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Les (…) contemporaines | Décembre 2009 PENSEES CONTEMPORAINES L’IDENTITE NATIONALE

L'identité nationale

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Pensées contemporaines. Publication de décembre 2009.

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Les (…) contemporaines | Décembre 2009

PENSEES

CONTEMPORAINES L’IDENTITE NATIONALE

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Association loi 1901 chargée de promouvoir la réflexion

contemporaine sur l’actualité.

Les (…) contemporaines. © Tous droits réservés. Décembre 2009.

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Sommaire

Sommaire ............................................................................................................................. 2

Introduction ........................................................................................................................ 4

Qu’est-ce qu’un Français ? ............................................................................................ 6

Le choc des identités : l’exemple de l’Amérique ............................................... 14

Identité et existence ...................................................................................................... 18

Une critique de l’identité nationale ........................................................................ 24

Eugène DELACROIX - Charenton-Saint-Maurice (Val-de-

Marne), 1798 - Paris, 1863

Le 28 Juillet. La Liberté guidant le peuple (28 juillet 1830)

Salon de 1831© R.M.N./H. Lewandowski

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Introduction

our vous qu’est-ce qu’être Français ? » Telle est la question posée par le

ministre de l’immigration Eric Besson sur le site Internet consacré au grand

débat sur l’identité nationale. La volonté qui anime cette manœuvre politique

est peut-être moins la prochaine échéance électorale (les Régionales de 2010), que la tentative de

justification de l’utilité positive d’un tel ministère.

Associé dans l’esprit public aux charters et aux expulsions forcées, le ministère de l’immigration s’intègre avec

peine dans un pays qui se fait le héraut des droits de l’homme et du citoyen. L’association réalisée entre identité

nationale et immigration est l’objet de nombreux malentendus et contribue à entretenir un climat d’insécurité

identitaire au sein de la population.

Ce ministère créé la polémique dès son origine, puisqu’il s’agit d’une idée reprise au Front National par le candidat

Nicolas Sarkozy au moment des présidentielles de 2007. Or pour le Front National qui reprend une formule de De Gaulle,

« la France est un pays de race blanche, de civilisation gréco-latine et de religion catholique ».

Cependant le ministère de l’immigration ne défend pas une définition de l’identité française selon des critères

raciaux, ethniques ou religieux. Sur son site, il analyse de manière floue l’identité française comme « à la fois l’héritage

de notre histoire et l’avenir de notre communauté nationale », avant de citer l’article premier de la Constitution : « la

France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les

citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion ».

Constatant que l’ampleur du débat et son caractère polémique nécessitent une mise en perspective

philosophique, sociologique et historique, nous proposons un dossier sur le thème de l’identité nationale axé autour

d’une note de lecture et de trois articles.

« P

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La note de lecture porte sur l’ouvrage Qu’est-ce qu’un Français de Patrick Weil qui réalise une histoire de la

nationalité française à travers ses dimensions juridiques et politiques (« Qu’est-ce qu’un Français ? »).

Le premier article considère le cas de l’identité américaine, non moins problématique que l’identité française, et

montre que l’association de l’identité et de l’immigration est un moyen rhétorique de jouer sur les peurs des citoyens

afin de créer une unité artificielle car exclusive (« Le choc des identités : l’exemple de l’Amérique »).

L’article suivant se penche sur la problématique de l’identité allemande et montre que l’identité nationale se

construit d’abord dans le questionnement présent de la nation, c’est-à-dire dans la recherche de ses modalités

d’existence concrète (« Identité et existence »).

Enfin un dernier article se consacre à la critique du concept d’identité nationale et invite à conduire une

psychanalyse du mythe national par le biais de ce qu’il génère : le refoulement de l’étranger (« Une critique de l’identité

nationale »).

Nicolas ROUILLOT

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Qu’est-ce qu’un Français ? par Emmanuel Condé

’ouvrage de Patrick Weil traite d’un objet central pour la compréhension de notre

société et de notre Etat : la nationalité française. Novateur, il offre une reconstitution

de son Histoire, analysée et interprétée avec pertinence et méthode. La nationalité est

ici décryptée : à travers une analyse historique, juridique et politique, elle devient (enfin) un

véritable objet de connaissance.

I. Les principaux points de l’ouvrage

Patrick Weil retrace l’Histoire de la nationalité française, depuis la Révolution jusqu’au début des années 1990.

Objet d’analyse, la nationalité « trace une frontière » entre qui est français et qui ne l’est pas. Elle est d’abord une

question de Droit, encadrée juridiquement. Elle est aussi une question politique, qui varie selon le contexte économique,

social, démographique, politique et militaire au cours des deux derniers siècles. L’auteur reconstitue cette histoire,

l’analyse et dresse un schéma précis des questions qui entourent la nationalité française aujourd’hui. Son ouvrage prend

une dimension très actuelle pour qui souhaite comprendre en profondeur le débat de l’identité nationale.

A) La construction d’un droit moderne de la nationalité

La première partie de l’ouvrage opère un retour historique pour comprendre comment s’est construit le « droit

moderne de la nationalité » [1+. Sous l’Ancien Régime, la « qualité de français », expression qui sera remplacée

progressivement par le terme de nationalité, n‘est pas fixée juridiquement. La résidence dans le royaume, signe

d’allégeance au souverain, en est la seule expression. Le droit du sol apparaît dans la Constitution de 1791 : la définition

du français est pour la première fois explicite.

L

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1803 est une date charnière pour le droit de la nationalité. Son inscription dans le Code civil constitue une rupture.

En effet, le pouvoir législatif impose le « droit du sang » [2] : d’après l’article 17 du Code civil, « est français l’enfant né

d’un père français ». Les individus ne sont plus rattachés à la terre où ils vivent, ils sont des citoyens qui appartiennent à

la nation française. « La nationalité prend son autonomie » [3] par rapport à la citoyenneté. Elle devient un élément de

l’état civil, « un droit de la personne » [4], et se transmet logiquement par filiation. Cette révolution juridique est la base

du droit moderne de la nationalité française, qui sera reprise dans la quasi-totalité de l’Europe.

1889 marque un tournant pour l’Histoire de la nationalité française. Tout au long du XIXe siècle, l’immigration

française se développe et va influer sur le droit de la nationalité. En effet, les immigrés et leurs enfants vivants en France

et ne réclamants pas la nationalité française posent un problème à la République, « une et indivisible ». Pour rétablir

l’égalité des devoirs entre tous les enfants nés et socialisés en France (notamment pour ce qui est des obligations

militaires des enfants d’immigrés), ainsi que pour éviter que des foyers de population étrangère se développent sur le

territoire national, les républicains imposent par la loi un nouveau jus soli (le double jus soli, fondé sur la socialisation et

non plus sur l’allégeance) : d’après la loi du 26 juin 1889est déclaré« irrémédiablement français l’enfant née en France de

parents étrangers eux-mêmes nés en France ». La socialisation à la française, par les institutions que sont la famille,

l’école et l’armée, donne droit ou impose (suivant un point de vue caricatural gauche/droite) la nationalité.

