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L’IMPOSSIBLE ET LE CONTRAT Par Roger Masamba Makela Professeur à l’Université de Kinshasa et à l’Université Protestante au Congo, Doyen honoraire de la Faculté de Droit. Publié dans les Mélanges Pougoué (2015)

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L’IMPOSSIBLE ET LE CONTRAT Par

Roger Masamba Makela

Professeur à l’Université de Kinshasa et à l’Université Protestante au Congo,

Doyen honoraire de la Faculté de Droit.

Publié dans les Mélanges Pougoué (2015)

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SOMMAIRE

INTRODUCTION

I. L’IMPOSSIBLE PEUT AFFECTER L’EFFICACITE ET LA VALIDITE DU CONTRAT

A. L’incidence de l’impossibilité de l’objet sur l’efficacité et la validité du contrat

a) Impossibilité absolue

b) Impossibilité relative

B. L’incidence de l’impossibilité dela conditionsur l’efficacité et la validité du contrat

a) Evènement dont la réalisation ou la défaillance est impossible

b) Conséquences de la condition impossible

II. L’IMPOSSIBLE PEUT JUSTIFIER L’INEXECUTION DU CONTRAT

A. Les caractères de la force majeure

a) Impossibilité de prévoir et de résilier

b) Cause étrangère

B. L’exonération de la responsabilité contractuelle du débiteur

CONCLUSION

INDICATIONS BIBLIOGRAPHIQUES

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INTRODUCTION

Le professeur Paul-Gérard Pougoué a profondément marqué l’évolution du droit en Afrique

par ses multiples contributions consacrées au droit OHADA, dont l’Encyclopédie du droit

OHADA constitue un bel échantillon. A lui seul, il symbolise l’émergence et la maturation

d’une doctrine africaine qui a largement modelé le droit uniforme et soutenu son

rayonnement. Aussi est-ce agréable de lui rendre hommage à travers quelques modestes

lignes. C’est aussi le moment, par une convergence de pensées, de lui dire simplement merci.

Ceux qui connaissent notre collègue savent ce que signifie pour lui la passion du droit et la

rigueur dans la recherche, mais aussi la diversité et l’interdisciplinarité dans l’activité

scientifique. On aurait parié que son thème favori serait le droit des affaires, et rien d’autre !

On le rencontre pourtant sur le terrain civiliste du droit des obligations. Mais les frontières

sont-elles étanches ? Rien n’est moins sûr. Il est vrai que le droit OHADA lorgne aussi sur les

matières civiles intéressant l’entreprise, comme précisément le droit des obligations.

Après que l’avant projet d’Acte uniforme sur les contrats soit entré en hibernation, des

analyses ont conduit à la mise au point du « Projet de texte de droit uniforme des obligations,

de la preuve et de la prescription extinctive dans l’espace OHADA »1. Il s’agit d’un projet

substitutif qui prendra probablement la forme d’un cadre de référence, en d’autres termes

d’une loi-type, à la libre disposition des Etats membres de l’OHADA. La Conférence des

Chefs d’Etats et de Gouvernement a, en effet, décidé qu’à côté des Actes uniformes, le

dispositif communautaire devra s’enrichir de cadres de référence. La méthodologie

d’intégration juridique vient donc de se métamorphoser au sein de l’OHADA, en réponse aux

préoccupations relatives à l’avenir de notre organisation et de son rayonnement2.

Il serait hasardeux de traiter, en quelques lignes, des obligations en général, surtout que les

perspectives d’harmonisation souple ou rigide conduisent nécessairement à étendre le champ

de la réflexion à plusieurs systèmes juridiques nationaux de l’espace OHADA, certes

largement inspirés du droit français, mais qui s’en différentient désormais plus souvent qu’on

ne le pense. Devant l’embarras du choix, parmi tant d’autres aspects lumineux de cette

1 Rédigé par Joseph Issa-Sayegh, Paul-Gérard Pougoué et Filiga Michel Sawadogo, auxquels se sont joints Dorothé Cossi Sossa, Ndiaw Diouf et Roger Masamba. 2 Joseph Issa Sayegh et Paul-Gérard Pougoué, L’OHADA : défis, problèmes et tentatives de solutions, communication au colloque de Ouagadougou, 2008 ; Roger Masamba, L’optimisation du processus d’harmonisation du droit des affaires en Afrique, Revue de Droit International et de Droit Comparé, Bruxelles, Bruylant, n° 2-3, 2008, p. 265.

