage.Iln’estpassurprisdemevoir…—Salut.Reném’aditquetuétaisàbord,m’avoue-t-iltoutbonnement.—Euh…ilt’aditça?—Oui,jeseraisallétesaluerquelquepartpendantlevol,maistum’asdevancé…Ilavaitl’intentiondevenirmesaluerpendantlevol?Simoi,jenepouvaispasattendrepourlevoir,il
semblequecenesoitpassoncas.Deboutdansl’allée,jemesensvulnérabledevantsonindépendance.Jetentedesauverlaface.—Quoideneuf?—Ehbien,jereviensd’untripdekitesurfdanslesuddel’Espagne.C’étaitgénial!Toi,tuvasbien?— Ça ne pourrait pas aller mieux ! fais-je en exagérant volontairement. Mais tu n’étais pas au
Portugal?Merde!J’ail’airdelafilleàl’affûtdesesdéplacements.—C’estRupertetRenéquim’ontditt’avoircroisélà-bas,précisé-jeaussitôt.—Oui,jelesaivusàl’aéroportdeLisbonne.Jeleuravaispourtantditquej’allaisàTarifaetqueje
revenaisparBarcelone…—Ahoui?Jepensaisquevousnevousétiezpasparlé.—Tuasdûmalcomprendre.Onaprisuncaféensemble.Jeréfléchis.JerevoislamiseenscènedeRupertdanslacour.Iln’avaitpasderendez-vouschezle
médecin.René et lui ont inventé ça de toutes pièces afin que jeme retrouve exactement là où je suisprésentement. C’est bien joué, sauf qu’ils auraient dû s’assurer que l’intérêt était réciproque. Pour lemoment,Ethansembleindifférentàmaprésence.Jelesenstrèsdistant.—Bon,jevaisretourneràl’arrière.—Tureviendrasmerendrevisite,mepropose-t-ilparpolitesse.Deretouràl’arrière,jem’assoissurmonstrapontinetmeprendslatêteàdeuxmainspourm’aiderà
reprendremesesprits.Mesattentesétaientbeaucouptropélevées.Jem’imaginaislesurprendre,récolter
cerirequim’acharméelorsdenotrepremièrerencontre.Jen’aimêmepasreçuunregardperçantdignedubelEthan.«Ilsefoutdemoi!»songé-je,accablée,enmemassantlanuque.—Çava?demandeManuel.—Commesurdesroulettes.—Tuveuxrire!Tuesblanche.Qu’est-cequ’ilya?demande-t-ild’untonattendri.—J’aivuungarsquejeconnais.—Etiltefaitdel’effet…—C’estsifacileàvoir?—Justeunpeu.Ilestassisoù?—Enpremière.—Celuià1H?—Oui!Commenttulesais?—C’estleseulbeaugarsdansl’avion.Tumeconnais,j’aidéjàfaitmontourd’horizon!—C’estvraiqu’ilestduràmanquer!—Uneamourette?—Non,plusqueça.— S’il t’intéresse tant que ça, fais tout pour qu’il te remarque et qu’il t’invite quelque part, me
conseille-t-il,commesilachoseétaitfacileàréaliser.Jem’apprête à lui raconter commentma courte conversation avecEthanm’a semblé froide et sans
débouchépossiblelorsqueRené,quieffectueunedernièrevérificationdelacabine,m’interrompt.—Etpuis?—Etpuisquoi?—Toncadeau?—Iln’estpasintéressé!lancé-je,enlemitraillantduregard.—Dequoituparles?Biensûrqueoui!—Jel’aitrouvéfroid.Ilsavaitquej’étaisàbordetiln’estmêmepasvenumevoir.—Franchement,Scarlett!Onestenpleinembarquement.Arrêtedet’enfaire.—Tucrois?Unelueurd’espoirbrilledansmesyeux.—Iljouepeut-êtreàl’indépendant.—Çanemarchepasavecmoi,cettetactique!—Aprèscequetuluiasfait,jeferaispareil.Laissedonctonorgueildecôtépourunefois!—Hum…Bondécollage,René!dis-je,l’egopiqué.L’annonce du commandant qui nous demande de nous asseoir à nos strapontins se fait entendre. Je
vérifieque tous les loquetsbloquant leschariotssontabaissés.Jem’attacheet,pendantque l’appareils’avancesurlapiste,Manuelm’éclairesurl’avantagedontjedispose.—Huitheures,Scarlett.Tuashuitheurespourimpressionner1H!