B) Les crises ethniques de la nationalité française

Après la Première Guerre Mondiale, la politique de la nationalité va devenir un instrument démographique. La loi

du 10 août 1927 est volontairement ouverte et inclusive : elle encourage et facilite les naturalisations avec un objectif

affiché de 100 000 nouveaux Français par an (trois années de séjour suffisent à ouvrir droit à la naturalisation). Elle

revient aussi sur « l’hérésie » qui faisait qu’une française épousant un étranger perdait sa nationalité. Cependant cette

politique particulièrement libérale ne va pas durer : dès les années 1930, ses opposants dénoncent les « français de

papiers » qui en profitent et dénaturent l’essence de la population française. La nationalité va connaître des moments de

crise au cours de la seconde moitié du XXe siècle. Ces moments de débats et de tensions, largement retranscrits par

Patrick Weil, sont l’objet de la deuxième partie de l’ouvrage [5].

La période de Vichy constitue la première et la plus forte crise de la nationalité française. Elle est le seul moment

où les conceptions raciales, plus ou moins présentes tout au long des XIXe et XXe siècles, ont pu s’imposer. La politique

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favorable menée depuis 1927 est sanctionnée par l’administration vichyssoise qui multiplie les dénaturalisations (près de

15 000 en 3 ans). Plus important encore pour saisir l’Histoire de la pensée politique sur le sujet, l’auteur nous décrit le

projet de réforme totale du Code de la nationalité mené de 1940 à 1943, qui oscille entre emprunt à la vision allemande

et maintien de notre idéal républicain ; celui-ci échouera car jugé « trop souple », notamment envers les juifs

notamment, et refusé par l’autorité occupante.

Deuxième moment important de débat, la libération. Après Vichy, la situation des étrangers vivants en France ne

s’améliore pas autant que l’on pourrait l’imaginer. La France libre ne se prononce pas en bloc à l’encontre des

dispositions prises sous Vichy et les débats qui précèdent l’adoption du nouveau Code de la nationalité en 1945 sont

largement marqués par les références racistes. Pour les naturalisations, l’approche ethnique se maintient. Un projet

d’ordre de désirabilité des étrangers est même adopté. Cette politique raciste menée par Georges Mauco, acteur central

des questions de nationalité de 1930 à 1970, est finalement remise en cause progressivement.

En parallèle aux années de croissance économique des Trente glorieuses, une législation « républicaine »

(égalitaire) et inclusive est progressivement rétablie. Mais le débat nationalité / immigration ressurgit avec les difficultés

économiques des années 1970 ; il va profondément marquer la scène politique des années 1980-90 [6]. La question

algérienne est relancée aux premières pointes de chômage par Valérie Giscard d’Estain, puis reprise dans les années

1980 par le Front National de Jean-Marie Le Pen. Les oppositions se focalisent sur le statut des enfants nés en France de

parents étrangers et sur le système déclaratif d’attribution de la nationalité à la majorité, qui se substitue à l’accession

de plein droit. Cette crise se traduit juridiquement par la loi de 1993 :« dans l’ancienne législation, devenue si confuse,

l’enfant pouvait devenir français sans le savoir ou le vouloir ; avec la loi de 1993, il pouvait rester étranger sans le vouloir

ni le savoir » [7+. En 1998, la législation réaffirme le principe d’égalité entre tous les enfants nés et socialisés en France et

permet également un meilleur respect de la volonté des jeunes d’origine immigrée.

C) La nationalité française : comparaison et pratique

Les deux premières parties de l’ouvrage retracent donc l’Histoire de la nationalité française, en insistant sur les

moments de sa construction (1803, 1889 et 1927) et les moments de crise (les années 1940 et les années 1980-90). Ce

travail se base sur des archives nombreuses, précises et soigneusement référencées : textes officiels de toute nature,

discours publics, articles de presse et de revues plus scientifiques... La mobilisation de sources jusque là restées muettes

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confère à l’ouvrage son caractère novateur. Des entretiens ont également été menés pour nourrir et compléter l’analyse

de la période récente. Ce décryptage juridique de première main est le fruit d’un travail long de huit années. En

nourrissant son propos par les écrits des acteurs de l’Histoire de la nationalité, l’auteur nous fait revivre les débats et

rend la lecture plus vivante. En effet, le rôle des acteurs, voire même leurs pensées (retranscrites à travers leur

correspondance) sont expliqués au lecteur qui se trouve plongé dans les débats juridiques et politiques qui entourent et

construisent le droit et la politique de la nationalité en France. Patrick Weil fait également appel aux travaux des

principaux auteurs sur le sujet (Abdelmalek Sayad, Rogers Brubaker, Gérard Noiriel…).

De ces deux premières parties de l’ouvrage, retenons que la Loi de 1889 est centrale, et toujours d’actualité.

Ajoutons que malgré la présence des conceptions racistes tout au long du XXe siècle, une approche républicaine se

maintient (en dehors du gouvernement de Vichy) et se consolide dans la période récente. Cependant, l’analyse n’est

complète qu’avec la lecture de la troisième partie de l’ouvrage : au-delà des textes et des débats, celle-ci permet de saisir

les enjeux de la nationalité française, analysée cette fois « en comparaison et en pratique » [8](avec le voisin allemand

notamment).

Patrick Weil montre d’abord les liens historiques qui existent entre droit du sol français et droit du sang allemand.

Il revient ainsi sur l’opposition simpliste entre deux systèmes dont les différences proviennent davantage des modalités

d’application que des principes.

Il montre aussi comment tout au long de l’Histoire de la nationalité, certaines catégories de la population française

ont été discriminée : les femmes au cours du XIXe siècle sous le régime du jus sanguinis ; les indigènes musulmans

d’Algérie, soumis à une lourde démarche de naturalisation après la Loi de 1889 ; et puis l’ensemble des naturalisés sous

la loi de 1927, qui bien que reconnus comme Français, ne peuvent ni exercer les mêmes droits que l’ensemble des

citoyens ni exercer certaines professions. Si historiquement le droit français de la nationalité est ouvert, Patrick Weil

souligne cependant qu’il créé de nombreuses inégalités.

Enfin, le dernier chapitre de l’ouvrage revient sur la pratique concrète du droit de la nationalité : son attribution

(par le mariage, la naissance et dans une moindre mesure la naturalisation), avec la description du circuit-type d’un

dossier de naturalisation ; sa déchéance (moins de un cas par an), analysée comme « contrepartie du libéralisme » [9] et

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affirmation de la souveraineté de l’Etat en dernier recours ; sa preuve, dont la difficulté pour les personnes étant français

par filiation constitue « la seule inégalité qui subsiste encore dans le droit français » [10] de la nationalité.

Au terme des quatre cents pages d’analyse historique, juridique et politique que nous livre Patrick Weil, le lecteur

a l’impression de tout découvrir à travers cet ouvrage « dont on sent qu’il s’agit d’une œuvre appeler à durer » [11].

Plusieurs cartes, documents et tableaux statistiques forment les annexes de l’ouvrage et permettent de préciser certains

points, comme la géographie changeante de la France et son influence sur la nationalité (notamment pour les habitants

d’Alsace-Lorraine), ou les chiffres de la nationalité française (accès par naturalisations, naissances, mariages et

comparaison internationale). Les curieux et spécialistes voulant approfondir les questions traitées par l’ouvrage pourront

se référer à la liste des sources utilisées, longue de neuf pages. Une bibliographie, un index des noms (qui renforce

l’insistance sur le rôle des acteurs) et un index thématique, ainsi qu’un glossaire d’une vingtaine d’entrées complètent

cet ouvrage de référence.

