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Romans par hasard À dire vrai, je ne me suis jamais sentie à ma place d’écrivain… Comment définir un écrivain, il en existe tant de saisons. De plus, c’est si fragile un écrivain,malgré l’aplomb qu’il mime en public. Délicat et vulnérable. Des êtres qui choisissent l’obscure discrétion des mots frappés, le silence, pour raconter des histoires au monde. Quel étrange chemin, quelle étrange discipline. Être écrivain, c’est offrir un texte à des voix jamais entendues, chuchoter à des oreilles inconnues, emporter des cœurs : mystérieux et lointains. Créer un roman s’apparente à écrire une partition pour des interprètes, dont on ne connaît pas les instruments. Car chaque livre est un concerto : dialogue de l’orchestre avec le soliste qu’est l’écrivain. Peut-être est-ce là l’origine de la vulnérabilité de l’auteur,il n’a personne devant lui.Il est seul avec le lecteur. La fuite n’existe pas, l’esquive inutile, seul en première ligne. Il joue tous les rôles, exécute la seule musique en laquelle il croit, avec conviction, douleur et enthousiasme… Pour un être silencieux, c’est tout de même un tour de force.D’autant qu’il demeure tributaire d’un matériau dont il ne sait rien : le lecteur. Chaque roman encore fermé porte en lui une potentielle œuvre à deux. Celle de l’écrivain lié au lec- teur.Le premier donne les mots au second qui élabore les images. Cette rencontre est si fragile à son tour… L’imprévu, la vie, le monde, peuvent se glisser dans cet espace sensible et interrompre la musique.D’autres fois, le lecteur se lit entre les mots de l’écrivain et plus rien ne les arrête. Forts ensemble. À dire vrai, je ne me suis jamais sentie à ma place d’écrivain… Il s’agirait pour moi d’une imposture que d’écrire dans cette rubrique. Je pensais à la renommer.Elle s’intitulerait : “Romans par hasard”. “Romans par hasard” présente : Virginie Ollagnier. Ça sonne chic ! Voilà, maintenant que les paramètres sont modifiés, que je suis bien calée dans mon fauteuil, l’ordinateur sur les genoux, commençons… Virginie Ollagnier n°242 - mai 2009 le mensuel du livre en Rhône-Alpes en +++++++++ Ça y est ! Les deux premiers Prix Rhône- Alpes des apprentis et des lycéens ont été remis… à Pascal Garnier pour son roman La Théorie du panda (Zulma), et à Jung pour Couleur miel (Quadrants), dans la catégorie bande dessinée. Plusieurs centaines de votants, plusieurs dizaines de rencontres dans les lycées avec les auteurs sélectionnés, plusieurs livres lus et travaillés dans les classes… La deuxième édition démarrera avec la rentrée scolaire de septembre. > www.arald.org LIR en mai Le 15 mai, c’est la date limite de dépôt de dossier pour les libraires qui souhaitent postu- ler à l’obtention du label de Librairie indépendante de référence. Un label LIR, accordé pour trois ans, qui per- met notamment de bénéficier d’une exonération de taxe professionnelle et de solliciter une subvention dans le cadre du dispositif d’aide du CNL pour la mise en valeur des fonds en librairie. Ce label, présenté par la ministre de la Culture, Christine Albanel, dans le cadre de son plan « Livre », fin 2007, devrait permettre de valoriser et de soutenir le travail qualitatif mené par les librairies indépendantes. Plus d’informations : www.centrenationaldulivre.fr [email protected] librairie les écrivains à leur place poésie/p.10-11 Jean Pérol, œuvres complètes Où l’on revient sur la parution, aux Éditions de la Différence, du monumental premier volume des œuvres d’un poète de l’amour et du sens. Et sur des livres de Jacques Ancet, Hervé Bauer, Patrick Dubost et Jean-Pierre Spilmont. !!!!!!!!!! À la page ! Loren Capelli,dont l’album, C’est Giorgio, écrit avec Corinne Lovera Vitali, a été élu Prix Rhône-Alpes du livre jeunesse, expose ses dessins jusqu’au 16 mai à la galerie L’Art à la page,à Paris.« Le nous nu », c’est le titre de cette exposition toute en silences et en sobriété. www.artalapage.com L’auteur : sa vie,son œuvre Il faudra être là le 28 mai ! À Lyon,au Musée des Beaux-Arts,l’ARALD et la Société des gens de lettres (SGDL) organisent une journée consacrée aux auteurs : leur statut, leurs droits, les aides, les activités paralittéraires… Vaste programme ! Et pour se mettre en appétit, Livre & Lire vous propose un dossier spécial sur la question de la rémunération des écrivains. Complexe, technique, labyrinthique, le sujet est aussi passionnant. Il recèle de multiples chausse-trappes mais pose d’innombrables questions sur ce qu’est un écrivain, ou plutôt sur ce que sont les écrivains aujourd’hui. Une population d’auteurs qui se distingue par son éclatement, sa diversité, sa faible représentation dans la chaîne du livre, mais aussi par son désintérêt presque unanime pour la question de ses droits. L. B. (lire p. 2-5) Aux environs de Saint-Paul-Trois- Châteaux... Sylvie Deshors, écrivain en résidence, se fait photographe. (lire p.8) © Sylvie Deshors actualités/p.6 Le premier roman tourne la page Du 14 au 17 mai, une 22 e édition du Festival du premier roman de Chambéry-Savoie marquée par le renouveau. Découverte. regards/p.7 Vivant, à la Comédie française De l’écriture à la scène, Annie Zadek revient sur la présentation, au Studio-Théâtre de la Comédie française, de sa pièce, Vivant, dans une mise en scène de Pierre Meunier.

livre et lire - n° 242 - mai 2009

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L'Arald publie chaque début de mois "livre & lire", journal d'information sur la vie du livre en Rhône-Alpes. Ce mensuel de douze pages est un supplément aux revues professionnelles Livres-Hebdo et Livres de France, publiées par le Cercle de la librairie.

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Page 1: livre et lire - n° 242 - mai 2009

Romans par hasardÀ dire vrai, je ne me suis jamais sentieà ma place d’écrivain…Comment définir un écrivain, il en existetant de saisons. De plus, c’est si fragileun écrivain,malgré l’aplomb qu’il mimeen public.Délicat et vulnérable.Des êtresqui choisissent l’obscure discrétion desmots frappés, le silence, pour raconterdes histoires au monde. Quel étrangechemin, quelle étrange discipline.

Être écrivain, c’est offrir un texte à des voixjamais entendues, chuchoter à des oreillesinconnues,emporter des cœurs : mystérieuxet lointains. Créer un roman s’apparente àécrire une partition pour des interprètes,dont on ne connaît pas les instruments. Carchaque livre est un concerto : dialogue del’orchestre avec le soliste qu’est l’écrivain.Peut-être est-ce là l’origine de la vulnérabilitéde l’auteur, il n’a personne devant lui. Il estseul avec le lecteur. La fuite n’existe pas,l’esquive inutile, seul en première ligne. Iljoue tous les rôles, exécute la seule musiqueen laquelle il croit, avec conviction, douleuret enthousiasme… Pour un être silencieux,c’est tout de même un tour de force.D’autantqu’il demeure tributaire d’un matériau dontil ne sait rien : le lecteur. Chaque romanencore fermé porte en lui une potentielleœuvre à deux. Celle de l’écrivain lié au lec-teur. Le premier donne les mots au secondqui élabore les images. Cette rencontre estsi fragile à son tour… L’imprévu, la vie, lemonde, peuvent se glisser dans cet espacesensible et interrompre la musique.D’autresfois, le lecteur se lit entre les mots de l’écrivainet plus rien ne les arrête. Forts ensemble.À dire vrai, je ne me suis jamais sentie à maplace d’écrivain…Il s’agirait pour moi d’une imposture qued’écrire dans cette rubrique. Je pensais àla renommer. Elle s’intitulerait : “Romanspar hasard”.“Romans par hasard” présente : VirginieOllagnier. Ça sonne chic ! Voilà, maintenantque les paramètres sont modifiés, que je suisbien calée dans mon fauteuil, l’ordinateursur les genoux, commençons…

Virginie Ollagnier

n°242 - mai 2009le mensuel du livre en Rhône-Alpes

en + + + + + + + + +Ça y est ! Les deux premiers Prix Rhône-Alpes des apprentis et des lycéens ont étéremis… à Pascal Garnier pour son roman LaThéorie du panda (Zulma), et à Jung pourCouleur miel (Quadrants), dans la catégoriebande dessinée. Plusieurs centaines devotants, plusieurs dizaines de rencontresdans les lycées avec les auteurs sélectionnés,plusieurs livres lus et travaillés dans lesclasses… La deuxième édition démarreraavec la rentrée scolaire de septembre.

> www.arald.org

LIR en maiLe 15 mai, c’est la date limitede dépôt de dossier pour leslibraires qui souhaitent postu-

ler à l’obtention du label de Librairieindépendante de référence.Un labelLIR, accordé pour trois ans, qui per-met notamment de bénéficier d’uneexonération de taxe professionnelleet de solliciter une subvention dansle cadre du dispositif d’aide du CNL

pour la mise en valeur des fonds enlibrairie. Ce label, présenté par laministre de la Culture, ChristineAlbanel, dans le cadre de son plan« Livre », fin 2007,devrait permettrede valoriser et de soutenir le travailqualitatif mené par les librairiesindépendantes.

Plus d’informations :[email protected]

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poésie/p.10-11Jean Pérol, œuvres complètesOù l’on revient sur la parution,aux Éditions de la Différence,du monumental premier volumedes œuvres d’un poète de l’amour et du sens. Et sur des livres deJacques Ancet, Hervé Bauer, PatrickDubost et Jean-Pierre Spilmont.

! ! ! ! ! ! ! ! ! !À la page !Loren Capelli,dont l’album,C’est Giorgio, écrit avecCorinne Lovera Vitali, a étéélu Prix Rhône-Alpes du livre jeunesse,expose ses dessins jusqu’au 16 mai àla galerie L’Art à la page, à Paris. « Le nousnu »,c’est le titre de cette exposition touteen silences et en sobriété.www.artalapage.com

L’auteur : sa vie, son œuvreIl faudra être là le 28 mai ! À Lyon,au Musée des Beaux-Arts, l’ARALD et la Société des gens de lettres (SGDL)organisent une journée consacrée aux auteurs : leur statut, leurs droits, les aides, les activitésparalittéraires… Vaste programme ! Et pour se mettre en appétit, Livre & Lire vous propose undossier spécial sur la question de la rémunération des écrivains. Complexe, technique, labyrinthique, lesujet est aussi passionnant. Il recèle de multiples chausse-trappes mais pose d’innombrables questionssur ce qu’est un écrivain, ou plutôt sur ce que sont les écrivains aujourd’hui. Une population d’auteursqui se distingue par son éclatement, sa diversité, sa faible représentation dans la chaîne du livre,mais aussi par son désintérêt presque unanime pour la question de ses droits. L. B. (lire p. 2-5)

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actualités/p.6Le premier roman tourne la pageDu 14 au 17 mai, une 22e édition du Festival du premier roman de Chambéry-Savoie marquée par le renouveau. Découverte.

regards/p.7Vivant, à la Comédie françaiseDe l’écriture à la scène,Annie Zadek revient sur laprésentation, au Studio-Théâtre dela Comédie française, de sa pièce,Vivant, dans une mise en scène de Pierre Meunier.

