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« LA CHAMBRE » DE SARTRE, OU LA FOLIE DE VOLTAIRE Jean-François Louette Le Seuil | Poétique 2008/1 - n° 153 pages 41 à 61 ISSN 1245-1274 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-poetique-2008-1-page-41.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Louette Jean-François, « « La chambre » de Sartre, ou la folie de Voltaire », Poétique, 2008/1 n° 153, p. 41-61. DOI : 10.3917/poeti.153.0041 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Le Seuil. © Le Seuil. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 81.242.171.106 - 20/09/2014 16h59. © Le Seuil Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 81.242.171.106 - 20/09/2014 16h59. © Le Seuil

Louette Sartre Irréalisable

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Genèse de la notion d'irréalisable chez Sartre, au croisement de lui-même et de Beauvoir.

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  • LA CHAMBRE DE SARTRE, OU LA FOLIE DE VOLTAIRE

    Jean-Franois Louette

    Le Seuil | Potique

    2008/1 - n 153pages 41 61

    ISSN 1245-1274

    Article disponible en ligne l'adresse:--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

    http://www.cairn.info/revue-poetique-2008-1-page-41.htm--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

    Pour citer cet article :--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

    Louette Jean-Franois, La chambre de Sartre, ou la folie de Voltaire , Potique, 2008/1 n 153, p. 41-61. DOI : 10.3917/poeti.153.0041--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

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  • Jean-Franois LouetteLa chambre de Sartre,

    ou la folie de Voltaire

    Ebauche en 1935 ou 1936, termine au printemps 1937, la nouvelle Lachambre parut dans la revue Mesures en janvier 1938, puis dans le recueil Le Muren 1939. Soixante-dix ans plus tard, et venant aprs des lecteurs attentifs et inspi-rs1, peut-on encore dire du neuf sur ce texte ? Ce sera ici ma modeste prtention.

    Lamateur de Sartre a appris rcemment que les nouvelles du Mur nont pas ttrs bien accueillies par la famille de lauteur : son beau-pre, Joseph Mancy, aprsavoir lu Lenfance dun chef , est outr, et lui renvoie le livre ; quant sa mre,elle semble adopter le mme point de vue, dans une lettre son fils, quelle gour-mande malgr ses trente-trois ans : Je ne porte pas de jugement [sur Lenfancedun chef ?] car je nai lu que Le mur et La chambre ; mais pourquoi cris-tudes choses si inconvenantes ? [] Au revoir mon petit enfant, tche de retrouverun peu de puret2. La chambre , en effet, fidle son titre, parle de chosessexuelles. Une manire de la rsumer consiste y voir lhistoire de deux couples :Mme Darbdat reoit dans sa chambre son poux, quelle ne supporte plus gure,et qui, comme elle, sinquite des relations de leur fille Eve avec son mari Pierre,malade quils jugent atteint de folie, mais qui tiendrait sa femme par les sens.M. Darbdat, rendant visite sa fille et son gendre, prend Eve part pour tenter sans succs de la convaincre de faire interner son mari. Dans la seconde sectionde la nouvelle, Eve pntre dans la chambre de Pierre : tmoin de son dlire (desvisions et des hallucinations auditives contre quoi il veut se dfendre avec son ziuthre ), elle souhaite franchir le mur qui les spare en vain ; aussi finit-elle parse jurer de tuer son mari avant que sa dmence ne tourne lidiotie.

    Pourtant, plus profondment, si La chambre a choqu Anne-Marie ex-Sartredevenue Mancy, ne serait-ce point parce quelle y aurait devin une transpositionet une mditation, dans la fiction, de la situation familiale qua connue son fils ?Tel sera le problme auquel jaboutirai. Il faudra alors se souvenir quAnne-Marieen 1939 tait dj dans la position (quant au savoir possible sur la vie de Sartre)que le lecteur natteindra au mieux quen 1963, aprs avoir lu et mdit LesMots. Mais avant den arriver l, je voudrais proposer trois lectures de La cham-bre . La premire, philosophique, aboutira la notion dirralisable. La deuximerassemblera, sous le concept damalgame, une thse psychopathologique reue deJaspers et la pratique sartrienne de lintertextualit. La troisime enfin, littraire, se

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  • centrera autour de la figure de Voltaire, que Pierre dessine, sur un morceau de carton, rieuse avec des yeux plisss (p. 2553) Voltaire au cur dun trangeprocessus de lapsus de glissement gnralis.

    Du mensonge lirralisable

    La nouvelle a sembl ses meilleurs lecteurs traiter de faon ambigu un exem-plum, un cas moral, qui se rsumerait dans une question la fois trs simple et trsdifficile : peut-on comprendre la folie ? Or, texte et paratexte suggrent deuxrponses contradictoires : la folie apparat la fois incomprhensible et compr-hensible. Incomprhensible, dans la mesure o, selon le texte mme de la nouvelle,la folie ne se laisse saisir (G. Idt la montr) ni par le positivisme ni par ce que jenommerais le potisme. Le positivisme la folie est une maladie, plus ou moinshrditaire, et il faut enfermer les fous entre eux se trouve dfendu par M. Dar-bdat, le beau-pre du fou, et par le docteur Franchot. Le premier de ces person-nages est disqualifi par divers ridicules, dont son rationalisme agressif et born, le second par son patronyme (Franchot, franc sot), et travers eux cest donc lalongue tradition du positivisme mdical qui est conteste. Quant au potisme,cest la position dEve : refus de linternement, la folie comme gnie. Rappelonsquen 1928 Breton voit en Nadja un gnie libre4 . Ce potisme tait peu prscelui de Beauvoir : Jaccordais une dignit mtaphysique la folie. Jy voyais unrefus et un dpassement de la nature humaine , note Simone propos de laffaireLouise Pierron une de ses collgues de lyce5. Naturellement, on trouvera le po-tisme plus tentant que le positivisme. Mais il mne lchec : Eve souffre dedemeurer trangre au monde de Pierre, elle ne parvient aucunement entrer dansson dlire. De plus, de faon gnrale, les positions surralistes sont critiques,dans Le Mur ; dans La chambre est mentionn un sieur Bretonnel (p. 241),assez peu potique, puisquil achte des hypothques la tante dEve, et quil sestretir des affaires : le surralisme a fait son temps ?

    Dailleurs, lorsquon lit le Prire dinsrer du recueil Le Mur, rdig par Sartre,coup de thtre : Les fous, crit-il, sont des menteurs. Mme si Eve a des doutestouchant Pierre, elle naurait certes pas t ce point affirmative. La folie devien-drait ainsi comprhensible : une simple espce du genre mensonge. Telle tait dj la courte ide du docteur Franchot : tous les alins sont des menteurs (p. 256).Or Franchot est aussi le Franais : travers lui, et en venant soudainement ausecours de ses personnages les plus antipathiques, cest donc au rationalisme cart-sien (et sa franchise ?) que Sartre semble accorder son suffrage.

    On aurait cependant tort de penser que le Prire dinsrer tranche une hsita-tion. Il la complique plutt. On considrera ici dun il critique la thse qui prtend dfinir la nouvelle par le monologisme6. Dans La chambre en effet necessent de saffronter trois voix sur la folie, et tout est fait pour quentre positi-visme, potisme (soutenu par la sympathique et aimante Eve) et simulation le

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  • lecteur ne puisse dcider. Dautre part, cette hsitation na de force que pourautant quelle sinscrit dans le personnage du fou lui-mme. Ce qui lexprime alors,cest le thme de la farce, elle-mme indcidable . Il se peut en effet (mais cenest pas sr) que Pierre soit en train de jouer une farce gniale aux bourgeoisimbus desprit de srieux, tel son beau-pre7. Le sourire de Pierre, son ironie ,son air rjoui (p. 251-252) autant dindices, nots par Eve, qui vont en cesens. Mais la farce cote si cher Pierre, elle semble susciter en lui tant dangoisse,quon se demande si cen est vraiment une, et sil lui est loisible de ne pas la jouer.Auquel cas il serait vraiment malade ? On tourne en rond, comme le veut Sartre.

    Pour achever ce rappel des lectures les mieux argumentes de la nouvelle, disonsquau jeu problmatique de Pierre il y a trois enjeux philosophiques forts. Pierresabrite derrire des formules magiques : Hoffka paffka suffka (p. 252). Il sagi-rait pour lui de nier cette absurdit [romance dans La Nause] au nom dun univers suprieur quil se construira volontairement, coups darbitraire et de tricherie8 ; plutt magicien et joueur mythomane que pris par labsurde contin-gence. Ce qui justifierait le choix, pour la composition du recueil, de la successionLe mur (exprience de labsurdit) La chambre (dfense par la folie).