II. Développement d’un passage essentiel : « les contradictions de la naturalisation » [12]

Nous avons choisi d’insister sur un passage de la troisième partie de l’ouvrage, révélatrice du travail administratif

et du pouvoir de l’administration sur la mise en pratique du droit de la nationalité. La législation française s’est

prononcée pour une nationalité largement ouverte, et notamment accessible par la voie de la naturalisation. Patrick

Weil décrypte pour nous ce qu’il en est dans la pratique.

Un point particulier de la loi de 1973 stipule que le délai de droit commun de cinq ans n’est pas requis pour la

naturalisation des ressortissants (ou anciens ressortissants) de pays « ayant le français comme langue officielle », qui

peuvent donc demander leur naturalisation dès leur entrée sur le territoire. Une disposition similaire existe depuis 1961

et concerne les ressortissants des pays « sur lesquels la France a exercée sa souveraineté, un protectorat, un mandat ou

une tutelle ». Ces deux groupes d’immigrés, originaires de pays historiquement et culturellement liés à la France, sont

considérés par la législation française comme n’étant pas des étrangers comme les autres, et peuvent légalement (et

logiquement ?) bénéficier d’une naturalisation sans délai. Ces ressortissants représentent la majeure partie des immigrés

arrivants en France.

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Cependant, une note de la Sous-direction aux naturalisations précise qu’il serait « inopportun et préjudiciable

d’appliquer ses dispositions » [13]. Et de fait, « la durée moyenne de séjour en France au moment de la naturalisation est

de 17.8 ans » [14]. Patrick Weil nous explique cette contradiction.

Un premier élément tient à la jurisprudence, qui impose au demandeur de naturalisation « une résidence effective,

stable, permanente et durable en France » [15]. Ces degrés ne sont jamais considérés comme étant atteints avant trois

ans de résidence en France, et constituent donc un obstacle à la naturalisation sans délai énoncée dans la législation.

Allant plus loin dans la dénonciation, cette fois sur les pratiques administratives, Patrick Weil nous montre que les

naturalisations ne sont tout simplement « pas encouragées » [16] : par exemple certaines préfectures ne consacrent que

deux heures par semaine à la remise des dossiers de naturalisation ; ou encore, le délai pour la remise du dossier dûment

complété est supérieur à un an ; puis un délai de traitement prend en général plusieurs mois, d’abord pour les

préfectures, puis à nouveau par la Sous-direction des naturalisations. L’administration est même accusée de « tricherie »,

en jouant sur les dates et produisant ainsi le décalage le plus long possible entre le dépôt du dossier et son acceptation.

Cette description du travail administratif « à l’encontre » de la législation et des immigrés est le sujet des récents

travaux d’Alexis Spire [17+, qui complètent et précisent l’analyse fournit ici par Patrick Weil.

III. La lecture de cet ouvrage : un regard intéressant pour la pratique professionnelle de nos métiers futurs.

Apprendre de nouvelles choses est toujours intéressant pour évoluer dans le monde et la société complexes dans

lesquels nous vivons. L’éducation est à la base de la personnalité, et notre personnalité s’exprime en permanence au

contact des autres, par exemple en situation professionnelle. Nos métiers futurs nous appellent à travailler avec des

personnes qui ont pu connaître concrètement les questions de nationalité soulevées par l’ouvrage. Comprendre leur

parcours permet de se mettre à leur place et donc d’entretenir avec eux une relation plus personnelle. Cela va dans le

sens d’une ouverture plus large à son environnement, essentiel, notamment dans sa vie professionnelle.

Plus largement, la lecture de cet ouvrage nous apporte des clés pour comprendre le fonctionnement de l’Etat et de

son administration ; il est évident que notre pratique professionnelle, plus ou moins proche de « l’action publique »,

passe par un rapport à l’Etat et aux administrations qu’il est donc intéressant de connaître.

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Ajoutons que le livre de Patrick Weil est un exemple de recherche historique, à la fois dans sa densité et sa

précision, mais aussi dans la richesse de l’analyse. Il constitue un exemple que nous pouvons transposer dans nos

métiers, par exemple pour la rédaction de rapports, où la synthèse d’actions professionnelles.

Enfin, l’ouvrage de Patrick Weil met à mal de nombreux présupposés bien installés. Cela nous rappelle que les

certitudes sont toujours fragiles, et qu’il faut donc savoir garder une certaine souplesse, autant dans la vie de tous les

jours que dans la concrétisation de nos vies professionnelles.

Bibliographie

Patrick Weil, Qu’est qu’un Français ?, Histoire de la nationalité française depuis la Révolution, Paris, Grasset, 2004,

651 pages. (Edition revue et augmentée, collection « Foliohistoire »)

Notes

[1] Première partie de l’ouvrage : « la construction d’un droit moderne de la nationalité », p.21-141.

[2] Un éclairage sur « Jus sanguinis et Jus soli » (p. 639) est proposé dans le glossaire en fin d’ouvrage : ces deux

termes n’apparaissent qu’à la fin du XIXe siècle.

[3] Patrick Weil, Qu’est qu’un Français ?, Histoire de la nationalité française depuis la Révolution, Paris, Grasset,

2004, p. 182.

[4] Patrick Weil, op cit., p. 12.

[5] Deuxième partie de l’ouvrage : « Les crises ethniques de la nationalité française », p. 141-278.

[6] Si l’ouvrage s’arrête à cette période, nous pouvons pousser l’analyse jusqu’à nos jours, avec par exemple la

polémique qui entour la création d’un « Ministère de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du

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développement solidaire » par Nicolas Sarkozy en 2007. Ou encore les réouverture du « débat sur l’identité nationale »

qui précèdent les échéances électorales (municipales de 2008 ; européennes de 2009 ; régionales de mars).

[7] Patrick Weil, op cit., p. 272.

[8] Troisième partie de l’ouvrage : « La nationalité en comparaison et en pratique », p. 279-408.

[9] Patrick Weil, op. cit., p. 392.

[10] Patrick Weil, op. cit., p. 408.

[11] Selon les mots de Sébastien Laurent dans son résumé de l’ouvrage de Patrick Weil, disponible en ligne à

l’adressehttp://www.parutions.com/?pid=1&amp...

[12] Troisième partie, chapitre 9, sous partie « Les contradictions de la naturalisation », pages 377 à 387.

[13] Note de la Sous-direction aux naturalisations, 23 mai 1995, citée par Patrick Weil, op cit., note 13 P. 377,

explicitée p. 546.

[14] Patrick Weil, op cit., p. 378.

[15] Patrick Weil, op. cit., p. 379.

[16] Patrick Weil, ibid.

[17] Alexis Spire, Accueillir ou reconduire. Enquête sur les guichets de l’immigration, Paris, Raisons d’agir, 2008.

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Le choc des identités : l’exemple de l’Amérique par Nicolas Rouillot

u moment où la France engage un grand débat sur l’identité nationale, il peut être bienvenu de faire un

petit tour outre Atlantique pour voir comment le pays de Barack Obama envisage la question de l’identité

nationale. Aux Etats-Unis aussi cette question pose problème, et d’une façon d’autant plus prégnante que

les distinctions ethniques sont fortes et les disparités culturelles importantes.

