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Ann Pathol 2006 ; 26 : 295-7 © 2006. Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. 295 Lettre à la rédaction Accepté pour publication le 21 mars 2006 Tirés à part : A. Ayadi-Kaddour, 17 rue Ali Ben Khélifa, El Menzah 9A, 1013 Tunis, Tunisie. e-mail : [email protected] Localisation exceptionnelle d’hydatidose thoracique : l’hydatidose sternale Aïda Ayadi-Kaddour (1) , Emna Braham (1) , Leïla Abid (1) , Belhassen Smati (2) , Olfa Ismail (1) , Habiba Djilani (2) , Faouzi El Mezni (1) (1) Service d’Anatomie et de Cytologie Pathologiques. (2) Service de Chirurgie Thoracique, Hôpital Abderrahmen Mami, 2080 Ariana, Tunisie. Ayadi-Kaddour A, Braham E, Abid L, Smati B, Ismail O, Djilani H et al. Localisation exceptionnelle d’hy- datidose thoracique : l’hydatidose sternale. Ann Pathol 2006 ; 26 : 295-7 A rare localization of chest wall hydatidosis: sternal hydatidosis Key words: echinococcosis, hydatidosis of bone, chest wall, sternum. Mots-clés : écchinococcose, hydatidose osseuse, paroi thoracique, sternum. HYDATIDOSE osseuse est rare, même en zones d’endémie, ne représentant que 0,5 à 2,5 % des locali- sations hydatiques chez l’homme [1]. La localisation primitive pariéto-thoracique est exceptionnelle [2]. Nous rapportons un nouveau cas d’échinococcose ster- nale réséqué chirurgicalement. Un homme âgé de 18 ans, sans antécé- dent, a consulté pour une tuméfaction douloureuse du sternum, ayant progres- sivement augmenté de volume depuis deux mois. Il s’agissait d’une tuméfaction sternale supérieure palpable, de 3 à 4 cm de diamètre, bien limitée et de consis- tance ferme. Le bilan biologique était normal. La radiographie du thorax objec- tivait une opacité de tonalité hydrique en projection médiastinale supérieure, sans lésion parenchymateuse. La radiogra- phie du sternum et l’échographie des parties molles montraient une formation multivésiculaire centrée sur le sternum soufflant la corticale, arrivant au contact de l’aorte et du tronc de l’artère pul- monaire. Le scanner et l’imagerie par résonance magnétique thoraciques confirmaient la présence d’un processus multiloculaire occupant le manubrium sternal, avec rupture par endroits de la corticale antérieure et extension dans les parties molles (figure 1). L’échographie et la tomodensitométrie abdominales étaient normales. Les données de l’ima- gerie étaient compatibles avec une hydatidose osseuse du sternum isolée. L’exérèse chirurgicale consistait en une résection du manubrium et d’une partie du corps sternal. Le diagnostic était confirmé par la mise en évidence d’un tissu osseux dystrophique renfermant des cavités médullaires remplies de frag- ments de membrane hydatique anhiste, feuilletée et PAS positive, suscitant une réaction granulomateuse de type corps étranger (figure 2). L’albendazole a été administré pendant 4 mois à la dose de 15 mg/kg/jour. Les explorations radiolo- giques n’ont pas montré de récidive trois ans après l’intervention. L’échinococcose hydatique est due au développement chez l’homme de la forme larvaire d’Echinococcus granulo- sus, petit tænia vivant dans l’intestin du chien. C’est une anthropozoonose cosmopolite qui prédomine dans le bassin méditerranéen, en Australie, en Amérique du sud et en Europe cen- trale. En Tunisie, l’incidence est de 15,1/ 100 000 habitants [2]. Elle intéresse sur- tout les zones rurales où l’élevage se fait encore selon le mode pastoral. L’homme peut s’infester accidentelle- ment au contact direct du chien ou par l’ingestion d’aliments souillés par les œufs éliminés par celui-ci lors de ses déjections. Une fois dans l’intestin, l’œuf se transforme en embryon hexacanthe qui passe dans le système porte et atteint le foie puis les poumons [3]. L’

Localisation exceptionnelle d’hydatidose thoracique : l’hydatidose sternale

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Page 1: Localisation exceptionnelle d’hydatidose thoracique : l’hydatidose sternale

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© 2 0 0 6 . E l s e v i e r M a s s o n S A S . T o u s d r o i t s r é s e r v é s . 295

