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LES TERRITOIRES AQUATIQUES DES ZAZAVAVINDRANO (FILLES DE L’EAU) : POUR UNE GESTION COMMUNAUTAIRE DE L’EAU A MADAGASCAR 1 Introduction L’eau a une place centrale dans la vie de la société, et Madagascar en tant qu’île dispose de ressources aquatiques conséquentes : 5603 km de côtes, plus de 3000 km de fleuves et rivières, plus de 155 000 ha de lacs et lagunes [1]. Face à un contexte généralisé de réchauffement climatique et de dégradation environnementale, mais aussi face à des impératifs de développement économiques qui dilapident les ressources en eau, à un niveau local, régional et mondial, une étude sur les diverses possibilités de gestion, de préservation et d’utilisation de l’eau est impérative. L’eau, cet or blanc, au même titre que la terre, a longtemps été la cause de guerres et de conflits dans le monde. La question se pose finalement et devrait se poser. Mais à qui appartient l’eau ? A Madagascar, la tradition donne une réponse claire : il existe ceux qu’on appelle les tompon-drano, maîtres de l’eau ou régisseurs de l’eau. Ces tompo sont avant tout des esprits Zazavavindrano et par prolongement ils peuvent aussi être des groupes humains ou parfois des animaux. Il existe donc au-delà de l’autorité étatique, des autorités naturelles et spirituelles qui régissent durablement l’espace et structurent les sociétés malgaches. Et pourtant, très souvent dans le cadre des projets, on fait allusions à la tradition comme étant un frein au développement. La problématique se pose alors. Les projets de développement et les stratégies de gestion en rapport à l’eau ne doivent-ils pas s’adapter aux réalités culturelles et naturelles des Zazavavindrano régisseuses de l’eau à Madagascar pour une efficacité, optimisation et durabilité des résultats ? Le but principal de cet article est d’expliquer l’origine autochtone (né de la terre) du Malgache, et de montrer qu’il existe par conséquent, des modes de fonctionnement spatiaux relevant du sacré et de l’ancestralité, à dimension communautaire, qui permettront de mieux orienter les actions de développement et de protection liées à l’eau. L’intérêt de cet article vient du fait que les recherches spécifiques sur les Zazavavindrano sont rares, et particulièrement en ce qui concerne leur importance dans la gestion de l’espace et des populations. La plupart du temps, elles sont évoquées en tant que personnages de la littérature orale, ce qui les détache trop de l’espace vécu du Malgache. La plupart des écrits traitant de leur vraie nature est produite par des chercheurs indépendants comme RAKOTO ANDRIANASOLO (1978), MALAIVANDY (2000), RABEARIFENO (2000), Dr RANDRIA (1950), RAMARAOBE et Al. (2002). Les recherches universitaires concernant le sujet sont récentes. En 2006, un article de RADIMILAHY C. et Al, intitulé «Lieux de culte autochtone à Antananarivo » donne un aperçu sur la multitude des sources sacrées à Antananarivo. En 2008, un colloque intitulé « Sirènes et Filles des Eaux dans l’Océan Indien : mythes, récits et représentations » a été organisé par l’Université de Tuléar, suivi d’Actes coordonnés par TERRAMORSI en 2009. En

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LES TERRITOIRES AQUATIQUES DES ZAZAVAVINDRANO (FILLES DE L’EAU) :

POUR UNE GESTION COMMUNAUTAIRE DE L’EAU A MADAGASCAR

1

Introduction

L’eau a une place centrale dans la vie

de la société, et Madagascar en tant qu’île

dispose de ressources aquatiques

conséquentes : 5603 km de côtes, plus de

3000 km de fleuves et rivières, plus de 155

000 ha de lacs et lagunes [1]. Face à un

contexte généralisé de réchauffement

climatique et de dégradation

environnementale, mais aussi face à des

impératifs de développement économiques

qui dilapident les ressources en eau, à un

niveau local, régional et mondial, une étude

sur les diverses possibilités de gestion, de

préservation et d’utilisation de l’eau est

impérative.

L’eau, cet or blanc, au même titre que

la terre, a longtemps été la cause de guerres

et de conflits dans le monde. La question se

pose finalement et devrait se poser. Mais à

qui appartient l’eau ?

A Madagascar, la tradition donne une

réponse claire : il existe ceux qu’on appelle les

tompon-drano, maîtres de l’eau ou régisseurs

de l’eau. Ces tompo sont avant tout des

esprits Zazavavindrano et par prolongement

ils peuvent aussi être des groupes humains ou

parfois des animaux. Il existe donc au-delà de

l’autorité étatique, des autorités naturelles et

spirituelles qui régissent durablement l’espace

et structurent les sociétés malgaches. Et

pourtant, très souvent dans le cadre des

projets, on fait allusions à la tradition comme

étant un frein au développement.

La problématique se pose alors. Les

projets de développement et les stratégies de

gestion en rapport à l’eau ne doivent-ils pas

s’adapter aux réalités culturelles et naturelles

des Zazavavindrano régisseuses de l’eau à

Madagascar pour une efficacité, optimisation

et durabilité des résultats ?

Le but principal de cet article est

d’expliquer l’origine autochtone (né de la

terre) du Malgache, et de montrer qu’il existe

par conséquent, des modes de

fonctionnement spatiaux relevant du sacré et

de l’ancestralité, à dimension communautaire,

qui permettront de mieux orienter les actions

de développement et de protection liées à

l’eau.

