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Le point de suspension Le feutre suspendu au-dessus du cahier Mead, j’hésite à marquer le p oint final, parce que je sais, après trois romans, le vide qu’il dessine. Je sais que le soulage- ment d’avoir achevé un travail ne dure qu’un temps. Je sais que les doutes,pires que des fantômes, vont me tourmenter. Du coup, je multiplie les versions, j’étire ce temps délicieux, ce miel, et je prolonge ce moi à moi où je suis libre de rêver, de m’inventer des histoires. Puis vient ce jour où il faut rendre le manus- crit. Je le retire de mon sac, je le tends à l’édi- teur et je m’en vais,soulagé d’un poids mais plus fragile que jamais. Je suis nu devant le docteur pendant la visite médicale et une fois rhabillé, je n’ai qu’une envie: fuir, voir ailleurs si j’y suis, ne plus y songer, ne plus répondre au téléphone même si, dans le fond, je n’attends que cela, qu’il sonne enfin et que l’éditeur soit enthousiaste, qu’il oublie mes faiblesses, les horreurs que j’aperçois dès que je me relis. J’ai peur qu’il n’aime pas mes personnages, qu’il s’ennuie au f il des pages parce que je sais qu’il préfère les his- toires de guerre qui se déroulent en Italie. La nuit qui a suivi le jour où j’ ai remis mon manuscrit, j’ai rêvé que j’étais avec mes héros dans une salle d’attente. Je me suis levé parce qu’une voix m’appelait et j’ai lu le titre du roman inscrit en néons au-dessus de la porte qui se refermait sur mes personnages. Je déteste l’attente des résultats parce que mon souffle, je le retiens pendant des jours. Je suis irritable. Chaque livre que je lis, je le trouve mille fois plus intéressant que le mien. Je me dis, à quoi bon cette torture ? J’ai le sentiment de ne plus avancer, de ne pas gran- dir, je me méfie de la sanction. Cette période de la vie d’un écrivain – un passage obligé –, je l’ai en horreur, moi, qui d’ordinaire ne suis pas de nature angoissée. Alors, je lutte avec mes moyens. Ils sont ce qu’ils sont mais ils s’ avèrent ef ficaces. J’écoute de la musique à toc dans le salon et je danse avec mon garçon. Philippe Fusaro n°251 - avril 2010 le mensuel du livre en Rhône-Alpes en +++++++++ Un rappel pour tous les professionnels du livre, l’ARALD met régulièrement en ligne des dossiers consacrés aux écrivains, édi- teurs, libraires, bibliothécaires… Rapports, études, enquêtes, ces dossiers concernent tous les domaines, de l’éduc ation au numérique, de la diffusion-distribution à la sociologie de la lecture. Consultez-les! www.arald.org/dossiersenligne.php > www.arald.org les écrivains à leur place !!!!!!!!!!!! La Savoie, entre clichés et réalité « Le ramoneur, la marmotte et la montagne », c’est le titre d’une exposition sur la naissance de la Savoie française à la média- thèque de Chambéry (jusqu’ au 4 sept.). Récits de voyageurs, journaux, gravures, guides touristiques, affiches publicitaires…, ce parcours est l’occasion de fêter le 150 e anniversaire du rattachement de la Savoie à la France. Il sera suivi prochainement d’une exposition virtuelle sur Lectura. fr. www.bm-chambery.fr Quels prix des lycéens 2010 ? Ce sera donc l’après-midi du 29 avril, à la MC2 de Grenoble, que l’on se rassemblera pour l’édition 2010 du Prix des lycéens et apprentis rhônalpins. 29 classes et pas loin de 1 000 élèves auront d’ici là voté pour désigner leurs lauréats. Pour le roman, ils ont dû choisir entr e Stéphane Audeguy, Nous autres (Gallimard), Brigitte Giraud, Une année étrangère (Stock), Ahmed Kalouaz, Avec tes mains (Le Rouergue), Iegor Gran, Thriller (P.O.L). Pour la bande dessinée, il fallait trancher entre Fanny Montgermont et Alcante, Quelques jours ensemble (Dupuis), Olivier Tallec et Jean-Christophe Camus, Negrinha (Gallimard), Alexandre Clérisse, Trompe la mort, (Dargaud) et Riff Reb’s, À bord de l’étoile Matutine (Éditions Soleil). Des lectures toute l’année, des rencontres avec les écrivains, les dessinateurs, et un choix sans doute difficile… rendez-vous premier plan /p.2-4 Prix Rhône-Alpes du livre Les lauréats des Prix 2010 de la Région Rhône-Alpes : François Beaune, Johann Chapoutot, Selim Chérief et Jean-François Chabas. actualités/p.5 Le polar derrière les murs Retour sur une action « livre et lecture » menée depuis une dizaine d’années en milieu pénitentiaire. En lien avec Quais du polar, à Lyon, du 9 au 11avril. regard/p.10 Au travail ! Ce mois-ci, dans la chronique en texte et en image de Géraldine Kosiak, un détour par le voyage (le « vrai » et le « faux »), avec un couple littéraire improbable formé par Raymond Roussel et Hervé Guibert. D. R. © Quais du polar Voyage dans le grand loin Cécile Philippe et puis Pascal Garnier… Triste fin d’hiver avec la disparition de ces deux écrivains à qui nous étions attachés. Cécile Philippe, en plus de ses travaux d’écritur e théâtr ale et r omanesque, ses voyages et son polar – Salut Lulu ! –, avait d’ailleurs collaboré à Livre & Lire. Un hommage lui sera consacré dans le prochain numéro du journal. Pascal Garnier, lui aussi, hantera bien des mémoires. Celles de ceux qui l’ont connu, qui l’ont lu. Ça fait du monde. Les lycéens de la région ne s’y étaient pas trompés, eux qui lui avaient décerné leur premier prix avec un enthousiasme touchant. C’était l’année dernière, c’était La Théorie du panda. Le Grand Loin sera donc son dernier livre (lire p.12). L. B. Tanger, ville d’Angel Vazquez, auteur de La Chienne de vie de Juanita Narboni. Entretien avec Selim Chérief, Prix Rhône-Alpes de la traduction 2010.(lire p.2-3)

livre et lire - n° 251 - avril 2010

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L'Arald publie chaque début de mois "livre & lire", journal d'information sur la vie du livre en Rhône-Alpes. Ce mensuel de douze pages est un supplément aux revues professionnelles Livres-Hebdo et Livres de France, publiées par le Cercle de la librairie.

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Page 1: livre et lire - n° 251 - avril 2010

Le point desuspensionLe feutre suspendu au-dessus du cahierMead, j’hésite à marquer le p oint final,parce que je sais, après trois romans, levide qu’il dessine. Je sais que le soulage-ment d’avoir achevé un travail ne durequ’un temps. Je sais que les doutes, piresque des fantômes, vont me tourmenter.Du coup, je multiplie les versions, j’étirece temps délicieux, ce miel, et je prolonge

ce moi à moi où je suis libre de rêver, dem’inventer des histoires.Puis vient ce jour où il faut rendre le manus-crit. Je le retire de mon sac, je le tends à l’édi-teur et je m’en vais, soulagé d’un poids maisplus fragile que jamais. Je suis nu devant ledocteur pendant la visite médicale et une foisrhabillé, je n’ai qu’une envie : fuir, voir ailleurssi j’y suis, ne plus y songer, ne plus répondreau téléphone même si, dans le fond, jen’attends que cela, qu’il sonne enfin et quel’éditeur soit enthousiaste, qu’il oublie mesfaiblesses, les horreurs que j’aperçois dèsque je me relis. J’ai peur qu’il n’aime pasmes personnages, qu’il s’ennuie au f il despages parce que je sais qu’il préfère les his-toires de guerre qui se déroulent en Italie.La nuit qui a suivi le jour où j’ai remis monmanuscrit, j’ai rêvé que j’étais avec mes hérosdans une salle d’attente. Je me suis levé parcequ’une voix m’appelait et j’ai lu le titre duroman inscrit en néons au-dessus de la portequi se refermait sur mes personnages.Je déteste l’attente des résultats parce quemon souffle, je le retiens pendant des jours.Je suis irritable. Chaque livre que je lis, je letrouve mille fois plus intéressant que le mien.Je me dis, à quoi bon cette torture ? J’ai lesentiment de ne plus avancer, de ne pas gran-dir, je me méfie de la sanction. Cette périodede la vie d’un écrivain – un passage obligé –,je l’ai en horreur, moi, qui d’ordinaire ne suispas de nature angoissée.Alors, je lutte avec mes moyens. Ils sont cequ’ils sont mais ils s’ avèrent ef ficaces.J’écoute de la musique à toc dans le salon etje danse avec mon garçon. Philippe Fusaro

n°251 - avril 2010le mensuel du livre en Rhône-Alpes

en + + + + + + + + +Un rappel pour tous les professionnels dulivre, l’ARALD met régulièrement en lignedes dossiers consacrés aux écrivains, édi-teurs, libraires, bibliothécaires… Rapports,études, enquêtes, ces dossiers concernenttous les domaines, de l’éduc ation aunumérique, de la diffusion-distribution àla sociologie de la lecture. Consultez-les !www.arald.org/dossiersenligne.php

> www.arald.org

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! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! !La Savoie, entre clichéset réalité

« Le ramoneur, la marmotteet la montagne », c’est letitre d’une exposition sur la

naissance de la Savoie française à la média-thèque de Chambéry (jusqu’ au 4 sept.).Récits de voyageurs, journaux, gravures,guides touristiques, affiches publicitaires…,ce parcours est l’occasion de fêter le 150e

anniversaire du rattachement de la Savoieà la France. Il sera suivi prochainementd’une exposition virtuelle sur Lectura. fr.www.bm-chambery.fr

Quels prix deslycéens 2010 ?Ce sera donc l’après-midi du29 avril, à la MC2 de Grenoble,que l’on se rassemblera pourl’édition 2010 du Prix des lycéenset apprentis rhônalpins. 29

classes et pas loin de 1 000 élèvesauront d’ici là voté pour désignerleurs lauréats. Pour le roman, ilsont dû choisir entr e StéphaneAudeguy, Nous autres (Gallimard),Brigitte Giraud, Une année étrangère

(Stock), Ahmed Kalouaz, Avec tesmains (Le Rouergue), Iegor Gran,Thriller (P.O.L). Pour la bandedessinée, il fallait trancher entreFanny Montgermont et Alcante,Quelques jours ensemble (Dupuis),Olivier Tallec et Jean-ChristopheCamus, Negrinha (Gallimard),Alexandre Clérisse, Trompe la mort,(Dargaud) et Riff Reb’s, À bord del’étoile Matutine (Éditions Soleil). Deslectures toute l’année, des rencontresavec les écrivains, les dessinateurs,et un choix sans doute difficile…

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premier plan/p.2-4Prix Rhône-Alpes du livreLes lauréats des Prix 2010 de laRégion Rhône-Alpes : FrançoisBeaune, Johann Chapoutot, SelimChérief et Jean-François Chabas.

actualités/p.5Le polar derrière les mursRetour sur une action « livreet lecture » menée depuis unedizaine d’années en milieupénitentiaire. En lien avec Quaisdu polar, à Lyon, du 9 au 11 avril.

regard/p.10Au travail !Ce mois-ci, dans la chronique entexte et en image de GéraldineKosiak, un détour par le voyage (le « vrai » et le « faux »), avec un couple littéraireimprobable formé par RaymondRoussel et Hervé Guibert.

