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« Carte hydro-géographique des Indes orientales en deça et au-delà du Gange avec leur Archipel, dressée et assujettie aux observations astronomiques, par M. Bonne, hydrographe du Roi (1771) ». Le Centre international d'étude du XVIII e siècle de Ferney-Voltaire réédite l'Histoire des deux Indes de Guillaume-Thomas Raynal. Une véritable encyclopédie des connaissances coloniales et les premiers pas de la mondialisation (lire p.11). Au plaisir Le plaisir. Trouver du plaisir à toutes choses. À penser. À vivre. Les neurobio- logistes qui scrutent les circonvolutions de notre cerveau parlent de « circuit de récompense ». Si l’on n’obtient pas de récompense, on se met à faire des trucs idiots, assassiner des gens ou, pis, écrire de mauvais livres… Je crois pouvoir dire que j’ai vécu une vie de plaisirs. Naturellement, le travail est nécessaire. Entendons-nous. Certains écrivains préten- dent rédiger trois pages tous les matins avant de vaquer à d’autres occupations mieux rémunérées. Je ne lis pas ces gens- là. En vertu du principe de plaisir, je ne m’installe à ma table que porté par une idée assortie d’une petite musique – ce n’est pas tous les jours – et je peux alors travailler longtemps sans m’en rendre compte. (Évidemment, je gagne moins d’ar gent.) Je n’ai aucune idée de ce que peut être l’angoisse de la page blanche : je ne m’installe jamais devant une page blanche sans l’avoir au préalable remplie mentalement. On voit par là que je ne suis pas quelqu’un de très sérieux. Je suis un homme de plaisir. Mais le travail est nécessaire. Comme dit le vieux Tchouang-tseu, on ignore d’où vient le résultat, mais on sait qu’il apparaît seu- lement à la fin du travail. Le résultat, l’har- monie, la traque de la fausse note. Il y faut un peu de perfectionnisme. Oscar Wilde raconte qu’il a passé la matinée à revoir les épreuves d’un poème. En fin de matinée, il a supprimé une virgule. Il l’a remise dans l’après-midi. La distance est tout aussi nécessaire au plai- sir. Distance par rapport à soi-même et au monde. Et au travail. Si le mot n’était pas autant galvaudé, on pourrait l’appeler humour. Je pose l’hypothèse que la prolifé- ration de la vie sur cette planète (à bien des égards exagérée) n’aurait pour but que de fabriquer de la conscience. Donc de l’humour. Et notons qu’on peut même prendre du plaisir à dire du mal du monde, à condition de le dire bien… Jacques A. Bertrand n°252 - mai 2010 le mensuel du livre en Rhône-Alpes en +++++++++ Le Chroniqueur sans cœur, de Francesco Abate, traduit de l’italien par Marc Porcu (La Fosse aux ours), est le 3 e lauréat du Prix littéraire des jeunes Européens. Doté d’un comité de lecture composé d’étu- diants français et européens, ce prix de l’École de commerce européenne de Lyon souhaite sensibiliser les étudiants à la litté- rature européenne contemporaine. Remise du prix le 20 mai à 18h, à la Bibliothèque municipale de Lyon. > www.arald.org les écrivains à leur place premier plan/ p.3 Les PUL se relancent Nouveau directeur, nouvelle équipe, nouvelles maquettes, nouvelles ambitions éditoriales… Des Presses universitaires de Lyon pleines de projets ! actualités/p.5 Voix d’encre : un anniversaire La maison d’édition de Montélimar fête ses vingt ans de travail avec un livre et une exposition. Retour sur le parcours d’Alain Blanc. !!!!!!!!!!!! 1948 : mineurs en grève En 1948, la grève des mineurs a donné lieu à des tensions très fortes dans tous les bassins houillers du pays, et en particulier à Saint-Étienne. C’est de ces violences, mais aussi de la vie au pied des piquets de grève, que témoignent les magnifiques photo- graphies de Léon Leponce. L’exposition, conçue par les Archives municipales de Saint-Étienne, est accueillie par la média- thèque Louise Labé, à Saint-Chamond, du 4 au 14 mai. www.saint-chamond.fr Hôpital et lecture Les actions « Culture à l’hôpi- tal » sont rarement axées sur le livre et la lecture. C’est pourtant le choix qu’a fait le Comité local Culture Santé de Savoie et Haute-Savoie, avec son projet « De vives voix ». Du 3 au 12 mai, aidés par Savoie-Biblio et les bibliothèques municipales, sept établissements de soins accueilleront lectures, spectacles ou ateliers, mettant en lien litté- rature et santé. L’originalité de ce projet est d’avoir permis aux hôpi- taux et bibliothèques de travailler en réseau pour donner une visibi- lité à cette opération à l’échelle d’un territoire. L’occasion de mieux se connaître et d’inscrire les bibliothèques comme réfé- rents culturels incontournables pour les actions futures. www.hi-culture.fr - www.chs-savoie.fr rendez-vous zoom/p.6 Résidences : retour en enfance Gros plan sur la résidence d’Isabelle Simon à Grenoble et sur celle de Roland Fuentès à Saint-Paul-Trois-Châteaux. © Fonds Léon Leponce, Archives municipales de Saint-Étienne © Isabelle Simon

livre et lire - n° 252 - mai 2010

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L'Arald publie chaque début de mois "livre & lire", journal d'information sur la vie du livre en Rhône-Alpes. Ce mensuel de douze pages est un supplément aux revues professionnelles Livres-Hebdo et Livres de France, publiées par le Cercle de la librairie.

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Page 1: livre et lire - n° 252 - mai 2010

« Carte hydro-géographique des Indes orientales en deça et au-delà du Gange avec leur Archipel, dressée et assujettie aux observationsastronomiques, par M. Bonne, hydrographe du Roi (1771) ». Le Centre international d'étude du XVIIIe siècle de Ferney-Voltaire rééditel'Histoire des deux Indes de Guillaume-Thomas Raynal. Une véritable encyclopédiedes connaissances coloniales et les premiers pas de la mondialisation (lire p.11).

Au plaisirLe plaisir. Trouver du plaisir à touteschoses. À penser. À vivre. Les neurobio-logistes qui scrutent les circonvolutionsde notre cerveau parlent de « circuit derécompense ». Si l’on n’obtient pas derécompense, on se met à faire des trucsidiots, assassiner des gens ou, pis, écrirede mauvais livres…Je crois pouvoir dire que j’ai vécu unevie de plaisirs.Naturellement, le travail est nécessaire.

Entendons-nous. Certains écrivains préten-dent rédiger trois pages tous les matinsavant de vaquer à d’autres occupationsmieux rémunérées. Je ne lis pas ces gens-là. En vertu du principe de plaisir, je nem’installe à ma table que porté par uneidée assortie d’une petite musique – cen’est pas tous les jours – et je peux alorstravailler longtemps sans m’en rendrecompte. (Évidemment, je gagne moinsd’argent.) Je n’ai aucune idée de ce quepeut être l’angoisse de la page blanche : jene m’installe jamais devant une pageblanche sans l’avoir au préalable rempliementalement. On voit par là que je ne suispas quelqu’un de très sérieux. Je suis unhomme de plaisir.Mais le travail est nécessaire. Comme dit levieux Tchouang-tseu, on ignore d’où vientle résultat, mais on sait qu’il apparaît seu-lement à la fin du travail. Le résultat, l’har-monie, la traque de la fausse note. Il y fautun peu de perfectionnisme. Oscar Wilderaconte qu’il a passé la matinée à revoir lesépreuves d’un poème. En fin de matinée,il a supprimé une virgule. Il l’a remise dansl’après-midi.La distance est tout aussi nécessaire au plai-sir. Distance par rapport à soi-même et aumonde. Et au travail. Si le mot n’était pasautant galvaudé, on pourrait l’appelerhumour. Je pose l’hypothèse que la prolifé-ration de la vie sur cette planète (à bien deségards exagérée) n’aurait pour but que defabriquer de la conscience. Donc de l’humour.Et notons qu’on peut même prendre duplaisir à dire du mal du monde, à conditionde le dire bien… Jacques A. Bertrand

n°252 - mai 2010le mensuel du livre en Rhône-Alpes

en + + + + + + + + +Le Chroniqueur sans cœur, de FrancescoAbate, traduit de l’italien par Marc Porcu(La Fosse aux ours), est le 3e lauréat duPrix littéraire des jeunes Européens. Dotéd’un comité de lecture composé d’étu-diants français et européens, ce prix del’École de commerce européenne de Lyonsouhaite sensibiliser les étudiants à la litté-rature européenne contemporaine. Remisedu prix le 20 mai à 18h, à la Bibliothèquemunicipale de Lyon.

> www.arald.org

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premier plan/p.3Les PUL se relancentNouveau directeur, nouvelleéquipe, nouvelles maquettes,nouvelles ambitionséditoriales… Des Pressesuniversitaires de Lyon pleines de projets !

actualités/p.5Voix d’encre : un anniversaireLa maison d’édition deMontélimar fête ses vingt ans de travail avec un livre et une exposition. Retour sur le parcours d’Alain Blanc.

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1948 : mineurs en grève

En 1948, la grève desmineurs a donné lieu

à des tensions très fortes dans tous lesbassins houillers du pays, et en particulierà Saint-Étienne. C’est de ces violences, maisaussi de la vie au pied des piquets de grève,que témoignent les magnifiques photo-graphies de Léon Leponce. L’exposition,conçue par les Archives municipales deSaint-Étienne, est accueillie par la média-thèque Louise Labé, à Saint-Chamond,du 4 au 14 mai. www.saint-chamond.fr

Hôpital et lectureLes actions « Culture à l’hôpi-tal » sont rarement axées surle livre et la lecture. C’estpourtant le choix qu’a fait leComité local Culture Santé deSavoie et Haute-Savoie, avec

son projet « De vives voix ». Du 3au 12 mai, aidés par Savoie-Biblioet les bibliothèques municipales,sept établissements de soinsaccueilleront lectures, spectacles

ou ateliers, mettant en lien litté-rature et santé. L’originalité de ceprojet est d’avoir permis aux hôpi-taux et bibliothèques de travailleren réseau pour donner une visibi-lité à cette opération à l’échelled’un territoire. L’occasion demieux se connaître et d’inscrireles bibliothèques comme réfé-rents culturels incontournablespour les actions futures.

www.hi-culture.fr - www.chs-savoie.fr

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zoom/p.6Résidences : retour en enfanceGros plan sur la résidenced’Isabelle Simon à Grenoble et sur celle de Roland Fuentès à Saint-Paul-Trois-Châteaux.

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Salut, Lulu !Sa voix, sa sincérité, sa coupe de cheveux sansconcession… Cécile Philippe n’avait peur derien mais tout l’atteignait. Elle a disparu ence début d’année 2010, en nous laissant unequinzaine de livres : de l’érotisme au théâtre,du récit au roman noir.

