Linguistique Missionnaire Missionary Linguistics

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    COMPTES RENDUS

    Linguistique missionnaire / Missionary Linguistics, compte rendu de

    1. Zwartjes, Otto & Hovdhaugen, Even, eds., Missionary Linguistics / Lingstica misionera. Selected papers from the First International Conference on Missionary Linguistics, Oslo, 13-16 March 2003, Amsterdam, Philadelphia, John Benjamins, 2004, Vol. 106, coll. Studies in the History of the Language Sciences, vi + 288 p., ISBN 90-272-45975.2. Zwartjes, Otto & Altman, Cristina, eds., Missionary Linguistics II / Lingstica misionera II. rtograpy an onologyrtograpy an onology. Selected papers from the Second International Conference on Missionary Linguistics, So Paulo, 10-13 March 2004, Amsterdam, Philadelphia, John Benjamins, 2005, Vol. 109, coll. Studies in the History of the Language Sciences, vi + 292 p., ISBN 90-272-46009.3. Zwartjes, Otto, Gregory James & Emilio Ridruejo, eds., Missionary Linguistics III / Lingstica misionera III. Morpology an Syntax. Selected papers from the Third and Forth International Conferences on Missionary Linguistics, Hong Kong/Macau, 12-15 March 2005, Valladolid, 8-11 March 2006, Amsterdam, Philadelphia, John Benjamins, 2007, Vol. 111, coll. Studies in the History of the Language Sciences, vi + 357 p., ISBN 978-90-272-46028.

    Ces trois volumes sont issus dun projet initial, le slo roject Missionary Linguistics

    (OsProMil), financ par le Norwegian Research Council (Norges Forskningsrd), qui a vu le jour en 2002 et qui avait pour but la promotion de la recherche sur les premires descriptions modernes de langues non indo-europennes dans les anciennes colonies espagnoles et portugaises. Cinq confrences internationales y ont t consacres de 2003 2006. La premire avait pour objectif doffrir une vue densemble de ltat de la question et den retracer les contours laide dune double approche, en apparence contraste : dun ct restriction de la recherche par rapport au temps envisag, limit la priode 1492-1850, de lautre absence de restriction concernant lespace, lobjectif tant de globaliser la discipline par un dpassement des frontires nationales et linguistiques afin douvrir de nouvelles perspectives la recherche.

    Cest le contenu de lensemble de ces confrences qui constitue la matire de ces trois volumes sus-indiqus : le volume 1 se rattache la premire confrence dont la thmatique tait assez gnrale, le volume 2 correspond la deuxime confrence, axe davantage sur lorthographe et la phonologie, tandis que le volume 3 est issu du contenu des trois dernires confrences, consacres respectivement la morphologie, la syntaxe et la lexicographie.

    Lide centrale des trois volumes est dvoquer, sous ses diffrentes facettes, le travail linguistique pionnier accompli par les missionnaires lpoque de lentreprise coloniale europenne qui va de 1550 1850. Elle sappuie sur le fait historique que ltude des langues autochtones non indo-europennes sest dveloppe paral-llement la dcouverte du Nouveau Monde et a constamment accompagn lexpansion europenne, la colonisation et

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    la christianisation. Il convient cependant de noter que les activits linguistiques, bien que partie intgrante de la mission chrtienne, ne lui sont pas exclusives puisque dans dautres religions aussi, le bouddhisme en particulier, lactivit missionnaire sest appuye sur des activits linguistiques. Toutefois, dun point de vue linguistique, limportance de tels travaux na pas cess dtre problmatique du fait mme que ces premires descriptions de langues, gnralement vise didactique, ont adopt le modle grammatical grco-latin en dpit de la diffrence typologique des langues indignes considres. De l un manque chronique de considration leur gard. Dans ces deux dernires dcennies, cependant, on constate lamorce dun changement dattitude lgard de certains de ces travaux, la suite dune rvaluation opre la fois par des linguistes et des historiens de la linguistique. Il est apparu, en effet, que nombre de ces descriptions ont su en ralit innover partir de la singularit des langues tudies, dpassant ainsi, en ladaptant parfois, le modle grammatical grco-latin initial. Do la formulation du souhait de voir appliqu dsormais ces travaux un traitement analogue celui rserv aux textes classiques.

    Ces trois volumes regroupent un total de 40 contributions, rdiges soit en anglais, soit en espagnol. Leur coditeur commun est Otto Zwartjes (universits dOslo et Amsterdam), second, selon les volumes, par des coditeurs diffrents. Dans chaque volume, les contributions sont rparties gographiquement, par continents, et suivies dun double index, lun rserv aux noms de personne, lautre aux termes grammaticaux et linguistiques. Il nest videmment pas possible dvoquer ici, mme sommairement, et encore moins de commenter sa juste valeur, le contenu de chacune des contributions rassembles. Ceci est dautant plus regrettable que certaines contributions se dtachent autant par leur intrt historique que par loriginalit de leur approche. Pour nen citer que quelques-unes, et en mexcusant dun choix trop restreint, que je limite au volume 3, les contributions de Pierre Swiggers ( Bones and ribs

    : The treatment of morphosyntax in John Eliots grammar of the Massachusett language (1666)), Georg Bossong (The influence of missionary descriptions of far eastern languages on western linguistic thought: The case of Cristoforo Borri, S.J. and Tommaso Campanella), Otto Zwartjes (Agreement asymmetry in Arabic according to Spanish missionary grammarians from Damascus (18th century) et Pierre Winkler (The birth of functional grammar in the Austronesian school of missionary linguistics).

    Chaque volume se caractrise par une spcificit propre, mais les volumes 2 et 3, base thmatique dfinie, prsentent davantage dhomognit dans leur contenu respectif par rapport au volume 1. Celui-ci est dot dune premire partie vise pistmologique : Part I. Metaistoriograpy, metoology an general subjects , avec deux contributions. La premire est celle de Klaus Zimmermann (p. 7-32) qui envisage lhistoriographie de la linguistique missionnaire comme une vritable discipline, la fois nouvelle et mergeante, avec ses propres domaines et subdivisions. Il revendique ce statut disciplinaire par opposition aux affirmations inverses soutenues par Wulf Oesterreicher & Roland Schmidt-Riese (1999, p. 62-100). En reprenant point par point leur argumentaire, il dmontre comment leur lecture du texte de Sylvain Auroux (1989, p. 13-14) propos de la notion de linguistique , et qui leur sert de rfrence, est en ralit incorrecte et rductrice. Il expose alors, en guise de rponse et dans une perspective constructiviste, sa propre vision de lhistoriographie de la linguistique missionnaire quil envisage comme une sous-discipline de lhisto-riographie de la linguistique et dont il explicite, titre dessai, les contours, les subdivisions et les tches.

    La seconde contribution est de Nicholas Ostler (p. 33-46). Il considre dabord le fait que les trois plus grandes religions Bouddhisme, Christianisme et Islam se sont historiquement tendues des croyants aux langues et cultures fort loignes de celles dorigine. Avec une diffrence toutefois : le Bouddhisme et le Christianisme

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    ont produit plusieurs traductions de leurs critures en langue trangre. Cependant, seul le Christianisme a senti le besoin de pousser trs loin lanalyse de la langue trangre au point de produire un grand nombre de grammaires et de dictionnaires, bien qu partir seulement de son installation au Mexique (1520). Lauteur sinterroge alors sur les raisons dune telle diffrence et dune telle entreprise. Aprs un parcours historique du type dexpansion spcifique ces trois religions, il parvient la conclusion que le Christianisme du 16e s., dans le dsir dacclrer la conversion des Indiens, a mis en place une politique linguistique issue de la convergence de deux facteurs : dun ct la ncessit de garantir lactivit missionnaire et pour chaque gnration de missionnaires un bilinguisme de qualit et rapide, de lautre lopportunit dtendre sur une vaste chelle la diffusion des textes didactiques des langues (grammaires et dictionnaires), grce la typographie, rcemment invente par Gutenberg. La mise en place de cette politique sest accompagne de lurgence de lanalyse linguistique de langues nouvelles et nombreuses comme support pdagogique, ce qui a conduit largir au Mexique le processus de grammatisation (Sylvain Auroux 1994) dj en acte et frachement mis en place pour les vernaculaires europens de lpoque.

