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L'infraction de tentative en droit pénal canadien et en droit pénal français De la conciliation entre la nécessaire anticipation de la répression et l'exigence de culpabilité morale Mémoire Maîtrise en droit Céline Bon Université Laval Québec, Canada Maître en droit (LL. M.) et Université de Toulouse I Capitole Toulouse, France Master (M.) © Céline Bon, 2017

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L'infraction de tentative en droit pénal canadien et en droit pénal français

De la conciliation entre la nécessaire anticipation de la répression et l'exigence de culpabilité morale

Mémoire Maîtrise en droit

Céline Bon

Université Laval Québec, Canada

Maître en droit (LL. M.)

et

Université de Toulouse I Capitole Toulouse, France

Master (M.)

© Céline Bon, 2017

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Résumé

L'un des principaux objectifs du droit pénal est la protection des valeurs chères à la

société de laquelle il émerge. Dès lors, si les valeurs protégées varient selon la société concernée,

certaines utilisations du droit pénal semblent systématiques, tant elles sont indispensables à la

protection de ces valeurs. Il en est ainsi de la répression prophylactique.

En effet, afin d'assurer une protection efficace des valeurs, le droit pénal ne peut se

permettre d'attendre que l'intérêt d'un individu en particulier soit lésé pour agir, et se contente

parfois d'un simple risque de préjudice pour le groupe social. Dès lors, le droit pénal peut

intervenir à différents stades sur l'iter criminis. Il existe en droit canadien comme en droit

français, de nombreux exemples d'intervention du droit pénal avant que l'atteinte protégée par la

règle de droit soit atteinte.

L'exemple le plus typique de cette forme d'anticipation dans la répression est sans doute

l'infraction de tentative, puisqu'elle ne constitue pas une incrimination ponctuelle d'un

comportement précis avant l'atteinte à la valeur, mais permet d'appréhender une multitude de

comportements antérieurs aux infractions. Elle permet de poursuivre pénalement une personne

qui a seulement tenté de commettre une infraction.

Bien qu'indispensable à la protection du groupe social, cette anticipation de la répression

n'en est pas moins un danger dès lors que l'atteinte à une valeur protégée n'est plus une condition

sine qua non de la répression. Il faut donc se demander comment concilier le besoin

d'anticipation de la répression, avec la nécessité de ne pas réprimer arbitrairement des

comportements trop éloignés de l'atteinte à la valeur.

Notre problématique est donc la suivante : de quelle manière les exigences propres à

l'infraction de tentative en droit pénal canadien et en droit pénal français permettent-elles une

répression anticipée tout en s'assurant de la culpabilité morale de l'auteur de la tentative ?

Pour répondre à cette question, il nous faudra aborder deux principales questions de

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recherche. Il s'agira dans un premier temps de voir quelles sont les caractéristiques propres à

l'infraction de tentative dans chaque système judiciaire qui permettent une répression anticipée.

Cette première interrogation fera l'objet d'une première partie, dans laquelle nous tenterons de

comprendre comment la diminution de l'élément matériel de l'infraction de tentative permet une

anticipation de la répression. Il s'agira alors de se concentrer sur la notion de commencement

d'exécution, mais également de voir quelles sont les limites posées à cette anticipation de la

répression.

Dans un second temps, il conviendra de s'intéresser aux exigences propres à l'infraction de

tentative en droit pénal canadien et en droit pénal français qui permettent de « compenser » cette

anticipation de la répression, et de s'assurer de la culpabilité morale de l'agent. Pour ce faire, nous

nous intéresserons au rehaussement de l'élément moral de l'infraction de tentative, et donc à la

nature de la mens rea exigée, ainsi qu'aux conséquences de ce rehaussement sur le champ

d'application de la tentative ainsi que sur sa répression.

Il s'agira d'une véritable étude de droit comparé, et non simplement de références

ponctuelles au droit étranger. Il nous faudra donc faire preuve d'une connaissance exceptionnelle

des systèmes juridiques à comparer. Pour ce faire, il nous faudra adopter une approche exégétique

traditionnelle. En effet, il nous faudra dans un premier temps recueillir des données juridiques, à

la fois dans le droit positif et dans la doctrine, notamment concernant les éléments constitutifs de

l'infraction de tentative. Il sera également indispensable d'analyser un grand nombre de décisions

judiciaires rendues en droit canadien et en droit français concernant l'infraction de tentative. Nous

ne nous contenterons donc pas, pour le Canada, uniquement des décisions de la Cour suprême,

afin de bénéficier d'une kyrielle d'analyses sur l'infraction de tentative et sur ses éléments

constitutifs. De surcroît, il nous faudra adopter une approche herméneutique pour interpréter le

droit positif, ainsi que la doctrine. Cette approche herméneutique nous préservera de l'écueil de la

simple juxtaposition de deux systèmes juridiques, et nous obligera à établir des liens, et parfois

même, des critiques.

Nous avons choisi d'effectuer cette analyse concernant l'infraction de tentative au Canada

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et en France pour plusieurs raisons. D'une part, ces deux États présentent un niveau de

développement équivalent, on peut donc présumer une certaine similitude de leurs systèmes

pénaux. En effet, ils connaissent tous deux le principe de la légalité ainsi que le principe de

l'ultima ratio. D'autre part, il n'existe pas, à notre connaissance, d'analyse comparative entre

l'infraction de tentative en droit canadien et en droit français. Or, cette analyse présente deux

avantages : elle pourra peut-être permettre de mettre en lumière les lacunes répressives, ou à

l'inverse les débordements répressifs, d'une conception de la tentative dans l'un ou l'autre de ces

États ; et nous permettra d'éviter le piège dû à l'ancienneté de l'infraction de tentative, qui conduit

les auteurs à l'analyser de manière identique depuis plusieurs décennies.

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Table des matières

Résumé .............................................................................................................................. ii

Table des matières ............................................................................................................. v

Liste des principales abréviations ................................................................................... vii

Remerciements ................................................................................................................viii

Introduction ....................................................................................................................... 1

PARTIE 1 : L'ANTICIPATION DE LA RÉPRESSION PERMISE PAR LA DIMINUTION DE

L'ACTUS REUS ............................................................................................................... 15

Chapitre 1 : La réduction de l'élément matériel de l'infraction de tentative .................... 17

1.1. Les critères jurisprudentiels du commencement d'exécution .............................. 18 1.1.1. L'absence de critères légaux définis par les législateurs canadien et français18

1.1.2. La proximité temporelle, géographique et causale ...................................... 20

1.2. L'application des critères jurisprudentiels ........................................................... 22

1.2.1. Le poids de chaque critère ........................................................................... 22 1.2.2. L'existence d'autres critères ......................................................................... 27

Chapitre 2 : Les limites à l'anticipation de la répression ................................................. 31

2.1. La tentative des infractions inchoatives ............................................................... 31

2.1.1. La tentative d'incitation infructueuse et de mandat criminel ....................... 32 2.1.2. La tentative de voies de fait et de violences volontaires .............................. 34 2.1.3. La tentative d'association de malfaiteurs et de complot .............................. 37

2.2. Les différentes tentatives selon l'incomplétude de l'élément matériel ................. 40 2.2.1. La distinction entre infraction manquée et infraction tentée ....................... 41 2.2.2. L'intérêt de la distinction entre infraction manquée et infraction tentée ...... 42

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PARTIE 2 : LA CULPABILITÉ MORALE DE L'AGENT ASSURÉE PAR LE

RÉHAUSSEMENT DE L'ÉLÉMENT MORAL ............................................................ 45

Chapitre 1 : Le rehaussement de l'élément moral de l'infraction de tentative ................. 47

1.1. La nature du dol exigé pour l'infraction de tentative ........................................... 48 1.1.1. L'insuffisance de la simple insouciance, du dol indéterminé ou du dol éventuel

............................................................................................................................... 48 1.1.2. L'exigence d'une intention spécifique ou d'un dol spécial ........................... 51

1.2. Les moyens de défense ........................................................................................ 53

1.2.1. La défense d'intoxication volontaire ou d'ivresse ........................................ 53 1.2.2. La défense de plaisanterie ............................................................................ 55

1.3. La mens rea de l'infraction de tentative au regard du désistement volontaire ..... 56

1.3.1. Le désistement volontaire en France............................................................ 57 1.3.2. La nature de l'exigence de l'absence de désistement volontaire en France .. 58 1.3.3. L'éventuelle reconnaissance de la défense d'abandon au Canada et ses conséquences

............................................................................................................................... 61

Chapitre 2 : Les conséquences du rehaussement de l'élément psychologique ................ 69

2.1. Le champ d'application de l'infraction de tentative ............................................. 69

2.1.1. Le champ d'application de l'infraction de tentative ..................................... 70 2.1.2. Le cas de l'infraction irréalisable ou impossible .......................................... 73 2.1.3. Le cas de l'infraction inexistante ou imaginaire ........................................... 76

2.2. La répression de l'infraction de tentative ............................................................. 78 2.2.1. Une différence de répression ....................................................................... 78 2.2.2. Une différence de conception ...................................................................... 79

Conclusion ....................................................................................................................... 81

Index alphabétique .......................................................................................................... 84 Bibliographie ................................................................................................................... 85

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Liste des principales abréviations

ABCA : Cour d'appel de l'Alberta

BCCA : Cour d'appel de la Colombie-Britannique

Bull crim : Bulletin criminel

C du D : Cahiers du Droit

C pén. : Code pénal

CCC : Canadian criminal cases

CarswellBC : Cour de Justice de la Colombie-Britannique

CarswellOnt : Cour de Justice de l'Ontario

CarswellQue : Cour d'appel du Québec

CarswellSask : Cour d'appel de la Saskatchewan

Cass crim : Chambre criminelle de la Cour de cassation

D : Dalloz

DP : Droit pénal

JCP : Juris-Classeur périodique (La Semaine Juridique)

JO : Journal Officiel

NSCA : Nova Scotia Court of Appeal

QCCQ : Cour du Québec

R du B canadien : Revue du Barreau canadien

RCDP : Revue criminologique de droit pénal

RCS : Recueil des arrêts de la Cour suprême du Canada

RDP : Revue de droit pénal

Rev Can DP : Revue canadienne de droit pénal

RJTUM : Revue juridique Thémis de l'Université de Montréal

RSC : Revue science criminelle

RSCDPC : Revue de sciences criminelles et de droit pénal comparé

SCC/ CSC : Supreme Court of Canada / Cour suprême du Canada

UTLJ : University of Toronto Law Journal

WCB : Weekly Criminal Bulletin

WWR : Western Weekly Reports

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Remerciements

En préambule de ce mémoire, il me tient à cœur de remercier les personnes qui

m'ont aidée tout au long de ce projet.

Je tiens à exprimer toute ma reconnaissance aux professeurs Pierre Rainville et

Bertrand de Lamy qui ont accepté de diriger mon mémoire. Je les remercie pour la

qualité de leur enseignement mais également pour leur grande disponibilité, leur

patience et surtout pour leurs judicieux conseils qui m'ont guidée tout au long de mon

étude.

Je désire également exprimer toute ma gratitude à mes parents qui me soutiennent

et m'encouragent dans la poursuite de mes études. Un grand merci à Romain, pour

son précieux soutien moral et intellectuel.

Enfin, je souhaite remercier l'ensemble de l'équipe pédagogique de la Faculté de

Droit de l'Université Laval pour son accueil chaleureux lors de cette enrichissante

année universitaire.

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Introduction

Qu'il s'agisse du droit anglais, à l'origine du droit canadien actuel, ou du droit français, les

préoccupations du droit pénal ont considérablement évolué, de sa naissance à aujourd'hui. Les

auteurs qui se sont intéressés à l'histoire du droit pénal distinguent plusieurs époques, que nous

allons tenter ici de retracer brièvement afin de mettre en lumière les principales évolutions ayant

conduit à la répression de l'infraction de tentative.

En effet, nous estimons que la répression de l'infraction de tentative est directement liée à

l'évolution du droit pénal. Selon Jean-Claude Genin, « il semble bien que la tentative ne puisse

paraître que dans les systèmes de droit criminel déjà très perfectionnés : tant que le droit

criminel est marqué par l'idée de vengeance ou de réparation, la simple tentative ne peut être

punie »1. Les différentes périodes que le droit pénal a connues méritent donc d'être rappelées ici,

afin de mieux comprendre pourquoi et comment les actes de tentative sont aujourd'hui réprimés.

Le résumé historique que nous nous proposons de faire durant les paragraphes suivants n'a

pas la prétention de l’exhaustivité, et nous sacrifierons certaines subtilités, non indispensables à la

compréhension de notre étude, à l'exigence de clarté et de concision. Il nous a donc semblé

opportun, pour pallier l'aspect quelque peu schématique de ce bref historique, de rappeler au

lecteur les mots du Professeur Hugues Parent :

L'histoire de la responsabilité pénale n'est pas un phénomène purement linéaire, mais

un processus extrêmement volatile dont le développement est ponctué par l'apparition

et la disparition successive de certains types de responsabilité ainsi que par la filiation

qui recoupe, depuis des siècles, les critères objectif et subjectif en droit pénal2.

La première période est celle de la vengeance privée illimitée qui se caractérise par des

1 Jean-Claude Genin, La répression des actes de tentative en droit criminel romain, thèse de doctorat en droit,

Université de Lyon, 1968 à la p 10.

2 Hugues Parent, « Essai sur la notion de responsabilité pénale : analyse sociologique et historique de la fonction

punitive » (2001) 6 Rev Can DP 179 aux pp 214-215 [Parent, Responsabilité].

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2

« vendettas indéterminées pratiquées par des tribus qui font peser la vengeance du mort sur le

premier venu qu'on rencontre »3. L'unique but recherché est alors l'expiation, l'effacement du

crime commis. A cette époque, « l'acte est dénoncé pour ce qu'il comporte de trouble objectif ;

peu importe l'intention de son auteur dans le détail de laquelle il ne s'agit pas d'entrer »4. En

effet, il ne s'agit pas de s'intéresser à l'état d'esprit de l'auteur du comportement, mais seulement à

ce qu'il a commis. Cette indifférence à l'égard de l'intention se traduit notamment par l'absence de

distinction entre les actes intentionnels et non intentionnels.

La deuxième période est celle de la vengeance privée limitée, le châtiment imposé sera

alors proportionné au mal causé, mais toujours indéterminé quant à la personne visée, pourvu

qu'elle soit du clan adverse. On trouve des traces de cette conception et de cette exigence de

proportionnalité dans la Bible : « [s]i quelqu'un blesse son prochain, il lui sera fait comme il a

fait, fracture pour fracture, œil pour œil, dent pour dent »5. C'est la fameuse loi du Talion.

L'énoncé de cette loi ne fait pas plus mention de l'intention de l'auteur de la blessure, et dénote

même une certaine automaticité de la répression, basée uniquement sur le préjudice subi par la

victime.

Toutefois, « si le groupe social veut subsister, il doit très vite canaliser l'exercice de la

vengeance en mettant en place des systèmes régulateurs »6. Hugues Parent explique cette fatalité

de l'évolution du droit de punir :

[t]oute société, qu'elle soit de nature humaine ou animale, repose en effet sur son

aptitude à neutraliser la nocivité de certains de ses membres, ainsi que sur son

habileté à contenir les agressions provenant de l'extérieur. Sans cette capacité de

protection, le groupe est condamné à se fractionner et à s'autodétruire7.

La troisième période correspond alors au contrôle social de la vengeance, et plus

particulièrement dans un premier temps à « un système basé sur la valeur économique du fait

3 Alain Laingui, Arlette Lebigre, Histoire du droit pénal, t 1, Paris, Cujas, 1979, à la p 5 [Laingui, Histoire].

4 Emmanuel Dreyer, Droit pénal général, 3e éd, Paris, Lexis Nexis, 2014 à la p 3 [Dreyer].

5 Bible, Lévitique, c 24, verset 19.

6 Jean-Marie Carbasse, Histoire du droit pénal et de la justice criminelle, 3e éd, Paris, PUF, 2014 à la p 53.

7 Parent, Responsabilité, supra note 2 à la p 183.

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dommageable »8. On parle alors de compensation monétaire, dont la principale fonction est de

réparer le préjudice subi par la victime, par le versement d'une somme d'argent à la victime, soit

l'indemnité pécuniaire, mais également à la personne en charge de l'autorité publique soit la

sanction criminelle. Bien que les termes varient selon les époques et les lieux (bot et wire en droit

anglais, terme unique de poinê dans l'Antiquité grecque, ou encore la distinction entre delicta

privata et delicta publica en droit romain), on voit naître l'idée que la personne qui subit le

dommage matériel causé par autrui n'est pas l'unique personne à qui il doit être fait réparation.

Cette distinction faite entre l'indemnité pécuniaire et la sanction criminelle implique une

certaine place laissée à l'intention dans la détermination de la peine. En effet, si pour la première,

la cause du dommage est totalement indifférente, la seconde tient compte de l'état d'esprit de

l'auteur et ne peut s'appliquer en cas d'innocence morale.

Le contrôle social de la vengeance deviendra par la suite le monopole de l’État, seul

détenteur du droit de punir. C'est alors l'émergence du système pénal tel qu'on le connaît

aujourd'hui, et avec l'abandon progressif de la responsabilité objective se développe la théorie de

l'intention.

Cet abandon relatif de la responsabilité objective s'accompagne de l'apparition d'un nouvel

objectif du droit pénal, ainsi que d'une réelle théorisation de l'intention. En effet, il ne s'agit plus

de vengeance, d'effacement du crime, mais avant tout de paix sociale, ensuite de réparation du

préjudice de la victime et, enfin, de punition de l'auteur de l'infraction. En effet, Jacques Leroy

explique que « la transgression de l'ordre social donne ainsi naissance à trois acteurs : l'auteur

de la transgression, le groupe social et la victime »9. L'ordre dans lequel l'auteur énonce les

acteurs du droit pénal n'est pas anodin, et renvoie à la hiérarchisation des préoccupations du droit

pénal.

Il semble donc que le groupe social soit le premier concerné par le droit pénal, alors

qu'initialement, il ne prenait pas part aux vengeances, lesquelles ne concernaient que le clan de

8 Ibid à la p 188.

9 Jacques Leroy, Droit pénal général, 5e éd, Paris, LGDJ, 2014 à la p 1.

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l'offensé et le clan de l'offenseur. L'arrivée de ce nouvel acteur, et la place primordiale qu'il

occupe, ont considérablement transformé le droit pénal, lequel a dû évoluer pour mieux protéger

la société.

L'une de ces modifications consiste à sévir même en l'absence de préjudice causé à une

personne. En effet, puisque le droit pénal cherche à protéger le groupe social, nul besoin

d'attendre que l'intérêt d'un individu en particulier soit lésé pour agir, il suffit qu'il y ait un simple

risque de préjudice pour cet individu, ou tout simplement pour le groupe social. Dès lors, le droit

pénal peut intervenir à différents stades sur l'iter criminis, qui « court de l'idée à la résolution

criminelle, de la résolution criminelle à la préparation, de la préparation au commencement

d'exécution, pour se clore par la consommation de l'infraction »10

. Il existe en droit canadien

comme en droit français, de nombreux exemples d'intervention du droit pénal avant que la valeur

protégée par la règle de droit soit atteinte.

Ainsi, le droit criminel canadien intervient au stade de la résolution criminelle exprimée et

partagée avec le crime de complot11

, puisque « les membres d'une conspiration voient leur

responsabilité engagée sitôt l'entente conclue »12

. Les professeurs Pierre Rainville et Julie

Desrosiers font d'ailleurs remarquer qu'en droit canadien, « le complot est puni plus sévèrement

que la tentative », ce dont ils déduisent que le « législateur se méfie donc davantage du

conspirateur que de l'auteur d'une tentative »13

. En effet, le complot de vol par exemple ne porte

pas concrètement atteinte au droit de propriété, puisque le bien n'est pas encore soustrait, son

propriétaire en a encore la jouissance. Cependant, il y a bien un risque de préjudice, le bien d'une

personne risque d'être soustrait, et cela suffit pour que le droit pénal canadien intervienne.

Le législateur français, quant à lui, n'intervient pas au stade de la résolution criminelle,

mais pallie les limites répressives de l'infraction de tentative qui nécessite un commencement

10 Juris-classeur pénal, art 121-4 et 121-5, fasc 20 par Marc Segonds au n°1 [Juris-classeur].

11 Code criminel, LRC 1985, c C-46, art 465 [Code criminel].

12 Pierre Rainville et Julie Desrosiers, « Le particularisme juridique de la répression de la criminalité organisée au

Canada » (2011) 89 R du B canadien 545 à la p 548 [Rainville et Desrosiers, « Particularisme »].

13 Ibid à la p 549.

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d'exécution par l'incrimination autonome de certains actes préparatoires. Il est généralement

admis que les actes préparatoires correspondent à la mise en place par l'agent des moyens qui lui

permettront de commettre l'infraction. Ainsi, l'achat d'une arme à feu dans le but de tuer une

personne, ou encore d'un combustible dans le but d'incendier une maison, ne constituent que des

actes préparatoires et échappent normalement à la répression. Il est cependant loisible au

législateur d'ériger de tels actes en des infractions autonomes. Par exemple, l'article 227-22-1 du

Code pénal14

incrimine le simple fait d'adresser des propositions sexuelles à un mineur de quinze

ans par un moyen de communication électronique.

On parle alors d'infractions-obstacle, puisqu'il s'agit de sévir en amont afin d'éviter un mal

encore plus grand. Le délit d'association de malfaiteurs, par exemple, permet au droit pénal

d'intervenir dès l'existence d'une « entente établie en vue de la préparation, concrétisée par un ou

plusieurs faits matériels, d'un ou plusieurs crimes contre les personnes ou les biens »15

. Le fait

que le législateur exige « un ou plusieurs faits matériels » signifie que la simple résolution

criminelle reste impunie. Il faut nécessairement qu'un des malfaiteurs ait posé un acte matériel.

De même, le législateur canadien incrimine la simple possession d'outils de

cambriolage16

, il intervient donc également au stade des actes préparatoires.

Enfin, il faut faire mention du crime d'instigation criminelle non suivie d'effet17

en droit

pénal canadien, dont Pierre Rainville explique qu'il s'agit de « l'infraction pour laquelle le

législateur intervient le plus hâtivement. L'incitation au crime est réprouvée peu importe que le

conseil prodigué ait porté fruit ou non »18

. Le législateur canadien adopte ici une conception

subjective de l'infraction puisqu'il ne sévit qu'en raison de la « turpitude morale particulièrement

14 Art 227-22-1 C pén.

15 Art 450-1 C pén.

16 Code criminel, supra note 11, art 351(1).

17 Ibid, art 464.

18 Pierre Rainville, « Le verbe fait crime : la répression de l'instigation et les avatars de l'arrêt Hamilton » (2007) 11

RCDP 177 à la p 180 [Rainville, « Hamilton »].

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6

élevée » de l'auteur de l'instigation19

.

Le législateur français, pour sa part, a créé le délit du mandat criminel, qui érige en

infraction la provocation non suivie d'effet à un assassinat ou à un empoisonnement20

. Il s'agit,

selon Anne Ponseille, d'un « tempérament apporté à la fois à la théorie de la tentative et à celle

de la complicité »21

. En effet, cette infraction permet d'intervenir en l'absence de tout

commencement d'exécution, ni même de résolution criminelle de la part du tiers, puisqu'il s'agit

d'une infraction formelle, c'est-à-dire une infraction qui n'exige pas une atteinte effective à la

valeur protégée pour être consommée. Le libellé du texte d'incrimination n'exige aucunement que

le tiers ait accepté la proposition qui lui est faite.

