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LOIS DE COMPORTEMENT POUR LES SOLS Félix DARVE & Farid LAOUAFA L3S/INPG/UJF/CNRS-Grenoble 6.3 les lois incrémentales non-linéaires 6.3.1. Le formalisme Dans le chapitre relatif aux ‘Grandes classes de lois de comportement’, nous avons montré que l’écriture générale des lois de comportement non visqueuses est de la forme : { } 3 ,6 1,2, , , , d ) ( d L = γ β α σ ε β γ αβ α u M [6.30] ou sous la forme duale : { 3 ,6 1,2, , , , d ) ( d L = γ β α ε σ β γ αβ α v N } [6.31] u représente la direction de la contrainte incrémentale : γ d γ σ { } d d d avec , ,6 1,2, , d d σ σ σ γ σ σ γ γ = = L u [6.32] et où v représente la direction de la déformation incrémentale : γ d γ ε { } d d d avec , ,6 1,2, , d d ε ε ε γ ε ε γ γ = = L v Nous vous proposons maintenant de préciser la structure de M(u) et celle de N(v). Pour cela, nous considérons les développements en séries polynomiales des éléments de ces deux matrices : { } 4 3 2 1 6 , , 1 , M M M ) ( M L L + + + = αβγδ δ γ αβγδ γ αβγ αβ γ αβ u u u u [6.33] { } 4 3 2 1 6 , , 1 , N N N ) ( N L L + + + = αβγδ δ γ αβγδ γ αβγ αβ γ αβ v v v v [6.34] En reportant dans 6.30 et 6.31 nous obtenons l’expression des composantes de la déformation incrémentale et de la contrainte incrémentale respectivement : { } 3 2 1 6 , , 1 , d d M d 1 d M d L L + + = αβγ σ σ σ σ ε γ β αβγ β αβ α [6.35] { } 3 2 1 6 , , 1 , d d N d 1 d N d L L + + = αβγ ε ε ε ε σ γ β αβγ β αβ α [6.36] Le premier terme de l’équation 6.35 et celui de l’équation 6.36 correspond à l’expression des lois élastiques incrémentalement linéaires. L’ensemble des deux premiers termes fournit l’écriture générale des lois de comportement incrémentalement non-linéaires du second ordre et représente ainsi une forme générique : { } 6 2 1 6 , , 1 , d d M d 1 d M d L + = ijklmn mn kl ijklmn kl ijkl ij σ σ σ σ ε [6.37]

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Geotecnia comportamiento de suelos

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LOIS DE COMPORTEMENT POUR LES SOLS Félix DARVE & Farid LAOUAFA

L3S/INPG/UJF/CNRS-Grenoble

6.3 les lois incrémentales non-linéaires

6.3.1. Le formalisme

Dans le chapitre relatif aux ‘Grandes classes de lois de comportement’, nous avons montré que l’écriture générale des lois de comportement non visqueuses est de la forme :

{ }3,61,2, ,, ,d )(d L∈= γβασε βγαβα uM [6.30]

ou sous la forme duale : { 3,61,2, ,, ,d )(d L∈= γβαεσ βγαβα vN } [6.31]

où u représente la direction de la contrainte incrémentale : γ d γσ

{ } dd d avec ,,61,2, ,dd

σσσγσ

σγγ ⋅=∈= Lu [6.32]

et où v représente la direction de la déformation incrémentale : γ d γε

{ } dd d avec ,,61,2, ,dd

εεεγε

εγγ ⋅=∈= Lv

Nous vous proposons maintenant de préciser la structure de M(u) et celle de N(v). Pour cela, nous considérons les développements en séries polynomiales des éléments de ces deux matrices :

{ }4321 6,,1 ,MMM)(M LL ∈+++= αβγδδγαβγδγαβγαβγαβ uuuu [6.33]

{ }4321 6,,1 ,NNN)(N LL ∈+++= αβγδδγαβγδγαβγαβγαβ vvvv [6.34]

En reportant dans 6.30 et 6.31 nous obtenons l’expression des composantes de la déformation incrémentale et de la contrainte incrémentale respectivement :

{ }321 6,,1 ,d d Md1d Md LL ∈++= αβγσσσ

σε γβαβγβαβα [6.35]

{ }321 6,,1 ,d d Nd1d Nd LL ∈++= αβγεεε

εσ γβαβγβαβα [6.36]

Le premier terme de l’équation 6.35 et celui de l’équation 6.36 correspond à l’expression des lois élastiques incrémentalement linéaires. L’ensemble des deux premiers termes fournit l’écriture générale des lois de comportement incrémentalement non-linéaires du second ordre et représente ainsi une forme générique :

{ }621 6,,1 ,d d Md1d Md L∈+= ijklmnmnklijklmnklijklij σσσ

σε [6.37]

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{ }621 6,,1 ,d d Nd1d Nd L∈+= ijklmnmnklijklmnklijklij εεε

εσ [6.38]

On vérifie naturellement que les expressions 6.37 et 6.38 sont non-linéaires et homogènes de degré 1 par rapport à et à respectivement. σd εd

Pour pouvoir calibrer de manière satisfaisante les différents tenseurs M1, M2, N1, N1, il nous faut préciser un peu plus leur forme générale et, pour cela, trois hypothèses sont faites : - 1a relation incrémentale est orthotrope, - il n’existe pas de termes croisés en axes d’orthotropie : { } 0Net 0M , ,3,2,1, 22 ==≠∈∀ αβγαβγβαβα

