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The Savoisien

Lucieto Charles - 12/12 - Le Secret Du Fellah

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Où James Nobody est chargé à une bien singulière mission.Soucieux, les sourcils froncés et les traits crispés par la colère, le Maréchal Lord Addendy, Haut Commissaire du Gouvernement britannique en Égypte, jeta un long coup à œil sur cette île de verdure qu'est Ismaïlia et qui, à mi-chemin de Port-Saïd et de Suez, aux confins imprécis de la Civilisation et de la Barbarie, semble lancer au désert, dont les sables calcinés houlent à l'horizon, un perpétuel défi.Ici, en effet, tout scintille et tout resplendit. Là, tout n'est que silence et que mort...Tapie au milieu de ses palmiers et de ses fleurs, qu'arrose à profusion, après avoir traversé le pays de Gessen, de biblique mémoire, l'eau du Nil, Ismaïlia, capitale de cette région si spéciale qu'on appelle le « Canal », abrite tout un monde à ingénieurs, de contremaitres et à ouvriers, dont' la seule raison à être est à entretenir et à exploiter la grande et magnifique voie à eau, qui raccourcit de moitié le trajet entre l'Europe et l'Asie.De tout temps, les hommes avaient rêvé de faire communiquer entre elles ces deux mers que sont la Méditerranée et l'Océan Indien, mais, tant que n'intervint pas ce grand Français qu'était Charles de Lesseps, cette idée demeura à l'état de projet.En effet, l'Égyptien Néko, qui vivait 600 ans avant Jésus-Christ, tenta le premier de réaliser le canal Nil—Mer Rouge. Puis, en 1671, ce fut au tour de Leibnitz à intervenir. Chacun connaît le projet qu'il soumit à Louis XIV, et qui comportait le percement de l'isthme de Suez.N° 12. — Le secret du Fellah.A la bonne heure !Je commençais à m'ennuyer sérieusement.Ce n'est pas une vie que de ne rien faire.Enfin, vint Bonaparte, qui confia à l'ingénieur Lepère le soin de relier les deux mers. Mais Lepère se trompa à ce point dans ses calculs, qu'il fallut renoncer à les réaliser.C'est en 1854 seulement que, après dix-huit ans à études sur le terrain, Charles de Lesseps présentait au Khédive un plan rationnel qui fut adopté deux ans plus tard.Ainsi que le dit René Vaulande dans l'admirable série à articles qu'il vient de consacrer à l'Égypte, dans le Journal, « ce coup de pioche dans l'isthme allait avoir un retentissement politique immédiat.« De tout son pouvoir, Lord Palmerston s'opposa à l'ouverture de cette voie qui allait dévier le sens traditionnel des courants commerciaux et stratégiques, et poser, sous un jour tout nouveau, la question méditerranéenne.

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  • The Savoisien

  • Charles LUCIETO

    Les Coulisses de lespionnage International

    L E S M E RV E I L L EUX E X P L O I T SD E JA M E S N O B O DY

    Collection complte :

    N 1. Un Drame au War-Office.N 2. Le Courrier du Tzar.N 3. Au Pays de lpouvante.N 4. La Louve du Cap Spartiventi.N 5. La Momie sanglante.N 6. Les Compagnons du Dsespoir.N 7. Les Mystres de la Sainte-Vehme.N 8. La Fin tragique dun Espion.N 9. LEffroyable Drame de Malhem.N 10. Les Vengeurs dIsis.N 11. Un Drame au Quartier gnral du Kaiser.N 12. Le Secret du Fellah.

    Chaque fascicule vendu 1 fr. 50, contient un rcit complet.

    On sabonne chez tous les dpositaires des Messageries Hachetteet aux ditions La Vigie 36, boulevard Saint-Germain, Paris.

    Un an (12 numros) 15 francs.Six mois (6 numros) 8 francs.

    Toutes les recensions o rditions numriquesde Lenculus sont gratuites, et ne peuvent faire lobjet daucun profit.

    On retrouvera toutes ses publications sur le site http ://the-savoisien.com/

  • 5CH. LUCIETOLes Coulisses de lEspionnage International

    deJames Nobody

    Copyright by ditions La Vigie , Paris.Tous droits de reproduction de traduction et dadaptation rservs pour tous pays, y compris la Sude, la Norvge et lU. R. S. S.Vente exclusive pour la France, ses colonies et pays doccupation rserve aux Messageries Hachette 111, rue Raumur, Paris.

    Le Secret du FellahI

    O James Nobody est charg une bien singulire mission.

    Soucieux, les sourcils froncs et les traits cris-ps par la colre, le Marchal Lord Addendy, Haut Commissaire du Gouvernement britannique en gypte, jeta un long coup dil sur cette le de verdure quest Ismalia et qui, mi-chemin de Port-Sad et de Suez, aux confins imprcis de la Civilisation et de la Barbarie, semble lancer au dsert, dont les sables calcins houlent lhori-zon, un perptuel dfi.

    Ici, en effet, tout scintille et tout resplendit. L, tout nest que silence et que mort...