    La troisime contribution est celle de E. F. K. Koerner (p. 47-80) sur la linguistique missionnaire dans lAmrique au nord du Mexique. nos yeux, elle revt une valeur introductive et mthodologique indniable en raison de sa prsentation particulirement documente, dabord de la tradition franaise, surtout du rle des jsuites, ensuite de la tradition anglaise, sur la base de lordre chronologique de leur prsence respective. Toutefois, cette contribution a t classe avec les dix autres qui constituent le restant du volume sur la base de lordre gographique des continents :

    II. North America (north of Mexico) / Amrica del norte : Notes on Missionary Linguistics in North America (E. F. K. Koerner : p. 47-80)III. Latin America/ Amrica latina : Los misioneros espaoles y el estudio de las

    lenguas mayas (Hans-Josef Niederehe : p. 81-91) ; Las perfrasis verbales en la Gramtica quechua de Diego Gonzlez Holgun (1607) (Julio Calvo Prez : p. 93-111).IV. Africa/ frica : Colonization and Linguistic Representation: British Methodist Grammarians Approaches to Xhosa (1834-1850) (Rachael Gilmour : p. 113-140). V. Asia, subdivise en: 5.1 Japan : Linguistic Studies by Portuguese Jesuits in Sixteenth and Seventeenth Century Japan (Toru Maruyama : p. 141-160) ; La categora de los adverbios pronominales en el Arte e la lengua japona (1738) de Melchor Oyanguren de Santa Ins (Eun Mi Bae : p. 161-177) ; 5.2 The Philippines/ Las Filipinas : La primitiva tradicin gramatical sobre el pampango (Emilio Ridruejo : p. 179-200) ; Notas de lexicografa hispano-filipina: El Bocabulario e lengua bisaya, iligueyna y araya e la isla e anay y Sugbu y para las emas islas, de fray Alonso Mntrida, OSA (ca. 1637) (Joaqun Garca-Medall : p. 201-232) ; El papel de los misioneros en la descripcin de lenguas asiticas por Lorenzo Hervs y Panduro (1735-1809) (Mara Fuertes Gutirrez : p. 233-252).VI. Australia : linguistique missionnaire en Australie jusqu 1850 (Hilary M. Carey : p. 252-275).

    Cest ce mme ordre gographique qui a t appliqu au classement de lensemble des contributions des deux autres volumes, lexception du volume 3 dont la premire contribution (Miguel ngel Esparza Torres: Nebrija y los modelos de los misioneros lingistas del nhuatl : p. 3-40 ) a t classe sparment sous art I : General . Le volume 2 subdivise ses contributions en trois parties seulement : Part I. New Spain/ Nueva Espaa , Part II. Sout America/ Amrica el Sur , Part III. Asia . Le volume 3 introduit les subdivisions suivantes : Part I: General , Part II. Nort America/Nortamrica , Part III. New Spain/ Nueva Espaa , Part IV. Sout America/ Amrica el Sur , Part V. Asia , Part VI. ceania/ceana .

    Le recours un classement gographique par continents, de par sa souplesse, est assurment commode dans une perspective

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    ditoriale surtout lorsquon est en prsence dun contenu aussi htrogne. Nanmoins, si lon procde une comparaison de la rpartition gographique des trois volumes, on constate une diffrence classificatoire : le volume 2 (orthographe et phonologie) ne comporte que trois subdivisions par continents (diversement du volume 1 sont absentes lAmrique du Nord, lAfrique et lAustralie) ; le volume 3 (morphologie et syntaxe) comporte cinq subdivisions gographiques : lAfrique est toutefois absente et lOcanie remplace lAustralie.

    On peut sinterroger sur lorigine dune telle disparit. Reflte-t-elle la ralit historique ou bien est-elle due aux participations ~ contributions individuel-les, alatoires souvent, qui accompagnent les diverses manifestations publiques : confrences, colloques, congrs? Dans ce dernier cas, il sagit plutt dune lacune dans linformation. Cette dernire explication nous parat la plus plausible la lumire de deux constats, lun relatif lAmrique latine, lautre au continent africain.

    Concernant lAmrique latine, on constate labsence de contributions relatives la tradition missionnaire brsilienne, lexception de larticle, ponctuel de surcrot, Arte e gramtica a lngua mais usaa na costa o Brasil: A criterion for evaluation de Yonne de Freitas Leite (p. 191-204), au contenu essentiellement grammatical, mais curieusement paru dans le volume 2 consacr lorthographe et la phonologie. Cette absence est dautant plus tonnante que E. F. K. Koerner, dans sa contribution ci-dessus mentionne, crit textuellement : As regards the missionary As regards the missionary tradition in Brazil..., I believe that certain particularities could be identified, and so a separate section should be devoted to Portuguese missionary work too, when the subject concerns all the Americas of the 16th through 18th centuries. (Koerner 2004, p. 47). Cette section est totalement absenteCette section est totalement absente dans ces trois volumes. Ce fait est dautant plus tonnant que le principal coditeur des trois volumes, Otto Zwartjes, publia en 2002 une tude sensiblement tendue et approfondie sur ce sujet, intitule The description of the indigenous languages of

    Portuguese America by the Jesuits during the colonial period. The impact of the latin grammar of Manuel lvares (Zwartjes, Historiograpia Linguistica XXIX/1-2, p. 19-70) que nous considrons comme une tude cl pour la comprhension de la tradition missionnaire au Brsil.

    Le continent africain est reprsent exclusivement dans le volume 1 travers la contribution de Rachael Gilmour (University of London) : Colonization and Linguistic Representation: British Methodist Gram-marians Approaches to Xhosa (1834-1850) : p. 113-140. La qualit et lintrt de cette contribution sont incontestables. Cependant, en dpit de cette contribution, lAfrique est doublement sous-reprsente dans ces trois volumes. En effet et en premier lieu, on ny trouve aucune rfrence la tradition missionnaire du 17e s., atteste sur la cte ouest de lAfrique australe, et que nous-mme avons caractrise comme catholique et portugaise dans un travail antrieur publi dans la prsente revue (Bonvini, E. 1996. Repres pour une his-toire des connaissances linguistiques des langues africaines. I. Du 16e au 18e s. : dans le sillage des explorations. Histoire, Epistmologie, Langage 18/2 : 127-148). Pourtant, cest bien cette tradition qui a produit les toutes premires descriptions des langues africaines.

    En deuxime lieu, probablement en raison de la date limite (1850) impose, cest aussi la tradition missionnaire protestante de lAfrique occidentale qui a t ampute dans la prsente approche. Pourtant, ici encore, cest bien la tradition protestante qui a dbut en Afrique occidentale, plus prcisment Freetown vers 1800 sous lgide de la Church Missionary Society (CMS) et qui y a cr le Fourah Bay College et aussi publi, laide dune imprimerie propre, divers textes en ou sur des langues africaines, avec parfois comme auteurs des Africains autochtones. A titre dexemple, et pour nous limiter la tranche de temps ici prconise, les tudes suivantes ont vu le jour : J. Raban (1830-2) sur le yoruba, S. A. Crowther (1843-83) sur le yoruba, ibo et nupe, S. W. Koelle (1849-54) sur le vai, kanuri, sans oublier sa oliglotta africana, parue en 1854, vritable monument

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    linguistique et premier classement denviron 300 langues africaines qui a servi de point de dpart aux classements ultrieurs, celui de Greenberg (1955-1963) compris (cf. Hair, P. E. H. (1962). The contribution The contribution of Freetown and Fourah Bay College to the study of West African Languages. Sierra Leone Language Review 1, p. 7-18.).

    En dpit de ces lacunes, la valeur documentaire de ces trois volumes est nanmoins indniable en raison de lventail gographique et de la profondeur historique envisage. Ces trois volumes constituent ainsi un apprciable outil de consultation pour les chercheurs, linguistes et historiens en particulier. Ils reclent une information prcieuse sur : (i) les diffrents auteurs voqus, aisment reprables laide de lindex des noms de personne dment dats; (ii) les notions employes, grce lindex des termes linguistiques et grammaticaux de chaque volume ; (iii) les rfrences bibliographiques qui accompagnent chacune des contributions, dment spares en sources primaires et sources secondaires. On regrettera toutefois labsence dun index des langues voques dans les diffrentes contributions.

    Emilio BonviniCNRS, LLACAN

    RfrencesAuroux, Sylvain (1989). Histoire es

    ies linguistiques, vol. 1 La naissance des mtalangages en Orient et en Occident, Lige, Bruxelles, Mardaga.