    Le deuxime enjeu touche un point crucial de linterrogation philosophique de Sartre : sil y a des fous authentiques, des fous malgr eux, alors il y a desconsciences radicalement prives de libert. Le pril est si grand quon conoit bien que Sartre ait t tent par la solution rsume dans son Prire dinsrer :tous les fous sont des simulateurs. Aprs tout, elle correspondait son expriencepersonnelle : en fvrier 1935, dans le cadre de ses recherches sur limaginaire,stant fait piquer la mescaline, un hallucinogne, par son ami Lagache, devenumdecin psychiatre Sainte-Anne, Sartre eut deffrayantes visions, en vint penserquil commencait une psychose hallucinatoire chronique , se fit reprocher parBeauvoir de produire ses terreurs et ses erreurs par une espce de mauvaisevolont complaisante puis, lt 1935 venu, dit abruptement quil en avaitassez dtre fou9 . Ainsi la folie relverait de la dcision, leon que le fou phmrersumait ainsi : on est fou que si on le veut bien10 . La maladie mentale commeexpression dun choix existentiel : cest toute la question de la sincrit de Pierre.Son prnom indique assez dans quel sens il a dcid, en croire un passage de lEsquisse dune thorie des motions : exister, cest toujours assumer son tre, cest--dire en tre responsable au lieu de le recevoir du dehors comme le fait unepierre11 . Un homme nest jamais une pierre, mais la folie serait fuite choisie danslirresponsabilit de ltre-pierre. Lide peut paratre trs rude, mais peu importeici.

    Le troisime enjeu philosophique, on le devine, se nomme mauvaise foi : cettenotion se dessine dj fugacement dans lEsquisse dune thorie des motions, avantdtre thorise dans LEtre et le Nant. Le choix de Pierre (faire le fou), si choix il y a, ne se pose jamais pour lui comme tel ; il est vcu dans lopacit. Mais les troisautres personnages de la nouvelle voluent eux aussi dans la mauvaise foi12. Parexemple, cette notion est indispensable pour comprendre toute la conversation,au dbut du texte, entre Mme Darbdat et son mari, au sujet de leur fille et de leurgendre : Si deux interlocuteurs se persuadent mutuellement quils dominent les

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  • vnements et les gens sur lesquels ils changent des confidences, sous prtexte depratiquer la sincrit, ils se dupent13.

    La chambre est ainsi une fiction (une nouvelle) sur une fiction hypothtique(la folie, si elle est simulation). Elle se dploie dans la possibilit du mensonge. Decette donne premire Sartre a tir avec rigueur une consquence dordre littraire :si la folie est (peut-tre) mensonge, alors elle suppose aussi un thtre. Cest l lethme central du Henri IV de Pirandello, mont en 1925 Paris, que Sartre avaitvu alors, et dont il se souviendra pour Les Squestrs dAltona ; mais dans Lachambre , cest Phdre qui est mentionn. Eve, qui son maquillage donne unmasque de tragdienne (p. 244), vit une folle passion pour un fou qui semblefuir la sexualit tel le pur Hippolyte. Songeant Phdre, mais aussi aux romansdialogus de Gyp, que lit Mme Darbdat, Sartre organise sa nouvelle selon unmodle thtral. Par-del une division en deux parties, le texte se compose en fonc-tion des entres et sorties des personnages ; il propose une alternance de mono-logues intrieurs et de dialogues ; on attend lapparition du fou, tout comme cellede Tartuffe. Un tel modle thtral permet donc dexprimer le problme du statutde la folie (nest-elle quun thtre intime ?). Mais de plus il autorise deux bn-fices. Dune part Sartre en use pour se conformer une loi du genre, telle quilavait pu la lire formule par Thibaudet, dans lune de ses chroniques de la NRF, du 1er novembre 1922 : dans la nouvelle la composition, qui est tout, procde parconcentration, si bien que la nouvelle se trouve dans la mme situation que lethtre, savoir celle des arts auxquels le temps est mesur, do la ncessitdutiliser un minimum de temps pour un maximum deffet14 . Dautre part, lemodle thtral implique leffacement du narrateur ; ainsi il soppose la nouvelleencadre la Maupassant, que Sartre juge trop rationnelle, avec son narrateurprofessionnel de lexprience , si bien que laventure est un bref dsordre quisest annul15 . Le long dsordre quest la folie demeure comme tel, dans Lachambre , et notamment, je le rpte, parce que nest pas tranch le dbat entrefolie comme maladie subie, et folie comme libert saffectant de mauvaise foi.

    Je me propose maintenant de complter cette lecture traditionnelle par uneautre, qui sappuiera sur le concept dirralisable. Le modle thtral rpond lide que la folie est mensonge. Mais il indique aussi que la folie est inaccessible.Nous sommes spars de la folie comme Eve lest de Pierre, et aussi comme la sallelest de la scne, par une distance infranchissable16. La folie nous est un irralisable.Ce concept, Sartre ne le dgage quen fvrier 1940, dans le onzime des Carnets de la drle de guerre, et je me risque donc une lecture anachronique, ou par laval,de La chambre .

    Lirralisable, Sartre semble le dcouvrir en lisant le manuscrit du roman deBeauvoir, LInvite. Un personnage, Elizabeth, sy plaint d tre entoure dobjetsdont elle voudrait jouir et quelle ne peut pas raliser , objets existants quenous pouvons penser de loin et dcrire mais jamais voir , objets qui nous concer-nent, qui sont porte de notre main et qui nous chappent pourtant. Telle est du moins la manire dont Sartre prsente, dans le carnet XI, ce quil a compris17.LInvite ne sera publi quen 1943. Jen extrais les deux passages qui anticipent lemieux sur la notion dirralisable. Elizabeth pntre dans la chambre de Franoise :

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  • [] ctait impossible dapprivoiser cette chambre ; avec une vidence irrmdia-ble, elle apparaissait comme une chambre trangre. Puis, beaucoup plus loindans le roman, alors quElizabeth se prpare recevoir : Ce souper, ce ntaitquune imitation de souper, dans une imitation de studio chic. Et elle ntaitquune vivante parodie de la femme quelle prtendait tre. [] elle savait quenulle part, jamais, elle natteindrait le modle authentique dont son prsent ntaitquune copie [] elle changeait tout ce quelle touchait en carton-pte18. Lais-sons de ct ce platonisme douloureux. Importe ici, tout dabord, lenchanementdes textes dans le dialogue entre Sartre et Beauvoir. Car cest, sans doute, en sesouvenant des sentiments dEve lgard de la chambre de Pierre que Beauvoirdcrit ceux dElizabeth sur le point dentrer dans la chambre de Franoise. Maisrciproquement, cest grce la lecture du roman de Beauvoir que Sartre va dansson carnet reformuler, sur un mode thorique, ce quil avait dcrit dans sa nou-velle. En philosophe, il invente alors le mot et le concept, le mot qui fait concept :irralisable. Et dans LEtre et le Nant19, il reprendra la distinction entre limagi-naire (existant non rel) et lirralisable (existant rel mais que je ne puis raliser).

    Dans le onzime des Carnets, on voit Sartre chercher laborer le concept et sa dfinition, travers trois exemples qui dterminent mon sens deux versants de lirralisable. Dabord son versant immdiat ou ontologique. Ainsi des espoirsde ma jeunesse : Tout ce que je voulais dans ma jeunesse, note Sartre (toujoursdans la mme page), je lai eu mais pas de la manire dont je lai voulu. Mesgrandes esprances ont t la fois satisfaites et trompes. Mme ralises ellesdemeurent irralisables. Pourquoi ? Parce quon ne peut vraiment vivre le rapportde ce quon a t avec ce quon est . Du moi jeune au moi adulte, il y aurait dis-continuit radicale ; le premier, avec ses espoirs, est devenu un irralisable pour lesecond. Je peux me reprsenter ce moi jeune, mais rien de plus : Les irralisablespeuvent toujours tre reprsents mais ils ne peuvent tre jouis20. Il mest certespossible de mesurer la ralisation de mes espoirs, mais ce ne sont plus les espoirs-de-ma-jeunesse : celle-ci est reste irrmdiablement en arrire, et avec elle la qualit juvnile de ses espoirs. (Et cest ce qui fonde, et dit Flaubert, nos plusgrandes dceptions.) Je dlaisse le deuxime exemple dirralisable ontologique, savoir la question de savoir si je puis tre-dans Paris21 . Et jen viens au secondversant ou aspect de lirralisable : lirralisable mdi, cest--dire racont. Soldat,Sartre a vcu une permission heureuse. Mais seul le rcit de cette permission pour-rait la rendre prcieuse , en prsentant ces dix jours comme contracts, resserrsde telle sorte que leur fin touche leur commencement , bref comme une formepleine et ronde . Ce quil y a de prcieux dans cette permission est un irralisable,qui ne peut pas faire lobjet dune jouissance au prsent, cest--dire un existantdont la nature est de napparatre quau pass travers le rcit quon en fait . (Demme de la jeunesse ?) Ainsi, ajoute Sartre, si javais souci dcrire une nouvelleintitule La Permission, je pourrais la composer, cette permission, comme elleaurait d tre, avec sa nature pathtique et prcieuse. Je pourrais faire en sorte quele lecteur la ralise comme une mlodie coulant implacablement vers sa fin22 . Onvoit qu un thme cher Brice Parain, et que dailleurs Sartre voque dans larticlequen 1944 il lui consacre23, celui du silence du permissionnaire ou du dmobilis,

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  • soppose ici la nouvelle que rdigerait le permissionnaire. Que Sartre songe unenouvelle incite naturellement se demander si la notion dirralisable ne savrepas rtrospectivement pertinente pour les nouvelles du Mur (elles-mmes path-tiques et prcieuses). Or il me semble que cest le cas, tant sur le plan thmatique,que sur celui de la technique narrative.

