Upload
vince34
View
227
Download
1
Embed Size (px)
Citation preview
8/12/2019 L'Impeccabilit de l'Esprit, Selon Plotin
1/12
Jean Trouillard
L'impeccabilit de l'esprit, selon PlotinIn: Revue de l'histoire des religions, tome 143 n1, 1953. pp. 19-29.
Citer ce document / Cite this document :
Trouillard Jean. L'impeccabilit de l'esprit, selon Plotin. In: Revue de l'histoire des religions, tome 143 n1, 1953. pp. 19-29.
doi : 10.3406/rhr.1953.5933
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rhr_0035-1423_1953_num_143_1_5933
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/author/auteur_rhr_159http://dx.doi.org/10.3406/rhr.1953.5933http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rhr_0035-1423_1953_num_143_1_5933http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rhr_0035-1423_1953_num_143_1_5933http://dx.doi.org/10.3406/rhr.1953.5933http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/author/auteur_rhr_1598/12/2019 L'Impeccabilit de l'Esprit, Selon Plotin
2/12
L im peccabil it de l esprit,
selon
Plotin
C est chose bien
connue
que, selon Plotin, l esprit
ne
pche point, le vou est va^pryjToc (I-1-913). La
puissance
la plus
haute
de
l me,
celle
qui
participe
la
pense
pure,
n a
aucune responsabilit
dans
les maux commis ou subis
par
l homme
(I-1-91 2).
La
faute a
pour
origine
notre comp
lexit
interne.
La
puissance
infrieure
de
notre me ne peut
chapper
la partialit
de
la
vie
organique (1-8-14). Le
malheur est qu elle sduit la
partie
moyenne (
[xaov,
1-1-1 Ie), qui est dj raison. Nous
faisons
le mal
en
tant que
nous
laissons
confisquer notre
raison par
le
pire de
nous-
mmes. Nous n usons pas alors de
la
libre
contemplation.
Celle-ci demeure
intacte, mais
en
sommeil
(I-6-826).
Notre
me ne
peut
dchoir tout
entire
(II-9-29
). Il
y a
toujours
au
fond d elle-mme
un
principe
de vie spirituelle
qui la
rend
la fois intrieure
tout et
singulire (V-7-1
et 2).
Il
y
a
mme
en
elle,
au del
de
toute essence
et
vision
distincte,
une
touche simple de
l Un
qui est
en
l esprit le germe des essences
et
de
la
vision
(VI-7-15-17,
35).
La
faute
est donc
non
pas totale dpravation, mais divi
sion
et dsintgration du
moi. Elle
est une
mconnaissance
du
meilleur
de
nous-mmes
par nous-mmes,
semblable
celle que dcrit M. Joseph Moreau propos
de
la
perte de
l me chez
Spinoza
: Notre salut,
en
un sens, est assur,
puisqu il consiste dans notre ternit mme ; mais,
faute de
faire
ici-bas,
l apprentissage de notre ternit par
le
progrs
de
la
connaissance, faute de prendre pleinement conscience
de
nous-mmes, notre
propre salut
nous
demeure tranger ;
8/12/2019 L'Impeccabilit de l'Esprit, Selon Plotin
3/12
20
revue e
l histoire
des religions
il est ce qu il y a
de
plus profond en nous, mais nous
ne
l au
rons
pas fait ntre1.
II
est
vident
que
si la
puissance
mdiane est confisque,
il y a
en
l homme
conflit, non
entre la vie
animale
et
la pense,
mais entre une raison finalise par l animalit
et
une pense
obissant ses
propres
exigences, entre des croyances subies
et
une spontanit spirituelle autonome (V-5-l63-5-218), entre
l alination de l action
et l intriorit
de
la
contemplation.
Dans la
vie active, ce
n est
pas
le
moi ni
la
raison qui don
nent
le branle
;
le
principe de l action vient de
la
puissance
irrationnelle
et
les prmisses
de
la passion 2 (IV-4-44).
