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Article original Lhyperactivité avec troubles de lattention : questions cliniques et épistémologiques Hyperactivity with attention deficit disorder: clinical and epistemological questions C. Bursztejn a, *, B. Golse b a Professeur de psychiatrie de lenfant et de ladolescent, hôpitaux universitaires de Strasbourg, 1, place de lHôpital, 67200 Strasbourg, France b Professeur de psychiatrie de lenfant et de ladolescent, psychanalyste, hôpital des Enfants-Malades, France Reçu le 8 juin 2005 ; accepté le 29 septembre 2005 Résumé Depuis la description de lhyperactivité ou de linstabilité psychomotrice à la fin du XIX e siècle, les dénominations et les conceptions de ce syndrome ont évolué. Les classifications actuelles mettent laccent sur la notion de déficit attentionnel. Cet article soulève les questions du statut nosologique de ce syndrome, son unicité ; compte tenu des comorbidités avec divers troubles psychiatriques rapportés dans la majorité des cas il discute aussi du rôle étiopathogénique des facteurs génétiques et neurobiologiques. Un modèle polyfactoriel, intégrant ces facteurs avec dautres facteurs liés à lenvironnement psychosocial, est proposé. Une approche multimodale est suggérée en accord avec ce modèle théorique. © 2005 Publié par Elsevier SAS. Abstract Since the first description of hyperactivity, or psychomotor instability at the end of the 19th century, its designation and conception have evolved. Current classifications (namely DSM IV and ICD 10) emphasize the notion of attention deficit. This paper raises questions about the nosological status of this disorder, its unicity –– considering the comorbidities with various other mental disorders, reported in most cases –– and also about the etiopathogenic role of genetic and neurobiological factors. A polyfactorial model, which integrates these factors with psycho- environmental factors, is proposed. A multimodal therapeutic approach is suggested in accordance with this theoretical model. © 2005 Publié par Elsevier SAS. Mots clés : Hyperactivité avec trouble de lattention ; hyperkinésie ; Classifications ; Epistémologie ; Psychostimulants ; Psychothérapie Keywords: Attention deficit disorder with hyperactivity; Hyperkinetic disorder; classification; Epistemology; Psychostimulants; Psychotherapy « Il faut rendre les choses complexes les plus simples possible, mais il ne faut pas les rendre plus simples que possible » (A. Einstein) Depuis les origines de la psychiatrie de lenfant, différents auteurs ont décrit sous des noms variés (chorée mentale ; en- fant turbulent ou instable ; hyperkinésie ; hyperactivité psycho- motrice) des enfants présentant à la fois un comportement agité et des difficultés apparentes à maintenir leur attention sur une activité précise. Les questions qui divisent actuellement diffé- rents auteurs, concernent la ou les significations pathologiques quon peut attribuer à de tels comportements, la ou les facteurs étiologiques sous-jacents, et les interventions thérapeutiques, http://france.elsevier.com/direct/NEUADO/ Neuropsychiatrie de lenfance et de ladolescence 54 (2006) 2937 * Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (C. Bursztejn). 0222-9617/$ - see front matter © 2005 Publié par Elsevier SAS. doi:10.1016/j.neurenf.2005.09.011

L'hyperactivité avec troubles de l'attention : questions cliniques et épistémologiques

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http://france.elsevier.com/direct/NEUADO/

Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 54 (2006) 29–37

Article original

* Auteur correspondant.Adresse e-mail : claud

0222-9617/$ - see frontdoi:10.1016/j.neurenf.20

L’hyperactivité avec troubles de l’attention :

questions cliniques et épistémologiques

e.b

m0

Hyperactivity with attention deficit disorder:

clinical and epistemological questions

C. Bursztejn a,*, B. Golse b

a Professeur de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, hôpitaux universitaires de Strasbourg, 1, place de l’Hôpital, 67200 Strasbourg, Franceb Professeur de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, psychanalyste, hôpital des Enfants-Malades, France

Reçu le 8 juin 2005 ; accepté le 29 septembre 2005

Résumé

Depuis la description de l’hyperactivité ou de l’instabilité psychomotrice à la fin du XIXe siècle, les dénominations et les conceptions de ce

syndrome ont évolué. Les classifications actuelles mettent l’accent sur la notion de déficit attentionnel. Cet article soulève les questions du statutnosologique de ce syndrome, son unicité —; compte tenu des comorbidités avec divers troubles psychiatriques rapportés dans la majorité descas — il discute aussi du rôle étiopathogénique des facteurs génétiques et neurobiologiques. Un modèle polyfactoriel, intégrant ces facteurs avecd’autres facteurs liés à l’environnement psychosocial, est proposé. Une approche multimodale est suggérée en accord avec ce modèle théorique.© 2005 Publié par Elsevier SAS.

Abstract

Since the first description of hyperactivity, or psychomotor instability at the end of the 19th century, its designation and conception haveevolved. Current classifications (namely DSM IV and ICD 10) emphasize the notion of attention deficit. This paper raises questions about thenosological status of this disorder, its unicity –– considering the comorbidities with various other mental disorders, reported in most cases –– andalso about the etiopathogenic role of genetic and neurobiological factors. A “polyfactorial model”, which integrates these factors with psycho-environmental factors, is proposed. A multimodal therapeutic approach is suggested in accordance with this theoretical model.© 2005 Publié par Elsevier SAS.