    Sur le plan thmatique, dans la nouvelle qui donne son titre au recueil Le Mur,la mort est un irralisable ontologique. Rien nest plus proche pour les rpubli-cains condamns tre fusills laube par les franquistes et pourtant, se ditPablo, je ne ralisais pas encore tout fait ; de mme, lhrosme apparatcomme un irralisable ontologique : ce prisonnier obstin faire le hros questPablo veut mourir dans une farce-dfi, mais il naboutit qu passer pour tratre24.Dans La chambre , la folie dautrui est un irralisable ontologique : de mme queje ne puis, g, tre-dans-les-espoirs-de-ma jeunesse, ou bien, Parisien, tre-dans-Paris, de mme je (Eve) ne puis tre-dans-la-folie de mon mari ; ni pleinementdans sa chambre. Je ne peux pas devenir folle , pense Eve (p. 254) : jamais la foliede Pierre ne pourra tre une modification essentielle de ltre dEve, mme si cestce quelle veut ; jamais elle ne sera initie son monde. Aussi bien, Pierre est dcritde lextrieur (aucune focalisation interne sur lui), sa subjectivit chappe.

    Sur le plan de la technique narrative, et pour compenser cette double impossibi-lit saisir la mort ou la folie, Sartre a-t-il souci de crer une forme pleine etronde ? De donner limpression dune mlodie coulant implacablement vers safin ? Oui, puisque dans Le mur , entre la premire et la dernire phrase, un mot( yeux ) assure leffet de bouclage, avec le mme effet de passivit pour le sujet : mes yeux se mirent cligner les larmes me vinrent aux yeux . Passivitemblmatique puisque dans cette nouvelle le sujet (Pablo) narrive pas jouirdune libert qui soit matrise, ou matriser assez ses yeux pour voir la mort enface. Dans La chambre , le mot de lvres figure la fois au dbut, dans la deuxime phrase ( Mme Darbdat tenait un rahat-loukoum entre ses doigts.Elle lapprocha de ses lvres avec prcaution), et la fin, dans la dernire phrase(Eve se pencha sur la main de Pierre et y posa ses lvres : Je te tuerai avant ). Etles deux situations sont trs proches, puisque si le dbut exprime symboliquementla sparation, en particulier physique, entre Mme Darbdat et son mari25, la finindique linluctable rupture entre Eve et son mari (faute de pouvoir laimer, elle le tuera), dailleurs rduit, sur le plan rotique, la peu raide efficacit du rahat-loukoum.

    Certes, cest sans doute la structure mme du texte-nouvelle qui engage lcri-vain sur cette pente, celle de la forme pleine et ronde . Pourtant, il apparat bienque la folie dans La chambre est un irralisable, dans les deux sens du terme :ontologique, et narratif. La folie est un espace inaccessible pour les personnagesautres que Pierre ( Jai besoin de vivre l-bas, de lautre ct de ce mur. Mais l-bas, on ne veut pas de moi , dit Eve, p. 250), et la fois un monde pourtantcommuniqu au lecteur, qui se rend compte de cet irralisable, le ralise par la lecture de cette forme ronde quest la nouvelle. Pour le dire autrement, dun ct,un mur infranchissable se dresse entre la folie et la raison : sparation, sommetoute, rassurante. Mais dun autre ct, comme le suggre lexprience du lecteur,

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  • qui nest, par hypothse, pas fou, et qui accde quant lui dune certaine manire ce monde de Pierre, la nouvelle dfait lopposition entre raison et folie en mmetemps quelle la manifeste.

    Amalgame et agalma

    Trouble situation, quavait bien vue Genevive Idt26 ; La chambre , si on la lit de prs, laisse le lecteur sur une question non rsolue : o passe le partage entreraison et folie ? Cest ce que montre le plus rapide examen des personnages. AM. Darbdat, qui se pose en parangon de la normalit, sont appliqus le substantif fureur (p. 235), et ladjectif furieux (p. 238) ; cest un vieil homme qui croit son ternelle jeunesse, figure carnavalesque du senex puer ; il rejette son gendrecomme fou, mais smerveille dune petite fille qui dans la rue stonne devant unappareil de TSF, sans voir que tous deux, Pierre et la fillette, ont pour lui aussi peu de logique ; de plus il admet chez cette fillette la fascination (pour ce quelle necomprend pas) dont il refuse le droit sa propre fille. Mme Darbdat sinterprtepar sa proximit avec Pierre : lun et lautre sont reclus, replis sur leur pass, etvivent dans un univers o limaginaire et le rel se distinguent peu ; aussi bien,M. Darbdat se demande o situer sa femme : Avec ma pauvre Jeannette, il fautbien lavouer, cest un peu la mme chose (p. 244). Quant Eve, dont sonpre admirait la clart desprit, voil quelle se dispose, selon la chute de la nou-velle, devenir meurtrire.

    Sartre, en un sens, retrouve telle phrase clbre de Nadja, o Breton, dissimulantle paradoxe derrire la fausse vidence, voque labsence bien connue de frontireentre la non-folie et la folie27 . Le trouble fonctionnement de La chambre vri-fierait aussi une thse gnrale que lon a pu proposer sur la nouvelle moderne,qui montrerait une disqualification du systme moral , une confusion desvaleurs28. Je parlerais quant moi de maladie de Voltaire : maladie de lordonnan-cement, qui apparat lorsque le rationalisme devient incapable de dissocier et declasser. Elle se lit sur les traits de la belle Eve : dans ce visage autrefois si raisonna-ble et transparent, il y avait maintenant quelque chose de brouill et dopaque (p. 244). Elle affecte aussi la chambre de Pierre, avec son paisse odeur dencens,et son dsordre. Ce qui rgne alors, dans la chambre de Pierre et dans La cham-bre de Sartre, cest lamalgame : un dsordre amass, entass. Mais nentendonspas ici la moindre dprciation. Lamalgame se prsente la fois comme chaos etcomme richesse. Lamalgame est aussi agalma : soit, en grec, ornement, parure.

    Cet amalgame donne en effet une partie de sa profondeur la nouvelle, en tantquil fonctionne sur les deux plans de la psychopathologie et de lintertextualit. Sila question de la nature de la folie (maladie ou mensonge) demeure, lissue de lalecture de la nouvelle, non tranche, il y a cependant une thse, mais implicite ettrs dissimule, dans La chambre , et cela, que Sartre en ait eu conscience ounon, conformment la tradition du genre29. Cette thse implicite de La cham-

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  • bre serait quil savre impossible dtiqueter avec prcision la folie. Non pointpar manque dtiquettes nosographiques, mais en raison de lexcs de leur nombre,et de la concurrence quelles se font.

    Quelles tiquettes mdicales appelle le cas de Pierre dans La Chambre ? Aumoins celles de schizophrnie, de psychose hallucinatoire et de paranoa. De laschizophrnie, Sartre crit dans LImaginaire que cest un monde pauvre et mti-culeux, o les mmes scnes se rptent inlassablement, jusquau moindre dtail,accompagnes du mme crmonial o tout est rgl lavance30 ; la correspon-dance avec le comportement de Pierre est vidente. Elle va jusqu ce trait : Leschizophrne sait fort bien que les objets dont il sentoure sont irrels : cest mmepour cela quil les fait apparatre31 ; de mme Pierre ne croit qu demi sesvisions, comme lindique telle rponse Eve qui veut entrer dans son jeu : Tuexagres (p. 260). De plus, dans son article sur Giraudoux, publi en mars 1940,Sartre, propos des malades qui souffrent de schizophrnie, voque leur raideur,leurs efforts pour nier le changement [], leur gomtrisme31 . Or voici Pierre : il marchait petits pas, sur la pointe des pieds, en serrant les coudes contre leshanches, pour occuper le moins de place possible (p. 256) ; ou encore : il setenait tout raide (p. 258). Autre tiquette possible, la psychose hallucinatoire.LImaginaire examine la question de lobsession chez les psychasthniques et leshallucins ; trait commun, cest la crainte mme de lobsession qui la fait rena-tre ; et Sartre prcise que l on [] peut mme se demander si, bien souvent, lemalade ne sait pas quel moment de la journe se produira lhallucination : il doitlattendre et elle vient parce quil lattend33 . Or Eve se demande, au sujet dePierre et des statues volantes dont il redoute lapparition, si ce nest pas lui qui lesattire (p. 255). Les obsessions de Pierre saccompagnent de ce que LImaginairenomme un syndrome dinfluence : on me parle, on me fait voir ; de mme Pierresemble Eve envahi malgr lui par un foisonnement malsain de penses et devisions (p. 255). Le diagnostic selon LImaginaire serait alors celui de psychosehallucinatoire chronique34 . Mais, pour finir, difficile de ne pas reprer chez Pierredes traits de paranoa35. Laissons de ct le Prsident Schreber des Cinq Psychana-lyses (1935). Et empruntons Elias Canetti une description sommaire de la para-noa, qui se caractriserait extrieurement par la dissimulation pousse lextrme(si bien que lon narrive pas savoir, dans beaucoup de cas, jusqu quel point un paranoaque est paranoaque), et par le fait de passer tout son temps dmas-quer des ennemis , qui, partout, guettent et surveillent36. Or Pierre simagineobserv, laide dun cran, par de mystrieux ils , ou par une arme dyeuxrouges (p. 257), et mme lgard dEve il prouve de la dfiance. De faon sym-bolique, sur le damier de son jeu dchecs il na laiss que les pions noirs : les enne-mis quenfin il peut manipuler ?