- la partie ‘cisaillement’ de la relation est incrémentalement linéaire en axes d’orthotropie : { } { } 0Net 0M ,654 ou 654 22 ==∈∈∀ αβγαβγγβ ,,,,,

En axes d’orthotropie, les relations 6.37 et 6.38 se réduisent alors à la forme simplifiée suivante : ( )( )( )

+

=

233

222

211

33

22

11

33

22

11

ddd

d1

ddd

ddd

σσσ

σσσσ

εεε

BA [6.39]

( )( )( )

+

=

233

222

211

33

22

11

33

22

11

ddd

d1

ddd

ddd

εεε

εεεε

σσσ

DC [6.40]

et

ddd

2ddd

12

31

23

3

2

1

12

31

23

=

εεε

σσσ

GG

G [6.41]

Nous sommes donc ramenés maintenant à la détermination des matrices de dimensions 3x3 : A, B , C , D et des fonctions G1,G2 ,G3. L’idée retenue est ici d’identifier le comportement décrit par les relations 6.39-6.41 avec des comportements que l’on peut aisément déterminer expérimentalement. Pour le premier modèle, il s’agit des ‘chemins triaxiaux généralisés’ et pour le deuxième modèle, dit ‘dual’ , il s’agit des ‘chemins oedométriques généralisés’. Leurs définitions respectives sont les suivantes : - un chemin est dit ‘triaxial généralisé’, si les axes principaux de contraintes et de déformations sont fixes et

confondus et si les deux contraintes latérales restent constantes le long du chemin, - un chemin est dit ‘oedométrique généralisé’, si les axes principaux de contraintes et de déformations sont fixes et

confondus et si, de manière duale, les deux déformations latérales sont constantes le long du chemin. - On parlera de compression triaxiale (respectivement d’extension triaxiale), si la vitesse de contrainte axiale est

positive (respectivement négative). De manière duale, on parlera de compression oedométrique (respectivement d’extension oedométrique) si la vitesse de déformation axiale est positive (respectivement négative). Le cas des matériaux présentant du radoucissement n’est pas décrit ici.

On pose alors :

- Le module de Young tangent généralisé ( ) : iEkj

i

iiE

σσεσ

∂∂

=

- Le coefficient de Poisson tangent généralisé (ν ) : ji

kjj

iji

σσεε

∂∂

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- Le module oedométrique tangent généralisé ( O ) : ikj

i

ii

εεεσ

∂∂

=O

- Le coefficient de pression latérale tangent généralisé ( ) : jiK

kjj

ijiK

εεσσ

∂∂

=

En notant par des indices ‘+’ les compressions et par des indices ‘-’ les extensions, on pose également :

−−

−−

−−

=

++

+

+

+

+

+

++

+

+

+

+

+

+

+

32

32

1

31

3

23

21

21

3

13

2

12

1

E1

EE

EE1

E

EEE1

νν

νν

νν

N et

−−

−−

−−

=

−−

−−

32

32

1

31

3

23

21

21

3

13

2

12

1

E1

EE

EE1

E

EEE1

νν

νν

νν

N

=+++++

+++++

+++++

+

32321

31

32321

21

3132

121

OOKOKOKOOKOKOKO

P et

=−−−−−

−−−−−

−−−−−

32321

31

32321

21

3132

121

OOKOKOKOOKOKOKO

P

Par identification des comportements, on montre alors que : A + B = N+ et A – B = N- C + D = P+ et C – D = P-

D’où il vient les expressions de A, B, C et D :

2

2et

2

2

−=

+=

−=

+=

+

+

+

+

-

-

-

-

PPD

PPC

NNB

NNA [6.42]

Les relations 6.39-6.41 et 6.42 peuvent s’interpréter comme une interpolation quadratique entre des réponses supposées connues sur des chemins particuliers (triaxiaux généralisés ou oedométriques généralisés). Reprenant la question sous cet angle là, d’autres interpolations deviennent envisageables. La plus simple est l’interpolation linéaire, qui aboutit à des lois ‘incrémentalement linéaires par morceaux’, comportant 8 zones tensorielles (dénommé modèle octo-linéaire). Ces modèles à interpolation linéaire s’écrivent :

[ ] [ ]

−+

+=

−+−+

3

2

1

3

2

1

3

2

1

ddd

21

ddd

21

ddd

σσσ

σσσ

εεε

NNNN [6.43]

ou pour le modèle ‘dual’ :

[ ] [ ]

−+

+=

−+−+

3

2

1

3

2

1

3

2

1

ddd

21

ddd

21

ddd

εεε

εεε

σσσ

PPPP [6.44]

Royis [ROYIS 98] a donné une expression générale de ces lois de type interpolation sous la forme suivante : [ ] )( )( d d += uu φφσε NN −−++

{ +++ = ,)( ,)()( 21 uuut ϕϕϕφavec }+)( 3u et { }−−−− = )(,)( ,)()( 321 uuuut ϕϕϕφ et il a dressé le tableau suivant :

+)( iuϕ −)( iuϕ

Modèle octo-linéaire

2ii uu +

2

ii uu −

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Modèle non-linéaire du second ordre

2

2ii u+u

2

2ii uu −

Modèle non hypoplastique de Chambon

2

3ii uu +

2

3ii uu −

Modèle de Doanh ( ) 41 2 /uu ii +

( ) 41 2 /uu ii −−

Tableau 6.1. Quelques interpolations directionnelles.