C’est à Montréal, dans le studio de l’UNEQ, où elle fut le premier écrivain de Rhône-Alpes àrésider, que Cécile Philippe a écrit le texte duMagané. Quelques nuits lui ont suffi pour clorece saisissant récit d’une rupture douloureuse etd’une renaissance québécoise, à l’ombre de l’écri-vain Réjean Ducharme qui hante les pages dece « roman ». L’écriture, chez elle, faisait le lienentre la violence des sentiments et la passionpour la littérature et les écrivains. Cécile Philippeétait en équilibre. Fragile, instable, lumineux. Maisquel rire, quelle fougue ! Celle qu’elle mettait dansson métier de journaliste culturelle reste dansla mémoire de ceux qui l’ont accompagnée dansle travail. C’est grâce à elle que la chaîne régio-nale de France 3 avait accepté de produire unesérie de portraits d’écrivains qui reste uniqueen son genre. Un tel projet aujourd’hui ferait gri-macer bien des gestionnaires de l’audiovisuelpublic… À leur manière, ces portraits sensiblesfont aussi partie de l’œuvre de Cécile Philippe. Lereste est dans ses livres. Sur la première page deson roman de la série noire, collection à laquelleelle avait été contente d’appartenir, elle nousécrivait : « Me voici de noir vêtue, ce qui n’est pasmon genre. Lisez sans abuser de la Rosette… »Fille unique d’un des derniers couples devitriers-friteurs dans le Lyon des années soixante,Rosette a perdu sa marraine. Et nous, un écrivaintellement attachant. Salut, Lulu ! L. B.

Hécatombe Cécile Philippe« L’écriture me brûle, elle ne dépend pas de moi. »

Parce qu’une amie comédienne cherchait des textescourts à lire, j’ai extrait, ce matin-là, de ma bibliothèqueHécatombe* de Cécile Philippe. Des fragments quiracontent comment le quotidien se fracasse parfoisavec ironie contre la mort. C’est noir et terriblementdrôle. On n’ose pas rire et pourtant on rit. On penseaux Nouvelles en trois lignes de Félix Fénéon.L’amie me demande qui est cet écrivain.Après lui avoir précisé qu’elle travaillait à Lyon et donnéquelques titres de livres, j’ai avoué l’avoir perdue de vue,et qu’il me semblait que les libraires et les médiasl’avaient perdue de vue aussi. Pourtant, fut un tempsoù beaucoup de gens lui parlaient avec du miel dansla bouche. Ceux qui espéraient une interview, un repor-tage sur FR3 ou se frotter à sa célébrité.Le soir même, un autre ami m’annonce qu’elle estdécédée il y a quelques jours, loin de tous. Solitudechoisie ou dernier refuge quand les autres, ce n’estplus possible ?Hécatombe.Alors ma mémoire cherche quelles traces elle a lais-sées en moi et c’est son visage qui me revient enpremier. Son visage à l’écran et dans la vie, des lèvresgourmandes sous des cheveux coupés ras qui luidonnaient un air dur malgré la voix grave et précise.Un visage qui dénotait avec le doucereux de la plupartdes femmes visibles à la télévision.

Son humour aussi même si seslèvres souriaient peu. Unefemme troublante.Fragments de vie aussi diversque ses écrits : pamphlet enoverdose de Lyon, érotismecanaille d’histoires à l’horizon-tale qui lui vaudront les hon-neurs d’Apostrophe, uneBlanche-Neige qui ose le sexesans métaphores. Romans,nouvelles, polar, théâtre et cerécit émouvant, Une glace à larose, où elle raconte son désirpour un homme plus jeune :« Mon cœur bat uniquemententre mes cuisses, qu’y pouvons-nous ? Mais écoute bien sacadence. »Je ne faisais pas partie de sesintimes, je l’ai croisée dans dessoirées ou à des vernissages. Lesouvenir d’une longue discus-sion sur l’absence de textes defemmes dans la littératureérotique, nous étions en 1985.Elle m’impressionnait. Quelquechose en elle sans concession.De ses écrits pour le théâtre,je me souviens surtout de lasingulière pièce écrite pourune serveuse du self de FR3,Dis-leur ou mine de rien, dont

Cécile Philippe racontait ainsi la genèse :« Il y a, dans la vie, des personnes qui sont déjà despersonnages. Nadia Satta en fait partie. Il se trouve queje fréquentais peu son territoire. C’est un peu par hasardque j’ai appris son désir de théâtre. Mais pour l’avoir vue,et entendue, dans son numéro tout naturel de personne,imaginer écrire un texte artificiel à la hauteur de sapersonne semblait un défi. J’adore les défis… »À parcourir à nouveau sa bibliographie, pas de doute,Cécile Philippe n’était jamais là où on l’attendait.Est-ce pour cela que nous avons fini par oublierde la chercher ? Fabienne Swiatly

Revoir sur le site de l’INA l’interview par Bernard Pivot, en 1985, que nous pourrions sous-titrer « Une femme et des hommes ».

* Hécatombe est paru en 1994 chez Paroles d’Aube.

Le rire et la douleurPour rendre hommage à Cécile Philippe, la pre-mière chose est d’appeler un chat « un chat ».Cécile Philippe est morte. Elle a fait mon portraitpour France 3 comme elle le fit pour plusieursdizaines d’auteurs. À mon tour de faire le sien.

J’ai appris à connaître Cécile Philippe à Montréal. Elley résidait six mois par an, depuis qu’elle y avait effec-tué une résidence d’écrivain. Sur place, je m’étais juréde fréquenter le moins de Français possible. Cécile futl’exception, me servit de guide en me présentantnombre d’auteurs québécois. Plus tard, dans sonincroyable maison drômoise (qui mériterait d’être clas-sée tant y fourmillent les traces de ses amis artistes),je vérifiai que Cécile possédait l’une des plus impres-sionnantes bibliothèques québécoises de France.Comme par hasard, l’un des plus beaux livresqu’elle a écrit est consacré à Réjean Ducharme,le Salinger francophone*.Un chat, « un chat ». Cécile pouvait avoir la dentdure, comme tous les gens qui n’ont rien oubliéde leur enfance (depuis quand le rire favorise-t-ill’amnésie ?). Elle semblait vouloir prouver que pluscertaines plaies sont anciennes, moins elles ontde chances de cicatriser**.Un chat, « un chat ». Dans le domaine de la télévisioncomme dans celui de l’édition, à l’instar de son cherCalaferte, elle vécut bien des mésaventures (souvent tra-gicocasses), bien des humiliations. Avec cet homme,c’était à celui qui racontait à l’autre le plus d’horreurssur les journalistes. Calaferte lui avait soufflé l’idée decoucher tout cela par écrit, ce à quoi Cécile avaitrépondu « ça ne m’intéresse pas, pas d’écrire sur ça ».Un chat, « un chat ». Il est symptomatique que cetauteur, qui a écrit une quinzaine de livres, plusieursromans noirs (dont une série noire qui se passe à laGuillotière***!), beaucoup de textes de théâtre, n’aitmême pas eu droit à un discret hommage public.D’une certaine façon, cette injustice n’est que jus-tice puisque Cécile détestait ce genre d’hypocrisie…Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes– et « tout est bon dans le cochon » comme elleaimait tant à le dire. Frédérick Houdaer

* Le Magané (Éditions du Rocher)

** Je ne suis là pour personne (Mercure de France)

*** Salut Lulu, (Série Noire, Gallimard)

hommage

Page 3: livre et lire - n° 252 - mai 2010

Lire Rouaud, ou commentlier une œuvre en cours

On n’entre pas dans les textes de Jean Rouaudcomme dans un moulin. Parce que c’est une œuvreen cours et que sa physionomie est trop belle pour

être ou autobiographique ou romanesque. Ce que lesauteurs de ce Lire Rouaud ont bien compris, qui tousl’effeuillent avec précaution, se méfiant au passaged’un effet-sujet hésitant, presque flageolant, quicaractérise d’emblée Les Champs d’honneur.

Car voici les faits comme on les trouve suggérés tout au longde ce Lire Rouaud : une suite de livres presque toujours plusépais et qui pour les premiers ont l’apparence d’une sagafamiliale, mais il faut vite se reprendre : parler plutôt deromans familiers, minceur des vies racontées oblige… Unauteur qui démarre sur les chapeaux de roue médiatiques(prix Goncourt et références du côté de Claude Simon) alorsqu’il carbure textuellement à la 2 CV grand-paternelle,traverse la campagne campagnarde de l’ancienne Loire-Inférieure et s’installe bien trop durablement chez sesparents-commerçants-représentants (serait-ce cela, la« petite » littérature ?). Qui fait du père mort une figurecentrale, « néguentropique » dans le texte, mais papa-pouledans la vie, au grand corps un peu trop malade pour être vrai-ment tutélaire. Qui s’occupe des accessoires comme si c’étaitl’essentiel (butin certes rêvé pour l’universitaire !). Et qui joue,last but not least, à déjouer les pronostics littéraires denaguère (l’auteur est mort, l’imagination de même), pourmieux se poser en victime des temps modernes (le régio-naliste de l’étape, moi ?), histoire d’être le premier touten haut d’une nouvelle classe d’écrivain d’en bas, à l’aubeou au crépuscule des années quatre-vingt vieillissantes.Les analystes nous ont mis la puce à l’oreille, il suffit

maintenant de retourner au texte. L’écrivain Rouaud est peut-être né le jour où un instituteur vachard lui administre unecorrection humiliante. La scène se passe dans Le Monde àpeu près. C’est une rédaction dans laquelle le petit Rouaudraconte un de ses dimanches comme les autres, une visiteau cimetière sur la tombe paternelle. Le maître ne voit riende la douleur du gamin mais tout de ses fautes. Le rendude la copie vire au règlement de comptes à O.K. Campbon.La sentence tombe, lourde, bête : « écriture approximative etincertaine ». Toute la phrase, toutes les phrases de Rouaudsemblent depuis lors contredire l’institueur, elles qui coulentcomme une eau de source limpide et pétillante, aussi longuesque lentes, précises et précautionneuses : la Loire-Inférieureest devenue intérieure. Hédi Kaddour ne s’y trompe pas,quand il décortique avec élégance un seul paragraphe extraitde L’Imitation du bonheur : « La loi de la phrase chez Rouaud,c’est d’être construite en progression d’intérêt. Essayez de vousarrêter en chemin et vous ratez l’essentiel ».D’où vient cet écrivain qui semble avoir la prétention d’êtreun auteur sans prétention, telle est l’originaire et originalequestion que pose sans cesse ce Lire Rouaud. La réponse n’estpas aisée. Il faut peut-être attendre encore, que l’auteurgrimpe un peu plus dans les hauteurs romanesques.Une étape de montagne, une vraie. Et l’on devra alors…relire Rouaud ! Roger-Yves Roche

Lire RouaudSous la direction de Hélène Baty-Delalandeet Jean-Yves DebreuillePresses Universitaires de LyonCollection « Lire »245 p., 16 € ISBN 978-2-7297-0816-0

par

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Collectif/singulierCréée en 1981 par Serge Gaubert, du temps – béni – oùl’université avait du temps (aujourd’hui on lui demandeplutôt d’avoir de l’argent…), la collection « Lire » s’estd’abord tournée vers des poètes et des romanciers denaguère, inclassables ou décalés (Reverzy, Calet, Dhôtel…),avant de s’ouvrir plus franchement au contemporain : Réda,Duras et donc aujourd’hui Rouaud. Elle a su faire entendre,et aimer, des textes pas toujours faciles d’accès au traversd’analyses éclairées et d’entretiens éclairants. R. -Y. R.

