12
Lentes heures Je m’abandonne aux lentes heures lucides de ma solitude nourrie de longues méditations Les mots fermentent dans ma terre absorbent un peu de mon sang se chargent des sucs distillés par l’alambic intérieur Ils cheminent dans mes veines ajoutent à la gravité de mon regard assourdissent la sourdeur de ma voix Rassemblé au cœur de mon noyau je les tire au jour les grave sur la page Lettre à ML longue a été la route et pendant longtemps entravé par le doute j’ai été empêché d’avancer il y eut alors l’enlisement la détresse des jours morts cette attente qui n’en finissait pas il y eut ensuite la tâtonnante exploration du labyrinthe et je désespérais de voir luire la lumière qui me tirerait de la nuit il y eut enfin à longuement creuser à poser de solides fondations puis pierre à pierre à monter mes murs et construire avec soin ma maison toi mon constant soutien ma pierre d’angle tu n’as jamais douté jamais failli quand je pense à ce que tu es à ce que tu m’as donné au chemin parcouru je sens monter des larmes Charles Juliet n°259 - février 2011 le mensuel du livre en Rhône-Alpes en +++++++++ Cette année, l’opération À vous de lire !, proposée par le ministère de la Culture, aura lieu du 26 au 29 mai avec pour thème fédérateur de l’ensemble des manifesta- tions : « La correspondance ». Pour une demande de subvention « destinée à per- mettre la réalisation de manifestations d’envergure et de qualité, centrées sur le livre et s’adressant au public le plus large pos- sible », la date limite de dépôt des dossiers au Centre national du livre est fixée au 11 février. www.centrenationaldulivre.fr > www.arald.org les écrivains à leur place Ici Montréal ! Arrivée à la mi-janvier, l’écrivaine québécoise Sylvie Massicote est la nouvelle invitée de la Région Rhône-Alpes et de l’Arald, en rési- dence à Lyon pour trois mois, dans le cadre des échanges Rhône-Alpes/ Québec. Auteur d’une quinzaine de livres – récits, romans pour la jeunesse, recueils de nouvelles –, mais aussi parolière, Sylvie Massicote excelle dans la forme courte, creu- sant le quotidien avec beaucoup de finesse, à la recherche de sa sub- stance et de sa fragilité. Partir de , Le Cri des coquillages, On ne regarde pas les gens comme ça..., ses nouvelles explorent « le détail, le dense ». En attendant de décou- vrir son portrait dans le prochain numéro de Livre & Lire, on peut retrouver Sylvie Massicote par l’in- termédiaire de son site Internet (http://sylviemassicotte.qc.ca) ou de l’Arald, qui transmettra… L. B. entretien/p.2-3 Lecture, années 80 Max Butlen est l’auteur d’une étude sur les politiques de lecture entre 1980 et 2000 parue aux éditions de l’Institut national de recherche pédagogique. Retour avec cet universitaire sur une période où la lecture fut une « priorité politique nationale ». !!!!!!!!!!!!!!!!!!! Derrière les barreaux À Bourg-en-Bresse, les Archives départementales de l’Ain proposent une plongée dans la mémoire de l’admi- nistration pénitentiaire à travers une expo- sition intitulée « Derrière les barreaux ». Lettres, plans, statistiques, registres d’écrou, mais aussi gravures et graffitis permettent de découvrir un nouveau pan de l’histoire de la justice ainsi que des lieux de déten- tion du passé. Archives départementales de l’Ain - Jusqu’au 15 avril. www.ain.fr René Belletto en Revenant Prix Rhône-Alpes de l’adapta- tion cinématographique 2011 : Le Revenant, de René Belletto. Parmi les livres en compéti- tion : Sébastien, de Jean-Pierre Spilmont, Cour Nord, d’Antoine Choplin, Resplandy, d’Yves Bichet, et un premier roman d’Arthur Dreyfus, La Synthèse du camphre. Le jury, composé de personnali- tés du cinéma et de la littérature, a choisi ce roman qui, trente ans après sa parution, reste l’un des plus impressionnants et sans doute l’un des plus « adaptables » de René Belletto. La Région soutient ce prix organisé par Rhône-Alpes Cinéma à hauteur de 20 000 €, dont 5 000 € pour l’auteur. événement de A à Z/p.6 Prix des lycéens 2010-2011 Début du feuilleton « Prix littéraire des lycéens et apprentis rhônalpins » dans Livre & Lire, avec les élèves et les professeurs de seconde de la Cité scolaire Élie Vignal, à Caluire, dans l’agglomération de Lyon. rentrée d’hiver/ p.7-8 Un trio gagnant Nos chroniqueurs ont aimé Michael Jackson, de Pierric Bailly (P.O.L), Les Liaisons ferroviaires, de Jean-Pierre Martin (Champ Vallon) et Pfff, d’Hélène Sturm (Joëlle Losfeld). Un prolétariat rêvé, un beau livre de photographies de Jean-Claude Seine sur la classe ouvrière dans les années 70, paru à La Passe du vent (lire p. 11). © Jean-Claude Seine / La Passe du vent

livre et lire - n° 259 - février 2011

  • Upload
    julie-b

  • View
    220

  • Download
    1

Embed Size (px)

DESCRIPTION

L'Arald publie chaque début de mois "livre & lire", journal d'information sur la vie du livre en Rhône-Alpes. Ce mensuel de douze pages est un supplément aux revues professionnelles Livres-Hebdo et Livres de France, publiées par le Cercle de la librairie.

Citation preview

Page 1: livre et lire - n° 259 - février 2011

Lentes heuresJe m’abandonneaux lentes heures lucidesde ma solitude nourriede longues méditations

Les mots fermententdans ma terreabsorbent un peude mon sangse chargent des sucsdistillés par l’alambicintérieur

Ils cheminentdans mes veinesajoutent à la gravitéde mon regardassourdissentla sourdeurde ma voix

Rassembléau cœur de mon noyauje les tireau jourles gravesur la page

Lettre à MLlongue a été la routeet pendant longtempsentravé par le doutej’ai été empêché d’avancer

il y eut alors l’enlisementla détresse des jours mortscette attente qui n’en finissait pas

il y eut ensuite la tâtonnanteexploration du labyrintheet je désespérais de voir luire la lumière qui me tirerait de la nuit

il y eut enfin à longuement creuserà poser de solides fondationspuis pierre à pierreà monter mes murset construire avec soin ma maisontoimon constant soutienma pierre d’angletu n’as jamais doutéjamais failli

quand je penseà ce que tu esà ce que tu m’as donnéau chemin parcouruje sens monter des larmes

Charles Juliet

n°259 - février 2011le mensuel du livre en Rhône-Alpes

en + + + + + + + + +Cette année, l’opération À vous de lire !,proposée par le ministère de la Culture,aura lieu du 26 au 29 mai avec pour thèmefédérateur de l’ensemble des manifesta-tions : « La correspondance ». Pour unedemande de subvention « destinée à per-mettre la réalisation de manifestationsd’envergure et de qualité, centrées sur le livreet s’adressant au public le plus large pos-sible », la date limite de dépôt des dossiersau Centre national du livre est fixée au11 février. www.centrenationaldulivre.fr

> www.arald.org

les

écri

vain

s à

leu

r p

lace Ici Montréal !

Arrivée à la mi-janvier, l’écrivainequébécoise Sylvie Massicote estla nouvelle invitée de la RégionRhône-Alpes et de l’Arald, en rési-dence à Lyon pour trois mois, dansle cadre des échanges Rhône-Alpes/Québec. Auteur d’une quinzainede livres – récits, romans pour lajeunesse, recueils de nouvelles –,mais aussi parolière, Sylvie Massicoteexcelle dans la forme courte, creu-sant le quotidien avec beaucoupde finesse, à la recherche de sa sub-stance et de sa fragilité. Partir delà, Le Cri des coquillages, On neregarde pas les gens comme ça...,ses nouvelles explorent « le détail,le dense ». En attendant de décou-vrir son portrait dans le prochainnuméro de Livre & Lire, on peutretrouver Sylvie Massicote par l’in-termédiaire de son site Internet(http://sylviemassicotte.qc.ca) oude l’Arald, qui transmettra… L. B.

entretien/p.2-3Lecture, années 80Max Butlen est l’auteur d’uneétude sur les politiques delecture entre 1980 et 2000 parueaux éditions de l’Institut nationalde recherche pédagogique.Retour avec cet universitaire surune période où la lecture fut une« priorité politique nationale ».

! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! !Derrière les barreauxÀ Bourg-en-Bresse, lesArchives départementales del’Ain proposent une plongéedans la mémoire de l’admi-

nistration pénitentiaire à travers une expo-sition intitulée « Derrière les barreaux ».Lettres, plans, statistiques, registres d’écrou,mais aussi gravures et graffitis permettentde découvrir un nouveau pan de l’histoirede la justice ainsi que des lieux de déten-tion du passé. Archives départementales

de l’Ain - Jusqu’au 15 avril. www.ain.fr

René Belletto en Revenant

Prix Rhône-Alpes de l’adapta-tion cinématographique 2011 :Le Revenant, de René Belletto.Parmi les livres en compéti-tion : Sébastien, de Jean-PierreSpilmont, Cour Nord, d’Antoine

Choplin, Resplandy, d’Yves Bichet,et un premier roman d’ArthurDreyfus, La Synthèse du camphre.

Le jury, composé de personnali-tés du cinéma et de la littérature,a choisi ce roman qui, trente ansaprès sa parution, reste l’un desplus impressionnants et sansdoute l’un des plus « adaptables »de René Belletto. La Région soutientce prix organisé par Rhône-AlpesCinéma à hauteur de 20 000 €, dont5 000 € pour l’auteur.

évén

emen

t

de A à Z/p.6Prix des lycéens 2010-2011Début du feuilleton « Prix littérairedes lycéens et apprentis rhônalpins »dans Livre & Lire, avec les élèves etles professeurs de seconde de la Cité scolaire Élie Vignal, à Caluire,dans l’agglomération de Lyon.

rentrée d’hiver/p.7-8Un trio gagnantNos chroniqueurs ont aimé MichaelJackson, de Pierric Bailly (P.O.L), LesLiaisons ferroviaires, de Jean-PierreMartin (Champ Vallon) et Pfff,d’Hélène Sturm (Joëlle Losfeld).

