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8/10/2019 Lirreductible
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L irréductible
Henri MALDINEY
L irréductible Pourquoi l article «l »
Support de l universel mais gardant trace
en
lui du mémorial,
l apport
de
sens qu il annonce
à
l infini
d une
marche au large est depuis toujours là dans
une mémoire achronique.
L irréductible est ce qui ne peut être réduit, ce qui ne peut être ramené
à
autre chose que soi - ni, pa r déconstruction, à des
éléments
simples. ses consti
tuants, ni, par analyse. à des conditions préalables de possibilité ou
d existence.
Il
n y
a pas
d en deçà
à partir d où la pensée puisse l atteindre et le concevoir. Il
n a de marques qu en lui-même.
La tournure négative de son nom ne signifie pas
qu il
se rapporte à soi en se
délimitant par rapport à autre chose et qu il soit déterminé, à la fois, pa r cette
limite qui lui serait
immanente
et par l inquiétude qui le pousserait à l outrepas
ser. Il se tient en-deçà aussi bien
qu au delà
de toutes les déterminités. Il oppose
une résistance indifférente et absolue
à
l opération de pensée qui les traverse et
les supprime toutes en les mettant successivement hors-jeu. Son être-ainsi ne
dépend
d aucun
principe ou nécessité logique. Comme l inespérable d Héracli-
te,
est incherchable et sans voie d accès.
Pourtant, n est-i l pas le but ou plutôt l attrait de cette course-poursuite d où
toute recherche dite méthodique tire son
nom?
Methodos est composé de «odos» :
chemin, et de «meta» : «à la suite de»... Le
Discours de la méthode
est
l exposé
d une telle poursuite,
qu e
Descartes explicitera dans les deux premières
Médita-
tions
dont l allure et le cours sont précisément
ceux d une
réduction. L irréduc
tible se découvre
à
l extrémité du chemin du doute,
dont
est aussi le commen
cement. La pensée se heurte
à
sa
libre
épok è
à
la mise en suspens de tout
l étant, dans laquelle elle
se trouve suspendue
en
elle-même à elle-même.
L épokhè husserlienne, elle, ne porte
pa s
seulement sur
l ensemble
de
l étant, mais à la fois sur l étant et sur l inétant. Elle suspend toute thèse, affir
mative ou négative du monde. Ce qui ne se laisse pas résoudre, et contre quoi se
brisent toutes les tentatives de réduction, n est
pa s
quelque chose qui puisse être
inventé, déduit ou dérivé. C est quelque chose qui est
trouvé Comme «l objet
transitionnel» dont D.W. Winnicott a reconnu le rôle décisif dans l apprentissa
ge du réel par l enfant,
à
l âge
où celui-ci n est encore proprement ni chez soi ni
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12
HENRI MALDINEY
au monde.
L objet
transitionnel (ours en peluche, coin de couverture; pouce
sucé, etc.) n est pas seulement un refuge pour enfant perdu; est un pointde
passage obligé pour l apprentissage du
monde
et de soi-même. Il occupe, dit
Winnicott. une
place dans
le temps et
l espace,
là où la mère se trouve elle
même entre deux
états:
confondue avec l enfant (dans l esprit de celui-ci),
séparée de lui comme objet perçu. Il fonctionne dans «cette zone intermédiaire»
qui se situe
entre
la vitali té psychique interne et le monde extérieur,
t.el
qu il est
perçu
par
deux personnes en
commun , Ce
«entre» est de liaison et d écart.
«L utilisation de
l objet
transitionnel symbolise l union de deux choses séparées
(l enfant et la mère) en ce point du temps et de l espace où s inaugure leur sépara
. . '
tion»>.
Or la doctrine husserlienne porte sur ces
deux
types de réalité. Elle est expo
sée pour la première fois dans les «Cinq
Leçons»
de 1907.:
«Die l der
ii-
nomenologie»> Husserl y es t
à la recherche, en référence à Kant, d une «véri-
table phénoménologie de la connaissance et d abord, référence à Descartes,
de la cogitatio La tâche d une telle critique estdeéclairer l essence de la
connaissance et de l objectivité visée en
elle--.
Pour
rnenre à nu le dimension
nel de la connaissance, n y a
qu une
voie: l épurer, par réductions, de tout ce
que, par elle-même,
elle n est
pas.
Cette «réduction
théorique» ne peut être
qu une réduction phénoménologique laissant à découvert, l essence de la
connaissance. Elle exige la mise hors-circuit de toutes les transcendances, c est
à-dire de tout
ce
qui , dans la pensée et
de
la pensécroutrepasse ce qui est donné
dans
l immanence
de la
cogitatio comme
telle. , ,
,
«Cette
immanence
consiste dans une donation absolu c et claire, dans une donation
de soi au sens absolu. Cette donation
qui
exclut tout doute ayant sens, vision et sai
sie absolument immédiates de I objcct ité
visée
elle-même et telle qu elle est,
constitue le
concept
prégnant
d évidence,
comprise
comme
évidence immédiate.
«Toute
connaissance non
évidente,
visant
ou posant son objet mais ne le voyant
pas
lui-même
est transcendante-s. . ,
Il n y a rien en elle qui soit donné «lui-même»,
r ~ ~
que nous voyions
comme
est dit dans le langage de la vénerie - «par corps».
. . l '
«Dans toute recherche concernant la théorie de la connaissance, faut [m]
accomplir la réduction théorétique, c est-à-dire affecter. toutes les transcen
dances de
l indice
de la mise hors-jeu ou de
l indice
de l indifférence, de la nul
lité théorétique;
d un
indice qui dit: l existence de toutes ces transcendances,
qu on
doive y croire ou non, ce
n est
pas le lieu d en
juger
[parce
qu i l n y
a pas
1.
2.
3.
4.
5.
D. W. Winnicott, Playing and Reafity 1971 ; tr.
fr.
Jeu et réalité Gallimard, Paris
1975, p. 13.
e ,. v.,
Ibid p. 134.
,
,- t,
, : ' '
Edmund Husserl Die Idee der Phdnomenologie
ü n f V o r l e s u n g e ~
Husserliana Bd. II,
Martinus Nijhoff, The Haag, 1950.
Op cit p. 35.
lbid p.
35.
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L IRRÉDUCTIBLE
13
de lieu pour juger], cela reste complètement hors-jeu-s. hors de cause, et tombe
sous le coup de la réduction.
L irréductible se donne «lui-même» dans un voir de telle sorte que sa dona
tion est en même temps sa révélation et sa dimension d être. «Le voir ne se lais-
se ni dériver ni déduire»? Dans Logiques formelle et transcendantale Husserl
l affirmera sans
ambages
«C est seulement en voyant que je peux mettre en
évidence ce dont il
s agit
véritablement dans un
voir;
l explicitation de l essen
ce propre d un tel voir, je dois l effectuer en voyant-e.
De cette donation, en quoi consiste la véritable immanence, Husserl dit
qu elle est «vision et saisie» d une objectivité visée «elle-même» telle qu elle
est. Vision et visée sont entre elles comme intuition et intention; les deux coïn
cidant dans la cogitatio Ce qui fait de celle-ci un paradoxe, par où elle
s excep-
te de l ensemble de l étant le paradoxe d une immanence intentionnelle. Une
telle immanence exclut tout rapport de contenu à contenant. La donation du vu
n est pas une inclusion réelle du donné dans l acte de vision, mais sa manifesta
tion sous l horizon du voir, que sous-tend l intention.
La cogitatio
n est
donc pas - pour employer les termes, ici parfaitement
adaptés, de Fichte - Tatsache mais Tathandlung So n intentionnalité constituti
ve ne comporte, de soi, rien d empirique. Elle n est pas un fait de conscience,
un vécu psychique. Son immanence intentionnelle a un analogue dans le statut
de l objet transitionnel. Celui-ci, ni interne ni externe, est l entre-deux virtuel
d un dehors et d un dedans qui n existent pas encore.
implique un espace
potentiel duquel tient toutes ses dimensions. Or la potentialité est la dimen
sion même de l intentionnalité:
«Chaque actualité implique ses potentialités qui ne sont pas des possibilités vides,
mais qui ont un contenu et qui sont préfigurées à titre d esquisses intentionnelles
dans le vécu actuel de chaque moment et,
de
plus, portent en elles
la
marque du
moi à réaliser»v.
Ces potentialités ne peuvent pas être entées comme des greffes sur l inten
tionnalité actuelle. Elles ne peuvent être fondées en elle que pour autant
qu elle
aussi est par essence potentielle. Ce qui veut dire en puissance d elle-même
sous l horizon qu elle s ouvre. «Chaque vécu a dans le changement de com
plexion de sa conscience et dans ses changements de phase, un horizon chan
geant - horizon intentionnel renvoyant
à
des potentialités de conscience appar
tenant
à
ce vécu lui-même v.
La structure d horizon de toute intentionnalité prescrit à l analyse et à la des
cription phénoménologique une méthode
d un
genre entièrement nouveau. Le
6 Ibid p. 39.
7 Ibid p.
38.
8. Edmund Husserl, Formole und tranzendentale Logik Halle 1975, p. 142 ; trad fr
Suzanne Bacheland,
Logiques formelles et transcendantales
PUF, Paris, p. 216.
9. Edmund Husserl, Cartesianische Meditationen Husserliana Bd 1, Martinus
Nijhoff
The Haag 1950
p.81.
1 Ibid p. 82.
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HENRI
MALDINEY
propre de l'analyse intentionnelle est de « évoiler les potentialités impliquées
dans les actualités de
conscience
»11. Tout cogito en tant que conscience est
dans un sens très large
«signification»
de ce
qu'il '
vise, mais ce «signifié»
dépasse, à
tout instant, d'un «signifier plus»,
ce
qui es t donné à
l'importe quel
moment comme expli itement visé. Ce dépassement de soi de sa propre visée
inhérent à
toute
conscience, est
un
moment
essentiel
de
cette
consciencesu,
Le «dépassement
de
l'intention
dans l'intention
même» (selon l'heureuse tra
duction
de
Levinasu) es t
la
dimension constante
de l'intentionnalité
comme
telle. . . .' .::>
«Toute intention,
di t
E. Levinas, est une
évidence
qui se
cherche-v.
Elle se
cherche en elle-même à l'avant de soi
en
soi plus avant. Cette quête de soi ne
fait qu'une
avec
sa
visée
de quelque chose. Ce
quelque
chose est visé
dans
Un
sens. «L'analyse
intentionnelle est
le
dévoilement des
actualités et des potentia
lités dans lequel
les objets
se
constituent
comme unités de sens-».
A sens ce
qui
a sa
place
déterminée dans un système de possibles. Mais
encore faut-il
que
ce
système
ait un sens.
Dans
la perspective husserlienne il
consiste
dans un
«corps» de potentialités. «Corps»
es t
à
prendre non seulement
dans son sens algébrique, mais dans le sens aussi de l 'a llemand «Ieib» cf leben
:
vivre) qui
désigne
un
corps
en
puissance t'horizons.
:':/
' ,'
«A toute
conscience
en
tant
que
conscience
de quelque chose appartient
par
essen-
ce
la
propriété non seulement de
pouvoir
passer à
d'autres
modes de conscience
toujours
nouveaux
- et cela en tant que conscience
du
même objet qui [...]
réside
intentionnellement en
ces
modes comme
sens
objectif identique - mais de le pou-
voir et de ne le pouvoir que sur le mode de ce que j'ai appelé intentionnalité
d'horizon» , ' .
.,.
