3
Journal de Chirurgie Viscérale (2013) 150, 1—3 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com ÉDITORIAL Liquide sucré deux heures avant l’intervention, café et chewing-gum après. . . et puis quoi encore ! Sweet liquids 2 hours before the operation, coffee and chewing gum after. . . and what else! La morbidité postopératoire a été depuis longtemps considérée par les chirurgiens comme la résultante directe de leur geste ou plutôt de la qualité de leur geste. C’est vrai [1,2]. Mais sans dédouaner le chirurgien de ses erreurs techniques, on peut aussi se demander si la seule habilité chirurgicale suffit à assurer la qualité des suites opératoires (en termes de confort pour le patient) et la réduction de la morbidité postopératoire. Les chirurgiens ne doivent pas oublier que d’autres facteurs peuvent être incriminés dans les suites opératoires, ces facteurs sont liés aux patients (âge diabète, dénutrition) mais aussi aux soins pré-, per- et postopératoire. Une précision d’importance, ces facteurs « non- chirurgicaux » (non directement liés à la technique opératoire) ne peuvent en aucun cas servir de prétexte pour justifier une mauvaise technique opératoire. Mais prenons le cas d’un patient opéré de manière optimale sans aucun incident peropératoire (une « belle » anastomose colorectale avec un test d’étanchéité satisfaisant des collerettes parfaites et des segments intestinaux bien vascularisés, et un champs opératoire sans aucune suf- fusion hémorragique), est-il pour autant à l’abri des complications postopératoires ? La réponse est non, il n’est même pas à l’abri de complications dites chirurgicales (fistules anastomotique, péritonite postopératoire, abcès de paroi, etc.) : si ce patient était dénu- tri avant l’intervention et qu’il n’a pas eu d’immunonutrition préopératoire, il a plus de risques d’avoir des complications chirurgicales [3], s’il n’a pas eu de réchauffement per- opératoire il a plus de risque d’avoir une infection du site opératoire [4], s’il a eu un remplissage veineux exagéré, il a plus de risque d’avoir des complication postopératoires chirurgicales ou non [5]. Et on peut ainsi multiplier les exemples. . . Une approche pluridisciplinaire des résultats de l’acte opératoire a le mérite de faire descendre le chirurgien de son piédestal, il n’est plus le seul intervenant dans les soins aux patients. Le chirurgien est ainsi amené à considérer son rôle au sein d’une équipe pluridisciplinaire (anesthésiste, et autres soignants paramédicaux). C’est l’un des mérites de ce nouveau paradigme qu’est la réhabilitation améliorée après chirurgie (et non pas réhabilitation rapide ou accélérée car au-delà de la durée d’hospitalisation, la réduction de la morbidité est un effet significatif de cette approche) (Enhanced Recovery after Surgery ou fast-track Surgery) [6—9]. Grâce à son caractère multimodal, cette nouvelle approche a permis de mettre en lumière des mesures simples (mais qui peuvent étonner) ou d’autres mesures allant à l’encontre de dogmes installés depuis plusieurs décennies. C’est le sujet de cet éditorial. DOI de l’article original : http://dx.doi.org/10.1016/j.jviscsurg.2013.01.003. Ne pas utiliser, pour citation, la référence franc ¸aise de cet article, mais celle de l’article original paru dans Journal of Visceral Surgery, en utilisant le DOI ci-dessus. 1878-786X/$ see front matter © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. http://dx.doi.org/10.1016/j.jchirv.2012.10.010

Liquide sucré deux heures avant l’intervention, café et chewing-gum après… et puis quoi encore !

  • Upload
    k

  • View
    215

  • Download
    1

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Liquide sucré deux heures avant l’intervention, café et chewing-gum après… et puis quoi encore !

Journal de Chirurgie Viscérale (2013) 150, 1—3

Disponible en ligne sur

www.sciencedirect.com

ÉDITORIAL

Liquide sucré deux heures avant l’intervention, caféet chewing-gum après. . . et puis quoi encore !�

Sweet liquids 2 hours before the operation, coffee and chewing gum after. . .and what else!

