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1 l’Observatoire de la Reconstruction de la reconstruction l’Observatoire Canaan ou la terre refuge Magally Constant Bien commun et la reconstruction Alain Gilles Impunité et reconstruction Laënnec Hurbon Les entreprises dominicaines dans la reconstruction Jean-Michel Caroit Mouvman Moun pou Ayiti Bel (MAB) Arnold Antonin , Pour le MAB Numéro 7, Jan. 2013 Reconstruire Un chantier de la capitale www.reconstruction-haiti.org

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1 l’Observatoire de la Reconstruction

de la reconstructionl’Observatoire

Canaan ou la terre refuge Magally Constant

Bien commun et la reconstructionAlain Gilles

Impunité et reconstructionLaënnec Hurbon

Les entreprises dominicaines dans la reconstructionJean-Michel Caroit

Mouvman Moun pou Ayiti Bel (MAB)Arnold Antonin , Pour le MAB

Numéro 7, Jan. 2013

Reconstruire Un chantier de la capitale

www.reconstruction-haiti.org

3 l’Observatoire de la Reconstruction

L’Observatoire de la reconstructionNuméro 7, Jan 2013

Rédacteur en chef Jean Marie Théodat

Rédacteur-adjoint Arnold Antonin

Conception + dispositionNODO

Photo de couvertureArnold Antonin

ContactObservatoire de la ReconstructionDelmas 66, Haï[email protected]@yahoo.frphone: 44 55 47 65

La plupart des photos de ce numéro sont de Johnny Tingue

Cette publication bénéficie de l’appui financier de la Friedrich-Ebert-Stiftung et du Ministère Allemand des Relations Extérieures

de la reconstructionl’Observatoire

Le doute et la vertu

Il est de bon ton à Port-au-Prince de jouer les Cassandre et d’annoncer le pire. On est assuré d’être prophète à peu de frais. Par anticipation de la catastrophe, on aurait toujours raison, tant il est vrai que le pessimisme prévaut à tous les stades de la reconstruction de la ville. Trois ans après la catastrophe du 12 janvier 2010 qui a démoli à 80% la capitale haïtienne et la commune de Léogâne, toute tentative de bilan confine à un cahier de doléances dont l’objet est de signaler la rémanence des problèmes de fond : encore plus d’un demi-million de réfugiés dans des camps précaires, des centaines de milliers de personnes, parmi lesquelles d’anciens réfugiés des camps, logées dans des quartiers insalubres ; le chômage, l’insécurité et l’absence de perspectives de croissance de la production, etc. Autant de défis qui restent à relever et dont on n’imagine pas qu’ils puissent l’être dans un avenir très proche tant que des changements structurels n’auront pas été faits à tous les stades de la vie de la nation.

Mais le 12 janvier 2010 était censé avoir ouvert une brèche qui devait rompre définitivement avec les pratiques anciennes, en finir aussi avec le pessimisme d’antan pour reconstruire en vrai le pays. La solidarité internationale s’était mobilisée pour nous aider à relever ce défi et stabiliser la situation politique et sociale afin de relancer le chantier de reconstruction de l’Etat.

Trois ans plus tard, que reste-t-il de cet élan ? Nous commençons à douter de notre capacité à faire face collectivement au destin.

Avant le tremblement de terre, Haïti était déjà le pays le plus pauvre de la Caraibe, et la crise politique qui dure depuis plus d’un quart de siècle, a entraîné une récession continue de toutes les lignes de force de la production des biens et des services. L’effondrement des ressources de l’Etat ne peut pas être compensé par le recours systématique à l’argent de l’aide inter-nationale sans entraîner une certaine perte de l’autonomie de l’Etat pour les décisions stratégiques. On voudrait avoir un panorama de croissance qui permette d’envisager à un pas de temps raisonnable la fin de la crise systémique que traverse le pays depuis plusieurs décades. Rien de tout cela.

Ce n’est pas dédouaner les autorités publiques que de dire que le contraire aurait été étonnant. Le chemin sera long et semé d’embûches, mais du moins faut-il le commencer. Il ne suffira pas de trois ans pour rebâtir ce qui a été dévasté. Nous n’avons pas encore tout le recul nécessaire pour prédire ce qui se prépare, mais du moins devons-nous déployer les compas de lanalyse pour nous representer ce qui se fait.

Dans sa livraison de ce mois, l’Observatoire de la reconstruction, fidèle à sa mission d’analyse de la situation aborde le chantier en insistant, non sur le bilan, mais sur les perspectives ouvertes par la reconstruction en s’intéressant tout d’abord, avec Magally Constant, au rôle des principaux acteurs de la reconstruction : les déplacés eux-mêmes. A travers un travail de terrain effectué en équipe, elle établit une radioscopie du nouveau quartier de Canaan. Cette excroissance de la capitale prolifère selon un mode informel dont l’enquête révèle qu’il possède sa logique propre, ses propres appareils et structures d’encadrement. Ce qui dénoterait un processus de production d’espace élémentaire dans une situation de crise extrême. L’occasion de

Jean Marie Théodat

4 5 l’Observatoire de la Reconstruction

réfléchir sur la genèse même du pouvoir local et de définir une justice spatiale comme mode d’encrage des hommes à leur territoire.

La reconstruction pose également, en toile de fond, le défi des valeurs civiques à rétablir après avoir été mises à mal par plusieurs décades de crise politique. Alain Gilles revient sur la dimension intellectuelle et morale du chantier en montrant les travers du pacte social haïtien : la haine et le mépris restent encore les deux éléments de la dialectique sociale. Au mépris des élites répondrait la haine de la catégorie la plus nombreuse et la plus miséreuse. Ces affects, sans contredire la lutte des classes, viennent comme un adjuvant sceller des contradictions historiques, rendant plus aigus les conflits par une dimension cynique et brutale de la violence, qu’elle soit physique ou verbale, subie ou exercée. L’auteur en appelle à un sursaut des vertus, au sens des Lumières, pour qu’enfin émerge une volonté collective de progrès et de bien-être partagés.

La reconstruction suppose une rupture avec les pratiques anciennes, notamment en matière de droit et de justice. Laennec Hurbon démonte les mécanismes du fléau de la dilution de responsabilité. Se pa fòt mwen est la réponse apportée à bien des questions posées par le destin. Trop souvent le kase fèy kouvri sa constitue le mode de résolution des énigmes les plus litigieuses. Un pays où la récurrence de la catastrophe a fini par enlever à celle-ci son caractère d’exception devient également insensible à la corruption, au népotisme, au crime organisé, etc.

L’ampleur du désastre n’a pas rendu plus vertueux les survivants ni plus magnanimes les principaux acteurs de la reconstruction. La relance comprend des enjeux économiques et des perspectives d’enrichissement individuel qui ne se traduisent pas toujours en croissance pour l’économie. L’opacité de l’attribution de certains marchés à des firmes dominicaines illustre en partie cette impunité qui renoue avec des pratiques d’un autre âge : Jean-Michel Caroit rappelle les éléments d’une enquête qui révèle les bas-fonds de la reconstruction et jette un éclairage nouveau sur l’offensive des milieux d’affaires dominicains sur les opportunités offertes par le marché de la reconstruction.

La solidarité exprimée par le peuple dominicain ne doit cependant pas être occultée par les pratiques véreuses de quelques uns. La reconstruction est une opportunité pour les firmes dominicaines, mais à condition que ce soit dans le strict respect de la légalité dans les deux pays. C’est l’occasion d’une collaboration profitable aux deux parties, mais pour le moment Haïti a du mal à trouver sa vraie place et de jouer sa partition dans le duo. L’apport dominicain dans la reconstruction ne se limite pas à la donation d’un campus universitaire tout neuf à Limonade, ni à l’exportation massive de biens alimentaires vers le marché haïtien, cela se traduit également par la formation des futures élites du pays. Avec Harold Joseph, nous observons que l’immigration haïtienne en République dominicaine est en train de changer de nature et de structure par la part croissante prise par les étudiants haïtiens dans les universités dominicaines.