Un prolétariat rêvé, un beau livre de photographies de Jean-Claude Seine sur la classeouvrière dans les années 70, paru à La Passe du vent (lire p. 11).

© J

ean

-Cla

ude

Sei

ne

/ La

Pass

e du

ven

t

Page 2: livre et lire - n° 259 - février 2011

2

Autour de l’étude de Max Butlen sur lespolitiques de lecture entre 1980 et 2000

Lecture,années 80C’est une étude qui n’a pas fait tant de bruit etpourtant. Paru aux éditions de l’Institut natio-nal de recherche pédagogique en 2009, le livrede Max Butlen, Les Politiques de lecture et leursacteurs – 1980-2000, relate en détail comment, audébut des années 80, la lecture est devenue enFrance ce qu’on a appelé alors « une priorité poli-tique nationale ». C’est donc une longue périoded’activisme et de prolifération qui a révolutionnéles apprentissages, l’incitation à la lecture et ledéveloppement des bibliothèques, accompagnéed’importantes mutations technologiques qui ontelles-mêmes bouleversé l’édition, la productionet la diffusion des livres.« Comment comprendre les spécificités et les rai-sons de cette effervescence autour de la lectureet cette “rage” d’offrir à lire, dans les deux der-nières décennies du XXe siècle ? », c’est la ques-tion que pose Max Butlen dans son imposanteétude de plus de six cents pages. Une questionqui tend son propre miroir à notre présent despolitiques culturelles en matière de livre et delecture, mais aussi à l’abondance de l’offre qui,non seulement, n’a pas eu tous les résultatsescomptés, mais a aussi généré son lot d’effetspervers. L’étude de Max Butlen ne rappelle pasun hypothétique âge d’or des politiquespubliques, mais démonte une mécanique desintentions politiques qui devraient, aujourd’huiplus que jamais, nous faire réfléchir. L. B

Lire et faire lire… Tout le monde– les bibliothécaires et les mili-tants de la lecture, l’école, lesinstitutions, les gouvernementset les politiques – s’est trouvéd’accord au début des années 80pour faire de la lecture une« valeur universelle syncrétique »et inviter les Français à la lec-ture. Comment cela s’est-il misen place et peut-on dire que cetemps-là est révolu ?La priorité donnée à la lecture setraduit effectivement dans lesannées 80 par l’inscription surl’agenda politique et administra-tif d’une politique nationale delecture pour répondre à une situa-tion de crise. Il semble y avoireu alors prise de conscience col-lective de la nécessité d’agird’urgence dans un domaine oùcomme l’avait déjà noté Georges

Pompidou, dès 1966, « Tout reste à faire ».En fait, l’inscription sur agenda résultede la longue construction d’un problèmesocial et culturel par des faiseurs d’opi-nion qui ont longtemps revendiqué etprêché dans le désert. Ce problème qu’ilsont patiemment construit, c’est celui del’insuffisance de l’offre de lecture et celuide l’inégale appropriation de la culturede l’écrit. Des bibliothécaires ont ainsiréclamé pendant des décennies l’amé-lioration de la carte des bibliothèques ; desprofessionnels du livre et de la lectureont voulu élargir les publics et repenserla création artistique ; des enseignants, desacteurs éducatifs ont milité pour que soientreconsidérés les objectifs et démarches de for-mation des lecteurs et que soit mise enplace une pédagogie plus efficace. La gauchearrivant au pouvoir s’est emparée du problèmeet a proposé des solutions en s’appuyant surle rapport Pingaud. Mais très rapidement laquasi-totalité des forces politiques est inter-venue dans le champ pour des raisons liéesau développement économique, à la néces-saire adaptation  des compétences des tra-vailleurs et des citoyens dans l’univers de lafin du XXe siècle, aux exigences nouvellesd’accès à la culture et à la formation et aussi,ce qui n’est pas négligeable, à la volonté desélus d’être visibles sur ce créneau face aux élec-teurs. Aujourd’hui, on ne peut pas dire queces temps sont révolus, il suffit de voir le reten-tissement de la dernière enquête internatio-nale PISA pour apprécier le degré de sensibilitépolitique à la question, ce qui ne signifie pasnécessairement que les politiques de lecture sedéploient avec le même volontarisme que dansles années 80 et 90. Les plans de rigueur, les

conséquences des transferts de charge, les res-trictions des dépenses publiques et du nombredes fonctionnaires risquent d’avoir des consé-quences lourdes sur l’efficience des politiquesde lecture à tous les niveaux.

Finalement,  quels ont été les effets immé-diats de cette conjonction de forces et devolontés  qui ont créé ce consensus enfaveur de l’élargissement de l’offre publiquede lecture ? Et quels ont été les effets à pluslong terme ?L’effet immédiat a été l’amélioration de l’offrecar les politiques qui se sont alors déployéesont été avant tout des politiques d’offre. Dece point de vue les résultats sont manifestes.La multiplication des objets de l’offre entémoigne : de 1980 à 2000, la production delivres (en titres produits) double pour dépasser50 000 unités. Le chiffre d’affaires de l’édi-tion de livres triple dans la même période.La multiplication spectaculaire des lieux delecture illustre les succès de ces politiques :

les bibliothèques municipales passent pen-dant ces vingt années de 930 à 2 886, lenombre d’inscrits de 2 millions à plus de 6,5millions, les collections de livres et d’impri-més de 45,2 millions à 96,1 millions, le per-sonnel de ces bibliothèques de 7 169 à 19 315.Dans les écoles, les collèges, les universités,se créent en nombre des bibliothèques centresdocumentaires (BCD), des centres de docu-mentation et d’information (CDI) ; les biblio-thèques universitaires (BU) sont restructu-rées. Dans les entreprises comme dans denombreux espaces oubliés par l’offre de lec-ture, des livres apparaissent en nombre :dans les prisons, les hôpitaux, les crèches…Pourtant, du côté des bibliothèques publiques,dans les premières années du XXIe siècle onassiste à un effet seuil : le nombre des inscritsaprès avoir  presque triplé  semble stagnerautour de 20% de la population et celui desusagers autour de 30%. Bien que la carte fran-çaise des bibliothèques publiques se soit sen-siblement enrichie, on demeure à distance desperformances des pays d’Europe du Nord. Parailleurs, on découvre que les politiques d’offre

entr

etie

nMax Butlen est maître de conférences en littérature à l’université de Cergy-Pontoise(IUFM de Versailles). Il est membre du Centre de recherche textes et

francophonies. Sa carrière lui a donné l’occasion de partagerles expériences des acteurs dontil étudie les complémentaritésprofondes et les concurrencesconjoncturelles.

premier plan /

Page 3: livre et lire - n° 259 - février 2011

3

ont leurs limites, que l’amélioration de l’offreest certes indispensable mais qu’elle ne suffitpas à régler les problèmes de pratiques de lalecture. Il apparaît que le rapprochement spa-tial des livres et des non lecteurs ne suffit paspour abolir magiquement la distance culturelleà l’écrit. En conséquence, il faut en venir às’interroger sur les manières d’offrir, sur laformation des lecteurs et sur les nouvellespratiques sociales de la lecture.  

Vous situez clairement les différents profes-sionnels du livre, l’une des grandes catégo-ries d’acteurs que vous distinguez, avec lesthéoriciens de la lecture, les décideurs insti-tutionnels et les partenaires accrédités ouoccasionnels, dans une problématique de« concurrence », avec des « luttes de position-nement  pour infléchir les politiques d’offrepublique en fonction d’intérêts et d’optionsconvergentes ou divergentes ». L’expressionde « chaîne du livre », selon vous, a-t-elle unsens autre que mécanique ?

En fait, j’insiste tout autant sur la complémen-tarité manifeste qui lie ces acteurs, de l’auteurau lecteur, dans ce qu’on a appelé métaphori-quement la chaîne du livre et qui symboliseassez bien l’action consécutive, conjointe, fina-lement solidaire des divers acteurs, qu’ils soientprofessionnels, institutionnels ou militants pourcréer, fabriquer, diffuser le livre. Ceci étant, dansune même équipe visant un même but, concur-rence et complémentarité nous le savons biencoexistent souvent, l’objectif commun n’éliminepas les raisons spécifiques, particulières d’agir.

Et alors que les bibliothécaires furent, selonvous, les grands « perdants » de ce début desannées 80, durant lesquelles les consignes exi-geaient qu’on explore de nouveaux territoiresde lecture, qu’en était-il finalement en 2000,à la fin de votre période d’étude ? Et qu’enest-il aujourd’hui ?Non, ce n’est pas moi qui affirme cela,c’est Marine de Lassalle, dans une autre thèse,que je cite et discute d’ailleurs car je ne par-tage pas l’idée que les bibliothécaires aient étéles grands perdants des nouvelles politiquesde lecture. En fait, les cartes ont été redistri-buées. Certes, au sein du ministère de la Culture,la direction des bibliothèques s’est effacée auprofit d’une direction du livre et de la lecturequi ne cite plus « la bibliothèque » dans sonintitulé, certes ceux qui, parmi les bibliothé-caires  rêvaient que le paradigme de lalecture publique en bibliothèque municipalesoit la solution globale, universelle à la crise dela lecture ont dû convenir que, quels que soientses vertus et ses effets, la lecture publique

a ses limites etne saurait àelle seule réglerl’ensemble desquestions poséespar la transfor-mation de l’offreet des pratiquesde lecture, aumoment où lesacteurs des poli-tiques de lecture

se multiplient et proposent d’autres réfé-rentiels. C’est pourquoi, au lieu d’un échecdes bibliothécaires, nous avons perçu unemeilleure prise de conscience du rôle de cha-cun, une centration enfin possible sur le cœurdu métier dès lors qu’un outil de qualité a étémis à disposition, une recherche accrue de pro-fessionnalisme et de professionnalisation. Parailleurs, ce n’est pas pour les bibliothécaires,une mince satisfaction que d’avoir vu les pou-voirs publics reprendre deux de leurs motsd’ordre dans un étonnant consensus discursif

(« Priorité à la lecture » / « Tous les livres pourtous les publics »). Enfin, les bibliothèques sesont souvent transformées en médiathèquesqui figurent parmi les équipements culturelsles plus fréquentés. Ce n’est pas selon moi lamarque d’une défaite.

