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1 L’imaginaire des pratiques d’escalade J. Corneloup, CRCS Orsay Corneloup J., "Les imaginaires en escalade", Les cahiers de l'imaginaire, revue internationale, 1999, n° 18, pp. 28-37 Quelles sont aujourd’hui les formes symboliques qui organisent la dynamique des gestes d’escalade ? Au cours de l’histoire, les grimpeurs se sont toujours inspirés de vastes fresques imaginaires pour décrire le monde des montagnes ou pour se lancer dans des défis alpins les plus fous. Une riche documentation médiatique révèle ce foisonnement des références iconiques et mythologiques, comme si les grimpeurs ne pouvaient se suffire de la seule réalité d’un rocher ou d’une montagne pour justifier leur attirance pour les jeux de la verticalité. On est bien alors obligé de penser que derrière la réalité des faits se cache toute une constellation imaginaire avec laquelle les grimpeurs composent pour donner du sens à leurs actes. Selon les liens qu’ils nouent avec les symboles de cette constellation, les rapports au rocher et les sensibilités à la nature ne se déclinent pas de la même façon. Bien souvent, l’histoire détermine les liens porteurs de sens. En fonction des époques, des formes symboliques dominantes ressortent. Elles viennent orienter les représentations que les grimpeurs se font de leur pratique et les manières dont ils investissent les espaces de pratique. Dans le cadre de cette communication, on s’attachera à montrer combien la grande rupture des années 1980 a entraîné une ouverture de l’imaginaire vers des formes plus baroques : les fortes oppositions historiques entre le haut et le bas, le rocher et le sommet, le plaisir et la souffrance, le masculin et le féminin... attachées à une symbolique ascensionnelle s’ouvrent aujourd’hui vers des combinaisons multiples. Celles-ci apportent d’autres visions de la nature et un renouvellement des expressions rocheuses : la thématique aventurière se revitalise, l’espace urbain devient un lieu d’expressions des verticalités grimpantes, le ludisme est à la mode, les styles de pratique se fragmentent,.... I – Les mécanismes, provocateurs de cette rupture Dans un premier temps, il s'agit pour nous de rechercher les processus qui ont participé au mouvement de la dynamique imaginale des pratiques d'escalade en partant de l'idée que des mécanismes multiples sont à la base de ces changements :

L’imaginaire des pratiques d’escalade

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L’imaginaire des pratiques d’escalade J. Corneloup, CRCS Orsay

Corneloup J., "Les imaginaires en escalade", Les cahiers de l'imaginaire, revue internationale, 1999, n° 18, pp. 28-37 Quelles sont aujourd’hui les formes symboliques qui organisent la dynamique des gestes d’escalade ? Au cours de l’histoire, les grimpeurs se sont toujours inspirés de vastes fresques imaginaires pour décrire le monde des montagnes ou pour se lancer dans des défis alpins les plus fous. Une riche documentation médiatique révèle ce foisonnement des références iconiques et mythologiques, comme si les grimpeurs ne pouvaient se suffire de la seule réalité d’un rocher ou d’une montagne pour justifier leur attirance pour les jeux de la verticalité. On est bien alors obligé de penser que derrière la réalité des faits se cache toute une constellation imaginaire avec laquelle les grimpeurs composent pour donner du sens à leurs actes. Selon les liens qu’ils nouent avec les symboles de cette constellation, les rapports au rocher et les sensibilités à la nature ne se déclinent pas de la même façon. Bien souvent, l’histoire détermine les liens porteurs de sens. En fonction des époques, des formes symboliques dominantes ressortent. Elles viennent orienter les représentations que les grimpeurs se font de leur pratique et les manières dont ils investissent les espaces de pratique. Dans le cadre de cette communication, on s’attachera à montrer combien la grande rupture des années 1980 a entraîné une ouverture de l’imaginaire vers des formes plus baroques : les fortes oppositions historiques entre le haut et le bas, le rocher et le sommet, le plaisir et la souffrance, le masculin et le féminin... attachées à une symbolique ascensionnelle s’ouvrent aujourd’hui vers des combinaisons multiples. Celles-ci apportent d’autres visions de la nature et un renouvellement des expressions rocheuses : la thématique aventurière se revitalise, l’espace urbain devient un lieu d’expressions des verticalités grimpantes, le ludisme est à la mode, les styles de pratique se fragmentent,.... I – Les mécanismes, provocateurs de cette rupture Dans un premier temps, il s'agit pour nous de rechercher les processus qui ont participé au mouvement de la dynamique imaginale des pratiques d'escalade en partant de l'idée que des mécanismes multiples sont à la base de ces changements :

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Rupture du système Les pratiques d'escalade peuvent se penser comme un monde social en équilibre à l'intérieur duquel des acteurs gèrent et organisent les jeux de la verticalité qu'un public-pratiquants consomme. Au temps de l'alpinisme classique (1800-1970), une seule pratique existe. Celle-ci est construite autour d'une "économie des rôles" (c'est à dire un jeu acteurs/public) des plus simples : un seul acteur (le CAF), une seule dynamique sociale (les alpinistes). Suite à une saturation des espaces de jeu alpin, à l'effondrement de la mythologie moderne et à la déclinaison de nouvelles sensibilités verticales, les années 1975-85 sont marquées par un éclatement du système escalade, tant aussi bien au niveau des acteurs, parties-prenantes dans la gestion de l'activité qu'au niveau du public-pratiquants. Quels en sont alors les effets sur le monde de l'imaginaire ? Les flux d'images produits par le marché médiatique de l'escalade et par les nouveaux acteurs et publics du système s'ouvrent ainsi vers des potentialités multiples : les médias des années 80 diffusent des images et des récits plus enjouées (plus proches de l'emphase que de la litote), plus interactifs et plus "esthétiques" (Maffesoli, 1989); de nouveaux acteurs apparaissent renouvelant le discours et les formes d'action (FSGT, constructeurs de murs, enseignants,...); les professionnels du loisirs s'activent à promouvoir une image de l'escalade plus sécuritaire et plus ludique. Bref, le système se transforme dans sa profondeur. On possède donc là un premier niveau d'explication de ce bouleversement des imaginaires provoqué par le renouvellement de la modélisation du système (Le Moigne, 1990), par la mise en place d'une structure institutionnelle plus informelle (Friedberg, 1992) et par l'apparition de nouveaux enjeux. Rupture communicationnelle Pour comprendre cette rupture, on part du postulat suivant : il existe un modèle communicationnel du grimper qui se construit entre un grimpeur et son objet de pratique. C'est à dire qu'en fonction des caractéristiques du grimpeur (culture et modèle du corps, processus cognitif sollicité), du médium en usage (les outils de progression et le support médiatique dominant), des codes de jeu, de l'organisation de l'espace de pratique et des imaginaire de référence, on peut dégager une forme communicationnelle particulière, en fonction des contextes et des périodes historiques.