Le défi de la reconstruction offre enfin aux intellectuels haïtiens l’occasion de relever le défi posé par les déchirements partisans. Quel est le rôle des intellectuels dans la reconstruction ? ce défi ancien trouve ici une résonnance nouvelle. Une société civile semble se mettre en branle et s’exprime à travers des initiatives civiques, des forums et des débats. Nous publions ici une lettre d’Arnold Antonin figure de proue du MAB et de l’intelligentsia porto-princienne sur les modalités de la reconstruction.

Canaan ou la terre refuge Magally Constant

« À toi et à ta race après toi, je donnerai le pays où tu séjournes, tout le pays de Canaan, en possession à perpétuité, et je serai votre Dieu. » (Genèse, 17, 8 ) …

Le Canaan d’Haïti est loin d’être à l’image de la Terre Promise, un pays où couleraient le miel et le lait à profusion. Il est plutôt une terre-refuge dont on entend parler depuis le drame du 12 janvier. Selon l’opinion commune, il s’agit d’un camp où des rescapés se sont établis, fuyant les ruines et les cadavres du séisme.

Aperçues de loin, les collines de Canaan apparaissent telle une vaste étendue aux limites indéfinissables, parsemée de constructions visiblement fragiles. Dans la lueur et la brume du matin, on les découvre, ces shelters, ces tentes de couleur bleu, gris, ocre et autres, ces maisonnettes grises en parpaings non enduits. De loin, cette étendue interpelle et renvoie spontanément aux déplacés du séisme.

De près, on découvre une zone rocailleuse, poussiéreuse, piquée de bayahondes et de palma-christi. Des sentiers en terre battue y sont tracés. On déniche, ça et là, des écoles, Kind, Prim, logées sous des tentes rapiécées, des petits commerces où l’on vend des boissons gazeuses , 12 pou 12 Dépôt… Des amas de pierres, des piles de parpaings déposés dans les enclos délimités par des poteaux bancales et des fils de fer barbelés, indiquent que l’on est en pleine construction : une pleine appropriation de la terre que l’on veut inscrire dans la durée.

On découvre alors un nouveau pôle, une nouvelle ville-bidon, où les gens se sont rassemblés pour se refaire une vie. La voix des enfants de ce jardin d’enfants de la zone 3 attire l’attention : mon peti oizo –o-o za pri sa vole, mon peti oizo-o-o za pri sa vole … Chant symbolique, chant d’espoir disant encore une fois à quel point les plus démunis de ce pays accordent de

On découvre alors un nouveau pôle, une

nouvelle ville-bidon, où les gens se sont rassemblés pour se

refaire une vie.

Dépôt de gazeuses à Canaan.

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l’importance à la scolarisation, voix innocentes exprimant inconsciemment le désir de s’envoler de cet endroit où la main et le regard de l’État feraient bien de s’attarder…

Edeline, Yves, Robenson, Anna et Patrick, enquêtant pour le compte de l’Observatoire de la reconstruction, se sont rendus sur cette terre refuge aux parcelles désormais convoitées. Pour y accéder, le groupe s’est rendu à Bon-Repos où se trouve la station de taptap desservant Canaan. La course coûte 5 gourdes.

Genèse de Canaan

« Canaan n’a jamais été un camp », affirme un membre du RADICOP (Rassemblement des Citoyens Conséquents pour le Progrès), une des organisations populaires de Canaan. Les camps se situent en ville et à Corail. La population de Canaan est constituée de gens sans terre, qui ne pouvaient pas payer leurs loyers ailleurs faute de revenus. Mais « Dieu est grand, il est un adulte, il agit comme il l’entend », nous dit cet informateur, faisant explicitement référence à un don divin… Ici, poursuit-il, existait un terrain vierge, où il n’y avait jamais eu de maisons. Les gens ont dû défricher pour s’y installer, y construire leurs maisons.

À l’origine, cette terre était un repaire de bandits : les ravisseurs y cachaient leurs otages, les tueurs à gages y exécutaient leurs victimes. Maintenant, on ne peut plus y accomplir ces actes malhonnêtes. Des brigades civiques parcourent la zone, s’y relayent pour y maintenir l’ordre.

Canaan est présenté tel un don divin dans le discours de notre informateur, une cité qui appartiendrait désormais à ces pionniers défricheurs. Canaan ne serait pas non plus un camp éphémère dont les habitants pourraient être relogés, déplacés, mais une cité organisée avec des citoyens responsables et stables (cf. le CDSCSC, Comité de Développement des Citoyens Stables de Canaan). Canaan n’est plus le no man’s land de départ où l’on pourrait continuer librement à venir planter sa tente et se conduire n’importe comment. Les brigades veillent sur les familles, à l’affût des individus mal intentionnés.

Cependant, à y regarder de près, la nouvelle cité est loin de refléter la paix rêvée par les pionniers. Elle fonctionnerait plutôt à l’image du mythe de l’état de nature expliquée dans le Léviathan de Hobbes : il s’agit de la guerre de chacun contre chacun, où la garantie du bien est éphémère car un plus fort est susceptible de vous supplanter. Ainsi en parle Frantz Duval dans un éditorial paru dans le Nouvelliste du 11 décembre 2012 :

« […] C’est l’histoire d’un petit lopin de terre en face de chez elle, enfin, en face de sa tente. Un premier citoyen a acheté le lopin de terre et a commencé à placer tôles, bâches et bois. Il s’est déplacé. On a revendu sa «terre» en son absence. Un deuxième citoyen s’amène et fait bâtir: tôles et bois, pas de bâches. Cela avance lentement. Il s’absente. On revend la terre. Le même «on» qui, spoliant un premier propriétaire, lui avait vendu son lopin. Un troisième citoyen qui achète au prix assez fort (30 000 gourdes) les quelques mètres carrés débute des fondations en pierre de taille.... Il s’essouffle, le travail s’arrête. Il s’absente pour aller brasser et chercher des fonds. A son retour, le terrain est re-revendu. Un quatrième achète et finit, enfin, la construction. Il est propriétaire d’une maison contestée. Sitôt informé de la situation, il se met en quête d’un pigeon et vend la terre et la maison, rentrant donc son argent avec un petit bénéfice et le

A Canaan.

grand avantage de transférer les futures poursuites au nouvel heureux propriétaire. »

Les étudiants de la 2e promotion du Master en Population et Développement (MAPODE) de la faculté des sciences humaines ont fait des constats similaires dans une étude de terrain dont les résultats ont été publiés dans le Nouvelliste du 13 décembre :

« Des portions de terre sont accaparées, vendues et achetées à tort et à travers à des prix très dérisoires. Les transactions d’achat et de vente de terrains se sont réalisées en dehors des normes établies[…] D’ailleurs, des portions de terres ont été vendues à plusieurs reprises, selon les témoignages de certains riverains. »

Ainsi, en dépit du désir d’y vivre en paix et d’y voir régner l’ordre, les habitants de Canaan font face à l’absence d’une autorité clairement désignée pour diriger et prendre en compte les doléances de tous. Pourtant, la cité spontanée est bel et bien conquise et des entités gouvernent. Les informations recueillies ont permis de dresser une sorte de configuration de la cité cananéenne et d’avoir une première compréhension des forces en jeu.

Géographie sociopolitique de Canaan La distribution du pouvoir

Canaan est divisé en 5 zones allant de Canaan 1 à Canaan 5. Chaque zone est subdivisée en section allant de A à H. Ce nouveau pôle pourrait être considéré comme un des effets du contexte post-séisme où la faiblesse de l’État Haïtien a laissé le champ libre aux initiatives civiles. Selon notre informateur, il existerait 16 organisations de base à Canaan. Nos observateurs ont recueilli des informations sur les organisations les plus impliquées.

HAP (Haïti en Action pour le Progrès). Il s’agit de la première organisation communautaire de Canaan. Selon Zamor Ambroise, Coordonateur du HAP, si Canaan possède aujourd’hui des repères, c’est grâce à cette organisation qui a tenté le premier traçage géo-urbain de la zone.

Le RADICOP (Rassemblement des Citoyens Conséquents pour le Progrès) regroupe 200 personnes dont 80 femmes. Venant en rescousse au travail du HAP, le RADICOP a contribué à frayer les différentes voies au niveau de la zone A de Canaan 3.

Le CDSCSC (Comité de Développement des Citoyens Stables de Canaan) est une sous-structure du HAP. Sa tâche principale concerne la gestion de l’électricité (voir infra).

