L'origine des livres hermétiques

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  • 8/14/2019 L'origine des livres hermtiques

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    L'origine des livres hermtiques

    ou

    l'histoire d'une rencontre

    On mconnat trop souvent le rle qu'ont tenu les livres hermtiques ds les premiers sicles de l'Eglise : lespres de l'Eglise rappellent que ces crits annoncent, comme d'ailleurs les

    Sibylles, la venue du Christ. L'autorit de ces crits est telle que Lactance, aprs les avoir consults dira :

    "Herms a dcouvert, je ne sais comment, presque toute la vrit". Il faut

    rappeler qu' cette poque, on croyait qu'Herms, ce rvlateur inspir, livrait dans son oeuvre les mystres de la

    plus ancienne thologie gyptienne. Cette ide s'est propage jusqu' la

    Renaissance o elle fut appuye entre autres par Marsile Ficin et Patrizzi qui prtendaient que ces crits taientla source premire des initiations orphiques et des philosophies

    pythagoriciennes et platoniciennes.

    Une remise en question de ces thories dbute avec les premires recherches sur l 'origine des ces crits

    ancestraux, recherches qui commencent par prouver que les oracles sibyllins

    auraient t rdigs en partie par des Juifs et des Chrtiens. Concernant les livres hermtiques il existe des"preuves" que son anciennet est toute relative ; la prophtie dvoile dans

    l'Asclpios en est un exemple. Cette prophtie fort clbre annonce le triomphe du christianisme, l'apostasie de

    l'Egypte et la perscution des derniers fidles de la religion gyptienne. On

    a souvent vu dans ce texte le cri d'agonie du paganisme ne pouvant chapper sa destine, et cette interprtation

    est bien plus vraisemblable que celle qui fait d'Herms un prophte

    visionnaire. Cette prophtie dbute ainsi :

    "Cependant, comme les sages doivent tout prvoir, il est une chose qu'il faut que vous sachiez : un temps viendra

    o il semblera que les Egyptiens ont en vain observ le culte des

    dieux avec tant de pit et que toutes leurs saintes invocations ont t striles et inexauces. La divinit quitterala terre et remontera au ciel, abandonnant l'Egypte, son antiquesjour, et la laissant veuve de religion, prive de la prsence des dieux. Des trangers remplissant le pays et la

    terre, non seulement on ngligera les choses saintes, mais, ce qui est

    plus dur encore, la religion, la pit, le culte des dieux seront proscrits et punis par les lois. Alors cette terre

    sanctifie par tant de chapelles et de temples sera couverte de tombeaux

    et de morts. O Egypte, Egypte ! il ne restera de tes religions que de vagues rcits que la postrit ne croira plus,

    des mots gravs sur la pierre et racontant ta pit. Le Scythe oul'Indien, ou quelque autre voisin barbare, habitera l'Egypte. Le divin remontera au ciel, l 'humanit abandonne

    mourra toute entire, et l'Egypte sera dserte et veuve d'hommes et de

    dieux."

    On voit combien ce passage, et ceux qui le suivent, dpeignent la dtresse d'hommes cultivs devant la chute

    d'une civilisation antique. Un tel texte pourrait tout fait tre l'oeuvre d'unesprit vivant sous le rgne de Constantin, d'autant plus que Lactance qui vivait cette poque cite de

    nombreuses reprises le Discours d'initiation, qui est l'autre nom donn

    l'Asclpios. Il est noter en outre le grand nombre d'allusions des faits contemporains du rgne de Constantin

    dans l'Asclpios, ce qui rend peut crdible la thorie selon laquelle les

    livres hermtiques sont une autorit "antique et trs-vnrable". De plus, Herms dcrit une perscution qui

    ressemble celle pratique sous Constantin, et non celle qui sera pratiquepar ses successeurs, qui sera plus violente. Si Herms avait fait une vritable prdiction, il aurait insist

    davantage sur la violence des perscutions telles qu'elles auront effectivement

    lieu, il ne serait pas content de mettre en garde contre un moindre mal sachant qu'un plus grand encore se

    prparait.

    Il est toutefois difficile de dterminer l'origine de ces livres et les rsultats sont aujourd'hui encore incertains.

    Casaubon pense que leur auteur est un Juif ou un Chrtien, Jablonski y

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    distingue l'oeuvre d'un gnostique, et enfin une grande partie des penseurs actuels, dont Creuzer et Guigniaut,

    pensent qu'il s'agit du travail de penseurs grecs tardifs qui ont ml des

    ides alexandrines des dogmes religieux issus de l'ancienne thologie gyptienne. Louis Mnard propose une

    tude la fois savante et originale de l'origine des livres hermtiques et c'est

    sur cette tude que nous allons baser notre rflexion sur ce sujet.

    Afin de mener bien cette tude, nous avons choisi de commencer par rappeler brivement en quoi consiste lathologie hermtique en nous servant des travaux de M. Vacherot dans

    Histoire critique de l'Ecole d'Alexandrie. Ce bref expos s'appuiera sur de nombreux passages des livres

    hermtiques.

    Pour commencer, nous savons que dans la thologie hermtique Dieu est conu comme un esprit suprieur

    l'intelligence, l'me, et tout ce dont il est cause. Ceci doit tre rapprochdu Poimandrs, et plus particulirement d'une phrase du chapitre intitul Discours universel : "Dieu n'est pas

    l'intelligence, mais la cause de l'intelligence ; il n'est pas l'esprit, mais la

    cause de l'esprit ; il n'est pas la lumire mais la cause de la lumire". Ainsi, l 'intelligence n'est pas Dieu, elle estseulement de Dieu et en Dieu. Elle est par consquent distincte et

    insparable de Dieu comme la lumire de son foyer. On peut se reporter pour cela au chapitre du Poimandrs

    intitul De l'intelligence commune. On peut citer galement une phrase dumme livre dans le chapitre intitul La cl : "Dieu est au-dessus de tout et autour de tout". En outre, sa nature

    mme est le bien ; il est le bien et le bien est Dieu.

    "Il est le non-tre en tant qu'il est suprieur l'tre. Dieu produit tout ce qui est et contient tout ce qui n'est pas

    encore."

    "Absolument invisible en soi, il est le principe de toute lumire", ce que l'on trouve dit expressment dans le

    Poimandrs, au chapitre le Dieu invisible et trs apparent : "Invisible

    lui-mme, il manifeste toutes choses" ou encore dans la Cl : "Ce qu'il est, il le manifeste ; ce qu'il n'est pas, il l'a

    en lui-mme".

    "Pour Dieu, produire et vivre son une seule et mme chose", l'Intelligence Herms nous explique que de mme

    que l'homme ne peut vivre sans la vie, Dieu ne peut vivre sans faire le

    bien.

    "Le caractre propre de la nature divine, c'est que rien de ce qui convient aux autres tres ne peut lui tre attribu

    ; il est la substance de tous sans tre aucune chose", ce qui estexpos dans la Cl. Dieu est prsent comme le pre de tous les tres, son clat qui est l'clat du bien illumine

    l'homme et le convertit en une essence divine : "La splendeur qui inonde

    toute sa pense et toute son me l'arrache aux liens du corps et le transforme tout entier dans l'essence de

    Dieu(1)".