L’unité nationale américaine s’est construite de 1870 à 1960 à partir d’une idée, notamment entretenue par

l’optimisme de l’école de Chicago, que les vagues d’immigrants successives pouvaient se fondre dans un moule culturel

pour devenir des citoyens américains. Cette idée que l’on exprime par le concept de Melting pot, sorte de creuset

permettant la fusion de métaux, est remise en cause dans les années 60, sous l’impulsion des revendications des

différentes minorités. La société américaine apparaît alors davantage fondée sur une hiérarchie raciale, religieuse,

sociale et sexuelle que sur une cohésion unitaire soucieuse des principes démocratiques comme l’égalité ou la liberté. Le

massacre des Indiens, les barrières à l’immigration asiatique jusqu’en 1952, la ségrégation des Noirs dont les droits

civiques n’ont été reconnus qu’en 1965, ont montré que l’identité nationale américaine trouvait ses racines surtout dans

la couleur de peau et dans l’exclusion des non blancs.

Cette prise de conscience a donné naissance à une nouvelle expression : celle de salad bowl (saladier) qui cherche

à conserver une cohérence à un ensemble dont les éléments présentent des caractéristiques hétérogènes. Derrière l’idée

de saladier, il y a la reconnaissance du fait que la nationalité américaine est composée d’un nombre important

d’individus dont la religion, la langue, l’origine ethnique présentent des caractéristiques diverses. Corrélativement des

droits ont été donnés à des catégories de population stigmatisées en raison de ces caractéristiques par le biais de

l’affirmative action (la discrimination positive) : dès 1961, le président John Fitzgerald Kennedy lance un programme qui

oblige les programmes financés par le gouvernement fédéral de s’assurer que les emplois ne sont pas soumis aux

discriminations raciales. L’action publique de lutte contre les discriminations s’intensifie ensuite par la mise en place de

quotas dans les universités et par l’obligation des entreprises réalisant des travaux publics de faire la preuve de leur non

discrimination à l’embauche.

A

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Plus globalement, la politique de discrimination positive s’insère dans un cadre théorique que l’on appelle le

multiculturalisme. Le multiculturalisme désigne un ensemble de politiques à destination des minorités visibles, comme

l’augmentation de leur présence dans les institutions par le biais de quota, la signalisation de leurs apports dans les

domaines culturels et artistiques dans les livres scolaires, le respect des contraintes liées à la foi religieuse, la formation

des forces de police concernant la diversité des us et coutumes des différentes catégories de population, etc. On trouve

ces mesures en partie développées aux Etats-Unis, mais elles connaissent un fort succès notamment chez son voisin du

Nord : le Canada.

Certains américains perçoivent le multiculturalisme comme le nouvel ennemi intérieur de la nation. C’est le cas

notamment du très controversé Samuel Huntington qui écrit : « fondamentalement, le multiculturalisme est contre la

civilisation européenne *…+, il s’agit d’un mouvement qui s’oppose à l’hégémonie monoculturelle de l’eurocentrisme, qui

a généralement provoqué la marginalisation de valeurs culturelles issues d’autres ethnies. Il s’oppose à une conception

étroitement européenne de l’identité américaine et des principes démocratiques et culturels américains. Il s’agit d’une

idéologie foncièrement anti-occidentale » (Huntington, 2004).

Pour comprendre pleinement cette citation, il faut d’abord détailler un peu la vision du monde offerte par cet

ancien professeur de science politique. En 1991, la chute de l’Union soviétique entraîne la fin de l’affrontement bipolaire

est-ouest à travers la guerre froide et l’avènement d’un nouvel ordre mondial. Emerge alors un monde multipolaire, dans

lequel on retrouve un affrontement des cultures : « dans ce monde nouveau, la source fondamentale et première de

conflit ne sera ni idéologique ni économique. Les grandes divisions au sein de l’humanité et la source principale de conflit

sont culturelles. Les États-nations resteront les acteurs les plus puissants sur la scène internationale, mais les conflits

centraux de la politique globale opposeront des nations et des groupes relevant de civilisations différentes. Le choc des

civilisations dominera la politique à l’échelle planétaire » (Huntington, Le choc des civilisations, 1996). Son analyse

consiste ensuite à diviser l’infinité des cultures humaines en cinq blocs de civilisation : occidentale, chinoise, japonaise,

hindoue et musulmane. Pour réaliser ces distinctions, il utilise des éléments objectifs tels que la langue, l’histoire, la

religion, les coutumes, les institutions, les signes identitaires comme le sentiment d’appartenance à une communauté

d’idées. Samuel Huntington va même jusqu’à proposer une prévision du conflit : Chinois et musulmans vont s’allier pour

combattre l’Occident, qui ne pourra survivre qu’en affirmant son identité fondée sur l’héritage européen et en

conservant son avance dans l’arsenal militaire. L’Occident doit donc prendre acte de l’échec de la diffusion des idéaux

des Lumières en vue de réaliser une civilisation universelle : seuls ses techniques intéressent les autres civilisations, mais

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pas ses valeurs telles que l’individualisme, l’Etat de droit, la séparation entre le spirituel et le temporel. La modernisation

via la mondialisation n’entraîne pas l’occidentalisation attendue, mais renforce l’attachement identitaire à leur

civilisation propre.

Dans un autre livre, Samuel Huntington reprend son analyse des chocs des cultures pour l’appliquer à la situation

américaine. Il envisage alors les rapports de force à l’intérieur de sa nation sur le même schéma que celui des relations

internationales : l’identité nationale américaine est incarnée par les descendants des colons protestants anglo-saxons qui

seuls détiennent la légitimité civilisationnelle du fait de sa couleur de peau, de ses valeurs et son histoire. Il identifie

également le « péril brun » que constituent les Hispanos ou Latinos. Ils sont en effet devenue la première minorité

ethnique du pays (14% de la population) devant les Noirs. Ainsi Samuel Huntington s’inquiète : « à mesure que leur

nombre augmente, les Mexico-Américains se sentent de plus en plus à l’aise avec leur propre culture et méprisent

souvent la culture américaine » (Huntington, Qui sommes-nous ? Identité nationale et choc des cultures, 2004). Ce

mépris pourrait aller jusqu’à « une consolidation des zones à dominante mexicaine et leur transformation culturellement

et linguistiquement distincte et économiquement autonome à l’intérieur des Etats-Unis ».

Samuel Huntington définit l’identité nationale comme « le sentiment de soi-même éprouvé par un individu ou par

un groupe » (Huntington, Qui sommes-nous ? Identité nationale et choc des cultures, 2004). L’immigration latino-

américaine catholique de langue espagnole est perçue comme une menace directe pour l’identité nationale américaine.