3

la maison d’édi-tion. Mais c’estsous la prési-dence d’AndréTiran, qui a prissa suite en 2010,que le chantierprend nettementforme en ce prin-temps, avec lespremières sortieset les premierssuccès, conquissous la responsa-bilité de l’histo-

rien et journaliste Philippe-Jean Catinchi, direc-teur à mi-temps mais à plein régime. À sescôtés, trois personnes, dont Delphine Hautois,responsable éditoriale.

De fonds en comble

Pour le directeur des PUL, il s’agit avant tout de« sortir la production des Presses universitaires de Lyonde l’espace très circonscrit de l’université et de remettreune véritable logique éditoriale dans la maison, touten resserrant la production dans les grands champsdisciplinaires de Lyon II, que sont la littérature, lessciences humaines et sociales ». Création d’un comitééditorial et d’un comité de lecture, nouvelle unitégraphique des livres, nouvelle collection semi-pocheavec des textes courts de jeunes chercheurs, ouver-ture à des auteurs extérieurs à l’université LumièreLyon II, projets de coédition, dont une première réus-site avec deux volumes* de la petite collection« Amphi des arts » (avec les Presses du réel), quireprennent des conférences prononcées au Muséedes beaux-arts de Lyon…Cinq titres ont déjà paru ce début d’année (dontLire Rouaud, tiré à 700 exemplaires – voir ci-contre) ; six autres sortiront dès juin, dont unlivre de l’historien lyonnais Jean-Pierre Gutton,Établir l’identité - L’identification des Françaisdu Moyen Âge à nos jours, qui pourrait faire gloseren ces temps de débat national…Beaucoup de projets éditoriaux et d’ambitionsintellectuelles, pour redonner une visibilité à larecherche universitaire lyonnaise et, plus large-ment, contribuer à la vie des idées.L. B.

* Hans Belting, La Double Perspective. La science arabe et l’artde la Renaissance ; Svetlana Alpers, Velázquez est dans les détails.

2010 marque un tournant dans l’histoire déjàlongue des Presses universitaires de Lyon.Nouvelle équipe, nouvelle charte graphique,nouvelles orientations éditoriales… Une« reverdie » qui, pour les années à venir,laisse espérer de bien beaux fruits.

L’histoire des presses d’université est souventsous-tendue par la difficulté de faire de cetoutil, au service de la diffusion des travaux deschercheurs, une véritable machine éditorialecapable de conquérir des lecteurs, dans uncontexte général que l’on sait difficile pour cegenre de publications. Il suffit de suivre le par-cours des Presses universitaires de Grenoble ou

celui desÉdi t ionsde l’Écolenormalesupérieure,pour com-p r e n d r eque la ten-dance glo-bale est àla profes-sionnalisation et à une inscription de plus en plusforte dans la réalité de l’économie du livre. Un pro-cessus très positif du point de vue du territoire,puisque ces maisons deviennent des acteurs à part entière de la vie culturelle et de la circu-lation des idées.Nées en 1976, les Presses universitaires de Lyon nerépondaient plus tout à fait à ces nouvelles exi-gences : beaucoup de collections, peu de nouveau-tés, des maquettes vieillissantes…, le rythme despublications ne correspondait sans doute pas à ceque l’on pouvait attendre d’une grande universitécomme celle de Lyon. Le départ de Jean Kempf dela direction des PUL en 2009 fut l’occasion pour leprésident de l’époque, Olivier Christin, de relancer

premier planÉdition : le renouveau des Presses universitaires de Lyon

Changer de logique

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Page 4: livre et lire - n° 252 - mai 2010

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actualités /manifestations

Tous à table chez Coquillettes !

Une certaine idéede la librairieUn an et demi d’existence, quatreassociés dont un salarié, DanielBerland, 35 m², 6 000 références, voilàle portrait-robot que l’on pourraitdresser de la librairie Coquillettes.Et ce serait bien insuffisant pourapprocher la réalité de ce projet.Mieux vaudrait commencer par direque cette librairie est installée à deuxpas de la place Sathonay (Lyon 1er

arr.), où la vie de quartier signifieencore quelque chose. À tel point quecertains voisins participent chaque

semaine au comité de lecture desnouveautés. On pourrait ensuiteévoquer la sélection des livres, toutà la fois subjective et exigeante, lesidées de présentation des ouvrages(comme ce « classement margue-rite » : trois tables pour les livresaimés, respectivement, un peu,beaucoup, à la folie), ou encore lesnocturnes estivales de la librairie,qui déborde sur le trottoir, parfoisjusqu’à minuit.Et puis il faudrait parler deCoquillettes, L’Appart’, un nouvelespace de 55 m² ouvert en sep-tembre dernier en face de la librai-rie, dédié aux sciences humaines etaux rencontres. Les habitants duquartier sont très demandeurs et les

libraires très motivés : ce sont doncdeux à trois animations par semainequi ont lieu depuis l’inauguration.Conférences avec des professionnelsdu livre ou des lecteurs passionnés,projections dans le cadre d’un par-tenariat avec l’université Lyon II pour« Docencourts », lectures ou apérosphilo attirent régulièrement le public.Ce qui se dessine chez Coquillettes,en fait, c’est une façon de « briser lasolitude du lecteur », une certaineidée de la librairie comme lieud’échange et de partage. M. B.

Librairie Coquillettes6, place Fernand-Rey - 69001 Lyon

Coquillettes L’Appart’27, rue Bouteille - 69001 Lyon

www.coquillettes.com

Les dix ans de Regards croisés

Théâtre aujourd’huiLe collectif grenoblois Troisième Bureau jette pourla dixième année consécutive ces Regards croiséssur les écritures théâtrales contemporaines. Auteursou traducteurs, Sebastian Barry, Enzo Cormann,Simon Diard, Marie Dilasser, Isabelle Famchon,Thibault Fayner, Samuel Gallet, Gisèle Joly, Jacques

Jouet, Yves Lebeau, Juan Mayorga, Georges Tyras, serontà leurs côtés pour souffler ces dix bougies. De lectures encafés littéraires, de spectacles en animations scolaires, ilsfont connaître au public l’irremplaçable richesse de la ren-contre directe avec un texte. Entretien avec Bernard Garnier,coordinateur de la manifestation.

Regards croisés fête ses dix ans. Comment cette manifes-tation a-t-elle évolué ?Regards croisés, c’est chaque printemps l’aboutissementdu travail mené par le collectif Troisième Bureau tout aulong de l’année. En conséquence, la manifestation a évoluéavec le projet global, se nourrissant des initiatives que nousavons développées d’année en année et inversement. Il y ad’abord eu le choix de l’intituler Regards croisés, qui ditclairement l’envie d’échange et de rencontre directe avecdes auteurs et des textes du monde entier. En dix ans, cesrendez-vous réguliers ont permis au public de découvrirdes écritures d’Europe, du Maghreb, d’Afrique occidentale,d’Asie, du Moyen Orient, d’Australie, d’Amérique du Nord…

Mais qu’en est-il du projet lui-même ?Le projet initial demeure le même : faire décou-vrir le théâtre qui s’écrit aujourd’hui, inviter lesauteurs pour des rencontres avec le public, œuvrerà la diffusion, à la traduction, à la représentationet à l’édition des textes. Mais il est vrai que lecontenu et surtout la forme ont bougé. Ne serait-ce qu’avec l’arrivée des « tables » en 2004, le prin-cipe de la lecture autour de la grande table et l’es-quisse de représentation « de la table au plateau »

que nous allons reprendre sur la pièce de Marie Dilasser.Nous accueillerons également cette année deux formes«  textes et musiques  » avec Samuel Gallet et EnzoCormann. Question public, en dix ans, nous avons véri-tablement élargi notre audience durant le festival, (chaquesoirée accueille plus d’une centaine de personnes enmoyenne), mais aussi dans le territoire, grâce à des par-tenariats. Je pense aux lycées avec lesquels nous tra-vaillons, au Printemps du livre de Grenoble, au festivalde l’Arpenteur, à l’université de Grenoble, et à celui quenous avons mis en place en 2009 avec la Bibliothèquedépartementale de l’Isère.

Après avoir construit pendant plusieurs années votremanifestation autour de zones géographiques, voustravaillez maintenant autour de thématiques. Cetteannée, c’est « la catastrophe »…Notre motif initial de recherche a été la catastrophe joyeuse,en contrepoint pourrait-on dire au théâtre de la catastropheporté notamment par des auteurs comme Howard Barker.Tout est parti d’une rencontre avec la pièce Nez rouges,peste noire de Peter Barnes (sans doute l’un des plus grandsauteurs anglais de la seconde moitié du XXe siècle), queGisèle Joly a traduite. Une pièce hors du commun que nouslirons le 4 juin. Pour le reste de cette dixième édition, nousnous sommes quelque peu éloignés du motif initial pourfaire place à des sujets pas toujours catastrophiques et abor-dant avec plus ou moins d’humour, disons de joyeuseté dessituations très contemporaines sur la question de l’emploi

(ou plutôt son absence), de l’identité, duterrorisme… des textes qui racontent quele monde est grave et violent mais quenous sommes vivants et que nous pouvonsprendre le temps d’y regarder de plus prèsensemble et aussi de rire de façon lucide.Propos recueillis par Marion Blangenois

Regards croisésDu 28 mai au 5 juinThéâtre 145 de Grenoblewww.troisiemebureau.com

Petits moyens et grand salonMais où est-ce qu’ils vont cher-cher tout ça ? Barbe à Pop,Arbitraire et une demi-douzaine

d’associations lyonnaises actives dansle domaine du dessin, du graphisme,du fanzine, de la musique… se sontregroupés pour créer un événementfédérateur dans le domaine de lamicro édition. Le Grand Salon de lamicro édition aura donc lieu à Lyonles 8 et 9 mai dans la friche de GrrrndZero, près de Gerland, plus habituéeaux sonorités rock qu’aux discussionssur la place de la micro édition dansle monde du livre. Ce sera en tout casune grande fête du livre « Do ItYourself » reposant exclusivement surle bénévolat, avec une trentaine d’édi-teurs et de collectifs venus de toutela France, des expositions, une fanzi-nothèque, des ateliers de sérigraphie,gravure, écriture, dessin… et unconcert le samedi soir. À découvrirvite !!! L. B.