    "Dieu est la vie universelle, le tout dont les tres individuels ne sont que des parties ; il est le principe et la fin, lecentre et la circonfrence, la base de toutes choses, la source qui

    surabonde, l'me qui vivifie, la vertu qui produit, l'intelligence qui voit, l'esprit qui inspire". On trouve des traces

    de cela dans les Dfinitions, Asclpios au roi Ammon, I, o il est dit :

    "Toutes choses sont des parties de Dieu ; ainsi Dieu est tout." Ceci est repris galement dans les Fragments dits

    de Suidas : "Car de toutes choses il est le seigneur et le pre, et la

    source, et la vie, et la puissance, et la lumire, et l'intelligence, et l'esprit." Ainsi Dieu est tout absolument, rienne peut tre qui ne soit Dieu, ou comme il est crit dans le Poimandrs,

    De l'intelligence commune : "Tout cet ensemble est Dieu, et dans l'univers il n'y a rien que Dieu ne soit pas".

    Comme il est le pre de toutes choses tous les noms lui conviennent mais

    aucun de ces noms n'est son nom propre "Car lui seul est tout ; c'est pourquoi il a tous les noms, car il est le pre

    unique, et c'est pourquoi lui-mme n'a pas de nom, car il est le prede tous(2)". On peut ainsi dire qu'en Dieu l'un est le tout et le tout est l'un : unit et totalit deviennent

    synonymes.

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    M. Vacherot, auquel nous avons emprunt sa synthse de la thologie hermtique, y a trouv des analogies avec

    le noplatonisme mais aussi avec le judasme, tout en lui reconnaissant

    des marques du panthisme gyptien quoique dpouill de ses formes symboliques et plutt empreint des formes

    abstraites grecques. On comprend mieux comment une inscription telle

    que "Je suis tout ce qui est, ce qui a t, ce qui sera(3)" peut figurer sur le temple de Sas.

    Un point important sur ce Dieu est qu'il est "celui qui existe par lui-mme", ce que l'on peut aussi traduire par"celui qui s'engendre lui-mme ternellement". Le Dieu hermtique est

    celui par qui tout existe, il est le pre universel dont la fonction unique est de crer. Les livres hermtiques

    fourmillent d'indications sur ce point, nous en avons relev ici celles qui nous

    ont sembl les plus explicites :

    "L'ternel n'a pas t engendr par un autre, il s'est produit lui-mme, ou plutt il se cre lui-mme

    ternellement(4)".

    "Si le crateur n'est autre que celui qui cre, il se cre ncessairement lui-mme, car c'est en crant qu'il devient

    crateur(5) ".

    "Il est ce qui est et ce qui n'est pas(6)".

    De surcrot, l'ide du "Dieu double", de l'tre-double est intimement lie celle du Dieu pre-fils. Dans les livres

    hermtiques, il est souvent question du fils de Dieu, du Dieu engendr. On

    retrouve cela particulirement bien expos dans la Cl. Que pouvons-nous dire de ce second Dieu ? Il est lemonde, la manifestation visible du Dieu invisible. Ce rle est parfois attribu

    au soleil, crateur des tres vivants, on ne peut omettre de noter dans ce cas le rapprochement qui peut tre fait

    avec l'ancienne thologie gyptienne qui voyait dans le soleil le premier

    n, le fils de Dieu, le Verbe. Une inscription antique sur le temple de Medinet-Abou disait : "C'est lui, le soleil,

    qui a fait tout ce qui est, et rien n'a t fait sans lui jamais". Cette

    inscription n'est d'ailleurs pas sans nous rappeler ce qu'crira saint Jean quatorze sicles plus tard propos duVerbe.

    La thologie hermtique ne s'arrte pas un "Dieu-double", elle parle d'un troisime Dieu : l'homme. Pour tre

    conu comme le troisime Dieu, l'homme doit tre considr dans sonessence abstraite, la manire dont l'ancienne religion gyptienne voyait Osiris comme le type idal del'humanit. L'hermtisme envisage donc une trinit compose de Dieu, le monde et

    l'homme, ce qui n'est pas sans nous rappeler, non seulement les triades gyptiennes, mais surtout le platonisme.

    S'il demeure impossible d'tablir quel groupe appartient la tradition hermtique puisqu'elle semble influence

    non seulement par l'Egypte mais aussi par la Grce laquelle il faut ajouter

    le peuple juif, il n'en reste pas moins que l'hermtisme constitue une cole part entire, et qui plus est une coleunie et unique.

    Afin de dterminer l'origine des livres hermtiques, il est possible de se rfrer non seulement aux textes

    antiques grecs traitant de la religion gyptienne, mais aussi ce que l'gyptologie

    actuelle peut nous enseigner. Force est de constater en effet qu'un groupe d'individu conserve ses caractres

    propres et originels au fil du temps. Ainsi,on retrouve dans les systmes

    philosophiques grecs des lments d'origine mythologique, et de mme, il y a un rapport direct entre la priode

    religieuse de l'Egypte et sa priode philosophique. La socit thocratiquegyptienne a volu, lentement certes, mais elle a bien fait preuve d'une activit entre le temps du dieu-roi et l're

    chrtienne. L'histoire de la religion gyptienne passe bien par l'tude de

    ses transformations. Il n'y a de philosophie gyptienne que parce qu'il y a eu rencontre entre d'une part la religion

    gyptienne et d'autre part la philosophie grecque, les livres hermtiques

    sont le fruit de cette rencontre. Notre tche est donc de discerner, au sein des crits hermtiques, ce qui vientd'Egypte, de Grce ou de Jude. Concernant les thories philosophiques

    renvoyant au pythagorisme et au platonisme, il faut savoir si on a affaire une influence directement grecque, ousi ce qui est sous-jacent est ce qui a donn naissance ensuite ces

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    thories : en bref, avons-nous affaire aux sources du platonisme et du pythagorisme ou aux doctrines

    philosophiques elles-mmes ?

    On n'a des ouvrages hermtiques que des crits en langue grecque, cependant leur contenu semble exclure qu'il

    s'agisse d'oeuvres typiquement grecques. Il semble indniable par

    exemple que l'adoration extatique qui transperce chaque page ne peut provenir d'un esprit grec dont la pit

    aurait sans doute t plus "calme", de plus, l'hommage rendu la royautdans les livres hermtiques renvoie indubitablement aux Pharaons. Concentrons-nous donc d'abord sur l'aspect

    gyptien de ces livres.