    Auroux, Sylvain (1994). La rvolution tecnologique e la grammatisation, Lige, Mardaga

    Oesterreicher, Wulf & Roland Schmidt-Riese (1999). Amerikanische Sprachenvielfalt und europische Grammatikkonzeption: Missionarslinguistik im Epochenumbruch der Frhen Neuzeit , Zeitscrift fr Literaturwissenscaft un Linguistik, 116, p. 62-100

    Schnberger, Axel. riscians Darstellung er lateiniscen rpositionen Lateiniscer Text un kommentierte eutsce bersetzung es 14. Buces er Institutiones Grammaticae, Frankfurt, Valentia 2008, coll.: Bibliotheca Romanica et Latina 5, 218 p., ISBN 978-3-936132-18-2

    Lintrt grandissant pour les artes des grammairiens latins a permis de mettre en vidence non seulement leur valeur intrinsque pour lhistorien des ides, mais aussi les apports de ces textes pour un nombre assez vaste de domaines de recherche, des tudes mdivistes la philosophie, des antiquits classiques lhistoire littraire. Le livre dAxel Schnberger (dornavant A.S.) est rvlateur de ce processus de redcouverte, et notamment de lattention avec laquelle les romanistes tudient les anciens traits de grammaire latine. Issu des cours de philologie romane que lauteur a donns la Johann Wolfgang Goethe-Universitt de Francfort, cet ouvrage est conu comme un instrument de travail pour les tudiants universitaires, auxquels sont donnes toutes les informations ncessaires pour lire en langue originale, avec une traduction en allemand et un riche appareil de notes explicatives, le livre xiv des Institutiones Grammaticae de Priscien, un texte entirement consacr aux prpositions et riche en comparaisons entre le grec et le latin.

    Le premier apport dA.S. consiste dans la reconstitution dune structure gnrale du texte, qui est rparti en sections thmatiques dment signales sous la forme de titres, puis reprises dans un index analytique (p. 99-102). Ceci est dautant plus important que la rdaction du livre xiv savre assez dcousue, peut-tre cause de dfauts dj prsents dans lexemplaire des Institutiones copi en 526-527 par Thodore, un disciple de Priscien dont le nom figure dans la subscriptio de ce livre. Une section analytique tout entire sur les prpositions qui se construisent avec laccusatif aurait notamment disparu (p. 149 n. 460). Du fait de cette segmentation en fonction de leur contenu, le texte latin et la traduction

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    donns par A.S. se prsentent dune faon extrmement claire, agrable lire et parfaitement cohrente.

    Le texte latin est celui de ldition de rfrence (Martin Hertz, GL 2, 1855 et GL 3.1, 1859), quA.S. ne se contente pas de reproduire en face de sa traduction, mais dont elle offre galement une copie photographique en guise dappendice destine aux spcialistes qui seraient intresss par les problmes dtablissement du texte (p. 181-218). Cela tant, pour une petite dizaine de passages, A.S. scarte de cette dition et propose des solutions originales, tout fait convaincantes. On retiendra notamment la prfrence pour le mdio-passif iarrgnuamai, cit ct de perrumpor, au lieu du iarrgnumi de Hertz (GL 3,38,2) ; la distinction entre un paragraphe consacr erga et un contra, qui avait chapp Hertz (GL 3,41,24-42,6) ; la restitution de la formule en iknii, traduite par in der Spur, dazwischen au lieu du mystrieux eniknion des manuscrits gard par Hertz (GL 3,43,14). En revanche linterprtation dinterea loci (GL 3,43,5) moins comme un exemple que comme une partie abrge du discours mtalinguistique du grammairien (scil. : est praepositio inter ) fait passer inaperue la mention dun syntagme usuel dans les textes archaques, notamment comiques1.

    La traduction allemande est toujours prcise et limpide, ce qui nest pas du tout vident dans un texte aussi technique. Deux points gnraux soulvent nanmoins des remarques dordre thorique. Tout dabord, les problmes de la terminologie technique et du recours par Priscien la synonymie. A.S. ne sintresse pas larrire-plan doctrinal du texte et dans quelques cas elle semble ngliger limportance qui tient la constitution dun vocabulaire latin spcialis.

    notre sens, traduire substantia par Subjekt introduit une notion explicitement syntaxique qui fait oublier la corrlation substance/accidents et sa nature philosophique

    1 Cf. Charisius p. 261,6 Barwick ; A. Szantyr, Lateinisce Syntax un Stilistik, Mnchen, Beck, 1972, p. 53.

    (quelques remarques utiles se trouvent nanmoins p. 109 n. 19-20) ; nisi ellnismi utatur auctoritas est rendu par wenn sich nicht die dichterische Freiheit eines Hellenismus bedient, avec une rfrence aux licences potiques qui nest pas dans le latin, o est plutt voqu le critre de lautorit des attestations littraires ; perfectiuum est glos bringt es meistens zum Ausdruck, da man etwas grndlich bis zum Ende macht alors que, sagissant dun terme technique, il et t prfrable demployer un seul mot2 ; intentiuum est devient zeigt es bald die Absicht, alors quil sagit plutt dintensit3 ; cum accommoatiua sunt est traduit wenn sie ein Verhltnis zu etwas angeben, mais ce qui est en cause serait plutt le caractre appropri dune expression4 ; rationalis coniunctio est rendu par rationale Koniunktion, qui nexplique pas grand chose, alors que argumentatif et t prfrable5 ; et est copulatiua [sc. cum praepositio] devient es kann sowohl verbinden sein, mais un terme technique et t plus opportun (fr. coordinative ?), car Priscien lutilisera nouveau au livre xvi, toujours pour des prpositions (GL 3,93,17) ; enfin separatiua est correctement traduit par separativ, mais aussi trennende, terme qui ne laisse pas apparatre le caractre spcialis du mot latin. juste titre, pour souligner la double nature des literae, A.S. emploie la tournure die Laute und Buchstaben, qui appelle nanmoins une note pour tre explicite (p. 156 n. 520 : peut-tre fr. units phonico-graphiques ?). Vis correspond toujours Funktion, mais peut-tre dans lintroduction, o ce mot alterne avec ius, tous deux combins avec ictionis, faut-il entendre statut (de mot) ; de mme, le titre e potestate praepositionum est traduit Gebrauch und Bedeutung der Prpositionen,

    2 S. Schad (A Lexicon of Latin Grammatical Terminology, Pisa - Roma, Serra Editore, 2007, p. 296), qui propose de traduire perfective, remarque juste titre que ce mot peut dsigner des prepositions intensifying a verb to an absolute degree .3 Cf. Schad, cit. p. 222, expressing intensi-fication (of sense) .4 Cf. Schad, cit. p. 10, indicating appro-priateness .5 Sur ce sujet, il est indispensable de lire les pages de M. Baratin, La naissance e la syntaxe Rome, Paris, Minuit, 1989, p. 74-81.

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    alors quon aurait pu essayer une rfrence la potentialit (combinatoire) des prpositions, dautant plus que e singularum ui et significatione est traduit par die Funktion und Bedeutung der einzelnen Prpositionen et que uis et significantia devient die Funktion und Ausdruckskraft. Enfin, ne sagissant pas de locutions intraduisibles, a locum et in loco (le lieu o lon va et le lieu o lon est) ne devraient pas rester tels quels dans la traduction.

    Le second point que nous souhaitons mettre en vidence consiste dans loptique contrastive adopte par Priscien tout au long du livre xiv. Les prpositions latines sont systmatiquement compares celles du grec, suivant une perspective qui devait tenir compte de lauditoire hellnophone du grammairien. Do les oppositions qui reviennent constamment dans le texte : apu nos / apu Graecos ; nos, nostri / illi ; Latini / Graeci. Aussi le fait de traduire presque toujours ces expressions par die lateinischen [Grammatikern] et die griechischen [Grammatikern] nous parat-il ajouter une restriction de sens qui ne tient pas compte de la situation relle dans laquelle le texte a t produit et des enjeux culturels plus gnraux qui sont contenus dans ces expressions6. Les rapports entre Priscien et les autres grammairiens sont en revanche rendus explicites par les citations de Donat et de Censorinus, inhabituellement nombreuses dans ce livre7 : la prsentation de ces extraits, identique celle des exemples littraires (texte en italique et en retrait), ne parait pas adquate, car elle ne fait pas de distinction entre deux types de citations (celles qui relvent de la doctrine grammaticale et celles qui constituent lillustration dun fait linguistique) dont la nature et la fonction sont totalement diffrentes. Un problme corrl concerne les exempla ficta, qui sont prsents dans le texte lui-mme et

    6 A.S. dailleurs explique ainsi un apu nos, traduit par bei uns : Also im Lateinischen (p. 163 n. 605).7 Il est dommage de constater que lexcellente dition de L. Holtz (Donat et la traition e lenseignement grammatical. tue sur lArs Donati et sa iffusion [IVe-IXe sicles] et ition critique, Paris, CNRS, 1981) na pas t utilise.

    non isols comme les citations littraires. Le partage, hlas, nest pas toujours ais, ainsi que le montre lexemple a balneas allacinas, une citation de Cicron (S. Rosc. 18) qui a chapp A.S. car elle est insre dans une liste de syntagmes banals.

