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L'inclassable par Patrick Troude-Chastenet (2005) Parmi les multiples lieux communs associés au nom Ellul, figure en bonne place le thème d’une pensée inclas d’emblée reconnaître que l’intéressé n’est pas pour rie réputation. Si tout au long d’une carrière riche d’une d’ouvrages et de plusieurs centaines d’articles, il n’a poursu but : affirmer et défendre la liberté de l’homme face aux menacent, les voies empruntées ont été trop diverses décourager les amateurs de frontières intangibles. Indifférent, pour ne pas dire franchement hostile, a droite et à leurs idées, il s’est constamment évertué à Gauche », son propre camp, au risque de persistants Toujours à contre-courant : pendant la guerre d’Algérie où très éloigné des positions d’un Albert Camus puis, plus t d’Israël ou de l’Afrique du Sud, ou encore en 1981 lors de François Mitterrand à la Présidence de la République, paradoxal ne pouvait que heurter les sensibilités « progressi Le clivage droite/gauche s’avère en l’occurrence ici d’u limitée. S’il fallait à tout prix satisfaire aux exigenc typologique, on se tromperait le moins en rapprochant Ellul anarchistes, à condition toutefois de préciser que sa foi chrét ses convictions libertaires. Mais là n’est pas l’essentiel. Son « inclassabilité » ren plus au statut problématique d’une œuvre, divisée en d distincts mais en étroite correspondance car traduisant la dialectique du Naturel et du Révélé, qu’à son positionnem champ idéologico-politique. Historien du droit de formation, il est l’auteur d’une Institutions (Thémis/PUF) en cinq volumes qui accompagna études plusieurs générations d’étudiants. Mais ce professeu de Droit et à l’I.E.P. de Bordeaux s’est très vite affranchi des discipline. Qu’un agrégé de droit romain, spécialiste de la ha veuille étendre sa réflexion au destin de l’homme chrétien d moderne et, plus généralement, à la condition humaine d d’une société technicienne, et les difficultés commencent... Dans une ère de spécialisation outrancière, partic l’Université malgré les appels rituels à la pluridisc polygraphe prit le risque de passer pour un aimable t Pratiquant pourtant les « sciences diagonales » avec la m qu’un Roger Caillois (1913-1978) - dont la revue Diogène pub l’un de ses deux meilleurs articles consacrés à la pro prétendait seulement à l’honnêteté intellectuelle et non pas Page d'accueil CAHIERS JACQUES-ELLUL L'ASSOCIATION ACTUALITES JACQUES ELLUL Portraits Itinéraire L’inclassable L’écologiste L’incompris L’œuvre d’une vie Enfance et jeunesse Années 1940 Années 1950 Années 1960 Années 1970 Années 1980 Années 1990 et postérité LES GRANDS THEMES BIBLIOGRAPHIE A VOIR ET A ENTENDRE INFLUENCES COMPAGNONAGE TERRAIN PRONOSTICS VÉRIFIÉS RAYONNEMENT POSTERITE DÉBATS AGIR LOCALEMENT Notre Forum Lettres d'actualités Contact Dernière publication Association Internationale Rechercher... Association Internationale Jacques Ellul - L'inclassable http://www.jacques-ellul.org/jacques-ellul/portraits/linclassable 1 di 7 29/05/2015 12:17

L'inclassable

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  • L'inclassable

    par Patrick Troude-Chastenet (2005)

    Parmi les multiples lieux communs associs au nom de JacquesEllul, figure en bonne place le thme dune pense inclassable. Il fautdemble reconnatre que lintress nest pas pour rien dans cetterputation. Si tout au long dune carrire riche dune cinquantainedouvrages et de plusieurs centaines darticles, il na poursuivi quun seulbut : affirmer et dfendre la libert de lhomme face aux prils qui lamenacent, les voies empruntes ont t trop diverses pour ne pasdcourager les amateurs de frontires intangibles.

    Indiffrent, pour ne pas dire franchement hostile, aux leaders dedroite et leurs ides, il sest constamment vertu critiquer laGauche , son propre camp, au risque de persistants malentendus.Toujours contre-courant : pendant la guerre dAlgrie o il ntait pastrs loign des positions dun Albert Camus puis, plus tard, proposdIsral ou de lAfrique du Sud, ou encore en 1981 lors de llection deFranois Mitterrand la Prsidence de la Rpublique, son discoursparadoxal ne pouvait que heurter les sensibilits progressistes .

    Le clivage droite/gauche savre en loccurrence ici dune pertinencelimite. Sil fallait tout prix satisfaire aux exigences du genretypologique, on se tromperait le moins en rapprochant Ellul des penseursanarchistes, condition toutefois de prciser que sa foi chrtienne primaitses convictions libertaires.