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Voyage dans le grand loinCécile Philippe et puis Pascal Garnier… Triste find’hiver avec la disparition de ces deux écrivains à quinous étions attachés. Cécile Philippe, en plus de sestravaux d’écritur e théâtr ale et r omanesque, sesvoyages et son polar – Salut Lulu ! –, avait d’ailleurscollaboré à Livre & Lire. Un hommage lui seraconsacré dans le prochain numéro du journal. Pascal

Garnier, lui aussi, hantera bien des mémoires. Cellesde ceux qui l’ont connu, qui l’ont lu. Ça fait dumonde. Les lycéens de la région ne s’y étaient pastrompés, eux qui lui avaient décerné leur premierprix avec un enthousiasme touchant. C’était l’annéedernière, c’était La Théorie du panda. Le Grand Loinsera donc son dernier livre (lire p.12). L. B.

Tanger, ville d’Angel Vazquez, auteur de La Chienne de vie deJuanita Narboni. Entretien avec Selim Chérief, Prix Rhône-Alpesde la traduction 2010.(lire p.2-3)

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La langue dela nostalgieSelim Chérief est le traducteur de La

Chienne de vie de Juanita Narboni,d’Angel Vazquez, un écrivain qu’il a ren-contré au milieu des années 70 à Madrid.Nous l’avons surpris au téléphone danssa demeure de Tanger, et il est sansdoute de retour à Valence au moment oùparaissent ces pages. La liaison était trèsmauvaise, mais les paroles du traducteurpleines d’une modestie et d’une chaleurdont un entretien comme celui-ci ne peuttout à fait rendre compte.

Comment en êtes-vous venu à tr aduire ce livred’Angel Vazquez ?C’est simple, un ami me parlait de lui depuis très long-temps et un jour, au cours d’un repas, c’était en 1972à Tanger, cet ami me dit : « je t’apporte quelque chosed’extraordinaire… » C’était le premier chapitre du der-nier livre de Vazquez. Il avait déjà quitté Tanger àl’époque, mais cet ami le connaissait très bien. C’étaitEmilio Sanz de Soto, un proche de Vazquez, dont ilétait en quelque sorte le porte-parole, car l’écrivainétait très timide et vivait caché. Emilio Sanz de Soto atoujours cru en lui, il en parlait constamment. C’estcomme cela qu’un jour, en 1975, j’ai pu rencontrerVazquez à Madrid. On ne s’est pas beaucoup vu, maison a passé plusieurs soirées ensemble pendant unedizaine de jours. Je me suis rendu compte qu’il mefaisait passer un petit examen : il m’interrogeait surmes lectures, mes auteurs favoris… Et puis, quelquetemps plus tard, j’ai reçu son livre La vida perra deJuanita Narboni, avec une dédicace dans laquelle ilme demandait de le traduire.

Vous étiez traducteur ?Non, j’ai étudié les lettres et les langues. J’ai traduittoute ma vie, du grec, du latin, de l’anglais… C’est pourmoi un réflexe naturel. Et quand Vazquez m’a envoyéce livre, la dédicace était presque comme un contratde travail… C’était en 1976.

Et p ourquoi ne l’ avez-vous p as tr aduit à c etteépoque ?Je l’ai lu et je dois dire que je n’ai pas vraiment toutcompris… C’était un livre intéressant, unique en songenre, mais tout le monde prétendait que c’était intra-duisible. Alors je ne suis p as allé plus loin, j’avaisd’autres activités, la musique notamment. Ce n’estque beaucoup plus tard, quand une deuxième édition– annotée – est sortie en Espagne qu’Emilio Sanz deSoto m’a recommandé de lire cette version et de luidire ce que je pensais des notes. C’était en 2000, etje me suis rendu compte en lisant que je traduisaismentalement. Je me suis dit que si cela se faisaiten moi de cette manière, il n’y avait pas de raisonque je n’y arrive pas. Alors j’ai pris un papier etun crayon et j’ai travaillé chaque matin. Ensuite, j’aimontré les premières pages à Emilio qui m’a confirméque c’était le bon chemin et qu’il fallait continuer.

Mais c’est une langue que vous parlez et que vousconnaissez depuis longtemps ?Ah ! oui. Toutes ces langues tangéroises, je suis tombédedans quand j’étais petit, il n’y a pas de problème dece côté-là… La seule dif ficulté était de r endre lemélange des langues en traduisant. Il s’agit majori-tairement de français, d’espagnol et d’arabe, tout celatransformé par la négligence des Tangérois, le sno-bisme, les mauvaises habitudes, le besoin de s’amuseren déformant les mots. La Hakétia – le judéo-sépharade marocain –, elle, est à part. C’est une sortede mélange noble qui est né bien plus tôt et qui faisaitfigure de langue idéale pour Tanger. Mais l’expériencedu Tanger international n’a pas duré assez longtemps.Deux ou trois siècles de plus, et on avait une véritablelangue, c’est sûr… À la base, c’est un espagnol quivient du XVe siècle, époque où les juifs ont été expul-sés par les rois catholiques. Ils ont gardé leur langue,un espagnol ancien augmenté des mots liturgiquesen hébreu correspondant aux fêtes, aux rituels ou auxconcepts qui n’existaient pas. Arrivés au Maroc, ils onteu l’idée – toute simple pour la mentalité sémitiquedes langues mais absolument aberrante pour lesystème indo-européen – de puiser dans l’arabe pourfabriquer des mots ou des verbes quand ils en avaientbesoin. Ce qui fait que la Hakétia est une langue à partentière, parce qu’elle a beau venir de trois languesidentifiées, elle n’est pas compréhensible si onles envisage indépendamment. Elle a réussi unesynthèse originale, une synthèse évolutive et dyna-mique, dans laquelle on peut puiser à volonté.

Et c’est une langue que vous avez connue dèsl’enfance ?Pas dès l’enfance, mais assez tôt et un peu par hasard.En effet, l’un de mes amis vivait avec ses grands-parents, qui parlaient la Hakétia du siècle derniercar ils étaient tous deux d’âge canonique. C’étaitvraiment une Hakétia aux meilleures sources…Comme cela m’amusait beaucoup, je me suisdocumenté et j’ai commencé à comprendre lalogique de cette langue.

C’est une langue qui a actuellement disparu ?Oui, elle n’est parlée que de manière artificielle,par des gens qui se souviennent. C’est aujourd’huiune langue de la nostalgie. La société qui la pratiquaits’est dispersée dans d’autres pays. Comment cettelangue pourrait-elle encore se nourrir de l’arabepuisqu’il n’est plus auprès d’elle ?

La Chienne de viede Juanita Narboni d’Angel Vazquez. Traduit de l’espagnol (tangérois) par Selim Chérief

La Chienne de vie de Juanita Narboni est un soli-loque comme l’on n’en entendra plus jamais, carJuanita s’exprime en Hakétia, l’espagnol desSéfarades marocains, mélangé à des expressionsandalouses, à des phrases en français et à des motsdérivés de l’arabe ; l’espagnol que parlait à TangerAngel Vazquez, écrivain maudit, reconnu en Espagnede son vivant mais qui serait resté ignoré en Francesans les éditions Rouge Inside.Les enjeux linguistiques de ce texte écrit dansune langue désormais perdue sont énormes. Latraduction de Selim Chérief (dont il se dit qu’ilétait plus ou moins la seule personne susceptiblede réaliser une telle prouesse), qui ne gommejamais ce côté hybride mais l’explicite par desnotes d’une extrême finesse, permet au lecteurde supporter sans faiblir 346 pages de ratiocina-tions fantasques, mieux, d’en jouir.Cette femme tragique et drôle, qui se parle à elle-même (« Juani, sois sérieuse », « Juani, calme-toi »)ou converse de façon imaginaire avec les per-sonnes qu’elle rencontre au hasard de ses trajetsen ville, ne parvient pas plus à donner sens à sapropre vie, ratée, qu’à en donner à l’histoire de saville dont le statut n’a cessé de changer au coursde la première moitié du XXe siècle. Mais toutebanale, toute futile, toute méchante qu’elle soit,Juanita parvient à faire entendre la voix de cepassé cosmopolite devenumythique. Catherine Goffaux-H.

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Angel VasquezLa Chienne de vie de Juanita NarboniTraduit de l’espagnol (tangérois)par Selim ChériefRouge Inside Éditions354 p., 20 €ISBN 978-2-918226-00-0

D.R

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Page 3: livre et lire - n° 251 - avril 2010

Angel Vazquez, né à Tanger, parlait-il cette langue ?Non, il ne la parlait pas vraiment, mais il l’avait enten-due depuis la prime enfance et en avait capté le charme,qui est un peu celui de certains argots, avec une extra-ordinaire truculence des mots…

Pourquoi ce livre de Vazquez a-t-il marqué seslecteurs avec autant de force ?Parce qu’il ne ressemble à rien d’autre dans la littératurehispanophone. Personne n’avait incorporé de la Hakétiadans une œuvre. De plus, Vazquez l’a fait de façon trèscrue, en déballant tout sans la moindre note. Beaucoupde gens se sont sentis perdus, presque agressés, mais çaa attiré l’attention et contribué à créer une sorte de culteautour de l’œuvre. En fait, Vazquez a retranscrit ce qu’ilentendait, directement, sans toujours comprendre… Ille reconnaît d’ailleurs. Et c’est normal, il faut avoir desrudiments des trois langues et connaître le « truc », enplus d’avoir une certaine mentalité qui pousse à joueravec les mots, ce qui n’est pas facile…

Et comment avez-vous exprimé cette absolue singu-larité linguistique dans votre traduction ?La Hakétia étant une langue à part entière, j’ai décidéde la laisser telle quelle, afin qu’elle ne disparaisse pas.Les expressions sont donc « en Hakétia dans le texte »,avec des notes qui aident le lecteur. J’y montre autantque possible les origines, je fais une sorte d’autopsie dechacun des mots utilisés.