L’intérêt de cet article vient du fait

que les recherches spécifiques sur les

Zazavavindrano sont rares, et

particulièrement en ce qui concerne leur

importance dans la gestion de l’espace et des

populations. La plupart du temps, elles sont

évoquées en tant que personnages de la

littérature orale, ce qui les détache trop de

l’espace vécu du Malgache. La plupart des

écrits traitant de leur vraie nature est produite

par des chercheurs indépendants comme

RAKOTO ANDRIANASOLO (1978),

MALAIVANDY (2000), RABEARIFENO (2000),

Dr RANDRIA (1950), RAMARAOBE et Al.

(2002). Les recherches universitaires

concernant le sujet sont récentes. En 2006,

un article de RADIMILAHY C. et Al, intitulé

«Lieux de culte autochtone à Antananarivo »

donne un aperçu sur la multitude des sources

sacrées à Antananarivo. En 2008, un colloque

intitulé « Sirènes et Filles des Eaux dans

l’Océan Indien : mythes, récits et

représentations » a été organisé par

l’Université de Tuléar, suivi d’Actes

coordonnés par TERRAMORSI en 2009. En

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2009 une thèse de doctorat est effectuée par

RATRIMOARIVONY M. sur le fonctionnement

des sites sacrés de Zazavavindrano, Kalanoro

et Vazimba et leur importance dans la

territorialisation autochtone ; étude dont le

présent article est en partie issu.

A part une bibliographie sur la tradition orale

et la religion à Madagascar, les résultats de

cette recherche ont été obtenus grâce à des

interviews et enquêtes sur terrain (2000 à

2011) dans le Bemaraha, l’Andringitra,

Antananarivo, l’Itasy; auprès de médiateurs

Ombiasa et Mpanazary, auprès des

autochtones et des sites sacrés ; analysant la

tradition orale et les pratiques rituelles et

spatiales. Nous avons aussi fait appel aux

ressources du web, en consultant des sites de

quotidiens d’information, des sites web

d’institutions internationales et des

documentaires, pour voir où en est l’actualité

nationale et internationale sur les

Zazavavindrano et les ressources aquatiques.

Parlons alors de cette tradition

autochtone qui finalement est assez mal

connue. Si dans un premier temps, nous

redéfinissons la nature des Zazavavindrano et

leur importance dans la gestion des espaces

aquatiques et dans l’origine de la population

malgache, dans un deuxième temps, après

avoir évoqué quelques menaces qui pèsent

sur le milieu aquatique, nous montrons

comment les particularités de cette culture

peuvent orienter les stratégies de gestion

communautaire.

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Figure 1 : Carte de localisation des zones étudiées

Source : Conception et réalisation RATRIMOARIVONY M.,, 2008 Fond de carte : Planche 2, in BATTISTINI (1969).

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Fond de carte végétation: Carte Fig.2.19, par D.J.DU PUY, J. MOAT, (2003).

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1. LES SITES SACRES DE ZAZAVAVINDRANOQui dit territoire dit propriétaire etdélimitation.

1.1. Les ZazavavindranoLes Zazavavindrano, filles de l’eau, sont

des êtres spirituels vivants, différemment desesprits de défunts : comme les Kalanoro(esprits autochtones de la forêt) et lesVazimba (esprits autochtones de la terre et del’eau), ce sont des fanahy velona. Ellespossèdent un corps physique similaire à celuides humains - avec des pieds et non unequeue de poisson - mais elles évoluent surtoutavec leur corps spirituel et sont donc laplupart du temps invisibles, mais sensibles.Emanation de Zanaharibe le Créateur, fémininou masculin, mais portant l’énergiematriarcale qui régit la Terre Malgache, on lesappelle aussi suivant les régionsandriambavirano, andrimabavinosy,ampelamananisy, kembarano, zavavirano,ranakandriana, andriamanibavy ouandriamanidahy, zanahary lahy ou zanaharyvavy. Avec les Kalanoro et les Vazimba ellesreprésentent le peuple spirituel autochtonedes Manankasina.

Elles vivent dans l’eau et peuplent laplupart des espaces aquatiques deMadagascar dont elles sont les créatrices,gardiennes et régisseuses d’où leur statut detompon-drano (esprit). Elles multiplient lespoissons et végétaux aquatiques, ellespurifient l’eau et préservent leur équilibreécologique.

Esprits matriarcaux bénéfiques,pourvoyeurs de vie, de santé et de sagesse, lesZazavavindrano aident les personnes qui lesinvoquent en toute confiance et honnêteté,prêtes à suivre une ligne de conduite épurée,respectant les fady, interdits, qu’elles aurontédictés. Généralement, les interdits sont le

porc, le rhum, les chiens, les chèvres, touttype d’oignon et toute autre souillure.Les populations sont en contact avec elles parle biais des rêves nofy ou des visionstsidrimandry. Un parfum enivrant flottant dansl’air marquera aussi leur passage, ce qui leur avalu le nom d’andriamanitra (divinitéparfumée). De nos jours, elles n’apparaissentdirectement que très rarement auprès depersonnes qu’elles choisissent. Les guidesspirituels et médiateurs, Mpanazary ouOmbiasa avec qui elles sont en contacttransmettent alors aux communs des mortelsleurs directives et messages.Etres sacrés elles étendent leur hasina,essence divine, à l’espace aquatique danslequel elles sont établies, d’où l’existence desites sacrés naturels tels des lacs, des fleuves,rivières et autres paysages, sites de rituel dontnous allons voir la diversité.

1.2. Quelques sites sacrés d’eauLes sites de Zazavavindrano sont

innombrables à Madagascar, plusprécisément, tout le paysage hydrographiquede la Grande Ile est leur domaine.

Certains sites sont très étendus en surfacecomme les grands lacs tel l’Alaotra ou l’Itasydans les Hautes Terres Centrales, et d’autresplus restreints comme le lac Kavitaha àAmpefy (région Itasy).

