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L'ÎLE D'YEU

1785 - 1795

AU LARGE DE LA GUERRE

DE VENDÉE

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DU MÊME AUTEUR

L'Ile d'Yeu, Ouest-France, 1978. Des marins au siècle du Roi-Soleil, Yves Salmon, Janzé, 1982. La Dame du grand mât, une cap-hornière en 1900, Salmon, Château-

giron, 1983. Aimer l'île d'Yeu, Ouest-France, 1991.

EN COLLABORATION Chrétiens dans l'histoire du pays nantais, ADER, Nantes, 1984-88. L'Ile d'Yeu, Images du Patrimoine, Inventaire général, 1988. La Vendée maritime, Guides Gallimard, Paris, 1994.

SILOË ÉDITEUR

22, rue du Jeu-de-Paume 53000 LAVAL

25, rue des Carmélites 44000 NANTES

En couverture : Maison Cadou où séjourna le comte d'Artois Dessin J.-Ch. Lerouge - Ateliers Kerdoré

© Siloë, 1995 ISBN 2-908924-86-2

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JEAN-FRANÇOIS HENRY

L ' Î L E

D'YEU 1785 - 1795

AU LARGE DE LA GUERRE

DE VENDÉE

SILOË

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A ma mère

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AVANT-PROPOS

L'île d'Yeu n'a certes pas joué un rôle capital dans l'histoire de la Révolution dans l'Ouest de la France ; seuls deux événements ont le plus souvent retenu l'attention des historiens : la révolte des femmes et le séjour du comte d'Artois.

Pourtant, cette histoire mérite qu'on s'y attarde plus longtemps car elle se déroule sur un rythme différent et s'articule sur une chronolo- gie bien particulière. C'est ainsi que la date cardinale de son histoire ne se situe pas en 1789 avec l'abolition des privilèges mais en 1785 avec la fin de ses propres privilèges, ceux que lui octroyait son statut d'île de mer.

De même, le signal de la révolte ne fut pas donné en 1793 mais en 1792 quand les femmes du bourg de Saint-Sauveur principalement se rendirent à Port-Breton pour faire du tapage et renverser la Chambre municipale. Elles voulaient le retour de l' Ancien Régime mais cet ancien régime n'avait rien à voir avec celui des partisans du roi, c'était celui de leurs privilèges, ceux d'avant 1785. Certains historiens ont cru voir dans cette révolte une avant-première des soulèvements de l'Ouest, alors qu'elle n'était qu'une émotion populaire si fréquente aux XVII et XVIII siècles.

Tandis que l'île de Noirmoutier, sa voisine, était plusieurs fois l'enjeu des rivalités qui déchiraient Blancs et Bleus, l'île d'Yeu, trop éloignée en mer, semblait oubliée... et si elle fut sommée une fois de se rendre, la sommation fut adressée par le bateau postal.

L'île d'Yeu eut droit cependant à sa fureur révolutionnaire ; ici autant qu'ailleurs on se déchira, s'invectiva mais jamais le sang ne coula.

Enfin, quand tout semblait fini, quand le désastre de Quiberon sonna le glas du soulèvement de l'Ouest, elle fut le théâtre d'une bien curieuse occupation anglo-française et parut comme un dernier sursaut mais, une nouvelle fois, à contretemps de l'Histoire, comme si l'île d'Yeu, la lointaine, demeurait toujours au large de la guerre de Vendée.