    Schizophrnie, psychose hallucinatoire, paranoa : lexcs se retourne en dfaut.Le discours mdical, avec ses diverses tiquettes, ne rend pas compte de la folie : de l, entre autres raisons, le caractre dirralisable de cette exprience extrme.Point de diagnostic juste et unique : quest-ce qui fonde chez Sartre ce refus des tiquettes nosographiques ? Moins linfluence de Bergson, comme on pourrait le penser, que celle de Karl Jaspers. Telle est du moins lhypothse que je voudrais

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  • avancer. Rappelons en effet que Sartre et Nizan avaient mis au point le manuscritde la traduction franaise, parue en 1927, de la Psychopathologie gnrale. Ilsavaient aussi particip la correction des preuves de cet ouvrage (dont la premiredition allemande datait de 1913). Sartre avait d apprcier lattitude non pas hos-tile mais rserve de Jaspers lgard de Freud37. Mais voici le point essentiel. DslIntroduction de son livre, Jaspers crit ceci : Plusieurs concepts de maladie peuvent en principe tre dfinis avec prcision, mais en fait doivent admettre deslimites et des transitions. Et plus loin : En psychiatrie diagnostiquer consistesouvent tourner dans un cercle vide o les phnomnes entrent peu. Ouencore : la terminologie nosographique nest pas satisfaisante, parce que lesconcepts stables, universellement adopts, manquent encore38 . Lavant-dernierchapitre, intitul La synthse des maladies , raffirme la mme position : il ny apas dunits morbides qui soient isolables de manire absolue, pas de maladies net-tement dlimites.

    De l Jaspers tire deux consquences, qui clairent La chambre . La premireest quil ne faut pas violer le chaos des phnomnes , mais plutt sentir, com-prendre ce qui se passe en ralit dans lme humaine39 . Il convient ds lors de complter lErklrung (explication par les causes) par le Verstehen (la capacitdinterpntration psychologique et affective ou Einfhlen, laptitude pntrerlesprit dautrui ou Einfhlung). Cette opposition, Sartre et Beauvoir lont reprise leur compte, et par l ils se dmarquent nettement du positivisme mdical40 ;comprendre, nest-ce pas ce quen vain cherche Eve face Pierre ? Nest-ce pas aussilattitude qui est requise du lecteur ? Nest-ce pas surtout ce qui et ce que permetlcriture dune nouvelle sur la folie ? De la notion de synthse des maladies, Jasperstire une deuxime consquence. Chaque cas doit tre tudi pour lui-mme : Cequi importe en phnomnologie, cest moins ltude de cas innombrables que lacomprhension intuitive et profonde de quelques cas particuliers ; aussi, pourlheure, une collection de biographies soigneuses des malades est le besoin le pluspressant de la psychiatrie41 . Ces tudes de cas, au plus prs de chaque malade,doivent bien sr tre conduites en pensant que les traits de plusieurs syndromespeuvent se runir dans ltat individuel42 . Ainsi La chambre pourrait se lirecomme ltude dun cas fictif, dans lequel plusieurs lignes nosographiques se croi-sent et se synthtisent.

    Or, le coup de gnie de Sartre, cest de doubler cet embrouillage de lignes danslordre de la psychopathologie, qui nest que la ranon de lattention au concretdun cas, par sa propre pratique de lintertextualit : laquelle, en effet, multiplie les rcritures, mettant le lecteur face un nouvel amalgame (et agalma), esth-tique pour le coup43. Dans La chambre , la confusion mentale de Pierre, et laconfusion nosographique du discours mdical possible, sajoute, voire rpond la confusion intertextuelle.

    Je dcris ce phnomne, par le biais dun inventaire rapide. Sartre sappuie lafois sur un document et sur une littrature de la folie. Touchant le document, jepasse vite ; Robert Brasillach, dans son compte rendu du Mur pour LAction fran-aise, le 13 avril 1939, avait dj vu ce que La chambre devait La Squestre de Poitiers, que Gide avait publie en 1930. En commun, les menaces inscrites sur

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  • les murs, les mots de la folie (mon cher grand fond Malampia pour la sques-tre, hoffka paffka suffka , ou ziuthre chez Pierre), et la peur des objets :Mademoiselle Bastian ne voulait du reste pas se servir de fourchette , tmoigneune bonne de la squestre, et cest aussi dune fourchette que Pierre se mfie, yvoyant des pinces . Sartre rcrit surtout toute une littrature de la folie : Phdre,on la dit, mais aussi le Hamlet spectral de Jules Laforgue44, qui donne certains deses traits au personnage de Pierre, ou encore Maupassant. On ny a pas assezinsist, alors que cest une grande passion de lecture de Sartre, comme le marquentLes Mots. Tout le jeu autour de la fourchette semble inspir dune nouvelle deMaupassant, Un fou ? , qui met en scne un homme travers par un puissantmagntisme, si bien que les objets lui obissent, par exemple un couteau. Demme la fourchette ne quitte pas les doigts de M. Darbdat, qui par mgarde lem-porte de la chambre de Pierre au salon : ce trou dans son rationalisme porte uneffet satirique vident. Linquitant hros de Un fou ? cache toujours ses mains(dans ses poches, etc.), car elles ont le pouvoir dhypnotiser les vivants et danimerles objets. Et de mme Pierre ; alors que les autres empoignent les objets, lui lesattire : il prenait les pions dans ses mains et ils paraissaient sanimer dune viesourde entre ses doigts (p. 253). Quant au talisman verbal de Pierre, Hoffkapaffka suffka , il prsente lintrt dorienter vers des intertextes non franais. Jylis en effet une synthse des mots Hoffmann ; pas (ngation, refus) ; suffit (commea) ; et surtout : Kafka. Car dans le monde de Pierre, comme chez Kafka, rgneune Loi toute particulire, que Sartre dcrira ainsi en 1943 : Elle vous enserre,elle vous accable, vous la violez quand vous croyez la suivre et lorsque vous vousrvoltez contre elle, vous vous trouvez lui obir votre insu. Nul nest cens ligno-rer et pourtant personne ne la connat45 ce qui fait une partie essentielle dudrame de Pierre et aussi dEve, toujours vous au faux pas.

    Pour clore cet inventaire, arrtons-nous un instant sur la frappante apparitiondes statues volantes dans la chambre de Pierre. On est dabord tent dy voir unmotif surraliste : soit pictural (mlant les statues inquitantes de Chirico teltableau de Magritte peint en 1929, intitul Le Temps menaant, qui reprsente unbuste de femme dans le ciel), soit littraire, puisque Nadja, visitant lappartementde Breton, y voit des statues qui leffraient sans oublier cette statue de femme du muse Grvin, qui rattache sa jarretelle, et dont Breton dit quelle est la seule avoir des yeux : ceux mmes de la provocation46 . Cependant Sartre se souvientaussi de trois textes fort classiques. Soit : 1. Le Don Juan de Molire, et sa statue duCommandeur (avec une inversion, puisque si Eve vaut comme Elvire sductrice,Pierre refuse le sexe, au rebours du grand seigneur mchant homme, et a peur destatues qui ne sont plus masculines mais fminines). 2. Le sonnet de Baudelaire,La Beaut, qui commence ainsi : Je suis belle, mortels ! comme un rve depierre ; toute la description de la chambre elle-mme est sature de thmes bau-delairiens. 3. Enfin et surtout, La Vnus dIlle de Mrime. Dans les deux nou-velles, le hros est confront une statue mchante, aux yeux blancs inquitants ;statue anime, qui marche chez Mrime, vole chez Sartre ; une fois fondue, la statue du texte de Mrime devient une cloche nfaste, cependant que dans lanouvelle de Sartre, les statues bourdonnent , comme des mouches, mais aussi

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  • comme des bourdons, i. e. de grosses cloches, et quune cloche menace Pierre(p. 252). Dans les deux cas, on lit une curieuse histoire damour : la statue deMrime impose son mortel amour celui quelle estime tre son mari, puisquillui a mis sa bague au doigt ; Pierre refuse lamour jusque dans les statues, comme ilrefuse lamour charnel de celle quil a renomme, pour la ptrifier et la purifier,Agathe.

    On pourrait ajouter que cette nouvelle ce point charge dintertextes est la fois, si lon rflchit partir de la typologie propose par Michel Viegnes47, unenouvelle histoire (sa chute est marque), une nouvelle-portrait (elle peint quatrepersonnages tonnamment fouills, que lon noublie pas), et une nouvelle des-criptive (comme lannonce son titre). Lentassement de rfrences savre aussi, enun sens, gnrique. Mais quel est le sens que lon peut donner un tel procd ? Il me semble dabord quen faisant, mme trs allusivement, rfrence Hoffmannou Kafka, il sagit, pour Sartre, denregistrer et de soutenir une certaine interna-tionalisation de la littrature franaise. De mme dans Le mur , o linfluencedes romanciers amricains se joint celle de Cline. Cest suggrer que Voltaire nedomine plus le monde des lettres : la rpublique littraire a cess de se centrer sur laFrance, Thibaudet y insiste plus dune fois dans ses chroniques de la NRF48. Maisdautre part, et surtout, cet excs de rfrences (possibles) atteste dune forme defolie propre lcriture sartrienne. Folie certes dpourvue de toute tiquette mdi-cale connue aussi ai-je ailleurs propos de la nommer libricit49, monstre tri-lingue o le grec hybris et le latin liber se composent avec libre et lubricit, pourdsigner la folle envie de conqurir une libert dcrivain en parodiant tous leslivres. Mais folie claire par la nouvelle suivante, Erostrate , place non sansintention au centre du recueil. Du hros ainsi nomm, Sartre dira, dans des notesprparatoires aux Mots, quil tait la limite brutale de moi-mme50 , ce queconfirmerait lonomastique, si lon peut lire Erostrate comme une approxima-tion pour hros-Sartre . Ds lors apparat lune des composantes du projet dcri-vain de Sartre : mettre le feu sinon au temple dArtmis Ephse, du moins, par larcriture parodique, la bibliothque universelle.