Huntington craint ainsi un « choc des valeurs », une réaction « aux diverses forces qui menacent le fonds culturel

commun et le Credo américain, on pourrait voir apparaître un mouvement mené par les Américains blancs de souche, qui

chercheraient à faire revivre une conception évincée et discréditée de l’identité américaine fondée sur la race et

l’appartenance ethnique et à créer une Amérique de l’exclusion qui expulserait ou opprimerait les populations issues

d’autres groupes raciaux, ethniques ou culturels ». Pour éviter ce phénomène, l’identité nationale américaine doit

revenir à ses fondamentaux léguer par la culture et les valeurs des colons protestants : morale du travail, langue

anglaise, traditions britanniques, common law, héritage littéraire, artistique, philosophique et musical européen. Pour

Huntington, une partie de l’élite américaine néglige l’identité nationale par adhésion aux valeurs multiculturelles qu’il

condamne. L’identité nationale américaine doit donc revenir à son Credo : liberté, égalité, individualisme, gouvernement

représentatif et propriété privée.

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Pensées contemporaines – L’identité nationale (Décembre 2009) 17

Les thèses de Samuel Huntington que nous avons cherché à présenter ici de manière la plus objective possible

comportent indéniablement des éléments racistes et simplistes. L’analyse qu’il compose est une stratégie identitaire qui

va à l’encontre des idéaux universalistes de la civilisation européenne qu’il prétend défendre. Pour autant, il n’est pas

possible de rejeter sa critique d’un bloc : le multiculturalisme est porteur d’une forme de relativisme qui conduit à

déclarer que tout se vaut sur l’échelle des valeurs, du moment qu’elle correspond à une culture. En ce sens, le

multiculturalisme fragilise l’hégémonie des valeurs européennes. Pour autant, les théoriciens du multiculturalisme tels

que le philosophe canadien Charles Taylor cherche moins à leur nuire qu’à prendre simplement acte de leurs limites. Par

exemple, le principe d’universalité lorsqu’il engendre la non reconnaissance des minorités entraîne des situations

d’intolérance et de négation des besoins de l’individu. Il remarque en effet que « la reconnaissance n’est pas seulement

une politesse que l’on fait aux gens : c’est un besoin humain vital » (Taylor, 1992). En outre, le multiculturalisme se veut

plutôt un prolongement des idéaux démocratiques qui nécessitent un traitement égal de tous les individus. Le problème

étant malgré tout de parvenir à maintenir une cohésion sociale, la mission des pouvoirs publics consiste à reconnaître

l’identité de chacun afin de faciliter sa perception par tous : « l’identité est partiellement formée par la reconnaissance

ou par son absence, ou encore par la mauvaise perception qu’en ont les autres ». C’est une voie que pourrait prendre la

France à en croire le sociologue Alain Touraine qui propose un « multiculturalisme non relativiste » où « l’autre doit être

reconnu comme tel, comme différent, mais seulement si cet autre accepte comme moi-même les principes

universels » (Touraine, 2005).

Bibliographie

Huntington, S. (1996). Le choc des civilisations. Odile Jacob, 2000.

Huntington, S. (2004). Qui sommes-nous ? Identité nationale et choc des cultures. Odile Jacob.

Taylor, C. (1992). Multiculturalisme, différence et démocratie. Flammarion, coll. « Champ », 1999.

Touraine, A. (2005). Un nouveau paradigme. Pour comprendre le monde d’aujourd’hui. LGF, coll. « Le livre de poche »,

2006.

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Pensées contemporaines – L’identité nationale (Décembre 2009) 18

Identité et existence par Cécile Nou

dentité et existence semblent aller de pair : malgré les changements qu’un individu peut subir, il reste le

même. L’identité serait non seulement la condition objective du maintien d’un être dans l’existence mais

également ce sans quoi la reconnaissance de l’individualité par l’autre et par soi-même serait impossible.

Appliquer à l’idée de nation, ces brèves considérations générales sur l’identité signifieraient les choses suivantes.

L’identité nationale est ce qui constitue la nation comme telle, autrement dit ce qui fait d’une collectivité d’individus une

communauté, et une remise en question de l’identité nationale, que corrobore dans les faits les discussions à son sujet,

seraient le signe, c’est-à-dire le symptôme et la preuve d’une possible mise en péril prochaine de la nation et plus

précisément de son unité.

Mettons pour l’instant de côté la question de savoir sur quoi l’identité nationale doit se fonder et interrogeons-

nous sur le rapport problématique entre unité, identité et existence de la nation. Il est vrai que si, pour reprendre les

termes de Leibniz dans sa Lettre à Arnauld du 30 avril 1687, « ce qui n’est pas véritablement un être, n’est pas

véritablement un être », l’éclatement de l’unité de la nation atteint cette dernière en son être.

En outre, la mise en péril de l’identité nationale comme ce qui la constitue comme une et la même compromet le

rapport nécessairement entretenu avec les autres nations dans le cadre des relations internationales. Le rapport à l’autre

est conditionné par la reconnaissance de la nation ce qui suppose qu’elle soit identifiable autrement dit qu’elle soit une.

L’unité rend possible sa représentation auprès des autres nations. Il s’agira plus loin de prendre la mesure du concept

d’altérité : s’agit-il d’une hétérogénéité radicale qui impliquerait sur le plan international non pas une convenance dans

le rapport pouvant se traduire dans les faits par l’entente ou l’alliance, mais mènerait au contraire à un rapport

d’exclusion signifiant concrètement guerres, invasions, expansion (nisme) ?

Souligner l’importance de l’identité nationale dans l’existence de la nation mène irrésistiblement à se demander ce

qui fait cette identité. La manière d’envisager l’identité nationale autrement dit la façon dont on perçoit son existence

I

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Pensées contemporaines – L’identité nationale (Décembre 2009) 19

dans le temps et la condition de cette existence ne peut qu’avoir des répercussions sur la politique de la nation et sur sa

manière d’agir par rapport à et sur sa conception de l’autre.

Nous avions noté le primat de l’unité de la nation ; l’identité de la nation doit donc être ce à quoi la communauté

adhère en son ensemble. L’identité nationale se référant à des valeurs d’une frange seulement de la collectivité aurait-

elle en effet un sens et surtout serait-elle vouée à se maintenir sans violence et sans mise sous tutelle ?

L’enjeu eu égard à l’identité nationale est donc double. En quoi les conceptions de l’identité nationale sont-elles

tributaires d’un certain rapport au ‘’passé national’’ qui déterminerait les valeurs sur lesquelles s’édifie la nation et du

même coup la façon d’appréhender l’avenir ? En quoi ces conceptions de l’identité nationale sont-elles déterminantes

dans la perception de l’étranger et dans l’action à son égard (qu’est-ce qui est l’étranger – à la fois à l’extérieur et à

l’intérieur de la nation ? Quelle politique à adopter à son égard ?)

Il convient, nous semble-t-il, de distinguer deux conceptions opposées de l’identité nationale. La première consiste

à fonder l’identité nationale sur la communauté d’un passé dont le lien avec lui serait à la fois un lien d’appartenance et

un lien d’ordre affectif. La seconde consiste, par contraste, à déduire l’identité nationale de la reconnaissance réciproque

de droits dont tous les membres peuvent jouir ; la communauté ainsi construite est une communauté juridique dont on

peut dire que la législation et les principes qui la fondent constituent le patrimoine singulier.

