L'Impeccabilité de l'Esprit, Selon Plotin

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  • 8/12/2019 L'Impeccabilit de l'Esprit, Selon Plotin

    1/12

    Jean Trouillard

    L'impeccabilit de l'esprit, selon PlotinIn: Revue de l'histoire des religions, tome 143 n1, 1953. pp. 19-29.

    Citer ce document / Cite this document :

    Trouillard Jean. L'impeccabilit de l'esprit, selon Plotin. In: Revue de l'histoire des religions, tome 143 n1, 1953. pp. 19-29.

    doi : 10.3406/rhr.1953.5933

    http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rhr_0035-1423_1953_num_143_1_5933

    http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/author/auteur_rhr_159http://dx.doi.org/10.3406/rhr.1953.5933http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rhr_0035-1423_1953_num_143_1_5933http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rhr_0035-1423_1953_num_143_1_5933http://dx.doi.org/10.3406/rhr.1953.5933http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/author/auteur_rhr_159
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    L im peccabil it de l esprit,

    selon

    Plotin

    C est chose bien

    connue

    que, selon Plotin, l esprit

    ne

    pche point, le vou est va^pryjToc (I-1-913). La

    puissance

    la plus

    haute

    de

    l me,

    celle

    qui

    participe

    la

    pense

    pure,

    n a

    aucune responsabilit

    dans

    les maux commis ou subis

    par

    l homme

    (I-1-91 2).

    La

    faute a

    pour

    origine

    notre comp

    lexit

    interne.

    La

    puissance

    infrieure

    de

    notre me ne peut

    chapper

    la partialit

    de

    la

    vie

    organique (1-8-14). Le

    malheur est qu elle sduit la

    partie

    moyenne (

    [xaov,

    1-1-1 Ie), qui est dj raison. Nous

    faisons

    le mal

    en

    tant que

    nous

    laissons

    confisquer notre

    raison par

    le

    pire de

    nous-

    mmes. Nous n usons pas alors de

    la

    libre

    contemplation.

    Celle-ci demeure

    intacte, mais

    en

    sommeil

    (I-6-826).

    Notre

    me ne

    peut

    dchoir tout

    entire

    (II-9-29

    ). Il

    y a

    toujours

    au

    fond d elle-mme

    un

    principe

    de vie spirituelle

    qui la

    rend

    la fois intrieure

    tout et

    singulire (V-7-1

    et 2).

    Il

    y

    a

    mme

    en

    elle,

    au del

    de

    toute essence

    et

    vision

    distincte,

    une

    touche simple de

    l Un

    qui est

    en

    l esprit le germe des essences

    et

    de

    la

    vision

    (VI-7-15-17,

    35).

    La

    faute

    est donc

    non

    pas totale dpravation, mais divi

    sion

    et dsintgration du

    moi. Elle

    est une

    mconnaissance

    du

    meilleur

    de

    nous-mmes

    par nous-mmes,

    semblable

    celle que dcrit M. Joseph Moreau propos

    de

    la

    perte de

    l me chez

    Spinoza

    : Notre salut,

    en

    un sens, est assur,

    puisqu il consiste dans notre ternit mme ; mais,

    faute de

    faire

    ici-bas,

    l apprentissage de notre ternit par

    le

    progrs

    de

    la

    connaissance, faute de prendre pleinement conscience

    de

    nous-mmes, notre

    propre salut

    nous

    demeure tranger ;

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    20

    revue e

    l histoire

    des religions

    il est ce qu il y a

    de

    plus profond en nous, mais nous

    ne

    l au

    rons

    pas fait ntre1.

    II

    est

    vident

    que

    si la

    puissance

    mdiane est confisque,

    il y a

    en

    l homme

    conflit, non

    entre la vie

    animale

    et

    la pense,

    mais entre une raison finalise par l animalit

    et

    une pense

    obissant ses

    propres

    exigences, entre des croyances subies

    et

    une spontanit spirituelle autonome (V-5-l63-5-218), entre

    l alination de l action

    et l intriorit

    de

    la

    contemplation.