Dans votre étude, vous n’abordez guèrel’évolution du rôle joué par les collectivitéslocales et territoriales dans cette politiqued’extension. Ce rôle n’est-il pas pourtantdéterminant dès le début des années 90, etne l’est-il pas aujourd’hui plus encore ?C’est exact, mais il me fallait limiter le champde mes recherches. J’ai choisi de me centrersur les politiques nationales, je l’ai indiqué d’en-trée tout en mentionnant le rôle déterminanteffectivement joué par les collectivités localeset territoriales autour des années 75. Pour lesbibliothèques ce rôle a été étudié notammentpar Anne-Marie Bertrand (2002).Pour la période à venir, je partage l’idée d’unrôle nécessairement accru des politiques localesde lecture avec comme point d’appui fonda-mental les bibliothèques. Les politiques natio-nales doivent certainement conserver un rôleimportant dans la circulation de l’information,des savoirs professionnels, des expériences, etune fonction de coordination, de liaison, d’im-pulsion aussi avec des moyens conséquents,mais c’est au renforcement de la traductionlocale de ces politiques nationales qu’il fautmaintenant en venir. L’expansion des politiquesd’offre n’est-elle pas empêchée par une dis-tance persistante entre les offreurs et les publics,

qui leur résistent ? De nouvelles avan-cées passeront probablement par unedéconcentration et une décentralisa-tion réelles du pouvoir d’offrir à lire,c’est-à-dire une prise en main des poli-tiques d’offre au niveau local, au plusprès des besoins et des demandes despublics potentiels, ce qui appelle unerelance des actions conjointes de l’en-semble des acteurs concernés par lachaîne du livre et de la lecture.Propos recueillis par Laurent Bonzon

Max ButlenLes Politiques de lecture et leurs acteurs. 1980-2000Institut national derecherche pédagogique616 p., 36 €ISBN 978-2-7342-1086-3

Les bibliothèques de Lyon, Bourg-en-Bresse, Annecy, Valence et Saint-Étienne.

Page 4: livre et lire - n° 259 - février 2011

4

auto devenu éditeur sait de quoi ilparle… « On ne choisit pas toujoursun métier pour de bonnes raisons »,explique Alain Franchella, « et l’imagesociale pèse souvent plus lourd que laréalité de la vie que ce métier façonne ».C’est cette articulation entre l’imaged’un métier et les qualités qu’ildemande, entre l’idée qu’on s’en faitet la réalité du quotidien, qu’explorecette nouvelle collection baptisée« Être », et non pas « Devenir »…« Faites un stage en entreprise sansquitter votre fauteuil », c’est le prin-cipe de cette collection qui aide leslecteurs à faire la part des choses àpartir des expériences transmises parles professionnels. Pour les recueillir,Lieux Dits a eu recours à des socio-logues spécialisés dans les différents

De la maison d’édition lyonnaise, onconnaissait surtout les livres soignéssur le patrimoine et les magnifiquesouvrages de photographies, dont celuid’Éric Dessert sur Une autre Chine,signalé dans ces pages (Livre & Lirefévrier 2009). Cette nouvelle collectionsur les métiers, baptisée « Être », consti-tue donc à la fois une ouverture impor-tante et un nouveau volet d’activitéspour Lieux Dits, qui souhaite diversi-fier ses chemins d’édition et s’ouvrirà un public plus large.Pour Alain Franchella, responsable dela maison, la question du travail et desmétiers s’est imposée, dans uneépoque où nombreux sont ceux quidoivent « rebondir » (c’est désormaisle terme consacré) dans leur vie pro-fessionnelle. L’ancien mécanicien

métiers : vétérinaire, secrétaire,éducateur de jeunes enfants, aide-soignant, organisateur d’événe-ments sportifs, publicitaire. « Il s’agitde proposer une vision beaucoupplus large de chaque métier et desparcours, parfois singuliers, qui yconduisent ». Parmi les métiers, onl’aura remarqué, « certains ne sontguère à la mode », et c’est là aussi unevolonté de l’éditeur, qui souhaite aiderses lecteurs à « déjouer les stéréotypeset à démystifier les métiers dévalorisésautant que survalorisés. Commentmettre son métier au service de savie et ne pas se retrouver esclaved’une carrière vitrine », c’est aussicela la nouvelle collection « Être »,qui a d’ailleurs reçu l’agrément del’ONISEP, partenaire de l’éditeur pourle carnet d’adresses des formations.Avec six titres par an tirés pour

l’instant à 3 000 exemplaires, lavolonté de passer à douze, et le pro-jet de créer une autre collection,« Métier Passion », destinée cette foisà valoriser des parcours singuliers depersonnes qui se sont engagées tota-lement dans leur métier et lui ont ainsiredonné un sens bien différent de celuigénéralement véhiculé, Lieux Ditsentend développer tout un secteur édi-torial autour du travail, susceptible dese diversifier rapidement en directiondu numérique. Un nouveau position-nement et un véritable pari. L. B.

Du 17 au 21 février, « Le Mondeappartient aux femmes » à la Foiredu livre de Bruxelles. Par cette affir-mation audacieuse, le thème choisipour cette 41e édition propose delever le voile sur la gent féminine.Quels rapports entretiennent lesfemmes avec le monde, avec leshommes, et bien sûr, avec les livres ?Si le monde appartient aux femmes,la Foire du livre, qui accueille et meten valeur l’édition wallonne, bruxel-loise et francophone, appartient,quant à elle, aux éditeurs et aupublic. Cette année, le stand de laRégion Rhône-Alpes s’agrandit, avecune surface de 65 m² pour accueillirdix maisons d’édition parmi les-quelles Alzieu Éditions, Éditionsde l’Astronome, Balivernes, ChampVallon, Chronique sociale, Critères,Fage Éditions, Lieux Dits, ÉditionsJérôme Millon et Tanibis. Pendant cinq jours, le public et lesprofessionnels pourront se nourrir

actualités /édition

Pour comprendrele mondeCe salon des Sciences humaines,qui se tiendra du 4 au 6 févrierà l’Espace des Blancs-Manteauxà Paris, a choisi cette année d’ou-

vrir ses débats aux questions de sociétéet d’interroger le monde. Un riche pro-gramme est proposé pour ce rendez-vous incontournable des scienceshumaines  : des tables rondes auxthèmes variés (L’Europe a-t-elle encoreun sens ? ; Empathie et solidarité ; LaFrance des villes  ; Fléaux et catas-trophes : que révèlent-ils de nos socié-tés ?), des rendez-vous avec des per-sonnalités du monde scientifiquecomme Mireille Delmas-Marty, LucBoltanski, Yves Lacoste et Michel Zink,ainsi que des rencontres profession-nelles. Pour ce grand rassemblementd’éditeurs, comptons sur la présencede ceux venus de Rhône-Alpes avec lesoutien de la Région : Champ Vallon,Chronique sociale, Créaphis, ÉditionsDelatour France, Ellug, ENS Éditions,Presses de l’Enssib, Publications de laMaison de l’Orient et de la Méditerranée,Éditions Jérôme Millon, Presses uni-versitaires de Lyon, Publications del’université de Saint-Étienne. De quoirépondre aux attentes du public dési-reux de sortir de l’urgence médiatiqueet de mieux comprendre le mondecontemporain. Marie-Hélène Boulanger

www.salonshs.msh-paris.fr

ren

dez

-vo

us

Une nouvelle collection aux éditions Lieux Dits

« Être » éditeurAprès deux années de préparation, les éditionsLieux Dits lancent une nouvelle collection surles métiers, avec six titres qui paraissent en février.Être vétérinaire, Être aide-soignant, Être orga-nisateur d’événements sportifs…, une façond’envisager l’orientation et le travail dans toutes leurs dimensions.

Dix éditeurs de Rhône-Alpes font la Foire !

Lieux Dits17, rue René-Leynaud69001 LyonTél. 04 72 00 94 20 www.lieuxdits.fr

Collection « Être »6 titres à paraître en févrierTirage : 3 000 ex.96 pages, 12 €

Projet du stand Rhône-Alpes pour la foire du livre de Bruxelles (conception : Agence Aya).

de débats, se rassa-sier de rencontres,se régaler de livreset goûter aux possi-bilités offertes par lenumérique. Pas decrise de la quaran-taine donc pour laFoire du livre deBruxelles. M.-H. B.

www.flb.be

Ego Tango : Prix Rossel

Le Prix Victor Rossel 2010, premierprix littéraire belge institué en1938 par le journal Le Soir, a étédécerné à Caroline de Mulderpour son premier roman EgoTango publié chez Champ Vallon.L’auteur sera à la Foire du livrede Bruxelles, sur le stand Rhône-Alpes, pour dédicacer son livre lesamedi 19 février de 14h à 17h.

Page 5: livre et lire - n° 259 - février 2011

5

direction intérimaire de la BM, j’ai priéles différents responsables et conser-vateurs de réfléchir à ce que nouspourrions faire en terme de manifes-tations culturelles. Lors de cette dis-cussion, j’ai demandé si tout ce quiexistait déjà était nécessairement acté.On m’a répondu par la négative. Leprogramme pouvait donc être repensédans sa globalité, la discussion étaitouverte. Mais le lendemain, j’ai reçuun courrier furieux de M. Dubost quien avait conclu que la Scène poétiqueétait supprimée. » Effaré par l’ampleur

Un triste feuilleton occupe lesesprits des amateurs lyonnaisde poésie depuis deux mois : ladisparition de la Scène poétique,le rendez-vous que composaitPatrick Dubost à la Bibliothèquemunicipale de Lyon. Résumé desépisodes précédents.