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PRÉFACE

L'île Dieu, ainsi l'écrivait-on au XVIII siècle, est-elle en Vendée ce pays fragmenté entre bocage, plaine, marais et côte ? Nul doute pour- tant, à la lecture du livre de Jean-François Henry qui permet de la rat- tacher solidement au continent, plus facilement que toutes les liaisons maritimes, longtemps périlleuses et aujourd'hui encore longues. Cer- tes, on reconnaîtra l'ombre tutélaire de saint Louis-Marie Grignion de Montfort, venu missionner lui-même l'île; on notera aussi le soulève- ment populaire du mois de janvier 1792, et la façon dont il renversa le pouvoir local tout en refusant de le prendre, en en appelant à l'Assem- blée nationale. Ce soulèvement, composé essentiellement de femmes et mené par elles, témoignait avant tout de leur importance dans la vie quotidienne. La plupart des hommes étaient en effet retenus sur l'océan, auquel ils avaient payé un lourd tribut, tout particulièrement au cours de ce siècle. Une garnison, venue ensuite surveiller les islai- ses, les tint sages pendant l'embrasement de la Vendée et jusqu'à l'arri- vée des Anglais et des émigrés qui, prudemment, ne poussèrent pas au-delà de cet avant-poste maritime leur audace contre-révolutionnaire.

A vrai dire, l'un des caractères les plus vendéens de l'île est sans doute l'outrance révolutionnaire des « bourgeois », aussi provocateurs que minoritaires, aussi idéologues que bientôt terroristes. L'île d'Yeu — rejetons désormais tout « fanatisme » toponymique — s'offre alors à nous comme un morceau arraché à la Vendée pour le bonheur de cette étude. L'échantillon, détaché du continent, semble à première vue affadi par l'éloignement de sa matrice : il n'y a pas assez d'hommes pour activer le soulèvement, pas de guillotine non plus ni de colonnes infernales pour assouvir les instincts terroristes. Cependant, l'île est comme une cellule simple, avec son unique administration municipale et son juge de paix ; leurs pouvoirs étaient d'autant plus étendus que la mer séparait les magistrats municipaux de leurs autorités de tutelle et les livrait à la crainte des ennemis extérieurs. Du coup, loin d'être

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assoupi, le comportement des marins islais les plus aisés se révèle à nos yeux étonnamment en phase avec celui des bourgeois de la région, prêts à faire s'emballer la Révolution en marche.

N'était-ce que « l'effervescence des idées nouvelles mal connues » auxquelles une supplique d'aristocrate voulait faire semblant de croire ? En effet, ils accaparèrent les fonctions électives et poussèrent à la roue, au cours de cette année 1791 qui révéla le maximalisme de toute la Ven- dée patriote. L'expulsion (illégale) du gouverneur militaire encore en place, mais qui fut toujours « sans citadelle, sans fort, sans garnison ! », était une victoire éclatante sur le représentant, au demeurant passa- blement corrompu, de l'Ancien Régime. Mais quant à elle, l'expul- sion du vicaire réfractaire tenait avant tout à l'horreur de ce qu'il repré- sentait et à sa popularité. Pendant ce temps à Paris, la tension entre le roi et les députés montait, sa fuite à Varennes accroissant le trou- ble, et la guerre menaçait tandis que les patriotes islais, tournant le dos à l'océan pour mieux le scruter dans le courrier venu des Sables ou peut-être dans leurs gazettes, se déclaraient de bonne foi « bien infor- més que les vaisseaux chargés de mécontents couraient la mer ». Ce même été aussi l'église était occupée chaque dimanche après vêpres par le plus actif des patriotes, chargé par la municipalité de faire l'instruc- tion civique de la population et de lui lire un journal dans le ton.

Chassin, le grand érudit républicain de la Vendée, marqué par ses origines islaises, l'a établi le premier : sur l'île d'Yeu comme en Ven- dée, l'année 1791 a libéré l'appétit de domination de tout un parti éclairé, enivré par l'effondrement rapide de l'Ancien Régime et la relativité soudaine de toutes les valeurs établies. L'éloignement de l'île-commune permit de poursuivre, sur la lancée, le programme révolutionnaire de ses maîtres, avec une régularité et une exactitude d'exécution qui traduit leur étroite dépendance vis-à-vis de l'influence nationale. Déchristia- nisation, fêtes révolutionnaires, société populaire, comité de surveil- lance et chasse aux suspects : l'effet de loupe que produit l'insularité permet de décliner toute la vie de la Révolution au village.