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Médium(matériels de progression,...) (Médias, publicités,...)

CONTEXTE

CODE SOCIAL

FORMES SYMBOLIQUES

SOCIETE

(images, opinions, mythologies)

Grimpeur Espace de pratique

(code sportif, valeurs,...)

(forme sociale de pratique)

(Sites et modélisation des espaces)

(Profil cognitif, culturel,...)

(Modèle historique)

Le communicationnel des pra tiques d'escalade(Description de la forme active)

L'idée que l'on soutient est alors la suivante : dans les années 75-85, le remplacement du costume de grimpe (passage de la grosse chaussure rigide à la petite chaussure légère et souple; vogue aux vêtements élastiques, légers, colorés;...), l'apparition de nouveaux outils de progression (du piolet-ancre au piolet-traction, des crampons 10 pointes aux crampons 12 pointes, du piton au spit1,...), le passage d'une culture du livre à celle de l'image, la mise en place de nouveaux codes de jeu, la féminisation des formes de grimper (du modèle de la droiture phallique à celui de la courbe), la distance prise avec la culture du père et l'institution patriarcale, enfin le passage entre une procédure de grimpe statique, rationnelle et mécanique à une forme de progression interactive, procédurale et organique2 sont quelques facteurs communicationnels à l'origine des transformations des formes symboliques en escalade. Et vice versa comme l'un étant lié à l'autre, on peut dire que c'est parce que les formes symboliques se sont renouvelées que ces changements sont apparus, provoquant l'émergence de ces imaginaires post-modernes. De fait, le nouveau système d'action qui a été élaboré durant ces années-là a profondément renouvelé les figures de l'imaginaire de référence, dans ce passage du risque au ludisme, du masculin au féminin, de la souffrance au plaisir, de l'énergétique à l'informationnel, d'une symbolique ascensionnelle à une symbolique d'inversion, bref d'un régime diurne vers un régime nocturne de l'image si l'on suit la terminologie de G. Durand (1993). On rejoint ainsi cette idée que selon les schèmes de la verticalité dominants, ce n'est pas la même constellation imaginaire qui sert de référence. Il n'y a donc pas pour nous de constante anthropologique comme l'annonce JP Bozonnet (1992) et G. Durand autour d'une relation linéaire entre le geste vertical et les symboles ascensionnels. Les schèmes et 1Point d'ancrage fixe, capable de résister à des chocs d'importance. 2Les nouvelles formes de progression permises par la diffusion de matériaux inédits permettent au grimpeur d'exploiter au maximum ses ressources tant physiques que psychologiques sans forcément "risquer sa vie". Le grimpeur ressemble ainsi à une machine cybernétique, "planant au dessus de la conscience rationelle des choses"; une autre motricité du corps se met ainsi en place renouvellant par là-même les imaginaires corporels.

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les dominantes posturales sont aussi relatifs. Ils peuvent se modéliser différemment et se greffer sur d'autres régimes de l'image que ceux qu'on leurs attribue classiquement. Ainsi, si l'on est bien d'accord sur l'idée que le corps participe à la constitution de l'image et qu'il existe une étroite concordance entre les gestes du corps, les centres nerveux et les représentations symboliques, il faut bien se rendre à l'évidence qu'en fonction de l'histoire, le système d'action se modifie, ce qui a pour effet de modifier la dominante posturale et les imaginaires de référence : en observant la kinesthésie des grimpeurs, il apparaît que la gestuelle et les images du corps ne renvoient plus à la bio-mécanique, à la rigidité podale, à la technique, à la droiture des postures ou encore à la ligne verticale mais beaucoup plus à la "bio-cinétique", à la courbe, à la souplesse podale, à la fluidité dorsale,... bref à des schèmes de la verticalité qui ne ressemblent guère à ceux de l'époque moderne, entraînant ainsi le monde de l'escalade vers d'autres constellations imaginaires. Rupture stylistique En l'espace de 20 ans, des formes culturelles inédites sont apparues (aux contours plus ou moins flous) : les californiens dans les années 70, les hédonistes dans les années 80, les gagneurs-compétiteurs dans les années 85 et, au niveau de la périphérie du système, les touristes et autres pratiquants en tout genre. Toutes ces nouvelles formes de modalités de pratique ont sans aucun doute participé à l'émergence de langages, de références iconiques et de sensibilités les plus diverses. Quand le monde des élus alpins et des héros d'autrefois s'effondrent, on peut penser que tout un pan de l'imaginaire est en voie de disparition. Ainsi le passage d'un seul style de grimpe (les alpins-cafistes) à plusieurs styles (aux formes variées et multiples) participent au renouvellement des figures de l'imaginaire et à la définition de nouvelles manières de penser sa position symbolique et sociale au sein de cet espace de pratique. L'idée que l'on défend est alors la suivante : la mise en place d'une dynamique stylistique totalement renouvelée est à la base de l'apparition de nouveaux axes d'opposition. Des relations conflictuelles d'un nouveau genre se propagent entre grimpeurs. Elles apportent un éclatement des procédures identitaires tant sur un plan pratique et sportif que sur un plan symbolique et imaginaire. Conclusion L'imaginaire s'inscrit donc bien dans une histoire qui lui donne un sens différent en fonction des époques et des contextes et par là-même, une dimension sociale et politique. De fait, on a essayé de montrer que trois ruptures, trois processus ont participé activement au renouvellement des formes de l'imaginaire en escalade. C'est à dire qu'il y a bien pour nous un processus social qui permet de comprendre comment à partir d'une époque donnée les références imaginaires se sont transformées vers une autre modélisation.