Bien
entendu,
Plotin
ne
condamne
pas
l action
en
elle-
mme, puisque,
pour lui, l'efficacit est d autant plus pleine
que
la contemplation est plus
intense, comme
l a
montr
le
R.
P.
Arnou3. L Alexandrin
ne reproche
la vie active
que son
faible rendement sortant
d une
me
insuffisamment matresse
d elle-mme. Le mal est dans le
jugement
qui se laisse fasciner
par
le
prestige de ses apparentes crations
(IV-4-44). Illuminer
le
corps
n est pas une
faute
puisque l me universelle
le
fait
sans
dommage
mais bien se
mlanger avec le
corps
jusqu
en
devenir
le
complice, se
solidariser
avec
lui
au
point de tout voir
travers lui,
s incliner
vers la
matire
(1-6-5,- 1-8-14, III-6-5).
En
quoi consiste
donc ce vo qui,
la diffrence
de
la
raison, demeure
inaltrable
?
Assurment,
ce n est pas simple
a priori.
Ce n est pas
seulement la
prsence
illuminatrice
de
l Infini qu admet
Malebranche. C est vritable conversion au Bien, accueil
et
initiative latentes
mais effectives.
Chez Plotin, en effet, l me
pense toujours
;
elle
pense la
vrit,
et
la
vrit
est
identique
la rectitude
en
un sens plus radical que celui
de
saint Anselme.
1) Spinoza et
la
philosophie de
l'existence,
dans Rivista filosofica, Combra,
4,
1952, p.
28.
2) Illic non agit
animus quod suum est neque ratio
praebet
exordium, sed initium
ibi
ab
irrationali parte traditur, regulaeque
agendi suni a passione
propositae
(Trad.
Ficin).
3) 012 et EPIA, Paris, Alcan, 1921.
8/12/2019 L'Impeccabilit de l'Esprit, Selon Plotin
4/12
l impeccabilit de l esprit,
selon
plotin 21
La droiture morale
ne s ajoute
pas la
rectitude notique
:
celle-l n est qu une imparfaite drivation de celle-ci ; l me
totale est moins que l esprit
pur.
Point ne sufft pour faire
un esprit une prsence mtaphys
ique
e
l Absolu qui ne serait pas une communication no
tique,
ou mme une communication notique qui
ne
serait
pas une conspiration constituante : ... r /j ) nb
7(... opisxai
tocv
rcpo aTo )
(II-4-532 34).
Dans le
vou,
tre
et
puret
s identifient. L esprit
serait
sans lumire, donc sans intelligence, s il
ne
s exposait
son
soleil
intrieur (VI-7-6 ; V-2-1). Cette ncessit radicale
carte
de lui
le mal.
Pour
que l esprit puisse pcher,
il
faudrait qu il
soit capable de
demeurer
esprit
en
se
dtournant
de
son
Principe.
Une telle
hypothse est
prcisment
absurde. Re
niant l Un, ce
ne serait
pas
la mort
spirituelle
, mais la
dissolution
que
trouverait le coupable.
Il
ne perdrait pas
seulement
l intgrit,
mais la consistance.
Car
il
n y a pas
en
lui de nature primitive pour soutenir son choix
et
sa mchanc
et.tructures, possibilits
et
normes proprement dites
naissent justement d une active rfrence,
d un
intime
ratt
achement
au
Bien.
Aucune
vrit
ternelle,
aucun
ordre ne
prcdent
cette conversion
fondamentale.
On
ne
peut
donc
parler de
morale
ni de libre arbitre, ce point pur o
aucun
critre n est
encore engendr
ni
aucun
entendement pour
penser
et
imposer une loi
un
vouloir distinct1. La dmarche
constitutive
de
l esprit est, pour ainsi
dire,
en de
de
la
dichotomie
du
bien
et du
mal, comme elle est antrieure
la
distinction du vrai et du
faux. Le Bien suprieur l entend
ementest
en
effet, proprement parler, ni norme ni vrit.