Le sens du
sens est
impliqué dans la vie intentionnelle comme l'horizon
transitionnel
qui
lui
donne
ouverture.
Cette
sor tie de soi
à
soi
es t
la conscience
même. Son dépassement vers et dans
un sens qui
n'
es t
ni un étant ni un rapport
entre étants
est d'un
autre
ordre que tout processus
empirique se déroulant
dans
un
monde
en soi
présupposé. L'intentionnalité
de la conscience «doit exprimer
cet acte qui ne se
présente
pas
parmi
les déterminations empiriques de
notre
conscience, ni ne
peut
s
'y
présenter, mais se trouve au fondement de
toute
connaissance et la rend possible» , Si Cette
phrase
de Fichte convient d'aussi
près à la phénoménologie de Husserl, c'est que celle-ci est un «idéalisme
trans-
cendantal»,
toutefois dans
un sens fondamentalement nouveau. «Cet idéalisme
Il.
tbid
p.
82.
..
'
12. Ibid.•
p.
84.
13. Emmanuel Levinas, En decouvrant l
existence
m cc Husserl et H e i d ~ ~ ~ e ~ : J Vrin Paris
1967,p.130. . ,
14 Ibid p. 86. ' _ . L
15. Edmund Husserl, Die Pariser Vortrage. Husserliana; Bd. J,1950, p. 19.
16. Edmund Husserl, Carresianische Meditarionen.lvc.
cit.,
p.
83.:;
I
17. J.G. Fichte,
Grundlage der gesammten Wissenschaftslehre,
in
Fichtes erke
Bd. l,
Walter de Gruytcr, Berlin,
1971
p.41.
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L IRRÉDUCTIBLE
15
n est pas autre chose que l auto-explicitation
d'un ego
comme sujet de toute
connaissance possible. La phénoménologie est auto-explicitation au sens prégnant
du terme: elle montre systématiquement comment l ego se constitue comme étant
en soi et pour soi, d'une essence absolument
propre;
elle est auto-explicitation,
dans un sens élargi, en ce qu elle montre à partir de là comment l ego constitue en
soi, en vertu de cette essence qui lui est propre, un autre, objectif, et donc aussi
tout ce qui pour lui a, dans le moi, valeurd être en tant que
non moi »
La cogitatio en tant qu intentionnali té ressort it à la diathère de moyen, sui
vant laquelle le lieu du procès énoncé par le verbe est l auteur même du procès.
Ne demandons pas ù se trouve ladite vie intentionnelle», cette question n'est
pas pertinente. Le milieu de l être ne précède pas la vie intentionnelle. «Ce fut
une idée profonde de Husserl, dit Eugen Fink, d'avoir montré que, prise au sens
strict, elle ne survient ni à l intér ieur du sujet, ni à l extérieur dans les choses
[...], car elle constitue la dimension primordiale à l intérieur de laquelle se sépa
rent l extérieur et IH intérieur [... Husserl aboutit finalement à la conception
d'un processus universel dans lequel l apparition du sujet et de l'objet est englo
bée dans la totalité de la vie intcntionnellesw.
statut ontologique de la vie intentionnelle est comparable - formellement
- à celui du vouloir-vivre dans la philosophie de Schopenhauer. Même si le
monde cessait d'être, dit Schopenhauer, la musique ne cesserait pas d exister ,
parce qu elle est, à égalité avec le monde, une manifestation immédiate de la
«volonté». De même l hypothèse, évoquée au
§
49 des
Idées, d'une
conscience
sans monde, ne signifie pas la ruine de l intentionnalité. Pour cette raison
d abord, présentée par E. Levinas, que «la destruction du monde est un phéno
mène ayant un sens positif et impliquant nécessairement une conscience, laquel
le, par conséquent, une fois le monde détruit, continuerait à avoir une significa
tion transcendantale, ne fût-ce que celle de monde détruit »20. Pour cette autre
raison, ensuite, qui sous-tend la première, indiquée par Husserl au § 84, «Rien
par là n'est changé à l existence absolue des Erlebnisse ; ils sont bien plutôt
présupposés pour tout cela». Ce qui est présupposé, c'est une intention orientée
vers le sens: «monde», sans qu'un monde soit posé comme étant ou inétant.
«Le corrélat plein de l intentionnalité, ce dont J acte a conscience, n'est pas un
objet, mais un sens»>. Voilà précisément J irréductible: la signifiance,
L épokhè est la mise en suspens de toute thèse engageant l étant . Elle-même
se tient en suspens dans le vide ouvert par le déménagement du monde et dans
lequel elle est sans appui mais aussi sans astreinte. En deçà de toute réduction.
L irréductible qui ne se savait pas encore mais était déjà là dans la forme de
18. Edmund Husserl, Cartesianische Meditationen.Loc. cit., p. 118.
19.
Eugen Fink, «L analyse existentielle et le problème de la pensée spéculative», in Pro-
blèmes actuels de la phénoménologie, Paris, 1952, p. 75-77.
20.
Emmanuel Levinas, La phénoménologie de Husserl, Paris,
1930,
p. 81.
2 . Edmund Husserl,/deen p. 218.
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16
HENRI
MALDINEY
} épokhè
se découvre, par la suite, comme intentionnalité universelle -laquelle,
elle aussi, ne repose
qu en
soi.
Comme I exprime
la tautologie sui-transitive du
cogito cogitatum «Le monde n est
pour moi absolument rien d autre que le
monde qui est e t vau t pour
moi
dans un te l
cogitos-e..
r; -, \ •
L être-dans-la-conscience
d un
objet ou du monde consiste dans une
inclu-
sion intentionnelle du cogitatum dans le cogito. Mais cette inclusion intention
nelle (et avec elle l intentionnalité dans
son
ensemble) reste suspendue [...] en
l air
ou [...]
à
soi.
«En l air»,
di t Eugen Fink. Viser la chose dans un sens n est
pas encore la viser dans son sens
d être. L analyse
intentionnelle qui prend
sur.
soi
d aller «à
la
chose elle-même»
l a
déjà, dans
sa
visée même, réduite à
la
forme de l objectité.
Pour
Husserl,
l étant
est objet et rien de plus» . Il ne
réussit pas à
l arracher aux
guillemets qui, pour en exclure toutes les transcen
dances, réduisent
l objet
intentionnel,
après
épuration, à l état de «simple phé
nomène». Alors
qu il
a réussi à
englober
l apparition du sujet et de l objet
dans
le processus universel de la vie intentionnelle»>,
n a
pas, selon Fink, «élucidé
Je sens
d être
de celle-ci . Il
n est
pas arrivé à une détermination ontologique de
ce processus
constitutif»».
>
. ~ . : ,
L expression
«simple
phénomène», prise dans un sens restrictif, détourne la
fonction et le sens des «guillemets phénoménologiques» Ces guillemets qui
s ouvrent et se referment sur chaque objet intentionnel de la conscience
sont à
chaque fois l expression locale
d une
universelle et originelle
épok è
De soi
celle-ci
n est
pas négative. Ces guillemets, dont un décret .phénoménologique
paraît avoir décidé
d affecter
l objet de conscience pour le soustraire à l effectivité
prétendue réelle du
monde
matériel et à la tentation des transcendances, ont en
fait
une fonction positive qui est originaire.
Par
une inversion complète -
comme
le
vide du vase en fait l usage en en ordonnant à soi toute la tournure - ce qui parais-
sait s excepter
s universalise:
ils ouvrent l espace primordial à partir
duquel
l intérieur et
l extérieur
non seulement se séparent, mais accèdent à la réalité.
Comment et
à
quelle
réalité?
1.>
•. .
ô
Il y a, selon Fink, maldonne au sujet
de
la c h o s ~ ·,,;,iie-même». La
chose
à
laquelle la méthode phénoménologique
donne
accès n est pas l étant tel qu il,
est en lui-même,
mais l étant
qui
par essence
est
objet c est-à-dire
étant pour
nous. [...] Quelle es t la relation entre
l êt re pur
d un étant et l être-objet de cet
étant? Cette question est explicitement désignée
par
Husserl comme une
ques-
tion mal
posées-ae.
Mais
«c est
le problème le plus capital qui dépasse la
phéno-
ménologie de Husserl [...] Celle-ci
décide
simplement que l objet est identique
au phénomène qui se montre et se
préscntes»
toujours certes dans un sens,mais
qui
n est
pas Son sens
d être. .,; I ~ ; , : : - : c
,0
::
22.
23.
24.
25.
26.
27.
Edmund Husserl,
Cartesianische Meditarionen foc. cit.
60.
Eugen Fink, op.
cit.
p. 73.
Ibid.
p. 77
Ibid.
p. 79.
Ibid. p. 69.
Ibid.
p. 69.
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L IRRÉDUCTIBLE
17
«L objet est le pôle d identité immanent aux vécus intentionnels qui le visent
et pourtant transcendant de par cette identité qui les surpasse-as. Mais une chose
est-elle «elle-même» en ce que, dans tous les
modes
de conscience, «elle signi
fie ce qu elle signif ie»>
?
Son sens ne cesse de s effectuer à mesure que se
constitue l expérience. Mais la chose n attend pas l achèvement de l expérience
pour faire valoir sa réalité. Dès le départ, elle nous oppose son altérité qui
jamais ne se dissout ni ne se résout dans son identité d objet intentionnel.
L analyse intentionnelle court-circuite la question de l altérité.
Or, c est justement cette question
qu Emmanuel
Levinas porte au crédit de
Husserl. Sous l intentionnalité objcctivante,
i l
reconnaît une intentionnalité
transcendantale, une «transcendance dans
l immanence»
ouverte vers l altérité.
Elle suppose et propose une extériorité qui
n est
pas objective. Et
c est
là où on
l attendait le moins
qu e
Levinas la découvre.
«II existe chez Husserl une autre façon d interpréter ce moment qui, sans viser un
objet, ne consiste
pas
pour le sujet à
marquer
le pas dans son intériorité. Ce
moment se produit
dans
la fonction transcendantale de la sensibilité»
30.
«
sensible, le
datum
hylét iquc est un datum absolu. Les intentions certes
rani-
ment, mais le sensible est donné avant d être cherché, d emblée.»>
Ainsi se présente et se découvre
à
Husserl - et non pas par hasard dans la
conscience intime du temps -
ï Urimpression
l impression originaire à même
son maintenant. Un objet temporel (par exemple: un son) s écoule. «Ses modes
d écoulement ont un commencement , un point-source pour ainsi dire, point
source avec lequel commence la «production de l objet , et qui donc es t une
impression originaire.
es t
caractérisé comme présentv. Cette conscience sans
doute est saisie dans un changement
continuel:
sans cesse le présent de son «en
chair et en os se change en un passé. Sans cesse un présent de son toujours
nouveau relaie celui qui
es t
passé dans la modification [rétentionnelle]. Mais
quand le présent de son passe dans la rétention, cette rétention es t
alors elle
même à son tour un présent, quelque chose d actuellement là. Pendant qu elle
est elle-même actuelle (mais non pas son actuel), elle est rétention
du
son
passë-», Husserl a souligné la préposition (en français: de qui marque la struc
ture intentionnelle de la rétention, et présente la conscience rétentionnelle
comme une modification
intentionnelle
de la conscience impressionnelle.
En contraste avec cette modification, «l impression originaire, l absolument
non modifié, est la source de toute conscience et de tout être»>.
C est
dans une
28. EdmundHusserl,
Formale und tranzendentale Logik
p.
148;
trad. fr. p. 223.
29. Ibid
p. 147; trad. r p. 223.