On a le sentiment d’une grande liberté dans cettelangue…Entre Tangérois, on pouvait à l’époque se permettre deschoses absolument incompréhensibles pour le commundes mortels. On traduisait le français en espagnol, l’es-pagnol en français ou l’arabe en espagnol, on mélangeaittout de manière à donner des char abias… Vazquezdonne un bon tableau sonore de ce que l’on entendait,mais il ne va pas jusqu’à l’absurde qui surgissait parfoisau détour d’une expression. La Hakétia possède unegrande puissance comique. Aujourd’hui, si l’on continueà parler cette langue avec quelques amis, cela fait partiede la nostalgie : c’est souvent beaucoup plus vivant qu’unlong discours pour raconter ce qu’était la vie autrefois.

Vous êtes un musicien, Selim Chérief. Est-ce que celavous a aidé pour la traduction ?Non, le fait d’avoir de l’oreille peut-être, mais j’en avaisaussi pour les langues… Ce qui m’a aidé c’est plutôtd’avoir eu la chance de connaître le Tanger des années 50.

À ce moment-là, on sentait encore comment ça avaitdû être avant. Les gens étaient toujours les mêmes. Parexemple, j’ai souvent pensé à ce que ma mère aurait dità l’époque pour traduire les paroles de Juanita… C’esttout cela qui m’a permis de faire cette traduction,et c’est ce que Vazquez a compris en me rencon-trant. Il a bien vu comment je m’exprimais, quellesexpressions j’utilisais. Propos recueillis par L. B.

Vient de paraître, dans « La petite collection » des ÉditionsRouge Inside, la traduction par Selim Chérief d’un court romand’Angel Vazquez intitulé La Villa d’été.

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prix rhône-alpes du livreprovisoires, qui ont la vertu de faire surgir une autreperspective. La drôlerie devient méthode.La critique est mordante, mais reste traverséed’une tendresse et d’une souffrance impossiblesà dire. Cet éloignement et cette solitude finis-sent dans une explosion qui envoie ce garçonsuspect en psychiatrie.Vingt-cinq ans plus tard, l’homme qu’il est devenu,tient de nouveau un carnet. Il a perdu femme etenfant. Toujours seul et toujours le projet de voir.Mais la démesure de l’adolescent a fait place à unhomme « limité » : il ne s’agit plus de regarder de trèshaut mais au contraire de très près. De là l’hommequi « louche sur la surface », de biais, pour « faireapparaître l’entourage hors du cadre habituel ».Les deux parties du livre se répondent comme lesvolets d’un miroir double. Maintenant le voyeurregarde de si près que le motif du « décor » disparaît,

l’œil pénètre dans les limbes de cequi a disp aru, le sans intér êt, le« sous-réel » qui est le seul réel habi-table. La passion de voir et de com-prendre se met à coller à l’inanitédes conversations de bistrot, à laponctuation creuse des conversa-tions de téléphone portable dans lebus et au vide du courrier deslectrices d e m agazines f émi-nins ; les dimanches se passentderrière la haie d’une maison-

jardin-piscine à jouir de la conformité de sonmobilier et de son habitante avec les catalogueset les revues. Il s’agit de se tenir au plus près dudécor « qui est en attente de quelque chose ».Beckett n’est pas loin. Cette partie est la plus noire.Mais elle donne sa perspective au livre qui sans celaserait seulement une histoire d’adolescence au styleassez jubilatoire. Le héros d’Un homme louchene sait pas comment entrer en lien avec lesautres sans se sentir dissout dans la nouvellemachine collective : le décor. Il s’épuise seulet en vain à tenter de sauver le « sous-réel ».Ses derniers mots seront son premier appel :« Nous avons besoin qu’on s’occupe de nous ».C’est un vrai livre sur la modernité, qui regorge dephrases formidables, rebondit d’anecdotes en anec-dotes qui relancent sans cesse sa quête effrénée duréel et emportent l’adhésion du lecteur. Par-dessustout, ce n’est pas un livre à thèse. Son écriture fait cequ’il dit : décaler le regard et les oreilles, ramener au

détail inaperçu, jouer avecle monde. Il est éprouvant,drôle souvent, et salutaire.Change notre regard sur lemonde. Michel Boutin

François BeauneUn homme loucheVerticales352 p., 20 €ISBN 978-2-07-012603-3

Un homme louchede François Beaune

Entre fresque burlesque, conte philosophique et cri-tique sociale François Beaune nous offre, avec Unhomme louche, un livre tout à la fois décapant, noir,drôle et tendre. Un premier roman qui est un exploit.Ce sont les carnets intimes d’une véritable expéri-mentation m entale e t v itale : c omment v oir l emonde pour de vrai quand celui-ci est pris dans lesimages et enserré dans les cir cuits imprimés ?L’aventure s’avère risquée.Dans la première partie, un adolescent surdoué etreclus dans son mal-être observe, derrière sa cara-pace de crasse et de hard rock, sa famille et les qua-torze chalets d’un improbable lotissement. Paraîtredébile et repoussant lui permet de mieux disparaîtreet, sans être dérangé, de se livrer à sa tentative pas-sionnée de voir, de « décapsuler le réel ».Voyeur et voyant, l’adolescent note les exercicessecrets des « superpouvoirs » qu’il développe contrel’emprise des images, de la ressemblance générali-sée, de la moyenne, des magazines. Comment voirvraiment quand tout est déjà programmé, que lesésame universel est Password et que même la vérité«  nous e ntraîne d ans l a m achine c ollective » ?L’exercice de virtuose qui fait la matière du livre estla façon qu’a l’adolescent de réinterpréter au jour lejour toutes les bribes qui lui parviennent, de façondécalée avec des théories loufoques, sérieuses et

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François Beaune est né en 1978 à Clermont-Ferrand et vit actuellement à Lyon. Il a fondé plu-sieurs revues dont Louche, le feuilleton numérique« Les bonnes nouvelles de Jacques Dauphin » ettout récemment le fanzine collectif Gonzo. Il estégalement à l’origine du festival « Du cinémaà l’envers » proposant à des réalisateurs deconcevoir leur film à partir d’affiches créées pardes plasticiens. Il est l’auteur d’une pièce inéditede théâtre, Victoria, déjà jouée à Lyon. Un hommelouche est son premier roman.

Né en 1949, Selim Chérief grandit à Tanger avant de faire desétudes de lettres classiques à Nice puis de passer trois annéesaux Langues Orientales, à Paris, dont il est diplômé en arabelittéral, spécialisation Afrique du nord. Ensuite, il mène une car-rière de musicien professionnel et de guitariste. Il vit entreTanger et Valence. La Chienne de vie de Juanita Narboni, d’AngelVazquez, est sa première traduction littéraire publiée

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prix rhône-alpes du livre

déterrent des racines linguistiques, des homo-logies dans le plan des maisons ou des r écitsmythiques pour établir cette continuité !Conforté par ce splendide roman des origines,Hitler peut se gausser d’Himmler fouillant laforêt germanique à la recherche de cruches cas-sées ou de casques à pointe… Il peut surtoutjustifier toutes les annexions : au nom de cettehistoire, le Troisième Reich sera partout chez lui.Il est fascinant d’explorer dans ses ramifica-tions la force d’attraction d’un mythe et saprovisoire irréfutabilité. À quoi pensaientHitler et les idéologues du nazisme? JohannChapoutot a versé dans ce livre beaucoupd’érudition et d’audace intellectuelle. Avecrigueur, sans complaisance, il démonte et

Le National-socialisme

et l’Antiquitéde Johann Chapoutot

Toute révolution, et la nationale-socialiste ne f ait p as ex ception,effectue un retour en amont pourse fonder sur plus grand qu’elle. Lespeuples autant que les individusont besoin pour grandir d’ancêtres grandioses ;dans le cas de l’Allemagne humiliée par le traitéde Versailles, la revendication de l’espace vitals’est doublée d’une annexion ou d’un détour-nement historique à première vue improbables,mais flatteurs : la lumière de l’Antiquité venait dunord, c e sont les Aryens blonds qui ont f aitAthènes, e t d ’abord S parte, p uis l ’Empireromain… La statuaire néo-classique de Breker,les édif ices de Sp eer mais aussi les JeuxOlympiques de 1936 et le transfert solennel de laflamme mettent en évidenc e c ette f iliation,relayée par les films, la propagande, mille bro-chures et livres de classe. Cette fable généalogiquetrouva des relais dans l’université et les sphèresacadémiques ; avec quel zèle les chercheurs

analyse la séduction (qui seule explique sa dif-fusion) d’un système de p ensée qui ne serésume pas à l’obscurantisme et à la barbarie.Daniel Bougnoux

Johann ChapoutotLe National-socialisme et l’AntiquitéPUF538 p., 28 €ISBN 978-2-13-056645-8

Derniers titres parus• Le Meurtre de Weimar, PUF, 2010• Le National-socialisme et l’Antiquité, PUF, 2008• L’Âge des dictatures (1919-1945), PUF, 2008

les lionnes vontvenger les leurs,abandonnant lahorde c ommeon brûle sesvaisseaux. Dansune pénombrecrépusculaire,dans un airsaturé de fr a-

grances aussi enivrantes que menaçantes, ellesaccomplissent leur destin héroïque. Toutes deuxfont corps face au danger : les hommes, les élé-phants, la chaleur zénithale, les pluies diluviennes,les hyènes…Avec une écriture tranchante, simple et sèchecomme un scalpel, Jean-François Chabas ose lacruauté aveuglante du drame antique qui exhibela sauvagerie profonde de l’être, humain ou non.À la manière d’un Kipling, l’écrivain livre une fableterrible d’une bouleversante implication. Ce texte

splendide, suffocantde cette ivresse de laliberté revendiquéejusqu’à l’utopie, peutêtre lu très tôt (dès 9ans) mais doit sur-tout l’être par tous,tant il est une leçond’énergie et de dignité.Chabas n’indique-t-ilpas en postface : « Ilest bien plus terrible devivre en hyène que demourir en lionne ».Philippe-Jean Catinchi

Jean-François ChabasLes LionnesNeuf de L’École des loisirs64 p., 7,50 €ISBN 978-2-211-09348-4

Derniers titres parusJeunesse• Les Monts de l’éléphant, École des Loisirs, 2009• Les Lionnes, École des Loisirs, 2009• J’irai au pays des licornes, École des Loisirs, 2009• Journal de Mac Lir, École des Loisirs, 2009• Je suis la fille du voleur, École des Loisirs, 2009

Adultes• Les Ivresses, Calmann-Lévy, 2009

Les Lionnesde Jean-François Chabas

« La mère a rampé dans les hautesherbes sèches, elle s’y est installée et ellea attendu. Les hommes commençaientà allumer leurs lampes pour la soirée. Lamère n’aimait pas ces lumières aiguësqui perçaient les ténèbres et faisaient malà ses yeux déjà habitués à l’obscurité. »Il faut attendre la quatrième phrase durécit pour comprendre sans ambiguïtéque nous a vons af faire à un animal(« ses pattes de devant »), la suivantepour identifier le félin (« ses moustaches[…] hérissées ») et comprendre quel’humain est un adversaire (« elle pro-gressait vers l’ennemi »).Que ceux qui craignent que Les Lionnes soit uneénième fable animalière se rassurent. Il n’est iciquestion que de liberté suicidaire, de colère légi-time et de défi fulgurant. Une histoire de ven-geance et d’amour où le masque anthropomor-phique n’a pas lieu d’être. La mère a perdu sessœurs, victimes de ce tonnerre court et du vrom-bissement sec de ces gros frelons lancés par leshommes ; la fille a perdu ses petits, dévorés parun mâle soucieux, pour la couvrir, d’effacer le fruitd’une union précédente. Ensemble, et seules,

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Jean-François Chabas est né en 1967 à Neui lly-sur-Seine. Il a été métallier, bûcheron, physionomiste,vendeur de journaux… Il a vécu en Haute-Savoie,au Pays basque, en Corse, en Vendée, dans le Midi,en Normandie, et dans la Drôme… Auteur de plusde quarante romans, récompensé par une trentainede prix, ses livres sont aujourd’hui considérés commedes classiques de la littérature jeunesse.