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matière chère au collègue Pougoué, c’est le regard sur diverses situations bloquant, atténuant

ou adaptant la logique des obligations qui a le plus retenu notre attention : le sort du contrat

face à l’impossible.

En effet, malgré l’absence d’une théorie générale des obligations impossibles, le droit des

contrats n’est pas resté insensible à l’adage « à l’impossible, nul tenu ». Ainsi observe-t-on, à

travers plusieurs dispositions de nos codes civils relatives aux contrats, le souci du législateur

de prendre en considération la notion d’impossibilité.

L’intérêt, tant pratique que théorique, de cette notion d’impossibilité peut s’apprécier au

niveau de la formation et de la validité du contrat, comme à celui de son exécution.

D’une part, certaines circonstances rendent impossible la formation d’un contrat valable et

efficace. De même que l’absence de consentement (consentement d’un incapable ou d’un

dément, erreur obstacle) empêche la formation du contrat, les vices du consentement (erreur,

dol, violence) font, sous certaines conditions obstacle à sa validité. Mais, d’autres hypothèses

peuvent également affecter la validité du contrat. Ainsi en est-il lorsque l’objet ou la condition

de l’obligation contractuelle s’avèrent impossibles.

Il reste vrai que, selon sa nature, l’impossible produit sur le contrat des effets différents. En

fait, seule l’impossibilité absolue (qu’elle soit juridique ou matérielle) et objective fait

obstacle à la validité d’un contrat. En revanche, le contrat demeurera valable en cas

d’impossibilité relative au débiteur ou lorsqu’il a pour objet deux obligations alternatives dont

l’une seule s’avère impossible. De même, le contrat sera partiellement valable en cas

d’impossibilité partielle.

D’autre part, l’impossible peut justifier l’inexécution d’un contrat valablement conclu. En

effet, la force obligatoire du contrat ne s’impose que sous réserve des incertitudes inhérentes

aux circonstances diverses, naturelles ou sociales, qui entourent et affectent l’exécution des

engagements pris. Ainsi, qu’une tempête violente détruise des entrepôts, ou qu’une grève

éclate, l’exécution du contrat est perturbé3, comme elle le sera en cas de tremblement de terre,

par exemple.

Il est donc logique que le droit positif protège le débiteur dont l’inexécution est fortuite contre

une application excessive des principes de la convention-loi et de l’effet obligatoire des

conventions ainsi que des risques inhérent aux conséquences de l’inexécution des

engagements pris. Dans cet esprit, la responsabilité contractuelle du débiteur d’une obligation

de moyens ne sera engagée que si la preuve de sa négligence est rapportée. De même, le

débiteur d’une obligation de résultat, dont l’inexécution est en principe présumée fautive,

bénéficie de la protection du législateur et de la jurisprudence contre l’impossibilité et l’aléa

exceptionnel qui pourraient faire obstacle à l’exécution4. En effet, la force majeure est

généralement considérée comme un fait justificatif de l’inexécution de l’obligation et

exonératoire de la responsabilité contractuelle du débiteur de ladite obligation. Ainsi, de

même qu’elle peut affecter l’efficacité et la validité du contrat (I), l’impossible peut en

justifier l’inexécution (II).

3 Cl. Brulant, Aléa, incertitude et risque dans les obligations contractuelles, Thèse Paris 1972, p. 148 et p. 167. 4 J.J. Taisne, Notion de condition dans les actes juridiques, Thèse Lille II, 1977, p.542 et ss.