***
Si,enEspagne,lesdimanchessontd’uncalmeplat,pourlesjourssuivants,c’esttoutlecontraire.LaRamblaàBarceloneestsifestivequ’àquatreheuresdumatinonal’impressionqu’ilestminuit,heureàlaquelle lesEspagnols viennent tout juste de sortir de table. En traversant la rue, il faut s’assurer deregarderdroitdevantsoipouréviterdefaireunface-à-faceavecunautrepiéton.Cettesortedefrénésieinfluencequiconquecroisesonchemin.Mêmel’individuleplusennuyeuxauraledésirdepoursuivresapromenadejusqu’àl’aubepourobserverl’actionautourdelui.Maisilyaunhic…Làoùl’Espagnolva,l’actionsuit.Soitellesecréed’elle-même,soitill’invente,
etce,jusquedansunavion.Engros,leshuitheuresquim’étaientallouéespourconquérirlecœurd’Ethanrisquentd’êtreraccourciesàune,àcoupsdedeuxminutesicietlà.—Mademoiselle!J’essaiededormirdepuisledébutduvoletilyaunegangd’adolescentsquijasent
trèsfort.Pourriez-vousvenirlesavertir?La femme au visage exténuém’indique de la suivre jusqu’enmilieu de cabine.Normalement, je la
soupçonneraisd’exagérerlasituation.SurunvoldeParis,jeconcluraisd’embléequ’ellen’estpasarméed’unegrandepatience.Or,cetavionadécolléd’Espagneavecàsonbordplusieursdesescitoyens.Moninstinctmeditqu’unpartyseprépare.Celaseconfirmedèsmespremierspasdansl’allée.—Ha!Ha!Ha!entends-jeenavançantverslazoneenquestion.—Vousvoyez!melanceleurdénonciatrice.J’arriveàlasortied’urgence.Deuxjeunessontagenouilléssurletapis,unecanettedebièreàlamain.
Ils rientavec leurscompagnonsassis sur les siègesqui leur font face.On lescroirait confortablementinstallésdansunbar.Pasdutoutinquiétésparmaprésence,ilspoursuiventleurconversationanimée.Levolumedeleurvoixdemeurepoureuxunvolumenormal.Lafemmeavaitraison.Ilfautquejelescalme.—Losientoperohablandemasiadofuerte.Obajaneltonodelavozovanahablaratrás1.Lesjeuneshommescessentdeparleruninstantpourensuitebaisserletond’uncran.Jesuiscontente
qu’ils aient choisi l’option un, car après leur avoir suggéré comme option deux d’aller discuter àl’arrière,j’airéaliséquejetravailleàl’arrièreetquejedevraiàmontourlesendurer.Maintenantquej’aiparcourulamoitiédelacabine,jedécidedepasserfaireuntouràl’avant.Ethann’estpasvenumevoirdepuisquenousavonsdécollé.Jecommenceàm’inquiéter.Entraversantlerideaudepuislarangéeopposéeàlasienne,j’interpelleRené.— Maintenant que je sais que vous avez tout comploté pour que je me retrouve ici, dis-moi ce
qu’Ethant’avraimentracontéàLisbonne!—Commenttusaisqu’ons’estparlé?demande-t-il,surprisd’apprendrequejel’aidémasqué.—C’est luiquime l’adit.Si tuvoulaisque jemeretrouvesursonvol,c’estqu’il t’asûrementdit
qu’ilétaitcélibataire?—Scarlett,tueslà,àdeuxpasdeluiettumeparlesàmoi.Qu’est-cequetuattends?—Jet’aiposéunequestion,René!Jen’iraipasluiparlersijen’aiaucunechanceaveclui.—TucroisqueRupertetmoiaurionstoutcomplotésinouspensionsqu’Ethanettoic’étaitfini?—Peut-être…—Réfléchis…C’estquandmêmetoiquinel’aspasrappelé.Sijecomprendsbien,Ethanestbiendisponible,maisvumeserreursdupassé,jesuisvouéeàfaire
touslesefforts.C’estvraiquejeluiaifaitlavieduredèsnotrepremièrerencontreetque,mêmeaprèsavoireusonnuméro,j’aiprisuntempsfouàl’appeler.Puis,aprèsunesoiréeensemble,jeneluiaiplusdonnédenouvelles.MonbeauEthans’imaginepeut-êtrequ’ilnemeplaîtpas?Ilfaiterreur!Jevaisleluidémontrer !Décidéeà luisignifiermon intérêt, j’ouvre le rideau,enprenantbien soinde l’écarter