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S’il y a une chose sur laquelle tout le monde,ou presque, semble d’accord, c’est qu’il ne fautpas attendre de grands bouleversements desdiscussions qui s’achèvent entre les organisa-tions représentant les écrivains et la Directionde la sécurité sociale autour du régime de pro-tection sociale et de la question des revenusaccessoires aux droits d’auteur. Quoique… unéclaircissement de la situation – ou plutôt de laconfusion – actuelle est susceptible de passerpour un bouleversement et de faire bouger biendes choses. Les conclusions définitives de cesconcertations pourraient être rendues publiquesau mois de juin.

Mais de quoi s’agit-il ? D’abord de prendre encompte une évolution importante dans le métierpratiqué par les « auteurs de l’écrit » : la partdes interventions menées dans la société civile(ateliers d’écriture dans les écoles ou les hôpi-taux, commande de textes, débats dans les fêtesdu livre, lectures publiques…) ne cesse d’augmen-ter et les revenus qui y sont liés servent de plusen plus à compenser la faiblesse des droits d’au-teur perçus pour l’exploitation commerciale deslivres.Baisse des à-valoir,baisse des tirages,baissedes ventes…, les auteurs connaissent le refrain.

Entretien avec DominiqueLe Brun, auteur, secrétairegénéral de la Société des gensde lettres et administrateurde l’AGESSA.

Il y a une véritable ignorance des écrivains sur les questions de statutet de protection sociale. Comment celas’explique-t-il ?Les écrivains ne savent pas assez que, lors-qu’ils pratiquent d’une façon profession-nelle qui leur permet de gagner un mini-mum et de leur donner les moyens devivre, leur statut tant social que fiscaldevient l’équivalent de celui d’un salarié.Je m’explique : en ce qui concerne l’aspectstrictement fiscal, tout d’abord, les droitsd’auteur sont déclarés dans la mêmecolonne que les salaires ; du point de vuesocial, lorsqu’on est affilié à l’AGESSA, cequi doit être fait de manière volontaire, onpeut cotiser pour tout y compris la retraite.

Alors d’où vient cette ignorance ?Il y a deux raisons à cela : la première – il nefaut pas se le cacher – est que pendant trèslongtemps les informations données parl’AGESSA sont restées insuffisantes. Parailleurs, sur la question sociale ou fiscale,l’auteur a tendance à ne pas se sentir vrai-ment concerné. Il est vrai que les faibles mon-tants de droits d’auteur touchés par beau-coup d’entre nous ne justifient pas toujoursqu’on s’y intéresse comme si c’était unsalaire.Mais plus globalement, je pense quel’écrivain a peine à imaginer qu’en tant quetel, il tient une place dans la société.

Droits d’auteur : du principalLe 28 mai, l’ARALD,en partenariat avec la SGDLet avec le soutien de la DRAC Rhône-Alpes etde la Région,organise au musée des Beaux-Artsde Lyon une journée d’information intitulée« L’auteur : statut, droits, aides, activités para-littéraires ». L’occasion de faire le point sur lasituation des écrivains, notamment en matièrede rémunération et de protection sociale.Éléments de réflexion.

À tel point,d’ailleurs,que les revenus « annexes »aux droits d’auteur ont parfois tendance à rem-placer les autres, censés être les « principaux ».Premier problème, car ces revenus accessoires,réservés aux auteurs affiliés à l’AGESSA, c’est-à-dire aux « professionnels » qui bénéficient durégime de sécurité sociale des auteurs, sont pla-fonnés à environ 4 500 € par an.Mais il faut aller un peu plus loin encore pourcomprendre que l’enjeu principal de ces ques-tions se situe autour du mode de rémunération…Jusqu’à il y a peu, en effet, les auteurs sollicités

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Rencontreavec desécrivains à l'EspacePandora, àVénissieux.

dossier / l’auteur : sa vie, son œuvre

D’autant que beaucoup d’entre eux n’ontpas de réelle existence économique…Oui,c’est aussi l’autre aspect de la question…Entre les gens qui ont envie de se direécrivain et ceux qui peuvent en vivre –et donc gérer leur carrière de manièreprofessionnelle – il y a un monde.Beaucoup d’écrivains n’ont pas le profiléconomique pour pouvoir adhérer aurégime de la sécurité sociale des auteurs.

Pourtant,parmi les écrivains qui n’ont pasce profil économique, il y a tout de mêmede « vrais auteurs »… Des écrivains quipublient régulièrement dans le domainede la littérature, perçoivent des droitsd’auteur restreints, mais souhaiteraients’affilier…C’est vrai,mais les chiffres montrent que lesgens qui vivent de leur plume ont tendanceà être affiliés. Il est indéniable cependantque le seuil d’affiliation (7 749 € de droitsd’auteur par an) peut représenter beaucoupd’argent pour des écrivains qui, souvent,gagnent très peu.

Quel regard portez-vous sur les activitésparalittéraires et leur rémunération enrevenus accessoires au droit d’auteur ?Du point de vue de la SGDL, il y a dans la

fonction de l’écrivain,une dimension sociale,qui consiste à faire profiter de son savoir etde son mode de vie à un maximum de gens.Il est normal que ce travail de transmission,assuré par les auteurs auprès de différentspublics,procède de droits d’auteur annexes.Pourtant, ceci ne peut se justifier quesi l’auteur mène en même temps uneréelle carrière d’écrivain. Pour toucherdes revenus accessoires aux droits d’au-teur, il faut bien que l’auteur perçoive unrevenu principal tiré de l’exploitationcommerciale de ses livres…

Si l’accessoire ne doit pas dépasser le prin-cipal, et sachant que le principal est sou-vent faible dans l’édition littéraire, celaveut dire qu’on ne doit pas encourager lesécrivains à vivre de leur plume…Tout d’abord, il convient de rappeler que lalittérature et les essais ne représentent que20 % de la production éditoriale française.Le reste – l’édition technique, le tourisme,les loisirs… – fait vivre un grand nombred’auteurs professionnels pratiquementinconnus dans le paysage de l’édition.Cela dit, pour ce qui est de la productionlittéraire, la position de la SGDL est clairesur ce sujet, et depuis plusieurs années :il n’est plus guère envisageable de vivre

de la publication de ses livres. Si vousvoulez avoir une création littéraire riche etdurable, ayez un métier à côté et écrivezpour votre plaisir.

C’est une position plutôt radicale…Vous savez, je connais des écrivains de talentqui ont bien gagné leur vie dans l’éditionpendant longtemps, et qui en sont mainte-nant à toucher un peu mieux qu’un SMIC…Il ne faut pas se cacher derrière son petitdoigt, on en est là ! Autrefois, on comptaitdes tirages par milliers pour des romans peuconnus, maintenant on compte par cen-taines. Lorsque, à la SGDL, on est amenéà examiner des contrats d’édition, on serend compte concrètement des chiffres quecela représente. C’est parfois dérisoire… Ilsuffit d’assister une fois à une commissiond’aide sociale d’urgence de la SGDL pourcomprendre qu’il est important deconfronter en permanence son métierd’écrivain avec les réalités économiquesqu’il y a en face. La situation de l’éditionaujourd’hui et son évolution au cours desdernières années rendent les chosesencore plus difficiles pour ceux qui ontdécidé de faire de l’écriture leur métier.

Propos recueillis par L. B.

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par les fêtes du livre ou l’Éducation nationaleétaient payés soit en droits d’auteur, soit ensalaires. Il régnait là un flou véritablement artis-tique,entretenu par l’ignorance généralisée,aussilargement répandue chez les diffuseurs que chezles auteurs, et par la difficulté réelle ou supposéeà interpréter le texte de 1998, qui précise lesconditions de ces activités annexes censées consti-tuer un prolongement de l’activité créatrice del’auteur et ne pas briller par leur régularité.Ajoutons, de façon tout à fait « accessoire », quela rémunération en droits d’auteur constitue unesource d’économie non négligeable – aux alentoursde 60 % ! – pour les diffuseurs, par rapport à larémunération en salaires…

J’abuse, tu abuses, il abuse du droit d’auteur…

Pour Thierry Dumas, directeur de l’AGESSA, cemanque de rigueur dans le respect du texte etl’emploi abusif du droit d’auteur comme mode derémunération de ces activités annexes entraînent

une « évasion de coti-sations », à laquelle lesURSSAF ont, depuispeu, commencé à fairela chasse (lire l’entretienavec Thierry Dumas).Tout d’abord parcequ’une large part despaiements destinés àrémunérer des presta-tions qui n’ont rien àvoir avec celles querecoupe la définitiondu droit d’auteur – qu’ilsoit « pur » ou « accessoire » – sont tout de mêmerémunérés par les diffuseurs – y compris publics –en droits d’auteur. Ensuite, parce que bien des« employeurs » ont pris l’habitude de telles pratiques sans même s’assurer que les auteurssollicités sont bel et bien affiliés à l’AGESSA etpeuvent, à ce titre, percevoir ce type de rémuné-ration. C’est là que la machine s’emballe et quel’on ressent un léger vertige…(suite p. 4)

Thierry Dumas, directeur del’AGESSA, a assisté, en tantqu’observateur, aux réunionsdu groupe de réflexion qui arassemblé les organisationsprofessionnelles. Il évoque la

situation actuelle concernant lemode de rémunération des auteurspour les activités paralittéraires.

Pourquoi avez-vous alerté les organisa-tions professionnelles, il y a quelquesmois, à propos de la rémunération desactivités annexes des écrivains ?Je l’ai fait pour leur rappeler que, concer-nant cette rémunération, il existait untexte – une instruction ministérielle endate du 2 avril 1998 – et que, de monpoint de vue, son application laissait àdésirer. Si les organisations profession-nelles souhaitaient que la réglementa-tion soit modifiée sur le fond, c’était leurresponsabilité. La mienne était de ne paslaisser perdurer cette situation en rappe-lant à un certain nombre de diffuseurs,qui, de mon point de vue, payaient lesécrivains à tort en revenus accessoires,c’est-à-dire, juridiquement, en droits d’au-teur, qu’ils auraient dû payer en salaires.