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I. L’IMPOSSIBLE PEUT AFFECTER L’EFFICACITE ET LA VALIDITE DU

CONTRAT

Quelle que soit la nature de l’impossibilité, l’efficacité du contrat peut être anéantie et sa

validité affectée si son objet s’avère impossible (A) ou s’il est assorti d’une condition

impossible (B).

A. L’incidence de l’impossibilité de l’objet sur l’efficacité et la validité du contrat

Lorsque l’objet de l’obligation est impossible, le contrat doit être frappé de nullité absolue.

Cette sanction n’est cependant pas applicable à tous les types d’impossibilités. Alors que,

lorsqu’elle est absolue, l’impossibilité justifie la nullité du contrat (a), l’impossibilité relative

ne modifie pas les engagements des parties (b).

a) Impossibilité absolue

L’impossibilité absolue, qui rend le contrat sans objet et lui prive d’un élément essentiel de sa

validité, produit pratiquement les mêmes effets, qu’elle soit d’origine juridique ou matérielle.

L’impossibilité matérielle résulte d’un obstacle matériel réellement insurmontable, et non pas

seulement difficile à surmonter. L’impossibilité sera certainement matérielle si l’objet de

l’obligation est contraire aux lois de la nature : ainsi en serait-il lorsque le fait promis est de

toucher le soleil, tracer un triangle sans angle ou démontrer la quadrature d’un cercle. Il en

serait de même si l’objet du contrat portant sur un certain corps a péri avant la passation du

contrat. Ce constat demeurerait constant même après cette étape précontractuelle, comme le

prévoient les dispositions de nos codes civils : « l’obligation est éteinte provisoirement ou

définitivement (…) si le corps certain et déterminé qui était dû vient à périr ou se perd sans la

faute du débiteur (…) » (voir notamment article 214 du code des obligations civiles et

commerciales du Sénégal, articles 702 alinéa 2 et 767 du Code civil guinéen)5.

En revanche, une destruction minimum laisserait subsister l’objet et le contrat : « Si une partie

seulement de la chose est périe, il est au choix de l’acquéreur d’abandonner la vente, ou de

demander la partie conservée, en faisant déterminer le prix par ventilation » (article 278 alinéa

2 du Code civil congolais livre III, transposition de l’article 1601 alinéa 2du Code civil

français, repris comme tel dans le Code civil du Burkina Faso).

Lorsqu’elle trouve sa source dans une loi faisant obstacle à la réalisation de l’objet,

l’impossibilité est dite « juridique ». D’une manière générale, comme l’énonce opportunément

le premier alinéa de l’article 74 du Code des obligations civiles et commerciales du Sénégal

avec une précision (« être impossible ») qui manque dans certains codes civils6, « la prestation

5 Au Sénégal, il a été jugé que « la disparition de l’objet stipulé dans un contrat entraîne la résiliation de cette convention » (note sous l’article 73 se référant à CA n° 291 du 22 juin 1979, in Code des obligations civiles et commerciales du Sénégal annoté, Editions Juridiques Africaines, 2010, p.44. 6 Les formulations des articles 27 et 28 alinéa 1 du Code civil congolais livre III (RDC), qui sont respectivement identiques à celles des articles 1128 et 1129 du Code civil français, sont moins complètes : « Il n’y a que les choses qui sont dans le commerce qui puisse être l’objet des conventions » (article 27) ; « Il faut que l’obligation ait pour objet une chose au moins déterminée quant à son espèce » (article 28). Ces dispositions figurent dans les Codes civil sénégalais et guinéen qui ajoutent que l’objet doit être possible.

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promise doit être possible et porter sur des choses qui sont dans le commerce ». L’article 664

du Code civil guinéen abonde dans le même sens : « L’objet d’un contrat doit être (…)

possible, c’est-à-dire réalisable (…) ».

Cette notion avoisine celle d’illicéité de l’objet : « L’objet d’un contrat doit être (…) licite,

c’est-à-dire non prohibé par la loi (…) » (article 664 du Code civil guinéen). L’objet sera

absolument et juridiquement impossible si le fait promis consiste à obtenir « une

émancipation avant l’âge requis » ou « un mariage avant la puberté »7.