L'exemple le plus typique de cette forme d'anticipation dans la répression est sans doute

l'infraction de tentative, puisqu'elle ne constitue pas une incrimination ponctuelle d'un agissement

précis avant l'atteinte à la valeur, mais permet d'appréhender une kyrielle de comportements qui

précèdent la consommation de nombreuses infractions. Elle permet de poursuivre pénalement une

personne qui a seulement tenté de commettre une infraction, c'est pourquoi certains auteurs la

présentent comme une infraction « à l'état d'ébauche »22

.

L'apparition de cette infraction est directement liée à l'évolution historique du droit pénal

que nous avons brièvement rappelée un peu plus haut. En effet, l'apparition d'un nouvel objectif,

à savoir la punition de l'auteur de l'infraction, implique un déplacement de l'essence de

l'infraction. Cette dernière se situait initialement au niveau de l'élément matériel de l'infraction, et

donc du comportement posé, et se déplace au niveau de l'élément moral de l'infraction, et donc de

l'état d'esprit de l'auteur.

Néanmoins, il est assez difficile de dater avec précision l'avènement de la répression de la

tentative. En effet, il faut distinguer l'idée, la volonté d'incriminer les actes précédant l'infraction,

19 Ibid.

20 Art 221-5-1 C pén.

21 Anne Ponseille, « L'incrimination du mandat criminel ou l'article 221-5-1 du Code pénal issu de la loi n°2004-

204 du 9 mars 2004 » (2004) RDP 72 à la p 72.

22 Genin, La répression, supra note 1 à la p 10.

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du terme même de tentative. L'idée n'est pas nouvelle, et existait d'ores et déjà en droit romain,

mais était initialement réservée aux infractions les plus graves telles que le meurtre23

. Le terme,

en revanche, apparaît bien plus tard, notamment en common law. Eugene Meehan cite une

décision anglaise de 1784, dans laquelle le juge évoque la possibilité qu'un acte n'existe que dans

l'intention de son auteur24

, mais le mot « tentative » n'y apparaît pas.

En droit français, Alain Laingui cite certains criminalistes du XVIème siècle tels que

Damhoudère ou Grimaudet, lesquels évoquaient déjà l'idée de tentative, mais sous forme de

périphrases telles que « dessein et commencement avec le vouloir », ou encore « volonté sans

effet »25

. Le terme de « tentative » apparaît donc plus tard.

L'infraction de tentative, en droit canadien comme en droit français, est composée d'un

élément mental et d'un élément matériel. Le premier correspond à l'intention de commettre

l'infraction projetée, et le second correspond à « un commencement d'exécution qui constitue une

extériorisation matérielle suffisante de l'intention de l'auteur »26

.

L'infraction de tentative est donc d'abord un outil de prévention, partie du phénomène

d'autopoïèse, qui permet d'assurer et de renforcer la protection des valeurs que le droit pénal a

pour mission de préserver.

En effet, cette protection serait lacunaire si elle ne pouvait intervenir qu'une fois la valeur

atteinte, puisque la simple répression une fois l'atteinte commise ne préserve pas la valeur, si ce

n'est par l'effet de dissuasion qu'elle peut exercer sur d'autres agents susceptibles de porter la

même atteinte à la même valeur. L'infraction de tentative est donc la traduction juridique du

proverbe « mieux vaut prévenir que guérir ». En effet, pour Roger Merle et André Vitu, « [m]ieux

vaut déplorer une infraction inachevée qu'une infraction consommée, une victime éventuelle

23 Ibid.

24 Eugene Meehan et Marie-France Major, The law of criminal attempt, 3e éd, Toronto, Carswell 2015 à la p 11

[Meehan et Major, Criminal attempt].

25 Laingui, Histoire, supra note 3 aux pp 49-50.

26 Rainville et Desrosiers, « Particularisme », supra note 12 à la p 548.

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8

qu'une victime réelle »27

.

L'infraction de tentative est également un outil de répression puisqu'il s'agit de ne pas

laisser impunies des personnes moralement coupables, qui ont posé des actes dans le but de

commettre une infraction. Elle est alors également un outil répressif égalitaire, qui permet de ne

pas traiter différemment -du moins au niveau de la criminalisation, il en va autrement pour la

peine- celui qui tente et, pour une raison quelconque, échoue, et celui qui parvient à commettre

une infraction.

Enfin, l'infraction de tentative participe également à la fonction expressive du droit pénal

puisqu'elle ne concerne, bien souvent, que les infractions les plus graves, c'est-à-dire celles

destinées à protéger les valeurs les plus importantes. Cette fonction expressive ne concerne

cependant que la législation pénale provinciale québécoise, puisque la tentative s'applique à toute

la législation fédérale :

[l]a tentative est donc systématiquement interdite en matière criminelle, tandis qu'elle

ne l'est, au provincial, qu'en présence d'un texte de loi explicite. La répression de la

tentative a donc pour terrain d'élection le domaine criminel – par opposition au

domaine réglementaire provincial. Cela ne saurait étonner. L'intervention du droit

pénal se justifie en fonction du préjudice appréhendé. Cela est d'autant plus vrai pour

la tentative28

.

Il s'agit donc d'une protection supplémentaire que le législateur accorde aux valeurs

considérées comme essentielles. Ainsi, nous pouvons constater que les législateurs canadien et

français ont tous deux choisi de ne pas réserver ce surplus de protection aux infractions ayant

pour but de protéger les personnes. En effet, la tentative s'applique à certaines infractions contre

les biens, telles que le vol.

Bien qu'indispensable à la protection du groupe social, cette anticipation de la répression

27 Roger Merle et André Vitu, Traité de droit criminel, 7e éd, Cujas, Paris, 1997 à la p 637 [Merle et Vitu, Traité].

28 Gisèle Côté-Harper, Pierre Rainville et Jean Turgeon, Traité de droit pénal canadien, 4e éd, Yvon Blais, 1998 à la

p 650 [Harper, Rainville, Turgeon, Traité].

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n'en est pas moins un danger dès lors que l'atteinte à une valeur protégée n'est plus une condition

sine qua non de la répression. Si détacher l'intervention du droit pénal de l'atteinte à la valeur

permet de mieux la protéger, cela risque également de rendre l'intervention du droit pénal moins

prévisible, voire arbitraire.

En effet, si aucune valeur n'a été atteinte par un comportement, il s'agit de trouver une

nouvelle justification et également de nouvelles bornes à l'intervention du droit pénal, lequel doit

rester un ultima ratio. On ne peut se contenter de dire que puisqu'un comportement est prohibé, la

tentative de poser ce comportement doit l'être aussi. Comme l'explique Gideon Yaffe :

we cannot justify the Transfer Principle simply by noting that when completion is

wrong, so is attempt ; for that argument to work without supplementation, attempt

and completion must be equally and equivalently wrong, and at least non-last act

attempts rarely are29

.

Cette forme de répression ante delictum se justifie de différentes manières. Tout d'abord, il

y a le risque de préjudice causé par la tentative. En effet, le juge Fish, dans l'affaire Déry, estime

que la « criminalisation de la tentative se justifie [...] parce qu’elle a pour but de prévenir les

actes préjudiciables en sanctionnant un comportement qui manifeste un risque substantiel de

préjudice »30

. Il est évident que si une personne tente de commettre une infraction, cela augmente

presque toujours -il faut réserver le cas de l'infraction impossible- les chances que cette infraction

se réalise.

Ensuite, il faut également aborder la dangerosité de l'auteur de la tentative. Que cette

personne ait été maladroite ou ait joué de malchance dans l'accomplissement de l'infraction ne

suffit pas à protéger la société puisque rien ne garantit qu'il en ira de même si elle devait

recommencer. Toutefois, cette conception de la tentative manque de rigueur puisqu'elle revient à

poursuivre un individu non pas pour ce qu'il a fait, mais pour ce qu'il serait susceptible

d'accomplir. De plus, les règles procédurales canadiennes ne permettraient pas de s'enquérir

29 Gideon Yaffe, Attempts : In the Philosophy of action and the criminal law, Oxford University Press, Oxford,

2010 à la p 9.

30 R. c. Déry, 2006 CSC 53 au para 50.

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suffisamment de la dangerosité de l'auteur de l'infraction puisqu'au stade de la décision sur sa

culpabilité, les preuves de caractère ne sont pas admises31

.

Enfin, comme l'explique le professeur Didier Rebut, « [la] conception subjective, qui

attache la peine à la mentalité criminelle, réclame la répression de la tentative parce qu'elle

révèle une intention coupable nonobstant l'échec de l'infraction »32

. Ce dernier argument est le

plus éloigné des préoccupations initiales du droit pénal, puisqu'il repose essentiellement sur l'idée

que l'intention est l'élément essentiel du délit.

Les nouvelles bornes de la répression, quant à elles, découlent naturellement de ces

nouvelles justifications : puisque le droit pénal intervient en raison de la culpabilité morale de

l'auteur de la tentative, il s'agit de confiner son intervention aux cas où cette culpabilité morale est

établie. La difficulté consiste alors à établir cette culpabilité morale, alors même que l'infraction

tentée n'est pas consommée. Pour ce faire, il convient d'exiger certains actes dans lesquels

s'incarne l'intention malhonnête.

C'est là le paradoxe propre à l'infraction de tentative, laquelle doit, pour permettre une

répression prophylactique, se détacher suffisamment des exigences matérielles telles que l'atteinte

effective à la valeur protégée, tout en exigeant une certaine matérialité afin de limiter

l'intervention du droit pénal aux cas où l'intensité de la culpabilité morale de l'auteur ne fait aucun

doute.

Notre problématique est donc la suivante : de quelle manière les exigences propres à

l'infraction de tentative en droit pénal canadien et en droit pénal français permettent-elles une

répression anticipée tout en s'assurant de la suffisance de la culpabilité morale de l'auteur de la

tentative ?

Pour répondre à cette question, il nous faudra aborder deux principales questions de

31 R. c. J-L. J, 2000 CSC 51.

32 Encyclopédie juridique Dalloz : répertoire de droit pénal et de procédure pénale, « Tentative » par Didier Rebut

au n° 4 [Rebut, Encyclopédie].

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recherche. Il s'agira dans un premier temps de voir quelles sont les caractéristiques propres à

l'infraction de tentative dans chaque système judiciaire qui permettent une répression anticipée.

Cette première interrogation fera l'objet d'une première partie, dans laquelle nous analyserons

principalement l'élément matériel de l'infraction de tentative. Nous tenterons de comprendre

comment la diminution de cet élément matériel permet une anticipation de la répression. Il s'agira

alors de se concentrer sur la notion de commencement d'exécution, mais également de voir

quelles sont les limites posées à cette anticipation de la répression.

Dans une seconde partie, il conviendra de s'intéresser aux exigences propres à l'infraction

de tentative en droit pénal canadien et en droit pénal français qui permettent de « compenser »

cette anticipation de la répression, et de s'assurer de la culpabilité morale de l'agent. Pour ce faire,

nous nous intéresserons au rehaussement de l'élément moral de l'infraction de tentative, et donc à

la nature de la mens rea33

exigée, ainsi qu'aux conséquences de ce rehaussement sur le champ

d'application de la tentative, et sur sa répression.

Il est important de préciser dès à présent que notre angle de réflexion ne nous permettra

pas d'aborder l'infraction de tentative de manière exhaustive. La répression de la tentative par

exemple, ou encore son champ d'application, seront abordés dans un but précis, à savoir la mise

en lumière des conséquences du rehaussement de la mens rea.

Du point de vue méthodologique, il s'agira d'une véritable étude de droit comparé

conceptuelle. Il conviendra d'adopter une approche exégétique traditionnelle. En effet, il nous

faudra dans un premier temps recueillir des données juridiques, à la fois dans le droit positif et

dans la doctrine, notamment concernant les éléments constitutifs de l'infraction de tentative. Il

sera également indispensable d'analyser un grand nombre de décisions judiciaires rendues en

droit canadien et en droit français concernant l'infraction de tentative. Nous ne nous contenterons

donc pas, pour le Canada, uniquement des décisions de la Cour suprême, afin de bénéficier d'une

multitude d'analyses sur l'infraction de tentative et sur ses éléments constitutifs. De surcroît, il

33 La mens rea désigne l'élément psychologique de l'infraction. Au cours de notre étude, les expressions « mens

rea », « élément psychologique » ou encore « élément mental » seront utilisées comme des synonymes.

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nous faudra adopter une approche herméneutique pour interpréter le droit positif, ainsi que la

doctrine. Cette approche herméneutique nous préservera de l'écueil de la simple juxtaposition de

deux systèmes juridiques, et nous obligera à établir des liens, et parfois même, des critiques.

Nous avons choisi d'effectuer cette analyse concernant l'infraction de tentative au Canada

et en France pour plusieurs raisons. D'une part, ces deux États présentent un niveau de

développement équivalent ; on peut donc présumer une certaine similitude de leurs systèmes

pénaux. Tout d'abord, et cela était indispensable, ces deux États incriminent la tentative. Ensuite,

ils connaissent tous deux le principe de la légalité ainsi que le principe de l'ultima ratio.

D'autre part, il n'existe pas, à notre connaissance, d'analyse comparative concernant

l'infraction de tentative en droit canadien et en droit français. Or, cette analyse peut se révéler très

enrichissante, notamment parce qu'elle pourra peut-être permettre de mettre en lumière les

lacunes répressives, ou à l'inverse les débordements répressifs, d'une conception de la tentative

dans l'un ou l'autre de ces États ; mais également parce que le Canada et la France n'envisagent

pas l'infraction de tentative de la même manière.

Cette différence de conception ressort notamment de la place qu'occupe l'infraction de

tentative dans les manuels de droit pénal général. La majorité des auteurs de doctrine français

abordent l'infraction de tentative lorsqu'ils traitent l'élément matériel de l'infraction. En effet,

Xavier Pin aborde la tentative dans une section dédiée à l'élément matériel de l'infraction34

,

Bernard Bouloc, quant à lui, traite de la tentative dans une section intitulée « L'indifférence du

résultat : la tentative » au sein d'un chapitre consacré à l'élément matériel de l'infraction35

. De

même, Bernard Bouloc et Haritimi Matsopoulou abordent l’infraction de tentative dans un

chapitre réservé à l'élément matériel de l'infraction, au sein d'une section intitulée « Le problème

de la tentative »36

.

Pour eux, la tentative est donc le cas particulier dans lequel une infraction peut être

34 Xavier Pin, Droit pénal général, 7e éd, Paris, Dalloz, 2015 à la p 164 [Pin].

35 Bernard Bouloc, Droit pénal général, 24e éd, Paris, Dalloz, 2015 à la p 213 [Bouloc].

36 Bernard Bouloc et Haritimi Matsopoulou, Droit pénal général, 19e éd, Paris, Dalloz, 2014 à la p 99.

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constituée alors même que son élément matériel n'est pas complet. Cela n'est pourtant pas exact,

puisque lorsqu'il y a tentative de vol, si l'élément matériel du vol n'est pas complet, celui de la

tentative de vol l'est.

Dans les manuels de droit canadien, en revanche, la tentative est abordée bien

différemment. Dans le Traité de droit pénal canadien37

par exemple, la tentative est abordée dans

un titre consacré aux modalités de perpétration de l'infraction. Dans Canadian Criminal law, Don

Stuart intègre la tentative dans un chapitre intitulé « Incomplete crimes : attempts, conspiracy and

couselling »38

. L'auteur fait donc le choix d'aborder ensemble plusieurs infractions dites

inchoatives. Eric Colvin semble faire le même choix et aborde la tentative dans un chapitre

intitulé « Inchoate Liability »39

.

Les auteurs de doctrine canadiens font donc le choix d'aborder l'infraction de tentative en

même temps que d'autres infractions inchoatives, telles que le complot40

ou encore le conseil non

suivi d'effet de commettre une infraction41

. Ce faisant, ils envisagent l'infraction de tentative

comme une partie d'une catégorie d'infractions dont la particularité est d'intervenir en amont de

l'atteinte effective à la valeur. Cette appréhension de l'infraction de tentative nous paraît plus

adéquate en ce qu'elle reflète mieux sa singularité.

Il est toutefois regrettable que cette singularité ne transparaisse pas dans le plan du Code

criminel canadien, lequel traite de l'infraction de tentative notamment à l'article 2442

, dans un titre

dédié aux participants aux infractions. Le Code pénal français, pour sa part, aborde l'infraction de

tentative dans sa partie générale et non dans sa partie spéciale pourtant consacrée aux infractions,

soulignant ainsi son particularisme.

Enfin, l'infraction de tentative est particulièrement intéressante à analyser d'un point de

37 Harper, Rainville, Turgeon, Traité, supra note 28 à la p 639.

38 Don Stuart, Canadian criminal law, 7e éd, Toronto, Carswell, 2014 à la p 695 [Don Stuart].

39 Eric Colvin, Principles of criminal law, 3e éd, Toronto, Carswell, 2007 à la p 519.

40 Code criminel, supra note 11, art 465.

41 Code criminel, supra note 11, art 464.

42 Code criminel, supra note 11, art 24.

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vue de droit comparé puisqu'elle est au cœur de la théorie de l'infraction. Ainsi, puisque la façon

de réprimer la tentative reflète directement la conception de l'infraction adoptée par un système

juridique, la comparaison entre le Canada et la France ne peut que dynamiser notre étude.

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PARTIE 1 : L'ANTICIPATION DE LA RÉPRESSION PERMISE PAR LA DIMINUTION DE L'ACTUS REUS

Après avoir vu le pourquoi de la mise en place d'une répression prophylactique, il

convient de se demander quel est le mécanisme répressif qui, au sein de l'infraction de tentative,

permet cette indispensable anticipation de la répression.

Il existe plusieurs moyens de devancer l'intervention du droit pénal sur l'iter criminis,

notamment en modifiant les éléments constitutifs de l'infraction. En effet, selon Donnedieu de

Vabres, c'est en insistant sur l'élément psychologique de l'infraction que les gouvernements

autoritaires parviennent à devancer considérablement le stade de la répression : « […] la

tendance commune à tous les gouvernements autoritaires est de promouvoir l'élément

psychologique de l'infraction, ce qui leur permet d'arrêter plus tôt le cours de l'activité

dangereuse, de pratiquer, le cas échéant, une véritable inquisition et de briser, enfin, la volonté

criminelle »43

.

La suppression totale de l'élément matériel permettrait évidemment de devancer le stade

de l'intervention du droit pénal en matière de tentative. En effet, en supprimant toute exigence

matérielle, il est possible d'intervenir dès les premiers moments de l'iter criminis, c'est-à-dire dès

que l'intention de commettre une infraction existe. Toutefois, cette suppression totale est

impossible.

La première raison qui empêche la suppression totale de l'élément matériel est d'ordre

pratique : comment cerner la volonté, l'intention d'un individu si ce n'est en scrutant ses actes ?

Hormis l'hypothèse de l'aveu, c'est en effet en interprétant les comportements et les actes posés

par une personne qu'il est possible de déduire quelle était son intention. Ainsi, la suppression

totale de l'élément matériel créerait un trop grand risque d'erreur judiciaire, et c'est pourquoi il est

43 Henri Donnedieu de Vabres, La politique criminelle des États autoritaires, Paris, Dalloz, 2009 à la p 94

[Donnedieu de Vabres, Politique criminelle].

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16

indispensable d'exiger « une manifestation extérieure de la résolution criminelle »44

.

De plus, l'acte matériel est bien souvent l'élément de l'infraction qui cause le trouble

social. Ainsi, en supprimant cet élément de la tentative, le droit pénal serait amené à intervenir en

l'absence de tout trouble social. Cette possibilité ne serait pas conforme au principe voulant que le

droit pénal est un ultima ratio.

Enfin, une dernière raison plaide en faveur de la conservation de l'élément matériel de

l'infraction : si la simple intention de commettre une infraction pouvait être poursuivie

pénalement, alors les personnes avec pareille envie n'auraient aucune raison de ne pas mettre à

exécution leur vil projet. Or, en exigeant que cette intention se matérialise dans un ou plusieurs

actes, le droit met en place une barrière.

Pour toutes ces raisons, l'infraction de tentative a tout intérêt à conserver un élément

matériel :

[l]a tentative (de tentare, fréquentatif de tenere, tâter, porter la main à diverses

reprises) est le fait d'avoir mis la main aux actes extérieurs tendant à la production de

ce résultat (ad tentare). Il suit de là que la tentative n'existe en droit pénal que

lorsqu'il y a un acte ou une série d'actes, non seulement extérieurs, mais actes de main

mise, tendant à l'accomplissement du délit45

..

Ainsi, pour anticiper la répression, il convient alors de diminuer cet élément, et c'est le

choix qu'ont fait les législateurs canadien et français. Nous verrons donc dans un premier temps

de quelle manière les droits canadien et français ont réduit l'élément matériel de l'infraction de

tentative, permettant ainsi une anticipation de la répression, puis dans un second temps, nous

sonderons quelles sont les limites à cette anticipation.

44 Amédée Escoffier, De l'élément matériel dans la tentative, thèse de doctorat en droit, Université de Lyon, 1899 à

la p 9.

45 Joseph Ortolan, Éléments de droit pénal, 5e éd, t 1, Paris, 1886 à la p 447.

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Chapitre 1 : La réduction de l'élément matériel de l'infraction de tentative

Afin de mieux comprendre de quelle manière est réduit l'élément matériel de la tentative,

il faut d'abord s'intéresser à l'élément matériel de l'infraction consommée.

L'élément matériel d'une infraction se compose généralement de trois éléments : un

comportement posé par l'auteur de l'infraction, la conséquence matérielle de ce comportement, et

un lien de causalité entre les deux. Par exemple, en droit français, l'infraction de vol46

correspond

à la soustraction frauduleuse de la chose d'autrui. Il suppose un comportement, à savoir la prise

de la chose d'autrui, et la conséquence matérielle qui en résulte est la privation d'autrui de son

bien. Le meurtre suppose un comportement, tout acte de nature à causer la mort d'autrui, et la

conséquence matérielle qui en résulte est la mort de la victime.

Or, l'élément matériel de la tentative n'exige pas ces trois éléments. L'actus reus de la

tentative n'est composé que d'un comportement, sans conséquence matérielle ni lien de causalité.

En effet, la tentative de vol suppose un acte dans le but de s'emparer d'une chose mais ne prive

pas le propriétaire de son bien. De même, la tentative de meurtre n'exige pas la mort de la

victime, ni même que celle-ci ait subi une atteinte corporelle quelconque.

De plus, le comportement qui compose l'élément de l'infraction consommé n'est pas en

tout point similaire à celui qui compose l'élément matériel de la tentative. Alors que le premier

doit être achevé (sans quoi il ne pourrait en résulter la conséquence matérielle), l'infraction de

tentative n'exige pas que le comportement posé par l'auteur soit achevé, et se contente d'un

commencement d'exécution.

Nous verrons donc dans un premier temps quels sont les critères jurisprudentiels du

commencement d'exécution et comment ils permettent de réduire encore l'élément matériel ; puis

nous verrons comment ces critères sont appliqués par les tribunaux canadiens et français.