30.
EdmundHusserl; Ideen I p. 139.
31 ibid
32. Edmund Husserl, Leçons pour une phénoménologie de la conscience intime du temps;
trad. fr. Henri Oussole, PUF, Paris, 1964, p. 42.
33. Ihid.
p. 49.
34. Ihid.
p. 88.
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18
HENRI
MALDINEY
conscience impressionnelle que se constituent toutes les consciences de chose,
en particulier les perceptions. «Il appartient à
l essence
de tous les actes
d avoir
une intentionnalité de type transcendant et de ne pouvoir
l avoir
que par
quelque chose constitué de façon
immanente; par
.des
~ ~ p p r é h e n s i o n s J 5 .
L impression immanente est présentation, de même -que la. perception elle
même ; dans le premier cas nous avons une présentation i ~ m a n e n t e ; dans
l autre une présentation transcendante à
travers
les apparitions »J6
Ainsi la vie intentionnelle
i es t
pas
suspendue
en l a ir. Le «cogito cogita
tum» husserlien a
bien
le sens
d une inclusion
intentionnelle du cogitatum dans
le cogito mais
elle
s accompagne co-originairement de l inclusion réelle du
cogito intentionnel en lui-même. ~ _ . :
La phénoménologie
est
une ontologie. Elle vise à mettre en vue les choses
«elles-mêmes», à mettre en vue dans une évidence sans appel la dimension de la
réalité. Le réel ne s introduit pas dans la conscience par effraction. Il est l expé-
rience
même
qui tient de soi
son
être. .
«L expérience est la conscience d être auprès d e s ~ h o s e s elles-mêmes , la
conscience de les savoir et de les avoir directement. Elle est l effectuation dans
laquelle, pour moi qui saisis par l expérience, est là l être saisi par l expérience,
et c est en tant que quid qu il est là, avec la teneur et le mode d être que lui
attribue
précisément l expérience, par l acte qui s effectue dans son intentionnalité.xê?
Que veut dire «là» ? Le noyau de l expérience qu est la perception l indique:
«Un objet temporel est perçu tant qu il se produit encore dans des impressions
originaires qui se renouvellent sans cesse»>. Cependant «perçu» et «percep
tion» ont un
second
sens.
Car
«le passé aussi est perçu ; nous sommes
conscients de l
être-qui-vient-tout-juste-d
être , de l être tout juste
passé ,
dans sa présence en
personne,
dans le mode J être-donné-en-personne»39. Le
tout-juste-passé se présente comme tel, maintenant; i l n est pas re-présenté.
Cette présence
en personne
ne fait
qu un
avec J ê tre auprès de la chose «elle
même». Il ont un seul et même «là», où
s ouvrent
- les deux en un - la
conscience de la
chose
et la chose dont elle
est
·cânscience. Etre auprès de la
chose «elle-même», c est être au lieu même de s a manifestation - dont l avoir
lieu apporte avec soi son lieu d être
à même
une
impression originaire qui n a
pas d en-deçà. «C est
dans
la conscience impressionnelle , dit Husserl, que se
constitue la perception.s-o
L une
et l autre son présentatives.
«La
perception est
conscience
un
objet
Mais
c est
aussi,
en
tant
que
conscience, une impression.
quelque chose de
présent
et d immanent. C est dans la conscience originaire
.
5.
36.
37.
38.
39.
40.
Ihid p 118
Ihid. p. 118-119.
Edmund Husserl Formale
und
tranzendentale Logik p.206; trad. fr p. 316.
Edmund
Husserl Leçons
pour
une
phénoménologie 1 ~ c ; ~ s c i e J l ~ e intime
du t ~ m p s p.
S5
Ihid. p. 55.
Ibid.
8/10/2019 Lirreductible
http://slidepdf.com/reader/full/lirreductible 9/39
L IRRÉDUcn LE
19
que se constituent toutes les impressions, les contenus primaires ct aussi bien les
vécus qui sont conscience de. Parmi les vécus, les uns sont des actes, sont
conscience de... les autres non. La couleur sent ie ne se rapporte pas à quelque
chose.v Une conscience d acte
es t
donc
à
la fois impressionneIle et intention
nelle. D une
part
elle
n est
pas suspendue en l air . Mais d autre part, si elle a sa
base, si elle prend fond dans une impression immanente. celle-ci n est pas son
fondement; et l articulation du fond et du fondement fait question: il y a entre
eux plus qu une
opposition:
une différence.
Tout objet saisissable
pa r
l expérience même un objet physique) implique
une certaine idéalité
«C est
l idéalité générale de toutes les unités intention-
nelles à l opposé des multiplicités
à
travers lesquelles elles se constituent.
C est
en cela que consiste la transcendance de toutes les espèces
d objectités pa r
opposition à la conscience de ces objectitéss-c.
Elle s y oppose mais
s y
constitue.
«La transcendance du réel se constitue
[h.]
quant à son être et quant à son
sens, exclusivement dans la sphère immanente, sphère des multiplicités de
conscience. Mais cela ne change rien au fait
qu e
sa transcendance en
t an t q ue
faisant partiedu réel est
un e forme
particulière
d idéalité,
ou mieux d irréalité
psychique: u
forme particulière d un quelque chose apparaissant lui-même
dans la sphère purement phénoménologique de la conscience - et de telle sorte
que ce quelque chose ne soit pas, de toute évidence, un fragment réel ou un
moment réel de la conscience. ne soit pas un datum psychique rée1 »43
Ainsi
«nous
avons devant nous des objets irréels donnés dans des événe
ments psychiques réels»44. Mais comment comprendre ce
d ns
La sphère phé
noménologique de la conscience
n est
pas celle de la conscience phénoménale.
La différence entre elles est celle - absolue - des
deux
sortes d immanences dis
tinguées dans les
Vorlesungen.
Apparaître dans la sphère phénoménologique de
la conscience.ic est se montrer soi-même dans un voir dont une visée intention
nelle
ouvre
l espace de sens. Rapportée à la conscience phénoménale, au tissu
des faits de conscien-ce, l immanence change de nature. Elle consiste dans
l inhérence, à
titre
de composante réelle,
d un
élément ou
d un
processus psy
chique à un vécu, notamment à un vécu de connaissance, c est-à-dire à la cogi-
tatio comme co-agitatio,
A cet égard, le statut de l impress ion originaire et de la temporalité imma
nente de la conscience
es t
ambigu.
I l
est remarquable que Husserl, prenant à la
lettre le terme d impression, ait reconnu en elle la dimension même du sentir.
«Sentir, voilà ce que nous tenons pour la conscience originaire du
temps;
c est
dans le sentir que se constitue l unité
immanente:
couleur ou son, l unité imma
nente : souhait, plaisir. etc. La sensation est la conscience présentative du remps.»:
c ,
:; -
41. Ibid. p.
116
c.
42. Edmund Husserl:Formale und tranzcndentale Logik p. 148 (trad. fr. p. 225).
43. iu« p.l48 (Ir. p. 225).
44. Ibid. p. 149 t ~ p : 224).
45. Leçons
p u ~ ~ ~ ~ ë
p h t n ~ m é n o l o i de la conscience intime du temps p. 141.
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20
HENRI MALDINEY
Il y aurait d on c d eu x sortes immanences authentiques, celle du, et celle
du sentir. La temporalité immanente de la conscience signifie l immanence de
la temporalité à elle-même - et celle. avant tout, de son présent-source, du
pré-
sent de l impression originaire. Cette
immanence
ne relève pas, comme celle
de s idéalités, de la
sphère «purement
phénoménol?gique» de la conscience. Elle
es t toutefois tout
autre
chose
qu e
l inclusion d une composante dans un
vécu.
L écart
entre
l impressionnel et l intentionnel es t universel, et il rejette chacune
su r son
bord
la
«temporalité
immanente»
et
J «intentionnalité générale»
de
la
conscience. Cet é ca rt e st celui de
deux
modes d êtr e en lesquels la conscience
es t
forcée de
se reconnaître
sans pourtant se comprendre. Comment
Husserl
réussit-il à le s articuler?
A ces
deux immanences répondent deux
transcen dances. «Nous
séparons
les
objets immanents
d es o bj et s t ra ns ce nd an ts . C el a
ne peut donc signifier
qu une
séparat ion à l intérieur de ce
concept élargi
de transcendancc.s» Le
terme
d «objet» appliqué
à deux espèces
de
v éc u e st
révélateur. Il fait état d une
inten-
tionnalité à
l endroit
de
c es v éc us purement
impressionnels «qui ne se rappor-
tent
pas
à
quelque chose».
En fait,
dans
la
pensée
de Husserl, expérience
trans-
cendante et t em po ra li té i mm an en te s a rt ic ul en t
entre elles parce
qu elles
impliquent
toutes deux l intentionnalité.
. : ,( ,
Pour maintenir l irréductibilité du sens contre toutes les formes de psycholo-
gisme là où celui-ci apparaît dans sa position la plus forte, Husserl
attribue
la
structure de l intentionnalité c est-à-dire un e structure
d acte
à l impression ori-
ginaire et à so n maintenant. Il
accède
en fait à cet te constitution du présent
impressionnel en pas sant par celle de l ensemble de la temporalité. Le présent
es t assujetti à la
forme
du temps.
Celui-ci
es t un flux. Or, «il appartient à
l essence de ce devenir gu
aucune persistance
ne puisse être en lui. Dans le flux
y
a
des
phases
de
vécu
et des
unités continues
de phases. Mais une
phase
de
ce
genre
n est rien de constant no n
plus
q u e n e
l est
une suite continue> .
Pourtant ce f lux t out ent ier
je peux
l identifier
comme
le même flux.
Telle
est
l antinomie
du
temps.
;1 · - ,,
«Dans le flux, pa r principe, ne peut apparaître aucun fragment de non-flux.]...l a
f1uence d es p ha se s ne peut
jamais
cesser. Mais le flux n a-t-i l pas, d une
certaine
manière, quelque
chose
qui demeure bien
qu aucun
fragment de flux ne
puisse
se
transformer en
non-flux?
Ce qui demeure c est la structure formelle du flux la
forme du flux.o-ra .
La «phénoménologie de la
conscience
intime du temps» élaborée par
Hus-
serl,
s o rd on ne a ut ou r d u
même
p oint c ritiqu e q ue
la phénoménologie
descripti-
ve du
tem ps d an s
la
Physique d Aristote: le s
rapports de l instant et du temps
Pour l u n c om me
pour
l autre
«sans l instant pas de
temps;
sans le
temps pas
46.
47.
48.
Formate und tranzendentate Logik p. 148 (tr. p. 225).
Leçons pour une 1 • •
p lenomeno ogle
de la
conscience intime
du
temps; p.
181.
Ibid
p.
182.
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L IRRÉDUCTIBLE
21
d instant-w. D une part la pérennité du temps repose paradoxalement sur son
ressourcement perpétuel dans l émergence sans
durée
de l instant. «La sensa
tion, dit Husserl, est la conscience
présentative
du ternpsxw. D autre part, l ins
tant est assujetti
à
la forme du temps. Dans le flux continu des phases d appari
tion, «chaque phase est
d une
seule et même fonne ; la forme permanente du
flux est sans cesse remplie à
neuf
par un contenu , mais le contenu
n est
rien
d introduit du dehors dans la forme; il est au contraire déterminé par la forme
de la loi [du
flUX]»5
D où
l impression qu ont souvent les hommes, et de plus
en plus au cours de leur vie, en dépit de la variété de leurs travaux et de leurs
jours,
d avoir
toujours
été
les mêmes.