Mais, pour vous, dans cette circulaire,il y a des choses claires qui sont appli-cables facilement ?C’est une question piège… Dans cette cir-culaire, il y a des éléments qui, pour moi,ne prêtent effectivement pas à discussion

et qui font que les auteurs se retrouventsouvent dans ce que la jurisprudencecaractérise comme un lien de subordina-tion. Ce qui veut dire que les auteurs –notamment pour un certain nombre d’in-terventions en milieu scolaire, où il y aune récurrence, des horaires imposés, etc.– doivent être payés en salaires et non endroits d’auteur. Il y a des discussions, àl’heure actuelle, et il y aura peut-être desouvertures dans ce domaine, mais je vousparle là de la réglementation à l’instant T,avant d’éventuels aménagements.

Alors pourquoi une telle confusion ?Pour des raisons diverses et variées, par-fois de non-connaissance des disposi-tions, parfois de facilité, et puis, il fautêtre clair, pour des raisons financières,puisque le paiement en salaires coûte aumoins 60 % de charges sociales en plusqu’un paiement en droits d’auteur. Ducoup, un certain nombre de diffuseursont tendance à trouver qu’ils font appelà des gens extrêmement créatifs… Celasans même vérifier si ceux-ci sont affi-liés à l’AGESSA et peuvent donc êtrerémunérés en revenus accessoires auxdroits d’auteur. C’est notre responsabilitéde lutter contre ces dérives.

Mais 60 %, c’est énorme ! Et ça compteaussi dans le budget d’une manifesta-tion ou d’une école…Nous avons, concernant le financementdu régime des auteurs, une sorte de coti-sation patronale (mais qu’on ne peut pas

qualifier ainsi juridique-ment), c’est ce qu’on appellele « 1 % diffuseur » : c’est-à-dire que quand vous don-nez 100 € à un écrivain,vous devez donner 1 € sup-plémentaire au titre dufinancement du régime àl’AGESSA. Vous savez ceque coûtent des chargessalariales et patronalespour un salaire… ça n’arien de commun. Cela dit,je suis conscient qu’il peuty avoir une forme de chan-tage et que l’on menace demoins faire appel aux écri-vains si on doit les payeren salaires.

C’est souvent la première réactionqu’on observe…D’un autre côté, il ne faut pas être lapi-daire et, dans un certain nombre de cas,après intervention de notre part, j’ai heu-reusement constaté que l’on payaitdésormais les auteurs en salaires et quel’on continuait à les solliciter. Quoi qu’ilen soit, on ne peut admettre une telleévasion de cotisations sociales. Celaappauvrit les ressources du régime géné-ral de la sécurité sociale, car on préfèrepayer au régime des auteurs puisquec’est moins coûteux. Le problème n’estévidemment pas d’empêcher les auteursde travailler, mais de veiller à ce qu’ilssoient rémunérés de manière légale.

Et concernant les auteurs assujettis ?Beaucoup d’entre eux vivent aussi d’activités paralittéraires que certainsdiffuseurs veulent parfois leur rémunéreren droits d’auteur…J’ai conscience qu’il y a un certainnombre de gens qui ne sont pas affiliéset qui revendiquent pourtant un statutd’auteur professionnel. C’est un débatsans fin. Le fait d’être couvert par unrégime de sécurité sociale ne recouvresans doute pas exactement la notion deprofessionnalisme. En tout état de cause,il n’appartient pas à l’AGESSA de définirles règles du jeu, mais d’informer le pluslargement possible les différents acteurssur la nature des règles existantes et deles faire appliquer.

Propos recueillis par L. B.

à l’accessoire

AGESSA :Association pour la gestion de la sécurité socialedes auteurs. L’AGESSA est une associationchargée,depuis le 1er janvier 1978,d’une mission

de gestion pour le compte de la sécurité sociale.Elle est placée sous la double tutelle du ministèredes Solidarités, de la Santé et de la Famille et duministère de la Culture et de la Communication.

11 019 auteurs affiliés fin 2008 dont :2 038 écrivains 1 388 illustrateurs du livre877 traducteurs (outre les auteurs du multimédia,de l’audiovisuel, les photographes…)

Seuil d’affiliation à l’AGESSA : 7 749 € (900 fois la valeur moyenne horaire du SMIC)

Plafond de paiement en revenus accessoires au droit d’auteur : 4 534 €

Assujettis :228 000 personnes distinctes ont eu en 2008 une perception de droits d’auteur.

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Christine Jordis, en "liendirect avec son œuvre",à la Fête du livre de Bron.

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la Société des gens de lettres (SGDL), la Maisondes écrivains et de la littérature (MEL), la Chartedes auteurs et illustrateurs pour la jeunesse,la Fédération interrégionale pour le livre et la lecture (FILL), l’ARALD et le Syndicat national desauteurs et compositeurs (SNAC).L’objectif de ce groupe de réflexion était de faireun état de la situation et des propositions àl’adresse de la Direction de la sécurité sociale.Les travaux ont duré quelques mois, avant quele résultat ne soit transmis au ministère desSolidarités, de la Santé et de la Famille, avecl’aide de la Direction du livre et de la lecture.Il s’est agi, entre autres, de répertorier les typesd’activités (de la lecture publique au rewriting,en passant par la rencontre publique et la

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dossier / l’auteur : sa vie, son œuvre

pratiques « à l’économie » montrent d’une certainefaçon que, « malgré l’avancée des mentalités dansle domaine,on continue trop souvent à considérerplus ou moins que la rémunération de l’auteur resteune sorte d’argent de poche qui, en tant que tel,ne doit pas coûter trop cher… »

Être ou ne pas être en lien avec l’œuvre…

Arrivé à un certain moment, ces pratiques abu-sives de rémunération en droits d’auteur ainsi quela persistance du flou administratif risquaientd’entraîner une réaction des URSSAF. Il a donc éténécessaire de réunir toutes les parties concernées :l’AGESSA, bien sûr, présente en observatrice,

En effet, quel écrivain non-affilié – c’est-à-direbénéficiant d’un autre régime de protectionsociale grâce à un emploi salarié, une professionindépendante ou un conjoint,par exemple,maistout de même assujetti aux cotisations sur lesdroits d’auteurs qu’il perçoit en publiant un livreà compte d’éditeur –, mais écrivain tout demême, n’a jamais été rémunéré en droits d’au-teur accessoires pour un atelier d’écriture ouune table ronde dans une fête du livre ou unebibliothèque ? On l’aura compris, tout lemonde, ou presque, lève la main… Telle biblio-thèque rémunèrera en effet la prestation, + 1 %de « contribution diffuseur ». Quant à l’auteur,qui est peut-être par ailleurs enseignant ou jour-naliste, il ajoutera son revenu artistique danssa déclaration fiscale – colonne « salaires » –,et le tour sera joué…Mal joué, selon l’AGESSA et les URSSAF ! Pourcette prestation, l’auteur aurait dû être payéen salaires – car dans le droit français, ce n’estpas la qualité de l’acteur qui qualifie l’acte,mais l’acte qui fait la qualité de l’acteur – et lediffuseur régler le pourcentage de charges quise pratique dans ce cas. Bref, l’addition auraitdû être nettement plus salée.Pour Marie Sellier, présidente de la Charte desauteurs et illustrateurs pour la jeunesse, ces

Écrivain pour la jeunesse,Marie Sellier est présidentede la Charte des auteurs etillustrateurs pour la jeunesse.Une association toujours à la

pointe de la lutte pour le statut etles revenus des auteurs.

Chez les auteurs pour la jeunesse, onconstate que vous avez une longueurd’avance en matière de revendications…Nous sommes effectivement les seuls à êtreorganisés, dans des professions très indivi-dualistes. La création de la Charte desauteurs et illustrateurs pour la jeunesse,qui remonte à trente ans, nous a permis deconfronter nos expériences et de faire frontcommun quand il y avait un problème.Biensûr, cela nous a aussi permis de mettre aupoint le tarif d’intervention dit de la Charte,qui est appliqué par tous les auteurs, passeulement jeunesse. Sur ce terrain desrencontres, nous étions dans la pratiquepeut-être plus avancés que les autres et,pour ce qui est de la couverture sociale,il est évident que nous avons envie d’in-tervenir dans un cadre légal et quetoutes ces difficultés rencontrées pournous faire payer sont très gênantes dansnotre vie d’auteur.

Quelles étaient vos demandes à l’égardde la Direction de la sécurité sociale ?Que le champ des droits soit étendu, enparticulier aux ateliers d’écriture et à

toutes les rencontres où nous parlons denos œuvres, c’est-à-dire que l’on considèrel’écrivain dans sa globalité. Nous deman-dions également que le plafond de revenusaccessoires soit relevé et que le plancherde l’affiliation à l’AGESSA soit abaissé. Il ya actuellement beaucoup d’écrivains,notamment des poètes, qui vendent trèspeu et perçoivent des droits d’auteur trèsfaibles, puisque les interventions, en prin-cipe, ne sont pas rémunérées en droitsd’auteurs. Ceux-là n’arrivent pas à s’affilieralors qu’ils sont auteurs.

Avec cette augmentation des revenusaccessoires, est-ce qu’on ne risque pas defavoriser des auteurs qui passent plus detemps à faire de l’animation que de lacréation ?Effectivement, ce peut être le piège. Maisque faire face à la tendance lourde à labaisse des tirages ? Si la production jeu-nesse a explosé, les tables des libraires nesont plus assez vastes aujourd’hui…Résultat, certains livres passent comme desmétéores dans les librairies, les auteurs etles illustrateurs touchent un à-valoir quis’est réduit lui aussi et n’ont d’autre res-source que de faire des ateliers. D’autantqu’ils sont sans cesse sollicités par lesinnombrables fêtes du livre, qui fleuris-sent un peu partout, ou par l’Éducationnationale… Cela donne quelque chosed’étrange : d’un côté, on se dit qu’il faut seprofessionnaliser et ne pas perdre de vueque l’auteur écrit ; de l’autre, l’auteur n’a

pas toujours les moyens de se consacrer àson œuvre et il y a une demande si fortequ’il finit par passer plus de temps à enparler qu’à y travailler…

Pensez-vous que si les diffuseurs sontobligés, pour certaines activités, de rému-nérer les auteurs en salaires, cela vaentraîner une baisse de la demande etmoins de travail pour les écrivains ?Inévitablement. Toutes les petites struc-tures, toutes les petites fêtes du livre quise créent à droite ou à gauche vont en pâtir.Celles qui sont largement subventionnéespeuvent peut-être demander une aide plusimportante, mais je ne vois pas commentcela ne pourrait pas aboutir à une dimi-nution du nombre d’intervenants. On nousa même déjà approchés en nous deman-dant de baisser nos tarifs, ce à quoi je suistotalement opposée. Dans un contexte où,globalement, le revenu des auteurs seréduit, je ne vois pas comment on pourraitleur demander d’être moins payés pourleurs interventions.