D’autres modèles de type interpolation ont été également proposés par Robinet [ROBINET 82], Di Benedetto [Di BENEDETTO 87] et Royis [ROYIS 89]. Ces modèles ont été comparés entre eux (Royis et Doanh, 1998), en utilisant la construction des enveloppes réponses, proposées par Gudehus [GUDEHUS 79] et également comparés avec l’expérience. Les figures 6.9-6.11 présentent de telles comparaisons entre les modèles octo-linéaire, non-linéaire du second ordre et l’expérience. Dans la section suivante nous présenterons de telles comparaisons avec le modèle proposé par Laouafa [DARVE 99] qui a unifié les deux modèles précédents.

Figure 6.9. Enveloppes réponses expérimentale et numériques pour une pression de confinement de 100 kPa et une contrainte axiale de 100 kPa [ROYIS 98].

Figure 6.10. Enveloppes réponses expérimentale et numériques pour une pression de confinement de 100 kPa et une contrainte axiale de 200 kPa [ROYIS 98].

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Figure 6.11. Enveloppes réponses expérimentale et numériques pour une pression de confinement de 100 kPa et une contrainte axiale de 400 kPa [ROYIS 98].

6.3.2 Transition continue entre interpolations non-linéaire et octolinéaire

Les interpolations non-linéaire et octolinéaire de Darve ont montré leurs qualités dans la prédiction des réponses par exemple lors de benchmarks internationaux [GUDEHUS 84, SAADA 88]. Ces qualités illustrées dans les figures 6.9-6.11 [ROYIS 98] soulèvent toutefois la question du choix de l’interpolation lors d’une modélisation du comportement local ou lors de la résolution de problèmes aux limites par éléments finis.

Ces interpolations ont fait l’objet d’études au sens mathématique [ROYIS 89, ROYIS 98] et au sens physique

[ROYIS 98]. Dans la description de la physique observée aucune des deux interpolations ne se distingue fondamentalement. Mathématiquement la non-linéaire souffre, sur quelques chemins, de perte de bi-univocité mieux respectée par l’octolinéaire. Cette dernière, cependant, de par sa formulation n’est que de classe Co.

L’interpolation proposée par Laouafa [DARVE 99] permet de décrire, de façon continue, les deux interpolations

mentionnées ci-dessus. En d’autres termes l’interpolation non-linéaire de Darve et l’octolinéaire sont deux cas particuliers de l’interpolation de Laouafa. Cette interpolation dépendant d’un paramètre scalaire réel et positif

adopte l’expression suivante en axes principaux : 0≥ρ

[ ] [ ]( )

+

+

+

+−+

+=

−+−+

223

23

222

22

221

21

3

2

1

3

2

1

dd

ddd

ddd

d

121

ddd

21

ddd

σρσ

σ

σρσ

σ

σρσ

σ

ρσσσ

εεε

NNNN

Lorsque l’expression ci-dessus tend vers l’expression de l’octolinéaire, et lorsque cette même

expression tend vers celle de la loi non-linéaire. Les figures 6.12-6.14 donnent les enveloppes réponses pour quelques valeurs de =0.005, 0.05, 1, 100.

0→ρ ∞→ρ

ρ

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Figure 6.12. Enveloppes réponses expérimentale et numériques pour une pression de confinement de 100 kPa et une contrainte axiale de 100 kPa et différentes valeurs de =0.005, 0.05, 1, 100. ρ

ρ

ρ

Figure 6.13. Enveloppes réponses expérimentale et numériques pour une pression de confinement de 100 kPa et une contrainte axiale de 200 kPa et différentes valeurs de =0.005, 0.05, 1, 100.

Figure 6.14. Enveloppes réponses expérimentale et numériques pour une pression de confinement de 100 kPa et une contrainte axiale de 400 kPa et différentes valeurs de =0.005, 0.05, 1, 100.

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La valeur du paramètre est actuellement définie de façon arbitraire. Elle peut cependant être définie comme fonction continue de certains paramètres de mémoires à l’exception de toutes variables faisant intervenir les taux de contraintes ou de déformations.

ρ

6.3.3 Dégénérescences significatives

Pour mieux percevoir les possibilités et les limites de ces modèles, il est intéressant de considérer quelques cas de dégénérescences les plus significatives : les cas du milieu mono-dimensionnel, du matériau élastique et du matériau parfaitement plastique. Nous les analysons maintenant successivement :

- dégénérescence mono-dimensionnelle :

les deux modèles octo-linéaire et non-linéaire du second ordre dégénèrent en la même expression dans le cas d’un milieu à une dimension où la contrainte incrémentale et la déformation incrémentale sont deux scalaires :

σσε d1121d11

21d

−+

+= −+−+ EEEE

[6.45]

ou

( ) ( ) εεσ d 21d

21d −+−+ −++= EEEE [6.46]

+E représente le module tangent en charge et le module tangent à la décharge. et dépendent, par

l’intermédiaire de variables scalaires, de l’histoire de sollicitation. Un comportement élasto-plastique mono-dimensionnel quelconque peut ainsi être décrit par les relations 6.45-6.46.