46 Art 311-1 C pén.

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1.1. Les critères jurisprudentiels du commencement d'exécution

Jacques-Henri Robert explique l'enjeu entourant la définition de la notion de

commencement d'exécution :

[…] si l'on place trop tard le seuil punissable, les autorités de police judiciaire devront

attendre longtemps avant de constater un acte coupable de manière à soutenir leur

dossier d'accusation et cet attentisme forcé est dangereux pour l'ordre public; si l'on

place trop tôt le commencement d'exécution, n'importe quel comportement un peu

anticonformiste peut être interprété comme une tentative d'infraction et la justice

pénale retombera dans l'arbitraire d'où les révolutionnaires avaient voulu la sortir47

.

La définition du commencement d'exécution doit donc comporter deux frontières, deux

limites. Il doit à la fois se distinguer de l'étape qui le suit, c'est-à-dire de la consommation de

l'infraction ; mais également de celle qui lui précède sur l'iter criminis, c'est-à-dire des actes

préparatoires.

La distinction entre le commencement d'exécution et la consommation de l'infraction est

la plus aisée, puisque dès lors que tous les éléments constitutifs de l'infraction sont réunis, il n'est

plus possible de parler de commencement d'exécution, mais bien d'exécution complète, et alors le

stade de la simple tentative est dépassé. En revanche, la distinction entre les actes préparatoires et

le commencement d'exécution est plus délicate, puisque c'est elle qui délimite les contours de la

répression. Ainsi, la tâche des juges consiste souvent à déterminer si le comportement de l'accusé

est allé au-delà de la simple préparation. Pour ce faire, ils ont établi certains critères

jurisprudentiels puisque la loi n'en a arrêté aucun.

1.1.1. L'absence de critères légaux définis par les législateurs canadien et français

L'infraction de tentative est, comme nous l'avons vu précédemment, une infraction

autonome constituée d'un élément matériel et d'un élément moral. L'article 24 du Code criminel

47 Jacques-Henri Robert, Droit pénal général, 6e éd, Paris, PUF, 2005 aux pp 215-216 [Robert].

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prévoit que l'auteur d'une tentative « fait ou omet de faire quelque chose pour arriver à son

but »48

. L'article 121-5 du Code pénal exige quant à lui expressément qu'une tentative soit

« manifestée par un commencement d'exécution »49

. Cette expression était déjà celle du Code

pénal de 1810, dont l'article 2 exigeait que toute tentative soit « manifestée par des actes

extérieurs, et suivie d'un commencement d'exécution ».

L'article 24(2) du Code criminel prévoit que la distinction entre tentative et préparation est

une question de droit50

. Puisque cette distinction trace les limites répressives de la tentative, il est

nécessaire d'en faire une question de droit afin que cette infraction ait la même portée dans tout le

pays. Toutefois, le législateur canadien n'a établi aucun critère permettant de faire cette

distinction, la tâche revient donc aux juges. En effet, dans l'affaire Carey, il est très clairement dit

que « the question of attempt or not attempt is for the judge »51

.

De même, le législateur français n'a jamais défini la notion de commencement d'exécution

alors même qu'il « constitue l'étape à compter de laquelle l'agent peut attirer à lui la

répression »52

, ni n'a fourni « aucun critère permettant de distinguer les actes préparatoires du

commencement d'exécution »53

. La Cour de cassation estime également que la notion de

commencement d'exécution est une question de droit soumise à son contrôle54

.

Meehan et Major font remarquer que « [the] words 'preparation' and 'attempt' do not tell

you where to draw the line between non-criminal preparation and criminal attempt, only that a

line must be drawn »55

. Le juge Laidlaw, dans l'affaire Cline doute même de la possibilité de

formuler une telle définition : « a precise and satisfactory definition of the actus reus is perhaps

impossible »56

. De même, dans l'affaire Deutsch, le juge Le Dain explique qu' « aucun critère

général satisfaisant n’a été ou ne peut être formulé pour tracer la ligne de démarcation entre la

48 Code criminel, supra note 11, art 24.

49 Art 121-5 C pén.

50 Code criminel, supra note 11, art 24(2).

51 R. c. Carey, [1957] RCS 266 à la p 272.

52 Juris-classeur pénal, supra note 10 n°1.

53 Ibid. au n°9.

54 Cass crim, 1er mai 1879, S., 1880. I. 233 ; Cass crim, 3 janvier 1913, D. 1914.I.41.

55 Meehan et Major, Criminal attempt, supra note 24 à la p 121.

56 R. v. Cline (1956), 115 CCC 18 (Ont. CA), au para 26.

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préparation et la tentative et que l’application de cette distinction aux faits d’une affaire en

particulier devait être une question de jugement fondé sur le bon sens »57

. Cette formule est

encore citée dix années après dans l'arrêt Gladstone58

. Dezève, pour sa part, conçoit que « la

multiplicité des types d'infractions rende difficile -ou peut-être interdise- la recherche d'un

modèle unique de commencement d'exécution »59

.

En effet, le choix des législateurs canadien et français de criminaliser la tentative en un

unique texte de loi a l'avantage de la clarté mais implique également une certaine souplesse dans

la définition du commencement d'exécution, puisque cette notion devra s'adapter à toutes les

infractions susceptibles de se conjuguer à l'infraction de tentative. Il convient maintenant de

s'intéresser aux critères mis en place par les tribunaux canadiens et français pour tenter de

délimiter cette notion.

1.1.2. La proximité temporelle, géographique et causale

Malgré ses doutes quant à la possibilité d'établir une définition de l'actus reus de la

tentative, le juge Le Dain énonce tout de même certains éléments permettant de la distinguer de la

simple préparation :

[...] la distinction entre la préparation et la tentative est essentiellement qualitative et

met en jeu le lien entre la nature et la qualité de l'acte en question et la nature de

l'infraction complète, bien qu'il faille nécessairement examiner, en faisant cette

distinction qualitative, la proximité relative de l'acte en question avec ce qui aurait

constitué une infraction complète, sous l'angle du temps, du lieu et des actes sous le

contrôle de l'accusé qui restent à être accomplis60

(nous soulignons).

Ainsi, les trois critères énoncés par le juge Le Dain, et repris dans de nombreuses autres

57 R. c. Deutsch, [1986] 2 RCS 2, aux pp 22-23 [Deutsch].

58 R. c. Gladstone, [1996] 2 RCS 723, au para 19.

59 Jean Devèze, « Le commencement d'exécution de l'infraction en jurisprudence » (1981) RSC 777 à la p 789

[Dezève, « Commencement d'exécution »].

60 R. c. Deutsch, supra note 57 à la p 23.

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21

décisions61

, sont la proximité temporelle, géographique et causale. Pierre Rainville souligne la

variabilité de ces critères et estime qu'ils ont tous trois pour but de « repousser la répression tant

que les chances que l'accusé se ravise demeureront suffisamment importantes »62

. Le

commencement d'exécution repose donc à la fois sur un critère objectif, le comportement

dangereux, et sur un critère subjectif, à savoir la décision quasi irrévocable de l'auteur63

.

La chambre criminelle de la Cour de cassation, quant à elle, utilise trois formules pour

désigner le commencement d'exécution : acte « tendant directement à l'infraction avec intention

de la commettre »64

; acte ayant pour « conséquence directe et immédiate de consommer le crime,

celui-ci étant entré dans la période d'exécution »65

et acte qui tend « directement et

immédiatement à la réalisation de l'infraction projetée »66

.

Jean Dezève est un des rares auteurs de doctrine française à avoir tenté de déduire de

l'étude de la jurisprudence les lignes directrices de la notion de commencement d'exécution. Dans

son article repris par de nombreux auteurs67

, il explique que l'élément objectif du commencement

d'exécution correspond au lien l'unissant à l'infraction. L'analyse de ce lien repose sur trois

éléments : la maîtrise réelle ou supposée des moyens, la proximité dans le temps et dans l'espace.

L'auteur précise cependant que ces trois éléments ne peuvent être exigés rigoureusement, ils sont

donc variables68

.

La composante subjective du commencement d'exécution consiste à exiger que l'acte

matériel soit accompli avec l'intention de commettre ou de consommer l'infraction. Cette

intention peut découler de faits univoques, d'aveux, ou de tout autre indice. Il convient de préciser

61 R. c. Goldberg, 2014 BCCA 313, au para 41 ; R. c. Vant, 2010 ONSC 2474, au para 241 ; R. c. Kelly, 2012

CarswellNfld 33, au para 42.

62 Pierre Rainville, « La gradation de la culpabilité morale et des formes de risque de préjudice dans le cadre de la

répression de la tentative » (1996) 37:4 C du D 909 aux pp 931-932 [Rainville, « Gradation »].

63 Ibid à la p 932.

64 Cass crim, 5 juillet 1951, Bull crim n° 198 ; Crim 29 décembe 1970, JCP, 1971.

65 Cass crim, 25 octobre 1962, Bull crim n°292 (Lacour) ; Cass crim, 25 ocotbre 1962, Bull crim n° 293 (Benamar

et Schieb) ; Cass crim, 18 août 1973, Bull crim n°339.

66 Crim, 19 juin 1979, Bull crim n° 219.

67 Son article est notamment cité par Emmanuel Dreyer, Alain Prothais, Xavier Pin, Bernard Bouloc ou encore Jean

Pradel.

68 Dezève, « Commencement d'exécution », supra note 59 aux pp 799-800.

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22

que l'intention n'a pas à être irrévocable : « exiger une décision irrévocable revient à nier la

notion même de tentative qui postule la possibilité d'un désistement volontaire postérieur au

commencement d'exécution... »69

.

Le commencement d’exécution répond donc, en droit canadien comme en droit français, à

un double critère objectif et subjectif, et correspond à un « acte qui révèle chez son auteur le

désir et le pouvoir d'aller jusqu'au bout »70

. Le respect de ces critères se vérifie au regard

d'éléments similaires dans les deux systèmes juridiques : la proximité temporelle, géographique

et causale ainsi que la culpabilité morale de l'auteur.

Si les tribunaux canadiens et français ont mis en place des critères similaires afin de

définir le commencement d'exécution, il serait bien hâtif d'en déduire que la notion est la même

dans les deux systèmes. Pour affirmer cela, encore faut-il s'intéresser à l'application faite de ces

critères.

1.2. L'application des critères jurisprudentiels

L'analyse des jurisprudences canadienne et française nous semble primordiale pour

comprendre l'application des critères jurisprudentiels que nous venons de voir. Nous tenterons de

déterminer dans un premier temps le poids de chaque critère, et il nous faudra ensuite voir s'il

n'existe pas d'autres critères que ceux énoncés précédemment.

1.2.1. Le poids de chaque critère

La réunion des trois critères n'est pas systématiquement exigée, il est donc difficile

d'établir une hiérarchie pour déterminer lequel est le plus important. Néanmoins, il est intéressant

de se demander si ces critères ont le même poids au Canada et en France.

En premier lieu, nous allons nous intéresser au critère de la proximité géographique. Ce

69 Ibid à la p 782.

70 Pin, supra note 34 à la p 157.

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critère, bien qu'il soit cité à la fois par la Cour suprême et par la Cour de cassation, peut sembler

flou. En effet, aucune d'elles n'indique précisément de quel élément doit être géographiquement

proche le comportement posé par l'agent. Il nous semble que ce dernier, pour constituer un

commencement d'exécution, se doit d'être géographiquement proche du lieu du dernier acte que

doit poser l'accusé pour consommer l'infraction, et non du lieu de la consommation de ladite

infraction. Prenons par exemple la tentative de meurtre : si l'auteur pointe l'arme sur sa victime,

on peut considérer que le critère de la proximité géographique est satisfait puisqu'il se trouve à

l'endroit même où il devrait poser le dernier acte, c'est-à-dire presser la détente. En revanche,

exiger que l'acte posé par l'agent présente une proximité géographique avec la consommation de

l'infraction n'aurait aucun sens. En effet, la victime peut décéder des suites de ses blessures à

l’hôpital, ou dans l'ambulance l'y conduisant, et alors le critère ne serait plus rempli.

L'intérêt d'un tel critère est évident : plus l'acte posé par l'agent est éloigné

géographiquement du lieu où il devrait poser le dernier acte indispensable à la consommation de

l'infraction, moins il est probable qu'existe un commencement d'exécution, et donc qu'une

tentative soit constituée. Toutefois, ce critère comporte une certaine approximation, et il n'est pas

question de réduire les cas de tentative aux seuls actes posés à l'endroit même où serait posé le

dernier acte indispensable à la consommation de l'infraction.

Au Canada comme en France, il n'est donc pas nécessaire, pour qu'un comportement

constitue un commencement d'exécution, que l'auteur se trouve dans la même pièce que sa

victime. Dans l'affaire Mantley, la Cour d'appel de la Nouvelle-Écosse a reconnu coupable de

tentative de meurtre un homme armé qui fut intercepté alors qu'il tentait de se rendre à la

chambre d’hôpital de son épouse dans l'intention de la tuer, alors même que cet homme se

trouvait deux étages plus bas. Le juge Farrar précise même que ces actes « do not lose their

quality as the actus reus of attempt because Mr. Mantley had not yet reached the proper hospital

floor or because he was not in the same room as his wife or within seconds of completing the

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24

crime of murder »71

.

Cette souplesse est évidemment la bienvenue puisque lorsque l'auteur est armé, et décidé à

tuer une personne, il serait bien attentiste d'exiger qu'il soit dans la même pièce que son

éventuelle victime pour permettre aux forces de l'ordre d'intervenir.

A l'inverse, on relève certains cas dans lesquels le critère de la proximité géographique a

été appliqué plus rigoureusement. La Cour d'appel de Toulouse a notamment relaxé un prévenu

pour tentative de racolage, estimant que ce critère n'était pas rempli, alors même que l'individu

portait une tenue vestimentaire non équivoque. Néanmoins, la Cour estime qu'il « n'était pas sur

son lieu d’activité, mais s'y rendait avec toute possibilité de changer d'avis en route et de se livrer

à une autre activité licite »72

.

En second lieu, il convient de s'intéresser au critère de la proximité temporelle. Cette fois

encore, les tribunaux canadiens et français ne précisent pas si le comportement de l'agent doit

présenter une telle proximité avec la consommation de l'infraction ou avec le dernier acte

indispensable à la consommation de l'infraction. Nous pensons qu'il est préférable de retenir la

seconde solution puisque cette fois encore, la consommation de l'infraction peut intervenir des

jours, des semaines, voire des mois après que l'agent ait posé le dernier acte indispensable à sa

consommation.

Le juge Le Dain, dans l'affaire Deutsch, donne une indication quant à l'application du

critère de la proximité temporelle. Selon lui :

la présentation de récompenses financières importantes au cours des entrevues ne

perdrait pas sa qualité d'étape dans la perpétration de l'infraction et ainsi comme actus

reus de la tentative, parce qu'un délai important pourrait s'écouler avant qu'une

personne engagée dans le poste ait des rapports sexuels avec des clients éventuels ou

à cause de la nature par ailleurs incertaine de tels rapports sexuels73

.

71 R. c. Mantley, 2013 NSCA 16, au para 52.

72 Toulouse, 24 novembre 2005, JCP 2006 IV 2077.

73 Deutsch, supra note 57, au para 34.

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La durée séparant l'acte posé par l'agent et la consommation de l'infraction n'est donc pas

un obstacle dirimant à l'existence du commencement d'exécution, et donc à l'existence d'une

infraction de tentative.

Il ressort de certaines décisions de justice françaises que le critère de la proximité

temporelle est assez variable, notamment lorsque les aveux de l'agent ont été recueillis. Dans un

arrêt du 27 mars 1968, la chambre criminelle reconnaît l'insuffisance des actes matériels en cause

à caractériser la détermination du prévenu à commettre l'infraction, mais va se fonder sur les

aveux de ce dernier pour considérer que la tentative est constituée. En l'espèce, le prévenu

conduit un véhicule en direction de la frontière française afin de la franchir, lorsqu'il est arrêté par

les carabiniers espagnols, lesquels découvrent cinq bouteilles d'alcool dans le véhicule. La

chambre criminelle reconnaît alors que « le transport ne constituait encore qu'un acte

préparatoire d'un délit qui ne pouvait se commettre que lors du franchissement de la frontière »,

mais estime que « la Cour d'appel ne pouvait, en l'absence de preuve contraire, tenir pour non

avenus les aveux constatés par le procès-verbal du 25 septembre 1965 qui établissait la volonté

du prévenu d'introduire en contrebande en France la marchandise qu'il transportait »74

. Dans

cette décision, la chambre criminelle fait donc fi des exigences concernant la proximité

temporelle et se fonde principalement sur les aveux recueillis pour estimer que la tentative est

constituée.

Or, au Canada, bien que le prévenu ait avoué son intention infractionnelle, l'absence de

proximité temporelle empêche les juges de considérer que le stade du commencement d'exécution

est franchi. En effet, dans l'affaire Rudnicki, un juge de la Cour d'appel du Québec explique que

la tentative de transmettre des menaces n'est pas constituée en l'espèce puisque le détenu n'avait

l'intention de poster sa lettre de menaces qu'une fois sorti de prison, soit plusieurs semaines plus

tard. Le juge Dalphond relève que :

malgré l'affirmation de l'appelant qu'il entendait faire ces actes (mens rea), il faut

retenir qu'il ne s'apprêtait pas à les poser. Il attendait d'abord l'expiration de sa peine,

74 Cass crim, 27 mars 1968, Bull crim n° 107.

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26

laquelle n'était pas avant plusieurs semaines voire mois. Il lui restait donc du temps

pour changer d'idée, par exemple cibler une nouvelle victime, ce qui aurait mis fin au

projet en voie de préparation75

.

Le critère de la proximité temporelle est donc appliqué plus strictement au Canada, et

semble avoir principalement pour but de s'assurer de la détermination de l'auteur de l'infraction,

puisque plus la proximité temporelle exigée pour constituer le commencement d'exécution est

stricte, moins il y a de chances que l'auteur de la tentative se ravise.

Cette différence de conception du critère de la proximité temporelle serait donc en lien

avec la différence de traitement accordé au désistement volontaire au Canada et en France. En

effet, si le critère temporel exige que le commencement d'exécution se situe juste avant la

commission de l'infraction, alors le laps de temps durant lequel l'auteur d'une tentative pourra se

désister sera très court. Pour cause, une fois l'infraction consommée, il ne s'agira plus de

désistement volontaire mais de repentir actif. Dès lors, puisque la France admet le désistement

volontaire de l'auteur de la tentative, cela lui permet d'intervenir plus en amont de la

consommation de l'infraction projetée.

Enfin, il nous faut aborder le critère de la proximité causale, qui consiste à s'intéresser aux

actes que l'agent doit encore accomplir avant que l'infraction soit consommée. Yves Mayaud

explique que « [p]ar la causalité, on rejoint la nécessité de rester adossé à la phase d'exécution

de l'infraction, afin de conserver au commencement d'exécution une matérialité qui soit suffisante

pour préfigurer la consommation »76

. Si l'agent doit être entré dans l'exécution de l'infraction, au

Canada comme en France, le commencement d'exécution n'est pas nécessairement le dernier acte

avant la consommation de l'infraction.

En effet, si le dernier acte accompli par l'inculpé avant la consommation de l'infraction

constitue nécessairement un commencement d'exécution, ce dernier débute plus tôt. Il ressort de

75 2004 CarswellQue 12485, 2004 CarswellQue 3020, 193 C.C.C. (3d) 74, 63 W.C.B. (2d) 386, J.E. 2004-2219,

REJB 2004-79976, au para 26 [Rudnicki].

76 Yves Mayaud, Droit pénal général, 5e éd, Paris, PUF, 2015 à la p 305 [Mayaud].

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l'affaire Deutsch qu' « un acte, qui à première vue est un acte de perpétration, ne perd pas sa

qualité d'actus reus de la tentative parce que d'autres actes étaient nécessaires »77

. Ainsi donc, il

n'est « pas nécessaire que l'accusé soit allé jusqu'à poser l'ultime geste requis avant la

consommation de l'infraction »78

. Par exemple, une tentative de meurtre n'exige pas que l'auteur

ait tiré un coup de feu avec son arme, le simple fait de tenir en joue sa victime suffit79

.

De même, la chambre criminelle de la Cour de cassation a condamné deux hommes pour

tentative de contrefaçon de permis de conduire et relève qu'ils avaient presque terminé leur projet,

« deux cachets leur manquant seulement pour réaliser le faux permis »80

.

Il semble donc que si la proximité causale et la proximité géographique sont exigées de

manière identique au Canada et en France, la proximité temporelle est quant à elle appliquée de

manière plus stricte au Canada. Il convient maintenant de s'intéresser à un autre critère utilisé par

les tribunaux pour déterminer s'il y a ou non commencement d'exécution.

1.2.2. L'existence d'autres critères

Selon Roujou de Boubée, « [l]e Code Pénal ne différencie pas la tentative en fonction du

type d'infraction ou en fonction de la catégorie de délinquant. Peu importe le crime dont

l'exécution a été interrompue. Peu importe également la personnalité du délinquant »81

.

Pourtant, une partie de la doctrine relève que parfois, en pratique, l'appréciation de

certains actes variera selon la qualité pénale de leur auteur. Ainsi, les mêmes faits seront

considérés comme « des actes préparatoires s'ils émanent d'un délinquant primaire et comme un

commencement d'exécution s'ils sont le fait d'un récidiviste »82

. Cette même idée fut également

77 Deutsch, supra note 57, au para 31.

78 Rainville, « Gradation », supra note 62 à la p 928.

79 R. c. Boudreau, 2005 NSCA 40, au para 30.

80 Cass crim, 8 novembre 1972, Ruiz et autres, Bul crim n°331.

81 Gabriel Roujou de Boubée, « La genèse de l'acte infractionnel » (1969) 12:1 Annales de la Faculté de droit et des

sciences économiques de Toulouse 61 à la p 64 [Roujou de Boubée, « Genèse »].

82 Jean Pradel, Droit pénal général, 20e éd, Paris, Cujas, 2014 à la p 357.

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28

émise par Soyer, Larguier, Pinatel et Bouzat83

, lesquels se fondent sur la même décision84

.

Pradel et Varinard partagent cette opinion, et se fondent sur une décision du 23 mai 2013

de la chambre criminelle de la Cour de cassation85

. Ils expliquent que « le seul fait de se rendre

aux Pays-Bas a été considéré comme un commencement d'exécution d'importation de cannabis,

pour un multirécidiviste »86

. En l'absence d'autres éléments factuels incriminants, il semble

évident que le même comportement eût été interprété différemment en présence d'une personne

au casier judiciaire vierge.

La prise en compte de la qualité pénale de l'auteur d'un comportement pour déterminer si

son acte constitue ou non un commencement d'exécution pose plusieurs difficultés. Tout d'abord,

cela soulève le problème de l'égalité des citoyens devant les tribunaux, ainsi que celui de

l'arbitraire du droit pénal. En effet, il s'agit là d'un procès d'intention qui peut s'avérer dangereux.

De plus, il faut songer à l'hypothèse de deux coauteurs, l'un multirécidiviste et l'autre au

casier vierge, posant les mêmes actes. L'utilisation de ce critère pourrait-elle mener, à la

condamnation du premier et à la relaxe du second ? Cette solution serait bien critiquable. En

effet, apposer une coloration pénale à un acte sur le seul fondement du passé pénal de son auteur

irait à l'encontre de la présomption d'innocence, mais plus grave encore, il s'agirait là d'une

conception teintée de pessimisme, niant toute possibilité de rédemption morale. L'effet d'un tel

message serait, de surcroît, contre-productif, laissant croire au délinquant que la mémoire pénale

est indélébile.