    Dans la

    vie active, ce

    n est

    pas

    le

    moi ni

    la

    raison qui don

    nent

    le branle

    ;

    le

    principe de l action vient de

    la

    puissance

    irrationnelle

    et

    les prmisses

    de

    la passion 2 (IV-4-44).

    Bien

    entendu,

    Plotin

    ne

    condamne

    pas

    l action

    en

    elle-

    mme, puisque,

    pour lui, l'efficacit est d autant plus pleine

    que

    la contemplation est plus

    intense, comme

    l a

    montr

    le

    R.

    P.

    Arnou3. L Alexandrin

    ne reproche

    la vie active

    que son

    faible rendement sortant

    d une

    me

    insuffisamment matresse

    d elle-mme. Le mal est dans le

    jugement

    qui se laisse fasciner

    par

    le

    prestige de ses apparentes crations

    (IV-4-44). Illuminer

    le

    corps

    n est pas une

    faute

    puisque l me universelle

    le

    fait

    sans

    dommage

    mais bien se

    mlanger avec le

    corps

    jusqu

    en

    devenir

    le

    complice, se

    solidariser

    avec

    lui

    au

    point de tout voir

    travers lui,

    s incliner

    vers la

    matire

    (1-6-5,- 1-8-14, III-6-5).

    En

    quoi consiste

    donc ce vo qui,

    la diffrence

    de

    la

    raison, demeure

    inaltrable

    ?

    Assurment,

    ce n est pas simple

    a priori.

    Ce n est pas

    seulement la

    prsence

    illuminatrice

    de

    l Infini qu admet

    Malebranche. C est vritable conversion au Bien, accueil

    et

    initiative latentes

    mais effectives.

    Chez Plotin, en effet, l me

    pense toujours

    ;

    elle

    pense la

    vrit,

    et

    la

    vrit

    est

    identique

    la rectitude

    en

    un sens plus radical que celui

    de

    saint Anselme.

    1) Spinoza et

    la

    philosophie de

    l'existence,

    dans Rivista filosofica, Combra,

    4,

    1952, p.

    28.

    2) Illic non agit

    animus quod suum est neque ratio

    praebet

    exordium, sed initium

    ibi

    ab

    irrationali parte traditur, regulaeque

    agendi suni a passione

    propositae

    (Trad.

    Ficin).

    3) 012 et EPIA, Paris, Alcan, 1921.

  • 8/12/2019 L'Impeccabilit de l'Esprit, Selon Plotin

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    l impeccabilit de l esprit,

    selon

    plotin 21

    La droiture morale

    ne s ajoute

    pas la

    rectitude notique

    :

    celle-l n est qu une imparfaite drivation de celle-ci ; l me

    totale est moins que l esprit

    pur.

    Point ne sufft pour faire

    un esprit une prsence mtaphys

    ique

    e

    l Absolu qui ne serait pas une communication no

    tique,

    ou mme une communication notique qui

    ne

    serait

    pas une conspiration constituante : ... r /j ) nb

    7(... opisxai

    tocv

    rcpo aTo )

    (II-4-532 34).

    Dans le

    vou,

    tre

    et

    puret

    s identifient. L esprit

    serait

    sans lumire, donc sans intelligence, s il

    ne

    s exposait

    son

    soleil

    intrieur (VI-7-6 ; V-2-1). Cette ncessit radicale

    carte

    de lui

    le mal.

    Pour

    que l esprit puisse pcher,

    il

    faudrait qu il

    soit capable de

    demeurer

    esprit

    en

    se

    dtournant

    de

    son

    Principe.

    Une telle

    hypothse est

    prcisment

    absurde. Re

    niant l Un, ce

    ne serait

    pas

    la mort

    spirituelle

    , mais la

    dissolution

    que

    trouverait le coupable.

    Il

    ne perdrait pas

    seulement

    l intgrit,

    mais la consistance.