    Voltaire et le lapsus

    Cette folie reste cependant, dans une certaine mesure, matrise. Jen voudraispour indice le fait que ce type dcriture (par amalgame-agalma) est signal commetel dans la nouvelle. Et par lobjet le plus intriguant du texte, savoir le ziuthre de Pierre, dcrit comme un ensemble de morceaux de carton [] colls (p. 255). Carton, carta, papier, cest tout un : ensemble dintertextes, donc. Le col-lage est aussi bien le mode de formation du mot ziuthre lui-mme, mot-valise silen est51. Amusons-nous proposer quelques hypothses pour dplier ce terme.Dans ziuthre, on pourrait dabord entendre une dformation de truc : il est le trucde Pierre pour se dfendre52. Ou encore une rcriture de hutre, symbole de lexis-

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  • tence de Pierre, enferm dans sa coquille et produisant sa folie comme lhutrefabrique sa perle (de mme Frantz, le fou des Squestrs dAltona, vit entour decoquilles dhutres). Le ziuthre ressemble une araigne et il pend piteuse-ment : Jean Bellemin-Nol en concluait quil figure les deux sexes la fois, mar-quant la rgression de Pierre en de de la diffrence sexuelle53 et donc ziuthre =zizi + utrus ? Poussons encore plus loin le dlire : pourquoi ne pas unir zyeux + zut(Rimbaud, Album zutique) + zutre, mot de Jarry54 ? Pierre veut dire zut et zutre cette arme dyeux rouges qui le surveille. Mais aux motifs de la vision menaanteet de la drision sajouterait si lon place luth (constell, la Nerval ?) au cur deziuthre celui de la cration littraire.

    Le ziuthre est en effet comprendre en fonction la fois du personnage et delauteur. Cest la marotte du fou mais aussi le sceptre de lcrivain. Dun ct, ilforme une image de Pierre lui-mme, la fois comme collection de maladies etcomme volont de recoller les morceaux pars de sa personnalit. Dun autre ct,il permet un autoportrait parodique de lcrivain en fou assembleur de morceauxde carton, cest--dire aussi bien dtiquettes mdicales, que dintertextes. Et tousles lments de la description du ziuthre prennent sens sur ces deux plans la fois.Globalement, il est compar, on la vu, une araigne : certes, elle attrape lesmouches (il le faut bien, puisque les statues bourdonnent), mais de plus elle figurePierre, qui a des membres semblables des organes rtractiles (p. 256), et unearaigne dans le plafond55 ; enfin ce charmant animal est une mtaphore usuelle de lcrivain, qui lui aussi tisse des fils (voir dj chez Ovide, au livre VI des Mta-morphoses, et encore chez Valry). Quant aux trois inscriptions portes sur les cartons assembls, on peut en faire la mme analyse en double registre. Pouvoirsur lembche indique la paranoa de Pierre, sa crainte de lembuscade, du pige,mais aussi, peut-tre, son vu davoir pouvoir sur len-bche, len bois, limpuis-sance sexuelle face Eve ; le tout en dsignant encore la puissance de lcriture face la folie ou labsurdit du monde (thme essentiel de La Nause, qui expliquepourquoi Roquentin dcide dcrire). Noir sapplique la magie noire laquellerecourt Pierre pour lutter contre sa mlancolie et contre latmosphre funbre danslaquelle baignent et lui-mme et sa chambre ; mais cest aussi la couleur de lencre,utilise pour explorer les limites tnbreuses de lhumain. Enfin, sur le troisimecarton figure la tte de Voltaire. Emblme du rationalisme, donc moyen de dfensecontre la folie, on sen doute. Tte rieuse , comme Pierre est rieur, lui qui peut-tre nest quun farceur : que le fou convoque Voltaire, mme titre de conjura-tion, laisse une fois de plus quelque peu douter de sa folie. Mais quel rapport de ceVoltaire avec Sartre ? Plus loin, on lit : Pierre dormait, il avait un demi-sourirecandide (p. 75). Pourquoi cette insistance sur Voltaire ?

    Mon hypothse est que Sartre lui-mme a son demi-sourire voltairien, fait sonrieur. Tentons une premire microlecture qui nous le montre samusant glisser dela folie dans la lettre de sa nouvelle56 en jouant du nom Voltaire lui-mme. Maiscomme je vais formuler ici une conjecture anagrammatique qui semblera peut-treun peu rude, un mot de mthode. Je vois mon entreprise trois cautions. Dunepart, un article de la thorie indigne (avec laquelle on nest certes pas forc detomber daccord) : dans Quest-ce que la littrature ?, Sartre affirme orgueilleuse-

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  • ment qu aussi loin que le lecteur puisse aller, lauteur est all plus loin que lui.Quels que soient les rapprochements quil tablisse entre les diffrentes parties dulivre entre les chapitres ou entre les mots , il possde une garantie : cest quilsont t expressment voulus , puisque crer, ce serait substituer au hasard ou lacausalit un ordre des fins qui informe luvre de part en part. Ainsi les beautsqui paraissent dans le livre ne sont jamais leffet de rencontres ; il faut donc tou-jours, dans la lecture critique, qui est elle-mme audace ( induction, interpola-tion, extrapolation), faire un crdit maximal lhabile libert de lcrivain : cestune affaire de gnrosit57 , avec la part de risque implique par cette attitude.Une deuxime caution possible serait la prilleuse et belle rverie de Saussure surles hypogrammes dans les littratures anciennes, par exemple chez Virgile, Pline ou Csar : il supposait un mot-thme latent dont la dcomposition inspiraitlcrivain et le menait souligner ce terme en svertuant en rpter les syllabes dans un groupe-rpondant de vers ou de lignes, et donc de mots58. Maiscomme je naurai pas besoin dtre aussi hardi que lui, il me suffira (ultime caution) dinvoquer un point dhistoire littraire : Sartre, trs attentif au surra-lisme, fut un lecteur fascin du Glossaire jy serre mes gloses de Leiris59 ; la profon-deur potique des jeux sur les mots ne lui est pas chose trangre.

    Revenons donc au mot-thme , ici explicite (comme chez Leiris), Voltaire :aprs lavoir introduit (p. 255), Sartre me semble le diviser en deux parties, pourles exploiter dans trois paragraphes dcisifs dune seule page (p. 258). On lit eneffet : La consigne est de se taire, cria-t-il [Pierre]. De se taire. Puis, toujoursdans la mme page : les statues se mirent voler (rcit), Elles volent (pensesdEve). (Et p. 259, Les statues volaient bas. ) De mme que, par les ennemis de Pierre (ceux qui le rendent fou), le ziuthre a t invers (p. 255), de mme,par lcrivain, sont inverses dans cette page rpondante les parties du nom deVoltaire60.

    Distinguons nettement les deux plans du personnage et de lcrivain. A Pierre, leziuthre, tant quil ntait pas invers, permettait de conjurer les statues (p. 255) :de faire taire leur vol bourdonnant, en les chassant. Attention, ici, la syllepse :par le ziuthre Pierre se dfend contre le vol (fly) des statues mais aussi contre le vol (theft) dont menacent ces statues fminines, celui quimplique le contact charnel avec le deuxime sexe. Que ce second sens soit prsent, la preuve (je crois)sen lit dans Erostrate : Je nai jamais eu de commerce intime avec une femme :je me serais senti vol61. De Sartre, montreur de marionnettes dont on devine iciles doigts, lide mme dinversion conduit reprer le jeu avec la raison (Voltaire)et la folie (taire-vol). Le ziuthre invers renverrait une plume inverseuse. Laquelleinscrirait au cur de cette nouvelle sur la folie ce renversement ludique du ratio-nalisme, par lequel, non sans paradoxe et amalgame, la folie deviendrait la foisvoltairienne (selon la figure dessine sur le ziuthre), et taire-volienne (selon la fonc-tion de ce talisman). Sartre dfinirait-il ainsi son propre rationalisme : non pas tantironique quhumoristique ? Rationalisme potique aussi, si la posie ne va pas sansjeu sur et avec le signifiant. Dans linversion des parties de Voltaire (comme dans lasyllepse), la suppose transparence de la prose se brouille. Si Pierre refuse la jouis-sance sexuelle, Sartre, lui, dun coup de ziuthre inverseur, jouit du mot Voltaire : tel

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  • un fou, un enfant et un pote (quil enrageait de ne pas tre, dira-t-il dans les Carnets de la drle de guerre).

    Peut-tre suis-je, malgr lappui de Quest-ce que la littrature ?, trop hardi en spculant sur lintentio auctoris. Il suffirait de souligner que le lecteur qui se rendattentif ces jeux est fortement dstabilis voire affol ? Mais il est bien tentantde deviner en ce Voltaire ainsi jou dans son nom mme un autoportrait paro-dique de lcrivain. Sartre : un Voltaire qui, ayant lu Leiris, aurait appris parfoisjouer et jouir du langage comme un surraliste ? Glossaire : jy serre mes gloses Voltaire : il fait taire le vol.