    Les notes (p. 103-173) rassemblent principalement les traductions en allemand des exemples littraires : les variantes entre la tradition indirecte et la tradition directe des auteurs cits sont toujours discutes avec beaucoup dintelligence, et pour les textes potiques la structure mtrique est fort bien analyse. Apparaissent toujours en note toutes les informations ncessaires pour comprendre les caractristiques linguistiques du texte : A.S. dploie tout son savoir philologique pour commenter avec autant de concision que de pertinence les prpositions du latin, les mots dont elles forment le prfixe, ainsi que quelques concepts fondamentaux, comme Beifugung , traduction dappositio (p. 106 n. 6), Univerbierung (p. 106 n. 7), Transitivitt (p. 109 n. 18 ; p. 149-150 n. 465). Au-del de cela, aucune rfrence la doctrine grammaticale de Priscien et des ses devanciers nest faite ; mme les auto-rfrences de Priscien qui parfois renvoie ce quil a dit dans les livres prcdents de ses Institutiones ne sont pas explicites : on voit l quA.S. nest pas intresse par ces questions et quelle prfre les passer sous silence. Les spcialistes de lhistoire des thories linguistiques ne seront toutefois pas dus, car ils disposent maintenant dun instrument excellent et rigoureux pour comprendre un texte ardu et jamais traduit jusqu prsent dans une langue moderne8.

    Alessandro GarceaUniv. Toulouse Le Mirail

    CNRS UMR 7597

    8 Clt le livre une bibliographie slective destine principalement aux tudiants allemands en philologie romane : deux exception prs, il sagit douvrages de rfrence en allemand, avec quelques articles de linguistique. Une bibliographie spcialise est disponible sur le site http://kaali.linguist.jussieu.fr/CGL/bgl.jsp?query=Priscianus.

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    Penke, Martina & Anette Rosenbach, eds., Wat Counts as Evience in Linguistics ? Te case of innateness, Amsterdam, John Benjamins, 2007, coll.: Benjamins Current Topics, 7, x,289 p., ISBN 978-90-272-2237-4

    Constituant les Actes dun Workshop qui se tint lors de la 25e Confrence annuelle de la Deutsche Gesellschaft fr Sprachwissenschaft (Munich, 2003), Wat Counts as Evience in Linguistics ? semble traiter, de par son titre, dun thme pistmologique trs en vogue lheure actuelle, puisque nombre de colloques et dcrits fleurissent depuis le dbut des annes 2000 sur ce sujet (en Juillet 2001, par exemple, the Twenty-eighth Linguistic Association of Canada and the United States Meeting avait pris pour thme : What Constitutes Evidence in Linguistics ? ). Les raisons dun tel engouement pour la notion de preuve tiennent, dune part, la prise de conscience dans le paradigme formel que lanalyse ne saurait se satisfaire des seules donnes issues de lintrospection et tmoignent, dautre part, de la maturit de la discipline qui, en sautorisant ainsi questionner sa base empirique, affirme le caractre bien fond de celle-ci. Toutefois le but poursuivi dans cet ouvrage nest pas deffectuer un recensement des preuves utilises en linguistique en examinant de faon critique les donnes sur lesquelles elles reposent et la mthodologie qui les a tablies, mais de se centrer sur un sujet beaucoup plus restreint, savoir valuer la pertinence des preuves issues de la typologie pour la construction de la Grammaire Universelle ; cette problmatique tant, en retour, invitablement lie la question de linn. De fait, il faut tre attentif au sous-titre (qui ne figure qu lintrieur du livre) pour comprendre que lintitul qui aurait le mieux reflt le propos de louvrage aurait d tre Wat Counts as Evience for Innateness Claims ? La prface et lintroduction de 50 pages des ditrices Martina Penke et Anette Rosenbach sont sur ce point sans ambigut, puisquelles prcisent (p. viii et p. 20) que les trois questions soumises, au choix, aux auteurs taient :

    1) What type of evidence can be used for innateness claims (or Universal Grammar)?2) What is the content of such innate features (or Universal Grammar)?3) How can Universal Grammar be used as a theory guiding empirical research?

    Conscientes que le dbat portant sur linn donne accs aux diffrences de traitement dont la preuve fait lobjet dans les approches formelles et fonctionnelles, Penke et Rosenbach ont structur leur volume de faon originale sous la forme de sept triptyques : un article majeur rdig par un linguiste dobdience fonctionnaliste ou formaliste, suivi dune critique de quelques pages crite par un thoricien relevant du paradigme rival et laquelle, enfin, lauteur de dpart est invit rpondre. Si cette dynamique argumentative, de par sa problmatique file, est en soi trs intressante, il faut nanmoins dplorer que les appellations de formel et de fonctionnel renvoient des acceptions trop restreintes ou floues qui limitent lenjeu du dbat en le cantonnant une controverse opposant les seuls tenants du paradigme gnrativiste ceux qui ont rejet la conception chomskyenne selon laquelle laptitude langagire serait inne et issue dune zone bien dlimite du cerveau (cf. p. 17). Plus prcisment, louvrage sarticule alors en fonction de la classique opposition comptence/performance, en attribuant bien videmment ltude de la premire au courant des formalistes-gnrativistes, si bien que les fonctionnalistes se voient dfinis ngativement comme tous ceux qui privilgient la fonction langagire et qui donc analysent les facteurs pragmatiques qui affectent lusage du discours. Dans cette perspective, on comprend que Penke et Rosenbach estiment que le sujet dinvestigation de lapproche fonctionnaliste soit plus vaste que celui des gnrativistes (puisque toutes les donnes dusage sont utilises et non limines), et quelles en tirent pour consquence quon obtient dans ce courant non formel une plus grande varit de type de preuves . cet gard, il faut en effet prciser que Chomsky continua de soutenir dans son livre n Nature an Language (2002) une position galilenne

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    de la science qui prne lignorance dlibre de certaines donnes empiriques, si cette omission permet daccder une meilleure comprhension des principes qui gouvernent les langues. Il sensuit que les fonctionnalistes ne qualifient pas dempiriste la dmarche chomskyenne, bien que cet auteur ait dfendu lide que la linguistique est une science empirique dans laquelle la notion de preuve a sa place.

    Prsentant une mise plat trs srieuse des diffrents arguments que soulve la problmatique de linn, lintroduction se prsente comme un vritable petit cours dpistmologie dont la lecture mrite dtre recommande aux tudiants en science du langage. Partant de la constatation, unanimement accepte par les gnrativistes et les fonctionnalistes, que les tres humains sont biologiquement prdisposs acqurir le maniement du langage, le premier point dachoppement entre ces deux courants porte sur le caractre holistique de cette capacit inne. Aux gnrativistes qui considrent que la facult de langage (et plus particulirement la grammaire) est due un organe spcialis que lon peut nettement localiser (cf. entre autres : Chomsky, Rules and Representations , 1980), soppose lapproche fonctionnaliste qui, sappuyant sur les preuves obtenues en neurosciences ou en modlisation informatique, objecte que notre capacit langagire est dpendante de lintgralit de notre systme cognitif, si bien que toute incidence sur celui-ci laffecte en retour (cf. R. W. Langacker, Founations of Cognitive Grammar, 1987). Le second point de divergence concerne le problme logique de lacquisition du langage . Expos en termes de pauvret du stimulus ds 1965 par Chomsky dans Aspects of te teory of syntax, largument consiste relever que les donnes, qui permettent lenfant dtablir avec succs des rgles abstraites, souffrent paradoxalement dune sous-dtermination quantitative et qualitative. Cest afin de rsoudre cette Diskrepanz que les gnrativistes ont t conduits postuler une prdisposition inne apprendre la grammaire. Non convaincus par ce type de preuve , les fonctionnalistes contestent,

    dune part, que les donnes perues par lenfant soient rduites, pauvres et souvent non grammaticales (voir G. K. Pullum et B. C. Scholz, Empirical Assessment of stimulus poverty arguments , 2002) et proposent, dautre part, des modles qui attribuent aux comptences socio-cognitives de lhum-ain la possibilit dinstituer des rgles (cf. Tomasello, Constructing a Language, 2003). Dans cette perspective, la crativit syntaxique, qui constitue largument majeur des gnrativistes en faveur de lexistence dune grammaire universelle, est explique comme lanalyse Olga Fischer dans ce volume en termes danalogie.