    Car

    il

    n y a pas

    en

    lui de nature primitive pour soutenir son choix

    et

    sa mchanc

    et.tructures, possibilits

    et

    normes proprement dites

    naissent justement d une active rfrence,

    d un

    intime

    ratt

    achement

    au

    Bien.

    Aucune

    vrit

    ternelle,

    aucun

    ordre ne

    prcdent

    cette conversion

    fondamentale.

    On

    ne

    peut

    donc

    parler de

    morale

    ni de libre arbitre, ce point pur o

    aucun

    critre n est

    encore engendr

    ni

    aucun

    entendement pour

    penser

    et

    imposer une loi

    un

    vouloir distinct1. La dmarche

    constitutive

    de

    l esprit est, pour ainsi

    dire,

    en de

    de

    la

    dichotomie

    du

    bien

    et du

    mal, comme elle est antrieure

    la

    distinction du vrai et du

    faux. Le Bien suprieur l entend

    ementest

    en

    effet, proprement parler, ni norme ni vrit.

    Il

    donne

    ce

    qui

    procde

    de

    lui

    la puissance

    d engendrer

    l un

    1)

    II

    serait

    intressant

    de

    comparer

    cette

    thorie qui fait

    natre

    les essences

    dans

    les esprits

    la

    thse cartsienne

    de la

    libre cration par Dieu des vrits ter

    nelles.

    M. Gilson pense que Descartes

    a

    subi

    sur

    ce

    point l'influence

    de Plotin

    par

    l'intermdiaire

    du noplatonisme brullien

    et

    oratorien.

    L'indiffrenciation

    de l'intellect

    et du

    vouloir que Descartes pose

    en Dieu et Plotin

    dans l'esprit

    ne

    permet

    pas l'antriorit

    d'une rgle

    notique. Cf. Et. Gilson, La libert

    chez

    Descartes et la thologie (Paris, Alcan, 1913).

  • 8/12/2019 L'Impeccabilit de l'Esprit, Selon Plotin

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    22

    REVUE

    DE L HISTOIRE DES RELIGIONS

    et

    l autre (VI-7-1518). Encore

    faut-il

    que

    l altrit s approche

    de lui

    et

    pose

    ainsi

    les

    conditions

    de

    l activit morale.

    Tout

    cela

    serait

    confirm par l tude de

    la morale ploti-

    nienne.

    On verrait que Yascse

    thique n est qu une

    prop-

    deutique la cathartique. S opposer aux passions

    ce

    n est pas

    nous en

    librer

    ni dpasser

    un

    conformisme

    raisonnable,

    une vertu

    politique. Combattre

    un ennemi,

    c est encore

    l estimer.

    C est

    lui

    donner vie, en nous

    posant contre lui

    et

    donc par lui.

    Il

    faut

    parvenir

    comprendre la

    vanit des

    passions

    en

    nous veillant

    un

    autre

    ordre que

    nous ferons

    rayonner

    sur

    les puissances infrieures.

    Plotin distingue

    bien

    de

    la temprance qui mesure (() les dsirs celle qui

    nous en

    dbarrasse (voapouo-) (I-2-718). Il faut critiquer non

    seulement la

    conduite mais

    la

    conscience qui juge

    la

    conduite.

    Et, pour ce faire,

    il

    est ncessaire

    de

    traverser la

    sagesse,

    qui

    n est pas qualit

    acquise

    mais

    la

    substance

    mme

    de

    l tre

    (I-4-917 19).

    En

    ce

    sens toute vertu

    est 1,

    c est--dire

    libration

    (1-2-1-4-9; 1-6-6).

    La

    mme thse

    se dgage

    de

    l exgse donne du principe

    socratique :

    Nul

    n est

    mchant

    volontairement.

    Celui

    qui

    fait

    le

    mal est moins un pervers

    qu un

    impuissant

    (II-9-912),

    un

    tre

    puril (II-9-914), un

    ensorcel

    (IV-3-1311 ; IV-4-44).

