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SOCIOLOOIE D'AUJOURD'HUI COLLECl'JON DIIlGÚ PAI. 08OROII BALANDIEll L'INTELLIGENCE DU SOCIAL LE PLURALlSME EXPLlCATIF EN SOCIOLOGIE JEAN·MICHEL BERTHELOT Pro/ene,., d ,. Univer$ltl de Toldolllt·u MlraU PRBSSBS UNIVBRSITAIRES DE FRANCE

Libro de Berthelot francés

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Page 1: Libro de Berthelot francés

SOCIOLOOIE D'AUJOURD'HUI COLLECl'JON DIIlGÚ PAI. 08OROII BALANDIEll

L'INTELLIGENCE

DU SOCIAL

LE PLURALlSME EXPLlCATIF EN SOCIOLOGIE

JEAN·MICHEL BERTHELOT Pro/ene,., d ,. Univer$ltl de Toldolllt·u MlraU

PRBSSBS UNIVBRSITAIRES DE FRANCE

Page 2: Libro de Berthelot francés

.Remerciementl

~, remercie lous mes co/ligua du Centre de RecMrches sociolo i di I Unl .. ,.II~ tk TOu/OIIse-Le Mlral/ pour leur loul/en el 1_ :",¡:: Ma I/'(Jlltutk va nOlommenl a Marcel Drulhe _., n'apQJ héalt" .L • 101'1 emphJt du ''1"- c:-" surCncuger

temp, pout' opérer une premiere lecture critique de ce IIfrmulcrlt el me cOÑorler de ses encouragement.r.

Sommaire

AVANT-PROPOS

Pe"spective cavali~re sur un parcours analytique 9

I/INTELLlOENCE DE L'OBJET ET SCHEMES D'INTELLlOIBlurt 13

L' intelligence de l' objet comme probl¿me 13

Le probl~me 13 Le concept de sch~me d'intelligibilité 18

La doubie lenta/ion el le double obstacle 23

Le sch~me causal el la tentation moniste 23 L 'altemative compréhensive el les ambigui"t&: du seos 28 Du dualisme au pluralisme 33

Mérhode de repérage des schemes 37

II I TVPOLQGIE DES sCHtMES O'INTBLLIOIBIUTÉ 43

Trois textes paradigmatiques 43

Marx et le développement du machinisme 43 Lévi-Strauss et l'analyse structurale de la parenté 50 Edgar Morin el la rumeur d 'Od~ans 55

Principes d' une rypologie 58

Schemes et programmes 62

Le scheme causal 62 Le sch~me fonctionnel 65 Le sch~me structural 70 Le sch~me herméneutique 72 Le scheme actanciel 76 Le scheme dialectique 81

Nouvelles pistes 83

Page 3: Libro de Berthelot francés

• L' intelligence du social

1111 D •• .. eH.MII AUX DISCOURS: PROORAMMES ET PARADIGMES

""'~du('I'bllitl " complémemarité des schemes

Sp'cJficJ~ et isomorphismes logiques des schemes d'.nalyse

87

88

88 Aaaociations el interférences: le processus de neutraJisa­tion

Une mstrice d'échanges généralis~s DeJ' sch~mes aux jaits

La double détermination: vaJeur probatoire el peninence explicative

Spécificité logique el neutraüté lhéorique des données Articulation de données hétérogenes el interlangage

Schemes el paradigmes

Professions de foi el paradigmes analytiques Paradigmes théoriques el paradigmes analogiques Les paradigmes comme médiateurs sensibles des schemes

Les jeux de /' intel/igible

Prograrnmes logiques el enjeux de connaissance . Prograrnmes logiques el usages discursifs

IV / SENS lIT EXPÉRIE:NCE

Le sens du vec:teur épistémologique

91 102

105

106 109 114

118 120 124

130

131

132 133

139

140 Schemes el Thimaú;z 146

Epuration unitaire ou reconnaissance du pJuralisme 146 La théorje des «Themata» de G6rald Holton 149 Un exempJe d'opposition tbematique en sociologie:

holisme el atomisme 152 Georges Balandier et le thema du désordre 16 J IntelligibiJit~ synthétique et intelligibilité analytique 166

Un modele tridimensionnel 168

L' irréductible ambiguité des concepts analytiques 168 Pensée rationnelle el pens6e symbolique 173

Les jondemenls anthropologiques de /' imelligihilité J 81

V / LA DIALECTIQUE DE LA PREUVE 185

La preuve: exigence utop;que ?

« L' aporétique de la preuve» Trois arguments de cefus Et pourtant AchiIJe rattrape la tortue !

186 186 188 195

Sommaire

Preuve el justifica/ion en

La preuve en acte:

sciences sociales pertinence explicative et validité

empirique rnmune de aporie d'une norme co La preuve en acle:

La

confrontation ? . . Incornmensurabilité et comparanvlté

dialectique sociale de l' évaluation

Une procédure de. comparaison réglée La dimension soclétale de la preuve

La réalité sociale du savo;,. scientifique

VI / CENT FOIS SUR LE MÉTIER •••

Re/ou,. sur UI1 par(·ours

Prob1~mes pos6s par le corpus ~tiHsé o éc s et les éléments Probl~mes pos6s par les m amsme

en évidence . . d schemes Problemes posés par la détennmatlon es

L'enjeu d'un détour

INDBX DBS MATIti:RES

INDBX DES AUTHURS

mis

7

201

202

211 217

223 223 227

232

235

236 236

239 241

242

245

247

Page 4: Libro de Berthelot francés

A VANT-PROPOS

P erspective ca valiere sur un parcours analytique

L' inte/ligence est la capacité d' établir des liens et de saisir des relations. Forts de ce terme que /' étymologie travail/e nous nous proposons d' interroger la connaissance du social. Notre but n' es! pas de recenser des théories ou des faits. d' arpen/el' des champs ou de circonscrire des domaines, mais, plus c/assiquement peut-élre, d' appréhender des dijftcultés et d' ell rechercher le principe. Eclatée, multiforme, tragUe, incertaine, cette connaissan­ce apparaft el beaucoup comme une réalilé hybride, une sorle de monstruosité jouant des chiffres el des images, de la preuve el du rlve, aussi incapable de trouver sa place dans le caneert des sdences que de se résoudre a s' en dissocier. De multiples hypolheques peselll sur son approche : 011 la dit liée irrémédiable­ment el /' idéologie, condomnée el oscil/er entre la vacuité de Irailements mathématiques inadaplés el le délire d' interprétations incomr{Jlables, vouée el tous les pieges que le langage tend aux savoirs non formalisés. Aucun des aspects de la connaissance du social, qu'il s'agisse des théories, des méthades, de /'articulo­líon des champs el des disciplines. de sa définition el de son stalut, n' est a l' abrí de polémiques dont le retouT rituel rebondit de l' écho que la mode et l' intérét médiatique peuvenl leur donner. Grossierement trois allitudes résument la multitude et la diversilé des pOSiliolls particulieres : le monisme, le dualisme, le pluralisme.

Postulant que la science esto que/s que sojent son objet el ses méthodes particulieres, fondamentalement une, le monisme peut etre d la fois le contrajre el le complémentaire du pluralisme. Si celui-ci postule la multiplicité et /' irréductibilité des objets el

Gustavo
Subrayado
Page 5: Libro de Berthelot francés

10 L' intelligence du social

des procédures. JI pose éga/ement un principe d' u!Jité en recourant a la dénomination commune de «science », de mime que le monisme peut induire pou,. sa pan une idée de pluralité en reconnaissant la diversité des disciplines. Le dualisme d l' inverse établit /'irréductibilité de deux domaines el de deux types de connaissances .' se/on la distinction allemande de la fin du siede dernie,.. les scümces de la nature el les sciences «de l' esprit »

releveraient de deux modes d' intel/igibilité différents. Cependant le dualisme peu! également, a un second níveau. ,dériver vers le monisme ou le pluralisme se/on qu' il insiste Sur /' unicité ou la pluralité des modes d' approche tl l' <eUvre dans chaque domaine.

Ces positions nourrissent aujourd' hui encare les débats el sonl bien connues de IQUS les spécialistes. Elles ne Son! pas le simple reflet d' un étal donné de ce que nous conviendrons d: OJJ.peler - par commodité - les sciences anthroposociales. ma;s s ai"nentent tl des Oppositions d' ordre philosophique, politique, cu/rurel qui en obscurcissent et en surdéterminent les termes. Plut{)t que 'd' en suivre les argumentati011;S. nous esquissons id une aUlre vafe: elle consiste d panir de la connaissance en acte et a tenter de cerner, par l'analyse, les constituants de ['inteUi. gence de l' objel qu' elle promeut. La connaissance du social y apparaft comme un eifort complexe de mise en relation d' iléments cognitifs de slatuts diverso Cette complexité trouve a s' organlser auto", de schernes de pensée, véritables matrices de relations, en lesquels nous verrons le fondement des modes d' lntel/igibilité divers qui coexistent au sein des sciences sociales. Pluraliste de fait, Mfre ambition esl d' abord analytique " elle vise iI saisir le fonctionnemment de l'explication en sciences sociales. Se détour­nant des découpages habituels entre théories, concepts, méthodes, techniques, données, elle tente de s'instal/er au lieu mIme de leur mise en re/alion et d' interroger la logique qui en commande J' opération. Cette /ogique se révele complexe : plurielte, organisée autour de schemes distincts, elle se réalise dans un jeu d' intelfé­rences, de traductions. d'illustrations paradigmatiques donl les concepts analytiques - cause, {onclion, aysteme, structure, sens. etc. - manifestent /' eifet dans leur irréductible ambiguilé. Repé/'ant des éléments participant de diverses manieres d la construclton d' une connaissance de /' objet el l' ¡ncluant a divers titres dans des modes d' intelligibi/ité l' analyse vise tl en ée/airer le fonctionne­men! el a en interroger le stalu/. Ainsi s· organise un parcours :

¡\ vant~pr{)pos 1I

pensant avo;r identijié le níveau s!'éciflque ~u se noue, /' intelli­Rcnce de [' objeto iI en suit les dlverses v~,es: vers I av~l, .ou le dialogue entre théorie el empirie est touJours une négoclatlOn complexe el parliellement opaque, constam"'.ent m.ena.cée en .w:iences sociales de basculer de [' argumentatlOn sCI~ntifique a la construction doctinaire ou au développement rhétol'lque .. vers /' amont, ou les schernes d' intelligibilité /'et/'ouvent des représenta­lions lortes sur /' Etre el le Connaftre, donnant lIeu au~ e~~a8e­ments ontologiques el épistémiques souvent contradrctoll es . -:­détel'minisme et ;ndétermfnisme, holisme et atomisme, str~c~uralJS­me et histoire ... - par lesquels les écoles de pensées se dlstmguent el s' affróntent. .

Etonnamment peul-étre, c'est a l'instant ou la complexlté du processus de connaissance en sciences sociales se. révele ~a plus Jorfe et la plus irréductible que ce parcours crOlse ce~~, de la théorie de la science contemporaine. Au débat que celle-el mstaure entre rationalisme et relativisme, a I'interrogation taraudante sur la valeur de vérité de connaissances intégrées a des modes d' intelligibilité et tl des paradigmes distincts, iI tente d' appo/'ler la contribution d' une analyse sur le fonctionnemenl de la preuve en sciences sociales.

Une analyse n' est pas une exposition. Meme si ses voies sont POIfois plurielles el requierent le choix, c' eSI le fil de [' interroga­tion et la philosophie qu' il exprime qui en commande~t les étap,es el la démarche. La connaissance en sciences soclales mél'l~e,

quelIes que soient ses {aiblesses et .ses. difficultés, d' e~,.e pns~ au sérieux. Aux tematives de catégo/'lsatlOn et de fondatton aussl b 'en qu' a celles d' invalidation principielle, nous choisissons de p~éfére,. celle de l' analyse. La connaissance du social existe. Elle se manifeste, comme toute connaissance, non seulement dans les proclamations de foi, les théories reconnues et les manuels techniques qu'une communaut¿ savante produit, mais é~alement dans des textes exemplaires: association concrete et Vlvante de la rhéorie et de l' empirie, argumentations paradigmatiques in­sCTites dans les rituels de transmission d'une discipline, ces analyses sont les modeles de connaissance en acte que la communauté reconnatr. Qu' est-ce qui constitue ces (extes ~omme connaissance de l' objet ? Si elle est un probLeme, la connalSsance esl aussi un {air. Certes un fail· humain, non seu.leme~t u~ évenement mais aussi une signification et une constructlOn hlSta,.,-

Page 6: Libro de Berthelot francés

12 L' intelligence du social

fUI. UII fall 10~oul's Susceplible de S'illverser d'ftre l' '11 . 01/ l. ,Imulacre de ce qu' i/ prétend erre . fi'. l USlon

R.tour,.ons au poinl de dé. ar ' mm3 un all ~uand mIme . •• mbl" ~,ollrique el 11' illtéres~e/'quc;:n telleheml1leme~t peut s"~cl II S e e asse restrel1lte de ". a Sles. on souci de rigueur ne r' . da Mal. iI touche a UIl double elije b' I1ISC~1t pos lIS la facilité. la connaissance du social d'une,u ;~n p us va~te,' ~ ce/u; de ooeillés aetuel/es faee a la maftris;de ¡que les. l1I:;er~ltudes des d. pi'" en pi . ~. fur soclollsatlOn renden!

- IU algu " u ee/ul des mé . d la scientifique d' autre par! qui nt· camsmes e connaissance mise en reuvre d' Un algorithme déiee;::;= pa~ ~tre I~estreints .el la UIl leu subtil avec les cadres anthroPOíomagiql~:~e,ql~eexnt 'éo~Jours

U< p Tlence.

1

Intelligence de l' objet et schemes d' intelligibilité

L'INTELUOENCE DE L'OBJET COMME PROB~E

Le probteme

La connaissance du social a mauvaise presse. Multiple, polémi­que, éclatée, elle ne semble prendre quelque consis~ce el quelque solidilé que lorsqu'elle se con8aCre au passé. L'histoire en esl la principale bénéficaire. Le presenl, lui, résiste. Sa connaissance en est incertaine, aussi bien lorsqu'elle se limite A un champ restreiilt comme celui de l' économie, que lorsqu' elle prétend rendre raison du fonctionnement el des errements des sociétés contemporaines. La sociologie éprouve particulierement cette difficulté, Elle est née au toumant du siecle dans l' euphorie d 'une extension du savoir scientifique ~ de nouveaux espaces l. a été

1, 11 esl inutile de rappeler le projet durkheimien qui présida l la mise en place de L'Annle sociologiqlie. Us'agit, en recenaant les tr'avaux m~ dans Ics divenes 8ciences aociales, de conatitucr 4( les ma~riau!" avec leequels la sociolope se doit construire» (~face au yolumel de L'An~e sociologiq,", 1896-1897. ~~it& par lean Duvignáud in Emite Durkheim. Journal soclologique, Paria, PUF, 1~9. p. 31). Ce:Uc entreprise se ~isc loraque Durkheim ~voque la f~tion d:cipfoque de l'hlstolre el de la sociologie; «Susciter des historiens qui sachent voir les faits historiques en 8Óciologues, ou, ce qui revient au mtme. des sociologues qui póssMent toute la teehnique de l'histoire, von .. le bul qu'¡¡ taot poursuivl'e de part el d'autn:. A cette condition. les formules explicatiws de la science pourronl ,f lIendre prog,.essillftment d toute la complexil~ des faits SOCUlux* au lieu de n'en reproduUe que les contours les plus 1~n6raux ( ... »10 (ibld., p.33). Le sociologisn'le reproc~ souvent l Durlcheim est d'abord une confiance iMbranla­ble danS la capaciti du rationalisme scientiflQue 1 rendre compre du social. (. soulign6 par 0008).

Page 7: Libro de Berthelot francés

14 L'inlelligence du social

portée sur les devants de la selme It la fin des années . avant d'ét 'é' , sOIxante posées . pa~e l~o~:~t~o~ f:";;::'~~~;':~~l~:~~ m~I~::~S question~ mstItutlonneP el son effort auto.réfl 'f Ji son cssor marquée par une cassure intem eXI. e e sembJe. souvent quait tres clairement il y a qu~~~;e ~~rt K. Merton dlagnosti-

d 11 décflvaJt. une situation de connaissance dont on t

emander re d' de" ,peu se ehangé ¿ s un ml-Sleele apres si elle a fondamentalement . ux tendonee. étalent repérée l' a é

souei de vérifieation empirique l' au!re \ ;:~r ~ né~aliser sans que soít leur pertinence théori ~e' « . Ir es ~lts quelle semble ctlie' .. No' q: La devise du premler groupe

. us 19noroos SI ce q d' mais naus savons que ~a a un sens ~e EntO

us. ,1S01 ns es~ vrai, . vmel a devIse de

2. Le développement des sciences sociale .. en Franc:c apres la gueJTe a été j'objet d' $ e~ partJcuh~rement de'la sociologie t6moins el acteurs: Alain Drouatd Le d~n :0 laque Buquel pattici.,erent divers Franu, QU tourJlant des annéer 60 P ,ve oppement des sciences sociales en ~fleKions sur une chronologie ie dé' I arlS, CNRS. 198~, et, du meme auteur de 1945 a la fin des ann6es 60 R ve °fiPpenu:~t des SClences sociales en franc~ L'accroissement, depuis lors, de ia ~~:: ran,alse de socio/agie. XXIII, 1982, 1. par le~ nou~eUes tAches demandées au ~ conlract~eJle el les problemes posés ceux-CI: vOIr, par exemple Christian deSOCMolOg~e n oot pos été saos inlerroger ~ ~IOlie el ses limiles, Rel'ue frQm¡aise d~oth~7' ~ professionnali&ation de

raJsse, Les sciences sociales' ud!' don SOCIO ogle. XXVIII, 1982, 1 ; Robel'! '/'ovall, 1981, 4: Michel Amiot ClSant ,/~pendance, aUlonomie, Sod%gie du une tus/aire de /a soci%gie UI',hui? re F tIlt, les soci%gues: éUments poUI' I'E~, 1986 (et la ~ponse de Ma~rice e~lan':Ce (19QO - J~)" Pans, 00, de utbaine, A ¡>ropas du Iivre Contre l'Eta ,o,!!mande pubhque et sociologie n"'48. 49. Toulouse. 1987) ~ eolin plus ~ les SOCJologue~, Espac:es el s(1ciltés, Blanc, Recherches sociolo i ues' et ' mmenl, I~ domer prépart par Maurice Soci%gle. Univera.i~ libregd! Bruxelrsm=s :oc,aáes• Revue de I'/nstilllt de Blanc. Alain Bourdin. Nicole DelrucUe -V'' et (co,n~butions de Maurice Huel, Andre Micoud, losé Rose, ~ra~ ~~7ri~~el, DomlnJque Desjeux.. Annel

3. En 19~6. la Fnmce compte 4 h' ' CES (sauree: Alaio Drouard a ,e aires de sociologie el un laboraroire le sociologie, Moios de dix an~ pf~sC:~~P/36), En 1956 est ,créée la licence' de nombre des enseignants de s '1 .' ean Sloetzel évaluad ;\ une centaine le (source.: ¡bid., p, 137), En 197~r.~ua~~ ~ ~!a~t ~elui des ~hercheurs CNRS cecensalt 27 centres ou Jabonuoires de reche he oc~té f~~~use de sociologic CN~ recoonalt plus de 90 uoités de s ,re,' Pres de vmgt ans plus lard le SClences de l'homme el de la Sociélé 1%6)1~,~ (s,:,urce,: Annuaire du CNRS, part _ Y compris. les unités associ6es' a ' l~s rnlveraués compleot pour leur _ plus de 350 équipes de rechen:hes u CNRs me ues ~ le nombre précédent av~ d'autres disciplines de la ~ ¡réc,lamant excluslVement ou en association sClences ,sociales d h"maines: l:ot¡'? oglc (source;, Cent,.es de ,.echen'he el! C:;OHS~ CNRS), L'Université comprc'4 a~sse~enls d'enselgnement supl,.;eurs, 1987. tttul:iJl~s, el le CNRS un' nombre com m me moment ,pres de 3.30 enseignants SoclOloRlefranr¡aiseetfrancophone PUbr;a~ de chereheurs; l ~nuajre 1988 ~SLF, s~s et APS, pennet d'e,stime~ il 1 2~ le :~~~OUl'$ deS,trolS associatiúns ~nés, Enfin, J'enq~le menée en 1988 1989 de,s ,socJOlogues fran¡;ais

nahonale sur les DEA (1 'o année de 3~ - par le mlm8~re de l'Education environ 670 étudiants inscrits. cycle) recense 20 dipl8mes habilités el

Imel/illel/ee de f'objel el "ehemes d'inrel/igibilité I~

l'empiriste radical: "Nous ignorons si ee que nous disoos a un sens, mais nous savons que e'est vrai ", » .. Quelques années plus tard, Georges Balandier opposait la tentation «technocratique »,

«qui incite a limiter l'entrepríse scientifique a l'ordre des techni­ques sociales», a la tentation de «1' ésotérisme» substituant au réel « une construction logieienne »ou « l'ordre des choses importe moins que l' ordre des mots »'. Les deux fois le probleme soulevé n'es .. rien moins que celui de la capacité d'une discipline a produire /' intellixence de son objeto Celle-ci ne peut pa. plus résider dans une vaste construction surplombante que dans une accumulatioo teehnicienne de données. Elle est spécifiquement ce qui articule intelligibilité et preuve; elle vise simultanément la saisie de r objet selon des lignes de sens pertinentes et la soumission des représeotations coostruites 1I I'épreuve des faits.

L'iotelligenee du social est done d'abord un probleme: 1'0PPO­sition récurrente décrite par Merton constitue-t-elle l'horizon a jamais fermé de la connaissance sociologique ou la marque d 'une difficulté spécifique dont ¡¡ faut saisir les divers termes afio d'espérer pouvoir la surmonter.? e'est autouT de cette question

que s' organisera cette réflexion, 11 se trouve qu'elle s'inaugure par une sorte de paradoxe:

insaisissable, requérant d'etre eonstruite apres la levée d'obstacles qui semblent partieulierement lourds, I'intelligence du social est simultaoément, eo tant qu'intelligence de I'objet, toujours déjll la, Ene est une dimension constitutive de la connaissance comme

réalité sociale. Si une connaissancc est une affirmation portée sur un état de

réalité, eUe n'existe toujours qu'intégrée a un savoir se présentant eomme discours. Les deux pales de la théorie et de l' empirie, dont Merton relevait la dissociation, sont en fait toujours simultané­ment présents au sein des .avoirs : le diseours le plus spéeulatif, aussi dépouillé soit-il, se passe difficilement du recours a l'image el auX données sensibles. et un recensement statistique implique toujours aÍ! moios la définition de ses clas.es de dénombrement. C'esl done lá nature de eette uniré en acle qu'¡¡ faut interroger. Or elle n'est pas simple el incIut au moios trois niveaux: a) une eonnaissance met en rapport un sujet et un objet, les capacités

4, Robert K, Merlon, EMnrenrs de théol'ie et de méthode socioJogique, 1957,

trad, ~ris, Plon, 1965. p,4, 5, Georgés Balandier, .AnthropoloRiques, Paris, PUF, 1974, p,6,

Page 8: Libro de Berthelot francés

16 L' intelligence du sodal

cognitives du premier et les structures du second ; b) des connais­sances sont mises en relation selon les regles d 'une syntaxe logique ; c) la constitution d 'un corps de connaissances en savoir implique leur mise en ordre selon une forme détenninée. Bien que relevant en droit de la logique, chacun de ces niveaux présente une spécificité cognitive. Le premier pose le probleme du rapport au référent et du statut de ce qui peut en BIre dit : existe-t-iI une chose qui est une pierre et une Propriété qui est la chaleur, lorsque j' énonce le jugement perceptif: « la pierre esl chaude » ? Le second esl logique et méthodologique : étant donné les deux propositions «le soleil chauffe» et «la pierre est chaude "; ii quelles Conditions puis-je légitimement conclure que «le soleil échauffe la pierre» 1 Le troisieme, enfin, esl socio-cognilif; il integre I'inférence dans une théorie plus vaste qui lui donne Son véritable sens. Par exemple: le soleil n'a-t-i1 pas été placé au­dessus de la lerre pour I'éclairer el la réchauffer, semblable a la flamme du foyer autour duquel les hommes Sont assemblés ? La relalion cOnstalée prend ici sens par rapport a I'idée d'un plan de la création.

Ces trois niveaux sonl a la fois indépendants et solidaires les uns des autreo. Le premier foumil des états de faito, le second des relations, le troisieme un mode d' intelligibilité. n permet I'intégration continue de connaissances dans un 'ysteme d 'intelligi­bilité, c'est-a-dire dans un discours visant a donner l'intelligence de SOn objeto Or, si, analytiquemenl, le proces de décomposition de la connaissance tend ii remonter ii la proposition (<< la pierre est chaude ») cornme a son alome, génétiquement. le mouvement de la connaissance s'opere toujours en relation avec un état de savoir antérieurement constitué dessinant la forme par laquelle I'objet esl rigoureusemeOl pensable, c'est-a-dire intelligible.

Po.er le probJeme de l' íntel/igence d' un objet c' est done poser le probJeme .ocio-eognitif et .oeio-Iogique, du mode d' intel/i­gíbilité par leque! eeluí-ci est pensé. C'est, simuhanément, s'inter­roger sur la valeur de vérité de ce mode. c'est-a-dire Sur les criteres de vaJidité qu 'iI se donne, el sur la, validité de ees eriteres. La pensée magique, le logos anlique, la métaphysique 001 pu constituer de tels roodes. En Son état actuel. la connaissance du social ne peut s'inscrire que dans le mode d'intelJigibilité de la science modeme.

eependant une telle exigenee reste générique. Que l'intelJigence

Inre/ligenee e , d I'ob,iet et schémes d' intelligibilité 17

.' . d ns la connaissance scientifique. peu du social doive s. mscme el: ceUe appartenance, quel(s) mode(s) le contesten\. Mals, par-d . l' lle? ,_ constat d' une

é ifi (.) Imp Ique-t-e ....., d' inte/lígibilité sp el que al't 1'1 "".< ti plusieurs

é lémique ne renverr - ,.._ c:onnaissance éelat. ~ el po, . t a plusieurs types d' explica~ modalités de définmon de I Ob':;II: nature est eetl. pluralité? líon? S' il en est arnsl:. ded qla connaissance du social, aisémenr Manifeste-t-elle une frag¡/¡té e térieures ti la scientifícité, ou, a conraminable par des forme. é~~ité épistémique singuliere ? Mais /' inverse, déslgne-t-~"e u~ '~ité é alement valides peuvent-ils plusieurs modes d mtel/¡g¡ loi/de la logique et ti l' exigenee coexister saM conlrevemr aux ndamentalement, la connaissance de la preuve, par laquelle, fo ner ti un mode d'intel-.. dé'fi it? Sauf ti se rame .

sClentifique se n. lé ., 'té seu/e serail reconnue, le pro Jet Iigibilité uníque dont la t:t:¡est-iI pas d' emblée condamné ? d' une intelllgence du soc ré dre a ces questions. La

Deux voies s' ?uvrent ~u~e' =t donné le social cornme premiere est réflexlv~ . et en q. . lli enee eSl-<olIe possible? La objet, a quelles eondlllons s",:, lOte gelle. forme. d' intelligibjJjté deuxieme esl analyllque el log¡q¡ue

d· qu urs des sciences sociales ?

. ues par e 'seo sont effectlvement prom en évidenee et repérer leur fonction~e­Comment peut-on I~s me~e . ¡- nt~elles el quelles modalllés ment ? Quelles ar~,culatlOns ~mp zque

d' intégration dessment~elles . l premiere nous paraisse Nous choisirons la seconde, n?n que de8 h du champ effectif . . . qu' elle se sltue en ors

illéglllme, m ... s paree. dans une position surplombante de constitution de la connatssance. venl vaine A I'inverse

. . hélas assez sou . souvent stlmulante mat~ d'un savoir et a en dégager la seconde invite a se sltuer au e~~ tel ehoix cependanl restreint in aetu la logique de COnSI1lUllo~. nser le social en soi, non A

l'aire d'étude. On. pe~e:~:our~u'il suscite. Nous procéden:>ns embrasser la pro~slOn , . nous limiterons cette investigauan done de la manIere. sUI~ante, t nteslée el éclatée, la sociologie, a une discipline partlcuh re.men co e portée oil s' expérimente

sein a des théones a moyenn . ,.. el, en son '. 1 validité el du sens. SI l mtelhgence une unité déterrnmée de a di I ur de la recherche, metlre au du social constltue le fiI n;:;~es d'intelligibilité du social a jour, analyser el évaluer les. l gique en définiront I'objet. l' reuvre dans le dlscours SOCIO o

Page 9: Libro de Berthelot francés

I1 L' intelligence du soóal

tI cont'.pl de schemes d' imelligibililé

Pourquoi introduire ce term l 1l.lblllt~ ~? Sans doute y reco::':::;a:~n ~~~h:ed::od~ d'intel-phllosoph.que eJassique: l'intelligible s'oppose dls,tlnctlOn OSI le lieu d'éJaboration et de rod 'd au sensIble; 1l

P uchon es concepts penu tt t aux données sensibles d' accéd a e an fondamentale de tout discours d:

r CO::':i::=c:~ ::p;'ime I~ visée

senSM

8" rendre raison de, inscrire daos une ra~ion~I:~uer. onner alS parler d'e r ' . '

explieatifs n'est-il x:a~C~ti~:, :~.m;!:s :'exflieation, de modeJes

Sans aucun doute, Cependant iJ esl diffi~~~ ~:t plus ad~ual? du Contexte lhéorique d' ti'l' , . fatre abstraetlOn

U Isallon des termes et di' ' , classique entre explication et comprébension Chaque ~ Op~slt~on est associée dans 1 trad" . nommatlOn relativemen; définie: ltIon épi8~émologique, a des procédures t~: expliquer c'es! et iI une

l théone~ieuliere de I'intelligibili_

un systerne de I ~ener a c?mplexlté concrete de I'objet a d é

re allons détermtnées permettant pour u ét I onndré" ,na • e p von ngoureusement l' état Iré' . e 'est décrypte de . 'ti . u neur. comprendre L I l' . r s Slgol IcatlOns el saisir des réalité eornme sens

SCi:?~~~~:~ ~~ ~~:~:s c;mme un~ et renvoie a l' unicité de l~ dures déterminées de réducti:'::"'s dOlvenl pouvoir, par des procé­tal commun ' la eompréh . ,se ramener a un langage fondamen-

I enSIOD au contraire expri 1 de réalités signifiantes non réd tibl a' me a spéeificité que el en conSéq' uc es une quelconque mécani-L' i~teiligence du =~~ :!le 1 des disciplines appelées ¡¡ les saisir, de l'intelligence de la nalu:'" a ~r\ ";:Ion le cas, une forme dérivée ble. Tous les eherche ',' Im'ene, une réalité irrédueti­sent bien cette oppours

t. en SClences humames et sociales connais-

SI Ion et ses diverses modul t" b·'· objectivisme/subjectivisme, causalité/sens donnée: 10ns ~na~res: données qualilalives R l ti ' , ' quantllallves/ 6pisI6mique el laiss~~ d: :6~se: ce cbv~ge, interroger sa réalité

m6taphysiques nécessite non seu~:.::;o~~sa::~e:lémiques ~u aUlli une nouvelle attitude et un nauvel intérét . te~e m.als dln. choque eas l' ' en quOl réSlde propre l chacun daeeapaeldté expiicalive (ou donatrice de sens)

ces eux modes d'intelr 'b'J' é L'ondumnl á un d /' IgI 1 11 ? Est-on m. d' un, posit':: ~:~,ne la~SSa;t d' alternative que l' impérialis~ "".11 l' ,Xp,.'SSiOI1 dislord,:,o;.e une c~ntradjcli~n. ou celui-ci

e. une pluralué Sous-jQcente ti saisi,.

Intellifience de l' objet et schemes d' inlelligibilité 19

"f d penser comme telle? Comment repérer d' autres modes eJ' intel/igibilité et saisir la spécificité de leuf capacité explicative ? ('ommenl penser /'uniré de cette pluralilé?

Ces questions s'inscrivent dans une perspective générale d'ana­Iyse des discours de eonnaissance. En usant d'une autre distinction classique, nouo pourrions dire qu'elles ne réferenl pas a l'étude du « eoroment » roais a eeHe du « pourquoi », non a la description. mais a l'explication,

Cette opposition a également son histoire. La critique positiviste ou conventionnaliste entend réduire les ambitions explicatives de la seienee aux bornes d 'une simple deseription de l'univers. Toute prétention explicative ne serait que la résurgence de la tradition métaphysique de la causalité. Les choses ne sont cependant pas aussi simples et un texte du Tractatus logicoMphilosophique -peu suspect par ailleurs de complaisance envers la métaphysique - nous en convaincra. Wittgenstein introduit l' éclairante métaphore du «filet»: «Représentons-nous une surfaee blanche 'couverte de taches noires irrégulieres. Et nous dirons: quelle que soit l'image qui en résuIte. je puis toujours en donner la description approximative qu'i) me pIaira, en couvrant la surface d'un filet ad~uat iI mailles carrees el dire de chaque earre qu' il estblanc ou noir, De eeUe maniere j'aurai donné une forme unifiée a. la description de la surface. Cene forme est arbitraire. car j' aurais pu lout aussi bien me servir d'un filet 11 mailies lriangulaires ou hexagonales et obtenir un resultat non moins satisfllisant. ( ... ) A ces différents filets correspondenl différenls systemes de descrip­tion de I'univers» (6.341)', Cette métaphore permet de siluer la « position réciproque» (6.342) des !héories scienlifiques el de la logique: ceUe-ci ne conceme que le mailluge du ji/el: «Des lois telles que la proposilion de la raison suffisante (la loi de causalité), ele" traitent du filet, non pas de ce que décrit le file!» (6.35),

En inscrivant notre parcours sous l'égide de la question du pourquoi n'encourons-nous pas le risque d'une invalidation liml­naire. et, en quelque sorte, principielle? Non, car ici Wittgenstein nous permel au conlraire, par ia finesse el la précision analytique de sa description, de saisir le lieu el la modalité d'une appréhension

6. Ludwig Witt2enstein, Tracla(Us logil"Q·pllílo$ophiq"e. 1918, trad. Paris. Oalli~ maro. 1961.

Page 10: Libro de Berthelot francés

20 L'intel/;gence du social

non m~laphy.ique de l'intelli ibT . Horte aussi, le fait que l'u' g 1.1té. I1 Contmue ainsi: «De la newtonienne n'énonce ri~~V~~ p~ls:el~tr~ décrit par la mécanique le fall qu'¡¡ puisse Stre décril .: t 11 "UOIVers meme; mais bien comme ceja est en effet le caso ;t, ~ ar~n par Cette· mécanique, erre déeril plus .implemenl par e fau que le monde puis.e é' une mkanique nonee ausSI quelque chose quant a 1" que par une autre

CeUe «possibilité de d '. unlvers» (6.342), n:nvoient A la nature logique ~~n:lífioln» e~ sonr~pport á l'objet SI d ' I et ", e est-a-dtre de 1 Ihéo'

I u polnt de vue de l' objet 1 '. a neo pas les struetures du réel _ a 'l'~ pnnelpe de e~u.Wité n'exprime naturalisles _ il es!, du po' demverse de eonvlCllOns naJvement

. mt vue de la thé ' . pertmente. Or eeUe pert' one, ee qUI la rend menee, rendant 'bl

chose aussi énoneé quant a /'un' POSS1 e «ce que/que d' lvers» est ce qu n appeler «intelligibilité» De : e ous proposons

l· é ,ce pomt de vue le . , causa U esl prineipe d'intelligibilité' '. pnDClpe de a Un ensemble de Ihénri de' '. 11 est ce qUI peut permettre de es .oumlr des de ' ,

Ieur objet et, par la, de le rendre . '. scnptions correctes propremenl logique rend é a1emen' mtelhglble, Mals SOn statut valeur d'intelligibilité d'U: . ,t posslble, du eOté du réel, la coexistence dans Un me! pn~Clpe IDdétenniniste, et ainsi la différents, me e amp de modes d'intelligibilité

La eritique du réalisme naIf _' . I'ad~qualion entre les thé . e eSI-a-dlre de la Croyanee a

,. . ones et le réel _ . d mvahder une problémati ue d !"'rmet d~ne, bIen loio de la fonder En meuant q u pourqUOI el de I'lOtelJigibilité d " en avant le rOle de régul t' I ' es pnncipes de la seience d '. a Ion ogique ment leuT fonctionnement :;0 .e~e. elle inVIte a saisir simultané_ 86n6,.,r des Ihé' . eunstlque, c'esl-a-dire leur aptitude A

ones pertmentes La méta h assez l' impliealion réciproq de '1 ' P ore du filel montre Mai. elle invite a aller au: la : :escnptlon et de I'explication,

Le . . e e spéclfier les niveaux. prmelpe de causalité évoq é 1

"peCIO: d 'une pan '1 u p us haut a en effet deux lest-entantq '.

IUm •• nte - un príncipe rect- d _ ue pnnclpe de raison lI,no de démareation entre s ~~m e I~. pen~ ,s~ienlifique, une .t non Iclentifiques, m8me ~ d es d m~elhglblhté seientifiques ni peut plus prétendre jouer ce' rO:" la ~elenee eontemporaine, il ol ... lque, O' aut,., part el . fi SOus a forme du déterminisme mlml._ du fIIel la déle spée.1 Iquement, ¡¡ désigne un eertain d • mUDallon. avec la mé .

• r.pport. de causalité exp' bl eanlque elassique, rIma es au moyen de fonctions

Inlelligence de /'objel el schémes d'intelligibilité 21

malhématiques, C'esl ce second niveau qui partieulierement nous Importe. Lorsque la biologie va étudier les diverses fonclions organiques, ene se placera elle aussi sous l' autorilé du prineipe de causalité; elle pourra user de descriptions mathématiques du Iype y = f(x), Cependanl e'est un autre principe d'inlelligibilité qui guidera sa reeherche et que I'on peut représenter ainsi : e E S, S -> e->S, S désigue un sysleme déterminé, e un (ou des) élément(s) de S et le symbole ->' les aelíons exercées, Celles­ei peuvent 8tre isolées, décrites el analysées séparément, Mai. saisir le mécanisme d' ensemble consiste Q. prendre en compte une relalion circulai,e ou, si la suppression de e implique la. suppression de S, e sera pensé comme condition nécessaire au fonctionnement de S et s'on action cornme remplissant une fonction par rapport a S, Si dans des oystemes du meme Iype que S celte fonetion est remplie par deo éléments e différents, eeux-ci pouITont aloro etre eonoidérés eomme des équiva/enls fonctionnels. Ainsi, meme ~i les « fdets descriptifs » peuvent avoir des points cornmuns au niveaux extrSmes des principes logiques recteurs et des oulil. de description, ils admettent une sorte de niveau intermédiaire, earactérisé par la mise en reuvre de sehemes explicatifs différents ;

7. Nous UseroDS, a diverses reprises, d'un symbolisme l~ger destiné a saisir le Doyau togique des opérations ,d6crites. Ce symboJisme est essenticllemcnt descriptif el De prétend en aucune manien: s'instrer dan,s une véritable langue formcllc. C'esl pourquoi, par souei d'konomic el de c:Jarti. noos limiterons autarit que faire se peUI ~es symboles introduits. Cela ¡)Cut produin: des con~sions quant ~ l'usage do signe --+. Cclui-ci sera ulil~ indiff6remment pour d&igner, ~ trois nive8ux 'dl.ff6rents, un.lien fondamentalement eommun:

1. A -Jo B renvoie l une action mat6rielle de A sur B. Le symbole -+ signifle que A agit sur B, voire le conditionnc, que B resulte partiellement ou totalement de ¡'action de A. .

2. A -Jo B désigne une relation explicative (que nous symboliseron5 ~8alement par le signe p lorsque noos voudrons insiter sur la spécificité du acherne qu'elle implique, cf. p. 40). Le symbole --+ signifle que A explique B, ou rend compte de lui, ou permct de le comprendre.

3. A -Jo B s'inscrit dans un systeme déductif otl les propositions qui expriment A et B $OIlt dans un rapport d·inf~rénce. Le symbole -Jo signifle que A est ¡'anttcédenc logiquc de B. ou que celui-ci est Une conséquence de A.

Le niveau 1 est celui de I·ex~rience. Sous ss fonne ~lbne'ntaire. il ~ ... ~Ie que B est syst6matiquement assoei6 1 A, de tellc &Orte que si A est pr6sent, B I'est BllS;Si et que si A eSl absent, B l'est 6galement. Le niveau 2 est celui de la tM.orie: A el B sont insér6s daos un syst~me explicatif. Ceci implique une conceptualisation ~nninée de A el B (une traduction dans les tcnnes du systeme) el u~e explicílation du mkanisme par Jequel A peut rendre compte de B. Le niveau 3, eofin, est celui de l'axiomatisation. La structure logique de la théorie explicative est fonnalis6e de sorte que la proposition q, exprimant B. ~sulte do systelnC d'axiomes el de propositions déduites Ol:!. s'ins!re p, exprimant A.

Nótre propos se situe ici esscntiellement aux niveaux 1 et 2 el ceei est l chaque fois assez clair pour qu'il soit inutile d'user de symboles dlff~tents.

Page 11: Libro de Berthelot francés

22 L' inte/ligence du social

cavarlallan Uan! deux variables selon une fonetion malhématique d"ermln~e d'un ellté, exigenee et équivalenee fonctionneHes de l'aulre, Cela ne signifie pas que le meme phénomene ne puisse elre expliqué selon les deux seMmes, ou que l'un ne puisse etre, pour une scienee donnée, plus effieace, Mais cela ne réduit pas leur différence, Derriere l'établissement rigoureux des faits et la production de rapports constants iJ y a done autre chose qui assure leur portée explicative. e'est cet autl'e chose qui nous intéresse.

On a souvent coutume de dire que l'expJication d'un fait résulte de son insertion dans une théorie, Le probleme est alors de savoir en quoi réside le pouvoir explicatif d 'une théorie. Le respeet des regles classiques decohérenee formelle et d'adéquation empirique assure la validité de l'explicatían. non sa peninence. 11 faut alors aHer au contenu, Or dans les scienees sociales la question est compliquée. Dirawt-on que la capacité explicative de grandes théories eomme le marxisme ou la psychanaIyse réside dans leurs eoncepts fondamentaux : rapports de produetion, forces productives, infrastructure, superstructure. C;a. Moi. Sur·moi, prin­cipe de plaisir, principe de réalité, ineonseient ? Mais A la différenee des sciences de la nature ces concepts De sont pas monosémiques. Au lieu de renvoyer a une relation ou ¡, une earactéristique déterminées, ils sont suceptibles d'interprétations que le devenir coneret de chaque théorie iUustre, el qui met en évidence le rllle joué par les logiques explicatives partieulieres: si lestopiques freudiennes sont fondarnentalernent au service d'une' constitution des troubles psychiques comme langage et réterent done a une approche par le sens, enes onl pu, notamment dans la psychanalyse amérieaine, etre ramenées A des fonetionnements; les rapports entre forces producti ves et rapports de produetion, infrastrueture ct superstructure. pensés par Marx en tennes de' contradictions dialcctiques, ont pu etre par la suite réinterprétés selon une logique causale ou fonctionnaliste.

11 y a donc bien, A l'aval des grands prineipes reeteurs et en amont des constructions conceptuelles, un' niveau spécifique de la conltruclion de la eonnaissanee, 11 est le lieu de ce que nous propolons d'appeler les schemes d' inte/ligibilité, De par leur poIltlon ceux-ci sont non seulement transdisciplinaires, mais Irlnl"'llonaux: ils ne sont pas le propre de la connaissance du loglal el le manifestent également dans les autres domaines, Nous

//' d /'ob,;ef ef schemes d'intelligibilité ¡nte 1gence e J

23

., A l' reuvre dans le diseours de allons naus efforcer d~ les. salSlr -erons du vocabulaire suivant : connaissance de la ~~l~~ogle et uSar cornmodité langagi~re. un un scMme d'intelhg.b.hté (ou, P, d' pérations permettant

, 'O tune matnce o scheme expheall es f' d un systeme d'inteHigibilité,

1" ensemble de alts ans . . d mscnre un . d' n fournir une exphcatlon

, ,~' d' renctre ralson ou e od e esl -A ..... re en 1 sch'me engendre un m e

trietiO' un te " , (au sens non res t u telle théorie constltuée d 'intelli¡¡ibilité qui, pris ~ travers tdle ~onné peut ~tre appelé en mbdele d' analyse d un domaUle '.

d' plus précisément : pa,.adigme ana/yt.que,

para .gme,

LA DOUBLE TENTATION ET LE [)OUBLE OBSTACLE

. . ue est a la fois une aide et un obstacle La tradition soclOlog.q "11' 'b'l'té Meme reéonnue , d hemesd mte 19l 11 .

A la ~ise en éVldence es se cificité logique tend a etre occultée et mise en oouvre, leur spé, du social celui des grands

. de la connalssance , . par un autre mv:au . s a Herans ainsi la concepuon engagements ép.stém.ques, Nou ;:~ a promouvoir les auteurs, de l'analyse scientifique que te~ n. . e se pense sait

" 1 'JI la soelOlog.e nalSsanc Bien que déJ"- P une e, nt unifié des sciences, soit

rt' prenante du mouveme , d eomme pa le, , spécificité inhérente aux savOlrS e eorome expresslOD d une , . de far-on réeur~ . ' d l' me parcourent amSl, T l'humain .. M~nlsme ou ,ua. 18. Sé arer les niveaux, distinguer' rente, l'lustOlre de la dlSc.plme, ~ de celui de l'engagement celui du travail d'intelligence en ae e réflexif, constitue done un préalable,

Le scheme causal el la lenlation moniste

" ) t d'étendre ¡; la conduite «Notre principal obJ~tI~ (... es. voir ue, considérée

humaine le rationalis~e sc~:~~~~u:' ~~:a:::rts d~ cause a effet dans le passé, elle est ré , ' lle peut transfonner ensUlte qu'une opération non mOlns ~at~nne . na appelé notre positivis­en regles d'action pour l'avemr, e qu o. . K

me n'est qu'une conséquenee de ce ratlOnahsme. » .

'l' l'~ préface 1895, 8 Ernile Durkheim. Le!!.' regles (le la méthode SOCIO OglqUt!, '

Parir.: pur. 2()< ed. «Quadrige ». 1981. p. IX.

Page 12: Libro de Berthelot francés

24 L' intelligence du social

L 'entreprise fondatrice de Durkh' , rllionaHsme scientifique C l" elm s opere sous l'égide du tlon : . e UI-CI noue causalité et expérimenta_

«Naus n'avons qu'un mo e d est cause d 'un autre c' t yden e démontrer qu 'un phénomene . I t es comparer les ' .

slmu tanément présents ou b cas ou ¡Js Sont ,. a sents et de cherch . I

qu lIs présentent daos ces d''''é er SI es variations • hj< rentes comb" d' ces témolgnem que l' dé' malsons e CIrconstan_ un pend de l'

@tre artificieUement produits au ré a~tre. Quand ils peu.ent est I'expérimentation p g ~e I obser.ateur, la méthode

. roprement dlte Qu d . productlOn des faits n 'est pas a no ", ~ au conrralre la pouvons que les rapprocher tels tre .~ISpOSltiOn el que no~s ne produits, la méthode que l' on I qu lis se sOnt spontanément indirecte ou méthode em.p Ole est ceUe de I'expérimentation

Le he comparalJve» (ibid., p. 124). se me, présenté lel en pe

non pas I'idée géné-' d rsonne, est celui de la causalité . ' . ,~e e cause mai II •

selenee clusique dans sa démarche ' ~ ce e que promeut la X ne pourra etre dit cause d' expénmentale : un phénomene lui est lié par I'interméd' .un phénomene y que si ce demier '. . lalre d'une 1 f Idéaltypique est la fonction mathé . re a Ion dOn! la fOrIne est-il applieable aux phén ' mallque y = f (x). Un tel scheme

omcnes SOCl3UX ? Le . d est non seulement de I'a . ffi . pan e Durkheim

VOlr '3 lrrné . de' . reuvre : les phénomenes soc· ,mIlIS 1 aVOlr mis en ment expérimenlIIi dont la ~::.~~ent etre soumis lt un raisonne_ nous en convainere une dé 1 ~st le ressort. Prenons. pour d ' .. ' monstratlOn de Du kh . Y salSlr le sch~-e lt l' r elm et tentons

~1. reuvre. ~ans, Le Suicide9 Durkheim rencon

repnse par la Iittérature psych' tri' tre la these, abondllInment héréd' . la que de l'ép d

ltalre du suicide. Mais l'héréd' . .oque, u earactere trée ? demande-t_il Questl'on' I lté du sUIcIde est-eUe démon-

. . slmp e en appare O . un exerclce systématique d I nce. r eHe maugure cooditioos expérimentales ~ a ~uve, par la détenninatioo des hypothese. «II ne suffit p';: ;.~ss:~res. a la validation d 'une teUe iI la !hese de l'hérédité M .) elter certams faits favorables fussent en nombre suffis'ant alS JI faudrait encore que ces faits de pour ne pos po . A •

S rencontre. accidenteUes _ "1 UVOlr etre attrlbués a explication _ qu'ils ne f qu 1 s De comportassent pas d'autre s ', ussent contre-,ft

allsfont-ds a cette triple eo d' . I S par aucun autre fsit n Ilion?» (p 71) Q . . . ue soot ces trois

9. ErniJe Durkheim Le «Quadrige >, 1981. ' suicide, chapirre n, 3, 189

7, Paris, PUF, 7~ OO.

Infelligence de f' objet et schemes d' intelligibilité 25

conditions? celles requises pour qu'une relation du type « Hérédi­t~ -+ Suicide» soit prouvée et interprétable d'un point de vue causal. Elles explicitent le rapport aux faíts, susceptibles de confinner la relation, qu'implique la logique interne du scheme.

a / Premiere condition : les faits sont-i1s en nombre suffisant ? Si l'hypothese est juste 00 doit trouver, selon la structure de I'implication faíble'", une répartition détenninée des suicidés: ceux comptant un antécédent qui s'est lui-meme donné la mort doivent nettement l' emporter sur ceux n' en comptant paso Qu' en est-il ? « Les observations et les comparaisons qui seules pennet­traient de traocher cette question o' ont jamais été faites de maniere étendue. On se contente toujours de rapporter un certain nombre d'anecdotes intéressantes» (Ibid.).

Cependant, que la these de I'hérédité ne soit pas prouvée, faute de faits suffisants, n'infirme pas sa légitimité possible: «Quelques peu décisifs que fussent ces faits, si l'on ne pouvait en rendre compte qu' en admettant une hérédité spéciale du suicide, celte hypothése recevrait une certaine autorité de I'impossibilité meme ola 1'on serait de trouver une autre explication. Mais il y a au inoins deux autres causes qui peuvent produire le meme effet, surtout par leur concours» (p. 72).

b / Nous retrouvons a10rs la seconde condition: pour que I'hypo!hese de I'hérédité soit acceptable il faut que pour tous les cas ou 1'00 constate un suicide panoi les antécédents,d'un suicidé eelte relation ne puisse etre référée lt aucun autre facteur comme a sa cause. Or Durkheim montre que pour les cas étudiés les observations ont été faites sur des aliénés mentaux: «On peut se demander si c' est le penchant au suicide qui est héréditaire, ou si ce n'est pas plulÓt l'a1iénation mentale, dont il est un symplÓme fréquent, mais pourtant accidentel» (p. 72). Dans ce eas le suicide serait artificiellement lié a I'hérédité paree que conséquence possible d'un état générique, peut-é!tre héréditaire, l' a1iénation. Surtout de nombreux cas de suicides révelent une extraordinaire similitude entre les modalités utilisées et celles d'un suicide antécedent: pendaison, noyade, arme a feu, etc. On y voit une preuve supplémentaire de I'hérédité. Or il faudrait admettre alors une tendance héréditaire a se suicider PIII la

10. ,cr. Raymond Boudon, Les mathématiques en sociologie, chapitre 3: «La mesure de I'impliquation faible"" Paris, PUF, 1971.

Page 13: Libro de Berthelot francés

L' intelligenc:e du social

pendaison ou le pistolet • 11 a .. . plus vraisemblable' cell~ de ~ une autre exphcallOn beaucoup

~: ~~:i¿:ir :;'~Ie~~i: I:,:~~:~~n~e~:~i: ::e:r!:sd~: quelconque antécédent Cet P s nen a VOlf avec un donc a la fois plus lar¡e et PI~~~epécf~eur explicatif possible esl

I Ique que ne I'est l'hérédité.

e I Y -a-t -il des faits qu' !red' , dité 1 Jus u' al. con Isent I hypothese de l'héré­la vali q présent les falls pr6sentés étaient insuffisants ur

facteur~rM::~ ~h:~;:e~u~e ~;:~abl~, référables 11 d'a::'res autant pleinement illvalidée. Pour le ~ .. n e~ ~st pas encore pour des faits contradictoires av • ue. 1 ~ut mettre au Jour est la cause du suicide . ';". ce ~u.elle Imphque: si l'hérédité d'unphénomene héréd' ' .ce Ut-CI OIt présenter les divers traits l' Ase el du' se' ltal~e. et: notamment, etre indépendant de

bl . xe. Or « certams falts de statistique dont l' importan

sem . e avolf échappé h ' ce l'hypothese d' 8UX ~s~c ologues, sont inconciliables avec

une transmlSSlon héréditaire . (p. 76). : les fenimes se su"d b . proprement dlte» lel ent eaucoup m . I le taux des suicides s' accroit Té ulíe oms qu~ ft es hornmes ; son sommet apres soixant' g rement avec 1 age el aueiot

. e ans._ Amsi I'hérédité peut constituer un .

aptitude générale et vague»' elle ' . terrrun favorable, «une men/ » le suicide, «el' p I « n l,:"pllque pas nécessai,.e~ lioll »(p 8 1) Le ,ar conséquent, 11 en don"e pas /' explica-

. . resson de la démonslra . du scheme causal. tIon est clair: il Si agit

Celui-ci est sans doute le plus connu de 1 l' é '. que. Ce scheme définit . a.1t rature soclolog.-Pour s' appliquer a chamun /node d' mtelligibilité fondamental.

un p du réel quel q "1 . . mise en relation détenninée de de I U 1 sOlt, 11. exige la l'un est I'élément a r ux éléments au molOS, dont de rendre . d exp lquer (Y), l'autre I'élément susceptible

ralson u prem.er .(X) Cette . . signification causale qu'a certain' .. mIse en ,relatiOn n'a de X _ (Y = f (X» es eonditions : que Y varie comme

_ qu'elle ne rés~i~u:a:e~~u:ecO::;;~~ion» n~ soít pas artíficielle X enfin soit antérieur logiquement o me

h varllabl~ cachée -, que

, u e rooo oglquement, a YII.

I l. Ces conditions ne sonl tau' de corrélations en rapports de =sa1it,ae~~ respectées et la transfonnntion indue I~molane par exemple le Iravait .. une e,,!eur .assez fréqueme comme e R.('h~I'("h('s en dllinquance ,.;nC~ltlqlle de, Travls Hlrschi el Hanan C. Selvin" lIaye, Maulon, 1975. . P c'pes de I anl/lyse quantitative, trad. Paris-~

lntelligence de J' objel el schemes d' inlelligibilité 27

A ces eonditions, inserites dans ce scheme d'intelligibilité, X pourra etre dit cause de Y. Bien évidemment un phénomene peut etre trop complexe pour etre réduit au jeu de deux variables, et, st";cfo sensu, l"appellation de cause pour X n'est valable que si l'implication est réciproque, c'est-a-dire que si, toutes choses étant par ailleurs égales, Y n'appara!t que lorsqu'¡¡ y a X, et X implique toujours Y. La fonction mathématique c1assique y = ¡(x) qui rend compte d'une telle situation est donc une fonne limite qu'il faut aménager pour pouvoir prendre en compte des structures causales complexes, OU l' aetion des divers facteurs peut se renforcer ou se neutraliser réciproquementll•

L',explication eausale ainsi entendue est simultanément valida­tion. Le sens se noue a la preuve. eomme nous le signalions plus haut, prétendre « rendre raison de », « explíquer », n'est pas l' apanage de la scienee. pas plus que le souci d' insenre ces raisons dans la rationalité et l' expérienee: la pensée mythique, la pensée magique, le 10gos antique définissent chacun des- modes d'inteIligibilité associés 11 une rationalité et Ji un rapport iI l'expérienee déterminés. Ceue parenté peut d'ailleurs a1imenter des positions épistémologiques relativistesn. Or seule la science élabore une problématique critique de la vaJidation " non seulement elle définil des procédures el des normes de validité, mais en oufl'e elle .ioumet ce/les-ci d: la révision périodique du doute. Le seheme causal, par le contrOle mathématique qu 'il implique, perroet de passer de l' expérience a l' expérimentation, et, par ce mariage renouvelé de la raison et des faits, d' ouvrir Ji une nouvelle logique de la preuve.

Mais la liaison intime ainsi établie entre ce scheme et le raisonnement expérimental a son envers. Signifie·t-elle que hors fui il n' esf pos de voie possible pou,. une intelligence scientifique de /' objel ? Celui-cí, quel que soit le domaine de la réalité, doit­n se ramener a des rapports eonstants et rigoureusement contrala­bIes de causes 11 effets ? Tel semble bien etre la position de Durkheim lorsqu 'H Melare: «Pour les phénomenes sociaux il faut choisir: ou les mettre résolument hors de la nature, c'est-1I-dire admettre qu'ils ne sont pas soumis a la loi de la causalité

12. Pour une vision d'ensemble des probl~mes de l'analyse causale en sociologie voir les ouvrages désonnais c1U1lql.les de Raymond BOl.ldon et Paul Laursfeld, L'analys(' empirique de la causalitl, Paris-La Haye, Maulan, 1966 et de Rayrnond BOl.ldon, L"analyse mathématique des fairs ,sociaux, Paris, Plon, 1967, 1970.

13. Cf, par exemple, Paul Feyerabend, Con/re la m~thode, 1975. trad. París, Le Seuil. 1979.

Page 14: Libro de Berthelot francés

L' intelligence du social

IIlIIIIIItlluent un monde a part dans le monde, ou procéder avec IU. aomme avec les autres phénomenes naturels »14.'C'est effecti~ Vlment sur ce point que s'est nouée l'opposition fondatrice entre IIxplication et compréhension. En assimilant le schéme causal au rationalisme expérimental, la tradition représentée par Durkheim se~blait, invalider d'emblée l'appel iI tout autre .cheme d'intelligi­blhté. L altemallve ne pouvait etre entre schemes d'intelligibilité au sein de la science, mais entre science et non.science. En énon~ant la distinction entre Nartulwissenschaft et Geisteswissen­sc,haft , la . tradition a1lemande. refusait une telle cléiture au prix d un duahs~e peut-etre aUSSl pesant, substituant au probleme éplstémologlque des formes d'intelligibilité, le probleme critique de ses fondements. Cette substitotion, simultanément, ctes lors qu'avec Weber elle s'applique en toute rigueur a la connaissance effective du social et Ida réflexion Sur ses modalités, révele la pertmence d'un autre scheme d'intelligibilité que nous convien­drons d'appeler le schCmeactanciel"'.

L'alternative compréhensive el les ambigui"tés du sens

« Nous appeJons sociologie (au sens ou nous entendons ICI

ce terme utilisé avec beaucoup d'équivoques) une science qui se propose de comprendre par interprétation l'activité sociale et par lA d' expliquer causalement son déroulement et ses effet~. Nous en~n'".'ns. par ~ctivité un c~mpo~e/J1 humain (peu importe qu tI s agtsse d un acte exténeur ou mttme. d'une omission ou

. 14 .. Emile Du!*hcim, Citar actuel des éludes sociologiques en Fl'once 1"895 '" Emt1c Durkheun, Texres, éd. élabUc par Victor Karady, Paris, Ed. de Minuit: 197.5, tome 1, p. 98.

.1.5. Ce tenne tsl un n~ologisme et ce n'est pas sans scrupules que nous nalls reslgnons l l'employer. La sociologie de I'action A laquelle il réQre quant au sc~me use en effet de d6naminations diverses dont aucune ne recouvre l'ensemble d~ ehamp co~~. Parler d'individualisme méthodologique serait sans doute d autant plus sU'Dple que la caracthisation· qu'en donne Raymond Boudon co~PO~ lOut A fait A la dl!finition du sch~me; «L'atame logique de J'analyse soclologlque est (.,.) I'acteur individuel », in La logique du social,· París. Hachette. I97?. p: ~3. C7pendan~ les enga~ments épisú!mo1ogiques el philosophiques associés a 1 IPd~vld:uahsme ~p18témologlque et le probl~me de stalul ainsi ~ par eette dé~mmabon ~cf. ',"n/I.'o. p. l.5.5) nous invitent 1 recourir a un tennc plus ncutre et, . un usage hnauls!lque .com~ode, ~ une phaae antirieure Raymond Boudon ~td~8C le te~r) «paradigme mteractlOD!lÍSte)Jo (in Effol$ pe"v~rs el ordre social,

ans, ;.uF, " ~l Y renonce par la SUlte, peut 6tre pour éviter les confu&iollS ~y~ I lD~eractlonnlsme symbolique, Dans un tel contexte. on nous pardonnera

IOlrodulre un tennc neuf. Nous paderons done de scheme actanciel.

Intelligence de I'objet et sehemes d'intelligibi/ité 29

d'une tolérance) quand, et pour autant que, l'agent ou les agenta tui communiquent un sens subjectif, Et, par activité sociale, I'activité qui, d'apres son sens visé par I'agent ou les agents, se rupporte au comportement d'autrui, par rapport auquel s'oriente Ion déroulement »16.

Cette définition célebre de Max Weber appartient au patrimoine de la sociologie. Elle n'en mérite que davantage l'attention. Elle 8ubordonne le but de la connaissance scientifique (expliquer par les causes) a une opération de connaissance spécifique (la compré­hension) comme A sa condition nécessaire et inscrit I'objet dans une dimension intersubjective fondamentale, sans laquelle iI est SO'jeto sensu hors du champ de la sociologie ; «La coHision entre deux cyclistes par exemple est un simple événement au meme litre qu'un phénomene de la nature. Serait une activité sociale la tentative d'éviter l'autre et les injures, la bagarre ou l'arrange­ment A l'amiable qui suivraient la collision» (ibid., p. 20).

Deux cyclistes sur une piste sont deux mobiles ; leur trajectoire, leur rencontre éventuelle n'impliquent rien d'autre, pour atre expliquées, queJes lois physiques. Si l'en~emble des phénomenes sociaux était de ce type, la sociologie serall une physlque soclale, régie par le scheme causal, et n' aurait iI la limite pas de raison d'etre autonome. Si, a l'inverse. les tentatives d'évitement d'autrui. les injures, I'arrangement A l'amiable, etc., ne sont pas réductibles a une tene explication c'esl qu'ils manifestent une autre dimenslon, celle du sens partagé par des individus en situation d'interaction. Que dú choc résulte bagarre, arrangement ou retrouvailles heure~­ses est rigoureusement imprévisible et parfaitement comp~éhe~sl­ble: il súffit pour cela de connaitre les éléments de la sltuallon et d'analyser selon quelle logique les acteurs lui donoent sens.

Sens. acleurs el compréhension sont ainsi les lrois termes définissant la spécificité d' une soci%gie non réduet!ble c:l ~n.e physique socia/e. Mais il y a la, au niveau des scbemes d mtelhglbl­lité, une difficulté. Qu'est-ce que le sens? Pour Max Weber la chose est assez claire: le sens réfere a I'acteur, soit réellement dans le cas d'un individu singulier ou d'un individu moyen, soit idéellement dans le cas d 'un idéaltype construit cdnceptuellement. Prenant divers exemples (<< le comportement d'un bOcheron ou d'une perSonne qui saisit une clenche pour fenne.r un~ porte ou d'une per~onne qui met un animal en joue », etc.), !I écrit : « Dans

16, Max Webel', Ec:onomie el socibé. 19.56, trad, París. Plon. 1971, p.4.

Page 15: Libro de Berthelot francés

30 L' intelligence du social

tous ces Cas nous avons affaire A d nous eonsidérons leur eompréh . es eosembles signifieatifs et d enSlOn eornme un l·· ,éroulement effectif de l'activité» Ob' e ~xp lcatJOn du

IIgnes plus loio. «Dans t Id., p. 8) et aJoute quelques . . • DUS ces cas .. compreod " . .

salSlf par interpretatían le s' re slgmfie réellement dans un eas pan:'nsrou 1 eosemble significatif visé (a) exemple) (b) cu ler (daos une étude historique par

, en moyenne ou a . . sociologique des masses par p¡roxlmalIvement (dans l'étude ment (seris .. idéaltypique ,,)exemp e), (e) A eonslruire scientifique­pe) d'un phénom~ne se man.}our dégager le type pur (idéalty-

.. estanl avee uoe eert· fréq Sens et ensembJes signific8tifs . ame uence ».

aux acteurs a quelque' renVOlent done exclusivement • , filveau qu'o I ..

confond avec le type de ratO l. é n es S8lsIsse; le sens se . . 100a lt de leur a f I

slgmflcatifs » Sont les diven élé . e ~on el es« ensembles le saisir" «No . ments sltuatlOnnels permettant de l' acle d' épauler u:n 7u~~renons le mouvement du bOcheron ou

S8 motivatían si nDus sa~o:~n seu~e~~nt ~ctuellement mais dans soit pour -g. agner sa vl·e .tque e cheron accomplit SOn acte

, SOl pour ses bes . pour des raisons de santé (e. . oms personnels, soit

. 'onne ratlonnelle) OU b' paree que, éoervé, .. il abréa it .. (t . '. . leo par exemple Sans ealquer méeaniquement ~es orme lITall~nnelle)>> (ibid.). isolés plus loio l'exempl . quatre détennlOants de I'aetion

, e en recoupe la ty I . O a également affai A d . p" ogle. r le sociologue de définir autre::nt: ~: ::;:bles slgnificatlj's ,qu'il a coutume pensée, idéologies, eultu~s ... B~eode rep~~SentatlOns, modes de tendent d'a. bord la elr " '. que hes aux acteurs ceux-ci

e salSlS en eux -mem d de leur organisaíion symboliqu L'. . es, aos la spécificité hOrizon, I"incamation singUlier:' d,~cteur peut ne plus 8tre qu'un le seeret est a chercher d 1 n eomportemem modal dont . . ans es Iralls spéclfique d' slgmficatif donné La .éh.· s un eosemble

. compl enSlOn Se dé .( I ti la représentation de 1 ji /. . pOi e a ors de /' "ction . ,a ma lié au di .. Id . dans sa réall·té h é' SCOUl.S. entlque a soi

. erm neutlque e' t a d· eomme saisie de significations ~n ~t- - Ice. d~n~ sa définition dissocie alors de I'aet' que slgmflcations, elle se

Ion pour se mett ' sehemes d'intelligibilité. re au servICe d'autres

11 y a lA, tendaotiellemeot une sorte d a ceIui que nous avoos ' é e mouvement symétrique , constat ehez D kh .

d analyse, dans sa spécificité t ur elm: le seheme eooDaissance a laquelle il est :~téocCUlté par la eoneepiioo de la d 'un coté sociol ' , gré, ratlonahsme expérimental

, ogle compréhenslve de ¡'autre Nous ve l' . rrons pus

/ntel/igence de l' objet et schemes d' intelligibili/é 3\

loin que, meme a ce niveau, la position de Weber ne se ram~ne pas a uo tel dualisme. Cependant il importe de remarquer, 8U

point précis ou nous en sommes, que du fait meme de ee décalage de niv'caux entre modes de connaissance et sehemes d 'intelligibili~ té et des ambigui'tés associées a l'utilisation du concept de sens daos des perspeetives différeotes, la référence a Max Weber et a la sociologie compréheosive appuie des posilions différentes et parfois antagoniques. privilégiant le sens comme représentations et valeurs transindividuelles associées A uoe conceptioo holíste du social, ou retenant a l'inverse }'acteur individuel comme atome d'intelligibilité". 11 faut done en reveoir a Weber, 000 comme arbitre, mais comme acteur. Comment. dans ses analyses concretes, reod-il eompte de l'objet. Quelle iotelligence en doooe-t-il?

Soit L' éthique protestante et /' esprit du capitalisme lll: notre

choix n'est pas original et il ne le sera guere plus dans la suite. Notre objectif n'est pas d'innover dans la sélection des textes que nous analysons, maís dans Ieur leeture. Nous privilégierons done des textes de référence tres connus ayant en sociologie une fonetion de paradigme. Nous nous y intéresserons non la la these et a sa validité actuelle, mais au travail de l' explication, persuádés que ce demier, quand bieo meme il o'esl pas dégagé par le lecteur. agit souterrainemenl el oriente son activité, propre plus fortement que tout enseigoemeol de méthodologie ou d'épistémolo­gie. Dans ceUe perspective de tels textes constituent le mode de transmission clandestin des formes d'intelligence de l'objet qu'une discipline promeut.

Dans la démonstration de Max Weber, la tradition a retenu essentiellemeot la mise en évidence des homologíes strueturales entre éthique protestante et esprit du capitalisme et la eonstitution de l'ascétisme séculier des puritains comme moyen terme histon R

que entre l'un el l'autre. Or trois termes sont en présence: les eonditions économiques matérielles. les systemes de représenta­tions a vacation normative,. le eomportement des acteufS. On retient en géoéral que Weber a réeusé l'idée d'une liaison eausale entre le premier et le second de ces élémeots: de fa~on brutale

17. C'esl uinsi que Michel Maffesoli el Raymond Boudon se reclament également de Max Weber, le premier insilant sur la déman:he compréllensive (puf exemple in La conIlQis.mnc:e ordinab'e, Paris, Librairie des Méri.4iens, 1985), le second sur ('individualisme 8ssocié au scheme actanciel (par exemple in La IORique du social, op. dt¿).

18. Max Weber, L'étllique protestante et ['esprit du c:apita/isme, 1905, tntd, París. Plon. 1964 el 1967.

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32 L' intelligence du social.

- «la doctrine simpliste du matérialisme hislOrique» (p. 53) _ ou plus nuaneée - «je tiens pour fon imponanle I'infiuenee du développemenl éeonomique sur le deslio des idées religieuses ( ... ) Mais les idées religieuses ne se laissenl pas déduire 10UI simplement des conditions économiques» (p. 237, note 83) _ il insiste sur un développement panielIement autonome des systemes de nonnes. ce que montrent a I'évidence les situations historiques ou l'esprit du eapitalisme a précédé son développement matériel". Oro A l'inverse. el cenaines expressions de Weber peuvent le suggérer, on lend a établir entre systemes d'idées et componements des acteurs Une relalion d'implieation : «I'ascétisme protestant a eu pour effet PSychologique de débarasser des inhibitions de I'éthique traditionnaliste le désir d'acquérir» (p. 234), «(iI) a veillé SUr I,e berceau de l' homo fEconomicWl modeme» (p. 240). Le troisieme élément lend a s 'inclure dans le second.

Or, a diverses reprises, pour rendre comple des moda/irés de mise en place conCretes du eapitalisme, Weber recoun a l. construction de faíls tyPiques el opere un. changement d' écheJle : aux relalions génériques entre protestantismeel ethes eapitaliste se subsilue I'ana/yse d'uo systeme d'action concrel ell'étude des effets qu' en\raine un ehangement de ralionalilé dans le compone_ ment des acleurs.

Soil le ti.SIIge ¡\ domicile: jusqu'au sieele demier I'industriel qui employait des IÍ8serands ¡\ domicile vivait tranquillement dans une petite vilIe OU les paysans venaient lui poner leurs lissus, qu 'H négociait ensuite parmi un réseau de clients auitres avec lesquels iI étaiten eorrespondance; les gains étaienl modestes mais réguliers •. « suffisants pour mener une vie décente », la concurrence faible. limitée par un consensus tadre:. «Soudain, a un moment donné, cene vie tranquille prít fin~. L 'entrepreneur se rend ¡\ la campagne, durcit ses eontrélles, séleclionne les tisserands et les transfonne en ouvriers a domicile ,; il visite systématiquement ses cJients, cherche a éidapter S8 production 8Ux besoins de leur clientele; il accroit ses gains el les réinvestit dan. son négoce. Par la l'équilibre antérieur se brise; la concur-

19. «" L'esprit du capitalisme" (au sens Ol! nous l'entendOrls ici) exislait sans nul doute dans le pays qui a vu nailre Bcnjamin Franklin. le Massachusetts. avant que ne se développe I'Ordre capitaJiste. ms 1632. des doléances s'l!raient I!levées eontre J'exces du calcul dans la poursuite du profil propre A la Nouvelle. Angleterre quj se distinguait ainsi des autres contrées de I'Amérique,,. (l!5d. citée p.54). ,

Ime 1gence :¡ ti ' de /'ob;el el schémes d'inlelligibililé 33

. réduisant ¡\ la ponion congrue les renee s'avive, rumant ou. éthodes (p 68 a 71).

.ntrepreneurs~dél~ au~ ,;;,~~:~n::Pte du dév~loppemenl d'un Voila le falllyplque '. . fl' tuel de componements

hénomene donné i\ parttr du Jeo. con le

~'aeteurs animés de rationalités dlffél::e;;.,. Weber pour rendre La structure explicative mise en p . l" compone

tr protestantisme et caplta lsme compte des rapports en ~ . . eaux' celui des homologies

deux mals trOlS mv . 1 . alor. non pas é h' prolestanle el espril du capitalisme, ce UI structurales entre .t tque • cétisme religieux en mode de vle de la transfo~tlon de !: t \rUcturel d'une modification du puritain, celUl eofin de I e e s sein d'une siluation donnée.

t de certains acteurs au . comportemen r légerement ce troisieme ni veau. Il est Si nous voulons forma lser '<') y ou 1: a désigne un

de a orme ~ l' mble de leurs aclions relatives I ~ suivanle' (1: a--+ '" e --+ , a

ensemble d' acteurs, e~se t y l' effel agrégé de ces deroieres. une situation cornmune do~n .e. e W be au probleme du sens

é ue foumlt In actu e r , La r ponse q. ue l'on retient l'un ou 1 aut.re

n'est done pas sImple. Selon q "me colleclif de normes et . d I'ana/yse le sens esl sys", . "d

mveau e , d' l'lé de l'action des mdlvl us. ré talions ou mode e raUona I . . de rep sen I . de I'expliealion est elair: iI mobdlse Par contre le ressort u tIme. " un scheme spécifique, celm de I acUon.

Du dualisme au p/uralisme

I . t lan des sehemes d' intelligibilité l' opposition Sur e strlC p . ste done en la subSlilulion dans

entre Durkheim el Weber eonsl , bl (ú --+ 1: e) a )'élément • I d type X --+ Yde I'ensem e

une .ormu e u .. . r q e simultanément changement X Mais celte substltutlOn Imp I u r tif' on passe des d'échelle et ehangement. ':;: .~Oya~n :~~~:n ~t des régularités phénomenes globaux aux In 1:1 uS

EI1e nécessite enfin, comme

I logiques d' aellon. I eausa es aux " odalité de connaissance, a eondition, I'.interve?tlon d une :utr::e de saisir l'intentionnalité compréhenslOn, qUI seule esl m de l' aelion.

. . . . '.« L'image qui suir est un '.',type 20. Weber le défintt exphcI~!llent am81 'trées dans différentes industnes et idéal" obtenu A partir des eondltdo~s ~d?autre qu'. foumir une iIlustration: en divers endroils. Elle ~e p~ten u~le~s les exemples ~Is aul(quels ~U8 il ese done parfaitement tndlff~nt 9 .' . déroulé exactement de la mam~re avons pensé. ce processus ne se 5011 Jamals déerite)Do (ibid. p.68).

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34 L'intelligence du social

Une telle °PPOslllon légilime-t-elle la these d' un dualisme explicatif en sociologie, et plus largement en sciences sociales? Pour qu'il en soit ainsi deux conditions SOnt nécessaires: qu'il soit démonlré que les deux. approches SOnt incompatibles; qu'il soit établi qu'il n'existe pas d'autre mode d'intelligibilité possible. Si tel n'est pas le cas le dualisme est, du point de vue de l' intel/igence . de l' objet, lnjustifié.

Notre these est qu 'il en est bien ainsi et nos arguments majeurs sorit les suivants: si Durkheim ne reconnait pas la validité du scheme de. l'action, Weber lui ne I'oppose pas au scheme causal et fait meme de l' association définie des deux l' objectif de la sociologie; si Dur~im fait de I'explicationcausale le modele et la norme de toute intelligence du social iI recoUrt souvent, de fa~on aussi spontanée qu' inconsciente a la compréhension comme müde de connaissance. Les deux, cnfin,usent courarnment dans leurs anaIyses concretes d'autres schemes d'intelligibilité", voire les reconnaissent, eornme tels. Naus insisterons, ¡\ ce stade, Sur le.s deux premien arguments. Le troisieme implique d'avancer plus nettement dans les modalités du travail explicatif ce qui conotitue précisément I'objet des deux chapitres suivants.

Le premier argument est facile A prouver: le rapport établi daos la définition de la socioJogie par Weber entre compréhension et explication, en est un premier élément. Dans le meme teXte ce rapport définit les deux criteres d 'une «regle sociologique », c'est-a-dire d'une connaissance juste du social. l'adéquatjon causale et I'adéquation significative: « Une intelprétation causale juste d'une activité concrete signifie que le déroulement extérieur et le motif sont reconnus comme se rapponant I'un a I'aulre et compréhensibles signifieativemenl dans leur ensemble. Une inter­prétation eausale juste d'une activité typique (type d'acte compré­hensible) signifie que le déroulement de I'activité reconnue comme typique est aussi. bien significativement adéquat (A un degré quelconque) que eausalement adéquat (A un degré quelconque) »".

21. Daos l'Eth;qll~ Weber combine sch~me causal (étude des COrrélatiolls entre protestantisme el capitalisme, scheme structural (homologie.'l entre éthique protestante el esprit du capitalisme) et sc~me actanciel. DMS son oeuvre Durkheim recourt, a c6té du sch~me causal. au scheme fooctionnel el BU scheme du sens. L' iorérl!t eSI de voir eOmment est pcnsk une teUe combinaison. Pour Duncheim ii De s'agil qUe d'cxtensions du scheme cauaa] (ct. Jean-Michel Berthelol. Principe de causalité el raisonnement exp6rimental chez Durkheim. Revtft! philosophique, n" 1, 1989. Paris. PUF.