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II – Approche sémiotique et structurelle des imaginaires Suite à cette fracture, on peut se poser la question des effets de ces changements sur le monde des images en escalade ? Est-il possible de percevoir des lignes directrices permettant de se repérer dans cet univers d'images, d'émotions et de symboles qui parcourent le champ imaginaire de ces activités ? Car il est un fait que les "choses" ont bien changé : quoi de commun entre un grimpeur qui réalise une première dans un espace d'aventure au fin fond de l'Himalaya et un autre qui sur fond musical dans une ambiance veloutée répète quelques gammes gestuelles sur un mur d'escalade aseptisé? De même, on peut repérer les mêmes écarts de sens entre la conquête de l'Himalaya par Herzog et Lachenal, les images d'une compétition d'escalade en salle ou une publicité sur la grimpe pour le compte d'Hooliwood-chewingum. Un peu de théorie Dans une perspective sémiotique, on dira que le signe à partir des années 80 est entré dans une ambivalence parfaite. Les liaisons classiques entre l'escalade et ses références symboliques usuelles – le risque, l'engagement, la mort, le sommet, le froid,... – ne sont plus suffisantes. Le signifiant s'est fragmenté en une multitude de polarités distinctives, le signifié a éclaté en une myriade de significations diverses. Bref, la structure sémiologique des pratiques d'escalade est plus proche aujourd'hui des connotations complexes que de la dénotation ou de l'icône. On est bien ainsi obligé aujourd'hui de se situer dans une logique interprétative, pour tenter de comprendre la signification des échanges imaginaires en escalade. Suivant en cela Eco (1988) et Greimas (1970), on dira que la sémiotique post-moderne de l'escalade se présente sous le registre de l'"encyclopédie" ou du "dictionnaire complexe". Aujourd'hui, il n'y a plus de logique formelle des signes quand tout devient assimilable à un geste de grimpe : marque de lessive, opération de promotion d'une voiture, image d'une société de travail temporaire, défi alpin par des cancéreux,... On entre ainsi dans le stade virtuel de la valeur-signe (Baudrillard, 1990) lorsque tout n'est pas dit par l'objet. La fonction symbolique devient ainsi primordiale pour approcher la signification des communications en escalade. Procédure de recherche Mais comment opérer pour se repérer dans cet univers mouvant ? L'analyse des images en escalade telle qu'elle est présentée par certains ne nous paraît pas suffisante. Que ce soit celle évoquée par B. Jeu (1984) qui situe l'escalade dans le monde de l'épreuve ou celle de J. P. Bozonnet qui classe les imaginaires en escalade dans le régime diurne de l'image, on est bien obligé de constater que les archétypes classiques comme les constellations imaginaires auxquels on fait habituellement référence ne sont plus opérationnels. Il faut ainsi face à la profonde ouverture du champ des images soit revenir à une approche phénoménologique soit approfondir l'approche structurelle, soit privilégier la combinaison des deux. Cette dernière solution étant pour nous la plus adéquate.

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La procédure adoptée est alors la suivante : on part de l'idée qu'il existe des polarités organisatrices – des principes organisateurs – des imaginaires en escalade qui peuvent nous aider à pénétrer dans la complexité du monde des images. En travaillant par différence au sein de ces polarités, on peut faire ressortir les styles imaginaires dominants. L'approche structuraliste consiste donc à organiser l'ensemble des points-symbole (conflit, images, émotions, sensibilités, discours) qui naviguent à l'intérieur de ce champ, en fonction des noeuds de relation qui apparaissent. Retrouvant le discours de Greimas ou de Lévi-Strauss (1974), notre démarche cherche ainsi à faire émerger les catégories sémiques de sens (binaires ou polymorphes) qui dynamisent les polarités organisatrices que nous avons répertoriées au nombre de quatre : l'espace et sa géographie mythique, le corps et son hexis, le social et son imaginaire et le pôle narratif. C'est donc pour une grande part autour de ces quatre polarités que les jeux de l'imaginaire vont apparaître. L'objectif étant de cerner la dynamique de ses polarités en fonction des styles imaginaires préconisés par telles ou telles familles de grimpeurs. Donnons quelques exemples :

Au niveau de l'espace et de sa géographie mythique • Quel est le modèle spatial dominant valorisé par les grimpeurs lors de leurs escalades : la ligne droite, la courbe, l'errance, le réseau ou le virtuel ? • Quelle place réservent-ils à l'Ailleurs et au jeu labyrinthique avec l'espace d'action : priorité à la nature dionysiaque et profonde, à l'espace chaotique d'une voie alpine, à la sécurisation extrême d'un espace ou au labyrinthe d'un mur intérieur ? • Comment est perçue la relation ville-nature : fuite, coupure, priorité à la ville, à l'interactivité ville-nature, au fragment ou à la spectralité (Guillaume, 1989) ? • Quels rapports physiques à la nature : approche prométhéenne, icarienne, contemplative, mystique, compétitive ou/et commerciale ?