Mots clés : Hyperactivité avec trouble de l’attention ; hyperkinésie ; Classifications ; Epistémologie ; Psychostimulants ; Psychothérapie

Keywords: Attention deficit disorder with hyperactivity; Hyperkinetic disorder; classification; Epistemology; Psychostimulants; Psychotherapy

« Il faut rendre les choses complexes les plus simplespossible, mais il ne faut pas les rendre plus simples quepossible »

(A. Einstein)

[email protected] (C. Bursztejn).

atter © 2005 Publié par Elsevier SAS.5.09.011

Depuis les origines de la psychiatrie de l’enfant, différentsauteurs ont décrit sous des noms variés (chorée mentale ; en-fant turbulent ou instable ; hyperkinésie ; hyperactivité psycho-motrice) des enfants présentant à la fois un comportement agitéet des difficultés apparentes à maintenir leur attention sur uneactivité précise. Les questions qui divisent actuellement diffé-rents auteurs, concernent la ou les significations pathologiquesqu’on peut attribuer à de tels comportements, la ou les facteursétiologiques sous-jacents, et les interventions thérapeutiques,

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médicamenteuses ou autres qui sont justifiées dans de tellessituations, justification qu’il convient d’apprécier en termed’efficacité, de risque d’effets indésirables et d’éthique.

Les termes utilisés pour désigner ces comportements, témoi-gnent, tous à leur façon, d’un point de vue étiopathogéniquesous-jacent à la description des auteurs et aux symptômesqu’ils privilégient.

Le DSM III a introduit une nouvelle terminologie assortied’une description, sous la forme de critères comportementaux.L’objectif affiché initialement était de fournir aux chercheursun repérage catégoriel précis. Mais, bien au-delà du seul do-maine de la recherche, le concept de trouble déficitaire de l’at-tention avec hyperkinésie s’est imposé à la plus grande partiede la médecine et de la psychiatrie mondiale, avec souventpour corollaire, un traitement systématique par les psychosti-mulants. Nous nous proposons ici d’examiner ce qui fondecette conception, sur laquelle un consensus semble établi dansla littérature médicale de langue anglaise.

Il faut, tout d’abord, situer ces débats dans l’ensemble del’évolution de la demande sociale vis-à-vis de notre discipline.En France, depuis quelques années cette demande sociale tendà se déplacer de la question du sujet et de sa souffrance versdes symptômes sur lesquels les projecteurs médiatiques se fo-calisent : par exemple la violence des adolescents, la maltrai-tance sexuelle, les TOC, la maladie de Gilles de la Tourette(maladie des tics). Il faut noter au passage la puissance attrac-tive pour les médias et le public — mais aussi pour certainsprofessionnels — de ces éponymes ou acronymes, qui donnentle sentiment rassurant qu’on sait de quoi on parle dès lorsqu’on le nomme.

Parallèlement, il faut relever les paradoxes des positions denotre société vis-à-vis de l’enfant, devenu précieux, objet deprotection mais aussi sujet doté de droits nouveaux mais, enmême temps, mis en devoir de combler, par sa réussite le nar-cissisme de ses parents, et, de ce fait, soumis très précocementà des exigences sociales.

Ainsi, la question de l’hyperactivité met-elle nécessairementen jeu la tolérance variable du milieu social à l’égard de lamobilité de ses enfants, ainsi que les critères éducatifs de l’en-tourage familial et scolaire. Comment ne pas s’interroger aussisur l’influence des modes de vie trépidants des enfants de noscivilisations urbanisées, ou sur le modelage depuis le plusjeune âge de nos cognitions par les objets culturels et ludiques,dans lesquels dominent les stimulations sensorielles et émo-tionnelles intenses et brèves.

En dépit de son succès dans la littérature médicale et dans legrand public il y a à s’interroger sur ce que recouvre précisé-ment ce terme d’hyperactivité : s’agit-il d’un symptôme, d’unsyndrome ou d’une maladie ? Quels enfants sont ainsi regrou-pés par les critères des classifications actuelles ?

1. De l’enfant instable au THADA :évolution des concepts et des classifications [1]

C’est Bourneville qui, en 1897, a, le premier, décrit des en-fants caractérisés par une mobilité intellectuelle et physique ex-

trême ; quelques années plus tard, J. Demoor (1901) comparel’instabilité de l’enfant à une chorée mentale. Mais c’est surtoutl’ouvrage d’Henri Wallon « L’enfant turbulent » (1925) qui,avec la thèse de J. Abrahmson « L’enfant et l’adolescent insta-bles », illustre la position de l’école française, qui insiste sur ledouble versant psychique et moteur de l’instabilité. Par la suite,on a opposé les instabilités « constitutionnelles », répondant àdes dispositions innées, aux instabilités « acquises », attribuéesà des facteurs organiques ou à des traumatismes ou situationspsychologiques. J. de Ajuriaguerra distingue, quant à lui, lesformes avec troubles moteurs prévalants et « les formes carac-térielles avec arriération affective et modification de la motri-cité expressionnelle ».

Parallèlement, les auteurs de langue anglaise, ont décrit descas analogues, sous le terme de « syndrome hyperkinétique ».Dans la littérature anglo-saxonne, l’accent a été mis d’embléesur l’hypothèse d’une étiologie organique de ce syndrome, rattaché à la notion de « MBD ». Le concept pathogénique auquelces initiales font référence, a subtilement évolué avec le temps :alors que dans les années 1950, elles signifient minimal braindamage (lésion cérébrale à minima), l’absence de preuvesd’une atteinte lésionnelle, va amener un repli sur la notion plusprudente de minimal brain dysfunction (dysfonctionnement cé-rébral à minima).

Avec l’avènement du DSM III, la dénomination du syn-drome change, il devient le trouble déficitaire de l’attentionavec hyperactivité ; c’est « l’inattention anormale pour l’âge »qui est mise en première ligne, avant l’hyperactivité motriceelle-même. Dans les versions ultérieures du DSM (DSM IIIR–DSM IV) la formulation et le regroupement des critèresont été modifiés.

