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Sur les pas de Mimoun, Mohamed, Gilbert, Francisco, Philippe, Christian et les autres... “L’Ile Seguin, pour mémoire” Photos de Gilles Larvor / Agence VU “Retour sur l’Ile Seguin” Documentaire de 52’ de Mehdi Lallaoui Des images inédites & exclusives

“L’Ile Seguin, pour mémoire” Photos de Gilles Larvor ... · Durant des semaines, accompagnés des anciens de l’Ile Seguin, Giles et moi, nous avons investi, les ateliers,

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Sur les pas de Mimoun, Mohamed, Gilbert, Francisco, Philippe, Christian et les autres...

“L’Ile Seguin, pour mémoire”

Photos de Gilles Larvor / Agence VU

“Retour sur l’Ile Seguin”

Documentaire de 52’ de Mehdi Lallaoui

Des images

inédites & exclusives

Page 2: “L’Ile Seguin, pour mémoire” Photos de Gilles Larvor ... · Durant des semaines, accompagnés des anciens de l’Ile Seguin, Giles et moi, nous avons investi, les ateliers,

17, Bld Henri IV75004 ParisTél. : (33) 01 53 01 85 85Fax : (33) 01 53 01 85 80

Agence de photographes

Des images inédites et exclusives

A quelques mois de la démolition des mythiques usines Renault de l’ile Seguin de Boulogne-Billancourt qui a débuté en ce mois de mai 2004,ils étaient plus de 500 photographes et documentaristes à solliciter de la régie Renault l’autorisation d’immortaliser ce site emblématique. Unedizaine obtint le fameux cézame dont Gilles Larvor, photographe membre de l’Agence VU et Mehdi Lallaoui qui sont les seuls, à avoir le privi-lège et l’honneur d’avoir de précieux guides : Mimoun, Mohamed, Gilbert, Francisco... qui ont travaillé sur le site qu’ils retrouvent pour la pre-mière fois, après bien des années...

“Retour sur l’Île Seguin” est une plongée historique dans l’Ile Seguin à Boulogne-Billancourt, une initiative collective de Emile Témime (historien),Jacqueline Costa-Lascoux (juriste), Mehdi Lallaoui (documentariste) et Gilles Larvor (photographe membre de l’Agence VU). Le documentaire“Retour sur l’Ile Seguin” de Mehdi Lallaoui sera diffusé sur France 3 et France 5. Le livre vient de paraître aux Editions Autrement.

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Renault-Ile Seguin, les illusions perdues

par Gilles Larvor, photographe

“Le première fois que j’ai franchi l’immense portail de l’usine, fermée depuis déjà onze ans, j’ai eu le sen-timent étrange de pénétrer dans un tombeau, comme un ethnologue au cœur des pyramides. J’ai pho-tographié ce qu’il subsiste de ce lieu mythique comme un archéologue à la recherche du passé, enfouidans la terre, le verre, la poussière, sous les couches de peintures écaillées...Puis, j’ai photographié ces hommes, profondément émus, qui, bien des années plus tard, déambulentlentement, religieusement presque, dans le silence assourdissant des machines qui se sont tues. Sousleur pas, ce sont leur jeunesse,leurs luttes, leur vies qui défilent. Et ils semblent des fantômes, sous lalumière tombant des immenses verrières. De ce lieu, vide de toutes machines, remplacées peu à peu parla végétation, se dégage une dimension poétique et mystique à la foi. Cette poésie, sombre, romantique,j’ai tenté de la saisir dans la lumière, sur les visages, dans l’architecture et les matières, pour explorer cequi pour moi est un gouffre béant et inquiétant sur le passé, un tombeau, finalement, celui de la classeouvrière qui symbolise à mon sens la disparition d’une identité culturelle et la fin d’un rêve.Et dans ces larmes amères que retiennent pudiquement ces hommes, se reflétent les illusions perdues”.