    Si l'on considre la forme didactique des livres hermtiques, on voit l'intrieur des dialogues, tantt Isistransmettant son enseignement son fils Hros (enseignement qu'elle a

    elle-mme reu de Kamphs et d'Herms), tantt le bon dmon, que l'on connat gnralement comme le dieu

    Knef, qui instruit Osiris, et tantt Herms initiant Asclpios, son disciple, ou

    son fils Tat. On voit aussi Herms devenir lui-mme disciple, se laissant instruire par L'Intelligence :

    Poimandrs. A travers ces grandes figures, c'est toute la religion gyptienne qui est

    reprsente dans ces livres. Arrtons-nous un moment sur l'une de ces figures, la plus nigmatique sans doute :leur auteur, Herms Trismgiste. On dit souvent qu'il est homme et dieu.

    Le rapprochement qui en a t fait avec le dieu grec du mme nom a engendr une confusion entre plusieurs

    dieux gyptiens qui avaient des points communs avec lui. On a souventvoulu clarifier la situation en distinguant plusieurs Herms : tout d'abord Thoth qui est l'origine de la

    connaissance des principes de la science (il les aurait crits en hiroglyphes sur

    des stles), ensuite un Herms post-diluvien qui serait le fils du bon dmon et le pre de Tat ( il aurait traduit cesmmes inscriptions en grec). Outre ces deux Herms ont peut compter

    une multitude d'Herms si on tient compte du fait que des prtres et des rois reprenaient leur compte des noms

    divins. Si cet Herms qui a crit les livres qui nous occupent tait un

    prtre, cela ne ruine pas pour autant leur valeur : la philosophie rvle par l'Intelligence peut avoir t reue et

    transmise par un homme. Ainsi Jamblique crira :

    "Herms, qui prside la parole est, selon l'ancienne tradition, commun tous les prtres ; c'est lui qui conduit

    la science vraie ; il est un dans tous. C'est pourquoi nos anctres lui

    attribuaient toutes les dcouvertes et mettaient leurs oeuvres sous le nom d'Herms. "

    On peut expliquer ainsi le grand nombre d'ouvrages attribus Herms. Toute relative que soit la valeur attribuer aux livres hermtiques, ils nous renseignent admirablement sur la

    pense religieuse de l'Antiquit dans sa dernire forme.

    Un point positif dans l'apprhension de l'auteur des livres hermtiques : il viendrait d'une cole de thrapeute

    d'Egypte que l'on a souvent confondue avec les Esseniens. Cette cole,

    moins moraliste et plus mtaphysique que la secte essenienne, aurait pu engendrer une oeuvre comme celle-l.Philon dit des thrapeutes "Dans l'tude des livres saints, ils traitent la

    philosophie nationale par allgories, et devinent les secrets de la nature par l'interprtation des symboles", on voit

    le lien entre ceci et la cosmogonie du Poimandrs. Philon dit encore

    au sujet des thrapeutes : "Il en est qui dcouvrent par des songes, pendant leur sommeil les dogmes vritables de

    la philosophie sacre" ce qui ne peut manquer de renvoyer la

    premire phrase du Poimandrs : "Je rflchissais un jour sur les tres ; ma pense planait dans les hauteurs, ettoutes mes sensations corporelles taient engourdies comme dans le

    lourd sommeil qui suit la satit, les excs ou la fatigue", suit ensuite la description de la vision puis un sommeil

    emplis de joie : "Le sommeil du corps produisait la lucidit de

    l'intelligence, mes yeux ferms voyaient la vrit". En outre, on sait que les thrapeutes se livraient la prire

    matin et soir, et l'auteur du Poimandrs aprs sa rvlation invite ses

    lecteurs la prire, aux dernires heures du jour. Les monastres des thrapeutes firent un accueil tout particulieraux missionnaires chrtiens qui vinrent leur apporter la bonne nouvelle :

    ils taient habitus aux spculations abstraites et aux allgories mystiques. Il ne leur manquait plus que

    d'admettre l'incarnation du Christ pour tre gnostiques. En ce sens on peut les

    considrer comme des prcurseurs de la gnose, dont l'ide tait prsente dans cette cole qui parlait dj d'une

    science mystique unissant l'homme Dieu.

    De nombreux indices tendent prouver qu'Herms tait gyptien. Les rfrences multiples au soleil sont unepremire preuve : on sait en effet que le soleil tait le plus ancien objet de

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    culte en Egypte, et qu'on l'associait souvent l'tre suprme. Un autre point intressant est la doctrine de l'unit

    divine ; elle nous est prsente dans les livres hermtiques sous une

    forme panthiste, qui rappelle certes le Time de Platon mais renvoie plus directement au Dieu gyptien qui

    s'engendre lui-mme. En outre, si les allusions concernant les dmons peuvent

    tre interprtes dans une optique grecque, on fait rfrence ici aux lgendes des Eumnides qui taient chargs

    de dispenser les chtiments ou encore des hommes au corps de feu qui

    punissent les tyrans et les criminels au sein du Tartare, elles peuvent aussi renvoyer la religion gyptienne. Ontrouve dans le Rituel funraire la description de "bourreaux qui

    prparent le supplice et l'immolation ; on ne peut chapper leur vigilance ; ils accompagnent Osiris." D'un point

    de vue plus stylistique cette fois, on note que les louanges adresses

    Dieu sont trs semblables celles que les Egyptiens faisaient leurs rois, et dont il nous reste quelques traces surdes monuments.

    Un grand vestige de la civilisation gyptienne se trouve dans le Livre sacr, appel encore la Vierge du monde

    ou la Prunelle du monde. Dans ce texte, la grande desse entretient son

    fils Hros sur la cration du monde, l'incarnation des mes et la mtempsycose. Ce rcit, fort inspir des ides

    platoniciennes du Time, expose sous une forme apocalyptique des idesplus thologiques. Le rcit de la cration, bien que trs incomplet, nous indique toutefois qu'il y eut une sorte

    d'inertie qui prcda l'ordonnation de l'univers par le crateur, il explique

    ensuite la manire d'une opration chimique la cration des mes. Aprs avoir cre les mes, Dieu s'adresse elles en des termes proches de ceux qu'employat le Dieu suprme quand il

    s'adressa aux Dieux infrieurs dans le Time :

    "O mes, beaux enfants de mon souffle et de ma sollicitude, vous que j'ai fait natre de mes mains pour vous

    consacrer mon monde, coutez mes paroles comme des lois, ne vous

    cartez pas de la place qui vous est fixe par ma volont. Le sjour qui vous attend est le ciel avec son cortge

    d'toiles et ses trnes remplis de vertus. Si vous tentez quelque

    innovation contre mes ordres, je jure par mon souffle sacr, par cette mixture dont j'ai form les mes et par mes

    mains cratrices, que je ne tarderais pas vous forger des chanes et vous punir."

    Les mes sont ensuite invites par Dieu participer la cration en formant les animaux, mais comme elles

    outrepassent les limites, elles reoivent pour sentence l'obligation de demeurerdans un corps. On voit ici la ressemblance avec la thorie de la descente des mes telle qu'elle est dcrite parPorphyre dans l'Antre des Nymphes, mis part le fait qu'ici il ne s'agit pas

    d'une descente volontaire de l'me dans le corps. Une telle conception relve davantage d'une source "mystique"

    que platonicienne : suite cette punition, Dieu montre qu'une voie de

    retour est possible grce une srie d'purations qui passe par des existences successives. Cette mtempsycose

    mle le spiritualisme grec un naturalisme profondment gyptien : les

    hommes et les animaux sont mis sur le mme plan. De mme, quand Isis parle un peu plus loin de latransmigration des mes, elle met les hommes et les animaux sur un pied d'galit.