L’OVISEC, l’Organisation des Victimes du Séisme de Canaan, procède dans certaines zones à la distribution de la terre.

Ainsi, Canaan, Terre Promise incontrôlée au départ, s’est retrouvé sous la férule de toute une série d’organisations locales, qui se veulent les garantes des droits cananéens, œuvrant avec plus ou moins d’autorité. Les témoignages font allusion à une situation de rivalité entre ces différentes organisations car le pouvoir n’est pas également partagé. La population de son côté, bénéficierait ou pâtirait de ce rapport de force en ce qui concerne l’accès à l’électricité ou aux logements construits par les ONG.

Dans un article publié le jeudi 12 janvier sur le site d’Alter-Presse on lit que le comité du site a distribué deux centièmes de terre à chaque habitant ( information fournie par le pasteur Joseph Michel Volny) et que l’OVISEC officie en lieu et place de l’État dans Canaan 2, veillant à la propriété foncière et donnant son autorisation pour la passation de terrain ou le départ du site. Le Comité de Développement des Citoyens Stables de Canaan exige 2500

Ainsi, Canaan, Terre Promise incontrôlée

au départ, s’est retrouvé sous la

férule de toute une série d’organisations

locales, qui se veulent les garantes

des droits cananéens, œuvrant avec plus

ou moins d’autorité.

Canaan cour intérieure.

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gourdes par famille pour les habitants de la section A (Canaan 3) et 5000 gourdes pour les autres zones. La section A est privilégiée non seulement parce que l’hôpital et l’église catholique y sont situés mais aussi parce que s’y trouve le siège de HAP. Notre informateur parle également de l’échec du projet d’achat d’autres génératrices. Certains se seraient fait extorquer 375 gourdes par le HAP sans jamais avoir de nouvelles de la génératrice en question.

Infrastructures et vie Cananéennes

S’agissant de traçage de routes, de dénomination de lieux et surtout de gérer une population de soixante mille habitants, on tombe de plain-pied sur un gros problème d’urbanisation. On ne parlera pas de canalisation ou de gestion de déchets, structures quasi inexistantes même à Port-au-Prince. On s’attardera de préférence sur l’accès à l’eau potable, à l’électricité et sur les lieux d’aisance.

D’après les propos recueillis sur place, le Père Raymond Maillot, prêtre catholique, a fait construire à Canaan dix latrines de dix orifices. Chacune de ces latrines devant desservir dix familles. Nos informateurs nous apprennent que certaines de ces latrines sont déjà hors service en raison d’une utilisation en dehors de tout principe d’hygiène. Le Père Maillot a également pensé à l’alimentation de la zone en électricité par le biais d’une génératrice. Les habitants doivent s’inscrire pour y avoir accès.

L’eau est rare à Canaan. Quelques puits ont été creusés par les Coréens. Certains commerçants construisent des citernes pour stocker l’eau apportée par les camions. Le seau de 5 gallons ou la « bokit » sont à 5 gourdes. L’eau potable est présente dans les commerces. À Canaan 3, on repère six points de vente. Le prix est de 5 gourdes par gallon.

Un Techo Para Mi Pais (UTPMP), une organisation latino-américaine, intervient dans la construction de shelters pour les habitants. Ces abris ne seraient pas distribués gratuitement. Pour en bénéficier, il faudrait payer des droits d’inscription de 250 gourdes auprès d’une organisation communautaire comme le HAP et 500 gourdes pour le transporter sur le lieu occupé. Sinon, chaque habitant construit sur le lopin de terre squatté dès le premier débarquement sur les lieux.

Nos observateurs n’ont pas été jusqu’au centre de santé et l’hôpital (les deux seuls de Canaan) pour nous donner une idée du fonctionnement de ces deux lieux, des affluences et des cas rencontrés. Ils ont eu un entretien avec Johnny, le hougan de la zone, dans la maison où il reçoit les malades. Nonchalamment installé sur une serviette étendue à même le sol, il leur parle de Canaan, expliquant que la zone n’est qu’une « ruelle », « une route faite à la va-vite » :

- À bien y regarder, ici, on est à Canaan 3, un peu plus haut on est à Canaan 5, un peu plus loin on est à 1…

Vue de Canaan.

Anna devant le KinderGarden de la Zone 3 de Canaan.

Pour Johny qui fait partie des pionniers de Canaan, il n’y a pas d’aide pour les habitants; il n’y a pas non plus d’État sinon la prise en charge de soi par soi. On est « l’État de nous même » souligne Johny. On n’est pas encadré par des policiers comme à Corail ou sur la Route Neuve. Les habitants ont toujours construit leurs propres maisons. Certes, quelques ONG ont distribué des « kay bwat » (ou shelter) mais il n’y en avait pas pour tout le monde.

Nos observateurs n’ont pas pénétré à l’école préscolaire où l’on entend chanter les enfants. Ils en ont croisés qui ne vont pas à l’école comme le jeune fils du responsable du CDSCSC en âge de fréquenter l’école fondamentale. Ils ont pu entrer dans une école vide, désertée vu que les parents ne peuvent pas payer les manuels scolaires. Le bon samaritain dévoué à la cause de ces enfants démunis explique tout cela dans le local de l’église qui fait également office d’école. Il s’agit en réalité d’un baraquement de fortune dont les bâches sont trouées de part et d’autre. Les bancs, des morceaux de planches déposés sur les piles de parpaing. L’enseignant dévoué à la cause se plaint de l’absence du PSUGO (Programme de Scolarisation Universelle Gratuite et Obligatoire) à Canaan.

On est frappé par la présence de nombreux lieux de prière. D’ailleurs, ces collines n’étaient-elles pas au départ le lieu de pèlerinage des dévots de l’Armée du Salut auxquels elles doivent leur nom ? Les fervents prient à l’Église de Dieu, à l’Église Nazaréenne, à l’Eglise Catholique pour se protéger des malheurs… D’autres ne se privent pas du plaisir de se délasser à la seule discothèque de Canaan.

Des ONG comme l’OIM (Organisation Internationale de la Migration) font la navette dans la cité sans « régler quelque chose de sérieux » souligne le responsable du CDSCSC. Il souligne que l’OIM effectue surtout un travail de prélèvement de données sur la population, faisant travailler des gens de la zone sans les rémunérer. L’insatisfaction prend des proportions telles, que le 5 décembre dernier, la voiture des employés de l’OIM a été bloquée au camp.

1

Haïti-Séisme 2 ans : « Le camp Canaan », terre promise ou misère dans un désert ?http://www.alterpresse.org/spip.php?article12199

Des ONG comme l’OIM font la navette

dans la cité sans

« régler quelque chose de sérieux »

souligne le responsable du CDSCSC.

Canaan

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La reconstruction ne peut être à la hauteur des attentes, ne peut atteindre sa véritable dimension, que si l’on pose le problème de la nature de ce qu’il faut construire ou reconstruire. S’agirait-il simplement d’édifices publics à ériger ou d’unités de logement saisies sous le vocable de camp d’hébergement à mettre en place ? Le séisme du 12 janvier 2010 a ébranlé le tissu social dans ses fondements : des membres de famille, des familles entières, des équipes de travail, des quartiers ont disparu. C’est le tissu social, déjà si précaire, qui a été ébranlé. La reconstruction ne peut être envisagée sans un sens profond de l’intérêt général, du bien commun, de ce qui tient les gens, les groupes sociaux ensemble dans une société.

Or, c’est précisément ce qui manque le plus chez nous. Il est de ce fait impératif de se demander si les différents projets de relocalisation des personnes vivant sous les tentes ne conduiront finalement pas à une plus grande marginalisation de couches de plus en plus importantes de la population. Si le droit à un logement décent n’est pas protégé par des mesures appropriées, si le fonds foncier urbain est abandonné à la spirale des spéculations financières, on assistera à une détérioration des conditions de vie des classes moyennes, durement touchées par le séisme. Il faut questionner le fonds social sur lequel se greffe la reconstruction, qui devrait en conséquence en tenir compte pour éviter une reproduction élargie d’un ordre social qui s’est révélé incapable de produire son propre développement. Malheureusement, les mises en garde ne suffiront pas. L’ordre social a sa propre logique.