Husserl et Aristote reconnaissent tous deux dans la continuité du temps une
continuité de transition, celle du temps qui passe, et qui passe par l instant:
«sans
l instant pas de temps». Mais Aristote ajoute :
dans
l instant
pas
de
temps. «Quand nous sentons l instant comme unique,
il
nous semble qu aucun
temps ne
s est
passé.»52 Selon Husserl, au contraire, l instant saisit le temps.
«J ai la perception de la conscience du temps dans le maintenant.»53 Mais «j ai
la conscience du temps avant
qu elle
ne soit
à
son tour devenue objet de percep
tion»>. La conscience du temps
n est
donc pas une structure
d acte et
mieux
vaudrait dire: la conscience «temps». «Le flux absolu de la conscience est
constitutif du temps.s»
Les phénomènes constitutifs du temps co-responsables de son flux et de sa
forme ne sauraient prendre place dans un temps objectif Il n y a pas
à
dire
«qu i ls sont dans le maintenant et
qu ils
ont été auparavant,
qu ils
sont les uns
par rapport aux autres successifs ou simultanés»>.
On
doit dire
qu une
phase
de flux avec sa
continuité d apparition «appartient
à un maintenant (celui
qu elle est) et appartient à un auparavant, en tant qu elle est (nous ne pouvons
pas
dire:
était) constitutive
pour
lauparavant»>
Le
flux constitutif du temps
n est rien de temporellement objectif. «Il est la subjectivité absolue; il a les
priorités absolues de quelque chose qu il faut désigner
métaphoriquement
comme flux , quelque chose qui jaillit maintenant en un point d actualité,
un point-source originaire.
Dans
le vécu
d actualité
nous avons le
point-sour
ce originaire et une
continuité
de moments de retentissement. Pour
cela
les
mots font défaut.»58
49 Aristote Physique
IV
214
b
13.
50 Leçons pour une phénoménologie de la conscience intime du temps p. 4
5l lhid
p.
152.
52 Aristote Physique IV 219 a 21.
53 Leçons pour une phénoménologie de la conscience intime du temps p. 150.
54 Ihid
p. 150.
55 Ibid
p.
34.
56 Ibid
p.
99.
57 Ibid p. 99.
58 Ibid p. 36.
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22
HENRI
MALDINEY
Husserl a décrit minutieusement la
conscience
diffusive du présent concret
en qui se constituent à la fois la certitude ct l inquiétude du temps. Toute
conscience impressionnelle inclut son propre maintenant et «l être-maintenant
passé» du maintenant qui pr éc ède . Elle
un it d an s
le maintenant
d une
impres
si on la p rés enc e de c el le- ci la s ie nn e et la cons cie nc e. pr ése nt e du tout-juste
passé dans laquelle la passéification
actuelle
d un présent en cessation d être
es t identique à la présentation actuelle de so n être-passé.:
Ce qui demeure à travers cette itération du flux tem po re l q ui s intériorise à
soi en créant
s on p ré se nt
à tout moment
donné
c est la forme du flux. Elle
consiste en ceci
«qu un
maintenant se
c on st it ue p ar
une impression et qu à
celle-ci s articulent une queue de rétentions et un horizon de pretentions». La
rétention est «une intentionnalité de type spécifique»> Dè même la protention. Le
flux constitutif du temps
dont
chaque phase se donne actuellement à la conscience
rétentionnelle dans son être-passé à t ravers la profondeur sans cesse accrue de
l être-passé des phases précédentes a
donc
la structure de l intentionnalité. Etant
la forme du temps et la conscience du temps cette structure intentionnelle doit les
articuler dans to utes les dimensions
et;
doit.: par conséquent s étendre
à
ce
moment crucial de la temporalité qu est le maintenant de l impression originaire.
,. - ,
En réalité la situation phénoménologique T est pas si simple et Husserl est
dans l embarras. Avec la sensation «mode essentiel du temps» «sont enlacées par
essencewo la rétent ion et la protention. Pa r ailleurs elle
s en
excepte puisqu elle
est «le non modifié absolu» - et puisque en cela m êm e elle est «la source de
toute conscience et de tout êt re
ultérieurss-r. S en
excepte avec elle toute réalité.
En dépit de
leur
contemporanéité
dans
le maintenant actuel il y a entre
l impression
et
la rét enti on une
hétérogénéité dont
la forme du temps est l arti-
culation... à
l impossible.
i
«La forrne
permanente
du temps. dit Husserl porte la c onsc ie nc e de la mutation
continue qui es t un fait
originaire:
la
conscience
de la m utation de l impression en
rétention. tandis
qu à
nouveau
constamment
une impression est là-ea.
La structure du t em ps co ns is te en r éa li té de é e « t ~ n d j s qu » qui lie en une
s ~ u mutation l écoulement des sensations originaires dans le passé et leur sur
gissement dans un nouveau présent.
«Tout l ensemble des sensations originaires es t soumis à ~ e t t e loi. Il se transforme
en une c ontinuité c onstante de m odes de
conscience
et de modes de l être-écoulé et
dans la
même
constance
un ensemble
sans
cesse nouveau de sensations originaires
prend originairement sa source pour
passer
à Son tour dans l être-écoulé.set
,
.
,
59 Ibid
p.
138.
60. Ibid p.
141.
61. tua: p. 141.
62 Ibid p. 152.
63.
tu«
p. 102.
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L IRRÉDUCTIBLE
23
Husserl reconnaît l hétérogénéité des deux séries dans l unité de la conscience
du temps.Mais quand s agit d articuler, en elle, le
devenir
passé et
l advenir
pré
sent, la langue est en défaut. Les noms sont devenus des mots, mots qui «signi
fient», alors que l impression originaire est une «signifiance insignifiable». C est
pourquoi Husserl ne peut que dire: «Voyez». «On ne peut dire que voyez : une
sensation originaire dont on a conscience dans un maintenant immanent (par
exemple un maintenant de son), se transforme continûment en modes de la
conscience du passé immédiat, en laquelle nous avons conscience de l objet imma
nent comme passé, et
en même temps
ensemble surgit une sensation originaire nou
velle et sans cesse nouvelle, un maintenant sans cesse nouveau s établit.ss-
Ces expressions : «tandis que», «dans la même constance», «en même
temps», qui impliquent le temps, présupposent le défini dans la définition.
Mais
elles le manquent, parce que, dans l usage, elles
n expliquent pas
le temps tel
qu elles
l impliquent.
Il
n est
pas juste de
dire:
<da constance des modes de
conscience et des modes de l être-écoulé» en laquelle se transforment les sensa
tions originaires, est la
même
que celle «dans laquelle elles prennent originaire
ment leur source-ss. Le présent qui soudain est
là
es t
autre chose encore
qu e
le
moment initial d une continuité intentionnelle. So n jaillissement ne se laisse pas
confondre avec celui de l être-tout-juste-passé. Ils ne sont pas co-originaires, ca r
seul le premier s origine à soi... et
à
rien. Husserl fait du présent un
moment
versif, où du temps qui vient se verse en temps qui s en va - et cela
dans
le
même temps, qui est celui du devenir et non de
l advenir
«Tout temps
perçu
est
perçu comme passé qui a le présent pour tenne.»66
Aussi cherche-t-il
à
saisir le présent dans le flux rétentionnel de la conscience.
«Nous
n avons qu un continuum unique qui sc modifie en permanence. Si nous
divisons d une manière quelconque ce continuum en deux parties contiguës, celle
qui
enveloppe
le maintenant [...] constitue le maintenant épais , qui se divise
à
son touren unmaintenant mince et en un passé, dès que nous poussons la divi
sion plus loin se?
Le présent épais est un présent de composition comportant une parcelle de
passé (et une parcelle de futur). Le présent mince
es t
un présent de posi tion.
«Présent transpositif (ainsi le nomme Gustave Guillaume), ne se mani feste
que comme limite.
«Des
appréhensions
[rétentionnelles]
passentconstamment lesunes dans les autres.
Leur
dernier terme est une apparitionqui constitue le maintenant, mais qui n est
qu une limite
idéalc.seë
Cette limite est
l enveloppe
de modifications de modifications. Mais celles
ne tendent pas vers elle. C est elle, au contraire, qui en détermine le flux. Et
64. Ihid. p. 102 103
65. Ibid
p.
102
66 lhid p 81
67.
Ihid
p.
56.
68. Ibid p. 56.
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26
HENRI
MALDI: IlEY
,
Structurée par l intentionnalité universelle de la conscience, qu est-ce alors
que l histoire?
Est-elle
dominée
de l intérieur par la téléologie de la raison?
Sans nul doute
pour
Husserl. «La forme universelle de la genèse intentionnelle
est celle de la cons titu tion de la tempora lité immanente qui domine une
légalité rigide toute vie c o n s c i e n t e » 8 3 ,.,,: .;.
, . 1: 1
0
•
«La modification intentionnelle a pour caractéristique générale de renvoyeren
-
mêm
au non-modifié. A partir de tel mode non-original de donné, le sujet
peut
tendre vers le mode
original
et éventuellement présentificr explicitement le
mode
original.»76 . ,
Or
la
présentificalion exclut
la présence réelle. Elle ne modifie pas le pré-
sent de la
présence.
Elle ne modifie
pas l originarité
de l originaire.
Elle
les
ignore. Les
modifier
serait les aboli r. Eugen Fink insiste sur l arbitraire de
ridée de modification. «Le lointain est-il en vérité une modification du
proche? Le passé et le futur des modifications du
présent?
L autre une modi-
fication de mon
moi
?»77 Husserl cependant
déclare:
«Ce qui
est présent
à
la
conscience
ans un
mode
non-original se donne
comme
étant
la
même chose
que cc
qUÎ
est con-scient dans le mode de l expérience,
celui
du
cela-lui-même?»? . . , .
«Il se laisse identifier avec la même chose clarifiée , c est-à-dire préfigurée
telle
qu elle aurait
été
donnée elle-même
dans
l expérience
possible.»>?
Ce mot est révélateur. Qu est-ce qui
est
possible selon
Husserl?
- ce
qui
est
conforme à la «structure téléologique de la conscience, qui a une «disposition à
la raison et même une tendance constante vers
elle; IUl.
La
donation d une
chose «elle-même» remplissant l intention qui la vise,
s inscrit
dans
la configuration
d un
monde fondé en raison. Suivant le
même
style de pensée,
Husserl,
en
dépit
de ce
qu il
a entrevu de l impression
origi-
naire, n a cessé d affirmer la primauté ontologique de la vie intentionnelle.
L intentionnalité
anime et structure la temporalité de la conscience. Aussi
l implication «statique» des vécus dans l ensemble de la vie intentionnelle se
double-t-elle d une implication génétique. «L analyse intentionnelle génétique
est dirigée vers l ensemble concret
dans
lequel se situent toute conscience et
son obje t
intentionnel.» Elle
prend
donc
acte des
«renvois intentionnels qui
appartiennent à la
situaüon-er. Avec
la situation «vient en question l unité
immanente de la temporalité de la vie qui a,
dans
cette temporalité, son histoi
re»82.
76.
77.
78.
79.
80.
81.
82.
83.
Edmund Husserl, FormaIe un tranzendcntale Logik 276
(tr. p. 409).
Eugen
Fink, op cit p. 81. .
Edmund Husserl, Formate un tranzendentale Logik p. 276 (tf.
p. 409).
Ibid
Ibid •p.
143 (Ir. 218);
cf Ibid p.