Alors que faire ?On ne peut tout de même pas laisser cre-ver toute une catégorie de la populationsous prétexte qu’on ne peut pas la payerpour ses prestations ! On paye les conteurs,on paye les comédiens, pourquoi ne pour-rait-on pas payer les auteurs ? Dans cecas-là, qu’on ne nous fasse plus venir…Si nos rencontres sont justifiées, nousdevons être rémunérés à hauteur de ce

que nous apportons. Lorsqu’on emploieune femme de ménage,on est prêt à payerles charges patronales. En revanche, quandon fait venir un auteur, on a envie de lepayer en argent de poche…

Vous pensez qu’inconsciemment il y acette idée ?Oui et je pense que pour la plupart desgens, il y a une confusion. Beaucoup pen-sent que nous faisons notre promotiondans les fêtes du livre ou dans les biblio-thèques. Mais notre promotion, nous lafaisons dans les médias ou en acceptantde nombreuses signatures absolumentgratuites dans les librairies… Mais enaucun cas lorsque nous faisons des ren-contres avec des enfants ou avec des pro-fessionnels du livre.C’est en marge de notretravail d’écriture et ça fait appel à d’autrescompétences. Il ne faudrait pas que tout celasoit l’occasion de revenir sur ces acquis.

Alors qu’espérez-vous de ces discus-sions ?Une clarification de la situation et que l’onn’intervienne plus comme des voleurs, sub-mergés par les tracasseries administrativesqui nous font perdre un temps fou et nousdétournent de notre création. Qu’il n’y aitplus de problèmes pour nous payerquand on nous demande d’intervenir etque ce soit clair pour les diffuseurs. Maissi cela tarde tant, c’est sans doute quecette clarification n’est pas simple àobtenir. Propos recueillis par L. B.

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/ dossier

L’auteur : statut,droits, aides, activitésparalittérairesJeudi 28 mai 2009, de 9h à 17hAuditorium du Musée des Beaux-Arts de Lyon20, place des Terreaux - 69001 Lyontél. 04 72 10 17 40www.mba-lyon.fr

9h30

Ouverture de la journée par Yvon Deschamps,conseiller régional délégué à la Culture ; Michel Prosic,directeur régional-adjoint des Affaires culturelles et Alain Absire, écrivain, président de la SGDL

9h45

Le régime de protection sociale des auteurs : assujetti/affilié, utilité et enjeu de l’affiliation à l’AGESSAavec Alain Absire, écrivain, président de la SGDL ;Thierry Dumas, directeur de l’AGESSA

10h15

L’écrivain et ses droits : des informations tropsouvent méconnuesavec Florence Piriou, directrice adjointe de la SOFIA(Société Française des intérêts des auteurs de l’écrit) ;Marie Sellier, présidente de la Charte des auteurs etillustrateurs jeunesse et Jack Chaboud, écrivain,directeur des collections Magnard et Plon jeunesse

11h30

Les dispositifs d’aide et de soutien aux auteurs : les interventions des pouvoirs publics, droits sociaux(retraite, RMI, chômage, couverture maladie…)avec Geneviève Villard, chargée de mission Industriesculturelles au Conseil régional Rhône-Alpes ; Gilles Lacroix, conseiller livre et lecture à la DRACRhône-Alpes ; Florabelle Rouyer, chef du bureau des auteurs au Centre national du livre et Nadia Naïli,assistante sociale à la SGDL

14h30

Les activités annexes et revenus accessoires :typologie des activités, des revenus etdétermination des critères de rémunérationavec Jean Sarzana, délégué conseil de la SGDL ;Sébastien Joanniez, écrivain ; Serge Ferreri, déléguéacadémique à l’action culturelle au Rectorat de Lyon(sous réserve) ; Dominique Le Brun, écrivain,journaliste et secrétaire général de la SGDL

16h

Synthèse et clôture de la journée par ClaudeBurgelin, président de l’ARALD

conférence) et de les distinguer selon qu’ilspeuvent ressortir aux revenus en droits d’auteur– purs ou accessoires – ou à d’autres modes derémunération, puis de rechercher des critèrespertinents pour pratiquer cette distinction.Pour simplifier, qui dit « lien direct avecl’œuvre »,dit droit d’auteur pur ; qui dit médiationde l’écriture, du livre ou de la lecture, dit revenusaccessoires. Certes, la catégorisation de certainesactivités (notamment celle des ateliers d’écriture,qui ressortent,selon les cas,à l’une ou à l’autre descatégories) est soumise à d’autres finesses, maisl’on peut dire que le principe est là et qu’ilpourrait être accepté par la puissance publique.Réponse au mois de juin.

En attendant, on peut considérer que la clarifi-cation est d’ores et déjà en marche. En effet, laprotection des écrivains affiliés à l’AGESSA etcelle de leur régime social restent les priorités,qui s’affirment plus encore avec la réclamationd’un nouveau plafond plus élevé de revenusaccessoires – qui doivent cependant le rester… –,permettant aux auteurs et aux illustrateursd’améliorer leur situation. En revanche, l’espoird’un abaissement du plancher d’affiliation,comme le souhaite notamment Marie Sellier aunom des auteurs de la Charte, est très certaine-ment vain. Fixé par la loi – puisque établi encorrélation directe avec le SMIC –,ce seuil ne pour-rait varier sans une nouvelle intervention, pourl’instant improbable, du législateur. Ce qui, pourun certain nombre d’activités de médiation,repousse définitivement du côté du salariat tousles écrivains dont les revenus ne leur permet-tent pas de s’affilier au régime de protectionsociale des auteurs. Ils sont nombreux. Ils sont,pour certains, de véritables écrivains, quipublient des livres et poursuivent une œuvre.Avec la fin programmée d’une tolérance largementexploitée par les uns et les autres, ils coûterontdésormais plus cher à leurs éventuels employeurs.Laurent Bonzon

Tables rondes d'écrivains à la Fête du livre de Bron, version 2009

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Le régime de sécuritésociale des artistes auteursest une branche du régimegénéral des salariés.Demander son affiliationà l’Association pour la ges-tion de la sécurité socialedes auteurs,c’est acquérirun statut, une couverturesociale et la possibilité decotiser pour sa retraiteavec l’assurance vieillesse.Attention, les précomptes,effectués en principe par le diffuseur – et notam-ment par les éditeurs – au moment de la percep-tion des droits d’auteur, et qui servent à acquit-ter les assurances sociales, la Contributionsociale généralisée (CSG) et la Contribution auremboursement de la dette sociale (CRDS),c’est-à-dire environ 8,85 % du revenu d’auteurbrut, ne suffisent pas à ouvrir les droits auxprestations. En fait, ils sont dus mais ne « rappor-tent rien » aux cotisants – dits « assujettis »…En revanche, si l’auteur fait la démarche des’affilier, ces précomptes constituent sa cotisa-tion pour sa couverture sociale et, éventuelle-ment, celle de ses ayant droits. S’y ajouterontses cotisations pour l’assurance vieillesse etpour le régime complémentaire de la retraite,

créé en 2005, géré par l’Institution de retraitecomplémentaire de l’enseignement et de lacréation (IRCEC).Précisons que l’auteur peut présenter unedemande d’affiliation même si ses revenusartistiques sont inférieurs au seuil prévu. Sondossier peut alors être présenté devant unecommission professionnelle.Pour finir, il est important de noter qu’une doubleaffiliation est possible pour les écrivains qui, parle bais d’une autre activité professionnelle,béné-ficieraient déjà d’un statut et d’une couverturesociale. Cette affiliation peut notamment leurpermettre de cotiser pour le régime complé-mentaire de la retraite et, le cas échéant, decompléter leurs droits à la retraite. L. B.

Pourquoi s’affilier à l’AGESSA ?©

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la lecture en clé devoute ; le mauvais : unévénement « entresoi », sans résonancefestive, relativementcontraignant pour lesécrivains.Le projet de renou-veau est venu avecVéronique Bourlon,directrice du festivalrecrutée à l’automne2008. Avec son regardextérieur neuf etdécomplexé, la responsable froisseles habitudes et remet en cause lalourdeur du dispositif, le trop grandnombre de comités et un festival quine serait « que » l’aboutissementd’une saison de lectures. Le Conseild’administration soutient le renou-veau, le président de l’association,Claude Guest, fait de même,« conquis par l’idée d’intéresser unnouveau public et la nécessité derecentrer la manifestation dans laville de Chambéry pour permettreaux “festivaliers”, et non plus seule-ment aux “lecteurs”, d’assister à unplus grand nombre de rencontres ».

Perdre son âme ?

Alors, le Festival du premier romande Chambéry est-il en passe deperdre son âme ? Contrairement àtrois comités de lecteurs, entrés en« résistance » contre cette nouvelleorganisation qui les dépossède de« leur » festival,Claude Guest estimeque « le projet reste fidèle à la spé-cificité du festival,qui est notammentle choix du palmarès par les lecteurs,et peut permettre de susciter de nou-velles vocations de lecteurs ». Quantà Véronique Bourlon, sur qui reposedésormais la programmation, elleassume parfaitement cette volontéde s’ouvrir à un public plus large– « parce que tout le monde a saplace au festival… » –, de multi-plier les rencontres (une centainedurant les quatre jours), de limiter

La 22e édition du festival chambé-rien consacré au premier romansera celle de tous les changements.Nouveaux lieux, nouvelles têtes,nouveaux types de rencontres… Ici,on soupire d’aise, là, on se crispe.Verdict le 14 mai.