Thierry HECKMANN Directeur des Archives départementales de la Vendée

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LA FIN DE L'ANCIENNE COUTUME

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1. LA DERNIÈRE ASSEMBLÉE...

Le dimanche 12 décembre 1784, tandis que messire Jacques Hillai- ret, vicaire de la paroisse Saint-Sauveur de l'île d'Yeu, achevait les der- nières prières de la grand-messe, l'un des sacristains, Jean-Baptiste Girard, ou Prosper Billet, par trois fois tira et sonna la cloche pour inviter les habitants à s'assembler sous le ballet de la grande porte et principale entrée de l'église.

Jacques-Alexis de Verteuil, chevalier de l'ordre royal militaire de Saint-Louis, seigneur de Champ-Blanc, l'Angebertrie et autres lieux, gouverneur et commandant de l'île, quitta son banc situé dans le chœur devant l'autel, accompagné très certainement de son épouse, dame Marie-Josèphe Dupont de Gourville, et de leurs enfants. Autour du gouverneur, représentant le seigneur, Victurnien de Rochechouart, pair de France, duc de Mortemart, se regroupèrent les membres de la sei- gneurie, maître Jean Dumonté, procureur fiscal, et Jacques Rabalan, receveur des droits, et les deux notaires, Pierre Lecomte et Jacques Baud, qui s'apprêtaient à consigner les propos des uns et des autres afin de rédiger en bonne et due forme la délibération qui allait être prise. Puis arriva messire Amable Cadou, très digne prêtre, curé de cette paroisse, et enfin messire Jean Texier de la Pommeraye, officier des Classes de la Marine. Ils furent suivis des dix derniers marguilliers de la paroisse, les fabriqueurs comme l'on disait alors : les sieurs Jean Fontaine, André Saillant, Honoré Auger, Jean David, Jean-Pierre Orsonneau, Pierre Cadou, Jacques Auger, Jean Micheau le jeune, Jean Moizeau et Etienne Poiraud. A ces bourgeois et manants et principaux

1. Sorte de petit auvent. 2. Et. Not. Minute Lecomte, assemblée des habitants, 12 décembre 1784.

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habitants de l'île se joignit Pierre Moizeau, ancien capitaine de navire. Toutes ces personnes étaient donc assemblées à la demande de Tho- mas Drouillard qui était le marguillier en charge cette année-là. Il était confronté à des difficultés importantes concernant l'approvisionnement de l'île et souhaitait obtenir l'avis de l'assemblée des habitants.

En effet, la situation était préoccupante. La récolte de l'été dernier n'avait pas été bonne et les grains commençaient déjà à manquer en cette fin de l'automne. Thomas Drouillard considéra qu'il était indis- pensable pour éviter la famine, dont on est journellement menacé par les cris publics, d'envoyer incessamment dans le premier port conve- nable de la grande terre un navire pour s'approvisionner. La menace était sérieuse et les notables, d'une voix unanime, autorisèrent Tho- mas Drouillard à puiser dans la caisse de la Société du général de la paroisse les sommes nécessaires pour l'achat et le transport des indis- pensables denrées.

Puis chacun s'en retourna chez lui. De Verteuil et sa famille dans leur maison, dont le jardin jouxtait le cimetière ; messire Amable Cadou retrouva à la cure ses vicaires et nos bourgeois, anciens capitaines deve- nus armateurs, prolongèrent très certainement la discussion dans les cabarets du bourg de Saint-Sauveur, chez la veuve Peltier ou la veuve Baraud, puis s'en retournèrent sans doute après vêpres dans leurs demeures de Port-Breton.