En décembre dernier, la Scène poé-tique achevait son premier septen-nat d’existence en accueillant deuxmonuments bien vivants : BernardNoël et Charles Juliet*. Hélas,quelques jours avant la tenue de cetévénement littéraire, Patrick Dubostdiffusait un communiqué laconique :« J’ai appris, en fin de semaine der-nière, dans une totale surprise, la sup-pression du cycle de la Scène poétiquesur une décision du nouveau direc-teur de la Bibliothèque : BertrandCalenge, que je n’ai jamais rencontréet que je ne connais pas. » Ce mes-sage laissait craindre le pire : le suc-cesseur par intérim de Patrick Bazinallait-il sonner le glas de la présencede la poésie parlée et lue dans l’en-ceinte de la Bibliothèque municipalede la capitale des Gaules – exceptionfaite de la remise du Prix Kowalski,prix de poésie de la Ville de Lyondécerné durant le Printemps despoètes ? « Je suis consterné, c’est unregrettable malentendu » se défendBertrand Calenge. « En prenant la

prise par la missive de Patrick Dubost(suivi par le lancement d’une pétition,l’envoi de mails de soutien…), agacépar « des propos peu aimables à [son]égard », Bertrand Calenge se défendde vouloir exclure la poésie del’enceinte de la Bibliothèque :« Elle y a sa place ! », martèle-t-il,« je ne vois pas comment la ques-tion de la poésie pourrait être éva-cuée, rayée d’un trait de plume. Ceserait aberrant de se priver d’une desparties les plus importantes de la lit-térature. En outre, je n’aurais pas prisune telle décision sans en discuterpréalablement avec M. Dubost. »Quiproquo, maladresse… La réactionépidermique de Patrick Dubost

témoignait avant tout dela précarité éprouvée parle monde de la poésie,qui attaque bruyammentlorsqu’on le heurte, parcequ’il redoute de se dis-soudre dans le vacarmedu silence ordinaire.Toujours choqué de nepas avoir rencontré « entête à tête » BertrandCalenge, Patrick Dubostconstate que son rendez-vous a fait les frais « d’uneincompréhension totale ;sa disparition n’était pascorrecte ». Mais le tohu-bohu causé par ses par-tisans lui apporte uneconsolation, un brinamère : la certitude quela poésie ne passera

pas à la trappe à la Bibliothèque.Quant à la Scène poétique, il ajouteavoir « bon espoir qu’elle renaisseailleurs, dans un lieu important, carelle a un public. » Une résolutionheureuse n’est donc pas à excluredans les prochains mois – en vers,et avec tous… Vincent Raymond

�* Voir Livre & Lire n°257, décembre 2010.

À l’occasion de sa 25e édition, du 11au 13 février, la Fête du livre de Bronpropose une journée de réflexionquelque peu singulière sur « 25 ansde littérature française ». Une sortede « zoom arrière » sur ce quart desiècle de création littéraire, dont laFête du livre a été l’un des observa-teurs avertis, amenant de plus enplus de public vers ces auteurs etcette littérature en train de s’écrire.Retour sur les œuvres majeures deces années, description d’un paysagelittéraire qui va de l’autofiction auroman politique et social, réflexion

sur la perception à l’étranger de lalittérature française, la table ronderéunira un éditeur, Jean-MarcRoberts (Stock), un écrivain, MathiasEnard, un libraire, Michel Bazin(Lucioles, à Vienne), et un critiquelittéraire, Nathalie Crom (Télérama).Une façon de revenir sur le cheminparcouru et les traces laissées parles quelque 1 000 auteurs venus àBron rencontrer leurs lecteurs.À la suite de cette table ronde, lesparticipants pourront visiter lalibrairie géante de la Fête du livre,puis assister à un entretien avec

Philippe Forest, « De la littératurecomme expérience du réel » (17h)ainsi qu’à une rencontre entreRégis Jauffret et Patrick Lapeyreautour des « Fragments d’un discoursamoureux » (18h30). L. B.

actualités /bibliothèquesPoésie hors ScèneDécembre 2010. Photo de une de Livre& Lire : un poète en pleine proférationà la Scène poétique. Une image de poé-sie vivante cueillie à la Bibliothèquede la Part-Dieu. Image à mettre aupanier. Fin de partie, baisser de rideau.La Scène poétique s’arrête.Depuis 2003, prenant la suite de L’Écrit-Parade qu’avait animé des annéesdurant Patrick Beurard-Valdoye, ontété reçus et écoutés dans ce cadre desdizaines et des dizaines de poètes.Diversité des styles, des origines, desmanières de vivre aujourd’hui la poésie :Patrick Dubost avait su réunir, dansun esprit d’accueil et de curiosité, unbouquet d’expériences et de poètes(deux à chaque fois, dont un rhônalpin)unique en son genre.S’y retrouvaient pour une heure horsdes sentiers battus, de vie autre de lalangue et de l’imaginaire, fidèles etpassagers d’une rencontre, passion-nés et amateurs. Quelques-uns parfois,une salle comble d’autres fois.La poésie a aujourd’hui la voix faible.Bien peu l’écoutent. Espérons que laBibliothèque de la Part-Dieu sauravite trouver de nouvelles manièresde faire entendre les voix de la poésiedevenues pour tant et tant si étranges,si étrangères. Claude Burgelin

Bron : une journée particulière

Quelle place pour la poésie à la Bibliothèque municipale de Lyon ?

La Scène poétique, acte 2 ?

+ + + + + + + + d’actualités sur www.arald.org

/manifestations

25e Fête du livre de Bron« 25 ans de littérature française »Journée de réflexion vendredi 11 février14h30-20h, salle des parieursHippodrome de Parilly4-6, avenue Pierre Mendès-France69500 BronAssociation Lire à Bron : Tél. 04 78 26 09 29 www.fetedulivredebron.com

© J

oset

te V

ial

Claudio Pozzani en lecture à la Scène poétique

Page 6: livre et lire - n° 259 - février 2011

Premier épisode : une visite à la Cité scolaireÉlie Vignal

Avant la rencontreIl y a de la mobilisation dans l’air à la Citéscolaire Élie Vignal, à Caluire, qui accueilledes élèves malades ou en situation de han-dicap. Deux professeurs de lettres et undocumentaliste ont inscrit la classe deseconde à la troisième édition du Prix litté-raire des lycéens et apprentis rhônalpins,organisé par la Région avec le concours del’Arald. Le début d’une aventure.

C’est un lieu accueillant et ouvert. Le bâtimentdate des années 80 et on a eu la bonne idée d’yimplanter en plein milieu le Centre de documen-tation. Les portes ne sont jamais fermées et leslarges couloirs tournent autour. Où qu’on aille, ilfaut longer ce vaste espace, ou mieux, le traver-ser. Jean-Pierre Ducher, maître du lieu, s’en féli-cite. Les élèves entrent et sortent, à pied ou enfauteuil, travaillent, lisent un moment, ont accèsaux ordinateurs. Ils sont accompagnés ou non.Ce collège-lycée qui dépend administrativementdu lycée Antoine de Saint-Exupéry, dans le 4e

arrondissement de Lyon, rassemble une cen-taine d’élèves, tous orientés par la Maisondépartementale des personnes handicapées.L’ambition du lieu, dirigé par Éric Subtil, est d’évi-ter une rupture scolaire aux collégiens et auxlycéens pour des raisons de santé, et leur offrirles meilleures conditions afin d’avancer dansun parcours personnalisé de scolarisation. Leshandicaps sont hétérogènes : autisme, infirmitémotrice cérébrale, maladies orphelines, maisaussi de plus en plus de jeunes victimes de pho-bie scolaire. Autant d’élèves qui ne peuvent plussuivre leur scolarité dans leur établissement desecteur en raison de leur fragilité, de leur fati-gabilité ou de leurs souffrances. L’enseignementest adapté mais suit le cursus ordinaire de laSixième à la Terminale.Cette année, seize élèves sont en seconde. Toussuivent le cours de français avec leur professeur,Blandine Ray, et quelques-uns ont choisi unenseignement d’exploration intitulé « Littératureet société », conduit par Laurence Bossy et leprofesseur d’histoire Ronald Abribacht autourde la découverte de la littérature contemporaine.Cette collaboration est menée notammentautour d’un travail sur la Guerre d’Algérie, toilede fond de Sébastien, le roman de Jean-PierreSpilmont, bientôt reçu ici.Forte mobilisation des enseignants et du docu-mentaliste… Un investissement indispensablepour Blandine Ray, dont les élèves, ados parmid’autres, ne sont pas de gros lecteurs, mis à partquelques-uns. « Pas question pour autant demettre la pression sur les élèves », explique le

professeur de français,«  les élèves de secondesont très fatigables et fontpreuve d’une lenteur par-ticulière face à un pro-gramme lourd. Je privilé-gie la lecture plaisir et lesdiscussions avec les élèvesqui ont lu les livres, afin demotiver ceux qui ne sesont pas encore lancés. »

Lire avant tout…

Ici, on l’aura compris, les enseignants ne sontpas dans une démarche scolaire. Il s’agit bienplutôt de se servir du Prix pour bâtir des pontsdans le paysage de la culture et de la littérature,et permettre aux élèves d’« entrer dans la littéra-ture contemporaine ». Pour aider à cela, Jean-PierreDucher le dit, il est même « prêt à faire la lectureà voix haute au centre de documentation… »En attendant, plusieurs partenariats ont déjàété lancés. Le premier avec la librairie VivementDimanche, à la Croix-Rousse, que les élèves ontvisitée et où ils installeront prochainement unevitrine grâce à leurs travaux. Le second avec laBibliothèque municipale de Caluire, qui feral’objet d’une visite en février et pour laquelleils réaliseront également une vitrine, en colla-boration avec le lycée professionnel André Cuzinparticipant lui aussi au Prix. Enfin, les élèvesd’Élie Vignal rencontreront également l’éditeurStéphane Bachès. Un programme chargéauquel s’ajoutent les travaux en cours enattendant la venue de l’auteur-illustrateurMaximilien Le Roy en chair et en os : prépara-tion des questions centrées sur l’œuvre,recherche biobibliographique, sélection d’undessin de Hosni par chaque élève avec expli-cation du choix et commentaire, réalisation

d’un bandeau pour les livres duPrix mis à disposition au Centrede documentation, rédaction dequatrièmes de couvertures attrac-tives et exposition dans l’établis-sement pour inciter l’ensembledes élèves, travail sur les incipit enclasse de français…Mais avant tout cela, il aura fallulire… Une lecture qui réserve sou-vent des surprises, y compris pourles enseignants. Ainsi, dans cette

classe d’Élie Vignal, les bandes dessinées n’ontpas été les plus faciles à aborder, en raison d’uneaustérité des contenus qui a quelque peu déso-rienté certains jeunes lecteurs parfois éloignésdes réalités sociales. Côté romans, on s’est heurtéégalement à des problèmes, plus matériels ceux-là : la classe comptant un élève malvoyant et unautre dans l’incapacité de tourner les pages d’unlivre, l’établissement a dû faire appel au Centretechnique régional pour la déficience visuelle, àVilleurbanne, afin d’adapter les documents dansune version numérique. Une adaptation qui ademandé plusieurs semaines et retardé d’au-tant le démarrage du travail. Car pour BlandineRay, « il n’était pas question de commencer avantque tous les élèves aient la possibilité de lire leslivres ». Une évidence qui, à Élie Vignal, prendune résonnance toute particulière. Laurent Bonzon

Suite au prochain épisode… Un face-à-face avecMaximilien Le Roy

6

de A à Z /prix des lycéens

Romans :Zola Jackson de GillesLeroy (Mercure de France),Jésus et Tito de VéliborColic (Gaïa), Sébastien deJean-Pierre Spilmont (LaFosse aux ours), Les TreizeDesserts de Camille Bordas(Joëlle Losfeld).