22, Enmomie et SOciété, op. cit. p. 11.

Intelli!{ence de J I'ob,iet et schemes d' intelligibilité 35

. t ex Iicitement situé par Weber au Or ce double entere es P'I . la validité statistique

e11' e de l' objet . I assocle Iliveau de l'int 1gene .', du sens Si la premiere

. tale) et la détermmatlon . (ou expénrnen relations possibles i si manque faít défaut nous n'avons que d~sence de simples régularités, le second nous sommes edn.. « occasions », «entraves»

t a titre de « con lhaos », . re intervenan . . t'lisé ci-dessus (<< une mterp _ de I'activilé. Le cnlere de Justesse Ud' du simple critere expéri-

I . t ) se dlstmgue onc tation causa e JUs e » "I"t la vémcité du fait daos

"d' é n ce qu 1 mscn mental de la vall It , e .. tat"stique amplemcnt attestée la pertinence d~ sens: la ~l'~~s~e s De

1 devient une interprétation

entre protestantlsme et caplta l' I'tés qu'elle résume rend I le sens des ac IV

juste "que orsque . n constaté entre les deux termes. effecuvement compte du 11; h de sociologique, Durkheim expose

Dans Les regles de la m t o ramme de recherche, géné~all-au dernier chapltre un vént~bl~,:::(X» aux grandes inslÍlutlons sant la relatIon (X -: Y) - artiellement ce prograrnme et ¡'appro­sociales. Son o:uvre tIendra P e m8me schemc les grands fondira mSme pUisqu'elle. soum~tra a ~t-on traiter ces demieres systemes de représentatlons. r pe

comme des choses? h' Mais encare Regardoos le Assurément repondra Dur~,.el;;·At ap~araitra i';'médiatement :

a l'reuvre sur un exemple dont 10 red 'al't sUI·vant. les taux de . 'd I'analyse u 1, •

00 trouve dao~ L~ SUl~'1 ~ lus élevés daos les pays et les suicide sont slgmficatlvement p dans eeux de confession régions de confession protestante que

catholique. Pourquoi ?, d I re rté de la relation, c'esl-a-<lire, Apres s' elre assure e ~ . a Id 1" putation causale qu' elle

apres avoir vérifié selon les regles e 1m Durkheim procede par .', . d 'une autre cause. . .

n'était pas 1 expresslOn des deux systemes religleux régression: « C'est dans la natu)re ( 156) Or eatholicisme et que n~us trouverons (les c~usels » tP'le suicide Ces causes ne

. ndamnent ega emen " oc ~ protestantlsme co . I C endant iI y a une dI ference d etre doctrma es. ep peuvent ane . ad t le libre examen dans une essentielle: le protest~tIsme « 1 me tholicisme. Le eatholicisme

I oportIon »que e ca . bien plus arge p~. ... u'A I'inverse le protestantlsme est I'ennemi de IlDdlVldualtSme;., qUltat» Mais« le libre examen admet voire favorise, «Premler s . Il n'appar8J."'t pas

l' ffet d 'une autre cause ». n'est lui mSme que e u s'effritent les croyances

d mais au moment 0d ' .. n'importe quan , I'éb lement des eroyances tra ltlon-antérieures : il résulte de « ran

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36 L'intelligence du social

nelles ». Mais cet ébranlement a lu' ~ , d'uoe moindre intégration, d'une ~~:= ::~~~sedenl,~s~he protestante: « Naus anivon d a g lse supériorité du protesiantisme

s one. cene conclusion que la

de ce qu'il est une Eglise ,au mmt de ~ue du suicide vient calhoJique» (/bid" P.159).molDs oltement lOtégrée que l'EgJise

Ce résultat peut alom en J' ' juda:¡sme (fonement intégré) :~Ps~1~~e ~ ;~::~. 1; rés~stance du avec le niveau d'instruction On b' '. . 18 Ion u SUICide o.. O hent amSl le systeme suivant :

Moindre intégration (V)

-. ébroniement des croyances (W) -.individuaJime (X)

-.Jibre examen (Y')

-.développement de I'iostructioo (Y') -+suicide (Y')

dont le schéma explicatif est donoe' par les fonnules:

Y', Y', Y'=f(X), X=f(W), W=f(V).

Cene explicatian est strictement ,causale Elle raro' componement culturel, un elhos 1')' d' 'd' l' ene uo , d - n IVI ua lsrne - a' s Jon ement stlUctureJ et est ai . al" 00 développe Weber dans L' Ihosl eXact opposé de celle que d'aulres textes (et ootamm:nt .que. Cependant, lA comme dans la vie religieuse) Durkh' ceux des Formes élémentaires de

• elm est contra' t d significations, Les Jiens entre éb l . ID e passer par les dualisme libre examen ne ran ement des croyances, indivi-

sont des iiens de sígnifi~ation ~:ts~~ d~s lie~~ mécaniques .. Ce neIs et émotionnels Com 1 nsem es représentatlon-

. me te s leur mode d'acce l compréhension; aussi bien la com . ~ est 8.

«nature émolionne:Ue », ue' la préhen~lOn e~palhlque, de par laquelle nous est donn~ ce .compréhenslOn« IOtelJectuelJe », Certes Du kh·' qll1 est « ratlOnnellement évident ».B

r elm n entre pas dan d'" . et fustige en bloc, daos Les R s ces /slmclIons wébériennes

egles, Ildée que le sentiment

,23. «E.cot rationnellement évident d . qUI ~st co~p:js de maniere entrere~en~ns la sphere de,l'activité, aVant tout, ce relatlons slgmficatives visées Est ~ "de 01 clalrement 1I11e/lecluelle quant l ses e51 rev~cu pleinement quant A ses

V1. rt.par empa~ie dans Une activité ce qu·i

,wclll~, op. cit., p,5). le QlIons ajfecllves v&:ues» (Economie et

Intelligence de /' objet et schemes d' intelligibilité 37

religieux puisse etre instauré par certains eomme instrument de connaissance· des religions. Mais en concluant avec force «Le sentiment est objet de science, non le crioore de la connaissance scientifique» (p. 126) iI laisse ouvert le probleme du moded'acces a cet objeto

Les exigences de l'intelligence de l'objet en sciences sociales oe semblent done pas légitimer le dualisme en leur sein. La compréheQsion comme saisie de réalirés toujours pétries de significations y est requise aussi bien que le raisonnement expéri­mental comme instTUment de la preuve. Que le dualisme cependant se perpétue ou renaisse périodiquement, que des traditions de recherche el des traditions phiJosophiques tordent le fer d'un coté ou de ¡'autre sont des affaíres réelles. Mais elles peuvent tendre a occulter le travail de l'explication que nous avons YU a l'wuvre si magistralement, aussi bien chez Durkheim que chez Weber. C'est done a celui-ci qu'il faut s'attacher. Nous laisserons done de c6té toute vision dichotomique. Notre hypothese rectrice sera qu'i1 existe un niveau cognitif spécifique, celui des schemes d'intelligibilité: est-il possible de les identífier, de les recenser, d'analyser et de meltre au jour leor struclure logique? Est-il possible, pour reprendre le fiI de Weber, d'établir les criteres de leur juste usage, c'est-a-dire de leur validité el de leur pertinence?

MÉTHODE DE REPéRAGE DES SCHEMES

Repérer les schemes d'intelligibilité a l'reuvre dans la connais­sanee du social ex.ige une méthode. La chose est moins simple qu 'B n'y parait. La connaissance se donne a autrui par la médiation du discours. Le processus d' élaboration des connaissances est ainsi a la fois sublimé el occulté dans la forme de son exposition : le diseours, lorsqu'i1 s'appuie sur le langage naturel el qu'il De

se soumet pas a la rigoureuse discipline du formalisme logique, use pour eonvainere, tout autant des annes de la séduction que de eenes de la preuve. Il faut done, pour y saisir des schemes d'intelligibilité, des procédures de repérage et d'analyse de. éléments intervenant légitimement dans l'explication, Une telle réductioo opérant le dépan entre ce qui est de l' ordre de

Page 19: Libro de Berthelot francés

.18 L' intelligence du social

I'exemplificalion, de ¡'illuslralion, des figures de rhélorique d'un COI6, d~s ~ultls loglques el cognilifs de ¡'aulre n'implique aueun dl8crédn d un ordre au profil de ¡'autre; elle se contente d'exhiber I~s deu~ dimen~i?ns et les deux logiques auxquelles ils 'réterent : d.lmenslo~ cogmtlve el logique argumentative dans un cas, dimen­slon soclale et logique communícationnelle dans l'autre. Les ~remieres .~eul~s ¡ci n~us intérCsserit. Mais 'nous ne pouvons Ign~rer qu ti n y a de dlscours que pour aUlrui, et que prétendre temr un dl~c~ur~ vrai est 'un acte pouvant viser d'autres objectifs que la vahdtté mteme du dire: la vérité est un enjeu social et

l' apparence du vrai parfois y suffil. Les deux ordres inlerierent ~onc. T~ute argumentatíon postule un autrui ~ convaincre el toute Illustratton peut viser a emporter l'adhésion. . . La deuxi~me difficulté tient iI I'univers de référence. 11 est Ilhmllé el compone en droit toute la littérature prenant le social comme objet de connaissance. JI faut une procédure de sélection.

Commen~~ns par ce deuxieme point. Le domaine qui nous occupe est dIVIsé en disciplines académiques, en ocoles de pensée, en théories de référence, en champs, en méthodes et lechniques ... Aucun de ces découpages ne cOITespond a une typologie des s.chemesd'intelligibilité. Aucun meme ne COJTespond a I'identifica­Iton loglque, d'un niveau spécifique de saisie du rée!. Chacun constlt~e pIutót un mode de description commode d 'un ensemble de réahté~ ou d'opératións. partieUement autonomisables si on les abstrrut du proces d'élaboration des connaissances. Nous ~uvons le plus .souvenl y trouver des indications utiles el des Plst~s, n~n des hnéaments de réponse. Nous prendrons done le partl SUlvant: nous procéderons a un choix limité de textes paradigm~~iques.,c·est~a dire de textes reconnus pour avoir réalisé, sur un obJet donné, une approche exemplaire. De tels texles ont l~ ~érite d'~niculer les divers niveaux de la connaissance de 1 ~bJe.t el d en proposer un mode d.'inteJligence. Le suicide, L éthlque p~'otestanfe el l' esprit du capitalisme sont, par exemple. de cette veme. Le choix est, éVidernment, arbitmire. n implique des présupposés sur lesquels nous reviendrons. H aboutit a creer un corpus ~uvert .et évolutif, ou l'essentiel est qu'une analyse réglée y SOlt posslble dont les resultats puissent etre soumis a COntróle. .

. L 'anaiyse des textes retenus procedera a une triple réduction, VIsant a cerner au plus pres, au sein de la dimension cognitive

Illtelligellce de /' "bjet et schemes d' intelligibilité 39

et argumentative présentée plus haut, les éléments de la structure explicative mise en <:euvre.

A la suite de Popper"', mais en aménageant légerement sa formule, nous dirons qu' un discours visant une connaissance scientifique du réeI (sont done exclus les discours formels) peut se ramener au schéma suivant:

T -T {P} :: {e}

al! T désigne un systeme coneeptuel organisé (une théorie), {p} un ensemble de propositions explicatives, {e} une classe de propositions empiriques, -T l' inférence logique et :: l' adéquation empirique. Telle queUe cette formule définit un squelette qui peut. bien évidernment, se ramifier et se complexifier, par )'intervention de niveaux de propositions explicatives (p) et d'aires de propositions empiriques (e). Posaos que tout diseours de connaissance a prétention scientifique doit pouvoir se ramener a ce schéma, ou 11 une forme dérivée de celui-ci. Sont en effet désignées par lui Jes deux séries de regles auxquelles ce discours doit se soumettre: regles de validité d 'une pan (inférence, -T,

et adéquation empirique, =) ; regles d'exposition d'un sens d'autre part: contenu de T, de p, de e. A ce second niveau. cependant, les choses ne sont pas encore explicites. Il faut done une seconde réduclion.

Les théories en scienccs sociales ne se présentent que rarement sous une 'forme axiomatisée c'est-a-dire seloo une modalité énumérant au départ le nombre restreint de termes, d' axiomes el de regles. ~ partir desquels sont construites leurs propositions.

24. Daos La logiqlle de la découl'erte scientifique, Popper utilise.la. formule I ~ p. ponr presenter I'argument du m(1(}lIs IQllens qu'iI fonnalise amsl: «1 .... p). p) -7 f) «si l'on peUl dériver p de I et si p est faux. alors test faux égalemem ». DilOS une note postérieure il indique que Tarski lui a si~nalé la confusion dans la deuxiemc panie de la fonnule. entre la ~gle loglque de l'implication el la r!gle métalogique de la déduc:t!on (p. 74, 75 de la t~uction rran~aise. Payot, 1982). La formule que nous ubhson.s (T ~ P .=. e), Vl~, dans le méme esprit que ce,He de Popper. a marquer ~~ .mveaux d~CISlfs du dlscours et les articulalions loglques fondamentalcs. La dlVISlon en trotS termes (T. p. e~ est inspi.r~e du schéma élaboré par Einstein dans une lettre a Solovine du 7 mal 1952 (Paris. Ed Gauthier·ViIlars. 1956. p. 120, 121). Sous les symboles A! S. E Einstein distingue les axiomcs (A), les proposilions déduites (S) et les ex~nences (E). Ce t~xte ~st tres IOllguemenl commenté par Gerald Hollon, L'fmag/~lion scielllifique, chnpitre VI; «L'élaborati.on théorique selon le m~le Emstelnten_, París, Ed. Gallimard. 1982.

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40 L' ;ntelligence du social' '

Lorsqu 'elles le lentent cela reste le plus souvent étranger au systeme de contraintes logiques régissanl une axiomatique : pour passíonnante et stimulante que soit la lentative faite par Pierre Bourdieu et lean CI8ude Passeron dans La reproduction", elle n'en est pas moms aussi éloignée d'une axiomatique su sens ~; strict que L'éthique de Spinoza des Elémems d'Euclide. Il n'est, done que rarement possible de prendre comme objel d'analyse le contenu de ces axiomes et il vaut mieux repérer la (ou les) Proposition(s) qui 8U sein d'une démonstralion donnée va (voot) 8tre le 8Upport de I'explicalion que ce soit a litre d'hypothese(s) iI démontrer .ou de conclusioll(s). Nous appelerons ce type de propositions « propositions explicatives » el nOllS poseroos qu' elles sont réductibles I¡ la Slructure suivante :

ApB

oU. A et B désigllent des elltités d' étude (identifiées par leur COllcept) et e Ulle relatioo déterminée d' explication de B par A; cette proposition peUI etre quaiifiée d'explicative en ce qU'elle tisse un rapport d'intelligibilité déterminé entre A el B . L' explica. tion, ou la raison duphénoméneétudié (symbo/isépar Bj, réside précisiment dans cette mise en' re/alion déterminée avec un autre phénoméne ou une autre emiré (symbolisés par Aj, pertinents par rapporl <l la Ihéorie d'une part (fj, au champ d'élude (ej de /' aUlre: si nous avan~ons. comme faison du suicide, la conjonction de Mars el de V énus, ou une entreprise insidieuse de suggestion intersidérale menée dans le cadre d'une conquele planétaire, l'élémeQt explicatif auquel il eSI fail appel n'esl pertinenl ni par rapport A la théorie ni par rapport au champ _ en tout cas dans l'état actuel de nos connaissances _. Le choix de cet élément - ou de ce complexe d' éléments _ va done dépendre des présuPposés Ihéoriques el des données empiriques. Par contre la n.ature de J' explication va tenir d,ans le type de relation qui va atre défini entre A et B. Mais celte relation (de caUSalité, de nécessité et d'équivaJenee fonctionnelles, d'intention_

25. L 'articuJation des propositions t~oriques du livre 1 de La reproducti(1n est repréaenlée par un sch6ma (p. 17, 18) qui en retient la double dúnension de déduction (O ~ 1 -+ 2 """+ 3 -+ 4) el de sp6Cification (1.1, 1.2, 1.1.1, 1.1.2, etc.). L'inrention ~idant l ce mó,de d'cxposition est pmscntée dans I'avant­propos: H s'agit d'inr6grer diverse.s propoaitions, induites de recherches conc~tes ou déduites d'hypo~ses plua largos, en 4( un syst~me justiciable du contrale logique '" (Lo reproduclion, Paris.' Ed. de Minuit, 1970, p. 9).

Ime 1gence , 11 ' de l' obiet el schemes d' intelligibililé 41

. se doit elle aussi d'81re pertinente par rapport a la n.llté, etc.). . d vue théorique iI y a une exigence théorie et aux fw.ts. Du pomt e . viendrons une

de c~hérence eXPlie:t:V:~e~:~~i~~r:t s;::~e~ :Plicatifs ;t les IhéoTle complexe pe d des foils la relation explieative p hiérarehiser. Du pomt e vleuSe relations empiriquement établies: d . t etre cohérente avec . .

01 . la relation de causalité est cohérente avec la covan~\On am~l . dont elle constitue une interprétation légitime. ous statlstlque. . . .

achever notre schémausatIon en posant . pouvons

ApB::xry :: x' r y' :: x" ,. y"

, 'y y' etc sont des données emplnques strueturées ou x. x,... al Les fonnules x r y

et r des relations dégagées PI.ar anpl~:e'haut des propositions d' . nent ce que nous appe IOns é eSI~ . () 11 s' agit de constals d' états de réalilé, observ s emptrlques e. . . d I clé

ou oduits. dont la proposition exphcatlve anne a . . c,s deux réduetións successives que nous venons de d~n~,

les formules idealtypiques qui les résu~ent (T --> {pI _ { } ~ A P B) nous permettent de ramener un dlscours de eonnalssao~e iI sa Ir";'e explicative et de saisir, 11 travers la relalt?n %";'n: scheme d'intelligibilité qu'i1 met en .""uv~. ~ous é;:en Elle

lus loio sur un bénéfice non margmal e a m . et iavOrise I'évaluation et la confrontation des théones; elle perm d 'éprouver la solidité de eertaios travaux en mettanl en éV¡.lddetnee

. . I nt aux regles de va 1 a Ion 1 réalité de leur SOUffilSSlon non seu eme . . a . e r de la déduction et de la mIse 11 I épreuve

du ~e.ns ()nmg~isU aussi a eeHes de la eohérence et de la pertinence emplrlque

de sa production. fi ré lable Une troisieme opération de réduction s 'impo.se en m. ~ ~ I

récédenles mais régie par leur prinelpe: celul e a aux p, d' al Pour nolre propos délimitation d' ensembles pertinents . an ~se. . en' esl '1 n'esl pas ulile de prendre la lotahlé d un ouvrage, e . 1 I I théo' e dans son ensemble qui nous intéresse, malS a pas a rt d'une méthode ueture de }' explication. Aussi userons naus " sir . Nous considererons un texte eomme une artleulalton Séqu:ntlel~~s de divers types: état de la question, prése~talton de s quen présentatl'on de la méthode. profession de fOl. etc. du teTrain,

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42 L'intelligence du social,

Parmi ces séquences nous isolerons ceUes' , , de démonslralives c'esl' d' " que 1 on peul quahfler , , -.. - lre qUI vlsenl a é bl' " explicative fone Les séq "ta Ir une proposition . 'uences ams . té d'une succession de propo 'h' , ~ IS? es sont constituées:,

. . SI ons exphcauves el de .. ~mplflques. agencées selon le double proposltlon Ilon el de l' exposilion ' le plus mouvemenl de la démonstra- " non linéaire, arboresc~nte A ls~vent d en résulte une structure

, u leu du schéma déductif

p ..... p' -4 p" etc,

on a, par exemple :

p'

1\

o .. p, q, m, n,o désignenl des p , , niveaux différenls e e' te d rop?~ltlOns explicatives de fleches la succes;io~ d~s eelé' les proposulOns empiriques el les mouvemenl logi ue de 1 ve oppem~nts au sein du texle, Le validité de la P!position a démonslrahon consiste ¡¡ élablir la

, , p, en mOnlr801 qu'eUe' l' proposlI1ons p' el p" d "1 I Imp Ique des

I'dée on es conséquences q

va I s par les faíls e e' Se réal' d ' m, o, n, sonl d

• .., ¡se one au nivea d d' el u fait de sa nécessaire t T. ' u u lSCOUrs sioo linéaire d'une structuU~ l~~:on d~ langage nat~n:l. }'expres­cognitive se rameneen d 'el rarchlque, donl la slgnificalion

, eml re analyse ¡¡ la fonnule de base:

p (A P B) ::: e (x ,. y)

a l' reuvre au sein de d' s 1verses propositions p q , e". eH' ... • ,m ... el e .

Cette procédure a été ulilisée té ' de saisir rigoureusement l' sys. mal~quemenl. Elle perroel e ,. d argumentahon d un lexte el de n eVl ence son scheme d' intel!' 'b T mettre

peut aloes aire saísi dans sa ':!I~ lté fondamental. Celui-ci construclion d'une Iypolog' . lée" loglque el pennellre la le ratsonn .

II

Typologie des schemes d' intelligibilité

Nous allons meltre la méthode définie a I'épreuve sur u'ois nouveaux textes. Nous aurions pu en choisir davantage ou moíns. En fait nous respectons un principe d' équilibre entre la nécessité d'une mise en évidence des schemes d'inlelligibililé in si/u et le risque d'une succession lassante d'analyses. Nous aUTions pu égalemeht en choisir d'autres. Deux eriteres nous ont guidé: il s'agit de textes de référence, largement conDUS el remplissant une fonetion de paradigme en sociologie; il s'agit de textes clairemenl dominés par un scheme d'intelligibilité. Ce demier point constitue un réqtiisit analytique. Cornme nous le verrons au chapilre III, les analyses sociologiques concreles articulen! le plus souvént divers schemes qu'il convient d'abord de pouvoir ¡soler. Le premier objeclif visé est de dégager la fonne logique des schemes el de proposer, a partir d' elle, une géographie des modes d'ápproche de l'obje! en sociologie.

TROIS TEXTES PARADIGMATIQUES

Marx et le développement du machinisme

11 esl inutile de rappeler les références philosophiques el mélhodologiques de Marx. La dénomination de «malérialisme dialectique » et }' engouement qu' elle a suscité au xxe siecle ont parfois fail oublier les ambigu.tés e! les difficultés de la fonoule, Autanl le matérialisme peut avoir le sentiment de s' appuyer sur

Page 22: Libro de Berthelot francés

44 L'intelligence du social

une idée claire de la matiere dan 1 . autant depuis le d' s a seconde moitié du XIX

e siecle , I lSCOurs de la seien' ..'

relativisé. La dialecti ue d •. ce s esl compleXlfté el tradition ambivalente' qse';'bl~~~ hénlage hégélien occultail la inlerprétalif Iotalisant ~I la ' souvent davantage un langage par ailleuTS, qu 'un mode :;'duc11"on philosophique de faits élablis '. lOte 1genee mterne de }' objet2

EXIste-HI un scheme d 'intelli ibil'té ' , " de dialeclique ou n'a-I-on la affai g 1, que Ion pUIS,se quahfier d' aulres schemes 1 L' re qu 1t la traducllOn Idéologique

, a quesllOn mérile d'autanl plus d'Stre sée que tanl 1 reuvre de Marx u'a fi " , po révele l' till' t' q O/ llOn celle de ses épigones

u sa IOn, sous une orthodoxie 1 . de schemes réellement différenls N p us ou molOS revendiquée, a !ravers la crilique de Webe ' 10US avons déJ8 vu ci-dessus, et superstructure peUI Stre r, ~ue e rapport entre infrastructure ne transmue pas }"actio pens eOrome un rapport causal, que

. n en retour de la seconde si'). Dlvers auteurs n 'hésitent _ a i\ ,Uf a premllCre. de Marx 8 l'individualism~ ~élh=ch~r le~ analyses essenlielles rienne a pli a son é loglque , La lectW'e AIlhussé­Indépenctam':'ent d ":"'Iue, Stre qualifiée de structuraliste', arti • ane d une théone oscilJant entre l' orthodoxie

~che=~u:tl'~ auberge espagnole, est-il possible de repérer un

e . , n pUIsse quahfier de dialeclique? elte quesllon présuppose la' '

saos Isquelle il n'est pas po ,~on::'llssance préalable du scheme, y a donc risquede ce ·1 ss~ e e prétendre le reconnailre, 11 suivanle: quelles que s07":; OUS y échapperons .de la fa~on faites de la dialeclique dan I le;.:;~sentallOns el les évalualions semblent toutes impliquer ~n:o a:

tion philos~,?hique, elles, nous tion: a et non a' «on ,y commun, I ldée de contradic­le mame fleuve»' EXPri:'é baiglne el on ne se baigne pas dans pourrail générer I~ sch' e ~e on notre fonnalisme, cette idée

eme SllIvant:

A p B = (a & non a) -> B

J, c~. Gcorgcs Ourvitch. Dialecti ue el .' l' , 2. Cest I'imprcssion que donné q .Joaoogle, Pans, Flammarion 1962

du «matérialismc dialcctiquc» pro~strop sl~uvcnt le~ tcntativcs d'cXPositio~ 3. Par exemple in Ejfot r par ortbodoxle marxislc

"'""'nfli!cns (p. 202-208), ou r: ¡;/;!a~:r~~e ::Ci~~ .Paris, ,PUF, 1977, J~ paradigmes co 18 (p. 138-143). Vok 6galement J ,SOl le, Pans, PUP, 1984, le rOle des mé~odologique el )'épistémoJogie ~~,:::cls~J¡ Le principe de I'individualisme

. Henri Lcfebvre, Sur une inle~ . ' omme et la SocMtt. ser, anicles paros daos L'Homme et la han,du ~il!lme, Les paradoxes d'Althus­deld du st,.uctu,ra!ísme, Paris, Ed. An~ttí~l~ et 13, el rcproduits daos Au-

Typologie des schemes d' intelligibilité 4S

La question esl aloes la suivante: un tel scheme existe-t-il réellement comme scheme ? peut-on montrer qu 'B constitue effecti­vement un noyau logique d' analyse sociologique de l' objet ?

Nous éprouverons cette question sur un chapitre du Capital: Le Machinisme et la grande industrie',

La these de Marx est la suivante: «La force de travail dans la manufacture el le moyen de travail dans la production mécanique sont le point de départ de la révolution industrielle» (p, 58), Le probleme posé est celui de la «révolution induslrielle », c'est-a­dire des conditions el des modalités d'une ruplure dans le mode de production des biens matédels. La théorie explicative dominante privilégie un facleur : la domeslication de l' énergie renduepossible par I'invention de la machine a vapeur, La démonstration de Marx se fait en deux temps:

lILe point de départ de la révolution industrielle réside dans le proces de transformation du moyen de travail en machine oUlil. 11 aboutit a émanciper totalement le moyen de travail des limites physiologiques el organiques de la force de travail humaine; l' oulil adapté a la main de l' artisan cede la place A la machine aulonome : « La jenny, méme dans sa premiere ébauche, file avec douze et dix-huit fuseaux; le m~tier a bas tricote avec plusieurs milliers d' aiguilles» (p, 60), La «forme développée» de ce processus constitue le machinisme industriel: «Le systeme des machines outils automatiques recevant leur mouvement par trans­mission d'un aUlomate central est la forme la plus développée du machinisme productif» (p, 67),

21 Le machinisme modeme ne peUI se développer que si sa « base matérielle » est révolutionnarisée. La manufacture, qui par le savoir-faíre de ses ,ouvriers a été le berceau du machinisme, devient une entrave lorsque le besoin de machines s' accroit. Elle doit donc !tre transfonnée a son tour, en fabrique modeme, oil les machines produisant les machines, Dulle entrave De subsiste au développemenl industrie!.

Ces deu" étapes sont différentes mais solidaires, Le phénomene visé est presenté comme un «proces », c'est-a-dire comme «un développement considéré dans I'ensemble de ses conditions réelles »6. Ce développement, inserit done daos une histoire, est analysé selon deux dimensions: celle de sa «fonne» (premier

S. Karl Marx, Le Capital, 1867. trad. Paris, Editions Sociales, 1950. 6, Livre 1, tome 1, p.181, note.

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46 L' inteJ/igence du social

d~veloppement), ceUe de sa « base matérieHe » (deuxieme dévelop­pement). De quoi s'agit-il?

Le concept de «forme »est introduit par Marx dans Le Capital des les analyses Jiminaire. eoncemant la forme de valeur des marchandises : forme simple (x marchandise A '" Y marchandise B), forme développée (x marchandise A = Y marchandise B = z marchandise C =, etc.), forme générale (l habit, 10 livres de thé, 40 livres de café, 2 onces d'or '" 20 m de toi/es), forme argent (20 metres de toile, l habit, 10 Iivres de thé, 40 livre. de café, etc. = ·2 onces d'or). Ce concept. que Marx ne définit pa. spécifiquement, désigne le «C8T8CU,re historique» (p. 87), des manifestatioos d 'une meme réalité sociale: «les valeurs des marchandises n'ont qu'une réalitépuremenl sociale, (oo.) eUes ne l'acquierent qu'en tant qu'elles sont des expressions de la m8me unité sociale, du lravail humain ». Il induit par ailleurs un mode d'explicationinteme: «La forme simple de la marchandise esl par conséquent le germe de la forme argenl» (p. 83).

Le concept de fonue désigne ainsi un universel.concret, la configuration historiquement dérerminée prise par une réalité .ociétale transhistorique. CeUe-ei,universel-abstrait auquel rétere done l' anaIyse en tennes de fonnes, est dans le cas de la machine, le proces de travail. Celui-ci se décompose, quelle que soir sa forme. hiolorique singuliere, en trois éléments lié.: le travail propremenl dit, l' objet sur lequel i/ s' exerce, le moyen mis en oeuvre'. La !hese de Marx, dans le lexte de référence, esl que le machinisme industriel - earactéristique de la révolulion indus­trieUe - esl la forme développée de la forme machine du moyen de travai/. On rend done compte de ce demier en étudiant celle­ci et en mellant au jour la loi de son développement.

La forme machine du moyen de travail implique trois parties essentielles : un moteur. des organes de transmission, une machine d'opérations. ou machine-outil. C'est cette forme qui inaugure la révolution industrielle, en «émancipant » le moyen de travail des limites organiques de 1 'hornme et en «rendant nécessaires » des modifications successives aboutissant au machinisme modeme selon les phases suivantes :

• Mode de produetion IOuvrier H OutiJ I - Objer de travail artisanaJ

7, ¡bid" p,181.

Typologie des schemes d' intelligibilité 47

• Mode de production industrie!

l. Forme maehine simple

IOuvrier H Moteur I l

I M"chine .... Objet de travaiIl

(premiere émancipation des limites organique8 ; source d' énergie, le moteur),

mais l'homme reste la

2. Fonne développée

Phase 1.

Ouvrier Energie thermique H machine moteur

.L Machine ~ O~ de travail

, , d la maehine d' opération et le (<< Pour développer les dlmenslon8 e tus pu',ssant et pour vainere

'1 "' faut· un moteur p • nombre qe, ses ,OUtI s, 1 ') f 1 De force d'impulsion sup6rieure a la foree d'mertle du moteur, 1 au ~ "est un a "ent tres imparfait eeHe de" J'homme, sans compter que 1 ho~me 'fon:e ~s que I'outil dans la production d'un mouh~ement conpaunu

r l~~o::ne U' devient bienlot

I é par une mae loe mue , , est relPP ae I'h" daos le rfile de moteur par d autres nécessaire* de remplacer omme forces naturelles» p, 62, '" souligné par nou8,)

Phase 2. o)

Ouvrier Machine A vapeur . .L .

