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§§ 1048-1050 11 e LECTURE ( 225 ) ONZIÈME LECTURE 1048. La nomination des commissaires brésiliens fut notifiée par M. D'ARAUJO RIBEIRO, à M. THIERS, le 8 octobre 1840. 1049. Mais les commissaires français ne furent jamais nommés. 1050. Et le 5 juillet 1841, M. GUIZOT, successeur de M. THIERS, adressa à l'envoyé de France au Brésil la note suivante : « Je vous ai entretenu le 21 octobre précédent des circonstances qui avaient empêché la nomination de com- missaires Français pour la démarcation des limites de la Guyane du côté du Pará. J'ai à vous parler aujourd'hui des motifs qui nous font regarder cette nomination comme inutile, parce que, dans notre opinion, la réunion de com- missaires Français et Brésiliens serait peu propre à conduire à un résultat complet et définitif. Il ne s'agit point, en effet, d'un travail ordinaire de démarcation, suite naturelle d'une négociation où la limite qui doit séparer deux territoires a été convenue en principe, pour être réalisée ensuite sur le terrain. Avant que la question soit arrivée à des termes aussi simples, il faut d'abord s'entendre sur l'interprétation de l'article 8 du Traité 13

L'Oyapoc et l'Amazone : question brésilienne et française. Tome premier

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Auteur : Joaquim Caetano Da Silva / Partie 2 d'un ouvrage patrimonial de la bibliothèque numérique Manioc. Service commun de la documentation Université des Antilles et de la Guyane. Conseil Général de la Guyane, Bibliothèque Franconie.

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§§ 1048-1050 11 e L E C T U R E ( 225 )

O N Z I È M E L E C T U R E

1048. La nominat ion des commissaires brési l iens fut notifiée par M. D 'ARAUJO RIBEIRO, à M. T H I E R S , le 8 octobre 1840.

1049. Mais les commissaires français ne furent jamais nommés .

1050. Et le 5 juillet 1841, M. GUIZOT, successeur de M. THIERS, adressa à l 'envoyé de F r a n c e au B r é s i l la note suivante :

« Je vous ai en t re tenu le 21 octobre précédent des circonstances qui avaient empêché la nominat ion de com­missaires F r a n ç a i s pour la démarcat ion des l imites de la G u y a n e du côté du Pará. J'ai à vous parler aujourd 'hui des motifs qui nous font regarder cette nominat ion comme inutile, parce que, dans notre opinion, la réunion de com­missaires F r a n ç a i s et B r é s i l i e n s serait peu propre à conduire à un résultat complet et définitif. Il ne s'agit point, en effet, d 'un travail ordinaire de démarcat ion, suite naturel le d 'une négociation où la limite qui doit séparer deux terri toires a été convenue en principe, pour être réal isée ensui te sur le terrain. Avant que la question soit arr ivée à des te rmes aussi simples, il faut d'abord s ' en tendre sur l ' interprétat ion de l'article 8 du Traité

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( 226 ) 11 e L E C T U R E § 1050

d ' U t r e c h t , et dé t e rmine r u n e base de dél imitat ion : il faut, ce qui ne peut se faire que pa r u n e négociat ion ent re les deux cabinets , v ider d'abord la ques t ion des t ra i tés et définir les droits respectifs, avant d 'arr iver à l 'application pra t ique de ces m ê m e s droits. De deux choses l 'une : ou le Gouvernement Brésilien a donné pouvoir à ses com­missai res de négocier et de t rai ter sous ce point de v u e ; ou il a en t endu l imiter leur mission à celle d 'opérer sur le te r ra in comme démarca teurs . Dans la p remiè re hypo thèse , il paraît peu nécessa i re de r éun i r à deux mille l ieues de F r a n c e des commissai res spéciaux pour régler ce que les deux cabinets peuven t dé te rminer , par u n e en t en t e di recte , beaucoup mieux et p lus s û r e m e n t que des négocia teurs improvisés , qui , sans par ler d 'autres inconvénien ts insé ­parables de leur posit ion, pour ra ien t ê t re , à chaque ins tant , forcés de recour i r aux direct ions de leur gouve rnemen t . Dans la seconde supposit ion, que pourra ient - i l s faire comme simples démarca teur s , si nu l pr incipe , nu l sys tème de dél imitat ion n 'é ta i t établi d 'avance? Dès lors , Monsieur le Baron, il a paru au Gouvernement du Roi qu'i l serait à la fois p lus logique et p lus expéditif de commencer par ouvrir une négociat ion dans le but de se me t t r e préa lab le­m e n t d'accord su r l ' in terpréta t ion du Traité d ' U t r e c h t et sur les t e rmes d 'une démarca t ion qu'il n 'y aurai t p lus ensui te qu 'à régular i se r sur les l ieux m ê m e s . On le peut d 'autant mieux que l 'évacuat ion du poste de M a p a ayant été effectuée avant toute réunion possible de commissai res , et, par conséquen t , sans l ' accomplissement de la mesu re corrélative qui devait s'y lier dans la pensée des deux Gouvernement s , cet te m e s u r e n 'a p lus la m ê m e opportu­nité et ne saurai t , ainsi que je l'ai déjà dit, m e n e r s û r e m e n t au bu t qu ' i l impor te d 'a t te indre . La ques t ion des l imites , dégagée de l ' incident de M a p a , reste ent ière : il appar­tient avant tout aux deux cabinets de l 'éclairer et d 'en p répare r de concer t la solution la plus propre à concilier

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§ 1 0 5 1 1 1 E L E C T U R E ( 2 2 7 )

(*) Il conv i en t de p l a c e r ici la su i t e de cet te d é p ê c h e du 5 j u i l ­let 1841, de M. GUIZOT :

« En tou t é t a t de c a u s e il do i t ê t r e b i en e n t e n d u q u e le statu quo ac tue l , en ce q u i c o n c e r n e l ' i noccupa t ion du pos te de M a p a , se ra s t r i c t e m e n t m a i n t e n u , j u s q u ' à ce qu 'on soi t p a r v e n u à se conci l ie r s u r l 'objet p r i nc ipa l du l i t ige , et vous voud rez b ien le d é c l a r e r e x p r e s s é m e n t au Cabinet B r é s i l i e n , en p r o t e s t a n t c o n t r e t o u t ce qui de sa p a r t , ou de cel le de ses agen t s , p o r t e r a i t a t t e i n t e à ce m ê m e é ta t do choses ».

Ce p a s s a g e se t rouve r e p r o d u i t p l u s lo in p a r l ' a u t e u r (§ 1105). Une copie de la dépêche en ques t ion fut c o m m u n i q u é e p a r le BARON-ROUEN, m i n i s t r e de F r a n c e à R i o , au m i n i s t è r e des Affaires É t r a n ­gères , AURELIANO COUTINIIO (VICOMTE DE SEPETIBA). Dans u n e no t e du

18 d é c e m b r e 1841, a d r e s s é e à la Léga t ion de F r a n c e , le m i n i s t r e des Affaires É t r a n g è r e s déc l a ra i t q u e le G o u v e r n e m e n t B r é s i l i e n accepta i t les nouve l l e s p r o p o s i t i o n s de. la F r a n c e ; que la n o m i n a t i o n des c o m m i s s a i r e s r e s t a i t s a n s effet, et que des p l e in s p o u v o i s a l l a i en t ê t re expéd iés au m i n i s t r e du B r é s i l à P a r i s p o u r e n t r e r i m m é d i a ­t e m e n t dans la négoc ia t i on d ' un r è g l e m e n t définit if des l imi tes .

C'est à cet é c h a n g e de no tes qu ' on d o n n e le n o m d'accord ou arrangement de 1841 pour la neutralisation de l'Amapà. La pa r ­tie du t e r r i t o i r e con tes t é c o m p r i s e e n t r e l ' O y a p o c e t le pos te éva ­cué i n c o n d i t i o n n e l l e m e n t en 1840 devin t neutre à p a r t i r de 1841. Voir, p lu s lo in , no t e au § 1103.

leurs droits et leurs pré ten t ions , et, je le répète, cela n 'es t possible qu 'en suivant la marche que je viens d ' indiquer.

« Vous voudrez bien ent re teni r le Ministre Impérial dans le sens de ces considérat ions que vous trouverez plus amplement développées dans la copie ci-jointe d 'une lettre que j ' a i écrite au Ministre de la Marine sur le même sujet, et l 'engager à adresser des instruct ions et des pouvoirs à M. D 'ARAUJO RIBEIRO pour en t re r en négociation sur le règlement de la quest ion des l imi t e s de la G u y a n e , soit avec mon dépar tement , soit avec le plénipotentiaire que le Roi aura désigné pour trai ter cette affaire(*).... »

1 0 5 1 . Une copie de cette note fut expédiée par M. le B A R O N ROUEN à M. AURELIANO, Ministre brési l ien des Affaires Et rangères .

Et le cabinet impérial , frappé de la sagesse des consi-

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( 228 ) 11 e L E C T U R E §§ 1052-1054

clérations de M. GUIZOT, et se faisant u n devoir d ' inaugure r le nouveau règne par u n grand t émoignage de confiance dans le Gouvernement França is , regarda comme superflu d ' insis ter sur l ' évacuat ion de tout autre poste que celui de M a p á , et m u n i t M. D ' A R A U J O R I B E I R O , le 20decembre 1841, des pouvoirs nécessa i res pour régler , par u n accord pré l i ­mina i re , les bases d 'une dél imitat ion fixe et définitive des frontières de la G u y a n e F r a n ç a i s e et du B r é s i l , conformément au sens précis de l 'article 8 du trai té d ' U t r e c h t .

1052. M. A R A U J O BIBEIRO fit part de sa nominat ion à M. G U I Z O T le 26 mars 1842; et il se prépara à la négo­ciation d 'une man iè r e ex t rêmement louable.

1053. Mais deux plénipotent ia i res français, successi­vement employés , évi tèrent la discussion.

1054. M. L E B A R O N D E F F A U D I S , n o m m é le 19 avril 1842, d e m a n d a u n délai .

Et au bout de cinq mois , vers le 15 septembre , il vint déclarer à M. d ' A R A U J O BIBEIRO « qu'il était inuti le de perdre leur t emps à discuter l'affaire, parce qu'il lui sem­blait impossible de parveni r à u n accord, a t tendu que le B r é s i l soutenai t que le V i n c e n t P i n ç o n du traité d ' U t r e c h t était l ' O y a p o c , sous le Cap d ' O r a n g e , tandis qu'i l était i n t imemen t convaincu, par u n m û r examen de la ques t ion , que c'était le Carapapori, tout au Nord-Ouest du Cap N o r d . Qu'il n e désirait pour tant pas que la négocia­tion fût regardée tout de suite comme rompue , parce que les Chambres s 'a t tendaient à u n résul ta t , et que le Gouverne­m e n t n e serait pas b ien aise de leur annoncer aussitôt u n e rup tu re de négociat ion. »

Puis il laissa passer s i lenc ieusement six au t res mois et demanda son remplacement .

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§§ 1 0 5 5 - 1 0 5 6 11E L E C T U R E ( 2 2 9 )

1 0 5 5 . Nommé le 1 8 mars 1 8 4 3 , M. L E B A R O N ROUEN, nou­vellement revenu du B r é s i l , n 'eu t aussi avec M. D 'ARAUJO

RIBEIRO qu 'une seule conférence, à la fin de ju in 1 8 4 3 .

Et ce fut pour dire : « Qu'il était convaincu que le traité d ' U t r e c h t n 'étai t pas assez clair, et que ce serait perdre le temps inut i lement que de pré tendre rechercher quelle était la véritable rivière désignée par ce traité sous le nom de Yapoc ou Vincent Pinçon: que ce qu'il fallait faire, dans cette incer t i tude, c'était d'avoir égard, tout au plus, à l'esprit du traité, et t rancher le différend au moyen d'un partage qui lésât le moins possible les prétent ions des deux p a r t i s ; que l'esprit du traité d ' U t r e c h t était mani­festement de laisser à la couronne portugaise la navigation exclusive de l ' A m a z o n e , et que , pour cela, il n 'était point nécessaire d 'é tendre la frontière brési l ienne au Nord de l ' A r a g u a r i ; que c'était là, à ses yeux, la rivière qui devrait servir de l imi te , conformément à l'intention du traité d ' U t r e c h t . »

Mais ensui te , pressé par les objections de M. D'ARAUJO

RIBEIRO ; qui lui rappelait que le Gouvernement Français lui-même avait déjà déclaré solennel lement , en 1 7 9 7 , que le V i n c e n t P i n ç o n du traité d ' U t r e c h t était le Carse-venne, M. L E B A R O N ROUEN murmura , sous forme d'aparté : « Eh b ien! soit, fixons-nous au C a r s e v e n n e . »

Là-dessus il promit de revenir . Mais il ne revint qu 'après vingt-deux mois, au commen­

cement de décembre 1 8 4 4 . Et ce fut pour annoncer que le Gouvernement lui avait

retiré ses pouvoirs , sans lui donner de successeur .

1 0 5 6 . Le Gouvernement Français ne fit cependant aucune communicat ion à M. D 'ARAUJO RIBEIRO, ni au Gou­ve rnemen t Brésil ien, sur la cessation des pouvoirs de M. L E B A R O N ROUEN.

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( 2 3 0 ) 1 1 E L E C T U R E § § 1 0 5 7 - 1 0 6 1

Et m ê m e , le 2 5 mai 1 8 4 6 , quoique la F r a n c e n 'eût p lus

de négocia teur depuis dix-huit mois , M. GUIZOT Fit cette

déclarat ion à la Chambre des députés , en sa quali té de

Ministre des Affaires é t r angères : « La négociat ion se suit à P a r i s ; j e l'ai t ranspor tée à

P a r i s pour pouvoir la tenir davantage dans notre main Elle est très-difficile : il y a des ques t ions géographiques et des ques t ions de navigat ion t rès embar rassan tes . Il y a aussi tel m o m e n t dans lequel il serait p lus oppor tun que dans tel aut re d ' insis ter pour la prompte conclusion. Je prie la Chambre d'être convaincue que je pressera i cette conclusion autant qu'i l me paraî t ra possible »

1 0 5 7 . Ainsi con t inuè ren t les relat ions diplomatiques ju squ ' à la catastrophe de L O U I S - P H I L I P P E .

1 0 5 8 . Mais la F r a n c e gardait toujours le poste Ma-l o u e t sur la r ive droite de l ' O y a p o c .

1 0 5 9 . Et depuis la fondation du poste de Mapá, la presse française avait redoublé d 'ardeur pour la cause cayen-naise , sou tenant , tour à tour , comme le véri table V i n c e n t P i n ç o n , le Carapapori, sous le nom de Y a p o c que lui avait donné M. D E LARUE, le véri table Araguari, et m ê m e Y Amazone.

1 0 6 0 . En 1 8 3 6 , M. PAUL Ï I B Y , sous-chef de bureau à la direction des Colonies, s 'était ainsi exprimé à l 'article G u y a n e F r a n ç a i s e du Dictionnaire de la conversation : « Ses l imites du côté du Sud-Est ne sont point encore bien dé te rminées , et la F r a n c e p ré t end avec fondement qu 'el les doivent s 'é tendre ju squ ' à la peti te r ivière de Y a p o c k ou de V i n c e n t P i n ç o n , ainsi qu'i l est stipulé par l 'article 8 du traité d ' U t r e c h t . »

1 0 6 1 . Dans la m ê m e année , M. CHARLES PICQUET, géo­graphe du roi et du D U C D ' O R L É A N S , dans la carte du B r é s i l par B R U É , « augmentée et r evue pour les limites », avait

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§§ 1062-1065 11 e L E C T U R E ( 23i )

introduit tout au Nord-Ouest du Cap N o r d le nom de Yapok ou R. Vincent Pinçon.

1062. En 1837, le B A R O N WALCKENAER avait écrit ces mots dans les Nouvelles Annales des voyages : « D'après le traité d ' U t r e c h t , la G u y a n e avait pour l imite dans le S.-E. la rivière de Vincent Pinçon, connue des nature ls sous le nom de Yapock.... C'est celle que les B r é s i l i e n s nomment aujourd 'hui Carapapoury. »

1063. En 1838, dans u n e publication officielle portant pour titre Notices statistiques sur les colonies françaises,

M. PAUL TIBY avait complété par ce passage son œuvre de 1836 : « Le vague des limites intéideures de la G u y a n e f r a n ç a i s e ne permet pas de déterminer l ' é tendue du ter r i ­toire de la colonie d 'une maniè re précise. On peut dire seu­lement que la longueur de son littoral, depuis le Mar on i jusqu 'à la rivière V i n c e n t P i n s o n , est de 125 lieues communes , sur u n e profondeur qui, poussée jusqu 'au Rio-B r a n c o , ne serait pas moindre de 300 l ieues, et donnerai t alors une superficie t r iangulaire de plus de 18 000 l ieues carrées. »

1064. En 1839, M. CHARLES PICQUET, dans la carte générale de l ' A m é r i q u e m é r i d i o n a l e par B R U É , « aug­mentée et rectifiée pour les limites », avait marqué de nouveau, tout au Nord-Ouest du Cap N o r d , R. Vincent Pinçon ou Yapock.

1065. Dans la m ê m e année 1839, u n P o r t u g a i s renégat , n o m m é CONSTANCIO, esprit faux et bouffi de suffisance, plagiaire de W A R D E N , avait imprimé ces paroles dans u n e p ré tendue Histoire du Brésil : « L'ar­ticle 8 du traité d ' U t r e c h t a fixé pour limite ent re les G u y a n e s p o r t u g a i s e et f r a n ç a i s e la rivière V i n c e n t P i n z o n , la dénommant aussi O y a p o c k ou U i a p o c , par la lat i tude Nord de 1°30'. » — Et sur u n e carte qu'il mit en tête de ses deux volumes, il marqua tout au Nord-Ouest du Cap N o r d R. Vincent Pinçon ou Yapock.

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( 2 3 2 ) 1 1 ° L E C T U R E § § 1 0 6 6 - 1 0 6 7

1 0 6 6 . Le 1 8 ju in 1 8 4 0 , M. AUGUIS, dans u n rapport à la Chambre des dépu tés , n e s'était pas fait scrupule de copier mot à mot l 'h is tor ique de la quest ion guyanaise donné en 1 8 3 5 par le Journal de la Marine, et il avait répété imper tu rbab lement , du haut de la t r ibune, ces faussetés cr iantes : « Par le trai té d ' U t r e c h t , la F r a n c e consent i t à se re lâcher de ses pré ten t ions , en abandonnan t au P o r t u g a l la part ie de terr i toire qui s 'é tend depuis l ' A m a z o n e , ou la l igne de l 'équateur , jusqu ' au c a p N o r d , ou la baie de V i n c e n t - P i n ç o n , situé par le deuxième degré de lat i tude sep ten t r iona le . . .

« Le P o r t u g a l p ré tendi t t ranspor te r ses l imites au cœur des possess ions françaises jusqu 'à la rivière de l ' O y a p o c k , s i tuée par le qua t r ième degré de lat i tude, confondant , à desse in sans doute , cette r ivière avec celle de Yapock, qui en est distante de 5 0 l ieues mar ines . — L'ambiguï té que p ré sen te l 'article du traité d ' U t r e c h t provient de ce qu 'en faisant le traité on se servit d 'une carte hol landaise de VANKENLEN, sur laquel le est marquée effectivement, près du c a p N o r d , u n e petite r ivière dés ignée sous le nom Yapock, ayant son embouchure dans la baie de V i n c e n t - P i n ç o n . Cette peti te r ivière, n ' é tan t pas portée sur les autres car tes , a fourni de prétexte aux pré ten t ions de la diplomatie portugaise ; mais est-il pe rmis de se m é p r e n d r e sur la véri table posi­t ion géographique du c a p N o r d et de la baie de V i n c e n t -P i n ç o n , points de la côte connus de tous les navigateurs , et dont le g i sement est t racé , sur les cartes de toutes les nat ions , par le deuxième degré de lat i tude septent r io­na le? »

1 0 6 7 . En avril 1 8 4 3 , MM. T E R N A U X - C O M P A N S , J U L E S

LECHEVALIER et JOLY D E LOTBINIÈRE, au nom de la

Société d 'é tudes pour la colonisation de la Guyane Française, et avec l 'autorisat ion du Ministre de la Marine et des Colonies, avaient donné u n e seconde édition de la

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§ 1068 11 e L E C T U R E ( 233 )

Notice sur la Guyane Française, publiée officiellement

en 1838 clans les Notices statistiques sur les colonies fran­

çaises.

Et non contents de la reproduct ion pure et simple du texte primitif, ces mess ieurs avaient ajouté à leur édition une carte sur laquelle ils traçaient ainsi les limites légitimes de la G u y a n e F r a n ç a i s e :

Le M a r o n i , jusqu 'au pied du versant septentr ional de la chaîne T u m u c u m a q u e ;

Une l igne droite Sud-Est Nord-Ouest, longeant au Nord la chaîne T u m u c u m a q u e , et aboutissant au confluent du T a c u t u avec le M a h u , de manière à laisser aux A n g l a i s le P i r a r a ;

Le T a c u t u , le Rio B r a n c o et le R io N e g r o , jusqu 'à dix milles de son embouchure dans l ' A m a z o n e ;

Une l igne br isée , accompagnant les inflexions de l ' A m a z o n e à cette même distance de dix mil les , et se terminant , sur l ' O c é a n , à l ' embouchure de la R. S. Vin­cent Pinçon, qui , si tuée d 'une manière fautive, était in tent ionnel lement le C a r a p a p o r i .

Cette carte était u n e exagération de celle que M. L E S -C A L L I E R avait produite en 1791.

M. LESCALLIER, se réglant sur l 'ordre ministériel de 177G, qui plaçait l ' embouchure du V i n c e n t P i n ç o n à quinze l ieues por tugaises de l ' A m a z o n e , avait tiré sa grande ligne de partage à quinze l ieues du Cap N o r d ; mess ieurs de la Société d 'études t iraient la leur à dix milles, parce que, pour eux, le véritable V i n c e n t P i n ç o n était le C a r a p a p o r i , dont l ' embouchure se trouve à dix milles du Cap N o r d .

Et à l ' imitation de M. LESCALLIER, MM. TERNAUX-

COMPANS et Cie donnaient à leur carte le ti tre de « Carte de la G u y a n e d'après les termes du Traité d ' U t r e c h t . »

1068. Le 12 mai de la même année 1843, dans un discours à la Chambre des députés , M. LESTIBOUDOIS,

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( 234 ) 11 e L E C T U R E §§ 1069-1072

sous l ' influence de cette carte, avait dit que la G u y a n e F r a n ç a i s e , « dans les trois quar ts de sa circonférence, était en tourée par la rivière des A m a z o n e s , le R io N e g r o et le R i o B r a n c o »; et que le ter r i to i re de cette colonie n 'é tai t séparé de l ' A m a z o n e que par un filet d'eau.

1 0 6 9 . Le 1 4 ju in suivant , le Courrier français avait consacré un article à l 'éloge de la carte de M. TERNAUX-

COMPANS.

1 0 7 0 . Cette m ê m e année encore , M. LABORIA, capi­ta ine d'arti l lerie de m a r i n e , avait consigné ce passage dans u n livre int i tulé : De la Guyane Française et de sa colonisation : « L'île de V i n c e n t P i n ç o n , toute la par t ie qu 'on appelle contes tée , et qui ne l'a jamais été sé r i eusement , parce qu 'e l le est incontes table . »

1 0 7 1 . Le 2 4 j anv ie r 1 8 4 4 , M. le député LACROSSE, dans un discours à la Chambre , avait adressé au g o u v e r n e m e n t cette apostrophe : « Par le retrait du poste établi à M a p á , vous abandonnez ac tue l lement 1 0 0 0 0 l ieues carrées d 'un te r ra in incul te encore , mais que la r ichesse du sol et du climat r enden t d 'un prix ines t imable de nos j ou r s . Observez bien que les côtes de la G u y a n e F r a n ç a i s e les plus rapprochées des r ives de l ' A m a z o n e sont celles qui offrent le p lus d 'avantages , non - seu l emen t pour la navigat ion commercia le , mais m ê m e pour le mouil lage des bâ t iments de gue r r e . Et ne craignez pas d'être accusés d 'appeler sans générosi té l 'emploi des forces de la F r a n c e au dé t r iment d 'un Etat qui ne saurai t lui résis ter . »

1072. Le 1 e r j u in de la m ê m e a n n é e , M. L E Duc D E VALMY, dans u n discours p rononcé éga lement au sein de la représenta t ion nat ionale , s'était fait, en ces t e rmes , l 'écho de l 'e r reur : « Le trai té d ' U t r e c h t s ta tue que les l imites de la G u y a n e doivent être fixées par le 2 e degré de la t i tude. Le B r é s i l p ré tend que les l imites doivent être por tées au 4 e degré de la t i tude . Et sur quoi se fonde,

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§ § 1 0 7 3 - 1 0 7 4 1 1 E L E C T U R E ( 2 3 5 )

mess ieurs , le B r é s i l dans cette p ré ten t ion? Sur ce que le traité d ' U t r e c h t , à la désignation qu'il a faite du degré de lat i tude, a ajouté u n e autre désignation, celle d 'un nom de rivière qui a disparu. La F r a n c e , au contraire , s 'appuie sur la désignation du degré de lat i tude, qui n'a pas pu changer , et elle pré tend que la limite doit être fixée à l ' embouchure de la rivière A r i v a r i , si tuée à 1 5 l ieues de l ' embouchure du fleuve des A m a z o n e s , et par le 2E degré de lat i tude, conformément à la désignation du traité d ' U t r e c h t . »

Et le traité d ' U t r e c h t n ' indique aucune la t i tude! . . . 1 0 7 3 . Dans le courant du même mois de ju in 1 8 4 4 ,

M . VICTOR D E NOUVION, secrétaire de la Société d 'études pour la colonisation de la G u y a n e F r a n ç a i s e , avait réuni un grand nombre d'articles phi lo-cayennais dans u n volume inti tulé : Extraits des auteurs et voyageurs qui

ont écrit sur la Guyane; et, parlant de son chef, il y avait dit :

« Le Gouvernement français, après avoir commis la faute de p rendre au sérieux les prétent ions élevées par le P o r t u g a l , n 'a cessé de l 'aggraver depuis , en acceptant tous les prétextes dilatoires par lesquels le B r é s i l s'efforce d 'ajourner indéfiniment la reconnaissance de nos droits. »

Et quand M . D E NOUVION imprimait ces paroles à P a r i s , il y avait plus de deux ans qu 'un plénipotentiaire brésil ien at tendait va inement , à Paris m ê m e , la discussion des limites de la G u y a n e F r a n ç a i s e et du B r é s i l ! ! !

1 0 7 4 . Au mois d'août 1 8 4 5 , M . COCHUT, assez cou­rageux pour emprun te r à M . d'AvuzAC son J a p o c de 1 8 3 4 , avait donné pour t r ibune à l 'erreur la Revue des Deux-Mondes. — « Dans l 'origine (avait-il imprimé), les droits de la F r a n c e s 'é tendaient au Sud jusqu ' au fleuve des A m a z o n e s . En 1 7 1 3 , les négociateurs d ' U t r e c h t réser­vèrent exclusivement au P o r t u g a l la navigat ion de ce fleuve en lui at t r ibuant « la propriété des ter res appelées

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( 236 ) 11 e L E C T U R E §§ 1075-1079

du Cap-Nord, et s i tuées en t re la r ivière des A m a z o n e s et celle de J a p o c ou de V i n c e n t P i n ç o n . » S'autorisant de la vicieuse rédact ion de cet article, la cour de L i s ­b o n n e pré tendi t reculer les frontières de la G u y a n e p o r t u g a i s e ju squ ' à l ' O y a p o c , c'est-à-dire c inquante l ieues plus loin que la pet i te r ivière qui porte à la fois le nom indien de J a p o c et celui de l ' E u r o p é e n VINCENT PINÇON.

Voilà cent t ren te -deux ans que cette difficulté diploma­t ique est pendan te , tant est g rande l ' insouciance de nos h o m m e s d'Etat pour nos in té rê t s coloniaux! »

1 0 7 5 . Mais le vois inage le plus proche de l ' A m a z o n e ne valant pas l ' A m a z o n e m ê m e , on avait poussé nouve l ­l ement j u squ ' à l ' A m a z o n e la pré tent ion cayennaise .

1 0 7 6 . En 1 8 3 8 , M. JOLLIVET, l i eu tenant de vaisseau en station à Cayenne, avait publ ié , dans les Annales maritimes et coloniales, un Essai sur les côtes de la Guyane,

où se t rouvai t le passage suivant : « La na tu re et la raison nous d o n n e n t toute la r ive gauche des A m a z o n e s , ainsi que la libre navigat ion du fleuve. »

1 0 7 7 . En 1 8 4 2 , M. JULES LECHEVALIER avait adressé au Comité de colonisation de la G u y a n e F r a n ç a i s e les paroles que voici : « Les droits de la F r a n c e à l ' ancienne l imite du C a p N o r d sont incontes tab les ; u n e négociat ion bien condui te pour ra i t m ê m e nous donne r u n e part ie de la rive gauche de l ' A m a z o n e . »

1 0 7 8 . Depuis l ' année 1 8 4 3 j u squ ' à la fin du règne de L O U I S - P H I L I P P E , la p ré ten t ion à l ' A m a z o n e eut u n fervent apôtre dans u n es t imable pe r sonnage qui habitait le bord du beau fleuve, M. EVEILLARD, consul de F r a n c e au Pará, le m ê m e qui a t rouvé à D j e d d a h u n e mort h is tor ique .

1 0 7 9 . Dans son en thous iasme pour l ' A m a z o n e , M. EVEILLARD ne se bo rna pas à s t imuler par de nom­breux mémoi res le dépa r t emen t des Affaires Ét rangères :

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1080-1083 11 e L E C T U R E ( 237 )

il inspira de son souffle trois futurs écrivains qui séjour­neront au Pará pendan t qu'il y servait .

Ce furent, M . le C O M T E D E SUZANNET, voyageant pour son plaisir, — M. TARDY D E MONTRAVEL, chef de l 'expé­dition hydrographique chargée de compléter les travaux de M . ROUSSIN, — et M . le V I C O M T E L E SERREC D E KER-

V I L L Y , servant sous les ordres de cet habile officier, et habile officier lu i -même.

1 0 8 0 . M . D E SUZANNET débuta en juil let et sep­tembre 1 8 4 4 dans la Revue des Deux-Mondes, sous le pseu­donyme de L . D E CHAVAGNES; et il reproduisi t ouver tement son œuvre au commencement de 1 8 4 6 , dans un volume intitulé : « Souvenirs de voyages. »

1 0 8 1 . Dédaigneux de la véri té , M . D E SUZANNET ne fit qu 'une déclamation, mais u n e déclamation t rès propre à enflammer les espri ts , et se te rminant par ces mots : « Placer notre frontière sur la rive gauche de l ' A m a ­z o n e , tel doit être l'objet des réclamations constantes de la F r a n c e . »

1 0 8 2 . Homme sérieux, M. D E MONTRAVEL discuta la question guyanaise dans un mémoire daté du 1 2 sep­tembre 1 8 4 5 , et publié , sous ce ti tre, dans la Revue Colo­niale d'août 1 8 4 7 : « Considérations générales sur la délimitation, l 'é tude et la colonisation de la G u y a n e F r a n ç a i s e . »

1 0 8 3 . Avec la franchise la plus louable, M. D E MONT­

R A V E L fît cet aveu : « On comprend de quel intérêt serait pour nous la prompte délimitation de notre colonie, si nous pouvions, ainsi que la saine raison semble le faire espérer , avoir la rivière A r a o u a r y pour frontière. C'est à ce but que nous devons tendre , à cette limite que nous devons nous at tacher , car toute autre nous t iendrait à

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( 238 ) 11e L E C T U R E § 1084

tout j amais é loignés de l ' A m a z o n e , dont nous devons chercher à nous rapprocher . »

Et il se flatta d'avoir « établi d 'une maniè re ne t te et irréfragable, que la r ivière de V i n c e n t P i n ç o n ne peut être que celle d ' A r a o u a r y , sur la rive gauche du fleuve des A m a z o n e s , si ce n'est le fleuve des Amazones lui-

même. »

1084. Voici c o m m e n t procéda M. D E MONTRAVEL :

« Le mot indien Japock é tant u n nom génér ique donné par les I n d i e n s à toute r ivière , ainsi que l ' indique sa signification, et comme le p rouven t les anc iennes cartes qui le donnen t à p lus ieurs r ivières , ce n o m , dis-je, ne saurait t r anche r la difficulté, pu i sque nous ser ions aussi fondés que les P o r t u g a i s à p ré tendre que le J a p o c k désigné par le t rai té d ' U t r e c h t e s t , non pas notre O y a p o c k , mais b ien toute autre r ivière por tant le nom génér ique de J a p o c k ; celle, par exemple , que les cartes anc iennes placent dans l 'île de M a r a j o .

« La quest ion ne pourra i t donc se résoudre que par la discussion de la route de VINCENT PINÇON et la déter­minat ion bien cer ta ine de la r ivière à laquel le ce voyageur a donné son nom.

« Je vois dans les h is tor iens qui ont écrit le voyage et les découver tes de VINCENT PINÇON que ce naviga­teur fut repoussé avec per tes par les I n d i e n s habi tant

le bord d 'une r ivière dans laquel le il avait envoyé des embarca t ions . J 'y vois que qui t tant cette côte inhospita­l ière , il fit route au Nord-Ouest, et qu 'après avoir fait qua ran te l ieues à ce r h u m b de ven t , il t rouva l 'eau de mer si douce, qu' i l rempli t ses futailles; qu ' é tonné de ce p h é n o m è n e à u n e aussi g rande dis tance de la côte, il se rapprocha de la te r re et moui l la dans le voisinage de la l igne, au mil ieu d 'un groupe d' î les verdoyantes et à l 'em­bouchure d 'une g rande r iv iè re ; que , p e n d a n t le séjour, enfin, qu'il fit dans ce moui l l age , le seul qu'i l prit

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1 0 8 5 - 1 0 8 8 1 1 E L E C T U R E ( 2 3 9 )

sur toute la côte jusqu 'aux bouches de l ' O r é n o q u e , il éprouva u n p h é n o m è n e de marée qui mit tous ses nav i r e s dans le plus grand danger .

« Sans parler de la circonstance du voisinage de la l igne, qui donne cependant quelque force à mon opinion, examinons si quelque point de la côte de l ' A m é r i q u e , depuis le cap S a i n t - A u g u s t i n jusqu ' à l ' O r é n o q u e , présente le concours des trois circonstances remarquables citées par VINCENT PINÇON: de la présence de l 'eau douce à quarante l ieues au large de la côte, d 'un p h é n o m è n e de marée capable de met t re des navires en danger , et enfin d 'un groupe d'îles verdoyantes à l ' embouchure d 'une grande r ivière. J 'avoue que nul le part , si ce n 'es t à l ' embouchure de l ' A m a z o n e , je n'ai r emarqué la coïn­cidence de ces trois faits, qui me semblent devoir exclure toute discussion et t rancher la quest ion. »

1 0 8 5 . Sans doute , M. D E MONTRAVEL a dé te rminé beaucoup mieux que BUACHE le mouillage équatorial du découvreur espagnol.

Mais, comme BUACHE, M. D E MONTRAVEL a confondu le possible avec le réel .

L ' A r a g u a r i et l ' A m a z o n e auraient fort bien pu porter l 'un ou l 'autre le nom de VINCENT PINÇON ; mais le fait est qu'i ls ne l 'ont jamais porté.

1 0 8 6 . M. D E MONTRAVEL donne pour sûr que le mouil­lage à l ' embouchure de l ' A m a z o n e fut le seul que prit VINCENT PINÇON sur toute la G u y a n e ; tandis qu'il est avéré que VINCENT PINÇON reconnut toute la côte guya-naise depuis l ' A m a z o n e jusqu ' à l ' O r é n o q u e .

1 0 8 7 . M. D E MONTRAVEL place la limite d ' U t r e c h t en dedans de l ' A m a z o n e ; et le traité d ' U t r e c h t la place formellement en dehors .

1 0 8 8 . M. D E MONTRAVEL a pris pour point de départ

de toute son argumenta t ion, que , « le mot indien Japock

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( 2 4 0 ) 1 1 E L E C T U R E § § 1 0 8 9 - 1 0 9 0

est u n n o m génér ique donné par les I n d i e n s à toute r iv ière , ainsi que l ' indique sa signification, et comme le p rouven t les anc iennes cartes , qui le donnen t à p lus ieurs r ivières . »

Et il n 'existe point d ' anc ienne carte donnan t à aucune r ivière le nom de Japoc. Celui de Yapoc, facilement réduct ible en J a p o c , se t rouve b ien sur u n grand nombre de car tes anc i ennes , — mais u n i q u e m e n t appliqué à la grande r ivière du Cap d ' O r a n g e .

Et pour ce qui est de la signification génér ique at tr i­buée par M . D E MONTRAVEL au n o m indien, la Revue Colo­

niale de sep tembre 1 8 5 8 dit avec s incéri té : « On ignore à quelle source l 'auteur a puisé l ' interprétat ion du mot Japock. » Et elle ajoute avec sagesse : « Il paraît p lus dangereux qu 'ut i le de produire des asser t ions trop faciles à dé t ru i re . »

1 0 8 9 . Ce fut, comme M . D 'AVEZAC, au sein de la Société de Géographie que M . L E SERREC apparut .

Cela nous est at testé par ce passage du procès-verbal de la séance de cette savante Société du 3 septembre 1 8 4 7 : « M . le V I C O M T E L E SERREC D E KERVILLY, l ieute­n a n t de vaisseau de la mar ine royale, qui a fait part ie de l 'expédition de M . TARDY D E MONTRAVEL sur l ' A m a z o n e , donne lec ture d 'un mémoi re sur les délimitat ions de la G u y a n e F r a n ç a i s e et du B r é s i l , et sur les moyens

d 'obtenir pour la F r a n c e la l igne de l ' A m a z o n e La Commission centrale écoute cette lecture avec beaucoup d ' intérêt , et elle pr ie M . D E KERVILLY de donne r commu­nicat ion de son travail au comité du Bullet in. »

1 0 9 0 . Le mémoire de M . L E SERREC ne fut pour tant pas inséré dans le Bulletin de la Société de Géographie.

Il n ' eu t qu 'une demi-publ icat ion, au moyen d 'un petit nombre de copies l i thographiées .

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§ 1 0 9 1 1 1 E L E C T U R E ( 2 4 1 )

1 0 9 1 . M. L E SERREC nous fait en ces te rmes , avec u n e rare ingénui té , la confidence des vrais motifs de son travail :

« Dans le fait, il n 'y a aucune différence importante pour nous à avoir la délimitation de M a r a c á ou celle d ' O y a p o c ; car, pol i t iquement parlant , l 'un de ces points n 'est pas p lus près que l 'autre de l ' A m a z o n e , seul parage où un lieu de possession modifierait immensémen t notre influence dans ces contrées et agrandirait dans une très vaste proport ion notre puissance et l 'avenir de notre colonie

« Le cours de l ' A m a z o n e nous importe pour deux motifs distincts : 1o Pour arrêter sans équivoque et selon les indications nature l les les limites de notre G u y a n e . 2 ° Pour nous fournir une porte de communicat ion admi­rable avec le C h i l i , la B o l i v i e , le P é r o u , le V é n é z u e l a , dont les produits se dirigeraient par cette route si avanta­geuse , dés qu'elle leur serait ouver te .

« Cette dernière question est immense dans le présent et apparaît bien plus vaste encore dans l 'avenir, et c'est é t rangement l 'amoindrir que de n 'y voir qu 'un in t é rê t purement commercial , quelque magnifique qu'il soit; mais il serait oiseux de m'ar rê ter à prouver une chose si évidente, et j ' aborde le fait.

« La simple inspection du croquis fait voir que tant que nous n ' au rons pas arrondi nos possessions par l ' O c é a n , l ' A m a z o n e , le P a r u et le M a r o n i , nous serons toujours en doute et en litige sur nos l imites, et que le lac Mapa avec sa rivière ne démarque que la côte en laissant lieu à une discussion interminable pour la ligne de l ' inté­r ieur qui est inexploré, inconnu, et le sera de très long­temps encore. Ce sont donc ces limites que nous devons tâcher d 'obtenir.

« Mais il est jus te d 'avouer que l 'article 10 du traité 16

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( 2 4 2 ) 11 L E C T U R E § 1091

d ' U t r e c h t nous défend bien explici tement cette p ré t en ­tion, et l 'esprit du trai té ne nous pe rme t guère d 'avancer au delà de l ' embouchure Sud du canal de C a r a p a p o u r i ou de M a r a c à .

« Pour obtenir du B r é s i l la seule concession vra iment impor tan te , c'est-à-dire la limite de l ' A m a z o n e pour not re G u y a n e dans la part ie de son cours qui en toure ce terr i toire , avec la libre navigat ion du res te , il faut donc en tamer la négociat ion sur u n e aut re base que celle du t rai té d ' U t r e c h t ; pu isque avec les in terpréta t ions les p lus favorables, il ne peu t y faire a t te indre nos fron­t ières

« Il y a pour le succès de la négociat ion du b ien et du mal dans l ' ignorance où se t rouve le Gouvernement Brésilien des vra ies ressources et de la topographie du fleuve des A m a z o n e s ; mais le bien l ' empor te , car si elle lui fait croire qu ' en demandan t la frontière de l ' A m a z o n e , nous voulons le déposséder complè tement du profit et de la navigat ion de ce fleuve, et s 'exagérer l ' importance du terr i toire Guyanais qu' i l nous abandonnera i t ; elle nous pe rmet aussi d 'en exagérer avec p lus d 'assurance l ' inuti­l i té , l ' insalubri té , les marécages , au point de lui per ­suader que nous n 'y t enons que parce qu'i l est enclavé dans des l ignes frontières na ture l les qui , u n e fois admises , ôteraient tout pré texte de contestat ion en t re les deux puissances et sera ient u n gage de la stabilité de leur alliance ac tue l le ; et il est possible de mon t r e r qu 'en acquérant pour n o u s u n e frontière plus forte, nous n 'ouvrons point pour cela le B r é s i l , pu isque en se l imi­tant à la r ivière du Pará, ou m ê m e , s'il l 'exige, au canal en t re Marajó et les îles dos Porcos et Gurupà, il en conserve u n e aussi b ien t racée et aussi forte que n o u s , et év idemment b ien plus exacte et bien plus facile à défendre que l ' imaginaire et é te rne l l ement contestable à laquel le il p ré t end aujourd 'hui .

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1091 11 e L E C T U R E ( 243 )

« Il est même possible, je crois, de faire envisager comme de la modérat ion que nous nous content ions du canal entre la côte de M a c a p à et les îles C a v i a n n a , P o r c o s , G u r u p á ; car ils le regardent comme le p i re , à cause de la peur exagérée du prororoca de l ' embouchure et de l ' idée inexacte des difficultés de cette en t rée , qu'i ls croient bien au t rement grandes qu'elles le sont, et sur tout qu'elles pourra ient le devenir entre les mains d 'une nat ion, qui , comme la F r a n c e , s'est tant occupée de faciliter et d 'améliorer le pilotage et a le moyen d'y faire les dépenses nécessaires .

« De plus , à la vue du dé labrement actuel du fort et du mouillage de M a c a p à ; à la vue de cette citadelle sans canons, de la lame sapant journe l lement ses fondements et menaçant de la faire crouler b ientôt ; à la vue du mouil­lage en t iè rement comblé et non abrité du courant de la r ivière et des v e n t s ; à la vue de l ' insouciance du Gouver­nemen t pour ce dépér issement rapide, et de l ' impossibilité dans laquelle il se t rouve et se t rouvera de bien longtemps de l 'arrêter, quand même il le voudrai t , les B r é s i l i e n s n 'ont qu 'une fort médiocre idée de l ' importance de cette position, et n 'en t revoient pas le rôle qu'elle est appelée à jouer quand le fleuve sera ouvert au commerce .

« Lorsque je m'y trouvais en 1844, j e disais au gou­verneur : « Votre fort, m ê m e complétement a rmé , ne serait « qu 'une dispendieuse inut i l i té ; car il ne commande pas « l 'entrée du fleuve, dans lequel on peut péné t re r par der-« rière l'île dos Porcos; il ne commande même pas cette « passe-ci, puisque ses feux n 'a t te ignent pas l 'autre r ive. » Et il restait convaincu, parce qu'il ne voyait pas qu 'avec peu de dépenses on fermerait la plage de M a c a p à par une digue toujours t rès facile à faire en r ivière, on creuserai t ce port dont le fond est de vase ou de terre molle, on ferait u n bassin du cours d'eau qui vient s'y je te r et qui, aujour­d 'hui , ne reçoit que des bateaux, et qu'ainsi res taurée

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( 244 ) 11 e L E C T U R E § 1091

cette place deviendrai t u n arsenal qui abri terait sous son fort les navi res qui pour ra ien t partir pour in tercepter les au t res en t rées et défendre les posit ions faibles, sans compter les bat ter ies qu 'à peu de frais u n e puissance Eu­ropéenne saurai t é lever efficacement en divers endroi t s .

« Outre cela, la ville de M a c a p à est parfai tement s i tuée pour deveni r l ' un ique ent repôt du commerce du g rand fleuve avec l ' E u r o p e ; car elle est sur la route di recte , et l 'on n e peu t pas croire q u ' u n e fois les communica t ions éga lement l ibres avec elle et la ville du P a r à , les navi res con t inuen t à aller che rche r cette dern iè re à t ravers des dé­tours et des canaux à pe ine navigables , des longueurs et des re ta rds , au lieu de descendre à M a c a p à au courant du fleuve. Du res te , ent re les mains de la F r a n c e on y trou­verai t vite des garant ies , des avantages et des facilités qu 'on cherchera i t en vain au P a r à .

« D'un aut re côté, si l 'on ne peu t pas admet t re que les B r é s i l i e n s ne voient pas l ' avantage , au moins commer­cial, que nous t i re r ions d 'un é tabl issement sur l ' A m a z o n e et de no t re l iber té de navigat ion sur tout son cours , on peut , cependan t , croire sans mécompte qu' i ls n 'on t pas u n e idée exacte de son impor tance , et que les résul tats se cachant pour eux derr ière d ' immenses difficultés de nav i ­gation, d ' instal lat ion, de dépenses et de t emps , ils leur para issent plutôt spéculatifs que réal isables, tandis qu'i ls sera ient p resque ins tan tanés pour u n e nat ion a rmée déjà des ressources de force, d ' industr ie et de capitaux dont le B r é s i l m a n q u e .

« Je crois donc qu 'aux yeux des B r é s i l i e n s l 'on peu t déplacer la p rédominance de l ' in térêt des deux motifs qui nous excitent à r eche rche r la frontière de l ' A m a z o n e ; de man iè re à leur faire envisager comme accessoire ce qui est rée l lement capital , c 'est-à-dire la navigat ion complète du fleuve. Et il me semble voir dans cette quest ion de beaux é l émens pour appliquer au profit de la F r a n c e ce grand

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8 1 0 9 2 11E L E C T U R E ( 2 4 5 )

principe de l'art de négocier : réussir à amoindrir dans l 'opinion de l 'autre partie contractante les avantages de la part que l 'on se fait, et à grossir ceux de la part qu 'on lui laisse. . . .

« Notre Consul du Pará, h o m m e de tact et de grand

mér i te , est parvenu à faire à des personnes b ien placées

dans l ' intér ieur de l ' A m a z o n e , et surtout dans l 'arrondis­

sement de la ville de S a n t a r e m , proposer pour le libre

commerce du fleuve des pétit ions à l 'Empereur qui ont été

immédia tement couvertes de s ignatures ; mais je crois qu'il

ne faudrait p rendre de l ' influence qu'el les pourraient avoir

sur l 'esprit du gouvernement central que ce qui favorise­

rait par t icul ièrement nos vues , car la libre navigation du

fleuve pour toutes les nat ions serait, en m ê m e temps , plus

difficile à obtenir et beaucoup plus désavantageuse pour

nous ; parce que pas plus là qu 'ai l leurs nous ne pourr ions sou­

tenir victor ieusement la concurrence avec l ' A n g l e t e r r e

et les E t a t s - U n i s ; nous en serions bientôt presque en t iè ­

rement absorbés, et au lieu de servir à la prospéri té de la

F r a n c e , l 'ouver ture des communicat ions ne servirait qu'à

celle de la ville de M a c a p à , qui serait toujours le vrai point

de transit et d 'entrepôt . »

1 0 9 2 . L 'exposé de motifs de M. L E SERREC se r é sume donc en ce peu de mots :

« Il faut que la F r a n c e , mais la France toute seule, partage avec le B r é s i l les t résors inest imables de la navi ­gation de l ' A m a z o n e .

« Cela nous est expressément interdit par le traité

d ' U t r e c h t .

« Mais les B r é s i l i e n s sont des gens accommodants , non pas trois fois, mais trois cents fois bons .

« Il serait facile d 'obtenir de leur ignorance et de leur

simplicité l 'annulat ion du traité d ' U t r e c h t , et la négocia-

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( 2 4 6 ) 11E L E C T U R E § § 1 0 9 3 - 1 0 9 4

tion d 'un nouveau t rai té qui nous accorde ce que nous vou lons .

« Cherchons donc pour ce nouveau trai té u n e base spécieuse . »

1 0 9 3 . Cette base , que M . L E SERREC propose comme u n e g rande nouveau té , est la vieillerie que BUACHE avait imaginée en 1 7 9 7 , et qui consiste à soutenir que la rivière por tan t le double nom de V i n c e n t P i n ç o n et O y a p o c doit être l ' A m a z o n e .

La seule différence fondamenta le est que BUACHE r é ­clamait pour la F r a n c e la moitié de l'île de M a r a j ó , tandis que M . L E SERREC veu t bien la laisser tout ent ière au B r é s i l .

Son légitime V i n c e n t P i n ç o n - O y a p o c est le canal central de l ' A m a z o n e , celui que forment , d 'un côté l'île de M a r a j ó , et de l 'autre côté les îles de F r e x a s , M e x i a n a , C a v i a n a , J u r u p a r i , P o r c o s , G u r u p á .

1 0 9 4 . Pour démontrer qu' i l en doit être ainsi pour tout le m o n d e , M . L E SERREC fait les m ê m e s tours de force que BUACHE, et encore que lques-uns de plus .

En dépit de toutes les car tes , il assure avec BUACHE que le véri table C a p N o r d des anc iens , la borne pr imit ive de la r ive gauche de l ' A m a z o n e , était la pointe Maguari de l'île de M a r a j ó

En dépit de tous les textes , et plus coupable que BUACHE,

puisqu ' i l avait devant lui le t ravai l de M. D E MONTRAVEL,

il supprime du mouil lage équatorial de V i n c e n t P i n ç o n le grand p h é n o m è n e de la pororoca, et il soutient que le véritable M a r a ñ o n des anc iens , l ' A m a z o n e primitif, la r ivière où moui l la VINCENT PINÇON, était la r ivière actuelle du P a r á

Et encore plus hardi que son maî t re , il sout ient , lon­guemen t et sé r i eusement , que Marañon est u n e altération de Marañan, corrupt ion de Paráñan, forme allongée de

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§ § 1 0 9 5 - 1 0 9 8 11e L E C T U R E ( 2 4 7 )

Pará...; et q u ' O y a p o c , en ver tu d 'une certaine é tymo-logie, a dû être pr imit ivement le nom propre de l ' A m a ­z o n e . . . .

1 0 9 5 . Mais, si la prétent ion à l ' A m a z o n e ne doit de la grat i tude à M. L E SERREC que pour sa bonne volonté, la prétent ion au Carapapori, secondaire pour tant à ses yeux, lui est redevable de l 'un de ses a rguments les plus forts, du premier véri table a rgument qui ait été produit par la F r a n c e après celui de LA CONDAMINE, au bout d 'un siècle.

1 0 9 6 . C'est la grave autori té de BERREDO.

1 0 9 7 . Cet argument , comme nous l 'avons vu, avait

déjà été implici tement exploité en 1 8 3 2 par M. W A R D E N ,

et en 1 8 3 9 par son plagiaire CONSTANCIO.

Mais celui qui, le premier , l 'a allégué explicitement, et

qui lui a donné du poids en nommant le respectable au­

teur des Annales historiques du M aragnan et du Parà, c'est

M. le V I C O M T E L E SERREC D E KERVILLY, qui le tenai t de la

bouche de M. le C O M T E D E SUZANNET, qui le tenai t de la

bouche de M. THÉODORE TAUNAY, consul de F r a n c e à Rio

d e J a n e i r o .

1 0 9 8 . Voici comment le présente M. L E SERREC :

« La quest ion n 'es t pas précisément à savoir quelle

rivière VINCENT PINSON a dotée de son n o m ; mais bien

à savoir, avec cer t i tude, quelle est celle que reconnais ­

saient sous cette dénominat ion les P o r t u g a i s lors du traité

d ' U t r e c h t

« Or, ce point capital et seul indispensable est aussi le

plus court et le plus facile à constater péremptoi rement . Il

me suffira de citer les textes portugais eux-mêmes :

« Le colonel BAËNA, qui n 'est pas favorable aux F r a n ­

ç a i s , dit dans son Compendio das eras da Provincia do

Pará, à la page 2 0 8 : « Septembre 1 7 2 3 . Le gouverneur

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( 2 4 8 ) 11e LECTURE § § 1 0 9 9 - 1 0 1 0

expédie pour découvrir la borne ou la colonne que l 'em­pe reu r CHARLES-QUINT avait o rdonné de placer à l 'embou­chure de la r ivière Oyapoc, le capitaine d ' infanterie JEAN P A Ë Z DO AMARAL, escorté d 'une force suffisante pour cet objet. » Puis , à la page 2 0 9 : « Le capi taine AMARAL r ev ien t de la r ivière O y a p o c à la fin de décembre , deux mois après son dépar t pour ces contins de la G u y a n e P o r t u g a i s e ; il rapporte au gouve rneu r qu' i l a t rouvé la co lonne . »

« D'autre par t , BERREDO, qui venai t de laisser le gou­v e r n e m e n t de la province , lorsqu' i l écrivait en 1 7 2 4 , et sur des pièces officielles, ses Annales historiques de l'État

de Maranhão et Grão Parà, y dit : « L 'empereur C H A R L E S -

QUINT avait o rdonné d 'ériger u n e colonne de marbre dans u n endroi t élevé à l ' embouchure de la r ivière de V. Pinson ou Oyapoc, s i tuée par 1 ° 3 0 ' de latitude Nord, laquelle

colonne fut vue en 1 7 2 3 par JEAN PAËZ DO AMARAL, capi­

taine d ' infanter ie du Pará. »

« Ces courtes mais complètes ci tat ions suffisent; car par elles on acquier t la cer t i tude que les P o r t u g a i s con­fondaient l ' O y a p o c et V i n c e n t P i n s o n , que l ' O y a p o c du trai té n ' a pu être jamais pour eux notre O y a p o c ; elles prouvent encore impl ic i tement qu'il n 'y avait nul le hési­tation sur la posit ion de la r iv ière ; le capitaine AMARAL n 'es t pas envoyé à la découver te de l ' O y a p o c , il est envoyé à la recherche de la colonne placée dans l ' O y a p o c , et il va par 1 °30 ' .

« Les P o r t u g a i s ont donc traité pour u n e rivière qui se trouvait par 1° 3 0 ' de la t i tude Nord, et non pour l ' O y a p o c du Cap d ' O r a n g e par 4° 2 4 ' , et l 'article 8 n ' a pas d 'équi­voque pour eux. »

1 0 9 9 . On ne saurai t justifier p lus spéc ieusement les procédés arbitraires dont le B r é s i l fut vict ime sous le règne de L O U I S - P H I L I P P E .

1 1 0 0 . Mais nous renverse rons pour toujours, dans

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§1101 11e L E C T U R E ( 249 )

notre quatr ième par t ie , cet épouvantail de B E R R E D O .

1101. Il faut seulement avertir dès à présent que, bien que la lat i tude de 1° 30' Nord, prise en e l le-même, puisse mieux se rapporter à l ' A r a g u a r i , l ' intention de M. L E S E R R E C a été réel lement de faire dire à B E R R E D O

que la rivière de V i n c e n t P i n ç o n du traité d ' U t r e c h t est le Carapapori; car il ajoute : « Les P o r t u g a i s , comme j e viens de le faire voir, la plaçaient par 1 ° 30' Nord; posi­tion de toutes manières inexacte, mais qui correspondait sur leurs cartes au canal de M a r a c à . »

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( 250 ) 12 e LECTURE §§ 1102-1103

D O U Z I È M E L E C T U R E

1102. La Républ ique Française de 1848 présen ta , sur notre quest ion, u n é v é n e m e n t dont les causes r emon ten t plus hau t , et dont les sui tes durent encore .

1103.- Vers la fin de 1840, dans la première année du r ègne effectif de Sa Majesté l 'Empereur du B r é s i l , le Cabi­ne t de R io d e J a n e i r o avait fondé sur la rive gauche de l ' A r a g u a r i la colonie mili taire de P E D R O II, à p lus de soixante l ieues de l ' embouchure de cette r ivière, entre ses deux affluents M a p o r e m a (ou Aporema) et T r a c a j a -t u b a (*).

(*) C'est le 29 av r i l 1840, — e t n o n v e r s l a fin de ce t te a n n é e , — q u e la co lon ie m i l i t a i r e de D o m P e d r o I I a é té é t ab l i e et i n a u g u r é e p a r le c a p i t a i n e d u gén ie J . F . DE ANDRADE PARREIRAS , à l ' end ro i t qu ' e l l e occupe e n c o r e a u j o u r d ' h u i , s u r la r i ve g a u c h e et sep ten­t r i ona l e de l ' A r a g u a r y (Rapport de cet officier en date du 5 mai 1840, a d r e s s é a u Président de la Province de Pará).

On sa i t que , p a r l ' a r t i c l e 107 de l 'Ac te final du Congrès de Vienne (9 juin 1815), l e PRINCE RÉGENT d u R o y a u m e de P o r t u g a l et de ce lu i du B r é s i l s ' es t e n g a g é à r e s t i t u e r à la F r a n c e l a G u y a n e F r a n ç a i s e «-jusqu'à la rivière d'Оy apoc, dont l'embouchure est située entre le quatrième et le cinquième degré de latitude septen­trionale, limite que le Portugal a toujours considérée comme celle qui avait été fixée par le Traité d'Utrecht », e t q u e les d e u x P a r ­t ies se s o n t e n g a g é e s à p r o c é d e r « à l ' a m i a b l e , a u s s i t ô t q u e faire se

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§§ 1104-1105 12 e L E C T U R E ( 251 )

p o u r r a , à la fixation défini t ive des l i m i t e s des G u y a n e s P o r t u ­g a i s e et F r a n ç a i s e conformément au sens précis de l'article VIII du Traité d'Utrecht » (Voir §§ 854 à 859). On sa i t e n c o r e q u e p a r la Convention de Paris, du 28 a o û t 1817, l e Roi d u R o y a u m e Uni de P o r t u g a l , du B r é s i l et des A l g a r v e s s ' engagea de n o u v e a u à r e s t i t u e r à la F r a n c e la G u y a n e F r a n ç a i s e , e n c o r e occupée p a r l es t r o u p e s de Pará; q u e ce t t e r e s t i t u t i o n deva i t ê t r e fai te a jus­qu'à la rivière d'Oyapoc, dont l'embouchure est située entre le 4 e et le 5° degré de latitude septentrionale et jusqu'au 322° degré de longitude à l'Est de l'île de F e r » (58°Ouest de P a r i s ) , « p a r le paral-lèle de 2°24 minutes de latitude septentrionale » (Art. 1er); e t q u e les deux P a r t i e s se son t e n g a g é e s (Art.2°) à s ' e n t e n d r e « p o u r fixer défini­t i v e m e n t les l i m i t e s des G u y a n e s P o r t u g a i s e et F r a n ç a i s e con­formément au sens précis de l'Article VIII du Traité d'Utrecht, et aux stipulations de l'Acte du Congrès de Vienne (Voir cet te Conven t i on de 1817 a u § 930).

Le G o u v e r n e u r de Pará, M. PAES DE CARVALHO a d o n c p u d i r e t r è s b i e n d a n s son Message du 1er févr ie r 1897 :

« On voi t q u e la F r a n c e accep ta la r e s t i t u t i o n de la G u y a n e F r a n ç a i s e j u s q u ' à l ' O y a p o c et j u s q u ' a u p a r a l l è l e de 2° 24 m i ­n u t e s , de l ' O y a p o c v e r s l 'Oues t , le Portugal étant maintenu dans la possession du territoire contesté jusqu'à la décision à l'amiable du litige. »

Le P o r t u g a l , en r e t i r a n t ses t r o u p e s de C a y e n n e , de l ' A p -p r o u a g u e , de l a r ive g a u c h e de l ' O y a p o c et des a u t r e s pos i t i ons qu ' e l l e s occupa i en t , a u r a i t pu les é tab l i r su r la r ive d ro i t e de l ' O y a p o c et s u r le p a r a l l è l e de 2° 24 m i n u t e s , au Nord des m o n t s T u m u c u m a q u e , e n t r e l ' O y a p o c et le M a r o n i . Il n e l 'a p a s fai t , il n ' a occupé a u c u n e p a r t i e d u t e r r i t o i r e con t e s t é , mais le B r é s i l

1104. En même temps, le Gouvernement Brésilien avait fait p romet t re par le prés ident de P a r á au gouver­neu r de C a y e n n e , que « le poste de Mapá, évacué par les F r a n ç a i s , ne serait point occupé par des forces bré­si l iennes, et que l 'on y maint iendrai t le statu quo. »

1105. Et faisant allusion à cette promesse , M. Gui-Z O T avait dit à M. L E B A R O N B O U E N , dans sa note du 5 ju i l ­let 1841 : « En tout état de cause , il doit être bien en tendu que le statu quo actuel , en ce qui concerne l ' inoc­cupation du poste de Mapá, sera s t r ic tement ma in tenu jusqu 'à ce que l 'on soit parvenu à se concilier sur l'objet

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( 2 5 2 ) 1 2 E L E C T U R E § 1 1 0 6

avai t , c o m m e le P o r t u g a l , le d r o i t de le faire en v u e des s t i pu l a ­t i o n s de 1815 et de 1817, e n c o r e en v i g u e u r a u j o u r d ' h u i , sauf la r e s ­t r i c t ion a p p o r t é e p a r l'accord de 1841, d o n t il s e r a q u e s t i o n p l u s l o i n , accord qu i a a m e n é la neutralisation de la partie du territoire con­testé située entre l ' O y a p o c et l ' A m a p à Pequeno (Petite Mapa), o ù se t r o u v a i t le p o s t e f r ança i s é tab l i en 1836 (voi r § 982), en v io l a ­t i on des t r a i t é s , et é v a c u é le 10 j u i l l e t 1840 (§ 1041) en c o n s é q u e n c e des r e p r é s e n t a t i o n s du G o u v e r n e m e n t Brés i l i en , e t s u r t o u t de ce l les d u G o u v e r n e m e n t de Sa Majesté B r i t a n n i q u e (Sur l ' accord de 1841, vo i r §§ 1050,1104 et 1105).

Le B r é s i l ava i t o c c u p é m i l i t a i r e m e n t , dès le 29 avr i l 1840, c o m m e c 'é ta i t son d r o i t , l a r i ve g a u c h e d e l ' A r a g u a r y en a m o n t de la pos i ­t ion q u ' o c c u p a i t de 1687 à 1700, s u r ce t t e m ê m e r ive et s u r la p o i n t e occ iden t a l e d u conf luen t de la c r i que M a y a c a r é (le « B a t a b o u t o » des c a r t e s f r ança i se s d u xviie siècle) le fort portugais d'Araguary (vo i r §§ 1955 et 2219 à 2225) d o n t p a r l e n t l es Traités de Lisbonne, d u 4 m a r s 1700 (fort d ' A r a g u a r y m e n t i o n n é q u a t r e fois d a n s ce t r a i t é , vo i r l e t e x t e f r a n ç a i s a u § 2632) et d ' U t r e c h t , du il avril 1713 (Article ix, t e x t e p o r t u g a i s a u § 2 6 3 3 ; t ex t e f r ança i s a u § 2634).

Ceux qu i r e p r o c h e n t au B r é s i l le m a i n t i e n de la c o l o n i e m i l i ­t a i r e de P e d r o II s u r l a r ive g a u c h e de l ' A r a g u a r y , e n t e r r i t o i r e a u j o u r d ' h u i con t e s t é , p a r a i s s e n t i g n o r e r les s t i p u l a t i o n s de 1815 e t 1817 e t les t e r m e s p réc i s d e la d é p ê c h e de M. GUIZOT en d a t e du 5 j u i l ­le t 1841 (§§ 1104 e t 1105) accep té s p a r le B r é s i l l e 18 d é c e m b r e d e ce t t e m ê m e a n n é e . On do i t t e n i r c o m p t e de ceci : qu'il y a un terri­toire contesté, considérablement élargi par la prétention française énoncée officiellement en 1856 (§§ 1236, 1238) et encore augmenté en 1897; m a i s qu'une partie seulement du territoire contesté a été neutralisée en 1841 et l'est encore. Le B r é s i l , en v e r t u des t r a i t é s de 1815 et 1817, c o n t i n u e en p o s s e s s i o n de la p l u s g r a n d e p a r t i e du t e r r i t o i r e c o n t e s t é .

principal du li t ige, et vous voudrez bien le déclarer expres­sémen t au Cabinet B r é s i l i e n , en protestant contre tout ce qui , de sa par t ou de celle de ses agents , porterai t a t te inte à ce môme état de choses . »

1 1 0 6 . Or, p lus ieurs sujets brés i l iens , la p lupar t déser­t eu r s , s 'étaient aussitôt réfugiés dans le quar t ier de Mapá, non sur l'île où avait existé le poste français, mais sur les bords du lac, à la place où u n e in téressante famille brés i ­l ienne avait d o n n é l 'hospitali té à M. PENAUD en 1 8 3 6 .