entièrement pour qu’il remarquemon entrée en cabine. Soudain,mon besoin de paraître indépendanterefait surface.VoyantmacollègueArianeverserunverredevin rougeprèsducomptoir, jedécidederetardermontête-à-têteafindetenterdefairebonneimpression.—Dis-moiquelquechose,n’importequoi,lancé-jeàArianeensouriantdefaçonexagérée.—Quoi?Qu’est-cequetuasdit?émet-elle,incrédule.—Ha!Ha!fais-je,feignantlabonnehumeurdanslebutd’avoirl’airépanouieetresplendissante.Convaincuequej’aiattirél’attentiondemoncher1H,jem’avancedanssadirection,lesourireaux
lèvres, la confiance gonflée à bloc. Je m’arrête à son siège et le regarde ensuite, comme pour fairesemblantque jeviensdeme rappelerqu’il est assis là.Ànouveau, ladéceptionm’envahit.Ethann’amêmepasremarquémamiseenscène,carilalesyeuxrivéssursonordinateur.Percevantuneprésenceimmobileàsagauche,ilseretourneetmetsurpauselefilmquilecaptivetant.—Désolé,jenet’avaispasvue,dit-ilenmefaisantunjolisourire.—Jeneveuxpastedéranger.Jetelaisseavectonfilm,onseparleplustard…—OK,merci!Endéambulantdansl’allée,uncouloirsombresedessinedevantmoi.Lespassagersm’arrêteraienten
chemin,tenteraientdemeralentir,etjenelesverraismêmepas.Jebroiedunoir.Était-cesidifficilequecela d’interrompre son film pour discuter avec moi ? « Un gars intéressé s’arrange toujours pour teparler.»C’estlaloinuméroundelaséduction.Quandunhommeestcharméparunefemme,illeluifaitsavoir illico.S’il ne la rappellepasdans l’immédiat, ne répondpas rapidement à ses courriels, c’estqu’iln’estpasvraimentintéressé.Laconclusionestfacileàtirer,non?Saufquec’estmoiquiluiaidit«Jetelaisseavectonfilm»…Ah!Jenesaisplusquoipenser!Leservicederepasterminé,jeremarquequelesjeunesEspagnolsquej’aiavertisprécédemmentse
tiennent debout derrière la dernière rangée de sièges. Ils parlent fort et rient, une bière à lamain. Ilssemblent joyeux,heureuxd’allervisiter leCanada. J’aimerais leurdiredebaisser le ton,mais j’aimemieux les voir ici qu’aumilieu de la cabine à déranger tout lemonde. Je range un dernier chariot etdemandeàManueldemerapporterunrepaslorsqu’ilirachercherlesien.Surcetappareil,lagalleyarrièreestminuscule.J’aifermélesrideauxpourtenterd’avoirmonespace
privéetmesuisassisesuruncontenantenmétal,carmonstrapontindonnedirectementsurunefiledepassagersquiattendentpourutiliserlestoilettes.Affamée,jecommenceàengloutirl’undesrepasservisenéconomie.Monventres’estàpeinearrêtédegargouillerqu’ilseserredenervosité.Ethanvientdepousserlerideau,lelaissantretomberderrièrelui.—Scarlett…dit-il,gêné.Çava?—Ethan,salut…prononcé-je,labouchepleine.—Désolé,jetedérangependanttapause?—Non,non!Tunemedérangespas.J’aifermélerideaupourrespirerunpeu.—Est-cequec’estpirequ’unCancunavecsixgarsauxchapeauxCorona?«Cevolaétéunebénédiction»,pensé-jeenmeremémorantnotrepremièrerencontre.—NotreCancunétaitdelapetitebièreàcôtédecettegang-là.Tulesentendsjaser?—C’est vrai qu’ils parlent fort.On se croirait encore enEspagne, ajoute-t-il enme gratifiant d’un
souriredigned’unepublicitépourleblanchimentdesdents.Unechancequejesuisrestéeassisesurmacaisseenmétal,carsaproximitéaréussiàramollirtous
mesmembres.J’arriveàpeineàsoulevermafourchettepourmanger.Quoiquemafaims’estévaporéedepuisquejesuisenivréeparsoncharme.