● Alors que le DSM III exigeait pour le diagnostic l’existencede difficultés dans chacun des trois domaines : inattention,impulsivité et hyperactivité, le DSM III R requiert seule-ment la présence de huit symptômes pris dans une liste mê-lant des manifestations des trois registres.

● Dans le DSM IV, version actuelle de la classification amé-ricaine, les symptômes sont répartis en deux sous-syndro-mes : inattention d’une part et hyperactivité–impulsivitéd’autre part, ce qui donne lieu à la différenciation de troistypes, soit type inattention prédominante, soit type hyperac-tivité–impulsivité prédominante, soit type mixte lorsque lesdeux groupes de critères sont remplis.

Les différentes versions du DSM, signalent l’associationfréquente d’autres perturbations du comportement (intoléranceà la frustration, accès de colère, autoritarisme, troubles opposi-tionnels avec provocation), ainsi que de troubles de l’humeur(labilité de l’humeur, dévalorisation, dysphorie) considérés entant que « comorbidité » sans que cela modifie la décisiondiagnostique.

La position prise dans ce domaine par la CIM 10 (classifi-cation de l’OMS publiée en 1992) est assez différente. Il fautnoter d’abord qu’elle maintient le terme trouble hyperkiné-tique, rejetant explicitement trouble déficitaire de l’attention

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1 Caractérisés selon le DSM, par des comportements d’opposition, une intolérance àla frustration.2 Selon le DSM, agressivité, difficultés relationnelles, transgression des règles socia-

les.

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parce que « ce terme implique des processus physiopathologi-ques dont la connaissance n’est pas encore acquise et parcequ’il incite à inclure dans cette catégorie diagnostique des en-fants sujets à des préoccupations anxieuses, ou des rêveurs apa-thiques, dont les difficultés sont probablement de nature diffé-rente ».

Le groupe des troubles hyperkinétiques est subdivisé en plu-sieurs catégories cliniques :

● pour le trouble perturbation de l’activité et de l’attention,pour lequel la coexistence d’une attention labile et d’uneactivité excessive (en tenant compte de l’âge et du QI) estrequise ;

● l’association aux manifestations précédentes de conduites« dyssociales, agressives ou provocatrices » n’est pas consi-dérée comme une simple comorbidité : elle caractérise unsyndrome considéré comme spécifique : le trouble hyperki-nétique et trouble des conduites.

La possibilité de survenue d’un comportement hyperactifdans le cadre de troubles réactionnels, d’une schizophrénie,de troubles de l’humeur ou d’une affection neurologique, estégalement signalée.

Ce rappel des données historiques et de l’évolution des clas-sifications, montre bien que, depuis ses premières descriptions,ce syndrome pose une série de problèmes :

● il est difficile de situer la limite entre ce qui correspondrait àun trouble pathologique et les variations normales et déve-loppementales du contrôle de la motricité et de l’action ;

● un comportement hyperactif et inattentif peut s’observer iso-lément, mais des symptômes analogues s’observent aussichez des enfants qui présentent, en même temps, d’autresmanifestations psychopathologiques.

2. Données épidémiologiques

Dans la plupart des articles généraux sur ce thème [15,26,27], la prévalence des troubles hyperkinétiques, estimée à partirdes critères de DSM III-R, se situe entre 3 et 6 % de la popu-lation prépubère, avec une nette prédominance masculine (qua-tre garçons pour une fille). Il faut noter cependant que plusieursenquêtes [5,11,45] rapportent des prévalences plus élevées dé-passant 10 %. Les conditions du diagnostic sont un des facteursexplicatifs de ces variations : les enquêtes reposant sur desquestionnaires remplis par les enseignants donnent en généraldes niveaux plus élevés que celles qui reposent sur les décla-rations des parents.

Les critères diagnostiques utilisés sont un autre facteur im-portant : les modifications, signalées plus haut, des versionssuccessives du DSM, ont probablement influé sur les donnéesépidémiologiques. Il semble, en particulier, que l’introductiondu DSM IV contribue à une augmentation des chiffres de pré-valence. C’est ce que montre l’étude de Wolraich et al. [44,45]qui porte sur plus de 8000 enfants scolarisés en jardin d’en-

fants : alors que le taux de prévalence, évalué à partir des ré-ponses des enseignants à un questionnaire, est 7,3 % avec lescritères du DSM III-R, il atteint 11,4 % avec ceux du DSM IV.Cela s’explique, selon les auteurs, par l’inclusion dans le DSMIV du sous-type inattention prédominante dont les critères dé-pendent essentiellement de difficultés observées vis-à-vis dutravail scolaire.

Une autre notion apportée par les études épidémiologiquesest l’importance des symptômes associés [6,22] :

● des troubles des apprentissages (retard de langage oral ou dulangage écrit), retrouvés dans près 50 % des cas ;

● mais surtout des troubles du comportement : dans l’étude deBiederman et al. [8] des troubles oppositionnels1 sont pré-sents chez 65 % et des troubles des conduites2 chez 22 %des enfants hyperkinétiques [7] ;

● enfin, on signale l’association de troubles anxieux (25 à30 % des cas) et/ou troubles dépressifs (25 à 50 % des cas).

Wilens et al. [43] retrouvent des chiffres équivalents chezdes enfants d’âge préscolaire (quatre à six ans) ce qui va àl’encontre de l’idée souvent avancée que ces « comorbidités »sont secondaires aux difficultés suscitées par les troubles hy-peractifs.