Parfois, ce ne sont pas les antécédents pénaux de l'agent qui seront pris en compte mais

ses relations. La chambre criminelle a notamment condamné pour tentative de connivence à

évasion une personne « ayant essayé en vain de louer les services d'un pilote d'hélicoptère,

susceptible de survoler un établissement pénitentiaire »87

, et il est difficile de croire que ses liens

83 Dezève, « Commencement d'exécution », supra note 59 à la p 803 à la n 213.

84 Cass crim, 2 février 1961, JCP 1961 II 12065.

85 Cass crim, 23 mai 2013, n°12-84.875.

86 Jean Pradel et Alain Varinard, Les grands arrêts du droit pénal général, 9e éd, Paris, Dalloz, 2014 à la p 465.

87 Pin, supra note 34 à la p 167.

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29

avec certains détenus n'ont pas été pris en compte88

.

Au Canada, il semble que la personnalité de l'auteur ne soit pas totalement indifférente

lors de l'appréciation de l'existence d'un commencement d'exécution. Dans l'affaire R. c. Dennis,

la Cour d'appel de l'Alberta s'intéresse à certains traits de caractère de l'accusé : « [t]he trial judge

saw and heard the witnesses, especially Mr. Dennis, and some evaluation of his personality and

character must be relevant to that question. For example, is he a meticulous, or an impulsive,

person? Is he decisive, or indecisive? »89

. En l'espèce, l'homme surveille un restaurant à la

jumelle quelques minutes avant sa fermeture, et lorsqu'un policier vient l'arrêter, on trouve dans

sa voiture le matériel nécessaire à un cambriolage. La Cour d'appel de l'Alberta estimera alors

qu'il y a bien tentative de vol.

Malgré ces exemples de prise en compte de critères autres que ceux énoncés par les

tribunaux, il reste difficile voire hasardeux de déterminer le réel poids de la qualité pénale, des

relations ou encore de la personnalité de l'agent, dans l'appréciation de l'existence du

commencement d'exécution. En effet, la contrepartie d'un texte unique destiné à embrasser une

kyrielle d'infractions très variées se trouve dans une certaine imprécision des critères.

Enfin, il convient de se demander s'il serait possible, ou souhaitable, de classer et de

hiérarchiser ces critères selon les types d'infractions concernées. Yves Mayaud présente l'intérêt

d'une telle distinction :

En réalité, l'intuition, plus que le respect d'une formule, guide et conduit le juge dans

ses appréciations, ce qui place la tentative davantage sur le terrain des faits que sur

celui du droit. Les applications sont d'ailleurs plus ou moins larges selon les

infractions, étant dépendantes de la distinction des infractions matérielles et des

infractions formelles ou obstacles. Avec les premières, les faits ont une emprise

maximale sur la tentative, alors que leur rayonnement est beaucoup plus modeste

dans les secondes, qui correspondent, quant à elles, à une emprise minimale90

.

En effet, les infractions-obstacles correspondent à une incrimination autonome d'actes

88 Cass crim, 3 septembre 1996, DP 1997 17.

89 R. c. Dennis, 1998 ABCA 27, 1998 CarswellAlta 78, 1998 ABCA 27, [1998] A.J. No. 114, 37 W.C.B. (2d) 210 au

para 6.

90 Mayaud, supra note 76 aux pp 306-307.

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préparatoires, la tentative de ces infractions se situe donc à un stade antérieur aux actes

préparatoires, et c'est pour cela que ces infractions laissent peu de place à la tentative. Le

commencement d'exécution des infractions-obstacles correspondra alors à un acte très en amont

sur l'iter criminis. Selon Mayaud, la tentative des infractions-obstacles se situe « aux confins des

étapes purement psychologiques »91

. Il en va de même avec les infractions formelles puisque ces

dernières sont consommées sans atteinte effective à la valeur protégée par le texte incriminateur.

Dès lors, afin de conserver la particularité de ces infractions, les juges auraient tout intérêt

à appliquer moins strictement les critères de proximité temporelle, de proximité géographique, et

de proximité causale aux commencements d'exécution des infractions-obstacles et des infractions

formelles. En effet, ces infractions ayant pour but d'appréhender des comportements plus éloignés

de l'atteinte effective à la valeur, il serait paradoxal de les vider de toute utilité en leur appliquant

trop rigoureusement lesdits critères.

A l'inverse, c'est donc en repoussant le stade de la consommation de l'infraction en

exigeant la production d'un résultat matériel déterminé, que les infractions matérielles laissent

une plus large place au commencement d'exécution, et donc à la tentative puisque tant que le

résultat matériel n'est pas obtenu, l'infraction n'est pas consommée.

La réduction de l'élément matériel de l'infraction de tentative permet donc une

appréhension d'actes parfois très antérieurs à l'atteinte effective à la valeur protégée, mais cette

anticipation comporte également quelques limites que nous nous proposons d'aborder maintenant.

91 Ibid aux pp 308-309.

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31

Chapitre 2 : Les limites à l'anticipation de la répression

Si la réduction de l'élément matériel de la tentative permet de prévenir les atteintes aux

valeurs, il convient toutefois de poser des limites à l'anticipation. Cette limite, déjà mise en place

par l'exigence d'un commencement d'exécution, est renforcée pour certaines infractions

particulières, notamment celles ayant déjà pour objectif de devancer le stade de la répression.

Il conviendra alors de voir dans un premier temps quelles sont les limites à l'anticipation

de la répression concernant la tentative des infractions inchoatives, puis nous nous demanderons

s'il est possible de classifier les différentes tentatives selon l'incomplétude de leur élément

matériel.

2.1. La tentative des infractions inchoatives

Bien que la doctrine française connaisse les infractions-obstacles et les infractions

formelles, elle n'utilise pas de terme spécifique pour regrouper les infractions ayant pour but de

devancer le stade de la répression. A l'inverse, le terme inchoatif (du latin inchoare qui signifie

« commencer ») est utilisé par la doctrine canadienne :

L'infraction inchoative consiste dans une conduite constituant une étape vers la

perpétration d'une infraction. L'adjectif « inchoatif » veut marquer le caractère

inachevé de l’exécution du dessein criminel poursuivi par l'agent : soit qu'il cherche à

amener quelqu'un à commettre une infraction (incitation), soit qu'il commence à

exécuter une infraction (tentative), soit, enfin qu'il forme, avec d'autres, une entente

pour réaliser une fin illégale (complot)92

.

Se pose alors la question de leur possible conjugaison avec l'infraction de tentative. En

effet, les infractions inchoatives ayant déjà pour effet d'avancer le stade de la répression, il faut se

92 Jacques Fortin et Louise Viau, Traité de droit pénal Canadien, Montréal, Thémis, 1982 à la p 311.

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demander si la tentative de ces infractions ne constituerait pas une intervention trop hâtive du

droit pénal.

Pour répondre à cette question, nous analyserons donc chacun des types d'infractions

inchoatives en droit canadien et en droit français, afin de voir quelle solution a été apportée par

les tribunaux concernant la tentative.

2.1.1. La tentative d'incitation infructueuse et de mandat criminel

L'article 464a) du Code criminel93

incrimine le fait de conseiller autrui de commettre un

acte criminel, lorsque ce conseil n'est pas suivi d'effet. L'incitation infructueuse fait donc partie

des infractions inchoatives, et en constitue même le paroxysme puisqu'il n'est pas nécessaire que

l'infraction soit tentée, ni même envisagée par la personne conseillée. En effet, ne pas incriminer

l'incitation à commettre une infraction lorsque celle-ci n'a pas produit les effets escomptés

conduirait à faire dépendre la culpabilité du provocateur de la trop grande rigueur morale de sa

victime. Ainsi, « [l]'incitation devance chronologiquement la tentative; elle relève, en principe,

des actes préparatoires et non pas du commencement d'exécution »94

.

Pour le professeur Rainville, ce particularisme n'est pas sans raison :

[…] l'instigateur se voit opposer un régime juridique exorbitant. Il en est ainsi en

raison de sa turpitude morale particulièrement élevée. L'instigateur recèle en vérité

d'une double culpabilité morale : il incite un tiers à faire une victime tout en amenant

ce tiers à se rendre coupable d'un crime. L'instigateur fait, en quelque sorte, deux

victimes. Il expose un individu à un casier judiciaire et il en soumet un autre à la

perpétration d'une infraction95

.

En France, la provocation à commettre une infraction est un mode de participation à une

93 Code criminel, supra note 11, art 464 a).

94 Harper, Rainville, Turgeon, Traité, supra note 28 à la p 800.

95 Rainville, « Hamilton », supra note 18 à la p 180.

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infraction, et non une infraction autonome. En effet, l'article 121-7 du Code pénal96

incrimine la

complicité par provocation, laquelle nécessite donc un fait principal punissable. Dès lors, cet

article n'est d'aucune utilité lorsque le conseil de commettre l'infraction n'est pas suivi. Pour

pallier cette lacune répressive, le législateur français incrimine la provocation de manière

autonome, mais dans deux cas seulement.

Ainsi, l'article 221-5-1 du Code pénal97

érige en infraction la provocation à

l'empoisonnement et à l'assassinat. Il s'agit là d'une infraction formelle, puisqu'il n'est pas

nécessaire que la provocation ait porté ses fruits, et le droit pénal interviendra en l'absence de

toute atteinte effective à la valeur protégée, en l'espèce la vie humaine.

L'incitation infructueuse et le mandat criminel devancent donc le stade de la répression, et

il convient de se demander si permettre la tentative de ces infractions ne correspondrait pas à une

intervention injustifiée du droit pénal car trop hâtive. Cette question n'a jamais été tranchée, ni

par les tribunaux canadiens ni par les tribunaux français.

Toutefois, il est possible de trouver des pistes de réflexion au sein de la doctrine

canadienne. Mewett et Manning font une proposition générale selon laquelle « the law should

always strive to avoid combinations of inchoate offences »98

. Cependant, les auteurs semblent se

prononcer en faveur d'un tel cumul, à l'instar du droit anglais99

. Selon eux, l'incitation est un mal

distinct de celui qu'aurait provoqué l'infraction conseillée, et c'est pour cette raison que la

tentative d'incitation devrait être poursuivie pénalement.

Cette opinion est également la nôtre. En effet, puisqu'il n'est pas exigé que le conseil ait

porté ses fruits, ce n'est donc pas l'infraction à commettre que le législateur tente de réprimer par

le biais de l'instigation ou du mandat criminel, mais bien l'acte même de conseil. Dès lors, la

personne qui tente de transmettre tel conseil à une autre, qu'elle y parvienne ou non, doit être

96 Art 121-7 C pén.

97 Art 221-5-1 C pén.

98 Morris Manning, Mewett et Peter Sankoff, Criminal Law, 5e éd, Marham (Ontario), Lexis Nexis, 2015 à la p 390

[Manning, Mewett, Sankoff].

99 Ibid à la p 391 à la n 185.

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34

poursuivie.

Il convient désormais de s'intéresser à la deuxième catégorie d'infractions inchoatives, à

savoir les tentatives.

2.1.2. La tentative de voies de fait et de violences volontaires

Le terme singulier « tentative » désigne respectivement, en droit canadien comme en droit

français, l'article 24 du Code criminel100 et l'article 121-5 du Code pénal101. Ces articles, en

quelque sorte préfixes, se combinent avec d'autres infractions pour incriminer la tentative. Or, la

répression de la tentative est également possible de manière ponctuelle, par l'insertion dans

l'élément matériel d'une infraction particulière, de l'acte de tentative.

C'est notamment le cas de l'article 265 (1)b) du Code criminel qui prévoit que « [c]ommet

des voies de fait, ou se livre à une attaque ou une agression, quiconque [...]tente ou menace, par

un acte ou par un geste, d'employer la force contre une autre personne... »102. La tentative

d'employer la force constitue donc l'infraction complète de voies de fait. Tout naturellement, se

pose la question du possible cumul de cette infraction, qui inclut la tentative, et de la tentative

générale.

Dans l'affaire Hovington, la Cour d'appel du Québec reconnaît qu'une telle combinaison

peut parfois poser problème, mais affirme qu'en l'espèce, elle n'est pas interdite. Elle se justifie en

soulignant la distinction qu'il existe, selon elle, entre la tentative prévue à l'article 24 du Code

criminel, et l'élément matériel de l'infraction de voies de fait :

L'article 24 criminalise l'omission de faire quelque chose ou l'accomplissement de

quelque chose dans le but d'atteindre une fin illégale, si cela dépasse le stade des actes

préparatoires. En contrepartie, le paragraphe 265 (1)b) criminalise la menace ou la

tentative d'employer la force dans un certain contexte marqué par la proximité des

100 Code criminel, supra note 11, art 24.

101 Art 121-5 C pén.

102 Code criminel, supra note 11, art 265 (1)b).

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gestes posés avec l'emploi de la force et la crainte générée chez la victime103.

Nous convenons volontiers que l'article 24 appréhende une réalité quelque peu différente

de celle concernée par l'article 265 (1)b) du Code criminel. En effet, cet article concerne l'agent

qui tente, « par un acte ou un geste, d'employer la force contre une autre personne, s'il est en

mesure actuelle, ou s'il porte cette personne à croire, pour des motifs raisonnables, qu'il est alors

en mesure actuelle d'accomplir son dessein ».

Plusieurs conditions sont alors requises, de sorte que le champ d’application des voies de

fait de l'article 265 (1)b) est plus restreint que celui de l'article 24 du Code criminel. En effet, ce

dernier n'exige ni que l'infraction projetée soit possible, ni que l'éventuelle victime la croie

réalisable ; et il englobe les actes positifs et passifs. La tentative de l'infraction de voies de fait est

donc moins englobante que l'article 24 du Code criminel.

Néanmoins, le champ d'application plus vaste de ce dernier ne justifie en rien, selon nous,

la possible combinaison entre les deux infractions. En effet, si la tentative de l'article 265 (1)b)

est plus restreinte que celle de l'article 24, cela n'empêche pas qu'une partie de la réalité

appréhendée par le premier l'est également par l'autre. Ainsi, dans certaines circonstances, le

cumul des deux correspondrait toujours à une tentative de tentative, ce qui n'est, par définition,

pas possible.

En l'espèce, plusieurs policiers sont accusés d'avoir commis des voies de fait sur un

détenu. L'un d'eux frappe la victime avec un bâton et est reconnu coupable, et il faut déterminer si

les autres, simplement en étant présents et en s'abstenant d'intervenir, ont eu l'intention de l'aider

ou de l'encourager à commettre ladite infraction. La Cour d'appel du Québec va répondre

positivement à cette question.

En France, cette question ne se pose pas car la tentative de violences volontaires n'est

normalement pas prévue par le législateur. Les articles 222-7104, 222-9105, 222-11106 et 222-13

103 R. c. Hovington, 2007 QCCQ 7212, 2007 CarswellQue 6200, EYB 2007-121781 au para 53.

104 Art 222-7 C pén.

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du Code pénal107 sont des infractions matérielles qui font dépendre la répression du résultat

dommageable obtenu. L'auteur d'un acte violent ne peut donc être poursuivi que s'il a produit un

des résultats prévus par ces textes, à savoir la mort, une mutilation ou une infirmité permanente,

une incapacité totale de travail pendant plus de huit jours, ou encore une incapacité totale de

travail inférieure ou égale à huit jours, ou n'ayant entraîné aucune incapacité de travail.

Toutefois, une interprétation extensive des textes prévoyant les violences volontaires par

la Cour de cassation revient à incriminer contra legem leur tentative. Initialement, les violences

volontaires ne concernaient que les comportements matériels et ne s'appliquaient donc que

lorsqu'il y avait eu un contact entre l'auteur et sa victime. Ces infractions ont alors évolué de

manière à embrasser des comportements immatériels, mais si le contact physique entre l'auteur et

la victime n'était plus systématiquement exigé, il demeurait nécessaire de constater l'atteinte

effective à la personne de la victime.

Dans un arrêt du 28 novembre 2012108, la chambre criminelle de la Cour de cassation a

estimé que certaines atteintes causaient nécessairement un choc émotif à leur victime. Il n'est

donc plus nécessaire de caractériser un choc émotif en cas de violences volontaires sans contact

matériel entre l'auteur et la victime. Brice Partouche met en lumière les deux principales

conséquences d'une telle décision :

[elle] semble immédiatement faire basculer ces infractions dans la catégorie des

infractions formelles alors qu'elles étaient traditionnellement considérées comme

étant des infractions de résultat. Plus fondamentalement la jurisprudence

contemporaine consacre de façon effective et contra legem l'incrimination de la

tentative de violences volontaires109.

En effet, puisque la consommation des infractions de violences volontaires n'exige plus

d'atteinte effective à la valeur protégée, en l’occurrence l'intégrité physique d'autrui, elles passent

105 Art 222-9 C pén.

106 Art 222-11 C pén.

107 Art 222-13 C pén.

108 Cass crim, 28 novembre 2012, Bull crim n°264.

109 Brice Partouche, « Tentative et violences volontaires dans la jurisprudence contemporaine », RSC 759,

(2013), à la p 760.

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d'infractions matérielles à infractions formelles.

Quant à l'incrimination contra legem de la tentative, il s'agit là encore d'une réduction de

l'élément matériel des infractions de violences volontaires, puisque ce dernier n'exige plus le

résultat et se contente du comportement agressif. Les résultats ne consomment plus l'infraction,

et n'ont donc d'utilité qu'au moment d'opérer la distinction entre les différentes qualifications de

violences volontaires.

Dès lors, on peut se demander s'il serait possible pour le législateur français, de prévoir la

tentative de telles infractions, malgré l'interprétation déjà extensive faite par la chambre

criminelle. La solution retenue par la Cour d'appel du Québec, en faveur du cumul, serait-elle

celle retenue par les tribunaux français ?

Tout d'abord, il faut préciser que cette question ne se pose que pour les crimes de

violences volontaires, puisque pour les délits, le législateur doit prévoir expressément

l'incrimination de leur tentative. Admettre la tentative des crimes de violences volontaires,

lesquels sont désormais des infractions formelles, nous paraît bien difficile. En effet, ces derniers

laissent peu de place à la tentative, comme l'explique Louis Rozes : « il peut être utile de

sanctionner prématurément un processus criminel et d'ériger l'infraction tentée en infraction

consommée ; tel est bien le cas des infractions dites formelles pour lesquelles la tentative,

lorsqu'elle reste encore possible, se trouve promue à un stade antérieur à celui qu'elle eût occupé

normalement »110.

Enfin, voyons maintenant ce qu'il advient de la troisième catégorie d'infractions

inchoatives, à savoir le complot au Canada et l'association de malfaiteurs en France.

2.1.3. La tentative d'association de malfaiteurs et de complot

L'article 465 du Code criminel111

incrimine le complot, et permet ainsi au droit pénal

d'intervenir dès qu'une entente est conclue en vue de commettre une infraction. Le complot

110 Louis Rozes, « L'infraction consommée », RSCDPC 603, (1975), à la p 605 [Rozes, « L'infraction »].

111 Code criminel, supra note 11, art 465.

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n'exige aucun acte matériel, puisque la simple résolution criminelle, dès lors qu'elle est exprimée

et partagée, suffit.

Il n'existe pas d'infraction similaire en droit français, mais celle qui s'en rapproche le plus

est probablement l'association de malfaiteurs de l'article 450-1 du Code pénal112

. Cet article

incrimine « toute entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits

matériels, d'un ou plusieurs crimes ou d'un ou plusieurs délits punis d'au moins cinq ans

d’emprisonnement ».

Les deux infractions n'interviennent donc pas au même stade : la première intervient au

stade de l'intention exprimée et partagée, alors que la seconde intervient au moment des actes

préparatoires. En effet, la chambre criminelle de la Cour de cassation a précisé qu'il n'était pas

indispensable, pour le délit d'association de malfaiteurs, que les individus aient déterminé de

façon précise la manière de commettre le crime puisqu'il suffit que l'entente ait été matérialisée

dans un ou plusieurs actes préparatoires113

.

Toutefois, la comparaison demeure pertinente puisqu'il s'agit dans les deux cas

d'interventions précoces du droit pénal, justifiées par la dangerosité accrue du fait de la pluralité

des auteurs potentiels.

Se pose alors la question de la tentative de telles infractions. S'agirait-il d'une diminution

excessive de l'élément matériel, ou faut-il considérer qu'une telle anticipation est justifiée par les

nécessités de protection de la société. Très tôt, au Canada, on devine une certaine réticence à

l'encontre de ce genre de pratique. La Cour d'appel de l'Ontario estime en effet qu'il n'est

« neither necessary nor desirable to extend the law so that a person could be convicted of an

attempt to conspire to commit the substantive offence of fraud »114

.

Une réponse définitive fut apportée en 2006 par la Cour suprême dans l'affaire Déry. En

112 Art 450-1 C pén.

113 Cass crim, 15 décembre 1993, DP 1994 131.

114 R. c. Dungey, 1979 OJ No 1146 51 CCC, au para 36.

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l'espèce, un groupe de personnes parlemente au sujet de la possibilité de voler de l'alcool. Faute

d'entente, les inculpés ne sont pas poursuivis pour complot mais pour tentative de complot ; la

question s'est donc posée de savoir si l'infraction de tentative de complot existait en droit

canadien. La Cour suprême va répondre négativement à cette question. Selon elle, la tentative de

complot n'est pas une infraction car les actes qui précèdent un complot ne sont pas suffisamment

rapprochés de l'infraction matérielle pour justifier une sanction criminelle. Le juge Fish rappelle à

cette occasion que « même si cela était possible, le droit criminel n'a jamais eu pour objet de

réprimer « dans l’œuf » tout projet de crime »115

.

En France, la question ne se posait pas puisque l'association de malfaiteurs n'était

initialement qu'un délit et le législateur n'avait pas indiqué que la tentative était punissable. Or,

depuis la loi du 15 mai 2001116

, l'association de malfaiteurs peut être un délit ou un crime.

Puisque l'article 121-4 du Code pénal prévoit que la tentative de crime est toujours possible, il

faut en déduire que la tentative d'association de malfaiteurs est possible lorsque les infractions

préparées sont des crimes ou des délits punis de dix ans d'emprisonnement. Il convient alors de se

demander s'il s'agit, de la part du législateur français, d'une incrimination implicite de la tentative

d'association de malfaiteurs, d'une regrettable impéritie, ou encore si l'exclusion de cette

infraction du champ de la tentative lui a semblé si évidente qu'il ne l'a pas explicitée.

Pour répondre à cette question, il est opportun de voir si la solution apportée par la Cour

suprême dans l'affaire Déry concernant l'infraction de complot serait transposable à l'association

de malfaiteurs. La similitude de leur objectif ne doit cependant pas nous faire oublier la

différence fondamentale qui distingue ces deux infractions : elles n'interviennent pas au même

stade sur l'iter criminis. Dès lors, la transposition de solution n'est pas évidente, et une analyse

s'impose.