M . M . M - M . <-+ Objet de travad

'tée la phase précédente. pennet la (La machine a vapeur SUSCl par s de la force humaine)lo et la

~~~!~t:~~~c~~:t~~c:~n:~~l% ~:~IU'::~S machines mues par le méme moteur,)

b) Ouvrier

Machine A vapeur

MI ~ M2 + M3 + M4 <-+ 0"lel de travail

. I pé arion de machines-outils homog~-(La substitutian A la « slmp e COO

h. r d'#érentes» crée un sysreme

d ' mb,'naison de mae mes lu.' , nes » une « ca "Le eme des machmes-caractéristique ,du machinisme mdustneI :e":aent s::: transmis'sion d'uo outils automattq~es recevanlt l~ur d:~~:ppée du machinisme j>roductif » automate central est la fonne a p us . p.67.)

Le machinisme modeme est done la forme pleinement dévelop-pée de la forme machine du moyen de travail. 11 ne résuhl/~ p~

(I"n en/ion de la mac me u d' un facteur technique externe 'v , '/ vapeur) mais du développement interne du proces de ti aVal ,

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48 L' intelligence du social

Cetto explieation, qui pourrait valoir par soi, n'est eependant pas suffisante aux yeux de Marx. Il lui faut le complément d 'une seconde dimension d'analyse: celle de la «base matérielle ».

La forme machine simple repose Sur la manufacture, OU le rassemblement d t ouvriers mécaniCiens quaJifiés pennet la construc­tion des machines. Mais celle construction reste limitée par les formes d' organisation mame de la manufacture et est ineapable de répondre aux demandes de plus en plus pressantes de machines. Ces limites sont non seulement quantitatives. mais qualitatives, le développement des machines exigeant de nouveUes CO!Dpétenees dans leur fabrication. II y a donc une contradiction qui n'est résolue que lorsque le machinisme industriel pénetre dans la sphere de la production des máchines elles-mémes :

«L'industrie mécanique s'éleve sur une base matériel/e inadé­quate" qu' elle élabore . d' abord sous sa forme lradltionneUe, mais qu' elle est jorcée .de révolutionner el de conformer a son propre principe* des qu'elle atteint un certain degré* de maturité ( ... ) La g~de industrie fut done obligée* de s' adapter" son moyen caractéristique de productiori, la machine elle-mame, pour produire d'autres machines. Elle se créa ainsi une base teehnique adéquate* et put a10rs marcher sans lisieres » (p. 67 el 69" souligné par nous).

Voici done la démonstration menée a son tenne. Nons en avons monlré loute la complexité. Le probleme A résoudre esl maintenant le suivant: quel seheme d'intelligibililé est ici A l'reuvre? s'agit-il du scheme dialectiqúe dont nous avons posé la possible formule plus haut ? Manifestement ceUe-oi peut sembler bien simplificatrice apres une telle démonstration. Mais lA n'esl pas l'essentiol. L'argumentation de Marx peul-elle e!re considérée eorome régíe par cette formule, c'est-a-dire eorome constituant ce que nous appelerons un programme d' analyse dialectique ?

Soit la formule A p B. Le phénomene it expliquer (B) esl présenté ici camme un procés, c'est-A-dire comme un développe_ ment inserít dans le temps. Ce développement est saísi seloo deux dimensions, celle de la nature, interne du phénomene, celle de ses conditions extemes de possibilité. La systématique de ses éléments définit la premiere, un certain étal de développement historique les secondes; les deux s' articulent poue définir une forme comrne manifestation historiquement située de ce proceso Le développement de celle-ci, de son élal initia! (forme simple) it son état ultérieur (forme développée) rend compte du proces

"lypologie des sehemes d'inte/ligibilité 49

étudié selon cette double logique de sa nécessité interne et de ses conditions extemes. Le rapport explicatif A l'reuvre est done de la forme suivante:

ApB~ { (Ps ~ Fd) } -+B

ou Fs déslgne la forme simple, Fd la forme développée et M la base malérieUe du processus aboutissanl A B. . ,. ..

Le probleme es! cependant de savoir queUe relallon d mt:lhgl­bTté est a rceuvre. S'agit-il d'une relation causale ou d autre c~~se que l' on pourrait qualifier de dialectique? Le doule, la méprise, le glíssement sont possibles en ce qui conceme le ~pport du phénomene a sa base matérieUe (M -+ m: Le saVOlr des ingériieuts 'et la compétence des ouvners méc~mclens de man~f~c­ture rendéilt posslble la fabrication des machlOes .. Celle condltlon

ut Btre inscrite dans un sch~me causal el donner lie\lll vénficatlOn !;sténiatiQue. Mais e'est oe pas voir deux choSes: d'une part que la premiere relation, celle du développement d'une f0111le, ne peÍlt pas elre pensée en termes de causalité, puisqu'elle ne renvoie pas a des rapports extemes. mais a une dynanllque interne; d'autre part que le m8me scheme est it I'reuvre dans les deúx relations.

Cetle double détermination, interne et externe, formelle el matérielle rel~ve d'une mSme logique que }'on peut résumer ainsi: le 'développement du proces étudié dépend d'un double

rt d'interaction dynamique, entre ses éléments conshtuant rappo . é . l d' art d'une part, ceux-ci el leurs détenmnants mal Tle s autre.~ . Ce rapport, de conditionnement réciproque et de déséqUtll?": relaiif secrete la dynatnique rendant compte du proc~s étudlé. l'étéménl a rend possible I'élément b, qui, en se développant, nécessire la trarisfonn'iltion de a: l'hornme secrete des moyens de travaiJ, qui, lorsqu'Üs atteignent la forme machin:, oe peuvent se développer qu'en s'émancipant des limites organlques de leur créaÍ"eur. La manufacture fou~it, par son orgamsatlOn el ,les compétences qu'eUe rassemble, une base matérielle ~e Pr.octuctlon des niachines qui, du fsit de ses limites internes, devlenllmpropre a supporler le dévelrippement du machinisme moderne. Dans les deux cas l' élément b est commun el constitue le ¡Xlle de la dynamique rendant comple du proces¡ dans le premier cas il est

Page 25: Libro de Berthelot francés

50 L' inte/Jigence du social

associé ¡\ un constituant interne, dans le second a une condition exteme. CeUe relatioo entre a et b, oi! b dépeod d',bord de a el rentre ensuíte en conflit avec luí. entrainant a lerme une transformatíon qualitative. une révolutionnarisation. du proces visé correspond assez bien a ce que I'on peut entendre par la contradiction dialectique a & non a. Le scheme ici a l'ceuvre pourrait etre presenté ainsi :

{ (Fs ~t Fd)·}

ApB= M {

(a & non a) } = & -+ B

a

ou a & non a explicite, dans les deux cas, la relation spécifique de détermination dont résulte B.

Nous sornmes done bien en présence d 'une fonne complexifiée du scheme dialectique présenté plus hauI. On pourrait mame vouloir aller plus loin el ehereher a relQuver dans I'analyse de Marx les fameuses lois de la dialectique: interpénétration des contraires, transformatioo de la quantité en qualité, double négation. Nous ne le ferons pas, pour trois raisons:. la premiere esl que si elles constiluent un langage possible de traduction de l'analyse de Marx,. elles laissent par contre de coté la spécificité de I'approche analytique en termes de forme et de base rnatérielle. La seeonde est que le nOYau d'intelligibilité cornmun a ces propositions n' esl rieo d' autre que la conlradiclion dialectique a &. non a. La troisieme est que ce scheme a pu et peut nourrir des approches récusant I'une ou I'autre de ces propositions.

Levi-Strauss el l' analyse structurale de la parenté

Dans un texte d'abord publié en anglais en 1945, puis repris en fr~ais dans l'Anthropologie structurale', Lévi-Strauss présente «I'analyse Structurale en linguistique et en anthropologie ». n inaugure ainsi un mouvement qui se caractérisera explicitement par ss référence a une méthode.

Celle-ci esl celle de la phonologie que salue ainsi Lévi­Strauss : « La phonologie De peut manquer de jouer vis-A-vis des seiences sociales, le meme rOle rénovateur que la physique nucléaire. par exemple. a, joué pour l' ensemble des sciences exactes» (p. 39) .. La «révolution» opérée consiste en quatre

8. PUls, Ed .. Plon, 1958. p. 37, a 62.

Typologie des sehemes d' intel/igibilité 51

points: passer des phénomenes linguistiques conscients, a leur infrastructure inconsciente; saisir non des «tennes », m81S ~es

« relations »; passer d'une notion vague de « systeme ». El la m~se en évidence de la «structure» de systemes CODerets; produlre des «Iois générales ».

Quel scheme d'intelligibilité est done ainsi promu? <?o~me dans I'analyse précédente ceUe question peut sembler arllficleUe et rhétorique puisque le terme de structuraiisme se présent~ en réponse avec la meme force que pouvait avoir celui de dialectlque. Mais la également le scheme De vaut que saisi en acte.

Les ethnologues onl remarqué tres tbl que le systeme des auitudes de parenté était marqué par la place particuliere réservée a ('oncle matemel dans de nombreuses sociétés archalques. « Mals il De suffit pas de canstater cette fréquence; ,H faut en découvnr la raison» (p. 47). Dr, cornme dans les cas précédents. le fail s' accompagne de tentatives d' explicalion. La prem~ere voyai~ dans la relation avunculaire la survivance d'un hypothéllque maln~at. Ceci aurait da impliquer l'association rigoureuse de cette relation avec un régime matrilinéaire de filiation. Or les faits montrenl le contraire. Lowie (1919) introduit alors l'idée que eeUe relatlon est une maniere de qualifier un certain nombre d'attitudes de parenté. Mais pourquoi meltre en avant ceUe relation plutol qu.'une autre? 11 appartient a Radcliffe-Brown de Jeler les prémlsses d'une approche nouvelle (1924). 11 remarque que la relallon·entre l'oncle matemel et son neveu recouvre deux systemes d'attitudes antithétiques. Dans un cas elle est faite d' autorité et de soumission, dans l'autre de familiarilé et de camaraderie. Mieux, on trouve le mame type d' opposilions dans la relation entre le pere et le fils, mais fonctionnant a l'inverse de la précédente: lorsque la relation oncle/neveu est autoritaire, celle entre le pere el le fils est familiere et vice versa.

Radcliffe-Brown assoeie chaque couple antithétique selon le terme porteur de I'autorité (l'oncle ou le pere) av~ la filiatio.n matrilinéaire ou patrilinéaire. Par la, il manque, bien que LévI­Strauss lui rende hornmage, une explication d'une .autre oature: «La relation avunculaire n'est pas une relation a deux, mais A quatre termes: eUe suppose un frere, une sceur, un heau-frere et un neveu. Une interprélation comme ceUe de Radehffe-Brown isole arbitrairement certains éléments d'uDe structure globale, el qui doit 8tre saisie eomme telle» (p. 50).

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L'inleJ/igence 'du social

Or I'observation ainsi orientée révele deux autres relations • prendre en compte, entre mari et fernme et entre, frere et sc.eur. Aux nes Trobriand ou pere et fils sont dans une relation de complicité, et aneje et neveu dans une relation d' autorité, « mari et femme vivent dans une atmosphere d'intimité tendre »t alors qu'A I'inverse de sévMes tabousfrappent les rapports entre freres et sreurs. Les Tcherkesses du Caucase presentent la Structure radicalement inverse de la précédente: autorité entre le pere el le fils, tabou entre le Mari et la femme, familiarité entre l' ancle maternel et le neveu, intimité entre le frere et la sreur. La différence tient-elle au fait que les premiers sont matrilinéaires et les seconds patrilinéaires ? Non puisqu' on trouve une structure identique • celle des Trobriandais (matrilinéaires), chez les polyné­siens de Tonga (patrilinéaires). Bien plus les associalions deux A deo>< entre relaliona peuvent 8tre inversées: chez les Siuai de BougainviJIe, les rappons sont amicaux et familiers entre .pere et fUs, et trere et same. tendus et rigides entre oneJe et neveu el Mari et femme.

La conclusion de Levi-Strauss est double : a / On a affaire A des relations qui ne dépendent pas de tel

ou tel mode de filialion et dont la caractéristique essentielJe est de faire systeme.Cene situalion est schémalisée dans le texte (p. 54) par un tahleau ou le + symbolise une relalion famiJiere et libre et le - une reJalion autoritaire ou rigide (voir p. suivante) :

b / Nous voyons donc que I'avunculat, pour 8tre compris, doit 8tre Iraité comme une relalion intérieurea un systi\me, et que c'est le systeme lui·m8me qui doit atre considéré dans son ensemble, pour en apercevoir la -structure.Celte structure repose elle-meme sur quatre termes (frere, "",ur. pere, fils) unis .entre eux par deux couples d'oppositions cOrrélatives, el tels que. dans chacune des deux générations en cause, il existe toujoues une celation positive et une relation négative. Qu'est-ce. maintenant que cette structure et qu' elle peut atre sa, raison ? La réponse est simple: celte structure est la Slructure de parenté la plus simple qu'on puisse concevoie et qui puisse exister. e'est, a proprement parler« I'élément de parenté» (p. 56).

Cette conclusion est A deux niveaux: une celatian pour étre comprise doit aire ramenée au systeme qui la génere. La structure du systeme est une combinatoire de relations ,entre éléments constitutif's du systeme.

+ 6= O,...' --'¿

+"\. 6

Trobri8nd.~ matrilin.

+

Sluai.- matrilin.

+

Tcherkesses.· patrilin.

+

Tonga.-palrllln.

, 6=0

+\ t:.

+

Lec KUlubu ... patrllin.

En termes de scheme d'intelligibilité I'explicatioo du phéoome­ne B se fait non pas en référenee a un facteur. exténeur ou antérieur, qui serait sa cause (survivance du matn~rcat) ou sa base (le mode de filiarlon), mais p~ l~ mi~ en éVldence de sa

t -' c'est-a-dire de relations slgmficatIves entre éléments. struc ure, l' anal se matX.lenne Cette opération n' est pas sans rapport avec Y. I d s formes' 00 saisit lA également des rapports mternes et e f~'t que la d;meosion diachronique I'emporte sur I'aspecpécti.n~:r;­ni ue peut sembler secondaire. Qu' elle est done la s . I IC. ~ ~e a I'reuvre? Elle tient dans la nature de la relatlon retenu

~~urr:alyser une ~tructure: a la eontradiction diaJectique (a & non

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34 L' infelligence du social

a), le scMme Structural substitue la disjonction : soit a, soit non a, que nous fonnahserons par a V nOn a

Sir 11 est .usé. de reprendre de ce point de ~ue l'analyse, et Lévi-auss y InVIte en fonnalisant les relations au mo d .

+ (familiarité, intimité) et - (autorité, réserve, éti~~~tte~S sIgnes

(O;'~ La relation entre I'oncle et le neveu (OIN) est soit +

pere et' l:o~l~ (i?;;)~/~: !~ ~eme maniere, la relation entre le

2 ICes deux relations font syst'me de la < 'C la~on suivante:

(1) (OIN)+ & (P/F)- V (OIN)- & (P/F)+

3 10: trouve une sitU¡llion identique dans les relations entre man el pouse (M/E) et entre frere el S<Eur (FrIS) : (2) (M/E)+ & (FrIS)- V (M/E)- & (FrIS)+ .

4/ Naus avons 8insi quatre relations en opposition deux a deux; appelons les RI, non RI (formul~ 1) et R2 R2 (formule 2) D' . , non

.. . un pomt de vue strictement combinatoire ces assoclalIons définissent quatre figures possibles :

RI & R2 V RI & non R2 V non RI & R2 V non RI & non R2

ne ~~e;a~a ;~~reo~~;:::;lIe u de ce systeme d' oppositi~ns binaires, les élém ts q e la réahté ne quahfie Jarnais tous langue ~ntir el toutes les relations possibles: de m,eme qu 'une

n u lse comme phonemes qu 'un nombre restreint de SOns

~n ::~~:::: :!tua7t:t:~ ret~ent qu'un ~o~bre restreint d'éléments : h . es e parenté a 1 <Euvre dans les sociétés ~ ruques, ne sélectionne par exemple ni la relatían mere/enfant

~!i!~;;;~:~~~égr:n~s-parents/petits enfants. Cependant le seheme compte d' hé' . reuvre est assez clair: ji consiste a rendrc

un p nomene en l'insérant dans e

:~:~t~~~~n~:~~ie rar la combinaloire des o:':it~~n~~o:~:I~: Imp es ou composés la constiluanl La .

de ces opposilions esl donnée par la formule a V n~n matr~~e ~~ ~~:~:~=!t~i;:'SSi bien du systeme le plus com~e~?~u:

Arret V libre passage Rouge V Vert aVnona

":vpologie des seh'mes d' intelligibililé

Nous pouvons done rendre compte de ce scbeme au moyeo de la formule su'ivante:

A p B = B E S {a V non a} L'explicatioo de B par A consiste a insérer (E) B dans un

systeme (S) d'opposilions formelles.

Edgar Morin el la rumeur d' Orléans

« En mai 1969 oalt, se répand et se déploie a Orléans le bruit yu'un, puis deux, puis six magasins d'habillement féminin du centre de la ville organisent la traite des BIanches. Les jeunes filies sont droguées par piqíire daos les salons d'essayage, puis déposées dans les caves, d'ou elles sont évacuées de nuít vers des lieux de prostitution exotique. Les magasins incriminés sont tenus par des eomme~ants juifs. »9

L'enquete effectuée moins de deux mois apres est justement célebre. Rompant avec les eanons de l'enquéte standard. menée par une équípe moins soucieuse d'appliquer des protocoles que d'entrer en résQnance avec les choses, elle se présentait eornme le manifeste brillant d' une «soeiologie du présent». A la these initiale d'un complot antisémite elle subslituait celle d'uo mythe polymorphe, unissant dans une rationalité délirante des représenta­lions culturelles de valence et de niveau différents. «Des le déparl ce mythe fait eommuniquer les tanieres de l' Arkhé, O" regnent iI l'étal élél)1entaire le désir et I'aogoisse, avec la robe, la mini-jupe, la vitrine des magasins, c'est-a-dire avee la trivialité empiriqu.~ de l'univers de la jeune filie, el plus largement de chacun el de tous» (p. 65).

L'obje't a étudier est done une rumeur, c'est-a-dire un rédt constarnment e!1riehi, qui se répand, circule de bouche a oreille, éclatc en oouffées agressives et disparait aussi soudainement qu 'iI est venu. Cornme tel iI peut 8tre appréhendé de divers points de vue. La Ihese du complot, qui accompagnera rapidement le mythe (c'e'st un complot fascis'te antisémite. e'est un complot communiste pour fitire aeeuser l' extreme droite) est spontanément aclancielle. Elle ram~ne le phénomene ill'inteolÍonnalité de catégories détermi­nées d' acteurs et le constitue comme une manreuvre. Prise au sérieux elle demanderait • I'analyste de resituer les faits dans une stratégie en l'occurrence politiqueo Rompre avee cette interpré-

9. Edgar Morin. La rumellr d'Or/éans, Paris. Seuil. 1969, rééd. «Points ».

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36 L' intel/igence du social

lalion e'est reehercher ailleurs « la cause cachée ». Une démarche durkheímienne pourrai't voir dans la rumeur une manifestation anomique el en rechercher la cause structurelle.

L'approche et I'analyse menée par Edgar Morin sont différen­tes. Elles prennent pour objet d'étude systématique la constellation de sens constitutive de la rumeur ; celle-ci est saisie non seulement co~me un ense~ble de représentations. comme un tableau imagi­naIre de la réabté, mais comme un complexe émotionnel une assoc~at~on intime el ramifiante de sens el d' affects. La rdmeur est 8mSl appréhendée 8U plus profond non seulement <lans S8 force de repré~ntation. mais aussí el peut-etre surtout sans' S8 puissance de conviction et de rationalisation: elle est 'croyance partagée que le d~ni de la réalité ne fait que renforcer. Elle est mythe el fantasme.

Cetle espece de luxuriance représentationnelle et affective, cetle ~~rmination pluridimensionnelle del'objet, cette association du fUglllf et du récurrent, du cri.talli~ et du fugaee éehappent tout autant a une approche structuraliste. Quel scheme est done A I'~uvre dans l'approche? Une analyse .eonerete permet de le salSlr.

Le' salon d'essayage est au coeur de la rumeur. e'est en allant acheter des vetements dans les magasins de eonfeetion du centre que, au ~om~nt de l' essayage, des jeunes filies auraient disparu. PourquOl ce heu est-il ainsi investí ? esl~ce du fait de sa fonction technique d'isolement? n'est-ee pas pluWt paree qu'il concentre des significations fortes?

Líeu clos ~t semi-ouvert a la fois, 00 I'érotisme du déshabillage se he a~x .déslfs ele: sé~uctjo~ du paraitre, oLi le rideau protecleur et .le mlrOlr offert mVllent aux, ambigu·ités du voir el du laisser­V?lr, banal el insolite, fonctionnel el magique... «Le salon d essayage est A la fois le lieu érogene ou la jeune filie se ~~forme, en sou~ce de ~duction et en objet de désir, le lieu 0~1flque ou la nudlté du eorps et ses métamorphoses font naitre mllle fantasmes, le lieu de la lentation OU le désir tournoie» (p .. 45). CeUe ambiv.alenee le constitue en lieu double, ou le l~~lte du déshabillage ouvre sur l'illicite de l'érotisme urbain, l lnnocence de l' achat sur la perversité de la' vente: il est «le no-man's land mystérieux et fanta.tique qui sépare l'aete de se déshablller et de se rendre désirable et l' acte de se prostituer» (p. 46).

Typologie des schemes d' intel/igibilité 57

Ainsi investi de représentations fantasmatiques, chargé d'atten­tes et d'angoisses sourdes. le salon d'essayage retrouve les mythes origine1s el reactive les représentations ~cha'iques ~e l'ambiv~ence féminine. de la vierge el de la prostItuée. Mals celles-~l sont assoeiées, arnalgamées a la thématique modeme de la traIte des blanches, aux détails de ses lieux, de ses trafies, de ses procédé., amplement déerits par la presse a sensarion, en «un mélange étonnanl et détonnant de réel et d'imaginaire» (p. 47). «C'esl en s'appuyant sur ces deux piliers de réalité qu~ le fanlas~e peut secréter de fayon hystérique sa propre réahté et devemr mythe ( ... ) e'esl-a-dire un réeit imaginaire, orgamsé et eohérent selon une logique psycho-affecrive, qui prétend se fonder en réalité el en vérité» (p. 48, 49).

Le salon d'essayage. de meme que les autres élémenls de la rumeur, les bonbons drogués, les soutelTains. les cornmeryants juifs ... sont aiosi des significarions que le sociologue appréhende, mutatis mutandis, dans le meme esprit que le psychanalyste les récils de ses palient •. lis ne sont pas des représentations du réel, mOOs des expressions d'affects sous-jacents. lis ne sont pas les éléments d'une strueture, mais des entités partiellement autonomes, dotées d'une épaisseur symbolique propre, et susceptibles de rentrer en résonance sous la poussée d'une émotion forte.

Si le lien avec la psyehanalyse esl iei évident, il faut aller au-delll afm de saisir le seheme a l'reuvre. Celui-ci instaure entre A el B une relation de signification symbolique, telle que B puisse érre sOOsi eomme l' expression de A. En denüere analyse la rumeur d'Orléans exprime el mamfeste un mconSClent coUecttf. Que l'élément A soit ainsi qualifié en référence a uoe Ihéorie partieuliere du sens (la psychanalyse) est seeond par rapport au scheme. Celui-ci postule uniquement que le phénomene A étudler est sens, el que son explication réside dans la mise en évidence de ce sens. Ceei implique néanmoins que soit établi le \ien interne unissant A el B, afin que soienl évitées les interprétations hasardeuses. Le seheme du sens requiert une herméneutique, et ne peut se satisfOOre de l'usage facile. du terme d'expression. On peut ainsi eonsidérer que le rapport IOteme étabh e~tre A et B est du type de eelui unissant le sigrtifiant au Slgnlfi~. dans la théorie du signe. Nous le fonnaliserons de la fayoo S,/Ivante :

ApB~BeS g}

Page 29: Libro de Berthelot francés

L' intelligence du social

B O" A est construit sur le modele d'analyse du signe de

Saussure 1o•

PRINCIPES D'UNE TYPOLOOIE

Naus al~ons . d?~c. mis en évidence un cenain nombre de schemes d mtelhglbIlné. La détermination du \ien établi d chaque cas entre les éléments génériques A et B montre as::i que. ch!,,!ue scheme présente une spécificité logique irréductible. Ceel n exc1ut paso nous le verrons vite, les interférences et les dérapag~s. Le formalisme dont nous usons récere iI une approche Idéaltyplque semblable a celle que met en reuvre Max Webe dans l'analyse des détenninants de l'action ll • Dans une teH; analyse le modele rationnel, dépouillé de toute signification métaph~slque, pe~et de rendre Compte a la fois de la spécificité des loglques étudlées et des modalités de leurs combi . concretes'. nalsons

.. Au fiI des analyses nous avons décrit cinq schemes d'intelligi­blhté et en ~vons évoqué un sixieme, Je scheme fonctionne! (p. 2\). Cette hste esl-elle exhaustive? rien ne permet de I'aff' d p" "1 I lrmer

nOrl, mal8 1 n esl pas irraisonnable d'en faire J'hypothe N~us use~ns, en J' affaire de trois types de présupposés, disCiP~~~ n81res, Joglque8, analytiques:

I/Us"'!t d'une these chere A l'ethnométhodologie, nous dirons que Jorsqu un auteur ou une école éprouvent le besoin d'une

10. Nous reprenons la formule suggérée F rd' Cours de Iinguistique gén~,.ale 1915 6d Par.~ e I~~ de Saussure dans le notamment par Roland Barthe~ in «'E16n IS, ayot,. .' p. 99, et commentée Paris, 1964., CeUe formule souli ne 1" t e:;:s de sémlologle », Commllnic:ations, d'un signe en usant de « noms qui ~'appe~~e~t Itpenda~ce des 61éments cOllSrilutifs Telle quelle, elJe eSI U5eZ génúa]e po es uns. e::utres tout en s'opposant)lo. signes, 8Ssocites .. deux 'roch l' ur l'CCO!"v.rtr ux grandes catégories de e!1tre le signifiant et le s7:ifJé :1 ca~~7::c:t ~Is~~n:,::s 8.: les si.gm:,s Ol! .Ia I~lation dlre a une Ihéorie de syslemeB de s· ·fi. ' une sérnlologle, e est-a­signes OH la rclation entre le si nifia~~~~ lcatl~:m .conlfus comm~ des codes; les el ouvre sur la J'Cnsk Symboli:ue Dan lle s'8m.fi~ eSI analo.8 Ique. monstrative. d'intelligibililé est le, sch~me struct~nll ~ e relIller ~as (sémlOlogte), le scheme Sur cette distinction c1assi on' • ans e ~con le scherne herméneutique. de Gilbert Durand, L' imQgi~~o" ,).;~:~:q~~ ~~u~ ~vec proflt la perite étude 1984. . ' ,arts, PUF, rééd. «Quadrige »,

11. Ecollomie el SOCMlé, op. cit. p.22-23.

Typologie des schemes d' intelligibilité S9

auto-dénomination qui ne récere ni ¡, l' objet, ni /t une théorie, ni a une mélhode particulii,re, mais qui désigne plulÓl une démarche générale, une approche, une posture d'esprit, nous avon. affaire a une expression détenninée du niveau que nous visons : individua~ lisme méthodologíque, structuralisme, fonctionnalisme, analyse de systeme, interactíonnisme symbolique, actionnalisme, dialectique ... Les termes utilisés, cependant, et les arguments avancés sont solidaires de traditions théoriques spécifiques et de représentations de la discipline et de ses conflits occultanl souvent leurréalité logique. Ils ont tendance égalemenl a proliférer et A interférer avec d'autres de niveau proche: objectivisme, subjectivisme, positivisme, holisme, atomisme ... lis ne peuvent done Stte tenus, le plus souvent, que peur une expression défonnée el partiale. Certains auteurs, par contre, ont a divers moments esquissé soit partiellement, soit dans une intention plus systématique, des analyses et des recensemenls: Durkheim et Weber étaient de ceux-IA, maís également Merton, Lazarsfeld, Boudon, etc. Plus récemment un petit ouvrage de Jacques Hennan tentait de dresser le tableau des «paradigmes de la sociologie»". Il Y a done la un acquís.

2 / La prolifération des dénominations est une chose assez fréquente daos le champ de la connaíssance. En ce domaine nous sornmes partisans du principe d'économie de pensée, connu dans la tradition logique sous le oom de «rasoir d'Occam »13: il est inutile de multiplier les entités; il faut se débarasser des entités superflues. Appliqué a notre objet iI signifie que les schemes d'intelligibilité doivent pouvoir se ramener, autant que faire se peut, a un nombre relativement restreint. Cela pose un problerne d' identificatíon el de discrimination: il faut un outil logique susceptible de distinguer ce qui est différent et de rassembler ce qui est picoche, meme si Jes parentés ainsi révélées choquenl des convictions théoriques ou méthodologiques bien ancrées.

12. Jacques Herman, Les longages de la sociologie, Paris. PUF, 1983. 13. Du nom de GuiUaume d'Occam (ou d'Ockham) ~lebre représentimt du

nominalisme au xlv·sikle. L'appel renouvelé au principe d'Occam est I'un des traits de la philosophie 199ique du début du siecle : on le trouve aussi bien chez Bertrand Russel, par exemple dans LA philosophie de I'atomi.sme logique, 1918, trad. in Ecrits de logique philosophique, Paris. PUF, 1989, que chez un membre du Cercle de, Vienne cornme Hans Hahn, qui intitule une de ses conf6rences, en 1929,« Éntités superflues (le rasoir d'Occam)>> (trad. in Antonia Soulez. Manifeste du Cuele de Vienne el auu·es kl"its, Paris, PUF, 1985).

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60 L' inte/ligence du social

L'entreprise de fonnalisation légere a laquelle nous nous astrei­gnons depuis le débul trouve la sa raison.

3 / Dans la perspeelive analytique. ainsi esquissée il faul enfin un prineipe de rattachement, a un meme scheme, des procédures diverses el variées que recensent les ouvrages de méthodologie, sous peine de voir celles-ci s' autonomiser en autant d' approches spécifiques et de contredire au principe d'économie. Nous userons done de la tenninologie suivante. Un sebeme d'inteUigibililé peut . se dtcomposer en trois éléments :

a I Un nayau logjque" c'est-a-dire une fonnule reetrice de type A p B. se constituant eomme intelligence. sens, raison. explication de multiples relations empiriques de type x ,. y (ou x et y sont des élémenlS empiriques rattachables respeetivemenl a A et B et r leurs relations).

b I Une forme logjque, c'esl-A-dire une relation d'intelligibililé fondamentale diffusant a travers l' ensemble des éléments qui lui sont présent6s.lI s'agit de ce que nous symbolisons par p. Cette relation doit atre distinguée de la fonnule ou eUe se réalise (A p B), dans la mesureou eUe peut induire une délennination particuliere de A el de B, el au,delil, des élémenlS empiriques x,y, leur correspondan!. En un mol un meme sebeme d'inlelligibi­lité ne s'applique pas indifféremmenl iI 10Ul Iype de eoncepts ou de données : il y a des relations de compalibililé et d 'ineompatibilité relatives qui pennettenl d'ailleurs d'opérer des discriminations plus fines et de repérer les erreurs eommises A ce niveau par certaines analyses.

e / Un programme, e'esl-a-dire une mise en reuvre de la fonne logique it travers de. procédures el des lechniques particulieres. Ce programme, d'un poinl de vue générique se réalise par la production, apres lout le délour du faire scienlifique, de proposi­tions de Iype A P B et x ,. y. Mais, et lil esl I'essentiel, il donne lieu a des sous-prograrnmes, sauvent partieIlement indépendants. qui sont en fait la mise en ccuvre dans un domaine donné de procédures partieulieres générant ce que l' on appelera une appro­che, un point de vue, une méthode; e'est a ce niveau, el du fail que le Iravail scientifique le rend tres évolutif que se crée !'inflation des désignations et des spécifications. Notre Ihese est que ce qui se désigne ainsi par une multiplicité anarchique des appeUations peUI Stre ramené, du point de vue de I 'inteUigibilité, a un nombre restreint de sehemes.

Typologie des sehemes d' jnte/ligibilité 61

Ceux-ci peuvent etre présentés de fa~on org.anisée ce qui . it nf I'hypothe.e d'une liste exhausuve. Le scheme

contTllbUel

lree

s~~':.e fonetionnelsemblent ainsi privilégier la causa e . - ),. . d 'une sérle de dé endance de l'élémenl A expbquer VIS-A-VIS •

fa~teurs objeetifs pouvant conslituer un systerne maténel. Le

h'me structural el le sch~me du sens. que noUS appelerons p~

se e _ mun de eonceVOlr rnrnodité scheme hennéneuttque, ont en com . daos I

e,o r ndum eomme une signification; ceUe-C! rétere . e I exp .'ca 'de relalions fonnelles eonstituont un premler eas 11 un syst"me hée dan le code. (modele sémiologique) , alors qu'eUe ~st rattac '. . ~ second, a un noyau de représentations tutélaues ou orgamsatnces

tive symbolique)". . . (pers~n, le scheme actaneiel et le scherne dlalecuque onl e~ Commun de concevoir l' explication comme résultant d~ la CO~poSl

, pé . t ar agrégaUon SOIl par lion d'éléments divers, s o rant SOl p. té f­insertion dans un sysreme de forces antagonlques. Cette sys ma I

que peut etre présent6e ains! : causale

sehernes de dépendance (structures)

fonctionnelle

sémioJogique (sens)

sch~mes de signification symbolique

agrégative (proce,)

schemes de composition dialectique

. t· ns deux A deux apparáissent ainsi possibles Des aSSOC13 10 . d réel· comme

.. péctive eommune de qualificatlOn u . .. seIon une pers comme proces (ou pour utiliser un concept struclures comme sens, . a

l' t orome histoire) Cene qualification consiste user. plus par an , c é h· de Wittgenstein, d 'un maillage pour reprendre la m tap ore conséquent dans la différent dans l'approche du réel, et par . détennination de l'objet.

10) les points de convergence (théorie 14_ Naus avons soulign~ plus haut (no~ ¡re du si ne/prégnance de la pens6e

générale du signe) et de dlvergenc~ (arb~ peut av~ir un bon ape~u ~ ces symoolique) de ces deux perspecuve:. les approches s6miolOliques clasSlquoa diff&ences en conf~ntant pa~licl~m~ e une approche herméneutique: cf. Anne auxquelles d~ne ItdCU ,la P'!.'idté figures du monde. Paris. puF, 1987_ Sauvageot, Figures e a pUVl •

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62 L' intelligence du social

Nous allons, sur celle base, procéder 11 une description du développement des schemes souo forme de programmes et de sous~programmes. L 'idée directrice est que la caractéristique fondamentale des schemes est la nature logique des opérations de pe~ qu'ils commandent et que celles-ci se trouvent précisé­ment In concreto daos les diverses procédures dont use la sociologie.' Une remarque liminaire s'impose done ici afin de p~venir d' éventuels contre sens sur les développements qui vont SUlvre. Nous avons distingué trois oiveaux de saisie des schemes : Ieur noyau, leur fonne Jogique..- leurs programmes el SOUS~ programmes. Ces demiers. que nous désignerons par commodité du terme générique de programmes, désignent les modes de mise en amvre pratique des schemes. lIs renvoient done A ce que seloo les tenninologies. on entend par les approches. les point~ de vue, les méthodes. les modes d'analyse, voire les' paradigmes. Or nous avons souligné la difficulté d'utiliser telle ou relle c1assification associée le plus ~ouvent A un contexte de produetion extérieur ii la prise en compte de schemes d'intelligibilité. Nous procéderonsdonc de maniere analytique: nous tenterons ici de mettre en évidence la filiation logique existant entre les schemes ~pérés et des ,approches Connues pouvant leur etre référées a \ttre de programme, c'est-lI-dire de développement pratique de leur noyau logique. Nous De chercherons ni a étre exhaustifs, ni 11 ren~re c~mpte de la multiplicité des nuances, ni 11 rentrer dans ?es di8~~sl~ns ,de f~~tiere. de territoire ou de patemité. Ce qui l~porte ICl c eal la SaJSle des schemes comme principe d' infelligibi­IlIé des opérations d' analys. concrete ti l' l1?uvre dans la connais­sanee du social. Les modalités et les problemes de cette articulation seront l' objet du prochairi chapitre.

SCHEMES flT PROORAMMES

Le scheme causal : (A p B) ~ (B ~f(A))

,Ce scheme nous est le plus familier. Nous exprimons sa fonue loglq~e par le sy~hole mathématique de la fonction ([J. La fonetlOn mathématIque est ici essentieJIement un paradigme ou

Typologie des schemes d' intelligibilité 63

un cas limite. Elle signifie que B dépend de A selon une relation telle que, dans I'absolu, c'est-ii-<lire dans une situation oi) A serait la cause unique de B, 1'00 oe puisse avoir B sans A et qu'a toute variation de A corresponde une variation de B (implication réciproque). Il s'en suit que A et B sont distinctl soit récllement (objets ou réalités différentes), soit analytiquement (niveaux différents d'une réalité globale) et que l'élément Aest cooyu cornme étant nécessairement antérieur chronologiquement ou logiquement 11 I'élément B. Cette forme se manifeste dan. les sciences sociales par deux prograrnmes de hase donnant lieu chacun ti. des ramifications méthodologiques variées.

Nous avons rencontré le programme nomothétique dans I'extrait du Suicide analysé précédemment. Il vise, 11 travers la décomposition des phénomenes en variables, ii élahorer un modele de relations de dépendances causales selon l'idéal type y ~ J(x). Ce prograrnme joue un róle prépondérant en économétrie, en démographie, en épidémiologie, en psychologie sociale... En sociologie oi) les variables métriques sont peu nombreuses et oi) il est tres rare de oe considérer qu'un nombre limité de facteurs, I'application de la formule type requiert des méthodes statistiques particuli~res, dont la puissance descriptive rend souvent délicate I 'interprétation des relations mises en évidence, Certaines méthodes d'analyse multivariée fournissent des typologies dont l'intelligibi~ lité peut etre recherchée ailleurs que dans un modele causal". Cette relative neutralité ou ambigulté d'un certaín nombre de méthodes de traitement des données est un phénomene remarquable sur lequel nous reviendrons plus baso Tel quel il montre tres clairement la spécificité logique el cognitive de l'explicarion qui ne peut jamais se ramener au simple déploiement d'uoe méthode, a lortiori d'une technique, de travail des données.

La caractéristique fondamentale du programme nomolhétique est de ramener le phénomene étudié ii un modele de relations mathématiques. Causal dans son inspiration initiale el ses formes dominantes, ce prograrnme lui-meme peut dériver a la marge, vers ces zones d 'interférences que nous évoquions plus, haut. L'apparition de Ihéories malhématiques formalisant d'autres rela­tions. telles des décisions envisagées non plus seulement du poiOl

15, Philippc Cibois. dans une recension critique. «Analyse des donn6es ~t socioloaie')Io. L'Annü sociologique, vol 31,,1981, dilltingue ~s mithodes d~r.khel- • miennes (path analysis el régn:ssion) el des mithodes « wé~nenne5 ID> (m .. llld"".,,~ sioRal scaling el analyse des correspondances). ti

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64 L' intelligence du social ,

de vue de leura effets aléatoires mais de leur logique propre, a ouvert ainsi un espace intermédiaire entre le sch~me causal el le scheme actanciel. instituant parfais entre eux des relations de complémentarité l6•

Le second prograrnme esl celui de la causalité strueturel/e. n n' esl pas, comme le précédent, a l' origine de méthodes el de techniques ramifiées. IJ constitue plutOI une sorte de sous-scheme si l'on nous autorise cette appellation barbare, daos la -mesu~ . ou il définit davantage une ligoe générale d'interprétation . que de. procédures opératoires spécifiques. II peut ctre ramené a l'idée suivante :un systeme B est sous la dépendance d'un .ysteme A, antérieur it lui, ou, le plus souvent, plus fondamental que lui : (SI -> S2) = (S2 =j{SI)). Si l'on en retire la visée dialectique le rapport entre, infrastructure el superstructure de la théorie marxiste repris d' ¡tilleura "ouvenl dans les diverses vulgates comme rappo~ entre systeme économique et systeme politique, est exemplaire de ce programme. Sur le plan opératoire, la détermination de l'objet non plus comme variable, mais comme "ysteme tend I¡

nrer yera une zone d'interférences avec des schemes d'analyse ~ systemes. La correspondance structurale entre systemes sera am~l la preuve d'une relation de détennination, que l'antériorité logtque de l'un sur l'autre permettra de définir comme causale Mis a pan de;s cas ressortissant d'une problématique organisation~ nelle ou historique,ou un systeme amont A génere un sy.terne aval B (c'était partiellement le cas de l'élhique protestante el de l'esprit du capitalisme) ce scheme est donc de type vertical. 11 ten~. a chereher, derriere une construction sociale B (systerne ~lmque, systeme de parenté, idéologie, systeme de représenta­non •... ) le "ysteme A qui le fonde et dOn! B est l'effe! ou le « reflet ». Ce prograrnme occupe par U\ meme une place importante dans l'explication sociologique et dans les débats idéologiques qu'elle a pu susciter. 11 peut user d'une part des procédures d' analyse liées aux autres schemes daos la saisie d' ensembles or~anis~s (les systemes) el échapper ainsi au principal reproche fal! it I analyse nomothétique, la tendance a l'atomisme, c'est-a­dlre a la dissolution d'ensemble. complexes en variables indépen­dantes. Il peut par ailleurs, lorsqu'¡¡ prend comme objets d'étude

.l~. Cf. infra, (P: 111). I'app~ication du scheme aetandel A la relalion «le p~sltionnement scoJ8.1t'e est fonclJOn du positionncment social» tiré du model

Cmls. en place par Rayrnond Boudon. in L'inégalill des chance; Paris Armftn~ ~~In~ . .

Typologie des schemes d' intelligibilité

des systemes de représentations, des idéologie~, des couranlS de pensée ou d' expression. en proposer une exphcatlon altematIve a l' approche herméneutique associée au scheme du sens. Nou" appréhendons ainsi - et il faudra y revenir - que n~n seulement existent des zones d'interférences entre schemes, m81S également des possibilités d'articulation, de constructions ~xplicatives com~ plexes. placées sous l'autorité d'un scheme cons~ltué al~rs comme nonne. Peut-atre tenons-nous. dans ce méC8IllSme d une part, dans les implications philosophiques, idéologiques et politiques des schemes structurels et herméneutiques d'autre part, l'une des clés du dualisme évoqué dans le premier chapitre l7

Le schéme fonetionnel : (A p Bi = (B E S, S --> B --> Si

La fonne logique symbolisée par la relation circulaire (S ~ B -t S) est celle de l'action reciproque; dans la mesure ou elle s'applique I¡ un rapport entre un systeme S et un élément de ce systeme B elle désigoe une détermination fonctionne/le : les exigences de fonctionnement de S nécessltent que B remphsse une fonction utile it S. La pertinence de ce scheme pour l'analyse d'une réalité donnée va résider dans la possibilité de montrer que B engendre des effets qui sont tel8 que s'ils cessent, le fonctionnement de S soit perturbé: dans un moteur a essence comme dans un organisme la pompe a essence ou le coeur oot pour tiche d' alimenter en énergie le systeme; si l' effet cesse, le systeme s' arrete. On peut alora rendre légitimem~nt comp~ de B par la nécessité fonctionnelle de ses effets. En SClences sociales

17 AppliQué II la soci~té comme ensemble organist le programme de .la causatité structurel1e est tres banal en sociologie, e.n ethnologi~. en 8éograph~: en hi¡o;toire ... JI correspond II une vision architectomque du socud pr&ente aussl bien chez Marx que chez Durkhein:" .et. dont on retrouve. souvent la trace ~~ le mode d'e)l;po~ition des trovaux hlstonQues 0l! ethnologlques., La ~use est ICI fondcment. base, fondation, infrastructure. Apphqué A des téalltés slgniflan~ -idéolOgies, productions esth6tiqucs, discours - et B leurs ~16ments - .re~senta~lOn8, idées. valeurs -. ce programme tc~pe. d'sutant ~oins aux conflUs Idéolog~ques el philosophiques qu'n leur es! hlston~uement li~. Rame~r les sYS~me& de représentations aux ~alités sociales QUI les fondent et qu elle~ ~xpnmenl est l'ambition, d'une approche qui se quaJifim:a souvent de 4( m~6na1.lSte)l> el sera ais6ment taxée de « réductionnisme » par ses détracteurs_ ~ d es~ mtéres.~t de nOler id II nouveau que les pol~miques, organl,sées selon la d~chotomle ~at6nahsme~ idéalisme, gomment la pluralil~ des modes d analyse effectIv~ment mis en ceu~re . le renouvellemenl de la critique interne des oeuvres sous l'~glde d~ s~turabsme en est un bon exemple. puilKlue les uns le t8xerent de nouvel Idtabsme el les autres de nouveau positivisme ...

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66 L' intel/igence du social

on mo~trera par exemple qu'une institution partieuliere (l'école, le manage, le service militaire, le «bizutage » .•• ) remplit une fonction déterminée par rapport a un systeme défmi S. Par la ce sehéme induit un rapport de la partie au tout entre /' explicandum et /' explicans - A est le .plus souvent considéré eomme un systeme doté d'une organisation déterminée (S) et B comme un de ses éléments - et une logique circulaireentre les deux: A génere B pour que ses effets maintiennent A selon le principe connu de I 'homéostasie.

Le programme induit par le scheme fonctionneJ est comme ceux assaciés au. scheme causal un des programmes originaires des SClences socIales. 1I appréhende tres vite la société comme un tout ~mparable ~ar certains cotés a un organisme1a, Depuis la révolutlOn cybernéllque et soos I 'influence de la théorie générale des systemes" il a donné lieu ¡¡ un développement nouveau autorisant la distinction de deux progammes fondamentaux.

L' analyse. fonctionnelle est le plus ancien. Elle consiste la sociéll! étant identifiée comme le tout, ·11 repérer a partir de I~urs effets utiles la fonction de ses divers éléments. Critiqué rapidement ~ ses· ~ves organicistes qui équivalaient a plaquer Sur des réal,tés socIales des fonctions d'ordre biologique, ce programme a tendu dans un pre~e.r temps a rechercher la fonetion remplie par telle OU lelle mstitullon.Les sociétés archalques lui foumirent alors un. ten;?n ~ prédilection: d' une part il y étail beaucoup plus facile d ldennfier concrelement et de maitriser eoneeptuelle. ment le toul de référenee; d'autre part cessociétés présentaient des mamfestations ou des institutions «bizarres» ou «barba­res,., trop longtemps référées A des explieations artifieielles ou ethnocentriques. M?ntre~. qu'elles remplissaient une fonetíon par rapport au tout éqUlvalalldone a les inserire dans une rationalité nouvelle qu 'il était tentant de systématiser. Le fonctionalisme de Bronislaw Malinowski décrivant la société comme un systeme

a 18" La .sociol~,ic naissante ~ conn~ de fortes manifestations de ce qu'on ppel81t «1 ~IC~'~ ». La socl6té 6talt considérée comme un organisme dont

lea 6~ments. rem,pbssaJent, mutatis mUlandis. les m!mes fonctioDa que dans un ~~a¡18me blOlo~ue_ L'organicisme s'exprima notarnment daos la Rel'ue interna­. fl:c: de SoclOlogie de: Ren6 WOl1l18. Jusqu'au tournanf du siecle Ol! un ::n8ue!~=t l~ sensl~. vcrs une sociologie plus rigoureuse app~tt, de s . - DI .ont aulSl consacrée. (p.e. P. de LiUenfeJd .. La ptlthologie ociale », 1894, 1~9S: M. J. Novicow te La ~e organique des'SOCiét~» 1898)

p ,19'DCf. LudWig van 8crtalanffy, Thlorie slnlrale des syslemes 1968 trad'

Sansl~' unod·odl~7/3. Pou~ une introduction plus recente voir Bem~rd W~lJiser' y ~mes el m t< es, Pans, Le Seuil, 1977. •

Typologie des schemes d'intel/igibilité 67

de besoins définissanl des fonetions pour les satisfaire el dOI institutions pour les remplir. est une manifestat~on de la reificatlon d'un scheme, c'est-a-dire de la transfonnauon de son noyau logique en propriété du réel, ou, pour filer la métaphore, de la confusion du filet et de la nature des choses20

• Nous avons no~ plus haut une dérive similaire de l'approche diale~tique.

Cependant, meme ainsi doublée d'une métaphyslque conle~ta. ble I'analyse fonctionnelle pouvait développer sa féc~ndtlé exphea· tive. Aussi peu satifaisante qu' elle soit, la fihauon besom -fonction - institution rend possible la comparaison et invite pour une fonetion identifiée 11 rechercher au sein de divers systemes Al A2 A3 les institutions BI, B2, B3 la remplissant. Ces de";'iere~ peu~ent atre empiriquement tres diffé~ntes et vont ainsi bénéfieier d 'un éclairage neuf. Cetle hgne d IDvesllgauon peut s' autonomiser partiellement de cette maniere et se donner pour objet la recherche d'équivalents fonctionnels. ..

11 est par contre nécessaire de rompre avec le foncuonnahsme pour permettre a la perspective la plus féconde de l' analyse fonctionnelle de se développer. La fonetion attribuée 11 une institution peut n'elre qu'apparente, ou superficielle. CeJle·ci peut avoir uné utilité cachée, rendant compte bien plus profondément de ses caracll!ristiques. Celle perspective, inaugurée par MertO?", ne se contente pas d'introduire le doublet eonceptuel fonellon manifesleffonetion lalente ; elle ouvre ill'idée de pluralité fonction• neUe d'uDe institution détenninée. Dans une société complexe une mame réalité peut ebe référée iI divers systemes par rapport auxquel. elle peut remplir un rllle. Le schéma alors se eomplexifie. Prenon. un exemple: le syndieat va lIpparaitre comme ayant une fonction régulatrice par rapport au systeme salarial (patronal{ ouvrier) ; une fonction politique de propagande et de recrute~ent par rapport aux partis; une fonetion de co~tre.moblhté.soclale par rapport iI la stratification sociale offielelle (I~s dmgeants syndicaux font partie de la nomenklatura au meme btre que le~rs interlocuteurs habituels, les hauts fonctionnaires); une foncuon de masse de manceuvre et de couverture pour des sociétés criminelles comme la mafia... Le probleme devient alors celui de I'explication de eelle plurifonetionnalité. Cette explication peul

20. Bronislaw Malinowski, Une ,héOl';e scientifique de la culture, 1944. trad. Pans, Le Scuil 1970, coll. «Points ». ....

21. Robert K. Menon, Elbn~n's tk rhlo/';e ef de méthode soclologlque, op. uf.

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fiN L' intel/igence du social

etre cherchée soit dans une généralisation du scMme fonctionnel, soit dans son articulation avec un autre scheme que l' on trouvera plus puissant.

Le développement historique du prograrnme fonctionnel tend ainsi it libérer de plus en plus les éléments a expliquer d'une attribution fonctionnelle slrlete. Cela aboulit it un poinl limile oil un meme effet peul8tre pris en charge par des schiOmes d'analyse différenls : il s'&gil de ,ce que l'on a coulume d'appeler les eff~ts de structure ou les effets de champ. 11 s'agi! le plus souvenl de phénomenes inattendus, paradoxaux, dysfonctionnels en contradic­tion aVec les regles explicites de fonctionnement d~ leur champ. C'est alors vers ce demier que se toume I'interragation: selon quelle logique produit-il un tel effe! ? Mais cette que.tion implique par elle-m8me la mobilisation de divers schemes d'intelligibilité possibles: fonctionnel (l'effet apparemment dysfonctionnel remplil une fonetion cachée), causal (l'effet paradoxal resulte de la composition de .relations causales déterminées), s!ructural (l'effet renvoie 'A la combinatoire des positions el opPositions aux sein d'un champ donné),actanciel (i1 s'agit d'un effet pervers resultant de l' agregation de componements indépendants ) ... " L' apparente similitude des dénominations (effet de s!ructure, effet de champ) occulte ainsi nettement la spécificité logique des différentes anaIyses.

L' analyse de systeme esl apparue plus récemment. Elle recou-

. 22. Les effets de structure ou' effcts de champ id vi~s se distinguent, de ce qUl esl ~ppclé parfois. dans la tradition de I'analyse causale. les « effets structuraux », CeUX"'C1 peuyent etre exprimés par la « proposition type )lo suivante : « La disu:ibution de la proprlété X d'un groupe influcnce la dislribution de la propriété Y chez l~ divers .individus,. in~~ndamment de la valeur que prend X chez chacun d ~x» (OJan AnlOnlO Gdh, Effcts structuraux, Epistimologie soci%gique, n" 6, Pans, 1968, p. S-20). lis posent done le probI~me de I'effet propre de I'appartenance l,un groupe dOlé ?~ propriétés. stJuclurelIes particuHeres sur une variable dépendante d étude : productlVlt6 du travad, comportement matrimonial, comportement ~viant etc. Cene ~pri~té va avoir, en I'occurrence, un effet amplificateur ou inhibiteu; sur une re)abon déjlt connue. 11 en va autrement de J'effel de sCtUCture enlendu ¡ei : iI apperait d'abord comme paradoxal par rapport aux propmt6s structurelJes conn~s du champ el au" comportements qu'on serait tenté d'oo induire. 11 nécesSlte done autre cbose q~e l'élaboration d'une méthode de (raitement: le recoun lt u~ p!Ogr&mme expbcatif. Celui-ci sera diff~rent seloo son acherne de réfm~ce: atnsl:par exemple la <Mimition que donne Pierre Bourdicu d'un champ ressortll-c;lIe • un sc~me structural: «Les champs se prisenlent lt I'~hension synch~lque eOrnme des CSJ*7~' struclurés de pasitions (ou de postes) dont les propnét~s ~pendent de leur ~I~lon dans ces espace8 el qui peuvenl atre analysée!i mdépcndamment des ~t6ristiques de Ieurs occuptU1ts (cn partie détcrminées par. elles). 11 y ~ ~s 1018 gbJérale8 des champs» (in Queslions de soc;ologi~, Pans. Ed. de Mmult, 1980, p. 113).

Typologie des schemes d' inteJJigibilité 69

vre. dans les sciences sociales et humaines des pratiques diverses. aussi bien de recherche fondamentale que de recherche-action. Cene diversité n'est que peu reduite par le terme de syst~me qui. comme ceux de cause ou de strueture. donne souvent lieu a des usages multiples. Aussi de méme qu'il ne suffit pas de parler de cause pour 8tre dans le cadre d'un scheme causal, de meme ne suffit-il pas de parler de systeme pour etre daos la perspective de ce qu'il est convenu d'appeler l'analyse de syst~me. Celle-ci presente un triple aspect: elle procMe d 'un effon d'analyse formelle des caractéristiques communes aux diverses organisations physiques, biologiques ou sociales fonetionnant comme systemes; elle bénéficie de l' apport méthodologique de techniques de gestion el de recherche opératlonnelle visant a maximiser la maitrise ou la conduite d'uo systeme par la prise en compte de l'ensemble de ses parametres; enfín, l'usage du formalisine et de l'outil mathématique qu'encouragent les deux perspectives précédentes tend it la constituer comme un langage d'analyse universel susceptible de dépasser les divers elivages théoriques el disciplinaire •.

Ainsi définie, l'analyse de sysl~me occupe en sciences sociales une position particuliere: elle esl surtout utilisée pour décrire des systemes physiques (en économie et en géographie nolam­ment2l

) plus facilernent aecessibles 'a son formalisme mathématique. ou pour défmír des recherche-aclions, c'est-a-dire des recherches ne se donnant pas pour objectif premier la connaissance d'une situation mais sa transformation. Símultanément sa neutrali~

théorique et disciplinaire et son efficacité technique la font apparahre aux yeux de certains eomme un instrument d'intégration de perspectives diverses. comme un programme assez puissant poU! articuler sous sa dominance divers schemes d'intelligibilité. Néanmoins il est aisé de montrer qu' elle constitue un développe­ment et une généralisation du scheme fonctionnel, dont elle ouvre la logique, en substituant au modele physiologique besoin/fontion, le modele cybemétique léléonomie/regulation: l'essentiel d'un systeme consiste dans sa capacité A traiter et it intégter ses rapports a I'extérieur selon la norme de sa mainteilance (téléono­miel, c'est-a-dire de la reduction de ses écarts (régulation). Dans

23. er. par el!-emple, Jay W. Forrester, 1968. Pr;ncip~s des systif!les. 1968, Trad. Lyon, F'resses Univenitaires de Lyon, 1984; Yves Guen'nond ed:,' Anoly,~ de sysllme en glogrQphi~. Lyon. Presses Universitail"e8 de Lyon, 1984.

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70 L'intel/igence du social

ce cas S n'est plus élément d'un systeme mais systeme lui mSme, selon la formule suivante: S = S, S {e .... e'} et {S .... M}, ou ' .... désigne l'action réciproque, e, e' les éléments internes deS et M le milieuavec lequel il est en relation d'échanges, selon la célebre comptabilité des input et output. Il est elair que cotte formule généralise celle du .cheme fonctionnel.

Le seheme 'frue/ural :(A P Si = (S ,e S {a V nona})

,La forme logique P est une ,strueture formelle du type a ou non a : les caractéristique. Partieulieres de l' é.lément ,a importenl aussi peu qu~, ,ceHes de l'élément b qui va lui étre associ~. L'essentiel est que l'un et l'aurre soient insérés dans un .ysteme d' oppositions dor¡t la forme ,élémentaire va etre: a & non b V non a & b. Une telle .lructure peut associer a titre d'item des réalilés ,tres différentes: objets, propriétés, relation .... Celles-ci deviennent alors .ignes, éléments d'un systeme fonctionnant comme codeo L' affection, la tendres.e, la réserve, le respect, la froideur, sont des altitudes que le systeme de parenté .électionne (parmi d'autres po.sibles) pour signifier ses relations constitutives par le jeu ,de Ieur association et de leur opposition. On comprend que ce ,scheme _it d'abord été introduit dans les sciences sociales par la Jinguistique et qu 'j¡ y ait été solidaire de 1 'affirmation de l'arbitraire du signe. Dans un code donnéun terme a prend une signification par rapport aux termes auquels il s' oppose, qui peuvent se substituer a lui mais non s'y associer, et a ceux auxquels il s'associe et qui ne peuvent se subslituer a lui. Le code le plus simple est celui qui se réduit a deux significations :

« feu vert » & non « feu muge» V non « feu vert » et « feu muge»

Ce scheme aUeiot ainsi une architecture formelle du sens. Appliqué aux sciences sociales et a des objers qui De sont pas directement des messages ou des signífications il suggere de les traiter cornme s'ils en étaient et d'en rend.re raison par la structure dégagée par l'analyse. Ceci engendre deux programmes de base.

L' approche combinatoire consiste, comme le texte exemplaire de Lévi-Strauss le montrait, a reconstruire le systeme fonnel au sein duquel l'élément de départ est inclus: on procede alors A la mise en évidence de rel_tions du type de la relation générique

Typologie des schernes d'intelligibili/é 71

et selon le meme modele (une relalion devenant un élément) a la construction de la combinatoire ainsi enge~d~, On ob.llent alors un modele formel définissant n combmalsons posslbles mutuellement exclusives qu 'H s 'agit ensuite de confronter avec la ré_lité. Dans l'analyse du systeme de parenté présentée. plus haut cette démarche pennettait de repérer les quatre combmRlsons possibles engendrées par les deux oppositions de b~se.

11 n'est pas cenain que cette démarche ~lt t~uJours menée . u'au bout Son formalisme rebute parCOIS, d autant que la JUsq. . b" réalité ne sélectionne le plus souvent que certatne~, com, malsons, Elle est néanmoins doublement précieuse pour 1 mtelhgence du

'al D'une pan parce que eette sélection différenuelle meme SOCI . _ le est un probleme de recherche qui n 'aurait pas SUrgl sans passage par le modele: si celUI-Cl préVOlt 4 classes et q~e seules trois sont atrestées dans la réalité, cette absence devlent une énigme ; d' autre pan paree que, selon la merveilleu!e métaphore de Lévi~Strauss, le social bricole avec les choses . De. mame que la pensée sauvage utilise pour signifier ses catégones des réalítés non logiques - détails topographiques, espece.s anImales et végétaJes, poínts cardinaux... - de meme le SOCIal arrache continOment des éléments hétérogenes it leur contexte de produc­tion pour les faire fonctionner comme slg~es au sem de codeso Une sémiotlque du social est alors posslble, dont les textes désormais cJassiques de Roland Bartbes ou lean Baudrillard" ont pu montrer tout l'intér!t. CeUe-ei cependant peut a son tour donner lieu a une dérive métaphysique lorsqu'a la log~que

lvt;que du scheme est substituée une affirmatlon ontologlque ana J

_ éd' 'b f nt instituant le social comme systeme généralis e sIgnes a ou Issa nécessairement,par perte de référent, a une logtque umverselle du simulaere. . .

Le second prograrnme consiste a isoler / une combmalson et a repérer au sein d' autres champs des isomo~ph~smes ou des horriologies structuraJes dont elle puisse !lre le pnnclpe. La .encore l'ethnoloj¡!e stnIcturaliste a partieUement monlré la v~le. Un exemple connuet simple est eelui ?U a V non a éqUlvaut a «Masculin V Féminin ». 11 sera posslble pour une soclété ou un groupe donnés de répérer la diffusion de cette structure dans

24 Uvi-Strauss, La.pensée SQuvage, Paris. Pl~n, 199672• fhapi~re ~ll d Le z.s: Róland Barthes, MYlhologies, Paris, Le Seull, 1 5 ; ean au ar. systime des objets, Paris, GIllUmard. 1968.

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72 L'intelligence du social

divers champs de 1 'activité sociale : apparence corporelle, espace domestique, espace public, pratiques -parentales. consornmations, etc. Ce prograrnme consiste alors a rechercher des homologies structurales entre ces divers champs, c'est-a-dire des relations entre élémentsx, y qui soient telles que d 'une part x r y soit du type a V b et que d 'autre part x et y soient référables aux deux póles de la relation originaire". Celle-cí, considérée selon les postulats théoriques de l' auteur comme anrécédente ou logique­ment premiere sera alors explicative des diverses relations x r y con.statées, Dans I'histoire de la sociologie Une des premieres . utlhsations de ce prograrnme est L' éthique protestante el l' esprit du capitalisme. Un autre exemple célebre est fourni par les études de Panovsky sur l'architecture gothique". Dans le cas de Weber, cependant, ce programme est plus analytique qu'explicatif: iI penne! I'établissement d'une relatioo ioterne entre I'éthique protes­tante et l' esprit du capitalisme; mais la filiatioo entre les deux est établie grice e. "l'histoire et le rOle de cet esprit 'dans le développement du capitalisme est saisi COmme nouvelle rationalité des acteurs. Quoiqu '¡¡ en soit oous touchoo. ici il nouveau au probleme de I'articulation, dans I'intelligence du social, des schemes ou des programmes qui leur soot associés.

.Si le sc~me structural utilisé seloo I'un ou I'autre programme ~~mt. ~~J?urs des ·significations, il n'épuise cependant pas I mtelhg.b.hté que contere la mise eo évidence d'un sens. Le scheme hennéneutique propase une autre direction, mSme si partois les sous-prograrnmes se rencontrent et tisseot ensemble quelques toiles.

Le scheme herméneutique .' B (ApB)=(BES{-})

A

Cette forme logique BtA est du type de celle que I'on rencontre., en hnguistique et qu' a fonnalisée pour la premiere fois Saussure : dire d'une réalité quelconque qu'elle a Un sens c'est dire qu'elle

26. Voi~. par exemple, Pierre Bourdieu. _ La maison kabyle ou le monde renve~ », m Echangt!s et c:ommunic:ation3. Mt!/angt!s offerts d e Uvi-Slrauss a l'occasio'! tk son,6(Yanni~rsaire. Paris .. l.a Haye, Mouton. 1970. p.739.758.

,27. Ervm ~or:sky. A,.chllecture gothique el fJl!nsü sco/astiquc, 19.51. trad. Pans, Ed. de Mmul', 1978.

Typologie des schemes d' intelligibilité 73

a une structure dueHe et associe un signifiant (ou expression physique de la signification) a un signifié (ou contenu de signification). Selon le rappon existant entre le signifié et le signifiant (arbitraire - cas des mots de la langue -, analogique - cas des symboles -, physique - cas des indices et des symptómes - etc.) on peut distinguer divers types de signes ou de symboles. Mais la fonne de base du rappon est

sigriifiant signifié soit

B -A-

et s'explicite ainsi: B renvoie a un A qui est son sens; B est l'expression, la manifestation de A. Ce rappon s'établit lui-meme au sein d'un champ sémantique détenniné, qui peut aire une languc, une idéologie, une vision du monde, une symbolique et que nous représentons par S.

On atteint la un scheme d 'intelligibilité tres ancien, sans doute run des premiers ¿laboré par l'humanité daos sa tentative de renme compte du réel. II consiste a développer systématiquement une Jogique verticale de l' au-deJA des apparences ou. de la surface des choses: B n'est pas seulement B, par exemple un arbre un peu biscornu qui tord ses branehes a I'écart d'un taillis. B est simultanément autre chose. une force. un esprit. un pouvoir qui se reconnaissent a cette fonue. DartS ce cas cependant B et A fusionnent en une ontologie animiste oi! B est a la fois B et A, eomme l' animal totémique, simultanément animal et ancetre du clan. Dans son usage scientifique le scheme hennéneutique De postule pas un tel eonfusionnisme. II implique uniquement que B peut etre con~u comme signe, et done décomposé en un signifiant (ce qu'iI est) et un signifié (ce qu'iI exprime): le salon d'essayage de la Rumeur d'Orléans était ainsi le suppon de repiésentations fantasmatiques assurant son insertion dans un récit délirant. .

Le programme fondamental initié par le scheme apparat"t done assez c1airement. 11 est par eontre plus difficile d'y distinguer des sous-programmes exprimant une modulation de la fonnule initiale. Ce qui distingue le plus nettement les a:uvres et les recherches usant en dominante de ce scheme e' est la diversité de leurperspective théorique : hennéneutique traditionnelle, phéoo­ménologie, psychanalyse. marxisme critique et hégéliano-marxisme proposent a. choque fois une conception différente du fonde.ment du sens plut6t qu 'un approfondissement du scheme comme teL De

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74 L' intel/igence du social

ce fait, a travers divers infléchissements la démarche consiste fondamentalement A sélectionner el a décrire des traits pel1inents d'expression d'un sens considéré comme réalité anthroposociale: déterminante. A l'inverse du structuralis(e qui daos l'abord d'un phénomene ne présuppose pas de contenu sémantique déterminé et recherche une structure fonnelle. l'hennéneute part du sens. . Le texte qu' il se donne a déchiffrer n' est pas référé a une structUTe,. générative hors laquelle la signification est manquée, mais aux multiples facettes de la pensée symbolique. Il n' est p.. ramené a un fonctionnement interne mais Duvre a l'inverse sur les sources anthroposociales du sens". Qu 'elle soit empathique, compréhen­sive, analytique, pbénom~nologique, la démarche suit un fiJ préexistant: comme dans l'interprétation freudienne des reve., le contenu latent est déja lA, sous le reve manifeste, dans les associations que celui-ci suggere et dans les symboles dont il use ..

De. ce fait la démarche de l'herméneute échappe aouvent au fonnahsme des procédures. méme si elle n'y répugne pas forcé­mento En sciences sociales ou le texte n' est pas donné mais A construiret et done d' aOOrd A saisir. elle constitue volontiers le flottement, }' errance, comme une maniere de faire surgir un sens . auqu~l la théorie ",:corderR SR légitimité, et qu 'une entreprise de recueIl de traJts, d anecdotes, d 'événements de manífestations de' cas, de' discours pourra s'efforcer de justifier9 • Soucieuse d~ ~érifications tatill?nnes· ou adoptant la liberté désinvolte du dandy I entrepnse aboutU'll A brosser Apetites touches ou A grands traits un tableau qui selon les ca. s' appaTOntera A la toile intimiste ou a la vaste fresque. Sans doute est~ce au niveau de ce sch~me que le théorique l'emporte le plus sur le logique, la conviction sur la preuve. Cependant l'unité des procédures utitisées réside peut~r:e dans les notions d'idéaltype ou de forme. L'idéaltype Wébérjen est un modele ratlOnnel, un ensemble pertinent de traits slgmflcatlfs permettant de construire un phénomene d' étude afin d' en renct.re compte. La logique classique définit le concept par ses propnétés et son domaine de vaJidité (sa compréhension et son extension) ; elle l'inscrit dans une architectonique de cl .. ses emboitées générant des procédures de contrOle cJaires: un étre

.28. Cf. Gilbert Durand, Les stnicfures amhropologiques de ¡'imaginaire 1969 Pam"Dunod, 1984. ' I

29. Voir PIlr exemple MicheJ Maffesoli. L' ombre dI! Dionysos Pans M~ridiensl Ant~r?pos, 1982, Introduction, et LA connaissance ordinaire hns Úbrairie des M6rldlens, 1983, Introduction. ' ,

Typologie des schhnes d' intelligibilité 7S

doit manifester l'ensemble des propriétés de son genre et de son espece; s'il De présente pas les premieres il n'appartient pas au genre; s'il présente les premieres el non les secondes, il s'agit d'une autre espece ... L'idéaltype substitue a eette logique disjone­tive celle de la synthese rationnelle : une dénomination particuliere exprime a travei'S }'association d 'un certain nombre de traits significatifs le noyau de sens eommun a un nombre indéterminé d'activilés ou de réalités singulieres, dont ancune peut-etro ne lui est adéquate30• La notion de forme oscille entre une détennination abstraite, proche de I'idéaltype wébérien, et une appréhension concrete la constituant cornme unité irréductible d'une configura­tion sensible et d'un sens; elle est alors ce qui perroet de saisir l'universel dans le singulierl l • Daos les deux cas l'uníté d'un seos et d'une diversité sensible postule un principe de saisie immédiatement synthétique de ce sens (la eompréhension) et requiert une théorie anthroposociologique de son fondement.

Nous ne sommes cependant plus la au níveau des schemes d'intelligibilité, mais a ceux de la logique des concepts et de la théorie de la connaissanee. S 'H est vrai que le scheme herméneuti­que requiert une théorie du sens et répugne a la logique cJassique des concepts le probleme posé est celui de sa participation a l'intelligence du social: se constitue-t-il nécessairement comme autre, porteur de la senle espérance d'atteindre une réalité anthropo­sociale pour les UDS, outrepassant les bornes de la scientificité pour les autI'es, ou bien est-il intégrable it une rationalité suffisam~ ment ouverte el exigente pour l'intégrer sans le réduire?

30 .• L'id6altype' est un tableau de pens6e. Il n' es' pos la réalité historique ni surtout la Jéalité «,authentique "'. U sert encore moins de sch6ma dans lequel on pourrait Ordonner la ~ali~ l titre d'exemplalre. Il o'a d'a~tre signific~ion que d'un coltcept limite purement id6al. auquel on mesure la Iiabté pour clanfier le contcnu empirique de certains éléments importants el avec lequel on la c0"'PflTI! )lo

(Max Weber, • L'óbjectivité de la connaissance dans les scieoces et. la pohtlque sociales)lo 1904 trad. Paris, Plon. in Essa;s SUJ' la thlorie de la $Cfl!nce, 1965).

31. hymood Ledrut, lA forme el le sefLS dans la socilté, Paris. Libnúrie des Méridiens 1984 p.48. Raymond Ledrut constitue le coocept de fonne comme él~ment ~tr81 d'Une anthropologie tri:s marquée par I'Mgélianisme. Il Il8socie de f~n intime forme .. et se~, intelligi,ble et. sens!~le. D!,"s"la trad.it~ofl des sciences humaines la fonne OSCllle entre 1 abstralt el 1 unm6diatement SlUSlssable : le fonnillisme de Georg Simmel se rattache iI. la premi~re tendance (l'objet de la sociol~gie eSl l'usoclatlO". eomme fonne en oppositlon a~x ~vers .contenus empiriques qu'elle peut rev8tlr. er. «Le probl~me. de la soclologae,., ~n Revul!

de Mllaph.ysique el de morale, tome 11, 1~94), t~dis que la Oe:'tal~e il!uatre la secoode. Plus r6cemment. en introdulsant 1 I~ de «IOClolo,le fonmete~, Michel Maffesoli IellÓuait avec une perspectivc vitaJiste oil la forme est A la folS iovarianoe et configuration sensible quasí organique (io La connaissance ordina;re. op. cit., chap.4).

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76 L' intelUgence du social

Le scheme aClanciel .-(A P B) = (B E S, S { 1: a ---> 1: e} ---> B ---> S)

La fonne logique p earactérisant ce sehéme s' exprime dans l' ensemble symbolique 1: a ---> 1: e; le premier tenne désigne un ensemble d' acteurs et le second un ensemble d' effels de leurs actions. Le ph~nomene B que l'on veut étudier est pensé eomme la résultante du cODl.portement des acteurs impliqués. Ceux-ci sont intégzés a un ehamp ou a une silualion, en un mot A un eontexte que l'on qualifie parfois également de sysleme d'action et que nous symbolisons a nouveau par la lettre S. Enfin l'effet de masse résultant (B) exerce une action en retour sur le systeme considéré.

. Ce scheme apparait d'abord, enscienees sociales, en politique et en économie. 11 implique en effet la reconnai.sance de l'intentionnalité de l'aetion, 80n irréductibilité a une détennination causale : les concepts de stratégie en politique, de calcul rationnel en économie. impliquent une soumission de }' action a des fins visées. lis .ont pu engendrer une représentation détenninée de l'acteur comme horno rationaJis, que les sciences humaines. fortes des connaissances accumulées sur le comportement concret des individus, ont pu vivement critiquer32

• La, cependant o'est pas vrairnent le probleme, des lors que ne sont pas confondus schemes d"inteUigibilité el anthropologie: l'acteur, en sciences sociales, est un concept construit iI partir de eelui d' action, et non a partir d'uo référent ontique déterminé qui serait .l'homme et ee meme s'U n'est pas d'action sans hommes. L'action impliquant eomme détennination spécifique l'intentionnalité s' applique aussi bien iI des entités collectives, ii des organisations, qu '11. des individus.

L'initiateur de ce programme fondarnental en sociologie est a n'en pas douter Max Weber qui I'identifiait avee le domaine de la sociologie compréhensive et y voyait le seul fondement de I"autonomie de la discipline'3. e'est par ailleurs dans le cádr"e de ce scheme que celle-ci a fait preuve de la plus grande imagination programmatique puisque l'on peut lui rattacher partiellement

32. er, par c~emple, la critique du « paradigme utilitariste )Do me. notamment' en Francc depu~. 'f.uclquea 8IlIlks SOU8 les auspices de la Revue du Mauss (M~uvemcnt anb-ubli~8te dans I~s !ICiences sociales) el des travaux d'Alain Cadl~, Splendeu.rs et m's,ire des sc.ences sociales, Gem:ve, Librairie Droz, 1985.

33. ECQlwm.e et $onltl, chapo 1. op. cit.

Typologie des sehemes d' illtelligibilité 77

l'approche phénoménologique, l'interactionnisme symbolique, la sociologie des organisations, I'ethnométhodologie, la sociologie de I'action d' Alain Touraine et I'individualisme méthodologique de Raymond Boudon. Les différences de niveau entre ces diverses dénominations. leurs surdéterminations philosophiques ou théori­ques, leur diversité méthodologique indiquent assez qu'il n'est pas la aussi facHe de délimiter des programmes el des sous­programmes que précédemment. Nous proposons ici un premier survol. visant moins a recenser et tracer des frontieres qu'a mettre en évidence un rapport logique eommun au seheme.

Si nous appelons champ d' action l' espace social ou se réalise une aetion détenninée un tel ehamp peut etre appréhendé de diverses manieres. Fondamentalement il peut étre saisi comme systeme, au sein duquel les acteurs occupent des positions particu­lieres et sont dono des rapports détenninés, ou comme sirualion, c'est-a-dire eornme réalisaiion hic et nunc d'une configuratíon singuliere d' acteurs singuliers, A titre d' exemple une entreprise consLitue un systeme d'action ou la place de chacun est assez préeisément définie ; entrer dans une salle d' attente 0\1 son! assises d' autres personnes définit une situation singuliere. Ces deux concepts ne désignent id ni des réalités distincles ni des opérations logiques fondarnentalement différentes. La lettre S de la formule générique renvoie indifféremrnent lll'un ou a l'autre ~ur montrer qu' il s' agit de deux prograrnmes rangés sous un mame scheme. Par contre, une fois dans l'un ou l'autre il est évident que les perspectives d'investigation difierent : la mise en avant du systeme invite a saisir les struetures au sein desquelles se déroule l'aetion, les enjeux qu'elles récelent pour les acteurs et les ressources dont i1s peuvent disposer; celle de la situation tend plut6t a privilégier les significations que les aeteurs vont lui accorder et dont ils vont se sentir investis.

On peut dans le premier cas, a la suite de Rayrnond Boudon34,

opérer une seconde distinction, selon la nature du systeme considéré .. Des citadins décidant. en fin de semaine de partir en week-end constituent un systeme d' interdépendan:ce dont la base matérielle est fonnée par le réseau routier de la ville considérée

34. Daos La JORique du social, Paris, Hachette. 1979. Raymond Boudon distioaue deux typcs de syst~mes d'interaction: les sys~mes fonctioonels el les syslcmes d'interd6pendance (p. 68 el sq.).

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78 L' intelligence du social

et dont la forme consiste dans l'indépendance de chacun vis-a­vis de chacun el dans la dépendance de tous vis~a-vis de tous : selon le nombre de personnes décidant. de partir 11 une heure donnée et selon l'état du réseau a ce moment il y aura' ou non formation d'un embouteillage. Ce phénomene résulte de l'agréga­tion d'un nombre déterminé d'actes individuels (1: a ~ 1: e) et a pour conséquence (B) un effet impliquant a son tour une action sur le systeme considéré: un blocage pour l'immédiat, une modification par la suite du cortlportement de certains acteurs~ une tentative. enfio. de' la part des acteurs institutionnels, d'inter­vention sur le reseau (suppression des «points noirs») ou sur les flux (pilotage incitatif de la circulation), (B ~ S). L'effet B sera qualifié de pervers lorsqu'il sera contradictoire avec la fin visée par chaque acteur. TeUe est la structure, par exemple, et queUe qu'en soit par aiUeurs la validité, de la célebre loi de la baisse tendantieUe du taux de profit exposée dans Le Capital: la recherche du profit maximum contra¡ot chaque entrepreneur individuel JI accroitre la productivité de son entreprise; or ceUe­ci dépend rapidement non plus des travailleurs, mais des machines. Changer ceUes-ci au rythme de l'innovation technologique aboutit done II accroitre la part du capital fixe - investi en moyeos de productions - au détriment du capital variable - investi en salaires. Or eomme selon la théorie marxienne de la valeur le profit dépend exclusivement de laplus-value réalisée sur les salaires, la recherche dU profit par chaque entrepreneur en contraignant chacun a s'équiper comme les autres réduit progressivement le profit <\e tous.

Mais les acteurs peuvent atre intégrés 11 un autre type de systeme définissant ce que l' on attend d' eux seloo le concept de róle, classique en psychologie sociale : professeur, secrétaire, mari, amant, ingénieur, contremaitre ... Durant toute une époque ce type de situation a été interprété en dominante par l'intermédiaire du scherne fonctionnel el a danné lieu, dans la sociologte américaine. JI l'élaboration d'une théorie slrUcturo-fonctionnaliste de l'action : chaque acteur fait ce que son róle luí prescrit el son comportement est alors réductible 11 la fonction qu'il remptit au sein d'un systeme d' action déterminé, lorsqu' il n' est pas l' objet d' un «conflit de rille. » entre les divers personnages sociaux qu 'il peut etre amené a cndosser simultanément. Tres associée a une visíon bureaucrati­que el organisationnelle des systemes aussi bien qu'a une concep-

Typologie des schemes d' intelligibilité 79

tion hotiste du social, celte approche laissait totalement de c(\t6 ce que l'étude empirique scrupuleuse de systemes organisés rév~le : la fonction ne détermine pas le comporternent. Elle détimite un espace de jeu ou ce que Michel Crozier" appeUe une «zone d'incertitude ». Bien toio que le róle élimine l'acteur. réduisant son comportement a un effet de fonction, il esl au contraire intégré par ce dernier a son propre systeme d' aclion et, selon les cas, hypertrophié, ou au contraire éludé voire détourné. Dans les organisations cette gestion des zanes d'incertitude par les acteurs (:Ea ~ 1: e) a pour effet global (B) la constilution d' une organisation infonnelle subvertíssant I'organisation fonnelle (B 4 S).

Liés ou non par des rOles les acteurs peuvent étre saisis dans des relations d'interaction immédiate: }'effet du comportement de l'un sur l'autre n'esl pas ici médiatisé par sa résultante, ml\Ís est directement inserit pour chacun eorome probleme a résoudre. Si je renlre dans le cabinet d'un médecin pour une premiere consultation, et que je suis brutalement confronté a une personne qui m'apparait channante, vis-lI-vis de laqueUe je chercherais en toute autre occasion a paraitre aman avantage, COmment vais­je pouvoir accepter l'humiliante et Irouble cérémonie de l' osculta­tion, allongé en slip et chaussettes sur }'impersonnelle table dont on vient de changer la servielte? Et si, rencontrant plus tard la méme personne daos une soirée amicale j' entreprends de me révéler a eUe tel qu'en moi-méme, je me mets 1I penser, au mílieu dOune éloqueilte tirade, a cette situation humiliante OU elle me vil et a laqúelle peut-~tre elle songe en ce moment méme ironiquement, que ferai-je ? La vie sociale nous confronte constam­men! a de teUes situations dont le sens est construit partieUement par nous, et ou nos actions se définissent par l' anticipation et l'interprétation de ce que font ou pensent ceux qui 80nt en face de nous. La situátion est ainsi construction: initialement donnée (S) eUe prend sens et advient par les procédures donl usent les acteurs pour la penser et la maitriser: (:Ea ~ I:e) ~ B ~ S. L' approche peut ainsi insister sur les acteurs et les significations qu'ils attribuent a la situation: nous trouvons ici le courant

35. Michel Crozier el Erhar<! Friedberg, L' acleu,- el le sysl~me. pans. Le Seuil, 1977. p.61 et sq.

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80 L'intel/igence du

phénoménologique inauguré Al' 1, par .red Sehu!z e! prolongé ethnométhodologie"',

d EUe peU! également me!tre en avant la résul!ante slliuatlOlm.,lIc"" e ce Jeu de ' 'ti ' s ,.'gn •• eabons: la vie en soeiété da

le plus quot'd' éces ' ' ns ,s~~o:~nra'::::i~ . ~ len. n glte que soient constamment 01 ~es potenbalttés agressives resultan! d 'une eoneenlralion ';8 sur un méme territoire: faire sagement la queue

useuler auttui, respecter sa place, etc, On peUI alo~ :gUi::m:;nt!éeqU¿1 soil d'ordre (attente dans une

" e parcours de leu ou de ~,~~~::~~.,": étabhssement d 'un modus vivend,' dan I ( bah s une e asse) ou de e ut. agression~ violence de) ..

interactions entre • masse Comme résultant des par les acleurs ' aele~rs, L alome expliealif esl l'attitude adoptée

~ paror de I 'inletprélali "1 d'ailttui: neutralisalion d l' ,on qu • s se font de eeUe provocation dan l' e agresslOn potentielle dans un casI

la . . s autre, engendrant chacune un effet déterrn,'né' ,;. sur sltuatlon".

Dans ehacun de ces prog &

l '.'nd' 'd' rammes J.ondamentaux on about,'t ' .v. u, ce qUl expliq b' • , ue assez .en que ce mode d'intell' 'b'l'té pu.sse Btre appelé .' , .. .g. 11 , " par.o.s « mdlV1dualisme méthod 1 .,

lOd.v.du, a Btre qualifié d' o og.que », Cet d'aetion, ce qui implique qU~~::~:'I;:,r~éré a l'aelion, 11, esl sujet hbre (il ne s' agit iei ni de la liberté d' "odn, ~~s métaphys.quement

. d' ,. 10 lucrence de Descart m u pnmat de 1 eXlstence sur l' essenc d (:1 _ _"__. es, lement libre, Toujours ' séré dan e e""' .. ",,), ma.s strueturel-d .Al" In s des systemes (d'agré '

e .ve, d tnleraelion) ¡'individu ' gallOn, d 'une marge de maneru ,es! con~u eomme y d.sposant d' élahorer des tacti' vre, d un espace de jeu lui permettanl

ques el des slratégies' , d' ments référables a d ti ' e est-~- .re des comporte-es lDS.

Ceci, cependanl se li " de l' acteur aux lo,'s' d ml~ au postulat de la nOn I'éductibilité

, u systeme, La déte 't' ' , qu. meut l'acteur peut do r' rmlOa 'on pOSlllve de ce

nner leu i1 des conceptions diverses el

d C36, Alfred Schutz, Le chercheur el I '-1'

e ollected Papers 1971 Pans Mé 'd' e -Kiuolrulen, trad. d'un choix de teJttes de I'ethnom~thodoiogie ~n Ique rt ft:nn& , lincksiek, 1987, Pour une préscmHtio~ Coulon, L' efhnomlthodologie, Paris ~alse, on. c~nsultera notamment Alain

37. Cf. le courant de I'imerac' "puP, .. Que sals-Je? », 1987

Mlt~~:"~~73La miSe en sC~ne ~~ni!:s~: S::'::::f:''::ee, :~~u9Yre"add;Ervpin, GOEdfflnan, , , . , , ,ftllS, .de

1'ypologie des schemes d'inte/ligibilité 81

amene les scienees sociales a user de diver. sous-modeles: modeles décisionnels (impliquant le plus souvenl un ealeul pour une prise de décision déterminée), modeles slratégiques (inscrivant l'aetion dans une séquence temporeUe finalisée), modeles eullurels (rattaehant l'aetion iI un ensemble de représentalions et de normes) : lit encore, el nOlarnment dans ce demier cas, une approche partieuliere peUI elre référée a un seheme ou iI un autre selon le mode d' inteUigibilité dominanl,

On peut enfin inscrire au compte de cet invenlaire rapide un dernier prograrnme fondamentaJ, Dans celui-ci, les acteurs ,110

sont pas QU pas seulement des individus, el la scene ou s'exerce leur aelion es! l'his!oire, Le phénomene B esl alors un phénomene hístorique ou a portée historique, c'esl-a-dire intégré au devenir du groupe, L' analyse politique, socio-historique, ou simplement historique, va repérer les acleurs et leurs stratégies, plus habituelle­ment designées iei par le terme de politiques, D'un eertain point de vue ce prograrnme n'équivaut qu'a changer d~échelle. Mais d'un aum e6té il implique que soiertt repérés a la fbis ce qili vaul ebmme phénomene et ce qui vaut eomme aétéurs a ce niveau, Et les ehoses lA ne sonl plus tres simples d' autan! que les scienees sociales ont connu avec le mai'xísme une tentative globale de résolution de la question, qui De fUI pas sans poser p;.obl~t'ne: quoi qu'il en soit, les elasses, les fractions de elasse, et pour user de la tenninologíe d' Alain Touraine31

, les mouvements sociaux saisis dans lá dynamique interactive d 'une situatión donnée, constittient lln exemple tout a fait remarquable de eetle mise en évidenee d'ae1eurs historiques,

38. Si, dans I'usage habiluel du terme, les mouvements sociaux ~terent A une sociologie des acteurs coUectifs, I'approche théorique d'Alain Tourainc se 1ai!i.tIC moins .. facilernent inclure dans le domaine d6fini par la formule du 5Ch~me actánciel. Comme pour les analyses de Marx consacJÚ.s la la ~volution de 1848 ou 8.,"la Commune de Paris, on a affaire chez Alain Touraine A un prognunme articulanl scl:;lmle actanciel et sc~me dialectique: dans la form~le B E S, S {Ia --t !.e} -+ B --t S le tenne S, sys~me ou situation, correspond ii ce qu'Alaip Touraine appeUe «historic~)Io ou «champ d'historici~)Io; il faut par contre substituer • la sammation des acteurs indivíduels (1:0), une relation d'unité cord1iétuelle définissant précis6ment le mouvement social. Cettc re18tion s'¿laborc autour d'Wl eonflit central constitutif du champ d'hístoriclt~. Le ph6n~ A expliqU~f (B), mouvement hi~torique concret, sera ¿tudi~ II partir de l'enjcu central de gestion de l'historlcité qu'il eJtprime (voir par exemple, Alain Toui'aine, Le retoul" de l' aCl€Ur, Paris, Fayard. 1984).

Page 41: Libro de Berthelot francés

82 L' intelligence du social

Le schéme dialeclique: (A p B) = «a & non a) -. B)

L~ eneore nous ne eherehons u' ~. . , tient dans la forme logl'q & q expnmer l' essentiel quh

, ue a non a Un phé mene d un poiot de vue dialectique, saisi co~e la réSU~o B ?t, systeme contradictoire etest A-d' d' tante (-+)d un" talement par I'existenc' e de-d ne un systéme défini fondarnen-. . eux termes A I ~. . . et opposés eonstituant ee l' a OIS IPdissociables., Ce seheme se donne iI que. on IIppelle une contradietion ... oppositions eomm I . VOlr (trop) . facHement dans des

e a vle el la mort le 1 l'ordre el le désordre ou eh u ' repos el. e .mouveme~, ' I'autre, en contradiction avecaql~ ~~~s~st iI ~a fO~ .Impliqué par que peut prendre une réalité q .,j Igne· eux tats successifs ment dans un devenir La fo~onq~. m~e ainsi nécessaire· ' donnée dans le départ' de la I . philosophlque du sebeme es!

. . oglque de Hegel:

Etre & non Etre -. Devenir.

:;e. ~~venir ré~~d principiellement ~ la détermination de l' élé . 1 est 8USS1 bIen globalement' meot

lementce qu'il faul r ' que partiellement, ou séquentiel-d'un poinl de vue d.e? Iquer. Et expliquer un phénomene B moment dans un d la ~bDeqUe. e ',est le considérer comme un

evemr. ce point de H un prograrnme _., r s l' d vue egel inaugure

. "" oxp .can um resulte d' . de double. n~gation, selon une lo i u~ proce~sus mterne bien iI I'Etre qu's ses m" . g que ternalre appbcable aussi

anhestations particuliere I dé ment de la con$Cience I'h' . , , s, e veloppe­hégélien se retro ' I~tone, 1 art, I Etat... Ce prograrnme

uve en sClences soc' al h phénomene esl abordé eomme I es ~ aque fois qu 'un tion inlerne, définissanl une :n ~essus régl par une contradic­développe jusqu'au momenl I~ 7té

l .au selO de laquelle il se arnor~",nl ". o , UI échappe (non non a)

r-- amSl un nouveau cycle ' ' développement. Néanmo' Id' ffi ou une nouvelle étape de menl le processus iotern~S a ~. I leulté conslsle a saisir réelle-projeter sur lui ce qui peut n ,~:::re. ~ nsqueest loujours de formule a -. non a -. qu une forme extérieure: la

hé non noo a souvenl ilI trée P nomenes biologiques (ehenille -. chry r d us . par des geon -. fleur -. froit ) n'esl r' sa, e -. papdlon, bour­rendre compte effecti~ement d~xP ,eative ,que si ell~ penoel de elle n'esl que de$Criptive El de ~,,:,sa~e d un élat ~ I autre. Sinon mélaphysique d'unl'té q'. al! C ez Hegel e'esl un principe

Ul sttucture It l' ' réalisation de I 'Espn'l ab I exp Icallon: eelui de la

so u.

Typologie des scht!mes d' in.elligibilité 83

Un autre sous-prograrnme est ilIustré par le texte de Marx que nOUS avons analysé. n met en reuvre, comme nous ravons vU un double niveau d'analyse, interne el externe. Le phénomene a expliquer, en l'occurence le machinisme moderne, resulte d'une part du développement ioternede la forme «machine ", selon la strueture a & non a, d'autre part de l'interaction entre cette forme et sa base matérielle, interaction pouvanl etre pensée seloo le meme modele (a et non a). On a alors, assuraot s l'inverse de Hegel un principeassignable d 'unité, le systeme suivant: ra

& n~ a }-. B

La rigueur de sa mise en reuvre est, cependant, beaucoup moins fréquente que l' on peut le eroire. Aussi on peut répérer un troisi~me prograrnme, quelque peu affaibli, OU B va Btre con~u eomme resultant de la composition de diverses forces antagonlques. Dans ce cas le scheme fonctionne d'une pan en exigeant que le phénomene soit resilué dans son hisloire el considére comme un proces, d'autre part en recherchanl des facteurs, ou des lendanees, ou des acleurs en conlradiction. Par I~, le carac~re fondarnentale­menl binaire du sebeme s'effaee au profit de structures plurielles, qu' inauguraienl d' ailleurs eertains développements du marxisme onhodoxe: Mao tsé Toung esquissait dans De la contradictio

n

un schéma d' analyse intégral1t diverses contradictioos el nécessilanl la production de distinctions concernanl l' équilibre interne des contradictioos (aspect principal et aspee! secondaire), la nature de ¡eur opposition (antagonique ou non anlagonique), leur place au sein du syst~me (fondarnenlale ou non) el eofín leor róle au sein de la période (principale ou secondaire)" : I'idée de déplace­menl des contradictions et de transformation de leurs aspeets rendait ainsi possible l' analyse politique de situatioos complexes et commandait _ ou légitimait - les allianees de dasses el de fractions de dasses opportunes. Cependant l' usage rhétorique ou doctrinaire dont ces distinctions peuvenl 8tre l' objet est la pour nOUS rappeler que si les sebemes déflOissenl des modes d'intellig

i-

bilité et les prograromes des procédures d' analyse concrete, ni les uns ni les autres ne sonl dispensés d' avoir iI se soumettre aux conditions de leur mise en reuvre scientifique.

39. MIlO Tsc-Toung, DI! la ,'ontradiction. 1937. in (Euvres choisies, t. l. P6kin, 1966.

Page 42: Libro de Berthelot francés

84 L' inle/ligence du social

NQUVELLES PISTES

Faisons le poiot. Nous eherehons a cerner 1 'anoature logique et cognitive qui preside 1t la production de I'intelligibilité en sociologie et se donoe a voir dans les divers modeles explicatifS '(', que recensent selon leur implication particuliere les diverses' traditions. n nous a semblé que cette annature devait ette apprBIendk eo acte et qu'elle pouvait par la aire penaée 'en"" tennes de schemes, e'est-1t-dire de matrices d'opérations de pensk déterrninées. Ceux-ci peuvent ainsi étre saisis aussi bien dans leur structure interne (noyaux et forme logiques) que dans leurS développements opératoires (programmes). lis semblent enfin 1t I'isslle d'uo premier parcours pouvoir aire, Iimités iI six et s 'organiser en trois enaembles correspondant assez bien a trois, manieres détenninées de penser le réel : eornme structure, COffime

sens. eomme devenir. Trois probl~mes seposent en ce point : l/La fonne logique propre iI cbaque scheme' ne s' applique

pas indifféremment iI n 'importe quel contenu. Elle implique iI I'inverse une aélection et un traitementeoneeptuel Mfinis des donnks empiriques: construction de variables, délimilalioo d'un sysreme, repérage d'oppositions strueturaJes, identifieation d'acteurs, ete. La mise en <l'uvre d'un seheme d'intelligibilité donné implique done diveraes opérations logiques et eognitives. Quelle en esl la légitimilé ? S¡@I-U de se référer explicitement ti un scheme reconnu pour faire ceuvre de connaissance, d' adopter un langage admis pour tenir un propos valide? Quels gages faut-i1 foumir, pour justifier dans le eadre d'une recherche déterminée l'appe1 iI un seheme d'analyse plulOt qu'iI un autre? Cornment fonder iI la fois la pertinenee de sa mise en <l'uvre et la vaJidité du discours produit ? Enlin eornment, dans un eontexte pluriel, concevoir 'une lagique de la preuve unitaire?

2/ Les schemes que nous avons isolés rendent-ils bien compte du foisonnement et de la prolifération des méthodes, approches, techrtiques de recherehe, paradigmes en sociologie? n'intrnduisent­ils pas un ordre extérieur, une logique reconstruite dans un domaine dont le fonetionnement eoncret est beaueoup plus tAton­nanto erratique. imprévisible?, Cette questian confronte, en fait, á deux types de pluralisme: au pluralisme pragmatique des

'I'ypologie des schemes d' inleiligibilité 85

. taehés d'abord A ~aisir leur objet et chercheurs de teITalfl ~t a toutes les techniques leur paraissant recourant selon .le besOln. ue des tenants d'une diversité d'appro-utiles ; au plurallsme théonq Les premiers laissent dans le h de paradigmes, de langages. . d" é d

e es, . ,. 11' 'ble le principe prauque u01t e non.dit du travad de I .mte 19l1 onds postulent des logiques l. diversité qu'ils apphquent, . es"",: éd etibles Notre approche .' l t' ement hnéalres et lrr u .

exphc~ttves re a IV et impliquer une liaison forte : pourr.!t sembler de ce type rocéd Mais nous avons, simulta­schemes -+ programmes -+ p r. ures. Cornment alors concílier

péré des interférenees .ortes. . nément, re t celul' du mode d'interventlon

. f'? Le probleme poaé es . ces dlvers al~.. .,. . travail coneret de connalssance. des sebemes d mtelhglbillté dans le 'i! est difficile d'éluder. S 'il

3 I Il est enfto , un~ ~ues~t7 : de la connaissance sont bien s'avere que d,?,s 1 acuvlté p S¿hemeS d'inteUigibilité que nous l), l'reuvre a htre recteur les de leur statut a Ieur fondement. avons dégagés, il faut alors pas~r .. t la théorie de la connais­En ces marges ou répistém~IO~le reJo~~lourdes Nous n'ambition­sanee les traditions sont partlc~h~reme . de nouS porter

d I adre déhmlté de ce propos, nons pas, ans. e e ndant il ne nous est pas possible d'éviter trop sur ce ter:am .. Cepe ort ut-on établir entre ces schemes, diverses questlOns . quel ~app pe nitives proches. engageant et d'autres réalités loglques et cog d t iI voir le plus

théorie de l' obJe! el se onnan . également une . des altematives: continu/discontmu : souvent sous fonoe de g~devenir' atomisme/holisme ... ? Quel ordre/désor?re; permane

nc . ition' structure, sens, devenir que

statu! fauHI donner a la ~part 11 'un artefact qu'une forme repérer? n est-e e qu '

noUS av~s efU . e-t-elle une réalité cognitive plus fondamen-superficlelle, ou exprun . préeédentes incitent en quelque

1 ? Alors que les questlons . a ta e . l' al elles-ci invitent au contrau'e sorte a une descente vers av . e une remontée vers l' amonto

Page 43: Libro de Berthelot francés

III

Des schemes aux discours : programmes et paradigmes

Nous allons traiter trois problemes : l/Le pluralisme explicatif postule la pertinence et I'irréducti­

blllté des schemes d'inteUigibilité. Or si leur pertinences s'atteate des lextes. étudiés, leur irréductibilité logique fait probleme. Comment la concilier avec les diverses interférences notées? Peut~on effectivement parler d'une pluralité de schemes, si le passage de l'un A I'autre est si fréquent et s'opere de f~on si floue qu'i1s perdent leur spécificité 7 Ce probleme est double: iI engage la nature logique des schemes a la fois dans leur spécificité opératoire et daos leur place au sein de l'entreprise générale de pensée. Le symbolisme léger dont nous avons usé, confiu cornme un outil ne visant pas a inscrire les schemes dans un véritable langage formel, mais servant a dégager leur identifica­tion de }'ambigulté des termes qui Ieur sont associés, nous permet~ il de résoudre l'aspeet logique de ce probleme 7. Nous consacrerons le premier développement A ce point réservant au chapitre suivant le soin de traiter du statut cognitif des schemes.. .

2 / Préciser la nature opératoire des schemes permet, simultané­ment, de mieux saisir leur mode d'intervention daos le travail scientifique. Face aux deux variantes repérées précédemment du pluralisme, minimisant a travers la métaphore du bricolage ou durcissant a travers celle du langage le róle des schemes, peut­on tenter de mettre a plat les rapports s'instituant entre prograrnmes explicatifs et techniques diverses de production des faits? S'i\ y a insertion du donné d'observation dans un mode d'intelligibilité, comment s'opere celle-ci ? L'objet étudié, les données disponibles

Page 44: Libro de Berthelot francés

88 L' inte/Jigence du social

impliquent-ils déja une forme latente d'intelligibilité référable A Icur structure ou sont-ils a l'¡nverse dotés d'une relative neutralité? Saos atre véritablement exclusives les deux branches de cette alternative engagent une problématique du proces coneret d'élabo­ration d 'une explication donnée.

3{ Si les schemes ne sont que rarement reconnus comme tels, ou i\ travers des appellations dont l' épaisseur et l' ambigulté sémantiques (cause. systeme, dialectique ... ) excedent toujours le contenu logique, ne peut-on faire l'hypothese qu'ils s'appréhen­dent, mais peut-etre également se s!rUcturent, passant de la généralité de la représentation au détail du programme, a travers des constructions intennédiaires re~ues eomme exemplaires, des paradigmes? Nous rejoindrons ici l'approche de Thpmas Kuhn, en naus en distinguant néanmoins sur deux plans : a la discontinuité des paradigmes naus Opposerons la continuité des schemes; a une définition large du terme nous Opposerons une définition plus précise : un paradigme est une réalisation singuliere (une íEuvre. une théorie, une approche) d"un scheme général dont il se constitue, le plus souvenl implicitement, comme le représentant et le mode . d t acces exemplaires.

IRRÉDUCTIBILITB BT COMPU:MENTARITÉ DES SCHEMES

Splcificill el isomorphismes /ogiques des schemes d' ana/yse

Génériquement l'explieation de B, Comme désignant un état de chose, une classe de phénomenes ou d' événements dont on interroge la raison, équivaut a le mettre en relation avec une entité A, telle que A explique B (A -> B). Les six sehemes d'intelligibilité distingués se earaelérisent par la spécificilé de la relation établie entre A et B; eelle-ei est Achaque fois non seulement irréductible dans sa forme mais induit une déterminalion particuH~re de A et, par voie de conséquence, un traitement différent de B, comme le montre le tableau de la page suivante.

Si l'on considere le noyau explicatif de chaque seheme et sa relation générique (soulignée dans la colonne 2 el explicitée dans la eotonne 3) il est clair que chacun définit une intelligence

89

Noyau logique Re/ation Déte,-minarion de A

'f"~nl(.' (A p B) générique el B

/, Cu",al B ~ I(A) covariation 1) extériorité 2) A el B 508t des

variables 2, Ponctionnel BES, S .... B->S interactjon 1) inclusion de

pbysique B dans A (-> !étroa<;lion) 2) A eSl un

syst~me

physique (S) l. Slruelu,.1 BES 1) inclusion

{a V non a} de B dans A disjonction 2) A est un

system.e de signeS, un code (S)

4. Hermé· B expression 1) extmoritt physique el uoité sé-neutique BES H mantique de A & B A

2) inclus¡on de B/A dans un sys-tme symbolique (S)

3. Actanciel B E S, S [ta -> l:e) inlenlionnalité 1) B est une ->B résultame de A

2) A est un sys~ d'action (S)

6. Dialectique A~ contradicrion 1) B esl une [a & D.n al ""' B dialecrique résultante de A

2) A est un proc~s

de r ob;et: des rapports de covarialion entre variables propre, t etre confondus avec extérieures les unes aux autres ne peuven .' des relations d'interaction au sein d'un systeme. P~YSlque. m celles-ci avec les relations d'opposit~on et d"~SOCrpéla:~:a~::: a un systeme de signes, ni ces dem,eres 1I 1 mte. signifiant el du signifié caractéristique du symt>."bsme: ,:t~. c:;:­que scheme esl donc bien porteur d'un mode d'mtelbgtb,bté, -

duetible. . 1 Si I'on s'auarde cependant sur le déta" de.s ~~rmu es et sur él . . . des ent,'tés A et B des s,m,btudes et des la d enrunauon . . 1

isomorphismes partiels apparaissent que slgnale p,ar. exe~ple : recurrente du tenne «systeme », Bien que celul·cl déslgne chaque fois quelque chose de différent son usage est peut·8tre

Page 45: Libro de Berthelot francés

90 L' intelligence du social

s,imultanémem I'indice d 'un passage possible d'un scheme 11 I autre, Comme par des sortes de ligoes de penles capables de se retrouver et de s'entrecroiser aux pieds des hauteurs. Ainsi, ' dans qualre cas (schemes 2, 3, 4, 5), I'explication renvoie dlrectement 11 la détermination d'un sysleme (B € S), tandis qu'elle peUI y re~voyer par spécificalion dans les deux autres 0,6), Mais II eXiste d autres hens transversaux : ainsi. par deux fois (schemes 5 el 6), le phénomene expliqué est saisi comme une resultante (-> B) ; or ce!te mame relation, selon laquelle un phénomene esl le resultat d un mécanisme déterminé (en I'occurrence d'un' systeme d'action ou d'un proces), se retrouve de f~n partieUe ," daos le scheme fonctionnel (S -> B -> S) el peut se traduire dans ' le langage de la causalité (A -> B) = (B = ft.A)).

. n est possible- que nous tenio~s ainsi I'un des principes des ~nterfére?ces constatées, mais enCOre faut-il le préciser. Deux ldées, d Allleurs liées, nous y aideront. L. premiere tient aux ra~ entre _~hemes et prograrnmes. la deuxieme a la nature de I obJet en SClences sociales. Si I'on peut presenter les schemes cornme ,nous venoos de le faire, naus avons vu qu'i1s n'existent réellemem que sous forme de programmes d'analyse. Ceux-ci développant el spécifiant la logique propre au scheme le confron­tent avec l'objel étudié. Or les sciences sociales, quand bien m!me elles De retlennent de celui-ci que des dimensions partielle$, en éprouvent fondamentalement la complexité: le social n' est ni un ensemble .de variables OU de sy.temes physiques, ni un ensemble de. Slgolficat~ons, de représentations et de langages, ni la scene umq~e el tou~ours ~ommencée ou les hornmes jouent le quotidien de leor destm,. mAlS tout cela il la fois. CeUe complexité peut certes etre rédUlte dans le trav.i1 de deSCription, qu'i1 soit qualitatif ou stal1stl~~e. Mais l'explication postule, sinon la saisie du tout, du ~oms 1 IOtenelatlOn de ses dimensions fondamentales : détenni­natIons .s~cturelles •. constellations significatives, logiques d'~­teurs, histolre. Certames de celles-ci semblent plus facilement accesslble. par l'inte~édiaire de schemes plus aptes que d' autres á en rendre compte: ti paraltra ainsi plus opportun d'utiliser un prograrnme herméneutique qu 'un pro8ramme causal pour cerner unecroyance. Or chaque scheme a, peu ou prou, daos I'histoire ~s sc.ences SOCIales, connu la tentation de l'hégémonisme et s. est, a ~n moment. ou a un autre, présenté comme explication s100n ultIme, du molOS suffisante. Bien, plus .la parenté apparente

~','h~mes aux discours 91

dlmension du réel et scheme d'analyse peut etre totalement de cllté: nous avons pu voir plus haut (p. 36) Durkheim

" piS h6siter á recourir ¡, une explication causale pour confronter , le .ulcide (soit une action) et la religion (soit une croyance). Le • .... nll explicatif concret procede donc a une mise en jeu complexe •• dlvers programmes, dont les ¡nterférences constatées ne sont IIUI la trace, et dont iI importe maintenant de saisir la mécanique .jn.uli~re.

A~'sociations et inteiférences: le processus de neutralisation

Un exemple nous aidera. Dans le texte consacré par Durkheim • réfuter la these de I'hérédité du suicide, dont nous avons f.it un paradigme de l' approche causale, un argument mérite attention. Pour rencire compte des similitudes constatées dans la maniere de se suicider au sein de mames faroilles, Durkheim invoque « la

. pulssance contagieuse de I'exemple ». CeUe hypothese est plus •• tisfaisante que ceHe de I'hérédité pour deux raisons: elle est limultanément plus spécifique et plus extensive; elle permet de comprendre que dans une m8me lignée on se suicide par la pendaison et dans une autre par la noyade, alors qu 'admettre une transmision héréditaire de penchants aussi spécifiques répugne á la raison ; elle rend compte aussi bien de suicides familiaux que de suicides par entrainement. comme celu. deS quinze invalides qui utiliserent le meme crochet pour se pendre en 1772'.

A I'appui de cette explication Durk~eim cite divers faits clini­ques montrant que «bien des sujets ont le sentiment qu'en faisan! comme leurs parents ils cedent au prestige de l' exemple ~ et d'indiquer comme I'un des plus probants celui-ci qu'¡¡ rapporte tel quel : « Une jeune filie de 19 ans apprend qu 'un oncle paternel s'était volontairement donné la mort. Cette nouvelle l'affligea be.ucoup : elle avait oUl dire que la folie était héréditaire, I'idée qu'elle pourrait un jour tomber dans ce triste état usurpa bientllt son attention... Elle était dans cette triste position lorsque son

1. «Tout le monde connait l'histoire de ces quinze invalides qui, en 1772. se pendirent successivement el en peu de temps A un ~me crochet'. sous un passage obscur de I'batel. Le crochet en~evé. I'épidémie pril fin. I:k: m6me. au camp de Boulognc, un soldal se fait &auter la cervelle da~s une guérite; eo. peu de jours iI a des im!tatcurs daos. la mame ,guérite; r.n~IS des q':'C celle~cl fut brCllée la contagion s arreta» (Ermle Durk~lm. Le SUICIde, op_ Cit., p.74).

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92 L' intelligence du social"

pere mil volontairement un terme a son existence. Des lors. eUe se croit tout A faíl vouée A une mort violente, Elle ne S'OCCllpe plus que de sa fm prochaine el mili. fois répCte: «Je doi. périr comme mon pere el comme :mon oncle! mon sang est done corrompu 1 ». et eUe commet une tentative, Or I'homme qu·eUe .• croyaíl etre son .pere ne ('esl pas réeUement. Pour la débarrasser .• , de ses craintes. sa mere lui avoue la vérité el lui ménage un~ ,u :\

entrevue avec son pere vérilable, La ressemblance physique éta\\',. si grande que la malade vil tOU8 ses doutes se dissiper a l'instant méme. Des lors, elle renonee a tout idée de suicide: S8 gaieté revienl progressivement el sa sanlé se relablit.» (p. 76).

11 s'agit III d'uo fail. Que met-il eo évidence? la primauté de la croyance 8,ur la réalité daos le comportement de certains individus. Comme tel ce fait semble pouvoir s'inscrire «naturelle­meot ». soit dans le scheme du sens O" I'onprivilégiera la symbolique de la croyance (<< moo sang est corrompu ») soit dans le scbeme actandel ou 1'00 retieodra qu'uoe situation (<<je dois ~rir ») est construite par J' acteur en fonetion des significations qu'il lui attribue et par rapport auxquelles il détermioe son comportement. Or Durkheim l' ioserit dans un scheme totalement différent (le scheme causal) tout eo lui conservant sa double détennination symbolique et actancielle. Mais celle-ci est alors placée sous l'aÍltorité duscbeme dominant et. en quelque sorte, oeutralisée dans sa capacité explicative propre: le seos (la croyance) peut reodre compte du suicide de tel ou tel individu et aider a iovalider une théorie explicative comme celle de l'hérédité. 11 ne peut. par contre. expliquer la réalité sociale du suicide. teUe qu'eUe s'exprime dans des taux différentiels selol1 les regioos. les sociétés. les périodes. le sexe.... sauf a pouvoir atre constitué comme effet ou symptóme d'uoe cause autre: un sysreme de croyances (le catholicisme). une iostitutioo (le mariage). certaines conjooctures (les périodes de crise politique) protegent relativement du suicide paree qu' ils entrainent une plus forte intégration des groupes sociaux. Quant aux ¡ndividus. si ce sont eux qui en demiere analyse se suicident, la maniere dont ils se suicident et les raisons s~bjectives de Ieur acte oe rendent pas compte des covariations entre les taux de suicide el les divers groupes sociaux2•

2. «Quant aux événements 'priv6s qui passenl génémlement pou.. ell-e les causes prochaine.s du suicide. ils n'Oflt d'autre aclion que celle que lem prStent les 'dispoaitions morales de la victime, écho de I'état moral de la sociélé »(ibid .• p.336),

",'h~mes aux discours

pou .. rait. dans la littérature sociologique. m~lti?lior "'IIIP,lc" ou s'opere ainsi un processus de neutraltsatlOn

011 pro/ir d' un outr' , Dans un texte de 1982' COIUI~ U'.8es sociaux du vin et de l' alcool, Michel Maffeaoll '

l'lnverse au service d'uoe approche ~erméneuuque less'~~~;a l1 causalité el de la fonctlOonahté: les effets pi

.'. ' psychologiques de l'alcool (exclter ( _xucl, le moi, «délier le~ lang~es et. her le~

'. applraissent au service d'uoe fooct.oo soc.ale d agrégat.OIl. 111,lon. et plus profoOdémeol encore de ruse: ," l'alcool adjuvant efficace pour ruser avec les contramtes soc:ial,.sc; polltiques, pour s'avancer masqué: pour ".ccepter toutes ces qul fondeot. d'une maniere qU8S1 mteoUoooelle. le hen r louligné pa, oous). Ma.s celle foocuon eue-meme,re.lv(,ie IIIt profondément i\ uO seos: l'alcool est sym!"'le de heo. du • \1 est la lransposition euphémlsée de 1 échange du ronde les aUiances les plus fortes. » Sa prése.nce dans les les plus divers permet d'y voir l'express.oo d'u~e originaire. d'un etre-ensemble, que l'a~teur Con~Olt ,SOUS_,"

auspices du confusionnel: «Le c.on~uslOnnel ~Ul fall, au magma, au chaos originel. est ~msl c~ a partIr de jours el a nouveau s'élabore l'archnectomque

socialité. » " .', Daos leurs analyses concretes les auteurs artlcu~en,~'",

spo"tanément des relations explicatives différeotes doot ds entre pareotheses la oature spéclfique : non seulemeot l·aI·p·~'~¡ ce logique de ces demieres el leur référence a tel ~u sont neutralisées, mais en outre eUes, sembleo~ Blre des Cal. ractétfi ques de l'objet ; a la limite. de relallOns exphcauveselles

se transformer en propriélés i\ expliquer, «Qu'est:"e la fonction agrégalive du vin ? » semble demander ~lch~I.l\. f&fl'liíl Ii. La dlsparition de la croyance entraioe ~a dISPaflChuao.,¡n.ue ftJ phobie semble constater Durkheim, Or iI ~ agll a d' infeJprétalions: le vio a des propriétés chlmlqu~s ~t " " . biologiques, il resulte d'une'activi~ tecbnique partJ~here dans des pratiques de consornmauon ~lverses; 1Ul ac~~%=~~= fonction sociale e 'est insérer ces pratlques daos un d' alla/y,ve déterminé. Croyances el phobies sont des phéoc:Hn'M psychiques. accessibles par le langage; elles peuvent.

3. L'omhre de Dionysos, op. cit., chapitre V, 2: «Le corps multipli6

Page 47: Libro de Berthelot francés

94 L' intelligence du so,,.a,f"

teJle~, se .donner immédiatement comme sens. Mais I'analyse peut les ~nscrtre dans des schemes divers el les dOler _ lorsque précls~ment elle recourt au scbeme du sens - de significationl,: tres dlfférentes de celles qu' en donne immédiatement le sujeto ",," Stre am.. et spontan~ment détacMes du scheme qui les fondeet' ". en quelque s~e obje~'ivées. ces interprétations el plus . m~nt la reJatlon loglque qui les anime semblent pouvoir' traitées... cornme des choses: «le vio a une fonetíon» « croyance a un seos ". « le prolétariat est la seule classe ré"ol,u'l tioln':¡¡; naire jusqu'au ballt » ... Le mécanisme secret des interférencea\:' entre ~rogratllmes el des combinaisons spontanées entre; sch~~.":; e~.t cl~r : j¡ chaq~e fois le scheme explicatif dominant dans lequc!l'í s mscnt.la réflex~on .de l'auteuT tend j¡ neutraliser et a objecliver:' , les relatlons exphcallves parlielles dont il est amené iI se servir ' dans I'analy.se concrete ou qullui sont foumies dans les références" ,: auxq~~lIes d fai~ a~l. Cene neutralisation est un phénomene cogrutif de preml~re lmportance. Associée aux isomorphies repé- . ~s entre les schemes, elle pennet de rendre compte aussi bien d mterfé~es ,~ic~lieres que du mode le plus fréquent de constru,ctIOn de l. exphcation en sciences sociales: la soumission de loglques expllcat/ves partiel/es el /' autor/té d' un programn¡e dominant.

. Prenons. afm de mieux cerner ce mécanisme de la neutralisa­hon, deux problemes sociologiques fondamentaux. Leur enjeu est en apparence ~éorique, voire philosophique: il s'agit du statut des.représentatlOns et de celui des individus. A I'inverse nous son.tlend~ns qu'il est d'abord logique ou prograrnmatique, c'est­A-dll"'. qu 11 conc~me les schemes d'intelligibilité et leur capacité de salSle de réahtés complexe.. Lorsque le sociologue aborde le probleme des représentations ou de la place de I'individu dans la société, il s,e distingue c1airement du philosophe. Il ne s' agit paso pour IUI d élaborer une théorie des idées ou de I'imaginaire, mals de ren~ compte de fonnations idéologiques et représenta­tlo?nelles eXlStant a ~? momen,t donné, dans un contexte donné, a 11Inage de Weber s mterrogeant, dans I'avant-propos de L' éthi­que, sur les raísons qui 001 amené l'Europe a donner a son savoir la ~onne de la. science. De mSme ce n' est pas l'hornme, sa t'stmée, sa réahté .existentielle ou le probleme de sa liberté qui ~ Pré?"cu~nt, mals la place réservée par telle société i\ l'indi­

vlduahté, I émergence de telle forme d'existence du sujet

95

sein d'un ensemble social Certes, dans chaque cas les theses avancées peuvent une philosophie. Mais voir en cette derniere le principe

opérer en quelque sorte une subsomption de la

-=~~I~~II~o~u de telle autre discipline sous la philosophie, comme I~ sous le général, équivalent iI nier l'autonomie des

de I'homme et de la société et a 1eur refuser la capacité l' intelligence de leur objeto 00 manque ainsi la

téelle de I'enjeu attaché aux. diverses théories produites -de leur pertinence explicative - ainsi que le jeu complexe

.ch~mes d'intelligibilité qu'il recouvre. Nous prendrons, • titre d'exemple, une approche paradigmati­.IIt .' il en est: celle de la conception marxienne des systemes

lit représentation. Dans L'idéologie allemande', Marx. pose la Ih.se .uivante: «Les repré.entalions, la pensée,le commerce Intellectuel des hommes apparaissent ( ... ) comnte l'émanation Illrecte de leul' comportement matériel» (p. 50). Cette these -dont la prémisse philosophique pourrait etre «La conscience ne peut jamais éltre autre chose que l'Etre conscient et l'Etre des hommes est leur processus de vie réel (ibid)>> - se spécifie et .'enrichit de détenninations au cours de divers développements .uccessifs: les représentations sont « des reflets et des échos lMologiques» (p. 51) du processus de vie réel; «la morale, la religion, et tout le reste de l'idéologie ( ... ) perdent (ainsi) toute apparence d'autonomie" (p. 51) et si les hommes y sont représentés « la tete en bas comme dans une camera obscura» cette inversion meme découle du processus de leur vie historique; inscrite primordialement dans le langage, « la conscience est done d' emblée un produit social» (p. 59); les pensées de la classe dominante sont aussi, i\ lOules les époques, «les pensées dominantes ( ... ) (c'est-~-dire) pas autre chose que I'expression idéale des rapports matériels dominants» (p. 74). Elle s' inscrit dans une conception de l'histoire qui a «pour base le développement réel de la production» et «com;oit la forme des relations humaines liée a ce mode de production et engendrée par elle» cornme étant « le fondement de toute l'histoire, ce qui consiste a la représenter dans son action en tant qu'Etat, aussi bien qu'A expliquer par elle I'ensemble des diverses productions théoriques et des formes de la conscience, religion, philosophie, morale etc. » (p. 69).

4. Trad. Paris, Edilions Sociales. 1968.

Page 48: Libro de Berthelot francés

96 L' intelligence du so<:íaj:l

. Dans. d'autres textes, Marx et Engels accorderont une mle relatlve au développemenl rusto' d aUltonto-.~ en cherchanl nota nque es systemes de. pensée

interne, comme pr;::::!p:et:1:n e:;~de~ce leur .c~ntradiction

mélaphysique dans le dé l maténahsme el la E é' ve oppement de la philosophie ItlodelTle\ i

n pr Clsant les. concepts· d'infrastructure insisteront par ailleurs sur l' r" el de superstruclure •

e let en retour des repré ,. sur les rapportB sociaux A' . dé I sentattons.

, mSI ve oppée la concept' , des systemes de pensée'" ~ Jon marxlenne'", dialectique mis en é 'd s mSenl patfattement dans le .

VI ence précédemmenl D L' 'd< " al/emande le rapport a la b' , ,ans I oologle

. . ase, matérlelle est poor de . ; essentieUement critiqu 's raJsons·' d ' es, nettemenlprivilégié ' cependant I r

ommante .de détermination _ mode de rod' ' a Igne sociaux --.. .ystemes de repres l' P uctlOn --... rapports sé' d en atlons - respecte la réal'té

mlque el' ohjet en instituant entre le troisi . 1 précédents un rapport d' exp 'U eme mveau et les

• reSSlOn. n systeme de repré ' n est pas la simple résultante d 'un .'. sentatJOns dans son langage propre, expression ~~:~~Im':~t sdIme ucellan

d ém~nl. eCnIer:

.,S. Friedrích Engels 6crit, dans SOn é . I'hllosophle allemande» (1888)' n..,t!de ~ Ludwlp Feucrooch el la jin de la développe sur la. base des él~n~ ~~ue ld6ologle. une fois eonstituée se ~I,~~~r, sinon ~lJe De serait pas une id~~n~tion d~nnés et continuc Á lcs

lucca, eomme entités aUlanomes ogle, e est-la-dlre le fail de s'occu r uniquement soumises lleurs propres 1e . dévcloppant d:unc f~on indépendante":t des honunes, dans le eerv:eau ~=i~e los eon~tt'ons d'cxistenec matérielles ~éteJmi!Wnt ~o fin de eompte le cou ~ rUrault ce processus mental, en IOcorwcaent, Slnon Ce senil fJni _ de tou ra,. Ce a ~ste .. chez eux n6cessairemenl Engol5, Etudes philosophiqu~s Paris .e: S4!:~llgto '" (m Karl Marx ct Friedrich

~~=.e~ cer:m":c ~:~,~i~tne.:::~ie!!:: !~~1~ ~:: :u:~; se dlsslpera qu'avcc la pleme maitrise lUUSJ;m (d un «nuage mystJque ») qui ne Fdeexen;tPle Le Capital. op. cii., LivrePf ti pho:,m) ·C' del tcur ~ialisation (ef.

u,x mveaux. earac~ristiq d' ' .',' . e a autonse des anal se ceJle .d~ matériaJisme f~~ ~~Lme ~11ectlque, ~ont témoigne par exe~pI! matérl.ahsme r~is du XVII" siCele;:' ante Fanulle: on peur anaIyser le

dxvu- sl~le •. montrw qU'iJ PIúentc dcux bOS h lutt~ e0t;'lre la métaphysique du e la physlque de Deacartes Une t 11 ranc es, I une Issue de Locke el )'autre

Mru-dx et Engels appelli::ru «i'fvOluli~n eth~I.Yse desMfi!iations présenle ce que ren compte des' conditionl el du sens . Cl9ue ». als ce n'est po elle ui la métaphysique par le matérialisme Irl~onqUeS d~ processus de critique ~ phénom!:nes: «La chute de la rué '. sut teverur la la base prati ue des rhé' I~ t~orj~ malériaJiste du X.VIII" ~~~~feSI::~U'!:n~VII<'. siCele ~ peut s' e~:liq"er.

?nque JUJ~mame par la pratique de la vio ti qU,on explique ce mouvement avalt pour objectif le présent imm6dia I . . ~alSe en ce temps. Cettc vie t.~mporels, e~ ~ mot le monde terrestre. ~ s:. Jou~ssanee tempon:lle el les ¡ntérels slql!e. matér~abste., devaielJf n/ce . . pra?~ue antithéolog¡que, antimétaphy_ :~g~~~m~ta~~:di9ues, mat6~~í~~"'se~t.:';;::::;n;.~e,;il7es l~':fs0ries a~1tithéo-146). ('" SOUlig~f ::ar ~~~s~ngeJs. Eludes philosoPhiques, 0;- cit., 't'%t~~~.~)8~

,,·Mm .. aux discou/'s 97

plul loin, si Lo Critique de la Raison p/'alique esl analysée reflel inlégral de I'étal de l' Allemagne a la fin du

.I.cle, ce n'esl pas parce que Kanl esl un boul'geois allemand, paree que son éthique de la « bonne volonté », en séparant clerniere de, I'exigence de sa realisation, peul apparaitre

le reflel exacl de l' impuissance, de l' accablemenl el de ,mlll~lre des bourgcois allemands (ibid p.220),

L'lntér81 de celte approche de Marx tienl a sa double valeur lIr.iCllllml.ti,!ue : elle manifeste d' une pan la soumission du scheme

~~:;~~~~i;:~: au scheme dialectique par neulralisation de la , explicative du premier; elle permet de saisir d'autre

la dérive dOn! le scheme dialectique a lui-m8me été l'objet, un jeu similaire de neutralisation de certains de ses éléments

OOnatiluanls, En élaboranl une théorie de I'idéologie el des syslemes de

représentations dont l'ímpact ira bien au-delA de J'orthodoxie ou . del reférences expliciles a sa pensée, Marx permel de saisir 1 'efficace propre aux schemes explicatifs dans la construclion d'une pensée, La premisse philosophique de cette théorie, en effel, ne permet en rien de rendre compte de sa spécificité el de son pouvoir explicatif: dire que la conscience est l'Etre conscient et que ce demier est finalement I'Etre CODeret ne spécifie qu'une conception immanente du sens, compatible aussi bien avec une approche phénoménologique de ¡'Etre-au-monde originaire, qu'avec une conception psychanalytique du langage de l' inconscien!. Situer par conlre le fondemenl du sens, sa base matérielIe, dans la structure sociale el la pralique historique conslitue une ruplure originale avec le scheme hennéneutique, La spécificité de ce demier - el son extr!me difficulté - reside daos le cerc/e du sens : si une réalité apparernment non sémique peut !tre saisie comme sens (cornme le vio ou l'aleool plus haot), le chemin ¡nverse esl impossible; le sens renvoie toujours 3U

sens, un~ signification s '¡nscrit toujours daps une symbolique ou un langage qui peuvent bien etre traduits ou transcrits en d'autres, mais ne peuvent jamais franchir la frontiere, passer du coté des choses6

• En instituant les représentations cornme ,reflets des

6. Ce cercle du sens me semble distinct du «cercle hennéneutique ». Ce demier eat proprement mfthodologique : il signifae que toute interpr6talion mobilise une interprétation préalable. ce que Hans-Georg Gadamer appelle. apres Heidegger, \( la strUcture d'anticipation de la compréhension» alon que le cercle du sens exprime le fait que toute signification renvoie l une autre signifieation. qui rcnvole el1e-méme la une autre signification ... Les deux se rfsolvent cependant simultanément

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98 L'inlelligence du social

condilions de vie matérielle des hommes, Marx brise le cercle de fa,on originale. 11 ne lombe pas dans le réductionnisme du matérialisme classique; les représentations ne renvoient pas aux choses, dont elles De seraient que des émanations ou des traces sensorieUes, mais résultent d'une élaboration trouvant dans la praxis sociale son fondement1

• Celte opération nécessite cependant une neufralisation du scheme herméneutique el la constitution du sens comme donné historique référable a un proces extérieur de producfion des significations.

Mais cette neutralisation menace tout autant le scheme dialecti­que, seloo la logique suivante :

(1)

(expression)

(11)

(reflet)

(HU)

s. B e S {-} l::: SR (Systeme de représentations)

{a e' non a} ->. SR jJ.

RS (Rapports sociaux)

SR tJ.

SR ~ -

RS

~ RS -> SR -> RS

(fonc'ion) RS

(111.2)

(cause)

SR t RS

~ SR ~ J(RS)

L' objet a étudier (B) se donne directement eomme sens et postule comme tel son insertion dans le scheme herméneutique

en faisant du cercle hennéneutique une manifestation du cercle du sens el en ancrant ce demier dans «les choses mimes ». Pour Stre resalu en son fond _ pour éviter la critique logique du cercle vicioux - iI faul que le cerde herméneutique soit fondé sur la possibilité Que )'objet se donne lui-meme comme sens. Le cercle herméneulique n'est plus alars que ('effet du cercle du sens c'cst-a-dire l'cxpression de la « stTuclure exisle~tia1e a .~ables du Dasein lui-meme)lo (Heidegger, EIre ellemps, 1927. trad. Pans. Galhmard, 1986. p. 199). La perspective ators s'¡nverse: «Le décisif o'cst pes de s'cxtraire du cercJe mais d'y entrer de la boone mani~re» (Heidegger, op. cit., ídem). Partant de telles prémisses Hans Georg Gadamer dév,elo,ppe 1:IOC conceptjon ~ I'hennéneutiq~e renvoyant a I'etre comme Jangage: « L II',! Q!41 J!eUI l/re compns. est la~gue. lCI le ph6nom~ne hennéneutique reporte pour ams/. dlJ'e sa pro.pre unlversa.hté Sur la cOll8titutioo ontologiquc de ce qui es' compns, en ~ternllnant cene-CI dans un seos uoiversel comme langue el son rapport . a I '6taot cornme interpretadon» (in Vér;té el méthode. 1960, trad. Paris. Le Seud, 1976, p. 330).

7. Cf. la critique A laquelle Marx soumet le malérialisme de Feuerbach daos L'idéologie allemande, lui reprochant de faire abstraetíon de I'histoire el. par Jil­meme d'hypostasier les concepts (Th~s l. IV, V. VI, VII).

1 )es schemes aux discours 99

(1) : jI est donc considéré comme relevant d'un systeme structuré selon le rapport signifiant/signifié (SR). Au lieu de se déployer selon la logique du scheme hennéneutique c'est-a-dire selon un parcours réglé de niveaux de sens en niveaux de sens et de constellations significatives en constellations significatives, l'ap­proche marxienne inserit le systeme étudié dans la logique d'un proeessus dont il est la résultante - le «produit social» - tout en préservant la réalité sémantique: le tenne de «reflet» - si SQuvent critiqué, exprime en fait adéquatement le rapport simultané d'expression et de détennination institué entre systemes de repré­sentations et rapports sociaux (11). Mais la tentation peut c!tre grande, dans un contexte polémique notamment, de privilégier un aspect sur un autre. Ceci peut alors aboutir A un double glissement vers le scheme fonetionnel (HI.!) et le scheme causal (I1I.2). Dans le premier cas (HI.!) c'est la fonetion remplie par les représentations au sein d'un systeme donné qui sera interrogée. L' effet en retour de la superstructure sur l' infrastructure que Marx eoneevait de fa,on dialectique sera interprété de maniere fonction­nelle: on dira que l'idéologie sert a préserver l'ordre existant, a légitimer une structure sociale détenninée. Dans le second cas (1Il.2) eel effet lui-m~me sera négligé au profit de relations unilatérales entre détenninants socio-économiques et systemes de représentations: ces demi~res ne seront plus que le resultat méeanique d'une situation donnée. Or, ce qui est frappant dans un tel glissement d'un scheme a l'autre e'est. qu'en demier lieu, iI esl relativement indépendant de /' oUlillage conceptuel de la théorie. O'un certain point de vue on peut dire que les débats auxquels donna lieu, dans la tradition marxiste, le probleme de l' approehe de la lillérature ou des systemes de représentations non directement référables au poli tique ilIustrent ces passages d'un scheme a l'autre rendus possibles par le double jeu de leur isomorphisme et de Ieur neutralisation partiels,

La meme logique réversible pennet également de passer du scheme actanciel au scheme fonctionnel et au scheme causal en faisant l'économie de la relation spécifique (!: a -->!: e), C'esl-a­dire de l'intentionnalité des acteurs. Soit le phénomene suivant: on constate que le choix du conjoint s'opere le plus souvent selon des relations d'homologie ou de similitude: mc!me aire géographique, meme origine sociale, niveau d'étude voisin ... Comment penser cette homogamie? Dans une société ou le

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100 L' intelligence du social

mariage n' est plus une affaire de Jignées mais de sentiments ou la loi du creur et du corps l'emporte sur celle de l'allian";' et du patrimoine. quel mode de fonctionnemeót des acteurs cela suggere-t-il ?

Trois, voire quatre réponses différentes sont conciliables avec les memes faits fondamentaux. Or, le simple ¡ail de recourir ti /'une ou a /'aulre, engage, du fail du scheme qui la supporte une conception différente de rae/eur, et au deld, de /'individu

Sch~me actanciel Scheme forlctionnel Scherne causal

(1) (U)

(lll)

B e S {Ll -> IR} -> B -> S· BeS,S->B->S S-->B=B=J(S)

Le passage d'une explication a l'autre est simple: il suffit pour pas~r du ,~cheme actanciel (I)au scbeme fonctionnel (Il) .. de suppnmer I IOtentlonnali~ des acteurs, et pour passer du scheme fO'.lCtionnel au scheme causal (lIl), de ne pas envisager de rétroactlOn du phénomene sur lesysteme qui le détennine. Si le flllt constaté consiste daos l' existence de relations d 'homogamie le passage du scheme (nI) au scheme (1) enrichit l' explication : l'homoglllOie n'est pas seulement la résultante de facteurs structu­rels (lll), elle remplit une fonction (pIIl exemple de stabilisation des classes et des groupes sociaux) (H); con.tatée a un niveau agrégé elle résulte en fait de décisions indi viduelles (lIl) prises daos des espace. de choix tels qu'il est plus «avantageux» de tomber lIlOoureux d'une personne qui vous est proche géographi­qu~ment et mtellectueUement que d'une personne située 'a vos antlpodes et qu 'il est plus facile d 'inscrire ce seotimeot daos la durée si les points communs ahondent que s'ils sont raresa.

8, Le choix du ~njo;"1 en France. d' Alain Guard, Paris, PUF. INEO, ti: Travaux et do?uments », cahter 70, 1964, constit~ en France l'enquéte princeps dans le dom~ne. Elah?rée sel0!l une rnéthodologle causale elle n'interdit pas la poliSibilité une mlerprélation fo:nctlOnneIle. Alain Girard écrit mnsi : « La stratification sociale p~~8e contre les nsques de de~tructuration COnstante» (p. xxx, 2~ éd. 1974). En s m~rrogeant S~l" le d6calage eXlstant entre choix amoureux et régularités sociaJes ~ulS Rou~sel mtrodu~t une perspective plus actancielle: ti: Les ~anismes de homog~nue el les IOIS de la «cril8llisation:. amoureuse ne se situent pas au m~ ruv~ de. eonscience:. Le premier phéno.m:ne échappe au su' t ( .•. ). L-homogaoue sociale mg1e, bien le champ des éligibles ( ... ), mais cette ;lratégie est ~ refoulée » de la COllSClCnce clajI'e au profit de ce qui seu} semble valorisam, !& smg~larilé et la liben~ de I'élection amoureuse)jo (Louis Roussel, La famille murtal.ne, Paris, Ed. Odlle Jacob, 1989). Cette demiere perspective se retrouve seloo dlverses ~odalités, dans l' étude de la rencoutre amoureuse faite par Michei !,ro:::eel Fl"ancls Héron (La découvene du conjoint : 1. Evolution et morphologie

s nes de rencontre, U. Les s-cenes de rencontre dans J'espace social, in

sl'hemes aux disc:ours 101

'J,.'hlnO()g"mie peut dooc alors "tre a la fois uoe réalité statistique le résultat d' actions intentionnelles et correspondre ainsí a la

wébérienne de la lai sociologique9• Cet engagement

.. " actcurs peut ne pas etre pris en compte dans les autres Ipproches, ce qui correspood partiellemeot a la pnsition de Durkheim. Mais, dans ce cas, la question peut toujours @tre posée du statut de l'individu dont personne oe Die, qu'en derniere Inllyse, il soit le support de I'actioo. Dans le cadre du scheme causal eorome dans celui du scheme fonctionnel elle se ramene • "interrogation suivante: cornment concilier la détermination Nociale du comportemenl el /' intentionnalité de l' action ?

L. réponse a ce probleme spinoziste est foumie des l' origine de la socíologie el oe cessera d'etre reprise sous diverses formes: les individus intériorisent. par I'éducation, des sch~mes de pensée el de comportement. qui font que leurs acles sont a la fOO lubjectivement libres et réellemeot déterminés. Cette répoose que I'on trouve aussi bien chez Durkheim1o, que dans la psychologie lociale el I'anthropologie cultureUe américaines" trouve dans la dUinitioo que doooe Pierre Bourdieu du concept d'habitus, cornme $tructure structurée structurante, sa fonnulation idéaltypique: « Les conditionnements associés a une classe particuliere de conditions d'existence produisent des habitus, systemes de disposi­tions durables et transposables, structures structurées prédisposées h fonctionner comme des structures structurantes, c' est-a-dire en laot que principes géoérateurs et organisateurs de pratiques et de représeotatioos qui peuveot etre objectivemeot adaptées a leur bu: saos supposer la visée cooscieote de fins el la mlllltise

Popu'ation. n" 6, 1987 el 11" I. 1988) . Elle intervient encore plus netternent lorsque sonl étudiées des «stratégies matrimoniales)O (par exemple, Fran~ois de Singly. F orlune et infortune de la femme marile, Pans, PUf, ,1987). .

9. «Seules les régularités statistiques qui correspondenr ~ un sens Visé compréhensib1e d'une activité sociale constituent des types d'actes compréhensibles (au sens de notre terminologie), c'est·a-dire des" regles sociologiques ":. (Economie n socibt, op. dt .. p. 11).

10. Le chapitre 1 des Regles est régi par une oJJpOsition récu~llte entre l'inteme el l'exlet1le, le dedans el le dehon;. Le SOCial eSl ce qUl, daos les individus, leur vient du dehors, et par eonséquent s'i~pose Ji e_':Ix., qu'~ls en aie~1 eonscience ou non: «Nous sornmes alors dupes d une ¡IlUSlOn qUl nous faIt eroire que nous a'lons élaboré nous·meme ce qui s'est imposé a nous du dehors.» (p. 7). L'éducation est ¡'activité socialc qui vise a imposer les ~aniUes de vOlr el de penser de la société: «Si, avec. le lemps, cene ~trainle ~ d'etre sentie, e'est qu'elle donne peu a peu nalSssnce a des ha~ltudes. A des tendances intemes qui De la remplacent que paT"Ce qu'elles en dhj'lent» (p. 8).

11. er. les divers concepts de« socialisation », d'. eneulturation », de« persan­nalité culturelle », etc.

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102 L' intelligence du social

expresse des opérations nécessaires poue les atteindre, objective­ment «reglées» et « régulíeres» 8ans etTe en rien le produit de l' obéissance 11 des regles, el étant, pour cela, collectivement orchestrées sans etre le produit de l'action organisatrice d'un chef d'orchestre »12. Si ce concept peut etre anaIysé de diverses ma­nieres 13, son enjeu décisjf naus semble en fait etre le suivant: en tant que réponse idéaltypique au probleme du statut sociologique de Pindividu cornme sujet, son, contenu est-iI d'ordre théorique ou d' ordre logique et prograrnmatique? en d' autres termes, le concept d'habitus rend-il compte de phénomenes _ nouveaux ou non - qu'il permet de penser dilféremment ou vise-l-il 11 résoudre une antinomie logique entre un scheme (en I'occurence fonctionnel) el son domaine d'application (l'activité des acteurs sociaux) ? Nous aunons alors affaire a une traduction en langage théorique d'une manifestation du processus de neutralisation évoqué plus haut: /' intériorisation des déterminations externes. perm.et la producfion d' une théorie déterministe du sujet, de meme que la rupture du cercle herméneutique permeltait la production d' une théorie non symbolique du sens.

Une matrice d' échanges généralisés

Que chaque scMme explicatif soit doté d'une logique irréducti­ble n ~ est done pas eontradictoire avec le constat des rnuJtipl.es intedérences entre schemes que manifestent les analyses concretes. Oeux éléments permettent de résoudre ce probleme: d'une par! les isomorphismes existant entre schemes et dessinant de j' un a }' autre des voies de passage possibles; d' autre pan le processus général de neutralisation permettant par objectivation d'une relation explicative partielle de l'insérer dans la logique d'un autre scheme. Ces deux éléments sont différents en oature. Le premíer renvoie 11 la structure logique des schemes. Le second pose le probleme de leur mise en reuvre concrete au sein d' explications complexes et des dérives possibles qui peuvent les affecter. Il est possible

12. Pierre Bourdieu, Le sen.r pru(ique, Paris, &l. de Minuit, 1980, p. 88. Voir également. QuesI;ons de socio/agie, op. cit., p. 133 el sq.

13. ef. les études r6cenles: G. Risl, La notion médiévale d'« Habilus» dans la sociologie de Pierre Bourdieu, Revut! Européenne des sdellces sodales, 22, 1984. et Flllll460is Héran. La seconde nature de ]'habilus, in Rel'ue frunfuise de sodolo.r:ie, tome XXVIIl, 3, 1987.

/)(.", schemes QUX discours 103

e rendre toute la mesure de ce qu'implique I'idée d'isornorph~l­~/ aniel des schemes explicatifs. on peut ~n effet con~tru.":

p b ne matrice d'échanges générahses du type SUlvant , lIur cette ase u

r IS~S'I_IS~S'~SI ~ I seh. fonctionnfl/ seh. causa I

u ~

I .I~r 18-+S')-IS (1 V non sI. s' {s' V non s'}JJ S' s'

I-I-I! 1 , S S

I sch. hllrménsutique seh. structursl

l ,. 11 -8-f-)

IIS{l:.}~S'~S¡-IS~S'~S!.l t'" no .. 1 ,S'

S S

T sch. diltique seh. aClanCfe/

Il est inutile de surcharger ce schéma en ~ inscri.vant ['ensem­ble des relations possibles entre schemes. ~L ~ssentlel est que le

. .pe SOI·t c1air: a partir du moment ou 1 on met en rapport pnncI . . 'l. l' par d x systemes (S et S') dans I'intenllon d exp Iquer un l':~tre, iI est possible, sflon les déterminations retenues, de pas~er de proche en proche ou par transformations succeSSlves d un scheme Al ('aulre. On peut cenes objecter qu'une analyse peut ne pas mettre en relaríon deux systemes, mais chercher a rendre

mpte d'un phénomene en explorant la nature propre du systeme ~~ il s'inscrit: on restera alors plutot dans le cadre d'un.pro~ réc· Cependant la mise en évidence d'une telle matnce d échan­

pIS. de.t t de ges est intéressante a plusieurs titres. Elle permet. SI .uer e é thématiser des cheminements partíels comme ceux. décnts préc -dernment. qui manifestent en quelque sorte des halso~s ou ~

. . ·lé·é Elle permet d' autre par! de mleux ,,",s.r ghssements pnvl gl s. .. l'espi:ce d'irréductible ambigu"ité des termes relallonnel~ dornmants comme systeme, cause, sens, structure, fonne, ~ltuat~on ... Force est de constater que toutes les entreprises de clanficatIon concep-

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104 L'intelligence du social

tuelle entreprises a ce niveau ,-I'ont jamais permis la mise en reuvre et a !ortiori }'usage univoque de 'ces termes que dans le cadre de prograrnmes tres restreints: l'utilisation, par exemple, relativement codifiée du tenne de systeme par I'analyse de systeme, n 'empechera pas que soit désigné du meme mot un ensemble de représentations. d'actions ou de signes. De meme, si la causalité a I'reuvre dans l'analyse causale est définie par la covariation et l'antériorité, l'idée de résultante présente notarnment dans les schemes actanciels et dialectiques tendra a désigner le systeme S dont résulte un systeme S' comme étant sa base, son fondement, sa cause... .La méme anaIySe pourrait sans peine etre faite sur les autres tennes. On peut voir lA un défaut inbérent a la polysémie des langues naturelles OU, a l'inverse, la marque d'uDe insuffISance d' analyse, impuissante a atteindre le noyau logique de chaque terme. Cependant vouloir fixer les définitions mene A un double écueH : soit a une détermination excessive - le, terme de systeme sera par exemple réservé a des ensembles physiques régis par une Dorme de régulation interne -, soit a une indétennination insurrnontable : dire qu 'un systeme est une organisation d' éléments, ou qu'une cause est la base, le fondement, la raison - causa sive ratio - d'un état de choses, ne représente en quelque sorte que I?usage neutralisé,- descriptif, de ces tennes ; expliquer exige au contraire que soient spécifiées la nature et la structure du systeme, la modalité et la forme de la relation de causalité. Nos analyses précédentes nous incitent donc plutl\t ¡, chereber l' origine de cette épaisseur sémantique irréductible dans le travail explicatif lui-meme, dont nous avons vu que bien loin de s'enfenner dans un programme et une logique, iI tendait au contraite souvent a tisser des liens d'un p61e a l'autre, d'une détennination i\ une autre. L'incompressible labililé de concepls aussi fondamenlaux que ceux que MUS venons de citer, ¡eul" incroyable capacité a résister a l' analyse et a la critique, trouveraient peut-etre leur fondement dáns cette uniré de la complémentarité et de l' irréducti­bilité que manifesle la pluralilé des schemes explicalifs.

Il est cenain que le fondement de celte unité est également a interroger. NOllS entreprendrons cette remontée vers l'amont dans le chapitre suivant. Retenons cependant un dernier fruit de la mise a plat que constitue le systeme généralisé présenté plus haut. Il est possible de doubler les relations de passage d'un

IJ'N schemes aux discours 105

Mlhéme a l'autre, de relation. d'affrontement et de rejet. De fa~on ... ez inattendue, les grandes polémiques qui ont marqué l'histoire d' une discipline comme la sociologie associent deux a deux, en n,ures antagoniques, les divers schemes : ainsi Durkheirn (scheme aaulal) et Sirnmel (scheme hennéneutique) ; Lévi-Strauss (scheme Ilructural) et Gurvitch (scheme diaIectique); Adorno (scheme dlalectique) et Popper (scheme actanciel); Boudon (scheme actan­gle!) et Bourdieu (scheme fonctionnel), etc. Les relations d'échange 1\ de passage sont donc doublées de relations de rejet et d' affrontement masquant par le dualisme qu' elles génerent le pluralisme logique qui seul les rend possibles: I'enjeu de ces Irandes polémiques est en effet celui de l'explic.a~ion « ulti~e ». Or un scheme ne peut prétendre a une telle posltton que s 11 est eapable de rendre compte de la complexité du social, c' est-A­dire d'utiliser en la neutralisant la capacité explicative d'autres sehemes. Le probleme est alors le suivant: qu'exprime celte difficulté a reconnaltre le pluralisme explicatif? Quel príncipe d'unité est ainsi a l'ceuvre daos ces tentatives réitérées de réduction? De quel enjeu autre l'enjeu d'intelligence de l'objet

est-il investi?

DES SCHEMES AUX FAITS

Réservons a nouveau la qu~stion précédente: elle sera l' un des themes du prochain chapitre. Pour I'heure il nouS faul aller a J'opposé et traiter le probleme suivant: seloo quelles modalités s' opere la relation des schemes aux données empiriques? Celte question est décisive pour le travail scientifique Pllisqll'elle engage sa capacité A passer de la description a l'explication. Dans le cadre du pluralisme nous avons déja noté deux réponses possibles (p. 84): l'une privilégie le bricolage du chercheur, attentif i\ son objet e\ a son terrain bien plus qu'aux débats théonques et épistémologiques et construisant son explication en recourant aux diverses techniques qui lui paraissent souhaitables; l'autte, a travers les tennes de paradigme ou de langage, met en avant les relations privilégiées qui vont s'instaurer entre les divers nive~ux du travail de connaissance: «Chaque paradigrne sociologique, c' est-a-dire chaque complexe particulier de théories, de doctrines, d'idées-forces, de méthodes. telle positivisme ou le structuralisme

Page 53: Libro de Berthelot francés

106 L'inrelligence du social

opere u,ne séleclion spécifique de schemes épislémoJogiques de ~oncepl1?ns ontologiques el de disposilifs méthodologiques Cha­cun P~lVllégle lel aspecl épistémologique (descriplion pre.ll f cau)sat:?'6' ou lelle posilion ontoJogique (boJisme, individ~~~~: ~:s' '»Ia es d;ux poslllons ne sont pas véritabJement incompali-1.' preml re InslSIe cependant sur l' autonomie et la neutralité

re al.ves des méthodes et des tecbniques alors que la seconde met en avant leur solidarité . d . globales. Qu 'en est-il ? au sem e 10gIques explicatives

La double détermination: valeur probatoire el explicative pertinence

éfé La reprise du symbolisme ulilisé dans I'analyse des teXles de r • re~ce :t 39) peut nous Mder il cerner celte question au plus preso n ,scours de conDlllssance y était ramené iI la formule

T->{p}={ e}

00 {p} désignait un ensemble de propositions explicatives el { e } un, ensemble de proposilions empiriques. Le probleme posé es\ ceJw du rapport d?adéquation qui s'instaure entre les unes et es autres (désigné par le symbole = dans la formule) Ce rappo~, par, leq~ella théorie touche aux fMts et·assure sa vaIÍdité e~pmque, Implique la compossibilité de {p } et de { e }. { } dOIl 8tre it la fois . ;Ii if ' e , s.grnJ.can el probant et, symétriquement { p } dOlt 8tre il la fois perlinent el lestable. Nous sommes don~ en ~ré"."nce d'une double délerminalion: générique _ toule explicauon dOlt @tre prouvée - et spécifique : a tel type de fMIS correspond lel type d' explicalion. Les leXles analysés nous ont mon~ cette. double relalion: Durkheim, pour réfuter I"dé le sUIcIde sOIl héréd'taire h o I e que mer I . I , roe erche des faits susceptibles d'infir-, a relation causale postulée par une telle hypoth~se n

s attache d' abord it des dénombrements et il des Corrélation; la

IloglJ~e de la preuve définissant les condo

itions que doivent remp' lir es .alls pour etre probants P I de I o o o, • ar contre, o .. qu'il invoque I'idée

en a« v~ contagleuse» de ]'exemPle. il oe se situe plus _ .un preml.er lemps - au niveau de la validité de I'hypoth~se

mals il celUl de sa pertinence De la meme . > I ' . maflIcre. orsqu'i!

14. Jseques Merman Le l • s angages de la sociologie, Paris PUF 1983 < , , • po J.

n',f schemes aux discours 107

"'fine I'idée de I'anlériorité de I'accumulalion du capilal sur le d'veloppement du capitalisme modeme, Max Weber sollicile un I~pe de faits déterminés, valant non cornme tableau historique m.IN comme opposilions typiques: I'esprit du capitalisme est •• lllssable des le XVII' si~le « au milieu des forets de Pennsylva­nle _, alo .. qu'il est condamné dans la Florence du Xlv" et KV' si~c1e, «le plus grand centre capitalisle du lemps» (p. 79),

11 s'étabJit done bien une relatioo décisive entre propositions explicatives et proposilions empiriques, Si une théorie, comme Iysl~me conceptuel el proposilionnel, vise A rendre compte d 'un domaine du réel, ce rilpport - que I'on peUI symboliser par T -+ R - implique comme sa condition le rapport {p } = { e }. Or, eomme nous l' avons vu el venoos de le voir a nouveau~ ce dernier ne renvoie pas seulement a la confinnation empirique, mais également il la pertinence explicative. Faut-i1 en conclure que chaque logique explicative implique la mise en reuvre de méthodes empiriques spécifiques et que par conséquent ces demieres - questionnaires, histoires de víe~ observation, analyse documentaire, etc. - sont solidMres de modes d'intelligibilité déterminés ? que, de ce fait, le sentiment de bricolage du chercheur n'est - ho," les cas, fréquents, OU il reste extérieur a la production d'une explication el articule seulement des procédés de description - qu 'une méconnaissance des logiques explicatives animant les oulils donl iI use ? que l' approche du réel se fMI done nécessMre­meot selon les voies que trace en creux le scbeme explicatif a l' reuvre dans la problématique ou la théorie de référence du chercheur? On retrouverait alors une conception constructiviste du fail, opposée A la théorie na'ive du fMt brut ou du fMt neutre.

Or, ee probleme est du meme type que eelui que nous venons de trMler concernant I'irréductibililé et la complémentarité des sebemes. La these constructiviste qui, sans aucuo doute. est la plus confanne aux acquis de l'épistémologie contemporaine el aux approches psychologiques, sociologiques, linguistiques de la eoonaissance, peut devenir a son tour une vulgate si elle o' est pas réguli~rement éprouvée dans I'analyse des réalités. Nous vauIoos pour natre part tenter de démontrer la proposition suivante : les faits dont use la connaissance du social son! d la fois construits et partiellement neutres du point de vue de leur vaJence explicative.

Que formalisons-nous par la lettre {e}? Un ensemble de propositions empiriques, c'est-a-dire d'énoncés du type: le taux

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108 L' intelligence du

de suicide chute brutalement daos tous les états européens 1848 ; l' esprit du capitalisme existait sans nul doute au Mas,",",nu,,;. seUs, avant que ne se développe l' ordre capitaliste ; « On dit les boutiques, cenaines POUrtant distantes les unes des autres plusieu... centaines de metres, sont reliées entre elles par

Souterrains, lesquels confluent Sur un gros colJecteur qui uevuuc'''''LI sur la Loire ou, de nuit, un bateau, voire un saus-marin, chercher sa cargaison (Lévy assure qu 'il a lancé vendredi blague le Iheme du sous-marin et que celui-ci est revenu vérité le samedi) »"; «Daos la manufacture d'enveloppes un ouvrier doublait le papier avec le plioir, un autre apPUI~u~4.~1 la gomme, un troisieme renvel'8ait la levre qui porte la un quameme bosselait les devises,etc.; achaque opellIDO''!", partielle, chaque enveloppe devait changer de main. machine exécute aujourd 'hui, du meme coup toutes ces opera~,o~l et fait en une heure 3 000 eoveloppes et meme dalvanulge Ces faits, que I'on pourrait multiplier, sont bien ev.demrne"l" construits; mais ce 800t précisément les procédures d'une telle eonslruction qui imponent. Elles sont bien connu"" des méthodologues qui répertorient, analysent, comparent, les diverses procédures de recueiJ' el de traitement des «données»" (data). Celles-ci peuvent pour notre propos etre schématisées ainsi :

R. .. {d(s) -> d(t) -> d(e) }

Une réalilé donnée (R), est appréhendable a trois niveaux successifs d' élaboration des données ou de conslruction des faits (d): a celui de la sélection ou du recueiJ d'inforrnations [d(s)l, a celui du traitement des inforrnations recueillies [d(t)] , i1 celui, enim, de ]'exposition saus fonne de faits ou de propositions [d(e)]. Les trois exemples que nous venons de citer appartiennent a ce troisieme niveau. IIs procedenl donc également des deux élapes précédentes, que l' on pourrait reconstiluer. La question est aIors la suivante : tanl dans leur structure que daos leur genese ces faits portent-ils la marque d'une logique explicative spécifique ? n' ont-iJs de pertinence que pour une approche délerminée ou sont-ils, al'inve .... , partiellement neutres du point de vue explicatif, c'est-a-dire utilisables par des prograrnmes relevant de schemes différents ?

15. La rurneur d'Or/éans. op. cü" p.27. J6. Le Capitol, Livre 1, t.2. p.64.

Mt'hdmcs aux discours 109

[08ique el neutralité théorique des données

. "t as simple' les techniques ~po~~ed: :~~~:~:; '::~::é;: !nt multipl~s el évo~te:

",Ue'Cle ue les modalités de leur mise en rapport. p~oc. er

q aurail u de sens. Nous partirons plutot de 1 ex.g~nce

='I:'~~;~S~;i;'¡I~ pe d pe-'nence entre proposltlons ' Le concept e w .

et pr~positions explicatives implique que les f;::S IPIlfIQIU'e:'tre structurés d'une maniere qui les integre it un m e

délenniné. Celle .tructuralion ne peut p~ cm: & tén'eure sous peine d' ctre artlfiClelle , ''II1lposUlon d'une lonne ex .

'. dance un isomorphlSme, entre dolt done exister une correspon, et la structure .ch~me explicalif a I'reuvre dans le prograrnme spondance

. d lle nature sont cene corre fa~ts utilisé~. Ma~s : q:Cédures de coJlectes et de traitement cel lSomorphlSme . Le PI & 't xposé d(e) d'une struClure d nées dotent-elles e ,a. e

on nant en elle son intelligibilité potentielle, ou HllnlVOdq,UOu"n'e ~::ure complexe susceptible d'etre lue el lOterprélée

"., diverses manieres? . a I'aide d'uo fait typique tiré Nous abordemns cette questlOfi . . l' de la sociologie La croissance économlque d ' un champ parbcu ler . 'd les

o mondiale s' est accompagnee ans qul s~.t la ',,:,~e ,;:,u'::Sforrnations lechnologiques el structu­pays lOdustn '. I a une élévation générale du 11 IradUlsant par un appe , de re es se , " C nfrontés i1 l' exigence el a la deman nlveau des competences: 0

1 te s d'enseignements hérités

d' une scolarisation mas~.ve, les SY'I' m~ el les themes de la d ";;ele éprouvalent eU1'8 '.m'. , ,

U XIX SI. 'ole et de l' égaJité des chances devemuent démocratlSatlOn de I éc mieres éludes empiriques d' autanl plus pressants, que les pre, des enfants issus des rév~laient l' exdusion et !' échec

td m a:;.f

le suivanl' la position

ulaires lA Le 1811 es o '. classes pop. " .. sociale Ce fait peut, dans la formahsa­scolaire est hée al o~gme 't e~ de troisieme niveau _ d(e) _, tion présentée plus aut, SOl .. pirique selon qu'on ne le

. t· t er déja une proposltlOn em , 00l! cO,ns • u I'une des relations mises en évidence da.os conSIdere que eornme . l' état de réaJlté le traitement des données, ou a l'Inverse comme

17 On trouvera un exposé synlhétique sur cene question in Pierre Jaccard. . , . p. Payot. 1962. .

Soc:iologíe de llduc;atlOn, ans, 1 Aplitude ;n'ellec'u~lIe el éducatlon, 18. Cf. le recuetl : A. H. HaIsey el a ., OCDE. 1961.

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110 L'intel/igence du social

majeur en découlant. Il est établi a partir de données de répartition scolaire, foumies par les administrations DU, plus généralement a J' épcx¡ue. recueillies par des chercheurs. Ces infonnations initiales sont traitées sous fonne de tableaux de contingence et meUent en évidence des liaisons privilégiées entre divers faits scolaires (réussite a un niveau donné, type d'établissement et de section fréquentés, poursuite des études) et les caractéristiques sociales de la population étudiée. ees·divers faits peuvent done etre considérés comme autant d'indicateurs d'une meme réalité fonda­mentale, le posilionnement scolaire, qui peut • SOn tour <ltre globalement référée au posilionnement social des sujets répertoriés. La structure du fait ainsi produit est done une corrélalion statistique. Comme telle elle eorrespond tout a fait au prograrnme nomothéti­que du scbeme causal (y = .f{x)), el c'esl bien ainsi que le fait est d'abord interprété. Or la conslitution de la SOCiologie fran,aise de l'éducation va se faire autour de I'insertion de ce fait dans des systemes d' intelligibilité construits SUr des programmes radica­lement différents. La chose peut <ltre. présentée ainsi :

FailS :

di') :

d(l) :

die) :

données brotes de répartition scolaire ou recensements opérés par sond_ges. croisements des variables référant a la situation scolaire avec des variables démographiques el sociologiques: sexe, age. pcofessiü:n des parent8 ... établissement. A titre de fails. de liaisons statistiques significatives: Age·situation scolaire. lieu de residence. situation scolaire, profession des parents-situation scolaire ...

Propositions empiriques :

{e} : Les diverses relations stahstJques étabJies peuvent donner Heu a proposition empirique. Sera retenue comme la plus Préoccupante la relation entre origine sociale et réussite sco1aire, dont la fonue logique sugg~re une interprétation causale. On peut ainsi écrire le «fait initial» :

P2 [Positionnement scolaire] = f (PI) [Positionnement socialJl~

19. Rappelons que le symbole de la fonction mathématique doit elre pris ici daos un seos idéaltypique. c·eSI·a-dire comme cas limite d'une relation qui, empiriquement. ne manifeste qu'une implication faible du type: si PI alor.- iI y a de fortes chances que P2.

.. ~('h¿mes aux discours

MIId.I." d 'explication :

" indicateurs y liés a P2. " indicateurs x liés a Pl. 11 autres variables z ¡mié·

Plndantes susceptibles d'interve-

IIlr. l d· ENterll'liner et comparer es 1-

"ene,. relations: 1- j(x), y= j(z). , := j(X)M. . On obtient la relauon globale.

P2 = j(Pl)

2. Scheme fonctionnel

111

3. Sch~me actanciel

Soit p2+ et p2- des alu:matives de positionnement scolau-e. Soit Ll un ensemble d'acteurs f' t les choix (e) +/- en fonc­t::u:.e l'utilité (U) qu'i1s leur reconnaissent. On obtient le sysreme de rela­tions: 1 \. 'Va, e = p2+ V p2-12. 'Va, e = U ap2 = j(pl) 13. 'Va, p2 = ftpl) 21. 4>2 '= P2. l:pl = PI 22. P2 = j( P 1)"

Soit les dichotomies P2 +/- et PI +/-: Soit la culture C. elle aussi ~ich?loml~ ~/~~ e Soit S le systeme social ou .s ~crlv~nt P .' . On oblient ]e systeme exphcabf SUlvant . 1. P2 = j(C) 2. C { + v -} = PI {+ v - } 3 S {PI+-->C+-->PI+} 4: S {PI ..... C-+P2 ..... PI}, oú P2 =f(Pl)n

, . c'est-a-dire le fait d'l!tre oK en avance », 20. Une variable comme 1 ige re~atlf -n faéteur inteimédaire typique. TI est a "a 1 'heure» ou 4< en retard », co~tltue u et avec la situation scolaire (P2). De la fois c':lrrélé ~vcc I'o~i~jne SOCI~!tá'un roté de l'ori8~ sociale _et,ex~ry~nt telles vanables m~édlalfes: ~ 1 scolarisation conshtuent souvent 1 ~jet de l'autre une action détermlnée sur a le EUes pennettent de mettre au 10ut de recherche spéciftque de l'approche :US:péc' ifter les médiations exislant entre des struclures causales comp1exc:s et .

des niveaux ditTérents de la réabté f s~~ion allusive. les deux c~posantes 21. Nous résumons., par cettc o l' régation des d6cisions indlViduelles.

d' approche actanClelle fonelée sur ag éc" 11' Uf chaque 8CteUr, ~~lalÍans 1.1, 1.2! 1.3, ré5,,!~eOl¿.a )~~::.';o: sc::::: ~~2+ v p,2-).résulte le choix (e), c'cst-lI.-dlre la déclSlon one te les caractéristiques objCCllves et d'un ca1cul d'utili~é (U) ~anfi :iO~o~ la situotion sociale initiole. (Pi?: A subjectives .du cholx ~Uop ) e';. ~n d' e sectian a un momeot donné, unl:,h9~ réussite $Colaire idenlllJue, le e 01~ df erses caractéristiques _ ige, poISlbibté une prise de risque dlffén:nte se on ~'un déplacement giographique, etc. _ d'aide des panmts, nécessué : In~tuation sociale conc~ du sujet (PI). Les dépendant en demi~re Ilf!alyse , a 51. re ation des choix: le position,nement relations 2.1 el 2.2 eXPf&:Dlent 1 effet ~~g :es diverses onentauons in~ivlduclles scolaire global (P2) résulte de la $(lm~a lon

ition sociale initiale, le-posiuonnctnent

(1:- p2), el cornme chacune dé~ de pos social de la population étudiée -(2.2.) scalaire global dépend d~ POSlli~ne~~ dans ce sysWne de relati~ par la

22 Le scbeme fonctlormel es ex ré l'essence de la t:h6orie de la relatio~ 3 (S {PJ+ -+ C+-+ PI+}) 'Jui sU~servarion et de reproduction des reproduction: la culture a une fonctlon de y'"

..,

·1

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112 L'inteJligence du social

La premiere approche esl ca l l tenne en divers indicateurs el O~:i:~ ~le dé~mpose chaque deux afin de mettre é·den s erolSements deux iI l· en VI ce les eorrélations dom· te C' a VOte suivie par la p]upan des' lOan s. est

el de démographie scolai ¿r;,mlers tr~vaux de eomptabilité eelle que lan~a I'INED re. l ran,;" l eoquete princeps fut

d . sous a direetlOn d' Alain Girard" La ~~n e caracténse «1 'axiomatique de la . 24 • • mlllée par Pierre N ·11" reproduetlOn» , qUI

aVI e sera surtout illustrée I classiques de Pierre Bourdie 1"" par es travaux Chri . u et ean"",-Iaude Passero d' té diffé stlMI Baudelot et Roger Establet de l' autre" ~al~c~ ,

Wébére~ tbéoriques entre ces auteurs (référenee· a la tbéori~s nenoe de la lé .. . té e . g1l1ml ehez les premiers iI l' h

lII1lrXIste des rapPOrts entre insfrastruet ,approc e les seconds), le travail explieatif est de more et superstructu~ ehez ment scolaire différe fleme nature . le poSlllonne­tion/exclusion homo~ole u:s~sformé e~ une dichotomie sélec­eIasses dét· g diehotomles classes favorisées/ culture do~=~s elt eu::.,ure dominante (enseignée II l' école) lean CI d P exe ue l' école); ehez Pierre Bourdieu e;

au e asseron eette homologie stru lural _. divers rtiveaux (réussite .colaire I c. e se déplOle a culture dominante) 111 • eu ture scolarre, culture savante élahorées ' ...., o~ve des oppositions du meme ty~

. par la soclOlogle anglo-saxonne (code -1 boré~ restremt27

), et est pensée cornme un e a code retraduetion d'avantages de el processus généralisé de

asse en avantages scolaires M . ce process,us m!me est intégré a . 81S plus complexe ou I I un systeme au fonetionnernent 1, . ' a cu ture dommante est a la fois le od'

expresslon et I'instrument de Ié·ti . pr Ull, et ou l' éc I di . gl mallon de la dasse dominante,

o e, spensatnce de la culture légitime, contribue a la

rapports sociaux Cette relation 3' r ol!. l'école (repr&cntée par P2) t Imp lque com~e sa cOnséquence la relation 4 une re~tion exprimée en langage r:::al(l:o:~~n, Elle ~tegre simultanément corrélatlOQ.S entre le niveau culturel des f .u on I ,qU.1 résl!IDe les diverses enfants) el une autre construite selon anu es el I Onentation scola¡'~ de. .. origine ~ établie daos la relationl~)sc~= stru~tu~ (1'homologie culture! tout2~ tait C~risti.que de la SOCiolog~ de Pie:m .so:x~~ programmatique est

24· CfINEDJ• PopU/!I'10n el enseignement, Paris PUF 1970 ¡eu.

. . can Mícbel B_Io<, Le·é '. ' . 25. Píerre Naville Théorie de ' pi ge. sco/alre, París, PUF. 1983 P 33

Paria, ~. Gallimard. 1972. IOllentahon seo/aire el p/'Ofessioll~l/e~ 1945, . 2~. Plene Bourdieu et Jean-Claude P

Minwt. 1964; La Reproduclion Pans assen>r;J. f:es héritiel's. pans. Ed. de et .~er Establet, L'~eole capilalisle ~:t.de MI~~~ J970; Christian Baudelot prrl1UJlre divise. Paris. M • ......l_ 1975 lance, Cl:UUi, Maspéro. 1971; L'lcole

27 Cf B il Be ,....,..U. . de M~uit: 19-;5. msleln. Langage et c/asses SOCiales. 1971, trad. pans. Ed.

113

rtproduction des rapports de classe par la diffusion de la culture . _Inante et la sélection qu'elle rend possible. La relation causale

Inhlalo s'inscrit done daos un programme d'analyse fonetionoelle. La lroisieme approche, enfin, est actaneielle et eonceme essentielle­menl la durée différentielle des études selon I'origine sociale. ClnO-ei peut etre pensée eornrne résultanl des décisions· prises par les acteurs en fonetion de I'utilité relative qu'il y a pour ohacun, compte tenu de ses caraetéristiques sociales et des po •• ibilités définies par le systeme, a poursuivre ou arreter son eheminement seolaire. Celte troisieme approche a été particuliere­mem développée par Raymond Boudon".

Ce fait a une valeur tout iI fai! exemplaire ; la meme proposition Impmque peul etre intégrée iI trois systemes d'intelligibilité dlff~rents. Sa structure initiale est susceptible, sans trahison ni tiduction, d' etre retraduite dans une strueture compatible avec un autre seheme; les memes isomorphisrnes qui assuraient les lntorférences entre schemes renden! ainsi possibles la subsomption du meme faíl sons plusieuTS schemes. De causale el directement lntelligible eomme telle dans le premier cas, la relationétudiée dovient la trace partiélle d'uo fonctionnement complexe dans le .ocond et la résultante d'un systeme d'aetion daos le troisieme. Parler cornme précédernment de neutralisation po~ expliquer ces passages n' est par eontre pas nécessaire. En soi le fait n' est qu' une description. Il ne comporte pas de dimension explicative qu' il faudrait neutraliser. mais seulement une plus ou moins irande proximité du langage qui l'exprime avec un mode d'intelli­gibilité partieulier.

Cette situatíon nDuS parru"t constituer une - el peut-atre la -caractéristique décisive des sciences sociales dans leur ensemble: quel. que soient les langages descriptifs privilégiés selon les disciplines et les champs, quelles que soient les tbéories de moyenne portée eonstruites, iI esl toujours possible d' opérer un tran!ifert d' intelligibilité. Le probleme par rapport a l'objet est bien évidemment celui de la pertinence et de la validité de ce transfert, qui doit se soumettre aux regles de la connaissance seientifique pour pouvoir e\re reconnu. Mais indépendamment de cette question normative, l' essentiel est que la nature logique' des éléments et des procédures de conoaissance le rendent possibles.

28. Raymond Boudon, L'inlgaUlé des chances, op. cit.

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114 L' inlelligence du social

Nous pouvons a!ors tout a la fois répondre • notre question et mieux saisir le passage de I'empirie a la théorie, de la description a I'explication: seIon norre schématisme antérieur, iI réside dans la transfonnation de failS existanlS d(e), résultant donc d'un lravail antérieur d'élaboration effectué ou non par le chercheur, en propositions empiriques adéquates a des propositions explicatives :

{ d(e) } -+ { e J = {p J Deux choses ici se jouent: cornme nous venoos de le voir

plus haut, le fait initia! sera nécessairement inserit dans une coostellation de failS pour arre retraduit en une proposition empirique de la théorie. Cette retraduction équivaudra ¡¡ foumir a {P} le fondement empirique dont il aura besoin ou a die) l'explication possible qu'elle requiert. Bref le travailexplicatif que nous avons cherché a mettre. en évidence sur les discours ou iI s'exprime se donne a I'reuvre pTécisément ici, daos cette rone de tension cnrre des données toujours déjil existantes et une explication en' ¡enne, exprimant en .intuitions vagues ou en hypotheses partiellement structurées une possible liaison eorre le sensible et I'intelligible, selon la formule géoérale suivante,

S ... T -+ {p } = { e} ~{ d(e) J, {d(t) J, {d(s)} ... R

oU 'S, le scheme d'intelligibilité, et R, la réa!ité visée enserrent un double processus, théorique et empirique, de formes et de modalités différentes : un processus théorique, qui meme s'iI ne prend pas la forme canortique de la déduction, implique néanmoins une articulation logique de propositions et de concepts; un processus empirique, ou chaque niveau n'est que partiellement dépendant du précédent et définit des classes de nature différente. Si ces données réterent au réel (R) en ce qu'elles sont des informations sur lui, et si la construction théorique dépend du scbeme (S) en ce qu'eIle s'inscrit dans un mode d'inteIligibilité, le travail explicatif ne s' injere ni de /' un ni de [' autre, mais se construit ti /'interface des deux domaines.

Articula/ion de données hétérogenes el interlangage

Les données dont usent les sciences sociales s'expriment en divers langages : dénombrements statistiques, índices, descrip­tioos de comportements. reIevés de trajectoires personnelles, de

LJtl~ .H.'hemes aux discours 115

unlyances, etc. Chaque niveau d'élaboration esl susceptible d'employer l'un ou l'autre et d:opérer des transferts de l'~o l "Mulre. N'importe queUe producnoo soclOle est suscephble. d .8tre Oonlidérée cornme une donnée; la donnée brute peut amS1 se oonfondre avec le réel: c'est le cas des documeolS dtvers, ~mioistratifs ou privés dont les historiens sont loio d'erre les aculs a se servir. Le langage en lequel sont formulées ces données •• t celui en usage dans le systeme d'action on. eUes s'in.ereot: circulaires administratives, relevés de compte, ]ournaux mume~, notes, dessins ... Si la langue naturelle en est le plus souvent. malS piS exclusivement le support, les «jeux de lang~ges »29 a l'reuv~ y sonl aussi divers que ceux dont use la réabté a ~aqueIle, tls lOot soustraits Mai. la donnée brute peut égalemeot resulter d un travail spécifi~ue de construction. Sans doute est-ce la que 1'0n trouverait au plus étroit la trace d'uDe logique expli~ative ~truct~­te si ce mode de recueil, caractéristique de I e"pértmentat~on lcientifique, était la marque exclusive de la seience. Or I'observanon systématique et oUlillée de ré.lités déterminées précede la pensée scientifique; elle est d' abotd le fait de la pensée techmque, el, en sciences sociales, de la pensée gestionnaire. Les recensements d'hommes. d'animaux, de bieos, SODt contemporains d'organisations étatiques centralisées, et, dans Ieur fonne moderne, continuent de. foumir des infonnations ol! la connaissance, de plus en plus finement approchée, reste subordonnée A l'action

JO• . '

Face a la réalité sociale l'esprit seientifique n'est done Jam81s privé de failS. II esl a I'inverse toujours confronté a une masse hétérogene de données multiples. Celles-ci peuvent néanmoms se révéleT ¡nsuffisantes pour répondre a une queshon donnée. Le chercheur alors toumera la difficulté et exploitera au mieux les données e"istantes (c'était la stratégie de Durkheim) ou lancera uoe enquete afin d' obtenir les inforrnations dont iI a besoin. Dans ce cas, et si effectivement la recherche vise a corroborer un

29. Ceue expression est notammenl ~lilis& et développée par Ludwig Wittge~­teín dans les Inves/igarions phi/osophlques (7. 18. 23, 60.· 69 ... ), 194.5, Paris, Gallimard. rééd. «Tel », 1986. . . ,.. . de

30. Cette .e; action It désigne les mtenttons d lD!e~entlon. de .régulat~ot,t. gestion, qui prési~rent le plus souvenl ~ ~ consutunoo. des outils stallstlq~ officiels (cf. Pou.r U.M Ns/oire de la statJstlque, ~ll. París. ,lN~B:E)' ,Cene fin es en soi tout a fait légitimc. Le seul prob~me ConsIste dans l ,:,tiltsanon pour WlC connaissance du social des outils de description aiosi, prodults, On trouvera le rassemblement de diverses contributions il cette, quesbon daos .Ies Actes ,di! la journle d' éfude «SociolOSie el statistique >lo, Paris. INSEE et Soci6l~ ~(lJse de Sociologie, J 982, 3 tomes.

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!"r"

116 L'intelligence du social:

systeme d 'hypotheses, la slruclure des faits it oblenir, el par eonséquenl, le ehoix des méthodes de reeueil el de trailemenl seronl détenninés par une logique explieative préalable. Maio eneore eelle·ei peul-elle jouer de f~on plus eomplexe el moios linéaire : une enquete sociologique ou psyeho-sociologique stan­dard, réalisée au moyen de questionnaires nonnalisés, traitée de f~on statislique, peuI, sur le plan explieatif, e\re inlégrée it des modes d' intelligibilité loul it fail différents selon des modalités variées; si le langage utilisé ici esl fondamentalemenl eelui des variables el donne lieu le plus souvenl it une interprétation causale, les méthodes statistiques d'ana!yse dedonnées mulliples (AFC, nuées dynamiques) sonl loul aussi légilimemem intégrables it- une approche actancielle : iI Suffil de lire les Iypologies produiles non comme la _ trace de relations causales, mais cornme des idéaux­Iypes". Sans aller jusqu '8 des trailements aussi sophistiqués, des questionnaires peuvenl atre utilisés nOn pour étahlir des corrélalions entre variables, mais pour saisir les position. réelles d'acteurs au sein d'un sysleme d'action détenniné". Enfin el surtoul, une enqu8te esl fondamentalemenlune opération de description. Le passage lIl'explieation (ou a la théorisation) implique, pour e!re légitime, la eonfrontation des faits recueillis avee d'aulres faits significatifs donl le scheme suggere la perlinenee. Ceux -ei peuvenl etre exprimés daos un au\re langage. JI peul s'agir d'informations

31, Si la distinction op6JÚ par PhiJippe Cibois entre métbodes durkbeimiennes et métbodes wéb6ricnnes (d. supra, chapo 2 note 1 S) es! sans dome fondée, il n'en demeure pas moins que lorsque I'analyse porte prédsément sur des donn6es multiples. une constellation de modaIité.s in~Jées peut étre interpn!tée soh comme un id6a1type (peu d'individus ont a la fois les modalités a. h, c. d, maia un graod nombre ont significativemenl deUx. ou trois de cea modalités et se disbibuem daos la meme zone), soit comrne la trace empirique d'uo facteur causal commun dont a, b, e, d, constituent des indicaleurs. 11 est sans doure certain qu'une application plus affin6e des techniques statistiques peut exclure une teIJe hibilité de I'interp~tation. Le probleme est alors celui de leur possibilité d'application -l des données sociologiquement -pertinentes, c'est-A-dire de la pr&enation de la signification sociologique de ces demreres au cours du processus de leur trsnsformanon en données pour le modele. L'expérience du trovait socioIogique montre que les analyses de correspondance ont la souplesse requise pour pnSserver 1\ la fois les exigences du sens et celles de la rigueur. ce qui ne pose que d'avantage le probl~me de Ieur interprétation.

32. Les qucstionnaires peuvenl ainsi intervenir comme technique en socioJogie des orpnisations: darla son enqu!te classique du monopole industriel MicheJ Crozier asocia 1\ dea enlR:tiens libres et des stases d'obscrvations, des« interviews systMIatiques» ~ d'échantiJlons diffáentiels des trois calégories d'acteuTS en -~. Ces inierViews étaient en fuit des questiQIll\8.irea nonnaJisés exploranl au moycn de baueries de questions el d'éche1lcs d'attitude& les relations exis1ant entre les lrois ~ations (M"lChel Crozier, Le phlrwmene bureaucratique. 2e

portie, Pari~ Le Seuil, 1963).

117 N(.'h~mes aux discours

d d ées déja traitées. Dans qu 'H faudra traiter, o~ e :n:ansformer cet ensemble cas l'explieation conslstera organisation de

M~.~I"e {d(t)~, {d(e) }}' {nfd(S~ :~IO~n~a double exigenee mplnques {e co o . .

e d I rtinenee a une organisation de propoSllIons preuve et e a pe

. rt entre un univers empirique _' C' esl done bIen dans ce raP

thpo

é· plus ou moins spécifié

t un univers loglco- onque . I On e . " . e de l' objet en sciences SOCIa eS.

-\11 se eonstrull 1 mtelligenc . 1 mélhodes de recueil et .. I . les lechnlqUes el es I lon~oit a ors que SI . ' l un role essentiel dans e ... Irailement de l'inform~lIon JOu

l en II s n' en soienl néanmoins

"fi u'y s y dérou e, e e trlvail sClenU lque q le sont les diverses 1 d'ailleurs que ne

P•• le cteur. pas P us l etre mises au service et les autres peuven

1h6ories; les uneS 'fi . U transfonnanl la connaissaoce d' une pensée fonnelle el artl ,e.,e e, . d de données ou en un de I'objel en une accumu:

on ·;'e; On peul alors s'interroger

d6ploiemenl creux de figures I~n u ins de méthode. L'opposi­IUf la signifieation réelle de eertams. con 1 l téfutée entre données

's bien qu'ausSl souven • lion si souvent repn e. .' e recouvre en fait aucun

.' l données qualltalIves n quanlllallves e .,' b' en elles peuvenl chacune . sanee pwsqu aUSSl I . enjeu de connalS. dI' autre et mises au servlce

,_~ riles dans le langage e it ttre reU«A~SC .' "ésJ3 Elle recouvre par contre. de prograrnmes exphealIfs v:

ers' de légilimité el de pouvoir.

n' en pas douter ~.s enJeux l hemes explicatifs interviennent . Saisir la maniere dont l' es s~. et la théorie ou se joue el dans cette inteiface entr~ ~mp~rl~ t ainsi la nouvelle queslion se noue l' intelligence de 1 obJetd eVlenelle nOUS semble spécifique

, rtain point e vue ti résoudre. D un ce

. u brutale. Le fonctionne.ment fréquent de 33. Notre affirmabon .est. un ": titatif comIJlC aJibl daos la vulga1e

!'opposition entre le. quahtallf. eltes ~ l~cffective possibilire d:imérer ~ df~ fessionnelle des sctences SOCta ,. d'en construlJe l partIr. e •

~ des opérations de mesure, ou: i't 1 lnv~, re faut.il fandel" cclle--Cl. Nous aos vent seuls gommel" sa pertlllence. ~o transcendentalc dévcloppéc par ~:ri= proche, pour notre part, de la cO:~~~--q~tilé oc noys.panu"t avou- son Gilles.Qaston Qranger:.« U~~~ra~matique d'une objcctlvatlon ~s ~~ sens que daos la pe~tlve(Pour la connaissance philosophique~y;msl '~titatifs nes en vue d' un savolr »-. M~les qlUllitatifs, mUl.Jll" es q 1

'c:n~ia l!~it:ce ~:i~~ti~!=,~;o~~ :~ s:X~~ricrs"J: ~~v,;itn~~~ ~:~~ 982) Raymond Ledrut, de son, ualité et de la quannté» el !n é';idence «la dialectique constante m:!n! de l'objet (Le qua1i~if e_t le

nécessité de leUI" s)'nt~ d~s la CORnal[ VI ne 2 «Les méthodes en SOC1ologle », .' • _ h"" ~;olog/qltes, vO.x, '

quantltatlf,Rec,",'-c e"......... . 1985) Université catholique de Louvatn. .

Page 59: Libro de Berthelot francés

IIN L' intelligence du su<o·'a,

aux s~iences sociales, ou, en tout cas aux disciplines qui. dans ' les SClcnces de la nature aussi bien que dans ceHes de la société. ne sont pas réductibles au modele physique. Celui-ci en elfet est a I'aval d'une rupture épistémologique qui soumella conslruction de l' explication a la modélisation malbématique el conslitue le probleme de I'inlelligibililé ou d'une allemalive explicative cornme un probleme extérieur: qu 'Einstein se refuse a voir daos la mécanique quanlique une explication ultime du réel, a la différence d'Heisenberg, ne remet pas en cause la validité de la théorie. n en va -de meme daos certaines disciplines ou dans certains champs des sciences sociales. Mais it la différence de la physique le conflil d' inlerprétations peut donner lieu a des théories a1ternatives, instauranl le pluralisme non pas seulement au niveau philOSOphique. mais au niveau scientifique. La. ruptUre épistémologique n'y est pas la aussi déterminée ni 30ssi c1aire. La Ibese dualiste en voil la raison dans l'irréductibililé des sciences de l'hornme aux sciences de la nature en privilégianl la dimension du sens. Noos -serioos davantage temés de la cbercher dans I'irréductibilité des dimensions fondamentales du social que nous avoos déja évoquée; I'hélérogénéité el la multiplicité des infor­mations et de Ieur mode _ de traitement en porteraient la trace, contraignanl I'effort explicalif a des tentatives d'intégration diverses.

SCHt:MBS ET PARADJGMES

Le processus général d'intelligence d'un objet peul elre rendu par la fonnule avancée ci-dessus :

S ... T ~ {p } ::: { e } +- { d(e)}, {d(t)}, {d(s)} ... R

De meme que précédernment la critique COurante qu'attire une lelle maniere de procéder est celle de réduclionnisme ou de logicisme. Son argument majeur esl la complexité, la labilité, la multidimensíonnalité de l' objel et l' impossibilité de l' enfenoer dans une fonnule. Or - et naus venons d' Y insister _ user d' un outil cogoitif ne signifie en rieo partager les dérives ontologiques ou philosophiques auxquelJes il peUI donoer lieu : procéder a uoe analyse fonctionoelle ne fail pas ipso lacto de son auteur un fonctionnaJiste. pas plus qu'user du' fonnaJisme logique ne )'inscrit dans un positivisme réducteur.

,w'''emes aux discours 119

L.es fonnuJes dont naus usons visent a exprimer des idéauxtypes c'est·a-dire a saisir, indépendammenl de leurs

transformations, perturbations concretes des fone­~"on'ne.nents recteurs, ou pour aller plus loin daos la référence i\

des fonctionnements «purs »34. Ceux-ci 001 une valeur ; ~llCnti,ell"me~! heuristique ; ils oe postuleot pas une réalité dom

voudraient le refle!, mais des processus qu'ils permettent .'jlch,i ... ,r. Ainsi sente une entreprise de farmalisation des diverses

explicatives, des diverses rationalités i\ l' reuvre dans I'enlreprise de connaissance d'un regne défini du -réel perm~t de •• I.ir le jeu complexe d'interférences el de transferts qu elles lutorisen! el de dépasser aussi bien la métaphore du bric~lage que le recours parfois incantato~e a une ~omplexlté touJours Inltccessible el indicible. Bien 10m de rédU1n: le co~~]exe au limpie, la fonnalisation idéaltypique esl un oulJl de sa.Sle réglée du complexe a partir des logiques qui s 'y ~oue~t. .

La formule ci-dessus pennet done de salSlf 1 espace loglque oÍl se déploie le proces de connaissance d' une réalité déte~~née ; elle repere les relatioos imposées par les normes de valldlté et de pertinence propres a la connaissance scientifique (~, :::), el les rapports plus indétenninés et plus complexes qUI oe se .!ructurent d'une fa~on précise que dans le trava.1 concret de connaissance (, ... ). Les développements précédents nous ont révélé la complexité de ce travail : il est capable d'articu~er sur un meme objet divers schemes en neutralisant la portée expbcatlve de certains au profit d' autres; il associe des donuées bétérogenes par leur origine et leur langage, opere des transferts d'un m~e d'expression a 1'autre et construit des tab1eau~ ~~ .la réahté susceptibles d'etre insérés dans un mode d'intelhglb.hté do~né. Un tel travail de composition de réalités mult.ples, non réducttble le plus sauvent au déploiement d'un modele, nécessite une regle interne. Celle-ci ne peut pas lui elre foumie par les nonnes de validité el de pertinence; ces demieres a I'inverse, se modelent pour la premiere et s' élaborent pour la secoode a partir d' ~lIe. Ccue regle ne peut done venir que du scheme. Mals ceIUl-c" dans les fonnules que nous en avons données, reste ,abstr~t. Pour diriger ce travail complexe de connaissan~e. poUf rédUlre ~tte tension entre un univers empirique multlfonne et un umvers lhéorique partiel1ement indétenniné, il faut un guide qui ne se

34. Economie f'f soáétt, op. cit .. p.6, 18.

Page 60: Libro de Berthelot francés

120 L' intelligence du so<"o"<'-I

réduise pas a une formule b' . ~~ f"l'on qu~i sensible, aU~rr::e~:::: ~~~u~:::~7h::~hendé

es professlOOS de foi» el dans les récé " . aute '1 11 rences rectnces ' , urs: I apparait alors sous la fonne d'un parad' .

a-dne d'uneentrepn' de' Igme,. se connrussance menée soit dans le mi,movJ

cbamp el la mame discipline soil daos d' autees d I l' se -r~J~er et donl il va suivre ou transposer~: auteur . exphcatJf. C'est par celle d bl éd" s' établ't ou e m laUon concrete que le scheme

1 en nonne latente de l' ensembl d sance el réalise l' insenion de l' b' d e u processus de connais­donné, o ~el ans un mode d'intelligibililé

Professions de foi el paradigmes analytique s

selo!;"~e:u7":u::su;:~I:~ri7er :eurs ch~ix épislémologiques les siluera en échos . « p ~s, ortes qu un espace commun

esl de co 'dé l' La premlere regle el la plus fondarnentale

nsl rer es fans . heim)" «Q and • ' soclaux comme des choses» (Durk-

. u on ,mI de la sociologie' , nelle toute récé ' pro,ane ou professlon-

, " renee au «monde réel • ' des événemen' ». rnc;me SI elle conceme , 'tés ts physlques ou biologiques esl une référence

actJVI orgarusées de la vie 'cou aux ment a Durkheim dont ce ' rante, En ~onséquence, contraire-réalité objective des faits rIat,nes fonnulatJ?n~ enseignent que la la " soclaux esl le pnnClpe fondarnental de

soclologle, nousaffinnons a titre de r ' que la réalité ob;eeU.'ve des fa',ts ' po Illque de recherche,

;J 1 SOCJaUX en tanl q . l' , continue d'acu' 'tés • ue rea lsallon

VI concertées de 1 . phénomene fondarnental . a vle eouranle ( .. ,) esl un gie» (Garfmkel)" S' d POt' les membres qui fonl de la sociolo­laissent ce ndant' l. e te les ~onnulatlons sont précieuses. elles Iigibirté ~ 11 panlellement mdélenniné le programme d'intel-

1 qu e . es entendent promouvoir pratiquemene7 • Le postulat 35. Les R~gles de la m¿thod . I .

. 36. HaroId Garfinkel. Sludies eil:~;h,ztque, op. cit., ehapitre 11. m Argllments_elhllOmélhodologiques P . methodology, 1967. Préface, traduction

37. Nous ne pousserons .' . ans. C':;MS, EHESS, 1985. I'cntendent Garfinkcl el Sack~~I, ce~e mdélermination jusqu'au point ou durkhcimienne: « Selon les occ~io vant ~pos d'une variante de la re le une définition de Jeurs activités ru:; ~~s ~fesSlonnelS peuve~l !'entendl"e com~ slogan.leur tAche. leur but. leur productio le re de Ie.llrS assoclallons, eomme Ieur une d6couverte un .... "nom._- 'al n. Uf orgued, ou comme une J'ustificat",oo

, ... - ~"" SOCI ou une contrain de ' ~r fC:lUte aub'e expression indexicale c'est 1 te recherche. Comme qw lUl assure un seos détenni ' e c0!1~xle momentané de son usa e quiconque sait comment l'enten::! ~o~e ~ déf'~ltlon, eomme tAche, etc., po~r

onna structures of practicaI actions.

.rc:hemes aux discours 121

'oIIJe,;ti,'ilé de Durkheim comme le constructivisme de Garfinkel "lIrllielnn"nl au discours auto-réflexif du savant. Ils apprennent

ordre de légitimilé chaeun rél<ere son aelivilé, non commenl pratiquement les problemes de mise en relation et

I't¡rth;ulalion des données empiriques et des propositions explica-

Cette mise en relation pratique peul iltre analysée de I'exté­. Nous nous y sommes employés. Mais nous voulons alter

".I-cI"I~, Ne pas seulemenl saisir le scheme causal a I'reuvre dans ou lelle analyse de Durkheim, mais comprendre par quelle

Yote et selon quelles modalités il s'esl imposé a lui. Or, ¡, celle llueltion qui pourrail sembler biographique, les reuvres, en sciences lOCiales, apportent souvent des réponses que. daos les sciences dt la nature, il fauI aller chereher dans des lextes plus personnels, La faible présence de théories réellemenl malhématiques inscrivanl dln. leur conlinuité la légitimité des projets de recherche, la Ihualion constante d'a1temative évoquée plus hau!, n'enttainenl p'. seulemenl la formulation de propositions fones eomme celles ch~es a I'instanl, mais une sotte de souci d'inscrire la démarche luivie dans une ou des références la légitimant, Nous proposerons d' appeler paradigme analytique loute référence de ce Iype.

Le principe d'objectivité donl parle Durkheim esl cornmun a toule approche posanl que le réel manifesle des strucl1Jres stables, Indépendantes de l' observateur el accessibles a son investigation. Le construetivisme exposé par Harold Garfiokel esl commun a loute approche constiluant la réalité sociale comme résultant de I'aclion de ses membres, Ces deux prineipes peuvent mame atre associés en une perspective dialectique dejA pressenlie par Marx el Engel. el renouvelée plus récemment par Peler Berger el Thomas Luckmann38• Par contre lorsque Durkheim expose ce principe dans le chapitre II des Regles de la mithode i1 l' oppose a «I'analyse idéologique» qui caraclérise selon lui la démarche dominante en sciences sociales et consiste a aller « des idées aux choses. non des choses aux idées ». S'il s'appuie dans son développemenl sur I'aulorité ambigue de Bacon, qui pourrait laisser croire qu'¡¡ ne s'agit la que d'uo nouve} avatar de l' opposition entre in J. C. McKinney et E. A. Tiryakian, Theorerical Sociolog:l. Perspecti"es and devlopment, Applelon~Century-CroflS, 1970, traduction in Arguments ethnomélho­dologiqut's. op. cit.).

38. Peter Berger et Thomas Luckman, La construclion sociale dt' la réalité, 1966, trad. París, Mérídiens-Kliocksieck, 1986.

Page 61: Libro de Berthelot francés

122 L' intel/igence du

rationalisme et empirisme ce sont t . . avec 1'histoire d . ' . en 3.lt les dlVe.rs,~:sn~::~~:: . . es sclences qUI foumissent Ja cié de oPpoSItlOn entre l' alchimie et la chimi l' . mje; com aiso de ' . e, astroJogle et l' aslt'()jJ~ raisonnem: ( n) de l analy~ ldéologique avec les «s·ingulicrt.

... s médectns du M A . . physique qui «a u b' oyen ge», appuI sur I'idée que s'en f:1 r o ~el.les cOIpS tels qu'ils existent, '. e vu gaue» et qui substitue «aux va.guea ImpresslOns que produisent la tempé représentalion visuelie de. oscillalions~ure r:,u I'él~ctricité l' électromette »Le aradi . u rmometre ou « En défi '. p gJne se I .. sse alors voir en toute clarté':(¡

tnltive, la réforme qu'il .'agit d'introd . <""ioI08:ie,' est en tous point'd . wre en -

S l enbque a celle qui a transform' 1 Psy,'h"logiel,¡ dans ces ttente dem" e a a traiter les états :res anoées ». Or, celte réforme, qui a consis!tl;'l 1" . e conscJence du dehors et a rom re

tntrospectlon_ ce Sur quoi insiste Durkheim daos son déP'vel'OPIJe~ ment -:- constltue surtDut la premiere mise en reuvre de la

:;,;:e~:e e! du .~heme causal e~ s~iences humaines.mC"ethqOudee.)

possibilité _ m:" :~f~e~ent le pnnClpe d' objectivité, e' est la ; . d'appliq > 1 . c.'vement en reuvre par Durkheim _

uer- Q. a SOCIOJogle le mame • celui utilisé par la psycholo'"e pé' prograrnme d analyse que

• et4 ex nmentaJe L approche etbnométhodolo i ue .

désignenl exp.l· . g q , comme toutes celles qui se Jet.tement, ouvre au p'e d

Harold Garfinkel a raconté l ge e ses connotations. le tenue 1 . daos un texte savoureuxJ<J comment

• DI est venu. en référence a ceu d' th . d etbnophysiologie d'etbno h . x e nobotamque, velle maniere de'· P ySlque, ele., pour désigner la nou-

VOlf que lu. suggérait '1 enregisttements de dél'béra . . un traval sur des

l bons de Jurés . app . . plus intéressant non 1 . aralssalt cornme le

pas e contenu des délibé Ii raisonnement pratique par 1 1 ha - ra oos mais le

eque e Cun exposanl traitant mentant se eoostituait eomme J'ure" ~ .. Eth ,,' é • argu-

'''- . ~ no sugg ra't d' mamen;: ou d'une autre qu'un membre . . 1 une commun de sa soc 'été ~ISPOse du saVOlf de sens

1 en tant que savolr du «q . . (of the -« whatever ») S' '1 • . , UOI que ce son» affaire d'une maniere: ou

l d~U:~ssau d'ethnobo~ique ou aurait compréhension qu'onl les. b autte a la connalssanee et a la

mem ces de ce qui po . des méthodes adéquales pour tr' d ur eux conSI.lue analogie ne suffit cependant alter e choses. bolaniques. » Cette

pas pour eonstltuer un paradigme

39. The oligins of the tcnn EthnomcthodoJ . Hannondsworth, Penguin Books, 1974. "gy, In R.Tumer Elhllomethodolnf:.\'.

, .. h~mes aux discours 123

; elle pennet d'exprimer un poiot de vue, non un .. ,mime e' est -a-dire une mise en tEuvre pratique d 'un scheme

elle situe l' elhnométhodologie du colé du sens et de saos la spécifier suffisarnment. Par contre il y a entre