3. Les limites de la nosographie dans le champde la pathologie mentale

Les questions posées par le trouble hyperactivité, trouble del’attention illustrent de manière paradigmatique les problèmesépistémologiques fondamentaux et les paradoxes auxquels estconfrontée la psychiatrie contemporaine. Elle amène, en parti-culier, à discuter les limites de l’application du modèle médicaltraditionnel dans le champ de la psychopathologie.

Il faut rappeler que les troubles mentaux, et plus particuliè-rement ceux de l’enfant et de l’adolescent, ne sont pas des ma-ladies comparables aux maladies somatiques. Les pathologiespsychiatriques, en effet, ne sont — pour le moment — identi-fiables par aucun marqueur biologique spécifique ; leur recon-naissance, leur identification et leur délimitation par rapport àla normalité ou par rapport aux autres troubles, ne peut se fon-der que sur la clinique et sur un consensus entre différents spé-cialistes du champ concerné. Ce consensus a d’ailleurs variédans l’histoire, et encore à une époque récente, comme en té-moignent les révisions successives du DSM par exemple.

Malgré les efforts faits depuis plus de 20 ans, la question dela validité des diagnostics psychiatriques reste posée comme entémoigne l’article de Kendel et Jablensky [23] : ces auteursdiscutent l’assimilation implicite des catégories décrites parles classifications psychiatriques actuelles, à des maladies ana-logues aux pathologies somatiques (passage de « disorder » à

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« disease ») –– et ce malgré les mises en garde du préambuledu DSM IV. Kendel et Jablensky soulignent qu’il ne faut pasconfondre utilité et validité. En effet, une étiquette diagnos-tique peut avoir une certaine utilité pragmatique, notammentdu point de vue de la prescription. Mais la question de sa va-lidité est d’un tout autre ordre ; le consensus d’un groupe d’ex-perts, ne suffit pas à l’affirmer. Ce consensus n’a, d’ailleursrien d’absolu3 et sa traduction sous forme de critères, d’échel-les ou autres « instruments » diagnostiques, ne peut en aucunefaçon être assimilée à une « mesure » scientifique : ce sontsimplement des outils qui favorisent la concordance du juge-ment d’examinateurs différents face au même patient –– ce quiest très utile pour la recherche, mais ne suffit pas pour démon-trer la validité d’un concept clinique.

Pour Kendel et Jablensky, les deux critères fondamentauxde validité d’une entité morbide dans un système catégorielsont :

● la possibilité d’établir des frontières claires entre normal etpathologique ;

● et le fait que la population correspondant à ce diagnostic nerecoupe pas la population décrite par d’autres entités ––c’estce qu’ils appellent des zones de « rareté », analogues auxfrontières naturelles ou aux « no man’s land » qui séparentdeux pays.

Or, il faut bien constater que le trouble déficit de l’attentionavec hyperactivité tel que le décrivent les classificationscontemporaines, ne répond à aucun de ces deux critères : onsait qu’il est difficile de fixer une limite précise entre les varia-tions normales du contrôle de la motricité et de l’action aucours du développement et ce qui correspond à un trouble pa-thologique. Les échelles diagnostiques les plus courammentutilisées (Conners) ne font que recueillir le jugement subjectifdes parents ou des enseignants. La transformation de ce juge-ment en un score chiffré ne résout en aucune façon le pro-blème.

Par ailleurs, l’importance des comorbidités, soulignée parles études épidémiologiques, met en évidence un recouvrementconsidérable entre le « THADA » et d’autres troubles : com-portement d’opposition et autres troubles des conduites, trou-bles anxieux, dépression.

La signification du concept même de « comorbidité » doitêtre elle-même discutée : n’est-il pas un peu simpliste de consi-dérer le syndrome hyperkinétique comme une pathologie spé-cifique, éventuellement associée à d’autres affections suppo-sées indépendantes, comme le suggère la présentation desDSM III et IV ? N’est-il pas plus pertinent du point de vueclinique de considérer que ces « associations comorbides »constituent elles-mêmes des ensembles syndromiques diffé-rents en terme psychopathologique. Les résultats de l’étudede Jensen et al. [20] vont dans ce sens : l’analyse de l’ensemble

3 On sait par exemple que l’introduction de certaines catégories des classificationsactuelles a été décidée à une faible majorité dans le groupe d’experts concernés ; danscertains domaines, l’influence d’un auteur de grande influence a été déterminante.

des données cliniques et longitudinales qu’ils ont recueillieschez 579 enfants de sept à dix ans fait apparaître, en dehorsdes cas d’ADHD pure, trois profils cliniques qui conditionnentdes réponses différenciées aux traitements : ADHD avec trou-bles internalisés (il s’agit surtout de troubles anxieux), ADHDavec troubles oppositionnels ou troubles des conduites, enfinun autre profil dans lequel l’ADHD est associée à la fois avecdes troubles anxieux et des troubles oppositionnels ou des trou-bles des conduites.

Ces données posent donc la question de l’hétérogénéité descas regroupés sous les étiquettes « trouble hyperkinétique » ou« trouble déficit attentionnel, hyperactivité » et répondant auxcritères des classifications actuelles.

Ils incluent environ 20 % [43] de cas d’hyperactivité « pure »— sans comorbidité — dans lesquels les facteurs neurobiolo-giques (impliquant des troubles authentiques de la régulationdes processus d’attention — qu’il faudrait objectiver par destests précis — [33,29]) et génétiques jouent probablement unrôle prédominant ; mais comme on l’a vu dans la majorité descas, l’agitation instable vient s’intégrer dans des tableaux clini-ques complexes, auxquels d’autres troubles du comportement,des symptômes anxieux, dépressifs ou hypomaniaques confè-rent une signification psychopathologique spécifique.