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Né en 1978, Johann Chapoutot est maître de conférences àl’Université Grenoble II. Il mène des recherches résolumentpluridisciplinaires, publiant en histoire comme en lettres ouen philosophie. Spécialiste d’histoire culturelle et politique,germaniste et germanophone, il s’intéresse particulièrementà l’Allemagne contemporaine, à laquelle il a consacré sontravail de thèse. Enseignant et chercheur, il accorde unegrande importance à la transmission des savoirs dans lecadre de ses fonctions universitaires comme dans celui, plusinformel, de conférences visant un plus large public.

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Cette action de développementde la lectur e en détention estfinancée par les Services péniten-tiaires d’insertion et de probation(SPIP) et le Fonds pour l’innova-tion artistique et culturelle enRhône-Alpes (FIACRE). Elle s’ins-crit dans le cadre d’un événe-ment culturel qui se déroule endehors de la prison, et c’est aussil’un des enjeux majeurs de cedispositif. Les rencontres organi-sées dans les prisons sont d’ailleursannoncées dans le programme deQuais du polar. Un symbole, certes,puisque ces rencontres restentréservées aux détenus et ontlieu « derrière les murs », maisqui contribue à donner un sensà la démarche de ce public delecteurs pr esque in visibles.Marion Blangenois

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des détenus » décerné à un polarparu dans l’année, elle se décline dif-féremment depuis deux ans, en lienavec Quais du Polar, à Lyon : plus de« coup de cœur », mais toujours descercles de lectures, animés par lesbibliothèques partenaires des prisons,pour préparer des rencontres avec desauteurs invités par la manifestation.Quatre romanciers (Jérôme Bucy,Dominique Manotti, Patrick Raynal,Lalie Walker) et un auteur de bandedessinée (Efix) participent à l’édition2010. Des lots de livres alimententle fonds polar des bibliothèques desprisons et permettent aux détenus– 70 l’an passé – de découvrir l’uni-vers de l’auteur qu’ils rencontreront.Avec dix rendez-vous programmésdans neuf établissements péniten-tiaires, sur douze en Rhône -Alpes, lademande est là. Celle d’un espace dedécouverte de la littérature, du métierd’écrivain, mais aussi d’expression etd’échange avec « l’extérieur ».

Le polar à l’intérieur et à l’extérieur

Derrièreles mursDans le c adre de la mission dedéveloppement culturel en milieupénitentiaire que la Dir ectioninterrégionale des services péni-tentiaires (DISP) et la Directionrégionale des affaires culturelles(DRAC Rhône-Alpes) lui confient,l’ARALD accompagne le dispositif« Le Polar derrière les murs », auxcôtés de Savoie-Biblio, de l’associa-tion Ocre bleu et du festival Quaisdu polar. Coup de projecteur.

L’idée du « Polar derrière les murs »naît au début des années 2000.D’abord développée en partenariatavec La Cambuse du noir, à Valence,sous la forme d’un « coup de cœur

actualités /manifestations

Aléas faitson cinémaNotre-Dame des Turcs, c’est le titred’un film de Carmelo Bene tournéen 1968, et c’est aussi le premiervolume signé Jac ques Aumontd’une nouvelle collection de cinémaintitulée « Le vif du sujet », lancéedébut 2010 par les éditions lyon-naises Aléas. Publiée en collabora-tion a vec l’équip e de r echerchePassages XX-XXI de l’université Lyon 2,cette c ollection monographiquepropose de revenir sur des films qui,«  par invention f ormelle, ruptur eesthétique ou décision politique, ontdécidé de l’histoire et de l’esthétiquedu cinéma. »À paraître en avril, dans cette joliecollection petit format avec photoscouleurs, un ouvrage de Pierre Sorlinsur L’Aventura, de MichelangeloAntonioni. L. B.

Jacques AumontNotre-Dame des Turcs (Carmelo Bene)Aléas Cinéma, collection « Le vif du sujet »102 p., 12 €ISBN 978-2-84301-278-5www.aleas.fr

Rhône-Alpes etles deux Savoieà Genève

Lors du 24e Salon internationaldu livre et de la presse qui se

tiendra à Genève du 28 avril au 2 mai,l’ARALD, avec le soutien de la Région, pré-sentera un stand d’une trentaine d’édi-teurs de Rhône-Alpes. Sa surface globalepassant de 140 à 108 m², c’est l’espacecommun réservé à l’accueil qui seralégèrement réduit et non celui d’expo-sition des ouvrages. Après trois ans detravail a vec la libr airie lyonnaiseRaconte-moi la terre, cette éditionlance une collaboration avec l’asso-ciation Libr aires en Rhône -Alpes.Représentée par Marion Baudoin, sacoordinatrice, ainsi que par une équipede libraires compétents, elle assurerala tenue du stand et la vente des livresen lien avec l’ARALD. Enfin, si le salonaccueille la Suède comme invité d’hon-neur, il commémore également le 150e

anniversaire du r attachement de laSavoie à la France en faisant une placeparticulière aux P ays de Sa voie :expositions, conférences, lectures…Pour l’occasion, l’ARALD collaboreraavec Savoie-biblio, en charge de cetteprogrammation. Émilie Pellissier

www.salondulivre.ch/fr

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Au bonheurdes ogres noirsInstallée dans le quartier de Vaise, àLyon, depuis plus de trois ans, lalibrairie Au bonheur des ogres amé-nage s a m ezzanine e n e space« polars ». Avec plus de 5 000 réfé-rences, réparties entre le neuf et l’oc-casion, Jérôme Béziat souhaite amé-

liorer une of fre qui était déjà unpoint fort de sa librairie et attirerune clientèle nouvelle. Classiques,nouveautés, polar français et étran-ger, spécimens r ares de la Sérienoire, Au bonheur des ogres propo-sera des titres à tous les prix et danstoutes les collections. L. B.

Librairie Au bonheur des ogres9, Grande-Rue de Vaise69009 Lyonwww.aubonheurdesogres.com

/ librairie

« Le polar derrière les murs » s’inscrit dans le cadred’un événement culturel qui se déroule en dehorsde la prison… Quais du polar.

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Une ombresur la villeEn six ans, Quais du polar asu s’imposer comme l’undes événements incontour-nables dans le domaine, à

Lyon et bien au-delà. « Le polarest un genre par lequel on entrefacilement en littérature, il toucheun large public, peut-être différentde celui des autres manifesta-tions du livre », souligne HélèneFischbach, r esponsable de laprogrammation. Depuis ses débuts, Quaisdu polar cultive avec passion l’idée des’adresser à tous, et ce n’est pas l’imagi-nation qui manque. Cette année, le festi-val mène dans la ville une enquête gran-deur nature, propose un week-end cinémaautour du tueur en série, en partenariatavec l’Institut Lumière, des discussionsanimées par des auteurs sur c ertainesœuvres du musée des Beaux -Arts, uneexposition aux Archives municipales surEdmond Locard, inventeur du laboratoirede police scientifique il y a 100 ans, et une

so ixanta ined’autres r en-dez-vous. L’anpassé, 30 000visiteurs ontfait le dépla-cement.Au p alais duc o m m e r c e ,lieu c entraldu festival, onpourra rencon-trer une cin-quantaine deromanciers du

noir, célèbres ou moins connus. Plus de lamoitié des auteurs invités sont étrangers.Onze nationalités représentées : Russie,Afrique du Sud, USA, pays nordiques…Les Quais du p olar sont polyglottes.Une autre spécificité, dont il faudraprofiter du 9 au 11 avril. M. B.

Quais du polardu 9 au 11 avrilPalais du commerce, place de la Bourse – Lyon 2e

www.quaisdupolar.com

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zoomLa voix provocante et tourmentée de Pétrus Borel

C’est Pétrus Borel qui revient !connu pour son roman aux accentsgothiques Madame Putiphar que pourses poèmes. Et pourtant !Il faut lire ou relire de toute urgenceRhapsodies, recueil paru en 1832 etaujourd’hui réédité en un très beauvolume, sérieux et précieux commeon les aime, qui donne à entendreune voix tour à tour provocante ettourmentée, humaniste et désen-chantée, lyrique et baroque.Ecoutez ceci : « J’ai caressé la mort,riant au suicide, / Souvent etvolontiers quand j’étais leplus heureux ; / De ma joieennuyé je la trouvais aride, /J’étais las d’un beau ciel etd’un lit amoureux. » Le débutdu poème pourrait se passerde commentaire. Mais pas deson titre : Heur est malheur…Borel est inclassable. Pétrus estincassable. Pétrus Borel est

Une réédition sérieuse et bienve-nue des Rhapsodies de PétrusBorel, poète inclassable, épris delyrisme et de baroque, né à Lyonet mort à Mostaganem.