Selon le premier point de vue, la nation serait une totalité (organique) enracinée dans un passé dont les membres

se feraient les héritiers. L’âme de la nation constituée de tout un passé de traditions serait donc précisément ce qui

identifie la nation comme telle. Il doit être ainsi mis l’accent sur le rôle de la mémoire collective de ces traditions, de ces

valeurs du passé, mémoire trouvant dans les commémorations l’occasion de s’actualiser et d’être ravivée. Certes, le

passé que l’on commémore, par les choix qu’il implique ne signifie pas que les membres de la nation n’ont pas participé

et ne participent pas incessamment à sa construction. Il s’agit toutefois d’une construction tournée vers le passé et le

type de lien caractéristique d’une telle identité nationale est d’ordre affectif : « les hommes sentent dans leur cœur qu’ils

sont un même peuple lorsqu’ils ont une communauté d’idées, d’intérêts, d’affection, de souvenirs et d’espérances. Voilà

ce qui fait la patrie. (…) La patrie, c’est ce qu’on aime. » [1+). L’individu membre de la nation ne choisirait pas d’adhérer à

des principes juridiques et éthiques qu’il aurait pu jugés bons d’être au fondement d’une communauté pour la définir

(adhésion réfléchie) mais aurait au contraire à accepter un héritage pour signer son appartenance à la nation.

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Pensées contemporaines – L’identité nationale (Décembre 2009) 20

Il serait faux de dire que cette conception fait nécessairement un lien entre identité nationale, race et langue. En

outre, l’enracinement dans le passé qui la sous-tend ne signifie pas qu’il n’y a pas création et projection d’un avenir à

définir en commun. En d’autres termes, et dans les faits en tous les cas, la nation qui fonde son identité sur des valeurs

de respect du passé, n’est pas nécessairement synonyme d’immobilisme. C’est ce que qu’implique le concept

d’historicité d’Alain Touraine dans Production de la société : il s’agit pour la société non seulement de se reproduire, de

se maintenir dans l’existence par adaptation aux changements de son environnement mais aussi en se réinventant, en se

créant de nouvelles valeurs, de soutenir un projet d’avenir nouveau.

Il n’en reste pas moins que, quand bien même l’identité nationale est à construire à partir de l’héritage, la part de

participation du membre de la nation à cette construction de l’identité est réduite, du moins d’un autre ordre, par

rapport au cas où il aurait eu à donner son consentement à des valeurs juridiques valant pour tous et constitutives de la

nation, nous le verrons. Dans la mesure où l’identité nationale, qu’il s’agit de maintenir, dépend de valeurs de la

tradition, on peut se demander de quelle marge de manœuvre dispose l’individu dans sa participation politique. Quelles

libertés politiques sont possibles dans un tel cadre ? Si l’identité nationale se fonde sur un passé de valeur, peut-elle

résister à une remise en question et critique de ces valeurs ? Dans quelle mesure la liberté de pensée et la liberté

d’expression sont-elles respectées, donnent-elles lieu à des actes ? Cette conception de l’identité nationale ne comporte-

t-elle pas également le risque d’identifier le membre légitime de la nation à celui qui se trouve dans les circonstances de

pouvoir hériter des valeurs traditionnelles et du lien affectif que l’on a à elles, c’est-à-dire le national ‘’de souche’’,

‘’d’origine’’ ? A quel prix l’intégration de l’étranger est-elle possible ? Dans quelle mesure une telle conception de

l’identité nationale est-elle capable de faire la place à l’autre et à ses valeurs singulières sans qu’elle sente que ses

propres valeurs sont en danger ? Autrement dit, le nationalisme n’est-il pas étroitement lié à une conception de

l’identité nationale qui se fonde dans l’attachement à des valeurs du passé ?

En outre, si l’identité nationale, quand bien même s’enracinerait-elle dans le passé, est toujours à définir ; elle

n’est pas une donnée a priori. Or, une telle conception comporte le danger d’une inversion qui consisterait à dénier à la

nation l’initiative dans la création de son identité, ce qui conforte l’idée selon laquelle ses membres auraient une part

réduite dans la participation effective aux choix politiques et éthiques de la nation.

Le soupçon eu égard à une telle conception de l’identité nationale est ce qui, semble-t-il, motive une autre

conception radicalement opposée développée par Habermas. Celui-ci écrit à propos de ce qu’on peut rattacher à la

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Pensées contemporaines – L’identité nationale (Décembre 2009) 21

première conception : « dans la mise en œuvre publique de la tradition une décision est prise qui détermine quelles sont

parmi nos traditions celles que nous voulons ou non poursuivre. La controverse à ce propos s’enflammera avec d’autant

plus d’intensité que non seulement nous serons moins disposés à nous en remettre à l’histoire victorieuse de la nation, à

une normalité assemblant en un bloc bien joint tout ce qui a imposé son triomphe, mais qu’encore nous aurons pris

clairement conscience de l’ambivalence de toute tradition. » [2]

L’ambivalence de la tradition tient à ceci que le passé ne fait pas l’objet d’une acceptation tel quel mais bien plutôt

d’un choix de certaines de ses composantes, choix qui devraient être assumés comme essentiels et constitutifs de la

nation par l’ensemble de la collectivité. Or, les membres de la nation peuvent-ils être responsables et bien plus avoir

conscience de la responsabilité que supposent les choix de certaines valeurs traditionnelles et de souvenirs auxquels ils

n’ont pas directement participé ? L’espace public n’est-il pas davantage le lieu de controverses entre citoyens qui

discutent, davantage de qu’il faut retenir positivement de la tradition, de la manière dont on veut être citoyen et avec

quel cadre institutionnel. De telles controverses ne supposent-elles pas déjà une « mise en œuvre publique de la

tradition » ?

Pour Habermas donc et surtout dans le cas de l’Allemagne dont le passé nazi est un obstacle dans la constitution

de l’identité nationale comme attachement affectif à un passé, il convient de fonder la nation sur l’adhésion réfléchie et

réciproque à des principes juridiques fondamentaux valant pour tous. Citons Habermas : « (…) il est tout aussi

inconcevable qu’Auschwitz serve de ressort à un quelconque nationalisme négatif qui étaierait la communauté de destin

que Oevermann voudrait offrir comme base à un sujet se situant dans l’Etat national et qu’il faudrait rendre

solidairement responsable (pourquoi alors seulement maintenant). Auschwitz, (…) ne doit et ne peut leur rappeler qu’une

seule chose, à savoir que leur histoire ne leur permet pas de compter sur des continuités. En rompant la continuité avec la

monstruosité que l’on sait, les Allemands ont perdu la possibilité de fonder leur identité politique sur autre chose que sur

les principes civiques universalistes à la lumière desquels les traditions nationales ne sont plus appropriables telles

quelles, mais seulement dans une perspective critique et autocritique. » [3]

Le peuple allemand est responsable métaphysiquement, pour reprendre les critères de Karl Jaspers [4], de la

shoah, ce qui signifierait précisément qu’il ne peut que rompre avec le désir de fonder l’identité nationale allemande sur

une tradition, une histoire continue de l’Allemagne intégrant ou refoulant Auschwitz. Les principes juridiques

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Pensées contemporaines – L’identité nationale (Décembre 2009) 22

fondamentaux devant ainsi servir de base à la constitution d’une nation, étant des principes d’ordre universel dans la

droite ligne des convictions qui ont rendu possible la révolution de 1789, le rapport à l’autre est sensiblement différent.