Lettre à la rédaction

Accepté pour publication le 21 mars 2006

Tirés à part : A. Ayadi-Kaddour, 17 rue Ali Ben Khélifa, El Menzah 9A, 1013 Tunis, Tunisie.e-mail : [email protected]

Localisation exceptionnelle d’hydatidose thoracique : l’hydatidose sternale

Aïda Ayadi-Kaddour(1), Emna Braham(1), Leïla Abid(1), Belhassen Smati(2), Olfa Ismail(1), Habiba Djilani(2), Faouzi El Mezni(1)

(1) Service d’Anatomie et de Cytologie Pathologiques.(2) Service de Chirurgie Thoracique, Hôpital Abderrahmen Mami, 2080 Ariana, Tunisie.

Ayadi-Kaddour A, Braham E, Abid L, Smati B, Ismail O, Djilani H et al. Localisation exceptionnelle d’hy-datidose thoracique : l’hydatidose sternale. Ann Pathol 2006 ; 26 : 295-7

A rare localization of chest wall hydatidosis: sternal hydatidosisKey words: echinococcosis, hydatidosis of bone, chest wall, sternum.

Mots-clés : écchinococcose, hydatidose osseuse, paroi thoracique, sternum.

HYDATIDOSE osseuse est rare,même en zones d’endémie, ne

représentant que 0,5 à 2,5 % des locali-sations hydatiques chez l’homme [1]. Lalocalisation primitive pariéto-thoraciqueest exceptionnelle [2]. Nous rapportonsun nouveau cas d’échinococcose ster-nale réséqué chirurgicalement.Un homme âgé de 18 ans, sans antécé-dent, a consulté pour une tuméfactiondouloureuse du sternum, ayant progres-sivement augmenté de volume depuisdeux mois. Il s’agissait d’une tuméfactionsternale supérieure palpable, de 3 à 4 cmde diamètre, bien limitée et de consis-tance ferme. Le bilan biologique étaitnormal. La radiographie du thorax objec-tivait une opacité de tonalité hydrique enprojection médiastinale supérieure, sanslésion parenchymateuse. La radiogra-phie du sternum et l’échographie desparties molles montraient une formationmultivésiculaire centrée sur le sternumsoufflant la corticale, arrivant au contactde l’aorte et du tronc de l’artère pul-monaire. Le scanner et l’imagerie parrésonance magnétique thoraciquesconfirmaient la présence d’un processusmultiloculaire occupant le manubriumsternal, avec rupture par endroits de lacorticale antérieure et extension dans lesparties molles (figure 1). L’échographieet la tomodensitométrie abdominalesétaient normales. Les données de l’ima-gerie étaient compatibles avec une

hydatidose osseuse du sternum isolée.L’exérèse chirurgicale consistait en unerésection du manubrium et d’une partiedu corps sternal. Le diagnostic étaitconfirmé par la mise en évidence d’untissu osseux dystrophique renfermantdes cavités médullaires remplies de frag-ments de membrane hydatique anhiste,feuilletée et PAS positive, suscitant uneréaction granulomateuse de type corpsétranger (figure 2). L’albendazole a étéadministré pendant 4 mois à la dose de15 mg/kg/jour. Les explorations radiolo-giques n’ont pas montré de récidive troisans après l’intervention.L’échinococcose hydatique est due audéveloppement chez l’homme de laforme larvaire d’Echinococcus granulo-sus, petit tænia vivant dans l’intestindu chien. C’est une anthropozoonosecosmopolite qui prédomine dans lebassin méditerranéen, en Australie, enAmérique du sud et en Europe cen-trale. En Tunisie, l’incidence est de 15,1/100 000 habitants [2]. Elle intéresse sur-tout les zones rurales où l’élevage sefait encore selon le mode pastoral.L’homme peut s’infester accidentelle-ment au contact direct du chien ou parl’ingestion d’aliments souillés par lesœufs éliminés par celui-ci lors de sesdéjections. Une fois dans l’intestin, l’œufse transforme en embryon hexacanthequi passe dans le système porte etatteint le foie puis les poumons [3].