    Il est

    comme obnubil,

    alin, inconscient

    : o

    7[ xivo-

    (xsvai

    (IV-3-1321).

    Tout tre qui va au pire le fait

    invo

    lontairement

    (7cav tov

    S7ci x^pov xoo-iov)

    (IV-8-58).

    Sans

    doute,

    cette

    assertion

    trouve immdiatement dans

    les textes sa contre-partie. Ici,

    nous nous heurtons

    une

    ant

    inomie apparente :

    la

    chute est libre,

    et

    elle est ncessaire. Ces

    contrastes

    agaaient

    le

    fervent

    plotinisant

    qu tait

    Emile

    Brhier.

    Sur

    ce point,

    en

    effet, l Alexandrin craint

    si peu

    l antithse, qu il dclare

    que

    le caractre volontaire

    de

    la

    chute ( exocriov tj xaoSou) n est pas du tout incompat

    ible

    vec son caractre involontaire ( xo

  • 8/12/2019 L'Impeccabilit de l'Esprit, Selon Plotin

    6/12

    l impeccabilit de

    l esprit,

    selon plotin

    23

    L me qui tombe est une captive qui rend service l univers,

    mais sa

    responsabilit

    n est

    pas

    enleve

    et elle

    est

    punie

    justement

    (HI-2-10).

    videmment, une

    opposition

    aussi

    nettement

    formule

    est pleinement consciente

    chez

    son auteur.

    Il

    la surmontait

    sans

    doute

    en

    distinguant plusieurs degrs de libert : celui

    de l me

    et

    celui

    plus profond

    de l'esprit.

    La faute

    appartient

    au

    premier

    degr de libert seulement, elle n est pas l uvre

    du moi tout

    entier, ce qui

    permet de

    la

    dire involontaire

    quand

    on

    pense

    la

    spontanit

    radicale

    de l esprit.

    En

    pchant,

    on

    n agit pas

    d aprs

    ce

    qu on a de

    plus

    intrieur.

    On laisse une

    puissance

    infrieure tomber sous la domination

    d influences

    trangres. Mais c est la raison qui

    cde, l acte

    est encore humain (IV-3-12).

    Ce n est donc pas

    l esprit qui fait

    le

    mal. On peut dire

    qu ce niveau qui est celui de l'tre la

    mchancet n a

    pas

    de

    ralit. Le vice n est pas une perversion

    du vou, mais

    une

    absence

    ou

    un sommeil de

    cette activit. Nous n en usons

    pas

    mal,

    nous ne l exerons pas

    du

    tout, ou pas

    assez.

    Ce

    qui prcde

    ne nous

    mne

    pas couper l homme

    en

    deux, aprs l avoir totalement objectiv.

    Esprit et me ne

    sont pas des ordres de

    la

    nature, mais des plans intrieurs

    l homme.

    La vie humaine

    ne

    supporte

    pas

    de scission

    radi

    cale ;

    et

    d ailleurs, chez Plotin,

    l me

    est l expression de l es

    prit

    et en

    droule

    la

    plnitude.

    Le vou est comme le premier lgislateur des

    tres,

    ou

    plutt

    la

    loi mme de leur tre

    (vo^o

    tou sivou)

    (V-9-528).

    Rien

    n chappe

    l ordre

    qu il

    prescrit,

    pas

    le

    moindre vnement ni la plus simple action (IV-3-16). On

    ne

    peut excepter les

    chutes et

    les

    relvements des mes

    (IV-3-1218).

    Chacune obit une loi la fois universelle

    et

    singulire

    qui

    est faite

    de

    raisons sminales issues

    du monde intelligible

    (IV-3-15).

    En

    se

    donnant

    son

    tre spirituel, chacun

    se

    donne

    son histoire.

  • 8/12/2019 L'Impeccabilit de l'Esprit, Selon Plotin

    7/12

    24

    REVUE

    DE L HISTOIRE

    DES

    RELIGIONS

    Comment exempter l esprit de faute s il est le principe

    de

    la

    chute

    ?