« Quand ton Pétrus ou ton Pierre /N’avait pas même une pierre / Pourse poser, l’œil tari : / Un clou sur unmur avare / Pour suspendre sa gui-tare : / – Tu me donnas un abri. »Revoilà donc Pétrus Borel le lycan-thrope, né à Lyon en 1809, mort àMostaganem, Algérie, 1859. « Étoile dusombre ciel r omantique » (selonBaudelaire), «  figure s econdaire e tlégendaire » de la poésie (dixit Jean-Luc Steinmetz), contemporain et amide Hugo (Victor), Gautier (Théophile),Nerval (Gérard de) et d’autres encore,mais aussi Borel (Pétrus) l’intempo-rel, redécouvert par Breton et les sur-réalistes, peut-être aujourd’hui plus

incasable. La préface qu’il donne à sesRhapsodies est un modèle de profes-sion de f oi. Parfois b onne, p arfoismauvaise, comme une humeur quidéborde d’un vase au col trop serré.Les bourgeois en prennent pour leurgrade et le roi du moment peut allerse rhabiller, « Monarque » d’un tempsqui a pour légende et exergue : « Dieusoit loué, et mes boutiques aussi ! »On rêve du retour de Borel dansnotre époque. Air frais dans nos

oripeaux. Mais onne r êve p as. Il estencore là : en chairet en mots. Roger-

Yves Roche

Pétrus BorelRhapsodiesÉditions Fougerouse172 p., 19 €ISBN 978-2-9527483-3-9

hôpital p arisien dans les ultimesattentions accordées aux morts. Tracede ce passage et de ce partage, LaDernière Chambre est un livre com-posé de fragments et de quotidien,de sensations et de peurs, de mots etde gestes, de notes et de réflexions.Dans une société qui tend de plus enplus à cacher la mort, il existe un lieuqui est « associé à un moment où lesvivants et les mor ts se r etrouventensemble, où la mort existe dans unquant à soi bien r éel et dans uneextrême proximité à la vie. » Ce sontces instants de présence et de partage

Les Éditions Fage vont un p euplus loin sur les chemins de tra-verse éditoriaux qu’elles excel-lent à arpenter. Une « collectionparticulière  » voit le jour etaccueille La Dernière Chambre,un livre beau et surprenant deLaurence Loutre-Barbier.

C’est donc une « collection parti-culière ». Collection littéraire, et nonpas de littérature, sans rythme deparution, sans format imposé, sansmaquette préétablie… Bref, une col-lection à l’encontre de tout ce qui,chez un éditeur, « fait » collection.Dans ce nouveau cabinet de curio-sités, on tr ouve déjà un livr e dePhilippe Grand, Sous un nœud deparoles et de choses, et, plus récem-ment sorti, La Dernière Chambre, unouvrage que Laurence Loutre-Barbierconsacre à la chambre mortuaire,dernier lieu d’humanité avant le rien.« Qu’est-ce qui se passe quand onest mort ? », c’est ce qu’a cherché àsavoir l’auteur, qui, pendant deux ans,a accompagné les soignants d’un

entre les vivants et les morts que l’au-teur cher che à saisir , mettant enavant les conditions d’humanité dece dernier séjour. La présence nue descorps, le quotidien d’une soi-gnante, les histoires qui se disentet se taisent à travers les visiteset les deuils, Laurence Loutre-Barbier recrée une géographiesensible de la disparition et deslieux de « passage ». La DernièreChambre, livre tout à la fois déran-geant et respectueux, donne unepremière/dernière fois la paroleaux morts. L. B.

Prochaines p arutions dans la « c ollectionparticulière », Dans l’étendu, un carnet de voyageen Amérique du sud de Jean-Christophe Bailly, etle premier volume du Bréviaire de la vie chez soiet non loin de chez soi, de Jean-François Poirier.

Laurence Loutre-BarbierLa DernièreChambreFage Éditions,« collectionparticulière »144 p., 15 €ISBN 978-2-84975-174-9

Fougerouse,éditeurromantique

Lord Byron, Brönte, Borel…, Marie-PierreFougerouse voue sa vie d’éditrice auxécrivains de l’époque romantique quel’on néglige ou que l’on a quelque p euoubliés. Installée depuis 2006 à Thurins,dans les monts du lyonnais, elle n’a paspublié plus d’un livr e p ar an, maischaque ouvrage est le résultat d’une ren-contre avec un spécialiste et d’un travailen profondeur qui va jusqu’à la traduc-tion. De Lord Byron (Le Prisonnier deChillon et Manfred) à Pétrus Borel (unetrès belle édition des Rhapsodies quivient de paraître – lire ci-contre), en pas-sant par les poèmes des sœurs Brontë,Marie-Pierre Fougerouse suit avec entê-tement son chemin éditorial qui traversede loin en loin les terres romantiques,privilégiant la poésie, mais souhaitantaussi intégrer les écrits de voyage. Untravail qui s’intéresse aux œuvres roman-tiques jugées essentielles et qui s’appuiesur de nouvelles traductions indispen-sables à la redécouverte.Pour Pétrus Borel, une exception fran-çaise dans les premiers pas du catalogue,« nous avions le sentiment qu’il n’étaitpas reconnu à sa juste valeur et qu’il étaitimportant de le redécouvrir », expliquel’éditrice, qui s’est intéressée de près àcet esprit révolutionnaire mais aussi àson lien avec l’ésotérisme. Pas de réédi-tion des Rhapsodies depuis 1922 et leretour ici à l’orthographe originale, àl’intégralité et à l’intégrité du texte, ainsiqu’à sa présentation initiale. L’éditionFougerouse de Pétrus Borel renoue parailleurs avec les gravures de l’édition de1823. Tirés à cinq cents exemplaires, lesouvrages sont diffusés par les ÉditionsFougerouse, qui devraient publier deuxlivres cette année, dont une nouvelleversion des Mélodies hébreuses deLord Byron. Un itinéraire romantiqueà suivre attentivement. L. B.

Éditions FougerouseTél. - Fax 04 78 81 74 67Mél. [email protected]

www.editionsfougerouse.com

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Une nouvelle collection chez Fage Éditions

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couilles au cœur ». Ne lui en déplaise,Piccamiglio reste un poète, même aucœur du plus trivial des univers, de laplus laborieuse des danses macabres.Où il conseille son lecteur pour choi-sir les meilleures chaussures de sécu-rité. Où il regarde les femmes. Où ilreconnaît ne pas supporter les per-sonnes m alades ( fut-ce u n a mi d elongue date que 35 années d’usine ontlaissé sur le flanc). Où il crache sur lechef d’équipe, crache sur la DRH enjupon, crache sur la hiérarchie sansjamais oublier son existence. Où illaisse les paroles de « la mère » luirevenir en boucle.Pas à une c ontradiction près, Picca’(comme le surnomment ses lecteursfidèles) évoque l’unique héritage pater-nel qu’il a reçu : le goût de la solitude.Sans c oncession, Les Murs, l’usines’achève sur une image étrangementangélique. Façon pour Piccamiglio deconserver son intégrité jusqu’au bout.Frédérick Houdaer

Le roman d’un poète

D’un blocLes Murs, l’usine, un roman sansconcession de Robert Piccamiglioau cœur du plus trivial des univers.

Suite des Chroniques des annéesd’usine pour Robert Piccamiglio.Suite et fin ? Pas sûr. « Nous voilà deretour et les oiseaux aussi, fidèles auposte ». Des oiseaux qui se planquentderrière les tubes fluorescents de l’ate-lier, des « piafs » dont les machinesrendent le chant inaudible.Piccamiglio ne fait pas semblant d’éla-borer une intrigue dans son dernierlivre, ne recycle pas ses impressionsd’usine dans un roman noir. Il n’enrajoute p as. I l e st u n a uteur a ssezacculé pour écrire sur « le bon air quel’on r espire g ratis, au p rintemps ».Quitte à ajouter « le printemps, ça c’estune saison qui te fait monter la sève des

Trouver sa placeLa narratrice de ce très court romantraverse une passe difficile, entre ledeuil de sa mère morte brutalementet un congé de maternité qui nese déroule « pas comme prévu ».Elle est venue trouver du réconfortchez son père, et tout pourrait allerpour le mieux sans ce petit grainde sable. Cette chose ridicule, etpourtant terrible. Ce camion blanc.

Ce n’est ena p p a r e n c equ’un camion

d’un blanc sale, plutôt déglingué,garé discrètement dans la vieillerue du Cèdre, ne gênant personne.Pour la jeune femme, c’est bienplus que cela. D’abord un agace-ment, puis une irritation quimonte, grandit, enfle et tourne àune sorte de rage obsessionnelle.On ne dir a rien des péripétiesqu’engendre cet engrenage inté-rieur. Sans grands effets, mais surun ton toujours juste, Julie Resa

déplie une histoir eminuscule et profonde,où il est question detrouver sa place, et puisun jour de dire adieu àl’enfance. Danielle

Maurel

Julie ResaLe Camion blancBuchet-Chastel90 p., 10 €ISBN 978-2-283-02436-2

attention, p as d’attendrissementfacile chez cet homme qui aime lesrudesses de la nature et les rochesqui composent le sol sur lequel il setient et aime à marcher. Car LionelBourg est un mar cheur. Dans lesmontagnes de son Forez qui flirtentavec l’Auvergne, il se laisse empor-ter par la force du vent, retournantà l’ivresse de l’enfance, lorsqu’ilfuyait à grands pas les injustices etles silences glaçants d’une maisonfamiliale où il eut tant de mal àtrouver sa place.La lettre à sa mère, « Ce qui pleureen moi p our êtr e délivr é  », estd’ailleurs sans doute l’une des plussaisissantes de ce recueil. Avec sonstyle pesé et sa phrase mouvante,

Dernier livre de Lionel Bour g,L’Horizon partagé est constituéd’une série de lettres adresséesà des proches, famille ou amis.L’occasion pour l’écrivain mar-cheur d’évoquer les douleurs deson passé, mais aussi, fait plusrare, les bonheurs de son présent.Entre intimité et vagabondage.

Lionel Bourg vieillit et, du point devue de la littérature, c’est une bonnechose… Ce n’est pas que les dou-leurs s’estompent, mais plutôt quel’écrivain les met un peu plus à dis-tance, les reconnaît comme de loin-tains parents, les contemple avecune sorte de tendresse qui glisseparfois jusqu’à la nostalgie. Mais

son sens du rythme et sa puissancepoétique, Lionel Bourg évoque avecjustesse le « si peu » de toute exis-tence, la distance silencieuse de l’ha-bitude qui r ègne entre les êtr es,entre le fils et sa mère, l’incapacitéà dire ses émotions, le refus de sesavoir si fragile… « Te regarder sansoser te prendre dans mes bras, par-tir et, sous la lamp e, raturer cettelettre vaine, indécente, que jamais tune liras. » Alors que, l’écrivain le ditavec tant de tours et dedétours, de mots et desensations, l’enfance etses douleurs sont tou-jours là. Toujours.«  Je vais, une f ois deplus, r evenir sur mespas », écrit Lionel Bourgdans sa première lettre,« Étroite est la route ».Oui, très étroite. Entre

les bonheurs de copains arrachés àla dureté des temps, les éclairs depoésie (Rimbaud, Villon, Breton…)de musique (Dylan, Ferré, le blues…),les rêves de voyages et de coursescyclistes avec l’ange Charly Gaul,les engagements politiques et leslendemains qui ont salementdéchanté, les épr euves fur entnombreuses et de toutes natures.L’écrivain les évoque toujours avectalent. S’attardant sur quelques

sourires d’enf ants etquelques mots d’amourenfin lâchés, qui laissententrevoir enc ore debelles ascensions. L. B.