~~~:~:,~e:~thnOméthodOIOgiqUe et certains problemes posés par " du langage une analogie forte: elle réside daos

d'indexicalité systématiquement reprise et étendue par GarfinkeJ. Celle-ei désigne le fail que certaines expressions la référence (dénotalion) est relalive a celui qui parle, sont

occurenees de mots types dont le sens ne constitue pas une réplique de ces derniers mais renvoient fondamentalement

circonstances particulieres de chaque interlocution »40. Le linguistique de telles expressions est constitué par les

~:~~'~~;~Ij:e~~':est-a-dire par l'ensemble des termes qui, comme les 111 De renvoient pas a des concepts mais a des existants

saisis hic et nunc. Ceux -ci oot préoccupé les logicieos ,:.11 Garfinkel cite ainsi Husserl, Russel et Goodman". Or il s'ogit Il d 'un paradigme analytique : en élargissant doublement le champ. de cette indexicalité, a toutes les descriptions d'une part, aux IIC:tions de l'autte, Garfinkel donne non seulement a ces demieres le statut « d'accomplissements eontingents et continus des pratiques arganisées el ingénieuses de la vie de tous les jours »42. il constitue lIurtout l'analyse de situations d'énonc~ation el la description de I'indexicalilé des éaoncés comme modele d'approche de l'action aociale. Cette assimilalion paradigJnalique de l' action et de l' énon­ciation se retrouve encore plus nettement chez Harvey Saco: • Nous voudrions identifier ces objets [les composahls de I'aelion 1 el voir comment ¡Is operent. comme nDUS savons eornment operenl des verbes, des adjectifs, des phrases. Nous pouvons ainsi arriver a voir. cornment une activité esl organisée, tout comme une phrase est construite avec un verbe, un prédicat etc, Nous aurions - daos l'idéal évidemmenl - une méthode descriptible rormellement, de la meme fa~on que la description d'une pbrase est descriptible fonnellement. La description s' appliquentit non seulement iI des pbrases en général, mais a des phrases partieulieres.

40. Patrick Pharo, L 'ethnométhodologie et la question de l'inrerprétation, Ar¡:uments elhnométhodologiques, op. cit., p. 150.

41. Sludi~s in Ethnom~thodology. Englewood Cliffs. Prentice Hall Inc. 1987, p.4.

42. ¡bid., p. 11.

.... """

Page 62: Libro de Berthelot francés

4.@i. ;i.1

1,4 L' intelligence du social

Ce que nous ferioos ainsi, c'est développer une autre grarnmaire. a. la grarnrnaire, évidemment est le modele des activités sociales hlen ordonnées, observables de maniere routiniere. »43

Voici done dans deux cas tres différents deux manifestations de paradigmes analytiques: la référence exemplaire n' y esl pas argument d' autorité mais expression analogique de la [égltimité d'une démarche. Par elle un prograrnme d'analyse, c'est-a-dire l. mise en reuvre concrete et détenninée d'un scheme explicatif fondamental peut simultanément se construire et se trnnsrnettre. Cette opération doit cependant étre saisie avec d' avantage de précision.

Paradigmes théoriques et paradigmes analogiques

Durkheim rétere directement a la psychologie expérimentale. Garfmkel rétere, de f.yon plus complexe, a une problématique de la Iinguistique et de la philosophie du langage. Dans le texte de Lévi-Strauss concemant les structures de la parenté la phonolo­gie structurale était appelée a jouer dans les sciences sociales le meme réile que la mécanique quantique en physique. Comment fonctionnent de telles référenees ?

Si nous écartons les références rituelles. de complaisance ou d' assurance, nous dirons que l' on peut considérer deux types fondarnentaux de paradigmes analytiques, c'est-a-dire de forma­tions discursives singulieres susceptibles de se constituer en modeles d'investigation et d'explieation dans un ehamp extérieur au leur : des paradlgmes analogiques et des paradigmes théoriques. Les premiers sont ceux que nous venons de rencontrer, bien que, d'un certain point de vue, Garfmkel se trouve a l'interseetion des deux. Les seconds consistent a étendre le champ d'une théorie singuliere eo révélantque des phénomenes d'un autre ordre que ceux auxquels elle s' applique ordinairemeot peuvent aire analysés par elle. L'extension de la psyehanalyse a l'étude des phénomeoes culturels en est un ban exemple. Daos les deux cas cornment s'opere le transfert analytique ? permet-il de eomprendre la maniere dont le processus global de connaissance se met « spontanément »

43. In Perspectives de recherches, traduclion d'cxtraits de Sorne programmatic statemenlS by Harvey Sacks, de GaiJ Jefferson. Arguments ethnométhodologiques, op. cit., p. 141.

Des schemes aux discours 125

sous I'autorité d'un scheme explicatif qu'il n'exhibe le plus souvenl pas cornme tel ? ..