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§§ 1107-1110 1 2 E L E C T U R E ( 2 5 3 )

1 1 0 7 . Les nouveaux habi tants de Mapá vécuren t pai­s iblement dans leur retrai te pendant neuf ans .

1 1 0 8 . Mais le Gouvernement Brésilien ayant r endu , le 2 9 septembre 1 8 4 9 , u n décret d 'amnistie en faveur de ceux de ces individus qui en auraient besoin, — à condi­tion qu'i ls cont inuera ient à rés ider à M a p á ; et cette me­sure ayant coïncidé avec des préparatifs dans la station et l 'arsenal du Pará, pour une expédition et u n a rmement : on s'imagina à C a y e n n e , que ces préparatifs avaient pour but d'établir éga lement à Mapá u n e colonie militaire, tandis qu'i ls étaient rée l lement dest inés à la réparat ion du fort de Macapá, dont le dé labrement avait tant frappé M. L E SERREC.

1 1 0 9 . Dans sa fausse croyance, le gouverneur de Cayenne fit s ta t ionner immédia tement à l ' embouchure de la rivière de Mapá u n bât iment de guer re , qui exerçait la surveil lance la plus active sur les pirogues brés i l iennes allant commercer dans le lac. On les visitait, on fouillait leurs papiers , et on les faisait suivre jusqu 'à u n e certaine distance par des chaloupes armées .

1 1 1 0 . Gela produisi t , ent re le prés ident du P a r á et le gouverneur de C a y e n n e , u n e correspondance courtoise, mais très ferme de part et d 'autre , qui dura du 10 janvier au 3 0 mai 1 8 5 0 ; et dans laquelle M. JERONYMO FRANCISCO

COELHO, B r é s i l i e n recommandable , eut à combattre cette assert ion émise par M. PARISET le 1 E R avril :

« En parcourant les trai tés, on n ' en trouve qu 'un seul où l'on ait arrêté quelque chose de précis sur la contesta­tion provenant de l ' interprétat ion de l 'article 8 du traité d ' U t r e c h t ; c'est celui d ' A m i e n s , du 2 5 et 2 7 mars 1 8 0 2 .

« Ce traité donne pour l imite au terr i toire français, sans aucune ambiguï té , l ' A r a w a r i ou A r a g u a r i .

« Il est donc na ture l , bien que les trai tés postér ieurs aient mis en doute la just ice de la solution adoptée en 1 8 0 2 ,

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( 2 5 4 ) 1 2 E L E C T U R E § 1111

que nous n e puiss ions pas accepter, sur le territoire con­tes té , des l imites plus étroites que celles qui ont été admises à cette époque comme définitives.

« C 'es t là ce que la F r a n c e sout ien t ; et c'est év idem­m e n t dans ce sens qu 'a été rédigée la note de M. CUIZOT

du 5 jui l let 1 8 4 1 . »

1 1 1 1 . Mais le Gouvernement Brésilien fit faire ses

réc lamat ions auprès du Gouvernement França i s ; et le

2 4 août 1 8 5 0 , M. JOSÉ MARIA D O AMARAL, alors Chargé

d'Affaires à P a r i s , annonça au prés ident du Pará, « que

le Ministre des Affaires Ét rangères de la République lui

avait donné l ' assurance que les croiseurs français s 'étaient

déjà re t i rés de l ' embouchure de Mapá, et lui avait garant i

que le statu quo serait fidèlement observé. »

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§§ 1112-1121 12 e L E C T U R E ( 255 )

1112. Ce qui venai t de se passer donna cependant l 'éveil au Gouvernement de la Républ ique sur l ' importance de la quest ion de l ' O y a p o c .

1113. En recevant l 'ordre de respecter le statu quo, le gouverneur de C a y e n n e fut chargé d 'envoyer au dépar­tement de la mar ine et des colonies u n travail approfondi sur cette quest ion abs t ruse .

1114. La composit ion de ce travail fut confiée par le gouverneur à M . ALFRED D E SAINT-QUANTIN, chef de ba­taillon du génie , alors chargé à C a y e n n e du double ser­vice du génie et des ponts et chaus sées .

1115. Et pour la première fois, après tant d 'années , la question de l ' O y a p o c fut rée l lement trai tée à fond.

1116. BUACHE et M . L E SERREC s 'étaient fourvoyés dans l ' A m a z o n e .

1117. M . D E MONTRAVEL s'était at taché à l ' A r a g u a r i amazonien.

1118. Nul n 'avait essayé u n e démonst ra t ion des droits de la F r a n c e au Carapapori, — à la r ivière qui, de l 'aveu de M . L E SERREC, est le nec plus ultra des pré tent ions que le traité d ' U t r e c h t puisse permet t re à la F r a n c e .

1119. A part les deux a rguments solitaires que LA CONDAMINE et M . L E SERREC avaient produi ts , on n 'avai t jamais allégué en faveur du C a r a p a p o r i que de pures assert ions, parfois bien é t ranges , comme le Y a p o c de M . D E L A R U E , comme les deux degrés de lat i tude de M . L E

D U C D E V A L M Y .

1120. M . D E SAINT-QUANTIN eut la sagesse de p rendre pour thème le C a r a p a p o r i ; et il fournit au Gouverne­ment Français u n e œuvre de beaucoup de science et beau­coup de conscience, et d 'autant plus remarquable qu 'e l le fut accomplie en peu de mois .

1121. Son travail était t e rminé le 1 e r novembre 1850;

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( 2 5 6 ) 1 2 E L E C T U R E § § 1 1 2 2 - 1 1 2 5

et il fut adressé en 1 8 5 1 au dépar tement de la mar ine et des colonies sous ce t i t re : Recherches sur la fixation des limites de la Guyane Française et du Brésil, et sur quelques

questions qui s'y rattachent.

1 1 2 2 . Ainsi que MM. D E MONTRAVEL et L E S E R R E C ,

M. D E SAINT-QUANTIN proclame qu'il importe beaucoup à la F r a n c e de repousser l ' in terpréta t ion brés i l ienne du traité d ' U t r e c h t .

1 1 2 3 . Mais il s'y p rend au t r emen t . 1 1 2 4 . Il fait observer : que « le littoral sur lequel la

F r a n c e doit faire valoir ses jus tes droits de souvera ine té embrasse tout l 'espace compris ent re l ' embouchure de l ' O y a p o c k et celle de l ' A r a o u a r i , en considérant toutefois comme u n e bouche septent r ionale de ce dernier fleuve la r ivière V i n c e n t - P i n ç o n , qui se jet te dans la baie ou plu­tôt le canal du m ê m e nom ;

Que « l 'on ne compte pas moins de c inquante l ieues ent re l ' O y a p o c k et le V i n c e n t - P i n ç o n ;

Kl que, dans son développement vers l ' in tér ieur , la surface du terr i toire en litige « peut ê t re évaluée au cin­quième de celle de la F r a n c e . »

1 1 2 5 . Il rappelle que « cette contrée se divise comme presque toute la G u y a n e en trois zones dist inctes : 1° les alluvions récen tes , et les savanes noyées qui les su iven t ; 2 ° les plaines découver tes ou savanes sèches; 3 ° les terres boisées qui commencen t au pied des montagnes plus ou moins é levées , qui finissent par former u n massif ou grande chaîne dans l ' in té r ieur ;

Que « la zone in te rmédia i re du terr i toire contesté offre de vastes pâ turages , supér ieurs par leur qualité et leur é tendue à tout ce qu 'on rencont re dans les autres part ies de la G u y a n e ;

Et que « les lacs poissonneux du littoral et les lisières

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§ 1126 12 e L E C T U R E ( 257 )

boisées qui les en touren t peuvent donner asile aux popu­lations de l ' A m a z o n e qui voudraient chercher sur les terres françaises u n e véri table l iberté. »

1 1 2 6 . Il s 'attache tout spécialement à faire ressortir , en ces te rmes , une idée conçue par LEBLOND en 1 8 1 4 :

« L'on a sans doute toujours donné des raisons excel­lentes pour expliquer l ' insuccès des tentat ives périodiques d ' introduction de populat ions agricoles de race b lanche dans les contrées basses et marécageuses de l ' A m é r i q u e inter t ropicale; mais , tout en conservant le désir que ces nombreuses expériences ne prouvent r ien, on ne saurait non plus citer même u n e demi-réuss i te pour a t ténuer les conséquences fâcheuses que l'on est tenté de déduire de l ' issue invar iablement fatale qu 'ont eue toutes ces en t r e ­prises .

« Il est temps de placer la question de la G u y a n e à un point de vue nouveau , qui conduira peut-être à la création si désirée d 'une colonie française la rgement organisée dans l ' A m é r i q u e intertropicale.

« Nous voulons parler de la région montagneuse de l ' intér ieur dont la part ie la plus é tendue , et probablement la plus élevée, se t rouve comprise dans le territoire con­testé .

« Ici la quest ion de colonisation est vierge d'essais, et l 'on peut légi t imement concevoir des espérances de réussi te , parce que les exemples de succès ne manquen t pas dans les conditions analogues .

« La région montagneuse , r iche peut-être en minéraux précieux, l 'est cer ta inement par de vastes forêts na ture l les de cacaoyers et la product ion spontanée de substances qui pourraient être avantageusement exploitées.

« Tout indique que l 'on y rencontrera des plateaux élevés dont le climat frais et salubre permet t ra l 'établis­sement et l 'accroissement d 'une colonie d ' E u r o p é e n s .

« Cette colonie n 'aura pas à lut ter tout d 'abord contre 17

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( 2 5 8 ) 12E L E C T U R E § 1 1 2 7

les difficultés décourageantes que p résen te u n pays entiè­r emen t déser t , car ces régions sont encore couver tes de nombreuses peuplades ind igènes .

« Si l 'on réfléchit aux avantages incalculables qui résu l ten t pour u n e colonisation de la présence et du con­cours d 'une populat ion indigène , on comprendra qu 'on ne doit, à aucun prix, laisser passer aux mains des B r é s i ­l i e n s celles qui nous res tent encore après leurs dévasta­t ions sur le l i t toral . »

1 1 2 7 . Mais M. D E SAINT-QUANTIN donne toutefois à cet au t re motif u n e va leur p rédominan te :

« Un in térê t p lus sérieux s 'attache à la possession de cette contrée comme posit ion militaire et commerciale , car elle nous rapproche de l ' A m a z o n e et nous met en contact avec ses popula t ions . Il n 'es t pas besoin de développer les avantages qui découlent de cette considérat ion, nous dirons seu lement que la baie de Y i n c e n t - P i n ç o n et la r ivière de M a p á , malgré les courants violents qui s'y font sent i r , n e sont pas sujets au prororoca qui désole les te r res du Cap N o r d , et peuven t devenir en t re les mains d 'une nat ion indus t r ieuse u n e b o n n e rade et u n excellent port.

« La r ivière des A m a z o n e s et le réseau de ses affluents canal isent u n e région au moins égale en surface à la moitié de celle de l ' E u r o p e . Au Nord, elle c o m m u n i q u e directe­m e n t avec l ' O r é n o q u e ; au Sud, ses grands affluents t rouvent l eurs sources près de celles du R i o d e la P l a t a , à plus de 16° de leurs embouchures . L ' A m a z o n e rempl i ra donc u n jour , par rapport à l ' A m é r i q u e d u S u d , le rôle de la M é d i t e r r a n é e par rapport à l 'ancien m o n d e , et la possession d 'un terr i toire qui touche à ses bouches ne sau­rait être sans impor tance . »

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§ 1128 12 e L E C T U R E ( 2 5 9 )

1128. Pour démont re r les droits de la F r a n c e à ce précieux terr i toire , M. D E SAIXT-QUANTIN accumule de nombreux a rguments , qui ne perdront cer ta inement pas à être coordonnés comme il suit :

« L'article 8 du traité d ' U t r e c h t p résen te pour é lé­

ments de déterminat ion le nom de Terres du Cap-du-

Nord, et celui de Rivière de Japoc ou de Vincent Pinçon.

« Le premier de ces é léments n 'a r ien de douteux.

« Il est notoire que le Cap Nord est l 'extrémité Nord-Est de la peti te pén insu le circonscrite par l ' A m a z o n e , la branche mér id ionale du canal de Maracá, le G a r a p a p o r i et l ' A r a g u a r i .

« Donc les Terres du Cap-du-Nord ne peuvent être que cette pet i te péninsu le caractérisée par le Cap N o r d .

« Le bon sens suffit pour réfuter l ' idée que , sous la désignation de Terres du cap Nord, on a compris aussi les ter res du Cap d ' O r a n g e .

« Il ne serait pas moins é t range de dire que , sous le nom de terres du cap F i n i s t è r e , il faudrait comprendre en F r a n c e le cap de la H o u g u e et le dépar tement de la M a n c h e .

« Donc, les bornes septentr ionale et occidentale des T e r r e s d u C a p N o r d étant const i tuées par la branche méridionale du canal de Maracá et par la rivière de C a r a -p a p o r i , il est évident que cette branche du canal et cette r ivière sont le commencement de la limite mar i t ime st ipu­lée dans le traité d ' U t r e c h t .

« Japoc, i r réductible en Oyapoc, ressemblerai t plutôt au nom de Warypoco, appliqué par VAN K E U L E N au M a y a c a r é , ou encore mieux à Iiwaripoco, qui est le nom donné par KEYMIS, en 1 5 9 6 , à la totalité du canal de Maracá.

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( 260 ) 12 e L E C T U R E § 1128

« Mais dans le fait, c'est un nom inconnu , ne répon­dant à r ien.

« D'ailleurs, les négocia teurs du traité d ' U t r e c h t n 'a t ­tachaient à ce n o m qu 'une faible impor tance .

« Car dans les demandes du Roi de P o r t u g a l , p r é sen ­tées au congrès en 1712, on ne t rouve ni Japoc, n i r ien qui y ressemble , mais seu lement Rivière de Vincent

Pinçon.

« Et dans le trai té m ê m e , Japoc ne figure q u ' u n e seule fois, et encore accolé au n o m de V i n c e n t P i n ç o n ; tandis que le nom de Rivière de Vincent Pinçon y paraî t à deux

repr ises .

« C'est donc sur tout le n o m de V i n c e n t P i n ç o n qui caractér ise la r ivière l imite.

« Donc, a t t achons-nous à rechercher quelle est la r ivière qui doit por ter l ég i t imement le n o m de Vincent Pinçon.

« L'on ne peu t p rodui re aucune car te , aucun document an té r ieur à 1713, ayant date cer ta ine , qui donne à aucun des cours d 'eau qui découpent la côte de la G u y a n e le n o m de V i n c e n t P i n ç o n .

« Il y a près du c a p N o r d u n e baie qui portai t incon­tes tablement avant 1713 le n o m de V i n c e n t - P i n ç o n , et qui l 'a conservé jusqu ' à nos jou r s .

« Il est (donc) na ture l de chercher dans la baie de Vin­cent Pinçon la rivière de Vincent Pinçon.

« Or, la rivière pr incipale qui se j e t t e dans la baie de V i n c e n t P i n ç o n , c 'est-à-dire dans le canal de Maracá, appelé également canal de C a r a p a p o r i , c'est le Carapa­pori.

« Donc, la véri table r ivière de V i n c e n t P i n ç o n ne peut être que le Carapapori.

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§ 1128 12° L E C T U R E ( 261 )

« Et en effet, KEYMIS, mar in anglais , qui, en 1 5 9 0 ,

explora la côte de la G u y a n e depuis l ' A r a g u a r i de l 'Ama­

z o n e jusqu 'à la r ivière de C o r e n t y n , donne à la suite de

son récit une liste des r ivières de cette contrée et des

peuples qui les habitaient , en marquant , pour chaque

r ivière, l ' importance de son volume.

« Or, voici le commencement de cette liste :

« 1° Arowari, g rande r iv iè re ;

« 2° Iwaripoco, t rès g rande r ivière, habi tée par les

M a p u r w a n a s ;

« 3° Maipari, g rande r iv iè re ;

« 4° Caipurogh, g rande r iv iè re ;

« 5 ° Arcooa, g rande r iv ière ;

« 6" Wiapoco, g rande rivière ;

« 1" Wanari, g rande r iv ière ;

« 8° Capurwacka, g rande r ivière.

« Iwaripoco à part , il est évident que les autres r i ­

vières de cette liste sont l ' A r a g u a r i , le M a y a c a r é , le

C a c h i p o u r , le O u a s s a , l ' O y a p o c , le O u a n a r i et l 'Ap-

p r o u a g u e .

« Quelle peut donc être la r ivière Iwaripoco, s i tuée

ent re l ' A r a g u a r i et le M a y a c a r é , habitée par les I n d i e n s

Mapurwanas, et plus grande que l ' A r a g u a r i , que l 'Oya­

p o c , que l ' A p p r o u a g u e ?

« Ce ne peut être que le canal de Maracá, pris pour la

double embouchure d 'une r ivière dont le C a r a p a p o r i

serait le cours principal .

« Car ce n 'es t qu'ainsi que l ' I w a r i p o c o devient la plus

grande rivière de cette région.

« On reconnaî t ra , d 'ai l leurs, facilement dans les I n ­

d i e n s Mapurwanas qui habi taient l ' I w a r i p o c o la tr ibu

qui a laissé son nom au grand lac Maprouenne si tué sur

les ter res du c a p N o r d et dont le trop plein se déverse

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( 262 ) 12 e L E C T U R E § 1128

encore aujourd 'hui dans ce qui reste de la rivière de Cara-p a p o u r i .

« Or, à la sui te de la liste des r ivières donnée par KEYMIS, on r e m a r q u e cette phrase importante : « C'est aux envi rons d ' I w a r i p o c o que VINCENT PINÇON t rouva q u a n ­tité d ' émeraudes .

« Donc, le canal de C a r a p a p o r i , le canal où se je t te la r ivière de C a r a p a p o r i , fut découver t dans le voyage de VINCENT PINÇON, voyage dont KEYMIS avait év idemment une parfaite connaissance.

« Donc, le C a r a p a p o r i méri te l ég i t imement le nom de Rivière de Vincent Pinçon.

« Mais voici u n témoignage décisif : « De 1718 à 1722, le g o u v e r n e m e n t de M a r a g n a n et

G r a m Pará fut confié à u n officier actif et instrui t , nommé BERNARDO PEREIRA D E BERREDO. Pendan t le t emps de son adminis t ra t ion , il voulut acquérir u n e parfaite conna is ­sance du pays , et recueil l i t les é léments du grand travail qu' i l a publ ié sous le ti tre à'Annales historiques de l'État de

Maragnon. Remplacé par le capitaine généra l JoÀo D E MAÏA

D E GAMA, il l ' installa dans ses fonctions au Pará, en oc­tobre 1722. Puis , r en t r an t dans la vie pr ivée , il prolongea d 'une année son séjour dans cette vil le, afin d'y com­pléter ses recherches dans les archives locales.

« Pendan t ce t emps , son successeur s'occupait de faire re t rouver les anc iennes bornes de marbre qui , par ordre de CHARLES-QUINT, avaient été érigées aux limites des possessions du P o r t u g a l et de l ' E s p a g n e en A m é r i q u e . Le capitaine J. P A E S D O AMARAL fut chargé de la recherche de celle qui avait été placée sur la côte. Il la re t rouva en effet, et le constata p robablement par u n procès-verbal qu'i l dut produi re à son retour au Pará, en décembre 1723.

« Or, voici ce que dit BERREDO au sujet de la l imite,

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§ 1 1 2 8 12E L E C T U R E ( 2 6 3 )

dans ses Annales historiques, publ iées à L i s b o n n e en 1 7 1 9 :

« La côte se prolongeant de l'Est à l'Ouest pendan t la « longue distance de 4 5 5 l ieues, l 'Etat de M a r a g n o n se « t e rmine , ainsi que les possessions portugaises en A m é -

r i q u e , à la rivière de V i n c e n t P i n ç o n , que les F r a n ­ce ç a i s appellent W i a p o c , 1° 3 0 ' au Nord de l 'équateur .

« La m ê m e rivière sert aussi de limite aux possessions « espagnoles par une borne de marbre que fit ériger en « u n lieu élevé, près de son embouchure , l ' empereur « CHARLES-QUINT, selon le rapport de SIMON EUSTACHE D E

« S ILVEIRA, cité par frère MARCOS D E GUADALAXARA.

« Cette borne n 'étai t connue depuis plus d 'un siècle « que par les t radi t ions anciennes success ivement t rans­« mises . Elle a été découverte , en 1 7 2 3 , par João PAES

« D O AMARAL. capitaine d 'une des compagnies d'infanterie « de la garnison du Pará.

« Les F r a n ç a i s ne parv inren t à s'établir dans l'île « de C a y e n n e que par la force des a rmes , sous le C O M T E

« D ' E S T R É E S , le 1 9 décembre 1 6 7 9 ; comme il y avait déjà « soixante-un ans que la nat ion portugaise peuplait t r an -« qui l lement le grand pays de M a r a g n o n , il résul te clai-« r emen t de l 'existence de cette borne de CHARLES-QUINT,

« que la rivière de V i n c e n t P i n ç o n était la véri table « limite de cette nouvel le colonie française, au Nord de la « capitainerie du G r a m Pará. »

« La lat i tude indiquée pour l ' embouchure de la rivière de Vincent Pinçon la placerait préc isément à l 'endroit où la carte de D E L ' I S L E ( 1 7 0 3 ) place la baie de V i n c e n t P i n ç o n », — c'est-à-dire à l 'endroit du Carapapori.

« Il est tel lement incontestable que le C a r a p a p o r i est la véri table limite stipulée par le traité d ' U t r e c h t , que « il paraîtrait que les P o r t u g a i s s 'engagèrent vers 1 7 3 5 ou 1 7 3 6 à renoncer à leurs envahissements . Ce désis tement

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( 264 ) 12e L E C T U R E § 1128

des P o r t u g a i s en 1736 est formellement indiqué dans

u n e notice his tor ique fort bien faite, insérée dans l ' A l m a -

nach de la Guyane de 1821. »

« Il est t e l l ement incontes table que la limite d ' U t r e c h t est bien le C a r a p a p o r i , que les P o r t u g a i s ne récla­mèren t pas contre l 'occupation de la rive gauche de cette r ivière , ou de ses envi rons , pendan t près de quinze années consécut ives , de 1 7 7 7 à 1 7 9 2 .

« Mais le C a r a p a p o r i communique , ou du moins com­

muniqua i t avec l ' A r a g u a r i .

« Si l 'on peut ac tue l lement révoquer en doute cette

communica t ion , son existence dans les t emps anciens , et

encore b ien longtemps après le traité d ' U t r e c h t , est un

fait incontestable , p rouvé par le témoignage de nombreux

individus qui avaient péné t r é du C a r a p a p o r i dans l 'Ara ­

g u a r i sans qui t ter leurs p i rogues .

« LA BARRE en 1 6 6 6 , NICOLAS SANSON en 1 6 7 9 , D E L I S L E

en 1 7 0 3 , f iguraient l ' A r a g u a r i comme u n e espèce de

canal , débouchant , non-seu lement dans l ' A m a z o n e , au

Sud du Cap N o r d , mais encore au Nord de ce cap, à l ' en­

droit où se jet te le C a r a p a p o r i .

« Et m ê m e DUVAL en 1 6 6 4 , BLAEUW en 1 6 6 6 , ne fai­

saient déboucher l ' A r a g u a r i qu 'au Nord du C a p N o r d ,

vers la place du C a r a p a p o r i .

« Donc, anc i ennemen t , si ce n 'es t de nos jour s ,

l ' A r a g u a r i était u n e r ivière à double embouchure , embras­

sant dans son delta les te r res immédia tement adjacentes

au Cap N o r d , et ayant pou r b ranche Nord le C a r a p a p o r i ,

qui était m ê m e sa bouche pr incipale .

« Mais M. D E MONTRAVEL a démont ré que le lieu pré­cis du mouil lage amazonien de VINCENT PINÇON, de son

Page 41: L'Oyapoc et l'Amazone : question brésilienne et française. Tome premier

§ 1 1 2 8 12 e L E C T U R E ( 265 )

mouillage le plus remarquable , fut à l ' embouchure de

l ' A m a z o n e , devant l ' A r a g u a r i .

« L ' A r a g u a r i méri te donc à bon droit le nom de

Rivière de Vincent Pinçon.

« Donc, le nom de Vincent Pinçon appart ient légit i­

mement à la rivière de Carapapori, qui était u n e seconde

bouche de l ' A r a g u a r i , et m ê m e sa bouche principale.

« Donc, dans sa totalité, la véri table limite mari t ime

déterminée par l 'article 8 du traité d ' U t r e c h t est incon­

tes tablement celle-ci : la b ranche méridionale du canal de

C a r a p a p o r i , la r ivière de C a r a p a p o r i , et l ' A r a g u a r i .

« Mais, en bonne conscience, on ne doit pas s 'at tacher

à la let tre de l 'article 8 du traité d ' U t r e c h t ; puisque le

nom de Japoc n 'appar t ient à r ien, et que le n o m de Vin­

cent Pinçon est, en véri té , celui d 'une baie, et non pas

d 'une r ivière.

« Etudions donc l'esprit du traité d ' U t r e c h t , en com­

parant l 'ensemble de ce traité avec les st ipulations an té ­

r ieures .

« Et nous connaî t rons avec cert i tude, n o n - s e u l e m e n t

la limite mari t ime, mais encore les l imites in tér ieures

déterminées à U t r e c h t .

« Quelles étaient les stipulations que modifiait le traité

d ' U t r e c h t et celles du traité provisionnel du 4 mars 1700,

en vertu duquel le P o r t u g a l avait enfin reconnu l 'Ama­

z o n e et le R i o N e g r o pour nos l imites?

« Avant 1713 nous possédions, en ver tu d 'un traité

consenti par le P o r t u g a l , la rive gauche de l ' A m a z o n e

jusqu 'au R io N e g r o , et le droit de naviguer sur ce

fleuve.

« Le traité d ' U t r e c h t a eu pour but principal, et môme

pour but un ique , de laisser au P o r t u g a l la possession

exclusive de ce droit de navigat ion.

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( 2 6 6 ) 1 2 E L E C T U R E § 1 1 2 9

« On a dû p rend re , par conséquent , pour l imite (mari­time) le p remier g rand cours d 'eau hors de l ' embouchure du fleuve des A m a z o n e s .

« Ce cours d 'eau est j u s t e m e n t la b ranche méridio­nale du canal de C a r a p a p o r i et la r ivière de C a r a p a p o r i .

« Et comme il reste démont ré que le C a r a p a p o r i était alors u n e b ranche Nord de l ' A r a g u a r i , il en résul te la confirmation la plus solide de notre conclusion précé­dente : Que la vér i table l imite mar i t ime d ' U t r e c h t est const i tuée par la b ranche mér id ionale du canal de C a r a ­p a p o r i , la r ivière de C a r a p a p o r i et l ' A r a g u a r i .

« Le texte [du trai té d ' U t r e c h t ] ne désigne aucune délimitat ion à l ' in tér ieur , ce qui impl ique que r ien n 'a été changé de ce côté aux l imites an té r i eu remen t s t ipulées ou admises .

« Il est tout à fait impossible d 'admet t re q u ' u n traité sans st ipulation expresse implique l 'abandon de p lus de soixante l ieues de côtes mar i t imes et des trois quar ts de la superficie de not re anc ienne colonie.

« Donc, quoique la posi t ion de nos l imites à l ' in tér ieur n e soit pas définie, il résu l te de l 'esprit du traité d ' U t r e c h t que not re droit sur toutes les te r res qui ne forment pas la rive du fleuve des A m a z o n e s n ' e n est pas moins resté intact et cer tain : que nous avons conservé la propriété de tout le terr i toire où les affluents du Rio N e g r o et de l ' A m a z o n e cessent d 'ê tre navigables , et que ce principe doit s 'appliquer m ê m e à l ' A r a g u a r i ; car on ne saurait souteni r avec que lque raison qu 'en r enonçan t au droit de navigat ion sur l ' A m a z o n e et à la souvera ineté de sa rive gauche , nous avons al iéné tout le terr i toire baigné par ses affluents, m ê m e au delà des points où ces affluents cessent d 'être accessibles à la naviga t ion . »

1 1 2 9 . Après cette doublé a rgumenta t ion , M . D E SAINT-

QUANTIN s 'occupe des limites à proposer au Brésil.

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1 1 3 0 - 1 1 3 3 1 2 E L E C T U R E ( 2 6 7 )

1 1 3 0 . Il conseil le de « proposer au B r é s i l d 'aban­

donner la let tre du traité d ' U t r e c h t , qui est inintell igible,

pour ne s 'at tacher qu 'à res ter dans son esprit. »

1131. Il t rouve que « la l igne de l imites la plus équi­

table [pour la F r a n c e ] serait celle qui, par tant de l'em­

bouchure du Carapanatuba ou de l ' Y a r i , suivrait tou­

jours au tant que possible l ' équateur jusqu ' à sa rencont re

avec le R io B r a n c o . »

1 1 3 2 . Mais, par bienvei l lance envers le B r é s i l , il

s 'arrête à cette conclusion : « En res t re ignant autant que

possible nos pré tent ions , on doit considérer , comme indi­

quant le m i n i m u m de notre terr i toire incontestable, u n e

ligne qui, contournant le littoral de l ' A m a z o n e et du Rio

N e g r o , passerait par tous les points où les affluents de

ces fleuves cessent d 'être navigables . »

1 1 3 3 . Et, conformément à cette conclusion conci­

liatrice, M. D E SAINT-QUANTIN marque de cette maniè re ,

sur deux cartes , qui rappel lent celles de M. LESCALLIER en

1 7 9 1 et de M. TERNAUX en 1 8 4 3 , les l imites du terri toire

contesté :

Le mil ieu de la b ranche méridionale du canal de C a r a -

p a p o r i ;

Le mil ieu de la rivière de C a r a p a p o r i ;

Le mil ieu de la crique C a r a p a p o r i ;

Le milieu du lac M a p r o e n n e ;

Le milieu du Rio Tapado;

Le milieu de l ' A r a g u a r i , depuis Rio Tapado jusqu 'à

sa première c h u t e ;

Une l igne br isée , par tant de la première chute de

l ' A r a g u a r i , — contournant , à des distances variables,

l ' A m a z o n e , le R io N e g r o , et le B io B r a n c o , jusqu 'à u n

affluent de cette dernière rivière par la lati tude de près de

deux degrés Nord, — et portant cette légende : « Ligne

à t racer en passant par les points où les cours d'eau

cessent d'être navigables ; »

Page 44: L'Oyapoc et l'Amazone : question brésilienne et française. Tome premier

( 268 ) 12e L E C T U R E §§ 1134-1138

La chaîne A c a r a y et T u m u c u m a q u e ; Et l ' O y a p o c .

1134. Mais cela serait encore u n avantage immense accordé au B r é s i l ; car M. D E SAINT-QUANTIN ajoute : « Je n 'ai compris la r ive gauche du R i o N e g r o , dans le terr i ­toire contes té , que ju squ ' au R i o B r a n c o ; mais si l 'on s 'en t ient au texte précis du trai té d ' U t r e c h t , il n 'y aurait aucune raison pour n e pas suivre ce dern ie r fleuve j u s ­qu 'aux limites co lombiennes . »

1135. Et à la fin, emporté par la fougue de ses raison­n e m e n t s , M. D E SAINT-QUANTIN lance au B r é s i l cette menace : « Si nos adversa i res ne consen ten t pas u n traité nouveau formulé c la i rement , et basé sur des concessions équitables et réc iproques , on jugera peu t -ê t re que le m o m e n t est v e n u où, rappelant enfin ses droits trop long­temps négl igés , la F r a n c e devra sommer le B r é s i l d 'éva­cuer la rive gauche du R i o B r a n c o et du R io N e g r o , et p rendre des mesu re s sér ieuses pour arr iver à leur occu­pat ion. »

1136. Heu reusemen t pour le B r é s i l , les bases de l ' a rgumenta t ion de M. D E SAINT-QUANTIN ne sont pas auss i solides que le ferait croire le ton qu'i l p rend .

1137. M. D E SAINT-QUANTIN adopte l ' ancienne idée de M. D E CHARANVILLE sur le sens res t re in t du mot Cap Nord,

et il bafoue ceux qui é t enden t les t e r res du C a p N o r d ju squ ' au Cap d ' O r a n g e .

1138. Mais, — sans qu' i l soit besoin de l ivres qui ne se t rouven t pas clans la G u y a n e F r a n ç a i s e , — M. D E SAINT-QUANTIN cite l u i -même , dans la table des ouvrages qu'i l a consul tés , celui que B I E T publ ia en 1664 sous le

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1 1 3 9 - 1 1 4 5 1 2 E L E C T U R E ( 2 6 9 )

t i tre de « Voyage de la France Equinoxiale, en l ' I s l e de

Cayenne. »

1 1 3 9 . Et B I E T a dit dans sa préface : « Toute la F r a n c e a esté dans l 'a t tente du succez de la généreuse entrepr ise d 'une Colonie Françoise dans cette partie de l ' A m é r i q u e , que l 'on appelle Cap-de-Nord, en l ' I s l e d e C a y e n n e , si tuée au quat r ième degré deux t iers de l 'Equateur . »

1 1 4 0 . Et il a mis cet en- tê te à chacun des trois l ivres dont se compose son ouvrage : « Récit véri table de ce qui s'est passé au voyage ent repr is par les F r a n ç o i s en la partie de l ' A m é r i q u e M é r i d i o n a l e appellée Cap-de-Nord, en l ' I s l e d e C a y e n n e , l 'an 1 6 5 2 . »

1141. Et les premiers mots de son livre troisième sont ceux-ci : « Personne n ' a iamais parlé jusqu ' à présent auec cer t i tude, ny auec la pure véri té , de cette part ie de l ' A m é ­r i q u e qui est appellée C ap-de-Nord, & que nous appelions France Equinoxiale... »

1 1 4 2 . M. D E SAINT-QUANTIN n ie la possibilité de réduire à Oyapoc le mot Japoc; il trouverait m ê m e plus faisable de le réduire à Warypoco, ou bien encore Ywaripoco.

1 1 4 3 . Mais nous avons vu que le traité d ' U t r e c h t fut rédigé par les plénipotent ia i res de P o r t u g a l ( 2 6 2 - 2 9 8 ) :

que Japoc était la forme portugaise de Yapoc ( 2 9 9 - 3 0 6 ) : et qu 'avant le traité d ' U t r e c h t , Yapoc avait été plus souvent employé qu'Oyapoc, pour désigner exclusivement la rivière du Cap d ' O r a n g e ( 3 1 0 - 3 1 4 ) .

1 1 4 4 . Nous avons appuyé ce dernier fait d 'un grand nombre de bonnes autori tés françaises.

1 1 4 5 . Et M. D E SAINT-QUANTIN lu i -même, dans u n e liste qu'il donne des variations du nom indien de la rivière du Cap d ' O r a n g e an tér ieurement à 1 7 1 3 , n 'exhibe qu 'une seule fois Oyapoc (dans FROGER, en 1 6 9 9 ) , tandis qu'il donne deux fois Yapoco : l 'une sur la carte de D E L I S L E de 1 7 0 3 , l 'autre chez u n grave écrivain qu'il nous fait connaî t re

Page 46: L'Oyapoc et l'Amazone : question brésilienne et française. Tome premier

( 2 7 0 ) 12E L E C T U R E § § 1 1 4 6 - 1 1 5 2

le p remie r et qui est P I E R R E D ' A V I T Y , dans son grand ouvrage publ ié en 1 6 3 7 sous le ti tre de Le Monde.

1 1 4 6 . M . D E SAINT-QUANTIN se fait u n a rgument de ce que le nom ind ien de la r ivière l imite n ' a pas figuré en 1 7 1 2 dans les Demandes du Roi de P o r t u g a l , et qu'il n 'a paru qu 'une seule fois dans le Traité d ' U t r e c h t , et encore accolé à celui de Vincent Pinçon.

1 1 4 7 . Mais c'est que les demandes du P o r t u g a l furent rédigées par u n P o r t u g a i s , et le Traité d ' U t r e c h t par deux P o r t u g a i s ; et qu 'en P o r t u g a l , comme en E s p a g n e , on n 'appelai t la r ivière du Cap d ' O r a n g e que du nom du découvreur espagnol .

1 1 4 8 . M. D E SAINT-QUANTIN assure qui; « l 'on ne peut produire aucune carte , aucun document an tér ieur à 1 7 1 3 , ayant date cer ta ine , qui donne à aucun des cours d'eau qui découpent la côte de la G u y a n e le nom de V i n c e n t P i n ç o n . »

1 1 4 9 . Mais déjà BUACHE avait dit en 1 7 9 7 : « Nous ne diss imulerons pas que les car tes anc iennes , qui ont repré­senté p resque toutes la r ivière de V i n c e n t P i n ç o n , ne s 'accordent pas sur la posi t ion qu 'e l les ass ignent à cette r iv ière , et que p lus ieurs m ê m e , dont les au teurs sont géné­ra lement es t imés , la p lacent au milieu de la côte de la G u y a n e . »

1 1 5 0 . Et BUACHE avait ra ison. 1 1 5 1 . Car u n grand nombre de géographes d 'une

réputa t ion universe l le , — dans des cartes por tant des dates cer ta ines , — ont placé sur la côte de la G u y a n e , loin du Cap N o r d , u n grand cours d 'eau sous le nom de Rivière de Vincent Pinçon.

1 1 5 2 . Ce sont , pour le moins : L'i l lustre GÉRARD MERCATOR, en 1 5 6 9 , dans sa grande

carte mar ine , m a l h e u r e u s e m e n t trop peu connue ;

Page 47: L'Oyapoc et l'Amazone : question brésilienne et française. Tome premier

§ § 1 1 5 3 - 1 1 5 6 1 2 E L E C T U R E ( 2 7 1 )

L' i l lus t re ORTE L IU S , en 1 5 7 0 , 1 5 7 1 , 1 5 7 2 , 1 5 7 3 , 1 5 7 4 ,

1 5 7 9 , 1 5 8 1 , 1 5 8 7 , 1 5 9 2 , e tc . ;

THEVET, cosmographe du Roi de F r a n c e , en 1 5 7 5 ;

RUMOLDUS MERCATOR, en 1 5 8 7 ;

DE BRY, en 1 5 9 2 et 1 5 9 6 ;

PLANCIUS, en 1 5 9 4 ;

MICHAEL MERCATOR, en 1 5 9 5 ;

VAN LANGREN, en 1 5 9 6 , 1 5 9 8 , 1 5 9 9 , 1 6 1 0 ;

W Y T F L I E T , en 1 5 9 7 , 1 5 9 8 , 1 6 0 3 , 161 I ;

Jodocus HONDIUS, en 1 6 0 2 .

1 1 5 3 . Le nom de Vincent Pinçon, appliqué à une grande rivière du littoral océanique de la G u y a n e , n 'a commencé à disparaître de la géographie qu 'au xvi i e siècle, après que les précieux recueils de HAKLUYT et PURCHAS,

et de leur t raducteur D E BRY, eurent r épandu les relat ions de R A L E I G H , KEYMIS, MASHAM, L E I G H , W I L S O N , et HARcouRT, qui rendi ren t aux rivières de la G u y a n e leurs noms indiens.

1 1 5 4 . M. D E SAINT-QUANTIN invoque le témoignage de KEYMIS, pour mont re r que le canal de C a r a p a p o r i , n o m m é Iwaripoco par l 'explorateur anglais, avait été visité par VINCENT PINÇON, — si bien que VINCENT PINÇON y avait trouvé quant i té d 'émeraudes .

1 1 5 5 . Ces émeraudes que M . D E SAINT-QUANTIN n 'a vues chez aucun autre écrivain que KEYMIS, et l 'assurance avec laquelle KEYMIS affirme qu'el les furent t rouvées par VINCENT PINÇON sur le canal de C a r a p a p o r i , ont donné à M. D E SAINT-QUANTIN la conviction que l 'explorateur anglais avait év idemment u n e parfaite connaissance du voyage du découvreur espagnol .

1 1 5 6 . Mais, pour ce qui est de la découver te de ces p ré tendues émeraudes (qui, ainsi que M. D E SAINT-QUANTIN

en fait la r emarque , « étaient des morceaux de jade fort est imés des I n d i e n s , et que» les premiers explorateurs

Page 48: L'Oyapoc et l'Amazone : question brésilienne et française. Tome premier

( 2 7 2 ) 1 2 E L E C T U R E § § 1 1 5 7 - 1 1 6 4

pr i ren t pour des p ier res précieuses »), KEYMIS en était tout b o n n e m e n t informé par le recueil t rès r épandu de GRYNOEUS, qui avait reprodui t le récit du voyage de VINCENT

PINÇON par ANGHIERA.

1 1 5 7 . Pour ce qui est de l 'assurance de KEYMIS, quand il dit que ce fut sur le canal de C a r a p a p o r i que VINCENT

PINÇON t rouva ces émeraudes , M . D E SAINT-QUANTIN avoue l u i -même que , « à défaut de la relat ion originale publ iée à L o n d r e s en 1 5 9 6 et r é impr imée en 1 5 9 9 dans la collec­tion de HACKLUYT, il fut cont ra in t de se servir de la t raduc­t ion qui se t rouve à la suite des voyages de CORRÉAL . »

1 1 5 8 . Or cette t raduc t ion française est infidèle, p lus infidèle môme que la mauvaise t raduct ion lat ine de D E BRY, sur laquel le elle fut faite.

1 1 5 9 . KEYMIS n ' a point affirmé; il n ' a émis q u ' u n e supposi t ion.

1 1 6 0 . Car son texte anglais , dans u n e note à la r ivière Iwaripoco, est celui-ci : « Here it was as it seemeth , that VINCENT PINÇON the S p a n i a r d had his Emera ld s» ; «ce fut ici, à ce qu'il semble, que l ' E s p a g n o l VINCENT PINÇON se procura ses émeraudes . »

1 1 6 1 . Et si l 'on reche rche le fondement de la suppo­sition de KEYMIS, on t rouve que ce n 'es t aut re chose qu ' une fausse in terpré ta t ion des pr incipales cartes qui marquen t sur la côte de la G u y a n e la r ivière de V i n c e n t P i n ç o n .

1 1 6 2 . Ne connaissant aucune de ces car tes , M . D E SAINT-QUANTIN ne pouvai t se r end re compte du dire de KEYMIS .

1 1 6 3 . Nous sommes donc r amenés à l ' a rgument de LA CONDAMINE, que nous avons promis d 'examiner dans la qua t r i ème part ie de ce travai l .

1 1 6 4 . M . D E SAINT-QUANTIN croit à u n désis tement des P o r t u g a i s vers l ' année 1 7 3 6 ; et il se fonde sur l ' A l m a -nach de la Guyane de 1 8 2 1 .

Page 49: L'Oyapoc et l'Amazone : question brésilienne et française. Tome premier

§ § 1 1 6 5 - 1 1 7 1 12E L E C T U R E ( 2 7 3 )

1 1 6 5 . Mais M. D E SAINT-QUANTIN lu i -même, avec la

bonne foi qui le dis t ingue, avoue que « ma lheu reusemen t

l 'auteur, contre son habi tude , n 'a point indiqué la source

où il a puisé ce fait sur lequel on n 'a pu se procurer à

C a y e n n e aucun éclaircissement. »

1 1 6 6 . Et la source où a puisé l ' A l m a n a c h de la

Guyane ne peut être que cette asser t ion de BUACHE, à

propos du traité de 1 7 9 7 : « Les P o r t u g a i s r enoncen t

aujourd 'hui formellement à une partie de cette possession,

qu'ils étaient convenus d 'abandonner dès 1 7 3 6 . »

1 1 6 7 . Et BUACHE n ' a pu puiser à une autre source que

la let tre écrite par un gouverneur du Pará à u n gouver­

neur de C a y e n n e le 1 5 octobre 1 7 3 2 , dont nous avons

déjà vu les détails ( 3 6 8 - 3 7 3 ) .

1 1 6 8 . Mais nous avons vu aussi ( 374 ) que , mieux

informé, le gouverneur portugais ret ira sa let tre le 2 no­

vembre 1 7 3 3 .

1 1 6 9 . M. D E SAINT-QUANTIN se prévaut du silence du

P o r t u g a l pendan t la longue existence des postes établis

par M. MALOUET et par le B A R O N D E BESSNER au voisinage

de l ' A m a z o n e .

1 1 7 0 . Mais nous avons déjà vu ( 4 8 9 , 5 4 2 - 5 4 6 ) que , si

le P o r t u g a l tarda à protester contre cette occupation du

terri toire au Sud de l ' O y a p o c , c'est qu'elle fut faite à son

insu , dans des parages déserts jusqu 'a lors , et pendan t que

son at tention était sé r ieusement at t irée, tantôt vers le Sud

du B r é s i l , tantôt vers l 'Ouest.

1 1 7 1 . M. D E SAINT-QUANTIN assure qu ' anc iennement ,

si ce n 'es t de nos jours , l ' A r a g u a r i était u n e rivière à

double embouchure , embrassant dans son delta les ter res

immédia tement adjacentes au C a p N o r d , et ayant pour

branche Nord le Carapapori, qui était même d'abord sa

bouche principale. 18

Page 50: L'Oyapoc et l'Amazone : question brésilienne et française. Tome premier

( 2 7 4 ) 1 2 E L E C T U R E § § 1 1 7 2 - 1 1 7 6

1 1 7 2 . M. D E SAINT-QUANTIN se fonde sur ce double fait : 1° Que les anc iennes cartes f iguraient l ' A r a g u a r i ,

tantôt comme un canal jo ignant l ' A m a z o n e à la baie de C a r a p a p o r i , tantôt comme u n e rivière ne débouchan t que dans la baie de C a r a p a p o r i ;

2° Qu'autrefois, si ce n 'es t de nos jour s , le C a r a p a ­p o r i communiqua i t rée l lement avec l ' A r a g u a r i .

1 1 7 3 . Et il en conclut que la vraie l imite mar i t ime st ipulée à U t r e c h t doit être formée par la b ranche méri­dionale du canal de C a r a p a p o r i , la r ivière de C a r a p a ­p o r i , et l ' A r a g u a r i .

1 1 7 4 . Mais nous avons déjà vu ( 3 9 5 - 4 1 5 ) , que la con­figuration de l ' A r a g u a r i comme u n e r ivière à double em­bouchure , embrassan t dans son delta les te r res immédia­t emen t adjacentes au C a p N o r d , fut inven tée par LA CON-D A M I N E en 1 7 4 5 , sur la combinaison de la vér i table rivière d ' A r a g u a r i , dont il venai t d ' apprendre le cours , avec u n faux canal d ' A r a g u a r i admis depuis longtemps par tous les géographes : que ce canal d ' A r a g u a r i fut inventé par D E L A E T en 1 6 3 0 , sur la combinaison du vér i ­table A r a g u a r i amazonien , dont il n e connaissai t que l ' embouchure , avec u n faux A r a g u a r i extra-amazonien : que cet A r a g u a r i extra-amazonien fut inventé par JODO-

cus HONDIUS en 1 5 9 8 , sur u n e fausse in terpréta t ion du texte de KEYMIS, et ma in t enu ensui te sur u n e fausse in terpré ta t ion du texte de HARCOURT : et que ces fausses in terpré ta t ions consis ta ient à croire que , en plaçant l 'Ara­g u a r i sur la m e r , les deux explorateurs anglais le pla­çaient au Nord du C a p N o r d .

1 1 7 5 . Et nous allons voir ma in tenan t , par l 'é tude des textes de KEYMIS et HARCOURT, que cette croyance était r ée l lement fausse.

1 1 7 6 . KEYMIS, qui at terr i t devan t l ' embouchure de l ' A r a g u a r i e n 1 5 9 6 , nous fournit les données su ivantes ,

Page 51: L'Oyapoc et l'Amazone : question brésilienne et française. Tome premier

§ § 1 1 7 7 - 1 1 8 0 1 2 E L E C T U R E ( 275 )

que l'on t rouve dans HAKLUYT, vo lume III, pages 6 7 2 - 6 7 3 :

« Le 1 2 mars nous sondâmes à minui t nous

ancrâmes Le 1 4 , vers la nui t , à environ six l ieues de

la côte, nous aperçûmes u n e terre basse au fond d 'une

baie

Le premier endroit où nous ancrâmes fut à l 'embou­

chure de l ' A r r o w a r i , belle et grande r ivière, par la lati­

tude d 'un degré quaran te minu te s . . . Quand nous arr i ­

vâmes à la pointe Nord de cette baie (que nous appelâmes

Cap Cecyl) nous v îmes deux hautes montagnes , ressem­

blant à deux îles, mais appar tenant rée l lement à la terre

ferme. Dans cet espace , qui est d 'environ 6 0 l ieues au

N. N. 0 . , il se je t te dans la mer p lus ieurs grandes r ivières,

qui sont Arrowari, I w a r i p o c o , M a i p a r i , C o a n a w i n i ,

G a i p u r o g h . . . Cette seconde baie s 'é tend environ t rente

l ieues vers l 'Ouest, et renferme les rivières A r c o o a , W i a -

p o c o , W a n a r y , C a p a r w a c k a , G a w o , C a i a n , W i a , Ma-

c u r i a , C a w r o o r , G u r a s s a w i n i . »

1 1 7 7 . Non-seulement KEYMIS fait explici tement débou­

cher l ' A r a g u a r i dans la mer, et non dans l ' A m a z o n e ;

mais on dirait m ê m e qu'il le place dans sa première baie,

c 'est-à-dire ent re le Cap N o r d et le Cap d ' O r a n g e , par

lui appelé Cap C e c y l ; car il ne n o m m e l ' A r a g u a r i qu 'en

par lant de cette baie .

1 1 7 8 . Mais KEYMIS, qui faisait son exploration du Sud

au Nord, déclare qu'i l ne rencont ra cette g rande baie que

le 1 4 vers la nui t , et qu'il avait déjà ancré dans la nui t du

1 2 au 1 3 .

1 1 7 9 . C'est donc à ce mouil lage de la nui t du 1 2 au

1 3 mars que se rappor tent ces paroles u l tér ieures de

KEYMIS, glissées par le bon mar in dans u n e place indue :

« Le premier endroi t où nous ancrâmes fut à l ' embou­

chure de l'Arrowari. »

1 1 8 0 . L ' A r a g u a r i de KEYMIS était donc au Sud de

sa première baie.

Page 52: L'Oyapoc et l'Amazone : question brésilienne et française. Tome premier

( 2 7 6 )

1 1 8 1 .

12 e L E C T U R E §§ 1181-1185

Donc, il était au Sud du Cap N o r d .

1 1 8 2 . HARCOURT rappor te qu'i l atterri t , le xi mai 1 6 0 8 ,

à l 'Est de la pointe ext rême du bord guyanais de l ' A m a ­z o n e .

1183. Il ajoute : « La branche occidentale de la r i ­vière des A m a z o n e s , qui se jet te dans la mer, est appelée Arrapoco... Au Nord d ' A r r a p o c o est la r ivière Arrawari, qui est u n e belle r iv ière . »

1184. Et il répète plus loin : « Ent re la r ivière des A m a z o n e s et la baie de W i a p o c o , il se je t t e dans la mer les rivières su ivan tes : A r r a p o c o , qui est u n e b ranche de l ' A m a z o n e , Arrawary, M i c a r y , G o n a w i n i , C a s s i -p u r o g h . »

1 1 8 5 . Mais ensu i te , en r endan t compte d 'une g rande exploration du cours de l ' A r a g u a r i , faite par son frère MICHAEL HARCOURT et par le capitaine HARVEY, res tés à l ' O y a p o c après son départ de la colonie qu' i l y avait fondée, ROBERT HARCOURT nous fournit l u i -même ces deux passages , qui se t rouvent dans PURCHAS, tome IV, page 1 2 7 8 :

« En y allant, ils couru ren t des dangers horr ib les , à cause des br isants de la m e r sur les bancs et les bas-fonds, par t icul ièrement devant le g rand cap qui est au Nord de l ' A r r a w a r y , et que , pour cette ra ison, ils n o m m è r e n t Pointe Périlleuse.

« A leur r e tour , arr ivés à cer ta ines îles appelées Carri-papoory, et voulant à toute force passer entr 'e l les et la terre ferme, malgré l 'opposition des I n d i e n s , qui , connais­sant les dangers de ce parage , les en dissuadaient , plutôt par intérêt pour le salut des nôt res que pour le leur propre (car ce sont d 'excellents nageurs) , ils r encon t rè ren t une telle barre (comme disent les marins) , une telle violence de deux courants opposés, — semblables à deux bél iers ou à deux taureaux en courroux, se précipi tant l 'un sur l ' aut re , reculant souvent pour s'assaillir avec p lus de fureur, j u s -

Page 53: L'Oyapoc et l'Amazone : question brésilienne et française. Tome premier

§ § 1 1 8 6 - 1 1 9 1 1 2 E LECTURE ( 2 7 7 )

(*) Voir la c a r t e de la G u y a n e , p a r GABRIEL TATTON, 1608.

qu'à ce que l 'un ait terrassé l 'autre, — que , si (après Dieu) les efforts des I n d i e n s ne les eussent sauvés , ils y auraient tous été détrui ts . »

1186. On ne saurait mieux caractériser le C a p N o r d cont inental et le canal de C a r a p a p o r i (*).

1187. Donc, les premiers explorateurs qui nous ont fait connaî t re l ' A r a g u a r i ne lui connaissaient qu 'une seule bouche , laquelle se trouvait , comme aujourd 'hui , au Sud du canal du C a r a p a p o r i , et au Sud du Cap N o r d cont inental .

1188. Donc, l ' A r a g u a r i extra-amazonien, la p ré tendue branche Nord de l ' A r a g u a r i , est u n e créat ion des car to­graphes, qui n 'ont pas considéré que pour KEYMIS et pour HARCOURT le bord guyanais de l ' A m a z o n e finissait à Ponta Grossa, c 'est-à-dire à l 'extrémité septentr ionale de la branche occidentale de l ' A m a z o n e , formée par le groupe des îles B a i l i q u e et par le cont inent , et alors nommée par les I n d i e n s Arrapoco, ou plutôt Arapoco.

1 1 8 9 . Ni KEYMIS ni HARCOURT n 'ont eu connaissance de la rivière de C a r a p a p o r i .

L ' I w a r i p o c o de KEYMIS n 'é tai t que le canal de C a r a ­p a p o r i .

KEYMIS, qui n ' en t ra pas dans ce canal , le prit pour une r ivière.

Mais HARCOURT, qui savait ce qu'i l en était, supprima dans toutes ses listes de rivières la pré tendue r ivière d ' I w a r i p o c o .

1 1 9 0 . La rivière de C a r a p a p o r i existait cependant . 1 1 9 1 . Et, quoique les explorations d'ABREu en 1 7 9 1 ,

de M. PENAUD en 1 8 3 6 , et de M. PEYRON en 1 8 5 7 , me t t en t hors de doute que , depuis longtemps , le C a r a p a p o r i ne communique plus avec l ' A r a g u a r i , i l est incontestable que

Page 54: L'Oyapoc et l'Amazone : question brésilienne et française. Tome premier

( 278 ) 12° L E C T U R E §§ 1192-1199

ces deux r ivières étaient liées autrefois, n o n - s e u l e m e n t par u n e , mais par deux communica t ions . Car cela est posi­t ivement at testé par A B R E U , officier brési l ien, comme exis­tant encore vers l ' année 1760.

1192. L 'une de ces communica t ions se faisait par la cr ique G a r a p a p o r i , le lac M a p r o e n n e , et la cr ique U r u b u , to ta lement obst ruée dès avant 1791, et connue depuis lors sous le nom portugais de Rio Tapado, c 'est-à-dire r ivière bouchée .

1193. L'autre communica t ion , qui était la plus éloi­gnée de la mer , avait lieu par la M a n a y e , la crique Ara-g u a r i , éga lement obst ruée dès avant 1791, le lac O n ç a -p o y e n n e ( o u lago d'El Rei), et la crique M a y a c a r é , qu'il ne faut pas confondre avec la r ivière du m ê m e nom.

1194. Mais il ne suffit pas que le C a r a p a p o r i et l ' A r a g u a r i a ient communiqué ensemble .

1195. Le point essent ie l est ici le comment.

1196. Pour faire du C a r a p a p o r i une b ranche de l ' A r a g u a r i , il faudrait p rouver que la cr ique U r u b u et la cr ique M a y a c a r é coulaient , et coulaient cons tamment , de l ' A r a g u a r i vers le G a r a p a p o r i .

1197. Si ces deux cr iques n 'é ta ient que des marigots, allant et venan t au gré des ven t s , ce serait assez pour que le C a r a p a p o r i dût être considéré comme distinct de l ' A r a g u a r i .

1198. Mais c o m m e n t constater la direction des eaux de la cr ique U r u b u , to ta lement bouchée depuis plus de 80 ans?

1199. Par l 'analogie de la cr ique M a y a c a r é ; et en­core par l 'analogie de la cr ique P i r a t u b a , tout près du Cap N o r d .

Page 55: L'Oyapoc et l'Amazone : question brésilienne et française. Tome premier

§ § 1 2 0 0 - 1 2 0 6 1 2 E L E C T U R E ( 2 7 9 )

1 2 0 0 . La crique M a y a c a r é coule du lac O n ç a -p o y e n n e dans la rivière d ' A r a g u a r i .

1 2 0 1 . Car ABREU, qui, en avril 1 7 9 1 , explora en détail les deux bords de l ' A r a g u a r i jusqu 'à sa première chute , et qui péné t ra dans le lac O n ç a p o y e n n e par la crique M a y a c a r é , a consigné dans son journa l ces deux faits :

« 1 8 avril. Nous part îmes de l ' embouchure de cette crique à hui t heures du matin, et nous mîmes toute la journée et toute la nui t à nous rendre au lac. »

« 2 3 avril . Nous par t îmes du lac à six heures du mat in , et nous ét ions de re tour à l ' embouchure de la crique à neuf heures du soir, dans moins de temps qu 'en y allant, parce que le courant qui sort du lac favorise beaucoup le

voyage. »

1 2 0 2 . La petite r ivière Piratuba r épond exactement à la crique M a y a c a r é et à l 'ancienne crique U r u b u : elle joint l ' A m a z o n e à un lac central , qu 'une autre crique ra t tache, à son tour, au canal de C a r a p a p o r i .

1 2 0 3 . Eh bien, ABREU a exploré aussi le P i r a t u b a ; et en allant de l ' A m a z o n e vers le lac, il dit qu'il remonte le P i r a t u b a ; et en re tournant du lac à l ' A m a z o n e , il dit qu'il descend le P i r a t u b a .

1 2 0 4 . Or, puisque la crique M a y a c a r é et le P i r a t u b a coulent du Nord au Sud, on doit inférer qu'il en était de m ê m e du Rio Tapado, leur congénère .

1 2 0 5 . Nous avions donc raison d'affirmer (§ 5 7 3 ) que les anc iennes communicat ions du C a r a p a p o r i avec l ' A r a ­g u a r i ne se faisaient point par le déversement des eaux de l ' A r a g u a r i dans le C a r a p a p o r i ; que chacune de ces communicat ions avait u n point de par tage, qui était un lac : et que chacun de ces lacs se déchargeait dans ces deux r ivières par deux dégorgeoirs opposés, l 'un coulant vers le Nord, l 'autre coulant vers le Sud.

1 2 0 6 . Nous avions donc raison d'affirmer (§ 5 7 4 ) q u e , malgré leur double communicat ion, l ' A r a g u a r i et le "Vin-

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( 2 8 0 ) 1 2 E L E C T U R E § § 1 2 0 7 - 1 2 1 1

c e n t P i n ç o n de LA CONDAMINE é taient plus indépen­dants en t re eux que la rivière d ' O y a c et la r ivière de C a y e n n e , que l ' O r é n o q u e et le Rio N e g r o .

1 2 0 7 . Donc, quand b ien m ê m e le C a r a p a p o r i se trou­verait être le V i n c e n t P i n ç o n du traité d ' U t r e c h t , tou­jours serait-il impossible de lui donne r pour cont inuat ion l ' A r a g u a r i .

1 2 0 8 . Renfermée dans le cercle du licite, la p r é t en ­tion française sur le l i t toral doit donc avoir pour max imum la Manaye, qui est la seule cont inuat ion du G a r a p a p o r i .

1 2 0 9 . Passons au grand a rgument de M . D E S A I N T -

Q U A N T I N , à celui qu'i l base sur l'esprit du traité d ' U t r e c h t . 1 2 1 0 . Ce grand a rgumen t est le per fec t ionnement

raffiné d 'une idée émise en 1 7 8 0 par l 'abbé R A Y N A L , et déjà exploitée en 1 7 9 7 par M . L E S C A L L I E R et en 1 8 4 3 par M . L E BARON R O U E N .

1 2 1 1 . R A Y N A L avait dit : « L ' A m a z o n e fut autrefois incontes tab lement la borne des possessions Françoises , pu i sque , par u n e convent ion du 4 mars 1 7 0 0 , les P o r t u ­g a i s s 'obligèrent à démoli r les forts qu' i ls avoient élevés sur la r ive gauche de cette r ivière . A la paix d ' U t r e c h t , la F r a n c e , qui recevoit la loi, fut forcée de céder la nav i ­gation de ce fleuve avec les te r res qui s ' é tendent ju squ ' à la r ivière de V i n c e n t P i n ç o n , ou de l ' O y a p o c k . Lorsque le t ems fut v e n u d 'exécuter le t ra i té , il se t rouva que ces deux noms employés comme synonymes désignoient dans le pays , ainsi que sur les anc iennes cartes , deux r ivières éloignées l 'une de l 'autre de t ren te l ieues . Chacune des deux Cours voulut t ou rne r cette e r reur à son avantage ; celle de L i s b o n n e s 'é tendre ju squ ' à l ' O y a p o c k , et celle de V e r s a i l l e s ju squ ' à V i n c e n t P i n ç o n . On ne pu t convenir de r ien ; et les te r res contes tées sont res tées déser tes depuis cette époque assez recu lée . — On n 'aura pas la pré tent ion

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§ § 1 2 1 2 - 1 2 1 3 1 2 E L E C T U R E ( 2 8 1 )

de s'ériger en juge de ce grand procès. L 'unique obser­vation qu 'on se permet t ra de faire, c'est que le but de la cession exigée par le P o r t u g a l a été de lui assurer la navigation exclusive de l ' A m a z o n e . Or les sujets de cette couronne joui ront pais iblement de cet avantage, en éloi­gnant les l imites des P o s s e s s i o n s F r a n ç o i s e s de vingt l ieues seulement et jusqu 'à la rivière de V i n c e n t P i n ç o n , sans qu'il soit nécessaire de les reculer de cinquante jusqu 'à l ' O y a p o c k . »

1 2 1 2 . Appliquant le principe de RAYNAL aux limites intér ieures , M. LESCALLIER avait dit : « Il faut savoir qu'avant le traité d ' U t r e c h t qui est de 1 7 1 3 , les posses­sions françaises dans la G u i a n e s 'é tendoient jusqu 'au fleuve des A m a z o n e s , qui leur servoit de bornes dans la partie du Sud; qu 'en ver tu d 'un traité antér ieur , conclu à L i s b o n n e le 4 mars 1 7 0 0 , les P o r t u g a i s avoient été obligés de démolir les Forts qu'ils avaient construi ts à la rive gauche de ce fleuve. La F r a n c e ayant cédé la navi­gation exclusive et les deux bords de ce fleuve ; ayant cédé posi t ivement les te r res du c a p d e N o r d (qui sont des îles noyées , si tuées au Nord de l ' embouchure de ce grand fleuve, et qui s 'é tendent jusqu 'au 2 E degré de lat i tude Nord), et fixé les limites réciproques à l ' embouchure de la rivière de V i n c e n t P i n ç o n , il est clair qu'el le n ' a pas cédé autre chose que ce qui est n o m m é dans le traité ; que tout ce qui n 'y est point désigné de ses précédentes pos­sessions et pré ten t ions ne doit pas cesser de lui appartenir . Par conséquent , toutes les terres de l ' intérieur de la G u i a n e (sauf la libre navigation des A m a z o n e s et le rivage septentr ional de ce fleuve, cédés au P o r t u g a l ) cont inuent b ien d'être notre propriété, jusqu 'à R i o N e g r o . »

1 2 1 3 . Se bornan t à la limite mar i t ime, M. L E B A R O N

ROUEN avait dit, avec plus de r igueur que RAYNAL : « Que l'esprit du traité d ' U t r e c h t était manifestement de laisser à la couronne portugaise la navigation exclusive de l 'Ama-

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( 2 8 2 ) 1 2 E L E C T U R E § § 1 2 1 4 - 1 2 1 9

1219. Mais les assert ions de ces trois mess ieurs sont

z o n e , et que pour cela il n 'était point nécessaire d 'é tendre la frontière du B r é s i l au Nord de l' Araguari ; que c'était là, à ses yeux, la r ivière qui devait servir de l imite, con­formément à l ' i n t e n t i o n du Traité d ' U t r e c h t . »

1 2 1 4 . Et M. dE SAINT-QUANTIN, abondant dans le sens

de M. LESCALLIER, mais avec une cer ta ine r e t enue , affirme

que l ' intent ion du Traité d ' U t r e c h t a été s implement de

céder au P o r t u g a l , pour mieux lui assurer la navigation

exclusive de l ' A m a z o n e , la part ie navigable des affluents

guyanais de ce fleuve, et également la partie navigable du

premier grand cours d 'eau hors de son e m b o u c h u r e ;

« parce que le traité du 4 mars 1 7 0 0 , qui régissait la

matière avant le traité d ' U t r e c h t , reconnaissai t à la

F r a n c e la souvera ineté de toutes les terres s i tuées sur

la rive gauche de la r ivière des A m a z o n e s . »

1 2 1 5 . Mais M. D E SAINT-QUANTIN n'a pas lu le traité fondamental du 4 mars 1 7 0 0 , qui, cependant , se trouvait publié par M. L E V I C O M T E D E SANTAREM depuis 1 8 4 4 .