— J’ai chaud, dis-je en brandissant une épaisse serviette absorbante devant mon visage en guised’éventail.C’estmoioulatempératureaaugmenté?Tun’aspaschaud?Ethanmesourit.Sabarbe luivasibien.Si je lepouvais, je l’embrasseraissur-le-champ.Jechasse
cettepenséelorsqu’ilprendmamaindanslasienne.—Tuesglacial!m’exclamé-jeenrepoussantsamaininstinctivement,surprisedesafroideur.—Enavant,ilfaitfroid.Onestmieuxici,maisjeneveuxpastedéranger…—Oh,j’ai le tempsdejaser!dis-jerapidementpourmefairepardonnerd’avoir repoussésamain.
Alors,tuasaiméTarifa?Monbeausportifmeracontesonvoyage,etmoi,jemedétendspeuàpeu,ausondesavoix.J’aimerais
luidemander:«Onvasouperaprèslevol?»maislapeurd’essuyerunrefusm’enempêche.J’essaietant bien quemal de rassembler le courage nécessaire pourm’exprimer,mais le rideau s’ouvre et laconversations’arrêtebrusquement.—CanIhaveanotherbeer,please?medemandepolimentl’undesjeuneshommessurleparty.—Metoo,please!ajoutesonami.Préoccupéeparl’ambiancefestivequirègneàl’arrièredel’appareil, jem’excuseauprèsd’Ethanet
melèvepourvérifierl’étatdelasituation.Unefiledegensattendenttoujourspourlestoilettesalorsquemes amis bruyants, en se tenant près de la porte, ne facilitent pas le passage vers celles-ci. J’ai étécompréhensive,maisjeresteconscientequenoussommestousconfinésàl’intérieurdecetavionetqu’ilfaut agir en respectant autrui. Comme je les informe qu’il leur faudra retourner à leur siège et restertranquillespourleconfortdetous,Ethanm’avisequ’ilferademême.—Jete laisseà tesoccupations.C’estvraiquec’estunpeuplus intensequ’unCancun!blague-t-il
avantdeseredirigerverssonsiège.Jesuisdéçuedenepaspouvoirluiparlerdavantage.J’aieulechamplibrepourl’inviteretjenel’ai
pasfait.J’auraispréféréquecesoit luiqui lefasse.Enavait-il seulementenvie?Je restepositive. Ils’est déplacé à l’arrière pourme parler. Quoiqu’il aurait très bien pu s’aventurer à l’arrière pour seréchauffer…«Franchement,Scarlett !C’étaituneexcusepour tevoir !»medis-jepour tenterdemeréconforter.—Dingdong!Lasonneriedel’interphoneretentit.Lecombinéétantsituédanslepassagemenantauxtoilettes,làoù