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Renault-Billancourt : tout un symbole et plus...

Symbole de la grande aventure automobile du groupe Renault, l’Ile Seguindont les ateliers furent construits en 1929, n’est plus qu’un immensepaquebot échoué dans les eaux de la Seine, aux portes de Paris. Les ateliers de l’Ile Seguin, “l’île du diable” comme on la surnommait, tantles conditions de travail étaient pénibles, comptèrent jusqu'à 10 000ouvriers de près de 58 nationalités différentes.Antre de bien des innovations et expérimentations industrielles,Renault Billancourt était également, une vitrine sociale. Après lesgrèves de juin 1936, on l’appelait la “forteresse ouvrière”, et c’est là quetous les grands dirigeants de la CGT issus de la métallurgie, commeBenoît Frachon ou Henri Krasucky, firent leur classe. Avec son cortège de mutations, reconversions, licenciements... l’IleSeguin cessa toute activité en 1992. C’est en mai 2004 que les travauxde démolition on commencé.

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“Retour sur l’île Seguin”

par Mehdi Lallaoui, réalisateur

Durant des semaines, accompagnés des anciens de l’Ile Seguin, Giles et moi, nous avons investi, les ateliers, les coursives, les quais, les toits,les fosses, les cantines, les souterrains de l’Ile endormie.

Sur la grande esplanade, au débouché du pont d’acier qui enjambe la Seine, les pas crissent sous les bris de verre. Des pans entiers del’immense verrière industrielle, se sont effondrés çà et là, sous les assauts des orages de la décennie écoulée. Des plumes sont mêlées à la poussière et, au détour d’un atelier, dans de sourds battements d’ailes, quelques pigeons, s’échappent vers de hautes poutrelles.

Nos accompagnateurs qui avancent sur l’esplanade sont émus. Un grand silence les bouleverse et les submerge. Aux bruits des machines-outils, des presses et des balancelles mécaniques a succédé le souffle des lames de vent qui s’engouffrent par les espaces béants des baies,autrefois vitrées. La tôle vibre, l’espace semble gémir.

La perspective de ce que les anciens appellent “L’allée Wagonnière”, côté Bas-Meudon de l’Ile, est un réceptacle de lumière qui dissimule l’abandondes lieux. Le regard glisse sur une variation de poutres d’acier, jaunes jusqu'à hauteur d’homme, puis vertes ou bleues selon la succession desateliers.

Des arbrisseaux jaillissent des fosses recouvertes de terre. Par moment, c’est même unevéritable végétation où l’on se perd, comme dans une serre tropicale... qui ne ressemble à rien de connu.

Lorsqu’ils se dirigent vers la centrale électrique, les “hommes de l’Ile Seguin” parlent de“La Centrale”. À l’opposé de l’Ile, c’est la “Pointe amont”. La pointe avale n’existe pas dansleur vocabulaire. Ils nomment leurs ateliers par des numéros : le “12”, le “37”, le “74”.

Mohamed a travaillé près de trente ans, sur la chaîne, au “74 “. Il était l’un des quatremille OS du département de montage. Il gravait et fixait sur le bloc-moteur, les plaquesovales, ses petits morceaux d’acier numérotés, représentant sa “carte d’identité”. Il sepenche vers un meuble rouillé et glisse sa main dessous et en extrait le petit bout de

métal qu’il serre comme une relique. Ses yeux se voilent. Les bruits des ateliers qu’il croit percevoir, re-convoquent ses souvenirs. Il porte sonpantalon et sa veste grise. Tous ses anciens compagnons sont autour de lui et s’activent, chacun à son ouvrage, autour des véhicules qui avancentvers le contrôle. Toutes les langues de la terre s’entremêlent pour dire chaque matin au démarrage de la chaîne : “Bonjour, comment ça va” ?