Géza Róheim est le pere de l' anthropologle psyehanalytlque. Freud avait montré la voie par ses diverses études de psychaoalyse appliquée et par son ínterprétation oedipienne. du totémisme. L'anthropologie eulturelle américaine n'a pas héslté, de son e&té: a puiser a la eoneeptíon freudienne de la personnallté. Ce qUI distingue cependant Róheim e'est que. la psyehanal~se ,~e va pas elre pour luí un simple cadre interprétauf, maIS un outll d mterroga­tion et d' analyse des cultures archalques: «Freud parle de correspondance entre le sauvage et le névrosé ; mais a propreme~t parlero l'anaJogie n'est -pas entre le sauvage et le névrosé, tnalS

bien plutat entre des cultures primitiv~~ et le név~sé, entre ce que le sauvage accomplit dans des actlvltés collectIves et ee que le névrosé faít en tant qu 'individuo »44

Or que fait le névrosé pour le psyehanalyste? il exprime, a travers son comportement. ses symplÓmes, ses acles manques, ses reyeS, un conflit psychique originel et universe!. Le matériel psyehique donné a interpréter apparalt d' abord eorome étrange et aberrant. L' étraogeté de nombreux rituels primitifs suggere ]' anatogie. Mais celle-ci se limiterait a l~ transpositi~n d' un scheme d'interprétation si I'on se contentaJt d'en dédurre que, eomme les produetions psychiques individuelles bizarres, les

roductions collectives du meme type ont un sens. e'est le chemin ~ue suivít d' abord l' anthropologie: apros a~oir en ten~~e 11 considérer que eertains rituels étatent des manlfestaUoos d arnéra­tion. elle lenta, notamment avec Bronislaw Malinowski d~ leur donner sens en les intégrant comme éléments dans le fonctl~nne­ment social. Passer de celte analyse fonClÍonnelle - les ntuels bizarres remplissent une fonction sociale détenninée - a une approche hennéneutique - ils ont un s~ns -, en s'a~puyant .sur leur analogie avec les symptllmes névrouq~es, earaet~nse préelsé­ment un paradigme analogique. Un paradlgme théonque est plus eomplexe : il postule non seulement le transfer! possible du m~e d'approche, mBÍs également celui de l'interprétaU~o. Or e'est bIen cela qui caraetérise Róheim. La these centrale qu JI va développer est celle de l' enfanee prolongée qui engendre pour l' espece humaine une rupture dans l' adaptation au milieu créant la tension

44. Géza R6heim, Origi1le el fonction de la culture, 1943. trad. Paris, Gallimard, 1972. p.9.

Page 63: Libro de Berthelot francés

L' illte/ligence du

entre le principe de plaisir et le principe de réalité, et par la, dissociation entre le ~a et le moi : les cultures primitives et symptomes névrotiques sont alors des manifestations, collle<,tivesi d'un cóté individuelles de l'autre, de «mécanismes de délferu ... visant A neutraliser les tensions Iibidinales issues de sitl"ation~

infantiles spécifiques ~ (p. 31). Cotnment fonctionne alors un tel paradigme ? Comment

met-il d'opérer I'articulation de la théorie dont il se ~~::.e: des faits qu'il prétend interpréter? Diverses figures sont el noDS allons y revenir: l' articulation peut etre artificielle rbétorique. A l' inverse elle est chez Róheim heuristique. L' uniiven± des faits déjil constitués avant lui reCouvre les multiples del'cri""" lions de mythes et de rites accumulées par l' anthropologie. these interprétative dominante A son époque est culturaliste: met en avant les différences extemes (entre les diverses cultures).": et les CQ1TCSpondances internes (au sein d'une mame culture).· Au rebours, de meme que trois patients, lOut en étant différents,' peuvent manifester le. m&ne -complexe'" ~ de meme les rituels ou les récits de cultures tres éloignées peuvenl renvoyer au meme. contenu laten!, que la psychanalyse permet d'éclairer: « trouvons des ogres dans loutes les cultures, et cela n'a rien a VOlr avec les ínstitutions, qu' elles soient de base ou non. La ," sorciere qui veut manger Haensel et Gretel dans le conte de Grirnm o'est rien d'aulre que le fantasme de destructioo corporelle de I'enfant lui-meme, sous forme de talion( ... ). Suivant Mélanie . Klein et l'école anglaise de psychanalyse, tous les enfants ont des fantasmes de destruction du corps, c'est-A-dire unfantasme d'agression oraIe selon lequel ils pénetrent a I'in!érieur du eorps de la mere et détruisent ou incorporent les "bons objets" qui sont supposés s'y lrouver. Dans l'histoire de Haensel et de Gretel, lorsque, ayant tué la sorcíere, les enfants retrouvent le chemin de Jeur maison, Ieur mere est morte: l'identité entre la sorciere et la mere est ainsi établie de f~on indubitable. » .... La psychanaly­se fournit done ici une herméneutique, c'est-a-díre et simultanément un art d'interpréter des constellations significatives, un guíde pour les repérer et une théorie du sens pour les fonder: Róheim dans ses multiples analyses concretes associera inlassablement une

45.Géza Róheim. PSJ(.'hanalyse el amhropologie, 1950, trad. Paris, Gallimard. réed. «Tel », 1978. p. 1S. '

46. [bid .• p. 50.

127

descriptions de rituels el de transcriptions de récits des interprétations de reyeS recuei1lis daos les cultures

nOUN prenons un tel exemple comme idéal~ypique de la en ",uvre d'un paradigme théorique, le foncuonneme?t de

esl le suivant: un univers de faits ou une partle du (R ') semble avoir des affinités structurelles avec un au~

(R) tel qu'il apparru"t daos I'interprétation qu'en founnt th~orie déterminée (T --> R). Ces affinités semblent suffisarn­

fortes et profondes pour que l' on pui~se envisager le transfen : (T --> R) -> (T -> R'). L'incluslon dans le cadre de la de I'univers étudié (T --> R') s'opere par une re":cture

'aits connuS et une produetion de faits nouvea?~ COnStll~ant . nouvel ensemble empirique confonne aux propoS1UOns e~phc~­

de la théorie (T --> {P} :: {e}). Ceue conformité .s établtt la mise eO reuvre pratique du programme exph.cauf de la

, . t > I'nsérer l'uuivers des falls étudlés dans le el equlvaU i:l

d'intelligibilité auquel elle récere. Cette ioscriptioo sous un donné d'un objet déterminé (S --> R') s'opere done par

la médialion el la détermioation d'une théorie (T -->~) dont le ehamp de validité se trouve a1nsi étendu (T --> R + R ). SI celle ."tensioo est légítime, cela peut eritrainer une recomposltJ~n et une réécriture de la théorie. On ne parlera plus a10rs de paradig

me

th60rique. Par cootre, dans le moment OD s' ~pe~ le transfert (T -> R) (T --> R'), la théorie T peutetre consldéree .comme uo

d· m théorique c'est-a-dire eornme une constellatIOn conc~p­para

ll Ig. e 1" se":'ant de modele et de cadre a l'interprétal1on

cue e smgu lere . . d' un ohjet détenniné extérieur a son champ de vahdlté. .

Un paradigme analogique est moins détenniné qu'no p.ar~gme lhéorique. il se fonde sur la reconnaissance d'une surnhtude, d'une co~spondance~ d'nne homologie str~ctureIl~ entre des propriétés partielles de deux espaces dont 1 ~n~ ~ .. eux ~~u~

Btre omentanément constitué eorome gUlde d lOvesugatlOn pourra m dé I t de d d D'un certaio point de vue, le ve oppemen

u secon . . d" f tion l'activité scientifique et l'extension de son domame mves 19a ,. dépend souvent d'un paradigme analogique latent posant qu 1I n 'y a pas de raison pour que ce qui a me~e structure releve d'explications différentes, Le pri~cipe d~. ~lson. sufflsante .ou d" conomie de pensée assure ainsl la léglt1mlté d une en~pnse

e • b' l' b' "té' il faut dont l'histoire des sciences eonDalt len am 19U1 .

Page 64: Libro de Berthelot francés

128 L' intelligence du

SOUVent compre avec les analogies spontanées pour enlrer I'intelligence de I'objet et I'homogénéité structurelle du réel par le principe d'économie de pensée peUI Se heurter a I'h'ét';rogé,'1i néité des oiveaux de la réaJité.,l7.

L' analogie peut ainsi elre artificielle et référer a une e.'!r<'prii.., de méconnaissance ou a 1 'inverse s 'inscrire daos Un proces saisie réelIe de l' objet. Dans ce Cas elle permel, par le para(llg~ que constitue sa mise _ en <euvre concrete daos un champ le Iransfert d'un programme analytique d'un domaine a un Un exelllple assez remarquable esl fo.umi en sociologie I'interac!ionnisme ,symbolique de Erving Goffinan. Les l'elatlo.nl~; en Jace a face des indi vidus ont été durant to.ute une pe.r.o<Je.,

soit le domaine réservé d'une dis;cipline donnée - la '~'Yf~:~~!~~',; sociale - soit un moyeo pour la socioJogie d'iIIustrer le ne~ents poue «les décorer de faits de la vie, el, incidernment" pour ne pas oublier !out a fait qu'i1 y a des gens qui s'y agitent »". ' Dans un autre vocabulaire. la prise en compte des aeteurs neutralisée et mise au service d'un scheme, de dépendance structureUe (causal ou fonctionnel). Or ces relations sont décisives ~!< pour saisir des phénomenes sociaux aussi importants que le ~ . maintien d' un « ordre social» fondé non pas sur une organisation macro~sociale. mais sur les régulations «Spontanées» s'opérant dans les situations d'interactions concretes entre individus. En un autre vocabulaire, elles Sont décisives pour une interprétation 3Ctancielle de l'órganisation sociale, Ce n'est cependanl pas par cette voie que Goffman accede au prograrnme qu'j) va utiJiser, maís

47. « Oans les questions qui relevent de la science, on peut dire que I'analogie eSl, comme la langue d'Esop:e, 8 la fGis la Pire et la meilleuro des chose. ... Elle es! A I'origine de nombreuses conceptions ou ex.plications qui devaient se l"évéler completemenl erronées ( ... ). Mais iI es! tout aussi vraj que dans beaucoup de cas I'analogie a joué un rOle de puissant ferment, et C'est p<lrlicuJiererncnl fcappam en niathématiques ola je suis persuadé que 50 % au molOS des problemes el des idées fkondeS en som sorties)t (Jean Dieudonné, L'analogie en mathématiques, in André Lichnerowicz, Fran~ois Perroux el Gilbert Gadoffre, Alullogie el

connaiSStJm:(!, Séminaíres interdisciplinaires du CoJlege de Frunce, Paris, Maloine, 1980). Gaston Bachelard (in La formalion de l'esp,.;1 Scii'lllifiqllt'. Paris, Vrin, 6" éd., 1969) el Georges Canghuilhem (La connoissQllce di' la l'ie. Paris, Vrin, 2< éd., 1965; Eludes d'hisfoire el de phüosophie des sciences Paris. Vrin, j< éd., 1983) ont insisté sur le premier aspecto Plus récemment, dans le champ des sciences hwnaines eomme dans celui des sciences de la nature, les approcht=s de I'analogie tendent A distinguer ses niveaux d'inlervention el a en produire une évaJuation plus nuancée : aiosi. Michel de Cosler, L' alra/ogil' en sde,u:es Immailll's, Paris, PUF, 1978, ou I'ouvrage collectif cil6 ci-dessus, Analogie el connoissam:l>.

48. Erving Goffman, La mise en sc~ne de la ,,'íe quotidiel1ne, t. 2, Paris, Ed. de Minuit, 1974, p. 11.

Nf'h~me.\' aux discours 129

1" h l 'e «Les groUpeS SOCiaUJF 0011. de l'analogie avec et o Ogl 'hordes ou volées _ ont;, d 'animaux - bandes, troupeaux, 8tent~\

1 bres de chaque groupe re, 11111 particulier que es ~em 11 Al'nsi presque IOUr." d' percephon mutue e. ,

le champ une, 1 ent. la vie sociale et la vie publique ,) est sltuée socta em , . ~ ... A sal .. "

. les éthologues fimssent nC\.ÑI '" 1} coextensives. C'est poUrquOl > f Ils constituent" 'd' 1" te acllon en face" ace.

par etu ler m r '~ d donc 11 nouveau lIne source» (p. 18). L'analogle se on e 1 transfert

d t tureUe Par contre e une correspon an~e s fUc

l métbode:« (les éthologues)

l'Ic:errle plus la théofle malS a , d" a eluclU!!'li '1 le terrain qUl les con uu

BU point un traval sur ... . ardant le contr61e d' animales de tres pres, en g

con tiltes iré l'aptitude a découpeT 1I récon~ues. Ils en ont ret . .tp~18l1.mlm~l(\

Pd'articulation le flux de l'activité an~~ale '1IIIrlu"t' e, et a isoler des schémas natuTels>~ (.~d.). ne le dit p~,

Quels sont ces «SChém.alsd~att,~nrgeUISe»tr?'es ~lain;:ent les outÜ. P contre 1 18 !.'~' .

ce texle. ar, I'éthologie de certaines de se. d'analyse mis au pomt par . t

'laboratlOns théoriques étroiteme~t. foncti?nn~hS~S, ~ la « naiveté » de certaines transposlhons. L ana

é o~le des l

rhétorique . les cat gones e ~';:~~~;:) • usage heuristíque et non . nt des instruments .. 'serve marqueur) so

(parade, temtOlre, re . ' be dé'lI accumulés Ilnt une relecture de falts pour aucoup 1 me

P"ychologie sociale et leur insertion d~s un program t eAI!"'~.'.",~," 1 de ce fonctlOnnement son d~lerminé. Les ".xe:I~':lIe analyse des eodes de circulatíon

alns, dans une tres , des flux de piétons daos les gnlll!l~~r r~gulent spontanément ~¡;'dre me « extériorisation » les imlÍCl~(", .. l~étropoles49. GOff~:ité l:;~~:;aire» est amenée a donner lIons que chaque , .. bl sa trajectoire et éviter les Butres pour rendre prevIsl e . .. de o';1l1:enlll(',Il~

é h logiques iI fourmt une para •. «en termes t o "1 s'engage Par eeUe préfiguTation gestuelle de ce qu 1 les autres pe'UVI'I!I,: I'individu se transforme en quelque chose que ontre neutralise déchiffrer et prédire» (p. 26). Une note pa~tc de ~a portée fonctionnelle du concept, au pro ~ I'éthologie actantielle : a la différence de ce qlue c°odensl: et les regle; et

. t 'ours jouer avec es e humam peut oUJ l' «Si I'individu est cs'pal)!,:,: ainsi des situations de double ecture.

. cene de la w·e qUOlidienne, op. 49. Erving Gofr~n, .~I nI/se en:¡ . » ((. chapitre 1: «Les mdlvldus comme Unttés .

Page 65: Libro de Berthelot francés

L' intelligem:e du

(le rendre ses intentions lisibles dans ses gestes, iJ faut s' ,.ttend.re', il ce qu'il soit aussi capable d'en fausser intentionnellement ¡ecture. Ronald Goodrich. dans une leUre. indique qu'au !O<>I"'UJ'

américain les ailiers avant doivem s'entramer a fournir de fal',,",""" parades d'intentioos; il mootre aussique les joueurs ch.erc:hent. a classer ces feintes et qu 'un ailiér qui y devient habile est " avoir de bons mouvernems"» (p. 26 note 13).

Ainsi un Paradigme analogique, lorsqu'il est a l'reuvre une perspective scientifique. n'entralne nuHement une translp"'lition i ¡

mécanique d 'un scheme explicatif. mais fournit une armatut1V~ logico-pratique penmettant la mise en reuvre d'un prograrnrr.é'\ d'analyse déteroniné: par eelui-ci faits existants et observations peuvent Stre constitués comme la base en.pirique i ! d'une inlerprétation donnée.

Les paradigmes comme inédiateurs sensibles des schemes

Si nous avons inauguré cette section par une formule logique nous -la conclurons par 1 'hypothese suivante : en sciences sociales el peul-@tre plus largemem. la logique a rreuvre dans le processus d'inlelligence de I"objet ne se donoe jaroais direclemem. Le plus ~ouvent elle consiste dans une simple extension a de nouveáux objets de tbéories el de méthodes déjA en reuvre dans le charop éludié: le prograrnme d ~analyse auquel sonl soumis les faits est a10rs inclus dans les transpositions aulorisées par la Ihéorie· ou la métbode el masqué par elles. Les exemples que nous avons choisis sont d 'un autre type. lis se situeot tous au momeot ou s' élabore une nouvelle approche. oil se constitue un prograrnme spécifique. Leur projel n'esl pas d'apporter unepierre supplémen­taire a un édifice en construction, mais de bitir seIon d'autres plans. lis se défmissem d' abord comre une théorie ou une interprétation en place dont ils relativÍSent ou remettent en cause la vertu explicative. ns problématisenl done la question de I'explication et -Iaissent espérer qu'ils contribuent a en mieux saisir la logique. Or celle-ci. nous ravons vu, ne s'y donne pas directement: elle intervient soit comme signe d'apparten~e el proclamation philosophique? soit a travers la médiation d'un Paradigme.

Mais cette médiation est, simultanément. délennination : dans

"chemes aux discours 131

1 ~ . amais l' explication De divcrs cas que nous avons ana yses, J. . d'une subsomption, c'est-a-dire de la mise des falts .sous

aUlnrilé d'une catégorie ou d'une loi généraIe; elle résulte touJours 'In',en;e d'un travail complexe d'ajustement en~ un um~ers

incessamment repris et reIu, et des proposltIons exphca-::lr'~~~:~e;~:~;: d'en rendre compte. Ce travail comple~e nous e 1 ur de la produclion de r¡ntelligible; JI nous

~:;!~~¡I ~n~":1 que s'il s'opere dans une direclion, selon ~e latente, el que celle-ci peUI 8tre exhihée so~s la forone d ::

'1 se réalise qu 'au moyen de la srrmulatlOn el . .llo,.lnll¡~m"'e Iqu:e luf foumissent des conslellalions singuhe,,;s consl.-

. ~~!mme paradigmes. Celles-ci en lui ~ettanl de s ~nter :x faits de les travailler, constiluenl des gUldes ~ur 1 an~y,::,:

. ..- d' . anal"';ques peronettanl au scheme qUl les régll e yal para 19mes J ... • gramme tru· e progressivement et laborieusement en pro

.. cons ff • 'universel Ixplicatif. En langage hégélien. le scheme ~ e~1 qu ~né rete Ibstrait qui n'atteinl la caractéristique de 1 unlversalll . conc d

e ar le douloureux enfantemenl de I'activilé d'intellig~ce e ~u b PI Encóre celte référenee hégélienne esl-elle métaphonque car

o leh~ préeXIS' te J' aroais it ses réalisations concreles A litre le sc eme ne . 't 1 tbese . . résente au contrarre - e es a

d'universel "':!"'~:".::n~ le ehapirre suivanl _ la forone d'une que nous sou . é ~te . hislorique de forones d·universal.1 conC.e . .

IUeceSSIOO • . é n .... ;elle du rravaIl Quoi qu' il en soie. r épaisseur el 1 opacll .>- _ .. ." de rob'et nécessitenl une dermere déternnlDallon.

d mlelhgence . j . arler de schemes explicalifs el Nous avons a ~~ u:pr;.;:s Pavons également précisé souvent de ,progr:~;e:.., u:ag~ n~n scientifique de ces demiers. n faul qu Il y . '. point ou l'explication se -construl~ non oller mamtenanl JUsqu a~ d la pertinence et de l'adéquation seulement sous les ausplces e . significative du tbéorique et de I' e'~fiPiri~ue. ma.s égalemenl sous celles de la validilé el de la sclentt ICII .

Page 66: Libro de Berthelot francés

1:12

LES JEUX DE L 'INTELLIGIBLE

L' intelligence du

« Tout cet apparail de précautions sembler bien loborieux- quand on fodlitl Qvec Jaquelle d'llégants esprils jouent QU milieu des pMnomenes sociaux

Programmes logiques' el enjeux de connaissance

D'un point de vue logique, le travail de connaissance consis(.: a insérer un élément .ou un domaine de la réalilé dans un sy,¡~njt d'intelligibilité tel que S --+ R. Cene relation se donne forme d'une théorie déterminée : T --+ {P} = {e}. Ce fOlmaJisl~,i est un guide d'analyse d'un travail dont I'approche concrete re"c",,; la complexité, I'épaisseur el l'opacité: nous avons repéré glissements d'un scheme a I'autre, des manifestations de neutralis.i,,¡~ tion et d' objectivation de relations explicatives partielles; avons. mis en évidence la complexité et I'hélérogénéité de l'unh'en,· des failS: toujours.« produilS» ou «sélectiOJUlés », portant marque de la logique qui les a constitués, ils sonl intégrables, . par un jeu de transpositions et de traductions, a des systemes.· . d'intelligibilité différenlS dont i1. constituent la base empirique ;;0. nous avons repéré dans le rapport s' instituant entre des proposltions explicatives plus ou moins formalisées et cet univers factuel la zane' de tenoion oil se noue et se joue l' intelligence de l' objet, c'est-a-dire soninsertion dans le systeme d'inteIligibilité auquel·;; renvoient ces propositions; nous avons eofio vu que ce rapportJ;). ne se construisait pas dans le déploiement linéaire et pur d'un . scheme, mais qu'i1 requérait la médiation d'une constellation significative singuliere ; un tel paradigme foumit de fa\,on pratique, par l' intermédiaire de sa singularité exemplaire, l' armature logique rendant possible cette construction: ce .Ú'avail de production de nouveaux faits el de traduction de données existantes, d' ajustement reciproque de la base empirique ainsi construite et des propositions pouvant en rendre compte constitue la mise en reuvre de ce que nous proposons d'appeler un prograrnme explicatif.

Un tel programme est un ensemble logiquement impuro JI ~it du schellle qui l'anime son noyau logique, mais.ne I'exprime

so. Emile Durkheim. Les regles de la métlwde l'ocioJogiquc, tute de 1894. in édition Aammarion. «Champs », 1988. p,238, variante,

It'htmes aux discours 133

premier temps qu'a Iravers les singularités langagicres

~~:~~:::~dU paradigme qui l' exprime. S 'il semble consbtuer

d'intelligibilité fécond pour la discipline, iI tendra a se s!rUClurer et a se formaliser d 'une fa<;on plus

Cette opération sera le plus souvenl tributaire de I'état 1, discipline, de ses enjeux et de leur mode d'expression. Un

prograrnme fondamental serd appelé causal dans une .,Ipline, expérimental dans une autre, statistique dans une

; le prograrnme herméneutique caractérise l' approche en psychologie et compréhensive en sociologie. Dans le d'une discipline donnée I'autonomisation d'un progran:'me

que rarement une affaire de' simple science ; elle mo~1l1se les enjeux de pouvoir et de légitimité en son sem et

des dramatisations et des affroritements symboliques, dont

~,"~~~~~~~.: giírde la trace. L'analyse logique apparatt alors ~. réductrice en ce qu'elle saisit des similitudes ou des · .• b¡)pClSitiorlS déportées de celles que la scene scientifique donne

voir. O'un certain point de vue elle met en reuvre une '. hennéneutique du visible et du latent qui suscite les résistances qu'engendre toujours une telle entréprise. Celles-ci cepe~d~t ne lont pas que I'expression d'enjeux de pouvOlr. Elles s~gmfient '.lilement autre chose.: l'existence d'~njeux de connals,sance; non seulement d' enjeux pratiques ou mstrumentaux, rnrus plus profondémenl d'enjeux symboliques. De meme que le syste:"e ~olaire de Ptolémée engageait autre chose que la valulité d un modele, une esthétique, une éthique, une métaphysique, une politique, un systeme de normes et de croyances, de meme la référence a un scheme, meme iRdépendante du Jeu de ses diverses médiations. n'est jamais simple affaire de logique el charrie toute I'épaisseur de la connaissance conuile rapport ~u mo~de.

Nous développerons ce point daos le chapltre SUlvant. Une légere anticipation était cependant nécessaire pour com~ndre un demier mécanisme : celui des modalités concretes de mIse en ceuvre d'uo prograrnme dans la construction d'uDe fonne discursive

détenninée.

Programmes logiques et usages discursifs

Un scheme explicatif fondamentaJ De fonctionne qu' au sein d'uo programme qui s'est structuré a travers la médiation de

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134 L' intelligence du social

paradigmes diverso qui a pu a un moment particulier donner lieu ~ des tentatives de systématisation ou de fonnalisation. mais qui toujours existe au sein d'reuvres singulieres se reclamant de la meme appartenance. du meme courant. de la meme sensibiJité. Un tel programme n'est a aucun niveau simple. Pas mame sur le plan logique. Un scheme peul donner lieu a divers prograrnmes, naus l'avons vu, mais en outre une explication concrete implique souvent d'articuler divers programmes selon des relations com­plexes de neutralisation partielle. Celte eomplexilé se déploie aux divers niveaux de mise en reuvre pratique du prograrnme, tant dans les opérarions empiriques que dans le travail théorique. Le risque de se perdre est évident. Les sciences sociales sonl la dans une situation épistémique partieuliere qui ne renvoie pas a l' aspect «humain» de leur objet, mais al' irréduetibilité de ses dimensions fondamentaIes. n n' est pas possible, sauf sur des objetset dans des ehamps Iré. délimités, d'user systémariquement et exclusivemeñt de la modélisation rnarhématique. II n' est done pas possible de trouver reperes, garde-fous et directions d'investiga­tion dans ee que suggere un étaI donné d'une théorie. Au eadre policé qu' elle foumit et que l' incessant travail qu' elle opere sur soi renforee epnstarnment, s' op~ un espace tourmenté oil du maquis des desctiptions partielles, des enquetes ponetuelles, des théorisations limitées n' émergent que des (J!uvres singuJ.ieres décrivant autour d'elles la zone indécise de leur pouvoir d'attrae­tion ... Les re~res sont UI. d~une autre nature. Si nous vOlllions utiliser la rnélaphore des «jeux de langage,. de Wittgenstein, nous dirions que le champ des sCiences sociales confronte a une coexistence complexe de «jeux de langage ». Ceux-ci désignent aussi bien l'univers des faits que nous avons décrit partiellement plus haut, que celui des théoties, des méthodes, des approches. Un programme sera alors une sorte d'interlangage spécifique. Non un métalangage, ee qui impliquerait une position surplom­bante, mais un interlangage, e'est-a-<lire une possibilité de tradue­tion d'éléments d'un domaine en éléments d'un autre, d'informa­tions ponetuelles en tableaux de réalité, de tableaux en idées, d'idées en concepts explieatifs ele, selon la logique mise en évidenee plus haut (p. 114 et sq.). Ainsi con~ue eelte métaphore e51 précieuse : elle permet d' exprimer la dualité fondamentale du prograrnme. eorome scheme logique d'une pan, cornme langage singulier de l' autre. Elle permet égalernent de comprendre eomment

Des schemes aux discours 13S

la tension pouvant exister entre ces deux éléments explique les divers usages discursifs d'un meme prograrnme. Elle désigne enfio des opérations de tradllction el respecte ainsi l'autonomie relative de chaque partie intervenant dans le processus de eonnais-

sanee. Qu'il soit a l'étar naissant, sous forme de paradigme, ou 11

l'état de rnaturité, sous forme de mode d'approche, de eourant, voire d'école, un prograrnme tire sa vertu explieative du scheme fondamental qu'il exprime. Ce demier fournil un modele et une matrice de relations explicatives, 00, en d'autres tennes une syntaxe de base. Mais eelle-ci ne se donne qu' a travers le langage singulier et surdéterminé de son inscription daos un état discipli­naire. Le lexique alors l'emporte souvent sur la syntaxe et la eharge syrnholique des termes peut d'autant plus facilement oceulter leur ambiguité logique que ce qu' il s' agit de produire en derniere analyse est un discours de recevabiJité. Il est alors possible de se situer a 1 'intétieur d'un «jeu de langage donné ,. et d'y formuler des affirmarions vides ou a l'inverse surehargées d 'un sens iBégitime. Le désir pragmatique de convaincre autrui, d'obtenir son adhésion. son admiration, sa considération travaille le discours de connaissance de l'intérieur. Il opere non pas par une imposition exteme mais par un détoumement interne. Les procédures d' intelligence concrete de l' objet, que le programme résume. sont utilisées de fafon non plus heuristíque et critique,

mais dogma tique et confirmative. Nous distinguerous ainsi quatre usages d'un prograrnme expli­

catif. ou quatre modalités de mise en ceuvre. L 'usage que nous pistoos a travers les divers textes de référence étudiés est l' usage analytiqU<! : le prograrnme engendre des procédures d'analyse des faits, de mise en correspondance des matériaux empiriques et des construetions eonceptuelles, qui ~rmettent d' éprouver de fa90n

interne a la fois ss perlinenee et la validité de l' explication produite. L'intelligence des faits se combine id avee le souci de la preuve. Pour étre réellement explieatif le programme doit done etre utilisé de f",<on analytique et e' est pourquoi nous parlons plus haut de paradigme analytique pour désigner sa saisie a travers une reuvre singoliere. Cet usage est le seol scientifiquement acceptable. Or son ernploi esl sournis a toutes les diffieultés que nous signalions plus haot pour distinguer les sciences sociales des sciences physiques; le dérapage est done chose faeHe, et le

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plus souvent au sein méme de J>activité scientifique. L d'un programme peul etre rhétorique: il esl alors transformé, une forme extérieure imposée iI l' objel; J' interlangage un mode de traduclion universel de fails non anaJysés. Les théoriéi transdisciplinaires, comme le marxisme ou la psychanalyse, particulierement foumi des manifeSlalions de cet usage. Mais scheme n'est 11 l'abri d'une teHe dérive el J'accumulation relalions quanlitatives dépourvues de sens que stigmatisa So,mk;"'¡ releve du meme dérapage. Cet usage se dislingue, tout en ""uv,_ s'associer a lui, de l'usage doctriNJÍre. La forme logique est au service d'une théorie dogmatique qui subslitue a l'anaIyse fail J'ilIustration par lui. Enfin,rencontré a diverses reprises du mapitre précédent, il ya/' usage réalistique: la rel.ati,m'i1 logique constitutive du scheme eSI pensée comme relatión exilstant'~ au seindes choses eHes-memes, comme propriété du réel. heim déclaranl que l'anaIyse causaJe se fonde sur la nature mases n' échappe pas totalement a ce travers; la prc>cI'11I11,tio<l'tl' par Engels de l'existence d'une diaJectique objective en exemple typique.

Ces trois demiers usages cónStituent un dérapage el un probleme. A l'inverse des.scieilces de la nature qui les ont connus.1 daos leur préhistoire, iJs accompagnent le développement des,' sciences sociales sans que J' on puisse raisonnablement penser que le simple développement de ceHes-ci, voire leur maturation, les supprimeront. La tendance a interpréter un programme de f~n réalistique el non cornme instrument d'anaJyse el d'ioteUigi­bilité se développe d'autant plus facilement que l'objectivation de propriétés logiques est, nous l' avons vu, un des moyens hahitueIs d' articuler les schemes el de se mouvoir de J' un a J'autre. L'usage rhétorique ou doctrinaire des programmes semble égaJement facilité par des raisons fortes : l' accumulation de «jeux de langage» différenls et ouverts les uos sur les autres facilite et favorise la mise en avant d'interlangages dont J'aspeet formel ou doctrinaire sera d'autanl plus facilemenl retenu qu'ils servenl mieux la dimension pragrnatique du discours ou ils s' inseren!. Le probleme est aJors celui de la vaJidilé. Déjii posé par la reconnaissance d'une pluraJité possihle de schemes d'intelligibilité, iI rebondit de la difficulté de la mise en reuvre anaIytique de chacun. Cependant traiter ce prohleme - ce qui sera l' obje! du chapitre V - exige de le considérer dans son 31Opleur. Non du

137 ,re 'hemes aux discour s

oint de vue technique et nonnatif d'une logique d~ la ~ais égalemenl du poinl de vue logique el anthropoIOg:~ue

. d'une pluralilé de schemes exp Ica-requiert la reconnalSS~et '} pas également liés au complexe

, Ces dérapages ne seralen é~~ques eSlhétiques, philosophiques CI'<)y,me:es, de conVlctlons • . la céder

ni les smemes el les ameneol 10UJours ex accompagne 'h der alors ceux-ci non plus ,óle logique? Commenl appre en . dans leur place au sein

IIIUlc:m"nl daos leur conlenu log,que mals. . ltanément . qui est touJours. slmu ~

aclivité de conmussance 11 ndre la divers fils rapport au monde? Nous avons repre précédenls

en suspens tout au long des développements .

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IV

Sens et expérience

Quel est le statut logique des selremes d'inteIligibilité? Nous analysé leur role opératoire et montré la eomplexité de

o mise en reuvre. Il convient maintenant de cerper davantage position au sein de l' entreprise de pensée et de rendre compte préeisément de divers phénom'mes repérés précédernmenL

Selon quel principe peut-on penser que s'artieulent les outils OOlnitifs fondamentaux que nous avons mis en évidence? L'irré­ductible ambigulté des coneeplS analytiques ne pourrait-elle avoir Mne raison autre que linguistique, liée au travaiJ meme de l'lntelligible, qu'iJ serait peut-etre possible d'approcher en étudiant le r(jle tenu par de grandes oppositions rectrices quelque peu n~gligées jusqu 'ici: ordre et désordre, holisme et atomisme, dc!tenninisme et indéterminisme, etc. ? Les mécanismes de neutrali­lation ou d'hypostase des sclremes d'intelligibilité, les jeux d' irréductibilité logique et d' interférence pratique des programmes d'analyse, les fonnes d'interlangage intégrant les diverses compo­I.ntes du pToces de connaissance de l' objet, le rOle des paradigmes comme médiateurs sensibles de I'intelligible, les dérapages rhétori­ques, doctrinaires, réalistiques des discours, tous ces phénomenes repérés au fUT et a mesure du développement comme autan! d' éléments constitutifs de l' entreprise de connaissance du social ne méritent-ils pas d'etre eux-memes l'objet d'une réflexion qui en rende compte?

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140 L' intelligence du

LE SENS DU VECTEUR EPISTÉMOLOGIQUE

L'analyse épistémologique des composantes du proces de la. connaissance scientifique. ouvre nécessairement sur la théorie de :, la connaissance a laquelle elle foumit des matériaux nouveaux. Elle en requiert en Qutre le servíce poue cendre compte de son', objet : naus avons v u que c' était dans la tensioo entre propositions explicatives el énoncés empiriques que se nouait le travail de I'intelligibilité. Or celui-ci, dont on constate J'effet dans les analyses scientifiques produites, dont 00 reconstitue la trace dans .:: les opérations décrites et dont on appréhende enfin la force rectrice dans les proclamations- de foi el les diseours auto-réflexifs reste fortement opaque. Cependant, tenter d'en cendre compte par une entreprise de remontée vers l' amont esl périlleux el laisse souvent sceptique le chercheur. Daos les milieux scientifiques contemporains cet exercice semble réservé a un corps pn)fe:ssi"ru,el"" spécialisé et isolé - le philosophe ou l' épistémologue - ou J'apanage de savants confirmés que leur carriere semble all.",i •• "A a se détourner du fond de la caveme et a entamer enfin l' ascension.:i' vers la lumiere. Dans les deux cas, la science qui se fait se sent peu concemée.

Or il Y aurait la paradoxe si la science n' était pas une entreprise collective: paradoxe paree que le mouvement de.,' réflexion qui depuis son origine grecque accompagne le développe- .' . ment de la science occidental e est un mouvement mettant toujours davantage en évidence la pan du sujet dans la production de la . ~nnaissance scieritifique; paradoxe neutralisé d'un autre cOté par la possibilité, voire la nécessité pour tout chercheur, a cbaque étape de ce développement, de s' appuyer sur un corps de cenitudes partagées lui pelmettant, en se dégageant de doutes épistémologi­ques déhilitant, d'affronter résolument les énigmes de sa discipline. Thomas Kubn a fon bien montré l' efficacité et la fécondité de ce mode de pensée convergent l

• Les sciences sociales occupenl a cet égard une position paniculiere dont les effets sont néanritoins similaires: moios assurées que les sciences de la nature, elles doivent des leur instauration affronter un double

l. Thomas S.Kuhn, The essential Tension : tradition and innovalion in Scienlific Resean.:~ . .1959, ~uction in Piene Jacob, De Vienne a CambridRe. I'héritoge du posllrvrsme loglque de 1950 d nos jours, Paris, Ed. Ga11imard. 1980.

PI expérience 141

interne et cxteme, sur le,ur légitimité. Celui-ci les parcourt toute leur histoire et y prend des fonnes multiples, parloi.

eorome en quelques rencontres exemplaires2• le plus

indirectes. par un déport vers la théorie ou vers tes S 'H n 'y a pas la un corps de certitudes panagées,

'Iom111e dans les sciences de la nature, le débat peut se constituer un rituel de référence et de reconnaissance assurant 1 'identité l. discipline dont le chercheur saUTa se réclamer lors. des

'."amles célébTations collectives - les colloques - pour lDleux détoumer durant son activité quotidienne. convaincu qu'i1

tul appanient, daos son affrontement au terrain et a l' ohjet, de I'approprier souverainement les outils dont il a besoio.

; La théorie de la connaissance n' a done pas tres bonne presse. 1I le positivisme invitait a la mettre entre parenthese au. profit des énoncés d'observation et des lois logiques, le post-poslllVlSme peut mener la critique jusqu' au point ou~ toutes frontieres s' abol~­.ant, ne triomphe plus que le « Tout est bon » de Paul Feyerahend . Or si, al' ¡nverse de -la réduction positiviste. la science ~vele un engagement décisif du sujet de connaissance dans la connmssan­ce toute une tradition invite a penser ceci de fayan sérieuse. Il ne' peut s'agir la simplement du caractere toujours situé, daté, dUini de I'entreprise scientifique, aboutissant aux theses fades et limplistes sur la subjectivité du chercbeur. Mais il n'est plus IUere possible, au rebouTs, de réinvestir la position transcendaotale Inaugurée par Kant: les cadres a priori de la conmussance comme fondement de l'intelligible n'ont guere rési.té aux bouleversements de la science modeme. La voie critique. comme recherche d'un fondement en droit de la connaissance semble ainsi devoir céder le pas a une voie analytique. Cette idée que nous évoquions des le chapitre 1 pour expliquer notre approche, se, confo~ . des résultats des précédents développements: daos 1 entrepnse de saisie d'une réalité définie (R), il est possible de discemer, a Lravers les paradigmes invoqués et les prograrnmes mis en ceuvre. une ligne d'intelligibilité fondamentale, référant a un schl:me

2 Les joumées de Tübingen organisées en 1961 par la Deutsche ~sell~.haft fUr Soziologie, ou s'affronterent l'inspirati~)fl d~alectique ~ la IMone cnllque (Adorno Habermas) et le criticisme du ratlonabsme pop¡X.nen (Popper, Albert) en deme'urent malgré le cornmentaire dét;u de Ralf Dahrendorf, une remarquable ilIustration (Thcodor W. Adorno el Karl R. Popper. De Viellne d Frankfon. la quendle aflemalldl' de! sciences sociales. Broxellcs, Ed .. Comple~e. 1919).

3. Paul Feyerabend. Confre la mé,hode, 1975, trad., Pans. Le Seutl, 1979. p. 333.

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142 L' intelligence du social

détenniné (S). Or, eette relation (S ---> R) résonoe étonnamment de certaines affinnations de Gaston Bachelard: « Le sens du vecteur épistémologique nous parait bien neto 11 va síirement du rationoel au réel et non point, a l'inverse, de la réalité au général eornme le professaient tous les philosophes depuis Aristote jusqu' a Bacon ,.'. Les belles fonnules du Nouvel esprit Scientifique, sur la substitution du «commentaire » au « comment ». du « pourquoi pas,. au « pourquoi », illustrenl le \ravail de 1 'intelligible en aete que révele la science eontemporaine: «Au-dessus du sujeto au­dela de 1 'objel irnmédial, la seienee moderne se fonde sur le projeL Dans la pensée scientifique, la méditalion de l' objet par le sujel prend toujours la fonne du projel» (p. 11).

La lbese bachelardienne de la.« réalisation du rationnel» en laquelle nous pouvons dans un premier temps traduire eelle que nous avan~ns de « travail de l'inlelligible "incite done it opérer une remontée vers les conditions logiques de J' entreprise de connaissance:

Une telle démarche n' esl pas sans rappeler celle qui préside a l' établissemenl des catégories dans la théorie c1assique de la connaissance. 11 oe s'agirait la que d'une saisie régionaJe. mais qui pourrait etre con~ue comme constítuant un niveau interinédaire. Or J'analogie loume vite eourt: les schemes d'intelJigibilité que nous avons repérés n'entrent pas dans la systématique des tables de catégories cJassiques'. Bien plus eelles-ci apparaissent inutiles au logicien modeme qui De retient comme «constantes logiques » que les opérateurs de caleul (foncteurs de vérité, quantificateurs).

4. GaslOn Bachelard.. Le nouvel esprit sdt!ntifique, Paris, PUF, J933,. p. 4. S. Les deux principales tab1es de ca~8ories éJaborées dans la .tradition sont

celles d'Aristote et de Kant. L'une el I'autee s'appliquent 1\ la connaissance de l'EIre en g~~l dont elles défmi.ssent une approche systématique: ArislOte y ~~ Ie~ diverses cI~ d'~Uribul qu~ )'on peur afflrmer d'uo sujet quelconque; Kant d6dult de la fonchoo de Juger de 1 entendement pur les quatre détenninations . f~~ de tout jugement el dH"mit comme catégories les cooceplS a priori qUI les régt.ssent. En tant que telles ces tables, malgré les philosopbies différentes 01) elles s 'Ili~rent, oot un point commun: elles visenl non pas les cOlldilions d'intelligence du recl, mais plus originairement, ses corulitions de pensée: penser le réel est, pour AriSlote, attribuer correclement ses propriélés a une subslance el ces dem~res se répartissent fondamentalement en un nombre détenniné ~ clas~ corres~t aux détenninatioos primitives de I'Btre'; la Substance, la ~~. la QuaJ.ité, la R~lation, le Lieu, le Temps. la Position, la Possession, 1 ACbon, la Passlon. A I mverse, penser le réel est pour Kant une opération mettaot: en ~uvre non po les .~terrninalioIUl. de l'Elre (qui n'intervient qu'a travc:rs les do~ des sens) ~s celles du SUJet (par lesquelles s'organisent ces dem~res): ~ diverses modabtés selon 1esquelles une affirmalion sur le del est pos~uble déÍmlssent done les catégories par le8quelles seules il peut elre pensé : la 'Quantité, la Qualité, la Relalion el la Modalité. (Aristote, L'O/'ganon, 1,

Sens el expérience 143

De ce double point de vue les sehemes d'intelligibilité sont done inassignables. Faut-il alors n'y voie que des illusioos? que des eatégories bAtardes d'une pensée empirique qu'un travail logique d 'épuration permet de réduire ?

La critique cJassique a laquelle le posltlVlsme soumet le coneept de cause en esl un bel exemple. Menée d'un point de vue philosophique eomme ehez Auguste eomte', ou d'un pomt de vue logique comme ehez André Lalande' elle renvoie la eausalilé aux i1Jusions de la métaphysique ou aux balbuliements du sens eommun. Opérée eependanl du point de vue des sciences expérimentales, la meme critique n' est pas saos laisser un impensé. Le physieien Erost Mach, pere du positivisme allemand, I'entre­prend au flom du principe d' économie de pensée: la science s' épargne des dépenses ¡nutiles en substituant aux choses des symboles et a la Iransmission des résultats par la répétition des expériences ou de leur description celle par I'énoncé de formules

et de cas type: «Au lieu. par exemple. de DOler un a un les divers cas de

réfraetion de la lumiere, nous pouvons les reproduire el les prévoir tous, lorsque nous savons que le rayon ~eident, le rayon réfraeté

sin a et ·la normale sont dans uo mé.me plan et que Síñlf = n.

Au lieu de tenir eomple des innom¡,.-ables phénomenes de réfraction dans des milieux et sous des angles différents. 00U8 o'avons alors qu' a observer la valeur n en tenanl compte des relations ci­dessus, ce qui est infiniment plus faciJe. La tendanee a J'économie est ici évidente. Dans la nature, il o'existe d'ailleurs pas de loi de la réfraction, mais rien que de multiples cas de ce phénom'me. La loi de la réfraetion esl une mélbode de reconstruetion coneise, ré8umée, faite a nolre usage el en outre uniquement relative au e(lté géométrique du phénomene. ,,' Appliquée A la eausaliré, celte position phénoménisle, qui rappelle en son fond la critique

«Calégories », Paris, Ed. Vrin. 1959; Ernmanuel Kant, Critü¡ue de I,! raison pure, Analytique transcendantale, Paris, PUF, 1944). Les cat~gones renv~Jent A la logique originaire (substantialiste ou traJlscendantale) d'un dlscoues sur 1 Etre, les sc~rnes .l une pragmatique relationnelle de I'explication.. .

6. Auguste Cornte, Cours de philosophie positive, chapilre premler. . 7. AI'idre Lalande, Remarques sur le principe de causalilé, Revue philosophu¡ue,

lome XXX. sept. J 890. . 8. Eritst Mach. La Mécanique, cité in Robert Blanché, La MII/wde expérunentak

el la phi/osophie de la physiqu~, Paris, Annand Colin, 1969. p.207-208.

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, '1

144 L' intelligence c/u social

de Hu.me, introduit cependant en creux une détennination supplé­mentaue: «Lorsque nous parlons de causes et d' effets naus faisons arbitrairement ressortir, dans la copie mentale d;~n fait. les circonstances dont nous devons estiiner ]'enchainement daos la direction qui est importante pour nous. Dans la oature il n'y a ni cause ni effet. La oature o'est présente qu'une fois. Les répélitions de cas semblables, Ol! A esl loujours lié a B, c'est­a-dire les conséquences identiques de circonstances identiques, dans lesquelles consiste précisément l' essentiel de la relation de cause a effet, n' existent que dans 1"' abstraction que nous employons afin de copier les faits dans la pensée. Une chose nous eSl-elle devenue familiere. nous n'éprouvons plus le besoin de cette mise en évidence de l' enchainement des caractéristiques, nous ne dirigeons plus natre attention sur ce qui va arriver de neuf, naus ne parlons plus de causes ni d'effets ( ... ). De meme IWUS nous représentons d'abord I'acide conune la cause qui fait rougir la teinture de toumesol; plus tard ce changement de couleur sera énuméréparmi les propriélés de l'acide» (ibid.).

Si nous suivons Mach, la relation de causalité n'a pas de fondement de realité. Nous pouvons lui en donner acte. Mise en . avant daos le travail de connaissance pour rendre raison d' un phénomene B ii partir d'un phénomene A, elle esl ensuite inlégrée a la définition du phénom,me A comme l'une de ses propriétés. Le concept de cause devient a ce moment ¡nutile. Dont acte a nouveau. Mais que se passe-t-il chaque foís que pour identifier un acide 00 en mélange a de la teinture de toumesol ? On utj lise une propriété connue comme prédictive d'un effet permeUant d'identifier une substance ; 00 se replace dans la situation ¡nitiale définie par Mach, ou nous devons estimer un enchainement « dans la direction qui est importante pour nous ». Cette situation est celle de la recherche el de l'invention. Elle diffi:re de celle de l'exposition des résultats; si cette seconde est régie par un principe d'économie dont les axiomatiques modemes peuvent etre de boos exemples, la premiere a l' ¡nverse admet. en tout cas daos cet exemple, un principe heuriSlique donl la forme est précisément le scheme d' inteUigibilité A -t B.

Ceci est important. La logique modeme porte excJ usivement sur des expositions de résultats. En prenant pour modele les axiomatiques mathématiques. elle établit a quelJes conditions un systeme fonnel est valide. Elle exclut de son domaine le. ... logiques

Sells el eJ.périence l4S

de ]' ¡nvent¡on sciemifique el laisse a la psychologie le soin d' en fournir l'élucidation: «La question de savoir commenl une idée nouvelle peut oaitre dans l'esprit d'un hornme - qu'iI s'agisse d'un theme musical. d'un conflit dramatique ou d'une théorie scientifique - peul etre d'un grand inléret pour la psychologie empirique mai. elle ne releve pas de l' Bnalyse logique de la connaisance scientifique. Cene demiere se trouve concernée non par de. questions de fail (le quid fact; 1 de Kant) mais par des questians de juslificalion et de validilé (le quid juris de Kant 1). »'. Or si la distinction Kantienne esl sans doute essentielle du point de vue de l' établissement de la validité des connaissanees, on peul se demander si abandonner ainsi a la psychologie de l'invention la logique de la découverte n'opere pas une scission la ou précisément il importerait de saisir des transitions. Le témoignage des savants - et notarnment celui, tres classique, de Poincaré - met en avanl l'élémenl subjectif de la découverte : S8 soudaineté, son instantanéité, sa globalité. «Je me mis alors ii étudier des questions d' arithmétique sans grand résultal apparenl et sans sou~onner que cela ptlt avoir le moindre rapport avec mes recherches antérieures. Dégoílté de mon insucces, j' allais passer quelques jours au bord de la mer, et je pensais a tout autre chose. Un jour, en me promenant sur une falaise. I'idée me vint toujours avec les mames caracteres de brie-veté~ de soudaineté et de certitude imroédiate, que les transformations arithméliques des formes quadratiques temaires indéfinies étaienl identiques a ceHes de la géométrie non euclidienne. »10. La découverte a, psychologiquement, tous les lrailS de l'illumination. Elle partage ces caractéristiques avec la révélation mystique. Mais elle esto sur le plan du contenu de connaissance, saisie immédiate d'un intelligible, quand bien meme ce demier, dans l'expérienee rnystique, se donne corome inaccessible Ala raison et BU discours. 11 esl donc tout a fail possible de faire l'hypothese que l' intuition, dans sa forme simple eorome daos ses occurrences exceptionnelles - l'iUumination - est un mode d'émergence du travail inconscient de l'intelligible.

Ce travail - composé aussi bien de toutes les démarches ingrates du tlItonnement, de la recherche d'infonnations, de la

9. Karl K. Popper. La 'agique de /a découverte :icientiflque, 1935. trad. Paris, Payol, 1982.

lO. Rayrnond Poincaré. ScierICe el métlwde. Paris, Flammarion. 1918, p. 50-31.

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146 L' intelligence du social

recension critique des travaux, des esquisses théoriques successives que des instants de gr4ce ou, eonune d' elles-memes, les ehoses el les idées s'assemblenl - eSld'autanl plus oceulté que la théorie esl davantage mathématisée: aueune conunune mesure ne semble exister entre les deux moments de la découverte et de l'exposition ; la validité de la théorie - e' est-a-dire sa cobérence interne el sa eonfirmation par les faits - esl le gage exelusif de son sens. Or, dire avec Bacbelard que le vecteur épistémologique va du rationnel au réel, .e'eSl certes dire que dans la physique modeme il va do modele malhématique ill'expérimentation, el non de I'observation de la natureil la construction d'hypotheses. Mais n'esl-ce pss également reconnaitre que l' entreprise de connaissanee a une épaisaeur el une dynamique dont rend mal eompte une théorie de la connaissanee ramenée aux deux pales eartésiens' de l'intuition et de la dédoction ? Inassignables comme catégories logiques et simultanément. matrices d'intelligibilité, les schemes ne ttouvec raient-ils pas dans cene interface entre invention et exposilion, sens et expérimentation, leur vérilable lieu ?

SCHEMEs ET THéMATA

_ Epuration unitaire ou reconnaissance du pJuralisme

L'expérience ·de la pluralité des schemes d'intelligibilité iI l' reuvre au sein des sciences sociales parwlrail peu probante aux yeux de nombreux épistémologues si elle était le seul élément dont nous puissions dispuser. Beaueoup sans dou!e y verraienl non pas un probléme épistémologique mais une marque de sous­développement el acquiesceraient sans réserve a ces remarques de Mario Bunge : «Celui qui vient aux sciences sociales en étant parti des sciences nalurelles sesent au départ repoussé par l' argot obseur, la pauvreté el I'inexactilude des idées, et les prétentions qui consisten! iI faire passer pour recherche scienlifique la quele de données sans importance, et pour ·théorie scienlifique une doctrine imprécise »." A l"image de }'auteur ils proposeraient une

11. Mario Bunge. Epistémologie, Paris, Ed. Maloine. 1983. p. 163.

Sens el expérience 147

« épuration du vocabulaire sociologique» el aboutiraient a une définilion de la sociologie scienlifique rarnenée a un modele unique - en l' oceurence le systémisme. La pluralité des sebemes d 'intelligibililé, tésultat de l'influenee des pbilosophies el des idéologies sur les sciences sociales, de l' imprécision et de la eonfusion du vocabulaire, de I'usage insuffisanl du formalisme mathématique, serail done un faux probleme.

Or ce réduetionnisme, propre a I'idée d'une science unitaire, nous semhle renaltre ehaque fois qu' est privilégiée la science achevée sur, la science en acle: les lois internes du discours semblent en occulter non seulement les conditions de production, mais surtout rintention de cormaissance. L'mcessante tension du travail de l'intelligible s'abolil dans la linéarité de I'exposilion. Les regles formeUes de définilion des eoncepts el de mise en relation des propositions deviennenl le langage conunun de toute connaissance. Est-ce un hasard si la meme image de l'arbre, dans loute la force de ses eonnotations végétales, généalogiques e! mathématiques, se rettouve aussi bien ebez Descartes que chez Camap"? A l'illusion possible de la pluralité des scbemes d'inlelligibilité nous pouvons opposer toul aussi légitimemenl le fantasme unitaire d'une science ramenée a un espaee a deux dimensions: la logique et l' expérience. Fantasme que nOUlTit eon!inOment l'ineessant travail de réécrilure d'elles-mémes auquel se Iivrenl, pour des raisons pédagogiques, les scienees de la nature : en privilégiant, dans la didaetique, une démarche unifiée allant du simple au eomplexe, des lois élémentaires aux lois dérivées, sont enseignés achaque fois un certain état auto-réflexif de la discipline, une maniere déterminée d' organiser a poslériori les connaissances, un langage neUlralisant r historicité el l'inlelli­gence de /'invention au profit de la systématicité des résultats.

12. Descartes, Les principes de la philosophie, Lettre de I'auteur k celui qui rraduit le livre, laquelle peut id servir de pr6fac:;e, Paris, Ed. Gal~. «La pléiade », 1953; <OC: Ainsi taute la philosophie est cornme un arbre dont les iacines sont la m6taphysique, le tronc est la physique, et les branches qui 50rtent de ce tronc sont toutes les autres sciences qui se réduisent a troÍ5 principales, k savoir la médecíne. la mécanique et la mOl-ale» (p . .566). Rudolf Camap, L' ancienne et la nouvelle Jog;q~ (1930-1931), trad. Paris. Hennann 1933:,« L'analyse des concepts scientifiqucs a rnont~. - soir qu 'ils se rapportent aux scienccs de la nature. soit qu'ils concernent la psychologie el les sciences sociales -, qu'ils se rammenl 1 une base commune: on peUl les rapporter 8 des notions primitives, qui se ranachenl elles-memes au donnc!:, aux contenus imm&liats de la conscience ( ... ). n se prEsente 11 un arbre généalogique des concepts 00 tout concept: de la science trouve la place d'une f~n fondamentale, resultant de son mode de déduction k partir des autres el, en déf'mitive, a partir du donIll!)Io (p. 31-32).

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148 L' intelligelU.:e du social

Convictions pluralistes el convictions unitaires peuvent s'op­poser longtemps; le débal progtesse lorsque l' étude des discoull! scientifiques pennet d' apporter de nouveaux arguments a I'une _ ou l' autre posilion. Oc la prise en compte de plus en plus importante - daos la mouvance meme du positivisme logique -des déterminations hisloriques el culturelles de la production scientifique. aboutit a introduire la diversité au setO meme de la connaissance de la nature. Le texte désonnais classique est a cet égard La structure des révolUlíons scíentífiques de lbomas S.Kuhn. Le concepl central de «paradigme» qu 'il introduil aura une fortune qui n'a peut-étre d'égal que son flou. Avec beaucoup d'humour Kuhn reconnatt d'ailleurs, dans la postface qu'il écrit en 1969, qu'une «Iectrice sympathisante» a pu recenser jusqu'il 22 acception différentes du terme dans l'ouvrage! El de fail, si cela l' amene a en préciser la signification. il est Del que le tenue s'inscrit tres vite dansune sorte de vulgale 00 il connole - et légitime - loute spécificité d' approche dans un champ dnnné. Se référer ¡, un paradigme y siguille se référer ¡, une maniere de voir les choses, d'appréhender les phénomenes, ou il un modele e"plicatif au sens large. Nous avons refusé plus haut cel usage en restreignant un paradigme a· une réalisation singuHeie exem­plaire. En fail certe acception est égalemenl présente chez Kuhn, et constilue meme pour lui l'aspect le plus original de son travaiJl3: e'est en cffet par la médiation d'reuvres ou de résultats exemplaires, fonctionnanl cornme « e"emples communs » (le para­digme au sens étroit) que se communiquenl les regles de travail el d'intelligibilité d'une communaulé scientifique donnée (le paradigme au sens large) : ces demieres cooslituent aussi ce que Kuhn appel1e une «matrice disciplinaire» el se composent de lrois parties: des généralisations symboliques, des «paradigmes métaphysiques» el des valeurs: les premieres foumissent des modeles de fonnulalion, les seconds des métaphores el des analogies, les troisiemes des préférences épistémologiques el méthodologiques. L' eoqUele historique menée par Kuhn révele dans }'histoire des sciences une 'premiere phase 00. coexistent plusieull! paradigmes, puis une phase 00 un paradigme l' emporte

13. Thomas S. Kuhn. La struclure des r¿volut;ons scientifiques, 1962. París, Champs-F1ammanon, 1983. p. 255: .. Le panuligme en tant qu'exemple commun e!'lll'~16ment central de ce qui me semble maintenant i:tre "aspect le plus nouveau el le moins bien compris de ce livre.» "

Sens et expérience 149

el devient le cadre de la «science nonnale », eofio un moment ou ce paradigme s'avéranlooincapable de résoudre les probleme. 411 ' il a luí rneme rendus possibles. un autre lui est substitué.

Deu" idées de Kuhn rejoignent notre propos: d'une part les sciences socia1es en seraient manifestement a une phase de coe"istence de paradigmes; d'autre part des paradigmes différents sont « incommensurables ». et leurs seuls rapports sont de l'ordre de la traduction entre langues de struclures différente •. Celle phase est-elle provisoire ou définitive? Kuhn daos ce cas ne tranche pas". Cependant ces idées et, malgré le souci de c1arification et de précision qu' eHes manifeslent, les formulations de la postface de 1969 ne nous font pas avancer. Les schemes d'intelligibilité donl nous cherchons a établir le statul sont manifestement ¡, I'ccuvre dans les divers éléments d'une matrice disciplinaire ; mais le constat de leur présence De rend pas compte de leur fonction el de leur statul logiques propres. L'approche de Kuhn consiste A en émietter le conlenu épislémique au profit de la réalitésocio­logique globale qu'il vise: l'existence de cornmunautés scientifi­ques organisées a un moment donné autour d'un ensemble de convictions partagées el contraintes de rompre avec lui l~u 'il se revele incapable de résoudre les « anomalies » qu 'U a lui-meme permis de révéler. De ce point de vue e'est moios le travaíl d' inteHigence de l' objet en lant que lel qui intéresse Kuhn, que la mise en évidence de ses cadres socio-cognitifs.

La théorie des « Themata» de Gérald Holton

L'approche de Gérald Holton s'inscrit a l'inverse au creur meme des débats sur l' intelligence de l' objeto S' appuyanl sur les controverses qui ont émaillé l'histoire de la physique et singuliere­ment de la physique moderne il pose e"plicitement le probleme de la pluralilé et de la coexistence des fonnes d'inleHigibilité: « Quelles sont les sallrces d'énergie qui assurent leur vivacité _·a certaines controverses scientifiques. pendant des dizaines d' an-

14. Op. cit., p_ 219-220. Notons que Raymond Bou~n, se demandant ~i la sociologie peut e're une science «nonnale ~ répond clauement par la négahve : «Ainsi la sociologie ne sem.jamais" kU,hnic.nne ,. ~n c~ ~ns qu'clle "<: ~sem jamais sur un pantdigme umque. Elle n atlemdTa JamalS 1 état caracténstlque de la .. science nonnale" JIo (Will sociology ever be a nOl"mol science? Theory and Socjet)'. 17. 1988, p.768).

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150 L' intelligence du social

nées ? Conunent se fait -il que des scientifiques - el aussi bien d'ailleurs ceux qui traitent d'histoire, de philosophie ou de sociologie des sciences -~ ayant largement acces a une -infonnation idenlique; en viennent fréquemment • défendre des modeles d'interprétation radicalement différents ? Pourquoi certains savanls mettenl-ils tant en jeu pour sauvegarder un modele d'interprétation . ou quelque príncipe u intouchable '? alors méme que les indications expérimentales sonl la pour les contredire?»".

Le paradoxe que releve Hollon esl en fait le suivanl : cornment une communauté dont le souci fondamental esl de se donner daos son domaine d'activité - la productíon de connaissances -des regles explicites, rigoureuses, el incontestables de décision, peut-elle se diviser sur l'interprétalion de ses résultalS? De quelle nalure est l' engagemenl que cela révele? Diverses anecdotes significatives le situent manifestemenl du roté de l'affeclif. Ainsi cette nolice nécrologique d' Abraham, rédigée par Max von Laue et Max Bom, que cite Holton: «Abraham ressentail, pour les abstraclions d'Einstein, une révulsion viscérale. 11 aimail son éther absolu, ses équalions de champ, son électron. rigide, ainsi qu' on aime pour la premiere foís quand on estjeune, un arnour qu'aucune expérience ne pourra effacet par la suite ( ... ). Son opposilion se fondait sur des convictinns physiques, fondamentales, auxquelles il resta attachéaussi longtemps qu' il le put, simplement pour la conformité a sa sensibilité" (p. 29).

Mais de quelle affectivité s'agit-il ? les memes termes (amour, révulsion ... ) peuvent s'employer selon que leur objet est une réalité physique ou idéelle. En donnant sens a ce type d'engagemenl du savant, a I'épaisseur et a la profondeur du rapport qu'il peul entretenir avec une activité a laquelle i1 se donne SQuvent « corps et lime ", Holton redécouvre par d'autres chemins ce que Bachelard mettait en évidence dans La formation de l' esprit scientifique: l' arriere-food symbolique de la connaissance, puisant aux sources profondes de I'affeclivité et de l'imaginaire. Mais la OU Bachelard pointait les inrerférences avec le travail scientifique et la constitu­lion d' obstacles épistémologiques, Holton révele l' existence de représentalions fondatrices. Celles-cí, organisées le plus souvent en couples anlithéliques, apparaissent a divers moments de l'his­toire de la science, révélées par les débats auxquels donnent lieu

15. Gerald Holton. ¿'imaginolion scientifique. 1973, trad. Paris, Gallimard. 1981. p.26.

Sens et e.xpérience 151

les théories : « Des couples antithétiques - tels que ceux d'évolu­tion el d'involution, invariance el variation. complexité el simplici­té, réductionnisme el holisme, hiérarchie el unité, l' efficacité des mathématiques (de la géométrie par exemple) opposée JI l' efficacité des modeles mécanistes en tant qu'instruments d'interprétation -se distinguent relativement aisément, surtant pour les cas qui ont suscité une polémique, ou marqué un progres considérable relalive­ment au niveau de la masse des travaux (p. 30).

L' ana/yse de Holton donne a ce type de représentations, qu' il va désorrnais proposer de dénomrner des «th8mata »*, trois caracléristiques fondamentales:

1/ lis sout source d'intelligibilité : «c'est bien en effet l'une des fonetioos essentielles d'un thema que de servir a remire le monde intelligible d'une maniere que les impéralifs de la logique seule ne sauraient admettre» (p. 37).

21 Ils accompagnent éonstarnment le travail scientifique. mais en demi-teinte,en arriere-fond. lis ne figurent ni dans les manuels, ni dans l' énoncé axiomalique des théories. Holton propose de figurer cette présence-absence par une analogie : «Nous pouvons, suivant (une) analogie toute approximative, figurer les tbilmata qui se manifestent daos les sciences, selon une dimension orthogo­nale au plan xy ou l' on peut opérer une vérificatioJ:l ou une réfutation, qui serait done. en quelque sorteo un axe des z s'en écattant. Si le plan xy suffit bien, dans la plupatt des cas, aux besoins du discours proprement scientiflque. en tant qu' il s' agit d 'une activité publique visant le consensus, il faudra faire appel a l'espaCe tridimensionnel (xyz) ponr une analyse plus complete e .. ) des énoncés, processus et controverses scientifiques» (p. 28).

3/lIs peuvent etre attaché. a des éléments divers et fonctionner selon trois registres; le concept thématiquE (par exemple continu/ discontinu), le thema méthodologique «< tel que la préférence donnée a l' expression de lois scientifiques, autant que possible, en lennes d'invariances, d'extremums, ou d'impossibilités »), la proposition th€matique (énoncés globalisant du type des deux principes de la relalivité restreinte).

Cette approche est particulierement stimulante pour diverses raisons. D'une part elle repere, dans le champ des scíences

* Nous rcprenons. tout au long du texfe, ce tenne el ses dérivés orthogmphi6s avec un accent circonflexe. selon l'usage introduit par Holton.

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152 L' intelligence du social

physiques. des éléments pennettant une confrontation renouvelée avec les sciences anthroposociaJes. D'autre part elle désigne une solution possible a I'aporie du statut logique des seMmes d'intelligi­bilité en proposanl I'idée d'un plan orthogonal a celui de I'axiornati­sation et de l' expérimentalion. Enfin elle se situe explicilement au creur d'une problémalique de I'inlelligibililé. Le probl~me posé est alors de savoir le lien que l' on peut établir entre ee que Gérald Holton appelle des «themata» el ce que nous désignons sous le nom de « schemes d'intelligibililé ». S'agil-il de la meme ebose el si oui, en quoi I'approche «1h8matique» pennet-elle d'éclairer nos analyses antérieures? si non quel peul elre le slatul réciproque de ces deo" sortes d' entités logico-cognitives?

·Un exemple d' opposition thimatique en sociologie : holisme et alomisme

A vant meme d' entreprendre la confrontation entre seMmes d'intelligibilité el themala un constal s'impose: a I'inslar des sciences physiques el donnant lieu pareillement a affrontement, les sciences sociales revelent des oppositions, le plus souvent binaires, centrant parfaitement dáns les catégories « thamatiques » esquissées par Gérald Holton: ainsi et en v""', ordre et désordre, alC)misme et holisme, nature el culture, reproduction el changement, structure el genese se rangent assez facHernent sous l' ¡dée de « concept thematique », alors que qualitatif el quantitatif, transversal el longitudinal, synchronie el diachronie, eonsidérer les phénomenes sociaúx eomme des ~hoses el les considérer eornme «des aecom­plissements d' aelions » réíereraient assez bien au «- thema méthodo­logique ». Plus difficile par contre nous semble 1 'identification de véritables «proposítions thematíques»: ceHes auxquelles nous pourrions penser, telles que la définition de la sociologie par Max Weber, o;; la these sur I'objectivité du social de Durkheim et son antithese chez Garfinkel appartiennent plus manifestement au « th~ma méthodologique ~.

Ce simple constat est par lui-meme intéressant. Il pennet d' éc1airer les conflits et les controverses des sciences sociales en les comparant a ceux des sciences de la nature. Au Jieu d 'y voir une preuve d'infantilisme el de sous-développement. ou a l'inverse, la manifestation d'enjeux sociaux el idéologiques irréductibles -seIoo le mode de dramatisation de leurs débats que ces disciplines

Sens et expérience IS3

affectionnent - peut-8tre faut-il les considérer comme des expres­sions nonnales du travail d'inlelligence de l'obje! a l'reuvre en leur sein. 11 permel, par ailleurs, de mettre en avant des repr6senta­tions que nous n'avions pas encore véritablement prises en compte, alors que, manifestemenl, elles participent du meme travail. Lo fail Cependanl qu'elles nous aient échappé jusqu'lI présent, non en soi, mais selon la logique d'analyse suivie, esl peuHltre l'indice d'une différence avec les schemes,.qu'il seroil possible de penser cornme relevant d'uo autre type de participalion A la construction de modes d'intelligibilité.

Soit les deux oppositions suivantes: atomisme el holisme, ordre el désordre. Chacune constitue une ligne possible d'organisa­lion du discours des sciences sociales, dont on peUl aussi bien retrouver Jes premillres fonnulotion chez les fondateurs de la sociologie qu' en suivre la trace jusqu' aux lravaux actuels : Ray­mond Boudon voit dans l' Opposilion entre atomisme el holisme «le débat méthodologique principal de ee temps dans le domaine des sciences sociales» el" en resitue l' origine dans l'opposition entre les traditions fran~aises et allemandes"; Georges Balandier" fait du eouple ordre el désordre aussi bien une des sources d'inspiration fondamentale de la sociologie qu 'un défi anlhropologique renouveJé que doivent affronter tanlpar l' aetion que par la connaissanee les sociétés modemes. Aquel niveau d' intelligibilité se frouve-t-on id ?

La réponse n' est pas simple et doil 8tre spécifiée. Raymond BoudoD esl revenu daos divers textes sur l' opposition entre alomisme el holisme. Toul d'abord iI ne parle pas d'« atomisme », mais d ~« individualisme» et vise par la une «méthodoJogie» (p. 3J), don! le principe, énoncé en toute rigueur pour la premiere fois par Max Weber esl que «pour expliquer un phénomene social quéleonque - que celui-ei rel~ve de la démographie, de la science politique, de la sociologie ou de loute autre science sociale particuliere - il est indispensable de reconstruire les motivations des individus concernés par le phénomene en queslion, el d' appréhender ce phénomene comme le résultat de l' agrégalion des eomportements individuels dictés par ees motivations » (p. 32).

J 6. Raymond Boudon. Individualisme ou holisme: un débat méthodologique fondamental, in Henri Mendras et Michel Venct, Les champs de la sodologil! fron,oiu. Pans. Ed. Annand Colio, 1988.

17. Georges BaJandier, Le dbordre. Paris. Ed. Fayard. 1988.

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154 L'intelligence du social

Ainsi défini, 1 'individualisme méthodologique peut etre décrit dans la structure de I'explication qu'i1 promeut (p. 33): la fonnalisation retenue - (M = M [m(P)] soit «le phénomene global M dérive d'un ensemble de comportements individuels m résultant de motivations elle-memes affectées par des données globales P» (p. 33» - est exposée de f~on quasiment identique dans un autre texte, La place du désorde 00 'iI est qualifié de «paradigme de I'action» (p. 39) et de «paradigme Wéhérien» (p. 42). Dans le premier texte, I'individualisme méthodologique, également qualifié de «paradigme individualiste» (p.41) .est opposé au « paradigme » ou au « mode de pensée » baliste (p. 39) ; dans un texte plus ancien - Effels pervers el ordre social - iI est intégré a la famille des «paradigmes interactioonistes» et opposé a celle des «paradigmes détenninistes» (p. 190 et sq.).

Il est clair que, quelle que soit la diversité des dénominations et des modes de présentation, nous sommes ici dans le registre des scbemes d'intelligibilité. La fonnalisation que donoe Raymond BoudoD du principe de I'individualisme méthodologique est du meme type que celle que nous donnons plus baut du scheme actanciel et son rattachement au paradigme de l' action va dans le meme seos. Le terme de paradigme est lui-meme spécifié dans une acception logique dont nous avions vu qu' elle pouvait etre un mode de présentation des scbemes (p. 105): «J' emploierai (le terme de paradigme) pour désigner le langage dans lequel sont fonnulées les théories ou éventuellement des sous-ensembles importants de théories émises dans le cadre d'une discipline »". La question est alors la snivante :y-a-t-i1 adéquation entre l' opposition thématique atomisme/holisme et les scItemes d' intelli­gibilité? Notre réponse sera négative pour deux raisons :

alLes scItemes d'intelligibilité - ou les paradigmes si I'on veut reprendre ici le vocabulai:re de Rayrnond Boudon - De sont pas réductibles a deux familles. Les développements des chapitres précédents impliquent lt la fois leur pluralité, leur irréductibilité, et le jeu complexe de leurs interférences. Les relatioos entre schemes ne sont pos des relations d' exclusion mutuelle mais de combinaison et de réduction diverses, selon une double logique d' expansion du scheme dominant et de neutralisation des scbemes dominés. L~opposition binaire est a l'inverse une caractéristique

18. Rayrnond Boudon, Effets pervt>rs et ordre social, Paris, PUf, 1977, p. 190.

Sens et expérience

fondamentale des tbt!mala dont le pouvoir structurant est d'autant plus fort qu'i1 est au principe de multiples taxinornies. Tout se passe cornme sí ron avait affaire a une traduction d'un níveau dans les termes de l' autre.

b / Le tenne d'individualisme méthodologique est ambigu: il désigne a la fois un prograrnme d'analyse et I'engagernent épistémique qui le fonde". Le couple individualisme/holisme se trouve alors déséquilibré par la substitution du tenne individualisme au tenne atomisme. Celui-ci s' oppose tenne a terme a I'holisme selon une logique déja présente dans I'antiquité mais qui va ressurgir a l' époque contemporaine par l' intennédiaire de la philosophie romantique aIIemande: «Le terme .. atomistique ", employé en un sens métaphorique a propos de I'esprit, semble apparru"tre pour la premiere fois chez les philosophes romantiques allemands. Friedrich Schlegel, notamment, en a fait un usage

19. L'ambiguil~ De tienl ~videmmenl pas au terme d'-individualisme: Raymond Boudon rappelle que «]'-individualisme méthodologique el I'individualisme rout court entreliennent le meme rapport que le chien constellation céleste et -le cbien aboyant» (in Dicl;cmnoire criti~ de la socioJogie, amele «lndividualismc ». Paris, PUF,; 1982) ; elle ticol a la différence de niveau entre principe épistémologique el méthode d'analyse. ou daos le vocabulaire que nous utilisons id, entre engagement ~pistémologique el scheme d'intelligibilité. Celle-ci appanu"t plus clairement .1Qrsque I'on se réfere aux textes de Friedrich von Hayek ou de Karl Popper. CIiéz Hayek 1'individualisine mélhodologique s'inscrit daos une série d'oppositions dueHes (sciences de la ndure I sciences sociales, objectivismel subjectivistr~. totaJisme/individualisme) qui le constituent comme principe épisté­mologique de la col'maissance du sodal dont l'objet est de saisir comment 4( I'action indépendante de beaucoup d'hommes peut produire des ensembles cohérents, des structures durables de relations qui servent d'importants desseins saos _avoir été établis daos ce bul» (Scient;sme el sciences sociales, 1952. trad. Paris, Plon, 1953, réed. Agora, 1986, p. 127). Popper. qui récuse la pertinence des oppositiona entre sciences de la nature et sciences sociales, objcctivisme et subjectivisme, distingue - tOln en les associant - le « postula! » de I'individualisme mélhodologique de la méthode de o: construction logique)Jo ou d'« hypot~ nulle)Jo (Misere de I'historicisme, 1944, 1945, trad. nouveUe, Press Focket, Agora. 1988, p. 177). Cest précisémenl cette méthode - consistant l tester, sur une silu.tion donnée. un mod!:le d' action en pleine rationalité des acteurs - qui constitue 18 matrite du programme d'analyse développé par certaÍns économistes et repris par Raymond Boudon. Entre le principe el le programme d'une part, entre le principe et d'.utres positions épistémologiques de I'autre, il y a 8 la fois solidarité et indépeJKblnc:e. En témoignent les positioos réeUement diff6Tentes de Hayek et de Popper: ·1eur commun accord sur le principe de l'individualisme méthodolO(Cique r6sulte en fail de leur eommune critique du réalisme naif attaché l ce qu'ils appellent le lotalisme. Le nominalisme qui recuse toute réalité subsumtieUe .. des cocí. collectives telles que I 'Elat. la soCK:té, les classes sociales ... nous semble ainsi constituer le point d'ancrage commun de positions quí, l d'autres niveaux. pc:uvenl diverger. Pour d'autres remarques critiques sur l'individualisme m6thodologique. on peur consulter; Oiovanni Busíno, L'individualisme mllhodologique. Cou .... séminaires et travaux de I'lnstitut d'Anthropologie et de Sociologie. Univcnilf de Lausanne. 1984.

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dans ses Philosophische Vorlesungen (p. 78-80) en disant que la création du langage est une création d'uo seul jet. qu'elle est comparable a un poeme qui resulte de l'idée du tout et non de la reunion atomistique des parties. F. Schlegel vise daos ce passage, pour la eritiquer, la théorie de Condillae sur l'origine du langage ; et il y a lA une application de la Ibese générale des philosophes romantiques, qui opposent aux Ibéories .. mécaniques " ou .. atomistiques" de l'esprit (termes par lesquels ils désignent les théories des penseurs fran~ais du XVUle siecJe) une théorie qu'ils qualifient d'" organique" ou de !" vitale .. »2(J. L'opposition vise done deux modes antagoniques d'appréhension d'une totalité: eomme dotée d'une existence et par -conséquent d'uo príncipe propres dans un eas; comme résultant des propriétés de ses porties dans l' autre.

Le probleme est alors le suivant: que foumit A I'intelligence de I'objet l'engagement sous I'une ou l'autre attitude? En d'autres termes selon quelle modalité un tel «lbema» partieipe-t-il a l'intelJigibilité de l'objet? Les chooes ne sont pas simples: l'holisme postule une systématique du réel. Mais il peut la concevoi,r selon diverses modalités allant du systeme rigoureuse­ment analysable A la totalité entierement définie par un prineipe d'unité ¡romanent inaccessible a la connaissance discursive, selon les multiples variantes, philosophiques, .biologiques, politiques, sociologiques du vitalismell • De meme si l'atomisme pose l'indé­pendanee des éléments, iI peut voir dans leur rassemblement en des ensembles détenninés aussi bien l'action de forees méeaniques

20. René Betthelot, supplément a l'article « Alome », in André Lalande, Vocabwa;u technique el critique de la philosophie, p. 1237, Paris, PUF, X" éd. 1968.

21. L'aément commun a ces diverses modalités de définirion du tout semble bien ~tre ('affinnation: le tout est plus que la somme des parties. Popper critique la banali~ et l'iinpr6cision d'uoc telle affinnalÍon (Mishe de l'histo,.icisn/e, op. cit., p. 105). Elle ressurgit cependant régulierement, comme une sorte d'indire thl:matique récurrenL Ludwig von Bertalanffy, daos son introduction a la iMorie g6nérale des s)'s~mes, la ramene l I'affinnation suivante: 01( le$ c8l1lctéristiques constitulives (d'uo complexe) ne peuvent s'expliquer a partir des parties prises isalément»; iI déímit aiosi un system.e cornme 4( un cOmplexe d'élémeots en ¡ntenction)lo (Thkrie gjnérale des SJslimes. op. cit., p.53). Michel Maffesoli la rappelle pour introduire en sociologie une sorte de néo-vitalisme, fondé sur «la pulsion de I'Stre..eMemble)lo (La connaissance ordinaire, op. cit., p. 100). 00 peut aussi disjoindre une conception scientifique - on serait teoté de dire « analytique» - du Too1, d'une conc:eption philosopbique el m6taphysique. e'est ce que fail Popper daos I'ouvrage ci~; c'est également ce que vise I'approche syslémique. On peut a cet égard regarder avec inlérel I'esquisse d'axiomatisalion el de fonnalisalion par laquelle Mario Bunge distingue I'individualisme, le globalisme et le systémisme (io Epistémolog;e. op. dI.).