La pauvreté de nos moyens ne saurait en effet, par elle seule, expliquer l’état de notre système éducatif, la couverture scolaire insuffisante du pays, l’abandon des villages, le taux d’analphabétisme (l’un des plus élevés des Amériques), l’absence du niveau de culture nécessaire à la vie dans une société qui maîtrise ses choix, où les rapports sociaux sont empreints du respect minimum dû à la dignité que l’on reconnaît à un être humain.

La pauvreté de nos ressources n’explique certainement pas l’état délabré de notre système de soins, si âprement décrit par le Dr Arry Bordes, dans ses tomes sur l’histoire de la santé publique. Elle n’explique certainement pas notre passivité face à tant d’adversités, face à la destruction de notre environnement, à laquelle d’ailleurs nous participons activement.

La pauvreté de nos moyens n’explique pas que malgré l’existence de plus d’une centaine d’« institutions universitaires », il n’existe dans le pays aucune bibliothèque universitaire digne de ce nom. Elle n’explique pas qu’on soit le seul pays de la région à ne pas être doté d’un campus universitaire, que la « reconstruction » n’ait accordé aucune place à des lieux pour la production de la pensée. Elle n’explique pas notre position de faiblesse absolue sur tous les indices quantitatifs et qualitatifs, qui font que notre pays avec ironie soit considéré comme étant le seul qui porte un nom de famille : le plus pauvre de l’hémisphère occidentale.

La pauvreté de nos moyens ne saurait par elle seule expliquer les ratés de ladite reconstruction, chaque jour soulignés dans la presse nationale et in-ternationale. Elle n’explique pas les élections toujours contestées, entamant

Bien commun et ReconstructionL’apprentissage de la vertuAlain Gilles

La pauvreté de nos moyens ne saurait,

par elle seule, expliquer l’état

de notre système éducatif, l’abandon des villages, le taux

d’analphabétisme (l’un des plus élevés

des Amériques), l’absence du

niveau de culture nécessaire à la vie

dans une société qui maîtrise ses

choix, où les rapports sociaux

sont empreints du respect minimum

dû à la dignité que l’on reconnaît à un

être humain.

la légitimité des « élus » et des institutions publiques. Elle n’explique pas l’absence d’une politique de croissance axée sur la productivité du travail, et non sur l’importation à des fins commerciales, la spéculation financière et le gaspillage dans des soi-disant projets à haute intensité de main-d’œuvre. Elle n’explique pas la situation de tensions sociales qui donnent lieu à des manifestations étudiantes et populaires à répétition.

Il existe des sociétés dont le mode d’intégration constitue un frein à leur propre développement. La société haïtienne fonctionne suivant un mode tel que le «pays en-dehors» reste «en-dehors» génération après génération, c’est-à-dire à travers le temps, et même après une émigration en bidonville, c’est-à-dire à travers l’espace. La reconstruction, renforce-t-elle cet ordre des choses ? L’ordre social haïtien appartient à «ces systèmes de relations sociales dont la désintégration peut être essentielle avant que des progrès en vue d’une société plus juste et équitable soient possibles?» (Cynthia Hewitt de Alcántara, Social Integration: Approaches and Issues, United Nations Research Institute For Social Development (UNRISD), 1994)

Le mépris des élites / la haine des masses

Le sociologue américain James Leyburn, étudiant la société haïtienne de la dernière moitié du vingtième siècle, nous décrit ainsi les relations entre les élites et les masses: «Les aristocrates ont toujours établi entre eux et les classes d’ordre inférieur une distance sociale. En Haïti, cette règle est observée avec rigueur. En général, dit-il, il y a chez l’aristocratie haïtienne une profonde conviction que les masses sont stupides» (The Haitian People, (3e édition), University of Kansas, Institute of Haitian Studies, 1998, p. 287). Après plus d’un demi-siècle, au début de ce vingt et unième siècle, Leslie F. Manigat s’exprime ainsi sur ce point: «Il faut dire, si ma mémoire est fidèle, que, hormis des essais idéologiques créateurs de discussions de chapelles …, la nature de la société haïtienne n’a pas fait l’objet d’un débat sociologique scientifique et soutenu depuis la polémique fameuse entre le Dr James Leyburn et le Dr Jean Price Mars, ce dernier contestant la définition de société de castes appliquée par le premier à Haïti dans le livre «The Haitian People» sans pouvoir dire d’ailleurs, en réplique, – et pour cause – que c’était une société de classes à l’épure bien définie. Leslie Manigat continue pour dire : «Ni l’un ni l’autre ne me semblent avoir tiré du constat de l’ambiguïté (ou même de l’ambivalence) de nature de cette société, qu’il y aurait peut-être intérêt à chercher la réponse dans l’existence de formes «à cheval», hybrides au potentiel avorté, ou de formes transi-tionnelles arrêtées dans leur processus évolutif». (Eventail d’Histoire Vivante d’Haïti. Des préludes à la Révolution de Saint-Domingue jusqu’à nos jours, (Tome 1 : La période fondatrice), Port-au-Prince : Collection du CHUDAC, 2001, p. 20).

Ce débat autour de la nature de la société haïtienne, jamais systématiquement posé, encore moins résolu par des politiques publiques appropriées, est évidemment lié à la question de la « reconnaissance sociale ». Concept hégélien repris depuis peu par des contemporains comme Francis Fukuyama et Axel Honneth, la reconnaissance sociale rend compte des rapports à soi-même comme « la confiance en soi, le respect de soi et l’estime de soi », et, dans les situations de non-reconnaissance ou de mépris social, s’exprime sous forme « d’atteinte physique ou d’atteinte à la dignité de la personne ». La non-acceptation des masses comme acteur social, qui accompagne notre histoire de peuple, a évidemment produit sa contrepartie : la haine des masses, la haine sociale.

12 13 l’Observatoire de la Reconstruction

Dans Les Misérables, après les mésaventures de Jean Valjean avec la société, Victor Hugo écrit que «le point de départ et le point d’arrivée de toutes ses pensées était la haine de la loi humaine; cette haine, qui, si elle n’est pas arrêtée dans son développement par quelque incident providentiel, devient, dans un temps donné, la haine de la société, puis la haine du genre humain, puis la haine de la création, et se traduit par un vague et incessant et brutal désir de nuire, n’importe à qui, à un être vivant quelconque ». Dans le documentaire qu’Arnold Antonin a récemment consacré aux luttes sociopolitiques des années qui ont suivi le départ des Duvalier, Leslie Manigat s’exprime en ces termes : « Je me rends compte que dans ce pays, la haine est la force politique la plus

efficace ». Pourquoi finalement tant de haine ? Ce ne serait pas uniquement dû aux frustrations résultant de la non satisfaction des besoins matériels, mais surtout de la non reconnaissance sociale, du mépris de l’autre. Quoiqu’il en soit, cette haine des masses, produit symétrique du mépris social dont elles sont l’objet depuis l’époque coloniale, est devenue un instrument aux mains des politiciens dans la poursuite de leurs objectifs. Les manifesta-tions violentes de rue dont ce pays a fait l’expérience au cours de son histoire en résultent certainement.

Cette symétrie mépris / haine constitue le mode par lequel les élites et les masses se font face dans notre pays. Ce fut également l’arme privilégiée aux mains des acteurs politiques. Elle est destructrice par nature, empêche l’émergence d’une conscience de l’intérêt général, du bien commun, sans laquelle la reconstruction n’est condamnée qu’à renforcer les inégalités et tout ce qui anime cette dialectique du mépris et de la haine.