Une permanence du comité d’établissement est suspendue sur l’esplanade, cinquante mètre plus loin, face aux bureaux dévastés de ladirection.On y accède par un escalier d’acier en colimaçon, ou par l’atelier de sellerie au premier étage. Sur les murs du local, des autocollants exigentla fin de l’apartheid et la libération de Nelson Mandela, d’autres clament la solidarité avec le peuple palestinien et vilipendent le CNPF, le chômage et les licenciements.

Mimoun se penche vers le sol jonché de débris et se relève, un journal à la main. Du doigt, il montre au milieu d’une trentaine de portraits, sa photo, vingt ans plus tôt. Mimoun faisait partie des délégués du personnel représentant les OS. À l’Ile Seguin, les délégués des chaînes, majoritairement CGT, constituaientle socle du syndicat. Le mot solidarité revient à chaque rencontre. Solidarité ! Les ouvriers des chaînes l’ontapprise en la faisant vivre à l’intérieur et à l’extérieur de l’usine. Chaque évènement important donnait lieuà des gestes d’humanité. Les collectes s’organisaient pour les mariages ou la naissance d’un enfant au finfond du Mali, du Maroc, ou d’Espagne. Celles, pour le rapatriement des corps vers la terre lointaine et natale, n’ont jamais subit d’exception. La générosité des hommes de l’Ile Seguin n’est pas une légende, etderrière le losange des OS de l’automobile, se cache un cœur gros comme ça.

Nous pénétrons dans IS 41, l’un des restaurants de la “citadelle”, qui surplombe le pont Zola. Etienne, ungrand Congolais se souvient en chantant. Lors des coups de chauffe dans l’Ile, il raconte la voix tremblanted’émotion, la sortie des milliers d’ouvriers traversant le pont, poing levé et drapeaux rouges au vent. DansIS 41, les frigos sont vides et ne sentent plus le moisie depuis longtemps. Des plateaux-repas gisent dansles cuisines dont il ne subsiste que le mobilier d’aluminium. Etienne s’est accroupi comme le font lesAfricains, là-bas, au village. Ses grandes mains ressemblent à celles d’un pianiste. Elles recouvrent tout sonvisage. Après ses larmes, il se redresse et les bras au ciel, il se met à chanter pour évoquer ses belles annéesenfuies.

Les verrières chauffent en été. Les anciens racontent que par beau temps, après guerre, la pause du midi s’écoulait au rythme des plongeons,dans les eaux fraîches de la Seine. Les jeunes de l’entretien, eux, allaient prendre le soleil d’août au cinquième étage, entre deux démontagesde ventilateurs géants, utilisé pour l’aération des ateliers de peinture.Là-haut sur les toits, vue imprenable sur la boucle du fleuve et sur la tour Eiffel. Gilbert, qui a participé à la grande grève de 47, se souvient avoir traversé la Seine, prisonnière des glaces, lors de l’Hiver 1955.

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Il évoque avec émotion, ses amis vietnamiens qu’il a côtoyés au département outillage.

En grimpant dans les étages, Christian s’arrête au milieu d’un escalier. Ses doigts grattent le mur. La peinture craque, explose, se disloque parpetites plaques. Un archéologue, pourrait reconstituer les périodes de rafraîchissement des lieux par les teintes vertes, jaunes, bleues, orangesqui se sont accumulées dans le revêtement mural.

Sur le toit, se dresse encore un échafaudage métallique, en haut duquel, sont orientés vers les points cardinaux, des haut-parleurs aux cônesaussi rouillés que muets. Les images en noir et blanc des opérateurs du mécène Albert Kahn, filmant dans les années trente, la sortie desouvriers de l’Ile, se superposent au récit de Nina Berberova, évoquant dans “Mémoires de Billancourt”, cette sirène hurlante, annonciatrice dela ruée vers la ville.