1 2 1 6 . Il a cru sur parole M. D E L A R U E , qui avait dit

en 1 8 2 1 : « Qu'avant le traité d ' U t r e c h t , le fleuve des

A m a z o n e s formoit la véri table l igne de démarcat ion

en ver tu d 'une convent ion conclue à L i s b o n n e le

4 mars 1 7 0 0 ; »

1 2 1 7 . Et M . COUVRAY D E BEAUREGARD, qui avait répété

en 1 8 2 4 : « Un Traité provis ionnel fut conclu à L i s b o n n e

le 4 mars 1 7 0 0 , et le cours de l ' A m a z o n e fut reconnu

comme limite des possessions des deux pu i ssances ; »

1 2 1 8 . Et M. W A R D E N , qui avait redit en 1 8 3 4 : « Par

le Traité provis ionnel conclu à L i s b o n n e le 4 mar s 1 7 0 0 ,

le cours de l ' A m a z o n e ou M a r a n h a m fut reconnu pour

l imite des possess ions respect ives de la F r a n c e et du

P o r t u g a l . »

Page 59: L'Oyapoc et l'Amazone : question brésilienne et française. Tome premier

§ 1220 12 e L E C T U R E ( 283 )

dément ies par le document qu'ils a l lèguent avec tant d'as­surance .

1220. Car voici le texte français des stipulations essentiel les du trai té provis ionnel conclu à L i s b o n n e le 4 mars 1700 :

« Préambule . S 'e tant meu depuis quelques années en ça dans l'Etat du M a r a g n a n quelques contestat ions et diffé­rents entre les sujets du R o y t r è s C h r é t i e n et ceux du R o y d e P o r t u g a l au sujet de l 'vsage, et de la possession des T e r r e s d u Cap d e N o r d s i tuées ent re C a y e n n e et

la r iuiere des A m a z o n e s , le S.R ROUILLÉ Président du

grand Conseil de Sa Ma. t é T. Ch. et son ambassadeur en cette Cour, ayant demandé des conférences qui luy ont esté accordées, on y a discuté et examiné les raisons de justice de part et d 'aut re , et l 'on y a veu les au theurs et les Cartes concernan t l 'acquisition, et la diuision des dites Terres , et comme il a paru que pour paruen i r à la fin et conclusion d 'vne affaire si jmpor tan te , jl falloit de part et d'autre des pouuoirs spéciaux de leurs Majestés, Le R o y T. Ch. a enuoyé le sien à son dit ambassadeur le S / R O Û I L L É ,

et sa Ma.té P o r t u g a i s e a donné le sien à D . N u N O ALUARES

P E R E I R A , ROQUE MONTEIRO PAIM , GOMES FREIRE D E

ANDRADE , et à MENDO D E FOYOS P E R E I R A Et ayant

fait apparoir de part et d 'autre leurs dits pouuoirs , recon­nus pour suffisants et valables à l'effet de conférer et con-uenir d 'vn Traité sur la possession desdites T e r r e s d u Cap d e N o r d si tuées ent re C a y e n n e et la r i u i e r e d e s Ama­z o n e s , les Conférences ont esté cont inuées sans en veni r à vne dern ière décision, lesdits Commissaires ne voulant point de part et d 'autre se départ ir du droit qu'i ls soute-noient , et comme il a paru qu'jl estoit nécessaire de cher­cher encore de nouuaux t i t res, et Ense ignements outre ceux qui auoient desja esté produi ts et examinez, jl a esté proposé vn projet de Traitté prouisionel et de suspension pour auoir lieu jusques a la décision du droit des deux

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( 284 ) 12 e L E C T U R E § 1220

Couronnes , et empescher jusques la toutes les occasions qui pouuoient t roubler , et met t re la discorde ent re les sujets de l 'vne et de l 'aut re Couronne , et on a arrê té et l 'on est c o n u e n u des articles su iuans .

« Article l . e r Le R o y d e P o r t u g a l fera euacuer et démolir les forts de A r a g u a r y et de C u m a u , au t rement dit M a c a p a , re t i rer les garnisons et généra lement tout ce qu'il y a dedans , aussy b ien que les habi ta t ions d ' I n d i e n s qui sont proches desdits forts, et se ruen t a l eu r vsage, et ce dans le te rme de six mois du jour de l 'eschange des Ratifications du p résen t Traitté, et en cas qu'il y ait d 'aut res forts dans l ' es tendüe des Terres, depuis lesdits forts j u sques a la r iu iere des A m a z o n e s vers le Cap d e N o r d , et le long de la coste de la mer jusqu 'à la r iuiere d ' O y a p o c dite de V i n c e n t P i n s o n , ils seront pareil le­men t démolis comme ceux d ' A r a g u a r y et de C u m a u ou M a c a p a dont la démoli t ion est conueni ie en te rmes exprès .

«Ar t . 2.° Les F r a n ç o i s et P o r t u g a i s ne pour ron t dans la suite occuper lesdits forts ny en es leuer de nouuaux dans les m e s m e s endroi ts ny en que lqu 'au t re que ce soit, dans l 'estendiie des te r res marquées dans l 'article précèdent , dont la possession demeure indécise en t re les deux Cou­ronnes ; les vns ni les au t res ne pour ron t non plus y faire aucune habitat ion ny establir aucun Comptoir de quelque qualité que ce soit, j u sques a ce qu'i l soit décidé en t re les deux Roys, a qui demeure ra de just ice et de droit la pos -session desdites Terres .

« Art. 4 . e Les F r a n ç o i s pourront s 'es tendre dans lesdites Terres dont par les articles 1 . e r et 2.e du présent Traitté la possession demeure indécise , j u squ ' à la r iuiere des A m a z o n e s , depuis la si tuation desdits forts de Ara­g u a r y et de C u m a u ou M a c a p a vers le C a p de N o r d et coste de la mer , et les P o r t u g a i s pourront faire de m e s m e jusques a la r iuiere d ' O y a p o c ou V i n c e n t P i n s o n

Page 61: L'Oyapoc et l'Amazone : question brésilienne et française. Tome premier

§ 1221 12 e L E C T U R E ( 285 )

vers la coste de la Mer, dans lesquel les te r res les F r a n ç o i s ne pourront ent rer que par celles qui sont du costé de C a y e n n e , et les P o r t u g a i s par celles qui sont le long de la r iuiere des A m a z o n e s , et non au t rement , et tant les vus que les autres se cont iendront respect ivement ent re lesdites r iu ieres cy dessus marquées et expr imées qui font les bornes , les l ignes et les l imites des Terres qui demeu­rent jndecises ent re les deux Couronnes .

« Art. e 9. De la part de l 'vne et de l 'autre Couronne on recherchera , et on fera venir jusques a la fin de l ' année prochaine 1701, tous les Titres et Ense ignements aleguez dans les Conférences, pour seruir a l 'ent ier éclaircissement de la possession qui par le présent Traitté demeure indé­cise ent re les deux Couronnes, et les pouuoirs donnez par les deux Roys demeuren t en leur force, pour dans ledit temps et jusques a la fin de l ' année 1701 le différent dont est quest ion estre t e rminé définit ivement.

« Art. 10." Et comme ce Traitté est seu lement proui-sionel, et suspensif, Iceluy ny aucune des Clauses, Condi­tions et expressions y contenues ne donneron t aucun droit de part ny d 'autre pour la jouissance et la propriété des­dites Terres qui par ledit trait té demeuren t en suspend, et en quelque temps que ce soit on ne pourra se preualoi r de part ny d 'autre de ce qu'il contient pour la décision du différend. »

1221. Que reste-t-il donc du beau travail de M. D E

S A I N T - Q U A N T I N ?

Il ne reste que l 'autorité de B E R R E D O , déjà produite par M. L E SERREC, et que nous réservons pour la quat r ième partie de nos lec tures , avec l ' a rgument séculaire de L A C O N D A M I N E , méconnu par M. D E S A I N T - Q U A N T I N , au grand préjudice de sa cause .

Page 62: L'Oyapoc et l'Amazone : question brésilienne et française. Tome premier

( 286 ) 13 e L E C T U R E § 1 2 2 2 - 1 2 2 7

TREIZIÈME LECTURE

1222. Le 18 jui l let 1853, par l ' intermédiaire de sa légat ion à Rio d e J a n e i r o , le Gouvernement Impérial de F r a n c e proposa au Gouvernement Brésilien la reprise de la négociat ion in te r rompue depuis le mois de dé­cembre 1844.

1223. Le Gouvernement Brésilien s 'empressa d 'adhé­rer à cette proposit ion, par u n e note du 12 août 1853.

1224. Après u n e longue indécision sur le choix du l ieu, on convint encore de P a r i s .

1225. Le 10 février 1855, les pleins pouvoirs de Sa Majesté l 'Empereur du B r é s i l , « pour stipuler, conclure et s igner u n Traité qui fixât définit ivement les limites en t re le B r é s i l et la G u y a n e F r a n ç a i s e », furent con­fiés à Monsieur PAULINO JOSÉ SOARES D E SOUZA, V I C O M T E

D E L 'URUGUAY, Conseiller d'Etat, Sénateur de l 'Empire, et ancien Ministre des Affaires Ét rangères .

1226. Et M. L E V I C O M T E D E L 'URUGUAY se p résen ta au Gouvernement Français en ju in 1855.

1227. Le Gouvernement de Sa Majesté l 'Empereur des F r a n ç a i s ne fit pas comme celui de L O U I S - P H I L I P P E ,

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§§ 1228-1229 13 e L E C T U R E ( 287

qui, après avoir provoqué la discussion, s 'étudia à l 'éluder.

1228. A u n Mémoire t rès ferme, remis le 15 ju in par Son Excellence M. L E V I C O M T E D E L 'URUGUAY, Son Excel­lence Monsieur L E C O M T E W A L E W S K I , Ministre des Affaires Etrangères, opposa tout d 'abord u n e Réponse préliminaire d'une égale fermeté.

1229. Et dans quinze conférences, qui se prolon­gèrent du 30 août 1855 au 1er juillet 1856, l 'honorable Plénipotentiaire Brésilien t rouva un digne antagoniste dans Monsieur L E B A R O N H I S D E BUTENVAL, ancien Mi­nistre à la Cour du B r é s i l , et Conseiller d'État en ser­vice ordinaire.

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( 2 8 8 ) 1 3 E L E C T U R E § 1 2 3 0

1 2 3 0 . Dans son Mémorandum, M. L E V I C O M T E D E

L 'URUGUAY exposa en ces t e rmes ses idées principales :

« Il s'agit de fixer, comme s 'exprime l 'article 1 0 7 du Traité de V i e n n e , le sens précis de l 'article 8 E de celui d ' U t r e c h t .

« Or, par l 'article 8 E du Traité d ' U t r e c h t , S. M. T. G. se désistait pour toujours , dans les te rmes les plus forts et les plus au then t iques , etc . , e tc . , de tous droits et pré­tent ions qu'el le peut et pourra p ré tendre sur la propriété des te r res appelées du Cap d u N o r d , et si tuées ent re la r ivière des A m a z o n e s et celle de I a p o c ou V i n c e n t -P i n s o n .

« Ainsi la r ivière de I a p o c ou V i n c e n t - P i n s o n était établie comme limite en t re le B r é s i l et la G u y a n e F r a n -ç a i s e .

« Mais quel le est cette rivière I a p o c ou V i n c e n t -P i n s o n du Traité d ' U t r e c h t ?

« Voilà toute la quest ion, qu'il faut poser ainsi pour la r endre plus claire :

« Qu'est-ce que les négociateurs d ' U t r e c h t enten­daient ou pouvaient en tendre par rivière Iapoc on Vin­cent-Pinson?

« Et sans doute , parce qu'il est de la na ture de l 'in­terpréta t ion de donne r seu lement au point à in terpréter l ' intell igence que ses au teurs pouvaient lui donner , et non pas u n e autre . Il faut se repor ter aux idées des temps où ils ont pensé sur ce qu'i ls faisaient.

« Ainsi c'est seu lement par les not ions géographiques qui existaient au t emps où le Traité d ' U t r e c h t fut s igné, que nous pouvons aujourd 'hui l ' in terpréter .

« Les géographes les plus accrédités au temps où le

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I

§ 1 2 3 0 1 3 E L E C T U R E ( 2 8 9 )

19

Traité d ' U t r e c h t fut célébré, comme À R N O L D U S FLOREN-

T I U S A LANGREN ( 1 5 9 8 ) ; GÉRARD MERCATOR (éditions

de 1 6 0 7 et 1 6 3 5 ) ; ORTELIUS ( 1 6 1 2 ) ; JEAN JANSSONIUS,

Nouvel Atlas ou Théâtre du monde , dans sa carte

Americaae pars meridionalis; SANSON D 'ABBEVILLE ( 1 6 5 8 ) ;

le Père SAMUEL FRITZ, dans sa carte int i tulée Cours

du fleuve Maragnon, au t rement dit des Amazones, gra­

vée à Q u i t o en 1 7 0 7 , r é impr imée à Paris en 1 7 1 7 , et à

M a d r i d en 1 7 5 7 , et qui a été faite en 1 6 9 0 ; JEAN VAN-

K E U L E N , édit ions de 1 6 8 0 et 1 6 9 5 ; et GUILLAUME DELISLE,

dans sa carte de la T e r r e - F e r m e , du P é r o u , du B r é s i l

et du pays des A m a z o n e s , dressée sur les descriptions

D ' H E R R E R A , D E L A E T , des PP. D'ACUNA et M. RODRIGUEZ,

et sur plus ieurs relat ions et observations postér ieures

( P a r i s , 1 7 0 3 ) , n ' ind iquen t aucune rivière du nom de

V i n c e n t - P i n s o n près du Cap du Nord.

« Au contraire , LANGREN, GÉRARD MERCATOR, ORTELIUS

et le Père SAMUEL FRITZ, donnen t à la rivière qui se

trouve près du Cap d'Orange, et la plus considérable, le

nom de rivière de V i n c e n t - P i n s o n .

« SANSON D'ABBEVILLE lui donne le nom de W i a p o c o ,

JANSSONIUS le nom de W i a p o c a , JEAN V A N - K E U L E N celui

de T a p o c a et T a p o c o , GUILLAUME D E L I S L E celui de

Y a p o c o .

« Il est, en conséquence , évident que la rivière qui

débouche au Cap d'Orange, et qui est connue aujour­

d'hui sous le nom d ' O y a p o c k , avait avant le Traité

d ' U t r e c h t , qui est de 1 7 1 3 , le nom de V i n c e n t - P i n s o n

selon quelques géographes , et celui de W i a p o c o , W i a ­

p o c a , T a p o c o , T a p o c a ou Y a p o c o , selon d 'aut res .

« Ce point , — si au temps du Traité d ' U t r e c h t l ' O y a -

p o c k et la rivière de V i n c e n t - P i n s o n étaient consi­

dérés comme u n e m ê m e rivière, — est d 'ail leurs chose

jugée .

Page 66: L'Oyapoc et l'Amazone : question brésilienne et française. Tome premier

( 290 ) 13 e L E C T U R E § 1230

« C'est u n poin t qui avait été discuté avant le Traité d ' U t r e c h t et réso lu pa r u n au t r e Trai té .

« Dans l ' année 1699, u n e discussion s 'engagea à L i s ­b o n n e en t r e M . R O U I L L É , ambassadeu r de F r a n c e , et ROQUE MONTEIRO P A I M , dans laquel le celui-ci d é m o n t r a que la Rivière de Y i n c e n t - P i n s o n et celle d ' O y a p o c k é ta ient la m ê m e r iv iè re .

« La let t re écr i te à M . ROUILLÉ par ROQUE MONTEIRO

PAIM, en date du 30 ju i l le t 1699, se t rouve à la Biblio­t h è q u e d ' E v o r a , en P o r t u g a l , et à la Bibliothèque pub l ique de L i s b o n n e , d a n s le tome second (manuscrit) des Memorias pertencentes à paz d' Utrecht, por D . Luiz

CAETANO D E LIMA.

« Cette d i scuss ion p récéda le Traité p rov is ionne l du 4 m a r s 1700, en t r e Louis XIV, roi de F r a n c e , et le roi DOM PEDRO II, de P o r t u g a l , sur les t e r res appelées du C a p d u N o r d , s i tuées en t re C a y e n n e et la r ivière des A m a z o n e s , et qui fut s igné à L i s b o n n e par M . D E R O U I L L É , p lén ipotent ia i re français , et le D U C D E CADAVAL,

plén ipo ten t ia i re po r tuga i s .

« Dans ce m ê m e Trai té , la r ivière d ' O y a p o c k est dé ­s ignée de la m a n i è r e su ivan te : Rivière Oyapoc ou Vin­cent-Pinson.

« Si, après avoir d i scu té , en 1699, si la R i v i è r e d ' O y a p o c k ou V i n c e n t - P i n s o n étai t la m ê m e , on est v e n u , en 1700, à la dés igne r c u m u l a t i v e m e n t par ces deux n o m s , c 'est c e r t a i n e m e n t parce que l 'on a r e c o n n u que ces deux n o m s dés igna ien t la m ê m e r iv iè re .

« Le Traité d ' U t r e c h t , qui avait t rai t au provis ionnel de 1700, reprodui t , t reize ans après , ces deux n o m s cumu­la t ivement Yapoc ou Vincent-Pinson. On ne pouvai t m a r q u e r là deux r iv ières différentes par l e u r la t i tude et l eur l ong i tude , comme l imi te , et, c o n s é q u e m m e n t , il est évident que la conjonct ion ou i nd ique l ' a l te rna t ive , n o n

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§ 1230 13 e L E C T U R E ( 291 )

de deux r ivières , mais celle de deux noms, desquels l 'un pourrait subst i tuer l 'autre. Cette al ternat ive est t rès na tu ­relle, d 'après ce qui vient d'être exposé dans ce Mémoire.

« Comme cette Rivière était connue par deux noms ; comme quelques géographes lui en donnaient u n , et d 'autres u n autre , on les a r éun i s , pour écarter alors des discussions que cette même réun ion a depuis fait naî t re .

« La circonstance de ce que le Traité d ' U t r e c h t se sert du nom lapoc, et non d ' O y a p o c k , n e peut avoir aucune influence. Ce nom O y a p o c k , comme tous les noms indiens qui n 'on t pas d 'or thographe fixe, et que chacun écrivait d 'après le son, a souffert beaucoup d'alté­rations ju squ ' en 1775.

« Il paraît que les négociateurs d ' U t r e c h t ont donné la préférence à la man iè re par laquelle la carte de D E ­L I S L E , alors r écemment publ iée , écrit ce nom « Yapoco »,

en lui t i rant la dernière le t t re . Le Y a p o c o , qui, sur cette carte, débouche sous le Cap d ' O r a n g e , est év idemment l ' O y a p o c .

« Avant le Traité d ' U t r e c h t , les navigateurs portugais donnaient à la Rivière de l ' O y a p o c k cumula t ivement les noms d ' O y a p o c k ou de V i n c e n t - P i n s o n . On t rouve à la Bibliothèque publ ique de R io d e J a n e i r o et à celle de L i s b o n n e , une édit ion de 1712 (antérieure au Traité d ' U t r e c h t ) , de l'Art de naviguer, du cosmographe por tu­gais M A N U E L P I M E N T E L , dans laquelle on lit, page 2 0 9 :

Rivière Oyapoc ou Vincent-Pinson, 4° 6 ' N, latit . , 3 2 6 "

47' longit.

« Ceux qui indiquent l 'existence d 'une rivière de Vin­c e n t - P i n s o n près du Cap du Nord ne sont pas d'accord sur sa posit ion, et ne peuvent l 'être, parce qu'il n ' a jamais existé là une r ivière de ce nom.

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( 2 9 2 ) 1 3 E L E C T U R E § 1 2 3 0

« L A CONDAMINE ( 1 7 4 4 ) appel le r iv ière de V i n c e n t -

P i n s o n u n e nouve l l e b o u c h e de Y Arawari, au jourd 'hu i

fe rmée par les sables , à m o i n s (comme il dit) que la r iv ière

P i n s o n n e soit l ' A m a z o n e . « SIMON M E N T E L L E ( 1 7 7 8 ) , dans sa car te de la G u y a n e ,

d o n n e le n o m de V i n c e n t - P i n s o n au Mayacaré, en conse rvan t toutefois ce de rn ie r n o m .

« Le B A R O N D E W A L K E N A E R , dans son « Mémoire sur « l es nouve l les découver t e s géograph iques faites d a n s la « G u y a n e F r a n ç a i s e », dit : « La r iv ière de V i n c e n t -P i n s o n es t donc b ien c o n n u e ; c 'est celle que les B r é s i ­l i e n s n o m m e n t au jourd 'hu i Carapapoury.

« Le Traité du 1 0 août 1 7 9 7 en t r e la F r a n c e et le P o r t u g a l dit « que la r iv ière Calsoene est celle qui est appelée par les Français V i n c e n t - P i n s o n . »

« C'est ainsi qu ' ap rès le Traité d ' U t r e c h t on a cherché con t rad ic to i rement u n e r ivière de V i n c e n t - P i n s o n près du Cap Nord.

« Or si , après que ces côtes ont été explorées , après que les sc iences géog raph iques ont fait t an t de p rog rè s , on ne peu t s ' en tendre su r la posi t ion d 'une semblable r iv iè re de V i n c e n t - P i n s o n près du Cap du Nord, c o m m e n t pou r ­ra i t -on p r é t e n d r e q u e les négoc ia teurs d ' U t r e c h t , qui v ivaient dans u n temps où ces explorat ions n ' é t a i en t pas faites, eus sen t d o n n é le n o m de V i n c e n t - P i n s o n à u n e b o u c h e de l ' A r a w a r i , au jourd 'hu i fe rmée par l es sables , au M a y a c a r é , au C a r a p a p o r i s , et au C a l s o e n e , qui sont des r iv ières différentes ?

« Les t e r ra ins contes tés sont des t e r res d 'a l luvion, sujet tes à des inonda t ions pé r iod iques , qui c h a n g e n t f r é q u e m m e n t l ' e m b o u c h u r e et la d i rec t ion des r iv iè res .

« D E L I S L E , D ' A N V I L L E , et d 'au t res géographes , dés ignen t ces t e r ra ins avec les n o m s de — pays n o y é s , — côtes i n o n d é e s .

« M E N T E L L E , d a n s les r e m a r q u e s qui sont sur sa car te ,

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§ 1230 13° L E C T U R E ( 293 )

dit : « Les côtes de la G u y a n e sont assez généra lement plates, bordées en grande part ie de palé tuviers , et dans quelques endroi ts par des anses de sable, l 'un et l 'autre sujets à des changemen t s qui semblent pér iodiques , etc. »

« LA MARTINIÈRE, dans son Grand Dictionnaire géogra­

phique (1768), par le de la part ie comprise ent re l ' O y a p o c k et l ' A m a z o n e , qu'i l appelle G u y a n e I n d i e n n e , dans les termes suivants : « Le pays est fort bas et inondé vers les côtes mar i t imes ; depuis l ' embouchure de la rivière des A m a z o n e s jusqu 'au Cap d u N o r d il est t rès-peu connu des F r a n ç a i s . Quoique celui qui est depuis le C a p du N o r d jusqu 'au Cap d ' O r a n g e soit de m ê m e na tu re , et que l 'on ne voie sur les rivages aucune ter re élevée, mais seu lement des arbres comme plantés dans la mer , et diverses coupures de ru isseaux et de rivières qui , pour tout aspect, donnen t celui d 'un pays noyé , e tc . La mer monte en barre de 7, 8 et 9 brasses , e tc . , e tc . , et les bât i ­ments qui s'y t rouvent sont dans u n grand danger , e t c . , e t c . »

« LA CONDAMINE a t rouvé , en 1744, une des bouches de l ' A r a w a r i , qu'il appelle V i n c e n t - P i n s o n , fermée par les sables.

« Le BARON WALCKENAER dit que le C a r a p a p o r i s , qu'il appelle V i n c e n t - P i n s o n , était, en 1784, u n fleuve imposant. En 1836 il l'a t rouvé ainsi : « La rivière n 'es t plus qu 'un cours d 'eau in tér ieur , sans issue dans la m e r ; l ' embouchure a été obst ruée , e t c . ; c'est ce qui arr ive souvent dans ce pays, où les eaux sont cons tamment en mouvement , et les courants d 'une effroyable rapidi té . »

« Il résul te de ce qui vient d 'être exposé que l 'état de ces te r ra ins et de ces r ivières ne peut ê t re , et n 'es t pas le même qu'il était à l 'époque du Traité d ' U t r e c h t . Et en outre :

« Que les négocia teurs d ' U t r e c h t ne pouvaient se référer à des r ivières dont l 'existence et la posit ion étaient incer ta ines , le sont encore dans les temps modernes , et le

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( 2 9 4 ) 13 e L E C T U R E § 1230

« Le Traité d ' U t r e c h t n ' a r ien s t ipulé sur la l imite

seront toujours , à mo ins de g randes révolu t ions dans le

globe, qui fassent disparaî t re les causes na tu re l l e s de ces

p h é n o m è n e s ;

« Qu'il est p lus na tu re l qu ' i ls se référassent à la r ivière

la p lus cons idé rab le , la p lus connue (l'Oyapock ou

V i n c e n t - P i n s o n ) , qui n 'é ta i t , et n 'es t pas sujet te à de

semblables c h a n g e m e n t s .

« De tou t ce qui v ien t d 'ê tre dit il r é su l t e , comme

conclus ion , que le Iapoc ou Vincent-Pinson du Traité

d ' U t r e c h t est l ' O y a p o c k s i tué en t r e le 4 e et le 5 e degré

de la t i tude sep ten t r iona le , et que c 'est ce t te r iv ière qui a

é té établ ie c o m m e l imite en t re le B r é s i l et la G u y a n e

F r a n ç a i s e . C'est le vra i sens du Traité d ' U t r e c h t .

« La r iv ière de l ' O y a p o c k se divise ou reçoit des affluents cons idé rab les , et se lon la car te de SIMON M E N -

T E L L E , qui a poussé le p lus loin dans l ' in té r ieur ses explo­ra t ions , elle t rouve sa source au mil ieu de t e r r a ins t r è s -m o n t a g n e u x et p e u c o n n u s .

« On p e u t me t t r e en doute leque l de ces e m b r a n c h e ­

m e n t s conse rve le n o m d ' O y a p o c k j u s q u ' à sa source . De

là il p e u t na î t r e des difficultés et de nouve l l e s ques t ions

de l imi tes dans l ' aveni r qu ' i l convien t d 'évi ter à t e m p s .

« Ainsi , il conviendra i t d 'établ ir par u n n o u v e a u Traité

que la l imi te en t r e le B r é s i l et la G u y a n e F r a n ç a i s e

passe ra le long de la r ivière O y a p o c k , s i tuée en t r e le 4 e

et le 5 e deg ré de la t i tude sep ten t r iona le . A l ' endroi t où

cet te r ivière se divisera , ladite l imite passe ra pa r son

e m b r a n c h e m e n t ou affluent le p lus cons idérable par le

vo lume de ses eaux en t emps sec, j u s q u ' à la source de cet

e m b r a n c h e m e n t ou affluent.

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§ 1230 13 e L E C T U R E ( 295 )

qui, de l'Est à l 'Ouest, doit séparer la G u y a n e F r a n ç a i s e du B r é s i l .

« Le Traité du 28 août 1817 établit provisoirement cette limite par le parallèle de 2 degrés 24 minu tes de lati tude septentr ionale .

« Cette dél imitat ion est provisoire et défectueuse. Il convient d 'en établir u n e autre définitive, et sujette à moins d ' inconvénients .

« Cette l igne as t ronomique , passant par des terrains fortement accidentés , devra couper des r ivières, des chaînes de montagnes , et cet te délimitation n 'aura aucun rapport sensible, dans u n e immense extension de déser ts , avec les r ivières , les chaînes de montagnes , les par tages d 'eau, qui sont des signes pe rmanen t s , sensibles et i r récusables d 'une délimitat ion.

« L'espace qu ' une l igne quelconque de dél imitat ion aurait à parcourir est absolument inconnu et déser t . II serait presque impossible de l 'explorer, ou cela ne vaudra i t pas la peine aujourd 'hui .

« Toutefois pour établir une règle sûre et pe rmanen te de délimitat ion, pour éviter des contestat ions dans l 'avenir , il serait convenable de stipuler que la l imite en t re le B r é s i l et la G u y a n e F r a n ç a i s e , de l 'Est à l 'Ouest, cont inuerai t de la source de l'affluent ou embranchemen t de l ' O y a p o c k , dont il est parlé dans la première part ie de ce Mémoire, par les Cordillières, chaînes de mon tagnes , ou terrains plus é levés , qui forment le par tage en t re les eaux qui vont à la rivière des A m a z o n e s et celles qui vont à la G u y a n e F r a n ç a i s e et à l ' O c é a n . »

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( 296 ) 13 e L E C T U R E § 1231

1231. La Réponse préliminaire(*) s 'a t tacha à faire r e s ­sort i r , de la m a n i è r e su ivan t e , deux points omis pa r M. le VICOMTE D E L ' U R U G U A Y , — à savoir l' intention de l ' en-semble du t ra i té d ' U t r e c h t , et l ' é l émen t Cap Nord de l 'ar t icle 8.

« Les terres cédées ou a b a n d o n n é e s par la F r a n c e , en 1713, à la cou ronne de P o r t u g a l , sont di tes terres du Cap du Nord, et el les sont cédées à l'effet, p lu s i eu r s fois rappelé d a n s les ar t ic les su ivan ts du Trai té , de m e t t r e u n cer ta in espace en t r e les possess ions françaises de la G u y a n e et la r ive sep ten t r iona le ou r ive gauche de l ' A m a ­z o n e , dont nous avons r e c o n n u , par le m ê m e Trai té , que la naviga t ion n o u s étai t in te rd i te . La R i v i è r e d ' Y a p o c ou V i n c e n t - P i n s o n , des t inée à former la l imi te , sera donc dans les env i rons immédia t s du Cap du Nord; et tout cours d 'eau , qui se t rouve ra dans les pa rages de ce cap, p o u r r a ê t re cons idé ré , avec u n e g r a n d e probabi l i té , c o m m e la r ivière que les négoc ia teurs du Trai té d ' U t r e c h t ont e n t e n d u e par l ' Y a p o c ou V i n c e n t - P i n s o n , dont la double dénomina t i on n ' appa r t i en t l ég i t imemen t à a u c u n e au t re sur ce l i t tora l .

« Le sens qu ' i l y a l ieu de d o n n e r aux terres du Cap du Nord est u n é l é m e n t cons idérab le de la décis ion qui devra t e r m i n e r ce l i t ige . Si on laissait cet é l é m e n t de côté , on supposera i t que les négoc ia teu r s français du Traité d ' U t r e c h t on t été ou t rès - légers o u t r é s - i g n o r a n t s , pu i s ­que , pou r assure r au P o r t u g a l la souve ra ine t é de la rive

(*) Réponse préliminaire au Mémoire de M. le vicomte de l'Uru­guay joint à sa lettre particulière au Ministre, du 28 juin 1855. Ce t te .Réponse e s t a n n e x é e à la l e t t r e d u 5 j u i l l e t 1855 a d r e s s é e p a r le COMTE W A L E W S K I , m i n i s t r e des Affaires é t r a n g è r e s , a u VICOMTE DO

URUGUAY.

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§ 1232 13 e L E C T U R E ( 2 9 7 )

1232. Par suite de ces remarques du Département des Affaires Étrangères , M. le V I C O M T E D E L ' U R U G U A Y , aussitôt que les conférences furent ouver tes , s 'empressa d'ajouter à son Mémoire les observat ions complémenta i res que voici (*) :

« Les bases sur lesquelles repose tout le r a i sonnement du Mémoire prél iminaire ne me paraissent pas solides.

« Il y est dit que les ter res cédées par la F r a n c e , en 1713, à la couronne du P o r t u g a l , sont dites terres du Cap du Nord, et sont cédées à l'effet, p lus ieurs fois rappelé dans le Traité, de met t re u n certain espace entre les possessions françaises de la G u y a n e et la rive septentr ionale de l 'Ama­z o n e , dont la navigat ion était in terdi te à la F r a n c e . Donc, tout cours d'eau qui se t rouvera dans les parages du Cap d u N o r d pourra être considéré , avec u n e grande probabilité, comme la rivière que les négociateurs du Traité d ' U t r e c h t ont en t endue par l ' O y a p o c k ou V i n c e n t -P i n s o n .

« En admet tant comme véri table l ' intent ion qu 'avaient les négociateurs por tugais , et cette in tent ion t ranspire dans tout le Traité, u n cours d 'eau qui se t rouverai t dans les

(*) Le 20 s e p t e m b r e 1855 (P rocès -ve rba l de la d e u x i è m e séance ) .

gauche de l ' A m a z o n e , ils auraient consent i à reculer la frontière, non jusqu ' au Cap d u N o r d , mais jusqu 'au C a p d ' O r a n g e . Ce serait à peu près comme si, dans u n traité avec l ' E s p a g n e , on fixait la l imite des deux pays à la L o i r e , pour garantir au premier la navigat ion exclusive de la B i d a s s o a . »

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( 298 ) 13 e L E C T U R E § 1232

parages du Cap d u N o r d ne la satisferait d ' aucune man iè re . « Il est r e c o n n u , par des explorat ions faites dans ces

parages , qu' i l y a (pr incipalement dans la sa ison des pluies) u n e très-facile communica t i on par eau des r ivières qui sont au Nord du Cap d u N o r d , avec l ' A r a g u a r y et avec l ' embouchu re de l ' A m a z o n e , par u n e success ion de lacs et d ' inonda t ions formées par le d é b o r d e m e n t des r iv ières . Ainsi , u n e l imite posée su r u n e des r iv iè res qui sont près du C a p d u N o r d aurai t ouver t pour le m o i n s à de g rands ba t eaux u n e naviga t ion que le Traité voulai t fermer . C'est s eu l emen t l ' O y a p o c k qui pouvai t r empl i r les vues des négoc ia teu r s d ' U t r e c h t .

« On doit t i re r la conséquence cont ra i re à celle qu 'a t i rée le Mémoire p ré l imina i re , et cet te conséquence est en t i è r emen t favorable à la p ré t en t ion du B r é s i l .

« Une r iv ière p rès du C a p d u N o r d n e remplissai t pas la fin que le P o r t u g a l avait en v u e , n 'é lo ignai t pas suff isamment, selon l ' in tent ion avouée de ses négocia­t eu r s , les possess ions françaises de la r ive gauche des A m a z o n e s . Au cont ra i re , elle les rapprochai t , en ouvran t des communica t ions très-faciles pa r eau , qui mul t ip l ia ient les coll isions et les empié t emen t s que les deux g o u v e r n e ­m e n t s se p roposa ien t d 'évi ter .

« Le sens qu ' i l y a l ieu de d o n n e r aux t e r res du C a p d u N o r d est, en vér i té , c o m m e dit le Mémoire p ré l imi ­na i re , u n é l émen t cons idérable de la décis ion qui doit t e r m i n e r le l i t ige. Mais cet é l émen t est favorable aux p ré t en t ions du B r é s i l .

« Il n e faut pas d o n n e r aux t e r res du C a p d u N o r d , pour in te rp ré te r le Traité d ' U t r e c h t , le sens qu 'on leur donne au jourd 'hu i , de t e r res i m m é d i a t e m e n t adjacentes au C a p d u N o r d .

« Le Traité p rov is ionne l du 4 mar s 1700, relatif à ces t e r r e s , conclu en t re le P o r t u g a l et la F r a n c e , appel le

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§ 1232 13 e L E C T U R E ( 299 )

terres du C a p d u N o r d celles qui sont si tuées ent re C a y e n n e et la rivière des A m a z o n e s . Voilà le sens offi­ciel établi par u n Traité, des mots terres du Cap du Nord ; et on ne peut pas lui en donner u n autre . Le Traité d ' U t r e c h t résolut définitivement la quest ion des te r res du Cap d u N o r d , en suspens par le Traité provis ionnel de 1700, et employa dans le m ê m e sens les mêmes pa­roles.

« C'est le sens qu 'on leur donnai t avant le Traité d ' U t r e c h t .

« Dans le 1 7 E siècle, u n e Compagnie s 'organisa à R o u e n sous le t i tre de Compagnie du Cap du Nord. Ses lettres pa ten tes lui concédaient tout le pays compris entre l ' O r é n o q u e et la rivière des A m a z o n e s , pour y former des é tabl issements et le peupler . Cette dénominat ion comprenai t C a y e n n e .

« On voit de plusieurs relat ions de voyages publiées au 1 7 E siècle, comme de celui de BRÉTIGNY, par D E PETIT-

PUY, P a r i s 1 6 5 4 , et de D 'AIGREMONT, Relation du voyage

des Français fait au Cap du Nord en Amérique, et

d 'autres , que la dénominat ion de Terres du Cap du Nord comprenai t jusqu 'à C a y e n n e .

« Ce sont les seules notions que les négociateurs d ' U t r e c h t pouvaient avoir, et qui ont été consignées dans le Traité provis ionnel de 1 7 0 0 .

« C'est même à cause de la général i té de ces expres­sions — t e r r e s d u Cap N o r d , — que le Traité du 4 mars 1 7 0 0 ne se contentait pas de dire — terres du Cap N o r d , s i tuées ent re C a y e n n e et la rivière des Ama­z o n e s ; — mais il ajoutait — si tuées ent re la rivière des A m a z o n e s et le Cap N o r d , et en t re le Cap N o r d , sur la côte de l a m e r , et la r ivière O y a p o c k ou V i n c e n t - P i n s o n .

« C'est aussi pour l imiter la général i té de ces expres­sions que le Traité d ' U t r e c h t ne se contentai t pas de

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( 3 0 0 ) 13E L E C T U R E § 1 2 3 3

1 2 3 3 . L ' a r g u m e n t a t i o n de M . D E L 'URUGUAY se trou­

van t ainsi au complet , M . D E BUTENVAL y répondi t en

détail par cet te au t re a rgumen ta t i on , dans laquel le , se

reposan t p robab l emen t su r la notor ié té établie par les

cartes depuis LA CONDAMINE, et sur le travail de M . D E

SAINT-QUANTIN, l ' honorab le P lén ipoten t ia i re de F r a n c e

cons idéra c o n s t a m m e n t l ' A r a g u a r i c o m m e le t ronc du

Carapapori, sans croire nécessa i re d 'en d o n n e r la p r e u v e :

« Ce n ' es t pas le s ens de l 'article 8 s eu l emen t , comme on a cou tume de le répé te r , mais b ien le sens et l 'esprit du Traité d ' U t r e c h t tout en t ie r que les p lén ipo ten­t ia ires sont cha rgés d ' in te rpré te r .

« Il serai t imposs ible de laisser sans protes ta t ion l 'asser t ion qui tendra i t à p r é s e n t e r comme objet consent i par les p lén ipoten t ia i res français , dans les négocia t ions d ' U t r e c h t , la f ixation des l imi tes en t r e les possess ions respec t ives des deux cou ronnes de F r a n c e et de P o r t u ­g a l , à u n cours d 'eau placé de tel le sorte q u ' u n bass in tout en t ie r eû t dû m a r q u e r l ' in terval le en t r e le point p r i ­mi t ivemen t occupé pa r la F r a n c e et celui auque l elle consenta i t à se r édu i r e .

« Le vér i table objet du Traité d ' U t r e c h t a été l 'acqui­sition, par le P o r t u g a l , l ' abandon , pa r la F r a n c e , de la r ive gauche de l ' A m a z o n e , r ive sur laquel le , pa r u n Traité p r écéden t et b ien vois in , le P o r t u g a l avait con­sent i à démol i r ses for teresses . Ce résul ta t acquis au P o r -

dire — t e r r e s d u Cap N o r d , — mais il ajoutait — si tuées en t re la r iv ière des A m a z o n e s et celle de I a p o c ou V i n c e n t - P i n s o n . »

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§ 1233 13e L E C T U R E ( 301 )

t u g a l , jamais un Plénipotentiaire Français n 'a pu accep­ter d 'autres l imites que le cours d'eau le plus immédiate­men t voisin de la rive cédée .

« Cela est si vrai que, par l 'article 12du Traité d ' U t r e c h t , on a pourvu au cas où, par suite de ces crues d'eau dont a

parlé l 'honorable Plénipotent ia i re Brésil ien, u n e commu­nication accidentelle v iendrai t à s 'établir ent re le V i n c e n t -P i n s o n et l ' A m a z o n e ; et que cet article 12 porte : « Que les habi tants de C a y e n n e ne pourront entrepren­dre de faire le commerce dans le M a r a g n o n et dans l ' embouchure de la r ivière des A m a z o n e s , et qu'il leur sera absolument défendu dépas se r la rivière de V i n c e n t -P i n s o n . »

« Ou l'article 12 n 'a aucun sens , ou il se rapporte au cas de communicat ions accidentelles ent re le fleuve l imite et l ' A m a z o n e . — Donc, on a pris pour l imite, à U t r e c h t , un fleuve qui a nécessi té l ' insert ion de l 'article 12. — Donc, le fleuve limite est, aux te rmes m ê m e s du Traité d ' U t r e c h t , en communication possible avec l ' A m a z o n e . —

Donc, c'est, et ce ne peut être que l ' A r a o u a r i .

« Comme le Plénipotentiaire du B r é s i l , le Plénipo­tentiaire Français est convaincu que ces mots généraux — terres du Cap Nord — n 'ont pu passer dans u n Traité solennel sans u n autre te rme qui les limitât.

« Comme lui, il reconnaî t que la limite au Nord est l ' O y a p o c ou V i n c e n t - P i n s o n .

« C'est lorsque M. le Plénipotent ia i re du B r é s i l veut conclure d i rec tement de ce qui précède , que cet O y a p o c ou V i n c e n t - P i n s o n , que ce fleuve limite des ter res du Cap N o r d au Nord, est par le quat r ième degré de lat i tude et non par le deuxième, — qu' i l devient absolument impos­sible au Plénipotent iaire Français de le suivre dans son ra isonnement , car la conclusion lui semble ici sans r ap ­port quelconque avec les prémisses .

Page 78: L'Oyapoc et l'Amazone : question brésilienne et française. Tome premier

( 302 ) 13 e L E C T U R E § 1233

« La vér i table l imite Nord de la por t ion des t e r r e s d u C a p N o r d cédée au P o r t u g a l , se t rouve c la i rement ind iquée par u n d o c u m e n t officiel, par le Trai té du 18 j u i n 1701.

« L'ar t icle 6 de ce Traité déclare exp re s sémen t que le t ra i té init ial du 4 mar s 1700 avait pou r objet la posses­

sion des terres du Cap du Nord C O N F I N A N T à la rivière des

Amazones.

« On voit que , dès 1700, il n ' é ta i t ques t ion que de la por t ion de la G u y a n e contiguë à l ' A m a z o n e , et que , dans le t rai té final d ' U t r e c h t , il n ' a pu être ques t ion d 'au t re chose .

« La part ie des terres du Cap du Nord ( terres que l 'honorable p lén ipo ten t ia i re b rés i l i en a dit l u i -même s ' é tendre de l ' A m a z o n e à l ' O r é n o q u e ) , adjugée au P o r ­t u g a l , c 'est-à-dire celle qui confine à l'Amazone (pour m e servir des t e r m e s explicatifs du Traité de 1701, Traité des­t iné à d o n n e r u n carac tère pe rpé tue l aux s t ipula t ions sus­pens ives et p rovis ionne l les de 1700), — celle qui confine à l ' A m a z o n e , et dont le V i n c e n t - P i n s o n est la l imi te , d e m e u r e b i en et d u e m e n t au P o r t u g a l , au jourd 'hu i au B r é s i l ; mais la F r a n c e r e t rouve la par t qui lui rev ien t , c 'es t -à-di re la portion de ces mêmes terres du Cap du

Nord qui s'étend du Vincent-Pinson, de l ' A r a o u a r i , au

Maroni.

« Oyapoc, ou Yapoc, est i ncon te s t ab l emen t u n n o m

géné r ique , signifiant un grand cours d'eau.

« B e m a r q u o n s b ien ici les t e r m e s du Traité de 1700 : — La rivière Oyapoc D I T E de Vincent Pinson; — e n d 'au­t res t e r m e s , — celui de tous les Oyapoco, Iapoco, Wari-

poco, c 'es t -à-di re en t r e tous les grands cours d'eau, celui — auque l V I N C E N T P I N S O N a laissé son n o m .

« Le n o m capital ici , c'est celui de Vincent-Pinson;

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§ 1233 13 e L E C T U R E ( 303 )

c'est celui qui par t icular ise; l 'autre n ' ind ique qu 'une espèce : un grand cours d'eau.

« Cette multiplicité des I a p o c s ou Oyapocs au

XVIIE siècle est u n fait hors de doute .

« Or, si le fleuve choisi pour l imite, à L i s b o n n e et à

U t r e c h t , n 'a pu être qu 'un cours d'eau considérable;

« Qu'il soit impossible, non pas m ê m e de prouver ,

mais d 'admett re que ce soit l ' O y a p o c du quatr ième deg ré ;

« Il demeure évident que ce fleuve est l ' A r o u a r i ,

« Car tous les cours d 'eau in termédia i res sont sans

importance et n'offrent pas les condit ions requises pour

une frontière.

« Les posi t ions as t ronomiques de l ' O y a p o c et du Cap

d'Orange, du Vincent-Pinson et du Cap Nord, n 'ont

jamais é té , au xvi e et au xvi i e siècle, l 'objet d 'une équi­

voque .

« Les Traités de L i s b o n n e et d ' U t r e c h t p ré sen ten t

cette s ingular i té , — inouïe jusque- là et sans analogue de­

puis dans l 'histoire diplomatique, — que le fleuve choisi

pour l imite n'est pas désigné par sa latitude.

« Ce n 'es t donc pas l ' O y a p o c , qui était, lui , as t rono-

miquement relevé et parfai tement c o n n u ; c'est donc u n

fleuve qu 'on n 'avait pas re levé, qu 'on ne pouvait re lever

qu'approximativement.

« Or, par suite de la prororoca, l ' A r a o u a r i , l ' I a p o c

de V I N C E N T P I N S O N se t rouve dans ces condit ions, qu ' en ­

core à l 'heure qu ' i l est, on ne sait pas E X A C T E M E N T sa

latitude.

« L ' O y a p o c , le V i n c e n t - P i n s o n de L i s b o n n e et

d ' U t r e c h t , est donc forcément le fleuve à latitude indécise,

et non pas le fleuve à lati tude dé te rminée et cer ta ine .

« Le silence des deux Traités de L i s b o n n e et

d ' U t r e c h t sur ce point principal est là pour l 'at tester.

Page 80: L'Oyapoc et l'Amazone : question brésilienne et française. Tome premier

( 304 ) 1 3 E L E C T U R E § 1 2 3 3

« Le Plénipoten t ia i re França is a pr i s conna i ssance officieuse du Mémoire ou projet de Mémoire r éd igé par

M. ROQUE MONTEIRO PAIM, en 1 6 9 9 , et il n ' a pu t rouver d a n s le passage de ce Mémoire relatif à la s y n o n y m i e , pour u n m ê m e cours d 'eau, des deux n o m s d ' O y a p o c k ou Vincent-Pinson, la p r e u v e que l 'honorable p lénipo­ten t ia i re brés i l ien a semblé en vouloir faire ressor t i r ; à savoir , que les p lén ipo ten t i a i res d ' U t r e c h t , en 1 7 1 3 , étaient tombés d'accord sur u n point duement débattu à

Lisbonne e n 1 7 0 0 , la position géographique du Vincent-

Pinson.

« Ni dans ce projet de Mémoire , ni dans les Mémoires effectivement r emis à l ' ambassadeu r de F r a n c e , les p lén ipo ten t ia i res por tugais n ' on t ind iqué la situation astronomique de l ' e m b o u c h u r e du V i n c e n t - P i n s o n par quatre degrés et demi; et cette indicat ion seu le , si elle eû t été conforme aux p ré t en t ions p r é s e n t e s de la cour de R i o d e J a n e i r o , pour ra i t ê t re u t i l e m e n t invoquée pa r son honorab le p lén ipo ten t ia i re .

« Le Plénipotent ia i re França is n ' a j ama i s e n t e n d u n i e r : « Ni que le Traité d ' U t r e c h t ait é té u n re tou r sur le

Traité p rov is ionne l de 1 7 0 0 , re tour tout au profit du P o r t u g a l ,

« Ni que le ter r i to i re contes té en 1 7 0 0 n 'a i t é t é , en 1 7 1 3 , a b a n d o n n é par la F r a n c e ,

« Ni que la l imi te , refusée par elle, en 1 7 0 0 , du Vincent-Pinson, n 'a i t é té pa r elle, en 1 7 1 3 , formel le­m e n t acceptée .

« Ce que le P lén ipoten t ia i re Français n ie au jou rd 'hu i , c o m m e tous les r e p r é s e n t a n t s de la F r a n c e l 'ont fait a n t é r i e u r e m e n t et chaque fois q u ' u n e tel le asser t ion s 'es produi te , c 'est que le fleuve que le plénipotentiaire brésilie

désigne au jourd 'hu i comme le Vincent-Pinson ait été,

Page 81: L'Oyapoc et l'Amazone : question brésilienne et française. Tome premier

§ 1233 13 e L E C T U R E ( 305 )

soit en 1700, soit en 1713, connu et accepté comme tel.

« Ce qu'il n ie , c'est que jamais , avant 1 8 1 5 , aucun document officiel ait présenté la lati tude exacte du fleuve l imite, telle que dans l'acte de Vienne le représentant du Portugal l'a précisée pour la première fois, c 'est-à-dire

entre les quatr ième et c inquième degrés de lati tude septentr ionale.

« C'est cette dénégat ion même que son honorable collègue devrait dé t ru i re par quelque preuve péremptoi re , pour écarter l 'objection de fait la plus considérable au thème qu'il est chargé de soutenir .

« Ce n'est pas le Traité de 1700, qui ne parle pas de latitude, à l 'aide duquel le plénipotent ia i re du B r é s i l a pu prouver celle qu'il a t t r ibue au V i n c e n t - P i n s o n .

« L'édition originale de P I M E N T E L ( 1 6 9 9 ) n ' ind ique , à la table des la t i tudes, aucune position au Nord de l ' A m a z o n e .

« On n'a pas à P a r i s l 'édition de 1712, dont parle M. DE L ' U R U G U A Y .

« Ce serait, en tous cas, à douze ans du traité de Lis­

bonne, que le géographe de la cour de P o r t u g a l ind i ­querait , pour la p remière fois, à la science é tonnée , le V i n c e n t - P i n s o n p a r l e t ravers du quat r ième degré et à la place même de notre O y a p o c .

« Le Plénipotentiaire Français confesse à son hono­rable collègue qu 'aucun témoignage ne lui semblerai t mieux autoriser certains soupçons que cette lat i tude nou­velle indiquée , à la veille du traité d'Utrecht, par u n

auteur à la solde de la cour de L i s b o n n e .

« De tous les au teurs invoqués par l 'honorable Pléni­potentiaire du B r é s i l , deux seulement ont effectivement placé le nom de V i n c e n t - P i n s o n par delà le c a p d ' O r a n g e ; mais l 'un, le jésuite FRITZ, l'a écrit à la

2 0

Page 82: L'Oyapoc et l'Amazone : question brésilienne et française. Tome premier

( 306 ) 13 e L E C T U R E § 1233

h a u t e u r de l ' A p r o u a g u e ; l ' au t re , LANGREN, l 'a écri t à l 'Ouest , et à deux cents l i eues de C a y e n n e , au hu i t i ème degré de la t i tude Nord.

« MERCATOR et O R T E L I U S ont ind iqué au Nord du C a p d u N o r d , comme le premier cours d'eau après l'Amazone,

le V i n c e n t - P i n s o n .

« Et ils ont confirmé cette indicat ion par celle de la l a t i tude .

« O R T E L I U S , d a n s son édi t ion de 1 5 7 0 et dans les sui­van tes , place le C a p d u N o r d env i ron à deux degrés et écrit à côté : — Rio de Vincent-Pinson.

« Dans l 'at las de G É R A R D M E R C A T O R ( A m s t e r d a m , 1 6 0 6 ) ,

les deux car tes America et America meridionalis d o n n e n t tou tes deux le C a p d u N o r d en b o n n e la t i tude , et i m m é ­d i a t emen t au -des sus : — Pinis B., abrévia t ion de Pin-sonis.

« Une édi t ion de 1 6 1 3 d o n n e les m ê m e s c a r t e s ; et u n e édi t ion pos t é r i eu re faite par MICHEL MERCATOR p r é sen t e , sur la carte Orbis terrée descriptio, en b o n n e la t i tude au C a p B l a n c o ou Nord, R. de Vincent-Pinson.

« Voyons m a i n t e n a n t ce que nous dira u n savant du

xvi e siècle, u n savan t qui était , comme souvent alors , à la

fois i m p r i m e u r , g r a v e u r et l ibra i re , c 'es t -à-dire dont les

t ravaux nous offrent la double sécur i té du savoir et de la

perfection d 'exécut ion : THÉODORE D E BRY.

« La car te de D E BRY, — A m e r i c æ pars tertia, 1 5 9 2 , —

porte u n e éche l le de qua t r e mi l l imèt res par deg ré , et me t

le V i n c e n t - P i n s o n pa r deux degrés Nord.

« La car te , — A m e r i c æ pars quarta, 1 5 9 4 , — a u n e

échel le p lus g r ande encore , celle d 'un cen t imè t r e par

Page 83: L'Oyapoc et l'Amazone : question brésilienne et française. Tome premier

§ 1 2 3 3 1 3 E L E C T U R E ( 3 0 7 )

deg ré ; elle met le Vincent. Pinson a la hauteur du

deuxième degré, et non pas au quatrième.

« La carte, — A m e r i c æ pars sexta, — est à l 'échelle de

trois mil l imètres par degré ; elle donne au premier cours d'eau après l ' A m a z o n e , au deuxième degré Nord, le nom de Vincent Pinson.

« La carte, — A m e r i c æ pars octava, 1 6 2 5 , — dressée

selon la projection s téréographique et bien graduée , donne le Vincent Pinson à deux degrés.

« Enfin, le texte de la douzième par t ie , — A m e r i c æ

pars duodecimo, — donne (page 7 1 ) l 'opinion de D E BRY sur les l imites du B r é s i l à cette époque : — Brasilia

inter duos fluvios sita est, MARAGNON et de la Plata, —

y est-il dit.

« Je tons u n coup d'œil, en passant , sur un document manuscr i t , mais d 'une autori té part iculière ;

« Sur u n e mappemonde originale (in-folio vélin) que le roi de F r a n c e H E N R I I I fit dresser pour son fils L E

D A U P H I N , vers 1 5 5 0 .

« Au Nord de l 'équateur , à la position du Cap N o r d , on l i t — Rivière de Vincent.

« Ouvrons encore un des plus beaux m o n u m e n t s de la science et de la typographie au xviie siècle ;

« L'Arcano del Mare de ROBERT D U D L E Y , DUC D E N O R ­

T H U M B E R L A N D .

« Ces cartes (publiées pour la première fois à F l o ­r e n c e en 1 6 3 7 ) ont été dressées d 'après les documents les plus accrédités alors, et sur les notions recueil l ies pendan t deux explorations successives de la G u y a n e : celle de l 'auteur, le DUC D E N O R T H U M B E B L A N D , en 1 5 9 5 , et celle exécutée en 1 6 0 8 , par ordre et aux frais du G R A N D - D U C D E

T O S C A N E F E R D I N A N D I E R , par le capitaine anglais R O B E R T

T H O R N T O N .

Page 84: L'Oyapoc et l'Amazone : question brésilienne et française. Tome premier

( 308 ) 13 e L E C T U R E § 1233

« La car te n° 14, du vo lume II, nous donne au qua­trième degré de la t i tude Nord, — la baie et la rivière de Wiapogo. —

« La carte de la Guyane, n° 16, au-dessus du Cap Nord et le touchant presque, — la baie et la rivière de Vincent Pinson. —

Pesons m a i n t e n a n t le témoignage de João TEIXEIRA,

cosmographe de la cou ronne de P o r t u g a l , au t eu r officiel, dans son Atlas manusc r i t , daté de 1640, et ayant pou r t i t re : — Descripçáo de todo o marilimo da Terra de Santa

Crus, chamada vulgarmente o Brasil.

« La carte n° 1 de son Atlas por te , à sa base , u n e échel le de la t i tude par fa i t ement g raduée : — chaque degré occupe u n cen t imè t r e . Le Cap du Nord y est ind iqué à deux d e g r é s ; le Vincent Pinson à deux degrés et quel­

ques minutes.

« La carte n° 32 n e répète pas l 'échel le des la t i tudes , ma i s elle por te l ' indicat ion de la l igne équinoxia le , et on y lit d 'a i l leurs en toutes lettres : Cabo do Norte em altura

de doits gráos de Norte. « Cap d u N o r d à la h a u t e u r de

deux degrés au Nord » ; pu i s au -dessus , à que lques m i n u t e s du Cap N o r d , se t rouve u n e rivière su r la rive droite et mér id iona le de laquel le est dess inée u n e tour de garde . La l égende por te t ex tue l l ement : Rio de Vicente Pinson, por donde passa a linha de demarcaçáo das duos conquislas,

r ivière de V i n c e n t P i n s o n , pa r où passe la l igne de démarca t ion des deux conquê te s .

« L'original de l 'Atlas de T E I X E I R A existe à la Biblio­t h è q u e Impéria le de P a r i s , et u n e copie a u t h e n t i q u e de cet Atlas, vérifiée et certifiée par le savant M. JOMARD, a é té remise , su r sa d e m a n d e , à l ' ancien min i s t re p lén ipo­tent iaire de S. M. B r é s i l i e n n e , à P a r i s , M. D E ARAUJO

RIBEIRO, copie qui existe à la Bibl iothèque Impér ia le de R io d e J a n e i r o .

Page 85: L'Oyapoc et l'Amazone : question brésilienne et française. Tome premier

§ 1233 13 e L E C T U R E ( 309 )

« Arrêtons-nous après ces grandes autorités géogra­phiques des ORTELIUS, des MERCATOR, des D E BRY, des DUDLEY, des TEIXEIRA; et consul tons main tenan t , non plus des cartes, mais des textes historiques de m ê m e date .

« Ouvrons la Historia Pontifical, de MARCOS D E GUADA

L A X A R A , impr imée à B a r c e l o n e en 1630. « Nous y lisons (page 258) :

« Il y a près de quatre cents l ieues de littoral depuis « G e a r á , qui se t rouve à trois degrés et u n tiers du côté « du Sud, si l 'on ne se t rompe pas, jusqu ' à la dernière « borne du Brésil à deux degrés du côté du Nord, — jusqu 'à

« la rivière de Vicente lañez Pinzon, où l'on assure qu ' i l « y a d 'un côté u n pilier de marbre aux armes du P o r t u -« gal, et de l 'autre côté u n autre aux armes de C a s t i l l e , « planté par l 'ordre de l 'Empereur CHARLES-QUINT. »

« Et qui a cité le premier ce fait des bornes l imites e t de leur emplacement?

« SILVEIRA, u n au teur portugais .

« Passons à u n manuscr i t de 1587, imprimé à Lis ­b o n n e en 1825, Noticia do Brasil, par GABRIEL SOARES.

« Après avoir consacré u n chapitre au Traité de T o r -d e s i l l a s , du 7 ju in 1494, entre l ' E s p a g n e et le P o r t u g a l , l 'auteur dit, chapitre III :

« D'après l 'article p récédent , il est clairement démon-« tré que la côte du B r é s i l commence au delà de la rivière « des A m a z o n e s , du côté de l 'Ouest, par la ter re dite des « C a r i b e s , depuis la rivière de V i n c e n t P i n ç o n , qui « reste sous la ligne. De cette rivière de V i n c e n t P i n ç o n , « à la pointe de la rivière des A m a z o n e s qu 'on appelle « Cap C o r s o , laquelle pointe est sous la l igne équinoxiale, « il y a quinze l ieues. »

Page 86: L'Oyapoc et l'Amazone : question brésilienne et française. Tome premier

( 310 ) 1 3 E L E C T U R E § 1233

« Que d e m a n d e r de p lus positif que ces deux passages de G U A D A L A X A R A et de S O A R E S !

« Le p r e m i e r me t au deuxième degré la l imite en t re les possess ions espagnoles et por tugaises .

« Le second d o n n e le nom de V i n c e n t - P i n s o n au cours d'eau le plus voisin de l'Amazone.

« Examinons m a i n t e n a n t quels t émoignages vont nous apporter les m o n u m e n t s h i s tor iques ou géograph iques con­temporains des Traités de Lisbonne et d'Utrecht.

« Deux préc ieux d o c u m e n t s s'offrent d 'abord à n o u s . « L 'un n ' e s t au t re que la carte au then t i que sur laquel le

l a dél imita t ion en t r e l ' E s p a g n e et le P o r t u g a l pour leurs possess ions d ' A m é r i q u e a été ar rê tée en 1749.

« L 'au t re est u n l ivre dont la va leur n ' e s t pas con te s ­tée : c 'est l ' ouvrage dans lequel u n des p lus r emarquab l e s g o u v e r n e u r s qu 'a i t eus le M a r a g n a n , B E R N A R D D E B E R -

R E D O , a cons igné les détai ls de son adminis t ra t ion et de ses savan tes r e c h e r c h e s .

« Une copie légal isée de la carte manusc r i t e por tugaise de 1749, qu i a servi au Traité de l imites des possess ions espagnoles et por tuga ises en A m é r i q u e , s ignée à M a d r i d le 12 jui l le t 1751 (carte qui por te les s igna tu res or iginales des p lén ipo ten t i a i res des deux pays , J O S E P H D E C A R V A J A L

Y L A N C A S T E R pou r l ' E s p a g n e , et T O M A S DA S I L V A T E L L E S

pour le P o r t u g a l ) , n o m m e la b ranche Nord de l'A r a o u a r i , rivière de Vincent Pinzon.

« Ouvrons les Annaes historicos do Estado do Mara-

nhâo, par B E R N A R D O P E R E I R A D E B E R R E D O .

« Nous y l i sons , au sujet des l imi tes de la capi ta iner ie généra le de M a r a g n a n , page 7 :

« L'État de M a r a g n a n se t e r m i n e , ainsi que les posses-

Page 87: L'Oyapoc et l'Amazone : question brésilienne et française. Tome premier

§ 1233 13e L E C T U R E ( 311 )

« sions por tugaises en A m é r i q u e , à la r ivière de Vicente

« Pinzon, que les F r a n ç a i s appellent Wiapoc, un degré

« trente minutes au Nord de l 'équateur . »

« La même rivière sert aussi de limites aux I n d e s d u

r o y a u m e d e C a s t i l l e , par une borne de marbre que fit

ériger en un lieu élevé, près de son embouchure , l 'em­

pereur CHARLES-QUINT, selon le rapport de SIMÃO ESTACIO

D A SILVEIRA, cité par frère MARCOS D E GUADALAXARA. Cette

borne n 'était connue depuis plus d 'un siècle que par les

traditions anc iennes success ivement t ransmises ; mais elle

a été découverte , en 1723, par JOÁO PAES D E AMARAL, capi­

taine d 'une des compagnies d'infanterie de la garnison du

P a r á .

« . . . . Il résulte clairement de l 'existence de cette borne

de CHARLES-QUINT, que la rivière de Vicente Pinzon est

la véri table l imite de la nouvel le colonie française, au

Nord de la capitainerie du G r ã o Pará.

« La lat i tude indiquée par BERREDO pour l ' embouchure

de la rivière de Vincent-Pinson la place préc isément à

l 'endroit où la carte de DELISLE (1703) place l ' A r a o u a r i et

la baie de Vincent-Pinson.

« BERREDO est P o r t u g a i s d 'abord, savant et let tré en­

sui te ; et, enfin, fonctionnaire considérable de son pays,

gouverneur d 'une des plus importantes provinces d 'outre­

m e r ; il a gouverné le M a r a g n o n pendant quatre a n s ;

après son gouvernement , il est resté deux ans encore dans

la contrée , pour y contrôler et y compléter les not ions

recueillies durant son adminis t ra t ion; il n 'a publié ses

Annales historiques sur le Maragnon qu 'après six années

de rés idence ou d'exploration de ces lat i tudes.

« Finissons notre examen par les Documents postérieurs

et étrangers à Utrecht.

« Nous ne voulons invoquer , ni d 'ANviLLE, n i BUACHE,

ni VAUGONDY père et fils, ni MENTELLE ;

Page 88: L'Oyapoc et l'Amazone : question brésilienne et française. Tome premier

( 3 1 2 ) 1 3 E L E C T U R E § 1 2 3 3

« Nous ne les i nvoque rons pas , parce qu'ils sont Fran­

çais;

« Nous nous con ten te rons de consta ter , comme u n e sorte de j u g e m e n t de la sc ience , les t émoignages d ' au teurs p r i s , deux chez les A n g l a i s , deux chez les A l l e m a n d s , deux chez les A m é r i c a i n s , et enfin deux chez les Brési­liens eux-mêmes

« Corographia Paráense, par IGNACIO ACCIOLI D E C E R -

Q U E I R A E SILVA, B a h i a , 1 8 3 3 .