Au niveau du corps et son hexis Quelle forme corporelle est dominante : le corps-souffrance, énergétique, plaisir ou le corps-performance ? Le modèle masculin, féminin ou androgyne ? Le corps-mortel ou le corps ludique ? Le corps-extrême, maîtrisé, ordalique, banal, héroïque ou technique ? Le modèle algorithmique ou heuristique lors de la résolution des "passages" d'escalade?

Au niveau de l'imaginaire du social (c'est à dire pour tout ce qui concerne la position et la stratégie sociale du grimpeur) • Quel rapport à l'institution : est-ce la logique institutionnelle et politique qui dominent ou la logique domestique et locale ? Approche centrifuge ou centripète ? Approche digitale ou analogique (Loret,1987) ? • Quel type de lien social : le club et sa structure paternelle ou la tribu et sa structure archaïque ?

Au niveau du pôle narratif (c'est à dire tout ce qui a trait à la représentation de la pratique (émotions exprimées, discours, conflits, valeurs défendues, conceptions de la pratique,...) • Quel est le modèle médiatique dominant : l'écrit, l'image, l'oral, la poésie,... ?

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• Quel type de nature défendent-ils : la nature parquée, aseptisée, urbanisée, non-équipée, intégrée,...? • Quel est leur conception de l'escalade : romantique, sportive, ludique, extrême, aventurière,...? A partir de cette approche et de l'étude phénoménologique et historique de l'escalade (entretiens, lecture des médias spécialisés et des documents d'histoire, ethnographie,...), il est possible de faire ressortir quatre formes imaginaires dominantes, à l'heure actuelle. Pour faire émerger les différences entre modèles imaginaires, on a utilisé la classification de G. Durand : Le classicisme Propre au régime diurne des images, le spectre et le glaive domine. La haute-montagne et son approche prométhéenne et contemplative3 sont largement identifiable. Les symboles ascensionnels, spectaculaires et diaïrétiques sont constamment évoqués par les alpinistes. On baigne ici dans l'univers de la ligne droite en direction du sommet et du monde des élus. Les structures schizomorphes sont de rigueur dans cette coupure constante évoquée entre le haut et le bas, la masculin et le féminin, les saints et les exclus, l'ombre et la lumière... L'approche mécanique, géométrique, humaniste et rationnelle de la nature domine. L'imaginaire californien Ici, on pénètre dans une fantastique imaginaire lorsque les symboles de l'inversion et les structures mystiques dominent. L'écologie des profondeurs est fortement plébiscitée dans cette valorisation de l'errance mystique, de l'habitat écologique et du brouillage des correspondances, chère aux romantiques. Contrairement à l'alpinisme, la sortie du labyrinthe ne conduit pas à la lumière du sommet mais à la pénétration dans un centre : la matéria prima. Bref, le romantisme et le monde de la fantasia s'affirment, ainsi qu'une dynamique baroque, dans cette volonté d'élaborer une autre rhétorique verticale que celle du classicisme, loin de la ligne droite, et de la montée vers le sommet et Dieu le Père. L'escalade devient pour ces grimpeurs un mode de vie; une symbolique cosmique prend forme; la nature redevient vivante (entre le haut et le bas); le corps du grimpeur se métamorphose en "homme-rocher"... L'esthétisme orgiastique La dominante digestive et narcissique domine dans l'affiliation de cet imaginaire au régime nocturne de l'image. Les espaces périphériques et les espaces de l'ombre, la montagne creuse et la verticalité urbaine sont valorisés mais principalement dans une approche écologique de surface (c'est à dire sans trop pénétrer et s'aventurer dans les profondeurs de la nature). L'imaginaire hédoniste est alors fortement plébiscité par ces chasseurs de sensations s'aventurant dans le ludisme de la grimpe à la recherche de "l'éclate totale". On valorise avant tout la nature bienveillante, chaude, aquatique et féminine par opposition à une montagne froide, austère, masculine, glacée et redoutable. 3L'approche contemplative est bien souvent élaborée autour d'une culture classique, celle de l'esprit, de la contemplation distale où c'est par le regard que l'on s'approprie "l'esthétisme de la nature". Ajoutons que là-aussi, on oppose la beauté de la nature aérienne à la laideur des villes et des bas-fonds.

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On prend goût à la versatilité des échanges avec la nature renouvelant ainsi sans cesse les sensations et les plaisirs. La métaphore frankenstein Imaginaire ambivalent qui s'inscrit dans une fantastique imaginaire où domine les métaphores de la techné, des jeux vidéos, du virtuel, de la simulation et de la programmation numérique. Le corps grimpant devient une machine cybernétique à la recherche de son clone : le grimpeur-mutant baignant dans un autisme verticalisant. En parallèle, le clone de la nature est en cours d'élaboration dans la production des structures artificielles d'escalade, des artefacts ou des vidéos d'aventure, c'est à dire de tout ce monde de la techno-nature verticale. Bref, de nouvelles représentions urbaines de la nature sont, ici, en cours d'élaboration. Elles viennent se superposer à celle du modernisme et permettent ainsi de redynamiser les imaginaires de grimpe que les images de synthèse, communiquées par les médias post-modernes, nous divulguent de plus en plus. Ajoutons que parmi ces transfuges de la grimpe se profilent les guerriers des temps post-modernes, tout ces gens baignant dans la culture du défi et désireux d'affronter les nouveaux dragons, chimères et épreuves les plus rocambolesques qui soient. Dans cet univers se retrouvent aussi tous "ces aventuriers en herbe" qui se lancent "à corps perdus" dans les multiples épreuves" proposés par les organisateurs de jeux interactifs de l'aventure touristique. L'imaginaire de la gagne, où chacun doit se prouver qu'il appartient au monde des battants irradie en douceur le corps social et vient renouveler les rapports entre la société et les pratiques d'aventure. Nombreux sont alors les pratiquants qui veulent avoir droit "à leur quart d'heure d'héroïsme" en partageant l'eucharistie de l'extrême avec tous ceux désirant appartenir à cette communauté des saints. A partir de la lecture de ces formes, on voit là se constituer les contours du champ de l'imaginaire, cette forme visible que l'on peut déceler mais qui n'en cache pas moins d'autres interprétations et formes d'imago possibles. III – Le positionnement des grimpeurs dans ce champ "imaginal" de l'escalade Suite à cette lecture de ces figures iconiques qui semblent constituer le paysage imaginaire de la grimpe et le dynamiser, on peut en dernier lieu se poser la question du positionnement des grimpeurs vis-à-vis de cet univers. Est-il possible, à partir d'une enquête, d'approcher au mieux, les styles de grimpe et de cerner les formes symboliques les plus opérantes ? On pourrait ainsi relier la lecture phénoménologique des imaginaires avec une approche plus quantitative et structurelle. Démarche et lecture des styles