−E +E −E

Il est intéressant de noter, sur cet exemple très simple, qu’une relation incrémentale non-linéaire unique est bien équivalente à la double relation élasto-plastique avec un critère de charge-décharge :

(décharge) 0 d si ,d1d

(charge) 0 d si ,d1d

≤=

≥=

+

σσε

σσε

E

E

Notons également que le modèle octo-linéaire peut être perçu comme une généralisation tridimensionnelle directe des relations 6.45-6.46.

- Dégénérescence élastique : Si le comportement du matériau est élastique, cela implique que les comportements sur les chemins de base (triaxiaux généralisés et oedométriques généralisés, respectivement) vont être identiques en compression et en extension. Nous obtiendrons donc respectivement les identités suivantes :

1 : (noté - : (noté -

=+≡

+≡

)N PPP N)NN

-

Les modèles octo-linéaires et non-linéaires du second ordre dégénèrent alors en la même valeur :

=

3

2

1

3

2

1

ddd

ddd

σσσ

εεε

N

où N représente le tenseur d’élasticité non-linéaire orthotrope général. Si aucune hypothèse supplémentaire de symétrie n’est faite sur N, il s’agira d’hypoélasticité. Dans le cas contraire, nous obtenons un comportement hyperélastique non-linéaire orthotrope par existence d’un potentiel interne élastique qui impose la symétrie de N.

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- Dégénérescence en plasticité parfaite : Cette dégénérescence s’étudie de manière commode en considérant la relation constitutive sous la forme suivante :

εσ d d 1(u)−= M [6.47]

Un comportement de type ‘plastique parfait’ peut être (s’il existe) obtenu en recherchant les solutions correspondant à une déformation indéfinie sous un état de contrainte maintenu constant, soit :

0d ≠ε avec 0d =σ (dans le cadre des petites transformations). Une condition nécessaire et suffisante pour qu’il existe de telles solutions est alors constituée par :

0 det 1 =− (u)M ,

ce qui correspond au critère de plasticité du matériau. Dans le cas du modèle octo-linéaire , cette conditions s’interprète facilement par la nullité de l’un (au moins) des six modules tangents :

0321321 =−−−+++ EEEEEE Les solutions en déformations sont alors fournies par la relation :

0d 1 =− ε(u)M [6.48]

Il existe une infinité de solutions qui diffèrent par leur norme, la direction de étant en général déterminée. La condition 6.48 peut ainsi s’interpréter comme une règle d’écoulement du matériau. Notons qu’il s’agît dans le cas général d’une règle d’écoulement singulière puisque les directions de solutions de 6.48 dépendent de la direction de . Dans le cas du modèle octo-linéaire, cette singularité locale de la règle d’écoulement est de type pyramidal.

εd

εd σd

6.3.4 Applications

Pour tenter de cerner les capacités prédictives d’un modèle de comportement, on peut étudier les réponses fournies pour diverses classes de sollicitations : c’est ce que nous ferons maintenant.

- Sollicitations non proportionnelles :

Deux exemples peuvent être considérés dans ce cadre. Le premier porte sur la modélisation d’une sollicitations circulaire dans le plan déviatoire des contraintes . Les sollicitations en boucles de contraintes fermées jouent un rôle important dans la pratique puisque l’on considère que des cycles aux limites répétés en forces ou pressions (par exemple le passage de véhicules sur la chaussée) induisent à l’intérieur du massif de sol des boucles sensiblement fermées en contraintes (mais ouvertes en déformations). Par ailleurs une sollicitation de ce type circulaire en contrainte fut choisie comme l’un des essais tests dont fallait prédire la réponse lors du Workshop international de Cleveland [SAADA 87]. La figure 6.15 présente ces résultats dans le plan déviatoire des déformations et la figure 6.16 fournit les variations des trois déformations principales et les variations de volume. Du fait de l’augmentation – diminution successive des trois contraintes principales, ces variations présentent de complexes oscillations tant au niveau des résultats expérimentaux que de leurs simulations.

Figure 6.15. Prédictions du modèle incrémental non-linéaire du second ordre pour un chemin circulaire dans le plan déviatoire des déformations [SAADA 87]. Résultats expérimentaux en continu, résultats numériques en tireté.

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Figure 6.16. Variations des trois déformations principales et variations de volume. Résultats expérimentaux en continu, résultats numériques en pointillé. Un second exemple de sollicitations non proportionnelles est constitué par les ‘chemins en escalier’. Un chemin proportionnel donné est suivi de manière approchée par deux autres chemins différents, appliqués successivement en incréments finis. Cette analyse présente un double intérêt. Sur le plan expérimental, les presses asservies ne sont en mesure de suivre un chemin donné que de manière approchée à l’intérieur d’une bande d’erreurs entourant le chemin prescrit. Ceci introduit certainement une erreur systématique, qu’il est intéressant de pouvoir quantifier. Par ailleurs, le principe de superposition des sollicitations incrémentales n’est valable que dans le cas des lois incrémentalement linéaires. La condition :

)dd ()d ()d (:d ,d )2()1()2()1()2()1( σσσσσσ +=+∀ GGG

ne s’applique que si G est linéaire. La deuxième question que nous nous posions était donc : qu’en est-il pour les lois incrémentalement non-linéaires pour lesquelles le principe ne s’applique jamais en toute rigueur ? La figure 6.17 présente l’un de ces exemples, où le chemin triaxial drainé est approché par des chemins à pression moyenne constante ( ) et isotrope ( ). 02 31 =∆+∆ σσ 321 σσσ ∆=∆=∆