    Ce Voltaire-Leiris sait donc glisser de la folie dans lcriture de sa nouvelle.Notamment en recourant la figure verbale du glissement : le lapsus. Et ce sera laseconde microlecture. Je cite : Il avana rapidement la main et lui effleura loreille.Ma belle dmone ! Tu me gnes un peu, tu es trop belle : a me distrait. Sil nesagissait pas de rcapitulation / Il sarrta et regarda Eve avec surprise : / Cenest pas ce mot-l Il est venu il est venu, dit-il en souriant dun air vaguejavais lautre sur le bout de la langue (p. 260). De ce lapsus proposons cinq lec-tures (rapides).

    1. Sur le plan de la digse, il a une valeur proleptique : il annonce le sombreavenir de Pierre, la perte de sa raison, lincapacit de matriser son langage, le deve-nir idiot-qui-bave (songeons lidiot Gagou dans Colline de Giono, 1929).

    2. Sur le plan philosophique, ce glissement singulier suggre une vrit gnraledu langage, qui sera explicite dans LEtre et le Nant : mon langage est toujoursun phnomne incomplet de fuite hors de moi62 , puisque, ds que je parle, lesens de mon propos glisse de ma bouche vers la tte dautrui. Toute parole est uneamorce de lapsus.

    3. Dun point de vue psychanalytique, il va de soi que rcapitulation dit le dsirde retrouver une tte (perdue dans la folie), et donc, les quivalences freudiennestant ce quelles sont, un sexe mle. Le contexte est bien celui du dsir pour Eve,dont Pierre effleure loreille : on sait ce que reprsente celle de la Vierge Marie dansles Annonciations. Si lon suit la logique paradigmatique, la rcapitulation vautcomme lenvers de la dcapitation, quavait voque M. Darbdat racontant la mort dun enfant dcapit par laile avant dune automobile (p. 245), et doncpeut-tre de la castration, mais aussi comme un correctif de la prcipitationde Pierre (p. 237). Sartre me semble ici stre amus introduire tant un lapsusparfaitement orthodoxe, que les moyens de son dchiffrement63.

    4. Malheureusement pour Pierre (et pour Eve), le mot se substitue la chose(sexuelle). Loin de retrouver ses moyens physiques, Pierre connat en effet, en pro-nonant rcapitulation, un vritable orgasme verbal. Un mauvais esprit pouvaitsinterroger dj sur la rptition de lexpression Il est venu, dans le texte cit64,voire sur le substantif bout . Mais quand on lit, dans le dernier paragraphe de la nouvelle, propos de rcapitulation : [] le mot avait coul hors de sabouche, long et blanchtre (p. 260) Et quon se souvient alors dune notationantrieure : Il y avait des mots [] qui sortaient de sa bouche comme une subs-tance molle et informe (p. 257) Comme de juste, aprs cet orgasme verbal,Pierre sendort. Certes, on la dit, son ziuthre pendait piteusement au bout de ses

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  • doigts (p. 69). Mais il a eu du plaisir dans et par le langage. Do le glissementdune lecture rotique

    5. une lecture mtatextuelle. On peut en effet extrapoler, puisquon a vu quel point les inscriptions du ziuthre renvoyaient lcriture : Pierre recouvre Sartre ; le fou, cest lcrivain, celui qui jouit du langage. (Et voil certes qui pou-vait choquer Anne-Marie.) Celui qui, par exemple, prfre, telle femme qui seprnommerait Florence, le mot Florence, la fois femme et ville et fleuve et fleur,or et dcence (selon la glose la manire de Leiris quon lit dans Quest-ce que la littrature ?). Celui qui, dans LIdiot de la famille, sextasie comme Flaubert du motCalcutta , ou comme Sartre du mot Amboise , qui enveloppe framboise, bois,ambroisie, etc. Le lapsus semble donc calcul pour dire la vrit de lcrivain : leglissement du plaisir dans le verbe. Peut-tre un tel calcul signale-t-il aussi cetteeuphorie de la matrise quon sentait dans la page cite de Quest-ce que la littra-ture ? : lcrivain serait, aux yeux de Sartre, celui qui a le pouvoir de rcapituler, detenir tous les fils comme laraigne-ziuthre.

    Ainsi La chambre , ne en un sens des hallucinations conscutives la prise demescaline de fvrier 1935, reprsenterait lexprience de la folie que fait Sartre :soit son preuve, sa traverse, et aussi la sortie hors de son champ. Ny a-t-il pascependant, dans la nouvelle, comme une revanche de la folie ? Au moins un grainde folie qui djouerait ce rationalisme rieur ? Chasse-t-on Freud aussi facilement,mme quand on sappelle Sartre ? Jean Bellemin-Nol avait tir dun livre de Sho-shana Felman, La Folie et la Chose littraire, des questions difficiles : La chambre est-elle une nouvelle sur la folie ou de la folie ? Peut-on parler (crire) de la foliesans la dnier ? Il faudrait que la folie scrive dans le texte, sinsinue travers lelangage, en vinant tout sujet qui matriserait le sens. Il sagirait alors non plus desavoir si Sartre glisse de la folie dans son texte, mais comment de la folie se glisse-rait delle-mme dans lcriture.

    Lavantage dun tel questionnement serait de faire pntrer dans cette zone incer-taine que ne connat pas, disait Freud, un mchant auteur , celui qui exprime-rait de faon consciente tout ce quil veut nous communiquer et se trouverait alorsface notre intelligence qui, froide et libre de ses mouvements, rend impossible unapprofondissement de lillusion65 . Son inconvnient radical rside cependant enceci : de lintention de lauteur, il est difficile de juger aussi bien positivement (il avoulu ceci) que ngativement (il na pas pens cela). Aussi, pour faire un pas de plus dans la pnombre de la nouvelle (celle aussi bien de la chambre de Pierre),je prendrai le parti de me laisser guider par le fait (textuel) quelle se termine(presque) sur le lapsus de Pierre. Celui-ci dfinissait le phnomne : un mot sestmis [l]a place dun autre (p. 260). Jen dduirai par extrapolition quun desprincipes de linventio de la nouvelle consiste dans la mise la place de uneespce de lapsus gnralis, qui saccompagne loccasion (plume inverseuseoblige) dun jeu dinversion.

    En quel domaine sexerce ce glissement ? La rfrence Phdre invite bien sr chercher du ct de sombres histoires de famille. Linconvenance qui scandalisaitMme Anne-Marie Mancy tiendrait la transposition de la situation familiale de Poulou66. Cette lecture a t amorce par Jacques Lecarme, qui notait que le

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  • couple Darbdat [] ressemble beaucoup au couple des grands-parents Schweitzerdans Les Mots67 . Essayons de construire un systme de transpositions, qui jetteune autre lumire sur les quatre personnages, par ordre dapparition.

    1. Mme Jeannette Darbdat est mise la place de la grand-mre Louise Schweitzer.Son type de lectures, son got du demi-mot (p. 238), son effroi devant son maritrop encombrant, tout concorde avec la Mamie des Mots. Dplacement ou clindil, son prnom est attribu une tante dEve, la tante Louise (p. 241).

    2. Charles Darbdat est une figure composite, un amalgame. Il a dun ct biendes traits du Charles Schweitzer des Mots : ainsi il se flatte dtre rest jeune, et deplaire encore. Son attitude rationaliste lgard de Pierre transpose la conduite du grand-pre qui se dfiait de la vocation inquitante de Poulou pour lcriture de son zut-luth, de son ludisme rvolt. Mais dun autre ct, Charles Darbdatest aussi le beau-pre de Pierre : donc la fois le pre dune pouse (Eve) aux yeuxdun gendre (Pierre) et, pour un enfant, le deuxime mari dune mre. On pres-sent alors que si Pierre demande Eve de le protger contre son beau-pre(M. Darbdat), une telle requte pourrait bien transposer et voiler la demande dePoulou sa mre : protge-moi contre mon beau-pre, Joseph Mancy, ce positivistequi est bien prs de me tenir pour fou (parce que jcris). Et voil encore dequoi scandaliser Anne-Marie.

    3. Dautant quen effet Eve ressemble trs nettement Anne-Marie. La transpo-sition implique ici une inversion des valeurs (bibliques), celle qui sauve (Marie)devenant celle qui perd (Eve). Sur le plan de lonomastique, certes, domine lecamouflage : comment deviner, derrire la premire des pcheresses (Eve), la saintepar excellence (Marie) et sa mre (Anne) ? Oui, mais le prnom de Marie passeailleurs dans le texte, attribu une femme de mnage (p. 258) : la femme dumnage ? Rduite au mnage ? Quoi quil en soit (de ce jeu de mots), Eve et Anne-Marie ont dabord en partage la beaut. De plus, le pre dEve la traite exactementcomme le grand-pre Schweitzer a trait sa fille la mort de son poux : tureviendras chez nous (p. 247), aprs avoir plac Pierre en clinique (ou Jean-Bap-tiste Sartre dans sa tombe). En troisime lieu, de mme quAnne-Marie a poussuccessivement deux ingnieurs polytechniciens, de mme Eve devrait selon sonpre tre marie un ingnieur chez Simpson (p. 240), ce qui dans lesprit de Sar-tre quivaut un bien triste sort68. Enfin, tout comme Anne-Marie fut, durant lespremires annes de Sartre, amoureuse dun mort, Jean-Baptiste dfunt, Eve, qui a dailleurs une mine de dterre (p. 236), aime enPierre un demi-mort. Suffisent lindiquer et la prdilection de ce dernier pour lacouleur noire69, et (surtout), ce mot de M. Darbdat au sujet de sa fille : Je laconsidrais comme veuve (p. 239), ce qui fait aussi de la folie une mort vivante.