Il
donne
ce
qui
procde
de
lui
la puissance
d engendrer
l un
1)
II
serait
intressant
de
comparer
cette
thorie qui fait
natre
les essences
dans
les esprits
la
thse cartsienne
de la
libre cration par Dieu des vrits ter
nelles.
M. Gilson pense que Descartes
a
subi
sur
ce
point l'influence
de Plotin
par
l'intermdiaire
du noplatonisme brullien
et
oratorien.
L'indiffrenciation
de l'intellect
et du
vouloir que Descartes pose
en Dieu et Plotin
dans l'esprit
ne
permet
pas l'antriorit
d'une rgle
notique. Cf. Et. Gilson, La libert
chez
Descartes et la thologie (Paris, Alcan, 1913).
8/12/2019 L'Impeccabilit de l'Esprit, Selon Plotin
5/12
22
REVUE
DE L HISTOIRE DES RELIGIONS
et
l autre (VI-7-1518). Encore
faut-il
que
l altrit s approche
de lui
et
pose
ainsi
les
conditions
de
l activit morale.
Tout
cela
serait
confirm par l tude de
la morale ploti-
nienne.
On verrait que Yascse
thique n est qu une
prop-
deutique la cathartique. S opposer aux passions
ce
n est pas
nous en
librer
ni dpasser
un
conformisme
raisonnable,
une vertu
politique. Combattre
un ennemi,
c est encore
l estimer.
C est
lui
donner vie, en nous
posant contre lui
et
donc par lui.
Il
faut
parvenir
comprendre la
vanit des
passions
en
nous veillant
un
autre
ordre que
nous ferons
rayonner
sur
les puissances infrieures.
Plotin distingue
bien
de
la temprance qui mesure (() les dsirs celle qui
nous en
dbarrasse (voapouo-) (I-2-718). Il faut critiquer non
seulement la
conduite mais
la
conscience qui juge
la
conduite.
Et, pour ce faire,
il
est ncessaire
de
traverser la
sagesse,
qui
n est pas qualit
acquise
mais
la
substance
mme
de
l tre
(I-4-917 19).
En
ce
sens toute vertu
est 1,
c est--dire
libration
(1-2-1-4-9; 1-6-6).
La
mme thse
se dgage
de
l exgse donne du principe
socratique :
Nul
n est
mchant
volontairement.
Celui
qui
fait
le
mal est moins un pervers
qu un
impuissant
(II-9-912),
un
tre
puril (II-9-914), un
ensorcel
(IV-3-1311 ; IV-4-44).
Il est
comme obnubil,
alin, inconscient
: o
7[ xivo-
(xsvai
(IV-3-1321).
Tout tre qui va au pire le fait
invo
lontairement
(7cav tov
S7ci x^pov xoo-iov)
(IV-8-58).
Sans
doute,
cette
assertion
trouve immdiatement dans
les textes sa contre-partie. Ici,
nous nous heurtons
une
ant
inomie apparente :
la
chute est libre,
et
elle est ncessaire. Ces
contrastes
agaaient
le
fervent
plotinisant
qu tait
Emile
Brhier.
Sur
ce point,
en
effet, l Alexandrin craint
si peu
l antithse, qu il dclare
que
le caractre volontaire
de
la
chute ( exocriov tj xaoSou) n est pas du tout incompat
ible
vec son caractre involontaire ( xo
8/12/2019 L'Impeccabilit de l'Esprit, Selon Plotin
6/12
l impeccabilit de
l esprit,
selon plotin
23
L me qui tombe est une captive qui rend service l univers,
mais sa
responsabilit
n est
pas
enleve
et elle
est
punie
justement
(HI-2-10).
videmment, une
opposition
aussi
nettement
formule
est pleinement consciente
chez
son auteur.