La morbidité postopératoire a été depuis longtemps considérée par les chirurgienscomme la résultante directe de leur geste ou plutôt de la qualité de leur geste. C’estvrai [1,2]. Mais sans dédouaner le chirurgien de ses erreurs techniques, on peut aussi sedemander si la seule habilité chirurgicale suffit à assurer la qualité des suites opératoires(en termes de confort pour le patient) et la réduction de la morbidité postopératoire. Leschirurgiens ne doivent pas oublier que d’autres facteurs peuvent être incriminés dans lessuites opératoires, ces facteurs sont liés aux patients (âge diabète, dénutrition) mais aussi

aux soins pré-, per- et postopératoire. Une précision d’importance, ces facteurs « non-chirurgicaux » (non directement liés à la technique opératoire) ne peuvent en aucun casservir de prétexte pour justifier une mauvaise technique opératoire. Mais prenons le casd’un patient opéré de manière optimale sans aucun incident peropératoire (une « belle »anastomose colorectale avec un test d’étanchéité satisfaisant des collerettes parfaiteset des segments intestinaux bien vascularisés, et un champs opératoire sans aucune suf-fusion hémorragique), est-il pour autant à l’abri des complications postopératoires ? Laréponse est non, il n’est même pas à l’abri de complications dites chirurgicales (fistulesanastomotique, péritonite postopératoire, abcès de paroi, etc.) : si ce patient était dénu-tri avant l’intervention et qu’il n’a pas eu d’immunonutrition préopératoire, il a plus derisques d’avoir des complications chirurgicales [3], s’il n’a pas eu de réchauffement per-opératoire il a plus de risque d’avoir une infection du site opératoire [4], s’il a eu unremplissage veineux exagéré, il a plus de risque d’avoir des complication postopératoireschirurgicales ou non [5]. Et on peut ainsi multiplier les exemples. . .

Une approche pluridisciplinaire des résultats de l’acte opératoire a le mérite de fairedescendre le chirurgien de son piédestal, il n’est plus le seul intervenant dans les soinsaux patients. Le chirurgien est ainsi amené à considérer son rôle au sein d’une équipepluridisciplinaire (anesthésiste, et autres soignants paramédicaux). C’est l’un des méritesde ce nouveau paradigme qu’est la réhabilitation améliorée après chirurgie (et non pasréhabilitation rapide ou accélérée car au-delà de la durée d’hospitalisation, la réduction dela morbidité est un effet significatif de cette approche) (Enhanced Recovery after Surgeryou fast-track Surgery) [6—9]. Grâce à son caractère multimodal, cette nouvelle approchea permis de mettre en lumière des mesures simples (mais qui peuvent étonner) ou d’autresmesures allant à l’encontre de dogmes installés depuis plusieurs décennies. C’est le sujetde cet éditorial.

DOI de l’article original : http://dx.doi.org/10.1016/j.jviscsurg.2013.01.003.� Ne pas utiliser, pour citation, la référence francaise de cet article, mais celle de l’article original paru dans Journal of Visceral Surgery,

en utilisant le DOI ci-dessus.

1878-786X/$ — see front matter © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.http://dx.doi.org/10.1016/j.jchirv.2012.10.010

Page 2: Liquide sucré deux heures avant l’intervention, café et chewing-gum après… et puis quoi encore !