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Pour répondre à cette problématique, une enquête a été réalisée auprès des grimpeurs de la forêt de Fontainebleau, en Ile de France. Les questions posées visaient à définir la position sociale, les usages sportifs, les images affectionnées ou rejetées ou encore les valeurs défendues par ces pratiquants de la nature. A la suite de cette enquête, il en ressort que quatre familles de grimpeurs sont en concurrence sur le marché des styles d'escalade. Tous ne se reconnaissent pas autour des mêmes valeurs, images et conceptions de l'escalade :

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*Course class ique

*Viande

*Enseignant

*Peu difficile *Rocher Guichot

*Divorcé

*Equitation

*Le Monde*Cadre sup

*Ingénieurs*Ski de fond

*Plus de 15000F

Chef d'entr, Commer.

*55 à 77ans

*Knikers*Gros sablons*Bloc-montagne*OisansBonatti

*Voie artf*Alpi-rando*Pétanque

*Caf

*Rébuffat*

*La montagne

*FM

*Pyrénnée*Yatch

*Hotel

*IV *Vêt. ville

*Technicien

Vêt. Millet

Espace d'aventure *

*Longueur grd e falaise

*Méditer *Voies exposées falaise

Voies fissures coinceurs

Gabarrou* Voie piola *Piola *

*VerdonVêt. excentrique*

*Bloc improviséABO* *VTT *Solo *BTS *Mont. M ag

*Autre religion

* consomme drogue

Collant coton* *Nervosité*25-30 ans Non viande*

*Etudiants

*16-24 ans

*Gym*Sport-co

*Sports de combat*Raboutou

*Pratique com pétition

Collant lycra*

*Etat dépréssif

*Travailler voies dures*Bloc

travail

*Prendre un vol Faire danse*

VIII

*Employés*Delta Para-pente

*Voie 1 longueur*Buoux

*Fsgt

*Camping-car

*Fumeurs

*Ouvriers

*Chamarande Malhesherbes

VII *Ballade nature*Sonnier

LA TERRE DES GRIMPEURS - ENQUETE MAI 1988 (447 grimpeurs) - J. Corneloup

vertical

LES TOURISTES(2)LES HEDO-SPORTIFS(3)

LES NEO-AVENTURIERS(4) LES ALPINS-CAFISTES(1)

*Chamonix

*golf

Comment lire ces graphiques ? Ces deux figures reproduisent les deu x dimensions factorielles de notre enquête. Sur la carte du ciel, se situent les conflits, qui se juxt aposent avec la carte de la terre, où sont positionnés les groupes sociaux. L es axes de connotation qui permett ent de se repérer dans le ciel(les composantes principales), et les a xes de différenciation qui balisen t la terre(les axes principaux) ét ant en correspondance par dualité, il faut regarder simultanément les d eux cartes, pour interpréter les d imen- sions extraites : les quatres qua drants numérotés 1, 2, 3, 4 dans l es deux graphiques se corresponden t.

+

*Lieux d'escalade poubelle *Pour prendre des risques en escal ade

*Montagne complète réalisation *

8c moins de valeur course engagée*Compétition, groteste sans intérêt

Interdir les expés lourdes à l'éve rest**

Fédé pas assez proche écologie

*Trop de monde à Bleau*Grimper c'est fuir

Escalade=froid, dépassement effort

*Etre sur une arête de neige*

*En montagne liaison force spiritue lle

*Après une course coin du feu

*Grimper se relaxer écouter naturelAventure solitaire*

*Fédé trop proche des compétitions

*Nouveaux grimpeurs tristes*Abus moulinette

*Absurde Mt Blanc en courant

*Vive le saucisson vin rouge*Inutile le B.E. d'escalade

*Pas besoin de magnésie à Bleau*En montagne voie ss sommet nul

*Pour la limitaion des scolaires à bleau

*Refuges archaïques

*Effacer circuits

*Absurbe une longueur

*Pour des falaises aventure*Les groupes nous envahissent

*Faire pas risqué sur bloc mousseuxPour parc naturel Mt Blanc

*Allemand sans gêne*

*Stage intégration natureArmée détruit la forêt*Raid survie commando

Etre deux et grimper*Aller Yosémites*Traversée au-dessus de l'eau

*

*solo escalade suprême

Après grimper aller danser**Aventure groupe *Escalade c'e st jouer le geste

s'éclater en falaise copains*L'escalade c'est la difficulté pu re

*Aventure compétitive(Raid blc)