A une telle perspective s’attache notamment l’idée d’une organisation cosmopolitique au sein de laquelle les

nations, sans renoncer à leur souveraineté, ne demeurent pas dans un état d’agressivité vis-à-vis de l’autre qui n’est plus

envisagé comme devant être conquis, comme l’implique un attachement nationaliste et traditionnaliste à la nation. De

plus, une telle conception de l’identité nationale, comme se fondant sur des principes juridiques valant pour tous les

contractants, auxquels chacun adhère librement, rend possible l’intégration d’un individu, dont l’origine et l’histoire à

laquelle il est attachée diffèrent de celles de la majorité des autres contractant, cette majorité tendant et son influence

alors à s’estomper.

Les deux conceptions de l’identité nationale comportent des insuffisances. Nous avons déjà souligné celles de la

première. En ce qui concerne la seconde, dans la mesure même où elle ne s’enracine pas dans un passé commun et où

elle dépend de l’adhésion renouvelée de chacun, est fragile. De plus, peut-on dire que cette conception est exempte de

la possibilité d’une dérive nationaliste et impérialiste ?

Les principes sur lesquels est fondée l’identité nationale, en raison même de leur caractère universel, pourraient

prétendre à l’exportation dans d’autres nations sous la forme d’une expansion douce et sans violence si ce n’est

idéologique. Aussi inconciliables que paraissent ces deux conceptions, peut-être pourrait-on rêver d’une

complémentarité dans les faits, ce qui signifierait que l’attachement à un passé commun viendrait soutenir une identité

nationale fondée sur des principes juridiques fondamentaux, sans que cet attachement ne dérive vers le nationalisme.

Ce passé commun ne serait-il toutefois pas forcément lié à l’histoire de la fondation de la nation par un acte d’adhésion

réciproque à des principes ? Ainsi, pouvons-nous trouver les conditions d’un dépassement de l’alternative qui semble se

refuser à la complémentarité ?

Bibliographie

Fustel de Coulanges, L’alsace est-elle allemande ou française ?

Page 23: L'identité nationale

Pensées contemporaines – L’identité nationale (Décembre 2009) 23

Habermas J., Ecrits politiques.

Jaspers, La culpabilité allemande.

Leibniz, Lettre à Arnault du 30 avril 1687.

Touraine A., Production de la société.

Notes

[1] Fustel de Coulanges, L’alsace est-elle allemande ou française ?

[2] Jürgen Habermas, Ecrits politiques, Edition du cerf, p 239.

[3] Ibid., p 260.

[4] Karl Jaspers, La culpabilité allemande, Edition de minuit, 1990.

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Pensées contemporaines – L’identité nationale (Décembre 2009) 24

Une critique de l’identité nationale par Nicolas Rouillot

oute utilisation de la notion d’identité commence par une critique de cette notion » (Lévi-

Strauss, 1975) déclare Claude Lévi-Strauss à la fin du séminaire sur l’identité organisé au

Collège de France en 1974-1975. Par cette formule, l’ethnologue invite à se méfier de l’identité

comprise comme ce qui permettrait d’atteindre l’essence même d’un individu. L’étymologie latine du mot identité est

idem qui signifie « le même ». Le même, c’est-à-dire ce qui reste identique, fixe, immuable. En face du même, on trouve

l’autre, ce qui diffère, change, dérange. L’identité peut constituer un vecteur d’enfermement d’une communauté et la

conduire à dresser des barrières contre l’autre, l’intrus, l’étranger. Mais l’identité peut aussi se comprendre positivement

comme « un foyer virtuel », c’est-à-dire comme une construction abstraite qui n’existe pas, mais qui sert de maison au

moi.

Ambivalente, la notion d’identité nécessite au préalable une critique, à savoir la distinction entre deux sens

possibles de ce terme : d’une part, ce qui fait que l’on reste le même et d’autre part, ce qui constitue l’histoire d’une

personne, son existence, ce qu’elle devient. Paul Ricœur distingue au sein de l’identité ces deux pôles qu’il appelle la

mêmeté et l’ipséité. La mêmeté désigne « l’ensemble des dispositions durables à quoi on reconnaît une

personne » (Ricœur, 1990). Ce sont les caractéristiques que l’on retrouve sur une carte d’identité qui répondent à la

question du « que suis-je ? ». Au contraire, l’ipséité répond « à la question du qui ? En tant qu’irréductible à toute

question quoi ? » En d’autres termes, l’ipséité renvoie non pas à la dimension essentielle de l’être, mais à la dimension

existentielle, au fait que l’homme vit dans un temps donné, qu’il a une histoire au cours de laquelle il se construit et

évolue.

La nation est une idée qui comporte également une ambivalence proche de celle entre essence et existence. Pour

la définir, deux conceptions s’opposent : une conception subjective et une conception objective. L’approche subjective

fonde la nation dans l’adhésion volontaire à des valeurs communes, à la volonté d’un groupe d’individus d’assumer un

passé, de vivre ensemble dans un présent et de partager une vision commune de l’avenir. L’approche objective fonde la

nation dans ses éléments objectifs : la langue, la religion, la culture, le peuple ou l’ethnie. Traditionnellement, la

« T

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Pensées contemporaines – L’identité nationale (Décembre 2009) 25

première est rattachée à la vision de la nationalité d’inspiration française et la seconde à celle d’inspiration germanique.

Si on acquiert la nationalité française en naissant sur le territoire français, cette acquisition suppose également que l’on

passe un pacte avec la communauté française, qu’on devienne un citoyen français, c’est-à-dire qu’on adhère à ses

valeurs républicaines, laïques et démocratiques. On ne naît pas français, mais on le devient en passant un pacte

d’adhésion avec sa nouvelle communauté d’appartenance. En revanche, pendant longtemps la nationalité allemande ne

pouvait s’acquérir que par le droit du sang : pour être considéré comme allemand, il fallait avoir au moins un parent

allemand. Etre né sur le territoire allemand ne suffisait donc pas pour obtenir la nationalité allemande.

Cette opposition entre une conception subjective et une conception objective se retrouve dans la pensée politique

de ces deux pays. Tenant de la nation subjective, Emmanuel Sieyès écrit que « la nation est un corps d’associés vivant

sous une loi commune et représentée par un même législateur » (Sieyès, 1789). Un peu plus tard Renan définit la nation

comme « une âme, un principe spirituel ». Elle est porteuse d’une dimension passée, ce qu’il appelle l’âme : « les

ancêtres nous ont fait ce que nous sommes », mais aussi d’une dimension présente et future liée à la volonté

commune : « avoir fait de grandes choses ensemble, vouloir en faire encore » (Renan, 1882). Tenant de l’approche

objective, Johann Gottlieb Fichte rattache la spécificité de la nation allemande au fait qu’elle n’est pas seulement un

peuple mais qu’elle possède un esprit : le Volkgeist (l’esprit du peuple). Le peuple allemand se distingue des autres

peuples parce que son esprit s’incarne dans des critères biologiques : « un peuple, c’est l’ensemble des peuples qui vivent

en commun à travers les âges et se perpétuent entre eux sans adultération, physiquement et moralement, selon des lois

particulières au développement du divin » (Fichte, 1812). Dans le même texte, il insiste également sur l’importance de la

langue et de la culture communes : « on appelle peuple des hommes dont l’organe vocal subit les mêmes influences

extérieures, qui vivent ensemble et qui cultivent leur langue ».