Grand salon de la micro édition8 et 9 maiGrrrnd Zero, Gerland40 rue Pré-Gaudry - 69007 Lyon

www.grand-salon.frwww.grrrndzero.org

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de la ville se sou-viennent d’ailleursde la Librairie dupoisson soluble,qu’il a tenue pen-dant treize ans enplein centre de lacapitale iséroise.Dans le sillage demai 1968, c’étaittout simplementl’une des toutespremières librai-ries marginales(on dirait aujour-d’hui « alterna-tives ») du pays. Laclef est mise sousla porte en 1985,période de désillu-sion s’il en est.Mais cet espritlibertaire, qui atoujours su se tenir à l’écart desmodes et des facilités, ne renoncepas aux territoires du livre. Ils sontmultiples, lui aussi le sera.La revue de poésie Voix d’encredémarre en 1990 sous une formeassociative qui ne dure qu’un temps.Après quelques années, Alain Blancreprend la revue à son compte et

baptise les éditions du même nom,en hommage à René Char.La poésie est au centre des préoc-cupations de cette petite maisonqui compte aujourd’hui près dedeux cents titres à son catalogue,grâce au travail acharné du coupleBlanc. « Je cherche une poésie toutà fait contemporaine, chargée desens et de vécu », explique l’édi-teur. Le lyrisme dans la liberté, telest le credo d’Alain Blanc, qui priseles chemins de traverse, multiplieles rencontres entre artistes etécrivains et garde envers et contretout « le livre dans l’âme ». C’est pourlui l’élément premier, le plus impor-tant, celui qui permet la rencontredes différents modes d’expression.Dans L’Abécédaire de la carpe,«  une sorte de testament » quel’éditeur et poète vient de publier,Alain Blanc relève l’importancedes mots, des lieux, des êtres quil’entourent. Au dos du livre, onpeut lire : « Au terme du passage,n’avoir déposé pour toute trace queces pages tatouées de signes peusûrs, également doués d’inquiétudeet d’émerveillement. » La modes-tie imprimée peut parfois avoirfière allure. L. B.

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« Peindre, composer, écrire : meparcourir. Là est l’aventure d’êtreen vie. » C’est sous l’égide d’HenriMichaux qu’Alain Blanc a placéÉcrire et peindre au-dessus de lanuit des mots, un livre anniver-saire qui paraît à l’occasion desvingt ans de la maison d’éditioninstallée à Montélimar. Retoursur images.

Alain Blanc est épris de liberté,valeur chère à beaucoup d’éditeurs.Il la cultive au fond de son jardin,dans la petite ville de Montélimar,lui, le « pur Grenoblois », comme ilaime à le dire. Beaucoup de lecteurs

actualités /édition

En mai, fais cequ’il te plaît !

Fête du livre jeunesseVilleurbanne

du 5 au 9 maiAline Ahond, Thierry Lenain, Séverin Millet,Franck Pavloff ou encore Zaü, ils seront 56auteurs et illustrateurs pour cette 11e édi-tion. Tous ont écrit, chacun à sa façon,sur le thème 2010 : « Résister ». Rencontresavec les auteurs, ateliers, spectacles etexpositions (on retrouvera avec bonheurles loufoqueries graphiques des SuissesPlonk et Replonk) : un programme vivifiantà découvrir pendant cinq jours.www.fetedulivre.villeurbanne.fr

Rencontres du 2e titre Grignan8 et 9 maiLa librairie Colophon poursuit un travailoriginal autour du deuxième roman. Desrencontres et une table ronde réunirontles quatre auteurs retenus par le comité

de lecture  pour cette édition : SophieBassignac (À la recherche d’Alice, Denoël),Éric Dautriat (Retour aux Baronnies, ÉditionsPascal Galode), Matthieu Jung (Principede précaution, Stock) et Minh Tran Huy(La Double Vie d’Anna Song, Actes Sud).http://pagesperso-orange.fr/colophon

Lire en mai Nyonsdu 13 au 15 maiLa fête du livre de Nyons invite un grandnombre de chercheurs en sciences socialeset d’auteurs, parmi lesquels Pia Petersen,Claude Pujade Renaud, Catherine Fradierou Pierre Autin-Grenier. Elle s’articule cetteannée encore autour d’un des sept péchéscapitaux, l’avarice, abordée sous différentsangles : avarice, générosité, accumulation,de l’argent, des mots, des corps.www.lireenmainyons.net

Assises internationales du romanLyon du 24 au 30 maiCo-organisées par la Villa Gillet et LeMonde, les Assises s’interrogent cetteannée sur la capacité du roman à « tout

dire ». Un événement d’envergure et l’oc-casion d’entendre et de débattre avec desauteurs et critiques du monde entier :A. S. Byatt, Emmanuel Carrère, MarieDarrieussecq, Erri De Luca, Dany Laferrière,Richard Powers, Vladimir Sorokine, PercivalEverett…www.villagillet.net

Festival du premier romanChambéry du 27 au 29 maiSélectionnés par quelques 3 000 lecteursparmi plus d’une centaine d’auteurs, dix-huit primo-romanciers seront présents lorsde la 23e édition de ce festival qui s’ouvrede plus en plus sur l’Europe : outre quatorzeécrivains francophones (Tatiana Arfel, LilianRobin, Stéphane Velut…), il accueillera deuxauteurs italiens (Michela Murgia, HeleneVisconti), un auteur espagnol (JoachìnBerges), et, pour la première fois, un auteurallemand (Roman Graf ). C’est aussi danscet esprit que le festival propose des ate-liers de traduction. Un encouragement à« ne plus penser la littérature à l’aunede nos frontières ».www.festivalpremierroman.com

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"Pourquoi abécédaired'une carpe ? C'est que,sans partager entièrementson mutisme, je suisignorant comme elle.

Je ne me pique d'aucun savoir,d'aucune spécialité. Ce quinous rapproche, elle et moi, du Chamfort assez humble etlucide pour confesser : "Ce que j'ai appris, je ne le saisplus. Le peu que je sais encore,je l'ai deviné."Alain Blanc, L'Abécédaire d'une carpe, Voix d'encre

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Voix d’encre : vingt ans de poésie

Le livre dans l’âmePour ses 20 ans…À l’occasion de son anniversaire,Voix d’encre fait coup double etpropose Écrire et peindre au-dessusde la nuit des mots, une expositionet un livre qui retracent vingt ans

d’édition. Là encore, la liberté étaitla seule règle imposée par Alain Blancà ses auteurs. Unique contrainte, pro-poser un inédit… Poètes et peintresse croisent donc ici pour le plusgrand bonheur du lecteur : JacquesAncet & Alexandre Hollan, CharlesJuliet & Serge Saunière, Pierre Jourdeet Christian Dessailly, Jean-PierreChambon & Hamid Debarrah, Jean-Louis Roux & Stéphane Bertrand…En tout, une soixantaine de contribu-tions qui forment un livre grand for-mat très composite et très libre, quireflète l’esprit de la maison à ladésormais célèbre Voix d’encre.

Écrire etpeindreau-dessus de la nuitdes mots184 p., 29 €ISBN 978-2-35128-055-3

Exposition à la Bibliothèqued’étude et d’information de GrenobleDu 7 mai au 19 septembreVernissage le 6 mai à 18h3012, boulevard Maréchal-Lyautey38000 Grenoble

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Totems sanstabousGourgolok, Annonciaga, Obilia,

Groubil, Toufi et les autres… Autant depetites divinités fabriquées par desenfants du Diois à partir des trésors dela nature : un peu d’argile, des écorces,des feuilles, des pierres, des plumes,du bois, de la mousse, des plantes,des fruits… La liste est infinie.L’imagination des créateurs encoreplus vaste. Isabelle Simon a rassemblédans Petites Déesses et petits dieux lescontributions qu’elle a suscitées chezces enfants. Une façon de créer depetits personnages tutélaires, à quiconfier l’avenir de la nature et sa pro-tection. C’est vrai qu’elle en a bienbesoin… L’album d’Isabelle Simon estun cahier de rencontres et de créations.Sept enfants s’y présentent en mêmetemps qu’ils présentent les statuettesmagiques qu’ils ont créées : ondécouvre ainsi l’impressionnant« Agiloui, dieu de la pureté de l’air, [qui]régénère le ciel », le hiératique « Griou,dieu des arbres à essences qui suppri-ment la douleur et guérissent », ouencore la mutine « Ugavia, déesse despapillons, des herbes folles et desinsectes, délicate et gracieuse », quiporte le pollen. Isabelle Simon, experteen âmes et forêts, a photographié cettequinzaine de personnages, faisantbonne garde dans les décors auxquelsils appartiennent. La magie de cesPetites Déesses et petits dieux opèreaussi grâce à elle… L. B.

Isabelle SimonPetites Déesses et petits dieuxCritères Éditions64 p., 20 €ISBN 978-2-917829-13-4

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zoom /résidences

rencontre des tout-petits, mais aussides enfants des centres de loisirs.Objectif : les initier aux créationsmagiques à portée de doigts et d’ima-ginaire. «  J’étais d’abord un peuinquiète. Travailler avec des enfants descrèches… Mais, sans m’être vraimentquestionnée à ce sujet, je vois bien que,dans mes deux derniers livres, je mesuis rapprochée d’un public plus jeune.Alors, très vite, ma peur s’est envolée.Je suis fascinée par leur compréhen-sion, leur manière d’apprendre tout enprenant du plaisir. »Le projet était coordonné par lesbibliothèques Jardin de Ville etHauquelin. Outre les ateliers de créa-tion, il a donné lieu à une journée deformation pour les professionnellesde la petite enfance et du livre, ainsiqu’à un temps d’échange avec lesparents. Dans l’esprit de son dernierlivre, Petites Déesses et petits dieux(lire ci-contre), Isabelle Simon a pro-posé aux enfants de créer eux aussileurs « êtres magiques » à partir dupresque rien ramassé ensemble, étalé,trié et prêt à devenir matière artis-tique : cailloux, bouts de bois, plumes,lichens, feuilles et autres bouts deficelle. Peintes, collées, photographiées

Isabelle Simon a été accueillie enrésidence un mois et demi dansles crèches et les bibliothèquesdu centre-ville de Grenoble.L’occasion pour l’auteur-illustra-trice de partager avec de trèsjeunes enfants et quelquesadultes le plaisir de créer du rêveavec presque rien.