Dans les vestiaires, les portes béantes des cabines de tôles grises qui s’écaillent, s’alignent de façon militaire. Les noms de leurs utilisateursfigurent encore sur une encoche rouillée et parcourent toutes les régions du monde. Se succèdent, par un hasard des plus mystérieux les patronymes yougoslaves, sénégalais, breton, kabyles, vietnamiens, portugais, ita-liens, turques, tamoules.

Souvent, au dos d’une porte, un éclat de rétroviseur en guise de miroir permettaitun dernier coup de brosse ou de peigne avant la sortie. Une image de palmeraiesdécoupée d’un magazine touristique et scotchée sur la tôle tient toujours. Surl’étagère, des papiers ont été abandonnés. Et s’il ne s’agissait, en fait, que d’oublis,illusion d’un faux départ, d’une fermeture de l’usine chaque fois différée ? On découvre pêle-mêle, des fiches de paie, des arrêts maladies, des formulaires de lasécurité sociale, une ordonnance médicale, une carte syndicale à jour de cotisationsde 1991, des coupons du PMU, une lettre d’un cousin resté dans la région deKayes… Des objets aussi… Un ouvre-boîte, deux canettes de bière, une brosse àdents, les entrailles d’un vieux transistor dont les longs fils rafistolés sont branchéscomme un cordon ombilical à deux piles sans énergie… Un tube de vitamine C etun gant de caoutchouc noir.

Au-dessus de larges vasques des années trente, sont suspendus des diffuseurs de savon liquide. Une serviette poussiéreuse pend le long d’untuyau. Dans un vestiaire, le local du gardien à été tagué par les jeunes qui se faufilent, aujourd’hui encore, le samedi soir dans l’Ile, par le pontdu Bas-Meudon.

Francisco, ancien délégué de la CSL, possédait le double des cadenas des cabines. Il a terminé sa carrière chez Renault, dans ce cagibi. Les signatures murales des tagueurs font partie du jeu de piste et de leur cache-cache qu’ils livrent, à leurs risques et péril, avec les vigiles de l’IleSeguin.

L’atelier de montage mécanique, lui aussi désert, est un univers, vaste et étrange, qui s’étend sur deux cents mètres de long. Ambiance Hitchcockienne…La lumière qui se reflète dans quelques belles flaques d’eau, joue avec les ombres des poteaux. Sur un portique, une affiche au dessin stylisé,rappelle que les doigts d’une main sont les membres d’une même famille. Un vieux combiné téléphonique joue à la belote avec une chaise debureau de skaï gris, et une chaussure de sécurité, (pied gauche) abandonnée par un cul-de-jatte.

Philippe nous guide dans la Centrale, dont les fenêtres dominent la Seine et le pont de Sèvres. C’est d’ici qu’on produisait l’énergie qui alimentaittoute l’Ile, et dont les kilowattheures en surplus étaient vendus à Electricité de France. Avant-guerre, des barges chargées de charbon accostaientsur les quais pour alimenter les chaudières. Puis le fioul a pris le relais.

Dans la grande salle des commandes, une turbine géante, désolidari-sée de ses pivots, gît sur le sol. Philippe ramasse des cartons circulairesqui jonchent l’endroit. Il explique les montées d’énergie grâce aux traitsrouges qui zigzaguent sur les disques de contrôle. Puis, il nous emmènedans les entrailles refroidies du monstre. Il connaît chaque manomètre,chaque thermostat. Il nous montre le réduit où il a failli mourir d’unaccident du travail lors du remplacement d’une gaine de chauffage : un lourd carter en fonte pivote, et va l’écraser comme une fourmi…Il mime le geste du collègue qui le tire à la dernière seconde.

Sur l’emplacement de la Centrale, s’édifiera dans les années à venir,une fondation d’art contemporain, comme en Amérique... Philippe n’estni contre les musées, ni contre l’art contemporain, : “Si ça peut profiterà tout le monde, tant mieux, mais restera-il une petite place, pour lamémoire des travailleurs de l’Ile Seguin ?”

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