Dans les fleuves et rivières, les rituels auxZazavavindrano se font à divers point,marquant la multiplicité des clans des esprits :tout le long du fleuve Antenambala (Nord-Est),de la Manambolo (Ouest), du fleuveMananara (Sud-Est), de la rivière Onive (Est)ou de l’Ikopa (Centre), les tabous sontrespectés. Des lagons sacrés se distinguentparfois sur les lits rocheux des rivières commele lagon de Rafotsiberolimanga sur l’Onive àTsinjoarivo (Est d’Ambatolampy) ouAmbodiriakely sur la rivière Zomandao àNamoly (Andringitra). On retrouve aussi les

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Zazavavindrano en mer comme àAmpasinakoho (Sud-Est) et particulièrementau niveau des embouchures vinany ; ou bienauprès des sources comme celle d’Ambodimita(Antananarivo) ou des chutes commeRiandahy (Namoly Andringitra)

Outre leur place importante dansl’équilibre de l’écosystème, les sites sacrésaquatiques ont des fonctions diverses etparfois multiples. Certains sont strictementinaccessibles aux sociétés humaines, lesZazavavindrano n’y tolèrent pas la présenceétrangère et ne demandent même pas derituels annuels. D’autres sont des sites dédiésà des rituels de passage pour les guérisseurs,médiateurs, Ombiasa ou Mpanazary commele site d’Amboromena dans l’Andringitra.Certains sont curatifs : allègent les destins,guérissent les maladies de peau, leshandicapes physiques, ou rendent la fertilitéaux couples désirant avoir des enfants(Riandahy à Namoly dans l’Andringitra).D’autres sont des espaces de production : lariziculture de décrue sur les rives de laTsiribihina, de la Manambolo, et du lacTsimendroa (Bekopaka), ou bien la pêche et lapisciculture au lac Itasy.

1.3. Les autochtones tompon-drano :gestionnaires des rituels et des sitesaquatiquesAvant tout, une brève réécriture de

l’histoire du peuplement de Madagascars’impose, car l’origine autochtone (né de laterre) du Malgache doit être explicitée. Lesrécits ancestraux rapportent que les espritsZazavavindrano et Kalanoro ont généré lesVazimba. Certains individus des trois groupesont contracté des mariages avec les migrantsaustronésiens, juifs, arabes, africains et autrespour donner les Malgaches actuels. Ainsi, onretrouve des descendants de Zazavavindranoà proximité de leurs sites sacrés d’origine: telest le cas du clan Mašianaka descendant desKembarano du lac Mašianaka à Vangaindrano(Sud-Est) ou de certains Antehirokad’Ambohimanarina, descendants de Ranoro,

originaire de la rivière Mamba à Andranoro(Antananarivo). Il existe plusieurs clansdescendants de Zazavavindrano dans toutMadagascar, comme les Antandrano (Nord-Est), les Zazarano (Sud-Est), les Zanakatara(Betsileo Centre)… : ce sont des tompon-dranohumains, responsables de la gestion de l’eau,ils continuent à communiquer et échangeravec leurs ancêtres et familles aquatiques, etvivent aux alentours de leur site d’origine. Dans le cas où ce sont des migrantsqui s’installent à proximité de leurs domaines,si elles les approuvent, les Zazavavindrano ychoisissent des personnes qui vont assurer lagestion des rituels, le respect des tabous, desmodes d’exploitation des ressources, et desmodes d’utilisation de l’espace. Cespopulations sont aussi appelées tompon-drano. Tel est le cas des Vazimban-dranoAntimambaha responsables du lacTsimendroa, ou des Vazimban-dranoMaromahia responsables du lac Kimango(Bekopaka Bemaraha. Ouest), ou desMenarahaka responsables de la rivièreMenarahaka (Sud de l’Andringitra).

La gestion des sites sacrés et de leursrites a une dimension localisée. Un lac peutavoir un ou plusieurs responsables suivant sagrandeur. Un cours d’eau peut avoir plusieursresponsables à différents endroits, comme ilpeut n’avoir qu’un responsable pour unecertaine zone plus ou moins étendue. Chaquesource a son responsable. De plus, les limitesspatiales de responsabilités sont parfois plusou moins floues. Il est donc important de bienconnaître les spécificités de chaque zone.

Les tompon-drano ont des relationsprivilégiées avec les Zazavavindrano. Elles leuroffrent parfois des dons: des pouvoirs pourguérir les maladies la plupart du temps.Certains Mpanazary rapportent qu’ilsdescendent dans les lacs, rivières ou chutespour rencontrer les Zazavavindrano chezelles : ils rentrent dans l’eau sans êtremouillés, guidés par des esprits et accèdent àleur espace de vie, dans un autre espace-temps. Ils y séjournent quelques jours, trois

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jours terrestres le plus souvent et reviennentsur la terre ferme. Il arrive aussi que ce soit lesZazavavindrano qui rendent visite à leurs amishumains, c’est d’ailleurs de cette façon quecertaines sont restées sur terre pour se marieret engendrer des enfants à l’origine de diversclans, comme ceux cités précédemment. Ilexiste donc des échanges humains entre ledomaine sacré aquatique et le domaineterrestre humain.

Tout projet lié à l’eau doit avoir l’avaldes tompon-drano et doit être précédé d’unrituel approprié. Ce sont ces mêmes tompon-drano qui ont le droit exclusif d’effectuer cesrituels et sont chargés d’informer lespopulations en place, sur les spécificitésculturelles du site. De même, si jamais unaccident survenait sur l’eau, ce sont aussi euxqui doivent être contactés en premier lieupour connaître l’origine du problème etapporter la solution. Quand des personnesdisparaissent dans les rivières ou lac parexemple, les tompon-drano pourront dire si lapersonne a été prise par les Zazavavindranoou bien si elle a succombé. Dans le second cas,ils font un rituel ou plongent dans l’eau pourretrouver le corps : dans le Sud-Est il y a lesmadigny misetry, des personnes capables derester des heures en apnée pour chercher lescorps.