unedizainedepassagerssontalignés,jen’arrivepasàrépondreimmédiatement.—Pardon,pardon,dis-je,gênée.Jedoispoussertoutlemondepourmefrayerunchemin.Jemepressecontrelefuselagepourlaisser
l’espaceàlacirculationetjedécroche.—Oui,allo,c’estScarlett.—Salut,c’estRené.Pis?—Pisquoi?—Ethan,voyons!Jesaisqu’ilétaitavectoienarrière.Vousvousêtesditquoi?—Ha!Ha!Tum’espionnes?—Jesuiscurieux,etn’oubliepasquec’estgrâceàmoi,situesici,alorsraconte!—Rien,René.Onajasédesonvoyage.Ilnem’ainvitéenullepart.—Tunel’aspasplusfait…
—Ce sont les gars qui font ça !m’exclamé-je en plein devant les toilettes, là où plusieurs pairesd’yeuxsontrivéessurmoi.Oups…J’aiparléfort.Detoutefaçon,lespassagersnousobserventtoujourscommesinousétionsde
mystérieusescréaturestoutdroitsortiesd’unfilmdescience-fiction.J’ail’habitudedemefaireanalyser.Unefoisdeplusnemeferapasdemal.— Tu es vraiment vieux jeu. Je t’ai dit de laisser ton orgueil de côté pour aujourd’hui. Fais les
premierspas,m’encourageRené.—Tuproposesquoi,alors?Jeneveuxpasfaireçasurlepouce,etlà,ças’enlignepourçaavecdeux
heuresdevolcommedécompte.—J’aiuneidée,maisjenesuispassûrquetuveuilleslaconnaître…—Jesuistoutouïe,René.—Scarlett,jure-moiquetuvasmefaireconfiancelà-dessus.Tumedonnesl’impressionquetun’es
pastrèsouverte…—Jelesuis,René!mens-je.—Je ne blaguepas !Tu joues le jeu jusqu’aubout oubien tu t’arranges toute seule avec ton beau
cadeau!—OK!OK!Jelejure!approuvé-jeenignorantladameàmadroitequim’observedepuisledébut
delaconversation.—Tujuresquoi?continue-t-il,telungourouàsesfidèles.—Jejurequejevaisjouerlejeu!Jelejure!Jelejure!m’époumoné-jeenévacuantmonbesoinde
contrôledansl’interphone.Lecombinéraccroché,lespommettesbienrougesetleplanmaintenantenpoche,jem’éloignedemon
coindefuselage,lecœurbattant,pourretrouvermagalley.—Désolée,madame,vouspouvezmaintenantutiliserlestoilettes.Jenebloqueraipluslepassage,dis-
jeàladamequisetenaitàmadroite.Ellemesouritet,endéposantsamainsurmonépauled’unairbienveillant,meconfie:—Jen’attendspaspourlestoilettes,machère.Votreconversationétaitbeaucouptropintéressante.Je
mesuispermisdevousécouter.Untrèsbonplan,d’ailleurs!Jevoussouhaitebonnechance!