De l’avis de certains, le festival ron-ronnait. Pour d’autres, il ne faisaitpas suffisamment événement. Lafaute à cette organisation singulière,qui place la lecture et les lecteurs aucentre d’une manifestation qui,depuis plus de vingt ans, se dérouletoute l’année dans toute la Savoiebien plus sûrement que trois joursen mai dans la seule ville deChambéry. 3 000 lecteurs répartisdans 90 comités, une centaine depremiers romans lus entre septembreet mars, le vote pour la sélectionfinale des auteurs qui seront« reçus » dans les différents comités…,c’était cela la marque du Festival dupremier roman.Un événement conçupar les lecteurs pour les lecteurs.Le bon côté : le degré d’exigence et

les événements à la seule ville deChambéry pour une meilleure visi-bilité, de professionnaliser la mani-festation en recourant, pour uncertain nombre de rendez-vous,auxservices de plusieurs modérateurs,en lieu et place des lecteurs descomités,d’innover avec trois soiréesfestives et des spectacles conçus pardes artistes à partir des textes despremiers romans… « Une entrée enlittérature qui ne passe pas forcémentpar le livre », revendique la direc-trice. Et une nouvelle formule quin’est pas qu’un dépoussiérage !Soutenu par le gros des troupesde l’association, par la Ville deChambéry et par les autres partenairesinstitutionnels,doté d’un budget en

nette augmentation (aux alentoursde 300 000 €) le Festival du premierroman s’apprête donc à renaîtreautrement, en faisant le pari d’unemanifestation qui garde son originalité sur le fond, tout en serapprochant d’une fête du livreplus traditionnelle sur la forme, où« ce ne sont plus les auteurs qui vontvers les lecteurs, mais les festivaliersqui vont vers les auteurs ». Un évé-nement hybride qui doit désormaisrassurer son public attitré – celui deslecteurs des comités –, tout enconquérant une nouvelle audiencedans la ville et dans la région. L.B.

Festival du premier roman de Chambéry-SavoieDu 14 au 17 maiRenseignements : 04 79 60 04 48www.festivalpremierroman.asso.fr

actualités /manifestations

14 auteursfrancophonesde premierroman

Valérie Boronad,Alma Brami,Yasmine Char,Patrick Declerck,Jean-BaptisteDel Amo,Anne DelaflotteMedhevi,Olivia Elkaïm,Gilbert Gatore,Karine Henry,Skander Kali,Marc Lepape,Cyril Massarotto,Paul Vacca,Samuel Zaoui.

1 auteurespagnol depremier romanPaola Musa

2 auteursitaliens depremier romanAlessandroCapponi,Mercedes Castro.

3 « ex » dupremier romanArno Bertina,Isabelle Jarry,Véronique Olmi.

Invitéd’honneurEnzo Cormann

InaugurationJeudi 14 mai à 17h,au Manège,en présenced’Enzo Cormannet des auteursinvités.

La bande dessinée :outil éducatif

Pour sa 10e édition, le salonBDécines investit à nouveau leToboggan les 16 et 17 mai.Serge Letendre, scénariste, entre

autres, de La Quête de l’oiseau dutemps et invité d’honneur, ainsiqu’une trentaine d’auteurs et d’illus-trateurs du neuvième art seront pré-sents pour rencontrer le public àDécines (69) et dédicacer des albums.Une trame a priori classique pour unfestival de bande dessinée, ce quin’exclut en rien la qualité de l’évé-nement. Mais ce qui fait en réalitél’originalité de BDécines se trouvebien plus certainement dans sa voca-tion à travailler autour d’une théma-tique déclinée tout au long de l’annéedans des établissements scolaires, letemps du salon visant donc aussi à valo-riser ce qui a été réalisé en amont.Depuis une décennie maintenant,le Centre culturel Léo Lagrange,organisateur du festival, s’attache àdéfendre une idée exigeante de labande dessinée comme supportd’éducation et de citoyenneté. Cetteannée, c’est la biodiversité qui a servide fil conducteur aux ateliers menésdans des écoles primaires, des col-lèges et un lycée. Cette idée, toujoursen lien avec la BD, sera illustrée etdébattue au travers d’expositions, detables rondes, d’ateliers, de projec-tions et de spectacles. M.B.

BDécinesSalon BD de l’Est lyonnais16 et 17 maiLe Toboggan14, avenue Jean-Macé69150 Décineswww.bdecines.com

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Festival du premier roman : une nouvelle formule

Deuxième soufflepour le premierroman

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Olivier Supiot dans un spectacle performanceautour du Baron de Münchausen conté parRichard Petisigne.

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tentait d’évoquer sa propre mort.Unprojet dont elle se rend vite comptequ’il est impossible, et qui la pousseà parler de la vie, jusqu’à la mort : « Lequalificatif d‘“indicible”,qu’on utilise àtort et à travers, n’est pertinent quedans ce cas-là. Dans Vivant, je nevoulais pas évoquer la mort desautres, des proches, le chagrin, laperte,mais ma propre mort,dont onne peut, à l’évidence, pas parler. »

Les chemins de la vérité

C’est Pierre Meunier qui assure lamise en scène de ce texte magni-fique,qui dit à la fois la déchéance ducorps et l’effilochement de l’esprit.Une transposition qu’Annie Zadekaccueille toujours avec curiosité etexcitation : « C’est une métamorphosequi m’échappe et me surprend tantle texte ainsi incarné s’objective etdevient autre. »En plus de ce projet, l’écrivain multi-plie les expériences littéraires et artis-tiques.Outre la publication de Vues del’esprit (La Passe du vent), un recueild’entretiens et de textes dans lequel

Annie Zadek : de l’écriture à la scène

PaysagesmentauxMise en scène de Vivant à laComédie Française, mais aussipublication d’un recueil de texteset collaboration avec CatherineBeaugrand autour d’un « filmparlé », l’écrivain Annie Zadekmultiplie les projets avec uneligne de conduite : l’exigence.

Dès ses débuts en littérature, qu’elleavait prévus depuis sa plus tendreenfance mais qu’elle a préféré repous-ser pour « apprendre à écrire » et êtrel’écrivain qu’elle voulait devenir,AnnieZadek est en lien avec le théâtre.Son premier livre, Le Cuisinier deWarburton, répondait d’ailleurs à unedemande du metteur en scène Jean-Louis Martinelli,aujourd’hui directeurdu Théâtre Nanterre-Amandiers.Ni théâtre,ni poésie,ni roman,commeelle le dit elle-même, son écriture

Chaque mois, retrouvez Géraldine Kosiak, en texte et en image,pour un regard singulier, graphique, tendre et impertinent sur l'univers des livres, des lectures et des écrivains...

Au travailAu volantJe réfléchis souvent dans mon lit. Je suis entourée de mes objets,de meslivres. Je note des phrases sur de petits bouts de papier ou de vieillesenveloppes, de peur de les oublier. Les idées me semblent plus claireslorsque je suis allongée.Et pourtant, chaque printemps me donne l’enviede quitter mon atelier,de prendre l’air.Cette envie est irraisonnée.J’aimeme déplacer dans le paysage, sans calcul. Les trajets en train ou en voi-ture accaparent mon esprit tout en le libérant. Je pense sans y penser.Pour Simone de Beauvoir, « un des plaisirs du voyage c’est de se promeneren auto. » Grâce à ses droits d’auteur, dès 1950, elle en possède une.La France, l’Espagne, l’Italie, elle ne cesse de sillonner les pays, passe etrepasse.Aux besoins du métier,elle mêle la nécessité de s’aérer.Elle savoureses déplacements par petites étapes,souvent seule au volant.Comme lorsde la rituelle descente de Paris à Rome,qui ennuie Sartre.Son « doux petitmari » la rejoint en avion,pressé d’en finir.Lorsqu’ils se retrouvent à la ter-rasse de leur habituel café de la piazza Navona, ils n’ont bien sûr pas vécula même expérience du voyage. Au volant, Simone de Beauvoir goûte àla fois les charmes de la répétition et ceux de la nouveauté, le plaisir para-doxal d’un temps limité dont elle dispose à sa guise. Plus tard, elle dira :

« Je suivaischaque foisdes itinérairesun peu diffé-rents qui cepen-dant, de loin enloin, se recoupaient. Même sur les chemins connus, il y avait placepour l’inconnu. Tout en suivant une routine, je vivais une aventure. » Ou encore, la liberté à travers la contrainte.

Simone de BeauvoirTout connaître du mondeLa quinzaine littéraire/Louis Vuitton

chronique Géraldine Kosiak 4 /

regards

inclassable intègre naturellement laparole : « Le théâtre et le livre ayantété là d’emblée simultanément, celaimpliquait pour moi que le texte étaitprojeté dans des corps et des voix,mais pas forcément dans les signesconventionnels de l’écriture théâtrale.Mes livres furent donc des livres deparoles et cela est toujours le cas,même si Souffrir mille morts,Fondre en larmes ressortit d’avan-tage au domaine musical qu’àcelui du théâtre. »Après les CDN de Valence et deSartrouville, son quatrième livre,Vivant, sera joué du 28 mai au 28 juinau Studio-Théâtre de la ComédieFrançaise. Un texte dans lequel elle

elle expose notamment ses « paysagesmentaux », elle se prépare à uneMission Stendhal qui la mènera danssa « Mitteleuropa natale » pourl’écriture d’un livre abordant la ques-tion de l’identité et de l’origine.Avant cela, celle qui privilégie les pro-jets transdisciplinaires sera en rési-dence au Centre d’art contemporaindu mouvement et de la voix, àBruxelles, avec un financement de laRégion Rhône-Alpes, pour une colla-boration avec la vidéaste CatherineBeaugrand autour d’un « film parlé »(clin d’œil à Manoel de Oliveira) inti-tulé Nécessaire et urgent : « Nous noussommes retrouvées sur la nécessité etl’urgence de poser certaines questionsdans un paysage littéraire et artistique,en France et en Europe, tellementaporétique ».Autant de créations qui ont un pointcommun : l’exigence,qu’Annie Zadekne nomme pas complexité, maisvérité : « Je pense que si mes livres sontlus,mis en scène,c’est que les lecteurs,les spectateurs, cherchent aussi cettevérité instable, qui se trouve dansl’inconfort de la pensée. » Yann Nicol

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soirées à prévoir autour de son travailet du thème de la transmission,dérivéde celui de la Fête du livre, SylvieDeshors, en disponibilité temporairede son métier de bibliothécaire,apprécie aussi la part de temps quilui est laissé pour mener à bien leroman qu’elle a en cours,cette occa-sion donnée d’« écrire ailleurs »,d’« échapper aux rythmes et auxcontraintes du quotidien ».

Faire bouger les choses…

Résolument installée dans la Drômepour ces quelques mois (« Je vis àSaint-Paul-Trois-Châteaux comme si

Cinquième expérience de rési-dence d’écrivain à Saint-Paul-Trois-Châteaux, où la Fête dulivre jeunesse essaime peu à peude nouvelles activités dans l’année.Sylvie Deshors a donc quitté larégion lyonnaise pour s’installerdans la Drôme jusqu’à la mi-juin.Commentaires.