    Mais l nest pas lessentiel. Son inclassabilit renvoie beaucoupplus au statut problmatique dune uvre, divise en deux registresdistincts mais en troite correspondance car traduisant la confrontationdialectique du Naturel et du Rvl, qu son positionnement dans lechamp idologico-politique.

    Historien du droit de formation, il est lauteur dune Institutions (Thmis/PUF) en cinq volumes qui accompagna durant leurstudes plusieurs gnrations dtudiants. Mais ce professeur la Facultde Droit et lI.E.P. de Bordeaux sest trs vite affranchi des bornes de sadiscipline. Quun agrg de droit romain, spcialiste de la haute Antiquit,veuille tendre sa rflexion au destin de lhomme chrtien dans le mondemoderne et, plus gnralement, la condition humaine dans le cadredune socit technicienne, et les difficults commencent...

    Dans une re de spcialisation outrancire, particulirement lUniversit malgr les appels rituels la pluridisciplinarit, cepolygraphe prit le risque de passer pour un aimable touche tout.Pratiquant pourtant les sciences diagonales avec la mme rigueurquun Roger Caillois (1913-1978) - dont la revue Diogne publiera du restelun de ses deux meilleurs articles consacrs la propagande -, ilprtendait seulement lhonntet intellectuelle et non pas lobjectivit

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    1 di 7 29/05/2015 12:17

  • scientifique.

    Combattant lagnosticisme dominant dans les sciences sociales enrintroduisant au premier plan les questions thiques, sa dnonciation delillusion objectiviste des sciences de lhomme nest pas sans voquer lestravaux de lEcole de Francfort. Sils divergent sur la question delautonomie de la Technique, on retrouve chez Habermas, la suite dEllul,la mme critique radicale du fondement idologique du positivisme - rigen dogme par la conscience technocratique - de loptimisme scientiste etdes implications normatives des mthodes empiriques.

    Aprs avoir t prsent de son vivant, au gr des circonstances,comme philosophe, sociologue, politiste, thologien ou moraliste, ungrand quotidien du soir la qualifi rcemment encore de pasteurprotestant . Au-del des approximations journalistiques, ces incertitudespeuvent se lire comme le symptme dun malaise suscit par un auteurqui drange encore post mortem par son inaptitude se fondre dans lescatgories communes.

    Lui-mme sest toujours dfendu de faire de la philosophie, moins la manire dune Hannah Arendt que dun Kierkegaard. Cest en effet duct du pre de lexistentialisme quil faut se tourner lorsque lon souhaiteremonter aux sources de luvre ellulienne. Un Kierkegaard considr parEllul non comme un philosophe, ce qui relverait encore de la mise enforme intellectuelle de lintressant , donc du stade esthtique , maiscomme lauteur de La Maladie la mort qui livre en chrtien sonexprience de la souffrance et de lamour.

    A dix-huit ans, grce au Danois, Ellul a compris quil ignorait encoretout du dsespoir authentique. Lide selon laquelle il ny a de vrit quesubjective, lexistence considre et vcue comme une tensionpermanente entre deux ples irrductibles, lindividu pens comme treunique plac sous le regard dun Dieu fait homme et qui reste en mmetemps le Tout Autre , le principe de non conformit au monde, ladfense de la personne face au Pouvoir, le saut dans la foi pour sortirde labsurdit de la vie, sont quelques uns des thmes qui continuerontpar la suite irriguer une pense qui refusera elle aussi de se figer en systme , donc en monde clos .

    Dcouverts peu prs la mme poque, Karl Marx(1886-1968) viendront complter sa formation. Il trouvera dans la critiquemarxiste du capitalisme une explication au chmage de son pre et uneinvite changer le monde ; et chez le dogmaticien protestant, le moyende penser dialectiquement lobissance de lhomme libre lgard duDieu libre, autrement dit lide centrale du message biblique : la libredtermination de la crature dans la libre dcision du Crateur.

    Kierkegaard, Marx, Barth : trois dialecticiens de gnie quiconstitueront lessentiel de son bagage thorique lorsquil sembarqueradans laventure personnaliste, en compagnie de son ami Charbonneau (1910-1996).

    En revanche, Ellul refusait toute filiation intellectuelle avec MartinHeidegger dont il connaissait, ds 1934, l'engagement naziseulement il croyait - tort ou raison ?- qu'un penseur qui se trompaitaussi grossirement sur le secondaire (la politique) ne pouvait lui tred'aucun secours pour comprendre le principal (le sens du monde

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    2 di 7 29/05/2015 12:17

  • moderne), mais en outre, Ellul reprochait l'auteur de L'Etre et le Tempsde s'exprimer dans un langage trop abstrait.