    4. Il faut maintenant se hasarder dans le tournoiement de significations possiblesque produit la dernire transposition. On la vu : Pierre se glisse la place de Sartre. Que signifie alors lamour entre Eve et Pierre ? Il rsumerait deux relations la fois. Tout dabord celle dAnne-Marie avec lofficier de marine dfunt, Jean-Baptiste Sartre. Lamour pour le fou vaudrait lamour pour un mort. De l lomni-prsence des signes de la mort dans la chambre, sombre caveau de Pierre, o lonpntre par un long corridor sombre (p. 50). Ensuite lamour entre Anne-Marie

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  • et son fils. Eve, Pierre la rebaptise Agathe : or cest chez Baudelaire le nom de lasur-pouse, au vert paradis des amours enfantines70 . De mme Poulou selonLes Mots considrait Anne-Marie plus comme sa sur que comme sa mre. Maisqui dit sur dit inceste chez Sartre, comme lindique la premire des rares notes debas de page des Mots. Entre Eve et Pierre, il y a de fait des rapports [] louches (p. 243), tout comme entre Anne-Marie et Poulou ; aussi bien, Pierre dit avoirsoulev Eve un marin danois (p. 257, je souligne). On peut alors revenir surlallusion Phdre. Elle se comprend doublement. Dun ct, par cet autre fragmentde la nouvelle : Pendant les premiers temps du mariage dEve, Mme Darbdat netpas demand mieux que davoir un peu dintimit avec son gendre (p. 237).Dautre part, dun coup de ziuthre inverseur : la belle(-)mre (Phdre-Eve) quidsire son beau-fils (Hippolyte-Pierre, les purs) dissimulerait la trop belle mre(Anne-Marie) qui est dsire par son laid fils (Sartre). Pierre prfre faire le fouplutt que davoir considrer son pouse comme un tre sexu ; ainsi que le suggrent sa voix enfantine et la faon dont elle veille sur son sommeil (p. 260),il se constitue en fils de sa femme. Il traite Eve comme une mre plus que commeune femme. Attitude quil faudrait inverser pour approcher ce qui, du ct de Sartre, sesquisserait dans la pnombre : le dsir de traiter sa mre comme unefemme, comme sa femme. La nouvelle suivante, Erostrate , ne manquera pasdclairer la chose : cette dame mre stait mise toute nue sur mon ordre , et enla quittant jtais joyeux comme un enfant71 .

    Mais si la relation entre Eve et Pierre transpose la fois celle dAnne-Marie avecJean-Baptiste, et celle de la mme Anne-Marie avec Jean-Paul, une consquencelogique simpose : le personnage de Pierre reprsenterait la fois Poulou devenucrivain et son pre mort. Identification fantasmatique de Sartre un mort, quientretient dobscures relations avec sa vocation : Lapptit dcrire enveloppe lerefus de vivre (Les Mots).

    Je demande au lecteur un dernier effort : car ce qui complique encore la donne,cest lhistoire que raconte Charles Darbdat sa fille (p. 245), pour la convaincreque son amour pour Pierre la conduit vers la folie. Rduite son pure, elle reposesur une analogie : 1. Une jeune mre se refusait croire que son jeune fils ft mort(dcapit par une automobile), si bien quil a fallu linterner. 2. De mme unejeune femme (Eve) ne veut pas croire que son mari est comme ananti par la folie.On pourrait ds lors saisir un double glissement. Pour restituer ce dont parle enprofondeur la nouvelle, il faudrait une fois encore inverser (intervertir) et lordredes propositions de lanalogie, et les sujets des propositions compltives. Onobtient alors : 2. Si une jeune femme (Anne-Marie) ne veut pas croire que sonmari (et non son fils) est mort, alors 1. en tant que jeune mre elle ne voit pas enmme temps que son fils (et non pas son mari) est ananti par la folie. Par quoiSartre dirait sa mre : tant que tu tobstinais songer au pre mort, tu rendais lefils fou ? Et cest ainsi que tu mas vou au culte de lirrel et du nant.

    Tout cela savre bien sombre. Les Squestrs dAltona (III, 4) donne lire cet change entre Johanna et son mari : Les fous disent la vrit, Werner. Vrai-ment. Laquelle ? Il ny en a quune : lhorreur de vivre72 Beauvoir ne dira gure

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  • autre chose en rpondant La chambre (et en mme temps Erostrate ), danslexcellente nouvelle de La Femme rompue (1967) qui sintitule Monologue , oune folle (Murielle, dlaisse comme Eve) parle longuement et amrement.

    Par ailleurs, il serait vain de vouloir savoir, comme nos enfants et nos tudiants,si Sartre a vraiment pens tout cela (et pas non plus si Anne-Marie la compris).Son texte est la pnombre qui offre la possibilit de cette lecture. Et il se peut bien que le genre de la nouvelle se prte tout particulirement ce clair-obscur.Faisons confiance sur ce point Dominique Aury, qui, en juin 1950, crivait : Il ya quelque chose de fulgurant, de foudroyant dans la brivet de la nouvelle, quidonne au lecteur le sentiment du danger, comme on lprouve la nuit quand desclairs ou des projecteurs font une brusque troue dans lombre73. Mais dans lecas dune nouvelle place dans un recueil, les clairs se compliquent dchos. LisantErostrate aprs La chambre on passera du fou vu du dehors (Pierre) au fou vudu dedans (Paul Hilbert) ; du fou qui se fait du mal (si la farce de Pierre se tourneen pige pour lui-mme) au fou qui fait du mal ; etc. Sur ce jeu dchos il existe unbeau texte, trop peu connu, de Blanchot, dont je citerai pour finir un extrait74, enprenant la libert de remplacer le nom de M. Arland : [] Lune des difficultspropres de la nouvelle, cest quelle est close et parfaite en elle-mme et que cepen-dant elle prend gnralement place dans un recueil dont lunit doit tre vritable.[] Lune des perfections des nouvelles de M. [Sartre], cest quelles sont ind-pendantes et quelles forment une suite qui ne peut se rompre. Chacune dellesexprime tout louvrage, elle est elle-mme et tout ce quelle deviendra en se com-posant avec toutes les autres. On en entend la voix unique et on pressent lharmo-nie quelle doit former dans un chur encore absent. Lcho est comme antrieurau son primitif []. Cette continuit mystrieuse entre des moments que lappa-rence spare nous parat tre un des charmes singuliers des recueils de nouvelles, et il nous semble difficile den accepter loubli. []

    Universit Paris-IV

    NOTES

    1. Genevive Idt, Le Mur de Jean-Paul Sartre. Techniques et contexte dune provocation, Paris, Larousse,1972 ; Jean Bellemin-Nol, Derrire La Chambre. La fabrique dun dlire , Les Temps modernes, n 531-533 : Tmoins de Sartre, octobre-dcembre 1990, p. 665-683.

    2. Lettre cite par Beauvoir crivant Bost, le 7 fvrier 1939, Correspondance croise 1937-1940, Paris,Gallimard, 2004, p. 239.

    3. Dans toute cette tude, les indications de page entre parenthses renvoient au texte de La chambre dans les uvres romanesques de Sartre, dition tablie par M. Contat et M. Rybalka, Paris, Gallimard,Bibliothque de la Pliade , 1981.

    4. uvres compltes, Paris, Gallimard, Bibliothque de la Pliade , t. I, 1988, p. 714.5. Qui, entre autres signes indubitables de son dsquilibre mental, avait offert sa virginit Andr

    Malraux, voir La Force de lge, Gallimard, 1960, p. 185.

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  • 6. Voir Florence Goyet : la nouvelle est monologique : refusant toute polyphonie, elle ne laisse respirerquune seule vrit, quune seule voix (La Nouvelle 1870-1925, Paris, PUF, 1993, quatrime de couver-ture). Il est vrai cependant que lauteur(e) nentend dfinir que la nouvelle quelle dit classique , dans songe dor (la fin du XIXe sicle).

    7. L encore, voir G. Idt, op. cit., p. 49.8. Claude-Edmonde Magny, Essai sur les limites de la littrature. Les Sandales dEmpdocle, 1945, Paris,

    rd. Payot, 1967, p. 112.9. La Force de lge, op. cit., p. 217, 220, 228.10. Propos de Sartre rapport par Beauvoir dans une lettre Bost du 15 mai 1939, Correspondance croise.

    1937-1940, op. cit., p. 360.11. Hermann, 1939, p. 9.12. Voir Michael Issacharoff, La chambre ou les squestrs de Sartre , 1974, repris dans LEspace et la

    Nouvelle, Corti, 1976.13. La Force de lge, op. cit., p. 29.14. La composition dans le roman, Rflexions sur le roman, Paris, Gallimard, 1938, p. 185-186.15. Quest-ce que la littrature ?, dans Situations, II, Paris, Gallimard, 1948, rd. 1980, p. 180-181.16. Voir Le style dramatique , Un thtre de situations, Paris, Gallimard, Folio / essais , 1992, p. 25 :

    entre scne et salle, une distance absolue .17. Carnets de la drle de guerre, Paris, Gallimard, 1995, p. 422.18. Paris, Gallimard, 1943, p. 77 et 237.19. Paris, Gallimard, 1943, rd. 1971, p. 610-614.20. Carnets de la drle de guerre, op. cit., p. 424.21. Me trouvant Paris, puis-je raliser Paris pour moi, ou la ville demeure-t-elle par essence un irra lisa-

    ble ? Paris peut-il mtre donn comme une modification plus ou moins essentielle de mon tre et traverscette modification ? Beauvoir, aprs avoir lu Paris, mythe moderne de Caillois (Le Mythe et lHomme,1938), pensait que non : on na jamais affaire qu un mythe. Plus optimiste, Sartre pensait alors que oui. Enpossession de la notion dirralisable, il dira, dans LEtre et le Nant, que non : Paris demeure un irralisable,nous le touchons et il est insaisissable.