Ces différences entre les conceptions françaises et allemandes sont devenues des images d’Epinal. Elles tiennent

surtout aux conditions de formation de l’unité française et allemande qui ont été ensuite amplifiées à travers l’histoire

turbulente du XXe siècle. Composée d’une multitude de petits Etats, l’Allemagne, qu’on appelait alors la Prusse, est

parvenue à réaliser son unité politique seulement en 1871. L’idée de nation allemande s’est donc développée en

l’absence d’un cadre étatique unitaire, ce qui a contribué à renforcer les aspects liés à la langue et la culture. En

revanche, la centralisation française a commencé très tôt, sous l’impulsion du pouvoir royal. La conscience de la

nationalité, d’abord restreinte à la conscience d’une élite, s’est renforcée à la Révolution, sous l’impulsion de la

République qui devait se défendre contre des ennemis intérieurs et extérieurs.

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Pensées contemporaines – L’identité nationale (Décembre 2009) 26

Ces précisions historiques étant faites, il convient de prendre de la distance avec l’idée qu’une conception de la

nation serait bonne parce que subjective. Elle ressemble trop à un gallocentrisme pour ne pas inspirer la méfiance. Pour

Dominique Schnapper, la distinction entre une conception allemande et une conception française de la nation méconnait

en quoi consiste le projet national : « il n’existe pas deux idées de la nation » puisque « la notion même de nation

ethnique est contradictoire dans les termes » (Schnapper, 1994). Que ce soit chez Renan ou Fichte, le concept de nation

apparaît comme une abstraction : une âme ou un esprit, dont l’enjeu rhétorique est de transcender la simple agrégation

des individus pour la constituer en communauté. De ce point de vue, la nation se révèle être une construction, un

artifice, un mythe, contraint à évoluer au gré des tensions sociales, politiques, économiques, internationales ou

démographiques.

La comparaison des thèses de Renan et de Fichte montre que le mythe de la nation est une production de la

culture. La nation n’est pas un élément qui précède la culture, mais elle est un produit de la culture. Produire une

identité nationale consiste à unir du même, de l’identique au-delà de l’agrégat. Lévi-Strauss montre comment tout

groupe tend à se définir comme le seul détenteur de l’humanité, déniant aux hommes extérieurs ce trait de caractère,

afin de mieux affirmer son unité. Ainsi la culture a pour fonction de fixer « les frontières de l’humanité aux limites du

groupe tribal » (Lévi-Strauss, 1962). On retrouve ce phénomène dans l’Antiquité grecque où le terme de barbare désigne

tous ceux qui ne parlent pas la langue grecque : « l’Antiquité confondait-elle tout ce qui ne participait pas de la culture

grecque sous le même nom de barbare *…+. L’humanité cesse aux frontières de la tribu, du groupe linguistique, parfois

même du village » (Lévi-Strauss, 1952).

Cette stigmatisation de l’extériorité du groupe s’incarne parfois au sein même de la communauté. René Girard

montre que les communautés qui souffrent recourent à une victime sacrificielle afin de maintenir l’intégrité du groupe :

c’est le phénomène du « Bouc émissaire » (Girard, 1982). Ce mécanisme collectif vise à réguler la violence que sécrète le

désir individuel des membres d’une société. En désignant comme dans le rite juif de Yom Kippour narré dans l’Ancien

testament, une victime expiatoire, la communauté retrouve son unité initiale. A la fois processus et victime, le bouc

émissaire est un élément extrait de l’intérieur de la communauté pour emporter les tensions indissociables de la vie en

commun.

Renan ou Fichte en produisant du mythe national, construisent aussi une distinction entre un dedans essentiel et

un dehors qui lui est opposé. Fernand Braudel écrit qu’une « nation ne peut être qu’au prix de se chercher elle-même

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Pensées contemporaines – L’identité nationale (Décembre 2009) 27

sans fin, de se transformer dans le sens de son évolution logique, de s’opposer à autrui, de s’identifier au meilleur, à

l’essentiel de soi » (Braudel, 1986). La signification latine de l’étymologie du mot étranger, extraneus signifie « du dehors,

de l’extérieur ». Or il y a deux façons de gérer cette production d’extériorité inséparable de la production d’une identité

nationale : soit on distingue le même et l’autre, on fabrique des boucs émissaires aussi mythiques que la nation, soit on

intègre, par « une pensée du dehors » (Foucault, 1966), le même à l’autre.

Reposer la question de l’identité nationale est une manière à la fois de recréer une unité, mais aussi,

potentiellement, de rechercher un coupable, une victime, un bouc émissaire. Pour éviter cette dernière dérive, il faut

ajouter une double précision à propos de toute réflexion autour de la notion d’identité nationale. Cette identité doit

d’une part, ne pas rechercher du même, de l’identique, de l’objectif tout en se portant vers la dimension temporelle du

vivre ensemble : ce que nous avons fait, ce que nous faisons, ce que nous ferons. D’autre part, en se posant la question

de son identité, une nation ne doit pas oublier d’aménager en son sein une place à l’autre, à l’étranger, à l’extérieur.

Ce à quoi nous amène une critique de la notion d’identité nationale, c’est in fine à montrer que l’étranger est

présent à l’intérieur même du concept de l’identité nationale : « le moi n’est pas maître dans sa propre maison »(Freud,

1917). Edgar Morin a déjà remarqué le montage complexe de la notion d’identité : « l’identité constitue une sorte de

bouclage indissoluble entre similitude/inclusion et différence/exclusion » (Morin, 1980). Comme l’inconscient, l’autre est

présent dans toute nation. Vouloir l’expurger, c’est rien de moins que vouloir amputer l’humanité de sa richesse

intérieure. La reconnaissance de la présence de l’autre au sein du même et du même au sein de l’autre, est un paradoxal

emboîtement qui appelle soit un dépassement dans une supranationalité cosmopolite et multiculturelle, soit un

montage complexe et multiniveau qui rend problématique, voire impossible, la résurgence d’un sentiment national

unique.

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Pensées contemporaines – L’identité nationale (Décembre 2009) 28

Bibliographie

Braudel, F. (1986). L’identité de la France. Flammarion, coll. « Champs Histoire », édition en 3 vol., 2009.

Fichte, J. G. (1812). Discours à la nation allemande. Imprimerie nationale, 1992.

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Freud, S. (1917). « Une difficulté de la psychanalyse » in L’inquiétante étrangeté et autres textes. Gallimard, coll. « Folio

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Girard, R. (1982). Le Bouc émissaire. LGF, coll. « Le livre de poche », 1986.

Lévi-Strauss, C. (1962). La pensée sauvage. Press Pocket, 1990.

Lévi-Strauss, C. (1975). L’Identité. PUF, 2007.

Lévi-Strauss, C. (1952). Race et histoire. Gallimard, coll. « Folio essais », 1987.

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Renan, E. (1882). Qu’est-ce qu’une nation ? Milles et une nuits, 1997.

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Schnapper, D. (1994). La communauté des citoyens. Gallimard, coll. « Folio essais », 2003.

Sieyès, E. (1789). Qu’est-ce que le Tiers-Etat ? Flammarion, 2009.