Lionel BourgL’Horizon partagéQuidam ÉditeurCollection « Made in Europe »188 p., 16 €ISBN 978-2-915018-43-1

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livres & lectures / littérature

Onze lettres de Lionel Bourg en forme de bilan

Revenir sur ses pas

Robert PiccamiglioLes Murs, l’usineÉditions Alphée224 p., 19,90 €ISBN 978-2-7538-0544-6

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Les premiers émoisdu « vert paradis desamours enfantines »provoqués par uneenseignante et unepensionnaire. Maisaussi les b oufféesd’oxygène que repré-sentent les week-endschez les grands-parents, le lien affec-tif avec le grand-père, la méfiancedu petit village de campagne oùles fils de bourgeois ne cessent deprovoquer Sébastien, jusqu’à le fairesortir de sa silencieuse réserve…Ils sont nombreux, les romanciersqui ont tenté de regarder le mondeà hauteur d’enf ant. Jean-Pierre

Qui est donc cet homme, nomméBourgoin, qui interr oge le jeuneSébastien L efrançois ? Que luireproche-t-il, au juste ? Quel crimele jeune Séb astien a-t -il c ommispour être traité ainsi ? Au fil de l’in-terrogatoire, le jeune homme de 13ans revient, en flash-back, sur uneenfance meur trie – la sienne. Ledésamour de ses parents qui, sousprétexte d’échec scolaire, le placentaux Étangs, un établissement spé-cialisé pour les enfants en difficulté.La vie quotidienne dans ce centreoù la violence et la solitude f ontfigure de c ompagnons de r oute.L’amitié salvatrice avec Dubochel,le grand frère aux Gitanes maïs.

Spilmont y parvient avec beau-coup de grâce et d’élégance,donnant à la voix de Sébastienun mélange de naïveté et delucidité d’une très grande jus-tesse. À travers les mots – rares –de ce jeune homme silencieux,le romancier dit les trauma-tismes de l’enfance, la violence

des intolérances, l’incompréhen-sion du monde et la marginalitédes mal-aimés. Un silence que legrand-père adoré finira lui aussipar briser, révélant à Sébastien sespropres douleurs et ses propresnon-dits. C eux de la Guerr ed’Algérie, durant laquelle cet êtreprofondément aimant a commisdes actes irréparables que sonmutisme intégral n’a pas réussi àeffacer. Entre douleurs intimes etsouffrances collectives, faillesfamiliales et faillites historiques,Jean-Pierre Spilmont donne unroman bouleversant, animé par

une langue resserréejusqu’à l’os. Peut-êtrele plus beau livre dece poète aux millevisages. Yann Nicol

Jean-Pierre SpilmontSébastienLa Fosse aux ours139 p., 16 €ISBN 978-2-35707-010-3

RhapsodieindiennePondichéry-Goa, dernier livre deFranck Pavloff, nous emmène aucœur d’une Inde inattendue, scru-tée avec humour et perspicacité.

On le sait grâce à ses romans, FranckPavloff est d’humeur vagabonde, etmême voyageuse. Non par goût del’exotisme mais p arce qu’il aimeconfronter sa prose à des terres et deshommes lointains, traquer la diffé-rence pour mieux s’en rapprocher,afin de la saisir in vivo. C’est cet étatd’esprit qui l’a conduit en Inde, avecpour seul viatique un carnet à spiraleset un appareil photo. Mais une foisdébarqué, il tourne le dos aux grandesvilles et se donne p our missiond’« éplucher les strates des sociétés dePondichéry et de Goa où l’Occidentchrétien a fait ses premières incursionsen Inde islamo-hindouiste, […] relevercouche par couche l’alliage des civili-sations et des religions qui se sontaffrontées sans parvenir à s’éliminer ».De là déc oulent des observationsamusées et admiratives. C’est la par-tie qui ressortit au journal de voyage

traditionnel. Elle est admirablementmenée, mais l’écrivain ne s’encontente pas. Le carnet de borddevient alors journal intime. À par-tir de ces notations sur dif férentsquartiers de Pondichéry, sur lesroutes et chemins de traverse qu’ilemprunte ou encore sur la société« idéale » d’Auroville et les raves« ecstasiées » de Goa, il construitune r éflexion plus vaste, plusambitieuse. Et Fr anck P avloffconvoque à cette fin ses connais-sances historiques, ce qui renforcela pertinence du propos. Sanscompter qu’il sait aussi passer dela réflexion à l’évocation de sou-venirs et de notes de lectures. Letout est sa vamment mêl é dan sune phrase qui se déploie au fur età mesure que sont restituées lessensations et les pensées. Nicolas

Blondeau

Franck PavloffPondichéry-GoaÉditions CarnetsNord248 p., 17 €ISBN 978-2-35536-037-4

Un papillonsans filetOn a déjà dit beaucoup de bien despremiers volumes des éditionsAlphabet de l’espace, qui proposentdes ouvrages composites puisqu’ony retrouve systématiquement untexte littéraire accompagné d’unDVD. Dans le cas de Territoire d’unpapillon, le recueil de nouvelles deDominique Sampiero est complétépar un DVD comprenant les lecturesde ces textes par le grand JacquesBonnaffé (mais aussi p ar Élo dieGuizard), une interview de l’auteur(dans lequel il évoque notammentla question du pseudonyme, de l’ar-tiste et de l’artisan, du regard et duterritoire de l’écrivain), ainsi qu’unbêtisier et un court-métrage. Autantde clés pour pénétrer le territoirepoétique de Dominique Sampiero,qui excelle à dire les états d’âme lesplus insaisissables de la natur ehumaine. Y. N .

Dominique SampieroTerritoire du papillonAlphabet de l’espace142 p., 22 €ISBN 978-2-917145-04-3

Lire et rencontrerJean Rouaud

C’est à l’occasion de la parution,aux Presses universitaires deLyon, de Lire Rouaud, ouvragecollectif dirigé par Hélène Baty-

Delalande et Jean-Yves Debreuille, quel’écrivain sera à la médiathèque duBachut, Lyon 8e, pour une rencontrelecture le 6 avril à 18h30. Jean Rouaudévoquera ses derniers livres et lira desextraits d’un texte à paraître intituléL’Évangile selon moi.

www.bm-lyon.frhttp://presses.univ-lyon2.fr

livres & lecures / littératureLa loi du silenceAvec Sébastien, Jean-Pierre Spilmont donne un courtroman sur l’enfance blessée, les résonances de l’histoireet les secrets de famille. Un texte bref, ciselé comme undiamant, hanté par le silence et les non-dits.

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L’ACT MEM

Léger mieuxde Soshana RappaportCe premier livre s’attache

à décrypter les destins de

trois femmes écrivains :

Virginia Woolf, Sylvia Plath

et Marina Tsvetaïeva.

124 p., 17 €

ISBN 978-2-35513-051-9

ÉDITIONS DUCROQUANT

Histoires de lecteursde Gérard Mauger ; ClaudePoliak ; Bernard PudalCes histoires, qui mettenten rapport les « trajectoires

biographiques » deslecteurs enquêtés et lecontenu de leursbibliothèques, susciterontsans nul doute desidentifications ou desoppositions de la part de leurs propres lecteurs.

539 p., 32 €

ISBN 978-2-914968-66-9

ÉDITIONS DULAMPION

Pieds de fables à quatre mains (Tome III)collectif ; MarieCapriata, ill.Ce tome clôt une sérieengagée en 2008,

constituant une richeanthologie des fablesfrançaises des XVIIIe-XIXe

siècles, qui choisitd’éviter les plus connuesd’entre elles, celles de La Fontaine.

128 p., 19,90 €

ISBN 978-2-917976-09-8

LIEUX DITS

Histoire d’avantde Frédérique Berne-AudéoudL’auteur, à la fois médecinet photographe, s’estplongé dans un servicede réanimationnéonatale pour enrapporter des visions

délicates et des entretiensvariés. Au plus près de cestout petits êtres qui viventl’épreuve de la prématuritéentourés d’une machinerietechnique effrayante, sonregard rend leur humanitésans dramatiser leur situation.

128 p., 25 €ISBN 978-2-914528-78-7

LES MOUTONSÉLECTRIQUES

Steampunk :L’Esthétique rétro-futurd’Étienne BarillierInventé pour qualifier

un genre de la littérature

de science-fiction dont

l’action se déroule dans

l’atmosphère de la société

industrielle du XIXe siècle,

le terme « steampunk »

(littéralement « punk à

vapeur ») fait référence

à l’utilisation massive des

machines à vapeur durant

cette période. Cet ouvrage

montre comment, sorti

de la sphère de la

littérature, ce genre s’est

étendu à des domaines

tels que les adaptations

cinématographiques, la bande dessinée ou les

jeux vidéo, jusqu’à devenir

une culture à part entière.

collection La Bibliothèque des miroirs356 p., 25 €ISBN 978-2-915793-90-1

livres & lectures / jeunesse

Il est parfois difficile d’abandonnerses personnages : Sylvie Deshors ena fait l’expérience, décidant de repar-tir p our un nouveau r oman avecAgathe, l’héroïne de Mon AmourKalachnikov (Le Rouergue, 2008).Même music alité de l’écritur e,même fluidité des émotions, mêmesubtilité à p eindre un mondechangeant et inquiet. Car, à nou-veau, Sylvie Deshors excelle à seglisser dans la peau d’une ville – ici, le Havre – et à confronterses personnages aux limites del’espace comme à leurs frontièresintimes. Un r egret toutef ois :

l’enquête, lorsqu’elle est menéepar La Tortue – l’inspecteur qui

veille sur Agathe – se dilue sur lesroutes du Sud sans apporter à lafiction un petit tour d’écrou sup-plémentaire ; les explications psy-chologiques pèsent alors plus lourd.Reste le clin d’œil à Saint -Paul-Trois-Châteaux – le commissariatd’étape ! –, où Sylvie Deshors était en

résidence d’écriture,l’an passé. A.-L.C.