« J’ai la chance, confie IsabelleSimon, d’avoir eu dans mon enfanceun jardin et une forêt juste à côté. C’estgrâce à cela que je suis devenueartiste ». Ce bonheur simple et radi-cal, l’auteur-illustratrice le partagedepuis près de quinze ans dans leslivres, où ses statuettes insolites néesde la terre peuplent avec magie lesdécors naturels. Où l’imaginaire com-mence souvent par la cueillette, sepoursuit dans une fabrication fan-tasque, s’achève par une propositiond’un onirisme singulier.Les ateliers de création sont pourIsabelle Simon un autre espace dedon, au moins aussi nécessaire que lelivre. Invitée en résidence dans lecentre de Grenoble par les biblio-thèques municipales et le secteurpetite enfance, elle est partie à la

par l’artiste puis découpées, lescréatures ont été mises en scènedébut mai dans le Jardin des plantes,piquées dans des baguettes au ras dusol. Un ultime rendez-vous poétiqueet collectif, la fin d’une boucle com-mencée au jardin d’enfance, celui quechacun porte en lui, même en ville.« J’ai été heureuse que ce livre, qui aeu un long cheminement, trouve toutde suite son application ici, lors de cetterésidence. Mes éditeurs habituels nem’ont pas suivie sur ce projet, et j’aila chance qu’une jeune maison gre-nobloise prenne ce risque. Je rêveà présent d’autres ateliers, peut-êtreavec des plus grands, les emmeneravec moi dans le livre et dans mamythologie… » Danielle Maurel

travail spécifique avec une classe del’école du Piallon, ainsi qu’unedemi-journée de formation, orga-nisée avec les Bibliothèques dépar-tementales de prêt de la Drôme etdu Vaucluse. Et beaucoup de livres,qui circulent depuis des semainesen amont desrencontres.Quant auromancier, ilsavoure cetteplongée parmiles lecteurs :«  J’ai ardem-ment désiréne plus avoirque l’écriturecomme seuleactivité, maisj’ai besoin desortir de la soli-tude de l’ordi-nateur…

Saint-Paul-Trois-Châteaux : RolandFuentès et le partage des émotions

Résidence avecvue sur le rireDans le droit fil de la Fête du livrede Saint-Paul-Trois-Châteaux, dédiéecette année au rire, l’écrivain RolandFuentès est en résidence dans lapetite ville drômoise où l’on prendpar ailleurs le livre au sérieux.Jusqu’au 29 mai, la présence duromancier permet aux organisateursde tisser des liens : entre les publics,entre les genres, entre les profession-nels. Rencontres lectures autourdu « burlesque », atelier d’écri-ture, soirée courts métrages,concert de clôture : le Sou desécoles laïques ne plaisante pasavec les mélanges. À ce menu, il convient d’ailleurs d’ajouter un

Parler de ce qui me plaît, emporteravec moi, lors des rencontres avec lepublic, Calvino, Buzzati et Kafka, maisaussi Éric Faye et Michel Host, tousces auteurs qui m’enchantent… »Pris de manière oblique, le rire c’esten effet aussi le décalage, la fantai-

sie, un autre regardsur le réel, uneprise de distance.Un talent dontl’auteur de DouzeMètres cubes de lit-térature a donnéquelques gagesdans son écriture, etque cette résidencelui permet demettre en jeu dansla parole et le par-tage d’émotionsartistiques. D. M.

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Grenoble : en résidence chez les bébés

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Nous et les autres« Les yeux d’Elsa », « Le prix dubillet », « Fidèle à ton pas balancé »,ce sont les trois nouvelles qui com-posent le recueil de Sylvie Lainéintitulé Marouflages, qui vient de

paraître aux éditions ActuSF. Unescience-fiction sensible qui se penchesur les aléas de l’altérité et sur les peursqui s’emparent de chacun dans la ren-contre de la différence. Exemple avec« Les yeux d’Elsa », qui met en scène lesamours improbables d’un homme etd’une femelle dauphin génétiquementmodifiée… La réédition d’une nouvellequi, en 2005, avait obtenu le Grand prixde l’imaginaire.

Sylvie LainéMarouflagesActuSF106 p., 8 €ISBN 978-2-917689-16-5www.editions-actusf.com

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le fâcher… Un type bien qui va êtreconfronté au mal, qui va même aller« au contact » de ce mal suite à lamort de l’une de ses anciennes élèves.En menant sa propre enquête, ilretrouve le chemin du lycée, interroged’anciennes connaissances humiliées« de devoir défendre un systèmequi prend l’eau » sur fond de montéedes communautarismes. Nulcynisme dans le regard queporte Archimbaud sur la sociétéqui est la sienne, mais guèred’illusion non plus.Pour François Joly, le théâtredes opérations peut être un bis-trot « identique aux centainesd’autres qui font florès à la

Payer le prixFrançois Joly nous revient avec undixième polar qui conjugue effica-cité narrative et… humanisme (lapatte de l’auteur). Pour autant, le piègedes bons sentiments est soigneuse-ment évité dans ce Je vous prometsl’enfer, où le lecteur fait la connais-sance d’Archimbaud, alerte retraité del’Éducation nationale. Un personnagefortement impliqué dans la vie socialede sa région (entre Vienne et Lyon),amateur de jazz… qui présente, onl’aura compris, de nombreux pointscommuns avec l’auteur. À son chat, iln’ose pas donner le nom d’un politi-cien d’extrême-droite de crainte de

limite légale de proximité d’un éta-blissement scolaire », une salle desprofs. L’occasion d’une galerie deportraits brossés avec empathie(pour la plupart).Archimbaud, cet ex-pédagogue auxméthodes pas toujours orthodoxes,paiera cher sa curiosité. Pour autant,il n’aura pas succombé à ce qui

est sans doute le piredéfaut aux yeux deFrançois Joly : l’indif-férence. F. H.

François JolyJe vous promets l’enferÉditions Oslo306 p., 19,95 €ISBN 978-2-35754-020-0

désapprouvé parl’Opus Dei. Cettefois, c’est dans les

arcanes de l’espionnageéconomique que nousplonge la romancière, quise penche sur une entre-prise imaginaire dont laressemblance avec uneautre, bien réelle, ne sem-blera fortuite à aucunlecteur. Une société quientend diriger et régle-menter à peu près toutel’alimentation de la pla-nète par le biais descultures OGM, insecti-cides chimiques, clo-nages et autres manipu-lations du vivant. Unevolonté hégémoniquequi la conduit à englober

ou anéantir tous ses concurrentspotentiels, ceci par tous les moyenspossibles : corruption, détourne-ments de fonds, chantages, vols,enlèvements et meurtres.On découvre cette escalade à lasuite d’une enquêtrice rendue plusvaillante encore par la mystérieusedisparition de son mari. Par le biaisde cette héroïne, au service del’Agence de sécurité économiquefrançaise, on découvre les arcanesdu renseignement industriel dansses détails les plus troubles. Mais sila peur risque de gagner le lecteur,celui-ci n’en sera pas moins happépar l’intrigue complexe que noueCatherine Fradier avec une effica-cité incontestable. Entre scènes d’ac-tions et réflexions sur le monde telqu’il va mal, on ne lâche qu’à regretce pavé contondant. Mais que l’onse rassure… Une suite est d’ores etdéjà prévue. Nicolas Blondeau

CatherineFradierCristal défenseAu Diable Vauvert558 p., 20 €ISBN 978-2-84626-224-8

livres & lectures /roman noir

Les racinesdu malLa biographie de Jean Racine pos-sède la singularité d’offrir des blancs,de longues périodes où il est impos-sible de savoir exactement ce qu’a faitle plus grand de nos tragédiens.Quinze années de sa jeunesse sontainsi nimbées d’un fascinant mys-tère ; un temps dont il aurait renducompte dans divers écrits, enfermésdans une petite cassette noire quenul ne retrouva après sa mort. C’estde ce moment inconnu et de ses

écrits secrets dont s’empare FrançoisBoulay dans son roman, RacineRacines. Se mettant dans la peau dudramaturge, il imagine ce qu’a pu êtrecette passionnante période de sa vieet s’empare de faits historiquementavérés pour construire une biographieimaginaire. Des rencontres avecMolière et Boileau, d’une viesentimentale tumultueuse etsurtout de l’implication dansune affaire d’empoisonnementque l’on prête à Racine, l’écrivainfait le cadre d’un récit étrange,où se mêle réalité crue et oni-risme fantasmatique. FrançoisBoulay transforme ainsi le jeune

Racine en un sérial killer impuni. Unhomme qui rôde dans les quartiersfangeux du Paris de la fin du XVIIe

siècle, à la recherche de proies,actrices débauchées ou prostituéeségarées, pour assouvir ses troublespenchants, sexuels et sanglants. Sile procédé s’épuise quelque peu

dans la dernière par-tie du livre, le récit deFrançois Boulay, tenupar une plume hardie,reste saisissant. N. B.

François BoulayRacine RacinesÉditions Télémaque222 p., 19,50 €ISBN 978-2-7533-0102-3

Le dernier livre de CatherineFradier est un thriller haletant.Il se déroule au cœur d’une féroceguerre économique engagée entrede puissantes multinationales.Voyage dans le continent noirde l’espionnage.

Froid dans le dos. C’est l’effet queproduit Cristal défense, le dernierroman de Catherine Fradier. Il décritun monde terrifiant qui présenteun inconvénient majeur : c’est lenôtre. Sauf qu’on ne le voit pas caril évite soigneusement de faire par-ler de lui. C’est l’un de ces mondessecrets comme celui auquel s’étaitattaqué Catherine Fradier dans sonprécédent polar, Camino 999, lu et

Espionnage économique : un nouveau cycle romanesque de Catherine Fradier

Cristal défense, attaque en règle

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livres & lectures /romandisparu (mais cen’est pas sûr)dans un loin-tain tsunami.À Terre-Neuvel’attendent unenature «  sansodeur et sanssinge » et toutun monde ani-mal embus-qué : orignal,lynx, ours. C’est la grande affaire dece roman, d’ailleurs, la présence del’animal et de l’archaïque. La baleineaffable qui suit Anne-Lieve depuisl’Afrique du Sudcède la place àl’ourse, qui a par-tie liée depuis lanuit des tempsavec l’initiation desjeunes filles et lafécondité. Commepar hasard, Anne-Lieve est chargéed’interpréter un«  lieu magique »où souffle l’esprit

La trace del’animalLe nouveau roman de FlorenceDelaporte, Terre Neuve, tente -et réussit - une rencontre risquéeentre deux femmes, entre deuxmondes, entre modernité etlégende. Son récit ardent trans-forme un dépaysement en uneplongée dans l’inconnu, où l’in-time et le collectif se confondent.