    Dans ses textes de 1935, soit quatorze ans avant les premiresconfrences dHeidegger sur le sujet, Ellul considre dj que cest latechnique et non le politique qui se trouve dsormais au cur deschoses . Si leurs conclusions se recoupent en bien des points, leursmthodes sont radicalement diffrentes. Dun ct, un questionnementmtaphysique sur lessence de la technique contemporaine, le dispositif ; de lautre, une description sociologique des caractres du systme technicien partir dun idal-type wbrien. Et comme lesouligne Maurice Weyembergh[2], le lecteur apprend plus sur latechnique dans sa concrtude chez Ellul que chez le philosophe .

    Enthousiasm par la lecture de LIdologie Allemande, le jeune Ellulprit contact avec des travailleurs communistes. Grande ft sa dceptionde trouver des interlocuteurs plus soucieux de la ligne du Parti quedhermneutique marxiste. Sil entretint par ailleurs des relations avecdes militants socialistes bordelais, non seulement il ne sinscrivit pas auPCF en 1934 (ni jamais du reste), comme on a pu le lire abondammentdans la presse lors de son dcs[3], mais cette date il militaitactivement au sein dune mouvance non-conformiste stigmatise comme profasciste par lintelligentsia stalinienne.

    Faisant dj de limpuissance de la politique face lemprisetechnoscientifique, le cur de leur doctrine, Ellul et Charbonneau ontincarn la fraction la plus individualiste, libertaire, rgionaliste, fdralisteet cologiste du mouvement personnaliste. Leurs profonds dsaccordsavec Emmanuel Mounier (1905-1950) les ont marginaliss au sein duncourant lui-mme minoritaire dans la socit franaise des annes trente.

    Rsolument hostile aux soldats politiques fabriqus la chanepar le nazisme et le stalinisme, sans pour autant se reconnatre danslindividualisme libral lamricaine, le jeune Ellul a lui aussi cherch unetroisime voie. Au soir de sa vie, il a surtout gard limpression davoirgrandi dans un monde terrible. Deux guerres mondiales, les horreurs dela guerre dEthiopie, la guerre civile en Espagne, la Shoah, la guerre totalecombinant des techniques de destruction toujours plus sophistiques avecle trfonds de la barbarie humaine... Et partout le triomphe universel delEtat Moloch !

    Impossible de comprendre pleinement son rapport au politique enfaisant limpasse sur ce contexte historique particulirementtraumatisant. On sait par exemple quaprs le sociologue Lewis Mumford(1895-1990)[4], George Steiner[5] a, lui sur un mode romanesque, suggrlide dune dfaite morale des Allis qui auraient repris leur compte lesobjectifs de puissance militaro-industrielle des nazis.

    Mais la proposition selon laquelle en dfinitive Hitler a bien gagnla guerre figure dj chez Ellul en 1945[6], et elle na rien duneaffirmation de circonstances puisquelle sera ritre tout au long de sonuvre. Le modle nazi sest rpandu dans le monde entier . Quest-ce dire sinon que le vaincu a littralement corrompu le vainqueur ? Que pourvaincre le rgime hitlrien, les dmocraties se sont moralementcondamnes en voulant combattre le mal par le mal, autrement dit ensengageant sans rserve dans le culte de la puissance technicienne .

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    3 di 7 29/05/2015 12:17

  • Et lon aborde ici lessentiel de sa pense : la technique, cest direla recherche du moyen absolument le plus efficace dans tous lesdomaines, constitue la cl de notre modernit. En substance, l'hommecroit se servir de la Technique et c'est lui qui la sert. Lhomme moderneest devenu linstrument de ses instruments, pour parler commeBernanos. Le moyen sest transform en fin, la ncessit s'est rige envertu, la culture technicienne ne tolre aucune extriorit.

    Nous vivons non pas dans une socit post-industrielle maisdans une socit technicienne . La socit technicienne - celle danslaquelle un systme technicien est install- tend de plus en plus seconfondre avec le systme technicien : produit de la conjonction du phnomne technique (caractris par lautonomie, lunicit oulinscabilit, luniversalit et la totalisation) et du progrs technique (dfini par lauto-accroissement, lautomatisme, la progression causale etlambivalence). Mais il faut prciser que la premire n'est pas rductibleau second, et qu'il existe des tensions entre les deux. Le systmetechnicien est la socit technicienne ce que le cancer est l'organisme humain.