218 (Ir. 330).
lhid p.
278 (Ir. 410).
Ibid p.
278 (Ir. 410).
iu« p.
279 (Ir. 412).
.
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L IRRÉDUCTIBLE
27
Ce devenir légal exclut l alégali té du nouveau. Il n y a rien en lui qui per
mette de penser un advenir. Or, déjà dans l ordre de la vie,
l
y a des disconti
nuités critiques dans lesquelles le vivant est mis en demeure de disparaître ou de
se transformer. La structure de la crise n est pas intentionnelle. Elle ne se ramè
ne pas à un conflit d intentionnalité.
La
crise est à la fois une déchirure et un bond de la temporalité, une déchiru
re dont le jour est celui d un nouveau monde. Cela n est possible qu en ce que
le temps est dans les choses ou les processus eux-mêmes et non pas elles et eux
dans le temps. l s agit d un temps opérationnel tel que chaque opération est
déterminée dans sa forme par la suivante, et celle-ci par une autre encore... qui
n est pas là. La structure du temps biologique (comme celle de l espace biolo
gique) décrite par Weizsâcker, consiste en émergences individuelles du moment
au service de l opération. «11 faut reconnaître à l espace-temps biologique une
structure exclusivement génétique se développant à partir du ici-présent.»84
De même le temps de l advenir s engendre à partir de l événement d une
impression originaire.
Comme
l
apparaît dans la
Krisis.
Husserl a le sentiment de la situation
et
de
l histoire. Mais l n a jamais abandonné ce qui constituait sa véritable foi origi
naire, sa
« rdox »
l idée d une
«téléologie historique qui ordonne les buts
infinis de la
raison-v.
Elle s était exprimée dans les appendices aux Logiques
formelle et transcendantale. «Toute vie de la conscience n est pensable que
comme une vie qui est donnée originellement dans une forme (par essence
nécessaire) de la factici té : dans la forme de la temporali té universelle dans
laquelle tout vécu reçoit sa place temporelle identiquesw... qui l individualise.
Le mot «facticité» (faktizitât) employé par Husserl figure déjà dans la
deuxième édition (1913) des Recherches logiques. Ce mot auquel Heidegger
devait assurer un grand destin est devenu soudainement actuel dans le vocabu
laire de la philosophie, là où se posait à elle le problème de l individuation.
Théodore Kisiel en a relevé les premiers emplois . Dans le livre de Willy Moog
Sur le psychologisme (1919), le mot est employé une vingtaine de fois.
Par
opposition à la
logicité
supra-temporelle, la facticité est temporelle, donc
contingente, individuelle, concrète, unique. Irrépétables«, Dans l ouvrage de
Bruno Bauch sur Kant (1917) et dans la recension de Natorp (1918), le concept
84. Viktor von Weizsàcker,
er
GestaltJ:.reis 4· ed., Stuttgart, 1968. Trad. fr. Le cycle de la
structure Desclée de Brouwer, p. 182.
85. Edmund Husserl, la crise de l humanité européenne et la philosophie revue de Méta
physique et de
Morale
3, 1950, p. 258.
86. Formale und tranzendentale Logik p. 279
(tr.
412).
87. Théodore Kisiel,
Das Enstchen des Begriffsfeldes «Faktizitât» im Frùhwerk: Heideggers
in
Dilthey Jahrbuch ûr Philosophie und Geschichte der Geisteswissenschaften
Van den
Hock und
Rupucht Gottingen, vol.4.1986-1987. p. 91 120.
88 Op cit. p.94.
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28
HENRI MALDINEY
de facticité intervient
avec
le même sens
dans
la question d une Iogicité ultime
de
l individuel.
alogique et sans fonne .»89
Heidegger emploie
pour
la
première
fois «facticité» comme concept
philoso-
phique fondamental dans son cours du semestre
d été
1920 et en deux
acceptions
successives:
au
début du
cours, dans le
sens
des
néo-kantiens;
à la fin du Cours
dans un sens à lui proprew. Mais Je sens heideggerien de la facticité était déjà en
gestation dans
son tout
premier
cours de
Marbourg
(Kriegsnotsemester :
semestre
de
l état
de
guerre)
: février-avril 1919. Il perçait obstinément à travers une tour-
nure de langage tout à fait insolite.
qui
fit une telle impression sur l auditoire et
au-delà. que le nom de Heidegger se
propagea
partout comme une rumeur,
Hans-Georg Gadamer rapporte qu au
tournant
de 1920-21 lui parvint le bruit
que «Heidegger à Marbourg, dans un cours obstinément résolu à soi et d une
profondeur
d esprit
révolutionnaire,
avait employé l expression: «es
weltetv»
Expression insolite en effet,
dont
le gauchissement décidé Verschrobenheit)
provoque
à la
pensée.
« s
w lt t» es t
une formation verbale impersonnelle,
comme «es
regnet»
: i l pleut,
ou
«es
gilt» : i l s agit
de... Surtout,
c est
un
néolo-
gisme obtenu
par
verbalisation
du
nom-substantif.
«w il»
(monde). Cette
trans-
formation
es t de grande
portée.
Elle s ignifie.
la dé-réification du
monde
en
même
temps
que sa réalité.
Ce qui distingue un
verbe
d un nom, ce qui le fait proprement verbe, c est
l aspect.
«
verbe
est
un
sémantème qui explique
et qui implique le
temps.
Le
temps
impliqué est celui
que le
verbe
emporte
avec soi, qui lui est inhérent et
dont
la
notion
es t indissolublement
liée
à
celle
de verbe.
«Le
temps
expliqué
n est pas le
temps
que le
verbe
retient en soi [en
enexie]
[...], mais le tempsdivi-
sible en
époques que
le
discours
lui attribuesw.
Le verbe - et
c est
là sa dimension
aspectuelle,
transcendante aux
modes
et
aux temps -
implique une
tension de
durée.
«Welten».
c est
se faire
monde
se
mondéiser.
Dans « s
weltet»
par
ailleurs.
comme- dans toute phrase
imperson-
nelle. le
verbe
«welten»
es t
le prédicat
1 t p C Ô ~ O V urrolCE1JlEVOV
innommé et
désigné
par
le
neutre impersonnel «es».
Le
monde
n y figure pas en positionde
sujet. Le lfPÛl1:0V
UlfOKE1/lEVOV,
qui est le
véritable
sujet, accède à la
mondéité
sous la forme de ce procès indiqué pa r le verbe et qui exclut tout substrat.
« s
welter»
se
subroge
à «es
gibt»
tge en
donner)
qui exprime la donation de
l étant
en tant que
tel:
i l
y a
-
donation
se
donnant elle-même: il y a qu il y a.
On
ne peut
traduire
«es
welter»
par: i l y a le monde. Le monde est est ce y qu il
o ~ ~ se
mondéisant,
s
weltet
: le règne du
monde
se déploie en une mon-
déité
universelle
et
singulière. Il
n est d événements
que du monde s advenant
en eux. La
manifestation
de
l étant est
mondéisation.
,La
s i t u a ~ i o n
es t
aussi
immédiate
que celle
décrite
par
Nietzsche dans son
poeme de Si ls
Mana:
«J étais là [...] tout
lac.
tout midi». On peut penser:
«tout
89.
90.
91.
92.
Ibid.
p.
94.
Ibid.
Hans-Georg Gadamer,
Heideggers Wege
Tübingen, 1983,
p
141.
Gustave Guillaume, Langage et science du langage.
P ~ r i s Q u é b e c
1964, p.4i
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L IRRÉDUCTIBLE
29
monde». Mais «es weltet» change la donne : Heidegger ne dit pas comme
Nietzsche:
«rien que
jeu»,
car le monde ne se
mondéise
pas
comme
jeu
mais
comme événement et histoire. «Es weltet» : voiJà J irréductible. «Es welter» et
«j en suis» : voilà la facticité.
cet irréductible répond l irréductibilité de la philosophie. Ni science théo
rique, ni Weltanschaunng, elle est la science absolument première,
originaire:
Urwissenschaft.
Libre de tout idéal ou principe préalable, sa propre fondation est
impliquée en elle. Son irréductibilité a pour corrélat celle de la réalité.
C est
une
question de vie et de mort pour la philosophie que celle-ci : «y a-t-il qu il y a ?»,
«que signifie il y a ï
Sur ce point, ce point
capable
du cercle de la pensée, Heidegger a com-
mencé par
s expliquer avec
Je néo-kantisme.
Natorp
dans une
leçon
du
semestre
d été
1922 qui
emprunte
son contenu
à
ses leçons de 1912,
déclare:
«Il y l
fait jaktum ; y l l y a.
Il
y l
caractère
unique de
l ultime:
l est le
l
est »93
«C est le problème de la facticité au sens rigoureux 94 ou
de l vindividualité t-vs, tel qu il résul te de la distinction kantienne de l intui-
tion et des concepts.
Mais
cet te origine du
problème est justement
ce
qui
le
déracine. Heidegger
juge
que Natorp, en
dépit
du souci
qu il
a de
la vie
concrète et du retour à J o rigine, résout - et
par là dissout
- le donné
en pure
déterminité de la pensée. Aussi déclare-t-il dans son
premier
cours: «Il
n y
a,
à
aucun moment, de i l y a pour les néo-kantiens». Ils ne sont pas en prise
sur la question philosophique première, parce qu ils la confient
à
la pensée
théorique. La philosophie
comme
science radicale a son fondement dans
une
dimension pré-théorique qui est, à ce
moment pour
Heidegger - comme pour
Nietzsche autrefois au
sortir
d une autre guerre -
celle
du vivre la vie: rl -
hen.
Heidegger accède
à
la vie par l historicité.
Ses
premiers cours de
Marbourg
en marquent les étapes.
A
partir du cours du semestre de guerre (KNS), note
Théodore Kisiel, « historique dans son individualité» trouve
son
lieu et son
centre dans «le moi historique» qui «se produit en propre» sich ereignet . Dans
son cours du semestre
d été
1919, après la lecture du livre de
Jaspers: Psycho-
logie der Weltanschauungen,
Heidegger parle du
«moi en
situation» (situations
ich) et dans le cours suivant (hiver 1919-1920) de
«l expérience
vitale facticiel
le» qui s aiguise dans Je monde du soi
96
• Ainsi la facticité est
la dimension
unique de l histor ique et du vital en
l homme,
de ce que Ludwig Binswanger
devait nommer «innere Lebensgeschichte : histoire intérieure de la vie. Elle est
l irréductible.
Or elle inclut
à
la fois la vie
et
la philosophie qui sont deux expressions du
«es weltet», Ni l une ni
l autre
ne sont l affaire de la pensée théorique. Mais
qu y a-t-il
à
la base de cette exclusion? La
pensée
théorique se trouve-t-elle
93. Paul Natorp, Philosophische Systematik, Hambourg, 1958, p. 220.
94. Ibid.. p. 234.
95. Ibid., p. 232, cités par T. Kisiel, op. cit.; p. 97.
96. Cf. Theodor
Kisicl
p.95.
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3i
qué dans le schème ve rba l, la tension de durée qui lui es t inhérente, et non pas
le temps dans lequel il s explique par rapport
à
un locuteur. Le vivre, de même
ne s explique pas ne sort pas de son pli en se déployant dans un monde dé jà là.
Mais le monde est impliqué dans la vie. Si mu lt an éme nt la tension de la v ie es t
celle de I être-en-souci :
Sorgen.