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Figure 6.17. Comparaison entre les réponses numériques fournies par le modèle incrémental non-linéaire dans le cas d’un chemin triaxial drainé (tirets) et dans le cas de chemins en ‘marches d’escalier’ d’amplitude variable (lignes continues) [DARVE 95]. Les figures 6.18-6.20 correspondent au cas du chemin triaxial non drainé (soit isochore), simulé par des chemins en contraintes effectives :

<∆=∆+∆

=∆∆

0 02

1

31

31

εσσ

σσ ttancons/

ou bien

<∆=∆

=∆∆

0 0

1

3

31

εσ

σσ ttancons/

appliqués de manière telle que la variation de volume négative induite par les premiers soit annulé par les seconds (figure 6.18). Les résultats montrent d’une part que lorsque la longueur des chemins de décompositions (‘longueur de la marche de l’escalier’) décroît, les courbes réponses convergent vers des réponses asymptotes déterminées (Fig 6.17 et 6.18), et d’autre part que les courbes réponses asymptotes diffèrent des réponses au chemin proportionnel considéré (puisque la loi de comportement est incrémentalement non-linéaire), mais d’une quantité qui est toujours restée faible dans les exemples traités (justifiant ainsi l’utilisation de presses asservies) (Fig 6.17 et 6.18).

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Figure 6.18. Chemin triaxial non-drainé. Figure du haut : modélisation de la condition de non variation de volume par deux chemins de décomposition différents : q/p constant et pression moyenne constante, ou bien q/p constant et contrainte latérale constante [DARVE 95]. Figure du bas : influence de la longueur des chemins de décomposition. Quatre longueurs différentes sont considérées. Les courbes-réponses (trait continu) convergent, quand la longueur diminue, vers une asymptote unique, distincte de la courbe fournie par le triaxial non-drainé (tirets).

Figure 6.19. Simulation d’un chemin triaxial non-drainé, sur le sable lâche de Hostun, par un chemin de décomposition défini par : σ constant et σ constant [DARVE 95]. '' '

31 /σ 3

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Figure 6.20. Simulation d’un chemin triaxial non-drainé, sur le sable lâche de Hostun, par un chemin de décomposition défini par : σ constant et p’ constant [DARVE 95]. ''

31 /σ- Simulations des surfaces de limite élastique :

Les surfaces de limites élastiques ont été étudiées expérimentalement depuis fort longtemps, en particulier dans le cas des métaux. La procédure expérimentale, habituellement suivie, consiste à imposer un certain chemin de sollicitation, puis à revenir en arrière d’une longueur finie sur le même chemin et à tester alors toutes les directions de contrainte en imposant une intensité donnée limite de déformation. La surface de limite élastique est alors constituée par l’ensemble des points en contrainte ainsi obtenus. Disposant d’un modèle de comportement (incrémental non-linéaire), dans la construction duquel la notion de limite élastique n’intervient pas (il existe toujours des déformations plastiques éventuellement négligeables), il était intéressant de simuler numériquement la procédure suivie expérimentalement, pour analyser s’il était effectivement possible de retrouver cette notion de surface de limite élastique à partir d’un modèle qui ne la contient pas. Les figures 6.21 et 6 .22 présentent ces simulations dans les cas respectifs d’un sable lâche et d’un sable dense, dans le plan bissecteur de l’espace des contraintes.

Figure 6.21. Simulation numérique de surfaces de limite élastique dans le plan bissecteur des contraintes pour le sable lâche de Hostun. Le sable est chargé jusqu’aux états de contrainte présentés par un point noir, puis déchargé jusqu’aux points en croix, avant détermination de la surface de limite élastique [DARVE 95].

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Figure 6.22. Simulation numérique de surfaces de limite élastique dans le plan bissecteur des contraintes pour le sable dense de Hostun. Le sable est chargé jusqu’aux états de contrainte présentés par un point noir, puis déchargé jusqu’aux points en croix, avant détermination de la surface de limite élastique [DARVE 95].

Figure 6.23. Simulation numérique de surfaces de limite élastique dans le plan déviatoire des contraintes pour le sable dense de Hostun. Le sable est chargé jusqu’aux états de contrainte présentés par un point noir, puis déchargé jusqu’aux points en croix, avant détermination de la surface de limite élastique [DARVE 95].

La figure 6.23 fournit les résultats de ces simulations dans le plan déviatoire des contraintes. De ces figures nous pouvons tirer les conclusions suivantes : le mécanisme d’écrouissage prépondérant apparaît comme étant de type cinématique, l’écrouissage isotrope restant limité. Rappelons que le modèle ne contient pas de variable d’écrouissage et que ces notions d’écrouissage n’apparaissent ici que dans le cadre d’une analyse élasto-plastique menée à posteriori. Si l’écrouissage de type isotrope apparaît ainsi comme faible, notons les déformations intéressantes de cette pseudo-limite

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élastique avec l’histoire de sollicitation puisque nous la voyons se déformer quand elle se rapproche du critère de plasticité pour en épouser, pour partie, la forme.