Il
la surmontait
sans
doute
en
distinguant plusieurs degrs de libert : celui
de l me
et
celui
plus profond
de l'esprit.
La faute
appartient
au
premier
degr de libert seulement, elle n est pas l uvre
du moi tout
entier, ce qui
permet de
la
dire involontaire
quand
on
pense
la
spontanit
radicale
de l esprit.
En
pchant,
on
n agit pas
d aprs
ce
qu on a de
plus
intrieur.
On laisse une
puissance
infrieure tomber sous la domination
d influences
trangres. Mais c est la raison qui
cde, l acte
est encore humain (IV-3-12).
Ce n est donc pas
l esprit qui fait
le
mal. On peut dire
qu ce niveau qui est celui de l'tre la
mchancet n a
pas
de
ralit. Le vice n est pas une perversion
du vou, mais
une
absence
ou
un sommeil de
cette activit. Nous n en usons
pas
mal,
nous ne l exerons pas
du
tout, ou pas
assez.
Ce
qui prcde
ne nous
mne
pas couper l homme
en
deux, aprs l avoir totalement objectiv.
Esprit et me ne
sont pas des ordres de
la
nature, mais des plans intrieurs
l homme.
La vie humaine
ne
supporte
pas
de scission
radi
cale ;
et
d ailleurs, chez Plotin,
l me
est l expression de l es
prit
et en
droule
la
plnitude.
Le vou est comme le premier lgislateur des
tres,
ou
plutt
la
loi mme de leur tre
(vo^o
tou sivou)
(V-9-528).
Rien
n chappe
l ordre
qu il
prescrit,
pas
le
moindre vnement ni la plus simple action (IV-3-16). On
ne
peut excepter les
chutes et
les
relvements des mes
(IV-3-1218).
Chacune obit une loi la fois universelle
et
singulire
qui
est faite
de
raisons sminales issues
du monde intelligible
(IV-3-15).
En
se
donnant
son
tre spirituel, chacun
se
donne
son histoire.
8/12/2019 L'Impeccabilit de l'Esprit, Selon Plotin
7/12
24
REVUE
DE L HISTOIRE
DES
RELIGIONS
Comment exempter l esprit de faute s il est le principe
de
la
chute
?
On ne porte
pas
seulement la responsabilit
du mal qu on
fait,
mais aussi de celui
qu on
commande,
qu on
inspire
ou
qu on laisse
faire alors qu on
pourrait l em
pcher.
Plotin rpliquerait
probablement qu au sens
rigoureux
l esprit
ne prescrit
pas
la
chute. Cette dernire
n a
aucun
besoin d avoir
en
l esprit un principe
positif.
Elle a
pour
origine l affaiblissement de l tre qui est
la
loi de
la
procession
quand on
en
descend les degrs.
En
tant que privation,
le
mal
n exprime
rien
que
l inversion
qui accompagne
toute express
ion. est ainsi que
l ternit se
change en
temps, l intriorit
en
espace,-
sans que
le vou
en
soit responsable. La figure
de
ce
monde
n est pas toute
la charge
de l ide puisque
la
misre de ce monde mesure exactement son inadquation
l ide.
Tout
ce qui peut
tre
considr comme structure
(eSo) dans le
sensible
vient
de
l esprit. Ce qui ne le peut
n en vient pas
(V-9-101 2).
La chute se rattache donc ce
mal premier de l me qui
consiste n tre
pas esprit.
Ce
mal
n est
que
l envers
de
la
procession.
Ne
pourrait-on
pas
dire
toutefois
que
ce
non-tre de l me
traduit
la
ngativit qui est
dans le
vou
et
qui distingue ce
dernier de l Un ? Nous savons que
Plotin admet dans l intel
ligible une altrit qui est principe
de
la matire empirique
(II-4-528-29), une indtermination
(a7ieipov)
(II-4-1518),
une
matire qu il
appelle
divine
(II-4-515). La pense nat
quand
ce
divers,
se matrisant
par l Un,
se concentre
en lui
(VI-6-39).