    Or, curieusement, un des apports de ce livre est de montrer que si lon analyse plus finement la question des invariants langagiers susceptibles daider la construction de la grammaire universelle (i.e. la question 1), on constate que les positions thoriques ne sont pas aussi figes, car les tenants dun mme paradigme peuvent se rvler tre en dsaccord ou dfendre, au contraire, le mme type dargumentation que celui dploy par lapproche adverse. Ainsi, aprs avoir dgag trois sortes de preuves typologiques (les universaux absolus, implicationnels et de frquence), le gnrativiste Frederick Newmeyer argumente que la plupart des gnralisations typologiques ne peuvent pas tre utilises pour laborer la grammaire universelle, puisquelles sont tablies sur des donnes dusage. La mme conclusion est obtenue par le fonctionnaliste Martin Haspelmath qui, sappuyant sur la possible cration de langages artificiels, en dduit que les langues attestes ne constituent quune partie de ce qui est envisageable, si bien que leurs proprits ne sauraient suffire dterminer la grammaire universelle. linverse, le gnrativiste Dieter Wunderlich insiste sur limportance des donnes typologiques qui vitent de tomber dans lcueil dune construction laveugle de la grammaire universelle. Prolongeant cette perspective, larticle de Simon Kirby, Kenny Smith et Henry Brighton prsente lintrt duser dun modle dapprentissage informatique par itration afin de pouvoir tester en montrant ce qui peut tre acquis ou non quelles sont les proprits

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    de la grammaire universelle qui doivent raisonnablement tre assumes pour rendre compte des schmes structuraux et de la variation langagire. De fait, seul larticle de Wunderlich aborde la question du contenu de la grammaire universelle (i.e. question 2) en proposant une liste de traits et de proprits qui exclut, en dpit de toute attente, certaines rgles syntaxiques pourtant chres aux gnrativistes. Enfin, Fred Eckman et Olga Fischer sinterrogent sur la possibilit dutiliser la grammaire universelle comme un cadre thorique qui permettrait de dgager des orientations de recherche hirarchisant la pertinence des faits empiriques (i.e. question 3). Ces deux auteurs saccordent alors penser que la rponse ne peut tre que ngative, car le concept de grammaire universelle souffre actuellement de ntre pas empiriquement suffisamment dfini pour que lon considre quil puisse remplir ce rle (Fischer) et ne constitue pas, de plus, un cadre explicatif suprieur ceux dont use lapproche fonctionnaliste, car ltude de lacquisition dune langue seconde met en vidence quil ny a pas de dichotomie entre expliquer et crire, mais seulement diffrents niveaux dexplications qui nentachent pas le pouvoir explicatif des thories (Eckman).

    Batrice Godart-WendlingUniv. Paris Diderot-CNRS UMR 7597

    Orlandi, Eni P. & Eduardo Guimares, eds., Un ialogue atlantique : prouction es sciences u langage au Brsil, Lyon, ENS ditions, 2007, coll.: Langages, 139 p., ISBN 978-2847881189.

    Les relations entre la pense scientifique brsilienne et la pense europenne dans le domaine des sciences du langage prennent de lampleur partir des annes 1930. Mais leur dynamisme actuel, depuis la fin des annes 1980 et autour des chercheurs de lUniversit dUnicamp, savre tout fait remarquable en matire dhistoire

    des ides linguistiques et danalyse de discours. Cet ouvrage dresse un premier bilan de ce dialogue intellectuel fcond, avec une spcificit propre, ct brsilien, sans cesse affirme dun contributeur lautre : laccent mis prioritairement sur le lien entre la prouction e connaissance et les institutions. Une telle particularit de lhistoire rcente des sciences du langage au Brsil introduit aussi, au-del de lchange dont rend compte cet ouvrage, un relatif dcalage avec la France, pourtant ici terre dlection par les rfrences trs nombreuses ses auteurs linguistes, qui mrite tout autant notre attention.

    Eduardo Guimares, aprs avoir prsent louvrage avec Eni P. Orlandi, nous propose en premier lieu une rflexion sur Smantique et grammaire. Une histoire des tudes linguistiques au Brsil . Il apparat que lhistoire brsilienne de la grammaire est intimement lie la production scientifique et philosophique internationale. Une fois enclench, partir des annes 1880, le processus de grammatisation brsilienne du portugais, la fonction auteur du grammairien sefface progressivement avec linstitution dune normalisation terminologique. Mais cest le dbouch sur la production de grammaires non normatives, partir des annes 1970, qui proccupe prsentement Eduardo Guimares dans la mesure o elle donne une place toujours plus grande la smantique.

    Via la smantique, la pense linguistique saffirme au dpart dans le contexte de linstitutionnalisation dun sujet collectif sociopolitique, le peuple , lhorizon dune langue nationale. De Pacheco Silva Jr. (1903) Said Ali (1924), la description de la langue, par la considration du sujet et du sens, lui donne son unit propre. Et Eduardo Guimares de remarquer que les questions smantiques et celles portant sur le sujet de la langue sont centres sur le mode de construction de la pense linguistique, et sarticulent toujours au grammatical. Dans cette articulation, elles constituent une manire spcifique de dire la linguistique (p. 22). La suite de lhistoire, si lon peut dire, prend un nouveau tournant en 1970 avec la premire grammaire descriptive de

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    Mattoso Camara Jr., puis la constitution de la smantique comme domaine disciplinaire spcifique. De ce parcours final, notons lappui de plus en plus marqu des linguistes brsiliens sur des auteurs europens. Cest dans cet espace de filiations que le discours mme de lauteur linguiste est mis en valeur. Institutionnalisation, disciplinarisation, his-toricisation et filiation sont ainsi les faits majeurs de lhistoire des sciences du langage au Brsil, telle quelle est prsente dans cet ouvrage.

    Cette quadruple caractristique est encore plus nette dans le chapitre suivant, rdig par Eni P. Orlandi, intitul Lanalyse du discours et ses entre-deux : notes sur son histoire au Brsil . En effet, linstitutionnalisation trs rapide de lanalyse de discours au Brsil, au contact de luvre de Michel Pcheux quasi traduite dans son ensemble, est dcale vu de France : elle prend au srieux le geste inaugural de lanalyse de discours, laccent mis sur la matrialit du discours, alors quen France mme, ce geste inaugural a t volontairement cart par les tenants actuels de lanalyse de discours dans le champ universitaire. A ce parcours pour le moins malheureux de lanalyse de discours en France sopposerait donc au Brsil une fin heureuse dans la mesure o le travail effectu au Brsil en ce domaine se veut une suite de la thorie matrialiste du discours de Michel Pcheux sous une forme dfinitionnelle trs affirme, qui oprerait ainsi en permanence une dterritorialisation de la connaissance du langage, ce qui ne serait plus le cas en France. Eni P. Orlandi affirme ainsi avec force que lanalyse du discours simpose comme un vnement thorique qui restructure le champ des thories du langage , (p. 54), et au Brsil prcisment. Une fois de plus, la question trs institutionnelle de la disciplinarisation est au centre des proccupations des auteurs de cet ouvrage.