Elle est en souci pour et au sujet de quelque
chose. Ce en vue
et
à
r ai son de quoi se déploie,
à
même
la vie, le souci, est
à
déterminer, dit Heidegger, comme signifiancerot.
Mais la vie ne peut répondre du sens de la vie qu en répondant du s ens du
sens. Il ne suffit pas pour cel a d aff ir mer que «la vie n est pas quelque chose de
chaotique, mais qu elle est à comprendre comme quelque chose de s igni fi cati f
s exprimant soi-même. Elle se manifeste, écrit Théodore Kisiel, dans des modes
d apparaître qui lui sont propres. Elle produit de soi-même ses tendances facti
cieIJes et les amène par soi-même
à
leur rernplissernent. Autrement dit, eIle est
auto-suffisante. Dans et par sa signifiance, c est-à-dire pa r sa teneur de sens la
vie parle à elle-même dans la langue de la vie. Elle s exprime sous forrne de
tendances dans des situations vitales concrètes, dans la relation de
motif
à ten
dance, c est-à-dire dans son
sens référentiel.
La vie se comprend,
s éprouve
et
s apprend en ce qu elle accompagne son flux structuré tendanciellement.
vivre-avec de la vie vécue, qui constit ue le sens de son accomplissement et qui
consiste en
ceci: qu il a cc om pa gn e la vie vivante dans sa plénitude, comme
intériorité de la vie
à
soi-même, s appelle histoirewva.
Peut-on dire sans y mettre de la complaisance que la vie se comprend en
accompagnant son propre flux? Cett e i nt ériorisation à soi est en fait une i ntr o
projection qui est
l acte
d un moi.
L homme
projett e son souci dans des s it ua
tions existentielles qu il introjecte dans le flux de la vie. Cette opération
d Einfühlung caractérise tout un versant de l art, dont Wilhelm Worsinger après
Theodor Lipps a donné la
formule:
«La jouissance esthétique est jouissance de
soi objectivée».
«Le sentiment de bonheur que l h om me m od ern e éprouve en pré se nc e des
arts de l Einfühlung consiste dans la satisfaction de son besoin intense d auto-
activité.
«Nous sommes dél ivrés de notre être indivi duel aussi longtemps que, mus
par notre poussée i ntérieur e à vivre quelque chose, nous nous éprouvons dans
un objet extérieur, dans une forme extérieure. Nous sentons pour ainsi dire
notre individualité s écouler dans de fermes limites en contraste avec la diffé
renciation illimitée de la conscience individuelle. Dans cette objectivation de
soi il y a un dessaisissement de
SOÎ »I 3
Toutefois, lintro-projection du moi dans
l élément
de la vie ne
l enferme
pas réellement «en de fermes limites». Il participe au contraire au flux vital uni
versel, là où comme pa r e xe mp le dans la peinture de Rubens ou du Tintoret)
l Einfühlung est portée à son degré le plus extrême.
IOl /hid p.
90.
I02./hid. p.l03.
103.Wilhem Worringer, Abstraktion und Eirfûhlung München, ed. 1948, P. 36-37.
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8/10/2019 Lirreductible
http://slidepdf.com/reader/full/lirreductible 23/39
L IRRÉDUCTIBLE
33
L homme
seul est capable de rencontrer quelque chose. Le quelque chose
n est ni objet transcendantal ni nœud vital. Il est un moment de la
rnondéisation,
à même laquelle il est le moment conjugué d un autre: J avènement de soi. Ce
ne sont pas là des données de la vie. «Es weltet» : s ouvre le monde et j en suis.
Je suis impliqué dans la mondéisation. Celle-ci cependant n est pas, en dépit du
«es»
un événement neutre dont
je
ne serais
qu un
accident.
y
ai part.
y
suis
engagé au risque de
moi-même:
un risque dont l enjeu que je suis dépend de la
façon dont je joue le jeu du monde et de moi. Mon rapport au monde est donc
essentiel lement ambigu. Je suis jeté au monde comme étant, mais comme étant
auquel a été remis d être le
là
de la mondéisation et qui se tient là - ouvert et
ouvrant - pour l ouverture du monde. C est le sens même de la facticité.
La facticité n est pas un état de chose. C est un mode d être, le mode d être
d un étant dont l être a la forme de l «exister». Elle est l indissoluble union de
l être jeté
Geworfenheit)
et de la t ranscendance: une chose ne peut être jetée à
soi. Elle n a pas, faute de transcendance, de soi à jeter ni à qui être jetée. Ne
peut être
jeté
à soi
qu un
étant capable de soi. Il se trouve alors dans cette situa
tion contradictoire d être livré à sa propre transcendance dont il est en même
temps l ouvreur.
Autant qu à la chose, la facticité disconvient à Dieu. Par raison inverse. Il
n est pas jeté à soi parce qu il n existe pas en je t dans un projet. Ces deux traits,
par contre, définissent l homme et son rapport au monde. Le «es weltet» exige
la présence humaine. La mondéisation est une avec l avènement du soi.
L être
là est jeté à son là en vue de l ex ister comme être au monde à dessein de soi.
«L être-là est en existant son là, veut dire: le monde est là ; son être-là est
l être à...» Oll A vouloir si tuer ce là, on est pris de vertige; la question «où ?»
elle-même flotte en lui. C est à être à... que l êt re-là existe le
là
du monde; il
l existe
à
être
au monde.
«Etre au monde», qu est-ce à
dire?
Il ne
s agit
pas de
s y introduire pour y être; mais l être-là se tient ouvert pour l ouverture du
monde et de soi.
Le monde s ouvre là, c est-à-dire en lui-même, en tant que «es weltet» est
cette ouverture. Il s ouvre en même temps et au même lieu que l étant destiné à
être le là, et qui «comme être du là»l a ouvert temps et lieu. «L express ion
là désigne cette essentielle ouvertureuv par quoi cet étant ( l être-là) est là
pour lui-même en indivision avec l être-là du monde.»lll
L ouverture «es weltet» s accomplit avec l avènement de l être-là «qui est
en lui-même éclairci comme être au monde, non par un autre étant mais en ce
qu il est
lui-même l éclaircie» », «face éclairant
à
soi» à laquelle le monde
s envisage
«comme
à soi le muct» .
108. Martin Heidegger, Sein und Zeit, p. 145.
109./hid., p. 132.
11O /hid
p.
132.
Ill lhid p. 133.
112./hid., p. 133.
113. André Du Bouchet, Laisses.
8/10/2019 Lirreductible
http://slidepdf.com/reader/full/lirreductible 24/39
34
HENRI MALDINEY
.
'.
R.M. Rilke, dans un
sonnetà
Orphée,
Atmen
(Respirer),
exprime
le
change
mutuel, la mutation_ totale et réciproque du
monde
en ouverture et du soi en
advenir dans le
rythme
unique du souffle,
- -
,.
«Respirer. Poème invisible
perpétuel par échange contre mon être propre
de l'espace
même
du monde. Contrepoids
dans lequel rythmiquement moi-même je me deviens...»114
Heidegger toutefois, entend plus
décidément l'unicité
du là du
monde
et du là
';
qu il
a été remis, à
l étant
que je suis, d 'exister . Etre au monde est ce à dessein de
quoi
Worumwillen
l 'être-là est, en existant. D'autre part, il existe, selon la guise
de son être, à dessein de soi
Sichumwillen .
Il
n y
a là ni contradiction ni décala
ge, ni même partage.
Le
«à dessein» est le même. La
significativité
du
monde
et
le sens de l 'être-là s 'ouvrent dans le même comprendreiu, Et de même qu il est
l 'étant pour lequel il
y
va de son être dans cet être même,
l être-là
est' «l étant
pour lequel, en tant qu être au monde, il y va du monde» », Pourquoi «yen va-t
de...
» ?
Parce que le
là qu un
tel étant a
à
être, est suspendu à un «à dessein»
dont il a à ouvrir l'horizon en se projetant vers des possibilités. .
Le «à dessein»
es t
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là
même. II est vertigineux parce qu il
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par
essence
(ou au sens strict du mot, par ex-istence) inéluctable et irréalisable. Le réaliser
serait l'anéantir. Il y perdrait sa dimension absolument propre:
son
ouverture. Il
n est là,
en effet,
qu à
maintenir en ouverture sa propre possibilité. Elle
est
irré-
ductible à l'étant. Elle
est
irréductible à la vie. .
Ce qui a
été
déterminant dans le passage sans retour de
Leben
à
~ s e i n c est
la question du sens sur le sens duquel Heidegger en est venu à différer radicale
ment de Husserl. La question du sens du sens a partie liée originairement avec
celle du sens de l'être. Cette partie
esl-
suivant le projet méthodique de Sein
un
elt
- d'ores et déjà engagée lorsqu'on s'interroge sur la constitution dimension
nelle de l'être-là. L'être-là est l'étant dans
l être
duquel il y va de cet être même.
De
même il est l 'étant dans le sens duquel il
y
va du sens du sens. '
«L'interrogé primaire de la question du sens de l être» » est identiquement
l i n t ~ -
rogé primaire de la question de l 'être du sens. Ce qui s 'exprime ouvertement dans
cette déclaration de Heidegger: «Seul l'ê tre-là peut avoir sens ou être privé de
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36
HENRI MALDINEY
\
,
t
• «Dans'le projet du monde, l étant ne s 'est pas encore manifesté en lui-même. Il
Vdevrait même rester caché si l'être-là qui projette n'était lui-même déjà aussi, en
. . tant que projetant, au milieu de l 'étant. Mais être au milieu de... ne signifie pas
, se présenter parmi les autres étants, ni même sc diriger e x p r e s s é ~ e n t vers eux
P entretenant un rapport avec eux. EIre au milieu de.c. , cela apparttent au contraire
à la transcendance. Ce qui transcende. et qui de la sorte s' exhausse, doit, en tant
qu'être qui transcende,
se sentir
au milieu de l 'étant . L'être-là dans cette
s i t u t i o ~
..f( affective , ou plus exactement pathique ) est si bien investi par l étant. que, lUI
t
appartenant, est accordé à son ton.
transcendance signifie le projet et
l esquisse d un monde, mais en sorte que ce qui projette est commandé par le
règne de cet étant qu il transcende, et est d ores et déjà accordé à son
to .»126
\,;:
. La liberté pour fonder, qui est son propre fondement, a donc à prendre fond
(ce qui équivaut à prendre corps) dans l'étant qui l 'investit et dans lequel
elle
«se trouve» cf. Befindlichkeit), c'est-à-dire à la fois demeure et se découvre.
',Cela'rte veut pas dire qu'elle s y assujettisse. «Bien que se sentant au milieu de
l étant et bien que pénétrée de sa tonalité, c est comme libre pouvoir-être quez
ll'être-Ià se trouve jeté parmi I'ërant.»:» Libre et jeté. La contradiction est inhé-
rente
à
la liberté. «Que l'être-là soit en puissance un soi-même et
qu il
le soit
à proportion chaque fois de sa liberté [...J, cela n'est pas au pouvoir de cette i
:
liberté »128
La contradiction se resserre et culmine dans cette déclaration: «Tout
projet du monde se trouve lui aussijeté»129.
Seul peut être jeté un être capable de transcendance, éprouvant en elle
qu il
\
a
à
être sans savoir d'où. Cette implication mutuelle, dans l'être de l'être-là, de
la transcendance et de l'étre jeté, constitue le cercle de la facticité. Il es t l'irré
ductilblequi se résout en lui-même dans la circularité de l'être-là. La facticité de ,;
l'être-là qui est sa dimension d'être, s'exprime comme souci.