4. Hypothèses étiopathogéniques

Comme l’indiquent les rédacteurs de la CIM 10, la termino-logie et les critères du DSM impliquent l’hypothèse étiopatho-génique d’une anomalie d’ordre neurobiologique.

En fait, ces hypothèses sont multiples [42] :

● dysfonctionnement des systèmes dopaminergiques, suggérépar le rapprochement avec d’autres pathologies (encéphalitede Von Economo, chorée de Sydenham) et surtout par l’ef-fet des amphétamines (qui ont un effet pharmacologique destimulation de ces systèmes) ;

● dysfonctionnement des structures cérébrales assurant la sé-lectivité et le maintien de l’attention (système thalamofron-tal), l’hyperactivité motrice n’étant qu’une conséquence.

Des recherches électrophysiologiques ont montré des ano-malies hétérogènes de l’électroencéphalogramme ainsi quedes potentiels évoqués P300 [3,4]. Des études d’imagerie céré-brale font état d’anomalies diverses concernant le cortex fron-tal, temporal, et pariétal, ainsi que les ganglions de la base, lecorps calleux et le cervelet. Mais la généralisation de ces don-nées est discutée [16] du fait du faible nombre de sujets exa-minés ; de plus il n’a pas toujours été tenu compte du traite-ment pharmacologique. L’étude contrôlée [16], qui porte sur152 enfants et adolescents, trouve, comparativement aux té-moins, un volume plus faible des matières grises et blanchesdes quatre lobes cérébraux et du cervelet ces différences prée-xistaient à tout traitement et persistaient avec l’âge.

L’agrégation familiale (risque multiplié par cinq chez lesapparentés du premier degré) est en faveur d’une composantegénétique, que confirment les études de jumeaux : la concor-

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4 Les citations marquées d’un astérisque reprennent textuellement les critères duDSM IV.

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dance des monozygotes (68 %) est supérieure à celle des dizy-gotes (28 %), ce qui suggère, aussi, une composante d’ordreenvironnementale [34]. Certaines études sont en faveur d’uneimplication de gènes contrôlant des récepteurs et le transpor-teur de la dopamine [24].

Même si elles sont à confirmer par d’autres travaux, cesdonnées qui soutiennent les hypothèses biologiques doiventêtre prises en considération. Mais il nous paraît important deles replacer dans un modèle polyfactoriel de la psychopatholo-gie. En effet, toutes les données actuelles sur le développementneuropsychique normal de l’enfant montrent qu’il se joue àl’interface, au carrefour de facteurs endogènes (soit la part per-sonnelle du sujet, avec son équipement génétique, biologique,psychologique ou cognitif...) et de facteurs exogènes (soit sonenvironnement au sens large, métabolique, alimentaire, écolo-gique y compris tous les effets de rencontre relationnelle, et leseffets d’après-coup que cela suppose). Ce modèle du dévelop-pement normal ne vaut-il pas aussi, pour les troubles qui peu-vent l’affecter ? Il paraît très probable que ces derniers dépen-dent à la fois de facteurs de vulnérabilité et de facteurssecondaires encore incomplètement connus, qui révèlent cettevulnérabilité et conditionnent le maintien des dysfonctionne-ments. La plupart de ces facteurs combinent probablement,les uns comme les autres, des éléments somatiques et psychi-ques.

C’est dans cette perspective qu’il nous paraît important derappeler quelques mécanismes psychopathologiques suscepti-bles d’être à l’origine ou de favoriser un comportement hyper-actif :

● il peut correspondre à des échecs du refoulement en périodede latence, l’agitation ayant alors pour fonction d’évacuertoute représentation psychiquement pénible ;

● l’hyperactivité peut être comprise comme processus para-doxalement autocalmant vis-à-vis de l’angoisse (selon desmécanismes décrits par les psychosomaticiens de l’écolede Paris) [40] ;

● l’hyperactivité peut aussi représenter une forme de défensecontre la dépression –– rejoignant la notion de défense ma-niaque ;

● elle peut correspondre à une stratégie destinée à contrôlerles figures parentales pour prévenir les séparations [31] ;

● M-M Bourrat [14] relie certaines formes d’hyperactivité trèsprécoce à des défaillances du système pare-excitation mater-nel entraînant chez le bébé la mise en acte moteur de ce quiest normalement transformé par la mère en éléments pensa-bles.

En termes de problématique, par ailleurs, un comportementhyperactif de l’enfant peut s’observer dans le contexte :

● de troubles de l’attachement (attachement désorganisé) ;● d’une structure abandonnique, fréquente chez des enfantsayant vécu des ruptures et carences multiples ; ici l’instabi-lité porte non seulement sur le comportement et l’investis-sement attentionnel mais aussi sur les relations aux objets

affectifs ; on peut aussi faire l’hypothèse de troubles del’instauration des enveloppes et de la contenance psychiques[18] pour les enfants dont l’histoire est marquée par desfaillites du holding initial et des carences de l’environne-ment primordial. ;

● enfin des états d’instabilité motrice et psychique peuvent sevoir dans le contexte de troubles réactionnels –– en rapportavec des évènements à portée traumatique ; ils peuvent s’in-scrire à long terme dans le cadre d’un syndrome post-trau-matique.

Ainsi, la dysrégulation de la motricité, de la cognition et desaffects apparaît comme une sorte de « voie finale commune »sur laquelle interviennent ce type de facteurs aussi bien que desfacteurs d’ordre neurobiologique ou psychopathologique.