Bande dessinée :L’Homme Bonsaï de FredBernard (Delcourt), La Maison d’Ether deChristian Durieux et DenisLarue (Futuropolis), Hosnide Maximilien Le Roy (La Boîte à bulles), Hélasde Rudy Spiessert et Hervé Bourhis (Dupuis).

Cité scolaire Élie Vignal18, rue de Margnolles69300 CaluireTél. 04 78 29 72 40�www.elie-vignal.fr

Date d’ouverture : 1984L’établissement assure égalementun suivi de scolarité du secondairedans onze services hospitaliers duGrand Lyon et une assistance péda-gogique à domicile pour le seconddegré dans le Rhône (SAPAD)

Les livres en compétition

Hosni, la bande dessinée de Maximilien Le Roy, vue par les élèves.

rep

ères

Page 7: livre et lire - n° 259 - février 2011

7

romanesque peut commencer.Parmi les hommes prêts à prendrece postulat au sérieux, il y a Walter,mais il lui faudra faire un long che-min pour vaincre ses névroses et lapage 218 pour enfin apporter sonoreiller chez Anna, qui s’est d’abordappelée Jeanne puis Rose et enfinAlegria, et qui tient un des deuxcafés servant de lieux de rendez-vous aux protagonistes.

Posons d’abord les bases à peu prèsfiables de ce roman d’amour, de lin-gerie et d’informatique. Celle autourde qui tournent bien des désirs s’ap-pelle Odile. De cela au moins on enest sûr, ce qui n’est pas vrai d’autrespersonnages, qui changent de nomcomme on change de pull cache-mire. Tout débute quand Odiledécide qu’elle a cessé d’être mocheet vieille dans sa tête : le feu d’artifice

Et les autres prétendants ? Ilsforment un des duos qui parsè-ment cette histoire comme lesfleurs d’un pot-pourri à la vio-lette : ils s’appellent Beaufils etLegendre, sont tueurs à gages,et la métamorphose de Beaufilsen amoureux bêta est un desclous du roman. Suivant des filsnarratifs qui convergent vers unebelle fête d’amour, le lecteurcroise sur sa route Yolande, audestin tragique et entre-temps

mariée à Jacob, l’autre tueur convertidans l’import de vêtements encachemire. Il y a aussi le coupled’amis-amants terribles, tous deuxauteurs-compositeurs, qui se conso-lent du quotidien l’un avec le phar-macien au pyjama en pilou, l’autreavec le garçon coiffeur Boucle d’Or.

Avec des ingrédients pareils, cepremier roman, on l’aura compris,ne tient que par l’écriture, le style,le panache. Chaque phrase tient unepromesse, qu’elle soit de légèreté,d’humour noir ou rose, de conni-vence, de clin d’œil. Bourré de blaguespotaches, de références lâchées dansun grand rire muet (la maison d’édi-tion créée par Odile et Walter s’ap-pelle buvard-et-ricochet), Pfff glisseaussi de petits signes discrets demélancolie. Mais si l’amour ne durepas, ou pas comme on l’avait rêvé,notre plaisir aura tenu bien plus que240 pages. Danielle Maurel

Hélène SturmPfffÉditions Joëlle Losfeld240 p., 18 €ISBN 978-2-0707-8890-3

livres & lectures /romans

Écrire justeDe formation littéraire, Hélène Sturma notamment travaillé comme rédac-trice pour Arte, enseigné en école d’art,

et beaucoup écrit. Elle publie chez JoëlleLosfeld un premier roman réjouissant.

On imagine en arrière-plan de ce premierroman une grande pratique d’écriture, etsurtout une délectation dans l’invention…Oui, j’éprouve beaucoup de plaisir à inventerdes vies. Cela renvoie par exemple à une pre-mière publication télévisuelle, aussi étrangeque cela paraisse. Au début des années 2000,Arte avait fait paraître en feuilleton sur sontélétexte une série de micro-fictions « Toutle monde s’en fout ». Deux personnages parsemaine, au final plus de 70 biographies ima-ginaires et chaque fois les mêmes séquences :la naissance, l’éducation, le premier amour,le travail et la mort. Le titre de l’épisode, c’étaitle prénom du personnage. Tout partait de là.C’est important le prénom, ça peut aider à vivreou presque vous condamner. D’où la propen-sion de mes personnages dans Pfff à changerd’identité. Changer pour se trouver…

Votre roman a tout d’une construction ludique,mais quelle en est la pièce maîtresse ?Ludique, mais pas forcément drôle à écrire !La première pièce du mécano, c’est Odile, ettout part d’une idée toute simple : elle a déjàchangé dès le premier paragraphe. Tout de suite

elle est ce vide qui faittourner la roue autourd’elle. Que va-t-il sepasser, qui va-t-ellerencontrer ? Après, c’estce qu’on appelle l’ima-gination, un person-nage en appelle unautre, etc. Mais leslieux aussi ont leurpoids dans cette his-toire, les deux bistrotsnotamment. J’aimeces lieux de passage,ces résidences momentanées, les terrasses, lescafés, je vois bien que des choses s’y trament…

La roue tourne en effet, le centre de gravité estinstable, les lignes des personnages bougent :qu’aviez-vous prévu de cette dérive narrative ? Je ne savais pas tout, loin de là. Je ne savais pasà quel point Walter, par exemple, deviendrait lepersonnage central du roman, ce Walter qui nefait la paire avec personne, toujours un peu isolé,si peu sûr de lui et tellement arrogant. Ce qui metouche chez lui, c’est son côté « je préfèrerais nepas », qui me ressemble tellement. Et aussi sonrapport hypocondriaque à la perfection, sa peurde ne pas être à la hauteur, de sentir mauvais.D’où les crevettes décortiquées, ce trivial qui m’in-téresse tant… Je ne savais pas tout cela, au début.Le cahier des charges des personnages nes’établit qu’à la fin. Mais à la fin, ce quicompte, c’est que le personnage sonne juste.

Votre roman est riche de références, certainesinsistantes, est-ce l’envie d’avancer en bonnecompagnie ?Cela fait sans doute partie de mes jeux, maiscertaines de ces figures tutélaires font partiede Walter, elles sont venues par le personnage.Beckett, Kafka, Flaubert, Godard… Ils sont enlui. Ils sont en moi aussi, mais je suis bien pluséclectique. Ayant beaucoup voyagé, j’ai beau-coup lu de tout, notamment du polar, ce goûtétant lié à quelque chose de l’ordre de l’énigme.Je voue une vénération à un auteur commeFrédéric Dard, tellement du côté des mots, etqui se donnait la liberté d’en rajouter une louche.Mais plus largement, j’aime la littérature qui medonne cette jouissance de la reconnaissance :quelque chose que je ne connaissais pas a sutrouver en moi un écho que je ne soupçonnaispas. Quant à celle que j’écris, je n’en attendsrien, je fais. Propos recueillis par D. M.

Hélène Sturm : le (premier) roman du plaisir

Feu d’artificeSi ce roman était un nom de cheval, personnene parierait un centime sur lui, et tout le mondeaurait tort. Si c’était un film, ce serait peut-êtrele Rivette de Va savoir ou un Godard, en pluspolisson. Si enfin le lecteur avoue avoir perduçà et là quelques boulons de ce mécano atypique,il lui sera beaucoup pardonné s’il reconnaîtin petto avoir beaucoup ri. Pfff…

entr

etie

n

© C

. Hel

ie /

Gal

limar

d

Page 8: livre et lire - n° 259 - février 2011

8

chanteur est finale-ment peu évoqué –embrasse en effettoute une époque,celles des années2000, à travers le par-cours d’un jeunehomme, Luc, étu-diant à temps partiel,qui pourrait être lehéros de Polichinelle, ou son frère.Fermement résolu à l’irrésolution, lejeune homme atterrit à Montpellierpour mener des études de cinéma,ou les oublier.Il est encore à l’âge où l’on chasse enmeute, même s’il se complaît à la soli-tude, ce qui ne va pas sans une cer-taine propension à l’onanisme, intel-lectuel ou non. Il fréquente aussiplusieurs bars – il faut bien quelquesendroits où s’amarrer lorsque l’on sedispense des cours… Et puis, surtout,il tombera amoureux de Maud, dansune lente et délicieuse chute, mêmesi celle-ci ne va pas sans secousses.Pour cerner son personnage, PierricBailly a choisi d’écrire en trois

Le deuxième roman de PierricBailly, Michael Jackson, se penchesur la jeunesse d’un héros à lafois banal et singulier. Une réus-site littéraire, entre roman deformation et roman d’amour.