L'association de malfaiteurs se consomme « par un ou plusieurs faits matériels », et

intervient au stade des actes préparatoires. La tentative de cette infraction interviendrait donc

115 R. c. Déry, 2006 CSC 53, au para 47.

116 Loi n°2001-420 du 15 mai 2001, JO, 16 mai 2001.

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avant cette étape, lors de la simple pensée ou de la résolution criminelle. Prenons l'exemple de

l'assassinat : A, B et C évoquent l'idée de supprimer D. Si les trois comparses acquièrent des

armes pour accomplir leur dessein, l'association de malfaiteurs est consommée. En revanche, s'ils

ne s'entendent pas sur la manière de donner la mort à leur victime, et qu'aucun acte matériel n'est

posé, doit-on permettre l'intervention du droit pénal ?

Il s'agit, en réalité, de déterminer si les actes constituant le complot en droit canadien sont

incriminables en droit français. Il nous semble que non. En effet, la résolution criminelle partagée

et exprimée ne devrait pas entrer dans le champ d'application de l'association du malfaiteurs.

Cette incrimination se situerait au stade de la résolution criminelle, étape à laquelle le législateur

français répugne à intervenir.

Dans le Code pénal, même les infractions de terrorisme exigent « un ou plusieurs faits

matériels »117

, il est donc peu probable que les tribunaux choisissent de réprimer la tentative de

l'association de malfaiteurs. Dans le cas inverse, cela produirait, selon nous, une certaine

incohérence au sein de la répression.

La tentative, que ce soit en droit canadien ou en droit français, n'est donc pas simplement

une infraction préfixe destinée à sanctionner tout comportement avant la consommation de

l'infraction. Il est certains cas où elle doit être mise de côté afin de préserver certains principes du

droit pénal, et garantir une certaine cohérence temporelle de la répression.

2.2. Les différentes tentatives selon l'incomplétude de l'élément matériel

Le terme « tentative », généralement employé au singulier, a cela de lacunaire qu'il laisse

à penser que la tentative est indivisible, qu'il s'agit d'une notion unitaire. Pourtant, il serait plus

adéquat de parler des tentatives, compte tenu des nombreuses distinctions qu'il est possible

d'opérer en leur sein. Celle que nous nous proposons d'aborder ici est celle fondée sur

117 Art 421-2-1 C pén.

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l'incomplétude de l'élément matériel de l'infraction projetée.

2.2.1. La distinction entre infraction manquée et infraction tentée

Les auteurs du Traité de droit pénal canadien affirment que « [l]'infraction de tentative

permet de suppléer à l'inexistence de l'actus reus du crime envisagé par l'accusé. Autrement dit,

elle permet la condamnation d'un individu au dessein répréhensible alors même que l'élément

matériel de l'infraction projetée fait partiellement ou entièrement défaut »118

.

Il est donc possible de classer les tentatives selon leur avancée, et cette avancée se mesure

au degré d'achèvement de l'élément matériel de l'infraction projetée. Ainsi, on peut distinguer la

tentative interrompue dès les premiers actes posés par son auteur, de celle qui se rapproche

davantage de l'infraction projetée.

De nombreux auteurs de doctrine établissent cette distinction entre l'infraction suspendue

et l'infraction manquée. La première correspond à l'entreprise criminelle dont l'exécution a été

interrompue, tous les actes nécessaires à sa consommation n'ont donc pas été posés par son

auteur. C'est pour ce type de tentative que la notion de commencement d’exécution est la plus

appropriée puisque l'exécution de l'infraction a été entreprise mais non achevée. L'auteur n'a pas

eu le temps, ou l'occasion de poser tous les actes qu'il souhaitait accomplir.

La seconde forme, en revanche, correspond à une hypothèse différente : « l'auteur d'une

infraction manquée a pleinement achevé son action, de sorte qu'il n'est plus possible de la décrire

en termes de commencement d'exécution... »119

. En effet, puisque tous les actes exigés de l'auteur

de l'infraction projetée ont été réalisés, il est inadéquat d'utiliser cette expression. La réduction de

l'élément matériel ne concerne pas ici le comportement, mais sa conséquence matérielle. Cette

dernière ne survient pas, ou si elle survient, c'est le lien de causalité entre elle et le comportement

qui fait défaut.

118 Harper, Rainville, Turgeon, Traité, supra note 28 à la p 644.

119 Rebut, Encyclopédie, supra note 32 au n° 44.

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Il y a donc bien deux, voire trois catégories de tentatives selon l'incomplétude de l'élément

matériel. La tentative de meurtre par exemple, renferme donc plusieurs cas de figure : A pointe

son arme sur B et est interrompu par les forces de l'ordre ; A pointe son arme sur B, tire un coup

de feu mais rate sa cible ; A tire un coup de feu sur B mais ce dernier meurt par une balle tirée par

C. Dans le premier cas, l'élément matériel est très incomplet puisque le comportement requis n'est

pas achevé, dans le second cas le comportement est complet mais c'est le résultat matériel qui fait

défaut, et enfin, dans le dernier cas c'est le lien de causalité entre le comportement complet et la

conséquence matérielle qui empêche la consommation de l'infraction de meurtre.

Alors que l'article 121-5 du Code pénal120

envisage ces deux formes de tentative, l'article

24(1) du Code criminel121

, en revanche, ne distingue pas et les englobe toutes les deux grâce à sa

formulation large. Néanmoins, il faut préciser que la distinction opérée par le texte incriminateur

français n'a aucune répercussion répressive, puisque, comme nous le verrons plus tard, la peine

prévue pour la tentative ne varie pas selon qu'il s'agisse d'une infraction suspendue ou manquée.

2.2.2. L'intérêt de la distinction entre infraction manquée et infraction tentée

Avant de voir quels sont les avantages à distinguer l'infraction manquée de l'infraction

tentée, nous souhaitons revenir brièvement sur son absence de répercussion répressive en droit

français. En effet, si l'article 121-5 du Code pénal prévoit ces deux formes de la tentative, la peine

attachée à la tentative ne varie pas selon l'évolution du projet criminel. Une fois passé le stade du

commencement d'exécution, la tentative est punie aussi sévèrement, peu importe que l'exécution

soit à peine commencée, ou bientôt achevée. Cette absence de distinction nous semble tout à fait

justifiée. En effet, établir des paliers répressifs selon la progression de l'auteur de la tentative

reviendrait à accorder une importance démesurée à la matérialité des actes. Il semble que, si le

risque de préjudice augmente au fur et à mesure que l'auteur progresse, cette augmentation est

120 Art 121-5 C pén.

121 Code criminel, supra note 11, art 24 (1).

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bien trop minime au cœur même de la tentative pour influencer la peine.

Malgré cela, établir une distinction entre les infractions manquées et les infractions tentées

n'est pas dénué d'intérêts. Tout d'abord, distinguer les tentatives permet d'avoir une meilleure

connaissance du phénomène criminel, d'en avoir une vision plus fidèle. En effet, si certaines

tentatives se déroulent dans un laps de temps assez court, d'autres se développent sur plusieurs

heures, jours, voire semaines. Durant cette période, la tentative évolue et change de formes, et la

distinction entre infraction manquée et infraction tentée permet de rendre compte de cette

évolution.

De plus, une meilleure représentation du phénomène criminel permet une meilleure

anticipation et une meilleure répression de la criminalité. En effet, si la pratique laisse entrevoir

que la tentative de telle infraction parvient souvent au stade de la tentative manquée, c'est que les

moyens mis en place pour éviter le comportement de l'élément matériel sont inefficaces. A

l'inverse, si la tentative de telle autre infraction ne dépasse que très rarement l'étape de la tentative

suspendue, alors c'est que les moyens d'éviter le comportement sont plus adéquats. Il convient

ensuite de déterminer, pour chaque infraction, l'élément sur lequel doit se concentrer le droit

pénal pour empêcher l'infraction projetée d'être réalisée : le comportement ou la conséquence

matérielle qui en résulte.

D'un point de vue plus théorique, la distinction est fondamentale concernant la notion de

commencement d'exécution. En effet, cette dernière ne concerne que l'infraction interrompue,

puisque l'infraction manquée comporte une exécution complète. Il faudrait alors parler de

commencement d'élément matériel, lequel demeure incomplet, faute de conséquence matérielle et

ou de lien de causalité.

D'un point de vue subjectif, la distinction entre infraction manquée et infraction

suspendue permet de distinguer les délinquants entre eux, ce que ne permettent pas les articles 24

du Code criminel, et 121-5 du Code pénal. Gabriel Roujou de Boubée déplore cette conception

unique de la tentative et de son auteur :

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« [l]e Code pénal voulait comme sujet un héros cornélien, mais la pratique n'offre à l'observateur

que des personnages de François Mauriac »122

. Ces articles dressent en effet un portrait quelque

peu simpliste de l'auteur d'une tentative, de par son manque de relief. Tous n'arrivent pas au

même stade de la tentative, et tous ne présentent donc pas la même dangerosité.

Enfin, la distinction entre infraction manquée et infraction interrompue présente

également un intérêt concernant la mens rea. En effet, Marc Segonds souligne qu' « [e]lles se

distinguent également l'une de l'autre psychologiquement puisque l'infraction manquée n'autorise

aucun doute sur l'intention de l'agent tandis que la tentative interrompue laisse subsister une part

d'incertitude »123

. En effet, la détermination de l'auteur de l'infraction manquée est certaine

puisqu'il a mené l'exécution à son terme, alors que l'auteur de l'infraction interrompue avait

encore des chances de se désister.

Il convient maintenant de voir, dans une seconde partie, ce qui permet de s'assurer de la

culpabilité morale du prévenu, malgré l'intervention avancée du droit pénal.

122 Roujou de Boubée, « Genèse », supra note 81 à la p 71.

123 Juris-classeur, supra note 10 au n°68.

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PARTIE 2 : LA CULPABILITÉ MORALE DE L'AGENT ASSURÉE PAR LE RÉHAUSSEMENT DE L'ÉLÉMENT MORAL

Les infractions, quelles qu'elles soient, sont toujours composées de trois éléments.

L'élément légal est invariable dès lors que le système juridique est gouverné par le principe de la

légalité, ce qui est le cas du Canada et de la France. Les éléments matériel et psychologique, en

revanche, sont sujets à mutation, au gré du législateur.

Ce dernier, en effet, peut, en fonction du but législatif poursuivi, modifier ces éléments : si

la réduction ou la simplification de l'élément constitutif d'une infraction permet d'amplifier le

champ d'application de cette dernière, la complexification ou l'ajout d'un élément permet, à

l'inverse, de mettre en place une répression plus ciblée.

Comme nous l'avons vu dans la partie précédente, c'est en réduisant l'élément matériel que

l'infraction de tentative, en droit canadien comme en droit français, permet d'appréhender un plus

grand nombre de comportements, lesquels se situent en amont de l'atteinte effective à la valeur.

Toute réduction quelle qu'elle soit et aussi indispensable soit-elle, présente plusieurs dangers,

notamment ceux de l'arbitraire ou de la condamnation d'un innocent.

Pour pallier ces dangers, il est possible de rehausser un autre élément de l'infraction. Cette

idée de compensation des éléments constitutifs de l'infraction est notamment évoquée par la Cour

d'appel de la Colombie-Britannique : « where the evidence of intent is not strong, the actus reus

must be more 'proximate' to the act attempted, whereas a more 'remote' actus reus may be

accepted where there is extremely strong proof of mens rea »124

. Ainsi, lorsque l'élément matériel

d'une infraction n'est pas suffisamment solide, il convient de renforcer l'élément psychologique

de ladite infraction, afin d'éviter tout débordement répressif.

Concernant l'infraction de tentative, c'est le schéma inverse : puisque l'actus reus est

diminué, il convient de s'assurer davantage de l'intention délictueuse de l'auteur. Pour ce faire, il

124 R. c. Goldberg, 2014 BCCFFA 313 au para 41.

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faut rehausser l'élément intentionnel de l'infraction. Nous verrons donc dans un premier chapitre

quelle est la mens rea exigée pour l'infraction de tentative, puis dans un second chapitre, nous

nous intéresserons aux conséquences d'un tel rehaussement.

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Chapitre 1 : Le rehaussement de l'élément moral de l'infraction de tentative

Le rehaussement de l'élément moral de la tentative est donc la contrepartie à la diminution

de son élément matériel. L'élément psychologique est constitué, à l'instar de l'élément matériel,

de plusieurs composantes, à savoir la prévisibilité du résultat et le désir de l'action. En revanche,

ces composantes sont invariables et il n'est pas possible d'en ajouter afin de réduire le champ

d’application de l'infraction.

Toutefois, il existe des degrés d'intention. En effet, le développement de la psychologie et

du concept de la responsabilité morale ont conduit le droit canadien et le droit français à mettre

en place une réelle théorie de l'intention. Alors qu'initialement, on considérait qu'une personne

posait un acte parce qu'elle l'avait voulu, il existe aujourd'hui de subtiles nuances, lesquelles

permettent parfois de créer des infractions différentes.

En droit français, par exemple, il est possible de lier un seul résultat matériel à trois

intentions différentes, et d'en retirer trois infractions distinctes. Ainsi, la mort d'autrui, lorsqu'elle

est associée à l'intention correspondante, constitue un meurtre125

, ou un assassinat126

lorsque cette

intention a précédé le comportement ayant donné la mort. Elle peut aussi constituer un homicide

involontaire127

lorsque l'intention n'était pas de donner la mort, ou encore des violences

volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner128

lorsque l'agent avait seulement la

volonté de blesser sa victime.

Nous verrons donc dans un premier temps quel est le degré d'intention nécessaire à la

consommation de l'infraction de tentative en droit canadien et en droit français, et dans un second

temps, quelles en sont les conséquences.

125 Art 221-1 C pén.

126 Art 221-3 C pén.

127 Art 221-6 C pén.

128 Art 222-7 C pén.

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48

1.1. La nature du dol exigé pour l'infraction de tentative

La nature de l'intention exigée par une infraction est très importante, et ce pour plusieurs

raisons. Tout d'abord, elle permet de déterminer le degré d'intention nécessaire à la consommation

de ladite infraction. En effet, alors que certaines infractions se contenteront, en guise d'élément

psychologique, d'une simple envie de commettre un délit, d'autres exigeront une détermination

bien arrêtée.

D'autre part, le degré d'intention requis par une infraction nous renseigne sur ce que le

législateur a souhaité combattre grâce à l'infraction. En effet, moins le degré d'intention requis est

exigeant, plus il est possible d'affirmer que c'est surtout contre un résultat matériel qu'a été mis en

place le texte incriminateur. A l'inverse, lorsqu'un degré très élevé d'intention est requis, la

réalisation d'un dommage matériel passe au second plan et c'est surtout la culpabilité morale de

l'agent qui se trouve au centre de l'infraction.

Nous verrons que l'infraction de tentative fait partie de cette seconde catégorie, puisqu'elle

requiert un degré d'intention assez élevé. Avant cela, nous verrons que certains niveaux

d'intention, moins élevés, ne sont pas suffisants pour consommer l'infraction de tentative.

1.1.1. L'insuffisance de la simple insouciance, du dol indéterminé ou du dol éventuel

Au Canada, l'insouciance correspond à « la connaissance du danger ou du risque couru et

[à] la volonté de persister dans le comportement »129

. L'agent accepte l'éventualité de la

survenance d'un dommage ; il s'agit donc d'une forme atténuée de mens rea. L'insouciance

comporte donc deux éléments, à savoir la conscience que la conduite comporte un risque, et

129 Harper, Rainville, Turgeon, Traité, supra note 28 à la p 391.

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49

l'indifférence par rapport à ce risque.

En France, on ne parle pas d'insouciance mais il existe deux degrés d'intention

correspondants, soit le dol indéterminé et le dol éventuel. Le dol éventuel renvoie à l'hypothèse

de l'agent qui accepte la possibilité du dommage sans être certain de sa réalisation, alors que le

dol indéterminé renvoie à l'hypothèse de l'agent qui accepte le principe de la réalisation du risque

sans en connaître précisément la teneur. Dans le premier cas, l'incertitude porte à la fois sur la

survenance du dommage et sur son étendue, alors que dans le second cas, l'incertitude porte

uniquement sur l'étendue du dommage.

La culpabilité morale de l'agent insouciant réside alors dans son acceptation du risque ou

du danger et dans sa persistance dans son comportement, là où il devrait se raviser et adopter une

conduite plus sécuritaire, ou à défaut, abandonner son projet. La question s'est donc posée de

savoir si cette culpabilité morale était suffisante pour l'infraction de tentative.

Dans l'arrêt Lajoie130

, le juge Martland considère que l'insouciance concernant la

survenance de la mort suffit à constituer la tentative de meurtre. Le raisonnement de la Cour est

simple : si le décès était survenu en l'espèce, l'auteur aurait été condamné pour meurtre puisque

l'article 229 du Code criminel131

prévoit que le meurtre peut, entre autres, se contenter de

l'insouciance de l'auteur. Il suffit que ce dernier ait causé des blessures physiques qu'il savait de

nature à entraîner la mort, sans se soucier de ce que la mort pouvait survenir. Cette décision allait

à l'encontre de plusieurs décisions provinciales comme étrangères132

; Mewett et Manning

expliquent le raisonnement de la Cour :

Supreme Court seems to have been swayed by the argument that to hold otherwise

would mean that the offence of attempted murder would require a higher form of

mens rea than the full offence, since murder could be committed when one had

something less than the purpose to kill, but attempted murder would require this very

130 Lajoie c. R. [1974] RCS 399.

131 Code criminel, supra note 11, art 229.

132 R. c. Whybrow (1951), 35 Cr App. R. 141 (C.A.) ; R. c. Menard (1960), 130 C.C.C. 242 (CA QUE).

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50

purpose133

.

Dix ans plus tard, le juge McIntyre vient contredire le juge Martland dans l'arrêt Ancio134

:

selon lui, l'insouciance quant à la survenance de la mort ne suffit pas pour constituer une tentative

de meurtre. Cette décision sera confirmée par l'arrêt Logan dans lequel le juge Lamer refuse

d'ériger en principe de justice fondamentale le fait qu'une partie à une infraction ne peut être

déclarée coupable sur le fondement d'un degré de mens rea moindre que celui exigé pour l'auteur

principal.

Toutefois, il admet que lorsqu'il s'agit des infractions pour lesquelles l'article 7 de la

Charte canadienne des droits et libertés135

exige un degré minimum de mens rea, il est

impossible de prévoir la culpabilité d'une partie à cette infraction sur le fondement d'un degré de

mens rea moindre que le minimum exigé par la Constitution136

. Dès lors, puisque le meurtre fait

partie des infractions pour lesquelles l'article 7137

exige un degré minimum de mens rea138

,

l'auteur d'une tentative de meurtre ne peut être déclaré coupable sans ce degré minimum de mens

rea.

Il ressort de ces décisions que la mens rea de la tentative peut différer de celle requise

pour la consommation du crime projeté. En effet, le crime de meurtre peut se contenter de

l'insouciance de l'agent, ce qui n'est pas le cas de la tentative de meurtre. Cela renforce

l'autonomie de l'infraction de tentative par rapport à l'infraction projetée par l'agent.

Initialement, le dol indéterminé suffisait en France pour constituer l’infraction de meurtre.

La chambre criminelle considérait que « tout acte de violence exercé volontairement sur une

personne, et par l'effet duquel celle-ci a été plus ou moins promptement privée de la vie, constitue

133 Manning, Mewett, Sankoff, supra note 98 à la p 352.

134 La Reine c. Ancio, [1984] 1 RCS 225 à la p 249 [Ancio].

135 Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l'annexe B

de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c 11, art 7 [Charte].

136 Loi constitutionnelle de 1982, constituant l'annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c 11.

137 Charte, supra note 135, art 7.

138 R. c. Martineau, [1990] 2 RCS 633 au para 12.

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le crime de meurtre, alors même que l'auteur de l'acte n'aurait pas eu l'intention de tuer »139

.

Désormais, l'infraction de meurtre ne se contente plus de ce dol et exige au minimum un

dol général140

. Puisque le meurtre exige que celui auquel il est reproché ait eu la volonté de tuer,

il semble difficile de croire que la tentative de meurtre pourrait se contenter de l'insouciance. En

effet, si la tentative est une infraction autonome par rapport à l'infraction projetée, son élément

psychologique ne peut toutefois être moins exigeant.

Ainsi, au Canada comme en France, les degrés d'intention les moins exigeants ne sont pas

suffisants pour consommer l'infraction de tentative. Bien que cette solution n'ait pas toujours été

évidente, elle nous semble pourtant découler directement du concept de tentative. En effet, la

question du degré de l'intention revient à se demander s'il est possible de tenter sans vraiment

vouloir. La réponse à cette question ne peut être que négative. En effet, la tentative a cela de

particulier qu'elle dénote une distorsion entre ce qui est voulu, et ce qui est réellement. C'est

précisément ce décalage entre l'envie et la réalité qui rend l'appréhension du concept de tentative

délicate. L'intention fait partie intégrante de la tentative, il est donc normal de ne pas se contenter

de ses degrés inférieurs. La chambre criminelle semble partager cette opinion puisqu'elle

considère que « le verbe 'tenter' [implique] en lui-même la volonté de commettre l'acte

incriminé »141

.

1.1.2. L'exigence d'une intention spécifique ou d'un dol spécial

L’article 24 du Code criminel exige expressément « l'intention de commettre une

infraction »142

. Cette exigence vaut pour toutes les infractions auxquelles s'applique l'infraction

de tentative, et correspond à une intention spécifique. L'intention spécifique désigne la volonté de

l'agent tendue vers un but précis.

Cette exigence est expliquée dans l'affaire Logan par le juge Lamer qui adopte un

139 Cass crim, 13 mars 1828, Bull crim 1828 n°74.

140 Cass crim, 8 janvier 1991, Bull crim n° 14, D 1992.

141 Cass crim, 22 juin 1988, Bull crim n°284.

142 Code criminel, supra note 11, art 24 (1).

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52

raisonnement simple : il constate que les stigmates associés à une déclaration de culpabilité pour

meurtre sont les mêmes que pour une tentative de meurtre, et va même jusqu'à qualifier l'auteur

d'une tentative de « meurtrier chanceux ». Il rappelle ensuite que ce sont les stigmates associés à

une déclaration de culpabilité qui exigent qu'un degré minimal de mens rea soit prouvé pour une

infraction143

.

Dans cet arrêt, l'exigence de l'intention spécifique ne concerne que la tentative de meurtre.

L'arrêt Colburne144

de la Cour d'appel du Québec va ériger cette exigence d'une intention

spécifique en principe. Le juge LeBel cite notamment le professeur Stuart :

[n]ow that the Supreme Court has recognized that the crime of attempt requires an

intent, it would seem clear that all attempt crimes require a specific intent for which a

defence of voluntary intoxication should be available. It is no longer correct

reasoning to decide the questions by reference to the mens rea required for the crime

attempted145

.

Cette exigence particulière de mens rea vaut également pour les conséquences de

l'infraction projetée. En effet, il ressort de l'arrêt Ancio146

que l'insouciance quant à la survenance

du résultat ne pourra suffire. Dans l'arrêt Ferreira147

, le juge Blacklock estime que le résultat

certain ou quasi certain suffit à établir la mens rea de la tentative. Le professeur Rainville cite à

ce sujet Glanville Williams : « [a] consequence should normally be taken as intended although it

was not desired, if it was foreseen by the actor as the virtually certain accompaniment of what he

intended. This is not the same as saying that any consequence foreseen as probable is

intended »148

.