Il en sera de même en cas d’inexistence ou de perte de la chose objet d’un contrat portant sur

un corps certain : « Si au moment de la vente la chose était périe en totalité, la vente serait

nulle » (article 278 alinéa 2 du Code civil congolais livre III, transposition de l’article 1601

alinéa 1 du Code civil français, repris comme tel dans le Code civil du Burkina Faso). Dans le

même sens, demeurerait juridiquement impossible, la cession d’un bail résilié, d’un bien

vendu, d’une créance inexistante ou d’un droit qu’on ne possède pas8.

Juridique ou matérielle, l’impossibilité absolue de l’objet justifie la nullité absolue du contrat.

Cette sanction est en outre accompagnée d’une condamnation à des dommages-intérêts contre

le débiteur qui, lors de la conclusion du contrat, connaissait l’impossibilité absolue. Si cette

impossibilité était connue des deux parties, la nullité serait fondée sur le défaut de

consentement.

Par ailleurs, en ce qui concerne les choses de genre, l’impossibilité « temporaire » de l’objet

n’entraîne pas la nullité. En effet, dans cette hypothèse, le contrat est considéré comme conclu

à terme jusqu’au moment de la disparition de l’impossibilité provisoire9. Il n’en irait

autrement que si les parties ont, elles-mêmes, fixé un terme à l’exécution de leurs

engagements. En tout état de cause, l’impossibilité doit être réellement absolue à l’égard de

tous ; dans le cas contraire, il s’agirait d’une impossibilité relative, laquelle ne justifierait pas

la nullité absolue du contrat.

b) Impossibilité relative

L’impossibilité relative aux facultés du débiteur ne libère pas ce dernier, car il lui appartenait

de ne pas s’engager au-delà de ses possibilités. Bien qu’absente du Code civil français, cette

solution prétorienne de longue date10

n’a pas manqué d’inspirer la Commission de réforme

dudit code qui l’a reprise à l’article 36 alinéa 2 de son projet.

L’appréciation « in abstracto » de la notion d’impossibilité par la jurisprudence conduit

clairement à conclure que chacun doit supporter le risque d’être faible. Il reste cependant

admis que nul ne peut triompher de l’impossible. Cette idée n’est pas non plus étrangère à la

règlementation des conditions impossibles.

7 J.J. Taisne, Thèse précitée, p. 57. 8 Cass. Civ. 20/2/1973, DS 1974, 37, Note Ph. Malaurie. 9 Besançon, 25/3/1928 DP 1928, 2.120. 10 Paris 4/7/1865. D.P. 1865. 2.201.

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B. L’incidence de l’impossibilité de la condition sur l’efficacité et la validité du

contrat

La condition est un évènement futur et incertain dont dépend soit la résolution, soit la

formation du contrat. Un tel évènement peut s’avérer impossible (a) et, par conséquent,

bouleverser l’économie du contrat, voire supprimer sa validité (b).

a) Evènements dont la réalisation ou la défaillance est impossible.

Les évènements dont la réalisation ou la défaillance est impossible ne peuvent constituer des

conditions valables, car il leur manque l’incertitude objective requise par la loi et le caractère

futur. Comme le précise le premier alinéa de l’article 22 du « projet de texte de droit uniforme

des obligations, de la preuve et de la prescription extinctive dans l’espace OHADA » :

« L’obligation est conditionnelle lorsqu’on la fait dépendre d’un évènement futur et

incertain » (formulation quasi-identique à celle de l’article 66 du Code civil congolais livre

III). Dans le même sens, l’article 66 du Code des obligations civiles et commerciales du

Sénégal dispose : « La condition est un événement futur et incertain dont dépend la formation

ou la disparition de l’obligation ».