2

êmdlgrddnqleptdtlrerdll

c(leiPlgderedlq[

epeastednptc

t««cprdprlm

D

Lt

R

[

[

Un jeûne préopératoire de plusieurs heures continue àtre la règle dans la pratique quotidienne malgré les recom-andations des sociétés savantes fondées sur un niveaue preuves élevé [10—12]. Il est maintenant prouvé qu’en’absence de troubles de la vidange gastrique en cas derossesse, diabète, reflux gastro-œsophagien, maladie neu-ologique, les patients peuvent boire du liquide clair jusqu’àeux heures de l’induction anesthésique sans augmentationu risque d’inhalation [13]. Permettre au patient de conti-uer à boire évite la sensation de soif et réduit l’anxiétéui précède chaque intervention chirurgicale. Mais depuises années 1990, des données scientifiques robustes ont misn évidence le rôle d’une charge glucidique préopératoireour limiter les effets de l’insulinorésistance accompagnantoute chirurgie abdominale avec un état de catabolismeélétère [14]. Donc au-delà de la simple ingestion d’eau, dehé ou de jus sans pulpe, l’apport de solutés riche en glucidea veille et deux heures avant l’intervention réduit de 50 % laésistance à l’insuline et, la durée de séjour postopératoiren cas de chirurgie réglée lourde (telle que la chirurgie colo-ectale) dans deux méta-analyses [15,16]. Nous avons donces données d’un bon niveau de preuves qui montrent quee simple apport de solutés riches en glucide a un effet sure confort des patients et sur la durée d’hospitalisation.

Sur un autre plan, l’iléus postopératoire est la principaleomplication non infectieuse après chirurgie colorectaleou chirurgie abdominale), il est source d’inconfort cheze patient, d’allongement de la durée d’hospitalisationt de surcoût. La prévention de l’iléus fait partientégrante des protocoles de réhabilitation améliorée.lusieurs méta-analyses ont montré une réduction de’iléus postopératoire par la mastication de chewing-um après l’intervention [17,18]. Nous disposons donc’un moyen simple et peu coûteux pour réduire l’iléust la durée d’hospitalisation. Mais même si un essaiandomisé de faible puissance a suggéré un possibleffet du chewing-gum après laparoscopie [19], l’effetu chewing-gum ne semble significatif qu’en cas deaparotomie, le gain après laparoscopie n’était pas clini-uement pertinent dans la plus récente des méta-analyses18].

Et enfin, le café. . . Son effet sur la motricité intestinalest prouvé chez les sujets sains, mais peu d’études ont étéubliées sur son efficacité après chirurgie. Récemment unssai randomisé a été publié sur ce sujet [20]. Cet essai

inclus 80 patients (ayant eu une colectomie par laparo-copie ou par laparotomie) et a montré que la reprise duransit était significativement plus précoce (de 14 heures)n cas d’ingestion de café, mais sans effet sur la durée’hospitalisation (mais le calcul du nombre de maladesécessaire n’a pas été fait sur ce critère de jugement). Oneut regretter l’absence d’analyse des sous-groupes laparo-omie et laparoscopie. D’autres essais sont nécessaires pouronfirmer ces résultats.

Comme on peut facilement le constater, la révolu-ion chirurgicale post-laparoscopie, n’est pas vraimentchirurgicale » [21], mais concerne un ensemble de mesuresmédicales », parfois simples (absence de préparationolique, apport préopératoire de glucide, réchauffementeropératoire, pas de sonde gastrique, réalimentationapide etc.) et parfois plus techniques (analgésie péri-urale). Bien entendu, toutes ces mesures simples neréviennent pas les complications chirurgicales sévèresedoutées par tout chirurgien si la technique opératoire ete protocole anesthésique peropératoire n’ont pas été opti-aux.

[

[

[

[

[

[

Éditorial

éclaration d’intérêts

’auteur déclare ne pas avoir de conflits d’intérêts en rela-ion avec cet article.

éférences

[1] Hermanek P. Impact of surgeon’s technique on outcomeafter treatment of rectal carcinoma. Dis Colon Rectum1999;42:559—62.

[2] Risucci D, Geiss A, Gellman L, Pinard B, Rosser J. Surgeon-specific factors in the acquisition of laparoscopic surgical skills.Am J Surg 2001;181:289—93.

[3] Cerantola Y, Hübner M, Grass F, Demartines N, SchäferM. Immunonutrition in gastrointestinal surgery. Br J Surg2011;98:37—48.

[4] Kurz A, Sessler DI, Lenhardt R. Perioperative normothermiato reduce the incidence of surgical-wound infection and shor-ten hospitalization. Study of Wound Infection and TemperatureGroup. N Engl J Med 1996;334:1209—15.

[5] Varadhan KK, Lobo DN. A meta-analysis of randomised control-led trials of intravenous fluid therapy in major elective openabdominal surgery: getting the balance right. Proc Nutr Soc2010;69:488—98.