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Dans les formes osseuses, il franchit la bar-rière hépatique et capillaire pulmonaire etatteint la circulation systémique pour allerse fixer dans le squelette [1]. L’hydatidoseosseuse est rare et grave du fait de la des-truction de la matrice osseuse et de l’infiltra-tion des tissus adjacents [1-3]. L’hydatidosevertébrale est la plus fréquente des locali-sations osseuses (44 % des cas) et la plusgrave [4]. L’atteinte costale se rencontreentre 2,2 et 3,3 % des cas, souvent associéeà une hydatidose vertébrale. L’atteintesternale ne représente que 0,8 % des cas[3-5]. À la différence des localisations vis-cérales, les lésions osseuses prennent uneallure infiltrante sans enkystement [1]. Eneffet, les larves affrontées à la résistancemécanique de l’os et à son architectureirrégulière, se développent en tous sens,par bourgeonnement multidiverticulaireà partir de petites vésicules mères, érodantl’os à leur contact et formant des séques-tres [3]. L’usure corticale entraîne une brè-che sans réaction périostée, par où lesvésicules font issue dans les parties mollesadjacentes [5]. Le tissu péri-osseux s’offrealors à la libre extension du parasite quidéveloppe alors sa paroi [3]. Cette affectiond’évolution lente, est longtemps asympto-matique en l’absence de rupture ou decompression du kyste [4], expliquant undiagnostic souvent tardif [3]. Dans cettelocalisation, il s’agit de douleurs thoraci-ques, d’une tuméfaction pariétale, d’unefracture pathologique ou de manifestationsneurologiques [2]. Les tests immunologi-ques n’apportent pas toujours le diagnosticdans la forme osseuse car ils ne sont positifsqu’au stade de rupture du kyste hydatique[3]. L’imagerie est un élément essentiel audiagnostic. Le scanner et surtout l’imagerie

par résonance magnétique permettent delocaliser et d’évaluer l’extension du proces-sus expansif, et d’assurer une surveillanceaprès traitement [2-5]. La confirmation diag-nostique repose sur l’examen anatomo-pathologique. Il montre la présence demembranes parasitaires qui reposent direc-tement sur le tissu osseux sans paroi adven-ticielle. Il s’agit de fragments de membranecuticulaire anhiste, feuilletée et PAS posi-tive, à laquelle adhère parfois une membranefine, nucléée, pseudoépithéliale, correspon-dant à la membrane proligère. On peut aussiobserver des granulomes de type à corpsétranger sur des débris cuticulaires et rare-ment des scolex [1]. Actuellement, le seultraitement curatif est chirurgical consistanten une résection large des os atteints et desmuscles avoisinants [3]. Le traitement médi-cal par l’albendazole est essentiellementpréconisé dans les formes inopérables oude mauvais pronostic pour minimiser lerisque de dissémination, et aussi commethérapeutique adjuvante de la chirurgiedans le but de prévenir les récidives [2]. Lepronostic des formes osseuses est incertaindu fait du risque de récidive locale estiméentre 30 et 40 % des cas, d’où la nécessitéd’une surveillance à long terme [1]. ■

Références

[1] Loudiye H, Aktaou S, Hassikou H, El Bardouni A,El Manouar M, Fizazi M et al. Hydatid disease ofbone. Review of 11 cases. Joint Bone Spine 2003; 70 :352-5.

[2] Maalej S, Belhabib D, Hantous S, Fenniche S,Ammar A, Hammami S et al. Hydatidose costo-

FIG. 1. — Scanner thoracique : Formation multi-vésiculaire occupant le manubrium sternale.

FIG. 1. — Computed tomographic thoracic scan showed a multi-locular process involving the sternum.

FIG. 2. — Cavité médullaire occupée par des fragments de mem-brane cuticulaire (HE × 400)

FIG. 2. — Fragments of a laminated membrane in the medullary bone (HE×400).

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Hydatidose sternale

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vertébrale : intérêt de l’IRM. Rev Mal Respir 2003 ;20 : 617-7.

[3] Briant JF, Richez P, Belliol E, Baréa D, Raillat A, Sala-mond P et al. Atteintes ostéo-articulaires d’origineparasitaires : l’échinococcose osseuse. J Radiol 1998 ;79 : 1351-7.

[4] Özdemir N, Akal M, Kutlay H, Yavuzer S. Chestwall echinococcosis. Chest 1994 ; 105 : 1277-9.

[5] Ben Miled-Mrad K, Bouricha A, Hantous S, Zidi A,Mestiri I, El Hammami S et al. Apport de l’imagerieau diagnostic du kyste hydatique de la paroi thoraci-que. J Radiol 2003 ; 84 : 143-6.