Cette assemblée des habitants de la fin de l'année 1784 était à la fois anodine et exceptionnelle. Anodine dans son déroulement et dans son objet. Avec ses rites quasi immuables, avec son gouverneur, son curé et son commissaire aux Classes de la Marine. Chacun représentant des pouvoirs bien distincts... du moins en théorie. A la fin du XVIII siè- cle, le gouverneur de l'île d'Yeu cumulait les fonctions de sénéchal du seigneur et de commandant militaire pour le roi. Au nom de Rochechouart-Mortemart, il administrait le domaine et les biens, pré- levait les droits seigneuriaux et faisait régner la justice et l'ordre. Au nom du roi Louis XVI, il assurait la sécurité matérielle des habitants et ce n'était pas une tâche facile dans cette petite partie du royaume de France trop souvent infestée de corsaires ennemis

Le curé de l'unique paroisse Saint-Sauveur veillait naturellement sur le salut spirituel de ses ouailles, mais il n'en ignorait pas pour autant

3. Jean-François Henry, Des marins au siècle du Roi-Soleil, Salmon, 1982, p. 28.

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leurs préoccupations matérielles. Avec les régents, il assurait l'instruction qui était indispensable pour les marins et pour les futurs maîtres au cabotage et capitaines au long cours nombreux dans l'île. Et, avec les sœurs de la Charité et les marguilliers, il portait assistance aux misé- reux, les Pauvres Honteux qui, depuis la fondation de son vénérable prédécesseur, messire Louis Angot, venaient régulièrement réciter le chapelet dans l'église

Enfin, l'officier des Classes de la Marine, depuis la création de l'Ins- cription maritime par Colbert établissait scrupuleusement les rôles et appelait à leur tour les gens de mer : matelots, officiers mariniers mais aussi voiliers, calfats, charpentiers, etc., pour aller tous les trois ans servir le roi sur ses vaisseaux. Et puis les notables, tous ou presque anciens marins. Ils avaient, tout au long de leur carrière, souvent mou- vementée, franchi mers et océans, doublé les caps et échappé aux cor- saires. Ils avaient renoncé à la navigation et vivaient du négoce. Leur fortune était à l'échelle de l'île, mais certains avaient du bien qui garan- tissait la responsabilité pécuniaire de leur gestion.

Cette assemblée était aussi effectivement anodine par son objet car il n'était pas rare de voir l'île d'Yeu confrontée à ces problèmes de production agricole. Les différents grains que l'on y recueille peuvent à peine suffire à la nourriture des habitants pendant trois à quatre mois, assurait le chevalier Isle dans ses Observations générales sur l'Isle d'Yeu. Il fallait donc régulièrement tirer du continent les produits nécessaires à l'alimentation des insulaires.

Et si l'on s'arrêtait seulement à la lecture du compte rendu de cette assemblée, on pourrait se laisser aller à croire qu'elle parlait toujours d'une voix unanime, un peu à la façon des sages délibérant de la chose publique dans la pure tradition d'une antiquité mythique. Quand, en plus, cette assemblée décide de son avenir dans le cimetière, le champ des morts, cela donne à l'événement une dimension quasi intemporelle... Pourtant, ce texte ressemble un peu à une belle photographie de famille où chacun souhaite s'immobiliser dans une pose digne et respectable. On entend, certes, la cloche de l'église qui invite au rassemblement, mais on oublie les caquètements des poules du gouverneur qui,

4. Le 22 octobre 1668. 5. Le 22 septembre 1668. 6. A.N. Marine G. 140. 20 janvier 1788.

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profitant de la proximité de son jardin, allaient picorer dans le cime- tière. Ce sont ces intempestives divagations qui serviront de prétexte au déclenchement des événements révolutionnaires quelques années plus tard. Quant à la voix unanime réclamant du grain pour lutter contre la famine, elle couvre les violentes disputes qui déchiraient la commu- nauté à propos de la contrebande du tabac et mettaient en évidence des hostilités farouches.