Quant à l’inattention, individualisée par le DSM IV, elles’avère difficile à mesurer par des tests objectifs [25,30,32,33,35]. À côté des dysfonctionnements du système nerveux, oudes mécanismes psychopathologiques sophistiqués, il faut aus-si faire place aux défauts d’ordre motivationnel transitoires oudurables (les « rêveurs apathiques » cités par la CIM 10) quipeuvent expliquer qu’un écolier fasse « des fautes d’étourderiedans ses devoirs *», ait « du mal à soutenir son attention autravail *», ait « souvent du mal à organiser ses travaux* »,fasse « à contre-cœur les tâches qui nécessitent un effort mentalsoutenu *», ou « se laisse facilement distraire par des stimulusexternes *»4.

5. Quelques illustrations cliniques

Quelques vignettes cliniques vont illustrer la complexitésous-jacente à certains syndromes hyperactifs :

Florian, âgé de dix ans, est traité régulièrement par la rita-line depuis l’âge de six ans par un neuropédiatre pour hyper-activité. Sa mère le décrit comme un enfant instable, opposant,capricieux avec de violentes colères. Lors des premièresconsultations on relevait de petits troubles psychomoteurs (lacoordination des extrémités avec syncinésies, maladresse dansla motricité fine). Différents examens médicaux, imagerie céré-brale, tests génétiques, n’ont pas révélé d’anomalie.

Le traitement psychostimulant a fait diminuer l’agitationmotrice de l’enfant mais n’a pas amélioré sa situation scolaire :il a été orienté en CLIS et reste très réfractaire au travail sco-laire. On prévoit son orientation en SEGPA pour l’année pro-chaine. Lors de la consultation on est frappé par l’immaturitéde l’ensemble du comportement de Florian : ses expressions,son mode de raisonnement, sont ceux d’un enfant d’environ sixans ; au cours de la consultation il ne cesse de caresser despeluches dont il ne peut se séparer ; recherche aussi souventle contact corporel avec sa mère qui tantôt le laisse faire, tantôtle repousse avec agacement. Dans le discours des parents l’hy-peractivité est constamment mise en avant : Florian est décritcomme un enfant malade, pénible, qu’il faut supporter.

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L’examen psychologique donne des résultats globaux à lalimite de la débilité légère, mais, le profil est très hétérogène.Aux tests projectifs, auxquels Florian se prête avec réticence,apparaissent des éléments archaïques qui posent la questiond’une structure psychotique sous-jacente. La famille n’a pasadhéré, pour le moment, à la proposition de suivi en CATTPde Florian.

Gaspard est âgé de sept ans et demi. Ces deux parents l’a-mènent à la consultation sur l’insistance de l’institutrice quileur a dit n’avoir jamais eu dans sa classe un enfant aussi agité.Elle a insisté pour qu’ils le fassent soigner et leur a confié unarticle de journal parlant de l’hyperactivité (pour le cas où lesmédecins consultés ne seraient pas suffisamment informés !).

Gaspard est le dernier enfant et seul garçon de la famille.Ses deux sœurs sont de très bonnes élèves. Mais pour lui, de-puis le début, la scolarité se passe mal : il a fait longtemps desdifficultés pour se rendre à l’école maternelle. Actuellement, ilva assez volontiers à l’école mais il s’y montre agité, ne tientpas en place pendant les cours, et dérange les autres élèves pardes bruits incongrus ou en les taquinant. Il ne termine jamais letravail demandé. Dans la cour de récréation, il se montre ex-cité, bagarreur.

À la maison, les parents le décrivent comme un enfant bou-deur, jamais content, qui fait encore facilement des colères aumoindre refus, et qui semble souvent ne pas prêter attention àce qu’on lui dit.

C’est la mère qui fait, avec un certain fatalisme, le récit desdéboires scolaires de Gaspard ; le père restera longtemps silen-cieux en dehors de quelques remarques critiques sur les ensei-gnants qui ont trop vite « catalogué » son fils. Les parentsévoquent alors les relations privilégiées qu’a pu avoir le pèreavec son fils : au cours des premières années, il assurait — visi-blement avec plaisir — une bonne partie des soins de mater-nage. Il parle à cette occasion de ses rapports difficiles avec unpère rigide et distant, contre-modèle de relation parentale qu’ils’est juré de ne pas reproduire.

C’est lorsque sa femme évoquera la période difficile qu’aété pour toute la famille ses trois années de séjour à l’étranger(il est militaire) qu’il peut exprimer — au bord des larmes — lasouffrance que lui cause la situation de son fils. Son poste ac-tuel lui permet d’être plus régulièrement présent, pourtant il neparvient pas à s’occuper de son fils pour les devoirs, comme lelui demande sa femme : il ne supporte pas d’avoir à solliciterson attention, obliger Gaspard à faire ses devoirs est tellementinsupportable pour lui qu’il doit renoncer et même quitter lamaison pour s’apaiser.

La remarque qui leur est faite de la correspondance chrono-logique entre le départ à l’étranger du père et de l’entrée deGaspard en maternelle, semble une véritable révélation, pourles deux parents.

C’est une thérapie familiale associée à une thérapie psycho-motrice individuelle pour l’enfant qui a été proposée. Elle sepoursuit actuellement. La rentrée scolaire suivante s’est passéede manière plus apaisée, et jusqu’à présent cette améliorationsemble se confirmer...

Paul a déjà 12 ans, il est suivi depuis plusieurs années enthérapie psychomotrice, en parallèle à un traitement par le mé-thylphénidate prescrit par son pédiatre. L’anamnèse qui figuredans son dossier note qu’il a présenté, dès l’âge de la marche,une hyperactivité psychomotrice impressionnante qui épuisaitses parents aussi bien que toutes les personnes amenées à s’oc-cuper de lui. Dès la maternelle, la scolarité a été difficile, chao-tique, pourtant, dès ce moment, sa drôlerie, ses répliques inat-tendues faisaient pardonner son agitation perturbante. C’estvers l’âge de cinq ans que les parents ont cherché un médecinqui accepterait de prescrire des psychostimulants, dont ilsavaient entendu parler par les médias. Ils ont alors consultéun pédiatre hospitalier qui a exigé un bilan préalable à la pres-cription, des tests neuropsychologiques ont confirmé les faiblescapacités attentionnelles, tandis que l’examen psychologiquemontrait une efficience intellectuelle normale. Le pédopsychia-tre qui l’a vu à l’occasion de ce bilan pluridisciplinaire évo-quait l’hypothèse de troubles de la personnalité sous-jacents.