En France, l'intention contenue dans la tentative est également tournée vers la commission

de l'infraction, et elle se rapproche du dol spécial. Le dol spécial est l'équivalent de l'intention

143 R. c. Logan, [1990] 2 RCS 731 au para 23.

144 R. c. Colburne, 1991 CarswellQue 1002, au para 63 [Colburne].

145 Don Stuart, supra note 38 à la p 466.

146 Ancio, supra note 134, au para 37.

147 R. c. Ferreira, 1994 CarswellOnt 6004, 25 W.C.B. (2d) 127, au para 11.

148 Rainville, « Gradation », supra note 62 à la p 951.

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spécifique puisqu'il désigne « l'intention particulière dans laquelle les agissements ont été

commis »149

. Selon Jean Dezève, « ce dol est alors généralisé, exigé pour toute tentative, alors

même qu'il ne serait pas un élément constitutif de l'infraction consommée »150

. L'auteur préconise

d'ailleurs l'emploi d'un terme différent de celui d'intention, qui selon lui, peut se confondre avec

l'élément moral de l'infraction consommée151

.

Au Canada comme en France sont donc exigés, pour la consommation de l'infraction de

tentative, des degrés d'intention plus élevés que l'intention standard, à savoir l'intention générale

ou le dol général. C'est, selon nous, ce rehaussement qui permet de compenser la réduction de

l'élément matériel.

1.2. Les moyens de défense

Comme nous venons de le voir, l'élément moral de la tentative présente une certaine

spécificité. Dès lors, il convient de s'interroger sur la recevabilité des moyens de défense pour

l'infraction de tentative. En effet, plus les éléments constitutifs d'une infraction sont exigeants,

plus le panel des moyens de défense recevables risque d'être vaste.

Parmi les moyens de défense disponibles en droit canadien et en droit français, nous

avons choisi d'analyser la défense d'ivresse ainsi que la défense de plaisanterie, parce qu'elles ont

toutes deux une répercussion certaine sur l'élément psychologique de l'infraction.

1.2.1. La défense d'intoxication volontaire ou d'ivresse

Au Canada, la défense d'ivresse peut toujours faire échec à la mens rea de la tentative

puisque cette dernière est une infraction d'intention spécifique. Ce degré d'intention plus élevé et

plus complexe peut ne pas être obtenu lorsque l'auteur de la tentative est dans un état

149 Gérard Cornu, Vocabulaire juridique, 11e éd, 2016, PUF, Paris à la p 375 [Cornu].

150 Dezève, « Commencement d'exécution », supra note 59 à la p 810.

151 Ibid à la p 812.

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d'intoxication volontaire. Elle peut donc susciter un doute raisonnable quant à la présence de

l'intention spécifique, laquelle est indispensable à la consommation de la tentative.

En France, l'article 122-1 du Code pénal152

pose le principe de l'irresponsabilité pour

trouble mental mais ne distingue pas selon l'origine du trouble. Peu importe donc, en théorie, que

le trouble mental provienne d'une consommation de drogue, d'alcool ou d'un handicap. Toutefois,

la jurisprudence française se montre réticente à reconnaître dans l'ivresse une cause

d'irresponsabilité pénale. En effet, la chambre criminelle a estimé que l'intention qui faisait

défaut, pour cause d'ivresse, au moment de la consommation de l'infraction, était présente lorsque

l'agent avait choisi de s’enivrer153

.

Selon Jean Pradel, il convient de distinguer la personne qui s'enivre dans le but de

commettre une infraction, et qui sera reconnue responsable de la tentative puisqu'elle a bien eu

une intention de commettre l'infraction projetée ; de la personne qui s'enivre en acceptant le

principe ou la possibilité qu'elle commette une infraction une fois ivre, laquelle ne présente pas

l'intention exigée pour la tentative154

. Il n'y aura, dans ce dernier cas, pas de dol spécifique et

seulement un dol éventuel.

Il y a donc là une certaine liberté prise avec la règle voulant que l'infraction exige une

concomitance, même très brève, des éléments constitutifs de l'infraction. En effet, dans le cas de

l'agent qui s'enivre pour se donner du courage, l'intention criminelle existe lors de la

consommation d'alcool, mais est annihilée par ses effets lorsque l'agent pose les actes matériels.

Néanmoins, cette solution nous paraît indispensable pour endiguer de tels comportements.

Ainsi, au Canada comme en France, l'intoxication volontaire et l'ivresse peuvent faire

échec à la consommation de la tentative155

.

152 Art 122-1 C pén.

153 Cass crim, 29 janvier 1921, Bull crim n°52.

154 Jean Pradel, Droit pénal général comparé, Cujas, Paris, 2005 aux pp 161-162.

155 R. c. Daviault, [1994] 3 RCS 63, au para 27.

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55

1.2.2. La défense de plaisanterie

Au Canada, la question de savoir si la plaisanterie empêche l'existence de l'élément

psychologique de la tentative a été résolue par la Cour d'appel de la Colombie-Britannique. Cette

dernière, dans l'affaire Mathe156

, a estimé qu'il ne pouvait y avoir d'intention criminelle puisque

l'accusé avait simplement l'intention de plaisanter.

En l'espèce, un homme entre dans une banque, déclare à la guichetière qu'il a une arme à

feu dans sa poche et exige qu'elle lui remette l'argent. Lorsque cette dernière s'exécute, l'individu

se contente de lui dire qu'il plaisante et qu'il ne souhaite pas prendre l'argent, il lui serre la main et

part sans emporter son butin. Il est alors poursuivi pour tentative de vol qualifié. Si l'existence de

l'élément matériel de l'infraction ne faisait aucun doute, celle de l'élément psychologique était

moins évidente.

Le juge Branca fait une précision importante : « [i]f, in fact, the transaction amounted to

a joke, there was no crime. If, on the other hand, he was serious initially but decided to abandon

the transaction, then there could be a crime »157

. En effet, pour que la défense de plaisanterie

fasse échec à la consommation de l'infraction, il faut qu'elle remplace totalement l'intention

criminelle. Elle doit donc avoir existé du début jusqu'à la fin de la commission des éléments

matériels. A l'inverse, si la mens rea a existé, même un bref instant, cela suffit pour que

l'infraction soit consommée.

Cette décision fut notamment saluée par le Professeur Pierre Rainville : « [c]ette décision

est foncièrement irréprochable. Le comportement du fumiste a pour seule finalité le rire : le

blagueur se contente du plaisir que lui offre la vue de sa victime médusée. Sa volonté de jouer un

tour est le ressort psychologique qui l'anime et lui suffit »158

.

156 R. c. Mathe, 1973 CarswellBC 103.

157 Ibid au para 18.

158 Pierre Rainville, « Paroles de déraison et paroles de dérision : les excès de langage à l'épreuve du droit

criminel canadien » (2015) 49 RJTUM 35 à la p71.

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En France, en revanche, la question n'a pas été tranchée par la jurisprudence dans le cas

précis de la tentative. Cependant, il ressort d'un arrêt de la Cour d'appel de Toulouse159

que la

plaisanterie peut être retenue pour dénier l'existence de l'élément psychologique d'une infraction.

En l'espèce, un homme envoie à un ami une enveloppe contenant du bicarbonate de soude,

dans l'espoir d'apeurer son compère en lui faisant croire à une agression au bacille de charbon. Le

pli fut ouvert par le personnel du centre de tri et l'expéditeur fut poursuivi pour violences avec

préméditation sur l'agent de la poste. La Cour d'appel de Toulouse estime alors que « la

conscience de la brutalité et du danger de l'acte » font défaut, et que le délit de violences

volontaires avec préméditation ne peut être retenu.

Étant donné la spécificité de l'élément moral de la tentative, tout porte à croire que la

plaisanterie empêcherait également l'existence de sa mens rea.

1.3. La mens rea de l'infraction de tentative au regard du désistement volontaire

Après avoir vu quel degré d'intention était exigé pour l'infraction de tentative, et quelles

répercussions cette exigence avait sur la recevabilité des moyens de défense, l'élément

psychologique de la tentative nous paraît assez similaire en droit canadien et en droit français.

Malgré cette première impression, il convient de revenir sur la nature de la mens rea de

l'infraction de tentative, mais en prenant en compte une différence fondamentale qui existe entre

la tentative en droit canadien et la tentative en droit français, à savoir le sort réservé au

désistement volontaire de l'agent.

Au Canada, le désistement volontaire de l'agent après le stade du commencement

d'exécution n'est pas pris en compte et n'empêche en rien la consommation de la tentative. En

France, en revanche, le désistement volontaire de l'agent, s'il répond aux conditions requises, fait

159 Toulouse, 21 février 2002, n° 01-01. 172.

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échec à la consommation de l'infraction de tentative.

Il conviendra alors de voir ce qu'est le désistement volontaire en France et quelles sont ses

conditions, puis nous nous interrogerons sur sa nature. Enfin, nous envisagerons l'éventuelle

reconnaissance du désistement volontaire au Canada.

1.3.1. Le désistement volontaire en France

Marc Segonds explique que la doctrine distingue trois catégories de désistement : le

désistement volontaire est celui qui s'opère « sans aucune contrainte ou influence extérieure », le

désistement contraint est celui qui intervient « en raison de la survenance d'une cause qui lui est

extérieure » et le désistement influencé correspond à l'hypothèse où « l'abandon du projet est

équivoque »160

.

L'article 121-5 du Code pénal prévoit que la tentative n'est constituée que si elle « n'a

manqué son effet qu'en raison de circonstances indépendantes de la volonté de son auteur »161

. A

contrario, il faut en déduire que la tentative n'est pas constituée lorsque l'infraction ne se

consomme pas, et ce pour des raisons liées à la volonté de l'agent.

Le seul désistement qui empêchera la condamnation pour tentative est donc le désistement

volontaire de l'agent162

. En cas de doute concernant le caractère volontaire du désistement, Merle

et Vitu préconisent de rechercher la « cause prépondérante du renoncement »163

. Pour ce faire,

Alain Prothais affirme que « [s]eule une analyse très précise de l'espèce permettra de savoir si

c'est l'intervention d'un facteur externe, d'une tierce personne qui a déterminé l'agent à renoncer,

ou bien si, sa volonté criminelle n'étant pas suffisamment ferme, il était sur le point de s'arrêter à

160 Marc Segonds, Droit pénal général, Paris, Ellipses, 2004 à la p 151.

161 Art 121-5 C pén.

162 Voir par ex Douai, 6 mai 2003, DP 2003 122 ; T. corr. Fort-de-France, 22 septembre 1967, JCP 1968 II

15583.

163 Merle et Vitu, Traité, supra note 27 à la p 638.

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58

la première occasion, sous le premier prétexte venu »164

.

Pradel affirme qu' « il importe peu alors qu'il ait renoncé par pitié pour la victime, par

remords ou par crainte du châtiment : pas plus qu'il ne sauve, le mobile ne nuit »165

. La raison du

désistement est donc sans incidence pourvu qu'elle soit interne. Certains auteurs parlent à ce

propos d'un « système utilitaire »166

.

A cette première exigence s'en ajoute une seconde : le désistement doit intervenir en

temps utile. En effet, l'agent peut échapper à la répression « tant que l'infraction n'est pas

consommée »167

. Une fois l'infraction consommée, il ne s'agira plus d'un désistement mais d'un

repentir actif, lequel sera sans effet sur la qualification de l'infraction, mais pourra être pris en

compte lors du prononcé de la sanction par le juge.

Ce choix législatif se fonde principalement sur l'intérêt de la société :

Il s'agit d'éviter à tout prix que le mal du délit, c'est-à-dire ses conséquences

dommageables, ne se produise, et pour cela, on offre à l'auteur en supposant qu'il agit

toujours avec toute la lucidité nécessaire à ce calcul, un intérêt majeur à l'abandon de

son entreprise criminelle avant que l'irréparable ne soit accompli. On ferme donc

délibérément les yeux sur la volonté criminelle manifestée, les actes déjà accomplis et

la personnalité ainsi révélée, pourvu qu'il ne s'ensuive aucun effet matériel...168

1.3.2. La nature de l'exigence de l'absence de désistement volontaire en France

Comme nous l'avons vu, l'exigence de l'absence de désistement volontaire pour la

consommation de l'infraction de tentative est implicitement annoncée à l'article 121-5 du Code

164 Alain Prothais, Tentative et attentat, Paris, LGDJ, 1985 à la p 69 [Prothais].

165 Pradel, supra note 82 à la p 351.

166 Jean Larguier, Philippe Conte et Patrick Maistre du Chambon, Droit pénal général, 22e éd, Paris, Dalloz,

2014 à la p 36 [Larguier, Conte, Maistre du Chambon].

167 Pin, supra note 34 à la p 159.

168 Prothais, supra note 164 à la p 67.

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59

pénal169

. Ce dernier est formulé de telle manière qu'il laisse entendre que cette exigence est l'un

des deux éléments constitutifs de la tentative. Cette manière de présenter la tentative était déjà

celle de l'article 2 du Code pénal de 1810.

De même, la majorité des auteurs de doctrine française présente l'absence de désistement

volontaire comme un élément constitutif de l'infraction de tentative. En effet, Xavier Pin évoque

la « deuxième condition exigée par l'article 121-5 du Code pénal »170

, et Bernard Bouloc affirme

que « le commencement d'exécution et l'absence de désistement volontaire constituent les deux

éléments certains de la tentative »171

.

Cette conception, pourtant fidèle à la lettre de l'article 121-5 du Code pénal172

, ne nous

paraît pas exacte. Selon nous, l'absence de désistement volontaire ne présente pas les traits d'un

élément constitutif. Il semble que René Garraud se soit également montré réticent à employer

l'expression « élément constitutif » pour désigner l'absence de désistement volontaire, et lui a

donc préféré celle de « circonstance contingente »173

.

En effet, un élément constitutif a pour particularité de constituer l'infraction. Dès lors, il

doit exister avant la consommation de ladite infraction. Or, dans le cas de l'infraction de tentative,

l'absence de désistement volontaire n'a d'intérêt qu'une fois l'infraction consommée. Dès lors,

nous ne pouvons estimer que l'exigence de l'absence du désistement volontaire est un élément

constitutif.

Il ne s'agit pas non plus d'un moyen de défense puisque le débat concernant les moyens de

défense n'intervient qu'au prétoire, une fois la question de la consommation de l'infraction

tranchée. Or, pour l'infraction de tentative, la question de l'absence de désistement volontaire doit

être abordée bien plus tôt.

169 Art 121-5 C pén.

170 Pin, supra note 34 à la p 168.

171 Bouloc, supra note 35 à la p 228.

172 Art 121-5 C pén.

173 René Garraud, Précis de droit criminel, 12e éd, Paris, Sirey, 1918 à la p 159 [Garraud].

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60

L'absence de désistement volontaire s'apparente davantage à une condition résolutoire de

l'infraction puisque cette dernière est constituée dès le stade du commencement d'exécution

franchi. C'est seulement si intervient par la suite un désistement qui répond aux conditions

exigées que l'infraction ne sera pas constituée. Le désistement volontaire agit donc comme une

épée de Damoclès pesant sur l'infraction, menaçant à tout instant d'en empêcher la

consommation.

Louis Rozes semble abonder en ce sens : « [t]out au long du processus criminel les actes

du délinquant demeuraient marqués d'une certaine précarité voulue par le législateur qui laissait

toujours la possibilité de se repentir avant qu'il ne soit trop tard »174

.

Ainsi, il nous semble que l'exigence d'absence de désistement volontaire est une

composante de la mens rea. En effet, imposer que le stade du commencement d'exécution soit

franchi, et que l'agent ne se désiste pas volontairement de son projet criminel pour que la

tentative soit consommée, revient à exiger une intention irrévocable.

Ce terme est également celui retenu par Donnedieu de Vabres : « quand les actes

accomplis par l'agent lors de son arrestation attestent chez lui une volonté criminelle

irrévocable ; quand il existe entre le mal qu'il a commis et le but qu'il se proposait, une distance

morale si faible que, laissé à lui-même, il l'aurait presque certainement franchie »175

.

Il convient alors de se demander si cette intention irrévocable est différente du dol spécial.

Selon nous, elle l'est nécessairement puisqu'elle comporte un élément supplémentaire, la

détermination définitive de l'agent à commettre l'infraction. Comme nous l'avons vu, l'intention

spécifique, ou dol spécial, est « l'intention particulière dans laquelle les agissements ont été

commis »176

, et cette définition ne fait aucunement mention de la détermination de l'agent.

Ainsi donc, l'infraction de tentative en droit français se fonde sur un degré d'intention

174 Rozes, « L'infraction », supra note 110 à la p 610.

175 Henri Donnedieu de Vabres, Précis de droit criminel, Paris, Dalloz, 1946 à la p 55.

176 Cornu, supra note 149 à la p 375.

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61

unique, qui n'est exigé dans aucune autre infraction. La raison de ce particularisme se comprend

aisément : puisque cette infraction permet au droit pénal d'intervenir avant même que l'agent ait

achevé son dessein criminel, il est indispensable de s'assurer de la détermination de ce dernier. En

effet, l'élément psychologique joue alors le rôle de prolongement de l'élément matériel.

Il semble donc que l'élément psychologique de l'infraction de tentative soit plus exigeant

en droit français qu'en droit canadien. Il convient alors de revenir à une remarque que nous avons

faite précédemment. Nous avons vu dans la première partie de notre étude que, pour apprécier

l'existence du commencement d'exécution, les tribunaux utilisaient notamment le critère de la

proximité temporelle. Nous avions alors démontré que les tribunaux canadiens appliquaient ce

critère plus strictement que les tribunaux français, et nous avions mis en relation cette différence

d'application avec le sort réservé au désistement volontaire dans chacun de ces deux systèmes.

Ainsi, l'exigence d'une intention irrévocable en droit français permet une application plus

souple du critère de la proximité temporelle. En effet, dès lors que l'on sait avec certitude que

l'agent allait commettre l'infraction, le problème de la culpabilité morale ne se pose plus, et il est

alors loisible au droit pénal d'intervenir, et ce même si l'infraction n'est pas sur le point de se

consommer.

Le même objectif, s'assurer de la culpabilité morale de l'auteur de la tentative, est donc

poursuivi de deux manières différentes par le droit français et le droit canadien. Alors que le

premier rehausse considérablement l'élément psychologique de l'infraction jusqu'à exiger une

intention irrévocable, le second applique rigoureusement le critère de la proximité temporelle, de

façon à s'assurer que l'agent ait peu de chances de se désister.

Il faut maintenant aborder la question de l'éventuelle reconnaissance du désistement

volontaire au Canada, et déterminer les conséquences de cette évolution sur l'infraction de

tentative.

1.3.3. L'éventuelle reconnaissance de la défense d'abandon au

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62

Canada et ses conséquences

Le refus par les tribunaux canadiens de prendre en compte le désistement de l'auteur de la

tentative n'est pas nouveau. Dans l'affaire Kosh, le juge Culliton C.J.S. explique cette

indifférence :

In my view, once the essential element of intent is established, together with overt

acts towards the commission of the intended crime, the reason why the offence was

not committed becomes immaterial. Once these elements are established, it makes no

difference whether non-commission was due to interruption, frustration or a change

of mind177

.

Ce refus des tribunaux canadiens de reconnaître la défense de désistement volontaire dans

l'infraction de tentative traduit également leur méfiance à l'égard de l'agent indécis. Cette opinion

est partagée par de nombreux auteurs, et notamment par Donnedieu de Vabres. Selon lui, le

désistement volontaire ainsi que le remord après la consommation de l'infraction « n'excluent pas

le caractère dangereux de l'agent. [Ils] témoignent d'une moindre intensité de la volonté

criminelle. Mais cette volonté existe »178

.

Pourtant, cette défense n'est pas totalement étrangère au droit canadien, puisque la Cour

d'appel de la Colombie-Britannique l'a admise très tôt dans l'affaire Whitehouse179

, dans le cas de

la participation criminelle de l'article 21 (2) du Code criminel180

. En effet, pour que la défense

d'abandon soit reconnue, le juge Sloan exige les trois conditions suivantes : l'existence d'une

intention d'abandonner le projet criminel, la communication en temps utile de cet abandon et le

caractère non équivoque de cette communication181

.

Cette clémence se comprend aisément : l'article 21 (2) du Code criminel182

concerne la

personne qui participe à une infraction en formant avec d'autres le projet de poursuivre une fin

177 R. c. Kosh, 1964 CarswellSask 47 au para 17.

178 Donnedieu de Vabres, Politique criminelle, supra note 43 à la p 101.

179 R. c. Whitehouse, 1940 CarswellBC 87 [Whitehouse].

180 Code criminel, supra note 11, art 21 (2).

181 Whitehouse, supra note 179 au para 8.

182 Code criminel, supra note 11, art 21 (2).

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63

illégale et de s'y entraider alors qu'une infraction différente de celle convenue est commise lors de

la réalisation de cette fin commune. Cet article met donc en place une responsabilité du fait

d'autrui ; il est indispensable de prévoir un mécanisme permettant de briser cette responsabilité

une fois que l'agent a exprimé son désir de se détacher du projet criminel commun.

Plus récemment, dans l'arrêt Gauthier183

, la question s'est posée de savoir si une telle

défense pouvait être reconnue concernant la participation criminelle de l'article 21 (1) du Code

criminel184

. Le juge Wagner rappelle à cette occasion les raisons de politique générale qui

justifient une telle défense : « il y a l’impératif de veiller à ce que seules les personnes

moralement coupables soient punies et, d’autre part, il y a l’avantage que tire la société du fait

d’encourager les individus impliqués dans des activités infractionnelles à s’en désister et à les

dénoncer »185

.

Le juge Wagner met en exergue la différence existant entre la participation criminelle de

l'article 21 (2) du Code criminel, et celle de l'article 21 (1). Selon lui, dans ce dernier cas, la

culpabilité morale des participants est plus grande :

ils posent des gestes concrets dans le but d'assister l'auteur principal dans la

commission de l'infraction ou de l'encourager à la commettre. Leur responsabilité

criminelle et leur culpabilité morale sont proportionnelles à ces démarches et

découlent de l'accomplissement de ces actes. En conséquence, la simple

communication en termes non équivoques de leur volonté de ne plus participer à la

commission de l'infraction ne sera pas suffisante [TRADUCTION] « pour briser le

lien de causalité et de responsabilité » pour reprendre les propos du juge Sloan dans

l'arrêt Whitehouse186

.

Le juge ajoute donc une quatrième condition à la défense de désistement. La personne qui

participe à une infraction en accomplissant ou en omettant d'accomplir quelque chose dans le but

d'aider quelqu'un à la commettre ou en encourageant quelqu'un à la commettre pourra bénéficier

183 R. c. Gauthier, 2013 CSC 32 [Gauthier].

184 Code criminel, supra note 11, art 21 (1).

185 Gauthier, supra note 183 au para 40.

186 Gauthier, supra note 183 au para 46.

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64

de la défense d'abandon à quatre conditions. Elle devra avoir l'intention de se désister du projet

criminel, communiquer cette intention en temps utile et de manière non équivoque, mais elle

devra également prendre « proportionnellement à sa participation à la commission du crime

projeté, les mesures raisonnables, dans les circonstances, soit pour neutraliser ou autrement

annuler les effets de sa participation soit pour empêcher la perpétration de l'infraction187

».