    L'auteur est donc visiblement trs marqu par le culte des animaux, comme l'taient seuls les Egyptiens.

    D'autre part, lors de la description de la cration des corps des hommes par Herms, il est fait mention d'un

    certain Mmos qui vient conseiller au dieu d'imposer des limites l'homme,

    conseil qu'Herms suivra. Mmos est un personnage intressant qui n'est pas sans nous rappeler quelquesgrandes figures ; il est d'une certaine manire trs proche du Satan qui

    intervient dans Job en demandant Dieu de mettre son fidle serviteur l'preuve en le faisant souffrir. Si l'on

    reste dans le domaine du christianisme, on peut galement citer le livre

    d'Enoch : dans ce livre, les arts et les sciences sont reprsents comme des oeuvres mauvaises que les anges ont

    enseignes aux gants ns de leur union illgitime avec les filles des

    hommes. L'issu sera tragique puisque les anges coupables seront condamns et que les gants seront dtruits parle dluge. Ce qui reprsente la haine de toute forme de civilisation se

    retrouve aussi en Grce dans le mythe de Pandore et dans le supplice de Promthe : la civilisation est regarde

    comme une lutte de l'homme contre les dieux, lutte qui se termine souvent

    de manire assez tragique ; c'est la chute de l'homme, des anges, des titans. Dans chaque mythologie, on retrouve

    cette lutte des gants contre les dieux. L'Egypte n'y fait pas exception :dans le Livre sacr, nous avons le rcit de cet pisode o les hommes s'entretuent faute de pouvoir s'attaquer aux

    dieux, et o les lments se plaignent d'avoir recevoir en leur sein ces

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    crimes multiples qui les souillent. Contrairement ce que l'on voit dans le livre d'Enoch, la solution du Livre

    sacr n'est pas la destruction de la race humaine mais l'envoi d'un sauveur en

    la personne d'Osiris. Il convient de prciser tout de suite qu'Osiris ne peut tre compar au Christ ; il n'y a pas

    proprement parler de rdemption car le dieu n'est pas sacrifi pour le salut

    des hommes, Osiris est envoy pour enseigner aux hommes la morale et les principes de la religion. Il semble

    que le Livre sacr appartienne une priode de rnovation religieuse qui

    pourrait bien tre le fruit de la rencontre entre la philosophie grecque et les doctrines orientales et gyptiennes.Le Livre sacr est donc un monument de la philosophie grco-gyptienne.

    Il existe au sein du corpus hermtique une cosmogonie que l'on peut dire gyptienne, c'est celle qui se trouve

    dans le Discours sacr. Dans cette oeuvre, la cration est attribue enmajeure partie aux dieux des astres, et on y retrouve l'ide fort rpandue en Egypte, que les tnbres prcdaient

    la lumire :

    "Il y avait des tnbres sans limites sur l'abme, et l'eau, et un souffle subtil et intelligent contenu dans le chaos

    par la puissance divine. Alors jaillit la lumire trs-saint, et sous le

    sable les lments sortirent de l'essence humide, et tous les Dieux dbrouillrent la nature fconde."

    Si ce passage ressemble fort au dbut de la Gense, "Or la terre tait vague et vide, les tnbres couvraient

    l'abme, l'esprit de Dieu planait sur les eaux. Dieu dit "Que la lumire soit"et la lumire fut", il ressemble davantage encore ce que dcrit la cosmogonie gyptienne telle que la rapporte

    Damaskios qui admet comme premiers principes les tnbres, l'eau et le

    sable. En outre, le rle des astres sur la destine humaine est clairement expos dans l'oeuvre hermtique : "Leurvie et leur sagesse sont rgles l'origine par le cours des Dieux

    circulaires, et vont s'y rsoudre.", ce qui est une conception toute gyptienne.

    Les livres hermtiques exposent galement la thorie trs gyptienne du culte des images. Contrairement des

    conceptions classiques qui voient dans l'idoltrie une consquence d'un

    abus de langage(7), ou une faiblesse de notre nature qui nous oblige rattacher notre pense des signesmatriels(8), Herms explique que le beau privilge de l'homme est de pouvoir

    crer des dieux :

    "De mme que le pre et le seigneur a fait les Dieux ternels semblables lui-mme, ainsi l'humanit a fait sesDieux sa propre ressemblance. - Veux-tu dire les statues, Trismgiste? - Oui, les statues, Asclpios ; vois comme tu manques de foi ! Les statues animes, pleines de sentiment et

    d'inspiration, qui font tant et de si grandes choses, les statues prophtiques,

    qui prdisent l'avenir par des songes et toute sorte d'autres voies, qui nous frappent de maladies ou gurissent nos

    douleurs selon nos mrites(9) ".

    La thorie du culte des images est ensuite dcrite et explique clairement par Herms, toujours dans ce mmediscours :

    "Nos anctres trouvrent l'art de faire des Dieux, et l'ayant trouv, ils y mlrent une vertu convenable, tire de la

    nature du monde. Comme ils ne pouvaient pas crer des mes, ils

    voqurent celles des dmons ou des anges, et les fixrent dans les saintes images et les divins mystres, donnant

    ainsi aux idoles la puissance de faire du bien ou du mal."

    Les paens ne voyaient nul mal rendre un culte aux dmons qui habitaient les statues, contrairement aux

    chrtiens qui rprouvaient ces pratiques, tout en reconnaissant que les dmons

    taient parfois mauvais. Cet aveu fut aussi celui de leur erreur : pourquoi ne pas rserver plutt ses prires et ses

    attentions au Dieu suprme.

    Aprs avoir tudi les traces de la religion gyptienne dans les livres hermtiques, il convient de s'attarder unmoment sur le rle qu'ont jou les doctrines grecques dans cette oeuvre. Il

    faut pour cela s'attacher l'tude de l'influence de l'Orient sur la philosophie grecque en rappelant que cetteinfluence n'est peut-tre pas aussi importante qu'on a bien voulu le croire. En

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    effet, il n'y a pas eu de rapports rguliers et intenses entre la pense grecque et les penses trangres avant

    qu'Alexandrie ne fut btie, et la Grce donna plus dans cet change qu'elle ne

    reut. Ceci peut s'expliquer par le fait qu'on ne peut pas vritablement parler de philosophie chez ces peuples

    orientaux avant cette poque : des problmes comme l'tude des facults de

    l'me, la recherche des fondements de la connaissance, le problme de la loi morale et de son application, leur

    sont tout simplement trangers. Il n'y a pas que la philosophie qui soit

    trangre ces peuples, il semble aussi qu'ils n'aient pas vritablement eu un esprit scientifique, ni mme unescience politique trs dveloppe en Egypte. Recevant la philosophie

    grecque, ces peuples lui livrrent leur seul bien : leur sentiment religieux. Ce prsent fut accueilli avec

    engouement par des hommes lasss du scepticisme.