    On ne porte

    pas

    seulement la responsabilit

    du mal qu on

    fait,

    mais aussi de celui

    qu on

    commande,

    qu on

    inspire

    ou

    qu on laisse

    faire alors qu on

    pourrait l em

    pcher.

    Plotin rpliquerait

    probablement qu au sens

    rigoureux

    l esprit

    ne prescrit

    pas

    la

    chute. Cette dernire

    n a

    aucun

    besoin d avoir

    en

    l esprit un principe

    positif.

    Elle a

    pour

    origine l affaiblissement de l tre qui est

    la

    loi de

    la

    procession

    quand on

    en

    descend les degrs.

    En

    tant que privation,

    le

    mal

    n exprime

    rien

    que

    l inversion

    qui accompagne

    toute express

    ion. est ainsi que

    l ternit se

    change en

    temps, l intriorit

    en

    espace,-

    sans que

    le vou

    en

    soit responsable. La figure

    de

    ce

    monde

    n est pas toute

    la charge

    de l ide puisque

    la

    misre de ce monde mesure exactement son inadquation

    l ide.

    Tout

    ce qui peut

    tre

    considr comme structure

    (eSo) dans le

    sensible

    vient

    de

    l esprit. Ce qui ne le peut

    n en vient pas

    (V-9-101 2).

    La chute se rattache donc ce

    mal premier de l me qui

    consiste n tre

    pas esprit.

    Ce

    mal

    n est

    que

    l envers

    de

    la

    procession.

    Ne

    pourrait-on

    pas

    dire

    toutefois

    que

    ce

    non-tre de l me

    traduit

    la

    ngativit qui est

    dans le

    vou

    et

    qui distingue ce

    dernier de l Un ? Nous savons que

    Plotin admet dans l intel

    ligible une altrit qui est principe

    de

    la matire empirique

    (II-4-528-29), une indtermination

    (a7ieipov)

    (II-4-1518),

    une

    matire qu il

    appelle

    divine

    (II-4-515). La pense nat

    quand

    ce

    divers,

    se matrisant

    par l Un,

    se concentre

    en lui

    (VI-6-39).

    Sans cette rsistance il n y aurait pas de procession

    possible,

    pas d tres

    distincts.

    Ce

    n est

    pas seulement condition onto

    logique, c est volont indlbile de diffrenciation, position

    originelle

    de dissemblance, qui, intgre par

    l exigence

    d union,

    devient un composant

    du dsir

    d autonomie. ... l esprit a os

    en

    quelque sorte s carter de l Un (7roary)vat. Se uco

    svo

    (VI-9-529)1.

    ...

    Il

    et

    t

    meilleur pour l esprit

    1) ... quamvis

    ab

    uno quodammodo secedens videatur audere (trad.

    Ficin).

  • 8/12/2019 L'Impeccabilit de l'Esprit, Selon Plotin

    8/12

    l impeccabilit

    de

    l esprit, selon plotin 25

    de

    ne pas

    vouloir se dployer (peXxtov

    ?jv

    [

    touto)

    (III-8-888)1.

    Il

    y

    aurait

    donc

    dans

    le

    vou lui-mme une sorte d alour

    dissement,

    de

    complaisance dans

    sa

    ngation,

    qui

    annoncerait

    la

    culpabilit de l homme empirique et

    la provoquerait en

    quelque faon.

    Allons

    plus

    loin. Qu est-ce que la chute sinon une

    attitude

    partiale qui nous enferme dans une

    perspective exclusive,

    qui

    nous isole et nous divise :

    [xpo

    ysV0Ejl^V73 {aovoutoci

    (IV-8-414) ?

    L me

    dchue se fait

    semblable

    un savant

    qui

    se

    bloquerait dans

    une

    vrit particulire

    en perdant le sens

    de

    la

    totalit (VI-4-16).