C’est une résidence pour écrivainjeunesse, mais qui ne s’adresse pasuniquement au jeune public. Voilàbrièvement résumé le paradoxe querevendiquent les organisateurs de larésidence de Saint-Paul-Trois-Châteaux,tout autant que Sylvie Deshors elle-même,qui écrit pour les grands adosdes livres qui intéressent aussi lesjeunes adultes… Dans la Drôme, entout cas, on ne s’y perd pas et, selonMarie-Agnès Jobin, responsable de laFête du livre, on s’efforce d’« abattreles cloisons “adultes”/“jeunesse”» et de« faire partager autrement un travailque l’on connaît et que l’on apprécie ».Cette année, pour la première fois,l’auteur est originaire de Rhône-Alpeset bénéficie d’une aide de la Région,alors que le Sou des écoles laïques,structure organisatrice, a obtenu lesoutien de la DRAC Rhône-Alpes pourla logistique de la résidence.Un séjourde trois mois, un gite au calme, à lasortie de la ville, deux ateliers d’écri-ture à mener – l’un pour des adultes,l’autre pour des jeunes –, quelques

du temps à l’un d’entre eux,on miseaussi sur les liens qui se tissentautrement que durant les quelquesjours de la Fête du livre pour menerà bien un travail à long terme auprèsdes habitants. L’occasion est éga-lement donnée de multiplier lespartenariats (maison de retraite,école de musique, centre social,médiathèque…) qui, eux-mêmes,donneront peut-être naissance àde nouveaux projets. La résidenced’écrivain pour faire bouger leschoses ? En tout cas, pour per-mettre de croiser et de diversifierles publics – les adolescents, lesadultes, les personnes âgées. Unobjectif au long cours, que l’orga-nisation poursuit en travaillantaussi à la visibilité de la résidenced’écrivain, « derrière » le poidslourd local qu’est la Fête du livre.Continuer, d’une manière ou d’uneautre, à rendre attractifs le livre, lalecture et le travail des écrivains. L. B.

Sou des écoles laïquesPlace Charles-Chausy26130 Saint-Paul-Trois-ChâteauxTél. 04 75 04 51 42www.slj26.com

c’était loin de chez moi… », l’auteurd’Anges de Berlin et de Mon amourkalachnikov (Éditions du Rouergue),nouvelle venue dans le paysage édi-torial (son premier livre a paru en2003), joue le jeu de cette inscrip-tion dans la ville, inhérente au pro-jet de résidence d’écriture. Sur ceplan, et dans un petit monde departenaires où chacun se connaît,l’écrivain apporte sans doute unregard différent, extérieur, qui peutêtre bénéfique pour la structureorganisatrice elle-même.À Saint-Paul-Trois-Châteaux,hormisl’engagement à l’égard des écrivainsque signifie un tel projet, qui offre

La médiathèque d’Anseà l’heure aborigèneLa médiathèque d’Anse (69) et le musée Confluencestissent ensemble une série de rencontres. Le prin-cipe, « un livre, un objet », est à la fois simple etstimulant. Il s’agit de créer un jeu d’écho entreun objet proposé par le musée et un livre donné àentendre par la médiathèque. Le 16 mai, c’est l’artcontemporain aborigène qui servira de pivot à cetteexpérience, puisque le musée organise une exposi-tion sur ce thème, du 14 mai au 27 juin, à la galerieConfluence(s) de l’IUFM de Lyon. À travers la décou-verte du boomerang,à la fois support de décorations

et instrument de musique (!) et la lecture du livrejeunesse de Cyril Hahn, Un rêve de peinture(Hatier), il est proposé à un public familial d’abordertrois thèmes : les croyances aborigènes, l’histoire dece peuple et son art contemporain.Deux guides dansce voyage : Corinne Rose, directrice de la média-thèque et Lance Sullivan, représentant du peupleaborigène. Sites pilotes pour cette mise en relationde deux établissements culturels du département(sur une idée de la Bibliothèque départementale duRhône), le musée des Confluences et la médiathèqued’Anse pourraient faire des émules. M. B.

Sylvie Deshors recevra Franck Pavloffà Saint-Paul-Trois-Châteaux pourdeux rencontres exceptionnelles :le 18 mai, à 18h, au Domaine desAlissas, soirée de lectures autourde la transmission ; le 19 mai,à 20h,à la médiathèque municipale,

soirée autour de la résistance avec laprojection du film de Fanck Pavloff,Résister toujours – Du Vercors auxluttes d’aujourd’hui, 60 ans de résis-tance, et un débat.

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zoom /résidences

« Un livre, un objet »16 mai à 14hMédiathèque 5, rue Saint-Cyprien 69480 Ansetél. 04 74 67 15 65

/ bibliothèque

Saint-Paul-Trois-Châteaux : sa Fête du livre jeunesse, sa résidence…

La jeunesse pour tous !

Excursion avec Sylvie Deshors dans une carrière, près de Saint-Paul-Trois-Châteaux, avec les participants à un atelier d’écriture. ©

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s’attache à la guerre de Marie,une adolescente lyonnaise dontla vie bascule à l’automne 1940.Contrainte de quitter le service desLévi et sa jeune élève Sara, Marie,dont le père est retenu prisonnieren Allemagne, trouve refuge chezson oncle Eugène – que le lecteuravait découvert, jeune engagé volon-taire dans Frères de guerre. Dans cevillage aux marges des affres de laville, où on ne craint ni rafles, nibombardements, le conflit prendd’autres voies : la défiance des uns,les rancœurs des autres, le secretnécessaire pour échapper aux déla-teurs, le courage anonyme qui per-met à ceux qui fuient ou qui résis-tent de se soustraire à la nasse desnazis comme des vichystes.Avec une habileté qui lui permet dedonner chair à des personnagespourtant trop fugaces pour êtredéveloppés, Catherine Cuenca faitde cette volonté de tenir le vraicentre du motif. La leçon n’en estque plus forte, et le souci du

Catherine Cuenca face auxquestions de l’Histoire

Un héroïsmeordinaireDans son dernier roman, LaGuerre des ombres, CatherineCuenca affirme, en romancière,son goût de l’Histoire.Une plongéehabile au cœur de la SecondeGuerre mondiale.

Dumas,Balzac comme Hugo naguère,Merle, Pérez-Reverte ou Goudineauaujourd’hui : partager le goût del’Histoire en romancier plutôt qu’enhistorien permet d’atteindre un pluslarge public.Mais pour être nécessaire,l’exercice n’en est pas moinspérilleux. Privilégie-t-on l’intrigueromanesque et la censure du spécia-liste pointe, implacable, les accommo-dements avec le réel. Respecte-t-onau plus près les acquis de la recherchehistorique et le lecteur peut s’impa-tienter face à une sorte de manueldidactique déguisé en fiction.Comme dans La Marraine de guerre(Livre de poche,2001) et dans Frèresde guerre (Castor poche, 2006),Catherine Cuenca relève avec briole défi dans cette Guerre des ombres.Quittant le monde des tranchéesqui servait de cadre à ses premierspas littéraires, la jeune romancière

« happy end », commandépar la prescription jeunesse,n’altère pas la consciencedu coût de cet héroïsmeordinaire. Philippe-Jean

Catinchi

Catherine CuencaLa Guerre des ombresCastor poche Flammarion160 p., 4,70 €ISBN 978-2-08-121686-0

Sylvie Chausse, docteur es dragons

Des forcesde la natureDepuis plusieurs années déjà,SylvieChausse œuvre à la bonne ententeentre les hommes et les dragons. Ilest vrai que,à considérer la fâcheusetendance qu’ont nos princes àmaltraiter ces animaux fabuleuxpour récupérer leur pro-mise constammentséquestrée dans

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ALZIEU

Dictionnaire despeintres, sculpteurs etgraveurs du Dauphinéd’Yves Deshairs et Maurice WantelletCe dictionnaire est le premiercorpus des plasticiens du Dauphiné, visant à l’exhaustivité.Il rassemble les noms,célèbres, inconnus ououbliés, de plus de 1 500créateurs du XVIe siècle à nos jours. Dans le DVD qui l’accompagne,une ou plusieurs œuvres de certains de ces artistessont répertoriées.

non paginé, 30 €

ISBN 978-2-35022-065-9

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Kant, l’imagination et la question de l’hommed’Alexandra MakowiakChez Kant, le recours àl’imagination est constant etdépourvu des scrupules oudes hésitations qui sont lessiens par ailleurs. AlexandraMakowiak relit l’œuvrekantienne à l’aune de cettefaculté d’imaginer, ce talentsans lequel aucun jugementne saurait s’exercer.

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FAGE ÉDITIONS

Construire pour letemps d’un regard.

Guy-Claude François,scénographecollectifL’art discret d’un scénographeactif depuis plus de 40 ans etdont l’œuvre, étonnammentdiversifiée, puise tant dans le champ de l’Histoire, del’architecture, de l’art et descivilisations, des religions, dela littérature, de l’archéologie,que dans la géographie ou la géologie.

Collection Varia130 p., 20 €ISBN 978-2-84975-158-9

ÉDITIONS DUCROQUANT

Le Commerce des idéesphilosophiquescollectif, coordonné par Louis Pinto

Les contributions réunies ici étudient des exemplesrévélateurs de divers aspectsdu commerce national etinternational des œuvresphilosophiques. Elles dressentune sociologie de ce type de bien culturel dont le senset la valeur dépendent desconditions de la réception et peuvent parfois donnerlieu à des affrontements.

192 p., 22 €

ISBN 978-2-9149-6854-6

PRÉ # CARRÉ

Si la lune est làd’Olivier BourdelierRevendiquant discrétion etfulgurance, la poésie d’OlivierBourdelier est ici très bienservie par le micro format

des livrets cousus main que publient, depuis 1997,les éditions pré # carré.Dans ces seize poèmes,la parole ruse et interpelle.

non paginé, 5 €ISBN 978-2-915773-30-9

ÉDITIONS DEL’ASTRONOME

Les Fortins de Venise -1509-1514/Cinquecento Ide Pierre Legrand etClaudine CambierCe roman mêle investigationscientifique et historique,description de figuresartistiques et récit amoureux.Les auteurs nous entraînentdans l’Italie de la Renaissanceen cherchant à éluciderl’énigme qui entoure

le tableau L’Amour sacré etl’Amour profane, peint parTitien à Venise vers 1515.Grâce à des données réellesmais aussi à leur talentd’imagination, ils ytrouveront une explication à la fois plausible etromanesque.