Sans cette rsistance il n y aurait pas de procession
possible,
pas d tres
distincts.
Ce
n est
pas seulement condition onto
logique, c est volont indlbile de diffrenciation, position
originelle
de dissemblance, qui, intgre par
l exigence
d union,
devient un composant
du dsir
d autonomie. ... l esprit a os
en
quelque sorte s carter de l Un (7roary)vat. Se uco
svo
(VI-9-529)1.
...
Il
et
t
meilleur pour l esprit
1) ... quamvis
ab
uno quodammodo secedens videatur audere (trad.
Ficin).
8/12/2019 L'Impeccabilit de l'Esprit, Selon Plotin
8/12
l impeccabilit
de
l esprit, selon plotin 25
de
ne pas
vouloir se dployer (peXxtov
?jv
[
touto)
(III-8-888)1.
Il
y
aurait
donc
dans
le
vou lui-mme une sorte d alour
dissement,
de
complaisance dans
sa
ngation,
qui
annoncerait
la
culpabilit de l homme empirique et
la provoquerait en
quelque faon.
Allons
plus
loin. Qu est-ce que la chute sinon une
attitude
partiale qui nous enferme dans une
perspective exclusive,
qui
nous isole et nous divise :
[xpo
ysV0Ejl^V73 {aovoutoci
(IV-8-414) ?
L me
dchue se fait
semblable
un savant
qui
se
bloquerait dans
une
vrit particulire
en perdant le sens
de
la
totalit (VI-4-16).
Or ce
mouvement de
fragmentation
se trouve
prfigur
sa faon dans
l esprit.
Chaque essence
porte
en
elle-mme
la totalit
des ides.
Elle
est un monde
intelligible.
Elle
se distingue
et
se dtermine en actualisant
telle ou telle
structure
tandis
que
les
autres
demeurent
latentes
(V-7-1 et
2). Il
peut arriver
que la
structure ainsi pr
dominante soit lmentaire,
qu elle ne
corresponde
qu
une
fonction
insignifiante
de
la nature,
une
bte,
par
exemple,
alors
que l essence
contient de plus riches figures comme celle
de
l homme
(VI-7-6).
Plotin
se
demande
(ou
on lui
demande)
comment une me peut s attacher
un
objet aussi insigni
fiant u un tre
sans
raison. N est-ce pas perversion (xaxuv-
xal.
^eipcov
ysvo^vT)),
inclination contre nature (
? Non,
rpond-il
: le terme que. l me recherche est
infime,
il
n est pas contraire
la nature (IXocttov
o
[r/jv
7
8/12/2019 L'Impeccabilit de l'Esprit, Selon Plotin
9/12
26
REVUE
DE
L HISTOIRE DES
RELIGIONS
toioSs)
ne
cesse pas d tre pense... elle ne cesse pas d tre
pense
universelle...
En
acte
elle est telle
dtermination,
en
puissance elle
est totale
; elle
est cheval en tant que, dans sa
procession ternelle vers une vie infrieure,
elle
s est arrte
au cheval ; une autre s arrtera plus bas (VI-7-9).
Si la particularisation extrme
de
l intelligible est la
racine
de
la
fragmentation
de
l me,
il
faut clairer le second
processus par
le
premier. C est
ce que
fait Plotin
quand il
dit
que
l origine
du
mal pour les mes, c est l audace (y] [)...
la
premire altrit (tj 7) sTspOTvj)
et la
volont
d ind
pendance
(V-l-14).
Les
deux processus
sont
des
mouvements
du
tout
la
partie,
du
centre aux
extrmits
: mouvement
tout
immanent
dans
le
vou, mouvement de
distension
au
niveau infrieur. La chute est ainsi engendre par excessive
restriction de
la vise mentale, par une rarfaction d tre qui
commence
la pointe
de
l esprit1. Si l me est en tat,
elle
fait mieux ; sinon, elle fait ce
qu elle
peut
(VI-7-75).