Néanmoins, les rituels rattachés àl’eau sont variés, ils confirment lerattachement ou l’entente avec lesZazavavindrano. Chaque année des rituelsgrandioses sont organisés auprès des sitessacrés pour assurer la profusion desressources aquatiques et raffermir les liens defihavanana qui existent entre les sociétéshumaines visibles et les sociétés invisibles desZazavavindrano. Il y a les rituels comme levango an-daka (Vangaindrano), le roba-tranoet le lohadrano (Bemaraha) ou les joro.D’autres rites sont significatifs : plusieursgroupes culturels jettent le cordon ombilical

des nouveau-nés dans les fleuves ou rivières.Dans certains rituels funéraires les viscères oumême les corps des défunts sont enfouis dansles marais (Hautes Terres Centrales) ou dansdes trous d’eau (Tanala) ou au bas des chutes(Ankaratra). Quant à l’eau utilisée lors destso-drano et velirano, rituel de bénédiction, oule rano mahery utilisé lors des circoncisions,elle est prise auprès des cours d’eau ousources des Zazavavindrano et Vazimba. Miel,banane, lait, bonbon ou limonade bonbonanglais, sont les principales offrandesappréciées par les Zazavavindrano.

Les tabous rattachés aux sites sacrésaquatiques sont multiples et concernentl’espace aquatique lui-même, son espaceenvironnant, le village des responsables derituel, les responsables eux-mêmes et lespopulations présentes dans la localité.

Il existe des tabous en rapport à laprésence des esprits et à la préservation de lapropreté des sites : le porc, le rhum, leschèvres, tout type d’oignon sont interdits deconsommation et de présence auprès dessites ; l’or, les habits rouge, les disputes, lesmauvaises pensées, toute autre souillure(menstruations, défections), les chiens, sontinterdits sur les sites. Il y a d’autres taboussuivant les localités : l’interdiction d’apporterdu sel ou de prononcer le mot, ouvrir lesparapluies sur l’eau, jeter la bouse de vachedans l’eau, tremper le fer dans l’eau, diriger lestorches allumées vers l’eau, les animaux auxcornes rabougries (omby/ondry borytandroka).

Il existe aussi des tabous concernantl’utilisation des ressources : la pêche estexclusivement destinée à la consommationfamiliale, ouverture rituelle de la saison de lapêche, interdiction d’utiliser le filets de pêchearato, ou bien élargissement des nœuds desfilets pour laisser passer les petits poissons,

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interdiction de tuer ou consommer lesanguilles amalona, les crocodiles voay, lesbaleines trozo. Il y a aussi des jours tabous quirégissent les activités et l’utilisation des sites :le mardi et le jeudi la plupart du temps.

La présence d’eau signifie forcémentprésence d’esprits, mais il faut savoir lesdistinguer suivant leur nature, surtout s’il y aprofanation des tabous. Les Zazavavindranoassurent la pureté d’une eau et la profusion desa faune et flore, tandis que lorsqu’un espaceaquatique est profané et mal géré, lesZazavavindrano se retirent pour changerd’espace et ce sont des esprits néfastescomme les lolon-drano ou les masoantoko quiinvestissent le site sans crier garde, générantdégradation et accidents. Par la force du tody,équivalent du karma, ou de la loi de cause àeffet, les mauvais actes générés par leshumains leur reviennent en force décuplée.C’est pour cela que lorsque des personnesprofanent les tabous des sites sacrés, il leurarrive un malheur à court ou long termes,sachant que cela peut concerner toute unedescendance: maladie, folie, mort,catastrophe naturelle, destruction descultures, stérilité, réduction des ressources…Un rituel de purification doit alors êtreeffectué pour ramener le hasina, pours’excuser d’avoir souillé leur lieu de vie, et sefaire pardonner.

Il faut donc comprendre que l’espacenaturel est avant tout un territoire culturel etrituel. Ainsi, suivant le fonctionnementtraditionnel autochtone, toute utilisation desespaces aquatiques doit passer par l’aval destompon-drano, propriétaires de l’eau, c’est-à-dire des Zazavavindrano et des responsablesdes sites, et doit respecter les rituels etinterdits. Comment alors concilier ces réalitésavec les divers projets de développement etde conservation mis en place par l’Etat, lessociétés civiles, ou institutions internationales,qui sont le plus souvent étrangers à cespratiques ?

2. POUR UNE GESTION COMMUNAUTAIREENRACINEE

Face à ces réalités sur lesZazavavindrano et le fonctionnement de leurssites, plusieurs questions se posent au niveauidentitaire, au niveau économique etpolitique.

2.1. Le problème identitaire : unedéculturation

Il y a une méconnaissance flagrante del’histoire naturelle et surnaturelle deMadagascar. Elle s’exprime par une ignorancede l’origine autochtone du Malgache,l’ignorance du fonctionnement culturel de laterre et de l’eau, et une pratique rituellelimitée.