Sens el expérience IS7

extérieures - a l'image de la dune que le vent construit et que la pesanteur maintient - que le resultat de leur dynamisrne inteme:!2. Les implications el associations que suggere chacun des termes sont done eomplexes et peuvent se développer dans diverses direclions. Philosophiquement une visíon holiste serait plus proche du réalisme, tandis que l~atomisme s'apparenterait davantage au nominalisme". Une telle opposition participe done a I'intelligibilité de I'objet davantage au litre de grandes intuitions ontologiques qu '3 celui de ·principes de connaissance24

II fallt cependant la saisir a l'reuvre au sein d'un discours donné pour en compTendre plus précisément le role. Or, si l' on en revient au moment fondateur de la sociologie~ 00 constate que cette opposition est effectivement mobilisée dans une intention de connaissance tres partieuliere : ce/le de Jégitimer une entreprise sdentifique autonome. Durk.heim use de l'engagement holiste

22. L'atomisme dont il s'agit id rétere it. ce que 1'on appelle parfois« l'atomisme philos()PtVq~~, dont. une forme comemporaine est représentée par l'atom,isme logjque de Berlrand Russel. 11 ne postule que I'existence d'un nombre d'éléments ultimes simples. Ceux-ci peuvenl s 'associer SOllS I'effel de rorees mécaniques extérieures (atomismc antique) ou étre dotés d'une spontaoéité interne (monadisme de Leibniz).

23. L'oppooition entre réalisme el nominalisme porte sur le s1atut de ces camcléristiques loaiques générales que I'on appelait les universaux. Elle. s'e.SI Llouée au XIV· siecle avec le développement d'un foo courant nominaliste. prémiee uu développemenl uJtérieur de la pens« scientiftque de la Renaissance. Le probleme. en langnge modeme. est le suivant: les concepts Jl8! lesquels notU! décrivOll8 la tiature (étendue, énergie. auraction ... ) ou la société (division du lravail, atiénation ... ) désignent-ils des réalités particul~res ou oc sont-ils que deS dénomioations du seos commun ou de la science 7 11 se lrouve qu'co science5 sociales I'holisme s'associe sauvent avec le postulat d'existence d'entités collectives, lelle que <)( la sociéU; », la «culture », etc., el que la critique de ce 4( Jialisme narf» (Hayek., op. dI., p. 83), ou de cet «essen1ialisme méthodologique » (Popper, op. dt., p.39) joue un role décísif dans leur rejet du totalismc.

24. T6moigne de ce statut logique la possibm~ qu'ont les rhemata de s'insércr daos de$ ~ux d'oppositions variées, meltant a·maI le préjugé rationnel .de: cohérence des grandes oppositions ontologiques ou métaphysiques. On saisit ainsi la difficulté qu'éprouve la philosophie lt. organiser des oppositions comme empirisrnelrationalisme, matérialisme/idéalisme, réalismelnominalisme, idéalisme! spirítualisme. etc., et le fan1asme réitéré qu' elle manifeste A vouloir les réins6rer dans une architecture d'ensemble. 00 c~it alan que des oppositions moios c1airemeot fixées el rationalisées que ceHes de la m6taphysique traditionnelle puissem dooner líeu a des rése~ux vari« et parlois anarchit.tUes. d'associatioRI. L'alomisme par exemple fonctioone en opposition avec I'hotis'me. Mais on le trouve également présenl daos le coupte c1assique conlinU/discontinu, cm il s'associe au discontinuo Une lelie labilité, un tel exces de seas, sont le propre de la pen. symboHque et ne peuvent, tels quels, que jusufier des eng:agemen15 ontologiquea ou épist6miques. L'utilisation de ces représentations oomrne principes d'analyae nécessile un travail d'épuration et de formalisation qui en restreigne rigoureu.sement la signifiatotion. Partant cene demrere - ¡'individualisme méthodolosique cornme programme par exemple - ne peut plus &re simultanément ratt.~ au jeu des oppositions sémantiques caractérisaot I'espace dont on I'a pr6cis6nent d~tach6e.

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158 L'inte/ligence du social

eontre la réduetion de la sociologie a la psyehologie", tandis ¡¡ue Weber en appelle a I'atomisme pour juslifierla spéeificité d'une sociologie interprétative. Le glissement, dans ehaque caso de l' alome al' ¡ndividu a une fonction rigoureusement syrnétrique. liée au statut meme de ce dernier eomme constituant ultime du champ de réalité étudié: «Mais dira-t-on, puisque les seuls éléments dont esl fonnée la société sonl des individus, l' origine premiere des phénomenes sociologiques ne peul Stre que psycholo­gique» (Durkheim)"'; «Pour l'inlerprétalion compréhensive de I'aetivilé que pratique .10 sociologie, ces structures [les diverses struclures eollectives] ne sonl que des développements el des ensembles d'uDe activité spécifique de personnes si"gulieres, puisque celles-ci constituent seules les agents compréhensibles d'une activité orientée significativement» (Weber)27. Les argu­ments utilisés de part el d'autre visenl alors non pas a déterminer directement un mode d'analyse. mais a fonder sa légitimité: prendre la sociélé. en tanl que lotalité comme objel esl légitime puisque « un tout n'est pas identique A la somme de ses parties.

, 23. Les enjeux d'un refus d'une réduction de la soc:iologie a la psychologie, tel qu 'i1 eSl explicité nOlamment daos le chapitre V des Regles, apparaissent en toule clarté" daos les jugoments critiques auxquels donna lieu }'ouvrage. Léon Brunschvicg el Btienne HaI6vy. tout en saluant la tentative de Durkheim, lui reprochent de_ couper la sociologie de sa base, la psychologie: «Une v6ritable science des soci6tés n' est pas ceHe qui en étudic: la getre5e en se -p~ant de paro pris hors de tout fail psychologique; c'est ceHe qui verrait la loi sociale surgir des consciences-individueUes par le mouvement spon~ des esprits. el )'interpréte­raíl comme l'expression des id6es communes el des sentimenls communs » (L 'rulnée philosophique 1893. Rellue de Mjtaphysique el de Moral" 1894, p. 571). Pool Lapie. fulur collaborateur de L' Annle soci%gique. reprend la meme critique l'année suivante, soulignant que «seul M. Durkheim s'éleve contre (la) théorie (selon laquellc) les faits sOCiologiques se déduisent -de lois psychologiques ... (L'année sociologique 1894, R~ue de Métaphysique er de Mora/e, 1895, p.325). En 1896, au coors d'une pol6nique -opposant sur les questions de la démocrutie Charles Andler el C61estin Bougli. le premier reproche a la sociotogie d'!tre une pseudo-science, considérant que celle-ci ne peut etre qu'une« psychologie sociale» requérailt un développement préalable de la oH psychologie individuelle )lo el de la « psycho-physique lt (Sociologíe el dbnocratie, Revu~ de Mbaphysique ~t de MoraJe. 1896, p.244). Dans 58 ~ponse Célestin Bougl6e, tout en considénmt que la sociologie doive procéder de la psychologie, inlroduit néanmoins l'idée d'une spécifici~ de certains failS socíaux en s'appuyant sur une citation de Claude Bernard, donlla conclusion est précisémcol : 4C Des phénomenes tout ~ rair spéciaux peuvent etre le résultat de l'union ou de I'association de plus en plus complexe des éléments organisés. Tout cela prouve que ces éléments, quoique dwincts el autonomes, ne joumt pas pour cela le r61e de simples associés. el que leur 111';011

exprime plus que l' addirion de leurs propriérb slparjes* ,. (Sociologie, psychologie et histoire, Revue de MitQphysique ck Morale, 1896, p. 366) (* souligné par nous).

26. Emile Durthcim, Les Rigles de la mithode soci%Rique. op. cit .• p. 102. 27. Mu Weber. Econom;e el sociltl. op. cit .. p_ 12.

Sens el expérience IS9

il est quelque ehose d'aulre el donl les proprielés diflerenl de ceBes que présentent les parties dont il est composé »28. A l' inverse e'esl préeisément lorsqu'elle se dégage de I'appréhension du loul et de ses regles fonctionnelles que la sociologie comme lelle se constitue pour Max Weber: «En vérité, ce n'est qu~a ce moment~ la que commence le travail de la sociologie (teHe que nous I'entendons id). En effet, dans le cas des" structures sociales" (a l'opposé des .. organismes 1t), naus sornmes en mesure d'apporter par-dela la conslatation de relations el regles (les .. lois ") fónction­nelles que/que cMse de plus qui reste éternellemenl inaceessible a toute .. seienee de la nature" (au sens ou elle établit les regles causales de processus et de struelures el .. explique" a partir de la les phénomenes singuliers): il s' agil de la compréhension du comportement des individus singuJiers qui y participent, alors que nous De pouvons pas comprendre le comportement des cenules par exemple, mais l' appréhender seulemenl fonclionnellemenl el le délenniner ensuite d'apres les regles de son développement."'»

Quel role logique remplit done iei I'opposilion Ihamatique holisme/atomisme'1 A )'inverse de son fonctionnement le plus habituel, elle fournit maios un postuJat ontologique qu 'une assise, qu 'une assurance épistémique. Elle réfere done bien davantage au eonnaitre qu'it I'Slre el mérilerait d'Stre plulól rangée dans la eatégorie des IMmata mélhodologiques. Mais elle ne se eonfond pas pour autant avec une opposition entre schemes. Ceux-ci fournissenl des lignes d'inlelligibililé precises. Elle apporte, a l'inverse, un étayage global. On en trouve une coofinnation dans le fait que. sous ses deux modalités,l'opposition holisme/atomisme est suceplible de s' associer a divers schemes : }' atomisme s' accorde mieux, iI est vrai, avec le scheme actanciel, puisque celui,.ci se ramene a la relalion I.a --+- B , quí, dans sa fonne pure, De postule que la coexistence des acleurs (a) au sein d'un mémé: domaioe. Mais 00 le trouve également associé au prograrnme nomothélique du scheme causal: un mSme phénomene B peUI etre sous la dépendanee de divers facteurs Al, A2, A3 indépendanls les mis des autres. L'analyse mutivariée qui daos sa forme classique foumit l~un des instruments habituels de· mise en reuvre pratique du prograrnme postule en général cetle indépendanee des variables explicatives. 11 est, a I'inverse. possible de voir

28. Durkheim. ibid. 29. Weber, ¡bid .• p. 13.

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160 L' intelligence du social

coexister le scheme actanciel et des engagements holistes: Ray­mond Boudon en fournil divers exemples dans la Logique du socia/?<O. Ce11aines analyses de Goffman inscrivent le comportement stratégique des acteurs dans des structures qui leUT préexistent31 •

Naus avons VU. loTS de l'analyse des schemes. qu'une représenta­tion des phénornenes en tennes de systerne y était partout possible, meme si, rigoureusement. il s' agissait achaque fois de choses différentes. La perspective holiste traverse done les divers sehemes d 'intelligibilité.

Cette pluralité d'associatións possibles peut étonner. voire ehOquee. Or; eHe est a l 'inverse !res révélatriee de ce versant de I'intelligibilité que nous explorons, ou, pour repreudre la métaphore de Oerald Holton, du fonctionnement de l'axe z opposé a .celui du plan xy. Si, daos ce demier que l'on pourrait appeler plan de l' axiomatisation et de l' expérimentation dominent les exigences de validité, il en va différemment dans le premier: des éléments hétérogenes peuvent y coexister, y jouer de leor polysémie, s' associer en des architectures étonnantes. La chose est tres nene chez Durkheim: I'holisme y légitirne la possibilité d'une

30. A propas de -Durlcheim (p. 23 l-28) ou de Marx (p. 99 l 102). La lecture. souvent contes •• de ces auteurs par Raymond Boudon me semble reposer sur une double r&luction: cene des tbémata aux sch~mes d'unc pan:' celle d'un schmne ll'autre d'autre parto Un auteur, par exemple Marx, peut ~rir a des explications de type actanciel - c'eit le cas de la baisse tendantielle_ du taux de profit -- tout en les int¿¡rant l un autre scbeme dominant (en l'occurrence le sclWme dialectique), el en se reclamant enfin d'Wl théIT18. holistique. Le probl~me esl ~~rs celui du Slalut de"ces dlscordances: on pcul y voir - c'est la position exphclte de raymond Boudon - une scorie lanlali~re 011 représenmtionnelIe -l'a~leur ~f16chit ses analyses dans un langage innd¿quat - OU, A I'¡nverse, le trall carac~ristique d'une aclivité logico-cognitive se déployanl nécessairemenl A divcrs niveaux et U8ant de divers ouUIs.

. 31. Urie tcUe inscription est d'autant plus aisée que le paradigme ~thologique ¡'Implique. S'il -n'y B pas - nous semble-t-il - d'engagemenr holístique chez Goffman. l'analyse concrete confronte l des comportements d',interactionjonclion­neIs: salutations, justifications, excuses, constituent des rituels de confinnation ou de r6pand:ion. Par le concept d'idiome rituef Ooffman resoul le conflit potentiel entre analyse fonctjonnc:lle et analyse stratégique, en rccourant BU couplc implicite I~guelparolc qu'implique ¡'analogie linguistique. Les contnlintes du rituel De duponsent" pes du choix du ban comportement: • 11 ne faut pas oublier que ¡es ri~ls disponibl~ pour saluer s'~aptcnt rarement avec précision a ce que leur u~dlsa~~r vo~t ex.~uter, ce qUl esa le cas de presque tous les usages possibles d un idiome ntuel. Par exemple, dans un aéropon, un bomme qui appartient a une cluse _ sociale ola l'ou n 'emploie pas le .. baiser amical" peut se demander avec embarras s'n doit embrasser ou non )'amie de la famille qu'il est venu altendre. S'jl choisit de le faire, il peut soit s'efforcer de toumer I'acle en plaisanterie, $Oit. en s'écartant le plus possible. réduire le baiser A un simple .. ~" et respecter ainsi I'cspace personnel avec une partie de son corps, tout en le supprimant nécessairement avec une aulre» (La mise en scene de fa "je quotidiel'/IIe. op. cit., t.lI. note 15, p.83).

Sens el expérience 161

science autOnome du social. Mais au tieu de s'associer au scheme fonclionnel qui lui est logiquernent le plus proche, il admet la subordination de la recherche des fonctions a ceHe des causes afin d'asseoir la discipline sur le rationalisme expérimental. Il ressurgit par contre sous son aspect le moíos rationnel dans des engagements ontologiques forternent teintés de vitalisme".

Nous pouvons alors fonnuler l'hypothese suivante: dans la rnétaphore de \' amont et de l' aval que nous mons depuis le début et que supporte la fonnule S -> R, les themata seraient en amont des sehemes: plus chargés de sens que ces derniers, puisant a des sources symholiques plus profondes, ils seraient au principe des grands engagernents ontologiques et épistémiques. Ceei expli­querait saTIS doute qu'on en constate tres tót I'apparition dans la philosophie antique, des qu'au discoues sensible du mythe tendent a se substituer les catégories du logos. La science occidentale moderne puiserail ainsi a un fond cornmun d'inteUigibilité dont les prémices seraient a chereher chez les présocratiques. Les schemes pour leur part apparaitraientlt l' interseetion des deux plans : puisant de l'un leur puissance explicative ils accepteraient de l' autre ]a nonne de ]a preuve el ses exigences logiques et empiriques. Dans l'inteUigence de l'objet, si les tbemata assurent rétayage du sens, ce serait par les schemes que se réalisent sa problénuitisation et son expérimentation.

Georges Balandier el le th~ma du désordre

Peut-on confirmer cette ana1yse sur un autre mema, en l' occurence sur celui de l' ordre et du désordre ? Georges Balandier, dans I'ouvrage qu'il intitule Le désordre, ne s'inserit pas dans cene problématique. Son orientation n' est pas épistérnologique, meme si elle n'en ignore pas les chernins, mais anthropologique: selon la méthode chere lt l' auteur d' éclaiiage réciprOque des sociétés modernes el des soeiétés de la tradition" e' est a la fois la conscience nouvelle du désordre et les fonnes· renouvelées de ses manifestatioos qu'il interroge: «Le chaos est l'énigme

32. Voir le développement de cette analyse in lean Michel Berthelot, Les regles de la méthode sociologique ou l'instauration du raisonnem-:mt e~périmen~1 en sociologie, Emite Durlc:heim, Les regles de la ",hhode soclologlque. Pana, Ed. Champs-Flammaricm, 1988.

33. ef. Georges Balandier, Le dtrour, Paris, Fayard, 1985.

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162 L' intel/igence du social :'j' ,

depuis les temps fort lointa¡ns ou les mythes tenlaient de montrer corument toute chose en procede el résulte de geneses successives~ Aujourd'hui, I'exploration scientifique emprunte des chemins qui miment inévitablement a lui. Le désordre, la turbulence, désorganisation el l'inattendu fascinent» (p. 9). L'itioéraire auquel invite l' auteur passe ainsi de la pensée au réel. L' ord';' et le désordre sont dans un premier temps des catégories qui lravaillenl aussi bien la pensée mythique que la pensée scientifique: le mythe dit I'ordre actuel a partir du désordre initial (récits fondation) ou décrit l' ordre futor qui succédera au désordre actuell·'!' (mythes messianiques); la science modeme. construite sur les"-c idées de régularité, de structure, d'ordre, enregistre, avec les"'· développemeots récents de la thermodynamique et de la bin-.':. physique. le renversement de ses perspectives: «DéSOTmais, la-'! nature, le monde oe sont pas considérés sous l'aspeel d'un ordre·: au . sein duquel travaille le désordre, mais sous 1 'aspect inverse: celui des turbulences, des mouvements d'apparence erratique» (p. 56). Les sociéiés de la ·tradition reconnaissent le désordre: par I'intertnédiaire des mythes et des rites, elles I'apprivoisent, le « désamorcent », le convertissent en ordre : les rituels d'inver­sion, de déreglement et d'exe~s assurent ji la fois son expressioo et sa réglementation. Les sociétés modemes, a 1 'inverse, échouenl danseette régulalion. Tout s'y brouille. Les choses y devienoent plus iocertaioes, les hommes plus indécis, la pensée plus fragile. C'est le regue de la mouvance, des turbulenees, des crises, ce que Georges Balandier résume ainsi: « La modemité. c' est le mouvem~nt plus I'incertitude.»

L'opposition thematique ordre/désordre esl le e",ur d'une série d'assoc:iations variées, ou I'ordre se conjugue avec la stabilité, la régularilé, I'harmonie, et le désordre avec le mouvernenl . I'aléatoire, la discordance, I'imprévisibilité. Si les deux représenta: tions tutélaires d' Appolon el de Diooysos assurenl de la pérénnité el de la puissanee du théma, la formule «la modemité, e'esl le mouvement plus 1 'incertitude» en traduit la double dimension épistémique : elle fixe aux sciences sociales el plus largement a la réflexion sur la réalité contemporaine, un objet et un principe : le mouvement. - et la complexité des temporalités qui lui est associée - contre les structures el la recherche de fonctionnements clos; une pensée de I'imprévu, de I'inattendu, de I'aléaloire, contre les certitudes d'un positivisme ou d'un détenninisme

.. "ens et expérience 163

incapables de saisir l'objet dans ses mutations brusques. De quel1e nature esl eelte double injonction ? analytique(el participant done des schemes) ou thematique ? Se transforme-t -elle en programme d 'analyse déterminé orgaoisant les diverses études concretes qui nourrissenl le développement ou établil-elle la légitimité d'uoe orientation globale? La, comme précédernmeot, I'opposition the­matique nDUS parait avoir une fonction de connaissance tres différente de ceUe des schemes. Nous en dormerons deux manifesta­tions: lIla thematique du désordre assure daos le texte de Georges Balandier le role de confirmation de son engagement déjil ancien dans la voie d'une sociologie dynamiste; 2 I si les ana1yses concretes qui étayent l'argumentation peuvent etre légiti­mement rangées sous cette catégorie~ elles reposent par contre sur une mise en reuvre détenninée de divers schemes.

La caractérislique fondamentale des themata eSl qu'ils échap­pent doublement a toute logique de la preuve :. aucune expérienee ne peut donner raison a une these contre l'autre, a l'holisme contre l' atomisme ou au désordre contre l' ordre34 ; leuT contenu est d'autre part trop polysémique et leur proxirnité a la pensée symbolique trop forte pour qu'ils se laissent aoalyser et eonfirmer par leurs eonséquences. Un magnifique exemple de ce demier point nous est foumi par !'irnage de la « fluidité» du réel : eette ¡ntuition forte - pouvant traduire un engagement ontologique déeisif - engendre aussi bien l'idée d'une pensée s'a!taehant a la réduire méthodiquement que celle d 'une réflexion désireuse d'en épouser les fonnes multiples. A un siec1e d'écart Georges Balandier et Emile Durkheim iIIustrent ce ehoix épistémique contradietoire opéré a partir d 'une prémisse ontologique identique : « Le social - au seos le plus extensif de ce mol - s' appréhende en un éiat de grande fluidité.(. .. ) Paree qu'il est continuel devenir, avee l' aceélération propre aux périodes de modernité, i1 doil 8tre saisi dans son engendrement et non daos des structures qui le figent el le dénaturent» (Balandier p. 243). «Saos doute' en procédant ainsi [en considérant les faits sociaux eorome des chosesp\ on laisse provisoirement en dehors de la serence la

34. Transformés en assertions contradictoires les themata retruuvenl les antinomies de la Raison pure de Kant: }'opposition entre l'holisme et. J'atomisme peut at.-e référée a tu seconde antinomie (SUI" le simple et le composé). et celle entre l'ordre el le désordre a la troisieme (sur la causalité el la libené - cf in/ro, p. 158).

35. Nous ajoutons la phrase «en considérant les faits sociaux comme des choses It pour résumer un développement méthodologique de Durkheim sur la néce!>Sité de choisir des données objeclives.

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164 L' intelligence du social

matiere concrete de la vie collective~ el cependant, si changeante qu'elle sOit, on n'a pas le droit d'en postuler 11 priori l'inintelligibili­té. Mais si l' 00 veut suivre une voie méthodique. il faut établir les premieres assises de la science sur un terrmn fenue el non sur un sa~le mouvant. ( ... ) e'est seulement ensuite qu'il sera possible de pouilser plus loin la reeherche et ( ... ) d'enserrer peu a peu cene réaJité fuyante» (Durkheim)".

Un tel rapprochement n 'invalide pas plus une pensée qu 'une autre.' 11 manifeste seulement, 11 l'instar de ce que Holton met en évidence pour la physique. la coexistence, au sein d'uDe discipline donnre, d 'engagements thematiques eontraires. Ceux­ci peuvent sembler plus ou moins en résonance avec une conjonc­ture scientifique el sociale déterminée~7. Mais ils s'y réduisent· d'autant moins qu'une situation est toujours suffisarnment com­plexe pour autoriser la présence de principes d'intelligibilité divergents ou eontradietoires: si l'état aetuel du monde et des sciences semble s· accorder davantage avec une th8matique du désordre, l'engagement épistémique durkheimien d'une saisie préliminaire de I'ordre et des struetures y est toujours parfaitement légitime; de m8me que l' était, il y a trente ans; le plaidoyer de Georges Balandier pour une sociologie dynamiste3fl

• au moment meme ou ]'anthrOpologie et les sciences sociales découvraient les vertus et la puissance du strueturalisme. En derniere analyse, le· seul eritere, a ce niveau~ est ce qui~ pour un auieur et une partie de la eommunauté scientifique, semble etre porteur d 'un plus grand pouvoir d'intelligibilité globale.

Lorsqu'il s'agit, par contre, dans l'aire de recherehe ainsi ouverte, d'analyser des phénomenes precis, les grandes oppositions thematiques ne suffisent plus: seules, elles n' autorisent que des

36. Emile Durkheim, Les regln de la mé/hode sociologique, op. cit., p.46. 37. C'est d'ailleun )'argument dont use Georges Balandier insistant a I~ fois

SUI" l'anciennel6 du « paradigme)lo ordre I~sordre el sur sa nouveauté au sean de la science contcmporaine (chapitre 11: «La science perd l'hannonie »).

38. Cf. Soci%gie acluelle de I'Afrique noire, Paris, PUF, 1955 et 1962: «Daos un artiele consacré aux m~es de l'ethnologie. F. Boas observait: "11 ne suffit pas de savoir eomment sont les ehoses. mais cornment elles sont venues a ctre ce qu'elles sonl". La démarche resle i~ompl~te: elle doil s'inscrire dans un mouvement dialectique qui envisage aWiSl les procédés grice aux.que~s les choses reslent provisoirement «ce qu'elles son.)Io el dé<::ele les forees qUI leur imposeront de nouveaux ajustements. L'étude diachronique el, relati.onnelle des soci6tés dites hicl" « primitives ,. prepare ti. une telle el nécessalte eXlgence. Ene pennettra d'instaurer, el e'est urgent, une anthrop%gie et une soci%gil! dynomi­ques*)Io (p_ 38); cf_ également Sens el puissance, Paris, PUF, 1971, chapílre 1: «Dynamiques sociales »_ Voir aussi Claude Riviere, L'anolyse dynomique en slX:iologie, Paris, PUF, 1978 (* souligné par nous).

Sens el expérience

diseours idélogiques, rhétoriques el tautologiques. A l' inverse leur mise en relation scientifique avec le réel nécessite l'intervention de tout le travail eomplexe d'analyse dont les schemes sont le creur. A ce niveau Georges Balandier ne dissocie jamais le désordre de l'ordre, mais étudie toujours les effets de ce couple de eontraires. Les diverses références 11 la gestion du désordre dans les sociétés traditionnelles sont ainsi placées sous l' auJoriri d' un scheme de nature dialectique que l' on peut formaliser ainsi : S {a et non a} ~ S. Les sociétés de la tradition, travaillées par le désordre (a et non a), régulent I'opposition et maintiennent leur stabilité (~S). Mais cette relation est eirculaire, ce qui signifie que a et non a sont toujours présents en S et requierent la mise en reuvre réguliere des régulations qui prennent ainsi la fonne de rituels. Al' inv~rse. dans les sociétés modemes «le désordre ne se cantonne pas » : on pourrait fonnaliser cela ainsi : S {a et non a} ~ non S {a et non a} ~, etc. Le désordre (o et non a) transforme continOment S, brouille les reperes el

détruit l' effet régulateur des antiques rituels. Mais il faut aller plus loin encore. Lescheme dialectique est

le scheme dominant des analyses: il soumet a son programme, selon la logique que nous avons longuement détaillée précédem­ment, les divers autres seMmes. Ainsi Georges Balandier présente­t -il, pour étayer la these selon laquelle le désordre n' est plus régulé dans les sociétés modemes, quatre faits typiques : le krach boursier de 1987, le sida, le hooliganisme. les incertitudes des pouvoirs faee au termrisme (p. 18411 212). On est alors confronté, dans la production de l' effet (S ~ non S), 11 la mise en <Euvre de divers schemes intermédiaires : le Krach de 1987 a la strueture d'uo effet pero'eI's «(Les eomportements des grands acteurs monétaires) obéissant en apparence au maximum de rationalité auraient eu pour résultat, par agrégation et effet eollectif, une irrationalité désorganisatrice» (p. 187); si ce demier provoque l'aetion régulatrice du systeme sur le plan technique, iI engendre 11 l' inverse un effet de désordre et de déstabilisation en ehaine qui va s'exprimer «dans I'espace des signes, des symboles. }'espace de l'imaginaire. des figures qui alimentent les passions ».

(p. 188) par une remise en cause des certitudes, des valeurs et des rnythes des milieux boursiers. L'agression des hooligans, lors des matchs de football manifeste une inversion de l'inversion: a l'inversion de la violence que réalise le sport (et par conséquent

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166 L' intelligence du social

au mode de régulation qu'j] institue) el au « simulacre de la guerre » que ritualise la médiatisation des grandes rencontres, elle oppose «un renversement luí aussi spectaculaire. Le simulacre se convertit en pelite guerre» (p. 201). Mais cene «inversion sociale sauvage" (S -7 non S) apparail cornrne «/angage» «réponse agressive a une société qui esl génératrice de rejelS,.. Les sebemes actanciels, herméneutiques. el structurels se combj~ nent ici sous J'autorité du scherne dialeclique pour tenter d'appré­hender un phénomene comrnun: l'entrée en instabililé d'un sysleme particulier comme expression, symplÓme el effel d 'un désordre fondamental.

lnte/ligibilité synthétique et intelligibilité analytique

Cette anaIyse confirme donc bien l'hypothese du role différent tenu,par les tMmata el les schemes dan. J'inteIligence de l'objel : le dt!Sordre conslitue ici un engagemenl ,'~ la fois ontologique el épistémique, permettant de donner un sens global a une multitude d' analyses partielles. Le rapport entre les faits el le thema esl de l'ordre de la subsomption. A l'inverse le scheme dialectique stIUcture el organise les analyses en les soumettant a la logique de la preuve. L'élémenl dominant des scoomes eSl l'inlelligibililé comme "elalio~ : A ~ B. Meme si une relation peut Btre réifiée el fétichisée, eUe implique fondamentalement des opérations de pensée détermil)ées; un scheme- n'existe ainsi, dans le discOurs scientifique, que comme programme d'analyse en acte. A l'inverse les tMmata exprimenl une intelligibilité synthétique. !ls peuvent se ramener a une affinnation générique. qui· le plus souvent est d'abord ontologique, el implique un engagement épistémique de l'etre au connru"'tre. Leur fonclion est essentiellement d'étayage el de légilimation et les seules opérations de pensée qu'ils cornmandent sont ceBes qui pennenent de ramener une di versité sous l'autorité d'un principe cornmun : la subsomption. I'inclusion, l' analogie.

La c\arté d'une lelle dislinclion séduit. Et nous la retiendrons a litre idéaltypique. Elle n' est cependant pas sans poser de nouveaux problemes. Retenoos en deux :

a I Nous explorons un domaine qui ignore les lignes de démarcation tranchées. Des que la théorie de la connaissance

Sens el expérience 167

dépasse le cadre de la proposition pour s' interroger sur les théories. et plus encore, sur les modes d' inlell igibilité, elle doit prendre en compte des éléments qui se laissent mal réduire. Classifications el dénominations n'ont la de sens que provisoire el importe seu]e la possibilité de les référer au travail de l'inlelligibilité dans son épaisseur et 58 complexité. Les termes de schemes el de th~mata sont done des outils d'investigation el de repérage d'autant plus difficiles ¡¡ manier que les concepts et les catégories de la connaissance ignorent facilernent leurs frontieres: l'inwvidualisme est simultanément un programme et un engagement themalique; le désordre esl un thema, mais il peut etre une maniere de désigner la contradiction (a et non a) ou son expression phénoménale. Ne serait-i1 pas temps d 'interroger plus précisément ce fonctionnement polysérnique, el puisqu'il n'est pas l'apanage du vocabulaire non épuré des sciences sociales, de le prendre eornme un faíl et un índice des conditions anthropologiques de la connaissance?

b / Si l'on enlend par métaphysique ¡'ensemble des affirmations globales sur le rée¡ donl notre raison con~oil la possibilité el la légitimilé, mais dont il est impossible de foumir une preuve tant par le~ conséquences que par l' expérience. les engagements lhematiques sonl mélaphysiques. Or ils consliluent le fond de croyances ontologiques et épistémiques qui permettent d'étayer le traváil de connaissance scientifique en luí donnant un sens. Toute recherche, bien évidernment ne les mobílise paso La souveraineté dans les sciences de la nature, d'un paradigme unique - au sens général de Kuhn - aux momenls non critiques de leur développement tend A les maintenir dans l'impIicite. La division du lrávail, dans certains champs, tend a les exc\ure de la pratique quotidienne des chercheurs au meme titre d'ailleurs que les grandes discussions théoriques~'iI, 118 émergent cependant chaque

39. Anato,le Abl1lg~ donne un exemple saisissant des formes que peut prelldre la segmentatlon des mtéréts de recherche au sein d'une _méme discipline. 11 rappelle, dans son débat 8vec Ren~ Thom. ce qu 'était 1 'opposition entre expérimenta­listes el théoriciens dans la physique franlf8ise de la fin des années trente: «J'ai trouvé chez les patrons des laboratoires expérimentaux une ignorance compl&e de la_ théorie pbysique modeme. relativité et quanta. Les tMóriciens étaient pour eux des gens re8pef;tables mais parfaitement inutiles. Chez les théoriciens. au séminaire de Louis de Broglie que je fréquemais, on cOflsidérait que la mkanique ondulatoire (i! était mal vu de dire mécanique quantique) était quelque chose d'ésotérique dont l'étude était une véritable hennéneutique. au sens originel de ce mot, d'interprétation des textes sacres réservée a quelques ~lus; ét surtOUl pas, comme l la mame époque en Angleterre, en Amérique el en Allemagne, un oulil intellectuel donl on pouvait se servir au laboraroire)lo (Th60rie OU expérience, un débat nrcha"ique, il1 Académie des Sciences. La phil()sophi~ tUs scienas Clujounfhui. Paris. Gauthier-Villars. 1986).

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168 L' intelligence du social

fois qu 'une théorie, une discipline ou une science connaissent une crise de leur modele d'inlelligibililé. Une lelle crise atteinl simultanémenl la légilimité du corps de connaissances qu'elle affecte; il esl alors comprébensible que les tMmata soient plus facilement visibles en pbysique aux moments de rupture (Képler, Galilée, Einstein, Bobr ... ) alors qu'ils accompagnent continOment I 'histoire des seiences sociales toujours en qu~te de légitimité. Commenl concevoir- cette présence, non au sein des théories. mais dans leur processus de praduclion el d' élayage, d' .!Iémenls d' intelligibilité échappanl IOlalement aux aiteres de validilé qui sont les leurs ?

UN MODELE TRlDlMENSlONNEL

L'irréductible ambigui'té des concepls analyliques

Elaborons une dassification a trois termes: thSmata, scbemes, concepts analytiques, que nous prenons daos les définitions élaborées précédernment. Les concepts analytiques sont les termes dont nous usons babituellement pour désigner les relations explica­tives et les entités qu' elles déterminent : cause, fonction, sy.reme, structure, etc. Ces tenues sont considérés cornme appartenant a la méthodologie générale des sciences empiriques. Nous avons "ignalé plus haut leur irréductible polysémie. Si, rarement, iI est possible de trOUver des dénominations exprimant une opération de pensée ou une structuration d' objet propres a un scheme donné, le plus souvent elles sont librement associées a divers schemes. Des concepts tels que «cause », «sens », « expression ~. « syste­me », «processus:», «contradiction », etc. ne prennent sens que daos leur contexte énoneiatif étroit: non seulement dans le eadre d'un diseours, d'une théorie, voire d'un article donnés, mais tres souvent au niveau mSme de la pbrase.

Vouloir réduire cette polysémie et propaser d'épurer le vocabu­laire scientifique est bonorable, bien que le seul résultat possible en soit d' en appeler a une langue formalisée, nécessitant pour etre décrite une autre langue formalisée ... , nécessitant elle-mSme

Sens el expérience 169

pour I'élre un autre langage du meme type, nécessitant lui-m!me ... La seule maniere de sortir de la régression it l' infini del métalangages est de recourir aux langues naturelles. Peut-!tre vaut-il mieux· alors prendre acle de cette situation el interroger le fondement non seulement linguistique mais également logique de cette polysémie.

L' approche linguistique de la polysémie des termes du langage naturel est assez eonnue. Elle peut opérer selon 1 'axe de la sémantique, et privilégier les divers glissements de sens qui s'opérent d'une dénotation ¡¡ une autre et du registre dénotatif au registre connotatif; elle peut suivre l'axe pragmatique, repérer les contextes d'énonciation différents 00 intervient un méme tenne el noter les dérives ou les ajustements sémiques qu'ils engendren!"'. Or, on peut se demander s'il n'existe pas également une dimension logique d'un tel phénomene, liée non seulement au langage cornme tel, mais 3U contexte d'utilisation particulier que constilUe l' exereice de la pensée réflexive. Celle-ei implique un «jeu de langage » tres particulier, puisqu'il s'agit d'y désigner tout ce qui précisément resiste a la désignation tout en en conditionnant l'effectuation, c'cst-a-dire le jeu de la cOlUlaissance elle-meme. Le vocabulaire pbilosopbique porte la trace de ce contexte spécifique d' utilisation et de production de termes dont les référents ne se ramenent jamais it un objet présentable dans une expérience donnée ou a une défmition susceptible d 'encIore la signification' ...

40. La linguistique distingue traditionnellement la syntaxe. la sémantique el la pragmatique dans 1'6tude des langues: la premiere étudie les regles formelles de combirtaison des tennes requises pour fonner des 6noncés, la seconde la signirlCation des termes, la troisieme I'inscri~on dans le langage de signes référant A la situation d'énonciation. Quoi qu'lI en son de 1'6volution de cette tripartition. une tMorie de la signification lingtiistique releve n:~sairement des lrois niveaux: un terme quelconque te! «bronzé)lo De prend seos que dans un énoncé (syntaxe), charrie avec lui des connotatioos nées d'analogies référentiellcs comme le soJeil, les vacances, le bien..etre (stmantique). peut enfin s'inscrire dans le vocabulaire don! usent des sous-groupes sociaux particuliers daos des situations donMes (pragmatique) : « les bconzts :& désignent les vacanciers mouton­niers des clubs de voyage, «un bronzé » est un eupbtmisme racistc: couramment utilisé dans le langage populaire pour désigner ou stigmatiser une personne de couleur.

41. Soit le terme de cause: il ne désigne aucuo !tre particulier. 6prouvab1e dans. une exp&ience donnée, mais une mise en re1ation explicative d'un ph6nomime délerminé. Cette mise en mlation peut se faire selon les qUatre dimctions d6finicl par Aristote; elle peut I'ene en isolant un terme donné A, co~u comme le fondement, ou la raison, ou la condition d'uo él6ment B, ces trois tennes (fondernent. mison. condition) privilégiant plulÓt et daos I'ordre, une dimension

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170 L' ;ntelligence du ml'/av;

La science vise a se débarrasser de tels tennes el a Ieur 'U'''''''~.'l tuer des désignations renvoyant a des entités ou a des relatiol1& clairement assignables. Le probleme esl que, lorsqu'elle se lorsqu'elle sort de son domaine propre d'ulilisation, non pour soumeltre a un conlrOle logique mais afin d' expliciler la significa­tion de ce qu' elle fail el de ce qu' elle découvre, elle n' a d' ,.ulre,tIi recours que la métapbore ou un vocabulaire polysémique. BlIche­lard déclaranl que toute Iraduction d'une théorie en commun est une trahison, a raison el tort a la fois: saos 00""'-' •. esl-ce une trahison par mpport IIU contenu slriel de la théori~·; mais c'esl égaiemenl le seul moyeo par lequel peul se revéler.­sa eontribulion a une intelligenee plus large de l' objel. Que nous apprend la mécanique quantique quanl a la realité ? qu' elle n' eSl : pas conforme avec « I'image matérialiste de l"univers » pour importe «la possibilité de reconmu'"tre ces inflmes moellons partietiles élémentaires comme la derniere réalilé objeclive «Car. si nous voulons nous faire une image de la nature de ces particules élémentaires, nous ne pouvons plus faire absttaetion:' du principe de I'existence de processus physiques qui nous en­informent.( ... ) En cooséquence, les lois naturelles que, daos la théorie des .quanta nous formul(jns mathématiquement, De concer­nenl plus les particules élémentaires mais la connaissance que nous en avons »42. Lorsque. daos ce texte classique, Heisenberg_. exprime ainsi laeooception de l' école de-- .copenhague, iI est -contraint de faire appel a des termes aussi 'ineontrólables que ' « matérialisme », «réalité objective », «lois naturelles ». Et il l~est non seulement patee qu'il n'a pas d'autre vocabulaire a sa disposition, mais paree que, rigoureusement. il sort du champ de la théorie; a vouloir en dégager ce qu'il en pense etre des ' implieations ontologiques et épistémiques, il opere en fail un saut dans un autre domaine, eelui de I'inlelligibilité.

métapbysique, ou psychologique. ou empirique. 00 peut égalemeol oe reteoir que le rapport matbánatique entre A el B. et ramener la causalité a la toi. voire a l'idcntitl! (voir l'artíc1e «Cause» du Vocabulaire tt.'chnique el critique de la philosophie d' André Lalande. Paris. PUP) et notarnmenl la critique du concept el la discussion A laquelle elle donne lieu entre Lachelier el Lalande). Comment penser - et non pas seulement décrire - une telle labilité sémanlique? Ne peut­on soutenir que le lenne de cause oe désigoe ni une réalhé. ni une reladon détermin6e. mm n'est que le signe d'une mlention explicative détenninée en lequel les esquisses historiques successives oot déposé lour a tour leur trace sédimentaire '/

42. Wemer Heisenberg, La nafu/"e dons la physique contemporaine. Paris. Oallimard, 1962, p.17-18.

Sens el expérience 171

Or le fonctionnement de celui-ci est particulierement com· plexe: nous l'avons vu. on passe tres facilernent des th~~ata aux schemes ; si les premiers définissent de grandes OP.posltlons, celles-ci peuvent se combiner entre elles de f~ons dtverse~ et mobiliser également des schemes d'ifférents. Entre ces demters les analyses précédentes ont montré également tout le jeu des interférences des échanges el des combinaisons singulieres. Ce jeu eomplex'e, que parcourent les grnndes li~nes rectrices de I'étayage tnétaphysique et de I'orientation analyuque de la pens6o, s' exprime dans un lexique étonnarnment res~emt: chaque. tenne est alors susceptible de servir diverses intentJons de c~~atssanc~ selon le nivean logique ou il est a un moment solhclté: celUl de cause interviendra dans de multiples contextes pour díre que B resulte de A. Mais iI pourrn spécifier la maniere dont B resulte de A ét par la désigner un progrnmme d'analyse.}1 pourra également fonetionner comme thama, et la eausaltlé s l~e~l1fiant au détenninisme. entrer daos diverses oppositions : ~étennmlsmel indétertnirusme ; néCessité/hasard ; prédictibilité/imprevisibililé. De meme le terme de sens. Il pourra désigner, tres généralement, le fait qu 'un phénomene B renvoie a un phéoomene A avec leq?el il manifeste certaines correspondances ou affinité,s internes. Spéc~fi­quement il renverra a un seheme déterminé, défini par la relauo~ d'expression B/A. Thematiqueme~t il s'ins~ra ~s des OppoSI­

tions regissant de grnnds engagements éplstémlques: sens/non sens. sens/causalité, culture/nature... Chaque tenne peut alOSl s' inscrire dans des relations aux autres que son appartenance langagiere rend possible et que son usage logi~o-eog.nitif explique.

A défaut de vouloir épurer un vocabul31re qUI ne peUI pas l'etre, on pourrait éviter de l'utiliser ou instaurer des procéd~s de eontróle. C'est effectivement ce que réalisent les théones axiomatisées. et, dans une bien moindre mesure. celles qui usent du langage nalurel. L' irrépressible retour de ~es, terme~ est cependant signe de quelque ehose allant au-dela d une sImple résistance linguistique et logique, ou d'une pure mampulabon rhélorique. Elle manifeste - du moins estoce I'hypothes~ que nous proposeroos - l' impossibilité 00. se trouve !a. connru~~w:rce de s' en tenir aux positions extremes de la descnptlon poSltl VIste ou de }' explication dogmatique et la teosion qui l' anime en son fond entre l'ordre de la preuve et celui du sens: tensioo dont nous avons vu qu' en aval ene animait le travail de connaissance dans

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172 L' intelligence du social,'

la réalisation de l'a1gorithme T --> {p}:: { e} <- d(e) et que nous retrouvons en amont dans l' articulation des deux plana orthogonaux défmi. par Holton.

Nous en sommes alors au point 00 il est nécessaire. avee toute la prudence que cela requiert et dans un souci essentiel d' explícitation, de mettre au jour le modele que peut suggérer UD tel fonctionnement de la connaíssance. L 'idée de tenoion et. d' articulation entre des domaines régis par des principes différents invite a poser une dynarnique dont on peut trouver UD paradigrne dans la seconde topique freudienne. Trois pOle., régis chacUD par .,. UD príncipe différent, semblent 1Il'reuvre dan. I'entreprise d'intelli- ., . gence de I'objet: celui de laréa1ité, qui, 1I I'image de ceUe de ... Freud s'exprime dans la résistance. en l'occurrence aussi ,bi~ 1,

dans celle qu'il est nécessaíre de vaincre pour la décrire, dans celle que sollicite la mise a l' épreuve des théories san.·. . laquelle aUCUDe expérimentation ne' serait po.sible; celui de la raison, entendue non pas dans sa rnythification c1assique. ma.Ui::'­définie comme ¡nstan~e critique, pouvoir de mise en doute el de rejet de .tout ce qui ne se soumet pas aux normes de la validité . logique el de la confinnation expérimentale; celui enfm de l'imaginaire, !ieu de la pensée symbolique et dn sens, matrice . des grandes interprétations du monde et de leurs diverses stmctura-tions, plurielles on dueUes". .

n y aUrait nalveté et incohérence, apres les développements précédents, iI accorder trop de prix iI cette construction. Cependant elle est elle-meme objet de ce qu' elle énonce. Si elleréalise, sur le plan de I'intelligibilité, un modele d'équilibre dynamique référable iI UD scheme dialectique iI trois termes, c' est a l' épreuve des faits qu' elle est censée expliquer qu' il faut la juger. n n' y a pas líeu de mettre en place ici une telle procédure. 11 est par contre intéressant de voir si cornme telle cette construction propose une explication de divers phénomenes repérés dont naus avions reporté l' élucidation.

43. Voir sur ce th~me le vaste inventaire opéré par Gilbert Durand. Les Sll"uctures anthropolagiques de I'imaginaire. op. cU.

Sens el expérience 173

l'ensée rationnelle el pensée symbolique

Quatre phénomenes majeurs nDuS semblent pouvoir étre ainsi tc1airés: le jeu de présence/absence des sehemes au sein du discours, la tendance ,pennanente a les neutraliser ou a les hypostasier, le r61e médiateur du sensible dans la saisie de I'intelligible, I'épaísseur enfin du travail explicatif que masque la linéarité de I'algorithme: T --> {p}:: { e} <- d(e).

Un scheme est neutraliséchaque foi, que la relalÍon explicative qu'il promeut est transformée d'explicans en exp/icand""'.: au lieu d' etre le vecteur de l' explication il devient chose 1I expbquer. Nous en avons vu un exemple avec la « fonction agrégative du vin» (p. 93). D est également tres fréquent, surtou! en scienceS sociales, que 1'0n dise d'uo phénomeoe qu'il est un «langage ». Ceue neOtralisation es! done d' abord une réification : la relation d'intelligiblIité est tranSférée a la chose comme étant une de ses propriétés. Ce qui s'opere ainsi n'est rien d'autre que l'in~ptio.n dans le langage des faíts, de relatioos relevant non des falts malS de leur iriterprétation: dire, par exemple, que le .eve est le langage de I'inconscient équivaut a gommer le travail d'inscription du phénomene dans le scheme herméneutique, et a transférer l'inconscient du statot de concept a celui de réalité. Un tel mécaJilsme peut &re contrecarré en mettant en reuvre une formali­satian légere. Cependant ce n' est pas son eff~t de connai~ que naus interrogeons pour rinstant, mais les raisans de. son omniprésence ; dans des disciplines bien peu suspectes de 13.Xlsme méthodologique, on le constateAgalement, aiosi qu' en témoigné eeue notalÍon d'Alfred Tarski":'« On pourrait noter a cette occasion que, en général, les gens De distinguent pas assez clairement les termes qui dénotenl des objets dont traite une science donnée de ceux qui dénotent différentes sortes d' expressions qui se présentent daos ces sciences. Cela peut s'observer, en particulier. dans le domaine des mathématiques, spécialement au niveau élémentaire. On peut presumer que bien peu sont conscients dI! fait que des termes tels que" équation " ... inégalité ", .~ pplyn6me .. ou u frae­tion algébrique", qui se rencontrent continuellement daos les manuels d' algebre élémentaire, n' appartiennent pas, a strictement parler, au domaine des mathématiques ou de la logique, puiqu 'ils ne dénotent pas des objets considérés dans ce domaine; les équations et les inégalités sont certaines fonctions propositionnelles

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spéciales, tandis que les polynomes et les fraclions algébriques - spécialement tels qu'on les traite dans les manuels élémentaires - sont des fonctions descriptives. La confusion sur ce poiot tient au fait que des termes de ce genre sont fréquemment employés dans la formulation des théoremes mathématiques. »".

Or ce que le logicien enregistre comme des confusions constitue peut-etre, pour les sciences empiriques, la manifestation la plus nette de la complexité du rapport qu' elles instaurent au réel. En pensant ee rapport sous les auspiees d'une relation .entre le sensible et l' intelligible, les théories classiques de la connaissance restaient dans un espaee a deux dimensions. La solution que Kant pense appolter a la critique du rationalisme dogmatique opérée par Hume n~ouvre pas cet espace: si elle transtere au gujet de connaissance les catégories constitutives de la représentation et de la pensée du réel et instaure un rapport de nécessaire complémentarité entre les trois instan ces do connaitre, elle demeure inscrite dans la meme opposition fondamentale. Elle pose par contre pour la premiere fois un príncipe de saisie de I'illusion métaphysique : celui du « penchant naturel » de la raison a « sortir de ses limites », c'est-a-dire de I'expérienee: «Que, par suite, l' entendement ne puisse faire de tous -ses príncipes a prior; el meme de tous ses concepts qu'un usage empirique el jamaís un usage ttanscendantal, c'est lA un príncipe qui a de grandes conséquences si }' 00 peut arriver A le connaitre avec certitude. L'usage ttanscendantal d'un coneept dans un principe quelconque consiste a le rapporter aux choses en général et en-sol. tandis que I'usage empirique l'applique simplement aux phénomenes c'est-a-dire a des objets d'une expérienee possible. »" Ce principe permet simultanément une problématisation salutaire du réel en distinguant réalité empirique el ette en-soi.

Si la conception kantienne de la raison oe pouvait que mal résister a la mise en perspective imposée par la science ultérieure a ses deux modeles, la géométrie d 'Euclide el la physique de Newton, la critique des fondements de la métaphysique est par contre exemplaire, tant par ce qu'eUe établit que par ce qu'elle manque: ee qu'établit la dialectique transcendantale, eonsacree a I'étude de l'iUusion transcendantale, c'est la rationalité et

44. Alfred Tarski, Introduction ti la logique. coéd. Paris. Gaulhier-Villars, el Louvain. E. Nauwelaerts, 1960. p. 25.

45. Emmanuel Kant, Critiqut de la misol! pure, op. cit., p.217.

Sens el expérience 175

l' indécidabilité des engagements ontologiques. Les antinomies de la raison pure explicitent ainsi les themata fondamentaux de la science classique: le fini et l'infini, le continu et le discontinu, le déterminisme et la liberté, la nécessité et la contingence"6. Elle manque par contte deux choses : elle échoue a rendre compte de I'incroyable écart entre l'impossibilité logique de résoudre les antinomies et la force des engagements qu'elles suscitent; elle méconnalt que l'usage ttanscendantal - c'est-a-dire les grands engagements ontologiques et épistémiques - n'est pas le seul faít de la métaphysique, mais se !rOuve également et nécessairemenl a l' reuvre dans la connaissance empirique. Pourquoi alors ce détoUT Kantien? paree que, si Kant reste dans l' espace a deux dimensions que définit la problématique c1assique du sensible et de I'intelligible, il est le premie!"" a opérer, du point de vue du rationalisme modeme, la rupture de l' ette el du connai):re, de la raison et du réel. Indépendamment de la eonception close et systématique de la raison qu'il maintient encore. Kant rompt avec le postulat d'ull accord et d'une uniré originelle de. /'étre etdu connaftre. Par la rnRme il problématise le travail de /' intelligible (qui n' e!if pas de relrouver des liaisons immanentes comme dans la tradltion antérieure) et pose la possibilité d' un exerciée autonome mais vide de la raison. Celui-ci. en derniere analyse ne consiste en rien d' autre que dans le ttansfert lt l' etre des catégories du conna1tre. Par la meme est élucidé en son príncipe le mécanisme de réification et de neutra1isation do rationnel, dont I'étude des schemes ne donne qu'un exemple particulier.

Deux problemes alors se posent : eette réification ne conceme pas seulement les grands engagetnel!.wontologiques marginaux ; elle est au C(I!ur meme de ractivité de connaissance et cette place doit etre interrogée. Ces grands engagements ontologiques et épistémiques eux-memes, excédant par nalure toUte possibilité de démonstration et de vérification. suscitent A 1'inverse les

46. Kant appelle anlinomie de la raison ~ure l~ « conflit des lois» qui ~sulte de la tentative de constituer une cosmologlc ratlOnnene. Le.,srstemc. des id6es cosmologiques par lequel iR raison tend a se représent~ l'uni~~ co!"me totalit~ inconditionnée génere un systeme. d'oppos~tions entre lesquels c:lIe ne poul trancher ; ceUes-ci opposent un monde fml, r6ductlble 8. des natures SJmple~, admeltant la liberté et, référant cornme a sa cause a Wl em: absolument néccssalre l un monde infini, irréductible, regi par les seules 10is de la nature et ne dq)endant d'aucune cause métaphysique. .

47. Cette rupture a été opérée des I'antiquité par les sophistes, mais d'un nutre poinl de- vue: non de celui du rationalisme critique, mais de celui du pragmatismo relativiste (cf. in/ra, chapitre V, notes 47 et 48).

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176 L' intelligence du social

controverses passionnées et les polémiques incessantes dont les sciences sociales n' ont pas le monopole. eornment comprendre une lelle inlervention de ce qui, en demiere analyse, esl de l' ordre de la croyance, au seio d'ÚDe activité dont le premier principe esl le doute méthodique ? Commenl en comprendre la perdurance lors meme que depuis plusd'un siecle le POSilivisme ancien et modeme s'évertue d'en éradiquer définitivement taute manifesta­tion?

Si la ruplure de I'unité métapbysique de l'atre et du connaitre rend possíble le libre jeu des représentations· rationnelles sans parvenir il supprimer l'il1usion qu'elles soienl porteuses d'une vérité ontologique, il fauI procéder il une décomposition du connru'1re, selon les deux diniensións du rationnel et du symbolique, pour comprendre les investissements dOn! ces mamesreprésenta­lions peuvenlétre le lieu. Ni la raison, ni l' ellpérience ne peuvenl trancher en faveur de l' ordre ou du désordre: le seul énoncé qu' elles autorisenl consiste a dire qu' il un moment donné, compte lenu d 'un· étal de· connaissances détenniné, il esl plus pertinent, plus riche de significations el plus fécond de penser le désordre comme une perturbation de l'ordre ou 11 I'inverse I'ordre comme un cas particulierdu désordre. AlIer au-delil releve de la métaphysi­que. Mais ceUe métaphysiquen' esl plus eelle des grandes intuilions présocratiques - commenl trancher entre Parménide et Héraclite? - óU de I'illusion transcendantale. Elle est I'aulre face, l'autre versant de la cormaissance empirique. qui requiert· poUT etre non senlemenl des infonnalions sur le réel el des regles de composition de ses énoncés, malS égalemenl des représentalions structurantes el des principes généraux d'analyse. Ces demiers, correspondant aux éléments dont Kuhn· dote Wle «malrice disciplinaire », De peuvenl plus atre pensés comme le fonds propre de la raison. A l' ana1ycité et ii la syslématicité que requiert le rationnel, ils opposent des earactéristiques irréductibles : polysémie des lennes, atomisme el interférences des schemes~ autonomie el multidimen­sionnalité des oppositions thSmatiques, luxuriance des métaphores el des analogies. On esl la dans un domaine que semblent caractériser l' accumulation, I'hétérogénéilé et les coexistences plurielles. A quoi alors le raltacher? si au lieu de parler en tennes de «facultés» - ce que suggere toujours peu ou prou l'usage du mol «raison »' ,el la référence kantienne -, 00 utilise une terminologie plus opportune fondée sur le principe applicable

Sens el expérience

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aux mécanismes repérés, nous diroos que ces traits évoquent irrésistiblemenl la pensée symbolique.

Qu'enlendre par la? La caraeléristique la plus nelle de cette pensée-esl qu'elle se présente comme réservoir de sens. Celui­ci est donné dans I'immédialeté de sa figuration et dans I'absolu de sa certitude. L'image sans doute la plus claire que I'on puisae en donner est la métaphore religieuse donl usent certains auteura : dans la pensée symbolique, le sens est épiphanie". n pournait sembler élonnant ou suspect de faire ainsi appel a ce Iype de pensée, si sa conjonetion tensionnelle avec la pensée rationnelle n' apparaissait comme décisive pour rendre compte des conditions d'intelligence de l'objet dans la pensée scientifique. C'esl san. doute il elle qu 'il faul référer eette intelligence spécifique que l' 00 appelle l' intuition el dont les modalités 80nt souvent si proches, tant dans le témoignage (ef. supra, p. 145) que dans I'analyse, de I'illumination mystique el esthétique. Mais le jeu dialectique du rationnel el du symbolique va bien au-del. des conditions de l'invention. que, nous l'avons vu, beaucoup s'accor­denl 11 placer hors du ehamp de la réflexion sur la science. C'esl dans le travail de I'intelligible meme, au plus profond des procédures d'investigation, de modélisation, d'explicitation el d'interprétation qu'il esl a I'"mvre : toul se passe en effeleomme si l' espace de la pensée symbolique fonetionn8Í1 comme réservoir permanentde représentations structurantes el de lignes d'intelligibi­lité offertes a la pensée rationnelle comme matériau dans son effort de résolulion des énigmes que lui pose son incessante entreprise de saisie du rée!. En proposant une psyehana1yse de l' espril scientifique Bachelard pensail possible el nécessaire que la pensée seienlifique rompe avec cene archéologie de la connais­sance qu'elle porte en elle. Les travaux el les perspectives différemment initiés par Kuhn el Holton, les divers mécanismes mis en évidence daos la connaissance du social nous invitent au contraire a en penser l'indissoluble et contradictoire unité. Mais celle-ci, a l' inverse de certaines Iheses, n' implique pas la réduction du rationnel au symbolique. Elle n' invite qu' a saisir les manifesta­lions de leur jeu tensionnel : le travail d'affinemenl de la représenta­tion du réel, de substitution aux images el aux descriptions premieres, de schémas et de notations symboliques que l'on

48. « Le: symbole ( ... ) esll'épiphanie d'un mysiere» (Gilbert Durand, L'imagina­tion symbolique. op. cit., p. 13).

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178 L' intelligence du social

constate daos les diverses sciences~ peut ainsi apparaitre cornmc ' une épuration progressive du symbolisme des initiales; a 1 'inverse le maintien. méme daos les syslemes les plus fonnaIisés, de points d' ancrage 11 des engagements irrationnels, esthétiques et socio-affectifs manifeste la pennanence des investis- ,. sements anthropologiques dont la pensée symbolique est ¡¡ la le lieu et l' expression. L' essentiel es! alors de saisir ce.mllIlent "~e l' entreprise scientifique peut se démarquer de l' assignalion idéolo­gique ou de la simple expression de ce que le Cercle de Vi ...... "". appelait joliment« un sentiment de la vie »4\1. Les sciences socislle"""1 et plus encare peut.etre leurs bailleurs de fonds, 001 cru ., sufÍlsait d'appliquer. une métbode; mais l'usage de la métbode' . peut toumer non seulement au non-seos mais manifester le meme ' investissement irrationnel - quant a S8 pertinence - que celui dont on veut se prémunir : Comme le dit plaisamment Goffman: «L'étude commence par "Nous supposons que ... ", continue par une discussion complele des défonnations el des limiles du modele" . propasé, donne les raisons pour lesquelles ces défonnalions etc ces limites De sont pas rédhibitoires. el se tennine par un nombre ' appréciable de corrélations significatives satisfaisantes qui tendent ' 11 confimlIler cenaines hypotbeses; comme s'U était aussi simple de découvrir des structures dans la vie sociale. Cela fait penser a une sorte de magie blancbe: si vous accomplissez tous les gestes imputables a la science, la science apparaitra. »50. Au Jieu de SBisir la démarcation comme frontiere entre domaines étanches que repereraient leurs langages irreductibles, sans doule eSI-il plus .pertinent, -en toot cas en sciences sociales? de la considérer cornme exigence au sein d?un proces de connaissance toujours menacé de substituer ses certitudes internes a l'analyse rigoureuse des faits.

Cette exigenee, déjil reneontrée a diverses reprises, est double : eUe eoncerne la pertinence et la vaJidité, le sens et la preuve. Comment, dans un eontexte maintenanl éclairé, peul-eIle etre effectivement mise en ceuvre? Cette question sera I'objet du prochain chapitre. Son eonlexte, par contre, apparait maintenanl plus clairement: iI consiste daos l' articulation des ttuis domaines irreductibles, du rationnel, du symbolique el du réel. Or e' est au lieu meme de cetle articulation que les divers développements

49. La concept;on scientifique du monde. Le cercle de Vienne, 1929, éd. par Antonia Soulez, Manifest~ du CercJe de Vienne el oUlres écrits, op_ cit., p. 116.

50. Erving Ooffman. La mise en sc~nl' de Jo vil' qUOlidienne, op. c;t., t.U. p. 17.

Sens el expérience 179

précédents invitent a situer les scbemes d'an~lyse. Les t~ema~ ossurenl des engagements génériques, onlologlques ~I ép~stéml­queso Seuls ils n'engendrent au mieux qu'une classlfi~abon ou un rangement des objets sous leur conten? global ; analyuqueme~t cette coooaissance est illusoire. Elle dit commeot on pourrmt penser l' objet elle ne le pense paso Il faut donc, pour les mettre en év idenee 'changer de plan, passer selon l' image de Gérald Holton des ~xes xy a l'axe ortbogonal z. A l'invers: les scbemes procedent des trois dimensions : assuran~ aux ~éori~s. le~T vertu explicative en organisant leur rapport reglé a I empine, tl~ s~nt

rnmes d'analyse el comme tels se soumettent aUSSl bIen progra "'fi 'a l'é u e aux exigences syntaxiques du diseours SClentl lque qu pre v, des faits. Inassignables eornme catégories? usant de concepts irréductiblément polysémiques, susceptibles d'engagements pas­sioonés, i1s participenl au meme tilre que les tbemata du fonds commun de la pensée symbolique. Seule celle appartenance permét de remire compte aussi bien des glissements dont Ieur usag~ est toujours inenacé que de leuT aptitude bien plus grande a se preSenter a tmvers des paradigmes que sous une fonne

algorithinique. . " Exprimable selon un formalisme loglque, a I ceuvre dans le

détail des procédures d'analyse par lesquelles se fail le travail scientifique, la capacité explicative des schemes pU,:"" Slmultan:­menl sa puissance d'intelligibilité a des représentatlOns s~boli­ques associées a leur reIation générique. PeUI-etre Durldlelm est­n run des premiers a avoir eu conSClence de cet enracmement antbropologique de la pensée logique. Dans Les ~ ormes ¿Iém.en­taires de la vie religieuse? consacrées au totérnl.sme austrahen, il esquisse une vérilable généalogie de la C~USallté : la . pensée primitive, magique et religieuset introdUlt le .• pnnclpe de « conne,xions internes >, entre les choses. «Qum:d J a~re~ds ~ue A précede régulieremenl B, ma connaissance s esl ennc~l~ d un nouveau savoir; mon intelligence n'est auc~ement satIs rute par une constatation qui oe porte pas en elle sa ralson .. le ne comme~ a comprendre que s' il m' est possible de concevOlr B par un ~lals qui me le fasse apparaitre comme n'étanl pas étranger a .A, comme uni a A par quelque rapport de parenté. Le grand seTVlce que les religions onl rendu a la pensée ~st d?avoir construit une premiere représentation de ce que pouv3lent etre ces rapports de parenté entre les choses. ( ... ) Notre logique esl née de cette

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180 L' intelligence du social} ,',

logique" o>. Si ["on admet, avec Piagel, que la pensée logique. résulle de ["axiomalisation d'opérations de pensée donl la genese esl empirico-concrete", el si [" on postule que celte genese esl égaIemenl historique, aIors c' esl effectivemenl au sein de la.j.· pensée symbolique originaire que s'esl forgée la pensée logique. ,::

On peUI comprendre des lors la facilité avec laquelle .les, sebemes d'intelligibilité el les représentations qui leur sonl asso­ciées peuvenl outrepasser leur fonetion opératoire el se transformer., a leur lour en engagements ontologiques el épistémiques dont les divers avatars, mécanisme, vitalisme, fonctionnalisme, systémisme. el autres -ismes sonl bien connus. Celle hypostase n' esl possible que paree que les scbemes ne se réduisenl pas a la relation qui les désignenl el que cellc-ci pcUI etre symboliquement dotée d 'une , vaIeur propre, autorisant des usages rhétoriques, doctrinaires,; réalistiques donl en dcrniere anaIyse le pouvoir de eonviction esl quasiment magique: user du mol cause esl déja se mettre en po.ture d'explieation et évoquer la fonetion - caehée - ou le seos - latent - d'un phénomene est d'emblée, pour ["auditeur, gage . de eelle profondeur de pensée que requiert toute recherche autorisée; montrer daos l' encharnemenl du bourgeon a la fleur el de la fleur au fruil, ou mieux encore daos la métamorphose de la chenille en chrysalide el daos son assomption finale en papillon les manifestations éclatantes du saul qualitatif el de la double négation a de quoi fasciner. Plus spécifiquemenl que les thfunata, les sebemes sonl alors susceptibles de fournir des engagements ontologiques prenanl la forme du mtJ<i¿le: !'EIre -le monde, la société, cel ensemble de phénomenes dont' je parle - est une machine. ou un organisme. ou une combinatoire de signes, ou la manifestalion d'un principe caché, ou I'effet d'une volonté dominante, ou le moment d'un devenir tendu vers sa fin... Chaque seheme donoe lieu a de lelles représentalions qui nourrissenl la philosophie de la nature, traversenl I'histoire des sciences, el alimentenl les multiples polémiques el débals qui en accompagnent le cours.

51. Emile Durkheim. Les formes tlémentaires de la vie religieuse, Paris, PUF, éd. 1985, p. 340.

52. Cette th~se parcourI une grande paftie de rceuvre de Piaget. Elle cornmande notarnmerules divenes recherche8 publiées dans la súie des Enuks el' IpislimoJogie génitique, Paris. PUF, el est exposk par exemple in Jean Piaget, Epis~mologie de ~a logique, lean Piaget cd.. Logique el connaissance scientifrque, pans. Gallimard, Encyclop6die de la Pl6iade, 1967.

Sens et expérience 181

En face de chaque scbeme il est ainsi possible d'inscrire une configuration idéologique, d'en décrire les formes historiques. el d'en désigner le ressort logique : la transformation d'un programrne d'intelligibiJité en un engagemenl oolologique el épistémologiquc inconlrolés. Reqnéranl le contróle de la raison el la résistance du réel pour atre transfonnés en prograrnmes d'analyse et dévelop­per de fa~on heuristique el probaloire leur forme logique, les schemes manifestenl a l'inverse UD enracinemenl symbobque dont la puissance esl toujours susceptible de subvertir leur usage

scientifique.

LES FONDEMENTS ANTHROPOLOGIQUES DE L'INTELUOIBILITB

Le sens el la pertinence de l'idéaI posiliviste apparaissenl tres clairement lorsque 1'00 prend en compte ce cootexte de connaissan­ce. Il s' agil d' éradiquer absolumenl loute possibilité de glissement d'UD plan a l'autre el de ramener lous les énoncés de la science soil 11 des tautologies soil 11 des proposilions empiriques". Or en instauranl ainsi la pensée seientifique sous l' égide exclusive du contrOle. on la coupe non seulement de ses conditiooS de production concretes mais surtoul de son vecteur épistémologique. La réalisá­lion du rationnel évoquée par Bachelard consiste tres précisément dans une telle alliance a trois termes, ou l'idéeinitiale s'inscrit dans un modele formalisé pour mieux se soumettre aux réponses d' une expérience qu' elle provoque. Le probleme épistémologique premier esl aIors peut -atre de eomprendre comment des situati~ de connaissance toujours déterminées engendrenl des résultats qUl transcendenl leurs conditions particulieres de production : la validi­lé n' esl pás alors .eulemenl un eritere, mais un probleme; elle n' est pas seulement une performance mais une construction historique.

Qu'enlendre par la ? Il esl impossible d'achever cette remontée vers l'amont sans marquer la nécessité d'un ancrage de la topique

53. «La conception scientif.quc du monde ne connwl que ~ énónc6s d'expérience sur des objets de toutes so~ et ~ .énonds analytlqUeI de la logiq~ et des maI:~iques» (La <;onceptlon sc~ttfique: du moruk· Le ce~le de Vienne, in AnlOma Soulez. Manifesle du cercJe de V!enne t!t QulreS lents, op. cil., p.1I8).

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182 L' inteltigence du social

que nDUS avons esquissée: aucun de ses éléments n' est extérieur a l'histoire entendue comme mnde d'Stre de l'expérienee anthropo- . logique, c'est-a-dire de mise en rapports des hommes et des choses. L'idée durkheimienne d'une genese de la pensée logique dans la pensée religieuse invite a saisir plus largement les contextes de production, d'actuaJisation, et de lent f8.\'onnage des outils logico-cognitifs fondamentaux. Ene invite également a concevoir, non SQus les' auspices d ·un relativisme épistémologique, mais sOUS

ceux d'un rationalisme hislOrique le jeu pertnanentd 'un sens s'étayant a de grandes intuitions ontologiques el 'de constructions plurielles s 'éprouvant au contact des choses. La réflexion contem­poraine suggere enfin de saisir les jeux de langage et les formes sociales d'intersubjectivité par lesquelles, achaque moment, se construit el se met en fonne pour 'autrui la connaissance du réel.

De telles peespectives excedent largement un propos qui, a l'inverse, se doit pour conclure, d'analyser quelles modalités d' exercice de la preuve les sciences sociales peuvent mettre en reuvre dans un champ irrémédiablement soumis a la pluralité des schemes d'analyse et a la menace pe'l'étuelle de leur dérive métaphysique. Nous les cl6turerons néanmoins en nous autoriSant l'intuition suivante: les scheme' d'intelJigibilité, ramenés a leur noyau nous· semblent pour la plupart tres aneiens, attachés a la connaissaÍlee des ses premieres fortnes. Cette ancieruieté pourrait trouver son .fond~ment ~n ce qu'ils atteignent les grandes lignes de saillanee du réel, tel qu' il semble se donner dans toute expérience et pratique anthroposociale: le réel semble structuré - il a. une organisation. iJ Tésiste a loute action intempestive, mais peut atre dominé lanque 1'on en saisit certaines propriétés cornme l'appréhende des l'origine la pensée technique -; le réel aJest sens - il neo se donne, cororoe en témoigne la pensée sauvage qu' a travers un langage et des catégories qui le désignent en le situant dans I'univers symbolique du mythe - ; il est enfin devenir - meme lorsque dans les sociétés de la tradition celui-ci est per~u cororne rupture avec un chaos initial ou comme risque que le· rituel conjure -.

Rompant. en tout cas a ce niveau de structuration de la pensée scientifique avec les theses discontinuistes, eette idée se prolonge­rait ainsi : ces schemes, puisant au plus profond de l'expérience anth'oposociale se sont en quelque sorte déposés et sédimentés dans les systemes successifs de connaissance prenant ainsi le

Sens et e.\périence 183

visage du mythe, de la religion, de la philosophie, de la sageaoe populaire, du savoi, technique ... et étant par la meme, selon lel cas, placés en situation dominante ou dominée. Aiosi Ieur noyau explicatif encore mal ¡solé ne se donnerait le plus souvent a voir que dans le cadre du systeme de croyances les insérant ou, dan. le meilleur des cas, dans celui d'une ontologie philosophique. L'avenement de la pensée scientifique modeme serait aJoes rupture non pas au niveau des schemes, mais a celui des conditions et des exigences de Ieur mise en ceuvre : le raisonnement expérimcn .. tal. Par la meme a l'exubérance des contenus représentatif. se substitue l'ingéniosité technique de I'e"périmentateur : remplacer l' eau par le .mercure corome le tít T orricelli, n' est pas seulement se mettre hors de l'explication scolastique. e'est user autrement du scheme de la causalité. Un double mouvement alors se jouerait !

d 'une part la science naissante en produisant ses méthodes affine et multiplie la portée explicative des schemes dont elle use, I~ arrachant, qu 'elle le sache Oll non, a leur contexte antérieur. d'effectuation~ et construisant en quelque sorte in actu cOI." prograrnmes qu' une analyse ex post réveIe; d' autre part .. .. \f con"cience de cette avancée de connaissance peut avoir tendaI\CO­á s'exprimer de fa~on défonnée et déplacée par un déport de t. connaissance a l'etre: le mécanisme ne sera pas pensé comme mode d'intelligibilité privilégiant le scheme causal, mais cornrM reflet d'un réel con~u comme étant une gigantesque machin¡-; Par la mcme les schemes ne se donneraient le plus souvenl jam&ll tels quels, mais a travers les prismes variés que leurs connotation. symboliques et leurs modalités d~incamation pratique autorisen;t Ainsi se Iieraient exemplairement l'historique - invention "" méthodes et des techniques, production des systemes de représen~~ tions -, et le logique - noyaux et fortnes logiques des schlorneí d 'intelligibilité.· ."

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La dialectique de la preuve

Si, eorome l'esquisse la conclusion précédente. nnus pensons que les scllemes d'intelligibilité s'enracinenl dans I'expérience anthroposociaIe, le fait de leur genese el de leUf pérennité ne peut les mettre ii I'abri du questionnement critique. Sauf a considérer que l'intelligibililé dont il. sonl le caour vaul par '.Oí, iI faul bien se poser l. question de leur usage légitirne. Or celle­ci implique la détennination d'une norme: I'intelligence de I'objet doit etre en accord avec sa connaissance. En tennes kantiens, l' usage des schemes ne peut etre qu' empirique : il ne peul excéder les bornes de }'expérience. Mais encore faut-iI pouvoir s'sssurer que l'expérience esl une réaIité claire et univoque et qu'en son sein meme De sont pas possibles des usages contoumant les limites qu'elle pose el subvertissant les regles qu'elle implique. Or. a l'i.p.verse. notee parcours nous enseigne qu'en sciences sociales les ligues d'inlelligibililé de l'objet définies par les schemes ne se réalisenl que dans 1 'irrépressible polysémie des termes anaIytiques, que dans I'appel a des engagemenls onlologi­ques ou épistémiques reposanl sur des représentations a forte charge symbolique, que dan. le glissemenl d'un scheme lt I'autre el daos les mécanismes de neutralisation el de réification que cela implique, que dans le risque permanenl, enfin, de subsutuer a la connaissance d'un objel la rhétorique d'un discours.

A l'inverse des sciences de la nalure qui peuvent 19ujours rejetter hors de leur champ, el par conséquent de la scientificité, des dimensions du réel extérieures a l' objet qu' elles définissenl, les sciences sociales sont perpétuellement confrontées A )eur

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186 L' intelligence du social

irréductible coexistence. S'attacher a réduire le champ, a sélection­fief un nombre restreint de variables el a construire un modele fonnel, ou, a (,inverse, prendre une réalilé singuliere, el ehercher a y saisir le jeu de multiples détenninations de nature el de níveaux 'différents. De constitue en leur sein que des options de recherche : elles ne bannissent personne du ehamp de la scienee, et que les uns et les autres eherchent a justifier leur approche en y melant des engagements ontologiques el épistémiques, ne Ieur coniere aueuo eréctil scientifique supplémentaire. 11 faul done que fonctionne. implicitement, une nonne cornmune apte par dela les ehoix méthodologiques el leur fondemenl programmalique a reeonnailre la quaJité scientifique des produetions el a les dislinguer de ce fait des constructions idéologiques de la non-science. Mais une lelle regle peul adrnettre deux fondements différents: elle peul elre regle sociale de fonetionnemenl d'une eommunauté scientifique a un moment donné, décidant, aussi arbitrairement que -toute cornmunauté,"de ce qui est orthodoxie(s) en son sein. el des marges de toléranee qu'elle s'aulorise ; elle peut se présenler, a I'inverse, comme un erilere, logique d 'évalualion des résultats produits el des connaissances construites. L' ennuyeux est que, dans ce deuxieme cas, elle; est nécessairement aussi un instrument social de régulation.

Le probleme posé esl done le suivanl : malgré le pluralisme inhérent Q la connaissance du social et les effets d' irredu('tible complexité qu' iI entraine, l' exercice d' une logique de la preuve unitaire y est-U non seulement possible mais réel ?

LA PREUVE: EXIGENCE UTOPIQUE ?

« L' aporétique de la preuve »

Si paser ainsi la question de la preuve semble etre l'issue nécessaire el légitime de I'etttreprise d'analyse menée lors des développements précédenls, il se trouve que d'un poinl de vuc extérieur on peut y voir beaucoup de na'íveté. La réflexion sur la preuve, tant daos les sciences sociales que dans la théorie de la scienee donne lieu a de telles polérniques el a de lelles

La dialectique de la preUl'e 187

diffieultés, qu'il y aurait une sorte d'angélisme OlalS a vouloir s'y frouer. si un fait tetu n'était difficilement contoumable : aussi précaires que soient leur fiabilité, leur transparence, leur pureté logique, les sciences se distinguent de toutes les autres fonnes de connaissance par la mise en c:euvre-de situations et de procédures de décision irréduelibles au simple exercice de la croyance et de l' autorité. Quand _ bien mame. dans une situation de remise en question, les théories en plaee jouissenl de la force el de l' aUlorité de la «science nonnale ~ et peuvent ainsi constituer un obstacle au ehangement, eelui-ei, mSme lenl el douloureux se produil et ne tire sa légilirnité que de la valeur de connaissance des théories qu'i1 promeut. Mais ce poids hislorique du fait de la preuve, n'a d' égal, dans les sciences empiriques, que la fragilité de son fondemenl logique au poinl que Fernando Gil peul loul a fail parler d'une «aporétique de la preuve »1.