On se souvient que Pierric Baillyavait situé son premier roman,Polichinelle, dans le véritable fou-toir d’une petite ville du Jura peufavorisée socialement. Là, une poi-gnée d’amis luttait contre un ennuirécurrent à coups de cachets, defumettes et d’alcool. La langue deBailly se mettait au diapason desoccupations de la bande : chao-tiques et désordonnées. Elle consti-tuait le principal atout d’un premierroman prometteur, mais dont onperdait parfois de vue le propos.Deux ans plus tard, l’écriture deBailly a gardé sa force de percussionmais gagné en maîtrise. Le projet,plus vaste, plus ambitieux, de cedeuxième roman y est sans doutepour quelque chose. MichaelJackson – titre facétieux puisque le

dimensions. Luc est en effet appré-hendé dans trois parties distinctes :la première est celle de la prime jeu-nesse et des découvertes que l’on faiten prenant la pose. Luc a 18 ans. Ladeuxième plonge au cœur de cettepériode où tout commence à se déci-der. Luc a 22 ans. Enfin, dans la troi-sième partie, la jeunesse devient unepeau dont il faut se dépouiller. Luc a26 ans. Il est à chaque fois le mêmeet à chaque fois un autre. D’ailleursles lecteurs doués de sagacité, ou

d’esprit mal placé, aurontnotamment remarquéque son regard sur lesseins de Maud se trans-forme, ceux-ci rapetissantselon les époques… Mais cela n’empêchenullement Luc d’être unobservateur drôle et pers-picace, non seulementde lui-même mais ausside ceux qui l’entourent,notamment un coupledont la réussite dans l’in-

dustrie du porno marque bien notreépoque. Pierric Bailly est lui-mêmeen train de boucler sa jeunesse, etdevient un écrivain. Nicolas Blondeau

Pierric Bailly Michael JacksonP.O.L416 p., 19,90 € ISBN 978-2-84682-303-6

profonde sur nos mœurs contem-poraines, comme si la pratique del’amour et de la cour était à elleseule un baromètre de nos socié-tés et du monde dans lequel on vit.Une ode à l’amour courtois, à la rela-tion humaine, à l’attrait des corpset des esprits, à une époque où toutest vitesse, y compris le langage etle voyage. Il semblerait qu’au tempsdes TGV et des téléphones portables,l’amour soit toujours aussi compli-qué. Et cela nous a tout l’air d’être unebonne nouvelle… Yann Nicol

Jean-PierreMartinLes LiaisonsferroviairesChamp Vallon215 p., 17 €ISBN 978-2-876-735446

Insaisissable Jean-Pierre Martin qui,après nous avoir donné un trèssérieux essai sur les vertus de l’apo-stasie, revient avec un court romanjubilatoire sur Les Liaisons ferro-viaires que nouent les passagersd’un train de Nice-Bruxelles. Un livreenlevé, pétillant d’intelligence etd’humour, où l’on voit défiler unegalerie de personnages hauts encouleur et finement tracés. Parmieux, une universitaire, un jeunesaxophoniste, une psychiatre esseu-lée, un sociologue venu d’Ardèche,mais aussi l’écrivain (Jean-PierreMartin lui-même ?), qui profite deson voyage pour écrire un romansur la séduction. «  En d’autrestermes, sur la drague. Ou encore,d’une certaine façon, sur l’amour.L’amour au sens très large du terme.L’attention à l’autre. La charité libi-dinale. » Léger, drôle, parfois vau-devillesque, ce roman évolue petità petit vers une interrogation plus

livres & lectures /romans

La collection Ekphrasis (du grecancien, « expliquer jusqu’au bout » ;à l’époque moderne, figure de style

désignant l’évocation d’un objet ou d’uneœuvre d’art) des éditions Invenit proposedes lectures de peintures remarquablesconservées dans les collections publiquesde la région Nord - Pas-de-Calais.Jean-Pierre Spilmont s’est vu confier le soind’écrire à propos de L’Excision de la pierrede folie, copie ancienne d’un original dis-paru de Pieter Bruegel l’Ancien (Musée-Hôtel Sandelin, Saint-Omer) et MichelMénaché à propos de La Tentation deSaint-Antoine, une copie d’après JérômeBosch (Musée des Augustins, Hazebrouck).Michel Ménaché raconte comment, aucamp de Dora, François Le Lionnais recons-tituait par le verbe des peintures célèbrespour un autre captif. Ici, auteurs et lecteurssont soutenus dans cet exercice par d’ex-cellentes reproductions de détails en regarddu texte et par une couverture à rabats oùfigure la peinture dans sa totalité.Le type d’approche de Ménaché et celui deSpilmont sont différents. Le premier recons-titue peu, renforce le titre du tableau parun autre titre, Le Moulin des tentations, quirappelle la présence d’un moulin desFlandres au fond du paysage. Il fait souf-fler dans l’esprit de son lecteur un grandvent de références disparates destinées àsouligner les énigmes de ce chef d’œuvreen forme de rébus. Aussi est-ce un oxy-more qui conclut son texte : le geste créa-teur jette une « obscure lumière ». Et legeste de l’auteur redouble celui du peintre.Le second fonde sa lecture de L’Excision…

– la représentation d’un autre Enfer, certesmoins secret et échevelé – sur l’histoiretempétueuse de la fin du Moyen Âge etsur la genèse du tableau, sans s’autori-ser à trancher : cette scène relève-t-ellede la médecine ? d’une supercherie ? dela sorcellerie ? de l’ésotérisme ? Mais savision d’un Bruegel humaniste, dénonçantce dont il a été témoin, le décervelagedu peuple par les Puissants, qu’ils soienthommes d’Église, juges ou magistrats,convainc.Deux titres qui incitent à aller découvrirles « à paraître » et les « déjà parus »de cette collection. Catherine Goffaux

Jean-PierreSpilmontL’Excision de la pierrede folieInvenitcollection « Ekphrasis » 33 p., 8 €ISBN 978-2-918-6980-36

MichelMénachéLe MoulindestentationsInvenitcollection « Ekphrasis » 34 p., 9 €ISBN 978-2-918-6980-98

Ceux qui aiment prendront le train

Pierric Bailly : un deuxième roman en trois dimensions

Michael Jackson juste

réci

ts En regardant, en écrivant

© H

élèn

e B

ambe

rger

/ P.

O.L

.

Page 9: livre et lire - n° 259 - février 2011

MOSQUITO

Masquesde CasiniAvec cet album polar, noiret nerveux, construit surdes flash-backs en noir etblanc, Stefano Casini nousentraîne dans les bas-fondsd’un gang ultra-violent des États-Unis, où un jeuneadolescent en rupture de ban tente de se faire une place.

56 p., 13 €ISBN 2-35283-060-5

livres & lectures /poésie

9

mêle prose et vers, chronologie écla-tée et repères précis, « équilibre etvrille », entraînant le lecteur-auteurdans un lacis de références tour à touréclairant et vertigineux. La notion delecture pure et simple se diffracte.On progresse en long, en large, parsaccades, en colonnes, par échelles deparoles, sur la piste, paradoxalementtrès libre, des règles et des codes. Lemiracle, c’est qu’en dépit d’une aussisavante décomposition, l’exerciced’admiration de JLB est communi-catif. La complexe machine à parolesnous transporte, entre exaltation ettrouble. Nous voici à notre tourenfants, toisant les arbres et la langue.Ou juchés sur la plus insolite des« machines à lire ». Et qu’importe lanature du déplacement. Et qu’importela forme de la roue. Ce qui compte ici,c’est le rayonnement d’un « territoiremultiple » qu’on atteint, selon lemot de Paul Otchakovsky-Laurens,dans sa préface, « par le seul mouve-ment d’une écriture-lecture, dansla lumière énigmatique d’une œuvremajeure ». Didier Pobel�

Au cœur (au moyeu ?) de cet ouvragebizarre d’ingénieur ès-Lettres, il y anéanmoins une scène fondamentale.L’éblouissement face à une forêt debouleaux un dimanche. « Toute labeauté du monde, et sa nudité verte,tremblaient dans la lumière ». Le nar-rateur – mais est-ce bien le terme ? –était alors enfant. Ce fut pour lui « unerévélation ». Un deuxième moment,plus décisif encore, a lieu le « lundi 9mars 81 ». Ce jour-là, rappelle Jean-Luc Bayard, « une lecture à Valence fixele début de ma relation amicale avecles livres de BN, son œuvre ».�BN ? Lesprénom et nom ne sont jamais men-tionnés ensemble au fil des pages. Leprocessus de reconnaissance est autre.C’est uniquement par les titres de seslivres, par des bris de biographie, pardes citations en abyme qu’on esthappé par l’univers que l’on saitêtre celui de Bernard Noël. Qu’on s’yfond ou qu’on s’y écorche. Qu’on y dis-paraît avant de resurgir. Déroutanteet passionnante démarche que cellede Jean-Luc Bayard qui, dans ce « livrehélicoïdal » qualifié d’« essai-poème »,

sont passées à la loupe parce « Juris’Expert ». L’ouvrageprésente le droit commundu travail et de la sécuritésociale, ainsi que les statutsparticuliers et les spécialitésconventionnelles desorganismes sans but lucratif(sport, animation, formation,spectacle vivant, etc.).

collection Le Juris’Expert1080 p., 64 €�ISBN 978-2-35-8 00012-3

PUG (PRESSESUNIVERSITAIRES DE GRENOBLE)

La Police et lesLyonnais au XIXe siècled’Alexandre Nugues-BourchatCet ouvrage, adapté d’untravail de thèse, étudie lesrapports de force qui ont puopposer les Lyonnais et lesreprésentants du pouvoir auXIXe siècle, à l’heure où l’Étattentait de lutter contre ledésordre urbain et d’acheverla normalisation de la société française.

collection La pierre et l’écrit512 p., 29 €ISBN 978-2-7061-1601-8

LES MOUTONSÉLECTRIQUES

Géographie deSherlock Holmesd’André-François Ruaudet Xavier MauméjeanLes deux spécialistes de Sherlock Holmesrécidivent. Avec cetouvrage rassemblant plus de 300 documents

(photographies, plans,gravures), ils nousemmènent sur les lieuxmythiques du célèbredétective anglais : de BakerStreet à la gare dePaddington, de l’East End à Hyde Park en passant parles landes de Dartmoor.

126 p., 23 €ISBN 978-2-36183-044-1

Jean-Luc Bayard : essai sur Bernard Noël en forme de poème

JLB/BN : un défi à lagravitation de la lecture Ceux qui aiment les livres qui tournent rond passeront leurchemin. Dès le titre, on le sait, Les Roues carrées, de Jean-LucBayard, défie la plus élémentaire loi de la gravitation.