    Or ce

    mouvement de

    fragmentation

    se trouve

    prfigur

    sa faon dans

    l esprit.

    Chaque essence

    porte

    en

    elle-mme

    la totalit

    des ides.

    Elle

    est un monde

    intelligible.

    Elle

    se distingue

    et

    se dtermine en actualisant

    telle ou telle

    structure

    tandis

    que

    les

    autres

    demeurent

    latentes

    (V-7-1 et

    2). Il

    peut arriver

    que la

    structure ainsi pr

    dominante soit lmentaire,

    qu elle ne

    corresponde

    qu

    une

    fonction

    insignifiante

    de

    la nature,

    une

    bte,

    par

    exemple,

    alors

    que l essence

    contient de plus riches figures comme celle

    de

    l homme

    (VI-7-6).

    Plotin

    se

    demande

    (ou

    on lui

    demande)

    comment une me peut s attacher

    un

    objet aussi insigni

    fiant u un tre

    sans

    raison. N est-ce pas perversion (xaxuv-

    xal.

    ^eipcov

    ysvo^vT)),

    inclination contre nature (

    ? Non,

    rpond-il

    : le terme que. l me recherche est

    infime,

    il

    n est pas contraire

    la nature (IXocttov

    o

    [r/jv

    7

  • 8/12/2019 L'Impeccabilit de l'Esprit, Selon Plotin

    9/12

    26

    REVUE

    DE

    L HISTOIRE DES

    RELIGIONS

    toioSs)

    ne

    cesse pas d tre pense... elle ne cesse pas d tre

    pense

    universelle...

    En

    acte

    elle est telle

    dtermination,

    en

    puissance elle

    est totale

    ; elle

    est cheval en tant que, dans sa

    procession ternelle vers une vie infrieure,

    elle

    s est arrte

    au cheval ; une autre s arrtera plus bas (VI-7-9).

    Si la particularisation extrme

    de

    l intelligible est la

    racine

    de

    la

    fragmentation

    de

    l me,

    il

    faut clairer le second

    processus par

    le

    premier. C est

    ce que

    fait Plotin

    quand il

    dit

    que

    l origine

    du

    mal pour les mes, c est l audace (y] [)...

    la

    premire altrit (tj 7) sTspOTvj)

    et la

    volont

    d ind

    pendance

    (V-l-14).

    Les

    deux processus

    sont

    des

    mouvements

    du

    tout

    la

    partie,

    du

    centre aux

    extrmits

    : mouvement

    tout

    immanent

    dans

    le

    vou, mouvement de

    distension

    au

    niveau infrieur. La chute est ainsi engendre par excessive

    restriction de

    la vise mentale, par une rarfaction d tre qui

    commence

    la pointe

    de

    l esprit1. Si l me est en tat,

    elle

    fait mieux ; sinon, elle fait ce

    qu elle

    peut

    (VI-7-75).

    Par

    consquent, l me qui tombe est une impuissante

    plutt

    qu une

    rebelle. Que

    la

    matire soit

    l origine

    de tout mal

    n a pas

    d autre

    signification.

    La matire est la

    privation

    mme.

    Elle dissout

    en quelque

    sorte les forces de

    l me en

    lui

    ajoutant le corps, qui,

    dtournant

    l me

    de l intelli

    gible,a prive

    de

    son unique source

    de

    consistance. Telle

    est la

    chute de

    l me

    : venir

    dans la matire, s y dbiliter

    (crOevetv) parce que l me ne

    jouit

    plus

    de

    toutes

    ses

    puis

    sances,

    la

    matire paralysant leur activit (I-8-1444-46).

    Le

    pch

    est une

    faiblesse

    de l me, comme

    la

    claudica

    tion

    st une impuissance de

    la

    raison sminale

    (o

    )

    (V-9-105).

    La racine

    du

    vice est

    le

    non-tre.