Le sens de l'être et
l être
du sens sont liés comme le sont l être-là et le
comprendre:
dans une seule vue. Le comprendre est la vue de
l être-là
surx
lui-même, et l 'êt re- là est lui-même cette vue. Il coincident
dans
la
même
ouverture qui est à la fois extase et éclaircie. Le comprendre diffère de
l 'intuition, qui voit «par corps», en ce qu il perce
jusqu aux
possibilités'w,
Heidegger dit
d autre part:
«Ce qui est pu et su tgekônnt
dans
le
corn
prendre
n est
pas quelque chose, c est
l ê tre c om me
exister» ». Ici a'ccède
au réel, là au possible, lesquels disconviennent entre eux. Mais le com
p r e ~ d r e
et l 'être-là conviennent entre eux dans une commune opposition à la
logique de la positivité. Les deux aspects qui semblaient s exclure s identi
fient dans la dimension unique de l existence: exister,
c est être
à
dessein
de
sa propre possibilité.
126 Ibld.;p. 42.
127
tu«
p. 50.
128.1bid.
129.1bid.
13 MartinHeidegger, Sein undZeit,p. 145.
13Ubid., p.
143.
j
.
.J.
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38
HENRI
M L INEY
La stnicture et le sens du projet Entwurf> s'exprime au plus près dans le
préfixe eenr», qui marque l a r r a c ~ e m e n t . «Dans le projet:T e n t ~ e r f ~ n ) A I'évé
nement qu'est le projet arrache en ,quelque sorte le p r o J e t a n ~ . a lui même ,et
l 'emporte au loin
von ihm weg und forttrâgt .
Toutefois, s Il est
vrai
qu Il
l'emporte dans le projeté, il ne
l y
laisse pas destitué et perdu. Au contraire,
danscet
emportement
au loin, se
pro_duit
danset
par
le projet un
retour
du pro
jetant à lui-même. Mais pourquoi le projet est-il un retour tel qu il emporte au
loin ?»139 «Parce que cet emportement au loin du projeter a le caractère un
enlèvement dans le possible.» « Ici attention Pas plus que le projet n emporte
le
projetant
dans un
autre réel,
ne l emporte dans un possible arrêté «mais
dans la possibilité comme possibilité, dans la possibilité de rendre possible,
dans la possibilisation
Ermôglichungwi»,
L ouvreur du projet, l être-là. est emporté au loin. mais au loin de soi , qui
est aussi le plus proche. Le soi n'est proprement soi q u en j et dans son propre
projet, où il est sa possibilité. .
«Dans le projet règne le monde... Dans le projet se produit le faire régner de
l'être de l'étant», dit Heideggeric. C'est dire que l 'être de l 'étant consiste dans
sa mondéité. La mondéisation fonde la différence entre l'être et l' étant en
accomplissant la possibilisation de celui-ci. C est dans l événement du projet
que se produit la différence ontologique par où l'homme exprime son essence.
La différence ontologique est l'expression directe de la facticité de l'être-là,
qui implique, ici en deux et se recomposant en un en elle, être jeté et projet,
échéance et transcendance.
L'ontologie de Heidegger en une éthique de la possibilisation, donc de la res
ponsabilité. Que s'agit-il en effet de rendre possible? L'effectif, l 'étant auquel
nous sommes jetés. Contingent,
n a pas lieu d être. Ni lieu de ne pas être. A
cette indifférence ontologique répond son insignifiance. Il n'est susceptible ni de
sens ni de non-sens. Il est hors de question: hors de la question du sens comme
hors de la question de l'être. Notre effectivité toutefois est très spéciale. Elle est
faite. En elle nous sommes faits. D où son nom de «facticité». Nous l éprouvons
comme une limite significative qui renvoie
à
un dépassement. Nous nous éprou
vons comme faits en référence et en opposition au pouvoir-être qui nous est
propre et n'appartient qu'à soi: le pouvoir de fonder en possibilité et, par là, en
signifiance cet étant auquel nous sommes échus. Fondé en possibilité, l effectif
est rée . Il est ce en quoi l'être-là ouvre le règne du monde à dessein de soi.
«Le pouvoir-être de l être-là n est pas une liberté d'indiffércnce.ero. «Sui
vant le ton auquel il est accordé, l'être-là voit des possibilités à partir des
quelles Il
e ~ t » l
«Il n est jamais plus qu il n est facticiellement, parce que le
139
Ibid
p.
528.
140
Ibid
p.
528.
.:
j
14t.tbid.,
p. 530. \
142
Martin Heidegger
in
u
Zeit,
p. 144
43 Ibid p.
48
44 Ibid
p. 45
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HENRI
MAl.DINEY,
40
,
,
celui-ci
n'étant pas un aspect de celu i Ià mais son
point-source. c'est
ce
qui
montrent'deux moments fondamentaux de
l'existence:
l 'apparaî tre et la ren-
.contre. , .
;
,
L'apparaître est l'éclaircie primordiale à même laquelle s'accomplit en plci
né lumière le mystère de l'être-en-présence et se réalise le vœu de 116lderlin :
._.i
,, '
.
«Que soit ouverte au regard ouvert la
Iumiëre.»
L'ouverture, co-originaire du
«y
avoir» et du
«y
être», dans l'apparaître, ne
'peut être attribuée
à
la «proposition de la conscience», qui met en relation un
sujet représentatif et un objet représenté, et dans laquelle Eugen Fink voit
l'expression moderne - et selon lui la plus haute - du concept d'apparition.
«Le sujet n'est ce
qu'il
est que dans
l'acte
de se représenter l'objet qui lui
est
pré
senté.et'c
En réalité, la représentation n'intervient qu'après coup, pour verser au
compte courant de la conscience ce qui lui est d'abord présenté. On ne saurait
passer outre à cette présentation, qui précède la constitution en objet de I étant
. qui se présente et la constitution en sujet de celui qui a ouverture à l'événement
,
de cette présentation. C'est précisément cet événement que Husserl a reconnu
.dans l'impression originaire, qu'il a, en toute lucidité, lui, le philosophe de la
;< conscience, soustrait
à
la production de la conscience.
«L'impression originaire est le commencement absolu de cette production. Mais
elle-même n'est produite» 151.
, Il est remarquable que sur ce moment apertural, le rationalisme intégral de
: Husserl rejoigne l'empirisme intégral de Hobbes. .
: ~ h ; :
«De tous les phénomènes qui apparaissent, le plus extraordinaire est l'appa
\\,.. raître lui-même. Car si c'est par eux que nous avons connaissance des choses,
jl .
c'est finalement la sensation qui est le principe de la connaissance des principes
et tout savoir dérive d'elle. [...] Mais la recherche de ses causes ne peut à son
tour partir d'aucun autre phénomène qu'elle-même: la sensation des sens.» »
La sur-prise qui dépasse toute prise, parce qu'elle est en toutes au fonde-
ment de chacune, c'est le <l>a vEcr8at. Il est le premier que nomme Eugen Fink
parmi les modes d'apparaître.
« ~ e x p r ~ s s i o n apparaître erscheinen) a une pluralité de s ignifica tions d'une
énigmatique profondeur. Elle signifie en premier lieu le surgissement de l'étant, sa
v ~ n u ~ dans l'ou;en, e n ~ e ciel et. terre.
Tout
ce qui est fini vient à apparaître en
s I s ~ r a n t dans
1
espace intervallaire et le temps intervallaire, en y
ayant son
séjour
prëcaire.»m
, ,'.' C
, ,
,
149.Hôlderlin, Komm ins Offene... Gang aufs land).
150.
Eugen Fink, L analyse intentionnelle,
{dc
cir
p. 72-73
J .
151.Edmund Husserl Leçonsp
. .
, ur une p enomeno agie de la conscience intime du temps.
p. 131.
c-
152.
Thomas
Hobbes, Doctrine du corps.
153. Eugen Pink, op. cit., p. 71.
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L IRRÉDUCTIBLE
41
Le défaut de ces images est qu elles sont les images d étants déjà manifestés
qui se sont refermés su r J essence de la manifestation. Pour un étant, dit Fink,
apparaître
c est
venir dans l ouvert entre ciel et terre, s insérer dans l espace
intervallaire iZwischenraum) et le temps intervallaire Zwischenzeit). Mais
encore faut-il que ciel et terre, espace et temps, dont J intervalle const itue le
champ d apparition apparaissent eux-mêmes. Et dans quel autre champ précé
dant tout étant comme un lieu où s ur gi r? L a question ne peut être renvoyée aux
calendes.
L avoir
lieu de J événement et son lieu
d être
apparaissent ensemble
au prix
d une
t ransformation non conforme de ce qui nous es t monde.
Cette transformation qui rompt la trame et la chaîne de J être au monde, se
révèle en certaines situations-limites ( limites parce que liminaires) qui ne sont
pas des inventions pseudo-mystiques ou poétiques de philosophes. Nous avons
rapporté ailleurs les propos d un chasseur de chamois rencontré par Pierre Tai
Coat dans la vallée de s Bans. Il cherchait à lui faire sentir ce qu avait d unique
l apparition soudaine de l animal
à
la crê te ou au col où le chasseur l attendait .
Ce
qu elle
avait
d unique c est
que ce t événement comblait J attente
en
l engloutissant.
«O n
ne
r a
pas vu venir.
Tout
d un
coup
es t
là.
Comme
un
souffle. Comme un rien. Comme un rêve.» L apparition du chamois dans
l abrupt absolu d une fois unique ne s inscr it pas dans une conf iguration préa
lable, pourtant soigneusement entretenue par l acquis la prévoyance
et
la cir
conspection qui sont inhérentes
à
l act ion projetée de la chasse. Au contraire,
elle J annule. Attendue
entre
ciel et terre, J apparition de J animal
es t
boulever
sante, parce
qu elle
es t une transformation totale du entre. L événement est Je
point d éclatement d un champ d incidence et d accueil le point-origine d un
monde autre. «Entre» ne désigne plus un intervalle compris entre ciel
et
terre,
un écart entre deux bords. Le «entre» agrandi sans mesure, et pa r retournement
absorbant ses limites, es t passé, sans apprêt, dans la patence de l ouvert. Ciel,
terre, entre-deux, tout à l heure éléments de référence, apparaissent tout à
coup
en suspens dans la déchirure du monde - «déchirure, non: le jour de la déchiru
re» >
Tai Coat, le peintre, plus que tout autre était à même de comprendre le sens
universel de cette surprise singulière. Ca r c est une telle transformation qui
constitue
l événement
dont ses tableaux sont indivisément J acte et le l ieu. Evo
quons seulement les plus nus : deux aires étagées, presque monochromes
modulant en profondeur , entre lesquelles intervient un blanc... ligne d aube.
Pour y voir trois surfaces formant un ensemble compact , il faut se soustraire au
regard intérieur de l œuvre dont so n espace es t le regard externe induisant le
nôtre. En fait,
à
travers cette ligne
d aube
qui divise J espace compact, celui-ci
se verse en
lui-même
et, s intériorisant
à
soi, accomplit son unité.
Le
blanc, si
mince soit-il,
n est
pas un intervalle mais une ouverture «ek-statique» qui
donne
jour
à tout
l espace.
Ce vide médian révèle alors le grand vide où s effectue la mutation, le chan
ge mutuel des deux aires opposées, au lieu même de leur naissance. L étant se
154.André Du Bouchet,
Langue. déplacements, jours - L incohérence,
Hachette, Paris,
1979.