Depuis 2006, de plus en plus dejournaux nationaux comme Gazetiko et MidiMadagascar [2] parlent des Zazavavindrano, leplus souvent dans la rubrique divers« samihafa », rubrique qui sert à alimenter lespotins de rue, surtout qu’ils sont rédigés enlangue malgache. On peut déjà à ce niveauapprécier l’inimportance du sujet aux yeux desjournalistes. On retrouve dans les articles deces journaux: des Zazavavindrano de la régionde Moramanga qui pleurent face à ladestruction de l’environnement générée parles exploitations minières qui y sévissent, unesage-femme qui va aider à l’enfantementd’une Zazavavindrano dans l’eau, uneZazavavindrano qui a donné des jumeaux à uncouple stérile, des Zazavavindrano jalousesmariées à des humains, la force desZazavavindrano qui annihile les mauvais sorts,des guérisseurs en contact avec desZazavavindrano qui font leur publicitépersonnelle pour appâter la clientèle, desZazavavindrano qui expliquent que ce sont lespoliticiens qui manquent d’humilité et desagesse, des histoires sur les Zazavavindranode l’Ikopa. Ce sont des articles face auxquels lelecteur doit prendre des distances parfois, carils ne sont pas suffisamment informateurs etprêtent à confusion. Les Zazavavindrano

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régénèrent la vie pour le bien mais pas pourdes intérêts pécuniaires ni pour la notoriétésociale ; elles tiennent à l’honnêteté, aurespect et à la sagesse ; ce sont des esprits etdes ancêtres ; elles n’ont pas de queue depoisson.

D’un point de vue plus académique, ilexiste une opposition entre la version oraledes populations autochtones et les versionsécrites officialisées qui stipulent que lapopulation malgache est le strict résultat demigrations extra-insulaires et que Madagascarétait une île inhabitée à l’origine. Or lesZazavavindrano - ainsi que les Kalanoro et lesVazimba - sont présentes dans la Grande Iledepuis des temps extrêmement reculés.D’ailleurs, Madagascar en tant que socleprécambrien, a l’avantage d’être l’une desterres les plus anciennes du globe, elle a ététémoin de l’évolution naturelle et humaine decelui-ci.

Cette contradiction des versions estsurtout prépondérante au sein despopulations déculturées qui ont été éduquéespar les monarchies, le christianisme, lacolonisation française, les écrits d’auteursétrangers, la tradition écrite de l’école, et quisont faiblement en contact avec le milieunaturel, soit très certainement une largepartie des populations urbaines.

Effectivement, si les monarchiesconnaissaient l’existence des Zazavavindranoet leur adressaient même des rituels(Ranavalona I à Ranoro, à l’Itasy, à Tsinjoarivo),ils ont surtout renforcé les rituels dédiés auraffermissement de leur propre pouvoirpuisqu’ils ont demandé à être sanctifiés àl’égal des divinités zanahary.

Le christianisme quant à lui, dans sonprosélytisme, à quelque endroit qu’il soitpassé, a tout au long de son histoire lutté

contre la diversité des esprits de la nature etdétruit les sites sacrés naturels où on leurrendait des cultes pour y ériger des églises ettemples (la Cathédrale d’Andohalo est sur unesource sacrée pour les circoncisions). LesZazavavindrano furent alors diabolisées et cesont les récits écrits de la Bible qui ont pris laplace des angano (contes) et fedra (mythes)oraux qui expliquent pourtant l’histoirenaturelle et ancestrale de Madagascar.Aujourd’hui le christianisme s’incruste dans lescampagnes et bouleverse la tradition spatialeincitant les gens à profaner les tabous.

La colonisation française dans sonimpérialisme n’a pas permis l’apprentissage del’histoire et a interdit la pratique de la languemalgache. Pendant cette période, oninculquait aux Malgaches que leurs ancêtresétaient des Gaulois. Entretemps, plusieursauteurs missionnaires, ethnologues,explorateurs et autres chercheurs, ont écritsur l’origine du peuplement Malgache, enfaisant appel à l’archéologie ou l’anthropologieculturelle comparée, or il faut prendre encompte le fait que la réalité desZazavavindrano appartient surtout audomaine ésotérique immatériel.

L’école actuelle est le résultat de cessystèmes antérieurs qui n’ont jamais favorisél’éclaircissement de l’origine autochtone duMalgache. Ce sont ces points de vueantérieurs qui ont été et sont toujours intégrésdans l’Histoire de Madagascar, enseignée auxjeunes depuis des générations.

Enfin, en ville les activités desubsistance appartiennent largement ausecteur tertiaire. Le contact avec les lacs ourivières est moindre par rapport à unagriculteur ou pêcheur pour qui cette eauvitale fait partie de son espace vécu quotidien.Le contact avec ces espaces aquatiques,

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l’expérience de leur fonctionnement physiqueet spirituel, ainsi que la compréhension deleur importance dans notre survie, est plusévidente pour les populations rurales etsuburbaines qu’urbaines, car ces dernières selimitent à traverser des ponts ou tourner desrobinets. Mais il serait intéressant de faire uneétude sociale sur les quelques populations quiconnaissent et pratiquent la cultureautochtone.

Quoiqu’il en soit, l’ancestralité auxZazavavindrano n’est pas non plus uneinformation que l’on livre au grand public. Ellefait partie de l’intimité des familles. Même leshommes actuellement mariés à desZazavavindrano n’ont pas le droit de direl’identité de leur femme car cela est tabou etest la condition sine qua non de la présence decet être surnaturel à ses côtés. Le secret estdonc rigidement gardé sauf si lesZazavavindrano ont donné la permission de ledivulguer. Face à l’offensive éducative et lastratégie de communication fulgurante desinstitutions dont on a parlé dans lesparagraphes précédents, les réalitésanthropologiques malgaches sont desanguilles sous roche, on ne les voit pas maiselles sont présentes et actives.

Les conséquences néfastes de cettedéculturation évidente est largement palpabledans des contextes de migrations. Trèssouvent ce sont les populations migrantes quitransgressent les tabous et exploitent demanière irrationnelle les ressources naturellesd’une localité particulière. Mais les migrants,ce sont aussi bien l’Etat, des Malgaches, quedes étrangers.