    1)

    Nous avons de

    la sorte toute

    une

    gamme

    de

    dgradations, si l'on peut

    s'exprimer

    de cette

    faon, qui va

    de

    l'Un l'Infini.

    Dans

    cette gamme, dans cette

    srie

    continue,

    il y

    a

    une

    infinit

    de termes

    qui

    apparaissent... et dont l'ensemble

    n'est au fond que l histoire des aspects, des changements, des

    variations

    que

    subirait le

    premier,

    qui est leur summum

    (

    savoir l'Un absolu, l'Un Un), si on le

    comparait

    au point d'quilibre du

    pendule

    idal

    que

    Bergson a

    envisag

    dans le

    dernier

    chapitre

    de

    son

    volution

    cratrice pour

    figurer

    l'tre

    platonicien total,

    pendule que l'on carterait de cette position de stabilit et d'harmonie... (Nicolas-

    Isidore Boussoulas, L tre

    et

    la composition

    des mixtes dans le Philbe de Platon,

    Paris, P. U. F., 1952, p.

    169).

  • 8/12/2019 L'Impeccabilit de l'Esprit, Selon Plotin

    10/12

    l impeccabilit

    de

    l esprit,

    selon plotin

    27

    II semble donc

    que

    la

    faute selon

    Plotin

    soit moins rvolte

    et dfi

    que

    vertige et lassitude.

    Elle

    est

    inversion

    ou aversion

    par dfaillance, non par malice proprement dite.

    Elle

    est

    insuffisance notique

    beaucoup

    plus

    que

    refus thique. En cela

    elle diffre

    du

    pch selon le christianisme.

    Ce

    pch est en

    effet une

    sorte

    d'infini

    privatif

    et d absolu

    ngatif.

    Il

    est

    d abord

    pch de l esprit1;

    le pch

    de

    l ange prcde et

    provoque celui

    de

    l homme. Sous les formules semblables

    dont

    usent

    parfois

    noplatoniciens

    et

    chrtiens se

    rvle

    sur ce point capital un bon dsaccord.

    Il

    suffit, pour le mesurer,

    de mettre

    en regard

    des textes des Ennades

    concernant la

    chute

    de l me (par exemple, IV-8)

    le chapitre

    de Y

    Action

    1893

    intitul

    :

    La mort

    de l action.

    Devant

    les

    dsordres

    des

    hommes Plotin dit peu prs : folie

    et enfantillage

    (III-2-15)

    ;

    Blondel

    crit

    tout au contraire :

    II

    y

    a

    dans le premier fond

    de

    la

    volont humaine

    une bauche d tre qui

    ne

    peut plus

    cesser d tre, mais qui, priv

    de

    son achvement, vaut moins

    que

    s il n tait pas1.

    Le

    P. Rabeau

    se

    plaait

    dans

    la mme

    ligne de pense

    quand il

    dclarait :

    Mais

    cette volont mal dispose par sa

    propre

    dfaillance, est-ce- simplement

    une absence d tre,

    l inconsidration du devoir ? Gomment admettre qu il

    n y a

    pas l

    de l tre,

    et'

    l tre

    le plus affreusement rel ?

    Sans

    remonter

    jusqu

    Kierkegaard,

    la psychologie contemporaine

    ... a

    bien

    mis

    en

    lumire

    ce qu il y

    a de rtract,

    d organis,

    de

    mensonge

    volontaire, de

    dialectique dvoye, d obstination,

    dans

    le

    mal.

    La faute plotinienne

    se

    rapproche peut

    tre

    de

    la

    faute

    bouddhiste2

    et

    de

    l ide inadquate selon Spinoza. En tant

    que

    faute,

    elle est

    confusion, elle

    n a pas

    de

    consistance spiri

    tuelle. C est pourquoi elle

    ne

    s expie pas douloureusement

    1) L'Action 1893,

    p.

    491.

    2)

    Cf.

    Henri de

    Lubac,

    Aspects

    du bouddhisme

    (Paris,

    dit. du Seuil,

    1951),

    p.

    38.