« L 'au teur dit à la page 1 9 8 : — L ' O y a p o k , vér i table l imite du B r é s i l , se t rouve à la la t i tude sep ten t r iona le de 4 degrés 1 1 m i n u t e s , et le Vincente Pinçon à 2 degrés 1 0 m i n u t e s .

« Ensaio Corographico sobre a provincia do P a r á pa r

A. L. MONTEIRO B A E N A , Pará, 1 8 3 9 .

« L 'au teur , à la page 4 9 2 , d o n n e l ' i t inéraire de Macapá à not re O y a p o c , et cons ta te que celui-ci se t rouve à t r en t e -six l i eues et demie au Nord du Vincent-Pinson, soit à c inquan te l ieues de F r a n c e (de v ing t -c inq au deg ré , au lieu de dix-sept et demie) , c 'est-à-dire à deux degrés, comme le dit de son côté M. ACCIOLI .

« Pu i sque n o u s s o m m e s forcés de par le r si long temps de la rivière de Vincent Pinson, p o u r r o n s - n o u s dire

que lques mots de VINCENT PINSON lu i -même, du voyage p e n d a n t lequel il découvr i t , en j anv ie r 1 5 0 0 , la côte du B r é s i l , l ' embouchure des A m a z o n e s et la r ivière qui por te encore au jourd 'hu i son n o m ; de celui de K E Y M I S , qui suivit ses t races à u n siècle de d i s tance? Nous permet t ra - t -on de rappeler qu ' i l résu l te des no t ions accrédi tées sur les excur­sions de ces deux i l lus t res explora teurs , rapprochées et éclairées l 'une pa r l ' au t re ;

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§ 1 2 3 3 1 3 E L E C T U R E ( 3 1 3 )

Procès-verbal de la huitième séance.

17 novembre 1855.

« Qu'ajouter de plus? « Une preuve matérielle, en que lque sorte , de la légi­

timité de nos droits? « Eh bien ! nous allons la donner ; mais comme notre

droit pouvait , à not re avis, s 'établir par la démonstration seule, nous avons voulu la développer tout ent ière , avant de produire u n document qui l 'eût r endue inut i le . »

« La séance demeure u n instant suspendue , et, sur l ' invitat ion de M . L E B A R O N D E BUTENVAL, le secrétaire de la conférence se rend au dépôt des Archives du dépar te ­men t des Affaires Étrangères , d'où il rapporte bientôt deux volumes manuscr i t s , n o s 3 3 et 3 4 , in-folio, rel iés en maro ­quin rouge, aux armes de M . D E TORCY et por tant le mi l lé ­sime de 1699 et 1 7 0 0 .

« Qu'ils avaient reconnu au Nord de l ' A m a z o n e et près du Cap N o r d un grand cours d'eau;

« Que ce cours d 'eau avait deux embouchures ; « Qu'il s'appelait alors indifféremment et s imultané­

ment , Araouari, Iwaripoco, C a r a p a p o u r i , W a r i p o c o , Iapoco, Oyapoco;

« Et que, des circonstances part icul ières au voyage de VINCENT PINSON, résulte u n e probabili té b ien voisine de l 'évidence, et indépendante même des m o n u m e n t s géogra­phiques , que c'est à ce grand cours d'eau que le compagnon de COLOMB a laissé son nom, de telle sorte que depuis on l'a appelé le W a r i p o c o , l ' A r a o u a r i , l ' I a p o c o , l ' O y a p o c o D E VINCENT PINSON. »

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( 3 1 4 ) 1 3 E L E C T U R E § 1 2 3 3

« Le P lén ipo ten t ia i re França is p ré sen te ces vo lumes , qui c o n t i e n n e n t la co r r e spondance or iginale de M. le prési­den t ROUILLÉ avec les a n n e x e s , à M. le P lén ipoten t ia i re du B r é s i l . Il l ' invi te à por te r son a t ten t ion sur deux pièces é m a n é e s de la chance l le r ie por tuga ise et à b ien cons ta ter l u i - m ê m e l ' ident i té de papier , d ' éc r i tu re , e tc . L 'une de ces pièces est s ignée des p lén ipo ten t i a i res por tuga i s (c'est la Minute du Traité provis ionne l de 1 7 0 0 ) ; l ' au t re , comme Mémoire a n n e x é , n e por te pas de s igna tu re .

« M. L E V I C O M T E D E L ' U R U G U A Y , après avoir examiné l 'état matér ie l des deux d o c u m e n t s , dit qu ' i l n ' en t end ra i t nu l l emen t n ier l eu r au then t i c i t é , m ê m e alors que l 'asser­t ion du Plénipotent ia i re França is en serai t la seule garant ie .

« M. D E BUTENVAL r e p r e n d alors la parole et d o n n e lec­ture à son honorab le col lègue des deux passages su ivan t s du Mémoire r e m i s pa r le cabinet de S. M. T r è s - F i d è l e à M. D E R O U I L L É au mois de j anv ie r 1699.

« Réponse au Mémoire p r é sen t é par le Très Excel. Sei-« g n e u r Ambassadeu r du R o i T r è s - C h r e s t i e n touchan t « le droit que la F r a n c e p ré t end avoir su r les t e r r e s occi-« denta les de la r iv ière des A m a z o n e s . J anv ie r 1699. »

« Folio 295 de la t raduc t ion . « On voit encore p lus « c la i rement le peu de force qu 'on t les Le t t res (Lettres « pa t en te s de Louis XIII) p o u r établ ir le droit de la « F r a n c e , en ce q u e , b ien loin d'y comprend re les t e r res « du Cap N o r d j u s q u ' à la r iv ière V i n c e n t - P i n s o n , au « cont ra i re on les excepte t ac i t emen t , et le R o i T r è s -« C h r é t i e n , c o m m e le Cardinal , r econna i s sen t que ces « pays appar tena ien t aux P o r t u g a i s , pa rce qu ' i ls dé -« c larent e x p r e s s é m e n t que ceux qui ob t i ennen t ces « Let t res p o u r r o n t négoc ie r avec les I n d i e n s du pays « depuis le t ro is ième degré et trois qua r t s de h a u t e u r « j u s q u ' a u q u a t r i è m e degré trois qua r t s inc lus ivement , et « comme le Cap du Nord est situé à peine à deux degrés, et

« la rivière de Vincent-Pinson à peine à. trois degrés, il

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§ 1233 13 e L E C T U R E ( 315 )

« s'en suit évidemment qu'on a excepté ces pays du Cap « du Nord jusqu'à ladite rivière de Vincent-Pinson ou « de O y a p o c . »

« Fol. 303 verso de la t raduct ion. « Quand la nat ion « française voudra faire des découvertes pour acquérir de « nouveaux vassaux et de nouvel les provinces à la cou-« ronne de F r a n c e , la rivière d'Oyapoc ou de Vincent

« Pinson se trouve située à deux degrés cinquante minutes

« du côté du Nord, et de là à C a y e n n e il y a environ « soixante l ieues de côtes avec quelques ports . Il y a, outre « cela, u n pays infini en ent rant dans les te r res . C'est de « quoi employer son industr ie et sa valeur pendan t « nombre d ' années . »

« Cette lecture t e rminée , M. le Plénipotent iaire de F r a n c e termine en ces te rmes :

« L'honorable Plénipotentiaire du B r é s i l , dans u n e séance p récéden te , disait :

« Il est vrai que j e ne puis pas citer u n documen t « officiel qui donne exactement la lat i tude du V i n c e n t -« P i n s o n d ' U t r e c h t par le quat r ième degré et d e m i ; — « ce qui terminerait la difficulté; — mais la F r a n c e ne « le peut pas davantage . »

« L'honorable Plénipotentiaire du B r é s i l était mal informé. Nous possédions la lat i tude du V i n c e n t - P i n ­s o n de L i s b o n n e et d ' U t r e c h t exactement indiquée dans u n document officiel et portugais.

« La loyauté du Gouvernement Brésilien et celle de son noble représentan t nous assurent que la difficulté est terminée, ou bien près de l 'être. »

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( 316 ) 13 e L E C T U R E § 1234

1234. M. le VICOMTE D E L 'URUGUAY répl iqua :

« Une l imite établ ie où l 'honorable Plénipotent ia i re França i s veu t la me t t r e n 'a t te indra i t pas le bu t du Traité d ' U t r e c h t . Elle ouvri ra i t par des inonda t ions , par u n e infinité de canaux qu' i l est impossible de survei l ler , u n e communica t ion c landes t ine avec la r ivière des A m a ­z o n e s , pré judic iable aux deux pays , source in tar issable de d é s a g r é m e n t s , et qui ne pourra i t ê t re régu la r i sée . Il serait imposs ible d 'évi ter la c o n t r e b a n d e , la fuite des cr iminels et des dése r t eu r s des deux pays , et des esclaves du B r é s i l . Ces inconvén ien t s , qui p e u v e n t exister au jourd 'hu i sur u n e pet i te échel le , se p rodu i ra ien t sur u n e t rès g r ande .

« La défense faite, par l 'art icle 12 du Traité d ' U t r e c h t , aux F r a n ç a i s de passer la r ivière de V i n c e n t P i n ç o n pour aller c o m m e r c e r au M a r a g n a n et aux te r res du C a p d u N o r d , et aux P o r t u g a i s d'aller commerce r à C a y e n n e , ne peu t ê t re invoquée c o m m e suffisante, pour évi ter les inconvén ien t s qui v i e n n e n t d 'ê t re exposés su r des front ières sur lesquel les l 'autori té des deux pays n e peu t é t e n d r e son action et sa v ig i lance . Une simple défense sans sanct ion péna le , écri te dans u n Trai té , re la t ive à u n pays déser t , t rès é loigné des autori tés qui pour ra i en t la faire observer , n e pouvai t r empl i r le bu t du Trai té . Il fallait en ou t re m e t t r e en t r e les points défendus u n espace suffisant pour r e n d r e , dans l 'état où étaient a lors , et sont encore ces parages dése r t s , la violat ion de la défense pour le mo ins t rès difficile.

« Le texte du Traité de 1700 p rouve que la déno ­mina t ion de terres du Cap du Nord était alors t r è s la rge , et comprena i t le ter r i to i re qui s 'é tend de ce

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§ 1234 13e L E C T U R E ( 317 )

cap jusqu 'à l ' O y a p o c k . Son article premier s 'exprime ainsi : « Terres qui s 'é tendent depuis lesdits forts vers le « Cap d u N o r d et sur la côte de la m e r jusqu ' à l 'embou-« chure de la rivière O y a p o c k ou de V i n c e n t P i n s o n . » « L'article suppose donc u n espace considérable ent re le Cap d u N o r d , sur la côte de la mer , et la r ivière d ' O y a p o c ou V i n c e n t P i n s o n . Il ordonnai t de démolir non-seu­lement les forts qui se t rouvaient entre A r a g u a r y , C a m a u ou Macapá et le Cap du N o r d , mais aussi ceux qui pourra ient se t rouver en t re le Cap d u N o r d , sur la côte de la mer , jusqu 'à la r ivière O y a p o c k ou V i n c e n t P i n s o n .

« A l 'époque du Traité d ' U t r e c h t , la quest ion était exactement sur le même terrain où l'avait posée le Traité provisionnel de 1700, c'est-à-dire il s'agissait de décider à qui appart iendraient définit ivement les terres l i t igieuses qui s 'étendaient depuis l ' A r a g u a r y , Macapá ou C a m a u , jusqu ' au Cap du N o r d , et du Cap du N o r d , sur la côte de la mer , jusqu ' à la rivière O y a p o c k ou V i n c e n t P i n s o n .

« Le Traité d ' U t r e c h t résolut définit ivement la ques ­t ion; il la prit dans les termes où l 'avait posée le Traité provis ionnel de 1700, et il la résolut dans les mêmes termes.

« Le Traité d ' U t r e c h t s ' intitule officiellement : Traité de paix et d'amitié ent re Louis XIV, roi de F r a n c e , et JEAN V, roi de P o r t u g a l , portant cession et renoncia­tion, de la part de Sa M a j e s t é T r è s - C h r é t i e n n e , — à toutes les ter res appelées Cap d u N o r d , à toutes celles des deux côtes de la r ivière des A m a z o n e s , à la na ­vigation et commerce de cette r ivière .

« Dans l 'article 8 e , il stipula la renoncia t ion, non s implement aux terres du Cap d u N o r d , mais à celles appelées (alors) du Cap d u N o r d , si tuées ent re la r ivière des A m a z o n e s et celle d ' I a p o c ou V i n c e n t P i n s o n .

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( 318 ) 13e L E C T U R E § 1234

« L'art icle 9 e , qui cite le Traité provis ionnel de 1700, est u n e s imple conséquence du p récéden t , faculté de faire rebât i r les forts démolis d ' A r a g u a r y , C a m a u ou Macapá, en t r e ce d e r n i e r et le Cap d u N o r d ; faculté de faire rebât i r les forts qui au ra i en t pu être démol is en t re le Cap d u N o r d , sur la côte de la mer , j u squ ' à la r ivière O y a p o c k ou V i n c e n t P i n s o n .

« L'article 10 e con t ien t la r econna i s sance du droit de la cou ronne de P o r t u g a l aux deux bords de la r ivière des A m a z o n e s .

« L'ar t icle 1 1 e con t ien t la p romesse que se font réci­p r o q u e m e n t les deux c o u r o n n e s de ne pas pe rme t t r e que leurs sujets a i l lent négocier sur le terr i toire vois in.

« Les s t ipula t ions des art icles 8 e , 10 e et 1 1 e sont dif­fé ren tes , quo iqu ' e l l e s a ien t tou tes rappor t à l ' a r r angement du lit ige défini par le Trai té p rov is ionne l de 1700.

« Ainsi, les ar t ic les 10e et 1 1 e ne p e u v e n t pas l imiter l 'article 8 e . Ils en sont des conséquences , et n o n des res t r ic t ions .

« On ne peu t pas r e s t r e ind re la l imite établie dans l 'art icle 10 e . L'art icle 8 e par le des terres du Cap d u N o r d s i tuées en t r e la r iv ière des A m a z o n e s , depuis l 'Ara -g u a r y , C a m a u ou Macapá, j u squ ' à la r ivière O y a p o c k ou V i n c e n t P i n s o n ; l 'article 10 e , des deux bords de la r ivière des A m a z o n e s , t an t le mér id iona l que le septen­tr ional . Ce sont choses d iverses .

« Le Traité d ' U t r e c h t résolut déf ini t ivement la ques­tion, et il la réso lu t en posan t la l imite à la m ê m e rivière I a p o c ( O y a p o c k ) ou V i n c e n t P i n s o n , et en se se rvan t , comme le Traité de 1700, c u m u l a t i v e m e n t de ces deux n o m s , avec la conjonct ion a l ternat ive ou, qui cer ta ine­m e n t n ' i nd ique pas l ' a l te rna t ive de deux r iv ières , mais celle de deux n o m s qui alors dés igna ien t la m ê m e r iv ière .

« Ainsi le Traité d ' U t r e c h t s 'explique parfa i tement par ses an t écéden t s et par d ' au t res Trai tés an té r ieurs . Cette

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§ 1 2 3 4 1 3 E L E C T U R E ( 3 1 9 )

explication officielle est complètement d'accord avec les géographes antér ieurs au même Traité, qui donnaien t , les uns , à la r ivière d ' O y a p o c k , le nom de I a p o c , W i a p o c , et d 'autres celui de V i n c e n t P i n s o n .

« Si l ' intention des négociateurs d ' U t r e c h t avait été de céder seu lement au P o r t u g a l le bord septentr ional de la rivière des A m a z o n e s jusqu ' au Cap d u N o r d , il aurait suffi de déclarer dans l 'article 10e que Sa M a j e s t é T r è s -C h r é t i e n n e reconnaissai t que les deux bords de l 'Ama­z o n e , le méridional comme le septentr ional jusqu ' au Cap d u N o r d , appar tenaient à la couronne du P o r t u g a l . L'ar­ticle 8 e serait inut i le , et il serait inuti le de parler des ter res du Cap d u N o r d . Mais comme la F r a n c e prétendai t non-seulement les terres du Cap d u N o r d , mais faisait valoir aussi des droits aux deux bords de la rivière des A m a z o n e s , on se vit dans la nécessi té de met t re deux articles dans le Traité, chacun relatif à chacune de ces pré ten t ions . On mit ainsi le Traité définitif d ' U t r e c h t en parfait rapport avec le provisionnel de 1 7 0 0 , quant aux terres du Cap du Nord.

« En p renan t ces paroles — Terres du Cap Nord —

dans leur sens le plus restrictif, ce point est u n point clair par lu i -même .

« Le Cap d u N o r d , selon l 'observation de LA CONDA-

M I N E , est à 1 degré 51 minu tes . L'expression — T e r r e s d u Cap N o r d , — dans son sens na ture l et le plus res t r ic­tif, veut dire te r res immédia tement adjacentes au Cap N o r d , ter res si tuées sous la même lat i tude, c 'est-à-dire à 1 degré 51 minu tes .

« L'honorable Plénipotentiaire Français p ré tend inter­préter le Traité d ' U t r e c h t , en établissant la limite à l ' A r a g u a r y .

« Or, l ' A r a g u a r y se t rouve à 1 degré u n tiers de lati­tude septentr ionale . Cette latitude a été r econnue et fixée

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( 320 ) 13 e L E C T U R E § 1234

par deux Tra i tés , ceux de B a d a j o z et d ' A m i e n s . Ce qu ' i l y a de cer ta in , c 'est que cette r ivière se t rouve à 1 degré 20 m i n u t e s env i ron .

« La c o n s é q u e n c e de cette dél imitat ion, de cet te in ter­pré ta t ion, serai t que les t e r res s i tuées sous la la t i tude du Cap N o r d , c 'es t -à-di re à 1 degré 51 m i n u t e s , v i endra ien t à appar ten i r à la F r a n c e . Ainsi l ' in terpré ta t ion du point dou teux du Traité d ' U t r e c h t dét rui ra i t le texte l u i -même d 'un point fort clair du Trai té .

« Et qu 'on ne s'y t r ompe pas , la b r anche Nord de l ' A r a g u a r y , à laquel le l 'honorable P lénipotent ia i re F r a n ­çais p r é t end d o n n e r le n o m de r iv ière de V i n c e n t - P i n s o n n e serai t pas la l imi te en t r e le B r é s i l et la F r a n c e , car cet te r ivière séparerai t à pe ine , se lon les car tes , u n terri­toire appa r t enan t à la F r a n c e , de l'île de M a r a c á , ou île du Cap N o r d , qui lui appar t iendra i t auss i . Elle ne sépare­rait pas u n ter r i to i re français d 'un terr i to i re brés i l ien . Elle donnera i t à la F r a n c e tou tes les t e r res du C a p N o r d sans a u c u n e except ion. La vra ie , la seule l imite serait l ' A r a ­g u a r y , qui n ' a j ama i s été appelé V i n c e n t - P i n s o n , ni I a p o c , et auque l tou tes les cartes anc iennes donnen t le n o m u n i q u e d ' A r a g u a r y .

« Les Trai tés de 1700 et d ' U t r e c h t se se rven t de deux

n o m s , r ivière Oyapoc dite de Vincent-Pinson, r ivière

Iapoc ou Vincent-Pinson.

« Ce sont deux n o m s pris cumula t i vemen t pour indi­

que r la m ê m e r iv iè re .

« Il y a au tan t de ra ison pour p r e n d r e comme base

d ' in terpré ta t ion du Traité d ' U t r e c h t la dénomina t ion

Iapoc qu ' i l con t ien t , que celle de Vincent-Pinson, qu' i l

cont ien t auss i .

« L 'honorab le Plénipotent ia i re França is s 'est a t taché

exc lus ivement à la dénomina t ion Vincent-Pinson.

« C'est elle j u s t e m e n t qui appor te tant de confusion

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§ 1234 1 3 e L E C T U R E ( 321 )

dans ce débat . C'est la dénominat ion à in terpréter , et l 'on

prétend l ' interpréter par e l le-même exclusivement .

« Pourquoi ne pas chercher dans l 'autre dénominat ion

Oyapoc, Iapoc, la lumière qui dissipe tous les doutes , et

qui simplifie la quest ion, comme le Plénipotent ia i re Brési­

lien avait cherché à la simplifier dans son Mémoire?

« Pour écar ter cette maniè re de résoudre la quest ion, l 'honorable Plénipotentiaire Français a cherché à inter­préter les dénominat ions O y a p o c o , I a p o c o , W a r i p o c o . et, par conséquent I a p o c , O y a p o c , O y a p o c k , de la m a ­nière suivante :

« Il p ré tend que O y a p o c o , I a p o c o , W a r i p o c o , et, par conséquent I a p o c , O y a p o c k , est un nom appellatif, un nom commun, c'est-à-dire qui convient à toute une espèce. Il veut dire un grand cours d'eau.

« Si cet te parole veut dire un grand cours d'eau, il est plus probable que les géographes l 'aient exclusivement appliquée au cours d 'eau le plus considérable, connu de tous les temps, sur les côtes de la G u y a n e , c 'est-à-dire à l ' O y a p o ç k , ent re le 4 e et le 5e degré , et non à des r ivières non connues alors, et dont les embouchures et le cours ont toujours été variables.

« Mais supposons que la dénominat ion Oyapoc du Traité d ' U t r e c h t veuille dire grand cours d'eau.

« Alors les paroles R i v i è r e O y a p o c dite de V i n c e n t -P i n s o n , du Traité de 1700, et R i v i è r e I a p o c ou V i n ­c e n t - P i n s o n , du Traité d ' U t r e c h t , voudra ient dire :

« Rivière grand cours d'eau ou V i n c e n t - P i n s o n .

« Il y aurait là u n e redondance vicieuse, u n p léonasme, qui n 'échapperai t pas aux négociateurs de 1700 et d ' U t r e c h t .

« Presque toutes les cartes anc iennes por tent au Cap O r a n g e , R i v i è r e W a y a p o c o , R i v i è r e W i a p o c o , I a p o c o ,

2 1

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( 322 ) 13e L E C T U R E § 123-4

O y a p o c , ce qui équ ivaudra i t à rivière grand cours d'eau,

et n e signifierait r i en .

« W i a p o c o , W a y a p o c o , I a p o c o , I a p o c , O y a ­

p o c , e tc . , n 'es t donc pas u n n o m appellatif. C'est u n n o m

propre qui ne convien t qu 'à u n e r iv ière , celle qui débouche

au C a p O r a n g e en t r e le 4 e et le 5 e deg ré .

« Il faudrai t que la F r a n c e ind iquâ t sur le l i t toral , en t re le Cap d ' O r a n g e et le C a p d u N o r d , u n e r iv ière à laquel le on eût d o n n é , avant le Traité d ' U t r e c h t , c u m u -la t ivoment ou s é p a r é m e n t en différentes car tes , les n o m s d ' O y a p o c k ou de V i n c e n t - P i n s o n . Elle ne peu t l ' in­diquer .

« Il n 'es t pas p rouvé que V I N C E N T - P I N S O N découvr i t u n e r iv ière au Nord du C a p N o r d , appelée alors indifféremment ou s i m u l t a n é m e n t A r a w a r i , I w a r i p o c o , I a p o c o et O y a ­p o c k .

« Une asser t ion si ex t raord ina i re , qui n e peu t qu ' é tonne r le P lén ipo ten t ia i re Brési l ien, qui l ' en tend pour la p remiè re fois, doit ê t re appuyée sur des p reuves t r è s posi t ives .

« Il est m ê m e invra i semblab le que P I N S O N , qui venai t de découvr i r le g rand fleuve des A m a z o n e s , et qui se diri­geait vers l 'Ouest , l ongean t la côte , ayan t à pe ine fait 40 ou 50 l ieues , fût déba rque r sur u n e côte i n o n d é e , qui ne p e r m e t pas l 'accès à de g rands b â t i m e n t s , et où le p h é n o ­m è n e de la pororoca met t ra i t les s iens dans le p lus g rand pér i l .

« Il est m ê m e avéré que PINSON ne découvr i t et ne donna son n o m à a u c u n e r iv ière sur la côte de la G u y a n e .

« Il semble que les vra ies no t ions sur le voyage de V I N ­

C E N T - P I N S O N s 'obscurc i rent . Les géographes qui se su iv i ren t c o m m e n c è r e n t à m e t t r e la r iv ière de V i n c e n t - P i n s o n , que RIBERO ava i t mise au Sud de l ' A m a z o n e , au Nord; et

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§ 1 2 3 4 1 3 E L E C T U R E ( 3 2 3 )

il résul ta u n e telle confusion, que chacun commença à la mettre où bon lui semblait .

« Il n 'es t pas surprenant que quelques géographes l 'aient mise à l ' O y a p o c k . C'était la rivière la plus considé­rable qu 'on mettai t sur toutes les cartes, et il était na ture l qu'on penchât à croire (dans le doute) que VINCENT-PINSON

avait découvert la rivière la plus considérable, qui aurait offert u n port à ses vaisseaux, et y aurait débarqué .

« Le Plénipotent iaire Brésilien croit que l 'édition qu'i l a citée du cosmographe portugais P IMENTEL a toute valeur historique. Quoiqu'elle ait été publiée en 1 7 1 2 , la permis­sion pour sa publication, qui se t rouve en tê te , est de 1 7 0 9 .

« PIMENTEL n ' a pas énoncé u n e opinion particulière et d'occasion; il a énoncé u n e opinion arrêtée depuis 1 6 9 9 , fixée par le Traité de 1 7 0 0 , et à laquelle la F r a n c e , par ce Traité, avait donné son assent iment . Il a énoncé u n e opi­nion débat tue en 1 6 9 9 , entre M . D E ROUILLÉ et M . ROQUE

MONTEIRO PAIM, tous deux plénipotent ia i res dans le Traité du 4 mars 1 7 0 0 . Il n 'est donc pas su rp renan t que PIMENTEL

n'ait pas men t ionné l ' O y a p o c k ou le V i n c e n t - P i n s o n dans son édition d e 1 6 9 9 , car ce furent les discussions qui s 'élevèrent vers la fin d e cette année qui éveil lèrent plus l 'attention sur cet objet.

« Le Plénipotentiaire Brésilien a cité la carte d'ARNOLdus FLORENTIUS A LANGREN, int i tulée Delineatio omnium ter-

rarum totius partis Americæ, etc. , qui porte la date d e 1 5 9 8 , et dont on trouve deux édit ions, une hollandaise et une autre anglaise, dans les bibl iothèques d e Rio d e J a n e i r o e t d e L i s b o n n e , e t u n exemplaire à la Bibliothèque impé­riale, à P a r i s . Cette carte , d 'après son échel le , qui est très pet i te , met la r ivière de V i n c e n t - P i n s o n dans u n e posi­tion qui n e peut être autre que celle de l ' O y a p o c k , q u ' e l l e n e n o m m e pas .

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( 3 2 4 ) 13e L E C T U R E § 1 2 3 4

« La carte citée par son honorab le col lègue le Plénipo­tent ia i re França is , d 'après son énoncé , et parce qu 'e l le ne por te pas de date , est différente. Toutefois elle me t la rivière de V i n c e n t - P i n s o n au Nord de différentes r ivières qui se t rouven t au Nord du Cap N o r d . Ce V i n c e n t - P i n s o n est donc l ' O y a p o c k , qui n 'es t pas n o m m é .

« Le Plén ipoten t ia i re Brésil ien n ' a pas cité la carte du Père SAMUEL F R I T Z pour p r é t e n d r e , fondé sur cette car te , que le P o r t u g a l ait eu , et le B r é s i l ait au jourd 'hu i , u n droit que lconque à que lque por t ion de terr i to i re au Nord de l ' O y a p o c k , mais s e u l e m e n t pour p rouver que , dans les temps an té r i eurs au Traité d ' U t r e c h t , on donna i t le nom de Vincent-Pinson à une rivière située au Nord du Cap d'Orange, et non près du Cap du Nord.

« Il a cité les car tes de GÉRARD MERCATOR des édi t ions de 1 6 0 7 et 1 6 3 5 . Les édi t ions que cite son honorab le col­lègue le P lén ipo ten t ia i re França is sont différentes. Ces car tes m e t t e n t la R i v i è r e d e V i n c e n t - P i n s o n à l 'endroi t de l ' O y a p o c k (qu'elles n e n o m m e n t pas) selon leur échelle et au -dessus du C a p B l a n c o , lequel ce r t a inemen t n ' e s t pas le C a p N o r d , car dans ces temps- là le Cap N o r d était déjà connu sous le n o m de Cap N o r d .

« MERCATOR, dans ces car ies , corr igea celle de 1 6 0 3 ,

que cite l 'honorable Plénipotent ia i re França is . Il omit le P y n i s B., qui ne veu t pas dire P i n s o n , et au lieu de W a -b e j o et A w a r i p o c o , qu 'on pourra i t p r é t end r e ê t re W i a -p o c a ou O y a p o c k , il mi t = R i v i è r e d e V i n c e n t - P i n ­s o n = , dans u n endroi t beaucoup p lus rapproché du Cap d ' O r a n g e que de celui du N o r d .

« Il a cité l ' ouvrage d 'ABRAHAM O R T E L I U S , de l 'édit ion de 1 6 1 2 , qui cont ien t u n e carte in t i tu lée : A m e r i c æ sive-novi orbis descriptio, et dans laquel le on t rouve la R i v i è r e

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§ 1 2 3 4 1 3 E L E C T U R E ( 3 2 5 )

de V i n c e n t - P i n s o n à l 'endroit de l ' O y a p o c k , selon son

échelle. Elle n ' indique pas le Cap d u N o r d , elle ment ionne

seulement le Cap B l a n c o , ce qui est différent. Cette carte,

qui est de 1 6 1 2 , est plus rapprochée des temps d ' U t r e c h t ,

est p lus parfaite que celles que cite l 'honorable Plénipoten­

tiaire Français , qui sont de 1 5 7 0 , 1 6 0 1 et 1 6 0 3 .

« Le Plénipotent ia ire Brésilien croit que la citation de

THÉODORE D E BRY lui est plus avantageuse qu 'à son hono­

rable collègue.

« Dans l ' A m e r i c æ pars tertia de THÉODORE D E BRY

( 1 5 9 2 ) , on t rouve la carte int i tulée : Corographia nobilis et

opulentæ P e r u a n æ Provincial, atque Brasiliæ, etc. , 1 5 9 2 .

Cette carte me t le Rio S . - V i c e n t e - P i n s o n à 4 degrés de

l 'équateur . Son échelle est très pet i te , et l 'espace qui se

trouve ent re l ' équateur et la pointe de terre (très mal figurée)

où débouche le V i n c e n t - P i n s o n , a assurément 4 degrés

selon son échelle .

« Dans l ' A m e r i c æ pars quarta du m ê m e THÉODORE D E

BRY, on t rouve u n e carte int i tulée : Occidentalis Ame­

r i c æ partis, e tc . , 1 5 9 4 . Cette carte porte u n e rivière avec

le nom de R io d e S. V i c e n t e P i n s o n , près de 4 degrés au

Nord de l 'équateur , d 'après ses proport ions. Elle n 'a pas

d'échelle pour la lat i tude, et elle est t rès pet i te .

« Dans l ' A m e r i c æ pars sexta du même THÉODORE D E

BRY, on trouve u n e mappemonde en très peti te échelle,

int i tulée : America sive Novus Orbis respectu Europæo-

rum inferior globi terrestris pars, 1 5 9 6 . Elle porte R io de

S . - V i c e n t e - P i n s o n . La distance ent re l 'équateur et l 'em­

bouchure de cette r ivière répond à 4 degrés , selon son

échelle.

« Le Plénipotentiaire Brésilien ne met t ra pas en doute

l ' importance, sous d 'autres rapports , de la carte que le roi

H E N R I II fit dresser pour son fils L E DAUPHIN, en 1 5 5 0 .

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( 3 2 6 ) 1 3 E L E C T U R E § 1 2 3 4

« Il croit , toutefois , qu 'e l le n ' e s t pas u n e autor i té sur le point du déba t .

« Le célèbre JUAN D E L A COSA, dans sa carte du n o u v e a u cont inen t , faite au port de S a n t a - M a r i a , en 1 5 0 0 , le p r e ­mie r qui m e n t i o n n e les découver tes de P INSON, ne me t su r sa car te a u c u n e baie ou r iv ière de P i n s o n .

« DIEGO R I B E I R O , dans sa m a p p e m o n d e de 1 5 2 9 , m e t ­tait la r ivière de V i n c e n t - P i n s o n au Sud de celle des A m a z o n e s .

« L 'opinion qui prévala i t alors était que VINCENT-PINSON

avait déba rqué au Sud de la r iv ière des A m a z o n e s .

« Les au t r e s car tes , qui ont mis la r iv ière de V i n c e n t -P i n s o n en d ' au t res pa rages , n ' ava ien t pas encore pa ru .

« On n e songeai t pas alors aux ques t ions de l imites qui depu is se sont susc i tées en t r e la F r a n c e et le P o r t u g a l . On ne fit des explorat ions exprès sur les côtes inondées de la G u y a n e pour cons t ru i re cet te m a p p e m o n d e . D ' o ù fut donc t i rée cet te r ivière de Vincent, n o m auquel on n ' a ­jou te pas celui de P i n s o n ?

« Il est donc év iden t que ce sont de ces n o m s écri ts sur les car tes à l ' endroi t où l 'on suppose qu ' i l s p e u v e n t ê t re , pour d o n n e r u n e idée .

« Ce n ' es t pas d 'après de semblables indica t ions qu 'on peu t rég le r des l imi tes . L 'espri t éclairé de l 'honorable P lén ipoten t ia i re França i s en conv iendra s û r e m e n t .

« D E L I S L E , qui a fait de si profondes é tudes sur la géo­g raph ie , a sans doute c o n n u cette ca r te . Pourquoi n'a-t-il pas mis sur la s i e n n e cette r ivière de V i n c e n t ?

« Les m ê m e s observat ions sont applicables à l 'Arcano

del mare, de DUDLEY.

« L 'honorable P lénipotent ia i re Français cite la carte

manusc r i t e qui a servi au Traité de l imites des posses­

s ions espagnoles et por tuga ises en A m é r i q u e , s ignée à

M a d r i d le 1 2 jui l le t 1 7 5 1 .

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§ 1 2 3 4 13e L E C T U R E ( 3 2 7 )

« L'honorable Plénipotentiaire Français permet t ra à

« Le traité de limites des possessions espagnoles et portugaises est du 1 3 janvier 1 7 5 0 . Il n 'a aucun trait , et ne pouvait l 'avoir, au territoire de la G u y a n e . Il établit les limites des deux pays jusqu 'à la rencontre du hau t de la chaîne de montagnes qui se t rouve entre la rivière d ' O r é n o q u e et celle de M a r a g n o n ou des A m a z o n e s , et en cont inuant par le sommet de ces montagnes vers l'Est, tant que s'étendra le domaine de chacune des deux

monarchies (art. IX).

« Cette délimitation s 'arrêtait donc à l 'endroit où commençai t la délimitation avec la G u y a n e .

« L'autorité de la carte, faite selon ce Traité, ne peut aller plus loin. On y aura figuré la G u y a n e pour compléter et arrondir la carte, en copiant u n e autre que lconque , et sans conséquence .

« ACCIOLI (Corographia Paráense) cité par l 'hono­rable Plénipotent iaire Français , met le V i n c e n t - P i n s o n à 2 ° 1 0 ' Nord; et BAENA, par u n simple i t inéraire, met l ' O y a p o c k à t rente-s ix l ieues du V i n c e n t - P i n s o n . Ils ne citent aucune carte, ni la source où ils ont puisé ces notions.

« Ces opinions part iculières de ceux qui publ ient des livres, comme ACCIOLI et BAENA, ne sont pas , dans l 'opi­nion du Plénipotent iaire Brésilien, des é léments qui pu i s ­sent servir à résoudre des quest ions entre gouvernemen t s .

« D'ailleurs, cela s 'explique parfaitement. Il y a des cartes qui met ten t le C a l s o è n e entre deux degrés et deux degrés trois quar t s . Après que le Traité du 1 0 août 1 7 9 7 déclara que le C a l s o è n e était le V i n c e n t - P i n s o n des F r a n ç a i s , quelques écrivains et quelques cartes por tu­gaises commencèren t à appeler le C a l s o è n e , Rio-Cal-soène ou Vincent-Pinson.

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( 328 ) 13 e L E C T U R E § 1234

son col lègue de ne pas d o n n e r de poids à l 'autor i té de

F R E Y MARCOS D E GUADALAXARA, d a n s son Histoire ponti­

ficale. Ce n 'é ta i t pas u n géographe , et il n ' a par lé de la

r iv ière P i n s o n que d 'une man iè re t rès inc iden te . D'ail­

l eurs , les paroles desquel les il se sert , donde afirman, font

c la i rement voir qu'i l écrit ce qu 'on lui a dit, et n o n ce

qu'i l a examiné . Il le m e t l u i -même en doute en ajoutant ,

si no se recibe engano, si l 'on ne se t rompe pas .

« GABRIEL SOARES D E SOUZA, cité par l 'honorable P lé ­

n ipoten t ia i re França i s , dans sa Noticia do Brasil, m e t le

V i n c e n t - P i n s o n sous l ' équateur , et la dis tance de

1 5 l ieues en t re cet te r ivière et la pointe de celle des

A m a z o n e s , appelée C a p C o r t o s a o .

« Cette autor i té pour ra i t être invoquée par l 'honorable

P lén ipoten t ia i re F rança i s , s'il avait la p ré t en t ion , qu'i l n ' a

pas , de m e t t r e la r ivière de V i n c e n t - P i n s o n ;sous la

l igne équinoxia le .

« GABRIEL SOARES n 'é ta i t pas u n géographe . Il aura

e n t e n d u par le r des not ions d 'après lesquel les fut faite la

car te de D I E G O R I B E I R O , et qui n ' au r a i en t pas encore

e n t i è r e m e n t d isparu . On voit, par son style embarrassé et

par ses descr ip t ions incomplè tes et i nexac t e s , que c'était

u n de ces h o m m e s d 'une ins t ruc t ion ordinaire et de

que lque in te l l igence , qui écr ivent sur tout u n pays , en

part ie d 'après l eu r s observat ions pe r sonne l l e s et t rès

l imi tées , et en p lus g r ande part ie par des ouï -d i re .

« Quoique par l ' i r régular i té de la carte de TEIXEIRA,

qui n e garde pas les propor t ions et n ' a pas d 'échel le , on

ne puisse former u n e idée exacte des la t i tudes , il est

beaucoup p lus sou tenab le que son V i n c e n t - P i n s o n soit

à l ' endroi t de l ' O y a p o c k qu 'au t re par t .

« 1 ° Parce que cela est plus conforme aux propor t ions de la carte , qui est pe t i te ;

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§ 1 2 3 4 1 3 E L E C T U R E ( 3 2 9 )

« 2° Parce que , si cette r ivière n 'étai t pas l ' O y a p o c k , la rivière près du Cap d ' O r a n g e ne serait pas nommée sur cette carte : or, cette r ivière, comme la plus considé­rable, a toujours été la plus connue , et elle est ment ionnée sur toutes les cartes anc iennes et modernes ;

« 3° Parce que, selon les notions géographiques alors accréditées par la cour d ' E s p a g n e et de P o r t u g a l , le V i n c e n t - P i n s o n était à 4 0 l ieues du Cap d u N o r d , c'est-à-dire était l ' O y a p o c k d 'aujourd 'hui .

« Gela se prouve par un document émané d 'un roi d ' E s p a g n e .

« P H I L I P P E L E Q U A T R I È M E (le P o r t u g a l était alors r éun i à la couronne d ' E s p a g n e ) fit donation, le 14 juin 1637, à B E N T O MACIEL PARENTE des terres du Cap du N o r d , avec les r ivières qu 'el les contenaient , et q u i avaient (ce sont les expressions des Lettres patentes) sur la côte de la mer 35 à 4 0 l ieues , comptées depuis le Cap d u N o r d jusqu 'à la r ivière de V i n c e n t - P i n s o n , où commençai t le territoire des I n d e s du royaume de C a s t i l l e .

« Or, les l ieues espagnoles étaient alors de 17 1/2 au degré ; et ainsi il est démont ré que la R i v i è r e de V i n ­c e n t - P i n s o n , que P H I L I P P E L E Q U A T R I È M E D'ESPAGNE

considérait comme la limite des possessions espagnoles et portugaises , était j u s t emen t l ' O y a p o c k , et que l ' O y a ­p o c k avait alors le nom de V i n c e n t - P i n s o n .

« Ce document , qui a été enregis t ré peu après son expédition, dans le livre second de la Provedoria du Pará, et imprimé dans u n e ancienne édition des Annales histo­riques du Maragnam, par BERREDO, porte la date du 1 4 ju in 1637. La carte de JOÃO TETXEIRA, qui vient d'être citée, est de 1 6 4 0 . A i n s i , il est évident qu'elle ne pouvait poser, et elle ne pose pas, d'après son échelle, la limite entre les possessions portugaises et espagnoles (aujour­d'hui françaises), c'est-à-dire la R i v i è r e d e V i n c e n t -P i n s o n , près du Cap d u N o r d .

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( 3 3 0 ) 1 3 E L E C T U R E § 1 2 3 4

« Ce João T E I X E I R A n 'é ta i t pas u n s imple géographe , il était cosmographe du ro i ; il était géographe officiel.

« Il est sans doute cer ta in que BERREDO, dans ses Annales historiques de Maragnam, me t le V i n c e n t - P i n ­

s o n à 1° 3 0 ' au Nord de l ' équa teur , et que BERREDO était g o u v e r n e u r du M a r a n h a m .

« Mais il s 'est con ten té de se référer à MARCOS D E G U A ­

D A L A X A R A , cité pa r SIMON ESTACIO D A SILVEIRA, et il n e peut avoir p lus d 'autor i té que ce . FREY MARCOS D E GUADALAXARA,

qui est le p r e m i e r à m e t t r e en doute ce qu ' i l dit. « Eh b i e n ! L A B A R R E , qui était aussi gouve rneu r , et

g o u v e r n e u r de la G u y a n e , qui a écrit en 1666 u n ouvrage es t imé, Description de la France équinoxiale, y di t , que la

G u y a n e F r a n ç a i s e , p r o p r e m e n t F r a n c e é q u i n o x i a l e , comprena i t à peu près 8 0 l ieues , et commençait au Cap d'Orange; et il dit cela de sa propre au tor i t é .

« L 'honorable P lén ipoten t ia i re França i s a t e r m i n é l ' avan t -dern iè re conférence en p rodu i san t u n documen t qu' i l p r é t e n d être u n e p reuve matér ie l le de la légi t imité des droi ts de la F r a n c e au ter r i to i re con tes té .

« Cette p r e u v e consis te en u n Mémoire ou Mémoran­d u m int i tu lé : Réponse au Mémoire présenté par le très-excel­

lent seigneur ambassadeur du roi Très-Chrétien, touchant le

droit que la France prétend avoir sur les terres occidentales

de la rivière des Amazones.

« Ce Mémoire n 'es t ni daté , ni s igné . « Le Plén ipoten t ia i re Brésil ien ne me t pas en doute

l ' au thent ic i té de ce Mémoire, c 'est-à-dire q u e ce ne soit pas u n papier d o n n é à L i s b o n n e à M. D E B O U I L L E , et qu'i l n 'a i t pas été r emi s dans le t emps par cet ambassadeur à son g o u v e r n e m e n t .

« Mais il croit que ce Mémoire n o n da té , n o n s igné , n 'es t pas u n e pièce suffisante pour décider la ques t ion . Il pour ra i t avoir été p r é sen t é au c o m m e n c e m e n t de la négo -

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§§ 1234 13e L E C T U R E ( 331 )

ciation, on pourrai t être revenu sur les not ions qu'il con­tient, il pourrai t être l 'œuvre d 'un t iers , et ne pas être complètement autorisé par le gouvernement portugais .

« Dans le cours des négociat ions on se communique quelquefois des mémoires , des notes , dont toutes les parties n e peuven t pas toujours servir pour expliquer et in te rpré te r la négociat ion après qu'el le est t e rminée .

« La présen te négociat ion en fournit u n exemple. A son début , le Plénipotent ia ire Brésilien eut l ' honneur de recevoir du gouvernemen t français u n Mémoire pré l imi­naire non s igné , non daté, en réponse à un autre qu'il avait p r é sen t é .

« Ce Mémoire prél iminaire déclare posi t ivement que : — la géographie ne connaît aucun cours d'eau qui porte exactement le n o m de I a p o c , ou celui de V i n c e n t - P i n ­s o n . Il cherche à suppléer par le ra i sonnement au m a n q u e de données éga lement positives sur l ' Y a p o c ou V i n c e n t -P i n s o n .

« L'honorable Plénipotentiaire Français , dans tout le cours de cette discussion, a toujours cherché à prouver le contraire , c 'est-à-dire — que la géographie connaissait u n cours d'eau sur le littoral de la G u y a n e , près du Cap d u N o r d , qui était le V i n c e n t - P i n s o n , et avait le nom d ' O y a p o c k , et qu'elle fournissait des données positives sur ces deux noms .

« Lorsque, au commencement de la discussion, le P lé ­nipotentiaire Brésilien a voulu se prévaloir du Mémoire, l 'honorable Plénipotent iaire Français ne l'a pas considéré comme u n e pièce en t iè rement officielle, et le P lénipoten­tiaire Brésilien s'est abstenu de s'y référer de nouveau .

« D'ailleurs, m ê m e dans le cas où le document de rn iè ­rement produi t serait u n e preuve suffisante, il n ' en serait pas une du droit que l 'honorable Plénipotent ia i re Français prétend avoir.

« Ce document met la r ivière de V i n c e n t - P i n s o n à

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( 332 ) 13 e L E C T U R E § 1234

pe ine à 3 degrés , c 'es t -à-dire à 2 degrés 50 m i n u t e s , et

pa r t an t au Nord du C a l s o è n e .

« L ' h o n o r a b l e P lén ipoten t ia i re França is veu t met t re la

l imite à 2 degrés 1/2, c'est-à-dire à 2 degrés 30 m i n u t e s ,

20 m i n u t e s , u n t iers de degré p lus au Sud.

« Il p r é t e n d que l ' A r a g u a r y est le V i n c e n t - P i n s o n

d ' U t r e c h t .

« Or, se lon la car te de D E L I S L E , l ' embouchure Nord de

l ' A r a g u a r y serai t à 2 degrés 5 m i n u t e s . Le point où se

r é u n i s s e n t les deux e m b o u c h u r e s de l ' A r a g u a r y , se lon

la carte de L A C O N D A M I N E et de M E N T E L L E , est à 1° 42' au

Nord de l ' équa teur .

« C o m m e n t u n documen t qui met t ra i t la r ivière de V i n ­c e n t - P i n ç o n au Nord du C a l s o è n e , pourra i t - i l p rouver que la r ivière de V i n c e n t - P i n s o n est à 2° 5' et à 1° 42' au Nord de l ' équa teur ?

« L 'honorable P lén ipoten t ia i re França i s a dit qu'i l pos ­sédait la la t i tude du V i n c e n t - P i n s o n de L i s b o n n e et d ' U t r e c h t , exac temen t ind iquée dans u n d o c u m e n t officiel et por tuga is .

« Ce documen t , dans le cas où il sera i t suffisant, p rou­vera i t donc que la la t i tude exacte du V i n c e n t - P i n ç o n , de L i s b o n n e et d ' U t r e c h t , étai t à p rès de 3 degrés , ou à 2 degrés 50 m i n u t e s , c 'est-à-dire que cet te r ivière serait au Nord du C a l s o è n e , car la carte de M E N T E L L E me t le C a l s o è n e à 2 degrés 30 m i n u t e s , et la carte rédu i te des côtes de la G u y a n e de 1817, déjà ci tée et officielle, le me t à 2 degrés 35 m i n u t e s .

« Ainsi , le V i n c e n t - P i n s o n du documen t cité serait à 20 ou à 15 m i n u t e s (un t iers de degré) au Nord du C a l ­s o è n e , à 55 m i n u t e s (près d 'un degré) de l ' embouchure Nord de l ' A r a g u a r y ,que l'honorable P lénipotent ia i re Fran­çais a p r é t e n d u être auss i le V i n c e n t - P i n s o n d ' U t r e c h t , et à 1 degré 5 m i n u t e s du point où se r éun i s sen t les deux

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§ 1234 13 e L E C T U R E ( 333 )

embouchures de l ' A r a g u a r y , par lequel l 'honorable Pléni­

potentiaire Français a p ré tendu faire passer la l imite.

« Le Plénipotent iaire Brésilien en appelle à la loyauté

et à l 'esprit éclairé de son honorable collègue. Peut- i l

admettre un semblable document , et sur tout pour fonder

des pré tent ions qui sont év idemment contraires à la p ré­

t endue preuve .

« Le Gouvernement Brésilien désire s incèrement ter­

miner le seul différend (et il espère n 'en pas avoir d'autre)

qu'il a eu jusqu 'au jourd 'hu i , par hér i tage, avec le gouver­

nement français; mais il ne peut abandonner des droits

qu'il a jusqu 'au jourd 'hu i cru et croit encore bien fondés,

sans des raisons et des preuves qui puissent le convaincre

et justifier cet abandon. »

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( 334 ) 13 e L E C T U R E § 1235

§ 1235. « Procès-verbal de la douzième séance.

(22 janvier 1856.)

« Cette d iscuss ion é tan t ainsi t e r m i n é e , M. L E V I C O M T E

D E L 'URUGUAY dit alors qu ' avan t de poursu iv re cet te part ie

de la négocia t ion , il dés i re savoir quel les sont les i n t e n ­

tions et l 'opinion de son honorab le col lègue sur la seconde

par t ie de son Mémoire, c 'est-à-dire sur la l igne divisoire

qui doit séparer , en al lant de l'Est à l 'Ouest , les ter r i to i res

des deux pays .

« L E P L É N I P O T E N T I A I R E FRANÇAIS r épond qu 'à son

avis , le po in t de dépar t de toute l imite é tan t la l imite

mar i t ime , celle du point de la côte où débouche ra le cours

d 'eau, c o m m u n aux deux États , il lui semble impossible

de s 'occuper de la l imite in té r ieure avan t d'avoir ar rê té ce

point de dépar t , c 'es t -à-dire avant d 'avoir résolu la diffi­

cul té créée par la diversi té d ' in te rpré ta t ion du Traité

d ' U t r e c h t par la F r a n c e et par le B r é s i l .

« L E P L É N I P O T E N T I A I R E D U B R É S I L déclare par tager

cette apprécia t ion. — Il s 'occupera donc de la l imite mar i ­

t ime .

« Conformément au con tenu de son Mémorandum

pré l imina i re et à la t e n e u r de sa discuss ion pos té r ieure ,

le P lén ipoten t ia i re du B r é s i l p ropose , encore u n e fois, à

son col lègue de p r e n d r e l ' O y a p o c pour l imi te .

« LE P L É N I P O T E N T I A I R E FRANÇAIS refuse cette p ropo­

sition, qu'i l déclare abso lumen t inadmiss ib le .

« L E P L É N I P O T E N T I A I R E D U B R É S I L annonce que , sans

ê t re conva incu des droi ts ac tuels de la F r a n c e sur la rive

droite de l ' O y a p o c k , toutefo is , pour en finir avec u n e

ques t ion qui dure depuis p rès d 'un siècle et demi , et pour

d o n n e r u n e p reuve de l 'espri t de concil iat ion qui l ' an ime ,

il offre, par voie de t ransac t ion , de p r e n d r e pour l igne de

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§ 1235 13 e L E C T U R E ( 335 )

partage la crête des terres les plus élevées qui dé te rminen t la division des eaux ent re l ' O y a p o c k et le C a s s i p o u r e , de manière que la rive droite de l ' O y a p o c k et les r ivières qui y débouchent , v iennent à appartenir à la F r a n c e .

« L E PLÉNIPOTENTIAIRE FRANÇAIS répond qu 'à part les raisons générales qui lui in terdisent d 'accepter cette ouver­ture , il doit faire r emarque r à son honorable collègue que cette limite p resque idéale, — ent re des t e r res en part ie noyées et peu connues , serait sujette à toutes les difficultés d'application, à tous les différends de voisinage qu'il importe aux deux gouvernement s d 'écarter : et il rappelle à son honorable collègue que , quel que soit d 'ai l leurs le cours d'eau choisi pour l imite, — il faut que ce soit u n fleuve qui serve de première indication au par tage.

« L E PLÉNIPOTENTIAIRE D U BRÉSIL déclare que pour satisfaire aux vues de son honorable collègue et prouver les dispositions concil iantes dont il est l ' in terprète , il prend sur lui d'offrir de porter la limite à la rive gauche du C a s s i p o u r e .

« LE PLÉNIPOTENTIAIRE FRANÇAIS, après avoir r endu hommage à l ' in tent ion qui a dicté la nouvel le proposit ion de son honorable collègue, exprime son regret de ne pou­voir l 'accepter.

« Le C a s s i p o u r e ne saurait const i tuer u n e frontière. C'est un cours d 'eau à peine encaissé et que l 'œil perd à quelques l ieues dans l ' in tér ieur des te r res .

« L E PLÉNIPOTENTIAIRE FRANÇAIS n e pourra i t donc reconnaî t re dans cette ouver ture , au sujet du C a s s i p o u r e , les é léments d 'une transact ion sér ieuse .

« LE PLÉNIPOTENTIAIRE D U BRÉSIL demande alors au Plénipotent iaire de F r a n c e quelle contre-proposi t ion il entend faire à celles qui précèdent .

« L E PLÉNIPOTENTIAIRE D E FRANCE répond qu'i l ne peut proposer que la branche Nord de l ' A r a o u a r i (le Carapa-

pàuri). Il rappelle rap idement les différentes ra isons de

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( 336 ) 13 e L E C T U R E § 1235

droit et de poli t ique qui concourent , à son avis, pou r imposer l 'adopt ion de cet te l imite aux négoc ia teurs .

« L E P L É N I P O T E N T I A I R E D U BRÉSIL rép l ique que l ' A r a -g u a r y est imposs ib le , en vue des t e rmes du Traité d ' U t r e c h t , et que , c o m m e p lén ipoten t ia i re , il n e saurai t j amais accéder à cette proposi t ion.

« L E P L É N I P O T E N T I A I R E FRANÇAIS fait alors r e m a r q u e r à son hono rab l e col lègue que si les t e rmes du Traité d ' U t r e c h t faisaient seuls obstacle à l 'accession du B r é s i l , et qu'il convîn t à Sa M a j e s t é B r é s i l i e n n e de reconna î t re à la F r a n c e la possess ion de la rive gauche de l ' A r a o u a r i par u n Traité indépendant, — sans ê t re , dès aujourd 'hui , en m e s u r e d 'adopter fo rme l l emen t u n e telle modification des d o n n é e s p r imi t ives de la p ré sen te négociat ion, il n 'a cependant pas l ieu de p e n s e r q u ' u n tel mode de procéder fût repoussé pa r le g o u v e r n e m e n t de S. M. l ' E m p e r e u r , — le point impor tan t pour l ' aveni r des deux pays é tant l 'adoption d ' une b o n n e front ière , comme celle de l ' A r a o u a r i , et n o n pas la voie à l 'aide de laquel le cel le adoption serai t o b t e n u e .

« L E P L É N I P O T E N T I A I R E D U BRÉSIL rép l ique que , m ê m e i n d é p e n d a m m e n t du Traité d ' U t r e c h t , il ne se croit pas autor isé à consen t i r à ce t te propos i t ion de l ' A r a g u a r y , qu' i l pers is te à r ega rde r comme inadmissible; mais que , ne vou lan t pas p r e n d r e sur lui la responsabi l i té de rompre la négocia t ion , il s u s p e n d r a , de sa par t , les conférences j u squ ' à ce qu ' i l ait r eçu de sa cour les ins t ruc t ions g é n é ­ra les qu' i l va lui d e m a n d e r , en v u e de l 'état actuel de la ques t ion . Toutefois il se t i endra à la disposit ion de son honorab le col lègue , pou r écou te r tou tes propos i t ions nou ­vel les qu' i l pour ra i t lui p r é sen t e r .

« L E P L É N I P O T E N T I A I R E FRANÇAIS déclare alors à son honorable col lègue, qu'afîn de reconna î t r e les disposi t ions conci l iantes du p lén ipo ten t ia i re du B r é s i l et d'y cor res ­p o n d r e , au tant qu'i l est en lui , il por te ra à la connaissance

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§ 1235 13e L E C T U R E ( 337 )

du gouvernement de l ' E m p e r e u r les différents incidents de la présen te conférence, et qu'i l sollicitera les dern iers ordres de Sa M a j e s t é .

« Il offre, en conséquence , à son honorable collègue de se réun i r encore u n e fois avant le prochain départ du

paquebot du B r é s i l .

« L E PLÉNIPOTENTIAIRE D U BRÉSIL accepte cette invi­tation, et MM. les Plénipotentiaires conviennent que la première conférence aura lieu le vendredi 1er février pro­chain. »

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( 338 ) 13 e LECTURE § 1236

§ 1236. « Procès-verbal de la treizième séance.

« Aujourd 'hu i , 19 février 1856, MM. les Plénipoten­tiaires de F r a n c e et du B r é s i l se sont r é u n i s à l 'hôtel des Affaires É t rangères , à Par i s , à l'effet de con t inuer l eu r s t ravaux .

« A l ' ouver tu re de la séance , MM. les Plénipotent ia i res font donne r l ec ture pa r le secréta i re du procès-verba l de la séance du 22 j anv i e r de rn ie r .

« Le procès-verbal est adopté et s igné par MM. les m e m b r e s de la conférence .

« M. L E B A R O N D E B U T E N V A L p r end la parole , et, après avoir expr imé à M. le P lénipotent ia i re du B r é s i l son regre t de n 'avoi r pu p rovoque r p lus tôt la conférence (qui avait d 'abord été fixée au p remie r du présen t mois), il annonce à son honorab le col lègue que l ' E m p e r e u r , en son Conseil , a examiné la ques t ion qui depuis six mois occupe la confé rence ; qu ' i l a pris conna issance des propo­si t ions success ives faites par l 'honorable P lénipotent ia i re du B r é s i l et de la cont re-proposi t ion que le P lén ipo ten­tiaire França is avait cru devoir p r é sen t e r à son tour , et qu ' après m û r e dé l ibéra t ion , il a été décidé que la F r a n c e ne saurai t , t an t en raison des droits qu 'e l le t ient du Traité d ' U t r e c h t , q u ' e n vue de l ' é tab l i ssement d 'une b o n n e et vér i table frontière en t re sa colonie de la G u y a n e et l ' empire du B r é s i l , accepter ni reconna î t re d 'autre l imi te , du côté de la m e r , que le fleuve de Vincent-Pin­çon, c 'est-à-dire le cours d 'eau qui se je t te dans la baie de ce n o m , à mo ins de deux degrés au Nord de l ' équateur , et qui est au jourd 'hu i c o n n u sous le n o m de Carapapouri ou de branche Nord de l'Araouari, la navigat ion de cette

branche devan t , désormais , ê t re c o m m u n e aux deux nat ions et la. r ive gauche devant appar ten i r à la France .

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§ 1236 :13e L E C T U R E ( 339 }

« M. L E VICOMTE D E L'URUGUAY répond à son collègue qu 'ayant déjà rendu compte à son gouvernement de l 'état de la négociation et demandé de nouvel les ins t ruct ions , il ne pouvait que se borner , dans ce moment , à rapporter à sa cour ce qu'il venait d ' en tendre , et qu 'a t tendre ses ordres. Il ajoute que si une déclaration aussi catégorique lui eût été faite avant d'écrire à son gouvernement et que s'il eût perdu tout espoir d 'un autre a r rangement , il se fût cru obligé alors, en vue de ses instruct ions et de ses convictions, de considérer la négociation comme te rminée et sans résul ta t ; mais qu 'ayant remis la solution de l'affaire à son gouvernement , il croyait devoir a t tendre sa décision, qu'il espérait pouvoir recevoir dans le courant du mois d'avril prochain.

« L E PLÉNIPOTENTIAIRE D E FRANCE réplique qu'il s'em­pressera de por ter à la connaissance du gouvernement de l ' E m p e r e u r la réponse qu'il vient d ' en tendre , et qu'il espère que le litige se te rminera d 'une manière conforme aux liens d 'amitié qui unissent les deux couronnes . »

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3 4 0 ) 13 e LECTURE § 1237

§ 1 2 3 7 . « Procès-verbal de la quatorzième séance.

« Aujourd 'hui , 27 mai 1856, MM. les Plénipotent ia i res de F r a n c e et du B r é s i l se sont r éun i s à l 'hôtel des Affaires É t rangères , à P a r i s , à l'effet de con t inuer leurs t ravaux.

« A l ' ouver tu re de la séance , M. le VICOMTE DE L ' U R U ­

GUAY p r e n d la parole et s 'exprime en ces t e r m e s :

« L E P L É N I P O T E N T I A I R E B R É S I L I E N déclare qu'il a reçu de son Gouvernemen t les ins t ruc t ions qu'i l lui avait de ­m a n d é e s et qu ' i l est à m ê m e de poursu iv re la p r é sen t e négocia t ion pour y me t t r e u n te rme.

« Le G o u v e r n e m e n t de Sa Majesté l 'Empereur du B r é ­s i l a examiné avec la p lus s c rupu leuse a t ten t ion la d i scus­sion cons ignée dans les t re ize protocoles p récéden t s , et tou t en approuvan t les disposi t ions conci l ia tr ices de son p lénipotent ia i re et les efforts qu' i l a faits pou r t e rmine r la ques t ion par u n e t ransac t ion admiss ible , il pers is te dans la convict ion du droit qu ' i l a sou tenu . C'est s eu l emen t cet te convict ion qui pouvai t l ' empêcher d 'accéder aux propo­si t ions faites par l 'honorable P lén ipoten t ia i re França is , et de me t t r e tout de sui te u n te rme au seul différend que le B r é s i l a eu ju squ ' au jou rd 'hu i avec la F r a n c e . Il ne peu t céder , sans des ra isons conva incan tes , u n droit sur lequel le P o r t u g a l a ins is té p e n d a n t près d 'un siècle et demi , m a l h e u r e u s e m e n t sans che rche r à l 'éclaircir et le d é m o n ­trer , comme il l 'est au jourd 'hu i . Dans de semblables ques­t ions on p e u t t r ans ige r pour en finir, pour conserver des re la t ions d 'amit ié qu 'on appréc ie , pour ne pas donne r l ieu à des més in te l l igences pour des objets qui n ' e n valent pas la p e i n e ; mais il n ' e s t pas j u s t e q u ' u n e des par t ies , qui a p rouvé son droit , le cède tout en t ie r aux p ré t en t ions de dau t re .

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§ 1 2 3 7 13e L E C T U R E ( 3 4 1 )

« Le Plénipotentiaire Brésilien ne reviendra plus sur les a rguments qu'il a produits et sur ceux de son habile adversaire. La discussion est fermée, elle a été t rès- longue , et il faut en finir.

« Toutefois il demande à son honorable collègue de lui permet t re de prouver , le plus br ièvement possible,, que la limite qu'il a proposée est inexécutable, et qu'elle donnerait lieu, surtout en vue des protocoles, à des incer­ti tudes et à des discussions semblables à celles qui se sont élevées sur la limite établie par le Traité d ' U t r e c h t .

« L'honorable Plénipotentiaire Français a dit, dans le 7 E protocole, « que certaines cartes font de l ' A r a g u a r y une rivière à double embouchure , embrassant dans son delta les ter res du Cap d u N o r d .

« Que D E L I S L E , dans sa carte de 1 7 0 3 (qui suppose ce delta), n o m m e le C a r a p a p o r i s A r a g u a r y , à l 'extrémité Sud, et V i n c e n t - P i n s o n à l 'extrémité Nord.

« Que la b ranche aujourd 'hui libre de l ' A r a g u a r y , la branche Nord, le C a r a p a p o r i s , est bien l ' A r a g u a r y , l ' O y a p o c k de VINCENT-PINSON.

« Que le C a r a p a p o r i s est le V i n c e n t - P i n s o n . « Que la carte manuscr i te portugaise de 1 7 4 9 , qui a

servi au Traité de limites des possessions portugaises et espagnoles, appelle V i n c e n t - P i n s o n la b ranche Nord de l ' A r a g u a r y . »

« L'honorable Plénipotentiaire Français conclut que la limite est la branche Nord de l ' A r a g u a r y , le C a r a p a ­p o r i s .

« Et sous quelle lat i tude à peu près? Il faut songer à la lat i tude, car c'est de ce manque d 'une lat i tude, au moins approximativement désignée, que sont nées les contestat ions séculaires que nous cherchons à te rmi­ner .

« L'honorable Plénipotentiaire Français l'a reconnu. Il a indiqué lu i -même, à plusieurs repr ises , la lati tude de

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( 3 4 2 ) 1 3 E L E C T U R E § 1 2 3 7

cette b ranche Nord de l ' A r a g u a r y qu' i l p r end pour l imi te , et qu' i l appel le C a r a p a p o r i s .

« Il dit dans le 6 e protocole : « P lus i eu r s géographes an té r i eu r s à U t r e c h t (et le

Plénipotent ia i re França i s se rése rve d 'en citer de nouveaux) ont formel lement ind iqué u n V i n c e n t - P i n s o n par le deuxième degré et demi .

« L ' embouchure du fleuve l imite est le deux ième degré et demi de la t i tude Nord.

« 7 E protocole . — O R T E L I U S , MERCATOR et D E L I S L E in ­d iquen t fo rmel lement le V i n c e n t - P i n s o n au Nord du Cap N o r d . »

« Dans le 8e protocole , l 'honorable P lénipotent ia i re Fran­çais met de n o u v e a u , c o m m e dans le 7 E , le V i n c e n t - P i n -son à deux degrés et demi .