Problématique dans les sciences de la nature, ou elle s'msere dans le double débal entre inductivisme et déduetivisme, el rationalisme et relativisme2

• la théorie de la preuve tient de la gageure lorsque l'on veut l'appliquer aux sciences sociales. Tmis arguments - expriman! selon trois modaIités I'irréductibililé du pluralisme des seh/:mes d'analyse - en invalident d'emblée 'la pertinence. Lepremier 'attaehe la problématique de la preuve au rationalisme expérirnental, et en conteste done la légitirnité en dehors du ehamp des scienees de la nature ; les sciences antbropo­sociales, les Geisteswissenschaften de la tradition allemande, les sciences « historico-herméneutiques »3 ne pourraient, par oature, relever d'un tel prineipe. Le secon<\, partant de la reconnaissance de la pluralité des schemes - ou, dans le vocabulaire de Kuhn, des paradigmes - au sein des sciences sociales, développe la Ihese de l'incornmensurabilité: chaque paradigme élabore ses propres normes et une these n'a de validité que référée a celui 00 elle s' inscrito Le troisieme enfin s' appuyanl sur l' irréduetibilité des engagements métaphysiques au sein des sciences socialeS el

l. Fernando Gil. P/'t!uves, 1986, p.87, trad. París. Auhier, 1988. 2. Cf., pour une presentation de ces débats: lacques Bouveresse, La théorie

de l"observation daru la philosophie des sciences du positivisme logique, in Fnm~is Chatelet ed., Histo¡"e de la philosophie. le v ... siec/e. Paris, Fayard. 1973, Pierre Jacob, L'enrpirisme IOf{ique, Paris. Ed. de Minuit. 1980: Atan F, OlaImers, Qu'est-ce qlle Ja sc.:ience? 1976. trad. Paris, Ed. La Découverte, 1987.

3. Selon la terminologie introduite par Jiligen Habennas A l'occa&ion de sa ler;on inaugurale sur «Connaissance et intéret "', publiée in Jürgen Habennas. La tcchllique el la science conrme idéologie, Paris, Ed. Gallimard. 1973.

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188 L' intelligence du social

sur l'impossibilité d'y éviter les dérapages sémantiques el idéologi­ques, les installe ·définitivemenl du c6té de la philosophie, de l' idéologie, voire de la symplomalologie. Selon les eas, et selon les perspectives. quelques tlots sont autorisés a survivre. daos une masse vouée a la prophy taxie de l' épuration ou au scalpel de la déconstruction.

Tro;s arguments de refus

Nous nous attacherons essentiellement aux deux premiers argu­ments. Le premier est un « topos » des sciences sociales. 11 renvoie aux débats de la philosophie el des sciences sociales allemandes de la fin du siecle derrtier el a leurs divers prolongernents-} contemporains. Notre objet n~est pas ¡ei d'en retracer l'hi',st<)ri,qwe~'T Nous importent essentiellemenl trois points fondamentaux de contestation de la logique de la preuve en usage dans les seiences :,' de la natuse: la critique des notions de validité, de faít eL¡' d'expérience.

Pour le positivisme logique du =c\e de Vienne eomme pour" le rationalisme critique de Popper, le probleme de la preuve esh celui des conditions d 'établissement d' assertions valides concemant 1,

des observables déterminés. En demiere analyse, si nous reprenons' nolre formalisatioo antériewre, le probleme est celui de la nature· de l'accord entre des propositions {p } et les énoneés d'observatioo·, leur correspondant {e}: peut -on établir une regle logique de vérification de p par e, impliquant que leur congrueoce simple (p est en accord avec e) ou comparée (p s'accorde mieux aveé

4. La querelle des méthodes (Methodens,reit) qui a animé la vie intellectueUe des wtiversité,s allemandes A la fin du xIX" sikle posait le probJeme de )'unité de la, science: A la tradition unitaire fran~aise que le positivisme d'Augusre Comte Venalt de renforcer elle opposa une conception dualisce (les sciences humaines requim-ent une autre méthode que les sciences de la nature) dont l'inspiration Kantienne~! ~~ nc~. Partie ~'un débat entre historie.ns el ~omistes portant sur la posslblbté d étabhr des 1018 naturel1es en économle. la discussion mobílisa largement le milieu scientifique. el pennit notamment les intervenlions décisives des philosophcs néo-kantiens Wilhelm Dilthey, Wilhelm Windelband el Heinrich Rickert. Elle conbibua ainsi a ancrer I'épistémologie allemande des sciences sociales dans une tradition dont tém,?ignent aussi bien les écrits de Georg Simmel e~ de Max Weber que ceux de Jürgen Habermas (voir. bien qu'iI n'aborde pas directement le prob~me de la querelle, mais pour une anaIyse syst6matique des positions de Dilthey, Rickert, Simmel et Weber, la Ihese complémentaire de ~y.mond ~~: .EssoI .sur ~ne thlorie olle~nde d~ I'hisroire. LA philosophie cnf!que tú I rnslOIre. Pans, Vrrn, 1938, el Lo soclOtotogle allemande conlemporainf!, Paris, PU!', 1936.).

La dialectique de la preuve 189

e que p') puisse etre tenue pour une confinnation suffisante. e 'est-a-dice une preuve de la validité de p ? Doit-on tenir a l'inverse p cornme une construction purement idéelle. déduite d'un modele T, que le rapport avec e oe peUI qu'établir oégativement, e'est-a­dire qu'aussi longtemps qu'il n'en révelera pas la fausseté? Le probleme posé par le débat c\assique entre Carnap el Popper· esl celui du fondement logique de la preuve dans la connaissance empirique, et par suite, du statul aecordé a la vérité scieotifique. Dans ces tennes le débat peut susciter deux postures scientifiques correspondant assez bien a ce que Raymood Boudon repere eomme deux prograrnmes' au sein des sciences sociales: le programme « nomologique », attaché a mettre en évideoce dans la réalité des «régularités macroscopiques ou des régularités structwrelles» et le prograrnrne «formel », ou «hypothético-déduetif» consistant «ii partir d 'hypotheses, a déduire de ces hypotheses des eonsé­quenees, et a utiliser le modele ainsi produit pour expliquer, éclairer ou eomprendre la réalité. » Or ces programmes et l' esp8C(:,logique qui les définit sont fondés sur une cooeeption expérimeotale de la preuve: la validité d'une propositioo dépend de SOn accord réglé aux faits dont elle prélend rendre compte. C' es! précisément la légitimité de celte eonception expérimentale dans le ehamp des sciences sociales que récuse le premier argumento

La validité qu'établit le rapport p = e ne vaudrait pas daos les sciences sociales car elle isole et abstrait une relation d 'une praxis sociale qui fait de la théorie (p) et de 1 'empirie (e) non des entités séparées mai. des réalités historiques en interdépeodan­ce. Déja adressée par Marx au matérialisme de Feuerbach', cette critique est reprise par exemple par Max Horkheimer dans I'article qu' il con sacre en 1935 au probleme de la vérité : « La confirmation et la vérification de représentatioos quise rapportenl a I'hom­me ou a la société ne résident (oo.) pas seulement dans les expé­riences de laboratoire ou l' exhumation de documents. mais bien dans les luttes historiques au sein desquelles la convietion

5. Raymond .Boudon, La place du désorde. op. d,., p. 235-237. 6. «Le principal défaut, jusqu'ici, du mat~rialisme de lOUS les philosophes -

y compri$ celui de Feuerbach - ,:st que 1 :?b~t: la réal~té, le monde sens!ble . n,'Y $Ont saisis que sous fonne d'obJet ou d mtultlon, mRIS non en tant qu actlvllé humaine conc,.~te, non en tant que pra,iquf!, de fa~on subjective ( ... )>> ~ n. «La question de savoir s'H y a lie~ de rec~nnaitre ~ la pensée ~umallle. une véri~ objective n'est pas une queshon thWrique, mals une 9ucsnon prattque. C'est daos la pratique qu'U faul que l'hornme prouve la v~nté., c'est~a.,dire la réalité el la puissance de sa pensée dans ce lIlonde el pour notre temps ( ... )>> (Th~se 11, Karl Marx el Friedrich Engels, L' idiologie anemand~, op. cit.).

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190 L' intelJigence du social

elle-meme joue un róle essentiel »'. En quelque sorte, le fait que . p soit invalidé au moment 1 par e De signifie pas que p soit··· faux. car l'adhésion pratique a p peut modifier aussi bien les réalités dont e rend compte que p lui-meme: «L' agir ne doit pas etre eo~u eomme un appendice, eomme le simple de la pensée, mais il influe constamment sur la théorie et doit nuHemeot etre séparé d' elle.» Le rapport p :: e» ne done pas par lui-meme. Il doit etre problématisé et restitué mouvement historique dont il n'est qu'un momento Cene rel,ri,,,,C de la critique hégélienne de la raison expérimentale au la raíson dialectique aboutit done 11 opposer va/iditiet vé.ritó';'!" Mais comment accede-t-on a cette demiere? Coroment peut..on .. saisir la totalité qui seule peut donner sens aux liaisons partielles;1 ThéodoreW. Adorno répond netlement et c1airement dans interveotioo de 1957 aux journées de Tübingeo: les faits don!

se reclame' la sociologie empirique soot dépourvus de S~:~i;~~~~!~:,~, s'i!s oe soot .pas .référés 11 resseoee de la société. A des sciences de la nature, 011 I'induetion et la généralisation possibles, les seiences sociales doivent reeonnaitre le oartic:ulier'¡ - les faits - comme médiation d'un tout auquel seule la théorie" a acee.: «Pareille fll\'on de voir la société eomme un tout transeende nécessairement les faits épars en quoi eette société consiste. La construction du total a· poUl condition premiere un eoncept de laehose meme (Sache) autour duquel les données disparates s' organisent. »"

Larestriction apportée a la théorie de la validation est done ici le fait d'un engagement ontologique et épistémique dont la philosophie hégélienne constitue la matriee: hors d'une saisie principieUe du réel aucune connaissance n' en est possible. «La social I'esearch est -fausse quand eHe veut éliminer 1a totalité comme un préjugé erypto-métaphysique paree qu'elle échappe principiellement -a ses méthodes. La science est alors assennentée au phénomene. Si I'on frappe de tabou la question de ressenée, comme une illusion, cornme quelque chose que la méthode ne peut dégager, alors les connexions essentielles, - ce en quoi la société consiste proprement - sont soustraites a la connaissance. »'J

7. Max Horkheimer, Sur le probleme de la vérité (1935). in Thiol'ie critique, París, Ed. Payot. 19.78, p.185.

8. Tbéodor W. Adorno. Socíologie et recherche empiríque. in Adorno. Popper, De Vienne d Frankfort. la qll~I'~lle allcmande des sciences sociales. Bru:w;eHes, Ed. Complexe, 1979, p.60,

9. lbid" p.68.

La dialectique de la preuve 191

On retrouve, comme le souligne Hans Albert lO, un mouvemenl

semblable dans le courant herméoeutique. L'analyse qu'opMe Hans-Georg Gadamer du eoncept d'expérience aboutit • voir clan. l'expérimentation scientifique I'idéalisation d'uoe réalité original." associée a « l'essence historique de rhornme»: «L'exp6rience proprement dite devient ainsi l' expérience de notre propre historiel· té. »11 Celle-ci se donne dans une conscience herméneutique instituant le monde cornme langage, et inversant le rapport de eompréhension: «Dans tous les cas analysés ( ... ) la strueture spéculative de la langue se révéla n'"tre pas la reproduction d'un donné fixe. mais une venue au langage dans laquelle vient se dire une totalité de sens. C'est par la précisément que nous noo. étions rapprochés de la dialectique antique, car en elle non plus on ne trouvait aucune activité méthodologique du su jet· , maís un agir de la ehose meme que le penser .. subit ". C'esl cet agir de la chose meme qui constitue le véritable mouvement spéculatif qui s'empare de celui qui parle.( ... ) Nous savons maiotenant que cette initiative issue de l' agir de la chose elle-meme, de sa venue au langage, reovoie a une structure ontologique universelle, iI savoir la constitution fondamentale de tout ce vers quoi la compréhension peut se tourner. L' etre qui peut etre compris es! langue. lei le phénomene herméneutique reporte pour ainsi dire sa propre universalíté sur la constitutioD ontologique de ce qui est compris. en détenninant celle-ci dans un sens universel comme langue et son propre rapport a I'étant comme interprétation. C'esl ainsi que nous parlons d'un langage de l'art, mais aussi d'un langage de la nature et, d'une fll\'on absolue, d'un laogage que les choses tiennent.( ... ) En ce sens l'hennéneutique est, comme nous l'avons vu, un aspect universel de la philosophie, et pas seulement la base méthodologique de ce qu' on appelle les sciences humaines» (p. 330-331) ("souligné par nous).

Quelle est done la nalure de ce premier argument ? La référenee a « la chose elle-m!me » chez Gadamer cornme chez. Adomo~ la subordination de droit de la connaissance expérimentale a une connaissance d'un autre ordre, soumef l' inteJligence du social d une ontologie, qui ne constitue pas simplement un engagement susceptible d'étayer la démarche, mais une substitution que l'on

10, Hans Alben. Herméneulique el science e:w;ac:te, La soci()Jo.~ie critique en t¡ueslion, París. PUF. 1987.

I L Hans-Georg Gadamer, Vhité el métlwde, op. cit .• p.303.

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192 L' illtelligence du social

peut ainsi formaJiser: si nous désignons par O ceUe ontologie (la société est un tout se déployant dans le mouvement historique de ses lensions essenlielles; elle est langage se donnant dans l'expérience herméneutique) et par T la Ihéorie d'un champ inserit dans la réalilé visée par cette ontologie, alors la vaJidité de T réside dans son inclusion en O. 1I en resulte que le désaccord de p ·avec e sera non significatif pour T. si p est une proposition' fonement Jiée iI O. II est done légitime, de ce point de vue, de dire que la logique de la preuve des sciences de la nature ne constitue pas un crilere de validité puisque le rapporl aux faits' ,': ' e est décha,.gé de son pouvoir décisoire. Il est par contre utile ¡,

de remarquer que cela équivaut a une contre~révolution copemi .. cienne, dont le texte de Gadamer est une remarquable illustration. En résumé, le premier argument s'exprime ainsi : ou la connaissan­ce du social procede de la philosophie ou elle n'est paso

Le premier argumentest fondé sur l'idée d'une spécificité. des sciences sociales. Le second provient d 'une 'crise de l' épistémo. logie des sciences de la oature remeltant en cause l'idéal positivíste de la science unitaire, Thomas Kuhn d'abord, Paul Feyerabend, ensuite ont développé la these de l'incornmensurahilité des théories sciemifiques appartenanl iI des· paradigm~s différents, Celle-ci pourrait se résumer ainsi: lorsqu'uite théorie se substitue a une

. autre (comme ce fuI notarnment le cas en physique), c'est tout l' appareil de repérage, de description et de resolution des problemes qui simultanément change, de sorte qu 'uo énoocé de la théorie In' a rigoureusement aucun sens dans la théorie 2, Feyerabend en donne l l illustration cocasse suivante: vouloir comparer des . énoncés appartenant A des Ihéories différentes est tout aussi aberrantque de décrire I'épilepsie en disant: «Quand on est possédé par un démon, il y a également une décharge dans le cerveau. »12

Cette Ihese s'appuie sur l'étude des transformations de la physique, Elle dureit, radicalise, et - dans le eas de Feyerabend - généralise, l'opposition que Bachelard avait déjlt décrite entre la science classique el la science contemporaine, l'épistémologie cartésienne etl'épistémologie non cartésienne, Son effet principal est de ramener la validité a une propriété interne d'une théorie donnée. En effet, a l'inverse de l'image cumulative de la science

12. Paul Feyerabend, Contri! la mhhode, op. cit., p. 309.

La dialectique de la preuve 193

que dessinent les manuels, Kuhn insiste sur la signification qu'implique un ehangement de paradigme, La rupture ne concerne pas seulement les problemes posés et l'appareil conceptuel utilisé : elle atteint les faits eux -memes, «Ce ne sont pas les problemes seuls qui ont changé, mais bien le réseau entier de Ihéories el de fails que le paradigme adaple a la nature,." Le critere expérimental ne vaut ainsi qu'au seio d'un paradigme instituant un rapport déterminé entre faits et théories: «Les Ihéories, évidernment, "sont adaptées aux faits". mais seulement en transformant de l'information préalablement aceessible en faits qui, dans le cadre du paradigme précédent, n' avaient pas existé du tout. »L4 Une comparaison entre deux théories relevant de paradigmes différents visant ~ établir un eritere rationnel de ehoix ne peut aboutir: iI n'y a ni «algorithme neutre» ni «langage neutre » permettant de ~uire leurs différences.

Pensée au moyen d'une métaphore Jinguistique par Kuhn, l' incornmensurabilité trouve chez .Feyerabend un principe de généralisation dans l' anlhropologie de Benjamin L. Whorf. Celui­ci établissait que les langues naturelles contiennent une ontologie et une schématisation implicites du réel présidant lt toute production d'énoncés en leur sein L

\ Appliquée allX sciences et, plus générale­ment aux sysremes de connaissance, cette mese aboutit A l' inanité de toute recherche de criteres cornmuns auxquels référer deux Ihéories différentes, Qu'il s'agisse de eriteres formels (concemant l'architecture des Ihéories) ou sémantiques (concernant leur rapport au « réel ») 00 De renvoie en fait qu' a des éléments « arbitraires » : « lis ressemblent fort 11 des jugements esthétiques, A des jugements de goOI, 11 des préjugés métaphysiques, bref ils ressemblent fort a nos désirs subjectifs. »1(,.

Malgré les points qui par ailleurs les différencient, les positions de Kuhn et de Feyerabend peuvent s' exprimer ainsi: l' espace de validité d'une Ihéorie donnée T, c'est-a-dire ses regles de construc­líon internes (T ~ p) el ses modaJités de rapport aux faits (p = e), n'a de signification qu'1I l'intérieur d'un langage déterminé L, Deux théories différentes T et T', prises dans deux langages différents L et L', sont de ce faít incomparables. Une problématique

13. 0/1. cif .• p. 195. 14. [bid., p. 196. 15. Benjamin Lee Whorf. Lin¡:uisfique et amhropologie. 1956, trad. Paris.

Ed, De_I, 1969, 16. Paul Feyerabend. op. cif., p. 320.

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194 L' intelligence du social \

de la preuve conslitue des lors un faux probleme. Telle esl conclusion de Feyerabend et le sens de sa fameuse fonnule «toutr' ' eSI bon ». Kuhn a pout sa par! adopté une position plus nuancée'i,' dans la postface qu 'iI ajoute en 1969 il son ouvrage. 11 évoquc' la possibilité de traductions. Mais iI s'agit la d'une opération qui ne vise pas a I'établissement d'un crit/:re de choix entre deux '¡

langages L et L', mais simplement a une possibilité de cornmuniea", tion entre ehercheurs se réclamant de langages différenls: probLeme n' esl plus la production d' une preuve mais le rétablisse- ,', ' ment d' un C01l8ensus: «La traduction. si elle est poursuiviev;,' pennet aux interlocuteutS en diffJculté de vivre, en se metlant i1'" la place de l' autre, quelque ehose des mérites el des défauls de, son point de vue-; ene est de ce fait UQ outíl puissant de persuasion ; et de conversion » (p. 275). Cependant, quelques ligues plus loin" Kuhn va au-delA de ce point de vue pragmatique en ""<Iuissant, un crit/:re de progres scientifique ;« Les théories scientifiques de date récente S9nt meil\eures que celles qui les ont précédées sous ¡

l' aspect de la solution des énigmes, dans les contextes souvent, fort différents auxquels elles s'appliquent» (p. 279). 11 tempere néamnoins cette affinnation en sigualant qu'il s'agit la d'un eritere équivoque.

Ce deuxieme argument a un poiot commun avec le premier. Il relativise les criteres elassiques de la preuve (cohérence fonnelle et accord avec les fails) en inscrivant les théories daos I'espace de configurations' plus fortes leut donnant seules sens. Simultané­ment ¡¡ est contraint - daos le cas de Kuhn - de postuler une' sortie du cercle ainsi constitué pour remire compte du mouvement historique de substilution d'un langage it un autre. Appliquée au" sciences sociales la these de l'incommensurabilité prend un relief particulier: il ne s' agit plus alors d' une succession historique de paradigmes, entre lesquels, de toute fa\(Oll, le mouvement de la science a tranché - aucun physic.ien n 'accorderait de sens actuel a un débat entre physique de New!on et physique d'Einstein -, mais d'une coexistence de modes d'intelligibilité différents, Le pluralisme y implique-t-il nécessairemenl le relativisme et doit­on y inscrire la logique de la preuve au litre de ces «fantasmes nonnatifs des cléricaux de tous les temps» qu'épingle Michel Maffesoli dans son plaidoyer pour une sociologie « formiste »'7 ?

17. Michel Maffesoli. La connaissance ordinaire. Paris, Librairie des Méridiens. 1985, p. 121.

La dialectique de la preuve 195

Nous passerons plus rapidemen! sur le troisieme argumento Non qu'¡¡ soit moins important, mais paree que nous l'avons déja évoqué, en son fond, 11 diverses reprises. II procede de la reconnaissance, au sein du discours des sciences sociales, des multiples équivoques et dérapages que nous avons au fur et II mesure pointés. Invitant, dans une perspective «positiviste », a les dépasser par la mise en reuvre de procédutesd'épuration et de fonnalisation, il peot, daos une vis ion critique~ constituer ces phénomenes non plus comme des seories ou des dérives, mai. comme l'expression la plus sOre d'uo discoutS par essence idéologique. La critique de la conmussanee inspirée de Niel:ZSche, de Freud el de Marx, - ce que l' on a parfois appelé les hennéneutiques du sou~n - peut aisément constituer le discours des sciences sociales comme référant non pas a son objet mais au" calaetéristiques idéologiques et psychanalytiques de son sujeto Plus gbtéralement, el plus diversement, l'architecture interne d'un ensemble théorique (T ~ p = e) sera systématiquement resituée dans l' épaisseur et les équivoques de son discoutS, oil glissemertts, ruptures cachées, fausses perspectives apparru"tront cornme autant d'indices de ses conditions de produclion détenninées, en lesquelles seules résidera son senS.

Et pourtant Achille rattrape la tortue!

Les trois argurnents présentés onl un point cornmun: ils rattachent les théories. non seulement comme ensembles concep­tuels, mais plus profondément comme rapports réglés a l' empirie, a des conflgurations déterminées qui en régissent la signification et la validité. Cene inelusion de T dans une ontologie (O), daos un langage (L), daos des conditions sociales ou symboliques de production (CP), biaise irrémédiablement son rapport au réel. L'argument commun est ici le suivant: les fails de la théorie, c'est-a-<lire les propositions empiriques sur lesquelles elle s'appuie (e), ne renvoient pas au réel mais 11 son traitement particulier selon O, L, ou CP. Le constructivisme - les fails ne sont pas donnés milis produits - devient le fondemen! d'une invalidation radicale de la preuve expérimentaJe. Quelle est la situation de cormaissance ainsi produite? CeHe d'une alternative close entre métaphysique et relativisme: ou la théorie tire S8 vérité de la

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196 L' intelligence du social.

philosophie qui la fonde et de I'ontologie qu'elle promeut, OU,

au mieux, elle n'a que la validité interne qu'un langage ' Iui coniere. Cette figure constitue un topos de la Ihéorie connaissanee dont on peut voir la premiere manifestation exem~;)'~ plaire dans la lutte de Platon contre la ,sophistique: dég"l¡erli" selon le procédé de Protagoras, le discours de tout originaire dans I'étre, I'institue nécessairement cornme in,;tnlmcn!,,¡ autonome de transfonnation du vrai en faux' et du faux en vrai enregistrer cette rupture el vouloir préserver la vérité rn;re.aillt¡~

11 I'inverse de poser une existence métaphysique du Vrai et, mode d'acces non discursif asa .réalité", La Ihéorie de connaissance scientifique serait-elle done vouée a une aporie le développement lústorique ne ferait au mieux que dii,"il"U~,d la récurrence 1

Fernando Gil, dans la remarquable étude qu'il a consalcl1!ie.c;' au débat contemporain sur la preuve, déaigne ainsi la voie

luí semble pen01etrre de sortir du piege auquel il do"nn;.~e~~;.~,~, « Dans sa théorie de la controverse, Kant enseigne que le d des " combats sans fin .. de la métaphysique demande une troisieme i

position qui dissoudra ou relativisera I'incompatibilité enlre lelÍ' theses et les antilheses. Cette position partira ici des pratiques. de fair. Comment operent les sciences en matiere de preuve- ?19 »" (' souligné par nous). Fernando Gil met en reuvre cette démarche. Mais cette troisieme voie oe no~ semble pas seulement de résolution d'une aporie; elle consiste aussi 11 rappeler que la preuve est d'abord un fait: ramener son effet de vérité au consensus qu'une communauté donnée constituera autour d'une ., langue, d'un passé, d'un systeme de référeoces, d'un complexe d'intéréts, d'uo eosemble de croyances et d'eogagements, a la . meme significatioo que rameoer l' effet esthétique de l' reuvre de

18, Dans la tbéorie des quatre niveaux de connaissance présentée par Platon daos Lo Rlpublique, la connaissance intelligible se divise en deux: cene qui. A . I'instar des mathématiques, pose des hyp<>thbcs pour en 6tudier les conséquenccs et s'aide de figures el d'images ; celle qui « par la vettu du dialogue )1> passe des , b~ses au principe universel, «anhyp0th6tique,., «sans reoourir l rien absolument qui soit sensible, mais aux nalUres essenlielles loutes seulos)l>. La pI'CIl'U!re est de l'ordre du discours (dianoia), la $CCOndc de l'intelligence intuitivc (nous). Seule la conviction - illusb'6e par le mythe de la caveme - qu'une saisie ultime des essences el do souverain Bien est non seuJement possible mais constitue le fiI immanent de I'ascension dialcctique prorege du doute sopI:tistique (RépubHque, Livre VI. S09·511. trad. Uon Rabin, Pans, Bibliotheque de la Pléiade. J 950).

19. Fernando Gil. op. cil .. p.88.

La dialectique de la preuve 197

création au complexe de ses conditions techniques. idéologiqucs, poli tiques, affectives, etc, de production: cela explique tout, sauf ce qui dans un cas spécifie l' reuvre cornme reuvre, et dans l' autre la connaissance scientifique cornme connaissance scientifiquc.

Le pbénomene ici visé est finalement l'aptitude d'une produc­lion a transcender ses conditions origioelles d'élaboration. n a élé peosé dans la tradition philosophique d'une f~on idéaliste dont la diehotomie platooicienne eotre sensible et intelligible et le rapport origioaire .u vrai qu'implique la Ihéorie de la réminis­cence peuvent etre considérés comme le paradigme. Le concepl de vériíé garde la trace indissoluble de ce fantasme d'une correspondance originelle ou priocipielle de l'<ltre et du connattre au pomt que certains préférent y ";'noncer. Or, lorsque Kuhn recoooatt qu'il y a un «progres scientifique », que désigne-t-il par uoe plus grande aptitude a résoudre des éoigmes si ce o' est un plus fort effet de vérité? On peut done a la fois recorma1tie avec lui que toute idée scienliste d'uoe marche progressive vers la Vérlll! o'est qu'il1usion et résurgence du vieux fantasme et constater cependant que la science dans son mouvement historique mel en reuvre un eritere d'évaluatioo qui dépasse la simple adéquatioit de I'hypolh~se et des faits au seio d 'un langage donné. Le cri~ interne de validité qui He une théorie aux faits qu'e1le promeut, peut done se lier a uo critere exteme qui - malgré les difféietices de langage - coofronte la capacité descriptive el explicative de plusieurs théories. Comme le constate Fernando Gil 11 l'iosue de son investigatioo, le lien quí s' établit entre hypotheses et données en pbysique restaure, pratiquement, I'objec­tivité du fait: s'H est d'abord construit au sern d·un contexte théorique détenniné, son oblention par d'autres méthodes et dans d' autresdomaines «signale que le donné oe constitue pas la simple projectioo des hypotheses et des méthodes» (p. 122),

Si dáris son fonctionnement concret la science met effective­meot en reuvre des procédures de résolution pratique du probleme de la preuve, la question est alors ceHe du débal lui-meme. COmIDent comprendre sa récurrence historique lorsqu' avec la connai.sance expérimeotale el ses développements modemes ont été elairement el pratiquement établis le double eritere du cootr6le logique et de I'épreuve des faits? L'évolulioo géoérale du débat depuis le manifeste du Cercle de Vienne jusqu'jl la proclamatioo anarchiste de Feyerabend, et, plus récemment, le développement

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198 L' intelJigence du social

du prograrnme fort en sOciologie des sciences20 nous semble receler une indication : le plan défini par l' a1gorithme ,T --+ {p 1 ::: {e l, qu'il soit régi par une logique inductive (Reichenbach, Carnap), ou par une logique hypothético-déductive (popper), est insuffisant pour décrire le mouvement historique de la science. S'il définit rigoureusement l' espace logique des procédures de controle constitutives de la preuve, iI manque celui ou s' étayent les diverses attitudes mentales sans lesquelles la science n 'exis~rait,. paso L 'histoire des sciences a ainsi toujoun¡ beau jeu de mootrer que telle ou lelle avancée scientifique ne respec~ pas l' éPure logique qui en sera la traductioo ultérieure, mais utilise un complexe d' arguments impurs, ou pétitions de principes, hypothe­ses ad Me et figures de rhétorique interterent avec le développe­meDl rigoureux de l' a1gorithme (Feyerabend ne procede pas autrement daos son étude sur Ga\ilée). Ce faisant elle bascule d' un plan a un autre, de celui de l' expérirnentation et de la modélisation a celui des engagements métaphysiques et des repré.entations symboliques. Mais en critiquant a1(lJ'S, a la lumiere de ce nouveau plan, I'image antérieure trap étmi~, elle cisque de manquer une articulation décisive : si les manuels d' enseigne­meDl dont parle Kuhn gornment les césures, les scories, les irréductibilités sémantiques que manifes~ le mouvernent téel de la science, e' estque précisément eel/e-ci rend possible un langage commun. ,La reconstnlction a poste,,'ori - mystificatrice sur le plan historique - est révélauice de la capacité des résultats scientifiques a dépasser leurs conditions d'élaboration et d'exposi­tion et á s 'intégrer a des ensembles sans cesse épurés. Ne ~nir que le premier plan condarnne a un forma\isme vide; car si admettre le déductivisme de Popper dispense de présupposés empiristes, je~r l'in~rdit sur I'élaboration et le statut symbolique des hypotheses empéche de décrire le mouvement scientifique réeF'; donner le primat au second plan conduit a l' aparie du

20. Da'Yid Bloor. Socíolog;e de la logíque 011 les limitea de l' épisllmologie, Paris, oollection • Pandore ».

2l. Les critiques faltes au falsicationnisme, notarnment par l...akatO$, insistent sur un argumetJt a la fois historique el togique: pour qu'un &loncé d'observation (e) falsifie une théorie il faut qu'il soil a ce poiOI clair. précis el décisoire qu'il interdise lOute entreprise de sauvetage de la thIorie aux moyens d'hypothhes complémentaires ad }roc. Or, non seu1ement le contexte expérimentaI est le plus souvent suffisamment complexe pour empécher une invalidation sans appel, mais en OUlre I'histoire scientifique ne manque pas d'exemples. 00 la tMorie fUI maintenue malgré la reconnaissance de fai18 contradictoires. On peut done penser que le verdi.ct de l'expérience - nonne du plan de l'expérimentation et de la validation - peUl ene partiellemenl el temporairement neutralist par I'adhésion A

La dialectique de la preuve 199

relativisme ou de la métaphysique. Seule l' articulation des doIIII peut permettre de saisir la connaissance scientifique dan. H spécificité et dans son devenir, comrne unité historiqu. eoncrll. de l'intelligibilité et de la preuve,

Une telle perspective est d'abord une réponse aUl< trOla arguments décrits: il est vrai que toute théorie s' élabore dans un con~xte de production dé~iné et peut s 'appuyer sur des engagements ontologiques et épistémiques excédant les Iimi~s de l' expérience. Mais cem subordination n' invalide pas la possibi­lité de la preuve car elle est d 'une autre nature. Elle conceme un autre plan. Ce~s les in~rférences sont non seulemem possibles mais multiples, surtout aussi longtemps que les théories res~nt en dessous du seuil de la formalisation. Mais le fait de la preuve est daos l' aptitude des théories 11 se dégager de cet~ gangue originelle, a accéder a un langage commun, et ii résis~r aux multiples tpreuves que constitue leur utilisation par la communauté scientifique: le plan (T, p, e) est ainsi le ehantier de la preuve. apte, lorsqu'une mutation disciplfnaire pro/ande s'y ,-éaUse, aussi bien d intégrer les anciennes théories dans des espaces de va/iditi restreints, qu' d en constester les engagements ontologiques el épistémiques, Mais cem perspective incite également 11 penser autrement le statut des sciences anthroposocia1es. Celui -ci oscille entre les deux positions extremes de la science unitaire et du dualisme. Cet~ seconde position est liée a l' argument que DOUS avons décrit en premier. Elle s'appuie sur l'idée d'Wle distinction de drnit entre sciences de la nature (relevant du détenninisme et de la preuve expérimentale) et sciences de I'homme et de la société (impliquant nécessairement une approche historique et compréhensive). Or cette opposition - qui se redoublerait dans les sciences sociales chaque fois que l' on y recourrait a la modélisation mathématique - ne définit pas, 11 la lumiere de I'ensemble des développements précédents, une réalité épistémique téellement assignable : les sciences sociales, nous l'avons vu, ne se ramenent pas 11 deux types antagoniques d'explication, mais memnt en reuvte, a I'inverse, une pluralité de modes d'in~11igibi­lité. Les seiences de la nature, et notanuhent les 'sdencé. physi-

des nonnes de pertinence el d'inteUigibi1i~, issues du plan des tht!mata et ínvestíssant une th60rie donn6e. C'est done le mode d'articulation des deux plans qui se~ peut rendR compte du devenir C()flCR:t des théories scieotifiques. (Pour une syn~ des argumenu t>ppOSh au falsificationisrne, voir Al8n F. Chalmer&, op. cit., chapitre 6: «Les limites du falsificationisme ».)

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200 L'intelligence du socia/,

ques, ne se ramenent pas davantage a la caricature formelle que, . l' on auribue au positivisme. Ancrée dans un débat antérieur a la rupture épistémologique du début du sieele, inscrite dans I'opposi- -' tion kantienne de la Raison pure et de la Raison pratique, cene opposition noos semble souvent fonctionner corome un mythe épistémologique attribuant par essence aux sciences de la nature ' le plan de l' expérimentation et de la preuve et aUl< sciences • anthroposociales celui du sens. Une telle attribution mylhifie les premieres en les coupanl de leurs racines paradigmatiques el symboliques el affaiblil les secondes en les dispensan! de /' exigenee de la preuve : iI ne \eur reste alors de recours que la dépendance • métaphysique du premier argument si elles veuIent éviter la dissolution eritique du troisiOOte.

En quai alors résiderait la différence? Nous propasons I'hypo­tltese suivante: si les sciences de la natore et les sciencel<' anthroposociales se déploient sur les deux pIans des engagernents symboliques et de l' lOdéquation empirique leur différence réside peut-l!tre en ce que le passage d'un plan a I'autre y mobilise différemment les scIteines d'intelligibilité. On pourrait ainsi conce" voir une surte de gradient entre' deux pilles el<trémes, I'un ou les disciplines seraient organisées autour d'un sch~me unique et I'autre ou elles en asswneraient la diversité. Ce,tte organisation présentánt des configurations diverses selon le moment historique et le mode de composition/recomposition des disciplines semit loin d'oppaser mécaniquementsciences de la nature et sciences anthroposociaIes et inviterait au contraire a une saisie fme de la position de cbaque discipline. L 'intéret d 'une telle représentation est qu'elle promeut une regle de repérage des savoirs scientifiques a la fois unitaire el plurielle: est science, de ce point de vue, toute entreprise qui admet I'exigence de la preuve, c'est-a-dire tout systeme de connaissances qui n'en appelle pas, pour justifier une série de propasitions concernant un objet, a un engagement ontologique ou épistémique, et se soumet de droit a la critique logique et a I'épreuve des faits. Unitaire dans ceue démarcation, cene regle reconnaIt la pluralité a trois niveaux: elle adm.t I'existence, voire la fécondité d'engagements métaphysiques et de références symboliques, pour autant que ces demiers ne se substituent pas au travail théori.que el empírique el ne se constituent pas comme base de lajustification; elle n'impose aucune technique particuliere de la preuve et laisse a cbaque prograrnme le soin

La dia/ecrique de la preuve 201

d' élaborer ou d' adopter celle qui esl la plus appropriée ii I0Il scheme; elle admet l' existence sur un meme objet de théoriet relevant de scItemes différents a partir du momen! oiI ces demieres se soumettent a l' exigence générique de la preuve.

Le probleme est alors le suivant: nous pensons avoir levé l'hypotIteque lourde et complexe qui pelOait sur la problématique de la preuve. Mais en réfutant I'argument de dépendance qui en était le creur, nous n'ovons pas pour autant établi la réalité de la preuve en sciences sociales. Si I'argument de fait auquel réfere Fernando Gil vaut pour les sciences de la nature, iI faut l' établir pour les sciences sociales. Cependant notre acquis n'esl pas négligeab\e: en rejettant la eritique de jure de I'exigence et de la signification mame de la preuve qu'avancaient les argumenta 1 el 3. et en maintenant le fil du pluralisme explicatif, nous nou. donnons la possibilité, quand bien meme sa réalité semit précaire, d' en analyser les conditions et d' en esquisser les formes.

PREUVE ET JU8TIFICATION EN SClENCES SOCIALES

Etablir le fait de la preuve en sciences sociales est une entreprise difficile. 11 est nécessaire d'une part d 'atteindre un détail de procédures qui ram~ne l'écheIle de I'analyse non seulement aux champs disciplinaires mais, en ~a, a leurs segmentalions propres. n importe d'autre par! de se démarquer des intentions normatives des approches méthodologiques habi­lueIles : nutre probleme n'est pas d'inventorier des techniques de recherche et de reconnaitre leur bon usage, mais de repérer comment prariquemenl s' o~re la justification. Nous suivrons les deux voies suivantes : a queIles procédures internes de justification recourent les auteurs dans une démonstration donnée? selon quelles mndalités la communauté scientifique ~-t-elle le contróle et la falsification en son sein?

Répondre systématiquement a ces deux questions est un prograrnme de recherche comme tel qui excede le cadre de ce propas. Nous utiliserons donc a nouveau la méthnde idéaltypique décrite au début de cet ouvrage. Les textes paradigmatiques que nous avions choisis étaient des démonstrations mettant en o=uvre des prograrnmes d'analyse renvoyanl a des schemes d'intelligibilité

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202 L' intelligence du social

différents. lis réferent done a I'une des deux situations épistémiques polaires évoquées a la fin du développement précédenl: celle de la coexislence de modes d'intelligibilité différents au sein d'un meme champ disciplinaire. Cette situation esl précisémenl celle qui pose le plus de problemes el conforte le mieux les trois arguments de négation de la preuve.

La preuve en aCle: pertinence explicative el validité empirique -j

Soil les cinq textes paradigmaliques éludiés aux chapitres I , el II el la fonnule développée établie au chapitre m, que l' on peul compléter en y incluanl en amonl les engagements thematiques, ' (EgD:

EgT ... S ... T -> {p} ::: {e} <- {d(e)}, {d(t)}, {d(s) } ... R '

Le probleme de la preuve réside dans les trois relations que désignent les symboles ->, =, <- el peul étre fonnulé ainsi: le lien logique entre la théorie T el les propositions explicatives { p} est-il rigoureusemenl établi? les propositions explicatives { p} sonl elles en adéquation avec les propositions empiriques { e }? les proposilions empiriques ,{ e} recouvrent-elles bien l'ensemble des données concemées 1

Daos chacun des textes étudiés les propositions explicatives:' peuvent étre ramenées iI une proposition - ou une hypoiliese -.' forte, solidaire d'une théorie, que I'auteur confronte a une autre/ proposition forte, solidaire d'une autre théorie. Dans cbaque cas". la confrontation s' ~ au niveau des propositions el non 11 celu;, des théories : ,ainsi par exemple, lorsque Marx réfute la mese du " primal de la machine a vapeur dans la révolution industrielle, il ' n' oppose pas la théorie marxisle a la théorie libérale, mais une " proposition explicative a une autre. De méme Edgar Morin oppose la these du fantasme collectif 11 la these du complot et non une, , théorie psychanalytique iI une théorie politiqueo Ce n'esl qu'une;' fois que l'auteur a établi la justesse de son point de vue qu'iI considere que cela renforce une théorie plus générale - qu'¡¡ eSI',

en train d'exposer systémaliquement (Marx), ou de construire"! induclivement (Durkheim), ou donl il présente le programme en appendice (Morin) -. En privilégiant I'établissemenl des proposi­tions explicatives sur la justification globale des théories les auteu",··

La dialectique de la preuve 203

se placent done - en toul cas pour ce qui est de ces textes dana une logique de la juslification empirique. Appelons p et p' lea propositions explicatives fortes auxquelles on peut ramener l chaque fois la structure explicative mise en place. p est une proposition antérieure ou concurrente: le suicide est un phénomene hérédilaire; le développemenl du capitalisme moderne résulte du développement des forees productives el de la constitution du capital marchand; la rurneur anlisémile résulte d'un complnt d'exlréme droite; la relation avunculaire dépend do régime de filialion; le développemenl du machinisme industrielrésulte de I'ulilisation produclive de la machine a vapeur. p' esl la proposilion concurrente que l' on veut établir: le suicide est un pbénomene social renvoyanl 11 des causes sociales détenninées ; le développe­ment du capitalisme moderne resulte de l' adoplion d'une nouvelle rationalité par les acteurs économiques; la rumeur antisémite esl l'émergence, dans une situation favorable, d'une fantasmatique sociale sous-jacente; la relation avunculaire s'inscrit daos un systeme dont la struclure quadratique définit l'espare des fonnes élémentaires de la parenté; le développemenl du macIúnisme industriel résulle du développemenl de la forme macbine rendue nécessaire par les limiles de la production artisanale el possible par l' organisalion manufacturiere. Dans chaque cas la démonstra­tion vise a montrer que p' l' emporte sur p" Comment? en négociant la relation p ::: e <- d( e) donl nous avons mis en évidence plus haut qu' elle constitue dans la connaissance empirique le noeud du travail d'intelligence de l'objet (p. 114).

Or I'analyse des lextes met en évidence deux stratégies différentes de confinnation empirique.

La premiere est a )' reuvre daos les textes de Durkheim el de Levi-Strauss, o .. elle prend deux fonnes différentes. Globalement elle correspond a ce que Camap" définit comme le concepl comparatif de confirmalion, donl la forme de base est: «h' est mieuxconfinné (ou corroboré, etc) par e' que h par e "n. Spécifiquemenl on a affaire iI un raisonnemenl du Iype: p esl insuffisamment corroboré par e el en contradiction avec e';

22. Rudol~h Camap, The two con~pts of pro~ility. in Philosophical an ph(!nom~nolog,caf res~a,.ch, 1945, pamellement tradUlt p4r Roben Blanehé. La mélhode expén·mentole et fa phi/asophie de la physique. Pans, Annand Colino 1969.

23. Nous inversons, dans la citation, h et h' amsi que e et e' afin de maintenir le paral~lisme avec nOlre notation p et p'. II va de soi qu'il ne s'asit que d'une commodili d'écriture.

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204 L' intelligence du social

inversement p' est corroboré par e el e'. Le mouvement démonstra­tif implique donc les opérations suivantes : éprouver la proposition contestée a partir des faits sur lesquels elle s' appuie afm d' en , montrer la fragilité; produire d' autres faits, contradictoires ou simplement négligés; avancer enfin une proposition altemative' rendant compte de l' ensemble des références empiriques. La thesc' de la contagion par l' exemple rend compte des similitudes constatées aussi bien entre suicides de filiation qu 'entre suicides épidémiques; la structure quadratique du systeme de parenté integre larelation mari/femme, frere/soeur laissée de roté par la these du régime de filiation. Durkheim et Lévi-Strauss se distin­guent cependant sur un point important: le premier teSte ou étabüt des re¡ations discreteo valant par soi: «La concomitance constante est donc par elle-metne, une loi, quel que soit I'état des phénomenes restés en dehors de la comparaison »". Le second construit un m~le, en tire des conséquences, el les confronte avec les faits. Cette différence recouvre la distinction qu' établit Rayrnond BoudoD entre conception « nomolpgique.» el conception « formelle» ou «hypothético-déductive» de la science dans le domaine du social". Notre analysc ,cependant aboutit a en faire non pas deux conceptions, mais deux modalités d' une stratégie de la preuve, qui est, en fait, celle de la confmnation expérimenta- ' le : en dehors de l' expérimentation directe la justification s' établit indirectement, par la construction idéelle du fait propre ¡¡ confirmer, I'hypothese et sa recberche parmi les données existantes. Celles­ci sont done sollicitées activement, incitées a répondre a des questions qui ne leur avaient pas été posées antérieurement, soumises a des ttaitements a vocation confinnative. complétées par de nouveaux recueils: il y a bien la construction, non seioo l' arbitraire d 'une théorie mais selon la rigueur d' un raisonnement probatoire.

La seconde stratégie, a 1 'ceuvre dans les trois autres textes admet également des variantes. Elle procede cependant sur le plan de la justification selon une logique commune articulant trois aspects: la ntise en évidence de l' insuffisance empirique de la proposition contestée p ; la démonstration de la plus grande richesse sémantique de la proposition altemative p' ; l' établisse­ment de la plus grande vraisemblance de p' que de p.

24. Emite Durkheim, Les f~8Jes de la méthode sodologique, op. I.:it., p. 130. 25. Ce. supra, note 6.

La dialectique de la preuve 205

Daos son premier aspect cene stratégie utilise rigoureusement la meme logique que la précédente : p rend mal compte de t el ne rend pas compte de e' - quand elle n' est pas en contradiction avec lui -: l'idée du complot antisémite oe rend pas compte de toute la richesse thématique de la mmeur (salons d'essayage, drogue, souterrains, traite des blanches) que I'on retrouve par contre dans la rumeur similaire qui éclate a Amiens neuf mols plus tard ainsi que dans les formes plus diffuses que prend le theme de la traite des blanches"; la mese de l' accumulation primitive du capital ne rend pas compte du développement de l'esprit du capitalisme dans la Pennsylvannie sauvage du XVlll' sie­ele et de son rejet dans la ricbe Florence du xv< sieele"; les machines textiles du XVll1e si~le utilisent encore des sources d'énergie narurelle O'homme, I'eau) et il faut attendre la machine II vapeur a double effet de Wan (1884) pour que celle-ci intervienne a son tour dans la révolution industrielle"'. Par contre \es deux mouvements suivants distinguent cette seconde stratégie-: Ieur caractéristique commune est de délaisser la preuve expérimentale au profit d'une preuve par la pertinence. Celle-ci recourt au déploiement de la capacité explicative du scheme dontinant et ¡¡ son aptitude ¡¡ saisir l' objet dans l' unité principielle de ses manifestations phénoménales : le modele de connaissance est celui d'une saisie de ressence. Mais cette demiere n'est rien d'autre que l'objectivation du priocipe de rationalité • l'reuvre dans le scheme: Marx ne saisit pas l' essence du machinisme industriel mais fait de la logique dialectique de déploiement d'une forme le principe de son intelligibilité; Weber construit l'idéaltype de l'esprit du capitalisme a partir d'une typologie des formes de rationalité, permettant de compreodre I'ethos capitaliste comme un comportement rationnel en valeur; Edgar MoriD saisit derriere les discours de la rumeur l'interférence de deux mythes - UD

mythe féminin moderne et un mythe antijuif archai'que - dont l'organisation thématique et le jeu des significations, institués eornme signifié du matériel empirique, permenent simultanément une interprétation psychanalytique. Le ressort de la justification est alors la force explicative du scheme: pour que la rigueur

26. Claude Fischer, La Tumeur d'Amiens, in Edgar Morin, Lo rumeur d'OrUans, op. cit.

27. Max Weber, L'éthique protestante el I'esprit du capitalisme, p.54, 79. 28. Karl Marx, Le capital, Livre l. tome l. p. 63.

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analytique de son déploiement et la richesse de significations de son noyau valent comme preuve il suffit qu'il ne soit pas en contradiction avec les faits.

Mais ces deux stratégies de confirmation ou ces deux régimesi ~ . de la preuve ne retrouvent - ils pas l'opposition recusée plus,', haut entre sciences de la nature el sciences anthroposociales?: i:: Instaurer iI ce niveau une ligne de démarcation n 'équivaut-il pas" : selon le point de vue défendu, a rejetter la seconde eatégoric," daos la non-science ou a en faire a l' inverse le Heu d' une, '¡ 1

irreductible spécificité? , Le dualisme est effectivement retrouvé. U n'est pas légitimé.

Il faudrait pour cela que l' on ait affaire ~ deux formes rddicalement différentes de confirmation. Or il n'en est pas ainsi.

La premiere stratégie bien que réalisant un modele expérimental , n 'utilise pas comme seul critere la confilmation expérimentale.'

Elle met également en a:uvre, dans tous \es eas, un modele de ' rationalité, qui ne se réduit pas a l' exigence logique do contrille, ' maio postule une capacité anlhropologique de compréhension: la norme wébérienne de la double adéquation, signifieative et caugale, 00, en un langage proche, comprehensive et expérimentale; y est effectivement a I'a:uvre: lorsque Durkheim passe de la relation générique entre suicide et antécédents a la relation spécifique concernant les modalités de suicide - noyade, peodaison, arme a feu ... - il récuse la erédibilité de la mese de I'hérédité au profit de celle de la contagion par I'exemple. Il applique ainsi un,modele d'intelligibilité sous-jacent désignant le mode de suicide ' comme une realité signifiante dont ne peul rendre eompte une causalité aveugle du type de celle de I 'hérédité. De la meme maniere la structure quadratique de, la parenté mise en évidence par Lévi-Strauss n'atte¡ot pas seulement le mode de fonctionnement de la parenté primitive : elle pennet de saisirla realité symbolique de relations qui ne prolongent pas l' exigenee biologique de la reproduction, mais instaurent, précisément dans la rupture ave.: ceUes-ci, le .egue de la culture" : le modele asseoit sa pertinenee explicative sur une intelligence, de la culture comme regle, dont celle de la prohibition de I'inceste apparatt eomme le paradigme.

Symétriquemenl, la seeonde stratégie, plus proche du modele philosophique que du modele expérimental, soumet les faits a un

29, Claude Lévi-Strauss, Anthropologie structul'ole. op. cit., p.62.

La dialectique de la preuve

traitement qui n 'est pas de simple ilIustration ou de limpie évocation: Marx et Weber sollieitent des données hislOrlqllll pour réfuter la these adverse; Edgar Morin entreprend un recu,U d'infonnations et de témoignages qui, pour I!tre extérieur au canon de l' enqu6te standard, manifesle eependant un rapport détermin6 a l'empirie. On ne peuI done pas dire qu'il y ait la une logique de restrietion de la validité empirique au profit de la pertinence théorique. Celle-ei esl certes considérée comme le support de l 'inleUigibilité, mais est soumise a une norme de contrille empirique réelle, bien qu' affaiblie: l' accord positif avec les faits est le garant d'une vraisemblance qu'aucune mise ill'épreuve systémati­que ne cherche cependant a consolider.

Au \ieu done d' opposer deux regimes antagoniques de la preuve ces analyses nous paraissent bien plutOI manifester deux poles au sein d' un espace commun de négociation entre rationalité, sens, et empil·ie. Celui-ei traite la relation p::: e ~d(e) selon un gradient O" i1 est possible - en premiere analyse - de repérer cinq positions :

1/ p' est plus pertinent que p et pennet de rendre compte de phénomenes inaceessibles iI p. Dans ce cas, ce sont moins p el P'. c"est a dire des propositions explicatives. qui sonl confrontées. que les engagements ontologiques et épistémiques auxquels Us sont associés.

21 p' s'accorde avec e mieux que p. en ce qu'il permet I 'intégration empirique des donoées (e) sur lesquelles s'appuyait p el de données que ne pouvait prendre en compte eette demiere (e').

3 / p' resulte de la falsification de p ; eelle-ci s' opere par une révision systématique des données pennettant. a partir du nouveau contexte empirique eonstitué (e + e'), d'invalider p et de poser eomme hypothese alternative p'.

4/ p' resulte de la falsifieation de p selon la meme logique que précédemment; mais elle est soomise iI une procédure de modélisation permettant une mise iI l' épreuve par les consé­quenees : les états de réalité prévus par le modele sont confrontés directement ou par simulation avec les fails.

5/ p' est un modele établi et vérifié selon la procédure précédente. II est soumis iI falsification systérnatique par confrunta­tion avec des états de realité divers, sensés Ctre expliqués par lui. mais non pos en compte daos les données initiaIes.

Entre ces positions il n'y a pas - quant au mode fondamental

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208 L' intelligence du social

de justification - solution de continuité mais progression au sein d'uo meme espace. Cenes, seIoo une logique que nous avons déja décrite, les oppositions entre theses refutées et soutenues peuvent etre mises en scene de diverses fa~ons et s'accompagner de iugements de valeur divers: cet espace, qui eorrespond en seiences sociales au plan xy de Gérald Holton (ef. supra, p. 151), est pennéable aux divers investissements syrnboliques et notam­ment aux grandes oppositionstMmatiques. Cependant il noos semble bien qu's panir du moment 00 l'on passe de la profession de foi a l' analyse empirique il fonetionne selon un continuum que l' on pourrait décrire comme se déployant entre les deux axes de la pertinence explicative et de la validité empirique : la position I caractérise assez bien les moments de rupture d' intelligibilité. Les, oppositions sont en' général dramatisées et les investissements syrnboliques privilégiés : le développement de l' ethnométhodologie etcenaines modalités de 8ft réception en sont un exemple recento Cetteposition nécessite cependant le passage au point 2 des qu' elle donne lieu a investigation empirique. A l' autre extreme la poaition 5 de mise s l' épreuve systématique nous parait - sous réserve de plus amples recberches - tres exceptionnelle en sciences sociales. Car cela y implique de resoudre le probleme excessive­ment délicatde la comparaison de données nationales multiples"'. Soit le schéma suivant:

!ptrtln8nce) • Risque d. be..... 11' -,,' la mMop/IyIiqu, ~

1 't I I 1 1 I I

o

151 1 ____ -----; ______________ ~++ IvalKltté ampiriquel

Rilque di buc:ul. uns le tec:hnic:iame vide

30. Durkhcim faisait de la comparaison des di ... erses fonnes prises par une méme instilution au sein de sociétés d'une m~me espece le second mode d'application de la méthode expérimentale aux faits sociaux (Regles. chapitre VI). Depuis les chercheurs oot dO. affronler la question préalBble du mode de

La dialectique de la preuve

QueHes que soien! les limites inhérentes a une teHe représenta­tion, elle a le mérite de mieux faire saisir le mode de fonetionno­ment interne de la preuve en sciences sociales que personne mieux que Max Weber n' avait pressenti et dont le texte de Merton cité en introduction se faisait indirectement l' écho: les sciences sociales sont toujours menacées a leurs bornes paree qu 'H Ieur faul associer deux exigences, non forcément contradic­toires. mais difficiles a intégi"er : celle de construire des explications pertinentes. c'est-a-dire en congruence avec un domaine irréducti­ble s un mode d'intellígibilité unique, et valides, c'est-a-dire soumises aux criteres scientifiques du controle empirique. n est certain que pres de chaque axe il est aisé de basculer, daos la métaphysique ou dans le technicisme vide, et qu' au centre metne de l' espace rien - nous l' avons vu daos les chapitres précédents - oe prémunit contre les dérapages insidieux.

Il suffit eependant que des stratégies de la preuve soienl attestées et reconnues pour refuter les arguments 1 et 3 presenté. antérieurement: l' argument 1 de la nécessaire intégration de p dans une ontologie, consiste A hypoatasier l' engageroent anthropo­logique associé a l' exigence de comprehension et a méconnaitre le travail empirique de construction de e. A l' ¡overse 1'exigence de comprehension ne pose que la nécessité d 'une compatibilité générique de I'hypothese avec la realité historique et symbolique du social; elle n' implique aucun engagement ontologique et épistémique spécifique accordant h l'hypothese une valeur par

détermioalioo des éléments III comparer. Le mode de délimitation des unit6.s statistiques, l'aire sémantique des ítem, la pertinence des ciblages institutionnels peuvent vaner considérablement d'un pByS lIIl·autre. au poinl que toute comparaison nécessite ,un tra"ail antérieur parfois insurmontable de critique des donn6es. Lorsque cé:lui-ci .,.'clt pas fOOl, comme souvent daos les statistiques internationaleS, la signification des karts repéJis reste toujours difficile III ~terminer. Bien plus iI est possibl,e de soutenir que toute société constitue un construit sociétal spécifique et possCde une individualité historique qui seule dorine un seos foo aux p~norit~nes qui s'y d&oulent. Les divers données et indicateurs ne peuvent plus alors ene l' objet de comparaisoRs tenne lII. tenne, mais doivent etre apprébendés l ttavers la médiation de ce cooslruit spécifique qui leur donne sens: ainsi les chiffres respectifs de la scolarisation dans I'enseignement professionnel en France el en Allemagne. ne prcnnent Se~ que par la reoonn~8sance de la différence de statut socia), professfonnel et symbolique qUe chacun de ces pays associe a ce type d'enseignement. Ce point de vue esl notammcnt dtveloppé dans l'étude de Marc Maurice. Franyois Sellier el Jean-Jacques Silvestre, Politique d'ldIlcat;on e' organisation indu$,rielle en France el en Allemagne, Paris, PUF, 1982. Sur les prob~mes de la comparaison en sciences sociales on pourra consulter un recenaemenl déja ancien mais systématique: Robert M. Marssh. Con).parative sociology, 1950-1963, Cun'ent SoCi%gy, "01. XIV, n" 2. 1966, el une approcbe a la fois plus large et plus critique: Giovanni BUlino, La comparaiaon en sciences humaines el sociales, Rel'ue Europ~enne des sciences socia/es, t. XXIV, n° 72.1986.

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soí qui la dispenserait d'un accord avec les faits. C'est la pasition adoptée en général par les auteu"" impliquant non seulement une stratégie de justification empirique - comme nous venons de le voir - mais également souvent une appréciation prudente du, niveau de validité atteint:« Est-il néce.'lSaire de protester que ,: fiotee dessein n' est nullement de substituer a une interprétatíon causale .exclusivernent .. matérialiste ", une interpretatíon spiritu84

liste de la civilisation et de l'histoire qui ne serait pas moins unilatérale ,7 Toutes deux appartiennent au domaine du possible » (Max Weber, p.252). «Avons-nous évité d'inoculer de quelque f~on hystérique nos propres fantasmes 7 Avons-nous évité de privilégier tel ou tel témoignage qui nous convenait? Avons­nous évité de suivre la peote d'une rationalisation qui nous semblait larationalité meme 7» (Edgar Morin, p. 116). Meme si toute rhétorique n'est pas absente d'exercices autocritiques de ce type, il. n 'en ilJusteent pas moin. la tension reconnue du sens et de la preuve et la valeur attribuée a leur réunion.

Bien que miroir déformé de \' argument 1 - les constructions en sciences sociales se ramenent a l' expression déguisée d 'un contexte de production idéologique et fantasmatique - I'argument·' 3 y ajoute un discrédit sans appel du travail empirique. Subordonné et méconnu dan. le cas précédent il est ici en outre radicalemenl· disqualifié. Les spécificités et la fragilité du fail en sciences sociales - renvoyant toujours peu ou prou a l'arbitraire des catégories' d'enregistrement contruites - autorisent une critique dont 1e radica­lisme fait bon marché du travail probatoire mené sur les données empiriques : cbacune des positions présentées plus haut implique confrontation - et donc mise en perspective critique - de {e} et, de d(e): l'uruversde propositions empiriques {e} que mobilise une explication déterminée, est 11 chaque fois confronté a I'uruvers des données disponfbles d( e) et de leurs traductions en propositions . empiriques. Que ce travail puisse étre plus ou moins bien fait est. une chose. Qué les données soient constiuites et comme telles ne puissenl prétendre au statut de reflet du réel en est une autre. Ni l'une ni I'autre ne caractérisent en propre les sciences sociales. Par- contre. que se constitue un espace de confrontation entre des propositions explicatives et des propositions descriplives, aboulissant 11 juger les premieres a partir. des secondes, manifesle la présence d'un travail probatoire qu'il faul déconstruire et critiquer in aclu si l' on prétend en contester la validité.

La d;alectique de la preuve 211

La preuve en acre." aporie d' une narme commune de confronta­tion ?

L' existence de procédures internes de confmnation incluses dans un espace commun de la preuve n 'infirme cependant pas l' argumenl d' incornmensurabilité. 1\ tendrait meme 11 le renforcer chacune des positions de ce! espace pouvant apparaitre associ~ a un langage déterminé. Le probleme est alors celu; des modalités de confróntation de Ihéories portanl sur un meme objet et usant de programmes d'analyse différents.

Soient deux Ihéories T et T' de ce lype. Dans le Iangage habituel des stiences sociales, on dira qu'elles se réclament d'une approche, d'une macro-Ihéorie ou d'un paradigme spécifiques. Elles utiliseronl également - selon toute probabilité - une stratégie de la preuve différente. Si au Iieu de coexister pacifiquement -chacun est libre de son appartenance paradigmatique - T et T' engagent le fer, le probleme posé sera celui de leur aptitude différentielle i\ rendre compre de I'obje!. Imaginons que sur le plan de la preuve, les propositions explicatives associées a T et T' (p et p') rendent compte I'une de e + e', l'autre de e + e" : les bases empiriques de chaque explicalion se recoupent sans que I'une n'englobe I'aulre. Quel critere d'évaluation adoptera-t-on? Celui de la qualité de la preuve ? Si T occupe la position 2 et T' la position 5 sur I'échelle décrite ci-dessus en conc1ura-I-on que T' rend mieux compte des faits que T? On risque ainsi de faire bon marché de la pertinence de l' explication. Le probleme reside done dans la possibilité d' établir un critere comparatif prenant en compre les deux dimensions simultanément. Les sciences sociales, en roccurrence la sociologie. en ont-elles d'une maniere ou d'une autre établi un ?

Un balayage rapide du champ de la sociologie invite a une réponse négative: considéÍ'ée d'un point de vue global ene ne manifeste aueune nonne cornmune implicite ou explicite de confrontation des divers trav3UX. On y constate~ au gré des auteurs, des revues, des traditions nationales, des époques, des couranls de pensée, de multiples modalités de description et d'analyse des recherches sociologiques: elles peuvent mettre l' acceDt sur les

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212 L' intelligence du social

auteurs31 , sur les concepts fondamentau~?\ sur les paradigmes33, sur les écoles nationalesl4

• sur les champs el sous-champs", sur les méthodes"') ... jamais sur un principe de validilé comparative. TOUI se passe comme si la these de I 'incommensurabilité étail la Dorme de fonctionnement spontanément reconnue.

Il esl cependanl nécessaire d' aller plus loin. Des éludes de ce lype sonl contraintes a une exigence de recension oU le souci de donner droil de cité a la diversité des travaux l' emporte sur celui d' élaborer une norme systématique de confrontalion. De plus, mSme lorsqu'il .'agil d'opérer une leclure critique de l'hiswire de la discipline", d'autres dimensions que celles de la validité el de la pertinence comparées de. théories peuvenl etre légilimemenl privilégiées. Inversemenl les polémiques scientifiques consacrées, non pas a~x engagements épistémiques mais au crédit a accorder a telle ou lelle ,explication concemenl direclemenl ce probleme.

31. Le prototypc de cette approche reste ceUe de Raymond ArOfl. Les étapes de la pensée sociologique,- pans. Gallimard, 1967.

32. 'L'exemp1e nous scmble -etrc la donM par l'ouvrage de Robert A. Nisbet, La tradition socioJogique, Paris, PUF, 1984-. Mais il l'est également - bien qu'n s'agisse d'un genre particulier - par certains dictionnair'cs critiques. tel celui de"_f Raymond Boudon el F~is Bourricaud. Dicl;onnaire crifique de la sociologie, Paria. PUF, 1982.

33. Les recensions en termes de paradigmes (entendus au sens assez l&che habilUel) sont les plus r&:entes. On peut ainsi ranger partiellement dans cette rubrique Tom Bottomore el Robert Nisbet. A Histol'Y 01 sodoJog~al Q,,!,IY$i~.' Londres Heirunann 1979· ou Jean-Pierre Durand el Robert Wetl SoclOlogu~ -contemPoraine, P~. Vig~. 1989. - .

34. Les écoles nationales constituent un mode de découpage que I'on lrouve· fréquemment daos tes ann6es 40-30 : ainsi Annand _Cuvillier. Manuel de soci%gie. tome 1, Paris, PUF, 1950. et surtout Georges Ourvitch et Wilbert E. Moore. La sociologie au XX" siecle, tome 2, pans. PUF, 1947. La Itvue Currert1 Sociology, orpne de l' Association intemationa1e de Sociologie depuis trente-six ans,.consacre r6gulierement certains de ses_ numéros au bilan d'une sociologie natio~e. ~ . exemple: « Sociological studies in Japan _, n" 24. l. 1976; « Scandínavlan SociologY)l>, n~ 23, 1, 1977; «Trends in lodian Sociology », n° 25, 3, 1971, « Sociology in the USSR ». n° 26, 2, 1978 ... 11 est vrai qu'iI s'agit alars de pays moios connus ou dont la lradition sociologique est plus recente.

35. Le découpage en champs est le plus ancien. 11 remonte en fait • L' Année sociologique et se retrouve tout au long de I'histoire de la discipline. 11 subit par contre l'évolution de cette demi~re: le~ c1.us~fications se. transforment. se spécifient, s'incament daos des découpages InstItUuonnels, exhlbent des espaces intennédiaires ou des lignes de traveTSe. Deux exemples recenlS en France: lean Pierre Dunmd el Roger Weil, Soci%gie contemporaine, op. cit. ; Hcnri ~endras el Michel Verret. Les champs de la sociologiefranfaise, Paris. Am:'and Colu:. 1988.

36. La maison d'édition anglaise Sage Publications a conshtué depUlS 1976 deux collections spkialis6es dans l'étude syst&natique el détaill6e des mt.thodes utilisées en sciences sociales: • Quantilalive Applications in the Social Sciences 11' •

el «Qualitative Reasearch Methods ~. 37. Comme c'est le cas par ex.emple des deux ouvrages de Nisbel cités ci-dessus.

La dialectique de la preuve 213

La longue controverse sur les rapports entre protestantisme el capitalisme que suscita I'élude de Weber donna lieu a troi. arguments majeurs d'invalidation3&:

a I Les traits propres ~ l' espril du capitalisme ne sont pas spé­cifiquemenlliés au protestantisme : on les trouve égalemenl dans le catholicisme el le judaisme, ainsi que dans la pensée politique de la Renaissance.

b I Divers contre-exemples hisloriques indiquenl que le capita­lisme a pu ne pas se développer la ou le calvinisme étail dominanl (Ecosse), prospérer la ou il étail absenl (Belgique), etre sans lien direct avec lui (Rhénanie, Hongrie, France, el surtoul Geneve).

e I Le capitalisme moderne s' esl développé des le Moyen Age el a prospéré, avanlla Réforme, notammenl dans la tres catholique FIorence. e'est done tui qui a fait évoluer les religions et non I'inverse.

Chaque argumenl synthélise un nombre déterminé de faits considérés comme contradicWires avec la these de Weber. 11 se situe done dans un espace d'invalidation et non de eonfrontation. Au lieu que soil posé le probleme de la validité différentielle de deux théories différentes portanl sur des aires empiriques sécantes (T rend comple de e + e', T' de e + e' '), on tend a prouver I'une aux dépensde I'autre. Or, ce faisanl, on nie la spécificité explicative des théories.

Ramenons, pour en simplifier la structure logique, le débal a deux positions: celle de Weber d'une parl, celle qu'illustre le troisieme argument d'autre part el que soutinl, par exemple, H. M. Robertson: «L'espril du capitalisme esl né du capitalisme lui­meme ( ... ) le capitaiisme a créé ou a trouvé déja existanl son propre espril el mis les Eglises devanlla nécessité de I'assimiler'" ". Apparemment l' opposition ne coneeme que le sens de la relation entre prolestanlisme el capitalisme: lequel procede de l' autre ? Le fail de la relation esl diversemenl relativisé (arguments I el 2), mais il n'esl pas nié. Or, si une struclUre explicative esl du lype A P B (cf. supra, p,4O), la réfuter implique deux opéralions successives: 1) montrer qu 'il n'y a aueune relation effective entre

38. 11 est possible de s'en faire une ¡die relativement prttise grAce l I'étude el au recueil de textes présentés par Philippe Besnard, Protestantisme el capitalisme, PaTis, Armand Colin, 1970.

39. H. M. Robertson. Aspects 01 ,he Rise 01 Economic Individualism. A criticism 01 Max Weber and hís school, Londres, Cambridge University Press, 1933, trad. in Philippe Besnard, op. cit .• p. 241, 245.

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214 L' intel/igence du social-.

A et B; 2) si tel o'esl pos le cas, mootrer que la relatioo explicative p n ~est pas pertinente.

Des arguments de la controverse seul le premier se situe waWl,lf

le cadre de la structure explicative mise eo place par Weber el eocore o'eo atteinl-i1 pos le "",ur. CeUe-ci, eo effe!. o'est causale mais actancieUe: le protestantisme o' est pas pour W ... "" .. ~,1 uo facteur sans lequel le capitalisme o' aurait pu se dével.opp<1lr".J1 seloo le scheme B = j{A); iI esl uoe éthique, le modele matrice d'un ethos nouveau dont on trouve le reDet larcisé dans 'l: 1 'esprit du capitalisme. C'est la coojonction de la nouvelle impliquée par cet eth",s - qui tranSforme le sens l' acteur atlribue al' activi~ économique et au profit - et d' élémentS structurels et juridiques détermioés qui explique le , .' du capitalisme moderne. Réfuter rigoureusemenl Weber imp/iqutr:j done de se situer ti ce níveau en établissant que cetle rationa¡;~, n' esl ni un trait spécifique au capila/isme moderne ni un élémenl décisif de son essor. De fait la liaison eotre cette rati",naIité el 1 'éthique protestante, bieo que constituant I'esseotiel de la démoos-.';¡ tration et de I'intérét sociologique de Max Weber, n'implique!. aucune oécessité causale : le role formateur de l' éthique protestante:o . peut etre inhibé par d'autres éléments ; une formati",o ioteUeetuélle'\ substitutive ou décalée peut avoir ailleurs rempli le meme office'". Ceei dénie a l' argumeot b sa valeur réfutalrice : les données qu' il } recouvre sont intégrables au prix de faibles correctifs dans l' explication wébérienne.

Le troisieme argument ramene dooc le probleme de la perti­oeoce différentielle de deux modeles explicatifs différents 11 l' alternative l"'gique du vrai et du faux: il traduit le scl1eme actanciel wébérien eo un scheme causal et lui applique les normes de falsification propres a ce demier: la relati",o A - B est-elle authentique (n'est-elle pas I'effet d'une autre relation plus fonda­mentale) ? A précMe-t-il bieo B ? A et B sont-ils c\airement identifiés? L'absence d'une norme de wnfrootation différentieUe procede donc ici d 'une méwnnaissance de l' espace de la preuve en sciences sociales. Le rapport entre théories alternatives sur un meme objet, bien loin de susciter une problématique d' évaluation plurielle, est pensé sur le mode traditi",nnel du tiers exelu: si T

40. C'est le cas de la Norvege, décrit par Christen T. Jonassen, 1be Protestant Elhic and the Spirit of Capitalism in Norway, AmE"ricatr Sociological Review, 12,6, 1947.

La dialectique de la preuve 215

et T' préteodent rendre compte de la meme aire empmque ou d' aires empiriques sécantes, ou eUes sont réductibles l' une • I'autre ou eUes sont contradictoires. Bien loio d'inviter a probléma­tiser les eriteres de confrontation des théories, cette logique disj",nctive aboutit a un déni brutal de l' approche adverse: contestant les wrrélations initiales entre protestantisme et capilaiis­me et s'attaquant a la méthodologie des types idéaux Kurt Samuel­son iIIustre au mieux ceUe attitude: «L' arbitraire total de cette teehnique d' acc",uplement, de mise eo wrrélation de phén",mCnes aussi peu défiois et en vérité indéfmissables devrait etre évident 11 quiwoque", et, un peu plus I",in: «D'une maniere générale, c'esl une entreprise sans espoir que d'essayer d'isoler un facteur particulier, m&ne daos une série limitée d'événements, daos un pays déterminé et sur une courte période, af'm d'évaluer le <legré de H corrélation" ou de .~ covariation " de cel élémenl avec le processus général dont il fait partie. »"

La eontroverse wébérienne, donl nous sornmes loiD d'avoir relenn toute la complexité"2

, apporte done une réponse négative a notre question. Elle ne manifeste pas le souci que se dégage une norme d'évaluation capable d'interroger le pouvoir explicatif différentiel de deux théories différentes reconnues également valides. Elle SOUnlet fa l'inverse cette eoexistence aux vieux principes de la contradiction et du tiers exclu: soit T, soit T'.

Différent mais proche est I'éclairage que peut fournir la CORtro­verse a laquelle donna lieu Le Suicide. A cóté d'entreprises de rectification ou de corroboration suscitées par des données nou­velles, c' est la légitimité meme de l' approche qui fut contestée. Jack D. DOuglas, dans une étude célebre", s'est attaché iI démontrer que les statistiques sur lesquelles s'appuie I'analyse soot par nature biaisées : les défmitions de ce qu'i} convient d'enregistrer eornme «suicide» 001 varié selon les pays el les périodes. el les déclarations par les particuliers tendent diversement a dissimuler

41. Kuri Samuelson, Religion and Economic Action, New York. Basic Books 1961, trad. in Philippe Besnard, op. dI., p.307. '

42. Philippe B~nard recense, en 1970, 163 textes consacres a la controverse poslMw~~enne. dont 74 directement centrés sur les rapports entre protestantisme et c8pnahsme. On ne peut que renvoyer k sa longue introduclion et souhaitér son actualisation: un article récenl, paro dans The Bri,ish Journul 01 Sodology vol. XXXIX, n" 2, 1988, atteste de la pennanence du <Ubat: Malcolm H. Ma~ KUnnon, 1: «Calvinism and the infallible assurance of grace »,. n: f( Weber's exploration of Calvinism ». .

43. Jack Douglas. The social meanillgs nI suicide, Princeton Princeton University Press, 1967. '

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216 L' intelligence du sodal

les morts volon1aÍres selon leur groupe d' appartenance. De tel., arguments, tendant ~ nier toute pertinence aux différences de taux constatées, constituent en tant que tels un objet de, débat, et peuvent etre a leur tour contestés". Plus signiflcativenous paraU etre I'attilude de lean Baechler: s'il consacre quatre pages a ' exposer les theses du SuicÍ<k (ce qui esl assez peu, constate Philippe Besnard") el douze a resumer la critique de Douglas. c~est nous semble-t-il par un sacrifice explicite? quoique mesuré,-~ aux regles académique..Car la position de lean Baechler tienl' dans un engagement thematique, presenté comme un aveu, et " dans un fait corrolaire d' invalidation de la pertinence de toute, approche statistique:« U me faut confesser que, des l' abord, la théorie durkheimienne, 10in de me convaincre9 m'a paro comique .:. ( ... ); ceUC f~ d'hypostasier la société et d'en faire la oource,'; de tous les phénomeneo sociaux me semble purement verbale el", de valeur explicative ~ peu pres nulle. ,,". «Si I'on COrlllent, un" instant", ~ échapper au charme que diotille la virtuosité de la démOrtllttation de DurkheiJil, on De manquera pas d'(\tre frappé par la disproportion insoutenable entre les fsits et les causes '. alléguées. Voici un cas entre de. mi\liers possible •. 11 s' agit d 'un ' ieune Noir habitant Harlem et qui a tenté de se tuero Le pere., est mort, toé par la police, sous les yeux de SOn fils ... " (p. 36). DartlI l' espace défini par les axes de la pertinence et de la; validation, lean Baechler établit Durkheim du coté d'uDe preuve totalement dénuée de senS.

A la différence de la polémique associée a L' éthique, I'opposi- , tion entre modeles d'inteUigibilité se donne ici en toute c\arté. Le fsit qu' oppose lean Baecbler iI Durkheim - le suicide du,' jeune Noir - n'a pas du tout la mame fonction que ceux invoqués' . dans la contrOverse wébérienne: il ne s'agit pas la d'invalider la proposition explicative décisive A p B, en montrant qu'a A -> B . il faut substituer B -> A, mai. de conteSter la pertinence, meme de la relation p quant a la saisie du phénomene B. La reconnaissance de la diversité des schemes d' inteUigibilité

44. Philippe Beanaid.. Anti- ou an~-d:urkheimismc." ContribU:tion !lu débal sur les ~Itiques officieUes du suicide. Revue franfalse de socwlQgle. XVII. 2. 1976 rcprend point- par poim les critiques de Douglas pour les meltre 8. l'épreuve du te~te de Durkheim. tandis que Dominique Merilié, Le suicide ~ ses statisti,.~ : Durkbeim et SR postérité. Rev~ ph;losophir!"~ o· 3. 19~7: lnterroge 1 enJeU .i épistimologique de la controverse sur les Stattshques du SUICide.

45. Arucle cité. p.314. . 46. lean Baechler. Les sujcides. Paris. Ed. Calman-Lévy. 1975. p.26.

La dialectique de la preuve 217

n'entrafne par contre pas davantage )a mise en reuvre d'une procédure de confrontation réglée et aboutit tout autanl, mais par d? autres voies a un verdict d' invalidation.