Lorsque l’impossibilité affecte la réalisation même de la condition, elle est dite « stricto

sensus ». Ainsi en est-il en cas d’impossibilité naturelle (par exemple, la condition de toucher

le soleil), ou d’impossibilité juridique (par exemple, la condition d’épouser sa sœur). Dans ce

cas, le contrat conclu sous condition suspensive ne serait qu’une plaisanterie11

et l’obligation

n’existerait pas. Lorsque l’impossibilité affecte la défaillance de l’évènement conditionnel

(l’évènement est alors dit « nécessaire »), le contrat conclu sous condition résolutoire apparaît

aussi comme une plaisanterie. De toute évidence, que l’évènement soit nécessaire ou

impossible, la notion d’impossibilité n’est pas sans incidence sur la validité du contrat.

b) Conséquences de la condition impossible

L’obligation conditionnelle est impossible en cas d’impossibilité de la condition suspensive

(2°) ou de la condition résolutoire du contrat (1°) :

1°) Condition suspensive impossible

Deux tendances coexistent. D’un côté, les partisans de la nullité de l’opération entière. De

l’autre, ceux du principe consistant à réputer non écrite la condition. Cette dualité n’est pas

sans lien avec la distinction opérée par le Code civil français entre les actes à titre onéreux

et les actes à titre gratuit. En ce qui concerne les actes en titre onéreux, toute condition d’une

chose impossible est nulle et rend nulle la condition qui en dépend (article 1172), alors que,

pour les actes à titre gratuit, les conditions impossibles sont réputées non écrites (article 900).

Nos codes civils s’alignent partiellement sur cette tendance lorsqu’ils disposent que « toute

condition d’une chose impossible, ou contraire aux bonnes mœurs, ou prohibée par la loi, est

nulle, et rend nulle la convention qui en dépend » (article 70 du Code civil congolais livre III,

transposition de l’article 1172 du Code civil français, et similaire à l’article 67 du Code des

obligations civiles et commerciales du Sénégal). Par contre, au regard des actes gratuits, alors

que l’article 900 du Code civil français énonce que « dans toute disposition entre vifs ou

testamentaires, les conditions impossibles, celles qui sont contraires aux lois et aux mœurs,

11 J.J. Taisne, Thèse précitée, p. 62.

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seront réputées non écrites », l’article 879 du Code des personnes et de la famille du Burkina

Faso dispose : « Dans tout acte de disposition entre vifs ou testamentaires, les conditions et

charges illicite, impossibles ou immorales sont nulles, mais n’entraînent la nullité de l’acte

que si elles en ont été la cause déterminante ».

Favorable à la nullité, cette option est conforme à la jurisprudence française qui, en

rapprochant le régime des actes conditionnels à titre gratuit ou à titre onéreux, prononce la

nullité du contrat lorsque la condition impossible en constitue la cause déterminante et

impulsive. Dans le cas contraire, ladite jurisprudence considère que seule la condition

impossible est réputée non écrite12

. C’est l’option levée par le projet de texte de droit

uniforme des obligations, de la preuve et de la prescription extinctive dans l’espace OHADA

(article 23) : « Toute condition d’une chose impossible ou illicite est nulle et rend nulle la

convention qui en dépend. Toutefois, la convention peut être maintenue et la condition

réputée non écrite lorsqu’en réalité celle-ci n’a pas été pour les parties un motif déterminant

de contracter. De même, la condition de ne pas faire une chose impossible ne rend pas nulle

l’obligation contractée sous cette condition ».

2°) Condition résolutoire impossible

La solution doit être la même lorsque la condition impossible est résolutoire. En effet, même

si, contrairement à l’article 879 du Code burkinabè des personnes et de la famille, l’article 67

du Code des obligations civiles et commerciales du Sénégal et l’article 70 du Code civil

congolais livre III (équivalant de l’article 1172 du Code civil français) ne prévoient pas

l’hypothèse de la condition « résolutoire » impossible, le bon sens commande d’admettre

qu’une telle condition fait disparaître toute possibilité de résolution.

Ainsi, l’impossible demeure un obstacle à l’efficacité, voire à la validité, du contrat

lorsqu’elle porte, soit sur l’objet, soit sur la condition de l’obligation contractuelle. Dans le

même sens, un obstacle peut s’opposer à l’exécution d’un contrat valablement conclu.