    S'il se livre gnralement une analyse critique, non pas de laTechnique en soi, mais de l'idologie techniciste, on trouve aussi dans sonoeuvre des lments pouvant conforter sa rputation de technophobe,jugeant de la technique partir de prsupposs mtaphysiques. Il s'agitalors d'une technique personnifie, hypostasie, assimile une puissance , voire un monstre. Ellul hsite parfois entre lidaltypewbrien simple vocation heuristique et une sorte de ftichisation de latechnique.

    Parmi les techniques de l'homme , la Propagande - dont onretrouverait aujourdhui certains traits sous le nom de Communication - atrs tt retenu son attention. En tant que sociologue, il la dcrit commeabsolument ncessaire l'intgration de l'homme moderne dans lasocit technicienne ; en tant que chrtien, il la considre comme unobstacle au rgne de la Parole .

    La Propagande fait entrer la politique dans le monde des images ettend transformer le jeu dmocratique en exercice d'illusionnisme. Ladistinction classique entre l'information (la vrit) et la propagande (lemensonge) pour tre rassurante n'en est pas moins extrmement fragile.La premire ne constitue pas, en soi, une garantie contre la seconde.L'information est mme la condition d'existence de la propagande puisquel'opinion publique nest quun artefact - Ellul l'crit ds 1952(est fabrique par l'information avant de servir de support lapropagande. Il est faux de croire que plus l'individu est inform, rsiste la propagande. En outre, dans le cadre dune socittechnicienne, et non pas, en soi, mme linformation comporte unedimension alinante.

    Autre affirmation scandaleuse, la propagande vise en premier lescitoyens les plus cultivs et les plus informs: les intellectuels. Plus on ade chanes, plus on est sensible leur manipulation! Cette mtaphore faitaujourd'hui penser aux chanes de tlvision alors qu'elle pourraits'appliquer aux gnrations d'intellectuels fascins par divers rgimestotalitaires.

    La propagande est ncessaire pour le Pouvoir, mais aussi pour le

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    4 di 7 29/05/2015 12:17

  • citoyen. L'information dans une socit technicienne tant forcmentcomplexe, pointilliste et catastrophiste; la propagande ordonne, simplifieet rassure... Il stablit donc une complicit entre propagandiste etpropagand...

    Le diagnostic tient en deux propositions: 1) pas de dmocratie sansinformation mais pas d'information sans propagande ; 2) pour survivre ladmocratie est condamne, elle aussi, faire de la propagande. Or, parnature, la propagande est la ngation de la dmocratie. L'objet de lapropagande (la dmocratie) tend alors s'assimiler sa forme (lapropagande, par essence totalitaire), car l'instrument n'est pas neutre. Ilnexiste pas de bonne ou de mauvaise propagande, au plan thique, maisdes propagandes efficaces ou non, au plan technique.

    Mais la propagande, en supprimant la facult de choisir, ne risque-t-elle pas de corrompre le fondement mme de lart gouvernemental ?Quelles sont les consquences dans le champ politique du primat desmoyens sur les fins ?

    Dans une socit technicienne, la politique relve du Ncessaire etde l'Ephmre. Les gouvernants s'agitent pour conserver les apparencesd'une initiative abandonne en ralit aux techniciens. Avec des accentstrs wbriens, Ellul stigmatisait lvacuation du politique par le faitbureaucratique, linversion du modle thorique d'une administrationsoumise l'autorit des lus, avec dsormais lefficacit pour seul critrede lgitimation.

    La socit technicienne implique par ailleurs une confusion dupolitique et du social. Tout est politique mais la politique n'est qu'illusion.La politique s'est substitue la Religion, l'Etat moderne a pris la place deDieu. La souverainet populaire n'est qu'un mythe et le suffrage universelsavre incapable de slectionner de bons gouvernants et de contrlerleur action. Il est aussi illusoire de croire au contrle du peuple sur sesreprsentants qu' celui des lus sur les experts. L'Etat technicien est paressence totalitaire, peu importe sa forme juridique et sa couvertureidologique.

    La nuit tous les chats sont gris ! Vritable leitmotiv d'Ellul depuis lesannes trente : en face du fait dterminant -l'universalit de la technique-les particularits politico-institutionnelles doivent tre considres commesecondaires. D'o son indiffrence l'gard du conflit est/ouest, son refusde choisir une forme de dictature contre une autre puisque rgimes poursuivent des fins identiques: l'efficacit, la puissance...