[6] Ljungqvist O. ERAS-enhanced recovery after surgery. J Visc Surg2011;148:e157—9.

[7] Gustafsson UO, Scott MJ, Schwenk W, et al. Guidelines for per-ioperative care in elective colonic surgery: enhanced recoveryafter surgery (ERAS®) society recommendations. World J Surg2013;37:259—84.

[8] Lassen K, Coolsen MM, Slim K, et al. Guidelines for periope-rative care for pancreaticoduodenectomy: enhanced recoveryafter surgery (ERAS®) society recommendations. World J Surg2013;37:240—58.

[9] Nygren J, Thacker J, Carli F, et al. Guidelines for periopera-tive care in elective rectal/pelvic surgery: enhanced recoveryafter surgery (ERAS®) society recommendations. World J Surg2013;37:285—305.

10] Smith I, Kranke P, Murat I, Smith A, O’Sullivan G, Søreide E,et al. Perioperative fasting in adults and children: guidelinesfrom the European Society of Anaesthesiology. Eur J Anaesth2011;28:556—69.

11] Practice guidelines for preoperative fasting and the use of

pharmacologic agents to reduce the risk of pulmonary aspi-ration: application to healthy patients undergoing electiveprocedures. An updated report by the American Society ofAnesthesiologists Committee on Standards and Practice Para-meters. Anesthesiology 2011;114:495—511.

12] Chambrier C, Sztark F, Groupe de travail de la Société fran-cophone de nutrition clinique et métabolisme (SFNEP) et dela Société francaise d’anesthésie et réanimation (Sfar). Frenchclinical guidelines on perioperative nutrition. Update of the1994 consensus conference on perioperative artificial nutri-tion after elective surgery in adults. Ann Fr Anesth Reanim2011;30:381—9.

13] Brady MC, Kinn S, Stuart P, Ness V. Preoperative fasting foradults to prevent perioperative complications. Cochrane Data-base Syst Rev 2003;4:CD004423.

14] Ljungqvist O, Jonathan E. Rhoads lecture 2011: insulin resis-tance and enhanced recovery after surgery. JPEN J ParenterEnteral Nutr 2012;36:389—98.

15] Li L, Wang Z, Ying X, et al. Preoperative carbohydrate loadingfor elective surgery: a systematic review and meta-analysis.Surg Today 2012;42:613—24.

16] Awad S, Vaeadhan KK, Ljungqvist O, Lobo D. A meta-analysis ofrandomized controlled trials on preoperative oral carbohydratetreatment in elective surgery. Clin Nutr 2013;32:34—44.

17] Chan MK, Law WL. Use of chewing gum in reducing postope-rative ileus after elective colorectal resection: a systematicreview. Dis Colon Rectum 2007;50:2149—57.

Page 3: Liquide sucré deux heures avant l’intervention, café et chewing-gum après… et puis quoi encore !

[

[

[

Liquide sucré deux heures avant l’intervention, café et chewing

18] Fitzgerald JE, Ahmed I. Systematic review and meta-analysisof chewing-gum therapy in the reduction of postoperativeparalytic ileus following gastrointestinal surgery. World J Surg2009;33:2557—66.

19] Asao T, Kuwano H, Nakamura J, Morinaga N, Hirayama I, Ide M.Gum chewing enhances early recovery from postoperative ileusafter laparoscopic colectomy. J Am Coll Surg 2002;195:30—2.

20] Müller SA, Rahbari NN, Schneider F, et al. Randomized clinicaltrial on the effect of coffee on postoperative ileus followingelective colectomy. Br J Surg 2012;99:1530—8.

[

-gum après 3

21] Slim K. Fast-track surgery: the next revolution in surgical carefollowing laparoscopy. Colorectal Dis 2011;13:478—80.

K. SlimService de chirurgie digestive, CHU Estaing, 1,place Lucie-Aubrac, 63003 Clermont-Ferrand,

France

Adresse e-mail : [email protected] sur Internet le 18 fevrier 2013