JURIS ÉDITIONS

Droit social des associations et autres organismes sans but lucratif�Sous la directiond’Emmanuel DockèsParce qu’elles ne sont pasdes entreprises comme lesautres, les associations etles fondations employeurs

En toute libertéLa Rumeur du monde, Figures dutemps pour une eau courante, TerraNostra, Chants : relire simplementles titres des précédents recueilsd’Annie Salager, c’est déjà péné-trer dans celui-ci, le dernier,Travaux de lumière, tant elle estune poète fidèle à elle-même.Elle sait bien que ce peut être làthèmes banals : « Ce n’est rien /c’est la mer / on connaît ». Elle saitbien que « Gaïa n’est pas contente »,que les humains sont « obtus à lachaîne du vivant ». Alors elle res-taure, elle rénove (« neuf », « nou-veau », «  renaissant » sont desmots qui reviennent constam-ment), elle éclaire (« le lumineux »,« lumière » en sont d’autres), parceque « l’instant du vivre / tient enhaleine ».

Jean-Luc Bayard�Les Roues carréesYpsilon, « Fragile »123 p., 15 € 

Nourrie de Notes de chevet, de pen-sée chinoise, de pensée franciscaine,elle opte pour la brièveté (du vers, dela strophe, dans les morceaux deprose) et pour un vers libre très libéré.C’est la constance de sa recherche quiautorise l’appellation de Travaux. Brodsky écrit que « la seule véritablebiographie d’un poète est dans sesvoyelles et ses sifflantes… et ses méta-phores. » Annie Salager ne parvien-dra jamais à être une femme-oiseau,mais après nous avoir fait regarderle monde avec l’œil du pigeon, elle nous le montre avec celui du

martinet. C. G.

Annie SalagerTravaux delumièreLa Rumeur libre104 p., 13 €ISBN 978-2-35577-017-3

nouveautés des éditeurs

© C

.Nis

ki

Page 10: livre et lire - n° 259 - février 2011

PRESSES DE L’ENSSIB

Communiquer ! Les bibliothécaires, les décideurs et les journalistessous la direction de Jean-Philippe AccartComme le titre l’indique, la communication estdevenue un enjeu« impératif » pour les bibliothèques. Proposant des conseilsméthodologiques illustrésd’exemples, cet ouvrage se veut une véritable boîte à outils pour apprendre à communiquer en direction des élus, des décideurs mais aussides journalistes.

176 p., 22 €ISBN 978-2-910227-84-5

LA FONTAINE DE SILOÉ

Haute-Savoie baroquecollectifExiste-t-il un baroquehaut-savoyard ? Cet ouvrage richementillustré répond parl’affirmative en présentantplus de cent églises,abbayes, monastères,chapelles, oratoires et lieux saints, où l’on peutdécouvrir les ornements du flamboyant baroque.

318 p., 39,90 € / 50 €ISBN 978-2-8420-6489-1

PRÉ#CARRÉ

Boston, cape cod, new Yorkd’Emmanuel MerleLe Carré 67 est arrivé !Ce petit livret, cousumain, composé de textesdu poète EmmanuelMerle (Prix Rhône-Alpesdu livre 2008), vientenrichir la belle collectiondu Pré#Carré.

ISBN 978-2-915773-46-0

CRÉAPHIS ÉDITIONS

Africained’André Lejarre etBoubacar Boris DiopLoin des imagespittoresques d’uneAfrique enfermée dans la tradition ou

en proie à la violence, la soixantaine dephotographies réunies ici et le texte du SénégalaisBoubacar Boris Diop nous donnent à voir le(s) visage(s) ordinaire(s) de Ndioum, village du Sahel au borddu fleuve Sénégal.

100 p., 25 €ISBN 978-2-3542-8038-3

PRESSES UNIVERSITAIRESDE LYON

Autofiction(s)Colloque de Cerisy-la-Sallesous la direction de Claude Burgelin, IsabelleGrell et Roger-Yves RocheCe volume reprend etrecompose les contributionset les débats du célèbrerendez-vous estival de Cerisy-la-Salle. À travers cet ouvrage,des analyses des pratiques del’écriture de soi, du NouveauRoman à l’Oulipo, deMarguerite Duras à Modiano,mais aussi des voixcontemporaines, révèlent la richesse d’un genre qui s’écrit au pluriel.

536 p., 25 €ISBN 978-2-7297-0834-4

10

regard /

Chaque mois, retrouvez Géraldine Kosiak, en texte et en image, pour un regard singulier, graphique, tendre et impertinent sur l'univers des livres, des lectures et des écrivains...

Au travailL’instinct paternelOn souhaite toujours le meilleur pour l’avenirde ses enfants, mais il est assez rare de trouverdes parents rêvant que leur progéniture nedevienne écrivain. Si, à notre époque, la respectabilité et la considéra-tion au sein de la société ne passent que par un tra-vail évoquant puissance et argent, il en est déjà demême en 1800 et bien avant ; beaucoup de parents,surtout bourgeois et aristocrates, ne considéraient pasla littérature comme une activité digne de ce nom. En 1825, Pierre Verne fait partie de ce milieu bour-geois, fils de magistrat, acquéreur d’une étuded’avoué à Nantes. Personnage austèreet profondément croyant, ilentend que ses fils, Jules etPaul, fassent honneur à leurnom en embrassant descarrières irréprochableset utiles.C’est seulement en 1852 quePierre comprend que rien ne ferarevenir son fils Jules sur sa décision.À vingt-quatre ans, alors qu’il est à Paris pour achever ses études dedroit, Jules refuse définitivement de reprendre la charge paternelle.Il assiste à des soirées mondaines parisiennes, où il noue des « relationslittéraires » et tente déjà de rassurer son père dans sa lettre de mars 1951 :

« Mon but est degagner de l’argent,

et non pas de mecréer un autre

avenir… »Pendant

plusieursa n n é e s ,

Pierre Verneaide et attend.

Il aimerait voirson fils gagner de

quoi vivre de sesécrits plutôt que

de miser surson soutien

financier. Son vœu seréalise à partirdu début desannées 1860,lorsque lagloire surgitavec la publi-cation des

trois premierssuccès de Jules

Verne, Cinq semainesen ballon, Voyage au centre

de la terre et De la terre à la Lune.À regarder la carrière de Jules, on se dit que les enfants

ont parfois bien raison de ne pas écouter les conseils de leurs parents.

Anne Boquel et Étienne KernUne histoire des parents d’écrivainsFlammarion

chronique Géraldine Kosiak 19 /

JACQUES ANDRÉ ÉDITEUR

Un éléphant dans la poussièrede Jean-François BraunDans ce thriller, l’auteur racontequelques pages parmi les plustroubles de l’histoire russe, dont il est un spécialiste.

324 p., 22 €ISBN : 978-2-7570-0194-3

Page 11: livre et lire - n° 259 - février 2011

11

REVUES

GLÉNAT

L’Alpe n°51Ce numéro hivernal de larevue trimestrielle L’Alpeconsacre un dossier à...l’hiver, bien sûr ! Au sommaire, des articles et des témoignages sur cequ’a été hier et ce qu’estaujourd’hui l’hiver pour leshabitants des Alpes. Le toutillustré d’une très belleiconographie en partie tiréedes collections du muséeDauphinois de Grenoble.

98 p., 15 €ISSN 1626-7397

ÉDITIONS DES CAHIERSINTEMPESTIFS

Les Cahiers intempestifsn°25 Made in Britain n°26 English spoken hereCes vingt-cinquième et vingt-sixième cahiers offrent leurspages à la jeune générationd’artistes anglais qui révèleles tendances d’un artsingulier papillonnantentre histoire naturelleet géographie.

56 p., 53 €ISSN 1250-5013

HumanismeUn prolétariat rêvé. Un beau livre de photogra-phies de Jean-Claude Seine sur la classe ouvrière.Pour mieux se souvenir des luttes d’hier et detoujours.

Qui a dit que la photographie n’était pas un art, toutjuste un succédané d’image pour un ersatz d’époque ?Personne. Et surtout pas Jean-Claude Seine, qui nousmontre en quelque quatre-vingt clichés le mondeouvrier tel qu’il l’a vu, vécu pourrait-on dire. Annéessoixante-dix. Images douces d’un monde dur. Annéesd’hier et de toujours.Collaborateur de journaux tels que L’Humanité, Le Matinde Paris, France Nouvelle, Jean-Claude Seine a su sai-sir les paysages d’usines dans leur beauté de désola-tion simple, les visages qui s’offrent et les mains quisouffrent, les corps qui luttent presque contre eux-mêmes. Ce qu’on appelle le poids de la vie. Il y a dansces images quelque chose de touchant qui rappellebien sûr les photographies humanistes des plus grands(on pense au monde du travail photographié par Kollardans les années trente), et qui nous fait éprouver deprès les luttes, les joies ou les renoncements d’ungroupe d’ouvriers qui manifestent – Tous ensemble ! –ou d’un couple qui se retrouve après une journéede labeur – tout ensemble… Le noir et blanc, legris aussi, leur vont si bien. Un beau texte de Lionel Bourg accompagne les pho-tos de Jean-Claude Seine et raconte avec justesse com-ment l’écrivain fut enfant de ce monde. Puis ne le futplus. Puis encore. Elles sont toujours là ces « annéesrudes. Éclatantes. Douloureuses. Irrévocables. » Commele jour se lève tous les jours. Comme un dur rêveéveillé qui dure. Roger-Yves Roche

d’assurance maladie (mai 2008-août 2010).Soit 828 jours d’occupation, 24 nationalités,3 000 personnes concernées, de très près etjamais de trop loin. Certains ont été régula-

risés, d’autres non. Ils attendent. On espère.Et voici le résultat si l’on peut dire : un vivantjournal ou album de bord, qui raconte en 328dessins sépia de Laura Genz le dessein des SansPapiers. Un vrai livre d’histoire qui se décline auprésent, avance au jour le jour, avec ses attentes,ses peines, ses espoirs et chagrins. De petits textesexplicatifs augmentent le volume des images,leur donnent ici une teinte plus festive, là unecoloration plus déceptive. Exposés à la Biennale d’art contemporain de Lyonde 2009, les dessins de Laura Genz ont la fran-

chise de la photographiesans en avoir la gênanteexactitude. Le trait mou-vant, la distance émou-vante. On sent qu’elle estavec ces visages, qu’elleaime ces corps qui se fon-dent dans les décors succes-sifs. Mais jamais ne dispa-raissent. Et même si un jour de 2010le dernier jour se lève, lerêve éveillé dure. Dur rêvede régularisation pour tous.Tous sans exception : « Çay est. C’est fini. Rendez-vousmercredi prochain… ».R.-Y. R.

images /

HumanitéHier colonisés Aujourd’hui exploités Demainrégularisés… Un beau livre de dessins deLaura Genz sur les Sans Papiers. Pourmieux se souvenir d’une lutte d’hier etde tous les jours.