    22. Carnets de la drle de guerre, op. cit., p. 425, 422, 423.23. Voir Aller et retour , Situations, I, Paris, Gallimard, 1947, rd. 1978, p. 182-184.24. Le mur , uvres romanesques, op. cit., p. 217 et p. 232.25. Chez telle femme hideuse dun rcit du jeune Flaubert, note Sartre qui a lu son Freud, le got

    immodr des ptisseries est un substitut, par dplacement, dun dsir sexuel qui ne peut tre assouvi(LIdiot de la famille, Paris, Gallimard, 1971, t. 1, p. 310).

    26. Op. cit., p. 43-44.27. Op. cit., p. 741. Notons que Breton ncrit pas la raison.28. Thierry Ozwald, La Nouvelle, Hachette, 2003, p. 22.29. Issue de lexemplum, du conte moral et du fabliau, la nouvelle gardera pendant longtemps une fonc-

    tion dargument : cest un cas particulier qui sert confirmer ou rfuter une thse , crit Antonia Fonyi(Nouvelle, subjectivit, structure. Un chapitre de lhistoire de la thorie de la nouvelle et une tentative dedescription structurale , Revue de littrature compare, oct.-dc. 1976, p. 367).

    30. Paris, Gallimard, 1940, p. 190.31. Ibid., p. 191.32. Situations, I, op. cit., p. 76.33. Op. cit., p. 199-200.34. Ibid., p. 206.35. Cl.-Ed. Magny, Essai sur les limites de la littrature. Les Sandales dEmpdocle, op. cit., p. 112.36. Masse et puissance, 1960, trad. fr. Gallimard, 1966, p. 401.37. Certes, crit Jaspers, Freud fait poque dans la psychiatrie (Alcan, rd. de 1933, p. 454), mais il

    considre la thorie de Freud [sur linterprtation des rves] pour une bonne partie comme une construc-tion dextraconscient qui, ne pouvant tre vrifie, na pas dintrt (p. 312 ; on songe Karl Popper sou-levant la question de la falsifiabilit de la psychanalyse) ; dautre part, il est abusif de ramener [] peuprs toute la vie psychique la sexualit prise dans un sens trs large (p. 460).

    38. Op. cit., p. 3, 22, 38.39. Ibid., p. 23.40. Voir La Force de lge, op. cit., p. 47, et les Cahiers pour une morale : expliquer cest claircir par les

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  • causes, comprendre cest claircir par les fins (Gallimard, 1983, p. 287), cest--dire saisir comment desdonnes de situation sont dpasses par une libert, celle dun malade, par exemple, qui pose ses propres finsdans sa maladie mme.

    41. Psychopathologie gnrale, op. cit., p. 49 et 510.42. Ibid., p. 523.43. On songe Baudelaire, notant, propos des Paradis artificiels et de lanalyse mle de rflexions

    personnelles quil y donne du Mangeur dopium (Thomas de Quincey) : Jai fait un tel amalgame que jene saurais y reconnatre la part qui vient de moi [] (uvres compltes, Paris, Gallimard, Bibliothque dela Pliade , t. 1, 1975, p. 519).

    44. Voir G. Idt, op. cit., p. 137.45. Situations, I, op. cit., p. 123.46. Nadja, uvres compltes, op. cit., p. 727 et 748.47. LEsthtique de la nouvelle franaise au XXe sicle, Peter Lang, 1988, chap. II, p. 57 sqq.48. Voir par exemple celle du 1er juillet 1923, Autour de Roland (reprise dans Rflexions sur la littra-

    ture, op. cit.), contre le nationalisme littraire , ou celle du 1er avril 1929, Pour la gographie littraire (reprise dans Rflexions sur la littrature, II, Gallimard, 1940), o on lit notamment : En moyenne et engros, le type franais qui a eu jusquau XIXe sicle, dans lEurope littraire, la plus grande force de circulationsemble bien avoir t Voltaire, manire de systme mtrique ou de code Napolon littraire. Mais il nen vaplus de mme au XXe sicle.

    49. Voir Jean-Paul Sartre, Hachette, 1993, chap. 2.50. Cahier Lutce (1954), manuscrit indit, transcrit par Philippe Lejeune, ITEM/CNRS, p. 45.51. En tant quobjet, et non que mot, le ziuthre voque ceux que Breton dans Nadja dit chercher aux

    Puces de Saint-Ouen, fragments, inutilisables, presque incomprhensibles, pervers enfin au sens o jelentends et o je laime. Plus prcisment, il nest pas si diffrent de ce demi-cylindre blanc irrgulier dont une photographie est donne dans Nadja, et quon pourrait aussi dcrire comme un assemblage demorceaux de papier portant des inscriptions (op. cit., p. 678).

    52. Voir LImaginaire, op. cit., p. 193 : une activit systmatise dans le domaine du rel semble exclureles hallucinations. Cest ce qui donne, semble-t-il, une certaine efficacit aux trucs employs par lesmalades pour empcher les hallucinations .

    53. Article cit, p. 680. De mme les statues sont de femmes et de pierre (et de Pierre).54. Pour Jarry, voir la note de M. Rybalka, uvres romanesques, op. cit., p. 1839.55. Baudelaire, dans le dernier des pomes intituls Spleen (Les Fleurs du mal ) : Quand la vaste pluie

    talant ses immenses tranes /Dune vaste prison imite les barreaux /Et quun peuple muet dinfmes arai-gnes /Vient tendre ses filets au fond de nos cerveaux /Des cloches tout coup sautent avec furie /Et lancentvers le ciel un affreux hurlement , etc. L encore, des cloches

    56. Cest la leon que Sartre a retenue, selon Les Mots, de sa grand-mre Schweitzer : Glissez, mortels,nappuyez pas (Folio, 1991, p. 13 et 206).

    57. Situations, II, op. cit., p. 103-105.58. Jean Starobinski, Les Mots sous les mots. Les anagrammes de Ferdinand de Sausssure, Paris, Gallimard,

    1971, p. 31 et 123.59. Il mentionne ce titre dans Quest-ce que la littrature ?, chap. I. Le livre de Leiris ne parut quen 1939

    mais trois sries de gloses avaient t publies en 1925 (avril et juillet) et 1926 (mars) dans La Rvolutionsurraliste. Leiris ne proposait pas de glose pour Voltaire

    60. J. Bellemin-Nol avait relev, dans une note (p. 682), que les statues volent et quon aimerait lesfaire taire , mais sans remarquer le jeu de linversion, dont on va voir quil est capital.

    61. uvres romanesques, op. cit., p. 264.62. Op. cit., p. 442.63. Lequel demeure plus ouvert quil ny pourrait paratre, puisque, par exemple, J. Bellemin-Nol, qui lit

    dans rcapitulation une association de capitulation avec dcapitation, soutient que si Pierre na pas accd ltape de la discrimination des sexes, il ne peut gure connatre le fantasme de castration (op. cit., p. 679-680).

    64. Ce verbe a dj son sens sexuel dans Les Onze Mille Verges dApollinaire (1907), par ex. au chap. 3.65. Quelques types de caractres dgags par le travail psychanalytique, LInquitante Etranget et autres

    essais, Paris, Gallimard, 1985, p. 145.66. J. Bellemin-Nol sinterdisait par principe cette exploration, refusant de faire appel lauteur des

    textes mis en lecture , pour tudier ce qui se passe lintrieur de la relation entre inconscient du texte etinconscient du lecteur (Vers linconscient du texte, Paris, PUF, 1979, rd. Quadrige, 1976, p. 4).

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  • 67. De La valise vide (Drieu) aux nouvelles du Mur , Sartre crivain, J.-F. Louette d., Paris, Eurdit,2005, p. 85.

    68. Selon Beauvoir, pour nous comme pour Barrs, lingnieur reprsentait ladversaire privilgi : ilemprisonne la vie dans le fer et le ciment , etc. (La Force de lge, op. cit., p. 37).

    69. Vtu de noir , il a peint le socle de sa lampe en noir, veut mettre des tentures noires , etc.70. Msta et errabunda , Les Fleurs du Mal.71. uvres romanesques, op. cit., p. 266-267.72. Ce rapprochement formait dj la conclusion de larticle de John K. Simon, Madness in Sartre :

    Sequestration and the Room, Yale French Studies, n 30, 1962-1963, p. 67.73. Dfense de la nouvelle , Bulletin de la Guilde du Livre, Lausanne, n 6, juin 1950, p. 103.74. Lart de la nouvelle , repris dans Maurice Blanchot, Chroniques littraires du Journal des dbats ,

    avril 1941 aot 1944, Gallimard, 2007, p. 431 (21 juillet 1943).

    La chambre de Sartre, ou la folie de Voltaire 61

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