    Ainsi, les tendances mystiques des livres hermtiques les situent entre les gnostiques et les noplatoniciens, tel

    point qu'on pourrait les dire contemporains. Dans le dialogue intitul de

    l'Intelligence, il est question d'un bon dmon qui aurait rpandu un enseignement dont on regrette qu'il n'ait pas

    t crit car il eut t d'une grande utilit aux hommes. Suit ensuite

    quelques opinions de ce bon dmon qui ne sont en fait que des "aphorismes panthistiques". Il est possible de

    voir sous l'expression de "bon dmon" Ammnios Saccas, un grandnoplatonicien qui n'a jamais mis ses enseignements par crit. Celui qui se fait appeler Herms et qui souhaitait

    rendre hommage celui auquel il doit son savoir ne pouvait le faire de

    manire explicite sous peine de se trahir. Si l'appellation de bon dmon dsigne bien Ammnios Saccas, l'auteurdes traits hermtiques serait un noplatoniciens condisciple de Plotin ;

    ceci expliquerait la ressemblance marquante entre les deux doctrines.

    L'influence grecque ne se limite pas celle du noplatonisme, de nombreuses remarques vhmristes jalonnent

    les livres d'Herms, comme par exemple cet extrait de la Cl : "Ceux qui

    peuvent s'abreuver de cette lumire divine quittent le corps pour entrer dans la vision bienheureuse, comme nos

    anctres Ouranos et Kronos ; puissions-nous leur ressembler, mon pre

    ! " L'vhmrisme dont il est question ici est bien un vhmrisme paen : il est question d'une sorte d'apothose

    de certains hommes qui accdent un statut divin par leurs hauts faits.

    Il est intressant dans le cadre de cette tude, de savoir quelle connaissance les grecs avaient des Egyptiens.

    L'auteur le plus ancien ayant parl des Egyptiens serait Hrodote ; il voque

    la ressemblance entre la religion gyptienne et le polythisme grec qui sont tous deux composs d'une hirarchiede dieux comportant son sommet huit dieux primitifs, seconds pardouze autres divinits. En outre, Hrodote est frapp par la ressemblance entre le culte d'Isis et Osiris et les

    mystres d'Eleusis. Il reconnat toutefois une particularit la religion

    gyptienne : le culte rendu aux animaux.

    Le culte des hros dans la religion gyptienne est sujet polmique : Hrodote considre que les Egyptiens ne

    rendent pas de culte leurs hros, alors que Diodore prtend le contraire,justifiant son opinion en disant que les dieux gyptiens sont d'anciens rois diviniss. Il semble que Diodore ait

    t ici largement influenc par l'vhmrisme : il applique l'Egypte ce qui

    se disait alors de la Grce. Ceci explique peut-tre pourquoi Diodore ne parle pas des dieux ternels gyptiens

    que sont par exemple le Soleil et la Lune. Concernant l'tude de la religion

    gyptienne par les Grecs, nous avons aussi les crits de Plutarque, notamment le trait Isis et Osiris, mais l

    encore, force nous est de constater que l'auteur a plaqu sur la religion qu'iltudie des considrations imprgnes par la culture et la religion grecque de son poque : plus d'vhmrisme

    comme au temps de Diodore, mais plutt la dmonologie. En effet, Plutarque

    qui est platonicien voit dans les dieux gyptiens rien de moins que des dmons, au sens platonicien du terme.

    Une autre tude mene sur ce sujet est celle de Porphyre, qui a au moins le

    mrite d'interroger au lieu d'imposer ses propres conjectures comme l'avait fait Plutarque. Porphyre va donc

    chercher savoir ce que pensent des prtres gyptiens sur tel ou tel problmede philosophie. Ceci l'intresse d'autant plus qu'un stocien du nom de Chrmon a certifi que les Egyptiens ne

    connaissaient que des dieux visibles : les astres et les lments. Porphyre

    se demande alors lgitimement qu'elle peut tre leur opinion sur des sujets comme la mtaphysique, la thurgie,

    qui sont pour Porphyre indissociables de la notion de religion :

    "Je voudrais savoir ce que les Egyptiens pensent de la cause premire : si elle est l''intelligence ou au-dessus de

    l'intelligence ; si elle est unique ou associe une autre ou plusieurs

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    autres ; si elle est incorporelle ou corporelle ; si elle est identique au crateur ou au-dessus du crateur ; si tout

    drive d'un seul ou de plusieurs ; si les Egyptiens connaissent la matire,

    et quels sont les premiers corps ; si la matire est pour eux cre ou incre ; car Chrmon et les autres

    n'admettent rien au-dessus des mondes visibles, et dans l'exposition des principes

    ils n'attribuent aux Egyptiens d'autres dieux que ceux qu'on nomme errants (les plantes), ceux qui remplissent le

    zodiaque ou se lvent avec eux et les subdivisions des Dcans et les

    Horoscopes, et ceux qu'on nomme les chefs puissants et dont les noms sont dans les almanachs avec leursphases, leurs levers, leurs couchers et les signes des choses futures. Il

    (Chrmon) voit en effet que les Egyptiens appellent le soleil crateur, qu'ils tournent toujours autour d'Isis et

    Osiris et de toutes les fables sacerdotales, et des phases, apparitions et

    occultations des astres ; des croissances et dcroissances de la lune, de la marche du soleil dans l 'hmisphrediurne et dans l'hmisphre nocturne, et enfin du fleuve (Nil). En un mot, ils

    ne parlent que des choses naturelles et n'expliquent rien des essences incorporelles et vivantes. La plupart

    soumettent le libre arbitre au mouvement des astres, je ne sais quels liens

    indissolubles de la ncessit, qu'ils nomment destine, et rattachent tout ces dieux, qui sont pour eux les seuls

    arbitres de la destine, et qu'ils honorent par des temples, des statues et

    les autres formes du culte."

    Jamblique a rpondu cette lettre de Porphyre, sous le nom d'Abammon, un prtre gyptien. Dans cette rponse

    intitule Mystre des Egyptiens, Jamblique, qui dsire montrer lagrandeur de la religion gyptienne, attribue ses ides aux Egyptiens : il disserte sur la hirarchie et les fonctions

    des mes, des dmons , des dieux, s'intresse la divination, la destine,

    la magie, la thurgie en gnral. Il traitera aussi de la religion gyptienne, mais en des termes fort obscurs et demanire trs incomplte.

    Il ne faut pas conclure trop htivement de tout cela que l'Egypte est reste une terre de mystre pour les Grecs.