On pourrait également mobiliser d' autres faits : avec le dévelop­pement des sciences sociales. l'ouverture aux diverses traditions nationales, les importations paradigmatiques d'un champ A 1 'autre, coexistent de plus en plus dans un mame domaine et au mSme moment des théories relevant de modes d'intelligibilité différents: théories étiologiques, fonctionnalistes, interactionnistes, de la déIin­quance; théories marxistes, structuro-fonctionnalistes, sémiologi­ques, herméneutiques, de la ville et du développement urbain; théories structuro-fonctionnalistes ou actancieUes des ehemine­ments scolaires et de leur issue socioprofessionnelle... Cette eoexistence implique dans les divers charilps un univers empiriqne pluriel servant diversement de reférent iI des propositions explica­tives relevant de prograrnmes variés. Dans l' activité des domaines concernés la contrOverse laisse souvent la place aune acceptation realiste du droit de cbacun al' existence et a une ignorance mutuelle de l'autre. Dans le ieu sériel des eornmunications qu'i1s organisent, les colloques expriment bien ceue copresencé de paroles qui se méeonnsissent et que des theses scrupuleuses détailleront dartll leur rituel d' ouverture.

lncommensurabilité et comparativité

Refus et tentatives d' invalidation, Tejet. ignotance mutuelle. ces diverses attitudes manifestent a l'évidence l'inexistence d'un eritere quelcooque d'analyse comparative de la capacité explicative diffé­rentielle de théories relevant de schemes différents. La dialectique de la preuve que cela impliquerait semble se resumer aux positions altematives du rejet ou de la tolérance. Mais cette situation releve­I -elle de la réalité épistémique ou de la nature politique du pluralisme? Renvoie-t-elle a 1 'impossibilité logique d'instaurer un dialogue entre tenants de schemes différents - argumenl de l' ineom­mensurabilité - ou a la difficulté de gérer la eoexistence, au sein d 'une m~me communauté professionnelle. de groupes de pairs se réclamant d' engagements fondamentaux différents?

Sur le plan logique, la question peut se formuler ainsi: a quelles conditions une théorie est-elle refutable en seiences

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218 L' intelligence du social _-.

sociales 7 La réponse impose la prise en comple des deux ni"MuX! du rapport aux fails :

(1) p = e (2) A P B :: x r y

Le niveau (2)décompose le niveau (1): il exprime le que la théorie associe des entilés oudes conceplS (A e.t B) .al._",·', une relation explicative spécifique (p), et que, parallClemenl, données empiriques se presentenl sous forme de rapports détermi. nés (r) entre éléments relenus (x, y).

Confronter p el e se resume alors aux cas suivants: l/Critique de la pertinence des données (xy) par rapport aux L

concepls avancés (AB) : elle peUI 8tre méthodologique (choix des'" :. indicateurs, constructions des données)ou Ihéorique. Dans~j second cas elle postule souvent I'irréductibililé du concept a tout.; référent empirique adéquat el rejoinl ainsi le premier argumenl,':: d'invalidatión de la preuve présenté plus haul (p. 190). Crilique,.'· de fail, dans le premier cas, de drnil, dans le second, elle aboutii" a dénier \OUI intérel a la coonaissance p :: e.

2/ Réfutation de l'exislenced'un lien enlre A el B. Les données auxquelleson peUI confronler p morltrenl soil que A est·: une entité fumeuse, soil que A peUI se ramener a un antre élémenl' avec lequel il esl lié, soil, enfin, que l' on peul Irouver des situations ou A coexiste avec non B et d' autres ou B coexiste avec non A: la réfutalion, dans nos textes de référence, des Iheses du complot antijuif, de l'action spécifique de l'hérédité sur le suicide" et de l'explication de la relation avunculaire par le mode de filiation illustre respectivemenl chacon de ces caso

3 I Passer victorieusement les deux premieres épreuves ne dispense pas d'une troisieme: la relation explicative p avancée pour rendre eompte du rapport entre A el B esl-elle eohérente avec les relations empiriques x r y? Si, eorome nous l'avons vu plus haut (p. 109), íl esl loujours possible de réduire l'écart au moyen de. traductions adéquates, encore faul-il se donoer la peine de le faire sous peine de lomber daos un usage rhétorique que nous avons dénoncé (p. 133) et ou les failS ne sonl plus que pretextes au déploiemenl au!onome d'une expliealion formelle.

4/ La cohérence de la relation explicative p aux failS avancé. étant établie, reste enfio une demiere question: esl-ce que les données exislantes ou d' aulres données complémenlaires ne sugge-

La dialectique de la -preuve 219

renl pas l'intérét plus graod d'une autre explication ? Nous sornmes la, tres précisémenl, au ereur du probleme : p n' esl pas réfulable, mais p' parait digne de lui atre opposée. Comrnenl penser eel intérel différentiel de p' par rapport a p?

L'argumenl d'incommensurabilité pose I'impossibililé d'une lelle entreprise. Son poinl fort réside dans I'idée que les failS sont eux-mentes strueturés par le langage auquel ils réferenl, el qu'il ne leur esl done pas possible de lrancher. Or nous sommes eoofrontés a des situations 01'1, a l'inverse, il y a toujours une base empírique partiellement commune : nous avons vu plus haut (p. 110) que le mame fail - la relation entre origine sociale el position scolaíre - pouvait donoer lieu a trois explications différen­tes, privilégianl chacune un scheme d' inlelligibilité délerminé. La comparaison est done possible. Mais elle est particulierement délicale : si un meme fail peul atre appréhendé selon des scbemes différents, la question de la « rneilleure explication» est partielle­ment indécidable sur le plan logique". Mis a part le cas d'invalida­tion décrit ci-dessus en 3, la suhstítution d'no scheme a un autre est toujours possihle. Le probleme est done celui du gain de connaissance ainsi obtenu. Mais celui-ci est difficile a évaluer. 11 peul s'agir d'une plus grande certilude, ou d'une plus grande pertinence. Dans tous les cas il ne peUI etre apprécié que si certitude et pertineoce soot elles-memes mises en question, interro­gées dans leur définition différentielle el référées a une problémati­que eommune de l'intelligence de I'objel. La reconnaissance du pluralisme explicatif esl la condition d'une telle entreprise : seute elle constitue l'intelligence du social cornme un probleme et non eornme la simple mise en reuvre d'un programme donné. Or les grands engagements épistémiques et ontologiques sont toujours préts 11 subsliluer a l'entreprise analytique et critique la certitude de leur implicite: la Ihéorie alternalive T' est rneilleure que la théorie initiale T paree qu? elle correspond mieux a ma conception du social el de sa connaissance. Le mérite de lean Baechler était d' exprimer toul haul, dans son déni de l' approche durkheimienne, ee présupposé Ihematique que bien peu .onl prels a reconnaitre.

Ce constal, eependanl, n'esl pas seulemenl négatif. Les tenta­tives d'invalidation d'une théorie au profit d'une autre modifieot l' exercice de la preuve. des lors que la théorie résiste et que la

47. Voir sur ce point Jean~Michel Berthelot, DiscOUTS sociologique el Jogique de la preuve. R('ch,rches socioJogiques, vol. XVI, n" 2. 1985, Louvain.

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220 L' intel/igence du

pluralité des schemes d'analyse entraine la coexistennlce:;d~:e~~~~:~~:,~: différentes. Opposer 11 une proposition des faits e en vue de l'invalider n'aura pas de pouvoir falsificateur si réfutation n'implique pas soit l'inanité de l'élément explicatif (la vertu donnitive de l'opium) soit l'absence totale de lien entre A et B: ainsi l'opposition. reprise si souvent par Weber, l' épanouissement de l' esprit do capitalisme dans le M'lSS:lChlu""'tl~);

sous-développé et de sa condamnation dans la riChen~~;::~:~l n' invalide pas, en fait, l'hypothese matérialiste, La these du rapport entre infrastructure el superstructure est une dialectique impliquant la posoibilité d 'effelS décalés dans le tenlf'S:l;Í. et l'espace, de fonnes inégales de développemenl, de bl'lCaMlIY-¡: divers, bref, de cas oU A el non B et oU B et non A,

ras plus réfutée par le développement de I' esprit du :~E:~:-:~ dans les colonies américaines que ne l' est la these par les retards du développement capitaliste dans la tres Geneve, Cependant, s'iI n 'y a pas invalidation, il y a affaib,lis,,,,-",, menL

Mai. cet affaibli.,..,ment n'est pas peu de chose, Sur le plan-,' logique il est lena:ud de l'articulation entre logique et dialeclique de la preuve el révele leurs modalités, La logique de la preuve," en fait, se resume aux deux cas évoqués a l'instant: on réfute A p B, en montrant soit l'inanité de A soit l'absencede lien entre A et B, Maio si le scheme utilisé implique la possibilité de situations oU A et B ne sont pas liés, la proposition n' est plus invalidée, BUeest cependant affaiblie en ce qu 'elle doit, si eUe veut garder son crédit,rendre compte de ces nouveaux faits, On paSi!Ie alors d'une logique linéaire (p -> e, non e -> non p'j'" 11 une logique dialectique ou le fait contradictoire non e, a la fois légitime une autre proposition explicative p', et invite a l'affinement de p pour qu'il indut non e. Cene logique est ouverte et arborescente: elle ne définit pas p' comme la contraire de p mais comme autre; elle n 'invalide pas P. mais la contraint a approfondir son mppon aux failS,

Cene situation iIlustre le double niveau logique de la confirma­tion en sciences sociales, Si les polémiques associées 11 L' éthique et au Suicide tendent a le dissimuler en transformant I'affaiblisse­meot d'une explication en invalidation d'nDe théorie générale ou

48. ectte logiquc cst cene du modus tollens sur lequel Popper ~tablit l'argument de la falsifiabilité (ef. supra, chapitre l. note 15).

La dialectique de la preuve 221

d'un mode d'intelligibilité, les auteurs les plus vigilants en son! conscients. La encare 1 'exemple vieot de Weber: il définit son interprétation comme simplement « possible» et appuyée sur des relations empiriques «indubitables » : il lui oppose la fabrication d'une .« constrUction fonnelle qui aurait déduit logiquement du rationalisme protestant tout ce qui caractérise la civilisation modeme »4~. De fait, seules des propositions explicatives spécifi­ques peuvent etre invalidées, Les propositions génémles et les théories qui les étayent peuvent etre affaiblies ou légitimées, non confinnées ou invalidées. Que sont alors des constructions intellec­tueHes visant a remire compre du réel sans pouvoir etre sanction­oées par l'expérience? Ou ce sont des philosophies, c'est-a-dire des visions du monde instaurées en raison~ ou ce sont des modeles d'intelligibilité, c'est-a-dire des cadres d'analyse et de recberche. A la différence des sciences physiques ou une thénrie est solidaire de ses eonséquences. les sciences sociales admettent une définition ambigue de la thénrie, oscillant entre le modele conceptuel de la philosophie el le modele propositionnel de la physique. Poor sortir _ de cette ambigui'té Mertoo invitait a distinguer les « théories spécifiques » des théories générales, et a développer les premieres", Le sueces de la terminologie de Kuhn a foumi, avec le terme de paradigme. une dénomination cornmode pour désigner les cadres d' analyse non soumis 11 vérification, A la différence,. de la philosophie, cependant, ces théones générales et plus profondé­ment les modes d' intelligibilité qui les animent sont susceptibles d'uo verdict indirect de I'expérience, La dialectique de la preuve, c' est -a-dire le jeu d' affaiblissement réciproque des théories dans les divers champs ol! - indépendamment de la regle politique de noo-agression - elles soot effectivement en concurrence, est simultanément producteur d'affmement et de renforcement.

Nous retrouvons alors une situation analogue a celle que naus apprébendions au début du chapitre III : celle du jeu de l'irréducti­bilité et de I'interférence. Incornmensurables - et donnant 1ieu 11 toutes les passions de la polémique - les modeles d'intelligibilité sont simultanément aptes a se confronter par la médiation des expliCations spécifiques qu'ils commandent: l'algorithme générali­sé que nous avons posé (S, T -> etc,), est 11 la fois sous la

49. Max Weber, op. dI", p.252. . . 50. Robert K. Merton, Eléments de thion"e el de mérhode socwlo8'QIll, op.

cit., lntroduction.

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222 L'imelligence du social

dépendance d'un scheme dominant qui unifie l'explication globale, el manifeste. a chacun de ses niveaux. la JXlssibilité d'user de divers langages : de m@me que l'irréductibilité logique des sehemes se coneiliait avee des opérations de passage et de transformation de I'un a I'autre, de m@mel'individoalitédes diverses construetions conceptueUes et des diverses méthodes empiriques se concilie avec de multiples possibilités de tradoction. Si les étapes du ' travail de connaissance sont liées par une logique de mise en cohérence prograrnmatique, conceptuelle et technique, il est tou­jours possible d'opérer au sein d'un -méme níveau ou d'uo n¡vean 11 I'autre, des traduetions permettant d'intégrer 11 un interlangage commun des données d' origine et de niveau différents. Al' encontre de la these de l'incommensurabilité celte situstioo épistémique fondarnentale explique la réalité concrete des scieoces sociales, 00 le bricolage, le fouillis, le singulier tendent davantage 11 dessiner une sorte de paysage 'baroque que les lignes bien tracées d'un jardin 11 la ~aise. Dans un tel contexte la these de l' ineommensu­rabilité devient en fait revendication généralisée de non-comparati­vité. S' appuyant sur des arguments en apparence méthodologique - iI n'y a aueun sens 11 comparer la validité relative d'une approche qualitative ou intensive et d'une approche quantitative ou extensive - elle oublie que toutes les approches tendent a se combiner daos des structures d'explication concretes ou elles sont référables en demiere analyse 11 leur pouvoir d'appréhension de l'objet. Justifié el de simple bon sens lorsqu'il s'agit d'évaluer une produetlon singuliere - iI serait aberrant d' appliquer a une enqué.te par histoires de vie les nonnes de validité d'une modélisa­tion - l'argument méthodologique devient problématique quand il s'applique 11 un champ d'études déterminé 00 le probleme posé est d'artieuler les approches afin de parvenir a une intelligence plus riche et plus fine de l'objet.

L'absence d'uo eritere. ou meme plus modestement d'une problématique d'évaluation comparative en sciences sociales De tient done pas, en son fond, a une impossibilité logique que générerait le pluralisme des modes d'intelligibilité. Ladialectique sauvage de la justification qui se manifeste a l'état larvé dans les divers champs et explose en polémiques célebres ou en éc1ats fameux est une preuve de la réalité de fait de la comparaison. Pourquoi celle-ci n'accMe-t-elle pas a la conscience el a la ffiw"trise ? Indépendarnment du poids des engagemenls thematíques

La dialectique de la preuve 223

deux raisons peuvent etre avancées: 1 'une technique, liée • la diffieulté d'établir un critere bidimensionnel d'évaluation; I'autre socio-po litique Iiée a l' organisation sociale de la produetion del connaissances et aux types d'enjeux qui s'y jouent.

LA DlALECTIQUE SOClALE DE L'ÉVALUATlON

Une procédure de comparaison reglée

So¡ent, sur un meme objeto deux théories T el T'. et p el p' leurs relations explicati ves dominantes; soitnt les deux figures suivantes :

(1) p::: e, p' ::: e' (2) p::: (e + e'), p' ::: (e + e").

La premiere situation est, par exemple. celle qui opposerait l'approche causale du suicide de Durkheim 11 l'approche stratégique de Jean Baechler", la seeondeJ'approche actancielle de la relation protestantisme/capitalisme de Max Weber a son approche hisiori­que". Qu' exige, sur le plan logique, la eontTontation de T et T' ? Les sciences physiques répondraient qu'il faut formaliserles théories et épurer leur base empirique, avec le secret espoir d'une réduction a terme de la situation a un modele unique couvrant 1 'ensemble ou la grande majorité des données coneemées (on sait )a nouveauté épistémique que crea en mécanique quantique la nécessité de faire coexister deux descriptions contradictoíres

51. «Le suicide en tant qu'acte n'est pas une fin, e'est un moyen en vue d'une fin e .. ). On dira que, dans la stratégie que les individus développent pour parvenir a leuTS fios, il arrive que. pour certains, dans certaínes circonstances. iI peut se faire que la suppression (8vec toules les nuances requises) du sujet apparaisse comme un moyen adéquat)Jo (op. dI., p. 127).

52. L'historien R. H. Tawney, La n!iig;on el l'essor du ('opiralisme, Paris, Mareel Riv~. 1951. ilJustre tres clairement. daos une -seconde préface auto­critique. cette :j>itualion éjlislémique: reconnaissant la quelques reserves pres la vaUdité de la tMse de Max Weber, il demande que la relation entre calvinisme et capitalisme soit « rep!ongée » dans le jeu complexe des interactions historiques : « Dans la triple reconstruction. politique, ecclésiastique el &onomique, que subit l'Angleterre entre I'Armada et la Révolution. tous les ingrédients mis <lans le chaudron réagirent subtilement I'un sur l'autre. 11 y eut action et réactioo ( ... ). Le puritanisme contribua a fa'ronner I'onire social, mais il fUI lui-mame de plus en plus f~é par lui» (cité par Philippe Besnard, Protestantisme ef capilalisme. np. cif., p.206(207).

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224 L' intelligence du 'social

de la lumi~re). Utiliser une leUe méthode eSI-il possible en sciences sociales?

La réponse esl difficile car eUe peul se vouloir principielle el tenir de l'engagement épistémique. Le dualisme alors ressurgit oui dira-t-on. la voie de la modélisation el de l'axiomatisation est possible, car eUe est ceUe de la pensée scientifique elle-meme, qui, quel que soit son domaine, se donne pour objet - ainsi que le rappeUe Gilles Gaston Granger" - des structures ; non rélto.qwe-.,. ra-t -on, car la dimension sémique et historique des faits anthropo­sociau" échappe par essence iI toul mod~le fini : « l'inachevement structurel de la socialité en appene iI un inachevement inteUec­tuel »~. Une voie capable d'év-iter cel écueil rituel est done requise. Techniquement, ene ne peut que partir de l'état de. technique. et des méthodes iI l'reuvre dans le champ étudié. D seraít difficilement pensable de transformer une théorie T se'· donnant cornme purement qualitative. en un modele fonnel en reodant compte. Par contre, loute théorie opere une catégorisatio~ des pbénomenes qu' ene étudie, en propose des mises en rela­tion significatives, séleclionne el traile des données. spécifiques: . . ces diverses opérations .• elles, peuvent etre décrites, codifi:ées.;: .," fonnalisées.

Test fondée sur des traitements statistiques: on pe~t cons~ . truire le tableau systématique des variables utilisées et des' traitements opérés :

XI XII XI2 XI3 XI4 X2 X21 X22 ... XI AM XII XI2 + + (variables XI3 + e:tplicatives XI4 + + X2 + + + + X21 + + + (variables X22 + + + illustrati'Jes)

Celui-ci décrit une aire empirique déterminée, el un systeme de relations produit sur cette aire. SeIoo les variables prises en compte, laissées- de cdté ou inaccessibles, seIoo les relations

53. Gilles Gaston Granger, Pour la connaissance phiJosophique, op. cit., p. 126. 54. Michel Maffesoli, Sociality as legitimation of Sociological Method. Curren'

Sociolog)'. vol. 35. 2, The sociology 01 Jegilimat;mr, Roberto Cipriani ed.

La dialectique de la preuve 225

construites (+), négligées (-) ou impossibles a construire, selon les techniques statistiques utilisées - croisements simples (+/-), analyses multivariées (AM) - et le mode de regroupemenl des variables pratiqué iI celle occasion (variables explicatives/illustra­tives), ele., il dessine une structure de connaissahce potentielle de l'objet.

Tesl fondée sur des études de caso Il recense des histoires individuelles qu'U décrit. Ces histoires sont ramenées a un nombre restreinl de types (MI, M2) par une mise en relation de leurs éléntents constitutifs (a, b, e, d, e, J) selon un modele élaboré a priori ou a posterior;: ces opérations peuvent, elles aussi etre décrites de fa",n forme ne. Par e"emple :

Id (a+, "+. e-, d+, e-,I+) .. 2 (a-. b-, c+. d-, e+ .f+) lI3 (.+, It+, e-, d+, .-.f-) n" (.-, "-, e+. d-, .-,f+) n5 (.-. b-. e+, d+, .+,[-)

==:> M1 --1

1 -·-1 1 M2 ---------i -------1

T et T' sont done construites sur un systerne empirique délerminé. Celui-ci peut etre lui-meme composé de divers sys~lÍles semblables a ceux que nous venons de décrire, homogenes ou héléroge'nes. Une telle formalisation permel une premiere procédure de contr/lle: les propositions empiriques (e, e') retenúes daoS chaqué caS sont-elles bien en adéquation avec le systeme empirique dont elles sont issues? N'y a-t-il aucune introduction en e ou e' d'éléments non contenus dans la base empirique? N~y a-t-il aucune omission? Les _propositions explicatives (p, p') sont-elles bien d'une maniere ou d'une autre en adéquation avec, respective­menl, e et e' ? Qu'y a-t-il de plus en T ou T' qu'en e ou e', c'est-lo-dire, qu'elles sont les theses de la théorie qui excedent sa base empirique et doivent ctre considérées comme des engage­ments et non comIDe des connaissances?

Mais une telle entreprise pennet surtout d' opérer une confronta­tion d'un second ordre : la struclure explicative de chaque théorie (soil de la relation A p B), peut Stre mise en relation avec la totalité de la base empirique produite par enes deux (e + e').

Diverses voies s'ouvrent alors qui peuvent etre explorees systémati­quement: n'est-il pas possible d'intégrer les deux théories en rangeant un niveau explicatif sous r autre et en produisant une

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226 L' intelligence du

explication articulée? ou de montrer que, au prix de tnLdu,ct¡iOl1", simples, l'une peut se ramener a l'autre" ? lnversement la SP':cilficii~

té et 1 'irréductibilité explicatives de chacune peuventt ,~se:~:::~l en constructions conceptuelles dessinant deux ligoes d lité claírement distinctes. Dans ce cas l' approfondissement confrontation nécessite son ouverture: n'y a-t-il paso dans champs voisins, des théories proches de celles en étude, pelme,ttIIl.! de tester de maniere élargie la pertinence et la validité de programme explicatif? De proche en proche, il seraít aínsi pol .. it~~i

de confronter la part prise par tel ou tel ensemble de dans l'intelligence de robjet.

Cette procédure - dont nous n' esquissons la que les linéllln"'.!8,¡i - n' implique aucune réduction autoritaire des théories a un lar¡ga,ge formel commun. Elle se contente de prolonger les opérations de sélection, de catégorisation, de codification,de mise en relation qu 'inoplique tout travail de connaissance empirique par une formalisation mininoum permettant de mettre en évidence, d'exhi- . bel, de dégager de leur ooveloppe lmgagiere les caractéristiques empiriques et relationnelles de théories données et de préciser l' espace de leur validité et le !legré de leur pertinence. 11 est certain qu'a, ce dernier niveau on n'obtient non pas un critere~ mais un outil. Le degré de pertinence d'une théorie peut etre apprécié selon des normes diverses: on peut vouloir privilégier" l' économie de pensée, la complexité des interrelations, la saisie . des dimensions constituti ves de }' objet ; _ ressurgissent a ce niveau . les grandes oppositions thí!matiques nourrissant les engagements épistémiques. On peut cependant penser que le critere de la compréhension joue la un role décisif en ce que toute explication ou toute Iigoe d'intelligibilité privilégiée doit etre compatible avec ce que l' on pourrait appeler le cadre transcendantal de l' aetion humaine~, c'est-a-dire I'impossibilité de traiter de faíts et de mécanismes sociaux sans prendre en compte l"intentionnalité des acteurs. Ainsi. bien loio d '8tre un instrument d 'invalidation

55. Celte voie est méthodiquement explorée par Rnymond Boudon, nolamment dans La pfau du tUsordre, op. cit.

56. Vintentionnalit6 de l'aclcur, et plus profondément du sujet concret comme Sue social multiplemcnt sitllt, noWJ semble 13tre ce qui génere les lignes de saillance du réel évoquées plus haut (p. 182), el par conséquent, les schemes d'intclJigibilité qui leur sont associés. Condition de J'intelligence de J'objet elle est simultanément }'une des lignes de force de SIl problématisation: nous I'avons vu plus haul avec la tentative de résolution du probleme spinoziste par le m&:anisme de l'intériorisation et la constitution de I'habitus (p. 101).

La dialectique de la preul'e 227

de théories au profit d' autres - nous avons vu que les sciences sociales n' avaíoot lb guere besoin d' etre aidées - une telle procédure vise bien au contraire a produire un outil de bilan, de mise en reuvre consciente d'une dialectique active de la preuvc susceptible, en révélant de f~on systématique toutes les faiblesses de la connaissance dans un champ donné d' reuvrer a \es dépasser.

Grossi~rernent esquissée icí, cene démarche s'inscrit, nous semble-t-il, dans la droite ligoe de ce que Merton appelaít, a la suite de Lazarsfeld, la codification". Force est cepoodant de constater que ce qui parait etre une entreprise sans difficultés techniques majeures, non réductrice, respectueuse du pluralisme épistémique et de l'idéal sciootifique de la connaissance justifiée, n'a guere bonne presse et suscite beaucoup moins I'enthousiasme épistémologique que I? exposition -d' un nouveau programme - ou pour sacrifier a un usage que nous ne partageons pas - d'un nouveau paradigme. Pourquoi ?

La dimension sociétale de la preuve

Nous avancerons la réponse suivante: paree que la preuve est d'abord une activité sociale.

Cette idée est une banalité qui ne cesse d' étonner et de provoquer. Elle est, d'une certaine maniere,au creur de ce que la sociolologie mglosaxonne de la science a appelé recemmeJit le « programme fort » : se refusant a considérer I? activité scieotifi­que aritrement que comme une activité oormale, produisant des croyances acceptées ou refusées? ce demier aboutit a considérer la nécessité logique comme « une fonne d'obligation morale» et l' objectivité cornrne un «phénomene social »'11. 00 la trouve égalemoot a l'reuvre dans les recherches ethnolugiques consacrées a la vie des laboratoires et BU mode de production concret des faíts scientifiques59

• Si, notarnment dans ce dernier cas, elle perinet une réelle avancée dans la connaissance des modalités réelles de transformation de données hétélogenes et d'érioncés conjecturels en « inscriptions littéraires »60 et permet de saisir selon le program-

57. Roben K. Merton, EJéments de théorie el de mlthode soci%gique. op. ('it., chapitre 1.

58. David 9100r, Soci%gle de fa logique, op. eit., p. 178. 59. Bruno Latour, Sleve Woolgar, Lo \'ie des laboratoir~s, Paris, Editions de

la ~couverte, 1988. 60. [bid., p. 35 el sq.

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228 L'intelligence du social.

me de l' ethnométhodologie. des faits scientifiques eornme accom­plissements de l'action des membres d'une cornmunallté. il o'est pas inutile de rappeler que son histoire philosophique est déJA"í' ancienne. Ce sont les sophistes el d' aOOrd Protagoras qui en-! ¡ .

introduisant la !hese relativiste de la connaissance ont irrémédiable- l

ment lié la preuve au discours et par la meme a son contexte. i¡ ,: d'énonciation (le kairos ou moment oppportun)". Articulée a une ontologie négative" cene position faisait du langage pour autrui o,.

le lieu exclusif d'une vérité dont le seul critere était qu'elle se;, . proclama et qu'on la crut telle. . , .. ,

Seule une réinscription du langage dans 1'6tre ou, a I'inverse" . une saisie extra-linguistique de celui-ci, peut réduire la fracture·-" . sophistique. La science classique a ero trouver dans la méthode " expérimentale une réalisation non rnystique et rationnelle de cettc :-' ouverture sur la «oature des choses ». Le scientisme - dont--:; participe quand m6me un peu Durkheim - inspirateur revendiqué ,. du programme fort - pensait que le moment était proche ou la science permettrait de saisir le « fond irnmuable des etres »6~. Or

61. Cene notion est introduite par Gorgias dans I'Omison junebre consacree aux héros d'A~nes. Au respecl rigide de la loi est opposé le sens de I'opponunhé:': « Maintes fois ils donnerent la préférence a 1'6quiti dans sa douceur plutar: qu'au . droit dans sa rudesse; maintes (ois, a la rigueur de la loi ils préférerent la rectitude du discours. Car iIs croyaient cene loi li plus divine el plus universeIle qui consiste 8 dire, tt taire, ~ faire (ou A ne pas faire) ce qu'il faut quand il ~ faut» (Gorgias, Fragment B VI, in Les prlsocl'tlliques, édition établie par lean­Paul Dumont, Paris. Oallimard. La Pléiade, 1988). La notion de «moment opportun » est ainsi li« a un relaJivisme des va1eurs, fo~ sur un agnosticisme ontologique (ef. note suivante), instituant le langage comme instance autonome et lieu privilég¡t: d~intervention.

62. Gorgia.& avait écrit un TrQ¡'¿ du non·Elre, oh ji déveJoppait tron arguments : «premierement et pour commencer que rien n'existe; deuxiemement que. memc s'U existe quelque chose, l'homme ne peut l'appréhender; troisiememenl, que, méme si 00 peut I'appn!hender, on De peut ni le fonnuler ni l'expliquer aUl(

autres» (Fragment B lIT, ¡bid.). La cohérence des positions sophistiques est tres clairemeot exprim6e dans ce commei1taire de lean-Louis Poirier: «Ce qui est refusé, ce n'est pas l'!tre - nous savons bien, les sophistes saVCDl bien qu'il y a .. des choses" - c'cst une philosophie de l'etre. En ce sens, peut...etre, la sophistique est-elle la premiere philosophie de }'esprit: ce qui importe c'est ce par quoi des choses interviennent pour I'homme, c'est le langage. objet dont Platon dévoilera parfaitement l'ambigu'ité: on peut dire o'importe quoi. Bret, le corrétal ontologique de J'habileti et du sens sophistique de l'expMieot, c'est le .. n'importe quoi"; c'est ce caractere labi1e des choscs qui justifie la légl:reté théorique des sophisles et foumít a leur pratique un séfieux inqu.iétant Si l'ontologie est défaillante, quel concept pouIT8 foumir a la sophistique l'équivalent d'une cohérence pour l'ordre th6orique, I'équivalent d'une morale pour I'ordre pratique? C'est le concept de moment opportun (kairos»lo (¡bid., Notices et notes, p. 1520).

63. Taine, Les phiJosophes ¡ranfais du xIX' s;ecle, 1857, cité par Robert Blanché in La mlthode expü;memale el la philosophie d~ Jo physique, op. cit., p. 231.

La dialeclique de la preuve 229

la polémique initiée par Hume sur le statut du principe de causalité, retrouve le lieu de la fail1e sophistique: notre savoir est croyance. Concevoir l' association du rationalisme comme contrainte du vrai et de l' agnosticisme comme renonciation d !oute connaissance de l' etre en-soi, es! le programme de résolution du vieux défi sophistique qu' inaugure Kant. Par la meme il définit I'objectivité comme une réalité intersubjective fondée sur les principes a priori de la connaissance. La destruction de ceux-ci, qu'inaugurent les mathématiques non euclídiennes. ouvrira, avec les débats du début du siecle, la période du conventionnalisme" : l'accord Kantien des sujets devient convention admise d'une communauté. -langage commun.

Quelles que soient les controverses qu' ait entrainées le conven­tionnalisme - dont la polémique modeme entre relativisme et rationalisme est une forme - il rendait possible la positioo d'uo probleme, qui pourtant n 'émergea que lentement: selon quelles moda/ités une communauté scientifique va-t-elle admettre des résultats comme valables et les incorporer d son corpus, ou les sanctionner er les rejeter comme inintéressanls el futiles? La théorie logique de la preuve expérimentale - celle de la reproducti­bilité des faits - suppose Un traitement univoque du fait scientifi­que: or celui-ci peut connaitre une tout autre destinée que la prise en charge et la corroboration par d' autres. Il peut 8tre négligé et ignoré. Il peut etre au contraire admis et reconnu sans autre forme de proceso Dans notre vocabulaire, une proposition p associée a une base empirique e. sera socialement «vraie» -c'est-a-dire intéressante, stimulante, originale, neuve, féconde, riche de perspectives. rigoureusement établie - si et seulement si elle est reconnue cornme telle par la communauté scientiflque de référence. Or 1e vrai malheureusemeot n' est pas index sui : les procédures cognitives de production et de vérification d'une these auxquelles se livre le chercheur ne sont que la partie privée

64. Edouard Le Roy, dans une séne d'articles publiés en 1899 dans la Rel'ue de Mhaphysiqlfe el de Mm'oJe et intituJée «Seience el philosophie », rndicalisa le mouvement de critique du positivisme déja engagé par ~ ptrilosophes comme Boutroux ou BrunSchvig el inaugura une position que résument clairem~t les lrois thl:ses qu'il mil en discussion ¡¡ la Société fnlf1~ise de Philosopbie: «l. Les faits que les lois doiveot relier, daos la mesure ou ¡ls sont des faits scientifiques, el non pas de simples faits bruts, sont faits par le savant ( ... ). 11. Les 10is elles­mémes sont ou des définitions conventionnelles, ou des receUes praliques ( ... ). III. Les résultats de la science positive sont contingents (au point de vue de la eonnaissance)>> (Bulletin de la SocMlé Franraise de PhUosophie, ~ance du 28 mus 1901, Paris, 1901).

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230 L' intelligence du social

- ou semi-publique lorsqu'elles impliquent la coopération el l'échange - d'une procédure sociale d'évalualion.

Mais une procédure sociale ,n' est pas seulement une procédure collective. L'idée des travailleurs de la preuve de Bachelard est construite sur le double modele utopique de la coopération des compagnons el de la république des leltres : la vérilé y esl valeur. Or daos la seience contemporaine - comme daos la Grece des cités - elle eSl d'abord enjeu. C'esl ceue dimension agonistique el dynamique du social que nous désignons par l'adjeclif « socié­ta! ».

Quiconque est .intégré a I'activité scientifique contemporaine le sait; non forcément par analyse. mais pai' cette connaissance sourde que cbaque acteur acquiert au quotidien de sa pratique et sans laquelle il lui eSl i,mpossible de survivre au seio du systeme d'action oi) elle s'effectoe. L'individu le plus désintéressé, le plus détaché des contingences environnementa1es, le plus apte ¡¡ travail­lec el produire « en comptant sur ses propres forces », le plus habile a échapper au controle de l' institution qui le rémunere, y demeure soumis des lors qu'il veut « faire de la science»: CJU' il lui faut pour cela publier, c'est-il-dire entrer daos le ieu de la reconnaissance' collective. Seul le «sage» qui fait de la vérité un accomplissement exc1usivement personnel peut, quelque temps, y échapper. Les universités et les laboratoires s'bonorent d'en compter quelques-uns daos leurs rangs ... Dans son fonctionnement nonnal l' activité scientifique. qu' elle SOíl envisagée au niveau de l'individu ou a celui du laboratoire. De peut s'effectuer sans une reconnaissance institutionnelle. Toutes les équipes doivent. a divers moments, produire des rapports d'activité complexes pour pouvoir continuer a exister et obtenir les crédits leur pennettant de survivre. Ceue reconnaissance institutionnelle est la c1ef de l' acces aux enjeux propres au champ scientifique : dotations financieres et matérielles, contrats de recherehe, missioos d' expertise. participa­tion aux eolloques intemationaux, publication, édition, traduction ... L'enjeu de tous ces enjeux est la publication scientifique: c'est elle qui légitime les efforts déployés, les sommes dépensées, les postes accordés. Elle est, rapport, article, communication, livre, la fonne sociaIe d'existence de la vérité sdentifique et I'instrument décisif d'exercice de la preuve : offert a la cornmunauté seientifique tout resultat peut ~tre diseuté, contesté, repris. A l'inverse des savoirs ésotériques la science est ainsi une entreprise publique: a ¡'image de la démocratie elle y pUlse S3 force et sa faiblesse.

La dialectique de la preuve 231

La publication scientifique est le lieu oLa s' exprime et se réalise aujourd'hui cetle ambivalence fondarnentale. De finalit6 elle devient moyeo: eritere universellement admis, elle devient daos une ere de production de masse des connaissances scientifi­ques, un instrument de mesure du dynamisme des équipes et de la compétence des chercheurs, et la condition de leur reconnaissan­ce. Critere cornplexe et ambigu s'il en est: le nombre, le support, le lieu d' accueil des écrits sont selon les milieux seientifiques l' objet de hiérarchies complexes et subtiles, qui tendent avec la multiplication des instances administratives d' évaluation a se substituer iI la simple étude de leur contenu. Celui-ci est alors I'objet d'un devenir complexe : recensé dans les revues bibliogra­phiques. il sera, selon des criteres divers, partie11ernent Cité' ou repris daos les publicadons du meme champ, constitué comme référence obligée, intégré quelque temps dans les listes bibliogra­phiques, voué le plus souvent a un long sommeil, dont quelque jeune, tillentueux et impertinent chercheur, un jour peut-etre le sortfra ... La &cience nonnale d'aujourd~hui, en tout cas en sciences sociáles, produit heaucoup plus de lbeses et de publiCations diverses qu'elle n'est susceptible d'en absorber. Mises a part les recensions bibliographiques sySlématiques, tout bilan d'un champ est entaché des limites propres a la capacité de lecture et d? orientation 4e }' auteur dans la jungle dont i1 est censé rendre compte : il suffit - cela est faeile - de comparer ceux qui sortent dans une période donnée. Selon la métaphore des linguistes, les messages se transfonnent en bruit. Une situation perverse peut alors se créer que tous les spécia!istes de I'évaluation connaissent bien: si la survie dans certains cas9 la reconnaissance le plus souvent, dépendent des publications il faut publier, que les résultats saient ou non de qualité : le discours se plie aux fonnes reconnues de la légitimité tandis que l'insertion au sein du champ joue des réseaux d' interconnaissance et d' allianee. Quand l' excellence est difficilement accessible i1 est toujours possible de lui substituer son apparence6S ; cette constante du (double) jeu social n'a alleUDe

raison d' épargner le champ d' action de la science: une fois obtenue la feconnaissance peut se renforcer d'elle-meme

65. Voir a ce sujel Philippe Perrenoud, La fabrica/ion de l' exceJJence seo/aire. nota. le chapitre 11: «Hiérarchies d'excellence et inégalités de capital cullurel ", Geneve. Librairie Droz, 1984.

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232 L' intelligence du social

circulairement. Si, d'autre part, les messages tendent • se transfor­mer en bruil, il est loujours possible d'afficher une différence que cene seule détermination structurale fera émerger el dotera de sens ...

Loio de naus l' idie de réduire le fonctionnement scientifique .' a son systeme d' action social; tous ces effets pervers peuvent ctre, simultanément, analysés, repérés, dénoncés, et il est exception­nel qu' une notoriété et une carriere soient exclusivement bílties sur la supercherie. Mais ces phénomenes sont liés iI la position -­de la science et de ses agents, universitaires et chercheurs, dans les sociétés industrielles développées: s' en étonner el parler d'« idéal défiguré », releve d'une certaine na'iveté. De meme qu 'inscrire daos la meme liste de faussaires des chercheurs_ contemporains convaincus d'avoir truqué ou inventé de toutes pieces leurs données, et Ptolémée, Galilée, Newton parait quelque peu excessif"': le désir de convaincre, l'appel aux ressorts rhétoriques el discursifs de la preuve, accompagne d'autant plus le discours scientifique que .celui-ci. naus l'avons vu, puíse par­delil le plan de son énonciation légitime, a la puissance conviction­nelledes implications symboliques. n en va autrement du maquiJIa­ge des résultats, de la pralique du plagia!, de l'invention des publications. n ne s'agit plus alors de défendre un contenu, mais de construire une compétence fictive. Que ce comportement existe renvoie au systeme d'enjeux qui le suscite. Que l'impOslure concerne les publications iJlustre la complexité et la difficulté de }'exercice social de la preuve. Or on ne peUl distingue,. une forme logique d' une forme sociale de la preuve : la falsificalion Poppérienne et la dialeclique de la preuve que nous avons esquissée plus haul sonl simultanérrient des aClivités sociales. Sans doute est-ce la raison pour laquelle le critere Poppérien est si souvenl mis en éehec el I'idée d'une mise 11 plat systématique des théories en sciences sociales apparernment si utopique.

LA RÉALlTÉ SOCIALE DU SA VOlR SCIENTlFIQUE

Tont au long de ce chapitre nans naus sornrnes affrontés a une difficulté tres particuliere: nous avons interrogé une BCti vité

66. Willirun Broad el Nicholas Wade. La SOUI·;S truquü, Paris, Le Seuil. 1987.

La dialectique de la preuve 233

déterminée - la production de connaissances en sciences sociales _ au nom d'un erilere dont il a fallu, achaque fois justifier la légitimilé. Il y a un paradoxe étonnant 11 définir la eonnaissance scientifique par la justification rationnelle et empirique el a Dier toute valeur 11 celle-eí. Le seul moyen d'y échapper serail de définir la connaissance scientifique par rillusion de la preuve. Elle serait I'activité cognitive oil les hornmes croient mettre en reuvre des moyens spécifiques d'atteindre le vrai et De se différencierait des autres types de connaissanee que par ses rituels, ses lics et son langage qu'il serail possible de décrire et de déconstruire 11 l'infici.

Il nous semble a l'inverse que le fail de la preuve eS! le noyau de l'activité scientifique _el concentre par la ffieme toutes les ambiguItés el les complexités du travail de connaissance. tant dans le jeu de ses divers plans logieo-cognitifs que dans eelui de S3 construction et de sa reconnaissance sociale. L'hypothese dualiste en sciences sociales nous paraJ_\ exprimer exemplairement cette ambigu'ité-en revendiquant pour l'homme la possibilité d'une connaissance qui serait a la foís scientifique et libérée de la preuve. Mais l'exprime tout autant la position unitaire prétendant exclure hors de la science toute connaissance ne se soumettant pas A une fonne particuliere de preuve. L'une et l'autre positions nous semblent en demiere analyse victimes du méme logicisme : la vérité y apparai"t cornme une nonne et la preuve eorome une forme, alors qu'elIes sont, a l'inverse, simultanément les produits et les outils d'UDe aetivilé sociale spécifique d'affronlement cognitif au réel. Tel est notre sentiment. Certains diront sans doute notre engagement et nous serions mal venus de leur en faire grie:f.

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VI

Cent foís sur le métíer ...

Le principe fondamental de la reflexion menée dans les développements précédents est l' adoption d 'un point de vue analytique. Il ne faut pas entendre par n, une inscription dan. un courarit philosophique précis qui, en l' occurence accepterait mal,rioús semble+il, les développements du chapitre IV sur la théorie de la cónnaissance et sur les rapports entre logique et langage qui y sont esquissés - mais une posture d'esprit plus large, presente dans divers courants de pensée - dont la philosophie analytique - et a l'reuvre, de fa~on récúrrente, tout au long de 1 'histoire de la philosophie occidentale. Elle consiste a !raiter les diseoufs sur le réel, non d~abord eorome «¡mage» de celui-ci ou cornme expi'ession d'une conception dé.erininée du monde, mais cornme resultat d'une activité de pensée dont il importe de démonter les mécanismes: ce point de vue. arbitraire en son fond comme tout engagernent épistémique, privilégie les structures logiques. Celles-ci, bien évidemment, peuvent etre appréhendées de diverses fa~ons et intégrées iI des conceptions différentes de la connaissance: la constitution de la logique mathématique modeme a pu ainsi créer \' espoir d 'une description homogene et exhaustive, el susciter, a I'inverse le rejet. et un reflux sur le langage s'opérant lui-meme sous des auspices diverso

Ce point de vue analytique se manifeste ici par une mise lt distance des polémiques et des engagements variés associés iI la réflexion sur la connaissance du social el par un retour a cette derniere telle qu' il est possible de la saisir au sein des discours

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236 L' intelligence du social

qui la construisent. Paur autant notre approche De va pas saos problemes. Nous pla~ant du point de vue de cet univers empirique d' étude el de référence nous en retiendrons trois types.

RETOUR SUR UN PARCOURS

Probtemes posés par le corpus utitisé

Naus avons utilisé un nombre restreint de textes. le plus souvent tirés de classiques de la sociologie. Nous n'avons pas balisé systématiquement le cbamp des méthodes et des techniques utilisées en sciences sociales. Nous avons pu parfois donner ]'impression que nous assimilions sociologie el sciences sociales.

Ces trois remarques restreignent d 'autant le cbamp de la vérifi" fication actuelle de nos analyses. Elles ne les invalident pas mais, , incitent au contraire ¡¡ les étendre. On peut cependant se demander pourquoi nous ne I'avons pas fait. l\ Y a a cela diverses raisons.

La premiere, banale, mais bien réelle" est qu'une explication se cons~t toujours de maniere pro1P.'Cssive. dans un va-et-vient entre les hypotheses d' analyse et les matériaux de traitement. La seconde, plus forte, est que nDUS De croyions paso en la matiere, ¡¡ la fécondité d'une démarche inductive c1assique, reposant sur la sélection d'un vaste échantillon de textes; il aurait fallu un príncipe de sélection el de classement de ceux-ci; or ni les appellations «COUTantes », ni les divisions disciplinaires el seclo­rielles n' étaient pertinentes par rapport al' objectif. lnversement, une méthode idéaltypique aboutissant apees divers tátonnements empiriques, a la construction d' ensembles clairement identifiables permeuait a l'analyse de se déployer. L'état de la sociologie renfor~ait ee choix. n s'agit d'une discipline jeune (les textes les plus anciens cités datent d'un siecle), dont I'histoire peut eertes déjil et par facilité atre divisée en périodes, saos que cependant il soit possible d'affirmer qu'il s'agisse d'étapes différentes au sens ou les scíences de la oature en connaisseot. De ce fait les analyses de Durkheim sur le suicide ou de Weber sur l' esprit du capitalisme conservent toute leur actualité épistémique, meme s'il n'en va pas de mame de leurs références empiriques. Nous

Cent fois sur le métier ... 231

pensons done que la sociologie telle qu'elle s'est constituée depu!. la fin du siecle demier constitue un espace épistémique certea divers et multiple. mais fondamentalement cornmUfl.

A I'intérieur de cet espace I'analyse idéaltypique privilégiée nécessitait de prendre quelques textes ¡¡ la fois incontoumables et assez elairement identifiables au niveau d'analyse choisi: des études actuelles, comme on en trouve dans les divers ebamps de la sociologie, auraient risqué d'etre trop pointues et de masquer le scheme d'intelligibilité derrii:re la mise en reuvre d'une technique spéCifique; d' autres textes - nous en avons donné quelqnes exemples - combinent les scbemes, les prograrnmes, les mises en fonne discursive, de mani~re telle qu'il est extremeli1.ent diflicile de procéder ¡¡ l'analyse. Le statut paradigmatique des textes choisis (la plupart entrent daos les lectures obligatoires des premieres année"s d'enseignement universitaire) pennenait en oútre de mettre en reuvre l' idée particulierement féconde de Kuhn selon laquelle úne discipline se constitue en partie autour de ses références communes. Cela évidemment nous interdisait les plaisir secrets de l' éruditiori savante et nous livrait par avance a tOUtes les critiques de la lecture Mtive.

Il est vrai par contre qu'une telle voie privilégie l'approche intensive sur l'approche extensive, et que, par lA meme, elle tend a négliger la diversité des disciplines, des méthodes et des techniques. Cette limite est réelle. Elle a cependant divers aspects qui, saos la relativiser, I 'inscrivent plut6t daos une recherche nouvelle. Ce qui unifie les sciences sociales est, au méme titre que les sciences de la nature ou celles de la vie, leur référent générique. Elles participent done toutes de la eonnaissance du social. Par contre elles en participent différemment selon qu' elles se limitent ou non i\ un domaine ou A une dimension du social. Seules, nous semble-t-il~ la sociologie et, dans une moindre mesure, l'ethnologie el l'hístoire admettent en principe comme horizon de leur territoire le social comme tel. Ceei ne leur donne aucune prééminence épistémologique particulii:re et constitue meme plut6t lin handicap: les disciplines se dOMant un objet clairement circonscrit peuvent plus facilement mettre al' épreuve et construire dans la durée el la cumulativité des programmés particuliers d'analyse; a l'inverse la sociologie, et nous semble" t-il également I 'histoire, semblent etre toujours susceptibles de basculer d'une explication a l"autre. comme s'il y était constam-

; : ! !

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238 L'intelJigence du social

ment possible de changer de jeu. Peu satisfaisante du point de vue de la preuve el de la cumulati vité des résultats el relativement inconfortable de celui des relations professionnelles au seio des cornmunautés scientifiques concemées. cene situation est cepen­dant particulierement intéressante du point de vue de la théorie de la connaissance en ce qu'eUe réalise daos la synchmnie ce que les sciences de la nature ont connu le plus souvenl dans la diachronie: la coexistence des modes d' intelligibililé. Celle-ci affecte, peu ou prou~ loutes les sciences sociales, mais c' est semble+il en sociologie qu'elle trouve son plus large empano Quoique particuliere celte demiere peUI alors, el c' esl le sens des glissements constatés, etre elle meme constituée cornme idéallype d'une lelle situalion. Ceei, cependanl, ne dispense en rieo d'une étude comparative avec ce qui se passe daos les autres disciplines.

Enfin, au sein meme de la sociologie, il peUI nous etre reproché de ne pa. avoir sufflSarnment balisé le cbamp des méthodes et des tecbniques. C' esl vrai. Mais il existe d' excellents ouvrages de méthodologie consacrés a ces questions'. D'autre part l' approche méthodologique habiluelle a souvenl tendance a osciller entre les deux póles extremes de la technicité et de I'engagement épistémique. Si rune et I'autre sonl légitimes et,

l. Tout inventaire des ouvrages de méthodologie en sciences sociales releve de la gageure. On peut indiquer tout d'abord, avec tout l'arbhraire qu'implique un tel cboix., del ouvra¡es déaonnais classiques : les trois volumes Le yocablllairc des sc;enas sodales, L' ana/yse empirique tk la causalité. L' analyse des processus sociaux (Ed. Mouton el Maiaon des Sciences de l'hornme, 1965-1970), par lesquels Raymond B~. Paul Lazarsfeld el F~ Chazel adapcerent au pubUc f~ais le recueil établi par Paul Lazarsteld et Morris Rosenberg en 1955, The languose 01 socia/ research; le COUTS professé par. 'Th&:Idore Caplow l la Sorbonne en 1968-1969. L'.enqulte soci%gique, Paris, Ubrairie Armand O:>lin, 1970; ainsi que, de Madeleine Grawitz et Roger Pinlo, M/fhodes des sciences socia/es, Paris. Dalloz, 1964, et de Uon Festinger el Daniel Kats," Les mllhodes de recMrche dans les sciences sociales. Paris. PUF, 1959; plus récemment un certain nombre de manuels ou d'ouvrages de synth~se: Les enqultes soci%giques, Ih/orie el pratique. par Rodolphc Ghiglione et Benjamin Matalon. PaJi!. Annand Colin, 1978 ~ Les méthodes de recherche en sciences sociales. par Claire $ellliz. Laurence S. Wrightsman, Stuan W. Cook. MontTéal, Ed. HRW Ltée, 1977, L'analyse de contenu, par Laurence Bardio, Paria, P'I.1F. 1984; L'ana/Jse des donlPées en soci%gie, par Pbilippe Cibois, Pari.s, PUF,. 1984 .. Manuel de reclJercJre en sciences sociales, par Ra)'mond Quivy et Loé Campenhoudl, Paris, DuO(xl·Bordas, 1988, InitialÍon d la p,.atique 8ociologiqu~, par Patrick Ouunpagne, Rem)' Lenoir. Dominique Merllié, Louis Pinto ~ enfm Sage Publicatlons lAd, Londres, édite deux collcclions s~cialisées : « Quanlitative AppUcations in the· Social Sciences» (plus de 60 litres) et «Qualitative Research Methods» (une dizaine de litres), tandis qu'en Franee. depuis quelques années,le Bulle¡;n de méthodologie sociologi­que s'est spécialj~ dans I'approche critique des techniques de traitement des donot!es quantitatíves.

Cenl ¡ois sur le mélier ... 239

pour la premiere, indispensables, sont ainsi laissées dans l' ombre les modalités tanl logiques que linguislÍques el paradigmatiques du \ravail de l'inlelligible, que nous avons cherchées iI I'inverse ti mettre en évidence. En nous installant en ce lieu, nous avons été amené. a considérer les méthodes et techniques d' analyse existantes, soit comme des programmes relevant des schemes (p. 62), soit comme des tecbniques anlé- ou inter-disciplinaires d'étáblissemenl el de traitemenl des faits donl I'uságe dans un cbamp el une recherche donnée relevail d' un inlerlangage (p. 114 et sq.). C'est bien plutllt la pertinence de ce point de vue qu'il convient, nous semble·t-il d'interroger.

Probl~mes posés par les mécanismes el les éléments mis en évide"nce

C'est certainement a ce niveau que la mise en jeu de la dialectique de la preuve naus semble la plus requise. Nous avons, au fu .. el a mésure des développements, repéré un certain nombre de mécanismes el postulé l' existence de certains éléments psycho­coguitifs. Nos juslifications sont-<:lles suffisantes?

A une question posée aussi brutalement, il est difficile de répondre. Nous relÍendrons les points suivants.

Divers phénomenes logico-<:ognitifs onl élé mis en évidence au cours des développements : les isomorphismes logiques existanl entre les relations rectrices des schemes et rendant compte de leurs interférences concretes (p. 88 et sq., 105 el sq.); les mécanismes de neutralisation de la spécificité explicative des schemes, rendant possible le passage de l'un a I'autre a propos d 'une mame relation empirique ainsi que Ieur intégration daos des explications complexes (p. 91 et sq.), et cornmandant les dérives «réalisliques» donl chacun peul atre I'objet (p. 173 el sq.); les mécanismes d'« interlangage» assurant aux divers ni­veaux du travail explicatif et notamment a celui du lien étroit entre théorie et empirie, l' articulation significative d' élémenls épislémiques hétérogenes (p. 109 el sq., 114 el sq.); le mode d' apparaltre des schemes comme configurations abslrailes-concre­tesse donnant le plus souvent a travers la médiation quasi-sensible de réalisalions singulieres paradigmaliques (p. !lS el sq.) ; l'inter­férence des dimensions logico-cognitives el des dimensions prag-

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240 L' intelligence du social

matiques du discours? se manifestant dans l'ambigulté irréductible des concepts analytiques (p. 104, 168 et sq.), dans les usages rhétoriques, doctrinaires et réalistiques des programmes (p. 133 et sq.), daos le jeu sociétal de la preuve (p. 227 et sq.); le jeu sous-jacent de la pensée symbolique, étayant et dynamisant de ses grandes oppositions Ihematiques l' intelligence des faits (p. 166 et sq., 173 et sq.).

Donner en ce lieu une justification de ces divers points équivaudrait a réécrire l' ouvrage. lis constituent, nous semble­t-il, des aequis essentiels de ce travailet de sa perspective analytique. lis doivent néanmoins. etre repris el approfondis, et nous avons le sentiment d 9 avoir été amenés a suivre une logique incapable de réaliser simultanément I'approfondissement de chaque probleme rencontré el le balayage du champ achaque fois suggére. 1I en va ainsi par exemple des idées qui nous semblent tout a fait fécondes d'interlangage ou de neutralisation. Bien qu'il s'agisse de deux registres différents, opératoire pour le prentier, critique pour le second, elles suggerent et rendent possible, en dehors de toute théorie lourde, une analyse concrete particulierement fine des modalités de construction d' anaIyses complexes et des risques de dérapages internes qu' elles comportent. De.la meme mamere la distinction opérée entre schemes et Ihemata (p. 166 et sq.) nous par81"t, indépendarnmant des dénominations qui peuvent paraltre insatisfaisanúis, d'une portée logico-cognitive réelle dans la séparation qu'elle autÍlrise entre travail analytique el étayage symbolique au sein des discours de connaissance: la mise 11 l'épreuve que nous avons pu en faire par ailleurs, dans I'étude systématique de l' un des textes fondateurs de la sociologie, nous renforce daos cene conviction2•

Nous plaiderons done ici, en espérant qu'il ne s'agit pas d'une occurence OUt seloo l~jm"age de Nietzschel, «adventat asinus »,

pour I'intéret el la fécondité de perspectives susceptibles d'etre éprouvées dans des analyses nouveUes.

2. Jean-Michel Bcrthelot, « Les ~gles de la méthode sociologique ou l'instaura­tion du misonnement ex~rimental en sociologie », op. cit.

3. «Dans toute philosophie il Y a un moment ou e'est la .. conviction" du philosophe qui entre en scme, ou, pour le dire danlla langue d 'un ancien mysrel'e :

Advenfavíf osim4s Pulcher et fonissimus 11>

(Nietzsche, Par-eh/d le bien et le mal, 1'" partie, § 8).

Cent fois sur le métier ... 241

Autre est le probleme que nous pose, ji I'issue de ce travail, ce qui en est sinon la Ihese centrale, du moins I'idée rectrice. Ne risquons-nous pas d'€tre tombés, lors de I'établissement et du traitement des schemes, dans la double fau~e du cercle logique et de la contradiction avec le principe affrrmé du rasoir d'ÜCC8lO 1

Problémes posés par la détermination des seh,mes

Le concept de scheme s' inscrit dans une tradition kantienne : iI désigne - indépendamment de la Ihéorie de la connaissance ou il s' origine - une médiation dynarnique entre deux ordres. Chez Kant la Ihéorie du schématisme apporte une reponse 11 la question suivante : «cornment la subsomption des intuitions sous les concepts, et, par suite, l'application de la catégorie aux phénomenes est-eHe possible 1 »'. Le renoncement il toute perspec­tive transcendantale et l'adoption d'une démarche analytique noos imposaient de rechercher des éléments cognitifs capables d' articu­ler pratiquement et dans des procédures assignables I'intelligible et le sensible. Hors de toute préconception sur la nature et les formes de cet intelligible force nous était de construire un guide d'analyse formel - la relation A p B - et d'adopter une démarche de réductions successives (p. 37 et sq.) perm.eltant sur des discours déterminés d'identifier la relation p. or I'analyse du texte de Mm le disait assez clairement (p. 44), identifier p, en I'occurence le scheme dialectique, postulait une certaine idée de p. N'y-a-t­il pas la un cercle? L' objection est possible mais touche toute activité de connaissance el retrouve le vieux dilemne socratique du statut des idées : dis-je que ces deux choses sont égales paree que je constate leur égalité, ou est-ce parce que je les compare du poin! de vue de l'égalité que je les trouve égales ?

Le probleme doit dunc etre déplacé: si tout processus de connaissance implique 11 titre de postulat implicite I'idée de relations ou de propriétés a découvrir, c'est la nature de ceHes­ci qu'i1 importe d'interroger. Nous avons posé l'existence d'élé-

4. Ernmanuel Kant, Critique de la raison pure, éd. PlJF, 1944, p. 151. La réponse apportée par Kant a la question posée est la suivante:.« n est clair qu:íl doit y avotr un troisieme tenne, qui soit homogene, d'uo cOté, a la cat6gone, de l'autre aux phénom~nes. el qui rende possible I'application de la premím aux seconds. Cene représentation inlermédiaire doit eíre pUle (saos aucun élément empirique), el cependant il faUI qu'elle soit. d'un cOté, i"tellectuell~ el, de l'autré. sensible. Tel esl le schlme Ironsundal'llal )t (ibid.).

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242 L' intelligence du social

ments logico-cognitifs appelés schemes pour rendre compte de l' ensemble des procédures de pensée référables al' intelligence du social. En nous réclamant do príncipe du rasoir d'Occam (p. 59) noUs en avons limité le nombre. Mais une interprétation plus puriste pourrait considérer légitimement que nous aviono déja transgressé l' interdit par le postulat ml\me de cette existence ... Ce qui est vrai. Notre défense devrait insister sur la fécondilé d'une telle postuJation. Mais la théorie de la eonnaissance n'est pas la physique : nous ne pouvons pas, eornme Le Verrier, appeler l' observatoire de Berlin pour vérifier de visu l' existence, établie par la théorie, de la planete Neptune. Bien plus il s'agit d'une question qui, en sciencessociales, mobilioe en profondeur divers enjeux de recoru\aissance et de légitimité: ehrujue école a tendance a élaborer la earte de la discipline a partIr de sa propre position el a instaurtr des démarcatioris "fortes. Saisis, nous y avons insisté a diverses reprises, a partir de leurs manifestatioos programmati­ques el paradigmatiquesles schemes ont aiosi tendance a atre inscrits daos desoppositiotts" duelles direetenient iospirées d'enga­gemento thl\matiques contradictoires. Dans un tel eontexte toute démarche analytique aboutissant a une vision relativementsurplom­bante apparait par principe illuwire, insatisfaisante, et, pour tout dire, suspecte. Plus grave enfin, si cela es! possible, I'organisation des scMmes, teite que nous l' avons décrite (p. 61), "á de quoi troubler. Elle préSente une si apparente raiionalité daos la distribu­tion opérée entre les troio dimeosioos de la strueture, du sens et de I'hiotoricité, qu'il est toujours possible d'y voir une trop faeile rationaIisation.

L'ENJEU D'UN DÉTOUR

Malgré ces objections et ces diffieultés, nous persistons il voir un sens a cette entreprise et A juger féconds ses points de vue. QueUes que soient les rectifieatioos donl soit susceptible l' approche en termes de schCmes, elle nous semble avoir le· mérite de se situer au creur de I'intelligenee de I'objet et d'inviter a penser différemment le statut épistémique des sciences sociales.

Cent fois sur le métier ...

Si la connaissance du social est aujourd 'hui un enjeu non seulemont symbolique, mais aussi et de plus en plus instrumental, un tel détour anaIylique peul sembler autant gratuit qu' inutile. C'est oublier une chose : user de maniere instrumentale des acqull d'une discipline ou d'un savoir scientifique peut de moins on moins consister a appliquer des formules ou des recettes. L' échec esl iei d' autant plus garanti que l' objet esl complexe. Al' inverse, et cela n'est pas une des moindres raisons du succes de I'analyse de systeme, ce sont des méthodes qui sont requises. Mais ceUes­ci - el e'est le risque auquel donne Iieu la recherche opéra­tionnelle - se ramenent également a des recettes si eUes ne son! pas rattachées a la capacité de prodnire l'inteIligence conc~te d'une situation concrete. CeUe intelligence, eo~ue longtemps comme un art on un talent, nécessite A n' en pas douter un renfoit supplémentaire face ala eomplexité e! a I'interconnexion multiple des problemes du monde actue\. De meme que la production matérielle requiert des capacités d'innovation et d'invention qui ne resultent pas de la simple applieation de connaissances données mais mobilisent I'intelligence abstraite-concrete de phénomenes déterminés, de meme la eonduile du social, d'oil qu'elle s'opere, nécessite autre chose que l' alignement serré de rappons el d' enquétes. Peut -etre que la spécificité des sciences sociales téside en demiere analyse non pas tant daos la produclion de eonnaissan­ces positives que dans cette exploration incessante des modes d'inlelligence de leur objeto

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Index des matreres

actanclel (scheme), 28 et sq., 61, 76 et sq., 99 et sq., 111 et sq., 154,214.

acteur(s), 29 et sq., 76 el sq., 80-81,99 et sq., 128.

analogie, 124, 127 et sq. atornlsme/holismo, 153 et sq.

catéa9rics, 142. causal (scheme), 24 et aq., 3S·36, 61,

62 et ,q., 92-93, 110 et sq., 122. cause, calisafit6, 20-21, 104, 143 et sq.,

169 n., 171, 179-180. cauaalité stnlcturelle, 64-65. combinltoiÍe (apProche), 70-71. comprfbension, 18,28 et sq., 36-37, 206,

209, 226. conccpts analytiques, 168 el sq. conftrmation ~~rimenta1e, 203 et sq.,

206 el sq. conftontation (normes de), 211 et sq.,

223 el sq. constructivi.stIlC, 101, 121 el sq., 195. contradiCtion, 44, 48, 89 el. sq. controversc durkheimienne, 215 el sq.,

223. controversc weborienne, 213 el sq., 223.

dialectique (sc~me), 44 et sq., 49-50, 61, 81 el sq., 98-99, 16S.

discours, lS-16. 37-38, 133 et sq. données (data), 84. 108 el sq., 114 el sq. dualismo, 9, 18, 33-37, 6S, 118, 199,206,

224, 233.

épistémoloaique (rupture). 118, 177, 182-183.

épuration (du vocabuJaire), 146-147, 168-169, 171, 178.

cthnom~hodologie, S8, 77. SO, J22 el sq., 228.

expérience, exp6rimenlalion, 24 el sq., 37, 146, 174. 182-183, 18S, 189 el sq., 200.

explication, 18,23,33,39 et sq., 104-10"', 1l0-1ll.

explícation}compr6hension, 18, 28, 34-35, 206.

explication}dCscri.ption, 19-20, 114, 116-117.

6valuation sociale, 230 et sq.

fBits, 2S et sq., 41,107 el sq., 126 et sq .• 188, 193 el sq., 228.

fah initial. 109 et sq., 114. fonCiion, 66 el sq., 78, 94, 99. fonctionnelle (anuyse), 66 et sq. fonctionnclle (6quivalence), 21·22, 67. fonctionne1 (scheme), 61, 65 et sq., 78,

99-100, 111 el sq. fonctionnalisme, 66-67. forme, 45 el sq., 74-7S. fomaliutian, 21, 39 el sq., 60, 87, 118-

119.

habitus, 101-102. hermeneutique, 57. 191. bennéncutique (scbeme), 61, 72 et sq.,

97-98, 125-126. holiune, voir atomisme.

idéaltype, 33, 58, 74-7S, 119,237-238. incommensurabilitt, 149, 192 et sq., 211

et sq., 217 el sq., 222. indi ... idualisme m6thodologique, 28 n., 77,

80. 154 et sq. intelligence (de l'objet), 14 et sq., 31, 71,

9S, 10"', 117 el sit., 130et sq., 149,156, 161, 170, 177, 185,219,243.

intellipblc (trilvl.ll de 1'), lravail explicatif, 31, 37, 104, 114, 119, 132, 142, 145 el sq., 175, 177, 239.

intcJlqibililé, lO, 40, 62, 87-88, 141, 152, 166-167,199.

inlellilibiliU: (modcs d'). 16 el sq., 107 et sq., 127, lS3, 213 et sq., 221, 238.

Page 123: Libro de Berthelot francés

246

Intolliaibillll: (sch<_ d'), 22-23, 30-31, 34, 37 el sq., 43 et sq.~ S8 el sq., 62. 84-85, 88 et sq., 102 el sq., 109 el sq., 117, 130-13\, 142 et "'_, 154 el "'., 165-166, 179 el ",., 182-183,200,205-206,218 el sq., 241-242.

intellilibUité (sdtCmes dO) el tbtmata. 159 01 "l., 163 el "'., 166, 179.

intentionnali1t. 76, 89, 99 el sq. interlanaaae. 114 ct sq., 134 et sq., 222. invention (loaique de 1" 145. isomorphismes, 71. 18 el "l., 98 et sq.,

103, 113.

justiflcation. 200 et sq., 223.

Iangagos (joux do), 115, 13401 ",., 169. légitimité,l6sitimation, 84, 141. 157 et sq"

166,186-187,231. logicismc. 118-119. 233.

marxisme. 22, 44, 64, 74, 83, 99, 112, 135. métaphysique. 19. 67, 71. 143, ." n.,

167, 174 el "' .. 195-196, 199. mélhodes, 60, 62-63, 84, 106-107, 117,

178, 201. monismo, 9, 18, 23, 27. 199.

neutralilation, 91 el sq., 98 el sq., 102, 113. 129, 173 el "l.

nominalismo, '9 n., 1$' n., U1.

objectivation. objeetivit6. 94; 102, 120 et sq., 229.

Occam (ralOir d'), '9, 241-142. ordre/dósonlro, 153, 161 el "'.

paradigmr, 23. 38. 105-106, 120 el sq., 124 et sq., 148.

paradi¡mc anall)lique", 127 et sq. paradi¡me th60riquc. 12' el 14.. portinencc. U, 22, 34-3' • .o, 106 et sq.,

117, 119, 178, 202, 205 ot ",., 226. pluralisme. 9,17,3301 sq., 84,105,118,

146 el sq., 194, 199, 217 el sq. preuv:, 17, 23, 21, 37, 84, 106 el sq.,

117,119,136, 148-149, 163, 167, 178, 186 el sq., 192 et sq., 199 el aq., 202 et sq., 211 et sq., 220 et sq.

L'lntelligence du social

preuve (dialmique de la), 217, 220 el sq., 227,239.

prooéa, 45, 48, 61. propammc d'analyso (00 proaramme ox·

pUcalif), 48, 60, 62 el OC¡., 90-91, 93, 123-124, 127, 130, 132 el "l., IS5.

propositions explicativea, 39 et sq., 106, 114, 117, 121, 202 ot ",., 207, 221.

pl'OpoIitions cmpiriques, 39 el sq., 107 el sq., 114, 117, 121, 202 f't sq., 207.

psycbanalyse, 19, 67, 71, 143, 157 n., 167, 174 el "l., 19S-I96.

publications scientiftques, 230-231.

rationalisme ~xpérimcnta1, 28, 30, 161, 187.

refIet, 64, 97, 99. r6futation, 218 el sq. ñiftcation, 67, 173 el sq. relativismo. 19+19'. 199, 228-229.

scienca d~ la nalure el sclenca anlhfo.. posociales, 8--9,18, 23,28.113,111-118, 134 el "l., 140-141, 147, 151-152, 159, 185 o. "l., 199-200, 206.

_iotique (du ,ociaJ), 71. . sens, 29 el sq., 33, 3S. 56 ct sq., 72 el sq.,

79, 96 el "l., 167, 171, 171 ot "l. siluariano 170 79-80. sophistes, 115 n., 196, 228 .. structural (_), SO el OC¡., S4-5S, 61,

10 et sq. oymboUquo (ponséo), 58, ISO, 172 el ",.,

177 el ",., 199-200. syatble, 64, 69, 77 el sq., 89-90. 103-104. syst!me (anal}'IC de), 64, 68 et sq.

tbemata, 1S1 et sq., 161, 163 el ''1.., 166-167, 175.

théorio, 15-16,22,39 el ",.,107,117-118, 121,161,170,190,192 el sq., 202, 221.

usap discursif., 135 et sq.

v8l.idit~, validation, 16, 22, 24, 26--27, 35, 38,41,84, 106, 118, 135-136, 145-146, 160, 168, 181, 188 et "l., 192, 197, 202, 208 el sq., 229.

vtrill:, 16, 38,189-190,196-197,228 el "'.

Index des auteurs

Abragam A., 167 n.·. AdomoT. W., 105,141 n.,190-191. Albort H., 141 n., 191. AlthUSSCIr L., 44. Amiot M., 14 n. Andlor e., 158 n. Aristote, 142 n., 169 n. Aron R., 188 n., 211 n.

Baebelard O., 128, 142, 146, ISO, 170. 177, 181, 192,230.

Bacon F., 121. Baecbler J., 216, 219, 223. Balandior O., IS, 153, 161 et "l. &ardin L., 238 n. Barthes R., S8 n., 71. Baudolot e., 112. BaudriUard J., 71-Berll"r P., 12\. Bcrnard e., 1'8 n. Bomstcin B., 27 n. BertaJanffy L. von, 66 n., 156 n. Bertbelol J. M., 34 n., 112 D., 161 n.,

219 n., 240 n. Bertbelot R., 1S6 n. Bcsnard P., 213 n .• 215 n., 216, 223 n. Blanc M., 14 D.

Blanché R., 143 D., 203 n., 228 n. Bloor D., 198 n., 227 n. Soltomore T., 212 n. 8oudon R., 25 n., 27 n., 28 n., 31 n.,

64 n., 77, lOS, 113, )49 n., 153 et sq., 189, 204, 212 D., 226 n., 238 D.

Bouglé e., IS8 n'. Bourdieu P., 40. 68 n., 72 n., 101·102,

lOS, 112. Bourrlcaud F., 212 n. Boulroux E .• 229 n. Bouvercsse J.o 187 n .

BOZOD M •• 100 n. Broad W., 238 n. Brul1KbvicI L., 158 n., 229 n. Bunge M., 146, 156 n. BUBino O., 155 n., 209 n.

Caille A., 76 D.

Campenhoudt L., 138 n. Canguilhem G., 128 n. Caplow T., 231 n. eamap R., 147, 189, 198, 203. Corcle de Vienne,'9 n., 178, 181 n., 188,

197. Chalmers A. F., 187 n., 199 n. Cbazc:l F., 238 n . ChampalDe P., 238 n. Ciboil P., 63 n., 116 R., 238 n. Comte A., 143, 188 n. CookS. W., 238 R.

Costor M. de, 128 n. Coulon A., 80 n. Crozier M., 79, 116 n. CUvillier A., 212 n.

Dahrendorf R., 141 n. Descartes R., 147. Dieudonné J., 128 n· Dilthey W., 188 n. Dou .... 1. D., 215. Drouard A., 14 n. Dumont J.·P., 228 n. Durand O., S8 n., 74 n., 172 n., 177 n. Durand J.-P., 212 n. Durkheim E., 13 ,n., 23 et sq., 3S et sq.,

65 n., 91 ot sq., 101, 105, 106, 120 et sq., 136, 152. IS7 el sq., 163-164, 179·180, 202 el sq., 206, 208 n., 228. 233, 236.

Duvipaud J., 13 n.

• Le signe n. renvoie aux notes des pages mentionnées.

Page 124: Libro de Berthelot francés

248

Einstein A., 39 n., 118. 194. Enaels F., 96, 121, 136. Establet R., 112. Euclidc. 40, 17 n.

Festinger L., 238 n. Feuerbach L., 189. Feyerabcnd P., 27 n., 141, 192 et sq.,

197-198. Fischer C" 20S n. Forrester J. W., 69 n. Fraisse R., 14 n. Freud S., 125, 172, 195. Friedberg E" 79 n.

Gadamer A. G., 97 n., 98 n., 191~192. Galilée G., 198, 232. Garfinke1 H .. 12Q ot "'., 152. Ghiglione R., 238 n. Gil F., 187, 196 ot "'., 2Q1. Gmi G. A. o 68 n. Giran! A. o 100 n., 112. Gofl'man B., 80 n., 128 el aq., lOO, 178. Gorgias, 228 n. Graqcr O. G., 117 n., 224. Grawitz M., 238 n. Gucrmond y" 69 n. Gurvjtch. 44 n., lOS, 212 n.

Habermas J" 141 n., 188 n. Rahn H. O., '9 n. Hal6vy E., 158 n. Halsoy A. H., 109 n. Hayek: F. van, 15.5 n., 157 n. Hepl O. W. F., 82, 131, 190. Heidegor- M., 97 D., 91 n. HeÍSCInbe1'g W., 118, 170. Héraclite, 176. Héran F., 102 n. Hennan J" :59, 106. Héron F.o 100 n. Hinchi T. o 26 0,

Holton G., 39 n., 149 el sq., 164, 172, 179,2Q8.

Horkheimer M" 189-190. Hume D., 144, 174, 229.

Israel J" 44 n.

Jaecard P., 109 n. Jacob P., 140 O., 187 n. Jonasscn C. T. o 214 n.

Kant B., 97, 141, 142 D., 163 n., 114 et sq., 200, 229, 241.

L'inte/ligence du social

Karady V., 28 n. Kau D., 238 n. Kuhn T., 88, 14C, 148-149, 167, 176-177,

187. 192 ot sq., 197, 198.221, 237.

Lacbelier J., 170 D~ Lakatos l., 198 n. Lalande A., 143, lS6 D., 169 n. Lapie P., 158 D.

Latour B~, 227 n. Lazarsfcld P., 27 n., 227, 238 n. Ledrut R., 75 D., 117 D.

Lofcbvrc H .• 44 o. Leibniz G. W., lS7 o. unoir R., 238 o. Le Roy -E., 229 n. Uvi·Strauss C., SO et sq., 71, lOS, 124,

2Q3-204, 2Q6. Le Verricr U., 242. Lilienfcld P. de, 66 D.

LuekmaD T., 121.

Maeh E .• 143~144. Mae Kunnon M. H., 21S n. Maft"csoli M .• 31 n., 74 D., 7S n., 93.

156 n., 194, 224. Malinowski B., 66--67, 12S. Mao ,.. TOUOK, 82. Manab M., 209 o. Marx. K. o 43 el sq., 65 O., 81 O., 82.

95 ot ..,., 121, 160 n., 189, 195, 2Q2, 2Q5, 2Q7, 22Q, 241.

Mataloo B., 238 n. MauricCI M.o 209 n. Mcndras H., lS3 D., 212 n. Mcrllit D., 216 n., 238 n. Morton R. K., 14--1,S, 67, 209, 221, 227. Montlibcrt C; de, 14 o. Moore W. E., 212 n. MOriD B., SS et sq., 202, lOS, 207, 210.

Navillc P., 112. Ncwton l., 174, 194, 232. Nietzsche F., 195, 240. Nisbot R. A., 212 n. Novicow M. J., 66 n.

Oocam G. de, 59, 241-242.

Paoofsky B., 72. Parmenide, 176. Pasaeron J.-C., 40, 112. Pcrrenoud P., 231 n. Pharo P., 123 n. Piaaot l., 180.

lndex des auteurs

Pinto L., 238 n. Pinto R., 238 n. Platon, 196. Poincaré R., 14S. Poirier J.-L., 228 n. Popper K. R., 39, 105, 141 n., lS5 D.,

lS6 n., 157 D., 188-189, 198, 220 n. Protagoras, 196, 228. Ptoltmée, 232.

Quivy R., 238 n.

Reicbenbach H., 198. Riekert H., 188 n. Rist G., 102 n. Rivierc C., 164 n. Robcrtson H. M., 213 n. Rohcim G.. 125 et sq. Rosenberg, 238 n. Roussel L., 100 n. Russel B .• S9 n., IS7 n.

Sacks H., 123. Samuelson K., 21S. Saussure F. de, S8, 72. Sauvagcot A., 61 D.

Schutz A., 80. Se11ier F., 209 n. Selltiz C., 238 n. Sclvin H., 26 n.

Silvestre J.-P., 209 o. Simmel G., 7S n., lOS, 188 n. Singly F. de, 101 n. Sorokin P., 135. Soulez A. o 59 n., 118 n., 181 n. Spinoza B., 40. Stoetze1 J., 14 n.

Taine H., 228 n. Tarski A., 39 n., 173-174. Tawney R. H., 223 n. Thom R., 167 n. Torricelli E., 183. Touraine A., 77, 81.

Verrct M., l53 n., 212 n.

Wade W., 232 n. Walliscr B., 66 n. Weil R., 212 n.

249

Weber M., 28 el sq., 44, 58, 72, 7S n., 76, 94, 101, lOO, 119, 152, 153, 158 et sq., 188 n., 205, 207, 209, 210, 213 et sq., 220, 221. 223, 236.

Whorf B. L., 193. Windelband W., 188 n. Wittgenstein L., 19-20, 61, 115 n., 134. Wooglar S., 227 n. Worms R., 66 n. Wrigbtsmann L. S., 238 o.