Anne-Lieve est archéologue, ellequitte le Cap pour un nouveauchantier, au nord de Terre-Neuve.Elle quitte Shafique, l’ami qui ladétourne à peine d’un deuil pro-fond. Anne-Lieve, les lecteurs deFlorence Delaporte la connaissentdepuis Je n’ai pas de château, pre-mier roman qui valut à son auteurle prix Wepler. La jeune femme, quicommence à voir des cheveuxblancs dans sa belle natte brune, estprête à traverser le monde pour fuirle souvenir de Stephen, l’amant

de cette ancestrale collusion.À Terre-Neuve, Anne-Lieve fait desrencontres décisives, celle d’IdaBaribal, sa logeuse revêche qui

emmène en forêt les petites fillesperdues de la ville et les ramènetransformées à jamais. Elle se heurteaussi à Terry, à James le métis, àOliver le professeur. Aux enfants quis’inventent de mortels rites de pas-sage. Dire que Terre Neuve est unroman initiatique puissant est peudire. L’écriture précise creuse trèsprofond dans les émotions, pourdonner à sentir la nature et ladécouverte de soi. D. M.

Florence DelaporteTerre NeuveGallimard154 p., 15,90 €ISBN 978-2-07-012860-0

l’air, lentement pénètrent des corps oubien s’y glissent d’un seul coup ». Cesévénements, même minimes et pré-visibles dans une cour de ferme à lafin des années 1950, génèrent despeurs bien réelles chez l’enfant Jojo ;sa croyance aux sortilèges, sa récepti-vité aux contes et fables, l’attentionqu’il porte à ce qui lui parvient desconversations d’adultes exacerbentces peurs, il en arrive même à devineravec précision ce que furent laSeconde Guerre mondiale et l’exter-mination des Juifs, «  le peuple desombres l’ayant saisi par les cheveux ».De dérivations en connexions, cettelongue reconstruction circulaire etobsessionnelle – qui n’est pas quemorbide, qui sait aussi être tendreet drôle – finit par fasciner. Catherine

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Joël RoussiezVoyagebiographiqueLa Rumeur libreÉditions254 p., 18 €ISBN 978-2-35577-013-5

La quatrième de couverture annonce :« Voyage biographique est un livre surl’enfance car on parle mal de l’en-fance ». Non, mille livres en parlentbien… Joël Roussiez, lui, en parle bienet de manière singulière. Son récit àla troisième personne recompose unpassé en mélangeant imparfait, pré-sent et passé simple. Mais « simple »,le passé ? Ce serait trop banal. Sousdes dehors méthodiques (Voyage bio-graphique I, II, III avec sous-titres « Enpassant par les chiens », « En passantpar les filles », « En passant par la mortet par la vie », et parties), cette narra-tion décousue autorise une lecturebuissonnière, comme on attend lafin de l’école, sous les buissons.« On peut commencer n’importeoù, toujours ça se déplace », « c’estcomme de l’huile sur de l’eau, çabouge, ça s’étire, ça se rétracte,mais c’est toujours là… ». Ce « ça »peut se rapporter autant à laforme adoptée que décrire les évé-nements qui « se tiennent dans

« Ce sont des bêtes extrêmement sauvages, luia-t-on dit récemment. Même si elles empilentdes pierres au fond des grottes et on n’a jamaissu pourquoi, même si elles nous ressemblent,nous précèdent et nous ressemblent, comme

pour nous garder bien liés à la vieille sauvageriequi nous fonde, ce sont des bêtes et quand ellesperdent patience, elles tuent sans hésiter.L’ourse piétine autour de la voiture, lentement, lemuseau tournoyant, l’œil scrutateur revenant sanscesse vers la femme assise derrière le volant,comme pour une inspection en règle. »

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Singulièreenfance

L’art de la fugueAu départ, il y a la volonté deJohanna de quitter Bruges pours’éloigner de Frans, son banquierde mari, et prendre le temps deréfléchir à son couple, à son désir (inassouvi) d’enfant. Dans un hôtelproche de la mer du Nord, à Berck,elle rencontrera Erik, un VRP quil’emmènera voir un film avec JohnWayne et déguster des coquillages àOstende. De retour à Bruges, ellecomprendra que son mari est infi-dèle, reverra Erik (pour une semaineseulement, et pour faire un enfant),et apprendra la mort d’Hilda, unejeune femme rencontrée lors de sonpériple à Ostende. En se mettant surles traces de celle-ci, en parcourant sonhistoire et son passé, c’est un peud’elle-même que Johanna va trou-ver… Premier livre d’un auteur duDiois, ce roman délicat nous plongeau cœur de la quête intérieure deJohanna avec sensibilité et une sortede mélancolie lumineuse que lespaysages du Nord, très bien renduspar l’écrivain, ne font que renforcer.Un livre en clair obscur, plutôt maî-trisé, même si on pourra lui reprocherun léger manque d’audace dans l’écri-ture. Mais il s’agit là d’un premier

livre…Y. N.

Denis ArchéDans la fuiteincessanteSeuil188 p., 16 €ISBN 978-2-02-100519-6

Le bouche à oreilles

Un livre au pluriel, un livre derencontres. Pas de quoi surprendrele lecteur qui connaît l’espritd’aventure de John Berger…

Le Blaireau et le roi est de cesouvrages décalés qui fleurent bon lesvoix plus ou moins familières, lestextes qui se croisent et se jouent lesuns des autres. Deux lettres échan-gées entre John Berger et MarylineDesbiolles, des textes ayant faitl’objet de lectures collectives, douzephotographies des habitants du vil-lage de Quincy, un beau et long dia-logue entre John Berger et YvesBerger, son fils, avec la complicitéd’Emmanuel Favre, autour desquestions de l’art et des territoires,de la création, des frontières et desfiliations… Des textes, des visageset des voix. L. B.

John BergerLe Blaireauet le roiAvec YvesBergerHéros-Limite& FondationFacim200 p., 24 €978-2-940358-50-2

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À REBOURS

Le Marquis de Sadede Jules JaninJanin, « le Prince descritiques », publie la premièrebiographie du Marquis vingtans après sa mort, en 1834.La réédition de ce textecontribue à la redécouvertede l’œuvre de Sade bien que l’auteur ne cesse de nous exhorter à ne pas lire ces « rêveries quen’inventerait pas un sauvageivre de sang humain ».

collection Les Promenades124 p., 9 €ISBN 978-2-151114-20-1

ANNA CHANEL

Tu vois la lunetexte d’Agnès deLestrade ; illustrations de Anaïs BernabéTraitant du thème de l’exode et dudéracinement, l’auteur etl’illustratrice parviennent à donner vie à latransformation de ce durvoyage par l’imaginaired’une petite fille africaine.Une route contrastée queles partis-pris graphiquestendent à souligner.

56 p., 15 €ISBN 978-2-917204-31-3

ÉDITIONS DES CAHIERSINTEMPESTIFS

Jean Le GacCe deuxième petit cahierintempestif d’artiste met envaleur le travail de Jean LeGac, peintre de la NouvelleFiguration. Les Bottes de cuirfauve et L’Image dans letapis, qui comme toutes sesœuvres allient procédés demise en abîme et références

à la littérature populaire,sont fragmentées en plusieurs feuilletsregroupés dans un écrin transparent.collection Petits cahiersintempestifs d’artistes

non paginé, 53 €ISBN 978-2-911698-57-6

CHAMP VALLON

La Grande Peur de1610 : Les Français etl’assassinat d’Henri IVde Michel CassanIl y a 400 ans, le 14 mai1610, avait lieu un régicideen plein cœur de Paris :François Ravaillac tuaitHenri IV de deux coups de couteau. Ce livre est le premier à se pencher

sur les suites immédiatesde cet événement à l’échelle du pays.

collection Époques240 p., 22 €ISBN 978-2-87673-52-3

CHRONIQUE SOCIALE

Escales vers soi : 35 escapades vers soi-mêmede Chantal Mey-GuillardCet ouvrage se propose denous mettre sur le cheminde nos sensations internes.Un voyage dans l’écoute desoi au travers de situationscréatives et relaxantes.

collection Comprendre les personnes96 p., 20 €ISBN 978-2-85008-792-9

livres & lectures / jeunesse

Yann Fastier, illustrateur aussi facé-tieux que talentueux, ne pouvait sansdoute pas résister au charme « linéo-typé » des établissements Colophon,fabrique de livres et d’original sise àGrignan, au cœur de la Drôme. La ren-contre s’est donc très naturellementfaite autour d’un petit livre carréen forme d’accordéon, dont le titrerésonne comme une intrigantequestion : Compote ou tempête ?Car les oursons sont comme lesenfants et les enfants comme leshommes : insatisfaits de n’êtrequ’eux-mêmes. Et lorsqu’ons’appelle Compote, on peutlégitimement rêver de motsplus envoûtants et de patro-nymes plus exaltants… Tempête, par exemple, voici unnom bourré de promesses qui

laisse libre cours à l’imagination et àtoutes les incarnations enfantines,mais pas seulement. Ainsi dénomméTempête, l’ourson se rêve en shérif ouen grand chasseur africain, en roi dela bagarre ou de l’orage. Autant deformes rêvées, autant d’aventures sup-posées, autant d’illustrations gravéessur linoléum et imprimées avec grandsoin. C’est une petite histoire, c’est unpetit livre. Simple, drôle et beau. L. B.

De ce partage des solitudes naîtraune relation apaisante… et leretour de l’été. On retrouve ici lalangue tout en retenue de CorinneLovera Vitali, qui dit beaucoup denotre éphémère condition avecune économie de moyens et unsens poétique absolument poi-gnants. Le dessin de Loren Capelli,qui complète son habituel crayonnéde nombreuses touches de couleurs,apporte un écho sensible à cettehistoire simple, qui est la grandeénigme de nos vies : la disparition,le deuil, la solitude et la fragilité del’existence, qui en donne tout sonprix. Un album-objet d’une grandebeauté, que l’on conseillera auxplus jeunes avec un accompagne-ment de lecture, et qui séduiraaussi les adultes par sa lucidité etson exigence artistique. Y. N.

LorenCapellietCorinneLoveraVitaliKidLeRouergue15 €ISBN 978-2-8126-0106-4

Après C’est Giorgio, Prix Rhône-Alpes du livre jeunesse en 2009,le duo Loren Capelli et CorinneLovera Vitali récidive avec Kid, unalbum magnifique de poésie etde sensibilité.

Dans le premier album de l’écrivainCorinne Lovera Vitali et de l’illustra-trice Loren Capelli, C’est Giorgio,c’était un petit ours en peluchetrouvé sur un terrain vague qui per-mettait à l’héroïne de conjurer sasolitude et de trouver un « autre »apaisant et consolateur. Kid, le chatnoir et blanc qui donne son titre àleur nouvel album, est le petit frèrede Giorgio, ou sa déclinaison. Lajeune femme qui le recueille vientde vivre un été glacial et douloureuxavec la perte de ses parents. Lasolitude de Kid la ramène à lasienne, comme deuxêtres aux prises avecun monde trop grandpour eux : « Commeun qui a perdu père etmère / et la chaleur quiva avec / les coups depatte / la grandeombre / la protection /le chasseur / le ventre /tout perdu le Kid ».