Par
consquent, l me qui tombe est une impuissante
plutt
qu une
rebelle. Que
la
matire soit
l origine
de tout mal
n a pas
d autre
signification.
La matire est la
privation
mme.
Elle dissout
en quelque
sorte les forces de
l me en
lui
ajoutant le corps, qui,
dtournant
l me
de l intelli
gible,a prive
de
son unique source
de
consistance. Telle
est la
chute de
l me
: venir
dans la matire, s y dbiliter
(crOevetv) parce que l me ne
jouit
plus
de
toutes
ses
puis
sances,
la
matire paralysant leur activit (I-8-1444-46).
Le
pch
est une
faiblesse
de l me, comme
la
claudica
tion
st une impuissance de
la
raison sminale
(o
)
(V-9-105).
La racine
du
vice est
le
non-tre.
1)
Nous avons de
la sorte toute
une
gamme
de
dgradations, si l'on peut
s'exprimer
de cette
faon, qui va
de
l'Un l'Infini.
Dans
cette gamme, dans cette
srie
continue,
il y
a
une
infinit
de termes
qui
apparaissent... et dont l'ensemble
n'est au fond que l histoire des aspects, des changements, des
variations
que
subirait le
premier,
qui est leur summum
(
savoir l'Un absolu, l'Un Un), si on le
comparait
au point d'quilibre du
pendule
idal
que
Bergson a
envisag
dans le
dernier
chapitre
de
son
volution
cratrice pour
figurer
l'tre
platonicien total,
pendule que l'on carterait de cette position de stabilit et d'harmonie... (Nicolas-
Isidore Boussoulas, L tre
et
la composition
des mixtes dans le Philbe de Platon,
Paris, P. U. F., 1952, p.
169).
8/12/2019 L'Impeccabilit de l'Esprit, Selon Plotin
10/12
l impeccabilit
de
l esprit,
selon plotin
27
II semble donc
que
la
faute selon
Plotin
soit moins rvolte
et dfi
que
vertige et lassitude.
Elle
est
inversion
ou aversion
par dfaillance, non par malice proprement dite.
Elle
est
insuffisance notique
beaucoup
plus
que
refus thique. En cela
elle diffre
du
pch selon le christianisme.
Ce
pch est en
effet une
sorte
d'infini
privatif
et d absolu
ngatif.
Il
est
d abord
pch de l esprit1;
le pch
de
l ange prcde et
provoque celui
de
l homme. Sous les formules semblables
dont
usent
parfois
noplatoniciens
et
chrtiens se
rvle
sur ce point capital un bon dsaccord.
Il
suffit, pour le mesurer,
de mettre
en regard
des textes des Ennades
concernant la
chute
de l me (par exemple, IV-8)
le chapitre
de Y
Action
1893
intitul
:
La mort
de l action.
Devant
les
dsordres
des
hommes Plotin dit peu prs : folie
et enfantillage
(III-2-15)
;
Blondel
crit
tout au contraire :
II
y
a
dans le premier fond
de
la
volont humaine
une bauche d tre qui
ne
peut plus
cesser d tre, mais qui, priv
de
son achvement, vaut moins
que
s il n tait pas1.
Le
P. Rabeau
se
plaait
dans
la mme
ligne de pense
quand il
dclarait :
Mais
cette volont mal dispose par sa
propre
dfaillance, est-ce- simplement
une absence d tre,
l inconsidration du devoir ? Gomment admettre qu il
n y a
pas l
de l tre,
et'
l tre
le plus affreusement rel ?
Sans
remonter
jusqu
Kierkegaard,
la psychologie contemporaine
... a
bien
mis
en
lumire
ce qu il y
a de rtract,
d organis,
de
mensonge
volontaire, de
dialectique dvoye, d obstination,
dans
le
mal.