Sylvie DeshorsFuite en mineurLe Rouergue, collection« DoAdo noir »235 p., 11 €ISBN 978-2-81260093-7

Des pas dans la neige est le récit d’unvoyage de jeunesse, réalisé au débutdes années 90, aux confins du Pakistan,par Érik L’Homme, son frère et JordiMangrener, un zoologiste espagnol.Leur quête : le barmanou, cet hommesauvage, proche – dans les témoignagesrecueillis – du Néander talien ou del’homme pongoïde.Pour le moins, ce récit est touchantautant que tr oublant. Touchantparce que L’Homme se met à nu.Troublant parce qu’on voudrait ycroire, plus encore qu’à une fiction.Et quelle jubilation de suivre unauteur dans un autre registre quecelui des mondes imaginaires

qu’on lui connaît…Mais au-delà de la quête,

ce qui fascine dans ce texte, c’est laforce du voyage initiatique, terreau, onle sent bien, de toutes les expérienceslittéraires qui suivront. On comprendmieux alors dans quels territoir esextrêmes naissent ses personnages,doubles fragiles d’un auteur – lui-même – héroïque. Et on se réjouit que

le barmanou courretoujours ! A.-L.C.

Érik L’HommeDes pas dans laneige : aventuresau PakistanGallimard Jeunesse,collection « Scripto »200 p., 9 €ISBN 978-2-070629-43-5

Dans le blancde la rage

discret d’un expert du style. En outre,en bon tacticien de la nouvelle, il saitcomposer son recueil : six nouvellesdont quatre, « courtes et nerveuses »,et deux « travaillées sur la longueur »pour «  mettre en œuvr e des tech-niques » qu’il voulait « expérimenterdepuis longtemps » (« Fugue enmineur », « Petite Colombe »). Et effec-tivement, on retiendra tout particu-lièrement l’histoire et l’atmosphèrede ces deux nouvelles-laboratoires,même si, au final, quelles que soientles contraintes que l’auteur aimeà se donner, chacune a sa couleur :la couleur de la rage de vivre…Anne-Laure Cognet

Jean-Noël BlancLa Couleur de la rageGallimard Jeunesse,collection « Scripto »192 p., 8,50 €ISBN 978-2-07-062 863-6

En littérature, Jean-Noël Blanc est unauteur précieux ; il réussirait presqueà nous convaincre que l’écriture estun jeu d’enfant, si derrière chaquephrase, on ne vérifiait pas le charme

nouveautés des éditeurs

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Gal

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Définition d’uneanti-littérature pour la jeunesse

« Prendre un adolescent moyen (une adoles-cente tout aussi bien). Mettre à frire parailleurs, au choix, une guerre, un nid deracistes ou un adulte vicieux. Plongerbrusquement le héros dans cette friture.Laisser cuire jusqu’à la formation de cloquessur l’épiderme. Mettre à sécher le héros sur unessuie-tout qu’on aura préalablement imbibé

de morale (ne pas lésiner sur l’ingrédient ;on utiliser a de pr éférence une b onnemorale civique garantie pur jus). Réserverle héros. Préparer hors du feu une sauce àla Grévisse (sujet, verbe, complément, toujoursdans l’ordre, et quelques adjectifs choisis).La relever de plusieurs tours de clichés.Napper alors généreusement le héros, servirtiède et sans humour. »

« Littérature pour la jeunesse ou littérature ? » par Jean-Noël Blanc, texte en ligne sur son site.http://jeannoelblanc.e-monsite.com

à p

rop

os

L’écriture de l’extrême

Havre d’angoisse

Page 10: livre et lire - n° 251 - avril 2010

SAMEDI MIDI ÉDITIONS

Tables d’hôtes - Petitscoins de paradis enchambres d’hôtescollectifCe guide est une premièrepuisqu’il recense plus de400 adresses de tablesd’hôtes en France, uneprestation très recherchéepar les clients de chambresd’hôtes qui trouvent là des moments de générositéet d’authenticité.

444 p., 20 €

ISBN 978-2-915928-22-8

notamment conservateur

du Musée du Chablais.

Ces images aux multiples

tonalités ont une grande

force poétique au-delà de

leur aspect documentaire.

Des bêtes, des métiers, des

familles d’antan, des scènes

dont les légendes

débusquent savamment

les moindres petits détails.

Au-delà de conseilsmusicaux, c’est sur ce quedoit être à ses yeux unvéritable artiste que Duparcéclairera son disciple.

192 p., 30 €ISBN 978-2-914373-59-3

ÉDITIONS LE VIEILANNECY

Images du Chablais :Photographies de LéonQuiblier (1900-1920)de Joseph TiconPréfacé par ValèreNovarina, ce livre regroupeune sélection dephotographies de LéonQuiblier (1861-1954),personnage annécien

d’une grande érudition qui

fut d’abord architecte puis

10

regard

Chaque mois, retrouvez Géraldine Kosiak, en texte et en image, pour un regard singulier, graphique, tendre et impertinent sur l'univers des livres, des lectures et des écrivains...

Au travailDétours et demi-toursComment écrire en voyageant,ou comment voyager en écri-vant ? Par où commencer ?Rien n’est jamais c omme on sel’imagine. La préparation et le départd’un voyage peuvent s’avérerplus excitants que la réalitédes lieux où l’on doit serendre. À trop attendred’être surpris, la déceptionpointe souvent le bout de son nez.Hervé Guibert raconte que Raymond Roussel « appareillaun jour sur une Caravelle qu’il avait lui-même affrétée, avec ses malleset une équipe de mousses très gaillards, en direction de ce continent sau-vage dont il rêvait. Le voyage en mer dura des semaines, ils croisèrentdes pélicans, des pingouins, des dauphins. Enfin, quand une terre vint àse détacher d’une nappe de brume, au bout de sa longue-vue, Roussel,capricieux avant même d’entendre le son des tam-tam et de dégustercette fameuse soupe de tapirs qu’on lui avait recommandée, se déclaradéçu par l’Afrique, jeta l’instrument optique à la mer et vira de bord,ordonna que les lourdes voiles se gonflassent dans un vent contraire endirection de l’Europe. »

Finalement, Raymond Roussel écrivit Impressions d’Afrique sans avoir misles pieds sur ce continent. En tout cas c’est ce qu’il dit. Faut-il le croire ?Enfant, Hervé Guibert rêvait d’Afrique et quand il eut l’occasion d’yaller, il fut bien déçu.

En 1980, c’est à l’Amérique qu’il pen-sait, mais il repoussait ce voyage,voulant garder cette part de rêve,la dernière, intacte : « L’Amériqueest devenue trop facile avec lescharters, une telle accessibilitéme déçoit. Je pense que devantl’Amérique j e s erai c ommeRoussel devant l’Afrique : jen’oserai pas aborder, je dirai

« demi-tour », le voy agem’aura suffi, sa

durée aur asuffi pour quej’écrive, dansma tête, monvoyage enAmérique.J’aurai troppeur d’êtredéçu, maissurtout de

n’avoir plusrien à désirer. »

Raymond Roussel explique dans son livre Comment j’ai écrit certainsde mes livres, publié en 1935 : « J’ai beaucoup voyagé. Or, de tous cesvoyages, je n’ai jamais rien tiré pour mes livres. Il m’a paru que la choseméritait d’être signalée tant elle montre clairement que chez moil’imagination est tout. »

chronique Géraldine Kosiak 13 /

Hervé GuibertArticles intrépidesGallimard

Raymond RousselComment j’ai écrit certains de mes livresL’imaginaire, Gallimard

REVUES

ENS ÉDITIONS, ÉCOLENORMALE SUPÉRIEURE DE LYON

Cahiers d’étudeshispaniques médiévalesDans ce numéro, lalinguistique est à l’honneuravec, notamment, un dossiersur les modificationslinguistiques du castillan.

300 p., 32 €, ISSN 1779-4684

SYMÉTRIE

Lettres à Jean Cras « le fils de mon âme »de Henri Duparc ;Stéphane Topakian, prés.En 1901, le célèbrecompositeur Henri Duparcprend sous son aile JeanCras, un jeune marinmusicien inconnu.

À lire par les gens d’ici,

mais aussi par ceux

d’ailleurs, curieux de se

plonger dans une réalité

qui a depuis bien changé.

143 p., 30 €ISBN 978-2-912008-35-0

Page 11: livre et lire - n° 251 - avril 2010

Un essai tout en douceur qui faitentendre les mots enchanteursde l’un de nos gr ands poètescontemporains : Gérard Macé.Comme pour mieux le donner à lire.

Ils sont de plus en plus r ares lesessais littéraires dignes de ce nom,qui pas trop embrassent une œuvrepour mieux étreindre son auteur, fai-sant ainsi de leur sujet un peu plusqu’une étude : une véritable tra-versée du sens, où se mêlent avecbonheur le nécessaire besoin desavoir et le non moins impérieuxdésir de saveur.Tel app araît l e b eau livr e queLaurent Demanze a c onsacré àGérard Macé, qui sait nous ouvrirprogressivement les portes d’uneœuvre que l’on devine à la f oiscontemporaine et intemporelle, etqui s’écrit à l’écart des modes et desgenres, sous des f ormes aussidiverses que le poème en prose, labiographie rêveuse ou encore la fic-tion érudite (voici quelques titresqui parlent déjà, dès avant les pre-miers mots de chaque tex te : LeManteau de F ortuny, Colportage,Leçons de choses , et, plus récem-ment, Filles de la mémoire).Accompagnant l ’auteur da ns s aquête d’une mémoir e intime,

livres & lectures /essaisAutour de l’œuvre de Gérard Macé

Genre : littéraire

Sélection des nouveautés des éditeurs de Rhône-Alpesréalisée par Émilie Pellissier

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Demanze relève d’emblée tous lesindices d’une histoire qui le condui-sent jusque vers la faille originelle,un roman familial su et tu : la voixd’un pèr e qui l’ a marqué d’unmanque (« Mon père n’arrivait pas àdire son histoire, d’où mes empêche-ments sur le p lan de la narr a-tion… ») ; la voix de l’enf ance,muette et pourtant toujours là,comme en sourdine ; la voix mater-nelle perdue-retrou-vée. « L’écriture [deMacé] est le lieud’une parole souf-flée, à la fois don-née et dér obée »,écrit très justementLaurent Demanze,comparant l’écri-vain à un « acteurcondamné à répé-ter le langage desautres ». Le reste del’ouvrage suit natu-rellement sa pente,et l’auteur de l’essai son inclination :goût précis, et, par là, précieux, pourle chiffre d’un texte à la profondeurétendue.C’est peu de dire que les livres deGérard Macé ont à voir a vec lemystère identitair e, ou e ncorel’énigme biographique, mais ne

SCÈNES OBLIQUES

ArpentagesEn écho à la résidence

de deux auteurs étrangers

dans le cadre du projet

« Cairns », ce numéro

évoque la traversée

d’espaces humains

à travers des questions

d’origines, d’échanges

et de paix.