Kid : un nouvel album signé Loren Capelli et Corinne Lovera Vitali

Chacun cherche son chat

Yann FastierCompote outempête ?ÉditionsColophonCollection« Accordéon etTrombone »12 €ISBN 978-2917139-02-8

conducteurs de barques qui sillonnentles eaux, entre Lyon et la Camargue,grâce à un lexique très complet.Simplicité du dessin, travail de véri-table reconstitution, le plaisir de cetalbum est dans la fenêtre qu’ilouvre sur les souvenirs des anciens,à partager avec les plus jeunes. L. B.

Catherine ChionJean du RhôneL’École des loisirs46 p., 12,50 € - ISBN 978-2-211-09012-4

Dis, comment c’était le Rhône autemps de la batellerie… ? Jean a onzeans, pêche l’anguille et rêve de joutesau parfum de chevalerie. Le fleuveRhône est son terrain de jeux. L’albumde Catherine Chion, à visée pédago-gique, retrace avec soin la vie au borddu fleuve et le rôle de cet axe de com-munication au début du XIXe siècle.On y apprend le quotidien du fleuveet de la navigation aussi bien que levocabulaire des charretiers et des

Les 1 001 recettes de Compote

Sélection des nouveautés des éditeurs de Rhône-Alpesréalisée par Émilie Pellissier

Si le Rhône m’était conté…

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onnouveautés des éditeurs

BALIVERNES ÉDITIONS

Noa, de l’autre côtétexte de Gaëlle Boissonnard ;illustrations de Diane PeylinDans un royaume peuplé de fées, Noa est uneadolescente qui se cherche.Elle choisira de partir àl’aventure, « de l’autre côté »de la barrière interdite.

40 p., 13 €ISBN 978-2-350670-44-7

Page 10: livre et lire - n° 252 - mai 2010

ÉDITIONS CRÉAPHIS

La Chambre du secretphotographies d’OlivierVerley ; texte d’ÉricChevillardUn livre composé de 43photographies d’OlivierVerley, précédées d’untexte inédit de l’écrivainÉric Chevillard. Lespersonnes qui ont posédans l’atelier de l’artisteont été photographiées à l’aide d’une chambre de très grand format etpendant un temps depause de quatre minutes.Pour chaque visage, lerendu final est donc plus

ou moins flou à cause du léger bougé notammentdû à leur respiration.

104 p., 19 €ISBN 978-2-354280-26-0

LA FOSSE AUX OURS

Debrà Libanos : Une enquête del’inspecteur Serrade Luciano Marrocu ; Marc Porcu, trad.Dans cette suite desaventures policièresdémarrées avec Fáulas,

GLÉNAT

L’Alpe 48 Ah, la vache !collectif,Ce numéro de printempsest consacré à l’animal leplus emblématique dubestiaire alpin. La vache,qui inspire tant les artistesque les maîtres fromagers,nous entraîne ici dans des histoires où se mêlent

traditions et interrogationssur l’avenir de l’élevage.

96 p., 15 €ISBN 9782723476348

DELATOUR FRANCE

Écrits - vol. 1 et 2de Michel PhilippotCet ouvrage rend compte de l’œuvre théorique trèsriche construite par MichelPhilippot, compositeur de musique contemporaineet fondateur de la filièreFormation supérieure auxmétiers du son en 1989 ausein de l’INA.

collection Pensée musicale401 p. (vol. 1) et 731 p. (vol. 2), 37 €ISBN 978-2-752100-79-5

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regard

Chaque mois, retrouvez Géraldine Kosiak, en texte et en image, pour un regard singulier, graphique, tendre et impertinent sur l'univers des livres, des lectures et des écrivains...

Au travailLe désordre règneLes contradictions font partie de mon quotidien, avec l’âge j’ai apprisà vivre en elles.Un exemple parmi tant d’autres : je n’ai jamais été attirée parl’œuvre de Céline, remettant à jamais sa lecture. Et pourtant,je peux deviner toute sa vie, il me semble. Pourquoi ? Juste àcause d’une coïncidence. Louis Ferdinand est né en mai, lemême jour que moi. Plusieurs décennies nous séparent, soit,mais un jour nous réunit. Lui et moi avons soudain ce détail encommun. Formulé ainsi, cela peut paraître insignifiant, bien sûr…Fouillant dans les archives de l’INA, je découvre une émissionde 1957, Lectures pour tous. On y voit Céline dans sa dernièremaison, à Meudon. Il est en compagnie de ses chiens qu’ilappelle tous « mon p’tit père ». Il a l’air malin, habillé comme…un « clochard », selon le journaliste. Je ne suis pas d’accord,il est habillé tout comme l’était mon grand-père paternel (un malin, lui aussi), avec ce débraillé travaillé dans le costume.On entre dans la maison. Elle aussi ressemble à celle de mon grand-père.Comme chez lui, le désordre règne. Les animaux vivent à l’extérieur maisaussi à l’intérieur, ils vont et viennent à leur guise. À travers l’écran, jedevine l’odeur des chiens, des chats, et des oiseaux car, ici, l’animal est roi.Dans une pièce au rez-de-chaussée, le bureau de Céline. Il l’appelle son« établi ». Il travaille parmi les aboiements et les coups de sifflet de sonperroquet, sur cette table encombrée, recouverte de papiers, de manus-crits, des feuillets qu’il assemble avec des dizaines de pinces à linge.Il raye, souligne, rature, mais à chaque fois reprend le livre en entier, aubout du compte. Il dit que pour quatre cents pages imprimées, il en a

écrit quatre-vingt mille à la main. Il recommence le livre une bonne dizainede fois, jusqu’à ce qu’il le « sente ». Affaire de nez et de feeling.Il ne mange presque pas, boit de l’eau, ne fume pas, dort à peine maisse couche malgré tout à 19h,avec sa femme assise sur unechaise près du lit. Lucetteétait danseuse. Beaucoup plus jeune quelui, elle racontera après lamort de Céline :

« […] Moi, jene parlais pas, alors il n’y avait pas

de problème, je ne disais rien, j’écou-tais. Ce n’était pas la peine de parleravec lui, il parlait beaucoup, il se laissait

aller, il n’attendait pas de réponse. On s’entendait très bien, commeje suis pour le geste, je n’avais pas besoin de parler, c’était parfait et c’estce qu’il demandait. »

Lucette Destouches (avec Véronique Robert)Céline secretGrasset

chronique Géraldine Kosiak 14 /

en 2008, les personnagesont gagné en épaisseur.L’inspecteur Serra et ledottor Carruezzose seplongent cette fois dansu ne enquête autour d’unmeurtre perpétré dans l’Afrique italienne.

155 p., 16 €

ISBN 978-2-35070-07-3

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Connaissez-vous Guillaume-Thomas Raynal ? Pas forcé-ment… D’ailleurs, si le Centre international d’étude duXVIIIe siècle n’existait pas, il y aurait fort à parier que vousn’en auriez jamais entendu parler. À moins d’être un spé-cialiste du siècle des Lumières et de ne point ignorer que

patrimoineUn voyage extraordinaire

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ce personnage, grand intellectuel, rédacteur auMercure de France et au service du roi, a mené unimposant projet d’Histoire des deux Indes qui reste« une analyse sans précédent des relations desnations d’Europe entre elles et avec l’Orient et leNouveau Monde, imbriquée dans un vaste pano-rama de la géopolitique mondiale. »C’est cette œuvre considérable et volumineuse,fruit du travail d’une vie et d’une foule de colla-borateurs (dont Diderot), que le Centre interna-tional d’étude du XVIIIe siècle vient de rééditermagnifiquement : deux volumes tirés de la qua-trième édition publiée à Genève en 1780, et lapossibilité de plonger dans un ouvrage qui relateles dessous de la toute première mon-dialisation et influença en son tempsles idées anticoloniales. L’abbé Raynala d’ailleurs dû quitter la France aprèsla publication de son ouvrage, avantde mourir pendant la Révolution,après plusieurs années d’errance.

Pour Andrew Brown, spécialiste de Voltaire etresponsable de ce projet, cet ouvrage est « unevéritable encyclopédie des connaissances colo-niales », qui reprend l’histoire du colonialismedepuis le XVe siècle, analyse les évolutions grâceà un ensemble de statistiques impressionnanteset « dresse un immense tableau de la colonisa-tion et de ses méfaits ». On comprend que le roin’ait pas apprécié…Accompagnant le livre intitulé Histoire philosophiqueet politique des établissements et du commerce desEuropéens dans les deux Indes, l’éditeur proposeégalement un volume grand format proprementfascinant, puisqu’il comporte les fac-similés desTableaux, atlas et cartes des éditions de 1774et 1780. On peut y suivre, pays par pays, denréepar denrée, l’affluence des revenus produits parl’incroyable saignée pratiquée par l’Europecoloniale dans ces deux Indes. C’est-à-dire, niplus ni moins, dans le reste du monde. L. B.

Guillaume-Thomas RaynalHistoire philosophique et politiquedes établissements et du commercedes Européens dans les deux Indes776 p., 60 € - ISBN 978-2-84559-053-3

Tableaux, atlas et cartes del’Histoire philosophique et politique des établissements et du commercedes Européens dans les deux Indes128 p., 60 € - ISBN 978-2-84559-060-1

Centre international d’étude du XVIIIe siècleBP 44, 01212 Ferney-Voltaire cedexwww.c18.net

GUÉRIN

Les Petits Conquérantsde Vic EpatinL’autobiographie de l’alpiniste mythique,premier vainqueur del’Annapurna, est icientièrement réécrite àl’intention des jeuneslecteurs. Les illustrationsoriginales de Ronan Bégo et les notes explicatives sur les techniquesd’alpinisme en font un bel outil pour partirà la découverte d’ununivers inconnu.