Reconstruire au nom du bien commun

Les initiatives qui ne conduisent pas au seul bien-être individuel ou clanique supposent ce que Montesquieu a appelé la vertu qui, d’après lui, caractérise les régimes républicains. «La vertu politique», écrit Montesquieu dans l’Esprit des lois, «est un renoncement à soi-même, qui est toujours une chose très pénible. On peut définir cette vertu, l’amour des lois et de la patrie. Cet amour, demandant une préférence continuelle de l’intérêt public au sien propre, donne toutes les vertus particulières; elles ne sont que cette préférence.» Tocqueville a précisé qu’il s’agit du « pouvoir moral qu’exerce chaque individu sur lui-même et qui l’empêche de violer le droit des autres ». Alain Rouquié, dans le livre écrit sous sa direction et sous le titre : La démocratie ou l’apprentissage de la vertu, (Paris : A.-Métailié, 1985) commente que « cette vertu est sur le plan collectif comme au niveau de l’individu, la capacité culturelle de résister à sa propre force et aux pulsions agressives élémentaires. Elle exige la domination de soi qui est indispensable à l’acceptation des pratiques symboliques propres des régimes représenta-tifs ». Le combat Fillon / Copé pour le contrôle de l’UMP en France a fourni à Jean-Claude Monod, chercheur au CNRS et enseignant à l’École normale supérieure, l’occasion de rappeler, dans Le Monde du 29 novembre 2012 (version en ligne) que « les qualités essentielles d’un chef démocratique – au premier rang desquelles la vertu, au sens où l’entendait Montesquieu - sont de veiller à l’intérêt commun avant de rechercher son propre intérêt personnel, et se situer également, en toutes circonstances, sous la loi ». Question pour nous de souligner que la construction de cette vertu n’est pas donnée une fois pour toutes, qu’un fonds historique et culturel peut s’opposer à sa consolidation. C’est certainement le principe de l’intérêt général, de celui du bien commun qui donne un sens aux Déclarations des droits de l’homme, aux notions de développement durable, de bonne gouvernance. Embrasser ces notions quand rien ne se fait en vue d’une construction de cette « vertu » ne peut conduire qu’à une posture, qu’à une formule vidée de tout contenu, montrant au passage sa capacité de manipuler des phrases que l’on croit savantes.

Pour la reconstruction que la population dans sa grande majorité attend, nous avons besoin du leadership nécessaire aux décisions au nom du bien commun.

«La vertu politique est un renoncement

à soi-même, qui est toujours

une chose très pénible. On peut

définir cette vertu, l’amour des lois et

de la patrie. Cet amour, demandant

une préférence continuelle de

l’intérêt public au sien propre, donne

toutes les vertus particulières; elles ne sont que cette

préférence.»

Par le développement anarchique des villes.

14 15 l’Observatoire de la Reconstruction

Impunité et reconstructionLaënnec Hurbon

L’idée de reconstruction en Haïti a quelque chose de saugrenu quand on l’analyse dans la perspective des gouvernements haïtiens depuis ces trois dernières années. Les allées du pouvoir bruissent en effet de crise électorale, de débats sur un amendement constitionnel confus, de conseil électoral à la fois provisoire et permanent, de carnavals et d’affaires à la fois économiques et politiques. On cherche en vain la performance de la fameuse CIRH, cette institution éléphantesque, inopinément muée en Centre pour le Développement. Tout compte fait, les gouvernements semblent s’affairer à tout autre chose qu’à l’urgence de la reconstruction. Cela n’empêche pas que l’actuel pouvoir pavoise et se donne le satisfecit en gardant les yeux secs. Pendant ce temps, Transparency International qui évalue l’importance de la corruption dans le monde, place Haïti au 167e rang sur 176 pays, les derniers de la classe étant pour la plupart des pays en guerre.

Comment expliquer une telle tranquillité, une telle autosatisfaction ? Plus surprenante encore est cette propension de la plupart des gouvernements à déclarer leurs bilans positifs. Il semble que nous sommes en présence d’une forme inédite de gouvernance qui dévie vers une attitude de cour royale à tous les niveaux : exécutif, législatif et judiciaire. Je crois pouvoir étayer cette hypothèse à partir de la pratique de l’impunité, véritable habitus du pouvoir en Haïti, qui généralement répugne à se croire responsable, imputable des conditions désastreuses d’où le pays ne parvient pas à sortir.

Bien entendu, tout gouvernement hérite de la situation laissée en vrac par son prédécesseur. Mais il convient précisément de porter l’interrogation sur cette récurrence des mêmes comportements. Celui qui parvient au pouvoir ne se sent nullement tenu de rendre compte à qui que ce soit, donc il a tendance à se croire un tant soit peu au-dessus des lois. Cette problématique est au coeur de la refondation de l’Etat, sans laquelle la reconstruc-tion du pays n’est littéralement pas possible et demeure un vœu pieux, commis à des discours incantatoires.

Tant que la justice, donc la primauté des lois, ne sera pas mise au centre du pouvoir, c’est un leurre de croire que le pays se reconstruira. Un renversement des perspectives des dirigeants est indispensable. L’une des caractéristiques d’Haïti c’est que le gouvernement n’a aucun compte à rendre : les présidents sont, en toute rigueur, irresponsables, comme dans un régime de monarchie absolue. De fait, tous ceux qui, de près ou de loin, sont en rapport avec le pouvoir béficient d’une certaine immunité. : « Tant que je suis au pouvoir, toi mon partisan, rien ne peut t’arriver ». Sur cette base, le pouvoir ne sera entouré que de flagorneurs, qui font chorus avec lui : tout va bien dans le meilleur des mondes, les opposants sont « des ennemis qui ne nous aiment pas et envient notre position chèrement acquise ».

« Tant que je suis au pouvoir, toi mon partisan, rien ne peut t’arriver »L’espace public est impunément envahi à chaque coin de rue.

16 17 l’Observatoire de la Reconstruction

Il serait instructif de s’informer sur le nombre de personnalités en Haïti que la loi elle-même dispense de répondre à une convocation par un commissaire de gouvernement : président, ministres, députés, sénateurs, directeurs généraux… Et probablement conseillers et hauts fonctionnaires cherchent eux aussi à recourir à l’habitus de l’immunité. On est autorisé à se demander si les dirigeants du pays ne forment pas une sorte de cour, car alors même qu’ils n’ont plus le pouvoir, la grâce du pouvoir continue à les accompagner, comme leur ombre.

Comment expliquer que l’on puisse entendre encore dans la presse certains militants déclarer avec assurance qu’un ancien président n’a pas à être convoqué par la justice ? Prenons le cas de Jean-Claude Duvalier : « nommé » président à vie par son père (par une violation flagrante de la loi sur l’âge du passage à la majorité) avec cette terrible affirmation : pitit tig se tig. Son régime dura 15 ans grâce à 30 000 tontons macoutes et une armée rendue complice. Le symbole de ce pouvoir reste la tristement célèbre prison de Fort Dimanche, centre de torture et d’exécution sans jugement des opposants. Les conventions inter-nationales, signées par l’Etat haïtien, permettent, en principe, de prendre encore en compte aujourd’hui les plaintes dûment présentées au tribunal pour crimes contre l’humanité. Mais la justice haïtienne n’en a cure : comme si ses 15 ans au pouvoir ne représentaient pas quinze ans de brigandage. Il reçut en récompense un passeport diplomatique, et peut-être même - qui sait ?- une pension.

On passe l’éponge, car on est occupé et préoccupé essentiellement par le développement du pays. L’impunité apparaît ici comme un culte et une tradition souvent invoquée : il en a toujours été ainsi, rien ne changera sous le soleil. Tel est le type de raisonnement qui assure la reconduction à l’identique du statu quo ante et qui obère toute possibilité de reconstruction véritable de la nation.

Est-ce que cette invocation de l’immunité au regard de la reconstruction d’un pays après une catastrophe comme celle du 12 janvier 2010, n’est pas abstraite, inadaptée et irréaliste ? Manifestement oui, si on prend Haïti pour une exception et pour un pays qui accepte d’être la risée du monde dans la mesure où il joue en histrion à la démocratie. La réponse est « non », si on met l’impunité en perspective avec les contrats signés pour la reconstruction- hors des règles et sans contrôle-, les possibilités de détournement de fonds, de gaspillage des biens publics, de laisser-aller face aux trafiquants de drogue et aux pratiques maffieuses, toutes pratiques qui excluent la reddition de compte avec sanction. Concrètement il s’agit, non pas d’ignorer les lois, mais de fonctionner comme si elles ne pouvaient pas s’appliquer aux dirigeants et en même temps comme si elles pouvaient être instrumentalisées à des fins politiques partisanes c’est-à-dire contre les opposants. Combien de dossiers (de crimes) pourrissent dans les archives des tribunaux et des parquets, et sont restés sans suite !