Qui a dit que l’art ne servait à rien, à peine àremplir les dimanches de nos vies, et encore ?Personne. Et surtout pas lesauteurs de Hier colonisés…,et moins encore ceux quien furent les premiers lec-teurs, les acteurs, à cœur età ciel ouvert, dedans etdehors. Car ils ont d’abordacheté un mouton avec lespremiers dessins vendus.Puis du riz, quantité de riz.Et pour un peu, leur libertétout entière.Bref rappel des faits : pourobtenir leur régularisation,les Sans Papiers travailleursisolés de la Coordination 75occupent une annexe de laBourse du travail à Paris,puis des locaux désaffectésde la Caisse primaire

Un prolétariat rêvéPhotographies deJean-Claude SeineTextes de LionelBourg et MichelOnfrayLa Passe du vent125 p., 20 € ISBN 978-2-84562-170-1

Sélection des nouveautés deséditeurs de Rhône-Alpes réalisée par Marie-Hélène Boulanger

1er octobre 2008. Les Convocations. 153e jour de l’occupation.

21 mars 2009. Le petit chemin à travers la mer.313e jour de l’occupation.

© L

aura

Gen

z / F

age

Édit

ion

s

© L

aura

Gen

z / F

age

Édit

ion

Jea

n-C

lau

de S

ein

e / L

a Pa

sse

du v

ent

© J

ean

-Cla

ude

Sei

ne

/ La

Pass

e du

ven

t

© J

ean

-Cla

ude

Sei

ne

/ La

Pass

e du

ven

t

Hier colonisésAujourd’hui exploitésDemain régularisés Dessins de Laura GenzTextes de Mamadou Diallo etVazoumana FofanaFage Éditions366 p., 28 €ISBN 978-2-84975-215-9

Page 12: livre et lire - n° 259 - février 2011

12

Avant d’être le titre d’un futur récit de voyage deJean-Yves Loude, à écrire puis à paraître aux édi-tions Actes Sud, Pépites brésiliennes fut le nomde code de son expédition au Brésil : trois moisde nomadisme acharné, doublé d’une résidenced’auteur dans ce pays démesuré : du 7 septembre au7 décembre 2010, de Rio de Janeiro à São Luis doMaranhão. Une aventure de quatre mille kilomètresen bus pour une récolte d’informations et des ren-contres littéraires tout au long du parcours, dansdes universités et alliances françaises. Un projetsoutenu par la Région Rhône-Alpes et le Bureaudu livre français de Rio de Janeiro.

Personne ne pourra nous reprocher de manquer desuite dans les idées. Depuis vingt ans, ma compagne,Viviane Lièvre, ethnologue connue au sud du Saharasous le nom de Leuk, et moi-même, surnomméMonsieur Lion dans la brousse sahélienne, nous par-courons les pistes chaotiques et épineuses d’une Afriqueà la mémoire rongée par les termites de l’Histoire offi-cielle. Nous cherchons à approcher puis à raconter lesmodes de résistance éloquents de peuples bâillonnéspar la volonté ou l’indifférence de dominants venusd’ailleurs : des savanes de l’oralité malienne aux vaguesmélodiques du Cap-Vert, des quartiers noirs de Lisbonneaux rivages de São Tomé et Príncipe. De cette bour-lingue littéraire est née une série de quatre livres, touspubliés chez Actes Sud, dont le mot-clé serait« enquête », terme en usage aussi bien dans les terri-toires des sciences humaines que dans les bas-fondsdes romans policiers. Il était à prévoir que la suite desaventures de Leuk et Lion se déroulerait au Brésil, paysmarqué par la négritude, puisqu’en nombre, il est lesecond pays « noir » au monde (après le Nigeria) enraison d’un afflux constant d’esclaves entre le XVIe etle XIXe siècle, soit quatre millions cinq cent mille dépor-tés, arrivés après un voyage atlantique sans retour.D’autres, presqu’autant, perdus en route, eurent pourlinceul l’écume des vagues.Cette nouvelle enquête s’inspire des expéditions menéesau XIXe siècle par des savants et des artistes pour repous-ser les limites de l’inconnu et recenser les ressourcesfabuleuses du Brésil. Nous avons voulu conduire, à nousdeux, notre propre expédition en quête de « pépites ».Quelles pépites ? On sait que le Brésil subit par le passéune ruée vers l’or, mais aujourd’hui, on peut penserque les paillettes précieuses seraient plutôt à extrairede l’imaginaire de cette société métisse et notammentdes expressions afro-brésiliennes. Ainsi, nous sommesdevenus chercheurs d’or suivant le filon de la présencenoire, de Rio à São Luis, en passant par le Minas Geraisbaroque, Salvador, Aracaju, Recife, les états du Nordeste,Pernambouc, Ceara, Piaui, pour atteindre enfin leMaranhão, près de l’Amazonie.

musicale de Recife… Tous partagentle feu de la résistance, force clandes-tine qui nourrit l’ardente vitalité duBrésil contemporain. Les figuresmodernes, croisées en route, perpé-tuent cette posture : éditrices, « mèresde saints », femmes en lutte pour lareconnaissance de la terre des descen-dants d’anciens nègres marrons, oupour l’application de la loi qui rendobligatoire l’enseignement de l’his-toire de l’Afrique et des Afro-Brésiliens. Partout, grâce à la nature de cette rési-dence, j’ai pu célébrer avec un égalbonheur le principe d’échange desavoirs, troquant des conférences sur« le parcours africain d’un écrivainfrançais en route vers le Brésil » contrehébergement et connaissances. Untotal de 25 rencontres offertes contreune calebasse pleine à ras bord de des-tins brillants à traduire en récit, patiem-ment durant toute l’année à venir.Jean-Yves Loude

Une chose est certaine,le Brésil souffre de la per-sistance de préjugés col-lés à son nom, imagesfutiles fabriquées par le cinéma etl’industrie touristique. Cette réduc-tion permanente irrite les espritsqui refusent de voir le génie plu-riel du pays, en perpétuelle créa-tion, défini par les seules évoca-tions du carnaval, de Copacabana,du foot et des feuilletons télévisés.De fait, dissimulés par ces écransgéants, survit au Brésil une infinitéde talents populaires, contenusdans le mot figuras. Nous sommes donc allés débusquerderrière le décor des clichés ces personnalités peu visibles.Nos « figures » noires résident dans les zones portuaires,les favelas, les anciens refuges d’esclaves fugitifs, quilom-bos, les confréries religieuses du Rosaire… Elles ont puhanter les asiles, les prisons, la bohême ou les lieux dedévotion populaire en marge de la foi officielle. La première pépite, qui mérite à elle seule une traverséeatlantique, dort dans un musée de Rio et se nomme Luzia.Elle est morte âgée de vingt-cinq ans, il y a plus de dixmillénaires. L’image de son crâne reconstitué a fait le tourdu monde en créant sensation : la plus vieille ancêtreconnue des Amériques, arrachée au sol du Minas Gerais,présente des caractères négroïdes, tout comme la cen-taine de chasseurs cueilleurs trouvés à ses côtés ! À Rio,dès la première heure, le voyage commence par un coupde gong : une femme haute d’un mètre cinquante remeten cause les théories ancrées du peuplement desAmériques par le détroit de Béring.Ensuite, il n’y eut plus de cesse à la récolte. Voici des bribesd’inventaire. Vous trouverez le souvenir de pépites morteset vivantes. Zumbi, roi éphémère d’une enclave d’esclavesfugitifs ; João Candido Felizberto, l’Amiral Noir, chef de larévolte des marins de 1909 ; Santa Anastacia, princesserebelle à la peau sombre et à la bouche muselée par unmasque de fer ; Artur Bispo do Rosario, pauvre, nègre etfou, aujourd’hui reconnu comme un géant de l’art brut ;Chico Rey, captif d’origine royale devenu propriétaire demines ; Xica da Silva, créole adorée d’un intendant portu-gais ; Aleijadinho, fils d’esclave considéré comme le MichelAnge du Minas Gérais tout comme Lobo de Mesquita,appelé le Mozart noir ; Beato José Lourenço, charisma-tique meneur d’une communauté autarcique de paysansaffamés, massacrés par l’armée de la République jusqu’audernier ; Maria Firmina dos Reis, mulâtresse bâtarde, auteurdu premier roman abolitionniste du Brésil ; Negro Cosme,empereur autoproclamé des victimes de l’esclavage ; ChicoScience, regretté créateur du Manguebeat, la furie

À la recherche de la présence noire : une enquête au Brésil de Jean-Yves Loude

Pépites brésiliennes

Livre & Lire : journal mensuel, supplément régional à LivresHebdo et Livres de France, publié par l'Agence Rhône-Alpespour le livre et la documentation.

nous écrire > > > > [email protected]

Directeur de la publication : Geneviève Dalbin

Rédacteur en chef : Laurent Bonzon

Assistante de rédaction : Fabienne Hyvert

Ont participé à ce numéro : Marie-Hélène Boulanger,Claude Burgelin, AntoineFauchié, Catherine Goffaux,Charles Juliet, GéraldineKosiak, Jean-YvesLoude,Danielle Maurel, Yann Nicol, Didier Pobel,Vincent Raymond, Roger-Yves Roche.

Livre & Lire / Arald 25, rue Chazière - 69004 Lyon tél. 04 78 39 58 87 fax 04 78 39 57 46 mél. [email protected] www.arald.org

Siège social / Arald1, rue Jean-Jaurès - 74000 Annecy tél. 04 50 51 64 63 - fax 04 50 51 82 05

Conception : PerluetteImpression : ImprimerieFerréol (Imprim'Vert). Livre & Lire est imprimé sur papier 100% recyclé avec des encres végétales

ISSN 1626-1331

correspondance /

Phot

ogra

phie

s ©

Viv

ian

e Li

èvre