*Explorator *Paris Dakar*Club Med

Faire des compétitions c'est actue lSuper site Pilote aventure*

Aller Seychelles*

Vive l'escalade sportive*

Pour l'héliski Montagne*

* *Pour l'escalade démocratisée

Faire perf. en compétition*

Grimper sur super rocher**

Pour l'equipement du haut*Mur mont. falaise

même chose

*Pour l'usage de prises sicatées

*Nature pas le plus important

*Esprit de cordée bidon rétro

*Escalade sport comme les autres

Ethique californienne(4) Le néo-classicisme(1)

La grimpe Frankenstein(3) La spectralité(2)

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Les alpins-cafistes, proches de la tradition alpine se présentent comme étant les gardiens des valeurs sacrées, de la morale et des lois historiques construites autour de la montagne. La prise de risque est pensée comme un processus initiatique nécessaire pour la formation des individus (“la montagne, une école de caractère, une école pour la vie!”)4. A l’opposé de cette vision, les hédo-sportifs se situent dans le quadrant de la transgression et de la jouissance des corps sportifs en mouvement. C’est ici que l’on défend le plus l’aseptisation des sites et une grimpe “sans risque”, à la recherche du plaisir maximum et de l’ilynx (le vertige) narcissique. La polémique qui oppose les deux autres familles est d’une autre nature. C’est parmi les néo-aventuriers que se trouve le centre de la contestation contre le tout transparent et la normalisation des pratiques. Ils valorisent la prise de risque extrême (l’ilynx écologique) et la nature sauvage et mystique à la recherche d'anciennes correspondances” (animistes). Ils s'opposent aux touristes, favorables à la banalisation de tous les espaces. Lecture politique et imaginaire A travers les échanges symboliques qui se produisent, les structures des imaginaires en escalade apparaissent en équilibre. Les thèmes de discussion (nature, engagement, risque, sécurité, plaisir, effort,...), les objets perçus (vêtements, téléphérique, équipement, nourriture, chaussures,...) ne prennent leur sens que rapportés à la position des grimpeurs dans ce microcosme. Bref, c’est dans l’interaction entre les quatre familles que se joue la construction des logiques de pratiques, le marquage des identités de grimpe et la place à accorder aux différentes images de grimpe. Il y a là, un premier niveau d'analyse des formes symboliques qui renvoie à une interprétation politique. En allant plus loin, on peut faire émerger les structures profondes des imaginaires de l'escalade qui s'organisent autour de 4 polarités : l'aventure écologique, l'esthétisme orgiastique, le classicisme et la sociale grimpe organisée. De ces structures, des oppositions sont perceptibles entre grandes familles de grimpeurs : d'une part entre ceux situés dans le repli et la conservation des traditions, et ceux situés dans l'hédonisme, la compétition et la transgression; d'autre part, entre ceux situés dans l'univers de l'aventure, de la mystique écologique et du défi, et ceux situés dans le monde de la transparence et de la soumission au réel.

4 Propos du responsable de la commission alpinisme au CAF (entretien, oct.1993) : “Ceux qui font de l’alpinisme, ce sont des gens plus formés que les autres. Ils sont plus que les autres, capables de prendre des décisions, ils assument plus leurs responsabilités et sont mieux armés pour affronter la vie. On ne triche pas avec soi lorsque l’on est engagé dans une voie alpine. Ne pas prendre des risques, c’est régresser; cela permet de s’affirmer, de ne pas avoir peur et d’apprendre à se maîtriser, en toute occasion...”

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L'AVENTURE EC OLOGIQUE(la dramatisation)

ESTHETISME OR GIASTIQUE ( Profane)

(On recherche le mouvement)

Ethique californienne

La grimpe Frankeinstein

(défi-sacrilège)

LA SOCIALE GR IMPE URBANISE E

LE CLASSICISM E(On défend les équilibres)

(le sacré)

(la transgression)La spectralité

Le néo-classicisme(Repli-interdit)

(rituel-soumision réel)

(le compromis)

Les néo- aventuriers

Les alpins- cafistes

Les hédo- sportifs

Les touristes

LES STRUCTURE S PROFONDES DU (J. Corneloup )

CHAMP DES PRA TIQUES D'ESCA LADE

On perçoit ainsi les polarités organisatrices de ce champ, qui nous rappellent par bien des points, les quatre formes symboliques que nous avions évoquées précédemment. Comme si la lecture phénoménologique des imaginaires en escalade correspondait avec les résultats de notre enquête. On peut ainsi penser que notre étude du champ des pratiques d'escalade tend vers une certaine pertinence, même s'il est toujours possible de critiquer la démarche suivie et les interprétations réalisées. Ajoutons que notre étude des styles de pratique vient aussi confirmer l'idée sur les correspondances existant entre les modèles sportifs de grimpe, les formes d'investissement de la nature et les formes symboliques de référence. On rejoint ici les propos que nous avions développés dans notre première partie, montrant combien les constellations imaginaires en mouvement prennent racines dans l'hexis corporel.