Il n’est sans doute pas inutile de rappeler que déjà, dans la démocratie athénienne, ce sont les généraux et les chefs de gouvernement qui faisaient en priorité l’objet de poursuites. Quant au système anglais, il est obsédé par le lien très étroit entre gouvernement et justice. Le problème de l’impunité, reconnu comme tel, n’a donc rien d’incongru quand il est

Combien de dossiers (de crimes)

pourrissent dans les archives des

tribunaux et des parquets, et sont

restés sans suite !

mis en rapport avec la reconstruction du pays, du moins, du point de vue des gouvernants. Il y a certes plusieurs activités multiformes fort positives venant d’institutions de la société civile, mais elles s’échinent en vain à se faire entendre par ces gouvernants. On attend encore aujourd’hui qu’on rende publiques les normes de construction (des maisons fissurées sont en effet réparées sommairement et remises sur le marché de l’immobilier, comme si le 12 janvier n’y avait rien changé). Par ailleurs, les mesures prises contre l’occupation sauvage, anarchique des flancs du morne l’Hôpital ou de Canaan, sur la route du Nord, se font encore attendre. On attend Godot, comme dans la pièce de théâtre, un Godot qui serait un plan général de reconstruction, avec la participation active des collectivités territoriales et des acteurs de la société civile.

L’idée de reconstruction lancée au lendemain du 12 janvier reste déconnectée du principe de développement. Plus les années passent, plus la reconstruction perd de son sens initial, s’enveloppe d’opacité, de sorte qu’on assiste à une dilution progressive des responsabilités. L’impunité ambiante fait douter de la réalité de la volonté d reconstruction. Les ONG et la communauté internationale sur lesquelles l’Etat a tendance à se dédouaner viennent à point nommé servir d’alibi à l’immobilité. Espérons qu’ainsi le pays n’est pas en train de dire bonjour aux nouvelles catastrophes. Fort heureusement on s’aperçoit que dans la société civile (parmi les jeunes et les femmes) des activités diverses témoignent d’une volonté de reconstruire le pays en traçant peu à peu le chemin de l’espoir.

18 19 l’Observatoire de la Reconstruction

Les entreprises dominicaines dans la reconstructionJean-Michel Caroit

Les couleurs dominicaines ont dominé la journée du 12 janvier 2012, deuxième anniversaire du terrible tremblement de terre qui a dévasté Port-au-Prince et plusieurs autres villes, tuant plus de 250.000 personnes : elles ont dominé lors de l’inauguration de l’université Henry Christophe à Limonade, près du Cap-Haïtien, puis dans la foulée, à l’occasion de la cérémonie de réouverture de l’ambassade dominicaine à Pétionville.

Les Dominicains, des plus humbles aux plus hautes autorités, ont été les premiers à se porter au secours de leurs voisins dès le lendemain de la catastrophe. Cette solidarité, souvent spontanée, de simples citoyens, a contribué à effacer les préjugés réciproques. Les dirigeants dominicains ont multiplié les interventions auprès de la communauté internationale pour que les promesses d’aide à la reconstruction d’Haïti soient tenues.

la reconstruction, c’est aussi un marché qui suscite des convoitises de firmes nationales et

internationales.

Deux ans jour pour jour après le séisme, le président Leonel Fernandez est venu remettre les clés du campus de Limonade à son homologue Michel Martelly. « Un acte d’amour au nom de l’amitié et de la solidarité entre nos peuples », a déclaré le président dominicain aux dignitaires et aux étudiants réunis pour la circonstance. Le discours s’adressait aussi aux opinions publiques des deux républiques se partageant l’île et aux grands « pays amis » : la République dominicaine, elle, tenait ses promesses.

Leonel Fernandez s’était fait accompagner de son épouse, de près de la moitié de son gouvernement et d’une imposante délégation d’hommes d’affaires et d’universitaires dominicains. Un impressionnant ballet d’héli-coptères convoyait les VIP venus de la république voisine. Dans les locaux fraîchement reconstruits de l’ambassade dominicaine, les entrepreneurs des deux pays jouaient des coudes et évoquaient de futurs contrats. En compagnie de l’ambassadeur Ruben Silié, l’ingénieur Manuel Estrella expliquait les détails de la reconstruction menée à bien par son entreprise. Un peu à l’écart, le sénateur Félix Bautista ne lâchait pas son téléphone et adressait un clin d’œil complice au président Fernandez.

Le président Martelly a de son côté exprimé sa gratitude pour le « cadeau magnifique », chiffré à 30 millions de dollars. Appelant Jean-Price Mars à la rescousse, le journaliste Hérold Jean-François s’est interrogé sur les raisons de cette « leçon dominicaine », qualifiée par certains de « gifle » ou de « cadeau de la honte ». La réflexion sur « l’université du roi Henri Christophe et la dominance dominicaine » s’est poursuivie à l’automne lors d’une conférence à New York.

Le scandale binational de corruption qui a éclaté en mars à propos des contrats attribués à des entreprises appartenant directement ou indirectement au sénateur Félix Bautista a éclairé d’un jour moins glorieux la générosité dominicaine. Derrière le don, largement salué, de l’université de Limonade, se cachaient les intérêts de Félix Bautista et de son associé Micalo Bermudez, un autre homme de confiance du président Fernandez.

L’adjudication de la construction de l’université à la compagnie Constructora Mar de Micalo Bermudez (et à l’entreprise Acero Estrella pour la partie métallique) s’est faite dans des conditions peu transparentes. La décision a été prise par la directrice de l’Unité d’exécution de l’université publique d’Haïti (UNEDUPHA), Milka Luisa Garrido Jansen, une proche collaboratrice de Felix Bautista nommée à ce poste par Leonel Fernandez.

Le manque de transparence entourant les huit contrats attribués en une seule journée, le 8 novembre 2010, pour un montant de 385 millions de dollars à trois compagnies appartenant ou liées au sénateur Félix Bautista, avait également attiré l’attention du premier ministre Garry Conille. Selon une commission d’audit formée par Garry Conille, l’attribution, par son prédécesseur Jean-Max Bellerive, de ces contrats financés par les fonds vénézuéliens de PetroCaribe avait été irrégulière et portait atteinte aux intérêts de l’Etat haïtien.

D’après des documents comptables obtenus par la journaliste d’investigation dominicaine Nuria Piera et Le Monde, les entreprises Hadom et Doce appartenant au sénateur Bautista ont versé des sommes s’élevant à 2.587.000 dollars, en chèques et en liquide, au président Martelly. MM. Martelly et Bautista ont démenti ces accusations qui ont pris la dimension d’un scandale binational alors que la campagne électorale faisait rage en République dominicaine.

20 21 l’Observatoire de la Reconstruction

Ces démentis n’ont guère convaincu, car le sénateur Bautista est le symbole de la corruption galopante qui a marqué les deux derniers mandats du président Fernandez (août 2004-août 2012). Cet ancien tailleur devenu ingénieur est un des principaux contributeurs du Parti de la libération dominicaine (PLD) dont il est secrétaire à l’organisation. Longtemps directeur de l’Office de coordination des travaux de l’Etat, considéré comme un fils par l’ancien président Fernandez, Felix Bautista a accumulé une fortune d’une ampleur telle qu’il confiait récemment à un journaliste en ignorer le montant.

Au cœur du scandale de la Sunland, la plus grosse affaire de corruption des dernières années, il a été mis en cause dans d’autres cas de détournement de fonds publics et de malversation et pour l’attribution d’un contrat de gré à gré à une entreprise du narcotrafiquant Figueroa Agosto. Jouissant d’une immunité parlementaire depuis son élection au Sénat en 2010, il a échappé à la justice contrôlée par l’ex-président Fernandez. Il est, avec Leonel Fernandez, l’une des cibles favorites du mouvement de contestation qui n’a cessé de prendre de l’ampleur ces derniers mois au sein de la jeunesse et de la société civile et qui exige le châtiment des corrompus.

Comme souvent, le scandale est resté en suspens. Le nouveau premier ministre Laurent Lamothe a annoncé le 2 juillet la résiliation de six des huit contrats contestés. « Nous avons tourné la page sur la question des contrats, ce problème est résolu », a affirmé le chef du gouvernement sans autre explication.

Il était logique et légitime que les entreprises dominicaines cherchent à tirer profit des marchés de la reconstruction en Haïti. Fin 2011, l’ambassadeur Silié évaluait à plus d’une dizaine le nombre d’entreprises dominicaines impliquées dans les travaux de reconstruction. La présence de certaines d’entre elles, comme le groupe Estrella, était antérieure au séisme.