736 p., 26 €

ISBN 978-2-916147-39-0

un donjon quelconque, l’affaire n’estpas gagnée. Sans même parler deces soi-disant saints personnagesqui, depuis toujours, ont la maniede transpercer ces pauvres bêtespour un oui ou pour un non. Bref,au-delà des modes et des engoue-ments, les 525 articles et la centainede contes que contient Brûlis,crachouillis et autres dragonneriesconstituent bel et bien une œuvrede salut public par ordre alphabé-tique. Tout en légèreté et en bonnehumeur,Sylvie Chausse permet ainsià son lecteur de remonter auxtemps très lointains de la dragonne-rie, des écrits de Pline l’Ancien oud’Apulée aux mythes grecs, desrécits du serpent à plumes mexicain auxvieuxcontesd’Ukraine.Une homé-rique traver-sée qu’illustrePhilippe-HenriTurin. L. B.

livres & lectures/ jeunesse

Sylvie ChausseBrûlis, crachouillis etautres dragonneriesBelin, 320 p., 19,50 €ISBN 978-2-7011-4891-5

nouveautés des éditeurs

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CHRONIQUE SOCIALE

Réaliser une boîtesouvenirsd’Arlette GoldbergCe guide illustré estconstruit autour d’un projetqui lie un concept innovantà une activité traditionnelle.Il s’agit de fabriquer une« boîte souvenirs » en ydéposant des élémentscommémorant desmoments importants denotre vie et ainsi partir à larencontre de nos mémoirespersonnelles et familiales.Arlette Goldberg,ethnologue et formatrice,explique l’expérience qu’aconstitué l’expositioneuropéenne itinérante deboîtes souvenirs organiséeen 2005. Quelques-unes des

créations, mi-thérapeutiques,mi-artistiques, qui y étaientregroupées sont ensuitedécrites. Leurs photographiessont confrontées auxsynthèses autobiographiquesréalisées à partir d’entretiensavec chacun de leursauteurs. ?

Collection Savoir communiquer32 p., 12,90 €ISBN 978-2-85008-729-5

L’ACT MEM

Bien je reprendsde Sylvie GouttebaronSi l’auteur donne ici forme aupoème c’est dans un flux faitd’interruptions et de reprises.Elle présente vingt-septmorceaux de poésie où les mots s’écartent et serapprochent, laissant au

LES MOUTONSÉLECTRIQUES

Fiction - tome 9Fiction, édition française dela revue américaine Fantasy& Science Fiction depuis1953, présente chaquesemestre le meilleur de la science-fiction et dumerveilleux. Très riche,cette neuvième livraison

SENS PUBLIC

Cahiers Sens Public -Obama-Hope - n° 9Ce volume des Cahiers de SensPublic s’efforce de comprendrel’Amérique contemporaine.Sous la figure d’Obama, présidentmétis déjà propulsé au rang delégende, c’est sur la réalité d’uneadministration confrontée à despriorités aussi brûlantes quecelles de l’Irak, de l’Afghanistan ou de la crise économique,que se sont penchés les différents contributeurs à ce dossier exceptionnel.

128 p., 15 €ISSN 1767-9397

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lecteur la liberté de lire mêmeentre eux et de percevoir leblanc de la page comme unélément temporel, ou mêmesonore de ces compositions.

collection Poésie contemporaine96 p., 17 €ISBN 978-2-35513-039-7

REVUES

L’ORGUE

Apparition etdéveloppement desapplications del’électricité dans l’orgueau XIXe s. / n° 282L’influence des progrèstechniques sur la facture etl’utilisation de cet instrumentsi particulier qu’est l’orgue.112 p., 20 €, ISSN 0030-5170

Sélection des nouveautés des éditeurs de Rhône-Alpesréalisée par Émilie Pellissier

C’est par les titres souvent que l’onpeut espérer saisir les poètes. VoiciLe Cœur véhément (1968), qui setrouve au presque centre de cemonumental recueil : on ne peutmieux entendre la façon qu’a Pérolde battre, frapper, cogner à la portedu monde, rien de moins : languehumorale,c’est certain,mouvementhouleux de la phrase qui s’emporte,passion du mot qui (se) fait moucheet qui bombine autour du Réel. LeRéel ou moi, le Réel et moi, le Réelavec moi. Beaucoup d’images dePérol poète sont possibles, celle dupistolet en vaut bien d’autres :« Surtout je voudrais être le pistolet,le pistolet du tir forain… / … le pis-tolet qui ferait feu qui ferait mouchequi ferait de beaux cartons dans labaraque du poète pour commencer.»Au centre du cœur, ou au cœur dela cible, la femme. Tout le désir dePérol va en effet vers la femme, lesfemmes, il écrit pour et/ou contreElle (Elle ou moi, Elle avec moi…),dès les premiers poèmes, les pre-mières lignes du premier livremême (« peau éblouissante » et« puissance à chanter »), et tout cedésir complexe se continue, se

déroule en images sensuelles ettournures délicieusement volup-tueuses, érotiques-enveloppantes,un peu comme s’il finissait par voirquelque chose du féminin autourou à travers Elle. Il y a du AndréFrénaud dans ce Pérol-là,dans cettemanière d’occuper l’espace entreséparation et réparation,d’évoquerle couple qui vire tantôt à la copuletantôt à la césure,de frayer avec milleet une « compagnes insolubles »,celles-là mêmes qui rendent nos nuitsmathématiques…

Faire vite

Mais s’arrêter à un Pérol poète desétats d’âme – et du corps – del’amour serait par trop réducteur.L’homme, né en 1930, a vécul’Histoire de plein fouet, il en ressortdes poèmes terriblement magni-fiques, visions tissées d’ombres etde lucidité (« La mort la guerre enmartingale dans le dos ») ; on saitqu’il s’en est aussi allé vers d’autresgéographies,de longues années pas-sées au Japon, un pays dont il n’estpour ainsi dire jamais revenu : cesera son Point vélique (autre titre de

livres & lectures/ poésieJean Pérol : premier volume des œuvres complètes

Le sens du poèteDe Sang et raisons d’une présence (Seghers, 1953) à Morale provisoire(Gallimard, 1978), voici enfin (re)venir à nous Jean Pérol tel qu’en lui-même l’éternité d’une demi-œuvre complète le change. Quelle classe !Vivement l’autre moitié…

font sens (untitre de poèmecette fois : « Lapoésie a toujoursun sens »), dansl’instant d’unejouissance ver-bale sans cesserépétée, avec cespointes d’humouracérées qui vont

tout de suite à la grande douleur. Caril faut faire vite (« le temps passe letemps casse »).Heureusement,ce com-bat contre le temps ne cesse jamaispuisqu’il a lieu depuis toute la vie dupoète. Cela vraiment s’appelle uneœuvre complète. Roger-Yves Roche

Jean PérolŒuvres complètes Poésie I, 1953-1978Éditions de la Différence - 507 p., 39 € ISBN 978-2-7291-1815-0

recueil – 1965), endroit où il a puiséce quelque chose d’une force etd’une souplesse qui fait son style.Camper dans l’absolu, le mystère oul’inatteignable ne fut pas le passe-temps favori de Jean Pérol, pas plusque la destruction ou la déconstruc-tion de la langue n’a été – n’est – soncheval de bataille.Non, il semble quele rapport est autre, plutôt dans lejaillissement permanent des mots qui

« Le 10 décembre 1969 :Parfois dans une gare écaillée de provincedescend parmi vapeur cris valises sifflet portesla celle qui hésite un léger sac au brasla celle qui avance ticket au bout des doigts

la celle qui traverse au passage la voiela celle qui sourit de loin sous lampe jaunela seule qui sera tout le sel de la terreun royaume arrivé sous un manteau étroitl’abondance et le don dans une chambre avare. »

(Maintenant les soleils – journal-poèmes, Gallimard, 1972)

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ait

propose notamment desnouvelles venues deFrance, du Brésil,d’Angleterre, d’Uruguay et d’Amérique du Nord,un essai sur les nouveauxsupports numériques,des chroniques et desportfolios.

336 p., 23 €ISBN 978-2-915793-65-9

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expérimenter de notre corps et de nossens,sinon que la vie est là ? « c’est lematin,c’est le soir,c’est la vie,tu dis oui,/ et même si c’était non ce serait ouiquand même / parce que l’air te tra-verse, que tu traverses l’air / et que del’un à l’autre c’est le même passage /de l’invisible au visible où les deux nesont qu’un ». Présent obscur, insaisis-sable, êtres incapables de se figurerl’immédiateté,de la faire exister pourainsi dire, les mots et les phrases sontalors comme des passerelles fragilesque le poète insatisfait emprunte,sur le fil : « à chaque pas tu croistomber, dessous c’est le noir ».L’Identité obscure, que fait miroiterJacques Ancet face à un monde quisans cesse se dérobe, face à desvisages que recouvrent inlassable-ment d’autres visages, c’est ce quicourt sous chacun de nos pas, ce quise dissimule derrière les images,ce quetentent d’encercler les chants insis-tants du poète. Guettant l’explosion,qui réunirait tout le monde, tous lesmondes, « dans l’éclat d’un instant

suspendu », l’écrivainressasse ses percep-tions, s’essaye confu-sément à disjoindre letemps et les mouve-ments, à répéter parles mots la possibilitéd’un éblouissementoù chaque choseprendrait sa place. Àsa manière,discrète etsubtile, Jacques Ancetfait bonne garde. L. B.

Jacques AncetL’Identité obscureÉditions Lettres Vives96., 15 €ISBN 978-2-9145-7740-3

Treize chants libres et profonds pourtracer les contours de L’Identitéobscure. Jacques Ancet fait admira-blement bruisser la langue detoutes les rumeurs du monde pourtenter de trouver la sienne.

Ce qui s’échappe de nous et ce quinous échappe,c’est par cette voix queJacques Ancet se laisse porter. Unevoix souterraine, intérieure parfois,qui dit « je »,« tu »,« on »,qui se mul-tiplie,cherche,se cherche et s’agrippeà tout ce qui peut lui permettre deprononcer le monde autour de soi,etpeut-être de connaître tout en sereconnaissant.Car que pouvons-nous

Patrick Dubost nous revient sous sesdeux visages,avec une double paru-tion aux éditions La Rumeur libre.)le corps du paysage(, tout d’abord –l’usage audacieux de la parenthèsedans le titre annonçant sa multipli-cation dans le corps… du texte.Dans ces pages, on retrouve le goûtdu poète pour les textes troués (plusqu’un art du blanc dans la page),pour les textes respirés, bien quel’on reste à chevalentre les tentationsexpérimentales dupoète et des phrasesd’une facture presqueclassique.Le second opusdubostien, NouveauxPoêmes d’Amour (sic !)est signé Armand lePoête… Armand etson art de la biffure,sa syntaxe hésitante,le tremblement émou-vant et drôle quimarque chacune de sestentatives poétiqueset calligraphiques, ses

Lapalissades étrangement subver-sives : « Ce monde faisait tant de bruitque j’ai dû partir me relire ailleurs »,« si un jour on a des enfants ensemble,il ne faudrait pas leur faire lire mespoèmes trop tôt,attendre par exemplequ’ils soient sevrés sur le plan del’orthographe », et autres « l’amou-reux grandit tous les jours de vingtcentimètres (la tour eiffel est unamoureux fossile) ».Frédérick Houdaer

PatrickDubost)le corps dupaysage(La Rumeurlibre Éditions98 p., 12 €ISBN 978-2-35577-006-7

Armand Le PoêteNouveauxpoêmesd’amourLa Rumeurlibre Éditions100 p., 14 €ISBN 978-2-35577-011-1

livres & lectures/ poésie

L’impasse ouverteQui a vu de près une toile deSoulages connaît la luminosité desa peinture. Qui a lu Hervé Bauersait combien sa poésie,grave ô com-bien, évite l’écueil du pathos. AvecAggravation(s), les choses ne s’arran-gent pas… Elles n’ont d’ailleurs pasbesoin de s’arranger pour entrer enrésonance sous la plume de Bauer.L’intégrité de sa démarche lui per-met d’en appeler à Sappho, à laBéatrice de Dante, à Villon. Le poèteretourne aux fondamentaux et au

fondamental, sans verser jamaisdans l’académisme. Trop radicalpour cela. Mais cette acuité duregard, présente à chaque ligne,masque la générosité secrète du poète.