- La liquéfaction :

La liquéfaction des sables lâches saturés est restée longtemps un problème mal compris, essentiellement parce qu’elle était analysée comme intrinsèquement liée à la condition de non drainage et à la faible densité des sables liquéfiants. Or, l’expérience [LANIER 89] montre qu’il est possible de liquéfier des sables secs si, par l’intermédiaire d’une presse asservie, on peut leur appliquer un chemin isochore (à volume constant). Par ailleurs, même cette dernière condition n’est pas nécessaire, et il apparaît qu’il est possible de liquéfier des sables denses en leur appliquant un chemin proportionnel en déformations suffisamment dilatant. La figure 6.24, issue de calculs menés avec notre modèle de comportement incrémental non-linéaire du second ordre sur le sable de Hostun à l’état lâche, illustre clairement le fait que la liquéfaction est un phénomène très général dans les milieux granulaires : même un chemin contractant peut conduire à la liquéfaction d’un sable lâche (courbes correspondant à R=0.45 et R=0.425). En fait, nous avons présenté [DARVE 97b] un critère général de liquéfaction statique en comparant le taux de variation de volume imposé par la règle d’écoulement du matériau avec le taux de variation de volume induit par le chemin de sollicitation en déformation. Si ces deux taux sont égaux, il se produira un écoulement plastique parfait du sable. Si le premier est plus fort que le second (avec la convention : dilatance positive, contractance négative) les contraintes vont diminuer jusqu’à leur annulation éventuelle à l’état liquéfié.

Figure 6.24. Modélisations de chemins axisymétriques proportionnels en déformation, définis par : et

, pour le sable lâche de Hostun. Les valeurs de R sont données sur la figure à coté des courbes correspondantes. 32 εε dd =

13 εε Rdd −= Ce critère est illustré, par exemple, par la figure 6.25 où nous voyons qu’en faisant varier l’indice des vides initial – ce qui, à niveau de contraintes identique, fait varier le taux de variation de volume de la règle d’écoulement d’une légère contractance, pour l’indice des vides le plus fort, à une légère dilatance, pour des indices de vide plus faible – le sable passe d’un comportement liquéfiant à un comportement à contraintes croissantes. Pour une valeur intermédiaire de l’indice des vides, la ‘pression critique’ est atteinte (le taux de variation de volume imposé par la règle d’écoulement est nul) et un écoulement plastique parfait peut se développer.

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Figure 6.25. Modélisation de la liquéfaction du sable lâche de Monterey. Trois indices des vides différents sont considérés, seul le cas 3, correspondant à une contractance drainée, mène à la liquéfaction. - Instabilités dans les milieux granulaires :

La reconnaissance expérimentale de l’existence d’instabilités dans les milieux granulaires n’est pas un fait nouveau, même si toutes les conséquences n’en n’ont pas été tirées. En effet si l’on considère un sable lâche liquéfiant, l’excédent axial de contrainte : passe nécessairement par un extremum (un maximum en compression) En cet état, si, lors de la compression triaxiale non drainée, l’expérimentateur augmente d’une quantité infinitésimale la force axiale appliquée, une rupture brutale de l’échantillon apparaît, alors que le critère de rupture de plasticité n’a pas été atteint. Considérant la définition de la stabilité telle qu’elle a été proposée par Lyapunov [LYAPUNOV 07], nous sommes ici en présence d’un état instable à l’intérieur strict du critère de plasticité.

31 σσ −=q

ε

Par ailleurs, instabilités et bifurcations avant la rupture plastique sont effectivement conjecturées par la théorie élasto-plastique dans le cas de matériaux non associés au sens de cette théorie (limite élastique et règle d’écoulement sont distinctes) – ce qui est précisément le cas des géomatériaux. Le raisonnement repose essentiellement sur le fait que la rupture plastique liée à l’annulation du déterminant de la matrice constitutive tandis que l’instabilité est associée à celle du déterminant de la partie symétrique de cette matrice. Or, le caractère non associé d’un matériau implique que la matrice constitutive n’est plus symétrique et on sait par ailleurs que, le long d’un chemin de sollicitation donné, le déterminant de la partie symétrique va s’annuler avant le déterminant de la matrice elle même. Nous avons donc étudié systématiquement, avec les modèles octo-linéaire et non-linéaire, la stabilité de matériaux granulaires en considérant la condition suffisante de stabilité, proposée par Hill [HILL 58]. Un état de contrainte-déformation, pour un matériau donné, après une histoire de sollicitation donnée, est considéré comme stable, si quelles que soient les contraintes et déformations incrémentales liées par la loi de comportement, le travail du second ordre est strictement positif :

0d :dd:d 2 >=∀ σσ W [6.49] Le signe du travail du second ordre normalisé : εσ d /d/dt 2W= , a donc été étudié de manière systématique pour un sable lâche et un sable dense en conditions axisymétriques en utilisant une représentation polaire [DARVE 97c] et en conditions de déformations planes avec une représentation ‘circulaire’ [DARVE 99].La figure 6.26 présente les résultats les plus significatifs dans le cas de l’axisymétrie et la figure 6.27 dans le cas de la déformation plane. Sur la figure 6.26, les premiers niveaux de contrainte pour lesquels une instabilité potentielle se manifeste dans une direction de contrainte donnée correspond à : q/p=0.45 pour le sable lâche et 0.83 pour le sable dense dans le cas du modèle non-linéaire. En déformation plane, l’angle de frottement mobilisé minimal pour qu’il y ait apparition d’une instabilité, dans une direction au moins, est d’environ 13 degrés. L’ensemble des résultats met, de fait, en évidence un large domaine d’instabilités potentielles (‘potentielles’, car les conditions aux limites doivent permettre à l’instabilité de se développer sous la forme d’un mécanisme de rupture cinématiquement possible) dans l’espace des contraintes.