« Il p résen te c o m m e preuve la r é p o n s e d o n n é e , en 1 7 9 4 , par le Conseil de gue r re de Cayenne à la som­mat ion d 'un officier por tuga i s . Ce conseil r épond : — « qu ' en ve r tu des art icles 9 , 1 0 , 1 1 et 1 2 du Traité d ' U t r e c h t , la frontière de la F r a n c e est fixée au C a p d u N o r d , à la B a i e d e V i n c e n t P i n s o n et au deuxième degré et demi de la t i tude . »

« Et l 'honorable Plénipotent ia i re França i s ajoute : t an t à ce t te époque , et sur les l ieux m ê m e s , la fixation de not re frontière est peu l'objet d 'un dou te , tant elle est c o n n u e de tous . »

« Il ajoute encore : « Nous avons che rché la s i tua t ion a s t ronomique du

V i n c e n t - P i n s o n su r les car tes . « Et les g randes autor i tés géographiques des 1 6 e , 1 7 E ,

18e et 1 9 E siècles nous l 'ont u n a n i m e m e n t dés ignée au deux ième degré et demi de lat i tude Nord ;

« Nous avons re lu les Trai tés , repassé leur his toi re , n o u s avons examiné si l eur objet était rempl i par le choix d 'un cours d 'eau placé sous cette lat i tude ;

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§ 1537 13 e L E C T U R E ( 3 4 3 )

« Et nous avons dû conclure que celui-là seul (à part son nom même) satisfaisait aux vues des négocia teurs . »

« L 'honorable Plénipotentiaire Français a p ré tendu ajouter une preuve matériel le de la légit imité des droits de la F r a n c e , en produisant u n document portugais qui met le V i n c e n t - P i n s o n à deux degrés et c inquante minutes . Et il ajoute, en se référant à ce document :

« Nous possédions la lat i tude du V i n c e n t - P i n s o n de L i s b o n n e exactement indiquée, dans u n document officiel et por tugais . »

« Ainsi, la l imite d ' U t r e c h t , selon la lat i tude indiquée par l 'honorable Plénipotentiaire Français , serait la b ranche Nord de l ' A r a g u a r y , le C a r a p a p o r i s , en la t i tude de deux degrés c inquante minu tes . C'est ce qui résul te des proto­coles.

« C'est j u s t emen t la lat i tude donnée au C a l s o è n e , déclaré être le V i n c e n t - P i n s o n des F r a n ç a i s par le Traité du 23 Thermidor 1797, ent re la F r a n c e et le P o r ­t u g a l . Ce traité dit :

« Article 7 e . — Les l imites entre les deux G u y a n e s , française et por tugaise , seront dé te rminées par la r ivière appelée par les P o r t u g a i s C a l m è n e ( C a l s o è n e ) , et par les F r a n ç a i s , V i n c e n t - P i n s o n , qui se je t te dans l ' O c é a n au-dessus du Cap N o r d , environ à deux degrés et demi de lat i tude septentr ionale . »

« Supposons, pour u n moment , qu 'une b ranche de l ' A r a g u a r y , C a r a p a p o r i s , formant u n delta, était recon­nue comme limite, et qu'il s'agissait de la me t t r e en exécu­tion.

« Quelques cartes anc iennes , celle de MENTELLE, par exemple, donnent à l ' A r a g u a r y deux embouchures qui forment u n delta avec les t e r r e s d u Cap N o r d et l'île de Maracá.

« Mais il faut une limite exécutable, u n e limite appli­cable à l ' endroi t où l 'on veut la met t re .

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( 3 4 4 ) 1 3 E L E C T U R E § 1 2 3 7

« Les pa rages dont il s 'agit ne se p r ê t e n t pas à u n e semblable l imi te , n o n d 'après d ' anc iennes car tes qui ne sont pas basées sur des explorat ions régu l i è res , mais d 'après des scientif iques et t r è s - récen tes faites sur les l ieux, n o t a m m e n t par des explora teurs français .

« Selon l 'honorable Plénipotent ia i re F rança i s , c'est la b r a n c h e l ibre de l ' A r a g u a r y , la b r a n c h e Nord, le C a r a -p a p o r i s , qui est la l imite .

« Nous v e r r o n s que le C a r a p a p o r i s n ' e s t q u ' u n cours d 'eau in t é r i eu r sans i ssue dans la mer .

« Les t ravaux les p lus comple ts , les p lus récen t s et v r a i m e n t scient if iques, faits su r les l ieux, à u n e t rès g r ande échel le , sont ceux de M. TARDY D E MONTRAVEL et d 'au t res officiers de la m a r i n e française, cons ignés dans la carte i n t i t u l é e : « Carte rédu i te des côtes des G u y a n e s , depuis l 'île de M a r a c á j u s q u ' à la r iv ière D e m e r a r i , levée et d ressée e n 1 8 4 4 , pa r MM. TARDY D E MONTRAVEL, l i eu tenan t de va isseau , c o m m a n d a n t la Boulonnaise, DUJARDIN, l i eu­t e n a n t de va i sseau , L E S E R R E C , F L E U R I O T D E LANGLE et DESMOULINS, en se ignes de vaisseau, publ iée par o rdre du roi, sous le min i s t è re de M. L E B A R O N D E MACKAU, e tc . » au Dépôt généra l de la mar ine , en 1 8 4 6 .

« Le C a r a p a p o r i s est décr i t s u r cet te car te . Il coule du Sud au Nord et a son e m b o u c h u r e à u n degré c inquan te m i n u t e s de la t i tude Nord, avec u n cours de vingt mil les à p e u p rè s . Il a sa source dans le lac M a p r o u e n n e . Il n ' a aucune communica t ion avec l ' A r a g u a r y . C'est u n cours d 'eau en t i è r emen t dis t inct et séparé . LA C O N D A M I N E et le B A R O N W A L C K E N A Ë R l 'ont appelé V i n c e n t - P i n s o n . Ce n ' es t p lus u n e r iv iè re .

« Selon les t ravaux de M. TARDY D E MONTRAVEL et d ' au t res officiers de la m a r i n e f rançaise , qui ont examiné , sondé toute la côte , et dé t e rminé la posi t ion de c h a c u n e de ses par t ies , l ' île de M a r a c á est à deux degrés dix minu t e s . L ' A r a g u a r y a son e m b o u c h u r e à u n degré et v ingt m.

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§ 1 2 3 7 1 3 E L E C T U R E ( 3 4 5 )

nutes environ. Il n 'a pas d 'autre embouchure plus au Nord. Il ne peut y avoir là de delta formé par l ' A r a g u a r y et l'île d e M a r a c á .

« Ce sont des e r reurs de D E L I S L E et d 'autres qui n 'ont pas été sur les l ieux, car, comme observe de HUMBOLDT,

lorsque les géographes ont inventé et donné u n fleuve, il se répète pendan t des siècles dans les cartes qui sont cal­quées sur le m ê m e type . Un esprit conservateur se plaît à perpétuer les e r reurs des temps passés .

« Les explorations faites par les P o r t u g a i s , en 1 8 0 8 , par ordre du gouverneur et capitaine général du P a r á , et d'autres postér ieures , sont en t iè rement d'accord sur ces points avec celles de M. D E MONTRAVEL et d 'autres officiers de la mar ine française.

« Elles consta tent , sans que l 'examen de ce point ait été indiqué, que l ' A r a g u a r y n 'a qu 'une seule embou­chure située à u n degré vingt minu tes envi ron.

« Il a, en outre , un grand canal creusé par les torrents (appelé F u r o do A r a g u a r y ) qui se dirige vers le Sud, et débouche dans le fleuve des A m a z o n e s , à u n degré Nord à peu près . On pourrai t considérer ce canal comme u n e seconde embouchure , s'il n 'étai t obstrué par la vase et des troncs d 'arbres charr iés par les eaux des inondat ions .

« Une information donnée récemment par u n des pré­sidents les plus dis t ingués qu'ai t eus la province du Pará, M. JERONYMO C O E L H O , confirme ce qui vient d 'être dit. Une exploration faite, en 1 8 5 1 , par le capitaine de frégate au service du B r é s i l , MARTINUS ANIBAL BOLDT, le confirme aussi.

« Une rivière à deux degrés et demi , ou m ê m e entre deux degrés et deux degrés et demi (avec le nom de C a r a ­p a p o r i s ou V i n c e n t - P i n s o n ) , ne pourrai t être u n e e m ­bouchure de l ' A r a g u a r y , qui se t rouve à u n degré vingt minutes environ.

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( 346 ) 13e LECTURE § 1237

« En suivant la côte du Sud au Nord, on t rouve après l ' A r a g u a r y :

« La r iv ière P i r a t u b a , qui tombe d a n s la m e r près du C a p N o r d .

« Le C a r a p a p o r i s , tel qu' i l est décr i t par la car te de M, D E MONTRAVEL, et qui a sa source à peu de dis tance de la côte dans le lac M a p r o u e n n e , sans communica t ion avec l ' A r a g u a r y .

« La r ivière Mapá ou A m a p â , qui débouche vis-à-vis de l 'île Maracá, à deux degrés dix m i n u t e s , t rès cour te , et qui est à pe ine u n canal qui fait écouler les eaux du lac du m ê m e n o m . La carte de M. D E MONTRAVEL la décr i t par ­fa i tement .

« La r iv ière M a y a c a r é , la p r e m i è r e au Nord de l'île de Maracá.

« La r ivière C a l s o è n e , appelée par les F r a n ç a i s , V i n c e n t - P i n s o n , à deux degrés et demi env i ron .

« Toutes ces r iv iè res , qui d é b o u c h e n t sur la côte, sans former a u c u n del ta , exis tent en t r e u n degré vingt m i n u t e s (position de l ' A r a g u a r y ) , et deux degrés et demi .

« Comment pourra i t u n e r iv ière s i tuée à deux degrés et demi (et m ê m e à deux degrés) , ê t re l ' embouchu re d 'une aut re à u n degré et v ing t m i n u t e s , et de laquel le elle est séparée par t an t de r iv ières i n t e rméd ia i r e s , qui toutes d é b o u c h e n t aussi sur la m ê m e côte?

« Ainsi , il est avéré que la p r é t endue e m b o u c h u r e Nord de l ' A r a g u a r y , à laquel le on v e u t donne r les n o m s de C a r a p a p o r i s et de V i n c e n t - P i n s o n , à deux degrés et demi , et formant là u n del ta , n 'exis te pas .

« Elle n ' a existé que d a n s les e r r e u r s des autor i tés , d 'a i l leurs t rès r e spec tab les , sur lesquel les l 'honorable Plé­n ipoten t ia i re França i s s 'est fondé.

« Il y a là la vra ie e m b o u c h u r e de l ' A r a g u a r y , à u n degré v ingt m i n u t e s env i ron .

« Un canal ( F u r o do A r a g u a r y ) qui coule vers le Sud,

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§ 1237 13 e L E C T U R E ( 347 )

ayant son embouchure dans le fleuve des Amazones, à u n degré Nord à peu près .

« Dans le cas supposé que , par u n Traité en t re le B r é ­s i l et la F r a n c e , u n e embouchure Nord de l ' A r a g u a r y , déclarée C a r a p a p o r i s et V i n c e n t - P i n s o n , serait établie comme limite, ferait-on ment ion de la la t i tude ou non?

« Si l'on déclarait en m ê m e temps , au moins approxi­mativement , la lat i tude indiquée par l 'honorable Plénipoten­tiaire Français , deux degrés et demi, la l imite serait inexé­cutable, car on ne t rouverai t pas d 'embouchure de l 'Ara­g u a r y dans cette la t i tude . Un semblable Traité serai t une nouvelle source de discussions, et de difficultés. Une des parties se fonderait sur la dénominat ion « embouchure de l ' A r a g u a r y » , pour met t re sa limite où elle t rouverai t cette embouchure , l 'autre sur la lat i tude, pour met t re la limite où cette lat i tude existe.

« Ce serait la quest ion de l ' O y a p o c k et du V i n c e n t -P i n s o n sous u n e autre face.

« Supposons qu 'on ne déclarât pas la la t i tude, et que l 'on posât la limite s implement à l ' embouchure Nord de l ' A r a g u a r y , en lui donnan t le nom de C a r a p a p o r i s et de V i n c e n t - P i n s o n .

« Une fois à l 'œuvre , on mettrai t la limite là où l 'on trouverait sur les lieux u n e embouchure Nord de l ' A r a ­g u a r y . Le Furo de l'Araguary serait l ' embouchure Sud,

et la vraie embouchure à u n degré et vingt minu tes envi­ron, l ' embouchure Nord. Il n 'y aurait aucune limite à deux degrés et demi. La lettre du Traité, la nécessi té de l 'exé­cuter et la configuration de la côte l 'emporteraient naturel­lement sur des dires de protocole, non consignés dans le Traité, qui serait exécuté de la maniè re possible.

« L 'ar t ic le8 e du Traité d ' U t r e c h t dit : « SA M A J E S T É

TRÈS-CHRÉTIENNE se désistera pour toujours, comme elle se désiste dès à p résen t par ce Traité, dans les t e rmes les plus forts et les plus authent iques , et avec toutes les

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( 348 ) 13 e L E C T U R E § 1237

clauses r equ i se s , c o m m e si elles é ta ient insérées ici, tant en son n o m q u ' e n celui de ses hoirs , successeurs et hé r i ­t iers , de tous droi ts et p ré t en t ions qu 'e l le peu t et pour ra p r é t e n d r e sur la propr ié té des terres appelées du Cap du Nord, et situées entre la rivière des Amazones et celle de

Iapoc ou de Vincent-Pinson, sans se réserver ou retenir

aucune portion desdites terres, afin qu 'e l les soient désor­mais possédées par SA M A J E S T É PORTUGAISE, e tc . »

« Selon l 'honorable P lénipotent ia i re França is , le V i n ­c e n t - P i n s o n a son e m b o u c h u r e à deux degrés et demi. Donc, la côte qui se t rouve en t re la r ivière des A m a z o n e s et deux degrés et demi , forme ce que le Traité appelle t e r r e s du Cap d u N o r d , et qu' i l a cédées au P o r t u g a l .

« Ainsi , u n e l imite posée à l ' embouchure de l ' A r a ­g u a r y , à u n deg ré v ing t m i n u t e s , empor te ra i t cet te par t ie des T e r r e s d u C a p d u N o r d , définies selon l 'honorable Plénipotent ia i re F rança i s .

« Mais le Traité dit : « sans se réserver ou sans retenir

aucune portion desdites terres. »

« Tout cela résu l te de ce que l 'honorable P l é n i p o t e n ­t i a i r e F r a n ç a i s m e t la r ivière de V i n c e n t - P i n s o n dans u n endroi t , où, d 'après d 'au t res indicat ions , la l imite ne serai t pas , si on la met ta i t en exécut ion. Si l ' A r a g u a r y n ' a a u c u n e e m b o u c h u r e au delà d ' un degré v ing t m i ­n u t e s ; si le C a r a p a p o r i s n 'es t pas u n e e m b o u c h u r e de l ' A r a g u a r y , il est incontes tab le qu' i l n 'exis te aucune r ivière de V i n c e n t - P i n s o n dans les parages du Cap N o r d , et q u e la base , le fondement de toute l ' a rgumen­tat ion et des p ré t en t ions de l 'honorable P l é n i p o t e n t i a i r e F r a n ç a i s sont dé t ru i t s complè tement .

« Car l 'honorable P l é n i p o t e n t i a i r e F r a n ç a i s a exclu abso lumen t tou te r ivière de V i n c e n t - P i n s o n qui ne serai t pas le C a r a p a p o r i s , qui n e serai t pas u n e e m b o u ­chure de l ' A r a g u a r y , qui ne serai t pas à deux degrés et demi et m ê m e à deux d e g r é s .

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§ 1 2 3 7 1 3 E L E C T U R E ( 3 4 9 )

« La carte jointe au Mémoire, daté de 1 8 3 7 , du B A R O N

WALCKENAËR, sur les nouvelles découvertes géographiques faites dans la G u y a n e f r a n ç a i s e , et qui décrit les lacs M a c a r i et Mapá à deux degrés et dix minutes , contient l'île de M a r a c á qui se t rouve sous cette lat i tude et n ' in ­dique là aucune embouchure de l ' A r a g u a r y . Ce savant géographe appelle, dans le Mémoire cité, V i n c e n t - P i n ­s o n le C a r a p a p o r i s qu'i l cons idère , non comme une embouchure de l ' A r a g u a r y , mais comme u n cours d'eau ent iè rement distinct et séparé.

« Le B A R O N WALCKENAËR dit dans ce Mémoire : « D'après « le Traité d ' U t r e c h t , la G u y a n e avait pour l imite dans « le Sud-Est, la rivière de V i n c e n t - P i n s o n , connue des « naturels sous le nom de I a p o c k . L 'embouchure de « cette rivière fut longtemps inconnue; mais , en 1 7 8 4 , le « B A R O N D E BESSNER, gouverneur de C a y e n n e , voulant « f i x e r une l imi te , conformément aux Trai tés , envoya « M. M E N T E L L E , ingénieur-géographe, explorer le littoral « du cont inent depuis le Cap Nord jusqu 'au Cap O r a n g e . « On reconnut , on fixa posi t ivement le cours de la rivière « de V i n c e n t - P i n s o n , et le gouverneur fît élever à son

« embouchure u n petit fortin qui ne fut jamais occupé, « et aujourd 'hui même on n ' en reconnaî t plus l 'emplace-« ment . »

« La rivière de V i n c e n t - P i n s o n est donc bien connue , « c'est celle que les B r é s i l i e n s appellent aujourd'hui le « C a r a p a p o r i s ; en 1 7 8 4 , c'était u n fleuve imposant et « présentant à son embouchure u n mouillage excellent « pour les grands bât iments du roi. Aujourd'hui , tout est « changé c e n 'es t plus qu 'un cours d'eau sans issue dans

« la mer, l'embouchure a été obstruée par des sables, etc. »

« Or, les B r é s i l i e n s n 'on t jamais appelé C a r a p a p o r i s une rivière qui n'existe pas, une embouchure de l 'Ara ­g u a r y , au-dessus de deux degrés . Ils appellent C a r a p a ­p o r i s une rivière obstruée, au-dessus du Cap N o r d , entiè-

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( 350 ) 13 e L E C T U R E § 1237

r e m e n t dis t incte et séparée de l ' A r a g u a r y , dont elle n 'es t pas u n e e m b o u c h u r e . C'est exac tement le C a r a p a ­p o r i s de la carte de M . TARDY D E MONTRAVEL, et il n 'existe pas d 'aut re C a r a p a p o r i s .

« C'est pa r ces ra i sons , out re celles que le Plénipo­tentiaire Brési l ien a déjà exposées dans les conférences p r écéden t e s , et qu' i l ne répé te ra pas , que le Gouvernement de SA MAJESTÉ L ' E M P E R E U R D U BRÉSIL ne pourra i t jamais accepter la l imite proposée pa r l 'honorable P l é n i p o t e n ­t i a i r e F r a n ç a i s , « la b r a n c h e Nord de l ' A r a g u a r y , » laquel le ne serai t pas m ê m e le V i n c e n t - P i n s o n auquel il p r é t end .

« Cette ques t ion d u r e depuis p rès d 'un siècle et demi . Le g o u v e r n e m e n t français a bien établi dans u n Traité que le C a l s o è n e était le V i n c e n t - P i n s o n ; des géographes français ont b ien p r é t e n d u que le M a y a c a r é , le C a r a p a ­p o r i s é ta ient le V i n c e n t - P i n s o n ; mais c 'est la p remière fois que le n o m d ' A r a g u a r y est p rononcé comme é tan t la l imite d ' U t r e c h t . Le Traité de B a d a j o z a, il est vra i , établi la l imite à l ' A r a g u a r i ; mais c o m m e l 'honorable P l é ­n i p o t e n t i a i r e F r a n ç a i s l'a r e c o n n u dans le 6 e protocole , la F r a n c e n ' e n t e n d a i t pas re t rouver là le V i n c e n t - P i n ­s o n d ' U t r e c h t .

« Quand le g o u v e r n e m e n t français fit établir u n poste , en 1836, sur le ter r i to i re contes té , il ne dés igna pas sa l imi te , il se con ten ta s imp lemen t d ' o rdonne r la fondation d 'un pos te mil i ta i re provisoi re au delà de l ' O y a p o c k .

« Le P l é n i p o t e n t i a i r e B r é s i l i e n e m p r u n t e r a au Mé­moire su r les nouve l l e s découver t e s géograph iques faites dans la G u y a n e , publ ié , en 1836, pa r le B A R O N W A L C K E -

N A Ë R , dont l ' autor i té ne peu t ê t re suspec te pou r l 'honorable P l é n i p o t e n t i a i r e F r a n ç a i s , que lques no t ions his to­r iques sur cet é tab l i s sement .

« P lus i eu r s fois, dit-il, les I n d i e n s du P a r á s 'étant « révol tés , le g o u v e r n e m e n t d o n n a l 'ordre à différents gou-

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§ 1237 13e LECTURE ( 351 )

« verneurs de la G u y a n e de s 'emparer de nos l imites et « d'y fonder un poste mil i ta i re; mais le minis t re n 'ayant « jamais dit s'il prenai t pour base le Traité d ' A m i e n s ou « celui d ' U t r e c h t , aucun gouverneur ne voulut s 'exposer « à des représail les de la part du B r é s i l , et probablement « à des récr iminat ions ou à des reproches de la part du « ministère français.

« Les choses en res tèrent là jusqu 'en 1836. Alors, le « minis tère français, voyant toute la province du P a r á aux « mains des I n d i e n s révol tés , donna l 'ordre de prendre « possession mil i ta i rement de nos l imi tes ; mais , suivant « son usage , il ne disait point là où devait s 'arrêter la « G u y a n e f r a n ç a i s e , et laissait ainsi u n e question fort « grave à décider au gouverneur .

« Le prédécesseur de M. D E CHOISY Fit explorer la côte, « niais ne prit aucun part i . En ar r ivant , M . D E CHOISY

« envoya de nouveaux explorateurs et leur ordonna de « désigner tous les endroi ts susceptibles de recevoir un « établissement mi l i ta i re , à partir de l ' embouchure de « l ' A r a g u a r y , l imite du Traité d'Amiens. M. D E CHOISY

« désirait se fixer dans l ' A m a z o n e m ê m e . . . Ensui te , il « lui paraissait na ture l , n ' ayan t pas d 'ordre contraire , de « prendre pour l imites celles qui nous étaient plus avan-« tageuses . Les explorateurs rev inrent , et le gouverneur « fut obligé, sur leur rapport, de renoncer à prendre posi-« tion sur l ' A m a z o n e . La rivière d ' A r a g u a r y , pendan t « t rente l ieues, a ses bords couverts par les eaux de la m e r « à une grande hau teu r et deux fois par jour , e t c . . Toute « la côte jusqu ' à la rivière de V i n c e n t - P i n s o n é tan t « inondée pér iod iquement de la même maniè re , il était « impossible d'y fonder u n établ issement sans éprouver « de grandes en t raves et sans faire des dépenses éno rmes . « Le gouverneur aura i t dés i ré alors se fixer à l ' embouchure « du C a r a p a p o r i s ou rivière de V i n c e n t - P i n s o n . mais « la rivière n 'est p lus q u ' u n cours d 'eau in tér ieur , e tc .

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( 352 ) 13 e L E C T U R E § 1237

« Le m i n i s t è r e , toujours laconique dans ses ordres , « avait o r d o n n é s implemen t de fonder u n poste mili taire « au delà de l ' O y a p o c k , ce qui laissait au gouve rneu r « u n e g r a n d e la t i tude . Mais les é v é n e m e n t s du Pará, la « défaite totale des I n d i e n s révol tés firent concevoir au « g o u v e r n e u r u n projet d 'é tab l i ssement sur de p lus larges « bases . Il se doutait b ien que les I n d i e n s , t r aqués par « l eurs v a i n q u e u r s , v iendra ien t che rche r u n asile sur nos « t e r r e s , et il a r rê ta le projet de former tout à la fois u n « poste mil i ta i re sur le bord de la m e r pour p ro téger la « mar ine , et u n é tab l i s sement agricole pour servi r de « cen t re à la nouve l l e colonie. Il dés igna donc u n empla-« cernent su r la pointe de l'île du Cap N o r d (île Maracá à « deux degrés dix minu tes ) , pour y é lever u n e bat ter ie qui « devait p ro téger u n t r è s -bon moui l lage ; il fixa le poste « pr inc ipa l sur le g rand îlot du lac (Mapá), etc . »

« Ainsi, les g o u v e r n e u r s de la G u y a n e F r a n ç a i s e che rcha ien t u n e l imite où elle l eur paraissai t p lus conve­nable , sans aucune idée a r rê tée , q u a n t au droit .

« Le G o u v e r n e m e n t F r a n ç a i s ne pouvai t souteni r cet injuste p rocédé . Il fit droit aux réc lamat ions du B r é s i 1, et le fit cesser .

« Il ne déclara pas aux g o u v e r n e u r s de la G u y a n e quel les é ta ien t ses l imites . Il ne les déclara pas non plus au g o u v e r n e m e n t brés i l ien . Il donna alors c o m m e motif de l ' é t ab l i s sement d 'un poste provisoire à Mapá, l 'état de de conflagration dans lequel se t rouvai t la p rov ince brés i ­l i enne du Pará, et la nécess i té de p ré se rve r les posses­sions f rançaises des conséquences de cet état révolut ion­nai re . Il a l légua des droits au terr i to i re occupé, sans les é t e n d r e à l ' e m b o u c h u r e Nord de l ' A r a g u a r y , et sans pré­ciser la l imi te .

« Ce n o m d ' A r a g u a r y a été p rononcé pour la p remière fois dans la p r é s e n t e négocia t ion .

« Si la seule in te rpré ta t ion d o n n é e par l 'honorable P lé -

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§ 1237 13e L E C T U R E ( 353 )

nipotentiaire Français au Traité d ' U t r e c h t , si la limite qu'il a indiquée est impossible, parce qu'elle est inappl i ­cable à la côte, la conséquence à tirer du long débat qui a eu l ieu devrait être que c'est la limite indiquée par le Plénipotentiaire Brésilien, l ' O y a p o c k , qui doit prévaloir .

« Toutefois, le Gouvernement de SA MAJESTÉ L ' E M P E ­

R E U R D U B R É S I L , pour donner u n e preuve du désir qu'il nourri t de met t re , à l 'amiable, un terme à cette anc ienne question, et de main ten i r , sans le moindre t rouble , les relations de bonne amitié que le B r é s i l a toujours eues avec la F r a n c e , a déjà fait u n e concession qu'il offre de nouveau .

« Il s'agit seu lement à p résen t de fixer le point de départ de la limite sur la côte.

« Le C a s s i p o u r e est une rivière connue , dont l 'em­bouchure est dé te rminée . Elle est portée sur toutes les cartes anc iennes et modernes . Elle est la rivière la plus considérable de la côte après l ' O y a p o c k et l ' A r a g u a r y . Elle n 'es t sujette à aucun doute ou contestat ion. Elle s 'étend assez dans l ' intér ieur . Quoique son embouchure soit à trois degrés quarante-hui t minutes , ses sources sont plus au Sud, et la F r a n c e acquiert par cette l imite le côté droit de l ' O y a p o c , et u n terri toire assez considé­rable en t re les deux r ivières . Le B r é s i l fait ainsi une concession de près de deux tiers de degré de côte.

« LE PLÉNIPOTENTIAIRE FRANÇAIS répondra en t rès-peu de mots à la communicat ion qui vient d'être faite par l 'ho­norable Plénipotent ia ire du B r é s i l et aux considérat ions générales qui l 'ont p récédée .

« Au point où la p résen te négociat ion est ar r ivée , le Plénipotentiaire Français croirait aussi inut i le qu ' inoppor­tun de ren t r e r dans le fond même du débat. Il ne discu­tera donc ni la valeur du Mémoire de M. WALCKENAËR

cité, ni les asser t ions reprodui tes par l 'honorable Plénipo­tentiaire du B r é s i l . Il ne peut que s'en référer à son argu­

23

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( 354 ) 13e L E C T U R E § 1237

menla t i on an t é r i eu re , cons ignée dans la sér ie des p ro to ­coles de la conférence . La réfutat ion de ce qui v ien t d 'ê t re dit par l 'honorable P lén ipoten t ia i re du B r é s i l ressor t , s u r a b o n d a m m e n t , à son avis , de l eu r e n s e m b l e .

« Le P l é n i p o t e n t i a i r e F r a n ç a i s se b o r n e r a à faire r e m a r q u e r à son honorab le col lègue q u e , d ' une par t , si la F r a n c e n 'avai t pas eu occasion, jusqu ' i c i , de s 'expliquer d ip lomat iquement sur le poin t précis où elle se tenai t en droit de por te r la l imi te au Sud, du moins , l 'avait-elle mi­l i t a i r ement b ien n e t t e m e n t i n d i q u é e ; car le fort occupé par les F r a n ç a i s de 1777 à 1792, — sans que le Portugal

ait réclamé, — le fort de Vincent-Pinson était précisé­

ment situé à l'embouchure de l'Araouary et à l'extrémité de

cette même rive gauche du fleuve, que l ' honorab le P l é n i ­

p o t e n t i a i r e d u B r é s i l croit , à tort , réclamée pour la pre­mière fois;

« Et que , de l ' au t re , à supposer (et le P lén ipo ten­t iaire França i s l'a cons ta té lu i -même à p lu s i eu r s reprises) que la la t i tude de l ' A r a o u a r i ait é té inexac temen t calculée et i nd iquée , r ien n e serai t p lus facile, dans u n Traité n o u ­veau , que d 'évi ter les embar ras que veu t prévoi r l ' hono­rable P lénipotent ia i re du B r é s i l . Il suffirait, pour cela, d ' une dé l imi ta t ion a s t ronomique préc i se , accompagnée d 'une explication formelle (déclarat ion en ve r tu de la­quel le il serai t b ien e n t e n d u que , quel le que soit la lat i­t u d e de la b r a n c h e Nord de l'A r a o u a r i , — les terres du Cap du Nord demeurent à la couronne du Brésil), u n e commis ­

sion mixte expl iquerai t sur les l ieux la dél imi ta t ion diplo­m a t i q u e m e n t adoptée et les deux couronnes de F r a n c e et du B r é s i l se t rouve ra i en t ainsi à la fois en possess ion des par t s que l eu r a faites le Traité d ' U t r e c h t , dont les diffi­cul tés sera ien t à j amais réso lues , — et dé l imi tées pa r u n e vraie f ront ière , pa r u n b ras de fleuve.

« Le P l é n i p o t e n t i a i r e d e F r a n c e répè te encore u n e fois que cet te l imite de l ' A r a o u a r i , — la seule vra ie en

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§ 1237 13 e L E C T U R E ( 355 )

droit, est encore la seule vraie en fait : sauf l ' A r a o u a r i , de l ' A m a z o n e à l ' O y a p o c , — on ne compte que des cours d'eau insuffisants pour dé te rminer une limite accep­table.

« Le P l é n i p o t e n t i a i r e F r a n ç a i s reconnaî t sans dif­ficulté qu'il a souvent , dans la première part ie de la dis­cussion, — lorsqu'i l s'agissait de prouver «que le Vincent-Pinson n'était pas et ne pouvait pas être par le travers du

quatrième et du cinquième degré, » cité, invoqué des docu­ments qui plaçaient le V i n c e n t - P i n s o n au deuxième de ­gré et d e m i ; mais l 'honorable P l é n i p o t e n t i a i r e du B r é ­s i l reconnaî t ra sans doute, avec u n e égale loyauté, — que dans la seconde moitié du débat , — quand notre O y a p o c a été en quelque sorte mis hors de cause, — quand il a fallu chercher la lati tude exacte du Vincent-Pinson, du C a r a p a p o u r i , de la branche Nord de l'Araouari, n o n -

seulement le Plénipotent iaire Français a reconnu qu'el le n'avait jamais été qu approximativement indiquée, mais il a fait de ces indications approximatives, de ces erreurs de la­

titude « qui embrassent l 'espace de près d 'un degré », un des a rguments les p lus décisifs en faveur de sa cause. Ici le P l é n i p o t e n t i a i r e F r a n ç a i s prend la l iberté de renvoyer son honorable collègue à la deuxième partie du protocole de la onzième conférence.

« Le P l é n i p o t e n t i a i r e F r a n ç a i s a toujours réclamé comme la limite (et cela indépendamment de toute déter­mination de la t i tude, i ndépendammen t de toute appella­tion actuelle d ' A r a o u a r i , c a r a p a p o r i s , etc.), le premier grand cours d'eau après l'Amazone, en remontan t vers le

Nord. — Son langage n 'a pas varié un momen t sur ce point décisif, depuis la première réunion des Plénipoten­tiaires jusqu 'à la dernière .

« Le P l é n i p o t e n t i a i r e F r a n ç a i s a cru devoir faire précéder de ces courtes observations le refus réi téré et absolu qu'il est forcé de faire de l'offre renouvelée par

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( 356 ) 13 e L E C T U R E § 1237

M. le P l é n i p o t e n t i a i r e d u B r é s i l , de la l igne du C a s s i -p o u r e .

« L E P L É N I P O T E N T I A I R E BRÉSILIEN rép l ique que , dési­r a n t n e pas la isser sans résu l ta t u n e négocia t ion si l ongue , et cela, pou r que lques l ieues d 'une côte i nondée , il offrira à son honorab le col lègue de me t t r e la l imite à l ' embou­chu re du C o n a n i ou C o a n a n i , à deux degrés c inquan te m i n u t e s env i ron . Il fait observer que cette l imite est j u s ­tifiée par le propre d o c u m e n t p r é sen t é par l 'honorable P lén ipoten t ia i re F rança i s dans la 8 e conférence , pour prou­ver le droit de la F r a n c e , et in t i tu lé : Satisfacçao ao Mémorial offerecido pelo Exmo Sr. Emb aixador de

França, etc. Ce d o c u m e n t p rouvera i t que la l imite du Trai té de 1700, et de celui d ' U t r e c h t , était à deux degrés c inquan te m i n u t e s (tres gráos escassos) et c'est la r ivière C o n a n i ou C o a n a n i qui se t rouve dans cette la t i tude . Le P l é n i p o t e n t i a i r e d u B r é s i l acceptera cet te la t i tude pou r t ransac t ion , et pou r en finir.

« L E P L É N I P O T E N T I A I R E D E FRANCE r épond qu' i l a le reg re t de n e pouvoir d iscuter cet te proposi t ion nouvel le et que les ordres qu' i l a r eçus , aussi b ien que l ' ensemble du débat , lui imposen t le devoir de la repousser formelle­m e n t .

« L E P L É N I P O T E N T I A I R E B R É S I L I E N dit alors qu ' i l fera la de rn iè re concess ion poss ib le , et qui est la p reuve la plus conva incan te , que le g o u v e r n e m e n t de SA MAJESTÉ L ' E M ­

P E R E U R D U BRÉSIL pour ra i t d o n n e r des efforts faits de sa par t pour t e r m i n e r la ques t ion par la p r é sen t e négocia t ion .

« Le P l é n i p o t e n t i a i r e B r é s i l i e n propose à son honorab le col lègue de p r e n d r e pour l imite le C a l s o è n e à deux degrés t r e n t e m i n u t e s env i ron .

« C'est j u s t e m e n t la la t i tude où l 'honorable P l é n i p o ­t e n t i a i r e F r a n ç a i s a posé la l imi te dans les protocoles , comme cela v ien t d 'ê t re p rouvé .

« C'est j u s t e m e n t la la t i tude sous laquel le le d o c u m e n t

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§ 1237 13 e L E C T U R E ( 357 )

le plus solennel qu 'on puisse invoquer , u n Traité, le Traité entre le P o r t u g a l et la F r a n c e du 23 the rmi ­dor 1797, a reconnu une rivière de V i n c e n t - P i n s o n , en disant que le C a l s o è n e à deux degrés t rente minu tes était le V i n c e n t - P i n s o n des F r a n ç a i s .

« Le C a l s o è n e rempli t les conditions requises pour une frontière.

« Son embouchure admet l 'entrée de canots et de pe ­tites goëlettes. Il n 'es t pas avéré qu'elle se trouve obstruée. Elle a u n cours assez long dans l ' intér ieur des terres et différentes chutes dans sa part ie supér ieure .

« Entre l ' O y a p o c k et le Cap du N o r d , elle est, après le C a s s i p o u r e , la rivière la plus connue , la p lus considé­rable et la plus propre pour u n e l imite.

« C'est la p lus considérable et la dernière concession que le P l é n i p o t e n t i a i r e B r é s i l i e n peut faire, et il la fait pour ne pas r end re la quest ion in terminable .

« L'honorable P l é n i p o t e n t i a i r e F r a n ç a i s a déclaré la limite de l ' O y a p o c k impossible. Celle de l ' A r a g u a r y l'est aussi .

« Le seul moyen de te rminer la quest ion est u n e trans­action.

« Le P l é n i p o t e n t i a i r e B r é s i l i e n a déjà fait trois concessions qui ont été refusées. Il en fait u n e quat r ième et il ne peut en faire d 'autre .

« Il offre la m ê m e lati tude où l 'honorable P l é n i p o ­t e n t i a i r e F r a n ç a i s a lui-même mis la l imite. Il offre une rivière que la F r a n c e , dans u n Traité, a déjà recon­nue comme étant la rivière de V i n c e n t - P i n s o n .

« L E PLÉNIPOTENTIAIRE D E FRANCE exprime de nou­veau son regre t que ses instruct ions, qui lui enjoignent d e . décliner tout a r rangement qui n 'aurai t pas pour base l 'adoption de la rive gauche de l ' A r a o u a r i , comme l igne de démarcat ion, — ne lui permet ten t pas de discuter cette nouvel le proposit ion, contre laquelle les objections

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( 358 ) 13 e L E C T U R E § 1237

t opograph iques abonden t . Il ne saurai t donc ni l 'accepter, — ni laisser concevoir à son honorab le col lègue la pensée qu 'el le pu i s se ê t re accueil l ie par sa cour . — Mais il fera pa rven i r à la conna i ssance de Sa M a j e s t é et de ses m i n i s ­t r es les inc iden t s de la p r é sen t e conférence , et, lors de la r é u n i o n p rocha ine que r e n d r o n t nécessa i re la l ec ture et la s igna tu re du protocole de celle-ci, il au ra l ' h o n n e u r de faire savoir à son honorab le col lègue s'il a que lque chose à ajouter à ses p récéden te s communica t ions . »

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§ 1238 13 e L E C T U R E ( 359 )

1238. Procès-verbal de la quinzième séance.

« Aujourd 'hui , 1 e r juillet 1856, MM. l e s P l é n i p o t e n ­t i a i r e s d e F r a n c e et d u B r é s i l se sont réun is à l 'hôtel des Affaires Etrangères à P a r i s , à l'effet de cont inuer leurs travaux.

« A l 'ouver ture de la séance, MM. l e s P l é n i p o t e n ­t i a i r e s font donner lecture par le secrétaire du procès-verbal de la dernière conférence du 27 mai dernier .

« Le procès-verbal est adopté et signé par MM. les membres de la conférence.

« L E PLÉNIPOTENTIAIRE FRANÇAIS p rend la parole et s 'exprime en ces t e rmes :

« Son Excellence le minis t re des Affaires Ét rangères a porté à la connaissance de SA MAJESTÉ IMPÉRIALE les résultats de la dernière conférence, aussi bien que les observations verbales qui lui ont été p résen tées , dans un entre t ien confidentiel, par l 'honorable Plénipotent ia ire du B r é s i l : — et, en conséquence des ordres de Sa M a j e s t é , le Plénipotent iaire de F r a n c e a été autorisé à faire à son honorable collègue la communicat ion suivante :

« Le Gouvernement de l ' E m p e r e u r ne saurait , en présence des Traités et des différents documents produits dans le cours de la négociat ion, accepter n i reconnaî t re , comme conforme à ces Traités et à ces documents , une autre limite que la rive gauche de la b ranche Nord du fleuve Araouari; — mais , désireux de manifester à son tour la sincérité des dispositions concil iantes et par t icu­l ièrement amicales qui l ' animent à l 'égard du B r é s i l , et aussi de satisfaire à cer ta ines objections développées par l 'honorable Plénipotent iaire de SA MAJESTÉ B R É S I L I E N N E ,

— le Gouvernement de l ' E m p e r e u r est disposé à adopter u n a r r angemen t qui puisse , même au prix d 'un sacrifice

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( 360 ) 13e L E C T U R E § 1238

(*) « Le P l é n i p o t e n t i a i r e F r a n ç a i s év i t e à de s se in de se p r o n o n c e r u r l es a p p e l l a t i o n s d o n t l ' e x a c t i t u d e a é t é c o n t e s t é e p a r l ' h o n o r a b l e

de sa par t , concil ier dans u n e m e s u r e r é c i p r o q u e m e n t acceptable les in té rê t s et les droits de chacune des deux hau te s par t ies con t rac tan tes .

« L 'honorab le P l é n i p o t e n t i a i r e d u B r é s i l a m a n i ­festé que lques app réhens ions re la t ives à l 'état m ê m e de la b r anche Nord du fleuve Araouari; — il a par lé d'infor­ma t ions r écen t e s qui p r é s e n t e n t cet te b r anche comme obs t ruée et ses bords c o m m e confondus dans u n ensemble de t e r res noyées . Il a manifesté cette cra in te « que si le « nom d ' A r a o u a r i figurait dans le Traité comme celui « du fleuve l imi te , la seule b r a n c h e au jourd 'hu i l ibre de « ce fleuve se t rouvan t au Sud du Cap du Nord, — le « C a p d u N o r d et les t e r res y adjacentes , a s surées à la « couronne de P o r t u g a l par le Traité d ' U t r e c h t , ne se « t rouvassen t ainsi , de fait, adjugées à la F r a n c e . »

« Le Gouve rnemen t de l ' E m p e r e u r , pour écar ter , à cet égard, tou te chance d ' équ ivoque , consent :

« Non- seu l emen t à ce q u ' u n article du Traité à inter­ven i r rappel le d ' une man iè r e expresse et formelle , « que « les ter res adjacentes au Cap d u N o r d appa r t i ennen t défi-« n i t i vemen t et à toujours à S A MAJESTÉ B R É S I L I E N N E ; »

« Mais encore (et ici l 'honorable P l é n i p o t e n t i a i r e d u B r é s i l appréc iera la va leur de la concession qui lui est offerte), à ce que la l imite future soit ainsi ind iquée dans le Traité à in t e rven i r :

« Le canal de C a r a p a p o r i s , séparan t l 'île de Maracá « des t e r res adjacentes au Cap d u N o r d , — puis la b ranche « Nord du fleuve Araouari, si cet te b r a n c h e est l ibre , ou, « dans le cas où cet te b r a n c h e serai t au jourd 'hu i obs t ruée , « le p remie r cours d 'eau su ivan t , en r e m o n t a n t vers le « Nord et se j e t an t , sous le n o m de M a n n a i e ou r ivière « de C a r a p a p o r i s , dans le canal de C a r a p a p o r i s * , à u n

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§ 1238 13 e L E C T U R E ( 361 )

P l é n i p o t e n t i a i r e du B r é s i l ; i l s ' a t t ache s e u l e m e n t à p r é c i s e r la s i tua­t ion du c o u r s d ' eau é v e n t u e l l e m e n t dés igné . » (Note dans le procès-verbal de la quinzième et dernière séance.)

« degré quarante-cinq minu tes environ de lat i tude Nord. » « La limite, par tant de la côte, suivrait le cours du

fleuve sus- indiqué jusqu 'à sa source, puis se prolongerai t à égale distance de la rive gauche de l ' A m a z o n e jusqu ' à ce qu'el le rencont râ t la limite Ouest du Rio B r a n c o .

« Le P l é n i p o t e n t i a i r e F r a n ç a i s s 'estime heu reux d'être auprès de son honorable collègue l ' intermédiaire d 'une proposition qui semble de na tu re à clore équitable-men t et h e u r e u s e m e n t la négociation poursuivie depuis plus d 'une année .

« Si la b ranche Nord de l ' A r a o u a r i , du Vincent-Pin­son, est l ibre, en l 'adoptant définitivement comme fron­t ière, les hautes part ies contractantes ne feront qu 'exécuter le Traité d ' U t r e c h t .

« Si, au contraire , elle est obstruée, loin de se p r é ­valoir de ce que la limite d ' U t r e c h t aura, en quelque sorte, été abolie par les é léments , — la F r a n c e consent à reculer j u squ ' au cours d 'eau le plus voisin, en remontan t vers le Nord. Cette concession est le témoignage des sen­t iments qui inspirent le Gouvernement de l ' E m p e r e u r , mais c'est aussi le dernier effort qu'il lui soit permis de faire vers l 'accord définitif qu'il a tant à cœur de voir s'établir.

« L E PLÉNIPOTENTIAIRE BRÉSILIEN répond à son hono­rable collègue qu'il a épuisé toutes les concessions qu'il pou­vait faire, afin de te rminer la quest ion par une transact ion, mettant le droit de côté, en proposant le C a l s o è n e comme limite. Il a déjà déclaré que c'était la dern ière concession qu'il pouvait faire. Il ne peut donc accepter la proposit ion faite par son honorable collègue, comme résul tat de la présente négociat ion. Il croit m ê m e n e pouvoir la discuter

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( 362 ) 13 e L E C T U R E § 1238

et l 'éclaircir , et ne le pouvan t pas, il préfère ne pas la repousse r d i r ec t emen t et déf ini t ivement au n o m de son g o u v e r n e m e n t qui n ' en a pas eu conna i s sance . Cette p ro ­posit ion sera écr i te dans le protocole, et elle sera por tée , avec ce protocole , à la conna i ssance de son g o u v e r n e m e n t .

« Tous les points su r lesquels u n accord pourra i t avoir l ieu, d a n s la p r é sen t e négocia t ion, on t été complè t emen t d i s cu t é s ; les proposi t ions faites des deux côtés n ' o n t pu être acceptées : le P lén ipoten t ia i re Brési l ien n e peu t con­c lure u n a r r a n g e m e n t différent de celui qu ' i l a d e r n i è r e ­m e n t p roposé . Il est donc de son devoir de cons idére r la p ré sen t e négocia t ion c o m m e t e r m i n é e , e t de r e t o u r n e r auprès de sa cour , pour en r e n d r e compte à son souvera in , comme il lui est o rdonné : sans toutefois pe rdre l ' espérance de ce que l 'on puisse t rouver le m o y e n de t e rmine r la ques t ion à l 'amiable en t r e deux pays qui ont des re la t ions commerc ia l e s assez impor t an te s , que le t emps et la b o n n e in te l l igence accro î t ront , et qui n ' on t des motifs que pour sympa th i se r l ' un avec l ' au t re .

« L'espri t de conci l ia t ion, et le dés i r de t e r m i n e r la ques t ion de la par t du g o u v e r n e m e n t de SA MAJESTÉ

L ' E M P E R E U R nu B R É S I L , est p rouvé avec év idence par les différentes et impor t an t e s concess ions qu ' i l s 'est m o n t r é disposé à faire pou r en finir par u n e t ransac t ion , avec sacrifice de ses dro i t s .

« Le P l é n i p o t e n t i a i r e B r é s i l i e n ajoute que ce qu ' i l v ien t de di re se réfère à la l imite de la côte , car, q u a n t à celle de l 'Est à l 'Ouest , il s ' abs t iendra de la d iscu ter et d ' émet t re su r elle u n e opinion, n o n - s e u l e m e n t parce qu 'e l le est i nd iquée t r è s - v a g u e m e n t , et comme u n e conséquence d ' u n e l igne de côte qui n 'es t pas acceptée et fixée, mais auss i parce qu ' i l a é té c o n v e n u dans le protocole de la douz ième conférence , qu ' i l n 'é ta i t pas possible de s 'occuper de la l imite i n t é r i eu re avant d 'avoir a r rê té le point de dépar t , c 'est-à-dire avant d 'avoir a r rê té la l imi te de la côte.

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§ 1239 13 e L E C T U R E ( 363 )

« Les deux P l é n i p o t e n t i a i r e s d u B r é s i l e t de F r a n c e croient de leur devoir, avant de clore le présen t protocole, d'y consigner le témoignage de la bonne en ten te et de la cordialité réciproques qui ont prés idé à leurs tra­vaux, et aussi l 'expression de l 'espoir qu' i ls conservent de voir u n e solution prochaine t e rminer d 'une façon sat is­faisante pour les deux cours impériales le différend auquel elles ont un égal désir de mettre fin. »

1239. La quest ion de l ' O y a p o c est donc r en t rée dans le domaine de la science.

Il est donc permis d'ajouter encore quelque chose à la grave réplique de M . L E VICOMTE D E L 'URUGUAY.

C'est ce qui sera fait dans la quat r ième partie de ces lectures .

Et tout comme il reste démont ré que le Japoc ou Vin­cent-Pinson du Traité d ' U t r e c h t ne peu t pas être l ' A r a -g u a r i , de m ê m e deviendra- t - i l incontes table que ce ne peut être que l'Oyapoc.

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( 3 6 4 ) 1 4 E L E C T U R E § § 1 2 4 0 - 1 2 4 3

Q U A T O R Z I È M E L E C T U R E

1 2 4 0 . On dirait que cer ta ins espr i ts en thous i a s t e s , exagéra teu r s officieux des doct r ines du Gouvernemen t , ont été cont rar iés de voir que M. L E VICOMTE D E L 'URUGUAY,

au n o m du t ra i té d ' U t r e c h t , l eur fermait l ' un ique avenue de l ' A m a z o n e , en leur fermant l ' A r a g u a r i .

1 2 4 1 . On dirait qu ' i ls ont pensé tout bas ce que le marécha l D ' H U X E L L E S avait crié tout hau t à la veille du trai té d ' U t r e c h t :

« Qu'il étai t inut i le de tant r abâche r sur ces pauv re s t e r r e s d u C a p N o r d ; que le point essent ie l pour la F r a n c e était d 'ob ten i r la l ibre en t r ée et la l ibre navigat ion de l ' A m a z o n e . »

1 2 4 2 . On dirait qu ' i l s ont fait aussi tôt u n e l igue pour se débar ras se r tout d o u c e m e n t du t ra i té d ' U t r e c h t , et pour r a m e n e r la ques t ion à son point de dépar t , c 'es t -à-di re au point où elle se t rouvai t du t emps du M A R Q U I S D E

F E R R O L L E S , avan t le t ra i té provis ionnel de 1 7 0 0 .

1 2 4 3 . Car les conférences de P a r i s é ta ien t encore ouver t e s , et déjà le Moniteur du 2 9 mai 1 8 5 6 répanda i t cet te proc lamat ion de M. EMILE CARREY, ex-chancel ie r de M. le consul EVEILLARD :

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§ 1243 14 e L E C T U R E ( 365 )

« Par ses bateaux, l ' A m a z o n e est là tout ent ière , elle est là avec ses douze cents l ieues de cours, s i l lonnant , par e l le-même ou par ses cent c inquante affluents, cinq républ iques , trois colonies européennes et u n emp i r e ; charr iant sans frais, sans péri ls , jusqu' ici , aux portes de notre G u y a n e , tous les produits d 'un m o n d e ; l'or de l ' É q u a t e u r ou de la N o u v e l l e - G r e n a d e , le cuivre et l 'argent du P é r o u , le quinquina de la B o l i v i e , les cotons et les cafés du B r é s i l , les cacaos du V e n e z u e l a ; r ep re ­nan t en échange nos fers, nos étoffes, nos v ins , etc.

« Cette uba v ient des sources de l ' A m a z o n e , près de L i m a , p resque en vue du P a c i f i q u e ; elle m'appor te de la coca, de l'or, de la vani l le , des chapeaux de P a n a m a . Je vais la renvoyer , u t i l ement chargée de vins et de fusils de F r a n c e , qui ont payé 50 pour 100 de droits au B r é s i l . Cette aut re arrive des sources du N a p o , auprès de Q u i t o , por tant v ingt onces d'or et du café; je l'ai achetée , avec sa cargaison et les I n d i e n s qui la monta ient , pour du poisson salé, de la farine de manioc et de l 'huile d 'andi-roba. Cette t rois ième, à moitié br isée , qui me sert aujour­d 'hui à t ranspor te r de l 'huile de tor tue , a été faite en B o l i v i e , près du lac de T i t i c a c a , à quatre cents l ieues de l ' au t re ; c'est sur elle que RAPHAELO m 'es t venu avec des peaux d'alpacas et de lamas, descendant l ' A u c a y a l i et u n e partie de l ' A m a z o n e , quinze cents l ieues de fleuves.

« Cette egaritea a été faite sur les bords de l ' O r é -n o q u e , dans le fond du V e n e z u e l a , à sept cents l ieues de la u b a ; elle est arr ivée p a r l e C a s s i q u i a r e et le R io N e g r o avec des hamacs et des câbles de piassaba. L 'autre , que vous voyez à moitié disjointe, v ient de B o l i v i e ; chargée de sel et d'étoffes, elle a remonté le M a d e i r a et tout le B é n i , j u sque dans les pampas de S a n t a - B o s a , en pleine B o l i v i e , au centre de l ' A m é r i q u e , où les chevaux se venden t deux piastres, dix francs. Elle m'es t r evenue avec des doublons d ' E s p a g n e , des qu inquinas et du tabac ; elle

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( 366 ) 14 e L E C T U R E 1244

va repar t i r pour l ' aut re extrémité du B r é s i l , pour M a t o -G r o s s o , su ivant le M a d e i r a et le G u a p o r é j u s q u ' a u pied des m o n t a g n e s où na i s sen t les affluents de la P l a t a , à hui t cen ts l i eues .

« Cette coberta v ien t , par le T o c a n t i n s , du S e r t a o ou do l ' in té r ieur de la B a h i a , du cen t re du B r é s i l ; je l'ai achetée cha rgée de peaux pour soixante-dix a r robes (mille c inquan te k i logrammes) de caoutchouc , qui valait , l ' année de rn iè re , 7 francs le k i l og ramme , et dont je faisais alors deux cents k i log rammes par jour .

« J'ai fait cons t ru i re la vigilinga sur les bords du J a r y , sur les t e r res de no t re G u y a n e ; car le cours supé r i eu r du J a r y , qui est la g r ande pép in iè re du caoutchouc , t r averse le terr i toire con tes té .

« Ainsi de tous les bouts de ce vas te con t inen t , de ce m o n d e q u ' o n n o m m e l ' A m é r i q u e d u S u d , l ' A m a z o n e qui le s i l lonne appor te et r empor te tou tes choses jusqu ' i c i , c 'est-à-dire à qu inze h e u r e s de C a y e n n e et à vingt jours de cet te F r a n c e , qui oubl ie ce fleuve, son an t ique do­m a i n e Mais je m ' é g a r e , et, comme le dit u n spir i tuel

habi tan t de la G u y a n e , je rêve tan t à ce passé et à cet aveni r , que ce n ' e s t p lus du sang , c'est l 'eau de l ' A m a z o n e qui circule dans m e s ve ines ! »

1244. Quatre mois après la c lô ture des conférences , — le 29 octobre 1856, — le Moniteur criait encore cette aut re p roc lamat ion du m ê m e ex-chancel ier du consula t de F r a n c e au Pará :

« L ' A m a z o n e est le géan t des fleuves Elle se dé ­verse à la m e r par deux g randes bouches que l'île de M a -r a j o ou J o h a n n è s , qui a 180 l ieues de tour , sépare l 'une de l ' au t re . La p lus g r a n d e de ces deux bouches , la seule et vér i tab le en t r ée du fleuve, la clef de toute l ' A m é r i q u e d u S u d , est la bouche Nord ou de M a c a p a , qui jadis et p e n d a n t de longs jou r s a appar tenu à la F r a n c e . C'est su r

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§ § 1 2 4 5 - 1 2 4 7 1 4 E L E C T U R E ( 3 6 7 )

cette bouche , à c inquante l ieues en rivière, sur la rive

gauche du fleuve, qu 'es t s i tuée M a c a p a , la forteresse bré­

si l ienne choisie et commencée par les F r a n ç a i s . »

1 2 4 5 . Le 1 3 mars 1 8 5 7 , M. TARDY D E MONTRAVEL, qui déjà en 1 8 4 5 , comme nous l 'avons vu, avait soutenu « que la rivière de V i n c e n t - P i n ç o n ne pouvait être que celle d ' A r a o u a r y sur la rive gauche du fleuve des A m a z o n e s , si ce n'était le fleuve des Amazones lui-même», lut devant

l ' Insti tut de France un nouveau mémoire dest iné à établir « que la r ivière de V i n c e n t - P i n ç o n n'est autre que celle

des Amazones » ; et u n extrait de ce travail fut immédia­tement publié dans les Comptes rendus des séances de l'Aca­

démie des sciences.

1 2 4 6 . Les 1E R mai, 1 5 mai et 5 ju in 1 8 5 7 , M. D 'AVEZAC,

chargé par la Société de Géographie de P a r i s , depuis le 4 juillet 1 8 5 6 , de lui présenter u n rapport sur le p remier volume de l'Histoire générale du Brésil, de m o n il lustre

compatriote et ami M. D E VARNHAGEN, composition émi­nen te , où la science est renouvelée par la connaissance approfondie des véri tables sources, s 'arrêta tout particuliè­rement à u n peti t détail relatif aux l imites, consigné dans u n e des premières pages de ce livre monumen ta l , et con­struisit à son tour un livre soigné, dont le but essentiel est de revendiquer pour la F r a n c e la rive guyanaise de l ' A m a z o n e ; et ce volumineux rapport occupa à lui seul le Bulletin de la Société de Géographie pendant les mois

d'août, septembre et octobre 1 8 5 7 .

1 2 4 7 . En juillet 1 8 5 8 , M. E. ROY, secrétaire de M. le

directeur des colonies, imprima dans la Revue Coloniale

que « la G u y a n e f r a n ç a i s e s 'étend du M a r o n i à l ' A m a ­

zone. »

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( 3 6 8 ) 14 e L E C T U R E § 1 2 4 8

1 2 4 8 . Le 1 4 n o v e m b r e 1 8 5 8 , exhaussé pou r la t roi­s ième fois su r les co lonnes du Moniteur, M . É M I L E CARREY

fit r e ten t i r encore le manifes te su ivant : « La F r a n c e a possédé jad i s , par droit de primo occu­

panti, la moi t ié de cet te bouche et la r ive gauche de l ' A m a z o n e , aussi loin qu'i l lui a plu de la p r e n d r e . Le traité d ' U t r e c h t , ce g rand désas t re na t ional de not re pat r ie , nous en a dépoui l lés

« Dans l ' E u r o p e ameu tée sur no t re César va incu , il n e fut n i souvera in , n i pr inc ip icu le , qui n ' e n v in t a r racher de n o u s que lques l ambeaux . Il ne fut pas j u s q u ' a u roi de L i s b o n n e , qui n o u s pri t tout ce qu'i l pu t de no t re G u y a n e , et au jourd 'hu i , au jourd 'hu i m ê m e encore , de par les par ­tages de cet te curée e u r o p é e n n e , l 'hér i t ier créole du P o r ­t u g a l , le B r é s i l , nous contes te les l ambeaux conservés de no t re empire sud -amér i ca in !

« Arguan t d 'une demi-s imi l i tude de n o m s facile à ex­pl iquer , il empiè te s o u r d e m e n t et pas à pas sur le terr i toire contes té , qui sépare no t re G u y a n e de son empi re , — réc lame o u v e r t e m e n t des t e r ra ins qu' i l sait nous appar teni r de par les t ra i tés de 1 8 1 5 e u x - m ê m e s , — exploite les pro­dui ts de tou te la part ie infér ieure de not re t e r r i to i r e ; et enfin ferme l ' A m a z o n e aux peup les r ivera ins et à la civi­l isat ion, qui s'efforcent v a i n e m e n t d 'ouvr i r cet admirable r é seau fluvial.

« Avec sa longan imi té ord ina i re , la F r a n c e n ' a pas encore repr is ce qui lui appar t ien t aussi c la i rement que le res te de la G u y a n e . De fois à au t res , depuis 1 8 1 5 j u squ ' à nos j o u r s , u n e discuss ion, pu i s des négocia t ions qui ne m è n e n t à r i en , s ' é l èven t ; mais la ques t ion se rendor t b ien tô t du m ê m e sommei l l é tha rg ique .

« Aussi b ien , m i e u x vau t la isser encore indéc ises nos l imites sud-amér ica ines que t e r m i n e r le procès au point de v u e étroi t e t insignifiant de la contes ta t ion actuel le . »

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§ 1 2 4 9 14e L E C T U R E ( 369 )

1 2 4 9 . Au mois de décembre 1 8 5 8 , la Revue Coloniale (publication officielle) n 'a pas hésité à par tager la respon­sabilité du passage suivant , écrit à C a y e n n e , le 1 2 oc­tobre 1 8 5 7 , par M. le l i eu tenant de vaisseau CARPENTIER,

au retour d 'une exploration du littoral guyanais , depuis le C a c h i p o u r jusqu 'au véri table A r a g u a r i , dont il avait été chargé par M. le minis t re de la mar ine et des colonies (*) :

« Ne serait-il pas possible au gouvernement de SA MA­J E S T É L 'EMPEREUR d 'écar ter des négociat ions le traité d 'U­t r e c h t , imposé à la F r a n c e dans des circonstances mal­heureuses , de p rendre pour base l 'état de nos possessions en 1 6 6 4 , L ' A m a z o n e au Sud et les Rios Negro et Branco

à l 'Ouest?

« Si l 'on ne pouvait se reporter à des dates aussi r e ­culées, on pourrai t se borner à réclamer l 'exécution de l'article 4 du traité de M a d r i d , qui avait reçu u n com­mencemen t d 'exécution quand VICTOR H U G U E S , gouver­neu r de la G u y a n e , envoya la goëlette la Musette pour explorer les ter ra ins concédés à la F r a n c e jusqu ' au Cara-panatuba

« 11 serait bon, toutefois, de ne pas p rendre pour limite Sud celle fixée par le Traité de M a d r i d , car alors nos te r res du Sud se t rouveraient privées des voies que p résen ten t des r ivières aussi considérables que le R io d e s T r o m p e t a s et le Rio B r a n c o pour rejoindre l ' A m a z o n e . »

(*) Il c o n v i e n t de r a p p e l e r ici q u e , de 1808 à 1861, le l i t t o r a l c o m ­p r i s e n t r e l ' O y a p o c e t l ' A r a g u a r y , le c o u r s i n f é r i e u r d e t o u t e s les r iv iè res qu i se d é v e r s e n t s u r ce t t e côte, a ins i q u e la r ég io n des l a c s , f u r e n t s o i g n e u s e m e n t exp lo rés e t re levés p a r le cap i t a ine de corve t t e JOSÉ DA COSTA AZEVEDO, de la m a r i n e b r é s i l i e n n e ( d e p u i s ,

a m i r a l et BARON DE LADARIO) et p a r l e s officiers sous sa d i r e c t i o n . L ' a u t e u r ne fait p a s m e n t i o n de l e u r s t r a v a u x p a r c e q u e son l iv re a é té p u b l i é a v a n t q u e les n o u v e l l e s de ce t t e i n t é r e s s a n t e expéd i t ion a i e n t p u p a r v e n i r j u s q u ' à sa r e t r a i t e d ' A u t e u i l .

2 4

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( 3 7 0 ) 14e L E C T U R E § § 1 2 5 0 - 1 2 5 7

1 2 5 0 . Enfin, le 2 9 j u in 1 8 5 9 , M. ALEXANDRE BONNEAU

a dit dans la Presse :

« La F r a n c e devrai t avoir pour frontière, à l 'Est et au Sud, le Rio B r a n c o , le Rio N e g r o et l ' A m a z o n e . Un h o m m e qui s 'était l ivré , sur les l ieux, à u n e é tude appro­fondie de la ques t ion , M. EVEILLARD, don t la fin t rag ique a n a g u è r e ému si p ro fondémen t l ' E u r o p e , pensa i t m ê m e que la F r a n c e n ' e s t r ée l l emen t engagée ni par le Traité d ' U t r e c h t , ni pa r celui de 1 8 1 5 , conclus tous deux à u n e époque où le B r é s i l n ' é ta i t encore q u ' u n e colonie por tu-tuga i se . »

1 2 5 1 . Mais M. CARREY, M. ROY et M. CARPENTIER, n ' on t émis que la profession de foi d ' un pat r io t i sme fervent .

1 2 5 2 . L ' h o n o r a b l e M. D E MONTRAVEL n ' a encore ob tenu

de l ' Ins t i tu t Impér ia l que la publ icat ion de que lques l ignes .

1 2 5 3 . M. BONNEAU n ' a fait que r é s u m e r succ inc tement les idées de M. D ' A V E Z A C .

1 2 5 4 . Grâce à la Société de Géographie de P a r i s , M. D 'AVEZAC est donc le seul , depu is BUACHE et M. L E

SERREC, qui se p r é sen t e à n o u s avec u n sys tème d 'argu­m e n t a t i o n ; et cet te a r g u m e n t a t i o n , br i l lante d 'é rudi t ion , de sagacité et d ' é légance , fait de M. D ' A V E Z A C , pour tous les t emps , le cheval ier le p lus accompli des convoi teurs de l ' A m a z o n e .

1 2 5 5 . M. D 'AVEZAC mér i t e donc u n e discussion sé ­r ieuse .

Il y a m ê m e u n plaisir ineffable à se m e s u r e r avec u n champion aussi fort.

1 2 5 6 . Toutes les au t r e s cr i t iques du sévère c e n s e u r ont déjà é té réfutées d i g n e m e n t par M. D E V A R N H A G E N ,

dans u n beau t ravai l que la Société de Géographie a publ ié en ent ie r .