La prescription de méthylphénidate, a selon les parentstransformé leur vie. Tout en gardant un niveau d’activité élevéet le besoin de changer souvent d’activité, Paul est devenu,selon leur terme, « canalisable » ; il a pu poursuivre une sco-larité normale, dans une école privée relativement tolérante auxenfants s’écartant quelque peu de la norme. Il n’a pas adhéré àla tentative de psychothérapie préconisée lors du bilan initial,mais il a accepté la relation avec un psychomotricien, qui tra-vaille à une meilleure stabilité dans le cadre d’activités ludi-ques.

C’est la perspective de l’entrée au collège — et donc de larupture avec le milieu relativement protégé de la scolarité pri-maire — qui inquiète les parents et motive une nouvelleconsultation pédopsychiatrique.

Paul reste très agité, il ne cesse de bouger sur le fauteuil, semet — au cours de l’entretien — dans les positions les plusinattendues. Tout en restant vigilant sur le déroulement de l’en-tretien, il enchaîne à une vitesse impressionnante des dessinsmonochromes : d’un trait très sûr, sans aucune hésitation niremords, il dessine des personnages, des scènes de bataille, re-produisant les épisodes d’un jeu vidéo qu’il affectionne parti-culièrement. Son contact est immédiatement familier, comme sinous nous connaissions depuis toujours ; au cours de l’entre-tien il interrompt sans cesse ses parents, soit pour contredire cequ’ils sont en train de dire, soit pour dire des plaisanteries, desjeux de mots, parfois assez réussis. Mais son comportementn’est pas seulement hyperactif : de ses attitudes, de sa dictionempreinte d’un certain maniérisme, de son langage affecté en-trecoupé de jeux de mots, se dégage une impression de clow-nerie étrange, de faux contact.

Cette étrangeté n’a pas échappé aux parents : à la fin de laconsultation le père m’interroge sur le syndrome d’Asperger,dont il a trouvé la description sur internet et dans laquelle il aretrouvé des traits de son fils. Elle est perçue aussi par les au-tres enfants : une des difficultés, qui est devenue assez aiguëcette année, à l’entrée au collège, sont les moqueries et lesbrimades dont il est l’objet de la part de ses nouveaux camara-des.

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5 Au sens étymologique, une approche qui tente de tenir ensemble les différentescomposantes d’une situation pathologique en référence au modèle polyfactoriel évoquéplus haut.

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Nous sommes en train de réorienter la prise en charge de cegarçon qui sera pris dans un petit groupe de CATTP, parallè-lement à une psychothérapie qu’il a acceptée. Le traitementmédicamenteux a été poursuivi.

Il n’est, évidemment, pas question d’affirmer que ces troisvignettes sont représentatives de l’ensemble des cas d’hyperac-tivité. On objectera sans doute que notre perspective est biai-sée, et que notre recrutement de pédopsychiatres est particulier.Il n’en reste pas moins que la symptomatologie présentée parces enfants répondait parfaitement aux critères du trouble défi-citaire de l’attention, avec une échelle de Conners qui était po-sitive.

Ces cas montrent que ce syndrome comportemental peutrecouvrir des situations psychopathologiques très variées, s’in-scrire dans une problématique familiale complexe comme dansle cas de Gaspard, traduire éventuellement des troubles du dé-veloppement et de l’organisation de la personnalité commedans le cas de Paul ou celui de Florian.

Si on tient compte de ces données, il apparaît évident quel’évaluation d’enfants dits hyperactifs ne saurait se limiter à lavérification de critères d’une classification, ni à l’addition d’unscore d’une échelle : elle nécessite une approche pluridiscipli-naire prenant en compte les différentes dimensions psycholo-gique, psychopathologique, neurophysiologique, ainsi que l’é-valuation des exigences éducatives de l’entourage.

6. Les traitements proposés

L’effet positif de l’amphétamine sur les troubles du compor-tement de l’enfant, signalé dès 1937 par Bradley [12], a étédepuis largement confirmé par un grand nombre d’étudesSwanson et coll, en 1991 [39], dénombraient plus de 3000 pu-blications sur ce thème. La méta-analyse de 161 études contrô-lées contre placebo, portant sur des populations allant de l’âgede la maternelle à l’âge adulte, conclut à une amélioration chez75 à 95 % des 5899 patients traités par psychostimulants contre4 à 30 % avec le placebo [37]. L’action sur les troubles del’attention est moins bien démontrée.

Il faut rappeler cependant que l’efficacité à long terme despsychostimulants utilisés seuls, évaluée en termes de réussitescolaire, ou d’intégration sociale, est bien moins évidente queleur effet à court terme [38]. En revanche, plusieurs auteurs[13,22] indiquent que l’association de pharmacothérapie et depsychothérapie améliorée est plus efficace que chacun des trai-tements utilisés seuls, notamment dans les cas ou des troublesoppositionnels ou des troubles des conduites sont associés. Ce-la rejoint des données apportées par certaines équipes françai-ses.