    Les quatre autres contributions sinscri-vent dans cette double rflexion de porte gnrale, lenrichissent sur des points particuliers. Lauro Jos Siquera Baldini et Suzy Lagazzi-Rodrigues abordent le trajet scientifique dune personnalit centrale de linstitution des tudes linguistiques au Brsil,

    Mattoso Camara Jr. Son uvre, publie de 1941 1970, institue la langue comme espace dobservation, et plus prcisment parle de la linguistique lintrieur du champ nonciatif de la grammaire, tout en instaurant la comprhension du fait au centre des sciences du langage. Et den conclure que nous voyons (que) le savoir linguistique soutenu par le mtalangage se constituait lintrieur dun processus marqu par la scientificit, processus qui va tre lgitim institutionnellement (p. 69). L encore, la question de la lgitimation institutionnelle est au centre de la proccupation du linguiste brsilien, seule voie possible ses yeux dans la perspective dune reconnaissance des tudes linguistiques. La contribution suivante, rdige par Luiz Francisco Diaz value le champ de la production de grammaires pendant les deux dernires dcennies du 20e s., soit de grammaires traditionnelles (Celso Cunha et Lindely Cintra, Evanildo Bechara), soit dune gram-maire base formelle (Mario Alberto Perini). La conception de la grammaire est prise ici dans une projection de compltude au titre dune unification linguistique historiquement projete. La question est dabord : comment un outil linguistique, ici la grammaire, conoit-il lidentit de la langue ? Sur le modle de la syntaxe, le fait grammatical est prsent ensuite comme un vnement nonciatif, discursif et met ainsi au centre de la rflexion du grammairien la catgorie syntaxique sujet, o conflue la pense et le rel, tout en lassociant au terme, objet conu partir dune proprit attache au verbe. Il sagit alors, selon diverses formes de distribution, de dterminer lexistence des places du sujet et de lobjet dans la qute dune conformit typologique. Qui plus est, la forme stable, donc institutionnelle, de la grammaire est directement dpendante dun objectif pdagogique.

    Dans cette perspective pdagogique fortement affirme dans le cours de louvrage, il restait complter un tel parcours institutionnel par le biais de la mise en place dun langage ordinaire en tant que langue commune prsente dans les dictionnaires dune part, et de la formation de la langue nationale en tant que langue

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    de lespace scolaris dautre part. Telles sont les proccupations de deux dernires contributions sous la plume de Jos Horta Nunes et Claudia Castellanos Pfeiffer.

    Le fait linguistique majeur est dabord, sur la base dun parcours historique complexe des langues locales, ltablissement de dictionnaires monolingues, en liaison avec le processus de grammatisation, ce qui permet de renforcer singulirement le droit lunit de la langue portugaise, tout en laissant une place la reconnaissance de la diversit, la langue des indiens par exemple. Ainsi senclenche un processus duniversalisation, forme ultime de dcolonisation qui donne la langue portugaise une image internationale, en fait plus un instrument de communication quun simple support de langue nationale.

    Lespace scolaire ajoute une dimension dautorisation, en fixant une place au bien-dire. Il sagit alors de rendre compte des glissements et superpositions entre lespace pdagogique et lespace scien-tifique, entre apprendre la et apprendre sur, entre enseignement et tude, unit et diversit (p. 118). Au terme du trajet institutionnel que parcourt cet ouvrage, la langue nationale portugaise prsente dans lespace scolaire fonctionne comme une vidence, elle est devenue une mmoire institutionnalise .

    Comme nous le voyons, les variations sur linstitutionnalisation de la langue portugaise, certes sur une base historique bien informe, occupent dans cet ouvrage une place centrale. A ce titre le lien avec le champ de lhistoire des ides linguistiques, en filiation directe avec la France et les travaux fondateurs de Sylvain Auroux, est trs prsent. De mme ce lien est enrichi de toute une rflexion sur les pratiques discursives en dialogue avec les travaux de Michel Pcheux, Denise Maldidier et Francine Mazire. Il en ressort quun tel dialogue atlantique met laccent prioritairement sur linsertion du fait linguistique dans un processus dinstitutionnalisation, avec une forte dimension historique lorsquil sagit de caractriser tel ou tel phnomne duniversalisation langagire. Cependant, au-del du travail de trac des frontires

    disciplinaires des sciences du langage, l encore apprhendes dans leur historicit discursive mme et donc dans la production dune mmoire discursive , tel quil est mis en uvre dans cet ouvrage, une question demeure : quelle place reste-t-il alors pour lvnement discursif sous la forme d une pratique tirant les consquences de la dlocalisation tendantielle du sujet nonciateur (monarque, porte-parole ou reprsentant) et du systmatique drglement qui affecte aujourdhui les bases du performatif (Michel Pcheux) ?

    Jacques GuilhaumouUMR Triangle,

    Universit de Lyon, CNRS/ENS-LSH

    Demaizire, Colette, La grammaire franaise au XVIe sicle : les grammairiens picars, Paris, Honor Champion, 2008, 608 p., ISBN 9782745316318

    Colette Demaizire a soutenu, il y a plus de vingt ans, une thse visant les grammairiens picards. Depuis lors, elle na cess dempiler des recherches dans ce vaste domaine, donnant le plus souvent lieu publications, de type historique et /ou grammatical. Aujourdhui, elle publie chez Champion le rsultat de ces annes de recherche et le rsultat est instructif certes, mais surprenant aussi ; ou dcevant, comme on voudra. Le titre mme, Les grammairiens picards est quivoque : existe-t-il une entit, les grammairiens picards , prsentant des traits communs, rpondant une problmatique commune ? La rponse nest pas vidente et troublera plusieurs fois lauteur. Certes tous ceux dont elle parle sont ns en des points divers de la Picardie ; et cest significatif, car la Picardie ou, du moins, les lieux o lon pratique le dialecte picard, sont traverss de multiples conflits et calamits. Cest une rgion frontire, difficilement dlimitable, expose de multiples flaux et problmes, en particulier

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    la peste qui ravage la contre intervalles rguliers. Mais aussi les conflits de pouvoir, le moindre dentre eux dgnre vite en massacres. Quant aux conflits religieux, ils sont dautant plus violents que la Rforme est ne en partie sur cette terre ; on ajoutera pour comble dinfortune que cette rgion est dispute par les anglais et les espagnols, aprs avoir t dchire entre Franais et Bourguignons (p.17). Enfin, pendant tout le sicle, les proslytes de la Rforme entretiennent lagitation : catholiques et protestants saffrontent, dans lenseignement mme.

    Ce qui nempche pas une vie intellectuelle intense, trs intense mme, et Colette Demaizire peut numrer p. 22 sv. tous les savants qui ont illustr la rgion picarde, de Lefvre dEtaples et Calvin Pierre de la Rame, de Jean Vatable Fernel. Terre riche aussi en grammairiens de multiples niveaux et occupations, de lcole de village au Collge royal de Paris. Une riche moisson de personnalits.

    Premire Partie : Les ommes et les uvres (39-273).La premire Partie de louvrage est donc devenue, par ncessit, une suite de monographies, plus ou moins importantes selon les tches que ces grammairiens ont remplies ou selon les hasards des dcouvertes de Colette Demazire, qui lont ravie. Elle parle dabord de Jacques Dubois, dit Sylvius. Un pittoresque inventif. Etudiant pauvre, il pratique Paris latin, grec, hbreu et mathmatiques et traduit Hippocrate et Galien, cependant quil sadonne la dissection. Un irrgulier donc, qui va chercher ses grades Montpellier, et publie des ouvrages sur la vertu du vin aussi bien que sur la grammaire. Frquentant surtout des chirurgiens et des pharmaciens qui ne pratiquent pas ncessairement le latin, et mme assez peu, il verra lutilit dcrire pour eux, en 1531, une Grammatica latino-gallica, crite sur le plan des Donat. Elle le fait connatre, nanmoins, il ne percera que sur le tard, sera alors nomm au Collge royal, clbre surtout pour son avarice dont C. Demaizire rapporte des traits piquants et mme une pitaphe curieuse. Suivi dans lexpos par Gilles Du Wez dont on sait peu

    sinon que son nom, Du gu , indique lascendance picarde. Il enseignait le franais la cour de Londres, mais on na gard de lui quune brve Introuction en anglais et des exercices pratiques que le premier diteur de Palsgrave, F. Gohin, joignit la premire dition moderne de son auteur.