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L I RRÉ DUc n LE
43
En dépit de s abus et de
l aplatissement
du langa ge r are s son t les « év én e
ments» et nous ne
parlons
le p lu s souv en t de l être que
par
prétérition. Un étant
ne nous e st p ré se nt réellement comme tel qu e lorsque nous-mêmes sommes
réellement présents. Or nous ne tenons l être et non la pose que l or sq ue n ot re
présence comme être en avant de soi en soi plus avant est mise en demeure de
s être
ou de
s anéantir.
D an s ce tte p ré ce ssio n de soi elle
s anticipe
à
travers des
moments critiques de vide ou d hyperconsc ience de vertige ou de décision
d appel ou de d éro ba de . Tout é vé ne me nt d éc hi re le m ond e qu e la présence es t
en tant qu il es t le sien. Il lui faut franchir la faille ou s y abîmer. Or elle se
tro uv e au bo rd d une faille qui n a pas d autre bord. Si ce n est d ans un
monde
autre dont elle n entendra
l appel qu à
se transformer.
L existence
s entretient de tels événements transformateurs.
Pa r
un retour
nement complet la faille
qu e
le monde prétendait contenir
s ouvre comme
le
vide médian s ouvre
dans
le g ra nd vide. El le e ng lo ut it le
monde
qui
s annule
en
elle. Ell e l aisse la p ré se nc e en suspe ns d an s
l ouvert
duquel surgit de rien libre
de tout projet une
existence
autre incomparablement.
L événement-avènement
de
l existence
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pas d ex pre ss io n v erba le adé
quate parce
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l existence
n a pa s
de s ig ne et
qu e
l a bsen ce de sig ne est p ré ci
s émen t ce qui la s ignifie.
C est
exactement ce
qu e
dit H ël de rl in de
cette
mani
festation de l existence en péril
qu était
la tragédie des Grecs.
«C est à p ar ti r du p ar ad ox e que le sens des tragéd ies se fait le m ieu x enten dr e. Ce
qui est ori gi ne l en réa li té n a pparaî t
pas
dans sa force originelle.
l
n apparaît pro
prement que dans sa faiblesse en tant que son signe est posé comme insignifiant
sans e ffet mais l ori gin el surgit directement. Le fond caché de toute la nature
qua nd son signe est égal à zéro a pparaî t dans son don le plus fort » 58
Le signe et le do n so nt en sens inverse. Ce qui pose d irec te ment la q ue sti on
de
l autre.
Comment J être-là en tant que pouvoir-être au monde à dessein de soi peut-il
rencontrer
l autre?
Il ne pou rra it r en con tr er au trui ni dans son m on de ni d an s le
monde de l autre si leurs projets respectifs n ouvraient un monde commun sous
l horizon
d une seule et
même mondéité.
C est bien la pensée de Heidegger
pour
qui l être-avec est un moment constitutif de l être-là comme être au monde.
«Appartient à
l être
de l ê tre-là dont il
y
va pour lui dans son êtr e même l être
avec uutrui.erw
Cel a v au t
symétriquement
pour autrui.
«L être-là-avec
caractérise
l être-là
d a ut ru i po ur a ut an t
qu il
est libéré par son monde pour un être-avec.e
t
Ce
sont là les résultats de
l Analyse
existentiale «qui vient de
montrer que l être
de l être-là qui se me t l ui -m êm e en je u dans son être es t aussi être-avec
autruiatcr.
158. Hôldcrlin in Œuvres cd. Ph. Jaccottct La Pléiade Paris 1967 p. 644.
139. Martin Heidegger n
un
Zeit p. 123.
160 lhid p 123.
161 1hid p 123
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IRRÉDUCTIALE
45
plus fort, là où son signe est égal à zéro. Elle
n a
pas de signe
d elle-même
c est-à-dire pas de signification.
Q ua nd la sign ific at io n se substi tue à la signifiance, au «tu» se subroge le
«il» en non-personne. Parce quinsignifiable la signifiance suscite l a pp el .
Nommer c est appeler.
C est
p ourqu oi la ren co nt re d on ne son sen s au nom qui
l a perdu qua nd , da ns notre façon d en te nd re la langue, au
no m s est
substitué
le
mot et, avec lui, la s ignification. La qu est ion du dire est d ev en ue insoluble
quand a dispar u de son horizon la dimension de la rencontre avec les ê tr es et les
choses et celle de la nomination. Tout s est thématisé dans une objectivation
universelle confirmant cette phrase de
Heidegger:
«D as Ail de r vorhandenen
wird
thema» 6
:
«L e
tout de
l étant
étalé devant nous devient thème.»
C est
la re ncontre , en fait, qu i a décidé du tournant, de la
«kehre»,
de la pen
sée de Heidegger.
L entretien
écrit p ar lui en 1944-45, entre un pr ofe sse ur , un
savant et un ér udit, e squ is se une tout autre vue su r l essence de la pensée. La
sérénité
Gelassenheit s y
sub st it ue au souc i et le stat ut de
l ouvert est
changé.
Or les mots
pour
dire
l ouvert:
Gegend
la contrée)
et
Gegnet,
qui en est la
forme ancienne,
comme
ceux qui
s y
rapportent
directement:
Vergegnet
et
Ver
gegnis.
p ro cè de nt t ou s de la rac ine
;:en
ou
gegen
: - celle de la rencontre
Bege
gnung .
Pour nommer
l ouvert
He ide gger chois it en définitive
l équivalent
de
Gegnel : die Freie Weile la libre étendue).
«La con tr ée Gegend c om me si rien ne se produisait rassemble toutes choses.
Elles les met en p résence l?el?nen).»lft6
«La libre étend ue GeglU t) est l é te nd ue qui fait d ur er et qui , r as se mbl an t toutes
choses s ouvre elle-même, de sorte
qu en
elle l o uv er tu re est con tenu e, et t en ue de
laisser toute chose éclore dans son repos.ste?
«L o uv er tu re e ll e- mê me serait do nc cc d on t no us ne pourrion s a bs ol um en t rien
faire, si ce n est de tourner vers elle notre atrentc.e w
« L at te nt e est le r appor t
à
la libre
étcnduev w,
et ce rapport
es t
un laisser
être. L a tt en te est un non-vouloir , «elle se laisse e ng ag er dans le c he mi n de la
libre étendue, et ainsi e nga gé e c lic laisse la libre étendue ré gner se ule comme
libre étcndue» »
Ainsi la libre
étendue
qui
ne produit rien
et dont nous ne
pouvons absolu
ment
rien
faire
mais en qui toute chose a son repos, est une forme sans forme
du
tao.
165.Martin Heidegger, Sein und z n p. 362.
166. Martin Heidegger, Pour servir de commentaire à Sérénité. trad. André Préau in Ques-
tiONS
III, Gallimard. Paris, 1966, p. 193.
vei.tu«, p. 194.
168./bid., p 196.
169./bid., p.
201.
170./bid., p.
201.
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http://slidepdf.com/reader/full/lirreductible 37/39
L'IRRÉDUCTIBLE
47
«Dans l 'a ttente nous laissons ouvert ce vers quoi elle tend.» ? Mais
il
ne
suffit pas, pour penser J'ouverture, de repenser Je mot résolution Entschlossen-
heit) «à la façon de Sein
und
Zeit, comme le fait. assumé spécialement pa r l'être
là,
d être
ouvert pour l'ouverture» », Car il n est plus question désormais de
l'ouverture du monde, de l'être à.... et du soi. «L'être de la pensée repose dans
I'vassimilation de la sérénité à l 'ouverture de la libre étendue.» » Or là où le
souci
n est
plus l 'être de
I'être-là'<v
la temporalité qui était le sens ontologique du
SOUCi
l83
ne saurait être prise pour le temps de l 'attente.
Le
rapport de l 'attente à la
libre étendue exige une transformation radicale de la structure du temps.
Pure réceptivité qui
n est
a priori passible de rien
qu e
du rien, l 'a ttente ne
s 'envisage à nul visage du monde. facies totius universi. L attente qui n attend
rien laisse ouvert
l advenir. L advenir.
non l'avenir.
Presque toutes les doctrines du temps le déterminent, d après le cours du
devenir ou
d après
l 'articulation de ses extases,
comme
une inclusion-exclusion
mutuelle et asymétr ique du futur, du présent et du passé - dont la tension se
résout dans le sens horizontal d une succession. Seul Schelling
a
compris le
temps suivant une structuration verticale du passé, du présent ct du futur,
comme de trois régions contemporaines, soustraite au lien du devenir.
Le
passé
et l 'avenir absolus
dont
il est quest ion dans les Weltalter, ne sont pas le passé et
le futur de ce
monde
historique auquel et dans lequel nous sommes maintenant
présents sur la base de projets,
d acquis
de souvenirs - prospectifs ou rétros
pectifs. Le passé absolu n est pas un réseau de rétent ions, ni
l avenir
absolu une
perspective protentionnelle, ayant l un et l autre leur point d attache dans un
ici-maintenant
à partir
duquel s ouvre l'horizon d un monde historique.
Les expressions de passé ct d avenir absolus ont le tort d évoquer l ordre du
temps. Leur rapport est
d une
autre sorte. Le passé absolu est sous-jacent au
monde ct
à l homme comme
fond universel.
L avenir
absolu réalise hors du
temps historique la plénitude des temps. Nul doute
qu ils
ne soient considérés
généralement comme mythiques. Mais ce mythe est sans cesse agissant dans
chaque existence. Il est au
cœur
de la dramatique humaine, qui culmine dans
ces états pathologiques
pour
lesquels D.W. Winnicott emploie, dans son sens le
plus propre, le terme de
«breakdown» « :
brisure et chute.
J. B.
Pontalis en a
mesuré la profondeur: «Cet effondrement redouté parce qu il menacerait tou
jours
d avoir
lieu
dans l avenir
a en fait
déjà
eu lieu dans le passé. Mais
il
a eu
lieu
sans trouver son lieu psychique. Il n est déposé nulle
part » » II n est
pas
179./Nd., p. 196.
I80.Ihid.,
p.
213 cl
Sein wu Zcit,
p.
297.
18UNd. p.
203.
182. Cf.
Sein und Zeit, p.
1R
183.er. Sein und Zcit, p. 301.
184. «Feur of brcakdown», Internat. review of Psychol. Analysis, 1976, n'' 1, trad. fr. in Nou-
velle r e \ l i de psychanalyse
n''
II
analysé parJ.
B.
Pontalis,
Préface à
D.W.
innicott
sens et réalité, Gallimard, Paris, 1979.
185.1. B. Pontalis, Préface à Sens et
réanté oc
cit, p. XI.
8/10/2019 Lirreductible
http://slidepdf.com/reader/full/lirreductible 38/39
8/10/2019 Lirreductible
http://slidepdf.com/reader/full/lirreductible 39/39
L IRRÉDUCTIBLE
49
signifiance insignifiable de laquelle nous sommes passibles en-deçà de toute
condition de possibilité.
L événement ne donne pas prise au destin. Je ne suis pas j eté
à
lui. Il ne peut
qu être accueilli à même une transformation qui est un devenir
autre
alors que
le destin réduit toute la différence au même. La réceptivité accueillante à l évé
nement qui est une avec la transformation de l existence - par où précisément il
existe - est J expression directe de sa transpassibilité.
L événement est l i rréductible de l existence. Non parce
qu il
est un fait
une structure
ou
un projet fermés sur soi. Mais parce que comme l existence et
avec elle il
n
pas de signe de reconnaissance qui lui permette de s expli quer
sur le mode du
ell tant que
Il est irréductible...
même à soi