1 2 5 7 . Il n e res te à v ider que la ques t ion de l ' O y a -

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1258 14e L E C T U R E ( 371 )

p o c , dans laquelle je me trouvais pub l iquement engagé , depuis 1851, devant l ' Insti tut Historique et Géographique du B r é s i l , et que , pour cette raison, mon savant compa­triote a eu la délicatesse de me laisser intacte.

1258. Je vais donc avoir l ' honneur de m'occuper de M . D 'AVEZAC, u n peu plus longuement qu 'à la dixième lec­tu re .

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( 3 7 2 ) 14e L E C T U R E § § 1 2 5 9 - 1 2 6 3

1 2 5 9 . M . D 'AVEZAC a été scandal i sé de cette phrase de M . D E V A R N H A G E N , re la t ive au découvreu r VINCENT P I N ­

Ç O N : « Son n o m est res té a t taché , avec ou sans ra ison, au fleuve O y a p o c , déclaré par d ivers t ra i tés l imite sep ten ­t r ionale du B r é s i l . »

1 2 6 0 . Au lieu de voir dans la rése rve des mo t s avec ou sans raison le gage le p lus r a s su ran t de l ' i ndépendance de l 'écr ivain b rés i l i en , M . D 'AVEZAC a t rouvé que l 'asser t ion de M . D E VARNHAGEN était « u n m e n s o n g e géograph ique , u n e énormi té ébah i s san te , q u ' u n e déférence peut-être forcée à des p ré jugés na t ionaux in t ra i tab les , n e saurai t absoudre à ses yeux . »

1 2 6 1 . M . D 'AVEZAC croit f e rmemen t que « pour tout esprit éclairé, dégagé de préoccupat ions politiques dans cet te ques t ion , le n o m du nav iga teur espagnol VINCENT

PINÇON n ' é ta i t res té a t taché à aucune aut re r ivière que celle où il avait je té l ' ancre dans les p r em ie r s mois de l ' année 1 5 0 0 », — c'est-à-dire à l ' A m a z o n e .

1 2 6 2 . Et « pour me t t r e en garde l ' ina t tent ive légère té des compi la teurs et des abrév ia teurs de nos jou r s », M . D ' A ­V E Z A C s 'est fait u n devoir re l ig ieux de cons idére r la q u e s ­t ion de l ' O y a p o c « au point de v u e impart ial de la sc ience, e n m e t t a n t à l 'écart l 'arrière-pensée des in té rê t s pol i t iques , sous l ' inf luence desque l s l 'espri t le p lus droi t semble n ' a ­voir p lus conscience de la vér i té ou ne p lus ê t re l ibre de la confesser. »

1 2 6 3 . Les a l légat ions r econven t ionne l l e s de M . D ' A ­V E Z A C se c lassent en deux sér ies , dont voici le sommai re :

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1 2 6 4 - 1 2 7 1 14 e L E C T U R E ( 3 7 3 )

Première série.

1 2 6 4 . La véritable Rivière des Amazones était pri­mi t ivement la b ranche orientale de ce fleuve, c 'est-à-dire la rivière du Pará.

1 2 6 5 . Le véritable Cap du Nord était pr imi t ivement la pointe Nord de la rivière du P a r á , c 'est-à-dire la pointe M a g u a r i de l'île de Marajó; et avant de rester en propre à la pointe orientale de la G u y a n e , ce nom a été succes­s ivement t ransporté de la pointe M a g u a r i à diverses autres pointes en dedans de l ' A m a z o n e : à la pointe de Macapá, à la pointe P e d r e i r a , à la pointe J u p a t i , à la pointe de l ' A r a g u a r i .

1 2 6 6 . La véritable Rivière de Vincent Pinçon était

pr imi t ivement la branche occidentale de l ' A m a z o n e . 1 2 6 7 . Japoc, Yapoc, Oyapoc, est u n nom génér ique

appar tenant pr imi t ivement à divers cours d'eau en dedans de l ' A m a z o n e .

Seconde série.

1 2 6 8 . Quand l ' E s p a g n o l VINCENT PINÇON mouilla dans l ' A m a z o n e en 1 5 0 0 , l ' A m a z o n e était déjà décou­ver te , depuis douze ans , par u n F r a n ç a i s .

1 2 6 9 . Un F r a n ç a i s avait déjà exploré l ' A m a z o n e , quand l ' E s p a g n o l ORELLANA la descendit en 1 5 4 2 .

1 2 7 0 . Les F r a n ç a i s fréquentaient l ' A m a z o n e en 1 5 8 3 , t rente-deux ans avant que les P o r t u g a i s son­geassent à occuper le bord le plus voisin de M a r a g n a n .

1 2 7 1 . « Le nom de Brest, souvenir filial de la B r e ­t a g n e , persistait au temps de JEAN D E LAET sur une île de l ' A m a z o n e , au confluent de l ' A n a u i r a p u c u , et s 'é­tendai t également à la rivière même. »

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( 374 ) 14 e L E C T U R E §§ 1272-1281

1272. De 1605 à 1664, les F r a n ç a i s avaient reçu de l eu r s rois u n g r a n d n o m b r e de le t t res pa t en t e s l eur oct royant le bord guyana i s de l ' A m a z o n e et m ê m e les deux bords du fleuve.

1273. Le t ra i té conclu à T o r d e s i l l a s le 7 j u i n 1494, — qui étai t le seul t i tre du P o r t u g a l à ses possess ions amér ica ines —, excluait le P o r t u g a l des deux bords de l ' A m a z o n e .

1274. Encore en 1614, les P o r t u g a i s e u x - m ê m e s reconna i s sa ien t que la l imite sep ten t r iona le du B r é s i l était à la baie ac tuel le de M a r a g n a n , cent l ieues env i ron à l 'Est de l ' A m a z o n e .

1275. Encore en 1663, les P o r t u g a i s e u x - m ê m e s , d 'accord avec les au t eu r s de toutes les na t ions , r econ ­na issa ien t pour l imite sep ten t r iona le du B r é s i l le bord droit de l ' A m a z o n e .

1276. Les P o r t u g a i s n e se sont hasa rdés sur le bord guyana i s de l ' A m a z o n e qu ' en 1686.

1277. Ces différents art icles sont p résen tés par M. D ' A V E Z A C avec u n e convict ion si cha leu reuse , et dans u n ordre si naïf, que le l ec teur conclut forcément de la p r emiè re sér ie , — qu'i l s 'est commis dans le Traité d ' U -t r e c h t une e r r e u r é n o r m e , en plaçant au Nord de l ' A m a ­z o n e actuel le les terres du Cap du Nord, situées entre la

rivière des Amazones et celle de Japoc ou de Vincent

Pinçon.

1278. Il conclu t forcément de la seconde sér ie , — qu'i l est in ique de r e n d r e la F r a n c e vic t ime indéga-geable de l ' e r reur du Traité d ' U t r e c h t .

1279. Et il t i re de lu i -même, pour conclus ion géné­ra le , — qu' i l faut a n n u l e r le Traité d ' U t r e c h t .

1280. Mais ces conc lus ions p résupposen t la vér i té des p rémis ses .

1281. Or nous allons voir en détai l que , r i chemen t

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§ 1281 14 e L E C T U R E ( 375 )

pourvu de tous les dons de l 'esprit, mais privé de temps par ses fonctions de chef de bureau dans u n minis tère , M. D'AVEZAC n ' a fait autre chose que de savantes e r reurs .

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( 3 7 6 ) 14e L E C T U R E § § 1 2 8 2 - 1 2 8 8

Rivière des Amazones.

1 2 8 2 . BUACHE avait déjà dit : « Le golphe de Pará, que l 'on a cru dans les p remie r s t emps être l ' e m b o u c h u r e de la r iv ière des A m a z o n e s » « La b o u c h e de l ' A m a ­z o n e qui a été c o n n u e la p remiè re , et qui est p rop remen t le golphe de Pará. »

1 2 8 3 . Mais BUACHE n 'avai t a l légué a u c u n e p r e u v e . 1 2 8 4 . M. L E SERREC avait dit à son tour : « L ' A m a ­

z o n e n 'é ta i t au t re que le fleuve du Pará » « Ce n ' e s t pas s eu l emen t dans les tems anc iens que la r iv ière du Pará, qui n ' a r ée l l emen t que que lques canaux étroi ts et dé tou rnés de communica t ion avec l ' A m a z o n e vér i table , a été pr ise pou r son pr incipal couran t . »

1 2 8 5 . Mais M. L E SERREC n e s'était appuyé que su r de lâches induc t ions .

1 2 8 6 . Aussi t r a n c h a n t que BUACHE et que M. L E

SERREC, M. D 'AVEZAC s 'exprime avec cette a ssurance : « Avant tout, il faut se me t t r e en garde cont re u n e

confusion involonta i re de la n o m e n c l a t u r e actuel le avec la n o m e n c l a t u r e anc i enne ; il faut se souven i r que le nom de r iv ière des A m a z o n e s avait jadis et a conservé long­t emps u n e applicat ion t r ès différente de celle que nous

lui d o n n o n s au jourd 'hu i l ' A m a z o n e vér i table , c'était la b r a n c h e ou r iv ière de Pará... Pour ce qui est du bras occidental , c 'était p lutôt u n e r ivière d i s t inc te , en com­munica t ion avec l ' A m a z o n e par p lus ieu r s e m b r a n c h e ­m e n t s t r ansve r saux . »

1 2 8 7 . Mais p lus sage que ses deux p rédéces seu r s , M. D 'AVEZAC n 'a pas vou lu laisser en l'air la base de sa cons t ruc t ion .

1 2 8 8 . Il se flatte d 'avoir découver t u n e p r e u v e directe

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§ § 1 2 8 9 - 1 2 9 3 1 4 E L E C T U R E ( 3 7 7 )

dans u n livre d 'une grande autori té, que M. L E S E R R E C

avait déjà feuilleté va inement , — la relation de l ' A m a ­z o n e par le père CHRISTOVAL D E ACUNA, imprimée à M a d r i d , en 1 6 4 1 , dans l 'original espagnol, et publ iée à P a r i s en 1 6 8 2 , dans la t raduct ion pos thume de GOMBER-

V I L L E .

1 2 8 9 . M. D'AVEZAC présente en ces te rmes sa preuve t r iomphale :

« Le Père D 'ACUNA, qui p rend soin d 'avert ir qu'il a vu

de ses yeux ce dont il parle , envoyé qu' i l était par u n des

grands rois do la chrét ienté exprès pour s 'enquér i r de

toutes choses ; le Père D'ACUÑA ne laisse prise à aucun

doute, à aucune hési tat ion à cet égard ; il a soin de

désigner explici tement comme la principale embouchure

celle de P a r á : « On sait, ajoute-t-il, qu 'el le est sous la

« l igne, aux derniers confins du B r é s i l . »

1 2 9 0 . Et au bas de la page, M. D'AVEZAC t ranscri t ,

dans l 'original espagnol , les paroles suivantes du n° 4 4

(non pas 4 3 ) du Père ACUÑA : « Je ne traite pas ici de la

principale en t rée de cette rivière par la mer O c é a n e sur

la côte du grand Pará, parce que celle-ci, que l 'on sait

être si tuée sous la l igne èquinoxiale et aux derniers confins

du B r é s i l , il y a longtemps qu'elle est fréquentée et b ien

connue de tous ceux qui veulen t naviguer vers ces

parages . »

1 2 9 1 . Mais ra i sonnons .

1 2 9 2 . D 'abord , en supposant m ê m e que ce passage du

Père ACUÑA se rapporte à la branche du Pará, il renferme

une condamnat ion bien explicite de la conclusion que

M. D'AVEZAC en a t i rée .

1 2 9 3 . Le Père ACUÑA ne dit point que l ' embouchure

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( 3 7 8 ) 1 4 E L E C T U R E § § 1 2 9 4 - 1 3 0 1

don t il par le soit l ' en t rée unique de l ' A m a z o n e ; il déclare expres sémen t que c'est l ' en t rée principale.

1 2 9 4 . M. D 'AVEZAC n e peut donc n u l l e m e n t s 'appuyer sur ce texte pour sou ten i r que l ' A m a z o n e vér i table se borna i t p r i m i t i v e m e n t à la seule b r a n c h e du P a r á .

1 2 9 5 . En second l ieu, — m ê m e au point de v u e h i s to r ique , la b r a n c h e du Pará n 'es t n u l l e m e n t l ' embou­chure pr incipale de la r iv ière des A m a z o n e s .

1 2 9 6 . Le n o m de r iv ière des Amazones n ' a remplacé le nom ind igène de M a r a g n o n que par sui te du voyage D ' O R E L L A N A .

1 2 9 7 . Or, la relat ion détai l lée de ce voyage , écri te à C u b a g u a , dans l ' année m ê m e 1 5 4 2 , par le père GASPAR

D E CARBAJAL, compagnon du découvreur , m o n t r e claire­m e n t — qu 'ORELLANA sorti t de la g rande r ivière par la b r a n c h e cent ra le de son e m b o u c h u r e , en t r e les îles C a v i a n a et M e x i a n a , — qu' i l cons idéra comme bornes ext rêmes de la totalité de cette e m b o u c h u r e le cap M a g u a r i et la poin te J u p a t i , — et qu'i l n ' e u t aucune conna i s s ance de la b r a n c h e du Pará.

1 2 9 8 . OVIEDO confirme ces faits, dans sa le t t re écri te au cardinal BEMBO le 2 0 j anv ie r 1 5 4 3 , et publ iée par RAMU-

S I O en 1 5 5 6 .

1 2 9 9 . Et H E R R E R A les confirme éga l emen t dans sa sixième décade , i m p r i m é e en 1 6 1 5 , vingt-s ix ans avant ACUÑA.

1 3 0 0 . En t ro is ième l ieu, — au point de vue géogra­p h i q u e , la r iv ière du Pará est si p e u la b r a n c h e p r inc i ­pale de l ' A m a z o n e , que M. L E SERREC l u i - m ê m e , ainsi que n o u s l ' avons vu tan tô t , déclare qu 'e l le « n ' a rée l lement que que lques canaux étroi ts et dé tou rnés de communica ­t ion avec l ' A m a z o n e vér i tab le . »

1 3 0 1 . Nous avons vu éga lement , dans cette m ê m e lec-

Page 155: L'Oyapoc et l'Amazone : question brésilienne et française. Tome premier

§§ 1302-1305 14e L E C T U R E ( 379 )

tu re , que pour M. É M I L E C A R R E Y « la bouche Nord ou de

M a c a p a est la seule et véri table en t rée du fleuve. »

1302. Et LA CONDAMINE, plus formel encore que ces mess ieurs , s 'explique en ces t e rmes :

« Ce n 'es t pas sans fondement que ses habi tans [de la ville de Pará] sont fort éloignez de se croire sur le bord de l ' A m a z o n e , dont il est vraisemblable qu 'une seule goutte ne baigne pas le pied des murai l les de leur vi l le . . . . T a g i p u r u ne peu t que t rès - improprement être appelle un bras de l ' A m a z o n e puisqu' i l n 'a pas u n cours con­stant. C'est u n simple canal de communicat ion , où les marées en t ren t par les deux bouts , où elles se rencon t ren t vers le mil ieu, se refoulent mutue l l ement , & m o n t e n t & descendent a l te rna t ivement . T a g i p u r u n ' é tan t point u n bras de l ' A m a z o n e , à plus forte raison la rivière du Pará, où T a g i p u r u communique , ne peut-elle être ainsi appellée. Tout ceci ne sera, si l 'on veut , qu 'une quest ion de n o m ; & je n e laisserai pas, pour éviter les pér iphrases & pour m 'accommoder au langage reçu, de donner quel ­quefois à la r ivière du Pará le nom d 'embouchure Orien­tale de la r ivière des A m a z o n e s ; il suffit d'avoir expliqué comment cela se doit en tendre . »

1303. D'après ces témoignages i r récusables de trois F r a n ç a i s connaissant parfaitement l ' A m a z o n e par leurs propres observat ions, il est impossible d 'admet t re que le Père ACUÑA ait voulu donner la b ranche du Pará pour la principale embouchure de l ' A m a z o n e .

1304. Il connaissait lu i -même trop bien l ' A m a z o n e , par ses propres yeux et par les rense ignements de PEDRO

TEIXEIRA, pour débiter par ignorance u n e e r reur si gros­sière.

1305. Et il était un homme trop grave pour lancer exprès un paradoxe scandaleux.

Page 156: L'Oyapoc et l'Amazone : question brésilienne et française. Tome premier

( 3 8 0 ) 1 4 E L E C T U R E § § 1 3 0 6 - 1 3 0 9

1 3 0 6 . Il faut donc que le Père ACUÑA ait voulu dire au t re chose que ce que lui a t t r ibue M. D 'AVEZAC.

1 3 0 7 . Pour n o u s en éclaircir , a l lons à la source .

1 3 0 8 . Si l 'on s 'ar rê te à la t raduc t ion française de GOMBERVILLE, c o m m e paraî t l 'avoir fait M. d'AvEZAC, on croira, malgré nos réflexions, que le Pè re ACUÑA en tenda i t r ée l l emen t pa r e m b o u c h u r e pr incipale de l ' A m a z o n e la b r a n c h e du Pará.

1 3 0 9 . Car voici les paroles du Pè re ACUÑA, d 'après GOMBERVILLE :

Chapitre 1 0 , consacré à LOPE D E AGUIRRE : « Estant en t ré d a n s l ' A m a z o n e , il n ' e n p u t va incre le courant , il fut cont ra in t de se laisser al ler j u s q u ' à l ' embouchure d 'une r iv ière qui est à p lus de mil le l ieues du lieu où il s'étoit e m b a r q u é , et fut por té dans ce grand Canal qui va au C a p d e N o r d , et c 'étoit le m ê m e chemin qu 'avoi t pr is O RE IL -

L A N E . En sor tan t de la r iv iere des A m a z o n e s il v int à l 'Isle de la M a r g u e r i t e . »

Chapitre 4 4 , consacré aux en t rées de l ' A m a z o n e : « Je ne diray r i en de la pr inc ipale e m b o u c h u r e de nos t r e Rivière en l 'Ocean ve r s le coté de Pará, car elle est connue il y a long - t emps de tous ceux qui la nav iguen t en ce n o u v e a u m o n d e ; on sçait qu 'e l le est sous la l igne aux dern ie r s confins du B r e z i l ; j e n e pa r le ray point aussi de l ' embouchure de nos t re Riviere par laquel le le t i ran LOPEZ

D 'AGUYERE so r tan t de la Mer, ne v in t aborder à l ' I s l e d e l a T r i n i t é , parce que j e n e l 'ay pas v u ë , et que ceux qui y ont esté m 'on t dit que l 'on n ' en t r e pas droit dans la R i v i è r e d e s A m a z o n e s par ce t te e m b o u c h u r e , qui est l ' embouchure d ' une au t re r iviere qui a communica t ion avec la R i v i e r e d e s A m a z o n e s , pa r p lus ieu r s bras qui de dis tance en dis tance s ' é t enden t loin d 'el le , et v i e n n e n t se r e n d r e à la Mer avec cet te au t re r iv iere . Ma seule inten-

Page 157: L'Oyapoc et l'Amazone : question brésilienne et française. Tome premier

§ § 1 3 1 0 - 1 3 1 2 1 4 E L E C T U R E ( 3 8 1 )

tion est de mont re r et de faire en tendre aux Habitans des païs conquis du P é r o u les ent rées qu' i ls ont chez eux pour passer à la R i v i è r e d e s A m a z o n e s , ou pour mieux dire les r iuieres de chaque Province qui v iennen t se rendre dans nos t re grande Riviere. »

1 3 1 0 . ACUÑA d is t inguant posi t ivement , dans le cha­pitre 4 4 , l ' embouchure du côté du Pará d'avec celle par laquelle AGUIRRE était sorti dans la m e r ; et AGUIRRE é tant sorti dans la mer par le canal qui va au Cap de Nord, comme il est rapporté dans le chapitre 1 0 de GOMBER-

V I L L E : r ien ne semble p lus légitime que de conclure avec M. D 'AVEZAC, que pour le père ACUÑA l ' embouchure pr inc i ­pale de l ' A m a z o n e était la branche du Pará.

1 3 1 1 . Mais en remontan t à la véri table source, en consultant l 'original espagnol, sans r ien négl iger , nous verrons que GOMBERVILLE, p ré ten t i eusement infidèle, a corrompu le texte du Père ACUÑA par d ' in tempest ives amé­liorations.

1 3 1 2 . Car voici les paroles du Père ACUÑA, d 'après lui-même :

№ 3 , répondant au chapitre 1 0 de GOMBERVILLE : «Dieu n 'a pas permis que le tyran LOPE D E AGUIRRE trouvât l ' embouchure principale par où l ' A m a z o n e en t re dans l ' O c é a n (parce qu'il était incompatible avec la fidélité espagnole qu 'un tyran fît une découver te de tant d'impor­tance pour notre roi et maître). Égaré dans cer tains em­branchemen t s du grand fleuve, il vint déboucher sur la côte en face de l'île de la Trinité, dans la terre ferme des

I n d e s d e C a s t i l l e . » № 4 4 . « Je ne traite pas ici de la principale en t rée de

cette r ivière par la m e r O c é a n e sur les côtes du grand Pará; parce que celle-ci, que l 'on sait être s i tuée sous la ligne équinoxiale et aux derniers confins du B r é s i l , il y a longtemps qu'el le est fréquentée et b ien connue de tous

Page 158: L'Oyapoc et l'Amazone : question brésilienne et française. Tome premier

( 3 8 2 ) 1 4 E L E C T U R E § § 1 3 1 3 - 1 3 1 9

ceux qui v e u l e n t nav igue r ve r s ces pa rages . Je ne fais pas non p lus m e n t i o n de l ' en t rée par où le t y r an LOPE D E

AGUIRRE sorti t en face de la T r i n i t é ; et c'est exprès , parce que cel le- là est t r ansversa le , et n e m è n e pas droit dans no t re r iv ière : elle appar t ient p r o p r e m e n t à u n e r ivière d is t inc te , et n e prê te q u ' u n passage d é t o u r n é , au m o y e n de cer ta ins e m b r a n c h e m e n t s qui font c o m m u n i q u e r cette au t r e r iv ière avec celle des A m a z o n e s . Ma seule in ten t ion est de faire conna î t re avec la p lus r igoureuse exact i tude les en t rées par où le g rand fleuve est accessible aux hab i ­tants du P é r o u . »

1 3 1 3 . Le Père ACUÑA ne fait donc pas sortir AGUIRRE

de l ' A m a z o n e en doublant le Cap du Nord; il le fait débouche r dans la m e r , en face de l'île de la Trinité.

1314. Tout est là.

1 3 1 5 . Sans dou te , c 'est u n e g rande e r reur , chez ACUÑA, de d o n n e r au voyage d ' A g u i R R E u n e parei l le direc­

t ion . 1 3 1 6 . Mais cet te e r r eu r , d 'a i l leurs c o m m u n e à d 'aut res

écr iva ins , est u n trait de l umiè re qui nous révè le u n e vér i té i n t é r e s san t e .

1 3 1 7 . C'est que la communica t ion de l ' A m a z o n e avec l ' O r é n o q u e , au m o y e n du R i o N e g r o et du C a s s i q u i a r e , b ien qu 'e l le n ' a i t é té n e t t e m e n t établ ie qu ' en 1 7 3 9 , par les B r é s i l i e n s d u Pará, étai t confusément c o n n u e des E s p a ­g n o l s depuis l o n g t e m p s .

1 3 1 8 . Et en effet, le Père J O S E P H D E ACOSTA, dans son Historia Natural y Moral de las Indias, impr imée à

S é v i l l e en 1 5 9 0 , avait d o n n é à l ' A m a z o n e deux embou­chu re s : l ' une sous la l igne équinoxia le , l ' aut re en face des îles de la Marguerite et de la Trinité.

1 3 1 9 . P I E R R E D ' A V I T Y , dans son ouvrage in t i tu lé Le

Monde, impr imé à P a r i s en 1 6 3 7 , avait r épé té avec le Père ACOSTA, q u e la r iv ière des A m a z o n e s « se va des -

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§ § 1 3 2 0 - 1 3 2 6 1 4 E L E C T U R E ( 3 8 3 )

charger dans la Mer du N o r d presque à t rauers des Isles de M a r g u e r i t e & de la T r i n i t é . »

1 3 2 0 . Et HERRERA, dans sa Description des Indes

Occidentales, imprimée à M a d r i d en 1 6 0 1 , avait fait cette déclaration importante : « Quelques-uns pré tendent que l ' O r é n o q u e et la rivière d ' O R E L L A N A n e sont qu 'une seule et m ê m e r iv iè re ; en quoi ils se t rompent . »

1 3 2 1 . Le Père ACUÑA n 'étai t pas de ceux qui tombaient clans la méprise ju s t emen t condamnée par H E R R E R A ; il nous prévient expressément que la seconde embouchure de l ' A m a z o n e n 'est pour lui qu ' une en t rée indirecte , appar tenant en propre à une rivière dis t incte .

1 3 2 2 . Mais quel le est donc cette aut re r ivière, débou­chant en face de l'ile de la T r i n i t é , et fournissant à l ' A m a z o n e une embouchure indirecte?

1 3 2 3 . Avec nos connaissances , peut-el le être autre chose que l ' O r é n o q u e ?

1 3 2 4 . Il est vrai que dans son n° 6 5 , le Père ACUÑA

donne pour sûr que l 'entrée indirecte de l ' A m a z o n e , celle par où il croyait que LOPE D E AGUIRRE avait débouché dans la mer , n 'es t point l ' O r é n o q u c .

1 3 2 5 . Mais cette exclusion de l ' O r é n o q u e n 'a pas pour but de faire penser à la branche occidentale de l 'em­bouchure de l ' A m a z o n e .

1 3 2 6 . Car, au n° 2 1 , le Père ACUÑA avait déjà dit : « L'endroit le p lus resserré où se ramassen t toutes les eaux de l ' A m a z o n e , est d 'un peu plus d 'un quart de l ieue, par la lat i tude de deux degrés deux t iers . En resse r ran t de la sorte cette mer douce, la Providence divine a voulu, sans doute, nous ménage r le moyen d'y élever u n e forteresse, pour couper la marche à toute escadre ennemie , quelque forte qu'elle puisse être , — si elle ent re par l ' embouchure principale de cette g rande r ivière : car, si elle pénètre pai­te Rio Negro, c'est celui-ci qu' i l faudra fortifier. »

Page 160: L'Oyapoc et l'Amazone : question brésilienne et française. Tome premier

( 384 ) 14 e L E C T U R E §§ 1327-1337

1327. Ce que le Pè re ACUÑA appel le u n e e m b o u c h u r e

secondai re de l ' A m a z o n e , c o m m u n i q u e donc avec l ' A m a ­

z o n e par le Rio Negro.

1328. Ce fait majeur nous donne le mot de l ' é n i g m e . 1329. Le R i o N e g r o m è n e dans la m e r , sans a u c u n e

in te r rup t ion , par le C a s s i q u i a r e et l ' O r é n o q u e . 1330. Avec la pe t i te in te r rup t ion d 'un por tage , il m è n e

aussi dans la m e r pa r le R i o B r a n c o , le T a c u t u . le M a h u , le P i r a r a , le R u p u n u w i n i et l ' E s s é q u è b e .

1331. Il ne condui t dans la m e r par aucune aut re voie .

1332. L ' O r é n o q u e est donc r ée l l emen t u n e embou­

chure secondaire de l ' A m a z o n e .

1333. Mais le Pè re ACUÑA excluant l ' O r é n o q u e n o m i ­

na t ivemen t , il s 'ensui t , avec toute cer t i tude , qu' i l consi­

dérai t comme u n e e m b o u c h u r e secondai re de l ' A m a z o n e

l ' E s s é q u è b e . 1334. Il n 'y a pas à en dou t e r ; car, dans le m ê m e

n° 65 où il exclut l ' O r é n o q u e , il a joute, en par lan t du R i o N e g r o : « Les G u a r a n a q u a z a n a s sont les p remie rs I n d i e n s qui hab i t en t u n bras de cette r ivière par lequel , à ce qu 'on a s su re , on v ien t sort ir au Rio Grande, dont l ' embouchure se t rouve sur la m e r du Nord et est occupée par les Hollandais. »

1335. Donc, le Pè re ACUÑA n ' e n t e n d point par e m b o u ­

chure pr incipale de l ' A m a z o n e celle qui se t rouve du côté

de la ville du Pará.

Il n e me t point la b r a n c h e du Pará en opposit ion avec

les deux au t r e s b r a n c h e s de l ' e m b o u c h u r e de l ' A m a z o n e .

1336. Il par le de la total i té de l ' embouchure de l 'Ama­

z o n e ac tuel le . 1337. Il déclare que cette e m b o u c h u r e est comprise

tou t en t i è re dans la capitainerie brésilienne du grand Par á

Page 161: L'Oyapoc et l'Amazone : question brésilienne et française. Tome premier

§§ 1338-1344 14 e L E C T U R E ( 385 )

25

(renfermant, depuis 1637, la capitainerie secondaire du

Cap du Nord) . 1338. Et il la met en opposition avec l ' embouchure de

l ' E s s é q u è b e , fort éloignée du B r é s i l .

1339. Cette interprétat ion du paragraphe 44 du Père ACUÑA est p le inement confirmée par lui-même, dans son paragraphe 83, dont voici la t eneur :

« A vingt-six l ieues de l ' î le d u S o l e i l , sous la ligne équinoxiale, p résen tan t la largeur de quatre-vingt-quatre l ieues d 'embouchure , et ayant du côté du Sud la pointe Z a p a r a r á [actuellement nommée Tigioca], et du côté

opposé le Cap d e N o r d , débouche dans l ' O c é a n la plus grande masse d'eaux douces qui soit au monde : le phénix des fleuves, le vrai M a r a g n o n , si a rdemment désiré des habitants du P é r o u , et jamais découvert par eux ; l 'ancien O r e l l a n a ; et pour tout dire, la grande R i v i è r e d e s A m a z o n e s . »

1340. L 'embouchure de l ' A m a z o n e véri table avait donc pour le Père ACUÑA 84 l ieues de largeur , — 84 l ieues de 17 et demie au degré, c 'est-à-dire 4 degrés et 48 minu te s .

1341. Ce n 'étai t donc point la branche du Pará, qui n 'a de largeur que 38 minutes .

1342. C'était, avec toute évidence, la totalité de l'em­bouchure de l ' A m a z o n e actuelle, en t re le cont inent du Pará et le cont inent de la G u y a n e .

1343. Et le Père ACUÑA n 'es t pas le seul qui ait ainsi

délimité l ' embouchure de l ' A m a z o n e avant le traité

d ' U t r e c h t . 1344. Depuis l ' introduction du nom de Rivière des

Amazones, tous ceux qui ont employé ce nom, — tous, sans aucune exception, — ont toujours donné pour limite occidentale de l ' embouchure amazonienne , le cont inent de la G u y a n e .

Page 162: L'Oyapoc et l'Amazone : question brésilienne et française. Tome premier

( 386 ) 14° L E C T U R E § 1345

1345. J ' invoque , à l 'appui de cette affirmation : SÉBASTIEN CABOT, p r emie r pilote royal d ' E s p a g n e ,

dans sa g r a n d e m a p p e m o n d e , cons t ru i te en 1544 et gravée en 1553;

PEURO D E M E D I N A , pilote espagnol , dans son Arte de

navegar, i m p r i m é en 1545; ANDRÉ HOMEM, cosmographe por tuga i s , dans son atlas

manusc r i t de 1559; GUILLAUME L E T E S T U , pilote royal de F r a n c e , dans sa

m a p p e m o n d e m a n u s c r i t e de 1566;

ABRAHAM O R T E L I U S , dans les n o m b r e u s e s édi t ions et t raduct ions de son Theatrum orbis terrarum, depuis l 'édi­tion or iginale de 1570;

FERNÂO VAZ DOURADO, cosmographe por tuga is , dans son atlas inédi t de 1571, dont la par t ie amér ica ine v ien t d 'ê tre publ iée par M . K U N S T M A N ;

ANDRÉ T H E V E T , cosmographe royal de F r a n c e , dans sa Cosmographie universelle, P a r i s , 1575 ;

LA P O P E L L I N I È R E : Les Trois Mondes, P a r i s , 1582; THÉODORE D E BRY, dans les car tes de son A m é r i q u e ,

en 1592, 1596 et 1599;

P I E R R E PLANCIUS, dans sa m a p p e m o n d e , g ravée en 1594, jo in te en 1596 au Voyage de Linschoten aux Indes

Orientales, et r ep rodu i t e dans les n o m b r e u s e s édi t ions et t r aduc t ions de cet o u v r a g e ;

JAN HUYGEN V A N LINSCHOTEN, en 1596, e tc . , dans le texte de sa descr ip t ion de l ' A m é r i q u e ;

ARNOLDUS FLORENTIUS V A N LANGREN, dans sa car te de l ' A m é r i q u e , jo in te en 1596 à la Description de l'Amé­rique de LINSCHOTEN, et reprodui te dans tou tes les édi t ions et t r aduc t ions de ce t ravai l ;

W A L T E R RALEGH, Découverte de l'empire de Guiane,

L o n d r e s , 1596; CORNELIS W Y T F L I E T , Descriptionis P t o l e m a i c æ Augmen-

tum, 1597, e tc . ;

Page 163: L'Oyapoc et l'Amazone : question brésilienne et française. Tome premier

§ 1 3 4 5 14E L E C T U R E ( 3 8 7 )

LAURENCE KEYMIS, Relation du second voyage à la

Guyane, L o n d r e s , 1 5 9 8 ;

JODOCUS HONDIUS, cartes de 1 5 9 8 , 1 6 0 2 , 1 6 0 6 , 1 6 0 9 ;

LEVINUS HULSIUS, carte de 1 5 9 9 ;

ANTONIO D E HERRERA, Description des Indes Occiden­

tales, M a d r i d , 1 6 0 1 ;

ROBERT HARCOURT, relation de son voyage à la G u y a n e ,

L o n d r e s , 1 6 1 3 ;

CLAUDE D ' A B B E V I L L E , Histoire de la mission du Mara-

gnan, P a r i s , 1 6 1 4 ;

YVES D ' E V R E U X , Suite de l'histoire de la mission du

Maragnan, P a r i s , 1 6 1 5 ;

JEAN MOCQUET, Voyages en A frique, e tc . , P a r i s , 1 6 1 7 :

JEAN D E L A E T , NOVUS Orbis, L e y d e , 1 6 2 5 , 1 6 3 0 , 1 6 3 3 ,

1 6 4 0 ;

PEDRO SIMON, Noticias Historiales, C u e n c a , 1 6 2 7 ;

BERGERON, Traite de la navigation, P a r i s , 1 6 2 9 ;

MARCOS D E GUADALAXARA, Historia pontifical, B a r c e ­

l o n a , 1 6 3 0 ;

HENRI HONDIUS, cartes de 1 6 3 0 , 1 6 3 5 , 1 6 5 2 ;

TAVERNIER, carte de 1 6 4 3 ;

NICOLAS SANSON, car tes de 1 6 5 0 , 1 6 5 1 , 1 6 5 6 , 1 6 5 7 ;

P I E R R E DUVAL, cartes de 1 6 5 4 , 1 6 6 1 , 1 6 6 4 , 1 6 7 7 , 1 6 7 9 ;

PAUL BOYER, Relation du voyage de Bretigny, P a r i s ,

1 6 5 4 ;

Le C O M T E D E PAGAN, Relation de la rivière des Amazones,

P a r i s , 1 6 5 5 ;

ROBERT DUDLEY, Arcano del Mare, F l o r e n c e , 1661 ;

BLAEUW, Théâtre du Monde, A m s t e r d a m , 1 6 6 2 ;

SIMÃO D E V A S C O N C E L L O S , Chronique de la compagnie de

Jésus du Brésil, L i s b o n n e , 1 6 6 3 ;

ANTOINE B I E T , Voyage de la France équinoxiale.

P a r i s , 1 6 6 4 ;

LEFEBVRE D E LA BARRE, Description de la France équi­

noxiale, P a r i s , 1 6 6 6 ;

Page 164: L'Oyapoc et l'Amazone : question brésilienne et française. Tome premier

( 3 8 8 ) 1 4 E L E C T U R E § § 1 3 4 6 - 1 3 4 7

Relation de la Guiane, P a r i s , 1 6 7 4 ;

GUILLAUME SANSON, car tes de 1 6 7 9 et 1 6 8 0 ;

JOSEPH V I C E N T E D E L OLMO, Nueva description del Orbe,

V a l e n c i a , 1 6 8 1 ; BAUDRAND, Dictionnaire de Géographie, P a r i s , 1 6 8 2 ;

MANESSON M A L L E T , Description de l' univers, P a r i s , 1 6 8 3 ;

MANUEL RODRIGUEZ, Maranon y Amazonas, M a d r i d , 1 6 8 4 ;

VAN K E U L E N , Flambeau de la Mer, A m s t e r d a m , 1 6 8 7 , e t c . ;

Le M A R Q U I S D E F E R R O L L E S , dans son fameux m é m o i r e de 1 6 8 8 ;

F R O G E R , Relation du voyage de M. de Gennes, P a r i s , 1 6 9 8 et 1 6 9 9 ;

GUILLAUME D E L I S L E , car tes de 1 7 0 0 et 1 7 0 3 ;

SAMUEL F R I T Z , car te de l ' A m a z o n e , Q u i t o , 1 7 0 7 ;

THOMAS C O R N E I L L E , Dictionnaire universel, géographique

et historique, P a r i s , 1 7 0 8 .

1 3 4 6 . Pour que je r e n o n c e à la convict ion que m ' i m ­pose cet accord u n a n i m e des car tes et des textes chez toutes les na t ions , M. D 'AVEZAC m e p e r m e t t r a d ' a t t endre qu' i l m'a i t dé sabusé .

1 3 4 7 . Je n e suis pas exigeant . Il suffira que le docte cr i t ique p rodu i se u n e seule au­

tor i té , r i en qu ' une seu le , antérieure au Traité d ' U t r e c h t , ou contemporaine de ce t ra i té , excluant positivement de la r iv ière des A m a z o n e s la b r a n c h e guyana i se de son delta.

Page 165: L'Oyapoc et l'Amazone : question brésilienne et française. Tome premier

§ § 1 3 4 8 - 1 3 5 3 1 4 E L E C T U R E ( 3 8 9 )

Cap du Nord.

1 3 4 8 . M. D'AVEZAC fait pour le Cap d u N o r d la même

chose que pour l ' A m a z o n e .

1 3 4 9 . Il se plaît à perfect ionner une invent ion d 'aut rui .

1 3 5 0 . Il veut démont re r l 'assert ion de BUACHE :

qu 'avant de res ter en propre à la pointe orientale de la

G u y a n e , le nom de Cap du Nord, toujours relatif à

l ' embouchure de l ' A m a z o n e , avait appar tenu à la pointe

méridionale de l ' A r a g u a r i , à la pointe J u p a t i , à la pointe

P e d r e i r a ; et tout d 'abord à la pointe M a g u a r i de l'île

Marajó, hors de la G u y a n e .

1 3 5 1 . L ' en t repr i se est aussi courageuse que pour

l ' A m a z o n e .

1 3 5 2 . Car, de m ê m e que les cartes postér ieures au

Traité d ' U t r e c h t , les cartes an tér ieures à ce trai té portant

le n o m de Cap du Nord, l ' inscrivent toutes , — toutes ,

sans aucune exception, — à l 'extrémité orientale de la

G u y a n e .

1 3 5 3 . En voici les preuves :

VAN LANGREN, en 1 5 9 6 , etc. ;

W Y T F L I E T , en 1 5 9 7 , e tc . ;

JODOCUS HONDIUS, en 1 5 9 8 , 1 6 0 6 , 1 6 0 9 ;

LEVINUS H U L S I U S , en 1 5 9 9 ;

D E L A E T , en 1 6 2 5 , 1 6 3 0 , 1 6 3 3 , 1 6 4 0 ;

JOÃO TEIXEIRA ALBERNAZ, en 1 6 2 7 ;

L'au t re JOÃO TEIXEIRA, en 1 6 4 0 ;

H E N R I HONDIUS, en 1 6 3 0 , 1 6 3 5 , 1 6 5 2 ;

TAVERNIER, en 1 6 4 3 ;

NICOLAS SANSON, en 1 6 5 0 , 1 6 5 1 , 1 6 5 6 1 6 5 7 ;

JANSSONIUS, en 1 6 5 2 ;

BOYER, en 1 6 5 4 ;

DAIGREMONT, en 1 6 5 4 ;

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( 390 ) 14e L E C T U R E §§ 1354-1358

1358. Quelles autor i tés incomparables M. D ' A V E Z A C

D U V A L en 1654, 1661, 1664, 1677, 1679;

D U D L E Y , en 1661 ;

B L A E U W , en 1662;

B I E T , en 1664;

L A B A R R E , en 1666;

G U I L L A U M E S A N S O N , en 1679 et 1680;

M A N E S S O N M A L L E T , en 1683;

V A N K E U L E N , en 1687, e t c . ;

F R O G E R , en 1698 et 1699;

D E L I S L E , en 1700 et 1703;

F R I T Z , en 1707;

P I M E N T E L en 1712.

1354. Et la dénomina t ion de Cap du Nord n 'é ta i t pas e s sen t i e l l emen t re la t ive à la r iv ière des A m a z o n e s . Elle étai t absolue , et n e marqua i t l ' ex t rémité sep ten t r iona le de la r ive guyana i se de l ' A m a z o n e que pa r co ïnc idence .

1355. Car V A N L A N G R E N en 1596, W Y T F L I E T en 1597,

H U L S I U S en 1599, A L B E R N A Z en 1627, D U D L E Y en 1661,

L A B A R R E en 1666, bo rna i en t la r ive guyana i se de l ' A m a ­z o n e à l ' équa teur , ou à son vois inage le p lus p r o c h e ; et toutefois ils inscr iva ien t le n o m de Cap du Nord à la poin te or ienta le de la G u y a n e , pa r deux degrés de lati­tude Nord, et beaucoup p lus .

1356. Aussi , le jud ic ieux P I M E N T E L , a s s ignan t au Cap d u N o r d la l a t i tude sep ten t r iona le de 1° 54', ne dit pas Cabo do Norte D O A M A Z O N A S , mais b ien Cabo do

Norte D E G U I A N A .

1357. Et quel le p r e u v e p lus décis ive de la posi t ion guyana i se du Cap d u N o r d , que la dénomina t ion de Cap du Nord é t e n d u e à tou te la Guyane, p e n d a n t le xv i i e s ièc le!

Page 167: L'Oyapoc et l'Amazone : question brésilienne et française. Tome premier

§ § 1 3 5 9 - 1 3 6 4 1 4 E L E C T U R E ( 3 9 1 )

a-t-il donc découver tes , pour annuler , encore ici, le

témoignage universe l?

1 3 5 9 . A l 'appui d 'un Cap N o r d guyanais plus mér i ­dional que la pointe orientale de la G u y a n e , M. D'AVEZAC

allègue le texte suivant de l 'ancien gouverneur cayennais LA BARRE :

« La F r a n c e E q u i n o c t i a l e , appellée cy-deuant G u y a n n e , & par les E s p a g n o l s [El Dorado, est cette Coste de Terre ferme, qui commence sous la Ligne à la pointe du Nord de l ' embouchure de la grande R i u i e r e d e s A m a z o n e s . »

1 3 6 0 . Mais, si l 'honorable M. D'AVEZAC avait pu compléter la lecture de ce même texte , il aurait vu que LA BARRE, après u n e virgule au mot Amazones, cont inue en ces t e rmes , sans la moindre in terrupt ion : & court p remiè rement au Nord, quar t de Nordest, j u squ ' au Cap d e N o r d , puis Nord Nordoüest jusqu ' au Cap d ' O r a n g e . »

1 3 6 1 . Et u n peu plus loin, l 'honorable M. D'AVEZAC

aurait vu éga lement cet autre passage : « La G u y a n n e I n d i e n n e est vn Païs fort bas & inondé vers les Costes Maritimes, & depuis l ' embouchure des A m a z o n e s jus­qu 'au C a p d e N o r d . »

1 3 6 2 . A l 'appui d 'un Cap N o r d extra-guyanais , qui aurait été le C a p N o r d primitif, M. D'AVEZAC invoque une autorité por tugaise rée l lement imposante .

1 3 6 3 . C'est le père V I E I R A , ta lent prodigieux, écrivant de la ville du Pará, c'est-à-dire des bords de l ' A m a z o n e m ê m e , le 2 8 novembre 1 6 5 9 , et s 'adressant à son roi, pour lui r endre compte des missions qu' i l avait à sa charge.

1 3 6 4 . Voici le texte du grand P o r t u g a i s : « Jusqu 'à ce jour , l 'État de M a r a g n a n se trouvait ,

pour ainsi dire, assiégé par deux puissants ennemis , qui

Page 168: L'Oyapoc et l'Amazone : question brésilienne et française. Tome premier

( 392 ) 14 e L E C T U R E §§ 1365-1370

le t ena ien t enve loppé et enfermé ent re l eurs b ras , des deux cô tés ; car , du côté du S e a r à , le b loqua ien t les T o b a j a r à s des m o n t a g n e s , du côté du C a p d u N o r d les N h e e n g a i b a s : et ce sont là les deux ext rémi tés de l 'État. »

1365. M. D 'AVEZAC ajoute à ce texte ce commen ta i r e : « Il est év iden t que si les N h e e n g a h i b a s , maî t res de la majeure par t ie de l'île actuel le de Marajó, b loqua ien t l 'État de M a r a g n a n à son ext rémi té occidenta le , pela parte do Cabo do Norte, c 'est que ce Cabo do Norte

était en deçà et à l 'Est de ces m ê m e s N h e e n g a h i b a s ass iégeants , c 'est-à-dire encore u n e fois que ce Cabo do Norte n 'é ta i t au t re que celui qui s 'appelle au jourd 'hu i cap de Magoari. »

1366. Et ce commen ta i r e de M. D 'AVEZAC semble r ée l l emen t fort j u s t e , — tan t que l 'on n e p r e n d en consi ­déra t ion , dans la l ongue le t t re de V I E I R A , que le seul passage dont l ' i ngén ieux cr i t ique a é té frappé.

1367. Mais d 'au t res énoncés de cette le t t re condam­n e n t formel lement l ' in terpré ta t ion de M. D 'AVEZAC.

1368. Pour que l ' in te rpré ta t ion de M. D 'AVEZAC fût la seule admiss ib le , il faudrait pouvoir l 'appl iquer égale­m e n t aux sauvages qui b loqua ien t l 'État de M a r a g n a n du côté de C e a r á . Il faudrai t pouvoir dire : « Il est év ident que si les T o b a j a r a s , ma î t res des m o n t a g n e s , b loquaien t l 'Etat de M a r a g n a n du côté de C e a r á , à l 'ext rémité or ienta le de cet État, c 'est que ces m ê m e s T o b a j a r a s ass iégeants se t rouva ien t à l 'Est de C e a r á , au delà de l 'État . »

1369. Mais, que lques l ignes avant le passage a l légué par M. D 'AVEZAC, V I E I R A déclare que les m o n t a g n e s occupées par les T o b a j a r a s é ta ient celles d ' I b i a p á b a .

1370. Or tou tes les car tes p lacent la chaîne d ' I b i a ­p â b a à l 'Ouest de la ville de C e a r á ; et l 'amiral ROUSSIN,

Page 169: L'Oyapoc et l'Amazone : question brésilienne et française. Tome premier

§ § 1 3 7 1 - 1 3 7 8 14e L E C T U R E ( 3 9 3 )

dans son Pilote du Brésil, met entre ces deux points soixante-dix-huit l ieues de distance.

1 3 7 1 . En 1 6 5 9 , C e a r á , qui ensui te a été rat taché à P e r n a m b u c o . faisait encore partie de l'État de M a r a -g n a n . VIEIRA le déclare lui-même, au commencement de sa let tre.

1 3 7 2 . Donc, les I n d i e n s T o b a j a r a s assiégeant l 'État de M a r a g n a n à son extrémité Sud-Est, se t rouvaient , avec toute cer t i tude, en dedans de cet État, en t re C e a r á et M a r a g n a n .

1 3 7 3 . Donc, les I n d i e n s N h e e n g a h i b a s assiégeant le même État à son extrémité Nord-Ouest , pouvaient bien se t rouver éga lement en dedans , ent re le Cap d u N o r d et Pará.

1 3 7 4 . Donc, le texte de VIEIRA allégué par M. D'AVEZAC

ne prouve point que le grand P o r t u g a i s donnât le nom de Cap du Nord à la pointe M a g u a r i .

1 3 7 5 . En ne lisant VIEIRA que dans la copie incor­recte de M. ACCIOLI, comme M. D'AVEZAC avoue l 'avoir fait, il est impossible de s 'apercevoir qu 'avant le passage qui nous occupe, VIEIRA avait déjà employé le nom de Cap du Nord dans u n sens réfractaire à l ' interprétat ion de M. D 'AVEZAC.

1 3 7 6 . A sa page 3 1 7 , M. ACCIOLI fait dire à VIEIRA

que « que lques t r ibus des N h e e n g a h i b a s , à cause du voisinage de leurs ports avec C E L L E S du C Ô T É du Nord

[com A S do L A D O do Norte], commerçaient avec les H o l ­l a n d a i s , qui, chaque année , y chargeaient de lament in plus de vingt navi res . »

1 3 7 7 . Mais l 'édition originale dit : avec C E U X du C A P

du Nord [com os do C A B O do Norte].

1 3 7 8 . Or, les H o l l a n d a i s n 'ont jamais fréquenté l'île de Marajó. Ils n 'a l la ient chercher le lament in que sur la côte méridionale de la Guyane, comme le font encore de

Page 170: L'Oyapoc et l'Amazone : question brésilienne et française. Tome premier

( 394 ) 14 e L E C T U R E §§ 1379-1387

nos jours les hab i t an t s de Pará et ceux de C a y e n n e . 1379. Donc, le Cap du Nord de V I E I R A n 'é ta i t pas

dans l'île de M a r a j ó , mais b ien dans la G u y a n e . 1380. Ou p lu tô t , ce Cap d u N o r d , ayant des ports

de c o m m e r c e , n 'é ta i t au t re que la G u y a n e m ê m e . 1381. V I E I R A était d ' au tan t p lus autor isé à employer

ce mot dans son sens é t e n d u , que la capi ta iner ie brés i ­l i enne de la G u y a n e , c réée depu is douze ans , n e portait que le n o m de capi ta iner ie du Cap du Nord.

1382. Donc, dans le texte a l légué par M. D ' A V E Z A C ,

r emplaçons Cap du Nord par Guyane, et nous au rons le sens que V I E I R A donna i t à ses paro les .

1383. Mais M. D 'AVEZAC n 'avai t pas beso in d'aller compulse r dans les b ib l io thèques pub l iques l 'édi t ion or iginale des le t t res de V I E I R A .

1384. Si l 'honorable cr i t ique avait lu dans son en ­t ier la copie m ê m e de M. ACCIOLI, qu ' i l avait dans les m a i n s , il se serai t conva incu que V I E I R A n e met ta i t pas le C a p d u N o r d dans l 'île de Marajó.

1383. Car, à la page 315 de M. ACCIOLI, V I E I R A

c o m m e n c e par ces mo t s son réci t de la conquê te des N h e e n g a h i b a s : « Dans la g r ande e m b o u c h u r e de la r ivière des A m a z o n e s , se t rouve j e t ée en t ravers u n e île p lus longue et p lus large que tout le royaume de P o r t u g a l , et hab i t ée pa r p lus ieurs t r ibus d ' Ind iens qui , à cause de la d ivers i té et de la difficulté de leur l angage , sont appelés du n o m géné ra l de N h e e n g a ­h i b a s . »

1386. Pu i sque V I E I R A place dans l ' e m b o u c h u r e de

l'Amazone la total i té de l'île i m m e n s e de Marajó, il est évident qu' i l n e rédu i t pas l ' A m a z o n e à la b r a n c h e du Pará.

1387. Et pu isqu ' i l n e rédu i t pas l ' A m a z o n e à la b r a n c h e du Pará, il est év ident qu ' i l ne d o n n e pas à la

Page 171: L'Oyapoc et l'Amazone : question brésilienne et française. Tome premier

§ 1388 14 e L E C T U R E ( 395 )

pointe Nord de cette b ranche le nom de Cap d u N o r d de l ' A m a z o n e .

1388. Nous pouvons donc, sans crainte pour le Traité d ' U t r e c h t , souscrire de bon cœur à cet arrêt de M. D'AVEZAC :

« La pointe M a g o a r i fut le véri table Cap N o r d tant que la rivière de Pará demeura la véri table r ivière des A m a z o n e s . »

Page 172: L'Oyapoc et l'Amazone : question brésilienne et française. Tome premier

( 3 9 6 ) 1 4 E L E C T U R E § § 1 3 8 9 - 1 3 9 3

Japoc.

1 3 8 9 . Mieux inspi ré que le 4 ju i l le t 1 8 3 4 , M. D ' A V E ­

Z A C n e p ré t end p lus qu ' i l existe auprès de l ' A m a z o n e u n e pet i te r ivière por tan t le n o m de Japoc.

1 3 9 0 . L 'honorab le cr i t ique reconna î t que Japoc du Traité d ' U t r e c h t n ' e s t q u ' u n e forme de Yapoc, e t q u e Y a p o c est u n e var ian te d ' O y a p o c .

1 3 9 1 . Mais, en r e v a n c h e , M. D 'AVEZAC a s su re , les d o c u m e n t s à la ma in , qu ' i l existe en d e d a n s de l ' A m a ­z o n e , non pas u n , mais t rois cours d 'eau por tan t jadis ,

tout de bon, le même nom que la rivière du Cap d'Orange :

1 ° L'Oyapoc de l'île de Marajó, se d é v e r s a n t dans le canal centra l de l ' A m a z o n e , en face de la pointe or ien­tale de l'île M e x i a n a ;

2° Un Oyapoc « à c inq l ieues au Nord de Macapá, à l 'endroi t où concouren t à la fois, d 'un côté la pet i te r iv ière C a r a p a n a - T ú b a , de l 'autre le canal qui passe en t r e M a r a y ó et M e x i a n a ; »

3 ° Un Oyapoc qui n 'é ta i t au t re que le canal m ê m e t racé en t r e ces d e u x î les .

1 3 9 2 . Mais voyons les d o c u m e n t s justificatifs de ces t rois O y a p o c amazon iens .

1 3 9 3 . Ce sont :

Pour le p remie r , l e s l evées de L A CONDAMINE e t les cartes de D ' A N V I L L E et de LA C R U Z ;

Pour le second , les informat ions données au C H E V A ­

L I E R D ' A U D I F F R É D Y par des I n d i e n s , de la r ive guya-na i se de l ' A m a z o n e ;

Pour le t ro i s i ème , « u n e car te m a n u s c r i t e conservée au Dépôt de la m a r i n e . »

Page 173: L'Oyapoc et l'Amazone : question brésilienne et française. Tome premier

§ § 1 3 9 4 - 1 4 0 1 1 4 E L E C T U R E ( 3 9 7 )

1 3 9 4 . Mais l 'honorable M. D'AVEZAC nous rappelle lu i -même que le C H E V A L I E R D 'AUDIFFRÉDY exécutait son exploration en 1 7 3 1 ; que LA CONDAMINE faisait ses levées en 1 7 4 3 et 1 7 4 4 ; que D 'ANVILLE et LA CRUZ gra­vaient leurs cartes en 1 7 4 8 et 1 7 7 5 Et le Traité

d ' U t r e c h t a été conclu en 1 7 1 3 .

1395. La carte manuscr i te conservée au Dépôt de la mar ine est d 'une époque incer ta ine , puisque le scrupuleux M. D 'AVEZAC, qui en donne le ti tre au long, ne men t ionne pas la date de sa construct ion.

1 3 9 6 . Il nous est donc permis de croire que cette ancienne carte n 'est pas plus vieille que le journal du C H E V A L I E R D 'AUDIFFRÉDY.

1 3 9 7 . Ce ne serait même pas trop hasarder que de réduire à un seul ces trois O y a p o c , où f igure constam­ment le canal central de l ' A m a z o n e , et de n 'y voir que des in terpréta t ions diverses, des informations données au C H E V A L I E R D 'AUDIFFRÉDY par ses I n d i e n s .

1 3 9 8 . Bien différent des O y a p o c amazoniens de M. D 'AVEZAC, l ' O y a p o c ext ra-amazonien du traité d ' U t r e c h t est d 'une ancienneté incontes table et d 'une irréfragable authent ic i té .

1 3 9 9 . Depuis l ' introduction du nom de Rivière

d'Oyapoc, en 1 5 9 8 , jusqu 'au Traité d ' U t r e c h t , tous ceux qui ont indiqué cette r ivière, tous sans aucune excep­tion, l 'ont toujours placée sur la côte océanique du cont inent de la G u y a n e , hors de l ' A m a z o n e .

1 4 0 0 . La liste en est longue et il est inuti le de la donner complète.

1 4 0 1 . Il suffira de nommer : Le texte de KEYMIS, en 1 5 9 8 ;

La carte de JODOCUS HONDIUS, en 1 5 9 8 ;

La carte de LEVINUS H U L S I U S , en 1 5 9 9 ;

Le texte de HARCOURT, en 1 6 1 3 ;

Page 174: L'Oyapoc et l'Amazone : question brésilienne et française. Tome premier

( 3 9 8 ) 1 4 E L E C T U R E § 1 4 0 2

1 4 0 2 . Que p e u v e n t donc contre le Traité d ' U t r e c h t les t rois O y a p o c de M . D ' A V E Z A C ?

Le texte et les car tes de JEAN D E L A E T , dans ses qua t re édi t ions de 1 6 2 5 , 1 6 3 0 , 1 6 3 3 , 1 6 4 0 ;

Les car tes du g rand géographe français NICOLAS SANSON,

en 1 6 5 0 , 1 6 5 1 , 1 6 5 6 , 1 6 5 7 ;

Les car tes du g rand géographe français GUILLAUME

D E L I S L E , en 1 7 0 0 et 1 7 0 3 .

Page 175: L'Oyapoc et l'Amazone : question brésilienne et française. Tome premier

§ 1403-1409 1 4 E L E C T U R E ( 3 9 9 )

Rivière de Vincent Pinçon.

1 4 0 3 . LA CONDAMINE avait avancé, en passant , que la rivière de C a r a p a p o r i et la b ranche occidentale du canal de Maracá « sont la rivière et la B a i e d e V i n c e n t P i n ­ç o n , à moins que la rivière de Pinçon ne soit le Maranon

même. »

1 4 0 4 . BUACHE avait eu la pré tent ion de démont re r que la véri table r ivière de V i n c e n t Pinçon était le moderne O y a p o c de l'île amazonienne de Marajó. Des trois b ran ­ches du delta de l ' A m a z o n e , il aurait voulu pour la F r a n c e toute seule les deux principales.

1 4 0 5 . Procédant comme LA CONDAMINE, M. D E MON-

T R A V E L avait glissé dans son premier travail cette phrase : « La rivière de V i n c e n t - P i n ç o n . . . n 'es t autre que la rivière A r a o u a r i , si ce n'est le fleuve des Amazones lui-

même. »

1 4 0 6 . M. L E SERREC enfin, par u n e démonstra t ion nouvel le , avait mis le véritable V i n c e n t P i n ç o n dans la branche centrale de l ' A m a z o n e , par tageant ainsi les entrées du grand fleuve : à la F r a n c e , le bras occidental : au B r é s i l , le bras oriental : aux deux nat ions , le bras du milieu.

1 4 0 7 . Mais ces tentatives de 1 7 4 9 , 1 7 9 7 , 1 8 4 5 et 1 8 4 7 , avaient été condamnées par M. L E B A R O N D E BUTENVAL,

comme n 'é tan t que de pures excentricités. 1 4 0 8 . L 'honorable Plénipotentiaire de F r a n c e avait

dit, dans la conférence du 4 janvier 1 8 5 6 : « Personne n ' en t end appeler l ' A m a z o n e du nom de V i n c e n t P i n s o n . »

1 4 0 9 . M. D 'AVEZAC, cependant , a osé braver l 'ana-thème de M. D E BUTENVAL.

Page 176: L'Oyapoc et l'Amazone : question brésilienne et française. Tome premier

( 4 0 0 ) 1 4 E L E C T U R E § § 1 4 1 0 - 1 4 1 5

1 4 1 1 . Se fondant su r les t émoignages au then t iques du

t emps , M. D 'AVEZAC pose d 'abord en fait que l 'ancrage

équator ia l de VINCENT PINÇON, dans les p remie r s mois de

l ' année 1 5 0 0 , fut au b ras occidental de l ' A m a z o n e , n o n

devan t l ' A r a g u a r i , comme M. D E MONTRA V E L l 'a supposé ,

mais devant le canal formé pa r l 'île C a v i a n a et le cont inen t

de la G u y a n e .

1 4 1 2 . Et il p r é sen t e ensu i te u n texte por tuga is du

xv i e s iècle, où il croit t rouver le n o m de Rivière de Vin­

cent Pinçon appl iqué p r é c i s é m e n t à ce m ê m e canal ama­

zonien devan t l eque l PINÇON avait moui l lé .

1 4 1 3 . Le moui l lage de VINCENT PINÇON devan t le canal

amazonien formé pa r l 'île C a v i a n a et pa r le con t inen t de

la G u y a n e , est u n fait incontes tab le .

Mais il s 'ensui t s e u l e m e n t que ce canal aurai t p u , aurai t

dû m ê m e , si l 'on veu t , po r t e r le n o m de VINCENT PINÇON.

1 4 1 4 . C'est b ien CHRISTOPHE COLOMB qui a découver t

la qua t r i ème par t ie du m o n d e ; mais la qua t r i ème par t ie du

m o n d e por te le n o m d'Americ VesPucE. 1 4 1 5 . Le n o m du g rand h o m m e n ' a m ê m e pu subsis ter

sur les plages de P a r i a . Il n ' appara î t dans le nouveau con­

t inen t que sur u n ter r i to i re et u n e ville des É t a t s - U n i s ,

et, à la gloire du B r é s i l , dans le COLOMBO du subl ime

1 4 1 0 . Armé d 'une t ro is ième démons t ra t ion , a u t r e ­m e n t forte que celles de BUACHE et de M. L E S E R R E C , le savant cr i t ique sout ient que le V i n c e n t P i n ç o n vér i table est le bras -occ identa l de l ' A m a z o n e , celui qui est consi ­dé ré par M. L E SERREC et par M. CARREY comme la clef de

l'Amérique du Sud; il réc lamera i t pour la F r a n c e la r ive guyana i se de ce b ra s , dé fendue pa r la for teresse de Macapá.

Page 177: L'Oyapoc et l'Amazone : question brésilienne et française. Tome premier

§§ 1 4 1 6 - 1 4 2 0 1 4 E L E C T U R E ( 4 0 1 )

P o r t o - a l e g r e , qui consacre à la plus héroïque des actions la plus poét ique des épopées.

1 4 1 6 . La preuve directe adminis t rée main tenant par M. D 'AVEZAC, c'est l 'autorité d 'un recommandable P o r ­t u g a i s qui, après avoir habité le B r é s i l pendant dix-sept ans , en a fait une description précieuse , datée de M a d r i d en 1 5 8 7 , mais préparée à B a h i a .

1 4 1 7 . C'est GABRIEL SOARES D E SOUZA, publié pour la première fois en 1 8 2 5 par l 'Académie Royale des Sciences de L i s b o n n e , et à qui M. D E VARNHAGEN a voué , en 1 8 3 9 ,

les prémices de ses beaux travaux, et. en 1 8 5 1 une édition d 'un grand prix.

1 4 1 8 . M. D 'AVEZAC, faisant syncrét isme des deux édit ions, adoptant u n e correction de M. D E V A R N H A G E N , et rétablissant une incise de l 'Académie de Lisbonne, lit ainsi le chapitre t rois ième du Routier de GABRIEL SOARES :

« La côte du B r é s i l commence au delà de la rivière des A m a z o n e s , du côté d'Ouest, par la terre dite des C a r i b e s , depuis la rivière de V i n c e n t P i n ç o n qui reste sous la ligne. De cette rivière de V i n c e n t P i n ç o n , à la pointe de la r ivière des A m a z o n e s qu 'on appelle cap Corso, laquelle pointe est sous la ligne équinoxiale, il y a quinze l ieues . De cette pointe de la r ivière à l 'autre pointe du côté de l'Est, il y a trente-six l ieues. »

1 4 1 9 . Déjà M. L E BARON D E BUTENVAL, dans les confé­rences du 1 0 novembre 1 8 5 5 et du 4 janvier 1 8 5 6 , avait opposé à M. le VICOMTE D E L'URUGUAY ce m ê m e texte de GABRIEL SOARES.

1 4 2 0 . Mais c'était pour conclure que « le P o r t u g a i s SOARES, en 1 5 8 7 , indécis , comme il était permis de l 'être alors, comme il est p resque permis de l 'être encore au­jourd 'hu i sur l ' indication de la la t i tude, n ' en men t ionne

2 6

Page 178: L'Oyapoc et l'Amazone : question brésilienne et française. Tome premier

( 402 ) 14 e L E C T U R E §§ 1421-1423

pas m o i n s le V i n c e n t - P i n s o n comme le cours d 'eau le p lus voisin de l ' A m a z o n e . »

1421. P lus r igide que M. D E BUTENVAL, M. D 'AVEZAC

n e veu t pas que l 'on touche aux indicat ions a s t ronomiques et odomét r iques du v ieux colon por tuga i s .