  • 8/12/2019 L'Impeccabilit de l'Esprit, Selon Plotin

    11/12

    28

    REVUE

    DE

    L HISTOIRE DES RELIGIONS

    comme le

    pch

    du

    chrtien.

    Elle

    se

    dpasse

    avec le plan

    sur

    lequel elle est possible.

    La

    pnitence et le

    repentir

    sont

    rem

    placs par l oubli. Il n y a pas, au

    niveau

    suprieur, de

    lutte

    contre

    le

    mal, parce

    que

    le pcheur n est pas

    en lutte contre

    Dieu

    ;

    sa dpravation n est pas irrparable,

    elle

    n atteint pas

    le

    fond

    de

    son me. Aucun pardon n est

    ncessaire,

    car l Un

    n est

    pas

    touch

    par la chute.

    Pas

    de

    drame du salut1,

    parce

    que

    le

    drame suppose

    l veil,

    et que l veil donnant

    le

    salut

    dissipe

    le drame. Dans

    la

    mesure o l on

    peut

    parler

    de

    damn

    ation

    chez Plotin,

    le dam

    est un sommeil

    o

    l engourdiss

    ementrserve

    du

    dsespoir.

    L attitude qui consiste, dans

    le moment

    mme o

    l on

    reconnat une valeur comme inconditionne,

    nier cette

    valeur dans

    la

    pratique a t souvent prsente par des cri

    vains

    chrtiens ou non comme le comportement

    typique

    du

    pcheur.

    Ce

    genre de

    ddoublement

    est difficilement

    conce

    vable

    en

    climat platonicien

    o il

    n y a

    pas de constat pure

    ment thorique de valeurs,

    o une valeur n est

    connue comme

    telle

    que dans

    un

    jugement pratique et

    efficace

    qui la

    pose

    en

    mme temps qu il la vit. L o le chrtien voit tragique

    contradiction,

    le

    noplatonicien discerne une impuissance

    se rassembler dans

    la

    gnrosit

    de

    l esprit. Pour l Alexand

    rina pleine advertance et le parfait

    consentement,

    loin

    d tre les conditions

    du

    pch, rendraient

    la

    faute impossible.

    Il n y aura donc pas

    dans

    ce contexte rdemption, mais

    illumination ou encore purification, c est--dire libration

    de toute ngation.

    L me

    est

    pure dans la

    mesure o elle vit

    selon l esprit.

    Mais l esprit est

    pur en

    tant qu il se

    rfre

    l absolue

    simplicit de

    l Un qui le

    dgage de toute dtermi

    nation,

    de toute relation externe

    ou interne. On

    se

    gardera

    1) En plusieurs occasions, dans

    les

    Ennades, Plotin s'oppose

    aux

    conceptions

    tragiques de

    l'univers et

    de la destine.

    Cf. II.

    9-III.

    2. 15. Il

    n'a

    pas

    ce

    que le

    P. Henri

    Bouillard

    appelle le sens de la transcendance ngative du pch .

    (L'intention fondamentale de M. Blondel, dans

    Recherches

    de science

    religieuse,

    1949,

    p.

    401). La

    ngativit plotinienne est

    beaucoup plus

    inconscience

    que mauvaise

    conscience. Elle est

    conscience

    tout court, si la

    conscience

    est ngation compense

    de la

    spiritualit.

  • 8/12/2019 L'Impeccabilit de l'Esprit, Selon Plotin

    12/12

    l iMPECCABILIT

    DE ^ESPRIT, SELON PLOTIN

    20

    donc de

    conclure

    trop

    vite qu il

    n y a rien qui corresponde

    la

    grce chez

    Plotin. Car

    cette

    libration ne

    se

    comprendrait

    pas

    sans

    une motion

    d origine

    transcendante.

    Sur

    ces

    diffrents

    points

    il est

    probable que les philosophes

    qui tudient les catgories religieuses auront quelque chose

    ajouter.

    Jean

    Trouillard.