    En effet, les tudes les plus rcentes des hiroglyphes n'ont pas contredit

    ce qu'avaient trouv les Grecs, cela les a seulement compltes. Concernant les faits que les Grecs nous ont

    transmis, nous avons constat qu'ils taient gnralement vrais, le point surlequel il peut y avoir contestation relve de l'interprtation qui en a t faite. On peut expliquer cette diffrence

    de la manire suivante et c'est ce que propose Louis Mnard : une socit

    naissante utilise le langage des symboles, au fur et mesure qu'elle vieillit, cette langue cesse d'tre utilise et

    mme d'tre comprise. On peut illustrer cela en reprenant la condamnationde la posie par Socrate : le sens de la langue potique n'tait peut tre plus peru par certains philosophes quiconcevaient mieux les choses sous des formes abstraites que sous des

    formes potiques. Le peuple quant lui reste souvent attach aux symboles religieux, ce qui a conduit les

    philosophes adopter des attitudes diffrentes : les stociens par exemple

    expliqurent la mythologie par la physique alors que les platoniciens y cherchrent des allgories mystiques,

    d'autres y virent plutt des faits historiques embellis par l'imagination des

    potes (c'est ce que l'on nomme vhmrisme). Chacun sa manire rpondait un besoin de la consciencepublique. Louis Mnard y voit la preuve que la philosophie, aprs avoir

    branl la religion, la transforma et se confondit avec elle, c'est ce qu'il dveloppe notamment dans son ouvrage

    Polythisme hellnique (10). Ce phnomne ne pu se produire de manire

    similaire en Egypte qui tait gouverne par un rgime thocratique garant des traditions ancestrales. Ce rgime

    ne pu toutefois pas lutter contre l'oubli progressif de la langue des

    symboles. Ainsi l'poque o les Grecs tudiaient la religion gyptienne, la symbolique de cette religion taitpratiquement teinte. Afin de retrouver ces symboles, certains employrent

    des systmes d'hermneutique comme cela se pratiquait en Grce. Il est fort probable que dans ce genre de

    recherches, les stociens se rvlrent les plus efficaces.

    Comme d'un point de vue extrieur la religion gyptienne semblait statique, immuable, on lui adapta des

    systmes philosophiques grecs, tel point que l'on en vint dire qu'elle taitl'origine de ces systmes : aucune tude rcente srieuse n'a jamais corrobor cela. Certes Platon a voqu des

    influences gyptiennes, mais elles ne concernaient que des points mineurs

    de sa philosophie : il reprend la lgende de Thoth qui serait l'inventeur de l'criture, et celle de l'Atlantide qui

    proviendrait du rcit qu'un prtre gyptien aurait fait Solon, ce qui n'a

    jamais pu tre vrifi. On peut citer la thorie de la mtempsycose que Platon aurait reprise Pythagore qui latiendrait lui-mme des Egyptiens, mais il convient de rappeler que cette ide

    n'est pas propre aux Egyptiens et que les Indiens comme les Celtes croyaient en cela sans pour autant que celaleur soit parvenu d'Egypte. Comme la mtempsycose peut se dduire sur la

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    religion des mystres et que les pythagoriciens se distinguent peu des orphiques, on peut difficilement dire s'il y

    a eu action de la religion sur la philosophie ou raction de la philosophie

    sur la religion.

    L'influence de l'Egypte sur la philosophie grecque avant Alexandre doit donc tre regarde avec prudence ; on

    peut reconnatre qu'elle a particip la prfrence de nombreux

    philosophes pour les dogmes unitaires et les gouvernements thocratiques ou monarchiques, mais l encore ilfaut tenir compte du fait que la philosophie a tendance naturellement

    ragir contre le milieu dans lequel elle se dveloppe. Ainsi, un philosophe voluant dans une socit polythiste

    et rpublicaine se tournera vers une religion de l'unit et se soumettra

    une autorit politique. Les philosophes qui voulaient voir rgner une aristocratie d'intelligence se sentaient toutparticulirement attirs par le sacerdoce gyptien.

    Dans cette qute des rapports intrinsques entre diffrentes civilisations qui se rejoignent autour d'un mme livre,

    il convient maintenant de considrer conjointement les textes

    hermtiques et certains textes juifs et chrtiens : la Gense, les ouvrages de Philon, le Pasteur d'Hermas etl'Evangile de Jean. L'avnement du christianisme apparat comme une rvolution

    des moeurs et des croyances, ou plutt comme un passage vers autre chose. On sait que pendant cette priode

    transitoire, l'hellnisme primitif, remis en cause par la philosophienaissante, s'est peu peu teint de croyances orientales. On peut en cela voir le christianisme comme le terme

    ultime de cette invasion d'ides orientales.

    L'tude du peuple juif est fondamentale si nous comptons mener bien cette tude, car des trois groupes qui

    entrent en ligne de compte dans l'tude de l'hermtisme, il est celui qui est le

    plus intimement li l'histoire du christianisme. En quoi cet lment peut-il tre pertinent dans nos recherches ?Entre les premires sectes gnostiques et les Juifs hellniques il manque

    une tape, or ce chanon manquant pourrait bien tre l'oeuvre hermtique, et plus particulirement le Poimandrs,

    dans lequel on doit s'arrter prcisment sur le Sermon secret sur la

    montagne. L'une des hypothses avances par Louis Mnard est qu'on pourrait y trouver l'explication concernantle contraste entre les trois premiers Evangiles et le quatrime, celui deJean.

    Arrtons-nous un instant sur le nom de Poimandrs qui est celui donn l'intelligence souveraine. Poimandrs

    signifie "le pasteur de l'homme". Cette analogie entre l'intelligence et le

    pasteur est assez usite, on la retrouve remarquablement bien expose dans le De agricultura de Philon :

    "Notre intelligence doit nous gouverner comme un pasteur gouverne ses chvres, ses boeufs ou ses moutons

    prfrant pour lui-mme et pour son btail l'utile l'agrable. C'est

    surtout et presque uniquement la providence de Dieu que les parties de notre me doivent de ne pas tre sans

    direction, et d'avoir un pasteur irrprochable et parfaitement bon, qui

    empche notre pense de s'garer au hasard."

    Ce thme du pasteur dvelopp dans le Poimandrs peut aussi tre rapproch du Pasteur de saint Hermas,

    ouvrage apocalyptique qui en utilisant le thme du pasteur met en place une

    amorce de la doctrine du purgatoire. Chez Philon et saint Hermas on a deux approches juives mais pourtant

    distinctes, dont le Poimandrs va donner son tour une interprtation

    diffrente, plus gyptienne. Il est noter avant de poursuivre que ce qui est expos dans le Poimandrs reprend

    certains passages du Time, du premier chapitre de la Gense et le dbutde l'Evangile de Jean.

    Le texte du Poimandrs consiste en la rvlation d'une cosmogonie par le Dieu suprme, qui peut tre compar

    au nouz grec. Reprenant ce qui est dcrit dans le Time, le Dieu est

    au-dessus de la matire, matire qui n'est pas tire du nant. Toujours dans la droite ligne de Platon, l'Intelligenceordonne le monde selon un modle idal qui est sa raison, sa parole, le

    logoz. Cette parole divine engendre une autre intelligence cratrice, le Dieu du feu et du souffle, le Dieu del'esprit, qui peut tre rapproch de l'me du monde telle que la dcrit Platon

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    dans le Time. Si le lien entre cette thologie et la philosophie platonicienne est aisment pensable, on peut

    galement y voir un rappel de la doctrine trinitaire que l'Eglise grecque avait

    expose sous la forme suivante : l'Esprit procde du Pre par le Fils.