    Le troisime de la liste, Charles de Bovelles, a droit une place nettement plus importante. On apprend beaucoup sur sa biographie, jusqu voir reproduit lcusson des Bovelles. Car, outre son livre bien connu Liber e ifferentia vulgarium linguarum et Gallici sermonis varietate, publi en 1533 par Robert Estienne, il a men une existence longue et dense et aise, dont on sait beaucoup en sorte que C. Demaizire a pu crire sur lui une solide monographie. Elle voque la correspondance quil entretenait avec des hommes clbres, ses liens avec beaucoup de savants et drudits comme Lefvre dEtaples dont les ides avances les conduisent une rupture. Pour Bovelles, cest une longue vie dhomme dtude et de paix, qui, dans sa jeunesse, sest adonn aux sductions du voyage, puis sest consacr la recherche spculative et lrudition, savant surtout en latin, langue quil emploiera pour son De ifferentia dans lequel il dploiera toutes sortes de considrations sur les langues : les sons et leur histoire, les sources tymologiques, les paralllismes des langues modernes avec le latin, bref un travail drudit que dtaille C. Demaizire. Ce chanoine il lest depuis 1500 partagera son temps de culture entre Paris et St-Quentin, conduisant le lecteur moderne, grce sa biographe, se recueillir sur sa tombe.

    Bovelles enterr et salu, le lecteur passe Gabriel Meurier, matre dcole anversois venu dAvesnes et cest une autre chanson. Meurier est un directeur dcole qui C. Demaizire consacre un long expos, sduite sans doute par ce personnage violent et irascible qui sme les incidents et disputes. Mais il crit aussi : Anvers est un lieu de diffusion privilgi pour tout crit ; le nom des Plantin est ici videmment voqu. Meurier en profite pour publier des manuels plurilingues, privilgiant langlais et regroupant dialogues, instructions,

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    conjugaisons, etc. Lunique exemplaire de sa Grammaire franoise, (Plantin, 1557) trs lmentaire, est conserv Lbeck, faible trace laisse par ce truculent ivrogne avesnois.

    Le grand homme, cest Ramus, et on ne peut quapplaudir ce jugement. Lauteur voque ses qualits dhomme, bien sr, sa jeunesse pauvre, domestique au collge de Navarre, puis une carrire brillante et passionne de rformateur et dexgte quinterrompra son assassinat. Les faits, souvent connus, sont fixs avec prcision et abondance. Ils doivent tre rappels : le collge de lAve Maria avec Omer Talon, ses attaques contre Aristote, lexaltation de lloquence et des mathmatiques, tout pour dplaire ; il nen est pas moins nomm au Collge royal. Mais sa conversion au protestantisme au moment de Poissy le condamne. Cest le moment (1562, 1572) o il produit des Grammaires, au formalisme provocateur dont C. Demaizire reproduit de larges extraits, et, dans le mme temps, se cre des ennemis qui le feront assassiner : les Jsuites et lignorant Charpentier. Il a tout juste eu le temps de prendre lair Strasbourg chez Jean Sturm, puis dans de multiples voyages prcipits qui lui permettront de haranguer librement les foules. Avant dtre excut la St-Barthlmy, comme on sait.

    Reste Antoine Cauchie, dont le lieu de naissance est incertain, comme le montre C. Demaizire au terme dune longue recherche, stonnant quun francophone ait pu habiter la rgion dUtrecht. Elle le suit du moins au fil de ses ddicaces. Puis dcrit longuement les trois parties de la Grammatica. Et dfend systmatiquement louvrage contre les attaques dHenri Estienne, notant que cest un tmoignage important sur la constitution dun purisme en langue franaise.

    Le dernier cit et analys, cest Jean Bosquet, un coltre , qui enseigne et dite Mons, aux prises avec les troubles guerriers qui bouleversaient la province, en sorte que C. Demaizire le suit surtout dans les vicissitudes de sa carrire, se consolant dans les charmes de la posie. Car sa grammaire nest quun mince livret, art de bien crire et lire , comme le dfinit son fils.

    Finit ainsi la Premire partie, dfil de ces ttes grammairiennes, de ces personnages pittoresques, curieux ou nigmatiques (272). A limage de leurs biographies, chacun en son domaine, comme le remarque C. Demazire, et cest significatif, ces gens ne se sont jamais rencontrs sauf Sylvius et Ramus. Tout au plus peut-on dire quils ont respir le mme air du temps.

    La deuxime partie (277-519) est intitule Leurs tmoignages et leurs rflexions sur la langue franaise . Cest, avant tout, une tude des contenus. Premier problme : le choix de la langue ; les grammairiens ont de la peine articuler langue, dialectes et patois et justifier les choix des parleurs. C. Demaizire marque les points de dsaccord entre Bovelles, n St-Quentin et Sylvius, n Amiens. Mme sils reconnaissent que langue franaise, dialectes et patois sont instables, lun et lautre sont sensibles la beaut du franais qui est la langue de la communication ordinaire. Ramus confirmera que le franais est rgi par des lois qui sont lusage du peuple.

    Suit un chapitre criture et prononciation o elle reprend, pour commenter les incertitudes de ses auteurs et des imprimeurs , les analyses de Nina Catach, mais aussi celles des anciens : Platon, Donat et la suite jusqu Charles Thurot. Ce qui lui permet, dans la foule, danalyser les systmes graphiques proposs par Sylvius, puis par Ramus, et den noter les insuffisances, malgr les progrs apports par la transcription des graphies et des accents.

    Le chapitre 3 apprcie la part des grammairiens picards dans llaboration des grammaires franaises, en reprenant les analyses des parties du discours. Travail attentif et minutieux, moins utile quil ltait il y a vingt ans, maintenant que la plupart des textes du 16e s. sont rdits, selon des critres scientifiques modernes, et par C. Demaizire en particulier. Il me semble quelle aurait pu se contenter dtablir un jeu de renvois. Du moins, elle entre dans les dtails et permet, par exemple, de comparer les diverses versions des interprtations de Cauchie. On lui reprochera peut-tre un certain laxisme dinterprtation :

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    elle nhsite pas par exemple parler de complment (452), anachronisme vi-dent pour cette notion mise au point au 18e sicle. La difficult vient videmment de ce que les organisations des grammairiens du 16e sicle nous apparaissent comme trs dsordonnes en sorte quun excs de respect chez linterprte conduit introduire ce dsordre dans les temps modernes. On aimerait voir esquisser un systme densemble, si imprudent soit-il.

    Le chapitre 4 examine les recherches tymologiques de ces picards. Cest un moment o lon ne se contente pas dvidentes sources latines. Les recherches sur le gaulois, le grec, lhbreu ont, depuis un moment, enrichi notre connaissance du 16e sicle ; elles sont ici utilises discrtement.

    En un mot, un livre srieux, trs srieux, le travail dune vie; une compilation qui tend transmettre aux contemporains les inventaires dun sicle pass, le 16e s. Peut-tre aurait-on parfois souhait chez lauteur un peu plus desprit aventureux, mme sil devait confiner limprudence ; pour traiter dun sicle qui neut point peur de la hardiesse jusqu limprudence mme. Je me contenterai de quelques suggestions que lauteur jugera peut-tre hasardes.

    1 A plusieurs reprises, Colette Demai-zire sinquite et se demande si rassembler ces grammairiens picards a t une efficace base de travail. Cest une bonne question quil aurait t utile de discuter au fond avant mme de lancer le travail. Autant une systmatisation des faits de langue dune entit donne conduit un ensemble relativement cohrent : ainsi celui de la langue picarde, autant la juxtaposition des interprtations de lpoque nes dans des conditions trs diffrentes, dans des voisinages trs peu cohrents, anims de finalits divergentes semble interdire la constitution dun champ ouvrant la barrire des hypothses pistmologiques solides. Simple bon sens : on ne peut comparer que ce qui est comparable.

    2 Autre aspect de linscription souhai-table dans un systme : la recherche dli-bre de rapprochements justifis peut tre tenue pour une mthode de dcouverte. Colette Demaizire remarque que Sylvius

    cite trois fois le grammairien espagnol Antonio de Nebrija dit Nebrissensis, anctre des grammaires savantes (1492), et ninsiste pas. Il me semble que ce rapprochement aurait pu tre exploit plus avant. Elle aurait remarqu que des passages entiers de Nebrija sont transposs dans lIsagoge de Sylvius, suggrant que se constitue un modle de grammaire savante utilisable par les doctes, quel que soient le pays et la langue dexercice.

    3 Lexploitation de la Biographie. Son esprit fureteur conduit Colette Demaizire introduire toutes sortes de dtails biographiques, anecdotiques ou pas, signifiants ou pas. Ici encore une vision densemble aurait sans doute t plus profitable, contribuant rpondre des questions du type : un certain statut professionnel conduit-il un mode spcifique dappropriation de la langue ? Et si oui, dans quelles conditions ?