II. L’IMPOSSIBLE PEUT JUSTIFIER L’INEXECUTION DU CONTRAT

L’impossibilité résultant de la force majeure (ou du cas fortuit) reste certainement celle qui

présente le plus d’intérêt. Il s’agit généralement d’un phénomène naturel et social qui rend

l’exécution du contrat impossible13

.

Dans la mesure où elle est assimilée à une absence de faute et exonère le débiteur de sa

responsabilité contractuelle (B), la force majeure doit présenter certains caractères (A) dont la

preuve, qui incombe au débiteur, est appréciée souverainement par les juges du fond.

12 L’impossibilité de la condition peut révéler l’insanité d’esprit du disposant. L’article 882 du Code burkinabè des personnes et de la famille dispose que « pour faire une donation entre vifs ou un testament, il faut être sain d’esprit et manifester une volonté exempte d’erreur, de dol ou de violence ». Dans le même ordre d’idées, le juge français fonde la nullité de l’acte sur l’article 901 du Code civil : « Pour faire une libéralité, il faut être sain d'esprit. La libéralité est nulle lorsque le consentement a été vicié par l'erreur, le dol ou la violence ». 13 C1. Brulant, Thèse précitée, p. 128.

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A. Les caractères de la force majeure

L’évènement constitutif de force majeure doit être imprévisible et irrésistible (a), et dû à une

cause étrangère (b).

a) Impossibilité de prévoir et de résister.

Cette exigence étant cumulative, l’événement doit être à la fois imprévisible « et »

irrésistible14

, en d’autres termes, impossible à prévoir et à résister. Il faut en outre que

l’impossibilité soit absolue et objective. Pour apprécier les caractères d’imprévisibilité et

d’irrésistibilité, il importe de se référer aux diligences et forces normales d’un homme ou

d’une femme placé(e) dans des conditions normales. Ainsi, si certaines maladies et la mort

s’avèrent fatales, des précautions et des mesures peuvent être prises pour en minimiser autant

que possible les risques d’occurrence. L’absence de précaution ou de diligence sera donc

incompatible avec la notion d’irrésistibilité. La jurisprudence exige également que tous les

moyens soient mis en œuvre pour l’exécution15

.

A ce sujet, il faut prendre en considération le développement moderne des techniques,

notamment le progrès de la météorologie, l’utilisation de radars, les avancées de la médecine,

la révolution informatique. En effet, autant que les possibilités de résister contre la maladie,

par exemple, les possibilités de prévoir augmentent à un rythme exponentiel en fonction des

progrès technologiques, provoquant ainsi un rétrécissement de la notion de force majeure.

Le poids de la civilisation des risques s’allège donc face au développement d’une sorte de

civilisation de la prévention. Dans ce contexte, ne constitue pas un cas de force majeure, le

retard prévisible de l’administration à délivrer une autorisation16

. Ainsi, souligne la

jurisprudence sénégalaise, « la survenance d’un événement prévu et réglementé (tel que le

retard dans la délivrance d’une autorisation de construire) ne peut constituer un événement

insurmontable et impossible à prévoir »17

. En revanche, l’émeute18

, le lock-out et la grève

demeurent des cas de force majeure lorsqu’ils sont dus à un fait extérieur et supérieur à la

volonté de ceux qui les invoquent et qu’ils ont rendu impossible l’exécution des obligations

contractuelles19

. Enfin, l’évènement imprévisible et irrésistible doit résulter d’une cause

étrangère.

b) Cause étrangère.