    On trouve galement dans le Poimandrs une exposition du fait que Dieu cre l'homme son image : on ne peut

    manquer le renvoi la Bible, mme s'il convient de rappeler que cette ide

    tait rpandue dans le polythisme. Philon dans le De profungis revient sur cette cration de l'homme : ilexplique que les anges auraient particip cette cration, ce qui justifie l 'emploi

    du pluriel "Faisons l'homme notre image". Dieu aurait demand aux anges de former la partie mortelle de notre

    me sur le modle de notre partie raisonnable, forme elle par Dieu

    lui-mme. Le Poimandrs reste dans cet esprit, notamment dans le passage o il dcrit la traverse des septsphres par l'homme cre par Dieu. Le corps de l'homme est le fruit d'une autre

    sorte de cration : c'est en effet l'homme qui cre son propre corps en contemplant son reflet dans l'eau et son

    ombre sur la terre, ce qui a pour effet de rendre la matire sensible cet

    amour de telle manire qu'elle s'engage dans une union dont la forme sera le fruit. On ne peut s'empcher de voir

    ici une certaine proximit avec le mythe de Narcisse.

    Un autre point sur lequel le Poimandrs semble reprendre des exposs dj connus : le caractre androgyne de

    l'homme primitif. Outre l'allusion au Banquet de Platon dans lequel cette

    thorie est expose, on retrouve cela dans la Bible travers les mots "il les cra mle et femelle". Philon, qui acomment certains passages de la Bible l'aide de thories platoniciennes,

    explique que Dieu cra dans un premier temps le genre humain avant d'intgrer des diffrences sexuelles.

    L'emploi de la Bible semble encore renforc quand on lit , toujours dans lePoimandrs "Croissez en accroissement et multipliez en multitude", ce qui en effet trs proche du "Croissez et

    multipliez" biblique.

    Si nous avons vu jusqu' prsent certaines analogies entre des exposs du Poimandrs et des doctrines bibliques,

    il convient de voir si ce sentiment peut gagner en crdit en observant

    par exemple les points communs entre le Poimandrs et l'Evangile de saint Jean. Afin de mettre en parallle cestextes, nous allons les prsenter en vis vis.

    Poimandrs

    "Cette lumire, c'est moi, l'intelligence, ton Dieu,antrieur la nature humide qui sort des tnbres, et le

    Verbe lumineux de l'Intelligence, c'est le Fils de Dieu."

    "Ils ne sont pas spars, car l'union c'est leur vie."

    "La parole de Dieu s'lana des lments infrieurs versla pure cration de la nature, et s'unit l'Intelligence

    cratrice, car elle est de mme essence."

    "En la vie et la lumire consiste le pre de toutes

    choses."

    "Bientt descendirent des tnbres... qui se changrent

    en une nature humide et trouble, et il en sortit un cri

    inarticul qui semblait la voix de la lumire ; une parole

    sainte descendit de la lumire sur la nature."

    "Ce qui en toi voit et entend est le Verbe du Seigneur ;l'Intelligence est le Dieu pre."

    "Je crois en toi et te rends tmoignage ; je marche dans

    la vie et la lumire. O Pre soit bni, l'homme qui

    t'appartient veut partager ta saintet comme tu lui en asdonn le pouvoir."

    Saint Jean

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    "Dans le principe tait le Verbe, et le Verbe tait avec

    Dieu, et le Verbe tait Dieu."

    "Il tait dans le principe avec Dieu."

    "Toutes choses sont nes par lui, et rien n'est n sanslui, de tout ce qui est n."

    "En lui tait la vie, et la vie tait la lumire des hommes."

    "La lumire brille dans les tnbres, et les tnbres ne

    l'ont pas contenue."

    "C'est lumire vritable qui illumine tout homme venant

    en ce monde."

    "A ceux qui l'ont reu elle a donn le pouvoir de devenir

    des enfants de Dieu, ceux qui croient en son nom."

    Les phrases cites ci-dessus montrent combien les deux crits sont riches de similitudes, et fournissent des

    arguments en faveur d'une thorie qui veut que ces livres aient t crits despriodes et dans des milieux assez proches. Tous les points communs que l'on peut leur reconnatre ne peuvent

    effacer une diffrence fondamentale qui tient dans la phrase "Et le Verbe

    s'est fait chair, et il a habit parmi nous". Le dogme chrtien de l'incarnation du Verbe ne trouve pas d'cho dans

    l'hermtisme. Ce point pose problme car il montre que l'auteur deslivres hermtiques n'a pas eu connaissance de ce dogme, et que par consquent on doit remettre en question lefait qu'il aurait eu connaissance de l'Evangile de Jean qui est trs explicite

    au sujet de ce dogme.

    Les rapports entre l'hermtisme et le christianisme existent en dehors du Poimandrs. L'ide de la rgnration

    ou renaissance dveloppe par saint Jean dans le troisime chapitre de son

    Evangile se retrouve dans l'oeuvre hermtique, dans le Sermon secret sur la montagne, o Herms attribue largnration au fils de Dieu. Si ces thmes communs se constituent en

    faveur d'une thorie qui veut que l'auteur ait connu les grands principes chrtiens, cela est insuffisant pour

    affirmer qu'il ait lu les crits chrtiens ni mme qu'il ait t instruit parfaitement

    sur les dogmes. Le titre hermtique du Discours sur la montagne renvoyait immanquablement l'Evangile de

    saint Matthieu qui contient une partie portant le mme titre. Cependant dans

    l'Evangile de Matthieu, il n'est nullement question de la rgnration, que l'on trouve expose chez Jeanseulement.

    Lorsque l'auteur des livres hermtiques traite de la rgnration, il le fait d'une manire qui se distingue de

    l'Evangile non seulement par le style employ mais surtout par le contenu. Pour

    celui qui se fait appeler Herms, le fils de Dieu n'est pas un personnage rel, historique, mais plutt un type

    abstrait de l'humanit que l'on peut comparer l'homme idal du Poimandrs, l'Adam Kadmon de la Kabbale ou encore Osiris tel qu'il est pens dans le Rituel funraire gyptien.