    Autrement dit, la combinaison de l'Etat moderne et de l'idologietechnicienne rend la politique non seulement illusoire mais dangereuse.Pourtant, loin dun plaidoyer en faveur dun apolitisme - tout aussi illusoire- qui naurait pour consquence que de renforcer lemprise de lEtat, lemessage dEllul vise rhabiliter les vertus de la rsistance personnelleface au Lviathan. Pour l'homme, exister c'est rsister. Il faut doncdvelopper les tensions , lun des matres mots du vocabulairepersonnaliste, contre toutes les tentatives totalitaires d'intgration sociale.Il convient en somme de rinventer une dmocratie qui a disparu depuislongtemps .

    Et lon touche ici lun des aspects les plus problmatiques de sonrapport au politique. Alors quil se rclamait dun ralisme politique

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    5 di 7 29/05/2015 12:17

  • ras de terre , en raison dune vision par trop idaliste de la dmocratie, ilrenonait distinguer ses manifestations empiriques - forcmentimparfaites - des rgimes parfaitement totalitaires.

    Au lieu dadmettre avec le politiste Robert Dahl la dimensionpotentiellement rvolutionnaire de la doctrine dmocratique car jamaispleinement ralise, ou avec Claude Lefort son caractre essentieldindtermination, son invention permanente, son inachvementstructurel, il semblait considrer la polyarchie comme une sorte detotalitarisme larv. La vrit mme de la dmocratie moderne se drobantalors sous ses yeux.

    Mais en ralit, ce quEllul refusait au plus profond de lui, cest lapart de violence, ft-elle une violence prtendant la lgitimit, contenuedans toute forme de pouvoir politique. La violence comme moyenspcifique, comme ultima ratio, non seulement de lEtat mais du politiquedans son entier. La politique qui a pour seul enjeu la puissance et obit des lois impitoyables quil est dangereux dignorer.

    Lui qui insistait sur la fonction catalytique des chrtiens, sur ce rleirremplaable de brebis au milieu des loups, lui qui prnait bien plus quela non-violence la non-puissance - ne pouvait se rsoudre partagerladmiration de Weber pour ce personnage des Histoires Florentinesdclarant quil fallait fliciter ceux qui avaient prfr la grandeur de leurCit au salut de leur me. Or selon Ellul, la diffrence dun Machiavel, onne peut crer une socit juste avec des moyens injustes. Le Mal nesaurait engendrer le Bien, y compris en politique.

    Contrairement son image de ratiocineur ractionnaire ettechnophobe, il considrait la socit moderne - bien des gards -comme plus satisfaisante que toute autre. C'est donc au nom d'une vrittranscendante que, face au dsordre tabli , il en appelait une rvolution ncessaire , dinspiration libertaire mais lhomme rel tantce quil est, Jacques Ellul ne croyait pas en linstauration dune socitanarchiste, rservant ainsi son esprance dune libration authentiquepour le royaume de lau-del.

    Texte publi dans Patrick Troude-Chastenet, Jacques Ellul, penseur sansfrontires, Le Bouscat, LEsprit du temps, diffusion PUF, 2005 pp.19-29, ISBN

    2-84795-068-0

    [1]Entretiens de Patrick Chastenet avec Jacques Ellul, 15 janvier 1988.Contrairement ce que pourraient laisser croire les polmiques suscitesenviron tous les dix ans par la "dcouverte" du nazisme d'Heidegger, cetengagement tait connu avant la guerre comme en tmoigne, par exemple,cet extrait d'un article de Jos Bergamin publi en avril 1937 par la revueEsprit : Pourquoi l'tre plutt que le nant ?, demande le mtaphysiciendu fascisme angoiss et angoissant, du national-socialisme allemand, lephilosophe du nant, Heidegger. , p.103.

    [2] J. Ellul et M. Heidegger : Le prophte et le penseur in P. Troude-Chastenet, Sur Jacques Ellul, Bordeaux, Lesprit du temps/PUF, 1994, p. 90.

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    6 di 7 29/05/2015 12:17

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    [3] A la suite du Figaro du 6 aot 1992, notamment Le Monde 20 mai 1994 etRforme du 28 mai 1994.

    [4] Lewis Mumford, The Pentagon of Power (The Myth of the Machine, vol.II), NewYork, Harcourt

    Brace, 1970.

    [5] Le Transport de A.H., Paris, Julliard-LAge dhomme, 1981.

    [6] Victoire dHitler ? , Rforme, 23 juin 1945, n4, pp. 1-3.

    [7] Propagande et dmocratie , Revue franaise de science politiquejuillet-sept. 1952, pp. 474-504.

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    Mise jour le Jeudi, 21 Fvrier 2013 17:55

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