La force majeure est en effet une cause étrangère, c’est-à-dire un évènement étranger et

supérieur à la volonté humaine. Ainsi, lorsqu’il est imprévisible et irrésistible, le fait de la

victime (qui est une cause étrangère pour le débiteur) constitue un cas de force majeure. La

même solution s’applique lorsque le fait d’un tiers fait obstacle à l’exécution du contrat20

. Il

faut néanmoins que le fait soit réellement étranger : le défendeur ne peut invoquer le fait des

14Radouant, Du cas fortuit et de la force majeure, Thèse Paris, 1920, p. 237. 15Cass. Civ. 4/1/1963 Bull cass 1963, III, 11. 16 Com. 26/10/1954, D 1955, 213, Note Radouant. 17 Note sous l’article 129, se référant à CS n° 10 du 18 février 1981 Makaroun c/ Bourgi, in Code des obligations civiles et commerciales du Sénégal annoté, Editions Juridiques Africaines, 2010, p.60. 18Civ. 1ère , 17 nov. 1999, Bull. civ. I, n° 307, D. 1999 (R. 280). 19Trib. Civ. Corbeil 17/11/1937, Gaz Pal 23/12/1937. 20Req. 2/3/1927, D.P. 1927.I.121, Note Mazeaud.

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personnes dont il est responsable en vertu de la loi, ni le fait d’un membre du personnel de son

entreprise21

. De même, le fait du prince ou l’ordre de l’autorité légitime est un cas classique

de force majeure quand il fait obstacle absolu à l’exécution des obligations conventionnelles.

Lorsqu’il est imprévisible et irrésistible, la cause étrangère justifie l’inexécution du contrat.

B. L’exonération de la responsabilité contractuelle du débiteur

En justifiant l’impossibilité d’exécution, la force majeure exonère le débiteur de sa

responsabilité contractuelle : « Il n’y a pas de responsabilité si le fait dommageable est la

conséquence d’une force majeure ou d’un cas fortuit, c’est-à-dire d’un événement extérieur,

insurmontable et qu’il était impossible de prévoir » (article 129 du Code des obligations

civiles et commerciales du Sénégal dont la teneur se retrouve dans tous nos codes civils ; voir

aussi les articles 1147 et 1148 des Codes civils français et burkinabé).

En principe, la force majeure éteint l’obligation, mais dans certains cas, elle ne fait qu’en

suspendre l’exécution. Il en est ainsi lorsque l’impossibilité d’exécution est temporaire22

et

non pas définitive. Il arrive, par exemple, que la tempête ou la grève ne cause qu’un retard

dans la livraison), sans pour autant la rendre impossible. Le projet de texte de droit uniforme

des obligations, de la preuve et de la prescription extinctive dans l’espace OHADA prévoit

que « lorsque l’empêchement n’est que temporaire, l’exonération produit effet pendant un

délai raisonnable en tenant compte des conséquences de l’empêchement sur l’exécution du

contrat » (article 3-5, 2°)23

.

En cas d’impossibilité partielle, le débiteur demeure engagé dans la mesure du possible. En

outre, il arrive que le débiteur reste responsable malgré la survenance d’un cas de force

majeure, en vertu d’une clause expresse et non équivoque du contrat. Pareille clause est

valable : « Lorsque la chose est périe, mise hors du commerce ou perdue, sans la faute du

débiteur, il est tenu, s’il y a quelques droits ou actions en indemnité par rapport à cette chose,

de les céder à son créancier » (article 195 du Code civil congolais livre III, transposition de

l’article 1303 du Code civil français, repris comme tel par le Code civil du Burkina Faso).Il en

va différemment dans les baux à cheptel simples : « On ne peut stipuler : que le preneur

supportera la perte totale du cheptel, quoique arrivée par cas fortuit et sans faute (…). Toute

convention semblable est nulle » (article 1811 du Code civil français et du Code civil

burkinabè).

Si la force majeure peut ne pas empêcher que le créancier exécute son obligation, doit-on tout

de même contraindre ce dernier à fournir une prestation sans espoir de recevoir une

contrepartie ? S’agissant d’un contrat synallagmatique la réponse négative s’impose, en raison

du principe de réciprocité. Mais quid si le créancier a déjà exécuté son obligation ?