Ainsi, cette reconnaissance récente de la défense d'abandon dans le cas de la complicité

par aide ou assistance nous conduit à nous interroger sur une telle reconnaissance dans le cas de

l'infraction de tentative. En effet, il est intéressant de se demander si la défense d'abandon

pourrait faire échec à une condamnation pour tentative, et, si oui, à quelles conditions.

Il est évident que la première condition, concernant l'intention d'abandonner le projet

criminel, serait exigée. Toutefois, dans l'affaire Gauthier, il semble que les tribunaux canadiens

ne se contentent pas de la disparition de l'intention criminelle. Dès lors, dans le cas de l'infraction

de tentative, il semble peu probable que les tribunaux admettent la défense de désistement fondée

uniquement, comme en France, sur le simple revirement d'intention volontaire et intervenu en

temps utile. La seule résipiscence ne suffit pas, il faut défaire ce qui a été fait. Le juge Wagner

cite un passage parfait pour illustrer ce propos :

Une fois la flèche dans les airs, il est vain de souhaiter ne jamais l'avoir décochée [...].

Il est vrai que la personne qui renonce à un projet ne fait pas que changer d'avis : elle

se retire, mais est-ce que cette décision a quelque importance si la renonciation ne

produit pas plus d'effets sur la suite des événements que le repentir de l'archer ?188

.

Les deuxième et troisième conditions concernant la communication en temps utile et non

équivoque ne s'appliqueraient à l'auteur de la tentative que si ce dernier agissait avec d'autres. Si

c'est le cas, il faudrait se demander à quel moment la communication de l'abandon devrait

intervenir. Puisque cette communication interviendrait nécessairement une fois le stade du

187 Ibid au para 50.

188 J. C. Smith, Commentary on R. c. Mitchell, [1999] Crim. LR 497, cité dans Gauthier, supra note 183 au

para 47.

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65

commencement d'exécution franchi, il nous semble que le critère de la communication en temps

utile n'est plus très pertinent. La communication de l'abandon devrait simplement intervenir après

le commencement d'exécution et avant la consommation de l'infraction projetée.

Les trois premières conditions exigées pour la défense d'abandon ne poseraient donc pas

de réel problème si cette dernière devait être reconnue dans le cas de la tentative. En revanche, la

transposition de la dernière condition est des plus intéressantes. On peut en effet se demander s'il

est opportun d'exiger de l'auteur d'une tentative qu'il annule les actes qu'il a posés, et, si oui,

lesquels.

Il faut tout d'abord distinguer deux cas de figure en fonction de l'avancée de la tentative.

Dans le cas de l'infraction suspendue, c'est-à-dire lorsque l'agent n'a pas pu poser tous les actes

nécessaires à la consommation de l'infraction, alors le simple renoncement de l'agent à son projet

criminel suffira à en empêcher la survenance. Dans le cas de l'infraction manquée, en revanche,

l'agent a posé tous les actes qui lui semblaient nécessaires et, bien que sa volonté criminelle le

quitte, son dessein initial se réalisera peut-être.

Il nous semble donc que dans le premier cas, il n'est pas nécessaire d'exiger de l'agent qu'il

prenne des mesures tendant à annuler ses agissements. Dans le second cas, il nous paraît

indispensable, pour que la défense d'abandon soit reconnue, de requérir qu'il efface ce qu'il a fait.

Ne pas imposer cette exigence rendrait bien difficile la preuve de la disparition de l'intention

criminelle, mais plus grave encore, ôterait tout intérêt à la reconnaissance de la défense

d'abandon. Par exemple, A sectionne les câbles de frein de B dans l'espoir de provoquer un

accident mortel, puis se ravise. Admettre la défense de désistement sans exiger que A remette en

état le véhicule de sa victime, ou à tout le moins, prévienne B, serait contre-productif.

Il convient alors de déterminer quels sont les actes que l'agent devra neutraliser. Comme

nous l'avons vu précédemment, les actes préparatoires correspondent aux agissements de l'auteur

d'une infraction en vue de préparer cette dernière. Il s'agit donc généralement de comportements

équivoques, et qui ne sont pas, en eux-mêmes, particulièrement dangereux pour la société. Dès

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66

lors, il nous semble excessif d'exiger que l'auteur d'une tentative qui souhaite bénéficier de la

défense d'abandon annule ses actes. Par exemple, il serait absurde d'exiger de la personne qui

achète un couteau, dans le but de poignarder son voisin, de se débarrasser de ce couteau. L'achat

de cet ustensile, dès lors que l'animus necandi a disparu, est parfaitement inoffensif.

Le commencement d'exécution, en revanche, est un acte bien plus avancé, et parfois très

dangereux. Il faut alors distinguer les actes qui peuvent être annulés de ceux qui ne le peuvent

pas. Le fait de tenir sa victime en joue, par exemple, ne peut être annulé. L'auteur de la tentative

pourra baisser son arme et se désister, mais il lui sera impossible d'effacer le fait qu'il ait, à un

moment donné, tenu en joue sa victime. A l'inverse, certains commencements d'exécution ont des

conséquences matérielles, lesquelles peuvent être modifiées. Par exemple, si A désactive le

système de surveillance vidéo d'un magasin dans l'espoir de le cambrioler, il peut se raviser et

réactiver le système.

Les actes devant être neutralisés par l'auteur de la tentative varieront donc selon les

situations. Néanmoins, il demeure une certitude : lorsque la volte-face de l'auteur de l'infraction

ne suffira pas à empêcher sa consommation, il sera indispensable qu'il neutralise les actes qu'il a

déjà posés. Ainsi, dans l'hypothèse de l'agent qui met en joue sa victime, le désistement suffit.

Pour finir, il s'agit maintenant d'établir quelles seraient les conséquences, en droit

canadien, d'une telle reconnaissance sur l'infraction de tentative d'une part, et sur les autres

infractions inchoatives d'autre part.

La reconnaissance de la défense d'abandon en droit canadien pourrait effectivement avoir

pour effet de modifier l'infraction de tentative. Nous avons vu que l'exigence de l'absence de

désistement volontaire en droit français expliquait la plus grande souplesse de ce droit concernant

l'appréciation du critère de la proximité temporelle. Il nous semble donc qu'en droit canadien, une

telle reconnaissance conduirait également à une plus grande souplesse dans l’appréciation du

critère de la proximité temporelle.

Pour constater une plus grande rigueur dans l'appréciation du critère de la proximité

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67

temporelle en droit canadien, nous nous fondions sur les mots du juge Dalphond. Ce dernier

estimait que la durée qui devait s'écouler avant la réalisation de l'infraction était trop importante,

et que l'agent disposait encore de « temps pour changer d'idée, par exemple cibler une nouvelle

victime, ce qui aurait mis fin au projet en voie de préparation »189

.

Ainsi, puisque la défense d'abandon permettrait de cantonner l'infraction de tentative aux

seuls cas où l'agent est peu susceptible de changer d'avis, cette rigueur dans l'appréciation du

critère de la proximité temporelle n'aurait plus, selon nous, la même importance.

De plus, on peut également se demander si l'application d'une peine moindre que celle

prévue pour l'infraction consommée serait encore justifiée si l'on permettait à l'auteur de la

tentative de se raviser une fois franchi le stade du commencement d’exécution. En effet, le droit

canadien réserve à l'infraction de tentative une peine généralement moins grave que celle prévue

pour l’infraction reprochée190

. Si l'on considère que cette clémence découle d'une moindre

culpabilité morale de l'auteur de la tentative, alors elle devra disparaître lors de la reconnaissance

de la défense d'abandon.

La reconnaissance de la défense d'abandon en droit canadien agirait en quelque sorte

comme une redéfinition de l'infraction de tentative. Cette dernière ne concernerait que les agents

qui avaient l'intention apparemment irrévocable de mener à bien leur projet criminel. Dès lors,

dans l'hypothèse où le quantum de la peine ne dépend que de la culpabilité morale de l'agent, plus

rien ne justifierait une différence de peine entre la tentative et l'infraction projetée.

Il faut également s'interroger sur les conséquences de cette éventuelle reconnaissance de

la défense d'abandon pour l'infraction de complot191

. En effet, nous avons vu que la défense

d'abandon était d'ores et déjà possible en droit canadien pour l'incitation de l'article 21 (1) du

Code criminel192

; il est indispensable de songer à sa reconnaissance concernant l'infraction de

189 Rudnicki, supra note 75 au para 26.

190 Code criminel, supra note 11, art 463.

191 Code criminel, supra note 11, art 465.

192 Ibid, art 21 (1).

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complot, afin d'homogénéiser le régime des infractions inchoatives.

L'infraction de complot en droit canadien réprime la simple volonté exprimée et partagée

de commettre une infraction, elle n'exige aucun acte matériel. Le repentir suite à l'entente ne fait

donc pas échec à la condamnation193

. Comme nous l'avons vu précédemment, le législateur

canadien réprime plus sévèrement le complot que l'infraction de tentative puisqu'il est puni

comme l'infraction projetée, ce dont il découle que le législateur se méfie davantage du

conspirateur que de l'auteur d'une tentative.

Pourtant, la reconnaissance de la défense d'abandon concernant l'infraction de complot ne

nous semble pas impossible. Cependant, les conditions doivent s'adapter à la spécificité de cette

infraction. Pour qu'il y ait conspiration, l'inculpé doit avoir l'intention de s'entendre avec autrui et

de voir l'infraction convenue se réaliser.

Dès lors, la défense d'abandon exigerait la volonté d'abandonner le projet criminel

convenu et la communication non équivoque et en temps utile de cette volonté. La

communication en temps utile correspondrait à celle qui intervient avant la survenance de

l'infraction projetée. De plus, tout comme ce qui est exigé dans l'affaire Gauthier194

, il nous

semble que le conspirateur devrait tenter d'annuler les actes qu'il a posés dans le but de voir

l'infraction projetée se réaliser.

Ainsi, avec la reconnaissance de la défense d'abandon concernant l'infraction de complot,

les conspirateurs auraient tout intérêt à abandonner leur projet criminel, ce qui réduirait les

chances de voir l'infraction projetée se réaliser.

193 R. c. Pizzardi, [1994] 3 RCS 1018.

194 Gauthier, supra note 183 au para 50.

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69

Chapitre 2 : Les conséquences du rehaussement de l'élément psychologique

Le rehaussement de l'élément psychologique de l'infraction de tentative est donc un

phénomène commun au droit canadien et au droit français, puisque tous deux exigent un degré

d'intention spécifique. Il convient alors de voir quelles sont les conséquences de ce rehaussement

sur l'infraction de tentative, et notamment sur son champ d'application et sur sa répression.

En effet, bien que l'infraction de tentative soit, en droit canadien comme en droit français,

une infraction autonome, elle doit nécessairement se conjuguer à une seconde infraction.

Toutefois, l'infraction de tentative n'est pas destinée à se conjuguer à toutes les autres infractions.

Le rehaussement de l'élément psychologique de l'infraction de tentative aura nécessairement des

conséquences sur la détermination des infractions qu'elle concerne.

Le rehaussement de l'élément psychologique peut également avoir des conséquences sur

la répression de l'infraction de tentative. En effet, la répression dépend généralement de l'intensité

de la culpabilité morale de l'agent. Or, en rehaussant l'élément psychologique requis, l'infraction

de tentative se trouve confinée à des cas de culpabilité morale accrue. Il est donc intéressant de

voir quelles seront les conséquences de ce rehaussement sur la répression.

2.1. Le champ d'application de l'infraction de tentative

Il nous semble en effet indiscutable que le rehaussement de l'élément psychologique

influe sur le champ d'application légal de l'infraction de tentative. En effet, puisqu'il s'agit d'une

protection supplémentaire accordée à la valeur défendue par un texte incriminateur, le législateur

réserve la tentative à certaines infractions, considérées comme plus dangereuses.

En outre, le rehaussement de l'élément psychologique fait de l'intention criminelle la

priorité de la répression. Dès lors, l'existence d'un risque n'est plus la condition sine qua non de

l'intervention du droit pénal, lequel peut alors intervenir plus largement.

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70

Toutefois, cet élargissement du champ d'application de la tentative conserve certaines

limites, notamment celle du principe de la légalité criminelle.

2.1.1. Le champ d'application de l'infraction de tentative

Il conviendra de s'intéresser d'abord au champ d'application légal de la tentative, puis de

voir quelles sont les délimitations qui s'opèrent en pratique.

Au Canada, l'article 34 (2) de la Loi d'interprétation fédérale195

prévoit que les

dispositions du Code criminel s'appliquent à toutes les infractions créées par un texte législatif.

La tentative concerne donc toutes les infractions fédérales. Le domaine provincial, en revanche,

n'entre pas dans le champ d’application de l'article 24 du Code criminel196

. La mise en place d'un

texte de loi explicite sera alors nécessaire pour poursuivre la tentative.

Il semble donc que la tentative concerne principalement les infractions les plus graves.

Pierre Rainville explique le lien qui existe entre l'infraction de la tentative et la gravité des

infractions :

la répression de la tentative est de principe en matière criminelle; la tentative

échappe, au contraire, à la répression générale en matière réglementaire provinciale.

Autrement dit, l’incrimination de la tentative s'explique en partie par la gravité du

comportement projeté par l'accusé. Or, tenir compte de la gravité de l'infraction

projetée revient à tenir compte de la nature du risque de préjudice en cause197

.

Cette dernière remarque vaut tout autant pour le droit français ; la notion de risque de

préjudice est donc au centre de la théorie de la tentative. En effet, l'existence d'un risque justifie

l'existence de l'infraction de tentative, et l'intensité de ce risque de préjudice permet d'en définir

les limites répressives198

.

195 Loi d'interprétation fédérale, L.R.C. (1985), ch. I-21, art 34 (2).

196 Code criminel, supra note 11, art 24.

197 Rainville, « Gradation », supra note 62 à la p 913.

198 Ibid aux p 913-914.

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71

En France, l'article 121-4 2° du Code pénal199

prévoit que la tentative est toujours

punissable pour les crimes200

, mais l'est en matière de délits201

uniquement lorsque la loi le

prévoit202

. Comme en droit canadien, il existe donc une corrélation entre la gravité de l'infraction

et le champ d'application de l'infraction de tentative.

Jean Pradel relève à ce propos que « lorsque la loi ne prévoit pas la tentative de délit, c'est

que la chose serait soit inconcevable (par ex.homicide involontaire de l'art. 221-6, C.P.), soit

inutile (par ex., corruption de fonctionnaire, l'art. 432-11, C.P., visant la sollicitation de

dons) »203

. Soyer et Fréjaville, quant à eux, estiment qu' « [u]ne contravention n'est pas une

infraction assez grave pour qu'il y ait intérêt, au point de vue social, à en réprimer la simple

tentative »204

.

En revanche, le législateur français reste muet quant à la tentative de contravention.

Jacques-Henri Robert considère que « cette solution n'a pas d'inconvénients pratiques, car la

plupart des contraventions sont des infractions formelles qui constituent déjà, comme la tentative

elle-même, des ''ouvrages avancés de la répression'' »205

.

Afin de dresser une représentation fidèle du champ d'application de l'infraction de

tentative, nous ne pouvons nous contenter d'évoquer les délimitations légales. En effet, si le

législateur français n'a exclu aucune catégorie d'infractions du domaine de la tentative, certains

auteurs de doctrine, parfois même des juges, relèvent de nombreuses incompatibilités de fait.

Pour Michèle-Laure Rassat, par exemple, l'infraction de tentative ne peut concerner

qu'une infraction de commission puisque la tentative d'une infraction d'omission « se confond

avec l'infraction consommée qui l'absorbe en quelque sorte : celui qui hésite devant la nécessité

199 Art 121-4 2° C pén.

200 Les crimes sont les infractions les plus graves et se distinguent des autres infractions par leur peine encourue

qui est de plus de dix ans de réclusion criminelle.

201 Les délits sont les infractions de gravité intermédiaire, dont la peine encourue ne peut dépasser dix ans

d'emprisonnement.

202 Art 121-4 2° C pén.

203 Pradel, supra note 82 à la p 347.

204 Marcel Fréjaville et Jean-Claude Soyer, Manuel de droit criminel, 9e éd, Paris, LGDJ 1960 à la p 33.

205 Robert, supra note 47 à la p 215.

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72

de porter secours s'abstient et consomme l'infraction »206

. Cette restriction n'a pas lieu en droit

canadien puisque l'article 24 du Code criminel vise expressément l'action et l'omission207

.

De même, toujours selon Michèle-Laure Rassat, la tentative des infractions de résultat

n'est pas réprimée étant donné que « la peine de l'infraction consommée qui devrait servir de

critère pour fixer la sienne est indéterminable puisqu'elle est fonction d'un résultat qui ne s'étant

pas produit ne peut être connu »208

. Cette position nous semble excessive puisqu'il est possible,

pour la jurisprudence, d'analyser la teneur et la violence des coups portés par l'agresseur.

Selon Philippe Salvage, « les infractions formelles ne laissent [...] pas place aux

structures de la tentative »209

. Conte et Maistre du Chambon affirment le contraire : « [l]orsqu'un

texte permet de conclure à l'incrimination de la tentative, elle est donc réprimée, quel que soit le

type d'infraction auquel on a affaire. Peu importe notamment que l'infraction soit formelle, même

si la répression frappe alors, au fond, une tentative de tentative »210

. Yves Mayaud adopte une

conception intermédiaire : sans exclure totalement la tentative des infractions formelles et des

délits-obstacles, il reconnaît que « [p]lus la consommation légale est placée en retrait du résultat

redouté, plus la tentative se restreint donc, voire devient difficilement concevable, faute d'une

assise matérielle suffisante pour la rendre efficiente »211

. La répression de la tentative des

infractions formelles et des infractions-obstacles dépendra donc de l'infraction en cause.

Il en va de même en droit canadien. Comme nous l'avons vu, la Cour suprême a

notamment estimé que la tentative de complot n'existait pas en droit canadien puisque son

existence reviendrait à « condamner une personne pour avoir tenté une tentative... »212

.

Enfin, la chambre criminelle de la Cour de cassation a laissé entendre qu'en principe, la

tentative était exclue pour les délits non intentionnels : « le verbe 'tenter'' impliquant en lui-même

206 Michèle-Laure Rassat, Droit pénal général, 3e éd, Paris, Ellipses 2014 à la p 329 [Rassat].

207 Code criminel, supra note 11, art 24 (1).

208 Rassat, supra note 206 à la p 329.

209 Philippe Salvage, Droit pénal général, 5e éd, Saint-Martin-d'Hères (Isère), PUG, 2001 à la p 40.

210 Conte et Chambon, supra note 1 à la p 173.

211 Mayaud, supra note 76 à la p 309.

212 R. c. Déry, 2006 CSC 53 à la p 674.

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73

la volonté de commettre l'acte incriminé... »213

. Conte et Maistre du Chambon partagent ce point

de vue : « les infractions non intentionnelles sont par définition incompatibles avec la tentative,

qui suppose l'intention de consommer l'infraction... »214

.

En droit canadien, les infractions exigeant un degré d'intention moindre ne seront pas

exclues du champ d'application de la tentative, mais verront une revalorisation de leur élément

mental. Dans l'affaire Colburne, par exemple, la Cour d'appel du Québec a estimé que la tentative

de commettre une infraction de responsabilité absolue nécessitait que l'auteur ait voulu la

survenance des éléments constitutifs de l'infraction215

. Le champ d'application de l'infraction

de tentative est donc plus étendu en droit canadien puisque l'élément psychologique de

l'infraction projetée s'adapte à celui de la tentative.

Il convient désormais de voir quel est le sort réservé, en droit canadien et en droit français,

à l'infraction irréalisable ou impossible.

2.1.2. Le cas de l'infraction irréalisable ou impossible

Le rehaussement de l'élément psychologique de l'infraction de tentative permet également

d'assimiler à cette dernière l'infraction irréalisable ou impossible. En effet, si ce rehaussement a

pour objectif de compenser la diminution de l'actus reus de l'infraction de tentative, il permet

également de pallier l'absence quasi totale d'élément matériel.

Nous avons vu que l'élément matériel de la tentative se trouvait diminué en ce qu'il ne

comprenait qu'un comportement, mais sans conséquence matérielle, et donc sans aucun lien de

causalité. L'élément matériel de l'infraction impossible se trouve encore plus diminué puisque s'il

comprend également un comportement, ce dernier n'était susceptible d'entraîner aucune

conséquence matérielle. C'est donc l'impossibilité totale de causer le préjudice requis qui éloigne

davantage l'infraction impossible de l'infraction consommée.

213 Cass crim, 22 juin 1988, Bull crim, n° 284 à la p 760.

214 Philippe Conte et Patrick Maistre du Chambon, Droit pénal général, 7e éd, Dalloz, Paris, 2004 à la p 115

[Conte et Maistre du Chambon].

215 Colburne, supra note 144, au para 63.

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74

En effet, l'infraction impossible correspond à l'hypothèse dans laquelle le résultat de

l'infraction était « insusceptible de se produire par suite d'une impossibilité matérielle ignorée de

l'agent, quelle que soit la diligence de celui-ci »216

. L'infraction impossible peut donc comporter

un certain élément matériel, mais ce dernier sera encore moins complet que celui de la tentative

puisqu'une condition indispensable à la consommation de l'infraction fera défaut.

Par exemple, le fait de tirer un coup de feu sur un cadavre -tout en croyant qu'il s'agit

d'une personne vivante- constituera une infraction impossible. L'acte matériel, à savoir le coup de

feu, sera bien présent, mais l'existence d'une personne vivante fera défaut. Pourtant, cette

infraction impossible sera assimilée à une tentative de meurtre si l'intention correspondante

existe.

En revanche, il convient de préciser que cette impossibilité doit être ignorée de l'auteur de

l'infraction impossible. En effet, comment estimer que ce dernier avait la ferme intention de

commettre une infraction en posant des gestes qu'il savait impropres à la réaliser ?

Certains auteurs ont développé la thèse de l'impunité absolue, en expliquant qu'il ne

pouvait y avoir de commencement d'exécution d'une infraction impossible. Selon eux,

l'impossible ne pouvant être réalisé, il ne peut donc davantage être commencé217

. A l'inverse,

d'autres auteurs ont défendu la thèse de la répression, arguant que l'auteur de l'infraction

impossible présentait un état dangereux équivalant à celui de l'auteur d'une tentative, puisque

« s'il n'avait été stoppé par des circonstances extérieures à sa volonté, il aurait causé un

dommage à l'ordre public »218

.

C'est cette seconde solution qui fut retenue par le droit canadien et le droit français219

. En

effet, l'impossibilité de commettre l'infraction ne constitue pas, en droit français comme en droit

canadien, un obstacle à la poursuite d'une infraction puisque la poursuite « n'est jamais tenue de

216 Pradel, supra note 82 à la p 355.

217 Garraud, supra note 173 à la p 171.

218 Marie-Christine Sordino, Droit pénal général, 2e éd, Paris, Ellipses, 2005 à la p 95 à la n 1.

219 Cass crim, 9 novembre 1928, Époux Fleury, DP 1929 1 97 note Henry ; JCP 1929 239, note Garraud.

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75

prouver la faisabilité du dessein criminel du prévenu »220

.

L'infraction impossible est alors répréhensible au titre de la tentative dès lors que le stade

du commencement d'exécution a été franchi, et ce, quelle que soit la cause de l'impossibilité. La

Cour suprême estime notamment que « le par. 24(1) n'établit aucune distinction entre la tentative

d'infraction possible à l'aide de moyens inefficaces, la tentative d'infraction impossible

matériellement et la tentative d'infraction impossible « à l'issue de l'exécution ». Ce sont toutes

des tentatives d'infractions « impossibles en fait » et toutes sont des crimes »221

.