collection Héros desmontagnes200 p., 18 €ISBN 978-2-352210-44-3

Europeana Regia,ou les enjeux dela numérisationdes manuscrits

La présentation publique du pro-jet Europeana Regia, concernant

la numérisation de 879 manuscritsmédiévaux et humanistes européens,a donné lieu à Paris, les 30 et 31 mars2010, à deux journées d’études orga-nisées par la Bibliothèque nationalede France et l’Institut national dupatrimoine. Deux journées deconférences denses qui ont été l’oc-casion de faire le point sur les problé-matiques générales liées à la numé-risation des manuscrits.En effet, contrairement aux impriméset à la presse, et en raison, notam-ment, de leur fragilité, ou descontraintes liées à leurs formats(tailles, reliures), les manuscritsanciens n’ont pas fait l’objet d’unenumérisation massive. Au mieux,pour les manuscrits médiévauxconservés dans les bibliothèques fran-çaises, leurs enluminures ont éténumérisées et répertoriées dans lesbases de données Mandragore etEnluminures. Les avancées techniquesde la numérisation permettentaujourd’hui de rattraper ce retard et

de proposer les manus-crits dans leur intégralitéaccompagnés d’outils derecherche performants.Dans ce contexte, le pro-jet Europeana Regia dereconstitution virtuelle,via le portail culturelEuropeana, de troisgrandes bibliothèquesroyales médiévales(impliquant 5 biblio-thèques pilotes, 4 pays,30 mois de travail et un budget de3,4 M€, dont la moitié financée par laCommission européenne) apparaîtcomme le catalyseur des poli-tiques de numérisation déjà enga-gées par les établissements euro-péens. Il vise à mettre en communet à harmoniser les données exis-tantes, mais aussi à les compléteret à stimuler les recherches.Utile aux chercheurs, la reconstitutionvirtuelle de corpus n’en est pas moinsun enjeu diplomatique. Reconstituerà l’intention de tous un ensemble dedocuments dispersés, tout en créantun élan de recherche coopératif, estun argument supplémentaire enfaveur de la numérisation. Argumentdont on sent bien qu’il est au cœurd’un projet comme l’« InternationalDunhuang Project : La Route de lasoie en ligne », qui tente de rassem-

bler virtuellement lesobjets et les 40 000manuscrits de la grottede Dunhuang, aujour-d’hui conservés à laBritish Library, à la BnF,au Musée Guimet, àl’Institut des étudesorientales de Saint-Pétersbourg et à laBibliothèque natio-nale de Chine.Préserver les documents

originaux, recréer des ensembles dis-persés, augmenter la connaissance desmanuscrits en les rendant accessiblessont quelques-unes des possibilitésoffertes par la numérisation. Il est inté-ressant de noter qu’elle peut aussiréveiller la curiosité pour le docu-ment original. À ce titre, la fondationsuisse Martin Bodmer utilise lesimages numériques de ses collectionspour rééditer sous forme de fac-simi-lés des manuscrits et documentsrares. Une initiative qui rencontre unvif succès et qui entretient le goûtpour le livre et le papier… grâce aunumérique. Delphine Guigues

http://blog.bnf.fr/europeana_regiahttp://europeana.euhttp://mandragore.bnf.frwww.enluminures.culture.frhttp://idp.bnf.fr

Les colonies comme si vous y étiez allés… C’est à peu près ce que propose aux lecteurs leCentre international d’étude du XVIIIe siècle de Ferney-Voltaire, avec la réédition de l’ouvragesomme de Raynal consacré à l’Histoire des deux Indes. Un événement.

Portrait de Guillaume-Thomas Raynal ornant latroisième édition de L’Histoire philosophique etpolitique des établissements et du commerce desEuropéens dans les deux Indes (publiée en 1780).

URDLA, CENTREINTERNATIONAL DE L’ESTAMPE

La Société du confettide Gycée HesseJean-Claude Silbermann,peintre et écrivain né en 1935, écrit ici souspseudonyme un roman faitde quarante et un chapitrescorrespondant à autant

de journéesérotiques au coursdesquelles ilconsigne descabreusesconfidences.

collection LaSource d’urd198 p., 18 €ISBN 978-2-914839-37-2

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Résidence d’écrivainau pays d’Alzheimer

Clara au pays des mots perdus(Tertium Éditions), c’est le titred’un roman de Jean-YvesLoude. Un roman singulierpuisqu’il est né suite à unerésidence d’auteur au centreMontvenoux de Tarare, dansle Rhône, qui accueille des

malades d’Alzheimer à un stade trèssévère de la pathologie. Avec sim-plicité et sensibilité, le livre retrace

l’aventure humaine vécue par unejeune fille et son grand-père atteintpar la maladie. Jusqu’à la fin. Pasde fausse pudeur, les choses enface, mais l’espoir chevillé auxcorps des personnages autant qu’àl’écriture de Jean-Yves Loude. Cepetit roman suscite l’échange etc’est bien ce que l’écrivain recher-chait en proposant ce témoignagelittéraire sur le parcours imposépar cette maladie, au malade lui-même tout autant qu’à ses proches.Les occasions ne manquent pas.

Clara au pays des mots perdus faitd’ailleurs l’objet d’une présentationà la médiathèque de Tarare (le20 mai), avec une lecture proposéepar Claire Truche, de la NièmeCompagnie. Et puis un congrèsorienté vers la pédopsychiatrie, àpartir du roman, se tiendra égale-ment à Lyon (le 12 juin)… Chacunà sa place, chacun à sa manière,Clara et Jean-Yves Loude continuentde faire œuvre utile. L. B.

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ion Livre & Lire : journal mensuel, supplément régional à Livres

Hebdo et Livres de France, publié par l'Agence Rhône-Alpespour le livre et la documentation.

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Dynamitede groupeC’est injuste. Ils sont onze écrivainspour un seul journaliste. Dans ce salonde la Croix-Rousse lyonnaise, côtéboulevard, tout le monde a pris place,formant un large cercle de chaises, detabourets et de fauteuils. Compliquéd’en faire le tour. Le propre d’un collectif ? Non. Lepropre de celui-ci. Les (h)auteurs, comme si vous y étiez.

Au début, ils étaient quatre. Rendez-vous pris une heureavant la rencontre mensuelle avec promesse de rameu-ter la troupe le plus tôt possible et de faire connaissance– on devrait dire «  connaissances  ». Leïla Lovato,Frédérick Houdaer, Patrick Ravella, Judith Lesur. Dansle désordre. Il faudra s’y habituer, c’est la règle ici.Zéphire, le chien des (h)auteurs, ou du moins de l’un(e)d’entre eux – elle aime les parenthèses –, n’est nulle-ment impressionné par cette concentration littéraire etvoudrait goûter à tout ce que les invités déposent surla table à mesure qu’ils arrivent. La conversation se lancesur les origines de ce collectif d’auteurs-lecteurs, hésiteà chaque coup de sonnette, rebondit avec le nouvelarrivant, résiste aux embrassades et aux saluts. C’estassez joyeux, c’est plutôt sérieux.L’aventure démarre en 2005 grâce à la compagnie LaHors de et au chantier culturel ouvert dans le quartierde la Duchère en pleine restructuration. Quelquesauteurs occupent un « bureau », qui devient vite un lieude rassemblement, où naissent les propositions tex-tuelles pour des lectures marathons dans les ascenseurs,les escaliers, les appartements… C’est cela, les(h)auteurs : des gens qui écrivent et lisent leurs textes àhaute voix, une capacité illimitée à trouver des prétextesà l’écriture. On dit aussi « contraintes ». Une dizaine d’évé-nements par an, les uns présents à celui-ci, absents lorsd’un autre, des textes inédits guidés par les lieux (un pont sur la Loire, la galerie photos du Réverbère)

poser la question car leton monte. Du frotte-ment à la friction. Maisreste cordial. Jusqu’à ceque Stéphanie Lefortcapte la parole pourprononcer son credo

quant au collectif : « Elle est déli-cieuse, cette salade… » C’est un fait.On s’amuse aussi.Du temps d’écrivain, de la fraternitéhumaine, une incitation à l’écriture,beaucoup d’amour, de l’expérimen-tation, de l’envie d’écrire, une façonde s’excentrer, la dynamique dugroupe, la confrontation à deshumanités, des énergies gratuites…Chacun a son mot à dire pour expri-mer ses (h)auteurs. Judith Lesurconclut : « Il y a aussi une dimensionpolitique dans la volonté de faireentendre la place de l’écriture dansla société en allant vers les gens. » SansJudith, les (h)auteurs n’existeraientpas. Ce sont les autres qui le disent.Zéphire ne les écoute pas, trop occupéà courir après son jouet dans le cou-loir. Le dessert est servi. Le journalistes’éclipse. Déjà la discussion reprend.Légère comme le vent. Laurent Bonzon

http://leshauteurs.blogspot.com

Soirée « Mythologie(s) » Textes, performances, vidéos, vendredi 7 mai à 19h30 à la Mapra (Lyon 1er arr.).

Marathon42 heures de création et de performance, les28, 29 et 30 mai, à Saint-Julien-Molin-Molette.

ou par les thèmes, des formats adaptés aux terrainset aux publics. Bref, la préoccupation constante del’expérimentation.Entre-temps sont arrivés Étienne Faye, Stéphanie Lefort,Philippe Puigserver, Marie-Françoise Prost-Manillier,Valérie Sourdieux et Laurence Loutre-Barbier. Pierre Évrotclôt le défilé. Prune Long-Chenay ne viendra pas. Êtredans les (h)auteurs, ce n’est pas toujours possible.

Écrire pour être entendu…

Il y a du vin rouge, des olives, une quiche, une salade, desoursons en guimauve… Menu ouvert, à l’image de ladiversité des participants. Car le collectif est à géométrievariable. Presque tous ont publié des livres, certains destextes. Chacun envisage l’écriture à sa manière, mais cha-cun apprécie ce cadre commun entièrement voué à larecherche littéraire et au partage. La base, c’est tout demême une « écriture tournée vers la mise en public ». Les(h)auteurs comme une dynamique ascensionnelle à frot-tements littéraires. Un creuset, un laboratoire, un peuplus proche de la littérature que du spectacle vivant.Pas de structure juridique, pas d’obligation, des échanges,des débats. Vifs parfois. On n’a jamais vu d’exclusion ausein du collectif, de temps à autre un départ suite à devigoureuses discussions. Certains reviennent un peu plustard. Pourtant, les (h)auteurs ne revendiquent pas unstyle, ne défendent pas de théorie littéraire. D’ailleurs, ilsne parlent pas des écritures des uns et des autres.Quoique. Plusieurs souhaiteraient aller plus loin sur lavoie du « retour critique ». D’autres non. On a bien fait de

Directeur de la publication : Geneviève Dalbin

Rédacteur en chef : Laurent Bonzon

Assistante de rédaction :Marion Blangenois

Ont participé à ce numéro : Jacque A. Bertrand, NicolasBlondeau, Catherine Goffaux-H., Delphine Guigues,Frédérick Houdaer, GéraldineKosiak, Danielle Maurel, Yann Nicol, Émilie Pellissier,Roger-Yves Roche et Fabienne Swiatly.

Livre & Lire / Arald 25, rue Chazière - 69004 Lyon tél. 04 78 39 58 87 fax 04 78 39 57 46 mél. [email protected] www.arald.org

Siège social / Arald1, rue Jean-Jaurès - 74000 Annecy tél. 04 50 51 64 63 - fax 04 50 51 82 05

Conception : PerluetteImpression : ImprimerieFerréol (Imprim'Vert). Livre & Lire est imprimé sur papier 100% recyclé avec des encres végétales

ISSN 1626-1331

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Lecture in situ : inauguration du grand pont sur la Loire