***
—Mesdames etmessieurs, nous effectuons notre approche finale versMontréal. Veuillez remontervotre tablette et ledossierdevotre siège.Veuillezvousassurer encoreune foisquevosbagages sontrangésetquevotreceintureestattachée…J’effectuemesvérificationsetmedirigecommeprévuàl’avant.Lorsquej’arriveàlapremièrerangée,
Ethansomnole,lesyeuxfermés.Ilneremarquedoncpasquejeprendsplacesurlestrapontind’Arianealorsqu’elles’estassisesurlemien,àl’arrière.Jesensquejefaislabonnechose.Reném’aexpliquéque,pourmeracheter,jedoisluidémontrermon
intérêt, comme il l’a fait pourmoi, il y a longtemps. J’ai confiance, car avant la descente, Ethanm’asouhaitéunbonretouràlamaison.J’aisentiqu’ilhésitaitàpoursuivrelaconversation,maisj’aijouélejeuetcoupécourtenprétextantquejedevaispréparerlacabinepourl’atterrissage.Ilm’aadresséleplusbeaudessourirespourcacherceque j’aiperçucommede ladéception. J’espèreque j’aivu juste.EtRenéaussi…
J’entendslesrouesquisedéploientsousmespieds.Jen’aipasbesoinderegarderparleminihublotdemaportepoursavoirquenoussommesàproximitédusol.Aveclesannées,j’aiapprisàreconnaîtrecettemélodie lorsque l’appareil flotte à quelques pieds de la piste.Un souffle prolongé qui ne cessequ’unefoislesrouesposéessurlesol.NousroulonssurlapistependantqueRenéannoncenotrearrivéeauxpassagers.Ilprendletempsde
lesaviserd’êtreprudentsenouvrantlescompartimentsàbagages.Ilinviteceuxayantbesoind’assistanceàdemeurerassispendantquelesautrespassagersdescendent.Iltermineaveclarequêtecrucialelorsquenoussommestoutprèsdelabarrière.—Également,mesdamesetmessieurs,lecommandantvientdem’informerqu’unefoisl’avionarrêté,
il vous demande de demeurer assis, le temps de régler des formalités à la barrière. Cela ne prendraqu’uneminute.Merci!conclut-ilenm’envoyantunclind’œildepuissonstrapontin.Jesaisquejedevraifairevite,carEthanestassisàlapremièrerangée.Ilnedoitpasmevoirsortir,ni
tenterdemerattraperetainsifaireavorterinvolontairementmonprécieuxplan.Laportes’ouvreetRenémefaitsignedem’échapperparlapasserelle.J’avaisplacémavalisedanslestoilettes,prèsdelaportedupostedepilotage,pouréviterdem’immiscerdansl’alléeafindelarécupéreretainsirisquerd’êtrevueparEthan.Courantàviveallure,j’imagineEthanquivientdeseleverdesonsiègeenentendantRenédonnerle
feuvertpoursortir.J’espèrequ’ilaregardéversl’arrièreettentédemevoiràtraverslafoule.Ilapeut-êtremêmeremisàmondirecteurunmotécritdesamainàmonintentiondansl’espoirdemerevoirunjour.«Danslesfilms,Scarlett,danslesfilms!»pensé-je.Maisnesuis-jepasjustemententraind’agircommeleferaitl’héroïned’unecomédieàl’eauderose?Jepoursuismacoursejusqu’audouanieretdéclarelerienquej’aiàdéclarer.L’hommeenuniforme
medemande:—Vousarrivezd’Espagneetvousn’avezrienacheté?—C’étaitdimanche!réponds-je.Iln’apas l’airdecomprendrecequecela signifieet jemegardede le luiexpliquer. Je remetsma
déclarationauseconddouanier,plusloinaprèslescarrouselsàbagages.Illarécupèreetmesouhaiteunebonnejournée.Jepriepourquecelasoitlecas.Lesportesautomatiséess’ouvrent,jefaisdemi-tourpourvérifiermesarrières.Pasd’Ethan.Tantmieux,j’aiencoredutempsdevantmoi.Le plan A toujours en branle, je me dirige vers la boutique aux mille et une fleurs. La fleuriste
s’approchepourmeconseiller.Terroriséeparlapossibilitéquel’objetdemespenséespasselasécuritélorsque j’aurais ledos tourné, je sautesur lepremierbouquetde rosesque jevois.Des roses rouges.Mespréférées.Jemeposteensuitelàoùilm’avaitattendulorsdenotrepremièrerencontreetj’attends.Qu’est-cequ’ilfait?J’aivulamoitiédespassagerssortiravecleursgrosbagages.MonbeauEthan
devraitêtresorti.Àmoinsqu’ilnemesoitpassésouslenez?Jebouillonnedenervosité,j’ailesjambesen compote, le bras endolori par le poids du bouquet… et j’aurais fait ça pour rien ? Impossible !J’appelleRené.—René!René!OùestEthan?m’écrié-je,enpanique,sansmêmeattendreun«oui,allo».—Bonjour,iciRené,jenesuispasdisponiblepourlemoment,maisveuillezlaisservotremessage.