    Pour conclure et sans cder trop des exigences savantes, nest-il pas utile au chercheur de se forger une mthode dapproche signifiante avant toute approche des faits, faute de quoi le collecteur de faits se rsignera ntre que tenancier de bric--brac (ce qui nest pas sans charme) et non adepte amoureux des beauts de lpistm.

    Jean-Claude ChevalierUniversit Paris-Diderot, CNRS

    UMR 7597

    Ghils, Paul, Les tories u langage au XXe sicle : e la biologie la ialogique, Louvain, Academia-Bruylant, 2008, coll.: Science, thique et socit N 3, 248 p., ISBN 978-2-87209-883-5

    Le livre de Paul Ghils ne manque pas dambition ; le penchant de lauteur est dembrasser large pour inscrire chaque analyse particulire dans une vue densemble et une culture qui entasse les pistmologies. Comme lindique bien le double titre : dune part lauteur vise la totalit des thories

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    linguistiques dans un sicle, le vingtime, qui a pos lambition thorique comme le fondement de toute linguistique nouvelle, dbordant par l le comparatisme. Comme le marque bien conjointement le sous-titre, jet comme un dfi : De la biologie la dialogique , de lenracinement dans ltre de nature la rorganisation par linterprtation dialectique, selon tous les rseaux de variables proposes par les changes dun locuteur lautre telles quorientes par les exigences pragmatiques.

    Remercions lauteur davoir propos un plan densemble lisible qui fournit un clair schma interprtatif dans le fourmillement des hypothses et dveloppements. Jen reprends lconomie. Pour commencer, une vue densemble trs philosophique fondant les grands traits dune pistmologie sur lhritage saussurien, socle du 20e s. tel que lont configur successivement les thses novatrices de Leipzig, lexpansion grand public du CLG propose par Ch. Bally et E. Sechehaye et enfin lextrapolation des dernires annes dite philosophique, projete partir surtout des manuscrits dcouverts dans lOrangerie de la famille Saussure par R. Engler et S. Bouquet. Sensuit un foisonnement des structuralismes, troit dans la tradition de Meillet, reprise et modifie par le prince Trubetzkoy, dmesurment tendu dans celle de R. Jakobson et Cl. Lvi-Strauss qui pose la question dun mtalangage universel. Quon peut rsoudre soit sur des schmas de type logique abstrait, soit, lautre bout du systme, par des techniques communicatives.

    Sinscrit alors conjointement la rvolution amricaine, la fin des annes 40, qui soppose aussi bien au behaviorisme local, li lethnologie, quau structuralisme europen. Ambitieuse entreprise dun mathmaticien, analyste du langage, Chomsky : il tente de situer son laboratoire du MIT dans lhistoire dune aventure des structures qui inscrit lempirisme dans un horizon rationaliste ayant pour ambition de cerner luniversel, partant de lhypothse des facults innes pour justifier les illusions duniversel qui sont le lot des rationaux. Et ramenant les postulations de la raison absolue au jeu social du quotidien des parleurs.

    Eclatement et/ou reconstruction , tel est ds lors le dilemme quaffrontent les savants. Ce sera lpoque de la multiplication des analyses smantiques, poque non close actuellement, dchire entre le cognitif et le social qui a eu tendance se diluer dans la multiplicit des hypothses smantico-pragmatiques et donner cette impression de fluidit qui transparat de la linguistique contemporaine. Que Paul Ghils rsume sous deux formes de discours en un chapitre intitul : De la clture de la langue louverture de la parole .

    Ici se retrouvent les hypothses de la linguistique qui ont nourri lanthropologie, les schmas jakobsoniens repris et dvelopps par Lvi-Strauss, qui ont permis dun ct, comme chez Benveniste, de maintenir le caractre mtaphysique de la langue et de lautre, de revenir une ontologie aristotlicienne comme chez les thoriciens de la conceptologie/ terminologie technoscientifique. (205) Ce qui conduit une modernit paradoxalement dchire, comme il est dit en conclusion :

    Le premier (discours) est li lincertitude du dialogue de tradition augustinienne dans lenceinte de la cit plurielle, qui reprend lhumanisme de Montaigne quelques-uns de ses accents sceptiques. Le deuxime assume la puissance de la rationalit incarne dans la classification des savoirs, dans laction des technosciences et de leurs terminologies universelles, dans lordre euclidien et hirarchis des communauts souveraines. (p. 238)

    Expos souverain certes pour un sicle, le 20e, ambitieux dans ses finalits et visant ordonner en dialectiques la multiplicit de ses interprtations. Expos fond sur une trs vaste culture de lauteur qui permet de prsenter tout problme comme une succession de problmatiques en rseaux, chacun anim par des grands noms de la science. Telle cette esquisse des clatements du structuralisme qui justifie lincessante fcondit dun mouvement marquant les points de rupture, les failles qui parcourent le socle structuraliste qui dessinent les enjeux fondamentaux : ontologie de la langue et place de la parole, rapports de lindividu, du social et de la communaut, statut du

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    sujet, rapports du systme et de lhistoire, etc (69). Regroupements dautant plus impressionnants que de grands noms y sont attachs comme autant de grelots rythmant la musique des sphres qui sentrechoquent. En exemple : la convergence des sciences exactes et des sciences humaines et de diverses expressions pistmologiques et cyberntiques qui dessinent un lieu o cyberntique et thorie des systmes convergent dans une thorie de la complexit faisant appel divers modles : intelligence artificielle, systmes neuronaux connexionnistes, thorie des catastrophes de Thom, thorie du chaos, thorie fractale de Mandelbrot, systmes autopoitiques de Maturala et Varla, systmisme de Morin et von Bertanalffy. Conduisant la conclusion : Lobjectif reste lunification de la science (75).

    Lexercice tourne rapidement un dploiement de virtuosit qui merveille le lecteur aussi bien que lauteur, bloui par la prgnance de sa mmoire. Le cosmos linguistique sordonne autour de lignes qui joignent, au-del dAristote, Saussure Locke, mais aussi bien le Cratyle Descartes et Hobbes (p.55). Emerveillement du lecteur, dis-je, comme celui quil prouve devant le cosmos dvoil par les astrophysiciens contemporains, rgul par de grandes lois rationalisables rgissant les observables, mais travers par de multiples cataclysmes qui se dploient et surprennent dans linfini observable, installant une libert ordonne dans linfinit aussi bien que dans le microcosme du parleur contemporain.

    Jean-Claude ChevalierUniversit Paris-Diderot, CNRS

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    NOTES DE LECTURE

    Desbordes, Franoise, Ies grecques et romaines sur le langage : travaux istoire et pistmologie, prface de Marc Baratin ; textes runis par Genevive Clerico, Bernard Colombat et Jean Soubiran, Lyon, ENS ditions, 2007, ISBN 978-2-84788-108-0.

    Aprs la parution de Scripta varia, Rtorique antique & Littrature latine, Louvain, Peeters, 2006 (voir HEL 29.1, 2007, p. 173-175), il faut saluer cette nouvelle initiative visant recueillir les travaux de Franoise Desbordes (dornavant F.D.) consacrs lhistoire des thories linguistiques. Les textes ont t rpartis en deux sections, correspondant respectivement aux rflexions dordre gnral et aux analyses plus pointues sur la grammaire. Clt le livre une riche prsentation de luvre de Georges Dumzil (publie lorigine en 1981).

    Parmi les nombreux chapitres, on relit avec le plus grand intrt des contributions qui sont devenues des classiques , car elles constituent de vrais acquis dans nos disciplines. Pour ce qui est des grammairiens latins, on ne saurait assez recommander la prsentation gnrale du Corpus grammaticorum Latinorum, parue en 2000 (p. 235-250), o F.D. montre juste titre la complexit dun corpus dont on nglige parfois les critres de slection et qui est trop souvent considr comme homogne, alors quil mlange des textes aux plans variables et des analyses htrognes. La question trs controverse de la troisime partie des artes grammaticae, consacre aux uitia uirtutesque orationis, a t compltement rvolutionne par un article paru en 1986 et crit en collaboration avec Marc Baratin (p. 65-90). Dans cette tude, F.D. renonce lide traditionnelle selon laquelle la grammaire latine aurait puis dans des sources stociennes, pour mettre plutt en vidence la constitution progressive dune doctrine de lornementation, mi-chemin entre la grammaire et la rhtorique, au sein mme du domaine de la correction.