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Conclusion Bien sûr, en suivant G. Durand (1992, p. 440), on peut objecter que "la représentation et son contenu imaginaire, onirique ou artistique peut radicalement démentir le comportement général de la personnalité" ou que "la richesse et le régime de l'imagination peuvent fort bien ne pas coïncider avec l'aspect général du comportement ou du rôle psychosocial". A cela, on peut toujours répondre que l'imaginaire a l'art de se jouer de lui-même, de s'inventer des rôles et des aventures fictives pour alimenter les fantasmes les plus divers, sans pour autant à moment ou un autre, refuser de faire apparaître la forme la plus visible et "réel" de son imaginaire. La psychanalyse a toujours insister sur les multiples langages de l'inconscient, dans le désir des individus de se jouer de la réalité et de leur condition sociale. Et à ce titre, l'histoire de l'escalade recèle de "tartarins" des montagnes qui aiment à s'imaginer comme étant les "meilleurs grimpeurs du monde". La fiction dépasse alors la réalité pour le meilleur comme pour le pire. Elle permet dans tous les cas d'alimenter la "poétique de l'escalade" et de créer de la turbulence, alimentant par là même le vitalisme ambiant. On rejoint ainsi les propos de A. Sauvageot (1987) montrant combien l'imaginaire collectif peut avoir sa propre autonomie, en dehors de toute réalité sociale... Pourtant, notre étude se trouve devant un paradoxe : est-il possible de concilier une approche relativiste et structuraliste des imaginaires ? D'un côté on rejoint les propos d'O. Majastre (1992) montrant combien l'imaginaire peut investir un même objet de significations différentes et "déjouer les couples de valeurs les mieux assurés" – c'est ce que nous avons cherché à montrer lors de notre approche historique de l'escalade; de l'autre, on accepte cette croyance à l'existence d'un certain imaginaire de la matière – propre aux rêveries de la terre – suivant en cela G. Bachelard (1947), comme on reconnaît une certaine crédibilité à l'approche anthropologique de J. P. Bozonnet sur l'imaginaire social de la montagne et la primauté donnée aux symboles ascensionnels... dans l'univers des montagnes. Mais à chaque fois, on veut reconnaître l'existence d'une histoire sociale des imaginaires sociaux qui vient cristalliser les couples de valeurs entre le haut et le bas, le masculin et le féminin, l'effort et le plaisir... selon les espaces valorisés, le modèle escalade en vigueur, la forme du communicationnel prédominante ou encore selon les forces sociales ou stylistiques en présence... Et toute notre approche a cherché à montrer l'entrée des pratiques d'escalade dans le monde de la complexité et du multiple imposant le détour par des approches globales, complémentaires et conjonctives : il faut ainsi redonner de l'actualité à cette notion de champ pour cerner la dynamique des imaginaires, si l'on suit la terminologie de P. Bourdieu (1987), même si la lecture des structures dû fait de la turbulence de notre époque, qui tend à donner un avantage au lecture "formiste" (Maffesoli, 1990) de la réalité sociale, devient de plus en plus difficile à faire.

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Bibliographie Bachelard G., La terre et les rêveries de la volonté, Ed. José Corti, 1947. Baudrillard J., La transparence du mal, Galilée, Paris, 1990. Bourdieu P., Choses dites, Ed. de Minuit, Paris, 1987. Bozonnet J. P., Des monts et des mythes, PUG, Grenoble, 1992. Corneloup J., "Escalades et post-modernité", in Aventure, revue Société, Dunod, n°34, 1991, pp. 385-395. Corneloup J., "Escalades : entre risque et ludisme", in Universalia, 1995. Durand G., Les structures anthropologiques de l'imaginaire, Dunod, Paris, 1992. Eco U., Sémiotique et philosophie du langage, PUF, Paris, 1988. Ehrenberg A., Le culte de la performance, Calmann-Lévy, 1991. Friedberg E., "Les quatre dimensions de l'action organisée", revue française de sociologie, XXXIII, pp. 531-557. Greimas A. J., Du sens, Ed Seuil, 1970. Guillaume M., La contagion des passions, Ed. Plon, Paris, 1989. Jeu B., Le sport, l'émotion, l'espace, Vigot, 1984. Le Moigne J. L., La modélisation des systèmes complexes, Dunod, Paris, 1990. Levi-strauss C., Anthropologie structurale, Plon, Paris, 1974 Loret A., "Culture sportive analogique et structures sportives digitales", in Sport et changement social, MSHA, Bordeaux, pp. 189-200. Maffesoli M., Au creux des apparences, Plon, Paris, 1990. Majastre J. O., "En eaux troubles", in Nature de la santé, Santé de la nature, IGA, Grenoble, 1992, pp. 119-132. Sauvageot A., Figures de la publicité, figures du monde, PUF, Paris, 1987.

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MODELE D'APPROCHE

DES IMAGINAIRES EN ESCALADE (J. Corneloup, CRCS Orsay)

I – Imaginaire de l'espace 1 – Type d'investissement 2 – Espace valorisé 3 – Déplacement dans l'espace vertical 4 – Relation à l'espace géographique II – Imaginaire corporel 1 – Dominante motrice 2 – Modèle du corps 3 – Image du corps III – Imaginaire social 1 – Sociabilité 2 – Forme culturelle 3 – Dominante institutionnelle IV – Symbolisme • En référence aux structures imaginaires de l'imaginaire (G. Durand) • Quelques images-clés

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Imaginaire des hédonistes : L'esthétisme orgiastique

I – Imaginaire de l'espace 1 – Type d'investissement (image de la nature) : la nature ludique, sensationnelle, esthétique et féminine. 2 – Espace valorisé : la nature surface, superficielle, ensoleillée et aménagée; les falaises aseptisées et édeniques, la grimpe urbaine cocooning. 3 – Déplacement dans l'espace vertical : imaginaire du réseau 4 – Relation à l'espace géographique : imaginaire du fragment, du sport et de l'interactivité ville/nature. II – Imaginaire corporel 1 – Dominante motrice : la gestuelle, la courbe, le proximal. 2 – Modèle du corps : le corps-onanique, le narcissisme, le corps-jouissance. 3 – Image du corps : le corps féminin avec une dominante digestive, le corps homosexé, le corps androgyne. III – Imaginaire social 1 – Sociabilité : imaginaire de la bande, des copains et du couple (image maternelle et archaïque). 2 – Forme culturelle : culture de l'émotion, des loisirs actifs, des médias et de l'image. Les chasseurs de sensations. 3 – Dominante institutionnelle : approche domestique (au sens de Maffesoli) et local. IV – Symbolisme

•En référence aux structures imaginaires de l'imaginaire (Durand) : régime nocturne des images, rêve de descente (la chaleur, la chaude intimité, la volupté, l'eau, le rocher sensuel), la régression nocturne, les symboles de l'intimité • La figure de Peter Pan et de l'enfance dorée. Schème de la perversion. Symbolique de la porte (petite coupure, l'éclate).