1422. GABRIEL SOARES s i tue sous la l igne la pointe occidenta le de l ' A m a z o n e et l ' e m b o u c h u r e du V i n c e n t P i n ç o n , à quinze l ieues por tuga ises l ' une de l ' au t r e ; il d o n n e à l ' e m b o u c h u r e de l ' A m a z o n e t rente-s ix l ieues por tuga ises de l a rgeur : il faut donc dé t e rmine r le V i n ­c e n t P i n ç o n , en respec tan t r e l i g i eusemen t ces d o n n é e s de GABRIEL SOARES.

1423. Pour r ésoudre ce p rob lème , M. D ' A V E Z A C p r e n d la me i l l eu re carte de l ' A m a z o n e qui existe , celle de M. D E M O N T R A V E L ; et il dit :

« Que de la pointe T i g i o c a on m e s u r e t rente-s ix l ieues à l 'Ouest-Nord-Ouest , j u s q u ' à u n point qui puisse r e p r é s e n ­te r le cap C o r s o , dans q u e l q u ' u n e des bouches mul t ip les de l ' A m a z o n e , ou mieux encore dans cel le-là m ê m e que nos h y d r o g r a p h e s déc r iven t c o m m e la p lus impor tan te , en t r e l'île de M a r a j ó et la série des îles d a s F r e x a s , M e x i a n a et C a v i a n a ; pu is , que de là on pou r su ive droit à l 'Ouest les quinze l i eues qui doivent about i r à la r ivière de V i n c e n t P i n ç o n : on se t rouve ra p r éc i s émen t dans le b ras occidental du g r and fleuve, où il est b ien avéré , pa r les témoignages au then t iques , du t e m p s , que V I N C E N T

PINÇON était v e n u en effet ancre r dans les p r e m i e r s mois de l ' année 1500.

« La poin te de la T i g i o c a est dé t e rminée par 0°34'S. et 50°13'O. de P a r i s : de là 36 l ieues por tuga ises O.-N.-O. n o u s condui ra ien t r i g o u r e u s e m e n t à que lque po in te dans l 'E. ou le N.-E. de l'île C a v i a n a , et les 15 l ieues de sur ­p lus vers l 'Ouest about i ra ient aux env i rons de la poin te J u p a t i ; mais en p r e n a n t pa r le chena l e n t r e les l ies , on

Page 179: L'Oyapoc et l'Amazone : question brésilienne et française. Tome premier

§§ 1424-1428 14 e L E C T U R E ( 403 )

toucherai t à la pointe C a r i d a d e , pour aboutir au voisi­nage de la pointe P e d r e i r a . »

1424. Cer ta inement , il aurait été possible que GABRIEL

SOARES donnât à la branche occidentale de l ' embouchure de l ' A m a z o n e le nom de rivière; puisque chez les P o r t u ­g a i s , chez les E s p a g n o l s , et chez les F r a n ç a i s eux-mêmes , le nom de rivière a été rée l lement appliqué à tout cours d 'eau, soit r ivière proprement dite, soit canal na ture l .

1425. CAMÕES donne le nom de rivière au canal qui sépare du Continent de l ' A f r i q u e l'île de M o m b a ç a .

Rio do Mosquito, Rio de S. Francisco, R. de S. Gon-

calo, dans les provinces brés i l iennes de M a r a g n a n , S a i n t e - C a t h e r i n e et Rio G r a n d e do S u l , sont le canal qui sépare du cont inent l'île de M a r a g n a n , le canal qui sépare du cont inent l'île de S. F r a n c i s c o , et le canal qui joint ensemble le lac d o s P a t o s et le lac M e r i m .

Rio Sancti Pétri est le canal qui sépare du cont i ­nen t d ' E s p a g n e l'île de C a d i x .

Rivière Salée est le canal qui sépare l 'une de l 'autre les îles de G u a d e l o u p e et G r a n d e - T e r r e .

1426. Il est même incontestable, d 'après le témoi­gnage de BERREDO, que, dans les premiers temps de l 'occu­pation de l ' A m a z o n e par les P o r t u g a i s , u n e importante portion de la b ranche occidentale de ce fleuve a porté chez eux le nom distinctif de Rio de Fi lippe, comme la b ran ­che orientale a porté et porte encore le nom distinctif de Rio do Pará.

1427. Mais cette m ê m e branche occidentale de l 'Ama­z o n e a-t-elle jamais porté le nom de Rio de Vicente Pinçon?

1428. Le texte de GABRIEL SOARES est bien loin de l 'établir.

Page 180: L'Oyapoc et l'Amazone : question brésilienne et française. Tome premier

( 404 ) 1 4 E L E C T U R E § § 1 4 2 9 - 1 4 3 6

Premier motif de doute.

1 4 2 9 . Pour in te rpré te r u n écr ivain de l ' année 1 5 8 7 , ne conna issan t l ' A m a z o n e que par les car tes , M. D ' A V E -

Z A C a recours à u n e car te levée en 1 8 4 4 .

1 4 3 0 . Cette carte d o n n a n t à l ' A m a z o n e assez de lar ­geur pou r y c o m p r e n d r e et l ' A m a z o n e de GABRIEL SOARES,

et sa r ivière de V i n c e n t P i n ç o n , et les qu inze l ieues por tugaises qui les séparen t , M. D 'AVEZAC en dédu i t avec toute a s su rance , que le V i n c e n t P i n ç o n de GABRIEL

SOARES n 'é ta i t au t r e chose que la b r a n c h e occidentale de l ' A m a z o n e .

1431. Mais les géographes du xvi e siècle ne conna is ­saient pas l ' A m a z o n e aussi b ien que M. D E MONTRAVEL

et M. D 'AVEZAC.

1 4 3 2 . Les u n s , c o m m e CABOT, exagéra ien t l 'embou­c h u r e du g rand fleuve j u s q u ' à lui d o n n e r la la rgeur de plus de qua t re degrés et demi .

1 4 3 3 . D 'autres la ré t réc issa ien t comme GABRIEL SOARES

et encore p lus . 1 4 3 4 . Le grand MERCATOR ne lui donnai t que deux

degrés et que lques m i n u t e s , p réc i sémen t comme GABRIEL

S O A R E S ; T H E V E T , VAN LANGREN, W Y T F L I E T , deux degrés s eu l emen t .

1 4 3 5 . Et toutefois, W Y T F L I E T , VAN LANGREN, T H E V E T

et MERCATOR, représentaient l ' embouchu re de l ' A m a z o n e comme CABOT, lui d o n n a n t pou r b o r n e s , dans l eu r s cartes,

le con t inen t du Pará et le continent de la Guyane.

1 4 3 6 . De ce que GABRIEL SOARES ne d o n n e à l 'em­bouchure de l ' A m a z o n e que la l a rgeur de deux degrés et que lques m i n u t e s , ce n ' e s t donc pas une raison pour en conclure qu' i l excluait du g rand fleuve sa b ranche occi­den ta le .

Page 181: L'Oyapoc et l'Amazone : question brésilienne et française. Tome premier

§ § 1 4 3 7 - 1 4 4 2 I i" L E C T U R E ( 405 )

Second motif de doute.

1 4 3 7 . Même sur la carte de M. D E MONTRAVEL, d'où que l 'on commence à tirer du bord droit de la b ranche occidentale de l ' A m a z o n e quinze l ieues portugaises vers l'Est, — que ce soit d i rectement à l'Est, ou au Sud-Est, ou au Nord-Est, ces quinze l ieues (équivalant à 5 1 minutes) absorberont toujours la totalité du canal central de l 'Ama­z o n e .

1 4 3 8 . De sorte que , moitié pour le V i n c e n t P i n ç o n , moitié pour l ' intervalle entre le V i n c e n t P i n ç o n et l ' A m a z o n e , GABRIEL SOARES, dans l 'opinion de M. D ' A V E -

Z A C , aurait soustrait au grand fleuve toute la masse d'eau qui const i tue ses deux b ranches pr incipales , et aurait réduit l ' embouchure de l ' A m a z o n e à la b ranche incertaine du Pará, et au terrain de l'île de M a r a j ó .

Troisième motif de doute.

1 4 3 9 . Dans la copie originale du manuscr i t de GABRIEL

SOARES, le nom de la pointe occidentale de l ' A m a z o n e se trouvait écrit d 'une manière confuse, puisque les copies actuel lement connues ne s 'accordent pas ent re elles sur ce nom.

1 4 4 0 . La meil leure variante est celle de cap Corso, donnée par le manuscr i t de P a r i s et adoptée par M. D E V A R N H A G E N et par M. D'AVEZAC.

1 4 4 1 . Elle est préférable aux aut res , en ce que le nom de c a p Corso se lit uniformément dans u n autre chapitre de GABRIEL SOARES et se re t rouve dans plus ieurs anciennes cartes .

1 4 4 2 . Mais dans toutes ces cartes et dans le chapitre 8

Page 182: L'Oyapoc et l'Amazone : question brésilienne et française. Tome premier

( 4 0 6 ) 14e L E C T U R E § § 1 4 4 3 - 1 4 5 0

de GABRIEL SOARES, ce n o m appar t ient exc lus ivement au vois inage du cap S . R o q u e , fort loin de l ' A m a z o n e .

1 4 4 3 . Aucune car te , aucun texte , à la seule exception de celui de GABRIEL SOARES, qui en est cause, n ' on t j amais d o n n é à aucune poin te de l ' A m a z o n e le n o m de c a p Corso.

1 4 4 4 . La leçon préférée n 'es t donc pas sat isfaisante, et il est pe rmis de che rche r mieux .

1 4 4 5 . Supposons que la copie or iginale écrivait le n o m distinctif de la po in te occ identa le de l ' A m a z o n e pa r u n e le t t re m i n u s c u l e , c o m m e b ien des gens le font encore pou r tou te espèce de n o m propre , — et n o t a m m e n t M. L E SERREC, d a n s son travail l i thographie de 1 8 4 7 .

1 4 4 6 . Ne serai t - i l pas alors probable qu 'on ait lu cap corso pou r cap raso?

1 4 4 7 . Il est b ien facile de confondre u n pet i t r avec u n peti t c.

1 4 4 8 . Et chaque jour on a affaire à des a d é m e m ­b r é s , qui ont l 'air de r ep ré sen t e r deux le t t res , dont la p remiè re serai t u n o ; — à peu près c o m m e sur les bel les car tes de M. D E MONTRAVEL, l'île a m a z o n i e n n e das Frexas

est d e v e n u e das Frescas, Dieu sait pour combien de t emps .

1 4 4 9 . Or, JEAN D E L A E T e t NICOLAS SANSON nous a p p r e n n e n t que les E s p a g n o l s donna ien t au Cap N o r d con t inen ta l , à la pointe or ienta le de la G u y a n e séparée de l 'île de Maracá par le canal de C a r a p a p o r i , le n o m dis ­tinctif de Cabo Raso, qui lui convien t avec t an t de j u s ­t e s se .

Quatrième motif de cloute.

1 4 5 0 . GABRIEL SOARES dit expressément que la r ivière de V i n c e n t P i n ç o n est s i tuée dans le pays des Caribes; il le di t exp re s sémen t deux fois, au chapi t re t ro is ième et au chapi t re second.

Page 183: L'Oyapoc et l'Amazone : question brésilienne et française. Tome premier

§§ 1451-1457 14 e L E C T U R E ( 407 )

1451. Cette déclaration positive contrarie de la ma­nière la plus embarrassante l ' interprétat ion de M. D 'AVEZAC.

1452. Aussi l 'habile a rgumenta teur a-t-il ou soin de met t re au bas de la page cette note prévent ive : « Il faut se garder de croire que la dénominat ion de ter re de Ca-r i b e s fût exclusivement confinée à l ' A m a z o n e actuelle : si l 'on je t te les yeux sur le bel atlas de GUILLAUME L E

T E S T U , daté du 5 avril 1555 = en la ville F r a n ç o y s e -d e - G r â c e = , et qui se conserve à la bibl iothèque du Dé­pôt de la guer re , on y verra , dans l 'Ouest du B r é s i l et l imitrophe avec lui, commencer sur la rive droite du M a r a g n a n la légende P A T R I E D E S C A N I B A L E S , ce qui a la même signification que ter re des C a r i b e s . — ROBERT

DUDLEY, dans son Arcano delmare, carte xvi d ' A m é r i q u e , annote sous le nom de PETAGUAR : le gente sono C a r i b i e cattive. — On pourrai t aussi r emarquer sur la grande carte manuscr i te exécutée en 1604 à F l o r e n c e par le cosmo­graphe toscan MAFFEO NERONI de P e s c i o l a , et conservée au Dépar tement des cartes de la Bibliothèque impériale , un rio de Caribes entre le R i o G R A N D E D E O R I L I A N A

et le R i o M A R A N Y O N , mais plus près de ce dernier . »

1453. Mais aucun de ces trois exemples ne répond à

la thèse .

1454. Car dans le premier il n 'es t pas question de Caribes, mais de Canibales; les deux autres ne se r ap ­portent pas au P A Y S des Caribes, et c'est du P A Y S des

Caribes que parle GABRIEL SOARES.

1455. Or, en 1548, OVIEDO situait le pays des Cari­

bes (la tierra que llaman de Caribes) v ingt-quatre ou

vingt-cinq l ieues à l 'Ouest de l ' O r é n o q u e .

1456. Et les C a r i b e s ayant t raversé l ' O r é n o q u e et envahi la G u y a n e , la G u y a n e prit le nom de Pays des

Caribes ou Caribana.

1457. C'était le sens de ce mot en 1587.

Page 184: L'Oyapoc et l'Amazone : question brésilienne et française. Tome premier

( 4 0 8 ) 1 4 E L E C T U R E § § 1 4 5 8 - 1 4 6 4

1 4 5 8 . Car la dénomina t ion de G u y a n e (Guiana) n ' a été in t rodui te qu ' en 1 5 9 6 , par W A L T E R R A L E G H .

1 4 5 9 . GÉRARD MERCATOR, en 1 5 6 9 ; O R T E L I U S , en 1 5 7 0 ,

7 1 , 7 2 , 7 3 , 7 4 , 7 9 , 8 1 , 8 4 , 8 7 , 9 2 ; D E BRY, en 1 5 9 2 et 1 5 9 4 ; P L A N C I U S , en 1 5 9 4 ; MICHAEL MERCATOR, en 1 5 9 5 ;

VAN LANGREN, en 1 5 9 6 , ne donna ien t à la G u y a n e que le n o m de Caribana.

1 4 6 0 . Et encore après R A L E G H , le n o m de Caribana

ou pays des Caribes, a con t inué à être en usage p e n d a n t l ong temps , tantôt pour la totali té de la G u y a n e , tantôt pour sa par t ie sep ten t r iona le , tantôt pour sa par t ie méri­d ionale , tan tô t p o u r ses côtes s eu l emen t .

1 4 6 1 . En 1 5 9 7 , CORNELIS W Y T F L I E T , r ep ré sen t an t la G u y a n e sur sa car te n ° 8 , n e la dés ignai t que sous le nom de Caribana, e t dans le texte explicatif de cette car te , il disait : « La C a r y b a n a , païs na tu re l des C a r y b e s . »

1 4 6 2 . En 1 6 1 7 , u n voyageur français donna i t à l 'une des divis ions de son ouvrage le t i t re su ivant , t ranscr i t par M . D 'AVEZAC l u i -même : « Livre 2 D des Voyages de JEAN MOCQUET, aux I n d e s O c c i d e n t a l e s : c o m m e en la r iu ie re des A m a z o n e s , pays des Caripous et Caribes,

et au t res Terres et Isles d 'Occident, en l 'an 1 6 0 4 . » Et dans le couran t de ce l ivre , on t rouve ce passage : « Ar-r iuans en cet te t e r r e de Y a p o c o , nous la iss ions la r iu iere des A m a z o n e s à ma in g a u c h e , au delà de laquel le vers le midy est le g r a n d pays du B r é s i l , & deça ve r s le Nort sont les C a r i p o u s & les Caribes. »

1 4 6 3 . En 1 6 2 7 , le cosmographe por tuga is JOÃO

T E I X E I R A figura d a n s son a t las , sous le nom de Cari­

bana, la part ie mér id iona le de la G u y a n e , depuis l 'Ama­z o n e j u s q u ' à l ' O y a p o c .

1 4 6 4 . En 1 6 3 7 , le F r a n ç a i s D 'AVITY consacra u n chapi t re de son Monde au Pays des Caribes, et il en

par la en ces t e rmes : « Apres le pays de P a r i a lon t r e u v e ce luy des C a r i b e s t i r an t au Sud-Est , où il confine avec

Page 185: L'Oyapoc et l'Amazone : question brésilienne et française. Tome premier

1 4 6 5 - 1 4 7 2 1 4 E L E C T U R E ( 4 0 9 )

celuy des C a r i p o u s . La r iuiere de C a y e n n e passe par ce pays. »

1 4 6 5 . En 1 6 8 3 , le F r a n ç a i s MANESSON MALLET donna à u n e carte de la G u y a n e le t i t re de « P a y s d e s Ca-r i b e s et G u i a n e . »

1 4 6 6 . En 1 7 2 1 , le Dictionnaire de Moreri, composé

par u n F r a n ç a i s et augmenté par des F r a n ç a i s , porta cette phrase : « Le pays des C a r i b e s est compris dans la G u i a n e . »

1 4 6 7 . Et aujourd 'hui encore , la G u y a n e el le-même conserve ses Caribes sous la forme de Galibis, p ropre ­men t Galibes.

Cinquième motif de doute.

1 4 6 8 . Le Père ACUÑA, dans son paragraphe 8 3 , que nous avons vu tantôt in tégra lement , é tend l ' embou­chure de l ' A m a z o n e jusqu ' au Cap d u N o r d , et il la place pour tant tout ent ière sous la ligne équinoxiale.

1 4 6 9 . Il si tuait donc sous la l igne le Cap d u N o r d ; et cela dans l ' année 1 6 4 1 .

1 4 7 0 . Donc, GABRIEL SOARES pouvait b ien en faire autant dans l ' année 1 5 8 7 .

1 4 7 1 . Et comme il était du nombre de ceux qui met­taient la rivière de V i n c e n t P i n ç o n auprès du Cap d u N o r d , il n 'y aurai t r ien d 'é t range à ce qu'il donnâ t à cette rivière la m ê m e lat i tude qu 'à ce cap.

Sixième motif de doute.

1 4 7 2 . Un ancien écrivain portugais , cité par M . D ' A V E -

Z A C lu i -même, nous fournit pour le texte de GABRIEL SOARES

un commentai re b ien différent de celui de l ' ingénieux cri t ique.

Page 186: L'Oyapoc et l'Amazone : question brésilienne et française. Tome premier

( 4 1 0 ) 1 4 E L E C T U R E § § 1 4 7 3 - 1 4 7 7

1 4 7 3 . C'est le Père SIMÃO D E V A S C O N C E L L O S , dans le l ivre p r e m i e r des Notices qui p récèden t sa Chronique de la Compagnie de Jésus du Brésil, impr imée à L i s b o n n e

en 1 6 6 3 .

1 4 7 4 . Ex-provincial de son ordre à B a h i a , V A S C O N -

C E L L O S écr ivai t dans la m ê m e ville où GABRIEL SOARES

avait écri t .

1 4 7 5 . Il connaissa i t par fa i tement le manusc r i t de l ' anc ien hab i t an t de B a h i a , et il l 'es t imai t assez pour en faire u n des é l é m e n t s const i tut i fs de son propre t rava i l .

1 4 7 6 . Sa longue descr ip t ion du li t toral du B r é s i l , sauf de ra res except ions , est u n simple r é s u m é du Routier de GABRIEL SOARES, quelquefois mo t à mot .

1 4 7 7 . Eh b ien , voici c o m m e n t par le V A S C O N C E L L O S de l ' A m a z o n e et du V i n c e n t P i n ç o n :

№ 1 6 . « Le m é r i d i e n de démarca t ion , qui sépare les possess ions de l ' A m é r i q u e , c o m m e n c e auprès de la r iv ière des A m a z o n e s , à la pet i te r iv ière n o m m é e de V i n c e n t P i n ç o n . »

№ 2 1 . « Cette r ég ion du B r é s i l c o m m e n c e auprès de la r iv ière des A m a z o n e s , ou G r a n d Pará, pa r le pays que l 'on n o m m e des C a r i b e s , du côté d 'Ouest , depuis la pet i te r ivière de V i n c e n t P i n ç o n , qui res te sous la l igne équinoxia le . »

№ 2 6 . « La bouche de la r iv ière des A m a z o n e s , p ropor t ionnée à son corps , a 80 l ieues de la rgeur , ou davan tage . Elle s 'ouvre sous la l igne équinoxia le . »

№ 3 9 . « Cette côte spacieuse (d 'après les calculs de nos cosmographes) compte les l ieues et r h u m b s su ivants . — De la pet i te r ivière de V i n c e n t P i n ç o n , où elle com­m e n c e , à la po in te de la r iv ière du G r a n d Pará, ou des A m a z o n e s , du côté d 'Ouest , il y a quinze l ieues : et de cette po in te à celle de l 'Est, il y a les l ieues de la l a rgeur de la r iv ière , q u i , selon l 'opinion la p lus c o m m u n e , sont 8 0 . »

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§ § 1 4 7 8 - 1 4 8 6 1 4 E L E C T U R E ( 4 1 1 )

1 4 7 8 . Comme GABRIEL SOARES, VASCONCELLOS place donc sous la l igne, non- seu lemen t la pointe occidentale de l ' A m a z o n e , mais encore la rivière de V i n c e n t - P i n ­ç o n , à quinze l ieues l 'une de l 'autre.

1 4 7 9 . Mais, pour la largeur de l ' embouchure de l ' A m a z o n e , il préfère l 'autorité d 'un écrivain qui con­naissait cette r ivière par l u i - m ê m e et dont il cite l 'ouvrage.

1 4 8 0 . Il donne à l ' embouchure de l ' A m a z o n e , non pas deux degrés de largeur comme GABRIEL SOARES, mais , comme le Père ACUÑA, plus de quatre degrés et demi.

1 4 8 1 . Or, cette énorme largeur s'oppose invincible­m e n t à la supputat ion de M. D ' A V E Z A C

1 4 8 2 . Il est évident que V A S C O N C E L L O S comprend dans l ' embouchure de l ' A m a z o n e toutes les b ranches du grand fleuve.

1 4 8 3 . Il est évident qu'il é tend cette embouchure , du côté d'Ouest, j u squ ' au cont inent de la G u y a n e .

1 4 8 4 . Donc ,b i en qu'il conserve au V i n c e n t P i n ç o n la position sous la l igne, il place cette r ivière hors de l ' A m a z o n e , sur la côte océanique du cont inent de la G u y a n e .

1 4 8 5 . Et comme VASCONCELLOS, abréviateur de G A ­

B R I E L SOARES, n ' indique le V i n c e n t P i n ç o n que d'après son modèle , on est fondé à conclure que GABRIEL SOARES,

malgré la lat i tude, situait la r ivière de V i n c e n t P i n ç o n sur la côte océanique du cont inent de la G u y a n e , et n ' en faisait point un bras de l ' A m a z o n e .

1 4 8 6 . L 'honorable M. D'AVEZAC aurait sent i lu i -même le poids de cette considérat ion, si, au lieu de s 'arrêter au paragraphe 2 1 de VASCONCELLOS, il avait consulté égale­men t les paragraphes 2 6 et 3 9 .

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( 412 ) 14 e L E C T U R E §§ 1487-1497

Septième motif de doute.

1 4 8 7 . Une anc i enne carte por tuga ise , conservée à P a r i s m ê m e , au Dépôt géograph ique du Ministère des affaires é t r angè res , c o m m e n t e le texte de GABRIEL SOARES

de la m a n i è r e la p lus décis ive.

1 4 8 8 . C'est dans l 'atlas manusc r i t d 'ANDRÉ HOMEM,

daté de 1 5 5 9 , v ing t -hu i t ans avant le travail de GABRIEL

SOARES.

1 4 8 9 . Les feuilles 7 et 8 de cet atlas r e n f e r m e n t u n e carte in t i tu lée Mundus novus, Quarta pars mundi.

1 4 9 0 . Ce N o u v e a u M o n d e , comme pour AMÉRIC

V E S P U C E et pour que lques -uns des premiers ca r tographes du n o u v e a u c o n t i n e n t , n ' e s t que l ' A m é r i q u e m é r i ­d i o n a l e .

1491. Mais il offre chez le cosmographe por tugais u n e s ingula r i t é cu r i euse .

1 4 9 2 . Sans ê t re complè temen t en touré d 'eau , sans affecter déc idémen t la forme d 'une île c o m m e su r la carte de P E T R U S A P I A N U S en 1 5 2 2 , et sur celles des GRYNÆEUS

de 1 5 3 2 , 1 5 3 7 et 1 5 5 5 , il s 'arrête , du côté du Nord, à l ' équa teur .

1 4 9 3 . Il p ré sen te u n e large côte sep ten t r iona le , cou­rant droit de l 'Est à l 'Ouest en t r e les deux océans , tou­jours sous l'équateur.

1 4 9 4 . On voit sur cet te côte equator ia le l ' embouchu re de l ' A m a z o n e , la rge de p lus de qua t re degrés et demi .

1 4 9 5 . On y r e m a r q u e , en t re l ' A m a z o n e et le P a c i ­fique, u n e g rande quant i té de n o m s , i l l isibles p resque tous, à cause de la vé tus t é de l ' encre .

1 4 9 6 . Mais on lit encore d i s t inc tement la pr incipale par t ie du second de ces n o m s .

1 4 9 7 . Or ce préc ieux f ragment , posé dans le conti-

Page 189: L'Oyapoc et l'Amazone : question brésilienne et française. Tome premier

§§ 1498-1505 14e L E C T U R E ( 413 )

nen t de la G u y a n e , sous l ' équa teur , que lques l ieues à l 'Ouest de la pointe guyanaise de l ' A m a z o n e , placée éga­lement sous l ' équa teur , consiste dans les mots Vicente pizon.

1498. Il est ex t rêmement probable que GABRIEL SOARES

se réglait sur une carte du genre de celle-ci. 1499. On peu t le tenir pour sûr, quand on considère

que cette même carte d 'ANDRÉ HOMEM nous donne la clef d'un mystère de la vie de GABRIEL SOARES, au t rement inexplicable.

1500. Nous savons , par GUADALAXARA et par BERREDO,

qu 'après son re tour de M a d r i d , ent re les années 1590 et 1600, GABRIEL SOARES ent repr i t de péné t re r dans l 'Ama­z o n e par la rivière de S. Francisco, en t re B a h i a et P e r -n a m b u c o .

1501. Cela parait aujourd 'hui u n e idée extravagante . 1502. Mais elle se t rouve justifiée par ANDRÉ HOMEM.

1503. Dans sa carte du N o u v e a u M o n d e , le cosmo­graphe portugais faisait communiquer le S . F r a n c i s c o avec l ' A m a z o n e , et par quatre canaux na tu re l s , qui étaient, probablement , les r ivières T o c a n t i n s , X i n g u , T a p a j ó s et M a d e i r a , complétées par l ' imaginat ion.

1504. Mais oublions, si c'est possible, toutes ces graves réflexions; admet tons que GABRIEL SOARES ait appliqué indubi tablement le nom de R i v i è r e d e V i n ­c e n t P i n ç o n au bras occidental de l ' A m a z o n e : cela prouverai t - i l que le trai té d ' U t r e c h t a eu tort de placer le V i n c e n t P i n ç o n hors de l ' A m a z o n e , sur la côte océa­n ique du cont inent de la G u y a n e ?

1505. Après avoir rappelé, à la page 215, que les P o r ­t u g a i s ne construis irent la forteresse de Macapá qu 'en 1688, M . D ' A V E Z A C ajoute :

« Il n 'est pas sans intérêt de remarquer , à ce propos,

Page 190: L'Oyapoc et l'Amazone : question brésilienne et française. Tome premier

( 4 1 4 ) 1 4 E L E C T U R E § § 1 5 0 6 - 1 5 0 8

que Macapá est p r é c i s é m e n t sous l ' équateur , au bord de ce m ê m e b ras occidental de l ' A m a z o n e que nous avons r e c o n n u pour la r iv iè re de V i n c e n t P i n ç o n , et au delà duque l les P o r t u g a i s s ' aven tura ien t alors pour la pre­miè re fois à p r e n d r e pied.

« C'était de l eu r par t u n e tac t ique habi le , afin de don­n e r u n point d 'appui à des p ré t en t ions plus é t endues , l ong t emps couvées p e u t - ê t r e , mais écloses tout à coup en

1 6 8 6 Ces p ré t en t ions cons is ta ien t à recu le r encore la l igne de démarca t ion , toujours censée inviolable , mais toujours p e u respec tée , en dép laçan t la s y n o n y m i e géo­g raph ique de la r ivière de V i n c e n t P i n ç o n . »

1 5 0 6 . M. D 'AVEZAC assure donc , à la page 2 1 5 , que le n o m de Rivière de V i n c e n t P i n ç o n ne cessa d 'appar­ten i r en p ropre au bras occidenta l de l ' embouchure de l ' A m a z o n e qu 'à par t i r de l ' année 1 6 8 6 , u n siècle après GABRIEL SOARES.

1 5 0 7 . Mais, cinq pages p lus loin, l 'honorable M . D ' A ­V E Z A C r econna î t l u i -même que la r iv ière de V i n c e n t Pin­ç o n avait été s i tuée hor s de l ' A m a z o n e , sur la côte océa­n ique du con t inen t de la G u y a n e , par DUDLEY en 1 6 6 1 ,

par JOÃO TEIXEIRA en 1 6 4 0 , par W Y T F L I E T en 1 5 9 7 , par

VAN LANGREN en 1 5 9 6 , par MICHAEL MERCATOR en 1 5 9 5 ,

par RUMOLDUS MERCATOR en 1 5 8 7 , par O R T E L I U S en 1 5 7 0 ,

par CABOT en 1 5 4 4 .

1 5 0 8 . Et le docte cr i t ique aurai t pu ajouter Par ALONSO D E CHAVES en 1 5 3 6 ,

Par u n cosmographe royal de F r a n c e vers 1 5 5 0 , Par A N D R É HOMEM, en 1 5 5 9 ,

Par GÉRARD MERCATOR en 1 5 6 9 ,

Par YAZ DOURADO en 1 5 7 1 ,

Par GUILLAUME P O S T E L en 1 5 7 2 ,

Par ANDRÉ T H E V E T en 1 5 7 5 ,

Par THÉODORE D E BRY en 1 5 9 2 , 9 4 et 9 6 ,

Par PLANCIUS en 1594,

Page 191: L'Oyapoc et l'Amazone : question brésilienne et française. Tome premier

§ § 1 5 0 9 - 1 5 1 8 1 4 E L E C T U R E ( 4 1 5 )

Par LINSCHOTEN en 1 5 9 6 ,

Par MAZZA entre 1 5 7 0 et 1 5 9 8 ,

Par Jodocus HONDIUS en 1 6 0 2 ,

Par SIMÃO ESTACIO D A SILVEIRA en 1 6 2 4 ,

Par GUADALAXARA en 1 6 3 0 ,

Par VASCONCELLOS en 1 6 6 3 .

1 5 0 9 . A part le texte de GABRIEL SOARES, qui est m

cause, pe r sonne n 'a jamais donné le nom de rivière de V i n c e n t P i n ç o n à u n e branche quelconque de l 'embou­chure de l ' A m a z o n e .

1 5 1 0 . Et on accorderait à GABRIEL SOARES plus de crédit qu 'à tout le m o n d e ?

1 5 1 1 . Mais à quel t i t re?

1 5 1 2 . Serait-ce parce que GABRIEL SOARES était Po r ­t u g a i s , et an tér ieur à l ' année 1 6 8 6 ?

1 5 1 3 . Mais VASCONCELLOS était P o r t u g a i s ; et il situait la r ivière de V i n c e n t P i n ç o n hors de l ' A m a z o n e , sur la côte océanique du cont inent de la G u y a n e , 2 3 ans avant 1 6 8 6 .

1 5 1 4 . TEIXEIRA étai t P o r t u g a i s ; et il assignait à la r ivière de V i n c e n t P i n ç o n cette m ê m e position, 4 6 ans avant 1 6 8 6 .

1 5 1 5 . SiLVEiRA était P o r t u g a i s ; et il mettait à la même place la rivière de V i n c e n t P i n ç o n , 6 2 ans avant 1 6 8 6 .

1 5 1 6 . VAZ DOURADO était P o r t u g a i s ; et il situait la rivière de V i n c e n t P i n ç o n sur la côte océanique de la G u y a n e , 1 1 5 ans avant 1 6 8 6 , 1 6 ans avant GABRIEL SOARES.

1 5 1 7 . ANDRÉ HOMEM était P o r t u g a i s ; et il plaçait déjà la rivière de V i n c e n t P i n ç o n sur la côte océanique du cont inent de la G u y a n e , hors de l ' A m a z o n e , 1 2 7 ans avant 1 6 8 6 , 2 8 ans avant GABRIEL SOARES.

1 5 1 8 . Et avec ces P o r t u g a i s se t rouvaient d'accord les car tographes et les écrivains de toutes les aut res nat ions , y compris les E s p a g n o l s , y compris les F r a n ç a i s .

Page 192: L'Oyapoc et l'Amazone : question brésilienne et française. Tome premier

( 416 ) 1 4 E L E C T U R E § § 1 5 1 9 - 1 5 2 6

1 5 1 9 . Serait-ce parce que GABRIEL SOARES a t'ait sur le B r é s i l u n travai l es t imable?

1 5 2 0 . Mais GABRIEL SOARES était u n s imple amateur , doué d 'un grand ta lent d 'observat ion pour l 'his toire natu­relle et pour l ' e thnograph ie , mais n u l l e m e n t géographe .

1 5 2 1 . Et C H A V E S , CABOT, ANDRÉ HOMEM, GÉRARD M E R ­

C A T O R , O R T E L I U S , VAZ DOURADO, BUMOLDUS MERCATOR,

P L A N C I U S , MICHAEL MERCATOR, VAN L A N G R E N , T E I X E I R A ,

é ta ien t des géographes de profession.

1 5 2 2 . Serai t-ce à cause de la r e n o m m é e de GABRIEL

SOARES?

1 5 2 3 . Mais l 'œuvre de GABRIEL SOARES est res tée enfouie j u s q u ' e n 1 8 2 5 : et avant 1 6 8 6 , la g r avu re et la p res se ava ien t r é p a n d u à l 'envi , souven t par des édi t ions mul t ip l iées , les t ravaux de CABOT, de GÉRARD MERCATOR,

d ' O R T E L i u s , de POSTEL, de T H E V E T , de BUMOLDUS MERCATOR,

de THÉODORE D E BRY, de PLANCIUS, de MICHAEL MERCATOR,

de LINSCHOTEN, de VAN LANGREN, de W Y T F L I E T , de MAZZA,

de H O N D I U S , de S I L V E I R A , de GUADALAXARA, de VASCON-

C E L L O S .

1 5 2 4 . Et q u e l q u e s - u n s de ces n o m s , c o m m e ceux de GÉRARD MERCATOR et O R T E L I U S , jou issa ien t d 'une répu ta t ion un iverse l l e et colossale.

1 5 2 5 . En opposit ion à des autor i tés si n o m b r e u s e s , si compéten tes , si éc la tan tes , qui oserait p rodui re le modes te GABRIEL SOARES, et le p lan te r en Achille devan t l ' a rmée?

1 5 2 6 . Qui oserai t , — quand b ien m ê m e le texte de GABRIEL SOARES serai t à l 'abri de tou te contes ta t ion?

Page 193: L'Oyapoc et l'Amazone : question brésilienne et française. Tome premier

§§ 1527-1530 14 e L E C T U R E ( 4 1 7 )

1527. Et quand il est indisputable que ce texte est douteux, qui osera?

1528. M. D 'AVEZAC, malgré ses efforts mervei l leux, ne justifie donc pas ses revendicat ions géographiques , ni pour le Cap d u N o r d , ni pour la rivière des A m a z o n e s , ni pour celle de J a p o c ou de V i n c e n t P i n ç o n .

1529. Le vaillant a rgumenta teu r soutient-il mieux ses allégations his tor iques tendant à convaincre le Traité d ' U t r e c h t d 'une insupportable iniqui té?

1530. C'est ce que nous allons voir.

27

Page 194: L'Oyapoc et l'Amazone : question brésilienne et française. Tome premier

( 4 1 8 ) 1 5 E L E C T U R E § 1 5 3 1

Q U I N Z I È M E L E C T U R E

Découverte française de l'Amazone."

1 5 3 1 . Dans u n l ivre publ ié deux fois en 1 5 8 2 , le F r a n ç a i s LA P O P E L L I N I È R E avait ainsi apprécié les décou­v e r t e s françaises :

« Comme le n a t u r e l de tous peup les , & du F r a n ç o i s m e s m e m e n t , est d ' imiter les desse ings & act ions d ' au t ruy : le bru i t de la descouue r t e de t an t de r iches & es t ranges pays pa r les E s p a g n o l s & P o r t u g a i s : n ' eu t p lutos t couru pas l ' e s t endue de l ' E u r o p e , que tou tes na t ions mar i t imes & les F r a n ç o i s sur tous , se sen t i r en t p iquez d 'vne enu ie de faire le semblable en que lques endroic ts où ceux-là n ' auo ien t d o n n é a t t e in te . Car n e s 'es t imant r ien mo ind re s qu ' eux , n y en la nau iga t iõ , ny au fait des a rmes , n y en au t res vaccat ions : ils se pe r suado ien t qu ' i ls n ' a u -ro ien t pas tout descouuer t , & que le m o n d e estoit d 'asser g rande e s t endue pour l eu r faire voir de iour à aut re choses p lus nouue l l e s & es t r anges que les accous tumées . D'autres mo ins pais ibles se la issas posséder à v n e cer ta ine ialouzie, qui dord ina i re accompagne l ' heu reux succez des notables en t repr i ses : se p e r s u a d è r e n t que sans se haza rde r à tan t de pér i ls qui su iuen t ceux qui descouuren t & peup len t

Page 195: L'Oyapoc et l'Amazone : question brésilienne et française. Tome premier

§§ 1532-1534 15 e L E C T U R E ( 419 )

nouuel les te r res , & tels que les E s p a g n o l s sur tous auoient prat iqué (des premiers desquels les deux parts m o u r u r e n t misérab lement devant que iouyr en paix de ce qu'i ls auoient trouvé), qu' i ls pouuoi t iustem t donner és endroi ts par

eux descouuer ts comme pays cõmuns Ainsi p lus ieurs F r a n ç o i s fondans sur ces considérat ions leurs en t re -pr inses de descouur i r n o u u e a u M õ d e : aucuns s inglerent à l'Oest qui aborderent en l ' A m e r i q u e , les autres d o n n e ­ren t vers le Nort. Nombre print la route d ' A f r i q u e & d ' E t h i o p i e . »

1532. Et dans ce même livre, ce môme F r a n ç a i s avait dit, en par lant du fleuve des A m a z o n e s : « Les PINÇONS le descouur i rent l 'an mil cinq ces . »

1533. Mais en 1643, u n autre F r a n ç a i s , le Père FOUR-

N I E R , s 'en rapportant à la tradit ion hasarda ces deux dires :

« Les N o r m a n d s , & B r e t o n s ma in t i ennen t auoir t rouué le B r a s i l auant AMERIC V E S P U S E , & CAPRAL. »

« Enuiron l 'an 1524, disent ceux de D i e p e , les capi­taines G U E R A R D & R O U S S E L D E D I E P E , a l lerent en l ' A m e ­r i q u e , & découur i rent le M a r a g n o n auan t qu ' aucun P o r t u g a i s y eust esté. »

1534. Et en 1785, un N o r m a n d appelé DES MARQUETZ,

s 'autorisant d 'anciens manuscr i t s , articula sér ieusement cette g igantesque pré tent ion no rmande :

« COUSIN [à qui les armateurs de D i e p p e avaient donné le commandemen t d 'un de leurs p lus grands vais­seaux, avec ordre d 'élonger de plus en plus les côtes d ' A f r i q u e , qui deuoient suiure celles d ' A d r a & de C o n g o , pour lesquelles sa cargaison étoit destinée] parti t du port de D i e p p e dans le commencement de l 'année 1488. Ce capitaine est le premier de l 'univers qui ait su, d 'après les leçons de DESCALIERS, p rendre hau teur au mil ieu des mers : aussi n e serra-t- i l p lus les côtes, comme auoient fait ses prédécesseurs . Dès qu'il fut sorti de la M a n c h e , il s 'élança dans l ' O c é a n , & se trouva arrêté au bout de deux mois

Page 196: L'Oyapoc et l'Amazone : question brésilienne et française. Tome premier

( 420 ) 15 e L E C T U R E § 1534

par u n e te r re i n c o n n u e , où il s ignala l ' e m b o u c h u r e d ' un g rand F leuve , qu' i l n o m m a Maragnon, & que depuis on a n o m m é le Fleuve des Amazones. COUSIN, sur la h a u t e u r pr ise de cette t e r re , compri t qu' i l falloit, pour gagner le dessus de la côte d ' A d r a , faire rou te ve rs le pôle du M i d i , en couran t sur l 'Est ; à ce m o y e n il fit le p r emie r la décou­ver te de la po in t e d ' A f r i q u e : il d o n n a le n o m des Ai­guilles à u n banc qu' i l y observa. Ce j e u n e Capitaine ayant pr i s no te des l ieux & de l eu r posi t ion, rev in t aux côtes de C o n g o & d ' A d r a , où il fit des échanges de ses marchan­dises , & ar r iva à D i e p p e dans le couran t de 1489....

« COUSIN lors de son rapport , s 'étoit p la int des inquié­tudes & des pe ines q u e son second Capitaine, n o m m é P I N ­

Ç O N , lui avoit d o n n é e s p e n d a n t son voyage . Cet h o m m e dur & jaloux de carac tè re , étoit , à la vér i té , p lus anc ien marin que COUSIN ; mais il ignorai t , ainsi que ceux de son t e m p s , l 'Hydrograph ie , sc ience que DESCALIERS venoi t de faire éclorre , & que COUSIN met to i t en p ra t ique . V I N C E N T

PINÇON n 'avoi t pu voir la sc ience de ce de rn ie r sans ja lous ie , &, p e n d a n t la t r ave r sée , il n 'avoi t m a n q u é a u c u n e occa­sion de d o n n e r des m a r q u e s de la passion qui le dévoroi t . Dès qu'i l eut vu COUSIN qu i t t e r les côtes pour vogue r au mil ieu des m e r s , il avoit t âché de faire révol te r l ' équipage cont re l eur Capitaine. . . .

« L'Hôtel-de-Ville, qui faisoit alors le service que la jur id ic t ion de l 'Amirauté fait au jourd 'hu i , pr i t le t émoignage des Officiers suba l t e rnes & des mate lo ts de ce nav i re ; et tous les faits ayant été cons ta tés , il fut j u g é que VINCENT

P I N Ç O N . . . étoit déclaré incapable d 'ê t re à l ' avenir employé c o m m e Officier su r les nav i r e s de D i e p p e .

« Fur ieux de ce j u g e m e n t , PINÇON qui t ta cet te ville, & fut d e m a n d e r du service à G ê n e s . Il y a l ieu de pense r qu ' i l eut par la sui te occasion de connoî t re CHRISTOPHE

COLOMB, pu isqu ' i l fut u n des Capitaines de la pet i te Escadre

Page 197: L'Oyapoc et l'Amazone : question brésilienne et française. Tome premier

§ § 1 5 3 5 - 1 5 3 9 1 5 E L E C T U R E ( 4 2 1 )

que commandai t ce grand homme pour la découverte de l ' A m é r i q u e . »

1 5 3 5 . Sur la foi de D E S MARQUETZ, cette version a été embrassée , en 1 8 2 6 et en 1 8 3 2 , par u n autre zélé N o r m a n d , M. ESTANCELIN.

1 5 3 6 . Et sans avoir l 'excuse d'être né N o r m a n d , le docte M . D 'AVEZAC, si habi tué aux fortes é tudes , se com­plaît, lui aussi , à propager le rapport de DES MARQUETZ.

1 5 3 7 . Mais dans le m ê m e livre où D E S MARQUETZ attri­bue aux D i e p p o i s la découverte de l ' A m é r i q u e , il leur at t r ibue également la découverte de l ' I n d e et la décou­ver te des M o l u q u e s

1 5 3 8 . Et pour a r racher à COLOMB, à GAMA et à MAGEL­

L A N , leur gloire laborieuse, il se fonde sur des documents privés que M. ESTANCELIN lui-même confesse n 'avoir pu re t rouver

1 5 3 9 . Est-ce là de l 'histoire?

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( 422 ) 1 5 E L E C T U R E § § 1 5 4 0 - 1 5 4 1

Exploration française de l'Amazone avant Orellana.

1 5 4 0 . Cette explorat ion est a t tes tée par u n m a n u s c r i t original conservé à la Bibl io thèque Impér ia le de P a r i s : — La Cosmographie du pilote français JEHAN- ALLEFONSCE,

S a i n c t o n g e o i s , datée de la R o c h e l l e le 2 4 n o v e m ­bre 1 5 4 5 , à son re tour du C a n a d a , où il était allé de cette m ê m e ville le 1 6 avril 1 5 4 2 , p e n d a n t q u ' O R E L L A N A descen­dait l ' A m a z o n e .

1 5 4 1 . Voici le texte de J E H A N A L L E F O N S C E , d ' après le déchiffrement qui en a été fait par M. P I E R R E MARGRY, et qui m ' a été ob l igeamment c o m m u n i q u é par ce r e c o m m a n d a b l e inves t iga teu r .

« La R i v i è r e d e M a r e i g n a n est p a r l e s sept degrez et demy de la h a u l t e u r du polie an ta r t ique au su de la L igne . . . La dicte R i v i è r e d e M a r e i g n a n est g r ande Rivière ensor te qu 'e l le a p lus de qu inze l ieues de la rgeur en son ent ier . . .

« De la R i v i è r e de M a r a g n a n j u s q u ' à la m e r D o u l c e qui est u n e g rande r iv ière n ' y a que vingt et cinq l ieues . Ceste r ivière doulce a soixante l ieues de large à son en t rée . Et v ien t tant d 'eaue de la d. r ivière doulce et cour t si t rès-fort qu 'e l le en t r e plus de v ing t l ieues en la m e r te l l ement que en les d. v ingt l i eues n e se t rouve point sal lée pour l ' eaue la dicte mer . Ceste l a rgeur de lad. Rivière va b ien v ingt cinq l ieues en la t e r r e . Et cecy faict deux Rivières ; l 'une va vers le sues t et l 'aul t re va au suroues t . Et cel le qui va au sues t est fort proffonde et a b ien d e m y l ieue de lar ­geur en sorte que u n e ca raque y peul t b ien aller sans son­der . . . Et l 'eaue court si fort qu' i l faut que u n g nav i re ayt b o n n e s amar re s et bon ancre . Et la te r re de ceste r iv ière est u n e terre basse et p la t te belle t e r re , car j'ay esté b i en c inquan te l ieues ou plus amont la di te r ivière sans que je ay peu avoir veu au lcunes mon ta ignes . Les gens de ce

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§§ 1542-1545 15 e L E C T U R E ( 423 )

pays ont le visage perse ainsi que ont ceulx du B r é s i l ensemble les bal lesbres de la bouche en quatre ou cinq part ies . Et met ten t en jceulx per tuys des piarres d ' ayme-rauldes ver tes enchassées en or et p lusieurs aultres pierres . Et penden t aussi de telles pierres à leurs aureil les. Nous leur demandismes s'il y avoit point d'or en la te r re . Ilz nous feirent seigne que allent haul t à mont la riviere jl y avoit une monta igne en laquelle y avoit force d'or et que u n e part ie d'jcelle estoit d'or et qu'ils l 'apportoyent de là et que quant ils en avoient affaire ilz y en alloient quér i r »

1542. Bien ne paraît plus décisif. 1 5 4 3 . Car Rio grande de Santa Maria de la Mar

dulce fut le nom que VINCENT PINÇON donna à l ' A m a z o n e en 1 5 0 0 ; encore en 1 5 8 7 , GABRIEL SOARES déclarait que l ' A m a z o n e portait aussi la dénominat ion de Mer douce; et JEHAN ALLEFONSCE, écrivant en 1 5 4 5 , et se rapportant à u n e époque nécessa i rement antér ieure à l 'année 1 5 4 2 , affirme qu'il avait r emonté la rivière de la mer Doulce : « J'ay esté b ien c inquante l ieues ou plus amont la dite Riviere » : « Nous l eur demandismes » : « Ilz nous feirent se igne. »

1 5 4 4 . Et toutefois ce n 'est qu 'une imposture . 1 5 4 5 . JEHAN ALLEFONSCE n 'a fait que s 'approprier ,

avec ses er reurs énormes , le texte suivant de la Suma de geographia de MARTIN FERNÃDEZ D E ENCISO, impr imée à S é v i l l e en 1 5 1 9 :

« Esta maranõ al Oeste en siete grados y medio . es grade rio q t iene mas de qhze leguas de ancho Desde este rio M a r a n õ fasta el r i o a q dizen la Mar dulce ay veynte e cinco leguas , este rio t iene sesenta leguas de ancho enla boca y t rae tãta agua que entra mas de veynte leguas enla mar q no se bue lue con la salada. ent ra veinte e cinco léguas enla t ierra esta anchura y despues se aparta en dos par tes ,

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( 4 2 4 ) 1 5 E L E C T U R E § § 1 5 4 6 - 1 5 4 8

la vna va al sues te , e la otra al Sudues te . la que va al sudues te es m u y hondab le e de m u c h a agua : e t i ene media l egua de ancho que vna carraca puede yr por el arriba y v iene ta furioso que las naos ha m e n e s t e r b u e n a s amar ra s . Esta r ibera des te rio es l lana q fasta c incuenta leguas que hã entrado por el no han visto n i n g u n a s s ie r ras , los indios que b iuen enes t a t ier ra t i enen los labrios dela boca horadados por qua t ro par tes , y t r a en çarcil los colga­dos dellos e delas orejas , e preguntandoles que adonde auian el oro dezian que yendo por el rio ar r iba tan tos soles que auia v n a s s ierras adonde auia mucho dello y que de alla lo trayã ellos quãdo lo queríã »

1 5 4 6 . JEHAN ALLEFONSCE ajoute b ien à ENCISO u n d é ­tail .

Mais c'est celui-ci : 1547. « Ceste Riviere [de Mareignan] de scend d 'un

g rand lac qui est a u d e d a n s de la te r re du B r é s i l a p lus de trois cens l ieues de la m e r qui a qua ran te ou c inquan te l ieues de longi tude et de la t i tude . Et de luy descend u n e aul t re r iviere laquel le Riviere s 'en va à l ' aus t re midy et va descendre en la m e r Océane pa r les t ren te et cinq degrez de la hau l teur du polie an ta r t ique et s 'appella la R i v i e r e d e P r a t e qui est appel lée la R i v i e r e d ' a r g e n . Et tou tes

deux font de tout le B r é s i l u n e isle et peul t passe r navi re de l 'une à l 'autre en t re la te r re du B r é s i l et la te r re du P é r o u et pa r elles ont passé deux nav i r e s de mon temps, l 'un qui estoit nav i re d ' E s p a i g n e en t r a p a r l a R i v i e r e d e M a r a g n a n , et l ' aut re qui estoit de P o r t u g a l ent ra par la R i v i e r e d ' a r g e n t , et tous deux en t r e r en t en ce g rand lac que j ' a y dict . » ! ! !

1 5 4 8 . Et JEHAN ALLEFONSCE a osé dédier son œ u v r e à son Roi.

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§§ 1549-1555 1 5 E L E C T U R E ( 425 )

Fréquentation française de l'Amazone en 1583.

1549. Pour le coup, ceci est vrai . 1550. Car RALEGH, dans sa publicat ion de 1596, réim­

pr imée par HAKLUYT en 1600, rapporte qu 'au mois de sep ­tembre 1584, r en t ran t à F a l m o u t h de son premier voyage en V i r g i n i e , il par la au capitaine d 'un navi re français arrivé de l ' A m a z o n e : que dans cette m ê m e année , il se trouvait à H e l f o r d u n autre navire français, r evenu éga­lement de l ' A m a z o n e , après y avoir été à l 'ancre pendant quatorze mois : et que ces deux navires é ta ient r ichement chargés .

1551. Mais il ne faut pas en conclure , avec M. D ' A V E -

Z A C , que « les F r a n ç a i s avaient dès longtemps précédé les P o r t u g a i s dans l ' A m a z o n e . »

1552. Car il est également avéré que les P o r t u g a i s fréquentaient l ' A m a z o n e bien avant 1583.

1553. Dans u n e lettre datée de S é v i l l e le 9mai 1544, pendan t qu'il se préparait à re tourner à l ' A m a z o n e , OREL-

L A N A écrivait à l ' empereur CHARLES-QUINT « qu'il voulait engager des pilotes portugais, parce qu'ils étaient les seuls qui connaissaient bien le pays , à cause qu'ils y naviguaient continuellement. »

1554. Et l ' intrusion des F r a n ç a i s n 'avait pas l ieu sur la rive guyanaise de l ' A m a z o n e , mais bien sur la rive du Pará, qu 'on n 'a point la pré tent ion de contes ter au B r é s i l .

1555. Car RALEGH assurait , en 1596, que les F r a n ç a i s ret iraient de l ' A m a z o n e beaucoup d'or. Et le Père ACUÑA,

dans son paragraphe 81 , transcri t par M. D'AVEZAC lu i -m ê m e , déclarait en 1641 que du « temps que les F r a n ­ç a i s fréquentaient le T o c a n t i n s [qui est le grand affluent

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( 4 2 6 ) 1 3 E L E C T U R E § 1 5 5 6

de la b r anche du Pará] ils en leva ien t la t e r r e des bords de cette r iv ière , et en cha rgea ien t l eurs nav i res , pour venir la t ra i te r dans l eu r pays et l ' enr ichir . »

1 5 5 6 . Mais le Père ACUÑA se t rompe q u a n d il ajoute que les r i chesses du T o c a n t i n s n ' é ta ien t connues que des F r a n ç a i s ; car en 1 6 4 0 , dans l 'atlas por tuga is de T E I X E I R A , le T o c a n t i n s se t rouve s ignalé sous le n o m de Rio da prata, R i v i è r e d ' a r g e n t .

Page 203: L'Oyapoc et l'Amazone : question brésilienne et française. Tome premier

§§ 1557-1562 15 e L E C T U R E ( 427 )

Brest amazonien.

1557. Dans son texte latin de 1633, JEAN D E L A E T

ajouta le passage suivant à la description qu'i l avait donnée de la b ranche guyanaise de l ' A m a z o n e dans les textes hollandais de 1625 et 1630 : « A d o r a m porro Cont inent i s . . . sequitur Callepoke & mox Insula quse ab amne ambitur qui ab occidente illabitur in m a g n u m flumen, & appellatur Brest; & paulo ul t ra Taurege elix sive to r rens , cui intra Cont inentem assidet pagus Taurege; sequi tur deinceps ad eamdem r ipam Okiarii amnis . »

1558. Et cette addition fut ainsi répétée en français dans le texte de 1640 : « Plus outre à la coste de la Conti­nen te . . . es t Callepoke, & peu après vne Isle laquelle est ceinte d 'vne r iuiere qui descend dans la g rande de deuers l 'Ouest, & est appellee Brest; & vn peu plus outre le torrent de Taurege, sur lequel est situé au dedans de la ter re ferme le village de Taurege; suit après la mesme riue la r iuiere d'Okiari. »

1559. Mais ni en 1633 ni en 1640, pas plus qu 'en 1625 et 1630, JEAN D E LAET n ' inscrivi t sur ses cartes le nom de Brest.

1560. Il représenta seu lement , sur la carte de Gua-iana, les r ivières Callepoca, Malepoca, Taurege,

Oequaiari, — la première sous la l igne, la dernière à moins de 30 minu tes Sud.

1561. Le premier , à ma connaissance, qui ait in t ro­duit dans u n e carte le Brest amazonien, ce fut P I E R R E D U

VAL D 'ABBEVILLE, géographe du Roi, dans sa carte de La

Guaiane, gravée à P a r i s en 1654. 1562. Lisant dans le texte de JEAN D E LAET que Brest

se trouvait entre les rivières C a l l e p o k e et T a u r e g e , et

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( 428 ) 15 e L E C T U R E §§ 1563-1569

1569. Ile ou r iv ière , le B r e s t a m a z o n i e n serait in-

voyant sur la carte du m ê m e au teur , en t r e les r ivières C a l l e p o c a et T a u r e g e , u n e r iv ière Malepoca, dont le texte ne parlai t po in t : il en conclut que cette r ivière M a l e p o c a n 'é ta i t au t re chose que B r e s t , et il inscrivit dans sa car te , sous l ' équateur , Brest R. ou Mallepoca.

1563. La par t ie essent ie l le de cet te in te rpré ta t ion fut adoptée en 1656 pa r NICOLAS SANSON D ' A B B E V I L L E , dans sa carte de Guiane et Caribane. Il figura p rè s de l ' équateur , u n peu p lus au Sud que DUVAL, u n e g r a n d e r ivière coulant d 'Ouest à l 'Est dans le con t inen t de la G u i a n e , et por tant ce n o m — Mallepoco Rio als [alias] Brest.

1564. Et en 1679, GUILLAUME SANSON D ' A B B E V I L L E

reproduis i t f idèlement les indicat ions de son i l lustre pè re . 1565. M. D E S A I N T - Q U A N T I N , dans son travail de 1851,

a d o n n é u n extrait de la carte de GUILLAUME SANSON, et il n ' a pas m a n q u é de faire ressor t i r que « On y r e m a r q u e u n affluent impor t an t de l ' A m a z o n e qui porte le n o m de Rivière de Brest. »

1566. Mais, n ' a y a n t pas conna i ssance du l ivre de JEAN

D E L A E T , et se rég lan t u n i q u e m e n t sur l ' é t endue a t t r ibuée pa r SANSON à ce cours d 'eau, l 'honorable écrivain se d e m a n d e si ce n e serai t pas le Yari, t andis que D E LAET

fait e n t e n d r e b ien c la i rement que B r e s t est au Nord de la r ivière de Cayari, qui est e l l e -même au Nord de celle de Yari, s i tuée par 1° 14' Sud.

1567. M. D 'AVEZAC ma in t i en t à sa vér i table place, par la la t i tude de dix m i n u t e s Sud, la rivière de Brest de GUILLAUME SANSON, et il p e n s e que c'était l ' A n a u i r a p u c ú de D ' A N V I L L E .

1568. Mais, i n t e rp ré t an t le texte de JEAN D E LAET

d 'une man iè r e tou te nouve l l e , l 'honorable cr i t ique sout ient q u e le n o m de B r e s t appar tena i t p r imi t ivemen t à « une île de l ' A m a z o n e , au confluent de l ' A n a u i r a p u c ù . »

Page 205: L'Oyapoc et l'Amazone : question brésilienne et française. Tome premier

§ § 1 5 7 0 - 1 5 7 8 1 5 E L E C T U R E ( 4 2 9 )

contes tablement « u n souvenir filial de la B r e t a g n e », comme l 'assure M . D 'AVEZAC, — s'il était permis de lui supposer une origine française.

1 5 7 0 . Mais le chapitre dans lequel JEAN D E LAET p ro ­nonce le nom de B r e s t , porte ce titre-ci : « Description de la grande r iuiere des A m a z o n e s selon les obseruat ions des Anglois et des Belges », ne faisant aucune ment ion des F r a n ç a i s , et met tan t en première l igne les Anglais.

1 5 7 1 . Dans ce m ê m e chapi t re , la rivière Ocayari se t rouve écrite Okiari, qui est év idemment u n e or thographe anglaise.

1 5 7 2 . Les A n g l a i s occupèrent la b ranche guyanaise de l ' A m a z o n e depuis le mois de ju in 1 6 2 0 jusqu ' au mois de juil let 1 6 3 2 (§§ 4 4 - 5 2 ) ; et c'est p réc isément en 1 6 3 3 que JEAN D E L A E T , décr ivant l ' A m a z o n e selon les A n g l a i s , se mont re informé du nom de Brest, qu'il ignorait encore en 1 6 3 0 , quand il ne faisait sa description que d 'après les H o l l a n d a i s .

1 5 7 3 . Or ce nom de Brest est anglais . 1 5 7 4 . Ouvrons les dict ionnaires anglais . 1 5 7 5 . Nous y t rouvons que Brest était l ' ancienne

or thographe de Breast, or thographe qui persis te encore dans u n certain sens du mot .

1 5 7 6 . Le nom anglais Brest, comme aujourd 'hui Breast, signifiait sein, au propre et au figuré.

1 5 7 7 . Ce furent les A n g l a i s , sans doute , qui don­nè ren t à la mei l leure rade de F r a n c e le nom de Brest; car sur le p lan du port et de la ville de B r e s t publ ié en 1 8 5 5 par M. MAGADO, on voit que la rivière qui divise cette ville en deux par t ies , porte le vieux nom anglais de P e n -f e l d , champ clos.

1 5 7 8 . Le texte de JEAN D E L A E T , soit en latin, soit en français, se prê te parfai tement à la signification anglaise du mot Brest. « Insula quae ab amne ambitur qui ab occi­dente il labitur in m a g n u m flumen, & appellatur Brest. »

Page 206: L'Oyapoc et l'Amazone : question brésilienne et française. Tome premier

( 4 3 0 ) 1 5 E L E C T U R E § § 1 5 7 9 - 1 5 8 5

« Vne Isle laquel le es t ce in te d 'vne r iu ie re qui descend dans la g r a n d e de d e u e r s l ' O u e s t , & est appel lee Brest. »

1 5 7 9 . En adme t t an t , avec M. D ' A V E Z A C , que la ph ra se finale puisse se rappor te r à île, il est i ncon te s t ab le que , soit dans u n tex te , soit dans l ' au t re , elle p e u t se rappor te r é g a l e m e n t , et beaucoup mieux , à rivière, comme l 'ont e n t e n d u les trois géographes d ' A b b e v i l l e .

1 5 8 0 . Or les A n g l a i s , qui ont c o m m u n i q u é à D E LAET

les informat ions qu ' i l nous a t r a n s m i s e s , d o n n a i e n t au mot rivière l ' ex tens ion que n o u s avons déjà r e m a r q u é e chez les P o r t u g a i s , chez les E s p a g n o l s et chez les F r a n ç a i s .

1 5 8 1 . Car L A U R E N T KEYMIS , en 1 5 9 6 et ROBERT H A R -

C O U R T , en 1 6 1 1 , appl iquaient à l ' A r a p o c o le n o m de r ivière (river), tout en r econna i s san t expressément que c'était une b r a n c h e de l ' A m a z o n e , ou plutôt la por t ion septent r ionale de la b r a n c h e occ identa le .

1 5 8 2 . Et J E A N D E L A E T l u i - m ê m e , dans ce m ê m e chapi t re où il par le de B r e s t , avait déjà dit : « Ceux de nos t re na t ion . . . . m a r q u e n t u n canal ou pe t i te r iv ière qu' i ls n o m m e n t Tockes Kille »; ce qui ind ique bien c la i rement que lque por t ion t rès é t roi te de la b ranche occidentale de l ' A m a z o n e , p u i s q u ' e n hol landa is togt signifie vent coulis et kil signifie canal.

1 5 8 3 . Et pourquo i JEAN D E L A E T , décr ivant l ' A m a ­z o n e , tout émail lée d' î les i m m e n s e s , aurai t - i l attiré l ' a t ten­t ion de ses l ec teurs s u r u n e île insignif iante, cachée dans les replis d 'un affluent du grand fleuve?

1 5 8 4 . Dans ce m ê m e parage où M. D 'AVEZAC appl ique le n o m de B r e s t à u n peti t affluent de l ' A m a z o n e et à u n e pet i te île de son delta , il existe que lque chose d 'admi­rable , qui a dû frapper néces sa i r emen t les A n g l a i s et mér i t e r de leur par t le n o m distinctif de Brest.

1 5 8 5 . On le voit assez sur la seconde carte de M. D 'AVEZAC l u i -même , malgré ses pet i tes d i m e n s i o n s ;

Page 207: L'Oyapoc et l'Amazone : question brésilienne et française. Tome premier

§§ 1586-1590 15 e L E C T U R E ( 431 )

mais on l 'apprécie beaucoup mieux sur les belles cartes

de M. D E MONTRAVEL.

1 5 8 6 . C 'est , u n peu au Sud de Macapá, dans cette

branche occidentale de l ' A m a z o n e que MM. L E SERREC et

ÉMILLE CARREY déclarent être la clef de l ' A m é r i q u e

M é r i d i o n a l e , u n e rade magnifique, de vingt-six milles

mar ins de long sur huit de large, close par des î les , dont

la principale porte le nom d'île du Pará et doit être celle

que D E LAET d i s t ingue .

1 5 8 7 . Dans u n complément du Pilote du Brésil,

M. D E MONTRAVEL nous apprend que cette port ion de

l ' A m a z o n e est celle qu'un grand navire devra suivre de

préférence.

1 5 8 8 . Et les A n g l a i s sent i rent b ien l ' importance de

cette posi t ion.

1 5 8 9 . Le fort anglais de Cumaù défendait l 'entrée

septentr ionale de la rade de B r e s t ; le fort anglais de

Taurege, l ' entrée mér id ionale ; le fort anglais de Phi-

lippe, le centre m ê m e de la rade .

1 5 9 0 . Le Brest amazonien n 'es t donc pas u n sou­

venir bre ton, mais br i tannique .

Page 208: L'Oyapoc et l'Amazone : question brésilienne et française. Tome premier

( 4 3 2 ) 1 5 E L E C T U R E § § 1 5 9 1 - 1 5 9 4

Concessions de l'Amazone par les Rois de France.