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Figure 6.26. Représentations polaires du travail du second ordre normalisé, dans le plan bissecteur des contraintes pour différents niveaux de contraintes, caractérisés par la valeur : q/p. Cas du sable dense de Hostun à gauche et du sable lâche à droite. Les premières instabilités sont détectées quand la courbe passe par l’origine du plan.

ϕ

Figdu sable L’existgéotechglissemdegrés)analyse

30 o

25 o

19.5 o

11.5 o

ure 6.27. Etats de contrainte correspondant aux premières instabilités détectées dans le cas de la déformation plane. Cas lâche de Hostun et du sable dense.

ence d’un tel domaine d’instabilités se manifeste sans doute par un certains nombre de conséquences en nique. L’un des champs d’applications possible pourrait être, par exemple, l’analyse des mécanismes de ents de terrains. Certains glissements de terrains de pente faible (moins de 14 degrés) à très faible (moins de 8 restent, de fait, inexpliqués par les analyses classiques de plasticité tandis qu’ils pourraient l’être par des s d’instabilités [DARVE 99].

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- L’analyse inverse en géomécanique :

La détermination de paramètres mécaniques à partir d’essais de laboratoire est une procédure longue, coûteuse et imprécise du fait du remaniement des échantillons. Dans l’avenir on assistera donc sans doute au développement des essais in-situ et nous serons de plus en plus amenés à calibrer les modèles de comportement à partir de tels essais. Les méthodes pour procéder de manière rigoureuse à de telles calibrations existent : ce sont celles de l’analyse inverse. Cependant en présence de fortes non linéarités rhéologiques, l’unicité de la solution n’est naturellement pas acquise et il est nécessaire de construire des modèles de comportement spécifiques, nécessitant un nombre minimal de paramètres, ces paramètres devant être aussi indépendants que possible les uns des autres. Dans cette perspective nous avons bâti deux modèles de comportement, duaux l’un de l’autre, comportant respectivement 5 paramètres constitutifs. La structure constitutive, incrémentale non-linéaire du second ordre, est naturellement préservée et les deux modèles correspondent aux équations 6.39-6.41. La démarche que nous suivons pour bâtir nos modèles comprend deux étapes indépendantes : d’une part le choix d’une classe de chemins de base (triaxiaux ou oedométriques), d’autre part le choix d’une interpolation (linéaire ou non-linéaire) entre les réponses fournies par les chemins de base. Ici, dans le cadre du développement de calculs par analyse inverse, nous maintenons les mêmes interpolations mais choisissons de décrire les chemins triaxiaux ou oedométriques de la manière la plus simple possible en ne faisant intervenir que 5 paramètres constitutifs : pour le modèle ‘direct’ ( ) et pour le modèle ‘dual’ ( ) [DARVE 98b]. Ces paramètres sont tous des constantes traditionnelles, sauf pour le coefficient α , qui permet de décrire indirectement la contractance ou la dilatance du matériau sous cisaillement drainé. Les figures 6.28 et 6.29 illustrent les capacités prédictives du modèle dual, calibré sur chemin oedométrique, en fournissant ses réponses sur des chemins triaxiaux drainés et non drainés, en compression et en extension, pour un sable à forte et faible densités.

ψϕυ ,,,, CEαϕ ,,C,K,E ooedom

Figure 6.28. Modèle incrémental non-linéaire à 5 paramètres, calibré sur un chemin oedométrique.Les courbes réponses correspondent au chemin triaxial drainé pour un sable dense à gauche et pour un sable lâche à droite.

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Figure 6.29. Modèle incrémental non-linéaire à 5 paramètres, calibré sur un chemin oedométrique.Les courbes réponses correspondent au chemin triaxial non-drainé pour un sable dense à gauche et pour un sable lâche à droite.

6.3.5 Conclusions

Les modèles incrémentaux non-linéaires présentent par rapport aux modèles élasto-plastiques l’avantage de ne pas nécessiter l’introduction ni d’une surface de limite élastique ni d’une règle d’écoulement, dont les déterminations expérimentales se sont avérées très délicates dans le cas des géomatériaux. Ces modèles incrémentaux reposent sur l’explicitation d’une relation non-linéaire entre contrainte et déformation incrémentales. Pour bâtir cette relation, nous avons proposé une démarche en deux étapes indépendantes. D’une part le choix des chemins de bases (triaxiaux ou oedométriques) et des descriptions des réponses qui leur correspondent et d’autre part le choix des interpolations entre ces réponses (linéaires ou non linéaires). Cette méthode – constructive –permet de bâtir de manière souple un modèle robuste dont les réponses resteront réalistes du fait de leur nature d’interpolation. Puis, nous avons illustré les capacités prédictives de ces modèles, pour des classes diverses de problèmes : chemins de sollicitations non proportionnels, surfaces de ‘limite élastique’, liquéfaction, instabilités matérielles dans les matériaux granulaires, analyse inverse. D’autres problèmes n’ont pas été abordés tels que la modélisation de la localisation des déformations plastiques en bandes de cisaillement dans les milieux granulaires [DARVE 80b] et dans les argiles structurées [DARVE 84], mode de rupture qui correspond à une bifurcation non homogène du mode de déformation. Des bifurcations homogènes peuvent également se développer par perte d’unicité de la réponse constitutive [DARVE 98a]. Ces différentes illustrations montrent de manière convergente que nos modèles peuvent permettre d’analyser de manière fine un certain nombre d’aspects éventuellement complexes du comportement des géomatériaux. 6.4 Conclusion générale