La faute plotinienne
se
rapproche peut
tre
de
la
faute
bouddhiste2
et
de
l ide inadquate selon Spinoza. En tant
que
faute,
elle est
confusion, elle
n a pas
de
consistance spiri
tuelle. C est pourquoi elle
ne
s expie pas douloureusement
1) L'Action 1893,
p.
491.
2)
Cf.
Henri de
Lubac,
Aspects
du bouddhisme
(Paris,
dit. du Seuil,
1951),
p.
38.
8/12/2019 L'Impeccabilit de l'Esprit, Selon Plotin
11/12
28
REVUE
DE
L HISTOIRE DES RELIGIONS
comme le
pch
du
chrtien.
Elle
se
dpasse
avec le plan
sur
lequel elle est possible.
La
pnitence et le
repentir
sont
rem
placs par l oubli. Il n y a pas, au
niveau
suprieur, de
lutte
contre
le
mal, parce
que
le pcheur n est pas
en lutte contre
Dieu
;
sa dpravation n est pas irrparable,
elle
n atteint pas
le
fond
de
son me. Aucun pardon n est
ncessaire,
car l Un
n est
pas
touch
par la chute.
Pas
de
drame du salut1,
parce
que
le
drame suppose
l veil,
et que l veil donnant
le
salut
dissipe
le drame. Dans
la
mesure o l on
peut
parler
de
damn
ation
chez Plotin,
le dam
est un sommeil
o
l engourdiss
ementrserve
du
dsespoir.
L attitude qui consiste, dans
le moment
mme o
l on
reconnat une valeur comme inconditionne,
nier cette
valeur dans
la
pratique a t souvent prsente par des cri
vains
chrtiens ou non comme le comportement
typique
du
pcheur.
Ce
genre de
ddoublement
est difficilement
conce
vable
en
climat platonicien
o il
n y a
pas de constat pure
ment thorique de valeurs,
o une valeur n est
connue comme
telle
que dans
un
jugement pratique et
efficace
qui la
pose
en
mme temps qu il la vit. L o le chrtien voit tragique
contradiction,
le
noplatonicien discerne une impuissance
se rassembler dans
la
gnrosit
de
l esprit. Pour l Alexand
rina pleine advertance et le parfait
consentement,
loin
d tre les conditions
du
pch, rendraient
la
faute impossible.
Il n y aura donc pas
dans
ce contexte rdemption, mais
illumination ou encore purification, c est--dire libration
de toute ngation.
L me
est
pure dans la
mesure o elle vit
selon l esprit.
Mais l esprit est
pur en
tant qu il se
rfre
l absolue
simplicit de
l Un qui le
dgage de toute dtermi
nation,
de toute relation externe
ou interne. On
se
gardera
1) En plusieurs occasions, dans
les
Ennades, Plotin s'oppose
aux
conceptions
tragiques de
l'univers et
de la destine.
Cf. II.
9-III.
2. 15. Il
n'a
pas
ce
que le
P. Henri
Bouillard
appelle le sens de la transcendance ngative du pch .
(L'intention fondamentale de M. Blondel, dans
Recherches
de science
religieuse,
1949,
p.
401). La
ngativit plotinienne est
beaucoup plus
inconscience
que mauvaise
conscience. Elle est
conscience
tout court, si la
conscience
est ngation compense
de la
spiritualit.
8/12/2019 L'Impeccabilit de l'Esprit, Selon Plotin
12/12
l iMPECCABILIT
DE ^ESPRIT, SELON PLOTIN
20
donc de
conclure
trop
vite qu il
n y a rien qui corresponde
la
grce chez
Plotin. Car
cette
libration ne
se
comprendrait
pas
sans
une motion
d origine
transcendante.
Sur
ces
diffrents
points
il est
probable que les philosophes
qui tudient les catgories religieuses auront quelque chose
ajouter.
Jean
Trouillard.