Dans l’ensemble des données publiées, les effets secondai-res à court ou à long terme semblent relativement peu impor-tants : notamment la notion classique de troubles de la crois-sance a été récemment rediscutée. Également discuté àplusieurs reprises, le risque de toxicomanie semble en fait su-périeur chez les sujets non traités [10,21].

La cause pourrait donc paraître entendue : les psychostimu-lants constituent un traitement efficace et peu dangereux : que

demander de plus ? Pourtant aux États-Unis même, la publica-tion d’études montrant l’augmentation considérable, au coursdes dix dernières années, de la prescription des psychotropeset notamment des psychostimulants chez l’enfant, a provoquéun débat dans le monde médical et dans l’opinion publique.Selon ces enquêtes [36], le nombre d’enfants et d’adolescentstraités par le méthylphénidate a été multiplié par 2,5 entre 1990et 1995 atteignant près de 3 % de l’ensemble de la populationaméricaine âgée de 5 à 18 ans [19]. Parallèlement, on saitqu’aux États-Unis, la production de ce médicament a triplé en-tre 1990 et 1995 (atteignant 9 t/an) ; parallèlement la produc-tion d’amphétamines est passée de 0,4 à 1 t pendant la mêmepériode [19].

D’autres données révèlent qu’un grand nombre des cas trai-tés par les psychostimulants ne correspond pas strictement auxcritères diagnostiques du THADA, et s’écarte donc des condi-tions dans lesquelles l’efficacité de ces traitements a été établie[2,20,21,45]. Ainsi, dans l’étude d’Angold qui porte sur unéchantillon de 4500 enfants et adolescents âgés de 9 à13 ans, 7,3 % ont reçu des psychostimulants, alors que seule-ment 3,4 % remplissent les critères DSM III-R.

Ces enquêtes montrent aussi un abaissement de l’âge auquelces traitements sont débutés : la consommation de psychosti-mulants et d’autres psychotropes a été multipliée par deux àtrois entre 1991 et 1995 chez les enfants de deux à quatreans. Parmi les autres produits prescrits chez ces enfants, il fautnoter la forte augmentation des antidépresseurs et de la cloni-dine [46]. Les auteurs de ces recherches mettent en cause lesprescriptions des généralistes ou des pédiatres nord-américains,qui ne tiendraient pas suffisamment compte des critères diag-nostiques et des recommandations officielles en faveur d’autresapproches thérapeutiques et éducatives.

Par-delà les études d’efficacité, il nous paraît important deprendre en considération les aspects symboliques et éthiquesindissociables de toute démarche thérapeutique : dans cetteperspective il faut s’interroger sur la signification que prend— dans la relation de l’enfant avec son entourage — la priserégulière d’une « pilule de sagesse », un médicament qui lerende supportable par les adultes.

Par ailleurs, pourquoi l’amélioration apportée par la pres-cription de psychostimulants devrait-elle nous dispenser d’uneréflexion, avec l’enfant et ses parents, quant au sens de sesdifficultés dans la trajectoire de son existence ?

Cette approche « compréhensive »5, nous conduit à insistersur l’importance de l’historicisation des troubles de l’enfant,c’est-à-dire les réinscrire dans le fil d’une histoire personnelle,celle du développement, de sa croissance et de sa maturationpsychique, mais aussi familiale et parfois même sociale ouculturelle.

Cette mise en histoire est une démarche diagnostique en mêmetemps qu’elle est le premier temps thérapeutique, dans la mesure

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où elle vise à relancer, chez les parents comme chez l’enfant, lacapacité de penser.

La mise en récit est à nos yeux essentielle car « l’être humainest fondamentalement un être de narration », comme nous l’aappris P. Ricœur. De ce fait, il n’y pas, pour nous, de thérapeu-tique digne de ce nom qui puisse faire l’économie de cette mise enrécit, sauf à amputer le sujet d’une dimension essentielle de lui-même et à l’enfermer dans des modèles réducteurs, trop simplifi-cateurs.

Cette démarche fonde différentes approches thérapeutiquesalternatives, qu’il s’agisse de psychothérapies individuelles ougroupales, ou de thérapies utilisant la médiation psychomotrice.

Il ne s’agit pas pour autant de récuser toute prescription depsychotropes et notamment de psychostimulants chez l’enfant.La prescription médicamenteuse nous paraît avoir sa légitimité sielle n’est pas une réponse automatique et si elle se situe dans lecadre d’une approche multidimensionnelle [13] –– conséquencelogique du modèle polyfactoriel discuté précédemment.

Dans le cadre d’un usage raisonné et raisonnable, elle est justi-fiée dans les cas où une hyperactivité sévère entrave complètementl’activité psychique du sujet constituant une véritable contrainte etest source de souffrance pour l’enfant. Dans de tels cas les psy-chostimulants peuvent représenter un « outil de liberté » pourreprendre un concept avancé par P. Jeammet et lui redonnent lapossibilité de s’interroger sur le sens de ces difficultés dans sonhistoire personnelle.

Finalement, ces conclusions sont en accord avec les règles debonnes pratiques publiées par un groupe d’experts européens [41]qui recommandent le recours en priorité à des approches psycho-sociales et éducatives et réservent la prescription de psychostimu-lants aux cas d’emblée sévères ou ne répondant pas aux autresmesures.

En dépit du consensus actuel sur la plupart de ces points, lesenquêtes récentes, ont révélé un décalage croissant aux États-Unisentre la réalité des pratiques de terrain d’une part, et, d’autre partles recommandations officielles. Il en résulte une expansion consi-dérable des prescriptions de psychotropes. L’exemple de ces déri-ves doit nous inciter à maintenir les règles strictes qui encadrentles prescriptions de psychostimulants en France et qui semblentavoir permis de maintenir l’usage de ces médicaments dans deslimites acceptables.

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