98 p., 10 €, ISSN 1638-8356

dialectique et de partir à l’assaut dela bêt(is)e immonde, s’en remettantaux gr ands tex tes f ondateurs(Spinoza, Tarde, Foucault), se per-mettant au passage une lecture trèsenlevée et ô combien instructive deJacques le Fataliste de Diderot, pourfinir par nous proposer une nou-velle donne du récit (de gauche),un « virage vers Saturne », selon sa

propre expression, qui emprunte quelquesidées-force au musicien de jazz Sun Ra, lequel estl’inventeur du terme de « mythocratie ».Un livre alerte et une pensée en alerte, quisait croiser des savoirs divers (littérature,anthropologie, philosophie politique) pourmieux imaginer nos histoires de demain,sans avoir les « yeux rivés sur l’autoroute dela croissance ». R.-Y. R.

La mythocratie selon Yves Citton

Alerte !« Il faut se raconter des histoires » :telle est, à peu de choses près, lamorale du dernier livr e d’Y vesCitton, un essai dense, rude, etmême parfois un peu ardu, maisécrit dans une langue toujours vive,qui se propose de réfléchir sur laforme de scénarisation que revêt la vie poli-tique dans nos sociétés occidentales, parti-culièrement. Une scénarisation qui finit pargangréner les démocraties, tant elle véhiculedes images imaginairement conformes et…réellement conformistes. Une scénarisation(de droite) qui n’est pas celle dont rêve Citton,on s’en doute. Et notre preux et vaillant che-valier philosophe d’enfourcher sa fine monture

Yves CittonMythocratie. Storytelling et imaginaire de gaucheÉditions Amsterdam221 p., 17 €ISBN 978-2-35480-067-3

nous y trompons p as : c ette« obscure matière » ne « rejaillit[que] par éclats » dans les textes,elle se trouve disséminée autantque dissimulée ( La mémoir eaime chasser dans le noir, autretitre de Macé). Reste le sommeilléger de la phrase, et pourtantlourd de sens : une « maisonprécaire où j’enf ouis c e quitombe » dit le poète. Il faut alorstout le tact de Demanze p ourréveiller la douceur d’une œuvresans trop révéler sa douleur.Une discrétion toute littéraire,en somme. R.-Y. R.

Laurent DemanzeGérard Macé.L’invention de la mémoireÉditions José Corti162 p., 20 €ISBN 978-2-7143-1006-4

On a pu aussi entendreGérard Macé, avec lacomplicité de LaurentDemanze, une find’après-midi de janvier2010 à la bibliothèquede l’ENS-LSH de Lyon,dans le cadre d’unnouveau cycle derencontres avec des

écrivains : « De vive voix ». Prochainrendez-vous le 8 avril à 17h avec Pierre Senges.

L’avenir cultureldes villes

« La ville durable ne saurait que faireune place de choix à son environnementartistique et culturel », écrit Jean-PierreSaez dans son introduction à la dernièrelivraison de L’Observatoire, revue del’Observatoire des politiques culturellessitué à Grenoble. Ce numéro richementdoté pose ainsi la question de « La villecréative : concept marketing ou utopiemobilisatrice ? » et propose d’interrogerle « nouveau dogme du développementdes territoires » que serait en passe dedevenir la créativité. Une invitation àrevisiter un certain nombre d’enjeuxurbains à travers la présence culturelleet le dynamisme artistique, et la volontéde passer au crible de l’analyse critiqueles potentialités de cet investissementen termes de démocratie ou de compé-tition. L. B.

L’ObservatoireLa revue des politiques culturellesn°36 Hiver 2009-2010, 22 €www.observatoire-culture.net

revu

e

Page 12: livre et lire - n° 251 - avril 2010

12

En phaseComment faire entendre le fondd’un poème, des p oèmes, de lapoésie, les mots à peine plus hautsque les autres de Jean-Pierr eColombi par exemple, à qui l’onremet le Prix Kowalski 2009 pourLes Choses dicibles (Gallimard), ence froid début de mars à la

Bibliothèque municipale de Lyon.Les pr ésentations n’y p euventmais, les citations n’y suffisent pas,les discours tournent court. Etpuis vient Christine Boisson, elles’approche lentement du livr e,l’aborde, le respire d’abord puis l’ef-fleure, visage d’ange qui tourneautour des p ages, regard qui valoin dans l’ailleurs. Et alors sa voixavec les mots, une voix profonde,

juste la profondeur qu’il faut, pasla voix d’une comédienne, pas letrop de l’emphase, non, une voixen phase, une voix grave quidonne à voir toute l’intensité, oul’immensité, secrète des poèmesde Colombi. Miracle des choses quisoudain sont (re)devenues dicibles.Et le texte s’est doucement retiré,«  lisible une seule f ois comme

l’écriture des vagues ». R.-Y. R.

Livre & Lire : journal mensuel, supplément régional à LivresHebdo et Livres de France, publié par l'Agence Rhône-Alpespour le livre et la documentation.

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Au grand loinL’année passée à même époque, sept centslycéens saluaient l’entrée de Pascal Garniersur la scène du Toboggan, à Décines. L’écrivainrecevait dans un même sourire amusé l’ova-tion et le tout premier prix des lycéens et desapprentis. Ses jeunes lecteurs avaient reconnuen lui le talent de la génér osité. P ascalGarnier nous a quittés le 5 mars 2010.

Cette générosité, elle était bien au chaud dans savoix. Rauque, un reste de gouaille p arisienne(« D’après mes papiers, je suis né le 4 juillet 1949,à Paris, 14e. Je ne m’en souviens plus, mais admet-tons. »). Lors d’une rencontre avec des classes depremière dans un lycée de Lyon, en 2009, lesjeunes étaient sous le charme. Conquis par cebonhomme qui ne venait pas leur donner deleçons. Ni d’écriture ni de vie : « Vers quinzeans, l’Éducation nationale et moi, on a décidéde r ompre d ’un c ommun a ccord. » Tout lemonde a ri, puis souri de ce parcours chaotiquequi a mené l’homme jusqu’à l’écriture, jusqu’àL’Année sabbatique, en 1986, chez P.O.L. Puis ily eut Fleuve Noir, Flammarion, Zulma. Danscette dernière maison, il se sentait à sa plac e.On attend avec impatience la réédition de troisromans noirs (La Place du mort, Les Insulaireset Trop près du bord). En attendant, on relit lesplendide A26, ressorti l’année dernière. Commedirait Djian, ce gars-là avait du style.« Je n’ai jamais écrit pour être connu, mais c’estla seule combine que j’ai trouvée pour connaîtreles autres », disait Pascal à ces mêmes lycéens.C’est vrai. Et c’est grâce à sa combine qu’on aeu la chance de le connaître. Laurent Bonzon

Il savait appuyer là où cela fait mal. Ou rire par-fois. C’est à cela que l’on reconnaît une page dePascal Garnier, à sa façon de nous placer devantcette alternative : doit-on en rire ou en pleurer ?Héritier de Calet et de Simenon (tout autantque de James Ensor et d’Otto Dix), cet auteurprolifique de livres maigres savait camper despersonnages riches d’une force proportionnelleà leurs meurtrissures, bien qu’englués dans unquotidien navrant.Pascal Garnier est mort. On n’a pas fini de par-ler de ses livres. Heureux ceux qui vont décou-vrir son œuvre. Heureux ceux qui vont la relire.Frédérick Houdaer

Je me souviens…Pascal avait ce don hors du commun, celui detransformer en souvenirs impérissables, des évé-nements, réels ou non, tout à fait anodins.Je me souviens de ce matin de novembre ducôté des Avenières dans l’Isère où nous étionsattendus dans une bibliothèque. Au sommetd’une côte, Pascal m’avait assuré avoir aperçudans la brume du jour naissant, une vache surle dos, les quatre pattes en l’air. Il me l’avait lon-guement décrite tout en s’apitoyant sur la condi-tion des vaches dans le froid campagnard.Lors de ce trajet où nous étions tous les deux, jeme souviens quand il invectivait le GPS de monKangoo parce que « la voix » interrompait nosconversations. Il lui reprochait entre autre, soninsupportable accent alsacien (sic).Il s’emparait de l’ordinaire, du banal, de l’in-signifiant, pour le rendre étonnant, surréalisteou extraordinaire. L’âme humaine était sonterrain de jeu et il savait en décrire la noirceur,la profondeur, avec une justesse rare.L’homme m’a fait souvent rire, l’écrivain parfoispleurer, et il va me manquer.Il me manque déjà… Catherine Fradier

Un hommage à Pascal Garnier est organisé dans le cadre de Quais du Polar, à Lyon, le 11 avril à 12h.

Le grand ôteurAvoir connu Pascal Garnier, qu’est-ce que celasignifie ? Avoir lu ses livres. Goûté sa cuisine.Touché sa peinture. Avoir rencontré un artistecomplet et rempli de failles.Pascal Garnier n’avait rien d’un donneur de leçons(trop bon écrivain pour cela). Reste que chacunde ses amis qui a pu apprécier sa cuisine a for-cément fait des parallèles entre l’écriture du bon-homme et sa façon de se mettre aux fourneaux.Pas le genre à charger un plat de trop d’ingré-dients. Toujours les justes proportions.Il aimait à parler du « nécessaire syndrome deRobinson Crusoé ». « T’es échoué, t’as plus rien, sinonquoi… un canif, deux coquillages, un bâton et unevieille boîte d’allumettes trempée… et c’est avec çaque tu vas faire quelque chose. Pas besoin de plus ».C’est ainsi que ses meilleurs livres ont été écrits,avec un vocabulaire de 5 000 mots.Dupe de rien, Pascal Garnier. Imperméable auxquerelles de chapelles si fréquentes dans le milieudu polar… Un milieu dont il a toujours tenu à sedémarquer même si il y comptait de solides ami-tiés (lui qui avait commencé à publier chez P.O.Lavant de passer au Fleuve Noir pour finir chezZulma, ne cessait d’affirmer qu’il écrivait des« romans, non pas noirs, mais gris »).

Directeur de la publication : Geneviève Dalbin

Rédacteur en chef : Laurent Bonzon

Assistante de rédaction :Marion Blangenois

Ont participé à ce numéro : Nicolas Blondeau, DanielBougnoux, Michel Boutin, Philippe-Jean Catinchi, Anne-Laure Cognet, CatherineFradier, Philippe Fusaro,Catherine Goffaux-H., FrédérickHoudaer, Géraldine Kosiak,Danielle Maurel, Yann Nicol,Émilie Pellissier et Roger-YvesRoche. Remerciements àFrançois Collet pour lesphotographies de Tanger.

Livre & Lire / Arald 25, rue Chazière - 69004 Lyon tél. 04 78 39 58 87 fax 04 78 39 57 46 mél. [email protected] www.arald.org

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