Lorsque la valeur du sacré s’estompe,la valeur monétaire prend facilement lesrennes. Nous allons voir que plusieurs intérêtséconomiques internationaux sont en jeux.

2.2. Industries, capitalisme et intérêtsinternationaux : les menaces

Au niveau économique, de nombreuxprojets portent atteinte à l’intégrité naturelledes espaces aquatiques et à l’intégritéculturelle des populations. La logiqued’exploitation durable pour la consommationfamiliale et locale édictée par lesZazavavindrano va à l’encontre des intérêts del’exploitation industrielle pour laconsommation mondiale.

Parmi ces projets on peut citer leprojet d’exportation de l’eau du fleuveMananara Nord (Nord-Est) en 2006, prévoyant230 000 m3 d’eau ponctionné par jourpendant 25 ans, initié par la sociétécanadienne AQUAMAR, en destination despays du Golf [3] ; et celui du fleuve Faraony(Sud-Est) prévoyant 260 000 m3 par jour auprix de vente de 60 000 $ par jour en 2008,initié par des Saoudiens, en destination del’Arabie Saoudite pour l’agriculture [4]. Cesprojets ont été avortés par le ministère del’eau [5], car les populations locales et certainsgroupements de la société civile ont manifestéleur désaccord, avec une campagne decommunication sur le terrain et dans lesquotidiens d’information. Exporter l’eau n’estpas envisageable car comme la terre desancêtres Tanindrazana, elle est une eau desancêtres « Ranondrazana », lieu d’origine de lapopulation Malgache. L’inaliénabilité de laterre et de l’eau à Madagascar doit êtreremise en place au sein des textes législatifsde référence comme la Constitution.

On peut aussi évoquer la pêcheindustrielle effectuée dans les eauxterritoriales Malgaches. Si les sites sacrésn’autorisent pas les filets de pêche pourpermettre la régénération des espèces, lesindustriels de la pêche déploient leurs filetssur des kilomètres dans la mer. A Madagascar,la production halieutique en 2008 est de131 010 tonnes [6]. Les principaux paysconcernés par la pêche thonière, par exemple,sont l’Union Européenne, la Coopérative dePêche thonière de Japon JAPAN THUNA et

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divers sociétés asiatiques. D’ailleurs l’UnionEuropéenne vient de renouveler son contrat :pour 2013-2015, 1 525 000 euros par anseront versés à l’Etat Malgache pour 15 000tonnes de produits pêchés et pour soutenir ledéveloppement du secteur [7]. Or on sait aussiqu’il existe dans ces pays industrialisésacquéreurs, un phénomène de gaspillagealimentaire. De manière globale, de la captureà la consommation il y a en moyenne 30% despoissons capturés qui sont perdus ou jetésdans le monde, voire même 50% pourl’Amérique du Nord et l’Océanie ensemble.Rien qu’en France, 10 000 à 13 000 tonnes depoissons invendus par an, sont empoisonnéset jetés à la mer pour des raisons «d’équilibredu marché » et de «concurrence déloyale »[8]. Les supermarchés préfèrent jeter lespoissons que de les vendre à moitié prix ou lesdonner.

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Figure 2 : Poisson et autres produit aquatique : Pertes et déchets depuis la capture, jusqu’à laconsommation selon la région du monde

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L’exploitation pétrolière n’est pas enreste. En juin 2008 près d’une soixantaine dedauphins ont échoué aux larges d’Antsohihy(Ouest), tandis que quelques jours auparavant,la société américaine Exxon Mobile effectuaitdes sondages en mer, dans la même zone,avec un sonar à balayage latéral, dans le cadrede travaux d’acquisition sismiques pour laprospection de sites pétroliers. Les recherchesont été stoppées face au désastre [9].

Quant à l’exploitation minière, l’usinede l’entreprise canadienne Sherritt aenregistré des fuites de dioxyde de soufre enFévrier et Mars 2012 dans les environs deToamasina. Elles ont entrainé une intoxicationdes villages alentours, provocant la mort dedeux enfants, tandis que plusieurs adultessont tombés malades. Un mois après, leConseil des Ministres annonce que la rivièreRanomainty qui fournit l’eau potable de la villede Toamasina a de forts risques d’être polluéepar les rejets d’acide sulfurique de l’usineSherritt. Ce même projet pompe une quantitéénorme de l’eau de la rivière Mangoro pourtransporter les minerais, d’Ambatovy(Moramanga) à Toamasina, à travers 220 Kmde pipeline de 60 cm de diamètre. Or la rivièreMangoro est l’un des sites sacré deZazavavindrano le plus prééminent de larégion. Tous ces risques environnementaux ethumains perdureront pendant au moins 29ans d’exploitation, au prix de 150 000 000 $,avec en perspective, l’extraction de 60 000tonnes de nickel, 5 600 tonnes de cobalt, 210000 tonnes de sulfate d’ammonium [10].

2.3. Protection et gestion des zonesaquatiques : légaliser la légitimité descommunautés autochtones

Tous ces problèmes relatifs aux projetséconomiques de dimensions internationalesprennent leur source au sein d’une

inadéquation du système politique avec lesréalités socio-culturelles.

Effectivement il a superpositiond’autorité : les tompon-drano sont face àl’Etat, aux sociétés civiles, aux institutionsinternationales. Il est évident que lesautorités légitimes dans la gestion de l’espaceaquatique sont avant tout les tompon-drano.Mais le système étatique et sa fonctionrégalienne - héritée de la monarchie et de lacolonisation française, avec l’appui desinstitutions internationales - se veut pourtantêtre le principal décideur et détenteur dupouvoir. Il amorce tout seul les projets.Aujourd’hui, même si la consultation descommunautés locales sur les projets qui lesconcerne se multiplie, elle est encoreinsuffisante et juste informative et nondécisionnelle. Un changement doit s’opérer.