La compagnie Ingenieria Estrella a commencé ses opérations en Haïti en 2007 par un contrat signé avec le ministère des Travaux publics, des transports et des communications et financé par la Banque interaméricaine de développement (BID) pour la réfection de 85 kilomètres de la route nationale #1, entre Port-au-Prince et Saint-Marc. Ce chantier a été achevé en août 2011. Le groupe Estrella a obtenu d’autres contrats de construction de routes et de réfection de rues.

Estrella a également décroché un important contrat pour la construction des édifices du parc industriel de Caracol. Les opérations en Haïti représentent plus du tiers des activités de cet important groupe de Santiago, la deuxième ville dominicaine, qui a également des intérêts dans les medias par le biais de Multimedios del Caribe. Une entreprise dominicaine de textile, D’Clase Corporation, a manifesté son intérêt pour une implantation dans le parc de Caracol qui lui permettrait de bénéficier de la loi Hope pour exporter aux Etats-Unis. Une autre entreprise textile de Santiago, le Grupo M, présidée par Fernando Capellan, est installée depuis 2001 à Ouanaminthe, du côté haïtien de la frontière où elle a créé le parc industriel CODEVI.

Il était logique et légitime que les entreprises

dominicaines cherchent à tirer

profit des marchés de la reconstruction

en Haïti.

v

Les étudiants haïtiens en République Dominicaine et la Reconstruction Joseph Harold Pierre

Introduction

L’Université d’Etat d’Haïti avec une capacité d’accueil de 3000 places par an, est depuis quelque temps débordée par les 15 mille bacheliers qui sortent, chaque année, de nos écoles. Les universités privées, soit à cause de leur coût élevé ou de leur mauvaise réputation, ne sont pas considérées comme une option possible par un grand nombre d’étudiants. Pour sortir de cette situation, certains, depuis quelques années, ont fait le choix de la République Dominicaine, beaucoup plus développée et leur offrant une formation mieux adaptée au marché du travail. Vu la carence de profession-nels et de techniciens en Haïti en ces temps dits de reconstruction, il serait bon de penser en quoi les étudiants haïtiens en République Dominicaine peuvent aider à l’émergence de la nouvelle Haïti.

Cet essai sur le potentiel apport des universitaires haïtiens en République Dominicaine à la reconstruction d’Haïti comprendra deux parties : une première qui abordera la question du nombre des étudiants et de leur filière d’études, et une seconde qui considérera leur apport intrinsèque.

1 - Le nombre d’étudiants haïtiens dans les universités dominicaines

Tout comme le nombre total des Haïtiens vivant en République Dominicaine, l’effectif des étudiants varie considérablement suivant les sources. En 2006, l’Université d’Etat d’Haïti les estimait à 12 000. Toutefois, une étude réalisée par Frank d’Oleo les chiffrait à 1 915 et 3 806, pour les années 2005 et 2008, respectivement. Une récente enquête de la Banque Centrale Dominicaine les a évalués à 6511 en 2011. Plusieurs facteurs peuvent expliquer l’incon-sistance de ces données comme le fait que les étudiants peuvent s’inscrire dans certaines universités sans l’homologation de leurs documents par le ministère de l’Education Nationale, et que ceux qui sont dans les écoles professionnelles sont parfois inclus et d’autres fois exclus de ce nombre.

Dans une étude “Les étudiants haïtiens en République Dominicaine, une approche socio-économique” que nous avons menée et qui sera bientôt publiée, nous avons estimé à 20 500 pour l’année 2001 les Haïtiens dans les universités dominicaines.

1.2 - Filières d’études

La présentation des filières des études des haïtiens revêt une grande importance, car elle laisse prévoir la participation de ces jeunes dans la reconstruction du pays et qu’en conséquence, les autorités concernées,

Etudiants Haïtiens en Républic Dominicaine par carrière, 2011

Médecine Génie Sciences administratives Autres carrières Total Source

49% 22% 15% 14% 100% Diverses

3203 1436 963 910 6511 Banque Centrale Rep. Dominicaine

10083 4520 3032 2865 20500 Evaluation personenelle (etude à paraître)

22 23 l’Observatoire de la Reconstruction

dans la mesure où elles assument leurs responsabilités, pourraient envisager des politiques promouvant leur rapatriement et leur intégration au marché du travail. En somme, les filières majoritairement choisies par les étudiants sont :

la santé ( médicine, sciences infirmières, etc.) qui en englobe presque la moitié,

le génie (industriel, civil, informatique et autres) qui en comprend presqu’un quart,

les sciences administratives (des entreprises, hôtelière, touristique, etc.) qui concernent 15% des inscrits (voir tableau ci-dessous).

Cette répartition des étudiants suivant les différentes disciplines montre la différence qu’il y a entre ceux formés en Haïti et ceux qui sont dans les universités dominicaines. Alors qu’un nombre considérable des premiers sont obligés de s’orienter vers les sciences humaines vu le manque d’options, les seconds embrassent tous des carrières plus pratiques et plus demandées sur le marché du travail. Cette diversité dans les formations est un grand avantage pour le pays et devrait être pris en compte au moment d’impliquer ces jeunes dans la Reconstruction.

2 - Les étudiants haïtiens en République Dominicaine et la Reconstruction

Avant le séisme du 12 janvier, les étudiants dans les universités haïtiennes étaient évaluées à 50 mille (soit 1% des Haïtiens de 18 à 24 ans) répartis comme suit :

X 20 mille à l’université d’Etat

X le reste dans les universités privées.

Le séisme a tué 200 professeurs, 3000 étudiants et 497 jeunes fréquentant des centres d’études professionnelles. Si on considère que les universités ont recouvré leur effectif d’avant le séisme, auxquels s’ajoutent les 1800 de l’université de Limonade, les étudiants haïtiens en République Dominicaine sont pratiquement égaux en nombre à ceux qui sont à l’université d’Etat et représentent 40% du total. Autrement dit, pour 10 étudiants en Haiti, il y en a quatre en République Dominicaine.

Cette donnée est révélatrice dans la mesure où elle montre le rôle que pourront jouer les étudiants haïtiens de l’autre côté de la frontière dans la reconstruction du pays. Mis à part le nombre, ces jeunes peuvent remédier en partie à un problème susceptible de ralentir le rythme de la reconstruction: l’inadéquation de l’offre des universités par rapport à la demande de professionnels sur le marché du travail.

Les universités du pays, et surtout l’université d’Etat qui est l’une des meilleures et celle dotée de la plus grande capacité d’accueil, offrent une formation en grande partie théorique et parfois déconnectée des besoins. L’avantage des étudiants en République Dominicaine est que leur formation combine la théorie et la pratique. Par ailleurs, il faut reconnaître la nouveauté de la vision de l’université de Limonade qui se propose d’offrir une formation plus adaptée aux problèmes de l’heure. En effet, sur les 1800 inscrits de cette année, il n’y en a que 300 qui soient orientés vers les sciences humaines, tout le reste est orienté vers des disciplines scientifiques et technologiques ainsi que vers les voies de l’administration et des métiers.