La théorie du risque conduit à distinguer deux cas :

- Lorsquel’impossibilité d’exécuter résulte de la perte d’un corps certain que le débiteur s’était

obligé à livrer, la perte en est pour le créancier qui demeure tenu de son prix en raison du

principe de l’acquisition de la propriété par l’acheteur « solo consensu » ;

21Civ. 18/10/1967, JCP 1968, 15430, Note Durand. 22Req. 12/12/1922 D.P. 1224, I, 186. 23 Ce type de formulations prévaut aussi dans les codes miniers, lesquels consacrent systématiquement de minutieuses dispositions à la force majeure.

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- Dans les autres cas, le créancier est déchargé de sa propre obligation, de sorte que les risques

sont en définitive supportés par le débiteur. En effet, si l’impossibilité de l’exécution épargne

le débiteur de toute condamnation à des dommages-intérêts, il ne faudrait aucunement lui

permettre de réclamer ce que lui aurait promis son cocontractant ou de conserver le prix qu’il

aurait perçu24

. Cependant, ces principes étant purement interprétatifs, les parties peuvent y

déroger par une clause contractuelle expresse.

En tout état de cause, la survenance d’un cas de force majeure ne devrait pas empêcher « (…)

les parties d’exercer leur droit de résoudre le contrat, de suspendre l’exécution de leurs

obligations ou d’exiger les intérêts d’une somme échue » (article 3-5, 4° du projet de texte de

droit uniforme des obligations, de la preuve et de la prescription extinctive dans l’espace

OHADA).

Ainsi, il serait injuste et inutile de contraindre le débiteur d’exécuter son obligation dès lors

qu’un évènement de force majeure s’y oppose. Mais il serait inéquitable d’abandonner le

créancier à son triste sort. Ne faudrait-il pas, de lege ferenda, s’inspirer de la technique anglo-

saxonne du « hardship clause » pour prévenir les déséquilibres contractuels et les solutions

inéquitables qui découleraient de l’impossibilité ou de la difficulté d’exécuter ?

CONCLUSION

La notion d’impossibilité n’est donc pas sans influence sur le droit des contrats. Elle fait

obstacle tantôt à la formation, tantôt à l’exécution du contrat. Elle peut justifier la nullité du

contrat, tout comme elle peut exonérer le débiteur de sa responsabilité contractuelle. Enfin,

elle correspond parfaitement à l’idée qu’« une force étrange condamne toujours l’homme à

rencontrer derrière l’obstacle qu’il dépasse, un autre qui le dépasse »25

.

Cependant, bien que justifiée par l’équité et la logique, la notion d’impossibilité risque de

constituer une source d’insécurité dans les contrats. On ne peut donc que recommander

sérénité et prudence dans l’appréciation des caractères de la force majeure et soutenir

l’exigence d’une impossibilité absolue et objective pour annuler le contrat.

24 V. aussi Pillebout : Recherches sur l’exception d’inexécution, Thèse Paris, 1969. 25 F. Gaborieux, Nouvelle initiation philosophique, T. 4, p. 329, cité pat Cl. Brulant, Thèse précitée, p. 1.

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INDICATIONS BIBLIOGRAPHIQUES

A. Benabent, La chance et le droit, L G D J, 1973, t. 128,

Cl. Brulant, Aléa, incertitude et risque dans les obligations contractuelles, Thèse Paris, 1972.

Les Codes Larcier, République Démocratique du Congo, tome I, Droit civil et judiciaire,

Bruxelles, Larcier, 2010.

Editions Juridiques Africaines, Code des obligations civiles et commerciales du Sénégal,

Annotations et commentaires par le Cabinet d’Avocats D. Ndoye, Dakar, EDJA, 2010.

J.F. Pillebout, Recherches sur l’exception d’inexécution, Thèse Paris, 1969.

B.D.P. Radouanr, Du cas fortuit et de la force majeure, Thèse Paris 1920.

J.J. Taisne, Notion de condition dans les actes juridiques. (Contribution à l’étude de

l’obligation conditionnelle), Thèse Lille 2, 1977.

Université de Ouaga 2, Codes et lois du Burkina Faso, tome I, Code Civil, mis à jour et

annoté par Pierre L.D. Yougbaré, décembre 2011.