Dans le cadre de la protectionenvironnementale des zones aquatiques,plusieurs types de gestion sont préconisées: lagestion étatique incluant les CollectivitésTerritoriales Décentralisées, la gestion Etat-Privé avec les ONG et Madagascar NationalPark, la gestion communautaire ou GestionLocale Sécurisée (GELOSE) incluant les Dina, lacogestion entre les utilisateurs, et enfin lagestion inter-pays de l’écorégion.Mais la gestion communautaire reste lameilleure solution pour un développementharmonieux préservant réellement les intérêtsdes populations. Et si transfert de gestion il ya, il doit logiquement se faire descommunautés autochtones vers l’Etat et demanière partielle, si et seulement si lesmembres du gouvernement et descollectivités décentralisées ainsi que toutautres intervenants sont culturellementintégrés aux logiques de l’espace sacré naturel.

Le principe du territoire à Madagascarest basé sur un système culturel bien défini,

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prenant sa source dans la sacralité. Lespropriétaires de l’eau sont avant tout lesZazavavindrano. Les communautés sontresponsables d’un site et non propriétairesd’un bien immobilier. Ils sont détenteurs dudroit d’usage. Ce droit d’usage ne s’acquièrepas simplement par une filiation ancestrale oul’achat, mais elle passe surtout par uneintégration et reconnaissance spirituelle, ainsiqu’une intégration culturelle vis-à-vis desZazavavindrano. Le droit privatif estdifficilement conciliable avec le systèmeautochtone.

Ainsi, pour la conservation ou pour lesprojets de développement, les sites doiventd’abord être structurés en fonction desespaces de responsabilité des autochtones etnon simplement en fonction de leurspotentialités biologiques ou paysagère. Pourcela une étude approfondie de la structure dela communauté en place doit être effectuée :relever une liste des tompon-drano, personnesressources responsables des rituels en rapportaux Zazavavindrano, essayer de cartographierleurs zones d’influence, en gardant en tête queles institutions monarchiques présentes sontrarement les vrais détenteurs du pouvoirspirituel et rituel de l’espace étudié. Commeon l’a vu dans la première partie de ce travail,ces responsables sont parfois à plusieurs pourun même site géographique.

Il faut aussi renforcer et de manièrelégale les tabous et rituels qui régissent lessites. Un changement constitutionnel doit biensûr être envisagé en ce qui concerne la laïcitéet l’aspect aliénable actuel de la terreMalgache, ainsi que les attributions etcapacités des Collectivités décentralisées.Dans ce sens, ce ne sont pas les lois de l’Etatqui vont être imposées à l’ensemble despopulations environnantes, mais ce sont leslois naturelles de ce même environnement quivont être utilisées par les acteurs

environnementaux publics et privés, pourarriver à l’objectif de conservation, sans nuireaux activités de subsistance déjà gérées par lesinterdits.

Cette démarche basée sur le pouvoirdes communautés de base Fokonolona,intégrant des systèmes de décision appelésteny ierana (parole concertée) et tenymiakatra (parole partant de la base vers lehaut), est essentielle pour assurer l’adhésiondes populations et l’efficacité des projets.

Dans le cadre de la conservationenvironnementale, les sites aquatiquesinstitutionnalisés sont nombreux. Ils devraientmieux intégrer ce système autochtone. Il y anotamment les sites RAMSAR (zoneshumides), et les Aires Marines Protégées(APM).

La majorité des sites RAMSAR sontd’ailleurs gérés par de grandes ONGinternationales comme Durrell WildlifeConservation Trust-DWCT, The Peregrine Fund-TPF, Wildlife Conservation Society-WCS etWorld Wide Fund-WWF. Parmi ces sitesRAMSAR, on peut citer: le lacTsimanampetsotsa-Betioky (45 604 ha au Suddu pays), le complexe des 4 lacs deManambolomaty-Antsalova (7 491 ha dansl'Ouest), le lac Alaotra- Ambatondrazaka (722500 ha dans l'Est), le marais de Torotorofotsy-Andasibe (9 993 ha, dans l'Est), le parc privéde Tsarasaotra à Soavimasoandro (27 ha,Antananarivo), le lac Bedo-Belo/Tsiribihina (1962 ha, dans le Sud) et la rivière de Nosivolo-Marolambo (358 511 ha dans l’Est). Or, laplupart de ces sites sont des domaines deZazavavindrano et ont des tompon-drano.

Les Aires Marines Protégées (APM)sont définies comme étant « des aires côtièresou des aires océaniques de gestion conçuespour la conservation à long terme des

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écosystèmes marins et côtiers et de leursfonctions, pour la protection des leursressources naturelles et culturelles ainsi quepour leur utilisation durable au bénéfice depopulations riveraines. » [11]. La mise enréserve de certains sites d’importanceculturelle ou cultuelle : tel est l’un desobjectifs de ces APM. C’est un aspect qui estimplicitement favorable aux relations avec lesZazavavindrano, mais nous pensons que lagestion des APM doit en grande partie reveniraux communautés. Voici la répartition de cesAires Marines Protégées: Nosy Hara,Ambodivahibe, Nosy Tanikely, Nosy Radama-Sahamalaza dans le Nord ; Masoala, Andreba,Nosy Antafana, dans le Nord-Est ; ExtensionKirindy-Mitea, Velondriake-Andavadoaka, dansle Sud-Ouest ; Toliara Sud/Nosy Ve-Androka,dans le Sud [12].