Les étudiants haïtiens en République Dominicaine peuvent aider à la reconstruction du pays à quatre niveaux:

Les camps de réfugiés n’ont pas totalement disparu du paysage urbain de la capitale.

a) la santé,

b) le développement industriel et technologique,

c) la modernisation des administrations publique et privée,

d) les relations haïtiano-dominicaines,

e) la parité de genres.

a) la sante

Selon une étude conjointe de l’OPS/OMS 2011, réalisée en 2011, il existe 2,5 médecins pour 10 000 habitants en Haïti. Dans tout le pays, il y a cinq facultés de médecine (UEH, Quisqueya, Notre-Dame, université Fondation Aristide et Lumière) avec des capacités très réduites, et des écoles infirmières. Les près de 10 mille étudiants haïtiens en sciences de la santé en République Dominicaine (dont plus de 90% sont en médecine) peuvent beaucoup apporter à la reconstruction. On pourrait utiliser cette force de travail pour répondre aux besoins sanitaires des populations des régions reculées du pays qui sont généralement délaissées. Ils pourraient aussi, suivant leurs capacités, enseigner dans les écoles infirmières et dans des centres de formation pour auxiliaires qui pourraient être éventuelle-ment fondées.

b) le développement industriel et technologique

Vu le niveau du sous-développement haïtien, la technologie constitue l’une des plus grandes déficiences du pays. Nos ingénieurs, parfois dotés de grandes capacités, sont bons en mathématiques mais ne sont pas toujours performants dans l’exercice de leur métier, parce que leur formation n’est pas adaptée à la réalité. Les étudiants formés en République Dominicaine peuvent corriger en partie ce handicap. Les 4500 qui sont dans les différentes filières de l’ingénierie, pourraient aider à l’ur-banisation, à la construction des infrastructures, à l’informatisation des systèmes, etc. Il est bon de rappeler que l’une des causes principales des dégâts du séisme résulte des constructions inadéquates, faites parfois par des maçons ou des ingénieurs dans l’irrespect total des normes; et que la plupart des institutions du pays ne disposent pas d’un système informatisé de stockage des données. Ces pratiques trop longtemps désuètes rendent inefficients les processus des services offerts et des produits fabriqués, et, en conséquence, ont des impacts négatifs sur l’économie. Les étudiants formés de l’autre côté de la frontière pourront aider à pallier ces deux graves problèmes bien précis.

c) la modernisation de l’administration

L’administration haïtienne tant publique que privée a besoin de bons techniciens. Les choses ne peuvent plus se faire comme par le passé. Anciennement, on avait une idée erronée de l’administration et des champs connexes, comme si leur exercice ne requérait pas nécessairement une formation supérieure. Il s’en est suivi que des postes y relatifs sont assurés par des gens non qualifiés, même si on sait que d’autres facteurs tels le népotisme et le copinage ne sont pas moins décisifs dans les recrutements. Les étudiants haïtiens en République Dominicaine peuvent aider à combler ce vide. Tout comme pour les universitaires en santé, ceux en administration reçoivent une formation qui cherche à répondre aux problèmes de l’heure. De plus, il peut y avoir un transfert des méthodes utilisées dans l’administration dominicaine, vu que la plupart des étudiants ont ou auront à réaliser leur stage dans des entreprises dominicaines. Avec plus de 3000 étudiants dans ces domaines, Haïti peut faire un bond dans la modernisation de son administration.

Tout comme pour les universitaires

en santé, ceux en administra-tion reçoivent

une formation qui cherche à répondre

aux problèmes de l’heure.

24 25 l’Observatoire de la Reconstruction

d) les relations haïtiano-dominicaines

Depuis la signature de l’Accord bilatéral en 1996, les relations haïtiano- dominicaines sont devenues plus importantes pour les deux pays et le séisme du 12 janvier les a rapprochés encore davantage. Les aides reçues de la République Dominicaine avec pour sommet l’Université Henri Christophe montrent à Haïti l’importance de développer de bons rapports avec son voisin. Le commerce bilatéral, pour sa part, met en évidence l’interdépendance des deux peuples. D’où la nécessité pour eux de consolider leurs relations.

Les étudiants, pour avoir vécu au pays, connaissent la langue et la culture dominicaines, d’autant plus que leurs compagnons de classe seront parmi les gouvernants. Compte tenu de ces acquis, ils sont parmi les mieux habilités à penser les relations bilatérales et, en conséquence, à être membres des commissions négociatrices de ces relations. De plus, ils peuvent être aussi partie prenante d’une équipe qui pense la politique extérieure d’Haïti pour l’Amérique Latine, vu la ressemblance de la République voisine avec les autres pays de la région.

Il semblerait que la diplomatie haïtienne serait en train d’emprunter cette direction, puisque certains haïtiens gradués au pays voisin travaillent soit à l’ambassade d’Haiti à Santo Domingo ou dans les consulats en République Dominicaine. Cependant, connaissant le niveau alarmant de la corruption dans notre pays, reste à savoir s’ils ont été recrutés en fonction de leurs compétences ou sous d’autres critères.

e) La parité de genres

La parité de genres en Haïti doit être placée au cœur des politiques sociales, si on veut réellement faire avancer le pays. La politique du quota de 30% de femmes adoptée par le gouvernement n’est qu’un début, mais cela va dans le bon sens. Par ailleurs, cette politique, loin de remédier à ce mal, peut l’aggraver, si le recrutement n’est pas réalisé en fonction de compétences, sinon en échange de faveurs. Environ trois quarts des étudiants haïtiens en République Dominicaine sont des jeunes filles. Ces dernières peuvent contrebalancer le poids des hommes sur le marché du travail, lutter contre le machisme et contribuer à l’émergence ou à la consolidation d’une nouvelle culture de genres en Haïti.

La reconstruction est aussi un défi environnemental, ici les mornes déboisés de la chaîne des Matheux.

Port-au-Prince, le 1er Mars 2010

Monsieur René G. PREVAL

Président de la République

En ses Bureaux.

Monsieur le Président,

Le Mouvman Moun Pou Ayiti Bel (MAB), constitué la veille de la marche pacifique du 17 juillet pour la sauvegarde de l’envi-ronnement par plus de 100 organisations de base, a l’honneur de présenter à votre Excellence la proposition de création de l’Institution Autonome pour la Reconstruction Nationale (IARN). Cette proposition est le fruit de plusieurs séances de consultations avec différents secteurs de la société civile.

Il a été fait choix de cette institution afin de profiter des derniers acquis de la science et de la technologie, de mettre en valeur la créativité esthétique des meilleurs urbanistes et architectes venus d’Haïti et d’ailleurs, d’éviter de soumettre aux aléas de la vie politique le dossier de la construction/reconstruction du pays et de faciliter une gestion transparente et efficace des fonds qui seront mobilisés et consacrés à cette fin.

La création de l’IARN pourrait se faire en deux temps :

1.Dans le meilleur délai, la Présidence haïtienne pourrait former un comité intersectoriel de 5 à 7 membres, du secteur privé, du secteur public et de la société civile (constitué d’éminents juristes du Barreau de Port-au-Prince, d’ingénieurs et architectes, d’urbanistes, de représentants du secteur privé de la construction etc.) qui rédigerait les documents légaux de l’institution (mission, acte constitutif, statuts, organigramme, cadre légal de fonctionnement) et. Ce comité devrait proposer les membres de l’IARN dont le mandat serait de 5 ans.

2.Par la suite, la Présidence haïtienne formerait l’IARN selon ce qui aura été prévu dans les documents légaux.

La mission de l’IARN selon le MAB serait :

1.La reconstruction physique et matérielle du pays afin de le sortir de la situation créée par le tremblement de terre et par la précarité.

Mouvman Moun pou Ayiti Bel (MAB)Pour le MAB Arnold Antonin

26 27 l’Observatoire de la Reconstruction

2.La mise en place d’un système de gestion pour la réduction des risques en harmonie avec le plan d’état de développement durable et d’élimination de la pauvreté qui tienne compte de la situation des couches les plus vulnérables et de la pertinence économique, culturelle et sociale des projets à mettre en œuvre.

Les tâches de l’IARN seraient de 5 ordres :

1.Elaboration définitive du plan d’aménagement du territoire, incluant les grands pôles de développement économique, et suivi de sa mise en œuvre.

2.Gestion du fonds commun de la construction/reconstruction et articulation avec les bailleurs de fonds et l’ensemble de la communauté internationale.

3.Etablissement et attribution des marchés publics y relatifs et suivi avec les Ministères concernés

4.Adoption des nouvelles normes de construction, d’urbanisme et d’architecture et suivi de leur application par les services concernés.

5.Définition de la politique urbaine que l’on va mettre en œuvre en fonction de la politique de décentralisation en donnant la priorité aux villes de province pendant qu’on prend le temps nécessaire pour élaborer un plan de reconstruction cohérente de la ville de Port-au-Prince avec audace et imagination pour en faire une ville modèle du XXIème siècle.

Vu l’importance de ce dossier pour le pays et considérant les fortes implications de la communauté internationale et l’intérêt de la population pour cette proposition, le MAB prend la liberté d’envoyer une copie de cette lettre aux différentes instances concernées et aussi de la diffuser dans les médias.

Avec ses remerciements anticipés, le Mouvman Moun Pou Ayiti Bel prie votre Excellence d’agréer l’expression de ses distinguées salutations.

de la reconstructionl’Observatoire