Merci!Biiiiip!J’aurais dû sauter sur l’occasion pendant qu’il était encore temps. « J’ai manqué ma chance ! »
m’affolé-je.Nesachantpasquoifaired’autre,jedemeureenplace,leregardvide,souhaitantdetoutmoncœurquequelque chose ait retardéEthan de l’autre côté. Il a perdu ses valises ? Il a été fouillé auxdouanes?
Tandis quemes pensées sont dirigées vers les possibles raisons de cette absence remarquée, monbouquetperdpeuàpeudesaprestance.Jeletiensd’unemain, la têteenbas,certainedenejamaisleremettreàsondestinataire.Leschosesseprésentantsouventlorsquel’ons’yattendlemoins,j’entendsun« Scarlett ? » prononcé par une voixmasculine à deux pas derrière moi.Ma vue s’ajuste et, en meretournant,Ethanapparaît,sourireauxlèvres,unbouquetderosesrougesdanslesmains.—Ethan?bafouillé-je,incertainedesavoiràquiestdestinécebouquet.Ilnesavaitpasquej’étaissortiedel’avion.Pourlui,j’étaisàl’arrière,làoùj’aipassétoutlevol.
«Cesfleursnepeuventpasêtrepourmoi.»—Tuattendsquelqu’un?medemande-t-il.—Euh…oui.Maistoi,tuattendsqui?—Tunelesaistoujourspas?Ils’approchedemoi.Assezprèspourquejesentesonodeur.Onvientdemeposerunequestion,mais
jen’arrivepasàrépondre.Jerougis,soulèvelesépaules,basculelatêted’uncôté, laisseéchapperunriretimide.Heureusement, je n’ai pas à me questionner longtemps, car lorsqu’il m’embrasse, mes doutes
s’effacent.Pendantquesadélicieusebarbemepiqueleboutdeslèvres,ilprendmamaindanslasienne.Mon lourd bouquet de roses tombe sur le plancher. Il écarte son visage du mien un instant pour mesoupirer:—Jesuistoncadeau,Scarlett.Uncadeauresteunesurprisejusqu’àlafin!
1—Jesuisdésolée,maisvousparleztropfort.Jevousdemanderaissoitdebaisserleton,soitd’allerdiscuterailleurs.
J’
Remerciements
aimeraisremercierlesmembresdemafamille,quisontmesplusfidèlesadmirateursetsupporteursdepuisledébutdel’aventure.JeremercieJolyane,pourlesoutienqu’ellem’aaccordétoutaulong
duprocessusdecréation.Tesidéesm’ontremisdansledroitcheminlorsquejen’avançaisplus.MerciàLibreExpressiond’avoir eu confiance enmes talents d’écrivaine, ainsi qu’àmon éditrice,Marie-EveGélinas, pourm’avoir orientée avec douceur dans les bonnes directions.Merci à JeanBaril pour lesdéfisqu’ilmefaitrelever.Merciàmeslecteurs,quim’encouragentchaquejouràpoursuivremonvoyaged’écriture.Vos commentaires, vos critiques et vos encouragementsm’obligent àm’améliorer.Merci àmescollègues,quiontaccueillilepremiertomedeL’Hôtessedel’aircommeunplaisirà lire.Jesuisreconnaissantedevotrereconnaissance!MerciàmoncollègueDavidBenoîtqui,sanslesavoir,avecsesmimiquesetimitationsdecollèguesquenousnenommeronspas,ainspiréplusieurspersonnagesdecelivre. Merci à Robert Piché pour avoir vérifié les détails techniques et lu certains chapitres pours’assurer qu’ils étaient fidèles à la réalité d’un atterrissage d’urgence. Merci à Deborah et Bob deRetreatsForYouetàWayneetAarondeCircleofMissepourcesmerveilleux lieuxd’inspirationquipermettentaux auteurs commemoi de créer en toute tranquillité d’esprit. En dernier lieumais non lemoindre,j’aimeraisremercierlecherpilotequim’ainspirécettehistoire.
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