ConclusionLes sites sacrés aquatiques et les

esprits qui y habitent font partie du vécu et del’expérience quotidienne de plusieurspopulations de la Grande Ile. Ils sont lesterritoires des esprits-ancêtresZazavavindrano et parfois aussi celui desesprits-ancêtres Vazimban-drano. Ils sontgérés et préservés par les tompon-drano. Cesystème est tout autant valable pour lesespaces terrestres, qui eux, sont les domainesdes Kalanoro et Vazimba (an-tety) et sontgérés par les régisseurs de la terre tompon-tany. Face à ces réalités naturelles et socio-culturelles du pays, Madagascar doit remettreen question ses choix de développement,particulièrement en ce qui concerne sapolitique identitaire et les projets de grandeenvergure à vocation internationale.Effectivement, Madagascar ne peut pas

assouvir les besoins des populations dumonde entier sans qu’elle-même ne soitcapable d’assouvir ses propres besoinsfondamentaux, et surtout pas au détriment deson intégrité naturelle et culturelle. Unepriorisation s’impose. La Grande Ile doit renouveler sa structurepolitique et administrative, et trouver dessolutions plus locales et communautaires pourassurer la gestion efficace et pérenne de saterre, son eau, ses ressources naturelles et sapopulation.

RATRIMOARIVONY Mialy N. Juillet 2012

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[6] et [7] ILO, Accès aux ressourceshalieutiques et place de la pêche dansl’économie rurale, article consulté surhttp://www.ilo.cornell.edu/images/th3.5.pdf,le 25 Juillet 2012

[8] Documentaire visionné le 26 Juillet 2012sur http://www.jeanmarcmorandini.com,et http://www.wat.tv/video/morandini-zap-pres-13-000-52r1l_2exyv_.html

[9] Aucune précision officielle sur la mort desdauphins, article du 12 Juin 2008, consulté surhttp://www.lexpress.haisoft.mg, le 27 Juillet2012 ; Les dauphins continuent de mourir,article du 14 Juin 2008, consulté surhttp://www.lexpress.haisoft.mg, le 27 Juillet2012[10] Projet Ambatovy : Un grave accident àToamasina, article du 9 Mars 2012, consultésur http://www.lagazette-dgi.com le 25 Juillet2012 ; Les diverses conséquences graves destravaux de la société sherritt surl’environnement et les populations,Newsletter n°17, article du 9 Avril 2012,consulté surhttp://terresmalgaches.info/spip.php?article49, le 26 Juillet 2012[11] MINISTERE DE L’ENVIRONNEMENT, DESEAUX ET FORETS, Document d’orientation

pour la création et la gestion des AiresMarines Protégées à Madagascar, 2009, p.8[12] RATSIMBAZAFY R. (2011) p. 6

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LES TERRITOIRES AQUATIQUES DES ZAZAVAVINDRANO (FILLES DE L’EAU) : POURUNE GESTION COMMUNAUTAIRE DE L’EAU A MADAGASCAR

RATRIMOARIVONY Mialy NirinaDocteur en Géographie [email protected]

RésuméL’espace aquatique à Madagascar est plus qu’une ressource naturelle. Il est un espace

culturel, partie intégrante de l’identité des populations de l’Ile, car ce sont les lieux de vie etd’origine des ancêtres Zazavavindrano (filles de l’eau). Mais on remarque, aujourd’hui, queces espaces ont tendance à être surexploités et pollués. Le mode de fonctionnementécologique du système traditionnel lié aux Zazavavindrano, paraît alors être en oppositionavec les logiques de développement actuelles. Il nous fallait impérativement redéployer lesparticularités spatio-culturelles qui régissent les sites sacrés aquatiques afin de mieuxorienter les stratégies de gestion de l’eau.La présente étude s’est faite grâce à des enquêtes sur terrain effectuées dans différentesrégions de Madagascar, ainsi que des recherches bibliographiques et une veille numérique. Nous montrons dans cet article comment ces êtres surnaturels, mi-esprits mi-humains,instaurent les règles qui régissent la bonne utilisation de l’eau et de ses ressources, par lebiais des autochtones tompon-drano, responsables des rituels et de la préservation destabous. Face aux diverses menaces de dégradation du milieu, nous engageons une réflexionsur l’importance du renforcement de la gestion communautaire au sein des sites aquatiques,en fonction des spécificités culturelles de la Grande Ile.

Mots clés : Zazavavindrano, eau, autochtones, ressources aquatiques, mondialisation.

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RATRIMOARIVONY Mialy NirinaDocteur en Géographie [email protected]

AbstractThe aquatic space in Madagascar is more than a natural resource. It is a cultural space, an

integral part of the identity of the populations of the Island, because they are the places of life andthe places of origin of the ancestors Zazavavindrano (ladies of the water). But we notice, today, thatthese spaces tend to be over-exploited and polluted. The ecological way of functioning of thetraditional system bound to Zazavavindrano, appears to be in opposition with the current logics ofdevelopment. It was necessary to us to redeploy the spatio-cultural peculiarities which govern theaquatic sacred sites, to better direct the strategies of management of the water.The present study is the result of inquiries made in various regions of Madagascar, as well asbibliographical researches and web researches. We show in this article how these supernatural beings, half spirits-half human, establish the ruleswhich govern the good use of the water and its resources, through the indigenous people tompon-drano, responsible of the rites and the taboos. In front of diverse threats of degradation of theenvironment, we emit a reflection on the importance of the strengthening of the communitymanagement of aquatic sites, according to these cultural specificities of the Island.

Keywords: Zazavavindrano, water, indigenous people, aquatic resources, globalization.