    A la lumire de ce que nous venons de voir, demandons-nous ce que cela signifierait de dire que l'auteur des

    livres hermtiques tait un chrtien. Cela signifierait tout d'abord qu'il

    dissimule volontairement une partie de ses croyances, pourquoi faire cela ? On peut imaginer que cetenseignement crit est une sorte de prlude dlivr tous, au grand public, et qu'il

    reste une part qui appartient aux seuls initis et qui doit leur tre dlivre dans le cadre d'un enseignement oral.Le mystre de l'Incarnation serait ce qui est rserv aux initis. Selon Louis

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    Mnard, cette hypothse doit tre regarde avec intrt mais aussi prudence car rien dans les livres hermtiques

    ne laisse supposer que l'auteur garde quelque chose en rserve. Si cette

    remarque est juste, elle ne doit pas nous faire oublier le caractre "hermtique" de l'oeuvre au sens o on l'entend

    de nos jours : les livres hermtiques reclent une grande part d'un

    mystre soigneusement gard et rserv certaines personnes ayant suivi une initiation particulire, on peut y

    lire de nombreuses choses mais le non-initi ne pourra pas en percer les

    mystres seul, ni mme en avoir une comprhension complte si tant est que cela est possible. Un secret est livrcependant, LE secret d'aprs Louis Mnard : pour s'lever dans le monde

    idal, il faut se dgager des sensations. A cette condition on devient un homme nouveau, la rgnration morale

    s'opre d'elle-mme. Le moyen pour y parvenir et simple, il faut remplacer

    chaque vice par la vertu qui correspond.

    Dans sa recherche du premier principe des choses, la philosophie grecque concevait l'unit de manire abstraite.Les Juifs en avaient une reprsentation plus vivante : le monde est une

    monarchie et leur religion est l 'expression la plus complte du monothisme antique. Les Egyptiens quant eux

    ne distinguaient pas l'unit divine de l'unit du monde : le culte au dieu Ra,le soleil, en est l'illustration parfaite. Le polythisme qui a pu se manifester en Egypte n'a pas remis en cause

    l'unit du dieu suprme encore appel le seul vivant en substance, la seule

    substance ternelle ou encore le seul gnrateur dans le ciel et sur la terre qui ne soit pas engendr. Les pointscommuns entre ces trois grands axes ont rendu possibles de nombreux

    emprunts de l'un l'autre. Le rapprochement qui s'opra donna naissance plusieurs coles de composition

    clectique. L'cole juive est reprsente par Philon ; usant d'allgories, elle

    voit le platonisme natre de chaque page de la Bible. Cette cole est souvent considre comme l'origine du

    gnosticisme. Une autre cole est celle d'Ammnios Saccas et de Plotin ; elle se

    concentre essentiellement sur la philosophie grecque quoiqu'elle semble tirer ses tendances unitaires etmystiques de celles d'Asie ou d'Egypte. Parmi ces coles, il en est une tout fait

    particulire qui est reprsente par les livres hermtiques : c'est le seul vestige que nous ayons de ce qu'on peut

    nommer la philosophie gyptienne. Certes ces ouvrages sont en

    eux-mmes un vritable mystre.

    Lorsque l'on a tent de dissocier les trois influences, gyptienne, grecque et chrtienne, on a vu combien cela

    tait difficile en raison de liens trs troits qui les unissent au sein d'une

    mme oeuvre, ou peut-tre peut-on dire d'une mme cole. Si l'on considre d'une part l'antique religion

    gyptienne qui s'teint conformment la "prophtie", et d'autre part la chrtient

    naissante, les livres d'Herms Trismgiste forment le passage des dogmes anciens aux dogmes de l'avenir : ils

    appartiennent un paganisme tardif qui tout en se sachant perdu refuse deplier devant la nouvelle religion.

    Mais la doctrine expose dans les livres d'Herms est peut-tre encore davantage celle d'une poque plus que

    celle d'une cole. On en retrouve des traces dans Plotin et ses successeurs,

    dans Apule, dans Macrobe, dans Origne et chez certains docteurs de l'Eglise. Ils reprsentent la somme d'ides

    communes toutes les sectes ou coles l'intrieur du sicle danslequel ils s'inscrivent : c'est croire que l'unit politique favorisait la progression vers l'unit religieuse.

    Les livres hermtiques sont certainement les derniers monuments du paganisme ; ils appartiennent aussi bien la

    philosophie grecque qu' la religion gyptienne et au judasme. Ils sont

    la parfaite reprsentation de la population d'Alexandrie, et comme elles sont un subtil mlange de dogmes et de

    croyances diffrentes. Plus qu'un mlange de trois civilisations, les livreshermtiques sont la charnire d'un monde qui finit et d'un monde qui commence, ils sont le passage entre deux

    poques. Si l'oeuvre hermtique a de la valeur, ce n'est pas par les

    connaissances qu'elle peut nous apporter sur la philosophie grecque, ni sur la religion gyptienne et encore moins

    sur le christianisme, mais bien plutt parce qu'elle est un lment de

    rponse qui permet de comprendre comment on a pu passer des religions antiques la religion chrtienne. Larecherche de nos origines passe par des oeuvres telles que celle-ci car la

    rencontre qui s'effectue en son sein est capitale pour la comprhension, non seulement de ce que nous avonsperdu, mais aussi de ce qui est devenu notre prsent. Nous touchons

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    peut-tre ici le sens vritable du nom qu'a voulu se donner l'auteur : Herms n'est-il pas le dieu des changes, des

    transitions en quelque sorte. Nous achverons cette tude avec cette

    phrase de Louis Mnard : Herms est le "Dieu crpusculaire, dont la baguette d'or brille le soir au couchant pour

    endormir dans l'ternel sommeil les races fatigues, et le matin

    l'orient pour faire entrer les gnrations nouvelles dans la sphre agite de la vie."

    NOTES :

    1. la Cl

    2. Poimandrs, le Dieu invisible et trs-apparent.

    3. cette incription est mentionne par Plutarque dans Isis et Isiris et par Proclus dans le Time, I.

    4. Poimandrs, Rien ne se perd...

    5. Poimandrs, Herms Asclpios.

    6. Poimandrs, le Dieu invisible et trs-apparent.

    7. Plutarque avait crit ce sujet dans Isis et Osiris : "Ceux qui ne connaissent point le vrai sens des motsarrivent se tromper sur les choses ; ainsi les Grecs, au lieu d'appeler les

    statues d'airain ou de pierre, ou les peintures, des simulacres en l'honneur des dieux, ont l'habitude de les appeler

    des dieux... Telles sont les erreurs qu'entrainent leur suite des

    locutions vicieuses."

    8. voir Maxime de Tyr : "Ceux dont la mmoire est robuste et qui n'ont qu' lever les yeux au ciel pour se sentiren prsence des dieux n'ont peut tre pas besoin de statues ; mais

    ceux-l sont trs rares, et peine trouverait-on un homme dans une foule nombreuse qi pt se rappeler l'ide

    divine sans avoir besoin d'un pareil secours".

    9. Discours d'initiation, IX.

    10. livre IV, chap III, La religion grecque et la philosophie.

    BIBLIOGRAPHIE D'HERMES TRISMEGISTE

    Poimandrs : regroupe 14 morceaux dont on possde le texte grec complet. Le titre est en fait celui du premier

    morceaux. Traduit en vieux franais.

    Asclpios : dialogue dont on ne possde qu'une traduction latine faussement attribue Apule, le vritable titre

    est Discours d'initiation. Traduit en vieux franais.

    Livre sacr : dialogue dont on possde trois fragments.

    Dfinitions d'Asclpios : il ne reste que l'dition trs imparfaite de Patrizzi qui est la seule complte.