1 5 9 1 . H E N R I IV, par l e t t r e s -pa ten tes du mois de jui l le t 1 6 0 5 , cons t i tua le s ieur de la RAVARDIÈRE DANIEL

D E L A TOUCHE son l i eu t enan t généra l « ès cont rées de l ' A m é r i q u e depuis la r ivière des A m a z o n e s j u s q u e s à l ' i s l e d e l a T r i n i t é . »

1 5 9 2 . Louis XIII, le 2 7 novembre 1 6 2 4 , cons t i tua dans la m ê m e forme les S I E U R S D E L A RAVARDIÈRE et D E L O U -

D R I È R E S ses l i eu t enan t s g é n é r a u x « ès pays de l ' A m é r i q u e depuis la r iv ière des A m a z o n e s j u s q u e s à l ' i s l e d e la T r i n i t é »; et le 2 6 mai 1 6 4 0 , il concéda à JACOB BONTEMPS

et ses associés « la T e r r e F e r m e d u C a p d e N o r d en l ' A m é r i q u e , depuis la R i u i e r e d e s A m a z o n e s , icelle compr ise , i u sques à la R i u i e r e d ' O r e n o q u e , icelle pare i l ­l emen t compr i se . »

1 5 9 3 . Louis XIV, au mois de sep tembre 1 6 5 1 , accorda aux s ieurs D E MARIVAULT et D E ROYVILLE et leurs associés « les te r res et r ivières c o n t e n u e s d a n s l 'enclos des bornes et l imites por tées par la concess ion du 2 6 mai 1 6 4 0 » : au mois de jui l le t 1 6 5 5 , il cons t i tua le D U C D 'AMPVILLE en la digni té et t i t re de Vice-Roi, r ep r é sen t an t sa p e r s o n n e , dans toute la G u y a n e et dans les t e r r e s « qui déborden t de par t et d 'au t re les R i v i è r e s d e s A m a z o n e s et O r é n o c » : en octobre 1 6 6 3 , il concéda à u n e nouve l l e compagnie la totali té de la G u y a n e , depuis l ' A m a z o n e jusqu ' à l ' O r é -n o q u e : le 2 8 mai 1 6 6 4 , il créa la compagnie généra le des Indes occ identa les , en lui concédan t , en t r e b ien d 'au t res terr i to i res , la total i té de la G u y a n e , « depuis la R i v i è r e d e s A m a z o n e s j u s q u ' à celle d ' O r e n o q u e . »

1 5 9 4 . Tout cela est au then t ique , v ra imen t .

Page 209: L'Oyapoc et l'Amazone : question brésilienne et française. Tome premier

§ § 1 5 9 5 - 1 6 0 1 15 E L E C T U R E ( 4 3 3 )

1 5 9 5 . Mais nous y avons déjà répondu dans nos deux premières lec tures (§§ 8 6 - 9 9 , 1 0 6 - 1 0 7 , 1 6 3 - 1 6 5 ) .

1 5 9 6 . Et nous renforcerons main tenant notre réponse par deux nouvel les considérat ions.

Première considération.

1 5 9 7 . Ce n 'é ta ient pas les rois de F r a n c e seulement qui s 'arrogeaient le droit de disposer de la G u y a n e .

1 5 9 8 . Le 2 5 mars 1 5 8 4 , vingt et u n ans avant les pre­mières le t t res -pa tentes françaises, la reine ELISABETH

D ' A N G L E T E R R E avait- concédé à W A L T E R RALEGH et à ses descendants toutes les te r res non habi tées par des c h r é ­t iens dont il s 'emparerai t .

1 5 9 9 . Ce fut en ver tu de cet octroi que RALEGH,

n 'ayant pas t rouvé de l 'or dans ses quatre voyages à la V i r g i n i e , en 1 5 8 4 , 8 5 , 8 6 et 9 0 , s 'élança en 1 5 9 5 sur la G u y a n e , attiré par la r enommée naissante du fabuleux El-Dorado, et fit faire en 1 5 9 6 et 1 5 9 7 , par LAURENCE

KEYMIS et par LÉONARD BERRIE, deux autres explorations du littoral guyanais .

1 6 0 0 . Le 2 2 mai 1 6 0 4 , treize mois avant les premières let tres-patentes françaises, CHARLES LEIGH pri t possession de la rive gauche de l ' O y a p o c au nom du roi d ' A n g l e ­t e r r e , et établit à l ' embouchure du fleuve, au mont L u c a s , appelé par les indigènes Caribote, u n e colonie anglaise de soixante-seize h o m m e s , qui dura ju squ ' au 3 1 mai 1 6 0 6 . De sorte que , lorsque H E N R I IV concéda à LA RAVARDIÈRE,

en juil let 1 6 0 5 , toute la G u y a n e , la rive gauche de l 'Oya­p o c était occupée par l ' A n g l e t e r r e .

1 6 0 1 . Du 1 7 mai 1 6 0 8 à la fin d'août 1 6 1 1 , la rive gauche de l ' O y a p o c fut occupée par u n e seconde colonie anglaise, composée de soixante hommes aux ordres de ROBERT HARCOURT, et établie, comme la première , au mon t

28

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( 4 3 4 ) 1 5 E L E C T U R E § § 1 6 0 2 - 1 6 0 3

L u c a s . Voulant r e n o u v e l e r avec p lus de so lenni té la céré­mon ie déjà faite par son p rédécesseu r , — HARCOURT,

accompagné de tous ses A n g l a i s et de tous les I n d i e n s de l ' endroi t , se rend i t , le 1 4 août 1 6 0 8 , à la poin te N . - O . de la ba ie d ' O y a p o c , n o m m é e au jourd 'hu i Montagne d'Argent, ma i s c o n n u e p e n d a n t l ong temps sous le n o m ind igène de Comaribo. Il commença par y p r e n d r e posses­sion, pour l ' A n g l e t e r r e , « de tout le con t inen t de la G u y a n e gisant en t r e le fleuve des A m a z o n e s et celui de l ' O r é n o q u e . » Pu i s , faisant avancer u n I n d i e n bapt isé sous le n o m d 'ANTHONY CANABRE, qu ' i l avait a m e n é avec lui , et qui avait habi té l ' A n g l e t e r r e p e n d a n t quatorze ans , il lui fit dona t ion perpé tue l le de la m o n t a g n e C o m a r i b o , pou r qu ' i l en jou î t en tou te propr ié té , lui et ses hér i t i e rs , à ces deux condi t ions : qu ' i ls se r econna î t r a i en t sujets de S . M . L E R O I JACQUES I E R et de tous ses hoirs et succes ­seu r s , et qu ' i l s paye ra i en t a n n u e l l e m e n t à la cou ronne b r i t a n n i q u e , si on l 'exigeait , la d îme de tout le tabac, coton, indigo et au t res p roduc t ions que la m o n t a g n e pour­rai t fourni r .

1 6 0 2 . En t r e les a n n é e s 1 6 0 8 et 1 6 1 3 , le m ê m e ROBERT

HARCOURT « obt int du roi d ' A n g l e t e r r e des le t t res-patentes por tan t au tor i sa t ion de m e t t r e en cu l tu re et de peup le r la par t ie du con t inen t amér ica in s i tuée en t r e le fleuve des A m a z o n e s et l ' E s s e q u i b o . » Et ce fut en ve r tu de cet octroi que les A n g l a i s s 'é tabl i rent sur la r ive gauche du del ta de l ' A m a z o n e depuis 1 6 2 0 j u s q u ' e n 1 6 3 2 . De sorte que , à la date des secondes l e t t r e s -pa ten tes françaises , s ignées par Louis X I I I le 2 7 n o v e m b r e 1 6 2 4 , et concédant à LA RAVARDIÈRE et à LOUDRIÈRES la totalité de la G u y a n e depuis l ' A m a z o n e j u s q u ' à la T r i n i t é , la r ive gauche de l ' A m a z o n e se t rouvai t occupée pa r l ' A n g l e t e r r e .

1 6 0 3 . Le 3 j u i n 1 6 2 1 , dans l 'édit de créat ion de la compagnie hol landaise des I n d e s o c c i d e n t a l e s , les États-Généraux accordèren t à cet te compagnie le pr ivi lège de

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§ § 1 6 0 4 - 1 6 0 6 1 5 E L E C T U R E ( 4 3 5 )

faire des établ issements sur les côtes non habitées de l ' A m é r i q u e , depuis l 'extrémité méridionale de T e r r e -N e u v e jusqu 'au détroit de L e m a i r e , ce qui comprenai t la G u y a n e . En vertu de ce privilége, la chambre de Z é l a n d e , de la compagnie des I n d e s o c c i d e n t a l e s , conclut u n contrat avec CLAUDE PREVO, le 9 décembre 1 6 2 6 ,

pour la colonisation du lit toral guyana i s ; et par suite de ce contrat , JAN V A N RYEN mouil la dans l ' O y a p o c le 5 mars 1 6 2 7 avec cent onze colons, et fonda un établ issement hol­landais sur la r ive gauche de ce fleuve, au m ê m e endroit où les F r a n ç a i s é levèrent u n siècle p lus tard le f o r t S a i n t - L o u i s .

1 6 0 4 . La compagnie des I n d e s o c c i d e n t a l e s ayant été dissoute en 1 6 7 4 , les États de H o l l a n d e et F r i s e occ i ­d e n t a l e ar rê tèrent , le 2 0 juil let 1 6 7 5 , de faire coloniser pour leur compte la rive gauche de l ' O y a p o c . Et en ver tu de cette résolut ion, trois cent c inquante H o l l a n d a i s , commandés par APRICIUS, moui l lèrent dans le fleuve du Cap d ' O r a n g e le 4 mars 1 6 7 7 , et fondèrent , sur le même emplacement de 1 6 2 7 , la ville fortifiée d'Orange, dont le plan nous a été donné en 1 6 7 9 par GERARDUS D E MIJST

(§ 1 0 3 ) .

1 6 0 5 . Encore le 7 janvier 1 6 8 9 , quand les P o r t u g a i s , avaient déjà sur la r ive guyanaise du del ta de l ' A m a z o n e les forts de M a c a p à et d ' A r a g u a r i , les États-Généraux des P r o v i n c e s - U n i e s d e s P a y s - B a s concédèrent à JAN R E E P S et ses associés le privilége de coloniser la part ie méridionale de la G u y a n e , depuis la rive occidentale de l ' A m a z o n e j u s q u ' a u Cap d ' O r a n g e . Mais cette fois la concession res ta sans effet, par suite , probablement , des représentat ions qu 'a dû faire l 'agent de P o r t u g a l J E R O ­

N I M O NUNES D A COSTA.

1 6 0 6 . En dir igeant sur la G u y a n e l 'activité de leurs sujets, les rois de F r a n c e faisaient donc comme les rois d ' A n g l e t e r r e et comme les États-Généraux des P a y s - B a s .

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( 436 ) 15 e L E C T U R E §§ 1607-1610

1607. Ils voula ien t tout b o n n e m e n t avoir l e u r par t aux

dépoui l les de l ' E s p a g n e , en se c réan t , par la conquê te ,

u n droit de possess ion .

Seconde considération.

1608. L 'ambi t ion des l e t t r e s -pa ten tes des rois de F r a n c e est c o n d a m n é e de la man iè re la p lus explicite par u n e g rande autor i té cayenna i se .

1609. C'est l ' A l m a n a c k de la Guyane Française, pour l 'An de Grace M. DCCC. XXII. C a y e n n e , De l ' Impr imer ie du Roi. »

1610. A la page 66 de cet te publ ica t ion officielle, dans u n art icle in t i tu lé : « Notes h i s tor iques des Etab l i ssements en t repr i s à C a y e n n e par les F r a n ç a i s », on lit en beaux carac tè res le passage su ivant :

« Il se forma u n e compagnie avec des le t t res pa ten tes de Louis XIII, qui dés igna ien t les b o r n e s de la Colonie, en t re l ' A m a z o n e et l ' O r é n o q u e ; ce qui p rouve que la cour n e connaissa i t pas b ien ses droits de propr ié té dans ces vas tes con t r ée s . »

Page 213: L'Oyapoc et l'Amazone : question brésilienne et française. Tome premier

§§ 1611-1618 1 5 E L E C T U R E ( 4 3 7 )

Démarcation de Tordesillas.

1 6 1 1 . Un des chapitres les plus in téressants du beau travail de M. D'AVEZAC c'est celui où il discute la vér i table position de la l igne stipulée à T o r d e s i l l a s le 7 ju in 1 4 9 4 .

1 6 1 2 . Le savant cri t ique conclut que « dans les condi­t ions actuelles de la science, la véri table solution du p ro ­blème si longtemps agité » est que « les 3 7 0 l ieues du traité de T o r d e s i l l a s équivalent à 2 0 ° 3 6 ' , ce qui déter­mine le mér id ien de démarcat ion par 4 8 ° 2 1 ' à l 'Ouest de P a r i s , c 'est-à-dire à c inquante l ieues dans l 'Est de Pará, entre G u r u p y et le T u r y u a ç u . »

1 6 1 3 . Ce résultat a été combattu par M. D E VARNHA-

G E N v ic tor ieusement .

1 6 1 4 . Mais, à notre point de v u e , il nous suffît de

cette autre réponse .

1 6 1 5 . Les choses ne se réglaient pas au seizième siècle par les condit ions actuelles de la science.

1 6 1 6 . Or, depuis la découverte de l ' A m a z o n e , alors appelé Maragnon, le P o r t u g a l soutenait que le trai té de T o r d e s i l l a s lui avait adjugé à l 'avance les deux bords de l ' embouchure du grand fleuve.

1 6 1 7 . En 1 5 2 4 , au congrès cosmographique de B a d a -j o z et E l v a s , réuni tout exprès pour in te rpré te r le traité

de T o r d e s i l l a s , « les Procureurs de P o r t u g a l firent leurs Cartes en posant la ligne de partage vers la partie Occidentale qui passe par la bouche de la riviere M a r a ñ o n , & laissant toute la bouche à la part ie Orientale. »

1 6 1 8 . C'est u n fait rapporté par l 'his torien espagnol HERRERA, dans sa troisième décade, impr imée à M a d r i d

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( 4 3 8 ) 1 5 E L E C T U R E § § 1 6 1 9 - 1 6 2 7

en 1 6 0 1 , et t radui te en français en 1 6 7 1 par NICOLAS D E

L A COSTE.

1 6 1 9 . Il est vrai q u ' H E R R E R A , éga ré par le double sens du n o m espagnol Maranon et du n o m por tuga is Ma-ranhâo, p r end pour le M a r a n o n de 1 5 2 4 la baie actuelle de M a r a n h â o .

1 6 2 0 . Et M. D 'AVEZAC s 'autor ise du texte d 'Exciso t ranscr i t dans cet te l ec ture (§ 1 5 4 5 ) , pou r souteni r que déjà en 1 5 1 9 les E s p a g n o l s en t enda ien t par M a r a n o n le M a r a n h ã o ac tue l .

1 6 2 1 . Mais l ' in te rpré ta t ion d'ENCiso pa r M. D 'AVEZAC

se t rouve c o n d a m n é e depu is p lus de deux siècles et demi . 1 6 2 2 . Car le docte HAKLUYT, t ome III, page 6 9 9 , don­

n a n t , en 1 6 0 0 , la t raduc t ion angla ise du texte d'ENCiso, la fait p r écéde r de ce t i t re : « A shor t descr ipt ion of the r iuer of Marannon or A m a z o n e s », — Briève descr ipt ion de la r ivière de M a r a g n o n ou A m a z o n e s .

1 6 2 3 . Et il est incontes tab le qu ' en 1 5 2 4 les cosmo­graphes de B a d a j o z et E l v a s e n t e n d a i e n t pa r M a r a n o n l ' A m a z o n e ac tue l le , avec son bord guyana i s .

1 6 2 4 . Nous en avons la p r e u v e dans l ' admirable m a p ­p e m o n d e de DIOGO R I B E I R O , cons t ru i te en 1 5 2 9 .

1 6 2 5 . OVIEDO nous app rend que RIBEIRO était Portu­

gais de nation, au service de C H A R L E S - Q U I N T .

1 6 2 6 . Nous savons pa r NAVARRETE qu ' i l avait été n o m m é le 1 0 jui l le t 1 5 2 3 , cosmographe et i ngén i eu r d ' in­s t r u m e n t s de naviga t ion de l 'Empereur .

1 6 2 7 . Et ALEXANDRE D E HUMBOLDT, Examen critique,

tome III, page 1 8 4 , s 'expr ime sur son compte en ces t e rmes : « DIEGO R I B E R O . . . n ' e s t poin t allé en A m é r i q u e , mais appelé avec le second fils de l 'Amiral , FERDINAND

COLOMB, avec SÉBASTIEN CABOT et JEAN V E S P U C E , n e v e u d'AMÉRic, au célèbre congrès du P o n t d e C a y a , en t re Y e l v e s et B a d a j o z , pou r d iscuter sur l 'application des degrés de longi tude q u i deva ien t l imi ter les découver tes

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§ § 1 6 2 8 - 1 6 3 1 1 5 E L E C T U R E ( 439 )

espagnoles et por tugaises , il avait à sa disposition, par la na ture de son emploi, tous les matériaux que renfermait le grand et bel établ issement de la Casa de contractation, fondée à S é v i l l e en 1 5 0 3 , et le dépôt des cartes du Piloto mayor, chargé depuis 1 5 0 8 d 'é tendre et rectifier d 'année en année le Padron Real, c'est-à-dire le recueil de posit ions « des ter res fermes et îles u l t ra -mar ines . » La mappemonde de DIEGO RIBERO, construite en 1 5 2 9 , et conservée aujour­d 'hui dans la bibl iothèque publ ique de W e i m a r , prouve combien les matér iaux que j ' i nd ique ont été nombreux et impor tants . La part ie des A n t i l l e s , du M e x i q u e et des côtes septentr ionales et orientales de l ' A m é r i q u e d u S u d ressemblent , pour la configuration généra le , sans en excepter m ê m e le littoral de la mer du Sud, des 12° N. aux 10" S. te l lement à nos cartes modernes , qu 'on est émer ­veillé des progrès qu'avait faits la géographie depuis la fin du quinzième siècle. »

1 6 2 8 . RIBEIRO réunissai t donc toutes les conditions désirables pour savoir au jus t e ce que c'était que le M a r a -g n o n des E s p a g n o l s et des P o r t u g a i s au congrès de 1 5 2 4 .

1 6 2 9 . Eh bien, dans sa mappemonde de 1 5 2 9 , RIBEIRO

présen te sous le nom de M a r a n o n l ' A m a z o n e ; et, qui plus est, en loyal P o r t u g a i s , i l fait passer à l 'Ouest de la pointe guyanaise de l ' A m a z o n e le méridien de T o r d e ­s i l l a s .

1 6 3 0 . Ne tenant compte que de la lat i tude trop mér i ­dionale du M a r a ñ o n de RIBEIRO, M. D'AVEZAC veut que ce soit le M a r a n h ã o actuel e t nu l l emen t l ' A m a z o n e .

1 6 3 1 . Mais d'abord, si la lat i tude de M a r a ñ o n de R I ­B E I R O est trop méridionale pour l ' A m a z o n e , elle est trop septentr ionale pour la baie de M a r a n h ã o , car ce cosmo­graphe situe la pointe orientale du M a r a ñ o n à 1° 4 0 ' Sud, et la pointe occidentale à 1 ° j u s t e ; tandis que la pointe

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( 4 4 0 ) 1 5 E L E C T U R E § § 1 6 3 2 - 1 6 3 9

or ienta le de la baie de Maranhão ( M o r r o A l e g r e ) est à 2 ° 2 0 ' 2 7 " , e t la po in te occidentale ( M o r r o I t a c o l o m i ) à 2 ° 9 ' 1 4 " .

1 6 3 2 . E t q u a n d b ien m ê m e les la t i tudes ass ignées par RiBEiRO aux deux poin tes du M a r a ñ o n aura ien t été aussi mér id iona les que celles de la baie de Maranhão, cela n 'au­tor iserai t pas à conclure q u e ce n 'es t pas in ten t ionne l l e ­m e n t l ' A m a z o n e .

1633. Car e n 1 5 4 5 , seize ans après R IBEIRO, le cos­mographe espagnol M E D I N A , dans sa Carta de navegar,

figurait la po in te occidentale de R. de las Amazonas par T R O I S degrés Sud, et la po in te or ienta le par Q U A T R E degrés .

1 6 3 4 . Les la t i tudes du x v i e siècle ne p e u v e n t r ien contre u n e m a r q u e impr imée pa r RIBEIRO à son M a r a ñ o n .

1 6 3 5 . Ce sont les mo t s Costa de paricura inscr i t s à la pointe occidentale de ce fleuve.

1 6 3 6 . Cette m a r q u e caractér ise la g rande découver te de VINCENT PINÇON aussi d i s t inc tement qu 'aura i t pu le faire le n o m d ' A m a z o n e .

1 6 3 7 . Car VINCENT PINÇON lu i -même, dans sa dépo­sition du 2 1 mars 1 5 1 3 , publ iée pa r NAVARRETE, t ome III, p . 5 4 7 , place la province de Paricura imméd ia t emen t au Nord-Ouest de la Mer douce, c 'est-à-dire de l ' A m a z o n e .

1 6 3 8 . MANUEL D E VALDOVINOS, compagnon de VINCENT

PINÇON, dans sa déposi t ion du 19 sep tembre 1 5 1 5 , publ iée éga l emen t par NAVARRETE, page 5 5 2 , d o n n e m ê m e le n o m de Paricura comme celui que VINCENT PINÇON aurai t imposé à l ' A m a z o n e .

1 6 3 9 . Et M . D 'AVEZAC lu i -même dit à la page 1 6 3 de son travail de 1 8 5 7 : « Le n o m de Paricura figure déjà comme dénomina t ion de pays dans la déposi t ion de PINÇON,

aussi b ien que dans le texte de P I E R R E MARTYR avec la forme Paricara, et s'il nous fallait abso lumen t lui t rouver u n e synonymie ac tuel le , nous préférer ions y reconnaî t re s implemen t le n o m des I n d i e n s Palicours, habi tan ts de

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§ § 1 6 4 0 - 1 6 4 4 1 5 E L E C T U R E ( 4 4 1 )

cette région sur les marges orientales de la G u y a n e , en

ces terres noyées auxquelles se rapporte en effet l ' indi­

cation de PINÇON. »

1 6 4 0 . Et DIOGO RIBEIRO n 'es t ni le premier ni le der­

nier qui ait appliqué à l ' A m a z o n e le nom de Maragnon.

1 6 4 1 . La première fois que ce nom se t rouve p ro ­noncé , c'est le 1 8 décembre 1 5 1 3 , — cinq ans avant ENCISO,

— dans la let tre 5 3 2 de P IERRE MARTYR D ' A N G H I E R A ; et il y désigne l ' A m a z o n e : « Le nom indigène de cette rivière est Maragnon (Fluminis est nomen pa t r ium Maragno-nus). La plupart des mar ins si tuent son embouchure sous la ligne équinoxiale , mais d 'autres au Sud de la l igne . »

1 6 4 2 . A la fin de 1 5 1 4 , dans le livre ixe de sa seconde décade, le m ê m e ANGHIERA, décrivant l ' A m a z o n e de la manière la plus reconnaissable , disait encore : « Les indi­gènes appellent ce fleuve Maragnon(Maragnonum appel-lant h u n c fluvium incolæ) ; et ils donnen t aux terres adjacentes les n o m s de Mariatambal, Camamoro, et Paricora. » Et ces trois derniers noms avaient déjà été consignés par ANGHIERA dans le livre ix e de la p remière décade pour indiquer les environs immédiats du grand fleuve découvert par VINCENT PINÇON.

1 6 4 3 . Dans son livre De la natural hystoria de las Jndias, composé en 1 5 2 5 , et achevé d ' imprimer à T o l è d e le 1 5 février 1 5 2 6 , OVIEDO, qui depuis le premier re tour de CHRISTOPHE COLOMB n 'avai t jamais cessé de s'occuper des nouvel les découver tes , s 'exprime ainsi : « Le fleuve

M a r a n o n p r é s e n t e à s o n e m b o u c h u r e , e n en t ran t dans

la mer , quarante l ieues , et à u n e plus grande dis tance en mer on puise de l 'eau douce de ce fleuve. C'est ce que j ' a i souvent en tendu dire au pilote VICENTE YAÑEZ PINÇON,

qui a été le premier chrét ien qui ait vu ce fleuve Ma­r a n o n . »

1 6 4 4 . En 1 5 4 8 , dans le livre xxiv de son Historia

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( 4 4 2 ) 1 5 E L E C T U R E § § 1 6 4 5 - 1 6 4 9

general y natural de las Indias, le m ê m e OVIEDO répétai t

e n c o r e : «Le p r e m i e r qui découvr i t le fleuve M a r a ñ o n ce

fut le pilote VINCENTE YAÑEZ P I N Z O N . . . Je l'ai connu et

p ra t iqué Il m ' a racon té lu i -même qu' i l était en t r é dans

ce fleuve l 'an 1 5 0 0 . »

1 6 4 5 . OVIEDO avait déjà dit au l ivre xxi, en par lan t de

l ' embouchu re du Marañon : « Cette e m b o u c h u r e a por té

que lque t emps le n o m de Mer douce. » Et cependan t ,

dans ce m ê m e l ivre xxi , le m ê m e OVIEDO place les deux

poin tes de l ' embouchure du M a r a ñ o n pa r la la t i tude de

deux degrés et demi Sud, p lus mér id iona le que celle de

R I B E I R O .

1 6 4 6 . En 1 5 6 9 , MERCATOR, tout en d o n n a n t à l ' embou­

c h u r e du M a r a ñ o n les la t i tudes trop mér id iona les de

3 degrés et 2 degrés 1 5 m i n u t e s , inscr ivai t devan t ce fleuve

cet te l égende : « Le fleuve M a r a ñ o n a été découver t par

VINCENT YAÑEZ PINÇON en 1 4 9 9 , et en 1 5 4 2 il a été parcouru

par FRANÇOIS OREGLIANA p e n d a n t 1 6 6 0 l i eues . »

1 6 4 7 . H E R R E R A l u i -même, en 1 6 0 1 , décade 1 r e , l iv re iv,

chapi t re 6 , r e n d a n t compte des découver tes de VINCENT

PINÇON, sans se p réoccuper pour lors du mér id i en de T o r -

d e s i l l a s , s ' expr ime en ces t e rmes : « Ils r e n c o n t r è r e n t

en m e r u n e si g r a n d e abondance d 'eau douce qu ' i ls en

r empl i r en t l eu r s t o n n e a u x . . . et voulan t éclaircir ce secret ,

ils s ' approchèren t de te r re Cette eau sortai t du fameux

fleuve M a r a ñ o n . » 1 6 4 8 . Enfin, encore en 1 7 5 0 et 1 7 7 7 , dans les deux

t ra i tés de l imites amér ica ines en t re le P o r t u g a l et l ' E s ­p a g n e , on ajoute c o n s t a m m e n t au n o m d ' A m a z o n e , comme s y n o n y m e , celui de Marañon.

1 6 4 9 . Quand les cosmographes p o r t u g a i s , en 1 5 2 4 ,

t raça ien t le mér id i en de T o r d e s i l l a s à l 'Ouest de l 'em­

b o u c h u r e du M a r a g n o n , il est donc cer tain qu' i ls en t en ­

daient par M a r a g n o n l ' A m a z o n e .

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§ § 1 6 5 0 - 1 6 5 7 1 5 E L E C T U R E ( 4 4 3 )

1 6 5 0 . C'était donc aussi l ' A m a z o n e que MARTIM

AFFONSO D E SOUZA avait en vue le 2 8 décembre 1 5 3 0 ,

lorsque, faisant route de L i s b o n n e pour le B r é s i l , et rencont ran t aux îles du Cap V e r t deux navires espagnols qui allaient au fleuve de Maragnon, il leur enjoignit de renoncer à ce voyage, « at tendu que ce fleuve appartenait au roi son maître , et se trouvait en dedans de sa démar­cation. »

1 6 5 1 . Cela est si vrai, que deux let tres écrites de S é v i l l e , en date du 3 octobre et du 2 0 novembre 1 5 4 4 , constatent qu'aussi tôt après le re tour d ' O R E L L A N A en E u ­r o p e , le Roi de P o r t u g a l fit préparer u n e escadre pour p rendre possession de la rivière des Amazones.

1 6 5 2 . Et c'est en parfaite conformité avec ces antécé­dents que GABRIEL SOARES en 1 5 8 7 et SILVEIRA en 1 6 2 4

donnè ren t expressément au B r é s i l , en ver tu du traité de T o r d e s i l l a s , les deux bords de l' Amazone et u n e portion de la G u y a n e .

1 6 5 3 . Mais, quand bien même tout cela serait faux; quand b ien m ê m e il serait démont ré que le M a r a g n o n de 1 5 2 4 , de 1 5 2 9 et de 1 5 3 0 , n 'étai t pas l ' A m a z o n e , mais b ien le M a r a g n a n d 'aujourd 'hui : que s'ensuivrait-il en faveur de la F r a n c e ?

1 6 5 4 . Ce n 'es t pas avec la F r a n c e que le P o r t u g a l a signé le trai té de T o r d e s i l l a s .

1 6 5 5 . C'est avec l ' E s p a g n e . 1 6 5 6 . Or P H I L I P P E IV, roi d ' E s p a g n e et de P o r t u g a l ,

a modifié le trai té de T o r d e s i l l a s à l 'avantage du B r é s i l le 1 4 ju in 1 6 3 7 , en créant dans la G u y a n e u n e capitainerie brés i l ienne , et en déclarant expressément que la limite septentr ionale de cette capitainerie était de t rente-c inq à quarante l ieues portugaises au Nord du Cap d u N o r d (§§ 6 7 - 7 1 ) .

1 6 5 7 . Depuis plus de deux cents ans , le ti tre fonda-

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( 444 ) 15 e L E C T U R E § 1657

menta l du B r é s i l , dans la ques t ion de l ' A m a z o n e comme dans celle de l ' O y a p o c , n ' e s t p lus le t ra i té de T o r d e -s i l l a s ; c 'est l 'acte du 14 j u i n 1637, qu i lu i a s su re , de la man iè r e la p lus ne t t e et la p lus lég i t ime, les deux bords de l ' A m a z o n e et u n e por t ion cons idérable du con t inen t de la G u y a n e .

Page 221: L'Oyapoc et l'Amazone : question brésilienne et française. Tome premier

Limite du Brésil à la baie de Maragnan.

1658. Le 13 décembre 1614, écrivant des bords du M o n y , affluent oriental de la baie actuelle de M a r a g n a n , JÉRÔME D'ALBUQUERQUE se disait campé « sur la rivière M a r a ñ o n , qui sépare le P é r o u du B r é s i l , du côté du Nord. »

1659. Cette déclaration, al léguée par M. D 'AVEZAC, a paru si décisive à M. ALEXANDRE BONNEAU, que l 'honorable rédacteur de la Presse l'a prise pour point de départ dans son article du 29 ju in 1859.

1660. Et MM. D'AVEZAC et BONNEAU auraient pu met t re à profit u n e autre autori té encore plus imposante .

1661. C 'es t la Rasão do Estado do Brasil, manuscr i t rédigé à L i s b o n n e , en 1613, par le Major de l 'État du B r é s i l DIOGO D E CAMPOS MORENO, S O U S la direction de DOM

DIOGO D E MENEZES, gouverneur général du m ê m e État de­puis 1607 ju squ ' en 1612.

1662. Voici les premières paroles de cette précieuse composition, publiées à L i s b o n n e en 1839, par M. D E VARNHAGEN, dans la m ê m e Collecçao de Noticias Ultrama­rinas qui avait donné , en 1812, la lettre d'ALBUQuERQuE :

« L'État du B r é s i l (province de S a n t a Cruz) est u n e part ie orientale du P é r o u . . . . La côte de son district s 'étend depuis la rivière M e a r i ou Maranhão jusqu ' à l ' embou­chure de la r ivière de l a P l a t a . »

1663. Or le Meari est l'affluent occidental de la baie actuelle de M a r a g n a n .

1664. Mais en 1613 et 1614, il y avait 33 et 34 ans que

le B r é s i l , en t ra îné dans la chute du P o r t u g a l , subissait

le joug de l ' E s p a g n e .

§§ 1658-1664 15 e L E C T U R E ( 445 )

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( 4 4 6 ) 1 5 E L E C T U R E § § 1 6 6 5 - 1 6 7 0

1 6 6 5 . Bien que P o r t u g a i s , M E N E Z E S , MORENO et A L -

B U Q U E R Q U E é ta ient fonct ionnaires du R O I D ' E S P A G N E .

1 6 6 6 . L 'écri t de M E N E Z E S et MORENO était des t iné à être p r é s e n t é au R O I E S P A G N O L , l eur ma î t r e .

1 6 6 7 . La le t t re d ' A L B U Q U E R Q U E était ad ressée à l 'am­bassadeur d ' E s p a g n e en F r a n c e .

1 6 6 8 . Les i l lus t res au teu r s de ces deux documen t s n ' é t a i en t donc pas l ibres d ' ind iquer à la man iè re por tu ­gaise les l imites du B r é s i l enc loué dans les possess ions espagnoles .

1 6 6 9 . Leur t émoignage ne p rouve q u ' u n e chose : 1 6 7 0 . C'est que , — j u s q u ' à ce que les H o l l a n d a i s ,

l e s A n g l a i s et les F r a n ç a i s l ' eussen t forcé à é t end re le B r é s i l , d 'abord j u s q u ' à l ' A m a z o n e , et ensu i te ju squ ' à l ' O y a p o c , — le R O I D 'ESPAGNE et de P O R T U G A L , exploi­tan t le double sens du n o m espagnol Maranon et du nom por tugais Maranhão, abusai t de son pouvoir pou r fixer la l imite sep ten t r iona le du B r é s i l au point où la plaçai t l 'in­te rpré ta t ion la p lus an t ipor tuga ise du trai té de T o r d e -s i l l a s .

Page 223: L'Oyapoc et l'Amazone : question brésilienne et française. Tome premier

§ § 1 6 7 1 - 1 6 7 8 1 5 E L E C T U R E ( 4 4 7 )

Limite du Brésil au bord droit de l'Amazone.

1 6 7 1 . M. D'AVEZAC assure que VASCONCELLOS, en 1 6 6 3 ,

reconnaissai t pour l imite septentr ionale du B r é s i l le bord droit de la b ranche du Pará.

1 6 7 2 . Mais le texte intégral de VASCONCELLOS (§ 1 4 7 7 )

nous a déjà mont ré que ce P o r t u g a i s , se réglant sur GABRIEL SOARES, qui s'était réglé lu i -même, en 1 5 8 7 , sur l ' interprétat ion portugaise du traité de T o r d e s i l l a s , met­tait la limite septentr ionale du B r é s i l dans le cont inent de la G u y a n e , à quinze l ieues portugaises de la rive guya-naise de l ' A m a z o n e .

1 6 7 3 . C'est avec plus d 'exacti tude que l 'honorable cri­t ique invoque le passage suivant de MOCQUET, imprimé en 1 6 1 7 : « Tout le pays qui est à main gauche en ent rant dans la r iuiere des A m a z o n e s , est comprins souz la grande prouince du B r é s i l . »

1 6 7 4 . Et M. D'AVEZAC aurai t pu ajouter à ce témoi­gnage plusieurs autres tout aussi explicites : par exemple, LA POPELLINIÈRE en 1 5 8 2 , D E BRY en 1 6 2 4 , D 'AVITY en 1 6 3 7 ,

DUDLEY en 1 6 6 1 , OLMO en 1 6 8 1 .

1 6 7 5 . Mais, si l 'honorable cri t ique avait lu l 'ouvrage de MOCQUET intégralement, il se serait convaincu que ce voyageur , ainsi que tous les autres écrivains qui ont donné pour borne septentr ionale du B r é s i l la rive droite de l ' A m a z o n e , n ' indiquai t pas la limite politique, mais la limite naturelle.

1 6 7 6 . Car voici ces textes , dans leur intégri té : 1 6 7 7 . MOCQUET : « Le B r é s i l a pour l imites vers le

Nort la grande r iuiere des A m a z o n e s , & vers le Sud celle de la Plate ou d'argent. »

1 6 7 8 . LA POPELLINIÈRE : « Le pays des C a n i b a l e s ,

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( 448 ) 15 e L E C T U R E §§ 1679-1687

audelà desque l s sont les B r e s i l i a n s en t re les p lus g rands fleuves du m o n d e O r g l a n & Parámagacut au t r emen t Rio de plata. »

1679. D E BRY : « B r a s i l i a in te r duos fluvios sita est , M a r a g n o n et de la Piata. »

1680. D 'AVITY : « B r a s i l . — Il a pou r confins du costé du Nord : la r iu ie re des A m a z o n e s . . . du Sud la r iu ie re de la Piata. »

1681. DUDLEY : « Con l ' istesso fiume [Amazones]

finiscono l ' I n d i e O c c i d e n t a l i del Re Cattolico, e comin­cia la B r a s i g l i a de ' P o r t u g h e s i s in 'a l rio della Piata. »

1682. OLMO : « El B r a s i l . . . està s i tuado en t re los R i o s M a r a ñ o n , y de la Piata. »

1683. Encore en 1780,RAYNAL dél imitai t ainsi le B r é sil : « C'est u n con t i nen t i m m e n s e , b o r n é au N. par la ri­vière des A m a z o n e s ; au Sud, pa r la r ivière de la Piata. »

1684. Et cet usage de d o n n e r pour b o r n e s au B r é s i l les deux g r a n d e s r iv ières de l ' A m é r i q u e d u S u d , est tel­l e m e n t na tu re l , que JOSÉ BONIFACIO D E ANDRADA E SILVA,

le véné rab le pa t r i a rche de l ' i ndépendance du B r é s i l , disait lu i -même en 1820, s 'adressant au roi JEAN VI :

« Teu he inteiro,

« Desde o longo Pará ao largo P r a t a ,

« Este immenso paiz, mimo do Céo! »

1 6 8 5 . M. FERDINAND D E N I S , dont a u c u n B r é s i l i e n ni a u c u n P o r t u g a i s n e saura i t p rononce r le n o m sans u n h o m m a g e de r econna i s s ance , avait déjà p roc lamé , en 1 8 3 7 , la vér i té que M. D 'AVEZAC méconna î t au jourd 'hu i .

1686. Il dit dans le texte de son bel ouvrage du Brésil : « Nulle cont rée au m o n d e n ' a reçu de la nature des bo rnes p lus magnif iques : au Nord, c 'est l ' A m a z o n e Au Sud, c 'est encore u n g r a n d fleuve, c 'est le R i o d e l a P i a t a . »

1687. Et le savan t écr ivain ajoute en no te : « On sait que la politique a changé ces l imi tes . »

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§ § 1 6 8 8 - 1 6 9 5 1 5 E L E C T U R E ( 449 )

Brésiliens à la rive guyanaise de l ' A m a z o n e .

1 6 8 8 . M. D'AVEZAC affirme que ce n 'es t qu 'en 1 6 8 6

que les P o r t u g a i s du B r é s i l se sont hasardés sur la rive guyanaise de l ' A m a z o n e .

1 6 8 9 . Mais en 1 6 6 5 , LA BARRE, gouverneur de la G u y a n e F r a n ç a i s e , imprimait ceci : « Les A r i c a r e t s O c c i d e n t a u x , sont quelques Familles qui se sont séparées des Orientaux, pour quelque démeslé qu'ils ont eus avec les P o r t u g a i s , qui habi tent le F o r t de S t i e r r o , assis à la bande du Nord de la R i u i e r e d e s A m a z o n e s . »

1 6 9 0 . En 1 6 5 7 , NICOLAS S A N S O N , géographe ordinaire du Roi D E FRANCE, imprimait ceci : « Les P o r t u g a i s t enans des-ja Pará du costé du B r é s i l , & du costé de G u i a n e E s t e r o »

1 6 9 1 . En 1 6 4 1 , l ' E s p a g n o l AGUNA, se basant sur son inspection personnel le du mois d'octobre 1 6 3 9 , imprimait ceci : « La rivière de G i n i p a p e coule du côté du Nord et débouche dans l ' A m a z o n e soixante l ieues plus bas que celle de G u r u p a t u b a A six lieues de l ' embouchure du G i n i p a p e , en remontan t l ' A m a z o n e , il se t rouve u n fort P o r t u g a i s , n o m m é du D e s t i e r r o , avec t ren te soldats et quelques pièces de canon. »

1 6 9 2 . Et nous savons, par les Annales de BERREDO,

confirmées par D E LAET :

1 6 9 3 . Que le 9 juil let 1 6 3 2 , FELICIANO C O E L H O D E C A R -

V A L H O , P o r t u g a i s du Pará, avait enlevé aux A n g l a i s le fort guyanais de G u m a ù ;

1 6 9 4 . Que le 1E R mars 1 6 3 1 , JACOME RAIMUNDO D E

NORONHA, P o r t u g a i s du Pará, avait enlevé aux A n g l a i s le fort guyanais de P h i l i p p e ;

1 6 9 5 . Que le 2 4 octobre 1 6 2 9 , PEDRO TEIXEIRA, P o r -2 9

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( 4 5 0 ) 15e L E C T U R E § § 1 6 9 6 - 1 7 0 5

t u g a i s du Pará, avait en levé aux A n g l a i s le fort guya-

na is de T a u r e g e .

1 6 9 6 . Tout en adme t t an t que ces trois de rn ie r s forts é ta ient s i tués sur la b r a n c h e guyana i se du del ta d e l ' A m a -z o n e , M. D 'AYEZAC assure que ce n 'é ta i t poin t sur le bord continental, mais b ien sur le bord insulaire, sur u n groupe por tan t alors le n o m collectif d'île des Tucujus.

1 6 9 7 . M. D 'AVEZAC semble s 'appuyer pou r cela sur les pa rag raphes 5 8 1 et 6 1 4 de BERREDO.

1 6 9 8 . Mais ces deux passages confus du chronis te de Pará s 'éclaircissent de la m a n i è r e la p lus ne t t e par les t émoignages les p lus au then t iques .

1 6 9 9 . Le n° 7 7 du Père ACUÑA et la car te de FRITZ

m o n t r e n t que l'île des Tucujus ne portai t ce n o m que parce qu 'e l le avoisinait les terres des T u c u j ú s , placées dans le con t inen t de la G u y a n e .

1 7 0 0 . - En 1 6 2 5 , 1 6 3 0 , 1 6 3 3 et 1 6 4 0 , en 1 6 5 4 , en 1 6 5 6 ,

en 1 6 6 1 , en 1 7 0 7 , D E L A E T , DUVAL, NICOLAS SANSON, D U D -

L E Y , F R I T Z , inscr iva ient le n o m de Taurege sur le conti­n e n t de la Guyane .

1 7 0 1 . Le 2 4 février 1 6 8 6 , le Roi d e P o r t u g a l o rdon­nai t au g o u v e r n e u r de Pará de faire bât i r u n fort « sur la terre ferme, à l ' endroi t appe lé Torrego, où les A n g l a i s en avaient eu u n . »

1 7 0 2 . En 1 7 0 7 , le Père FRITZ figurait sur le cont i ­n e n t de la G u y a n e le fort de Comaù.

1 7 0 3 . L'art icle 1E R du traité de 1 7 0 0 et l 'article 9 du Traité d ' U t r e c h t identifient le fort de C u m a ú avec celui de Macapá, dont la posi t ion cont inen ta le , à toutes les époques , est de notor ié té pub l ique .

1 7 0 4 . Le n o m de Macapá rappel le u n e e r r e u r long­t e m p s en crédit , qui a été mise en circulat ion pa r B E L L I N .

1 7 0 5 . Ce t ravai l leur effaré, qui t ranspor ta i t dans la

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§ § 1 7 0 6 - 1 7 0 9 1 5 E L E C T U R E ( 4 5 1 )

G u y a n e une rivière de l'île de M a r a j ó (§§ 4 3 1 - 4 4 6 ) , art i­cula aussi en 1 7 6 3 , comme nous l 'avons déjà vu (§ 6 7 3 ) , l 'assertion suivante : « La même année 1 6 8 8 , ils [les Por­tugais] v inrent s 'établir à M a c a p a , sur les ru ines d 'un Fort que les F r a n ç o i s avoient abandonné , & où ils avoient laissé quatre pièces de canon, p lus ieurs boulets & des balles de mousquet . »

1 7 0 6 . Et sur la foi de BELLIN, ingénieur hydrographe au Dépôt des cartes de la Marine, cette assert ion a été répétée avec toute assurance , en 1 7 9 7 , en 1 8 3 4 et en 1 8 4 7 , par MM. Louis PRUDHOMME, W A R D E N , et L E SERREC.

1 7 0 7 . M. D E SAINT-QUANTIN et M. D'AVEZAC ont eu le

bon esprit de préférer à l 'autorité tardive de BELLIN celle du Mercure Galant du mois d'avril 1 7 0 6 , qui, dans u n article nécrologique consacré au M A R Q U I S D E FERROLLES,

s 'exprime en ces termes : « Il exécuta avec beaucoup de valeur & peu de t roupes , les ordres qu'il reçut de la Cour, d'aller chasser les P o r t u g a i s , des trois forts qu'ils estaient venus construire sur la rive septentr ionale de la rivière des A m a z o n e s , vers son embouchure . Il n'avoit que quatre-vingt-dix h o m m e s ; il en chassa deux cens P o r t u g a i s , soutenu de six cens I n d i e n s , rasa deux de leurs Forts , laissa garnison dans le troisième, nommé M a k a p a . »

1 7 0 8 . Mais, comme M. EMILE CARREY, ainsi que nous l 'avons vu, répète encore aujourd 'hui , et dans le Moniteur, que « la forteresse brési l ienne de M a c a p a a été choisie et commencée par les F r a n ç a i s », il convient d 'appuyer le Mercure Galant par ces deux autres témoignages .

1 7 0 9 . Mercure Historique du mois de décembre 1 6 9 7 : « On apprit il y a quelque temps par une Frégate légère arrivée le 6 de Novembre à R o c h e f o r t , que M. D E FER­

R O L L E S , Gouverneur d e l a C a y e n n e avoit pris sur les P o r t u g a i s le fort de M a c a p a bâti par eux sur la rivière des A m a z o n e s . Mais les let tres par lesquelles ce Com­mandant en donnoit avis à la Cour portoient en même

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( 452 ) 15 e L E C T U R E 1710-1712

t e m p s , qu ' au pré judice de la Capitulación qui fut s ignée de par t & d 'au t re , lorsqu ' i l s 'en rendi t ma î t r e , les P o r ­t u g a i s é tant v e n u s forts de six cens h o m m e s , t an t Negres qu ' au t r e s avoient ass iégé ce Fort , & cont ra in t la Garnison qui n 'étoit que de quinze h o m m e s à se r e n d r e p r i sonn ie re de gue r re . On p r e t e n d que les P o r t u g a i s ne sont pas en droit de bâtir sur le côté sep ten t r iona l de cet te Rivière, & qu'ils ont bâti celui-là su r les dépendances de F r a n c e

contre l 'accord qui regle les l imi tes en t re les deux Na­t ions , attirez pa r les Mines d'or & d 'argent dont cet te con­trée abonde . On ajoute à cela que la Cour de P o r t u g a l a diverses fois é ludé de d o n n e r les satisfactions requises sur les r e m o n t r a n c e s faites à ce sujet pa r l 'Ambassadeur de F r a n c e . Quoi qu' i l en soit M. D E F E R R O L L E S d e m a n d e du secours pour en chasse r les P o r t u g a i s : & on apprend d 'un autre côté que l 'Ambassadeur de P o r t u g a l a donné u n Mémoire à la Cour pour justifier ce qui s 'est passé en cette occasion, & p o u r faire voir que les P o r t u g a i s ont eu droit de bâtir des For ts sur la r ive septent r ionale des A m a z o n e s , & que par conséquen t le Gouverneur de la C a y e n n e n ' a pas été fondé dans les hostil i tez qu'i l a com­mises & qu 'on a été contra in t de repousser . »

1710. Traité provis ionne l du 4 m a r s 1700, p réambu le : « S'etant mou depuis que lques a n n é e s en ça dans l 'État du M a r a g n a n que lques contes ta t ions et différents en t re les sujets du Roy t res Chrét ien et ceux du Roy de P o r t u ­g a l au sujet de l 'vsage, et de la possess ion des Terres du

C a p d e N o r d . . . , et y ayant eu aussy de nouueaux sujets de discorde à l 'occasion des forts d ' A r a g u a r y et de C u m a u ou M a c a p a esleuez et rétablis par les Portugais

dans les di tes t e r res »

1711. Il est b ien vrai que les P o r t u g a i s n ' ava ien t fait que rétabl i r M a c a p á , p r imi t ivement bâti par d 'au t res .

1712. Mais les fondateurs de ce fort n ' é ta ien t pas les

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§ 1 7 1 3 15 e L E C T U R E ( 453 )

F r a n ç a i s ; c 'étaient les Anglais, comme nous l 'avons vu (§§45," 52).

1713. C'est ainsi que LA CONDAMINE, oubliant le témoignage personnel du Père ACUÑA en 1641, avait dit e r ronément en 1745 : « Nous laissâmes le canal principal de l ' A m a z o n e , vis-à-vis du F o r t d e Parte situé sur le bord septentr ional et nouvel lement rebâti par les P o r t u ­g a i s , sur les ru ines d 'un vieux Fort que les Hollandois y ont eu »; et que l 'honorable M . D E MONTRAVEL, par u n faux souvenir de ce passage, a imprimé ce qui suit, dans la Revue coloniale d 'août 1844 : « A l m e i r i m [à l 'embou­chure du Paru] est, de toutes les part ies du fleuve [des A m a z o n e s ] , le point où il serait le plus facile d'établir des relat ions avec les G u y a n e s f r a n ç a i s e e t h o l l a n ­d a i s e ; et, sans doute , les Français qui , à l 'époque de l 'occupation de la rive gauche de l ' A m a z o n e , y avaient élevé u n fort dont les restes subsistent , avaient compris tous les avantages de cette position. »

29*

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( 4 5 4 ) 1 5 S L E C T U R E § § 1 7 1 4 - 1 7 2 2

1 7 1 4 . Nous pour r ions en res ter là, puisqu ' i l d e m e u r e démon t r é que M. D 'AVEZAC n ' a pas réuss i à ébran le r le Traité d ' U t r e c h t , ma lg ré toutes les ressources de son j u g e m e n t , de sa m é m o i r e , et de son imaginat ion .

1 7 1 5 . Mais n o u s ferons encore au savant cr i t ique u n e réponse généra le , qui épa rgnera peu t -ê t r e l eur pe ine aux BUACHE fu turs .

1 7 1 6 . Il est avéré , par les archives de S é v i l l e , que le 9 mai 1 5 4 4 , l ' E s p a g n o l ORELLANA voulai t des pilotes por tugais pour le condu i re à l ' A m a z o n e .

1 7 1 7 . Il est avé ré , par les Annales de BERREDO, ex­g o u v e r n e u r et chron is te du Pará, qu 'au mois de j anv ie r 1 6 1 6 , les P o r t u g a i s du M a r a g n a n é ta ient établis sur la b r a n c h e or ienta le du del ta de l ' A m a z o n e , depuis la pointe de T i g i o c a j u s q u ' à la r ivière de G u a m â .

1 7 1 8 . Il est avéré , par BERREDO, qu ' au mois de ju i l ­let 1 6 2 3 , les P o r t u g a i s du Pará s 'é ta ient r e n d u s maî t res de la totali té de la b r a n c h e or ientale du del ta de l ' A m a ­z o n e , et y avaient élevé le fort actuel de G u r u p á .

1 7 1 9 . Il est avéré , par BERREDO, qu ' au mois de ju in 1 6 2 3 , ils ava ient r e m o n t é dans sa total i té la b r a n c h e c e n ­t ra le du del ta de l ' A m a z o n e .

1 7 2 0 . Il est avéré , par BERREDO et par JEAN D E L A E T ,

qu ' en jui l le t 1 6 2 3 , en mai 1 6 2 5 , en octobre 1 6 2 9 , en mars 1 6 3 1 , en jui l le t 1 6 3 2 , ils avaient pa rcouru en va inqueur s la b r anche guyana i se du delta de l ' A m a z o n e .

1 7 2 1 . Il est avé ré , par le Père AcuñA, que dans l ' année 1 6 3 9 ils é ta ien t ma î t r e s de la totali té de l ' embouchure de l ' A m a z o n e , depuis la poin te T i g i o c a j u s q u ' a u delà du Cap N o r d .

1 7 2 2 . Il est avéré , par ANTONIO CARNEIRO, min i s t re por tugais sous P H I L I P P E IV, qu ' avan t l ' année 1 6 2 8 , condui ts par le pilote ANTONIO V I C E N T E COCHADO , ils avaient

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§ § 1 7 2 3 - 1 7 2 9 15e L E C T U R E ( 4 5 5 )

remonté l ' A m a z o n e pendant quatre cents l ieues por tu­gaises.

1 7 2 3 . Il est avéré , par le Père ACUÑA, que du 2 8 oc­tobre 1 6 3 7 au 1 2 décembre 1 6 3 9 , sous les ordres de PEDRO

TEIXEIRA et des B r é s i l i e n s OLIVEIRA et FAVELLA, ils avaient exploré les deux bords de l ' A m a z o n e pendan t six cents l ieues por tugaises , et avaient péné t ré dans la N o u v e l l e - G r e n a d e en remontan t le N a p o , affluent septentr ional de l ' A m a z o n e .

1 7 2 4 . Il est avéré, par DON ANTONIO D E ULLOA, que du 8 juillet au 1 8 octobre 1 6 9 1 , sous les ordres du B r é s i ­l i e n ANTONIO D E MIRANDA, ils avaient remonté l ' A m a z o n e jusqu ' au J a v a r i ; et qu 'à leur re tour ils avaient r emonté le J a p u r à , affluent septentr ional de l ' A m a z o n e , ent re le N a p o et le Rio N e g r o .

1 7 2 5 . Il est avéré , par BERREDO, par ULLOA, par LA

CONDAMINE, qu'i ls fréquentaient depuis 1 6 4 5 les deux bords du Rio N e g r o , limite occidentale de la G u y a n e , à 2 5 6 l ieues portugaises du Cap N o r d .

1 7 2 6 . Il est avéré , par BERREDO, qu'ils fréquentaient depuis 1 6 5 4 les bords du J a r i , affluent guyanais du delta de l ' A m a z o n e .

1 7 2 7 . Il est avéré, par ACUÑA et par LA BARRE, que dans les années 1 6 3 9 et 1 6 6 5 ils occupaient le fort de D e s t e r r o , à l ' embouchure du Paru, affluent guyanais du t ronc de l ' A m a z o n e , près de sa bifurcation.

1 7 2 8 . Il est avéré, par le général GOMES F R E I R E , gou­ve rneur du Pará en 1 6 8 5 , que longtemps avant cette époque ils avaient eu u n e fortification à l ' embouchure de l ' A r a g u a r i , affluent guyanais du delta de l ' A m a z o n e , tout près du Cap N o r d .

1 7 2 9 . Il est avéré , par une lettre officielle du M A R Q U I S

D E FERROLLES, qu 'au mois de ju in 1 6 8 8 , ils occupaient, sur la rive guyanaise du delta de l ' A m a z o n e , le fort de M a c a p á et u n nouveau fort d ' A r a g u a r i .

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( 4 5 6 ) 15e L E C T U R E § § 1 7 3 0 - 1 7 3 7

1 7 3 0 . 11 est avé ré , par la car te publ iée par FRITZ en 1 7 0 7 et par u n mémoi r e insé ré en 1 7 1 7 dans les Lettres édifiantes, qu ' en 1 6 9 0 ils occupaient déjà u n fort à l 'embou­c h u r e du R i o N e g r o , à l ' ext rémité la p lus reculée de la rive guyanaise de l ' A m a z o n e .

1 7 3 1 . Il est avéré , par le t rai té provis ionnel du 4 mar s 1 7 0 0 . que les deux forts de Macapá et A r a g u a r i , sur la rive guyana ise du del ta de l ' A m a z o n e , é ta ien t encore occupés à cet te époque par les P o r t u g a i s du Pará.

1 7 3 2 . Et il est avéré , d 'au t re par t , avec la m ê m e au then t i c i t é , que j u s q u ' a u Traité d ' U t r e c h t , e t encore plus tard, les F r a n ç a i s n e connaissa ien t point l ' A m a z o n e .

1 7 3 3 . Ils avaient ignoré quelque temps L ' E X I S T E N C E

M Ê M E de l'Amazone.

1 7 3 4 . Car sur la « Mappemonde pe in te en pa rchemin par o rdre de H E N R I II Roi D E FRANCE », c 'est-à-dire, ent re les années 1 5 4 7 et 1 5 5 9 , on voit la baie de Marignan, recevan t les trois r iv ières Mou, Tapicoru, Pinare (Moni , I t a p i c u r u , P i n d a r é ) ; mais r ien , abso lumen t r i en , qui puisse ind iquer l ' A m a z o n e .

1 7 3 5 . Rien n ' i nd ique non plus l ' A m a z o n e dans le beau por tu lan de GUILLAUME L E T E S T U , achevé le 5 avril 1 5 5 5 . La rivière de Marignen qui s'y t rouve deux fois, a pour affluent le Pinaré, et n 'es t a u t r e que l 'actuel Meary.

1 7 3 6 . Ils ignoraient l ' i n t é r i e u r de l ' A m a z o n e .

1 7 3 7 . Car le g r and géographe français NICOLAS SANSON

D ' A B B E V I L L E , e n 1 6 5 6 e t en 1 6 5 7 ; le g o u v e r n e u r cayenna is F E R R O L L E S , en 1 6 8 8 ; et encore en 1 7 0 0 , l ' i l lustre géo­graphe français GUILLAUME D E L I S L E : met ta ien t sur la rive gauche de l ' A m a z o n e la forteresse brés i l i enne de

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§ § 1 7 3 8 - 1 7 4 3 1 5 E L E C T U R E ( 4 5 7 )

G u r u p á , qui , depuis sa fondation jusqu 'à aujourd 'hui , n 'a jamais bougé de la rive droite.

1 7 3 8 . Ils ignoraient l'embouchure de l'Amazone.

1 7 3 9 . Car ils ont légué à la postérité les textes sui­vants :

1 7 4 0 . En 1 6 1 7 , JEAN MOCQUET, compagnon de L A

RAVARDIÈRE dans le voyage qu'il fit à la G u y a n e en 1 6 0 4 : « Nous ne peusmes les aller voir comme nous desirions \les Amazones, dans u n e île à t ren te ou qua­ran te l ieues en dedans du fleuve], à cause que les courans y sont trop violens pour les vaisseaux, & mesme pour nos t re nauire & patache qui t iroient desia assez d'eau : Car là les courans portent vers la coste, & n 'y peut-on aller qu 'auec vn bat teau à rames , ou auec des canoës d ' I n d i s, qui ne tirent pas vn pied d'eau. »

1 7 4 1 . En 1 6 6 6 , LA BARRE, gouverneur de Cayenne : « La G u y a n e I n d i e n n e . . . est vn Pais fort bas & inondé vers la Coste Maritime, & depuis l'embouchure des A m a ­z o n e s jusqu ' au Cap d e N o r d , qui est presque inconnu aux François. »

1 7 4 2 . En 1 6 9 4 , le M A R Q U I S D E FERROLLES, gouverneur de C a y e n n e : « La rivière des A m a z o n e s est éloignée de l'île d e C a y e n n e de soixante-dix l ieues. Son embou­chure est remplie d'îlots où les I n d i e n s sont habi tués . Le plus grand est n o m m é O y a p o k . . . . L 'ent rée pour des vaisseaux n'y est encore connue que du côté du Brésil : du

nôtre il semble que ce ne soit que des bancs de sable. »

1 7 4 3 . Encore en 1 7 2 2 , neuf ans après le Traité d ' U t r e c h t , le missionnaire français ANNE D E L A N E U V I L L E ,

qui venait de passer trois années à C a y e n n e : « L'em­bouchure de cette rivière est presqU'impraticable, à cause des

islets & des rochers dont elle est semée; de manie re que si

vn vaisseau venoit à s'y embarrasser , il auroit pe ine à s'en ret i rer . Nous faillimes y donner en allant à C a y e n n e ,

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( 458 ) 15 e L E C T U R E §§ 1744-1751

& j ' e n sçais u n qui y a per i . Si donc on vouloit nav iguer dans ce fleuve, pour aller au P e r o u , ce qui abregeroi t le voyage de p lus des deux t ie rs , il faudroit n'avoir que des canots, ou tout au plus des Pirogues : encore la navigation

seroit-elle dangereuse à cause des sauts ou des chutes

d'eau. »

1744. Convenons que l 'on aurai t mauva ise grâce de venir encore r ep rocher au Traité d ' U t r e c h t l 'adjudication qu'i l a faite au B r é s i l des deux bords de l ' A m a z o n e .

1745. Mais M. D 'AVEZAC pourvoi t à tout . 1746. Conjo in tement avec son sys tème de prédi lec­

tion, qui est celui de BUACHE, il a soin de ne pas négl iger tout à fait le v ieux sys t ème de M I L H A U .

1747. Dans son travail de 1857, et puis encore dans u n e longue rép l ique à M. D E VARNHAGEN, p ré sen tée à la Société de Géographie de P a r i s le 16 jui l le t 1858 et insérée dans son Bulletin de sep tembre et octobre de la m ê m e a n n é e , le docte cr i t ique r end à l ' in terpré ta t ion française du Traité d ' U t r e c h t des services d 'une g rande valeur , que nous n e t a rde rons pas à discuter .

1748. Il fait des efforts in imaginables pour ru ine r l 'Acte du 14 ju in 1637, qui est le t i tre fondamenta l du B r é s i l à la r ive droi te de l ' O y a p o c . 11 révoque même en doute la réal i té de cet acte .

1749. Il p r é sen t e des cons idéra t ions ingén ieuses , pour établ ir l 'existence d 'une r ivière Yapoc tout près de l ' A m a z o n e .

1750. Il produi t deux cartes impor tan tes s i tuant la r ivière de V i n c e n t P i n ç o n tout près de l ' A m a z o n e :

La m a p p e m o n d e de SÉBASTIEN CABOT, datée de 1544; Une carte b ré s i l i enne manusc r i t e , sans date , mais

dess inée a s s u r é m e n t en 1823.

1751. Il s ' appuie sur deux au t res car tes impor t an t e s ,

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§§ 1 7 5 2 - 1 7 5 8 1 5 E L E B T U R E ( 4 5 9 )

— celle de VAN LANGREN en 1 5 9 6 , et celle de W Y T F L I E T

en 1 5 9 7 , — pour soutenir que , lorsque le V i n c e n t P i n ç o n n'était pas situé tout près de l ' A m a z o n e , on ne le retrou­vait qu 'au M a r o n i , bien loin de l ' O y a p o c .

1 7 5 2 . Il al lègue deux textes impor tants , pour établir la dissimilitude du V i n c e n t P i n ç o n et de l ' O y a p o c :

Une relation de l 'anglais W I L S O N , imprimée en 1 6 2 5 ,

dans la collection de PURCHAS;

Un mémoire du B r é s i l i e n ALEXANDRE R O D R I G U E S F E R -

R E I R A , daté du Pará le 2 4 avril 1 7 9 2 .

1 7 5 3 . Cette conduite est p ruden te . 1 7 5 4 . Bien au t remen t soutenable que la prétent ion

à l ' A m a z o n e , la pré tent ion au C a r a p a p o r i repose sur des bases admirab lement spécieuses.

1 7 5 5 . Les raisons justificatives de l ' interprétat ion française du Traité d ' U t r e c h t paraissent même si réso­lument décisives, qu 'aujourd 'hui encore, malgré le Traité de 1 8 1 5 , malgré la Convention de 1 8 1 7 , malgré la lettre officielle écrite par M . GUIZOT le 5 jui l let 1 8 4 1 , malgré les conférences qui ont eu lieu à P a r i s du 3 0 août 1 8 5 5 au 1E R juil let 1 8 5 6 , la F r a n c e cont inue à re teni r une portion de la rive droite de l ' O y a p o c .

1 7 5 6 . Le beau livre de la Mission de Cayenne, publié en 1 8 5 7 par le Révérend Père D E MONTÉZON, nous apprend que la rive droite de l ' O y a p o c est occupée par la F r a n c e dans u n e é tendue de quatre l ieues françaises, depuis le Poste Malouet, à quatorze l ieues du Cap d ' O r a n g e , jus­qu'à la première chute du fleuve, au pied de laquelle s'élève une tour.

1 7 5 7 . La Revue coloniale de juil let 1 8 5 8 porte un des­sin r ep résen tan t le « Poste Malouet sur l ' O y a p o c k »,

ombragé du drapeau français. 1 7 5 8 . La même Revue coloniale, dans son numéro

d'août 1 8 5 8 , porte u n e précieuse carte de M . D E SAINT-

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( 460 ) 15 e L E C T U R E § 1759

QUANTIN marquan t sur la rive droite de l ' O y a p o c le Poste

Malouet, avec la date de sa fondation en 1838, et au pied

de la cascade le Fort Casfesoca, avec la date de sa fon­

dation en 1837.

1 7 5 9 . Sur quoi , cependant , le respectable Père D E M O N T É Z O N n 'hés i te pas à émet t re la réflexion suivante :

« Par le fait, la possession d 'une large lisière du rivage droit de l ' O y a p o c k est restée et reste paisible et incontes tée ent re les mains de la F r a n c e . Mais si l'on admet le principe qui a fait abandonner Mapa, il semble que tout ce côté de l ' O y a p o c serait contes table . »

F I N D U T O M E P R E M I E R

3 9 2 8 1 . — I m p r i m e r i e LAHURE, r u e de F l e u r u s , 9, P a r i s .

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