La première remarque de conclusion portera sur le fait que, aujourd’hui, pratiquement l’ensemble des lois de comportement, mises en œuvre dans des codes de calculs par éléments finis, sont écrites sous forme incrémentale quel que soit le formalisme effectivement utilisé. Cette caractéristique ‘incrémentale’ qui, à l’origine, visait à distinguer l’écriture incrémentale, exposée dans le chapitre 1, de l’écriture en fonctionnelle rhéologique, est ainsi devenue banale.

Le deuxième point porte sur une question incontournable dans son évidence : les expériences permettent-elles de discriminer entre les lois incrémentales non-linéaires et les lois incrémentalement linéaires par morceaux que sont les lois élasto-plastiques ? Les enveloppes réponses au sens de Gudehus [GUDEHUS 79] sont de bonnes candidates pour la réponse. Mais la discussion ouverte est restée sujette à controverses [ROYIS 98]. Et, si l’on considère une caractéristique phénoménologique particulière du comportement des géomatériaux, il semble que l’on puisse toujours trouver un développement spécifique dans le cadre de l’élasto-plasticité classique qui permette de la décrire... On peut

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également se référer à la démonstration originelle de Hill [HILL 67] qui rattachait les lois incrémentalement linéaires par morceaux à des considérations microstructurales, liées à l’existence d’un nombre fini de plans de micro-glissements privilégiés dans le cas de monocristaux métalliques. Il est clair que, pour des assemblages granulaires, ces directions de glissement privilégiées sont a priori quelconques, menant ainsi à une structure de loi incrémentalement non-linéaire [DARVE 80b].

Les procédures de ‘Benchmarks’ sont un autre moyen de discriminer les domaines de validité des lois de comportement. Sur ce plan, les deux benchmarks réalisés à Grenoble en 1982 [GUDEHUS 84] et Cleveland en 1987 [SAADA 88] ont montré que, sur des chemins de sollicitation proportionnels (c’est à dire rectilinéaires dans l’espace des variables de sollicitation), les différents modèles de comportement donnaient des résultats raisonnablement proches, tandis que, sur des chemins non-proportionnels, les résultats pouvaient diverger dans des proportions extrêmes, certaines lois incrémentales non-linéaires donnant de bonnes prédictions. Il parait effectivement clair qu’une matrice constitutive dépendant continûment de la direction de la sollicitation incrémentale sera plus en mesure de décrire la réponse du matériau le long d’un chemin non-proportionnel qu’une matrice ne pouvant prendre que deux déterminations : celle élastique et celle plastique. De même dans l’analyse de bifurcations et d’instabilités, la pratique du calcul avec différents modèles parait montrer une grande influence de la structure constitutive des modèles sur les classes de bifurcations qui peuvent être décrites. Ainsi, on sait que l’élasto-plasticité associée ne peut décrire de bifurcations ou d’instabilités qu’une fois le critère de plasticité limite atteint – ce que l’expérience ne vérifie pas. Les lois incrémentales non-linéaires paraissent bien en mesure de décrire les ‘bifurcations discontinues’ menant à la rupture localisée (par formation de bandes de cisaillement) comme les ‘bifurcations homogènes’ menant à la rupture diffuse, à l’intérieur strict du critère de limite de plasticité.

La dernière remarque portera sur les différentes classes de lois incrémentales non-linéaires. Les modèles endochroniques [VALANIS 71] et les modèles hypoplastiques (au sens de Chambon, voir la première partie de ce chapitre ou au sens de Kolymbas [KOLYMBAS 88]) ont la propriété commune de décrire la non-linéarité incrémentale par un scalaire toujours positif quelle que soit la direction de la sollicitation incrémentale. Le modèle CLoE de Chambon présente les avantages de traiter de manière rigoureuse la question des états limites et de permettre une détermination analytique explicite des états de bifurcation par localisation des déformations. Il a aussi l’avantage de permettre la démonstration de théorèmes d’existence et d’unicité [CHAMBON 99] des solutions de problèmes aux limites, théorèmes dont l’importance réside dans la confiance que l’on peut avoir dans les solutions numériques obtenues par la méthodes des éléments finis. Les modèles incrémentaux de type interpolation (au sens de Darve, voir la seconde partie de ce chapitre, ou au sens de Di Benedetto [DI BENEDETTO 87] ou de Royis [ROYIS 89]) traduisent tous la non-linéarité incrémentale par une forme quadratique tensorielle. Le modèle incrémental non-linéaire du second ordre de Darve permet de décrire certains comportements cycliques et diverses classes de bifurcations et d’instabilité [DARVE 84,00b]. Le modèle octo-linéaire permet des calculs analytiques simples. Enfin, le modèle de Dafalias [DAFALIAS 86] est une généralisation incrémentale non-linéaire de son modèle avec ‘bounding surface’.

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