Car ils sont tous là, ou presque, ceux qui deviendront les principaux acteurs de la Révolution à l'île d'Yeu : Alexis de Verteuil, le gouver- neur, et son mépris aristocratique ; Amable Cadou, le curé, très digne prêtre en 1784, et qui profanera l'église de ses ancêtres ; Texier, le com- missaire aux Classes de la Marine, qui voudra oublier qu'il s'appelait de La Pommeraye ; et tous les marguilliers qui, tout naturellement, deviendront officiers municipaux.

Ainsi donc déjà, en 1784, l'île d'Yeu s'agite non parce que la Révo- lution est plus précoce ici qu'ailleurs, mais tout simplement parce qu'elle va changer de statut. Cette assemblée était donc exceptionnelle car c'était la dernière de l'ancienne coutume de l'île d'Yeu. En effet, dans quel- ques semaines, elle allait changer de seigneur. Ce n'était pas la pre- mière fois que cela lui arrivait. La seigneurie de l'île avait dépendu autre- fois de celle de La Garnache puis avait eu pour seigneurs les Clisson, Belleville, Rieux d'Assérac ou encore Colbert de Blainville, mais ces changements n'avaient eu que peu d'importance pour la vie quotidienne. A chaque changement, le seigneur renouvelait par une pancarte les droits et devoirs respectifs 7. Mais cette fois-ci, le futur seigneur, le roi Louis XVI, allait supprimer le statut privilégié dont bénéficiait l'île d'Yeu et modifier de façon importante les conditions de vie des insulaires.

7. Olivier-Jules Richard, L'île d'Yeu d'autrefois et l'île d'Yeu d'aujourd'hui, Niort, 1883, p. 163.

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Un littérateur s'empara de ce piteux événement pour le transfor- mer avec beaucoup de fantaisie en un divertissement en un acte en vau- devilles et en prose. Intitulée Les Emigrés à l'isle d'Yeu cette comé- die met en scène le comte d'Artois, ce héros de coulisse, et le comte de Provence, Monsieur, qui, pour l'Histoire, n'était pas encore Louis XVIII, ce sombre bigot.

Rose, une insulaire, se lamente : Sur cette île infortunée, je ne vois plus de Français et notre île est abandonnée à des émigrés, à des Anglais. Déchus de leur vaine puissance, ils ne frappent plus nos esprits, et par- tout on répète en France, Ah, que les grands étaient petits !

Mais, Rose aime Francœur, un patriote de l'île d'Yeu. Malgré le plaisir que j'éprouve à te voir, ma chère Rose, je ne veux pas demeu- rer plus longtemps à l'île d'Yeu. Eh, comment supporter la présence de ces émigrés, de ces hommes que le malheur n 'a point instruits ? N'as- tu pas vu comme moi qu'ils ont conservé leurs préjugés ?

L'intrigue semble se nouer lorsqu'on apprend que le comte d'Artois courtise aussi Rose : C'est toi, dont je veux être roi... Mais cette der- nière s'indigne : Y pensez-vous, Monsieur le comte ? vous oubliez, pour une petite hôtesse de l'île d'Yeu, les grands intérêts de votre famille ! Artois lui confie alors son désarroi : Je m'ennuie dans ce lieu... et nous jouons aux cartes pour nous désennuyer. Ce Pitt, ministre de George, est un fin matois, et je pense que ces chiens d'Anglais se moquent de nous.

Rose conseille alors à Francœur de patienter : Les émigrés ne peu- vent longtemps tenir leur position. Ils ne s'exposeront pas aux orages que cette saison amène et que nos côtes rendent encore plus dangereux.

C'est alors qu'on annonce l'arrivée du comte de Provence : J'arrive de Vérone, mironton ton ton mirontaine, j'arrive de Vérone pour être couronné. Le futur roi demande à son frère d'oublier ses folies, ses

58. Etienne Gosse, écrivain et journaliste, 1773-1834. 59. Sans date (probablement fin 1795 - début 1796). 39 pages, bibliothèque de

l'Arsenal, Paris.

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Frontispice de la pièce de théâtre : « Les Emigrés à l'île d'Yeu ».