F. H.

Hervé BauerAggravation(s)L’Harmattan64 p., 10 €ISBN 978-2-296-06122-4

Leçons de lumièreLire Jean-Pierre Spilmont procureun très éphémère dépaysement.Même si le paysage change en effet,si le vers qui s’affûte aujourd’hui autranchant transsibérien a surgid’une prose flamande, « dansl’étrange et pénétrante lumièred’un retable »*, le lecteur lui n’apas bougé d’un pouce, comme sil’émotion immobilisait. Qu’on ylise des poèmes au chaud, « aucafé Besuhoff / à la clarté / d’unelumière fragile », ou qu’on s’enaille « revoir / pour écarter la nuit, /les quais de l’Angara / à Irkoutsk / oùNadia récitait Tolstoï / le visagetourné / au-delà des vagues deglace », les rendez-vous se font écho.La déambulation, réelle et écrite,n’a de cesse de tourner le dos àl’angoisse et d’accomplir « ce désir/ de n’être rien / soudain / plus rienqu’un passant privé de mémoire ».

Échec assuré,bien sûr.Au lieu de quoi,la poésie,tendue de visions et d’éclatsprésents,se murmure sur les lèvres dupassé.Ombres de la mort et ruines dudésir hantent des errances peupléesde fantômes fraternels, d’histoires defemmes et d’hommes,où il reste tou-jours question, toutefois, de tirer dumonde des « leçons de lumière ».

Danielle Maurel

Jean-PierreSpilmont

Fragmentsd’escalesÉditions En Forêt /Verlag im Wald68 p.ISBN 978-3-941042-08-7

* Une saisonflamandeÉditions L’amourier64 p., 10 €ISBN 978-2-915120-49-3

Docteur Dubost et Mister ArmandL’Identité obscure : un nouveaurecueil de Jacques Ancet

L’incertainebeauté duprésent

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portrait

La gloire de Juliette

L’exposition du Musée de Lyon«Juliette Récamier,muse et mécène »relève une gageure : redonner vie à unfantôme, une femme qui attira tousles regards et le gratin de la littératurede son temps,mais n’écrivit point,nelaissant pour trace que ce sillage d’ad-mirateurs.Et quelques toiles ou bustesqui la représentent, tels ceux exquisde grâce et de sensualité brûlantejaillie du marbre de Chinard.

Lyonnaise montée à Paris,elle fut,duDirectoire à la Révolution de 48, lareine d’un salon, une impératrice dela mode, une prima donna du bongoût, aimée de Chateaubriand,jalousée de Mme de Staël, craintede Napoléon.Ce premier romantisme, oscillantentre néo-classicisme et sentimenta-lisme emphatique,est aux antipodesde notre goût.Or cette exposition saitnous rendre proche ce monde plusque défunt,avec cette galerie de por-traits d’admirable facture,sublimantsans les atténuer le long nez deChateaubriand ou les yeux globuleux

de Mme de Staël. Ou les médaillonsciselés par David d’Angers transcen-dant les grosses joues de Balzac oule profil sec de Mérimée.Une fois dis-sipés les nuages et pompes de lagrandiloquence, cette époque fut,entre culte de la haute tenue etexpression des frémissements, unbeau moment de l’art que cetteexposition réhabilite avec talent.Claude Burgelin

« Juliette Récamier, muse et mécène »Musée des Beaux-Arts de LyonJusqu’au 29 juin

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Livre & Lire : journal mensuel, supplément régional à LivresHebdo et Livres de France, publié par l'Agence Rhône-Alpespour le livre et la documentation.

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Chacun sait, ou presque, qui, à Vénissieux, se cachederrière l’Espace Pandora ou les éditions La Passedu vent, lointaines héritières de Parole d’Aube.Mais plus difficile est de deviner qui se dissimulederrière Thierry Renard : l’« agitateur poétique »,l’écrivain toujours en devenir, l’éditeur éclectiqueou l’amoureux lecteur ? Tous unis, camarade !

Cet homme,c’est d’abord une voix.Grave, forte,éraillée.À la hauteur de sa présence. Un rire qui grince sur lesderniers mots d’une phrase pour rompre le sérieux,éviter de se prendre les pieds dedans. Une façon de nepas se taire. Jamais.Comme si les mots, sans cesse,cher-chaient à cerner ce qui se vit, comme si Thierry Renardles portait en écharpe pour mieux se protéger. Dufroid ou de l’indifférence. Car le monde est rude etl’on chante « Sale temps pour les poètes… »Mais lui tient bon. Les deux pieds à Vénissieux, dans labanlieue de Lyon, là où il vit, là où il est né il y a un peuplus de quarante-cinq ans : « Je m’y sens comme aubord de la mer », dit-il. En riant, mais sans rire. Car lesMinguettes,c’est aussi la Méditerranée et un peu l’Italie,même si la rue où habite la « famille de prolos cocosà moitié italiens » porte le nom de Vladimir Komarov,cosmonaute soviétique venu en personne, en 1967,pour le baptême rouge de la cité radieuse. ThierryRenard s’en souvient. Sans doute parce que ce typeavait côtoyé les étoiles.Car depuis son plus jeune âge, le gamin aussi rêve d’ac-céder à un autre univers.À sept ans, c’est décidé, il veutdevenir poète. Son cousin, lui, s’imagine philosophe…Résultat d’une éducation communiste à l’italienne avecrespect de la culture,amour de l’art et grand-père à l’ac-cordéon… Thierry Renard et Patrick Vighetti tiendrontparole et se jetteront ensemble dans l’aventure dela revue Aube, en 1978.Leur bonne fée,surgie d’une autre galaxie,s’appelle CharlesJuliet. La rencontre a lieu lors du premier anniversaire

Avec son équipe. Car l’homme,chaleureux, partageur, a l’art desusciter l’énergie. Lui-même en estpétri,même s’il jure que cinquante ansest un âge respectable pour discernerles limites.Celles de l’action culturelle– même si « j’y crois toujours àfond… » –, celles du milieu littéraire– « un peu trop plaintif et pas assezlibre » –, les siennes propres. Les plusdures à trouver. Une recherche pro-fonde, intime, que l’écriture accom-pagne depuis toujours. Un parcoursde trente ans et l’impression de n’êtrequ’au début : « Je me sens encore unjeune auteur », s’amuse-t-il. Un écri-vain admirateur éperdu de ses aînés :Rimbaud, Pavese, Breton, mais aussiCarver et Brautigan… Thierry Renardgoûte ces deux grands Américainsavant tout pour leur liberté. Dans lavie, dans la forme, dans la narration.Des modèles à suivre. Ça pourraitjaser du côté de la rue Komarov. L. B.

de la revue Verso. « Qui êtes-vous ? », demande l’écrivain,curieux de la jeunesse.« Le nouvel Arthur Rimbaud »,répondsimplement le jeune Renard. On imagine Charles Julietamusé par le phénomène… Hommage rétrospectif dunouveau venu : « Il m’a tout simplement fait découvrirla poésie contemporaine, Chedid, Bobin, Velter, Noël… »

Liberté, liberté chérie…

Avec les compagnons de route que sont Sylviane Crouzetet Olivier Fischer, la revue Aube pointera deux décenniesdurant.Une soixantaine de numéros et le plus gros tirageà 5 000 exemplaires… Époque bénie où un fanzine depoésie exigeant au graphisme singulier tient son lectoraten haleine. Pendant qu’il s’enflamme avec les siens etessaye d’étancher sa soif de lectures, toujours plus grandeaprès ses études en berne – « l’école me faisait… » –,Vénissieux lui rappelle constamment que le monde estpluriel : « J’étais naïf », affirme-t-il, « je croyais que toutle monde lisait… »Alors pour « essayer de trouver les moyens de sensibiliserle monde alentour à la littérature que nous aimions »,Thierry Renard fonde l’association Aube, monte ungroupe de rock, chante des poèmes, joue la comédiepour gagner sa vie et se lance dansl’action culturelle.Ce sont les années 80 et le ministère de laCulture croit à ces petits gars qui fontbouger la banlieue sans se réclamer duhip-hop.Vingt-cinq ans plus tard, l’EspacePandora et son rayon d’actions en faveurdes plus culturellement défavorisés durentencore… Quant à son directeur, il est faitChevalier des arts et des lettres fin 2008.Thierry Renard parle et une vie ne suffirapas.Une page non plus.Le succès et l’échecde Parole d’aube,qui,en 1998,met les deuxresponsables de la maison d’édition sur lapaille, la célèbre collection d’entretiens (Juliet, Bobin, Comte-Sponville…), lacréation de la Passe du vent, les manifesta-tions poétiques comme Parole ambulanteou le salon de Grigny… C’est encore lui.

Directeur de la publication : Geneviève Dalbin

Rédacteur en chef : Laurent Bonzon

Assistante de rédaction :Marion Blangenois

Ont participé à ce numéro :Claude Burgelin, PhilippeCamand, Philippe-JeanCatinchi, Frédérick Houdaer,Géraldine Kosiak, DanielleMaurel, Yann Nicol, VirginieOllagnier, Roger-Yves Roche.Remerciements à ColetteGruas et à Sylvie Deshors pour les photographies.

Livre & Lire / Arald 25, rue Chazière - 69004 Lyon tél. 04 78 39 58 87 fax 04 78 39 57 46 mél. [email protected] www.arald.org

Siège social / Arald1, rue Jean-Jaurès - 74000 Annecy tél. 04 50 51 64 63 - fax 04 50 51 82 05

Conception : PerluetteImpression : ImprimerieFerréol (Imprim'Vert).Livre & Lire est imprimé sur papier 100% recyclé avec des encres végétales

ISSN 1626-1331

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