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IMAGINAIRE DES ALPINS – CAFISTES : LE CLASSICISME

I – Imaginaire de l'espace 1 – Espace valorisé : la montagne et l'ascension engagée dans une nature hostile, dangereuse et cahotique. Le sommet dans une perspective contemplative. La nature vierge et sauvage à conquérir. 2 – Type d'investissement (image de la nature) : dominante prométhéenne (l'agression) et contemplative (la maîtrise de la nature) 3 – Déplacement dans l'espace vertical : Imaginaire de la ligne droite 4 – Relation à l'espace géographique : approche pyramidale. Imaginaire de la coupure entre le haut et le bas, la lumière et l'ombre, la montagne et les espaces périphériques. II – Imaginaire corporel 1 – Dominante motrice : la technique, le corps-droit, la maîtrise rationnelle et statique des déplacements; la logistique. 2 – Modèle du corps : le corps-souffrance et énergétique, le corps-technique et dominé, le corps mortel et en chute. 3 – Image du corps : dominante posturale et masculine. III – Imaginaire social 1 – Sociabilité : le club et la cordée masculine (image paternelle et de puissance). 2 – Forme culturelle : la culture platonicienne, de l'écrit et de la rationalité. Culture centrifuge

3 – Dominante institutionnelle : logique politique et distinctive (élus/masse, bourgeois/prolétaires, hommes/femmes, forts/faibles, ascension/chute).

IV – Symbolisme

• En référence aux structures imaginaires de l'imaginaire (Durand) : régime diurne des images (symboles ascensionnels, spectaculaires et diairétiques); schèmes de la rupture et de la séparation; appel à l'extériorité;

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• La figure du Père et du grd souverain; culte des héros et des élus.

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IMAGINAIRE DES CALIFORNIENS I – Imaginaire de l'espace 1 – Type d'investissement (image de l'espace) : écologie des profondeurs. La nature mystique, à la recherche des anciennes correspondances. L'engagement extrême. 2 – Espace valorisé : le support vertical sous ttes ses formes et la dynamique des hauteurs (entre ciel et terre), la montagne creuse et périphérique, les espaces grandioses de la pleine nature. 3 – Déplacement dans l'espace vertical : l'errance, les chemins de traverse, la descente et la montée. Eloge à la dissimulation, à l'éphémère,... 4 – Relation à l'espace géographique : le vagabondage entre ville et nature. II – Imaginaire corporel 1 – Dominante motrice : l'intuition, les sensations, le corps mystique... 2 – Modèle du corps : entre masculin et féminin; le corps-extrême et l'ordalie mystique. 3 – Image du corps : l'homme végétal III – Imaginaire social 1 – Sociabilité : le monde tribal et la solitude. 2 – Forme culturelle : la contre-culture, le désordre, la fuite, la débrouillardise, culture centrifuge. A la recherche d'une autre rhétorique de grimpe. 3 – Dominante institutionnelle : le communisme primitif, l'habitat écologique, la société nature. Le refus du Père et de l'ordre. IV – Symbolisme •En référence aux structures imaginaires de l'imaginaire (Durand) : régime nocturne des images : symbolique du centre, de la descente (éloge à la chute), symbole intimiste (le retour à la mère nature), symbolique du creusement, symbolique mystique (le brouillage des correspondances,...). • Le romantisme de grimpe, le baroque, l'harmonie des contraires. Nietsche et le vertige aérien. Imaginaire de la pierre alchimiste; poétique de la nature.

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IMAGINAIRE DES SPORTIFS : LA METAPHORE FRANKENSTEIN

I – Imaginaire de l'espace 1 – Espace valorisé : le multi-espace (l'aventure multiforme), la techno-nature (le clône de la nature), l'espace virtuel (le monde des jeux vidéos d'aventure). 2 – Type d'investissement (image de la nature) : approche compétitive et agressive 3 – Déplacement dans l'espace vertical : Imaginaire virtuel (les passages sur les pans de grimpe); éloge à la simulation (le travail des voies) et à l'éphémère (les voies de compétitions). 4 – Relation à l'espace géographique : La dominante urbaine et spectrale. La nature ressemble à un mur intérieur. II – Imaginaire corporel 1 – Dominante motrice : le corps numérique et informatique; le corps-réseau. 2 – Modèle du corps : Le corps mutant. 3 – Image du corps : l'autisme de grimpe; le corps frankenstein; le corps performance; III – Imaginaire social 1 – Sociabilité : le réseau 2 – Forme culturelle : la culture des hackers et des gagneurs; l'univers destroy, rock and speed; la culture des défis. 3 – Dominante institutionnelle : le monde de l'entreprise et des médias, la fédération, les organisateurs de jeux et de spectacles interactifs; les producteurs des jeux vidéos. IV – Symbolisme En référence aux structures imaginaires de l'imaginaire (Durand) : régime diurne et nocturne des images sous couvert de tautisme. • Retour des symboliques archaïques (course aux trésors, quête du graal,...)

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L'imaginaire dans les pratiques d'escalade J. Corneloup, CRCS Orsay

Définition L'imaginaire serait constitué de l'ensemble des symboles, discours, non-dit, impression, sensibilités,... qui participent à l'élaboration d'un récit, d'une épopée ou d'une histoire auquels les individus font référence pour justifier les pratiques et vivre les multiples moments et instants du quotidien. En guise d'introduction, je partirai du constat suivant : l'imaginaire des pratiques d'escalade n'a plus rien de commun avec celui qui avait encore cours, il y a une 20° d'années. Une profonde rupture a marqué les années 1975-85, entraînant le monde de l'escalade ds unautre univers de sens, de significations et de références symboliques.

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