Cette absence de distinction entre les causes d'impossibilité de réalisation de l'infraction

nous paraît tout à fait opportune. En effet, ces trois hypothèses supposent la même culpabilité

morale de la part de l'agent, et la même absence de risque pour le corps social, puisque dans les

circonstances, l'infraction ne pouvait se réaliser.

Il s'agit donc d'une forme de répression pénale « en l'absence de tout risque de

préjudice »222

. La culpabilité morale de l'auteur de l'infraction impossible permet alors de

compenser cette absence de risque. Cette solution est expressément prévue à l'article 24 du Code

criminel (« qu'il fût possible ou non, dans les circonstances »)223

. En droit français, elle découle

de plusieurs arrêts de la chambre criminelle de la Cour de cassation224

.

Le bien-fondé de cette solution nous semble évident. Elle s'inscrit dans la suite logique de

la théorie de la tentative, qui n'exige pas d'attendre que le mal soit fait pour intervenir. La

culpabilité morale de l'agent ne faisant aucun doute, il convient de le punir pour sa tentative.

Toutefois, il ne faudrait pas se fourvoyer sur les raisons de la répression de l'infraction

impossible. L'assimilation de cette infraction à la tentative est justifiée par la culpabilité morale

de l'agent et non par la possibilité qu'il retente un jour sa chance dans des conditions plus

favorables. En effet, cette seconde justification ne peut valoir puisqu'elle reviendrait à poursuivre

une personne pour des actes qu'elle n'a pas encore commis.

220 Rainville, « Gradation », supra note 62 à la p 955.

221 États-Unis d'Amérique c. Dynar, [1997] 2 RCS 462, au para 67 [Dynar].

222 Rainville, « Gradation », supra note 62 à la p 957.

223 Code criminel, supra note 11, art 24 (1).

224 Voir par ex Cass crim, 16 janvier 1986, Perdereau, Bull crim n° 234.

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76

Si le droit canadien et le droit français ont fait le choix d'assimiler à l'infraction de

tentative l'infraction impossible, il convient de voir quel sort ils ont réservé à l'infraction

imaginaire.

2.1.3. Le cas de l'infraction inexistante ou imaginaire

L'infraction inexistante ou imaginaire correspond à l'hypothèse de l'agent qui adopte un

comportement, qu'il croit illégal, et qui n'est pourtant nullement incriminé par la loi. On parle

alors d'infraction inexistante ou imaginaire puisqu'il ne s'agit d'une infraction que dans l'esprit de

son auteur, peu importe que ce dernier croie ou souhaite enfreindre la loi. Or, en réalité, aucune

règle de droit n'est transgressée.

Ainsi, l'infraction inexistante ou imaginaire se distingue de la tentative parce qu'elles ne

sont pas composées des mêmes éléments. En effet, la tentative comporte un élément légal, un

élément psychologique mais pas d'élément matériel, ou un élément matériel incomplet.

L'infraction imaginaire, en revanche, ne correspond à aucun texte de loi, et ne possède donc

aucun élément légal.

L'infraction inexistante, ou imaginaire, n'est poursuivie ni par le droit canadien ni par le

droit français. En effet, le principe de légalité, reconnu à la fois en droit canadien225

et en droit

français226

, s'y oppose catégoriquement.

Poursuivre les infractions inexistantes ou imaginaires reviendrait également à nier la

raison même du droit pénal. Ce dernier ne doit intervenir qu'en présence d'un mal, afin de

protéger une valeur que la société souhaite sauvegarder. Or, si aucune infraction n'est créée, alors

c'est que la société, par la voix du législateur, n'a souhaité protéger aucune valeur particulière.

L'incrimination de l'infraction inexistante n'aurait donc aucun sens puisque l'agent n'a porté

atteinte à aucune valeur protégée.

En effet, la Cour suprême a considéré que « celui qui accomplit effectivement un acte qui

225 Code criminel, supra note 11, art 6 ; Code criminel, supra note 11, art 9.

226 Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, 26 août 1789, art 8.

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77

n'est pas un crime, croyant que ce qu'il a fait ou tenté est un crime, ne montre aucune propension

à la perpétration de crimes, sauf que sa conduite trahit peut-être une vague volonté d'enfreindre

la loi »227

. Or, la simple volonté d'enfreindre la loi ne suffit pas pour justifier l'intervention du

droit pénal.

Il convient désormais de distinguer l'infraction imaginaire d'un autre type d'infraction, à

savoir l'infraction putative. Selon Dreyer, « [l]'infraction putative est une infraction que l'agent

croit avoir commise mais qui ne tombe objectivement sous le coup d'aucune loi pénale : il croit

avoir commis une infraction mais celle-ci n'est pas constituée »228

.

L'infraction putative se distingue donc de l'infraction imaginaire en ce qu'elle comporte un

élément légal. En effet, il existe un texte de loi qui réprime l'infraction que l'agent a cru

commettre, mais en raison de circonstances indépendantes de sa volonté, l'agent n'a pas

réellement commis ladite infraction. Dreyer utilise un exemple probant : la personne qui se marie

une seconde fois en pensant commettre le délit de bigamie229

n'aura commis aucune infraction si

son premier mariage a été dissous par le décès de son époux, survenu à son insu230

.

Il nous semble qu'en de telles circonstances, l'infraction est commise. En effet, si

l'infraction de tentative pallie l'absence de la survenance d'un résultat -la mort d'une personne par

exemple-, elle peut pallier l'absence d'une circonstance de l'infraction. Dans cette hypothèse, le

principe de légalité ne s'oppose plus à une intervention du droit pénal. De plus, il ne s'agit plus,

en l'espèce, d'une vague volonté d'enfreindre la loi mais bien du mépris d'une règle protégée.

En effet, certains cas dénotent une culpabilité morale élevée. Par exemple, A a un rapport

sexuel avec B, tout en étant convaincu que ce dernier n'est pas consentant. A pense donc

commettre un viol, et fait preuve d'un mépris certain à l'égard de la liberté sexuelle de B. Or, il se

trouve que B était consentant lors de leur rapport. La question est de savoir si la culpabilité

morale élevée de A est suffisante pour justifier une condamnation pénale.

227 Dynar, supra note 221 au para 66.

228 Dreyer, supra note 4 à la p 672.

229 Art 433-20 C pén.

230 Dreyer, supra note 4 à la p 672.

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78

Il nous semble que oui puisqu'il ne s'agit plus de réprimer, comme dans le cas de

l'infraction imaginaire, une atteinte qu'aucune infraction ne vient anticiper, mais plutôt la volonté

de l'agent quant à la possibilité qu'il avait d'enfreindre la loi pénale.

2.2. La répression de l'infraction de tentative

Il convient désormais de s'intéresser aux répercussions du rehaussement de l'élément

psychologique de l'infraction de tentative sur sa répression. Nous verrons donc dans un premier

temps de quelle manière le Canada et la France répriment cette infraction.

Dans un second temps, il conviendra de déduire de leur choix répressif respectif la

conception de l'infraction à laquelle chacun de ces systèmes adhère.

2.2.1. Une différence de répression

L'article 463 du Code criminel fait dépendre la peine ainsi que la procédure applicable

pour l'infraction de tentative de celle de l'infraction projetée231

. L'auteur d'une tentative d'un acte

criminel punissable de l'emprisonnement à perpétuité encourt un emprisonnement maximal de

quatorze ans et l'auteur d'une tentative d'un acte criminel punissable d'un emprisonnement de

quatorze ans ou moins encourt un emprisonnement égal à la moitié de la durée de

l'emprisonnement maximal prévue pour l'infraction projetée.

En France, la peine de l'infraction de tentative est également liée à celle de l'infraction

projetée. Conte et Maistre du Chambon expliquent que « l'auteur d'une tentative encourt la même

peine que l'auteur de l'infraction consommée. Résultant implicitement de l'article 121-4, la

solution est expressément affirmée par les textes qui incriminent spécialement la tentative de tel

ou tel délit »232

.

Malgré cette sévérité prévue par les textes, les juges français demeurent libres d'adapter la

231 Code criminel, supra note 11, art 463.

232 Conte et Maistre du Chambon, supra note 214 à la p 182.

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peine et plusieurs auteurs relèvent que celui qui commet une tentative se verra généralement puni

moins sévèrement que s'il avait commis l'infraction projetée.

Ainsi, alors que le législateur canadien réserve en principe une peine moins sévère à

l'auteur d'une tentative, le législateur français le sanctionne comme s'il avait perpétré l'infraction.

Cette différence de traitement est révélatrice d'une conception différente de l'infraction dans les

deux systèmes.

2.2.2. Une différence de conception

Selon Conte et Maistre du Chambon, la tentative est « l'occasion privilégiée d'un conflit

entre les conceptions objective et subjective de l'infraction »233

. C'est pourquoi nous ne pouvions

clore notre analyse de droit comparé sans nous interroger sur la conception de l'infraction retenue

dans chacun des deux systèmes que nous venons d'étudier.

La conception objective se résume dans la formule de Beccaria selon laquelle « la vraie

mesure des crimes est le tort qu'ils font à la nation, non l'intention du coupable... »234

. Dès lors,

en l'absence de préjudice, le droit pénal n'a pas, ou moins de raison d'intervenir.

En droit canadien, on retrouve une certaine influence de cette conception, notamment

dans le choix législatif d'appliquer une peine moindre à l'auteur de la tentative. Bien que la prise

en compte de la culpabilité morale de l'agent reste primordiale, cette clémence à l'égard de celui

qui n'achève pas son dessein criminel prouve l'importance accordée par le droit canadien à la

survenance du dommage, du préjudice.

A l'inverse, la conception subjective de l'infraction est celle qui met l'accent sur l’élément

psychologique de l'infraction. Elle commande donc de punir une intention, même si cette dernière

n'est pas rattachée à un acte matériel.

Le choix du législateur français démontre donc sa préférence pour la conception

233 Ibid à la p 172.

234 Cesare Beccaria, Des délits et des peines, 1764.

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80

subjective de l'infraction. En effet, Jean Larguier explique que l'article 121-4 du Code pénal235

« traduit la tendance de la loi à tenir compte de la puissance de nuire plus que de l'acte

matériel », ce qui a, selon lui, « l'avantage de mettre en relief l'aspect subjectif de l'infraction : à

intention égale répression égale »236

.

235 Art 121-4 C pén.

236 Larguier, supra note 42 à la p 26.

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81

Conclusion

Ainsi donc, le Canada et la France utilisent la même technique pour instaurer une

répression prophylactique. En effet, c'est en jouant avec les éléments psychologique et matériel

de l'infraction de tentative qu'ils parviennent à mettre en place une répression anticipée tout en

s'assurant de la culpabilité morale de l'agent.

La diminution de l'actus reus permet d'appréhender des comportements qui se trouvent en

amont de l'atteinte effective de la valeur. Cette diminution concerne tout d'abord le nombre de

composantes de l'élément matériel puisque celui de la tentative ne comprend qu'un

comportement, mais pas de résultat ni de lien de causalité. La diminution concerne ensuite la

nature même du comportement exigé, puisqu'il ne s'agit pas d'un acte accompli mais seulement

d'un commencement d'exécution.

Au Canada et en France, la notion de commencement d'exécution repose sur les trois

mêmes critères jurisprudentiels que sont la proximité temporelle, la proximité géographique et la

proximité causale. Ils permettent de confiner l'intervention du droit pénal à des actes assez

proches de l'infraction projetée, et de laisser impunis les actes préparatoires.

En revanche, si les exigences de proximité géographique, et de proximité causale sont

appliquées de la même manière dans les deux systèmes juridiques, il semble que le Canada

applique de manière plus stricte le critère de la proximité temporelle. Cette plus grande rigueur

dans l'application du critère de la proximité temporelle a pour but de réduire au maximum les

chances que l'auteur de la tentative se ravise.

Cette rigueur n'est pas celle des tribunaux français, lesquels peuvent compter sur

l'exigence de l'absence de désistement volontaire de l'article 121-5 du Code pénal pour s’assurer

de la détermination de l'agent. Le Canada et la France poursuivent donc un seul et même but de

deux manières différentes.

Quant aux autres critères, on constate que les juges canadiens comme français éprouvent

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82

quelques difficultés à se contenter des critères énoncés par la jurisprudence et s'intéressent parfois

à la personnalité ou au passé pénal de l'auteur de la tentative.

Nous avons également pu constater qu'au Canada comme en France, la réduction de

l'élément matériel de l'infraction de tentative avait ses limites. En effet, aucun de ces deux

systèmes ne juge souhaitable d'incriminer une simple intention, une simple volonté criminelle.

Pour éviter cela, l'infraction de tentative ne peut se conjuguer, selon nous, avec certaines

infractions telles que l'association de malfaiteurs237

ou le complot238

. Le Canada et la France, bien

qu'ils aient tous deux admis la nécessité de mettre en place une anticipation dans la répression,

savent donc poser des limites à cette répression.

Ces limites qui permettent de préserver les justiciables d'une condamnation arbitraire

découlent en partie du rehaussement de l'élément moral de la tentative. En effet, le Canada

comme la France exigent pour l'infraction de tentative un degré de mens rea plus élevé. Dans les

deux cas, ce rehaussement a pour effet de compenser la diminution de l'actus reus. En effet, ni

l'un ni l'autre ne se contente de l'insouciance, et cette exigence d'une intention spécifique imposée

dans les deux systèmes a des répercussions similaires concernant les moyens de défense, mais

également sur le champ d'application de l'infraction de tentative.

C'est en effet ce rehaussement qui permet, au Canada comme en France, d'assimiler

l'infraction impossible à la tentative. Or, le rehaussement de l'élément moral ne permet pas

d'appréhender l'infraction imaginaire puisque la culpabilité morale d'un agent, aussi élevée soit-

elle, ne permet jamais de neutraliser le principe de la légalité.

Toutefois, si le rehaussement psychologique est imposé dans les deux cas, la France se

montre plus exigeante puisque le sort réservé au désistement volontaire par le Code pénal revient

à exiger une intention irrévocable. Cette différence de degré de l'intention criminelle explique la

différence de répression appliquée dans les deux États.

En effet, l'exigence d'une intention irrévocable ne permet plus de distinguer la culpabilité

237 Art 450-1 C pén.

238 Code criminel, supra note 11, art 465.

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morale de l'auteur de la tentative de celle de l'auteur de l'infraction consommée. Dès lors, la

France étant particulièrement marquée par la conception subjective de l'infraction, il lui est

difficile de ne pas les punir de la même manière.

Malgré ces quelques différences au sein de l'infraction de tentative, force est de constater

que le Canada et la France, bien que leurs systèmes juridiques respectifs ne se soient pas construit

à partir des mêmes traditions juridiques, usent d'un même procédé pour assurer une répression

prophylactique, sans compromettre l'exigence d'un degré suffisant de culpabilité morale.

Ces deux systèmes juridiques ont donc su parvenir, concernant l'infraction de tentative, à

un juste équilibre entre la nécessaire anticipation de la répression et l'exigence de culpabilité

morale. Il ne reste plus qu'à espérer que ce fragile équilibre perdurera, et ce malgré la tendance

actuelle du droit pénal à s'approcher au maximum du degré de risque « zéro ».

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Index alphabétique

Actes préparatoires …........................................................ Pages 4, 5, 26, 28, 36, 38, 62

Actus reus …..................................... Pages 14, 16, 18, 19, 22, 25, 33, 37, 39, 40, 43, 70

Association de malfaiteurs …............................................................ Pages 5, 36, 37, 38

Commencement d'exécution …................ Pages 7, 17, 18, 20, 25, 26, 27, 28, 40, 63, 71

Complot …............................................................................. Pages 4, 36, 37, 38, 64, 65

Conception objective de l'infraction …............................................................... Page 76

Conception subjective de l'infraction ….................................................... Pages 5, 9, 76

Désistement volontaire …........................................ Pages 24, 25, 54, 55, 56, 57, 59, 63

Dol éventuel …............................................................................................ Pages 46, 52

Dol indéterminé …....................................................................................... Pages 47, 48

Dol spécial …......................................................................................... Pages 49, 50, 57

Élément matériel ….................................................................................. Voir Actus reus

Élément psychologique …......................................................................... Voir Mens rea

Infraction impossible …..................................................................... Pages 9, 70, 71, 72

Incitation infructueuse …............................................................................. Pages 31, 32

Infraction inchoative …................................................................................ Pages 30, 31

Infraction irréalisable …......................................................... Voir Infraction impossible

Infraction manquée …...................................................................... Pages 40, 41, 42, 62

Insouciance ….................................................................................. Pages 46, 47, 48, 50

Intention spécifique …..................................................................... Pages 49, 50, 51, 57

Mandat criminel …........................................................................................ Pages 5, 32

Mens rea ….................... Pages 14, 42, 43, 46, 47, 48, 49, 50, 52, 53, 57, 58, 66, 73, 76

Repentir actif …........................................................................................... Pages 25, 55

Violences volontaires …............................................................. Pages 34, 35, 36, 45, 53

Voies de fait …............................................................................................. Pages 33, 34

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Bibliographie

CANADA

LEGISLATION

Code criminel, LRC 1985, c C-46.

Loi constitutionnelle de 1982, constituant l'annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-

U), 1982, c 11.

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JURISPRUDENCE

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R. c. Hearn, [1989] 2 RCS 1180.

R. c. Logan, [1990] 2 RCS 731.

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R. c. Williams, [2003] 2 RCS 134.

Cour d'appel de l'Alberta

R. c. Dennis, 1998 CarswellAlta 78, 1998 ABCA 27, [1998] A.J. No. 114, 37 W.C.B. (2d)

210.

Cour suprême de la Colombie Britannique

R. c. Dubas, 1992 CarswellBC 2755, [1992] B.C.J. No. 2935, 21 W.C.B. (2d) 286.

R. c. Kerster, 2001 CarswellBC 268, 2001 BCSC 230, [2001] B.C.W.L.D. 395, 49 W.C.B.

(2d) 98.

R. c. Rema, 1998 CarswellBC 1651, 39 W.C.B. (2d) 123.

R. c. Rump, 1929 CarswellBC 16, [1929] 1 W.W.R. 649, [1929] 2 D.L.R. 824, 41 B.C.R.

36, 51 C.C.C. 236.

Cour d'appel de la Colombie-Britannique

R. c. Goldberg, 2014 CarswellBC 2304, 2014 BCCA 313, [2014] B.C.W.L.D. 5630,

[2014] B.C.J. No. 2014, 116 W.C.B. (2d) 66, 13 C.R. (7th) 368, 316 C.C.C. (3d) 367, 359

B.C.A.C. 209, 615 W.A.C. 209.

R. c. Mathe, 1973 CarswellBC 103, [1973] 4 W.W.R. 483, 11 C.C.C. (2d) 427.

R. c. Roberts, 1981 CarswellBC 1138, [1981] B.C.J. No. 1185, 6 W.C.B. 454.

R. c. Whitehouse (Salvage), 1940 CarswellBC 87, [1940] B.C.J. No. 46, [1941] 1 W.W.R.

112, [1941] 1 D.L.R. 683, 55 B.C.R. 420, 75 C.C.C. 65.

Cour du Manitoba

R. c. McNabb, 2011 CarswellMan 232, 2011 MBQB 116, [2011] M.J. No. 161, 94 W.C.B.

(2d) 589.

Cour d'appel de la Nouvelle Ecosse

R. c. Boudreau, 2005 CarswellNS 81, 2005 NSCA 40, [2005] N.S.J. No. 78, 193 C.C.C.

(3d) 449, 231 N.S.R. (2d) 81, 28 C.R. (6th) 281, 64 W.C.B. (2d) 146, 733 A.P.R. 81.

R. c. MacDonald, 2013 CarswellNS 229, 2013 NSCA 45, [2013] N.S.J. No. 179, 106

W.C.B. (2d) 564.

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Cour d'appel de l'Ontario

R. c. Cline, 1956 CarswellOnt 16, [1956] O.R. 539, [1956] O.J. No. 454, 115 C.C.C. 18,

24 C.R. 58, 4 D.L.R. (2d) 480.

R. c. Dungey, 1979 CarswellOnt 1412, 51 C.C.C. (2d) 86.

R. c. Janeteas, 2003 CarswellOnt 284, [2003] O.J. No. 348, 11 C.R. (6th) 330, 167

O.A.C. 370, 172 C.C.C. (3d) 97, 56 W.C.B. (2d) 460.

R. c. May, 1984 CarswellOnt 1158, [1984] O.J. No. 113, 12 W.C.B. 371, 13 C.C.C. (3d)

257, 4 O.A.C. 383.

R. c. Root, 2008 CarswellOnt 7817, 2008 ONCA 869, [2008] O.J. No. 5214, 241 C.C.C.

(3d) 125, 244 O.A.C. 41, 62 C.R. (6th) 247, 81 W.C.B. (2d) 650.

R. c. Sorrell, 1978 CarswellOnt 1205, [1978] O.J. No. 714, 41 C.C.C. (2d) 9.

R. c. Tejani, 1999 CarswellOnt 2707, [1999] O.J. No. 3182, 123 O.A.C. 329, 138 C.C.C.

(3d) 366, 27 C.R. (5th) 351, 43 W.C.B. (2d) 285.

Cour supérieure de l'Ontario

R. c. Vant, 2010 CarswellOnt 4073, 2010 ONSC 2474, [2010] O.J. No. 2623.

R. c. W (S.), 2014 CarswellOnt 1421, 2014 ONSC 344, 111 W.C.B. (2d) 802.

Cour d'appel du Québec

Oliver c. R., 1995 CarswellQue 774, 30 W.C.B. (2d) 367, J.E. 95-2088, EYB 1995-55729.

R. c. Colburne, 1991 CarswellQue 1028, [1991] R.J.Q. 1199, 13 W.C.B. (2d) 407, 66

C.C.C. (3d) 235.

R. c. Rudnicki, 2004 CarswellQue 12485, 2004 CarswellQue 3020, 193 C.C.C. (3d) 74,

63 W.C.B. (2d) 386, J.E. 2004-2219, REJB 2004-79976.

Cour du Québec

Québec (Directeur des poursuites criminelles et pénales) c. Oussama, 2014 CarswellQue

14670, 2014 QCCQ 20901, EYB 2014-259784.

R. c. Girard, 2013 CarswellQue 6609, 2013 QCCQ 6423, EYB 2013-223977.

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FRANCE

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JURISPRUDENCE

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Cass crim, 3 janvier 1913, Dalloz 1914, I, p 41.

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Cass crim, 2 février 1961, Bull crim n°171.

Cass crim, 16 mars 1961, Bull crim n°172.

Cass crim 25 octobre 1962, Lacour, (1962) Bull crim n°292.

Cass crim 25 octobre 1962, Benamar et Schieb, (1962) Bull crim n°293.

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Cass crim, 8 novembre 1972, Ruiz et autres, Bull crim n° 331.

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Cass crim, 3 mai 1974, Ramel, Bull crim n°157.

Cass Crim, 23 mars 1978, Bull crim n°116, D 1979 319

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Cass crim, 22 juin 1988, Bull crim, n°284.

Cass crim, 16 janvier 1989, Bull crim n°25, Perdereau.

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