    Tapie au milieu de ses palmiers et de ses fleurs, quarrose profusion, aprs avoir travers le pays de Gessen, de biblique mmoire, leau du Nil, Ismalia, capitale de cette rgion si spciale quon appelle le Canal , abrite tout un monde din-gnieurs, de contrematres et douvriers, dont la seule raison dtre est dentretenir et dexploiter la grande et magnifique voie deau, qui raccourcit de moiti le trajet entre lEurope et lAsie.

    De tout temps, les hommes avaient rv de faire communiquer entre elles ces deux mers que sont la Mditerrane et lOcan Indien, mais, tant que nintervint pas ce grand Franais qutait Charles de Lesseps, cette ide demeura ltat de projet.

    En effet, lgyptien Nko, qui vivait 600 ans

    avant Jsus-Christ, tenta le premier de raliser le canal NilMer Rouge. Puis, en 1671, ce fut au tour de Leibnitz dintervenir. Chacun connat le projet quil soumit Louis XIV, et qui comportait le percement de listhme de Suez.

    Enfin, vint Bonaparte, qui confia lingnieur Lepre le soin de relier les deux mers. Mais Lepre se trompa ce point dans ses calculs, quil fallut renoncer les raliser.

    Cest en 1854 seulement que, aprs dix-huit ans dtudes sur le terrain, Charles de Lesseps prsen-tait au Khdive un plan rationnel qui fut adopt deux ans plus tard.

    Ainsi que le dit Ren Vaulande dans ladmirable srie darticles quil vient de consacrer lgypte, dans le Journal, ce coup de pioche dans listhme allait avoir un retentissement politique immdiat.

    De tout son pouvoir, Lord Palmerston sopposa louverture de cette voie qui allait dvier le sens traditionnel des courants commerciaux et stra-tgiques, et poser, sous un jour tout nouveau, la question mditerranenne.

    Vaines manuvres ! Bientt, il ne resta plus lAngleterre qu

    sadapter la situation de fait... et en tirer parti. Lachat par elle des 177.000 actions du Khdive,

    et son occupation de lgypte, firent de ce canal tellement honni un des boulevards les plus jalou-sement gards de la puissance britannique.

    Et cest profondment vrai, car abandonner le canal quivaudrait pour lAngleterre renoncer

  • 4 les merveilleux exploits de james nobody

    son immense empire colonial dAsie que, tapis dans lombre, mais ne dissimulant nullement leurs convoitises, guettent les Soviets.

    Le vieux marchal hocha tristement la tte et, se tournant vers James Nobody qui, enfonc dans sa chaise bascule, et tout en fumant sa pipe, ne le quittait pas des yeux, il lui dit :

    Si, comme nous, ces damns travaillistes comprenaient limportance vitale qua, pour nous, Anglais, le canal, ils se garderaient bien dvacuer lgypte.

    Et lui montrant au loin le lac Timsah que traver-saient en ligne de file, bateaux de commerce et navires de guerre, il ajouta, amer :

    Voyez plutt ! Quadviendra-t-il de nous, quand lgypte sera indpendante ? Ne pourra-t-elle pas son gr, quand elle le voudra et comme elle le voudra, bloquer le passage ? Le grand d-tective eut un sourire et, quittant son sige, fami-lirement, il vint saccouder la rambarde auprs du marchal.

    Bah ! rpondit-il ; nous nen sommes pas ren-dus l. Dieu merci ! La toute rcente histoire est l pour nous prouver ce quil convient de pen-ser des accords et des traits conclus entre les puissances.

    Et puis, qui nous prouve que Mohamed Mahmoud pacha a russi convaincre Ramsay Mac Donald de la lgitimit de ses revendications ?

    Le vieux soldat tressaillit :Puis, lentement, il rpondit : Hlas ! Mohamed Mahmoud pacha a russi l

    o ses prdcesseurs avaient chou.Cette fois, ce fut au tour de James Nobody de

    tressaillir... Vous dites ? sexclama-t-il... Je dis, rpondit le Haut Commissaire, que, de-

    puis hier, lgypte est libre et indpendante...Lugubre, la phrase tinta comme un glas... Et,

    avant que James Nobody, stupfait, ait eu le temps de placer un mot, il poursuivit :

    Press dobtenir des ralisations dans le do-maine de la politique extrieure, le Cabinet travail-liste a publi, hier, Londres (1), le texte des notes changes par M. Henderson et le premier ministre dgypte.

    En analysant ces notes, jen suis arriv consta-ter que, cette fois, et contrairement ce qui sest

    1 3 aot1929.

    pass en 1924, lAngleterre reconnat la souveraine-t pleine et entire de lgypte.

    Il est vrai que, en change, lgypte a conclu une alliance avec nous et quelle nous accorde cer-tains privilges, entre autres ceux de maintenir des troupes britanniques proximit du canal de Suez et de fournir des instructeurs larme gyptienne.

    Mais, ainsi que vous le disiez tout lheure, que valent les traits ?

    Ils ne valent, videmment, rpondit, per-plexe, le grand dtective, que par ce que valent leurs auteurs.

    Parbleu ! sexclama Lord Addendy. Cest pour-quoi vous me voyez si profondment troubl. Et, si je vous ai demand de venir me rejoindre bord de mon yacht, ce nest pas tant pour vous deman-der dclaircir le mystre qui entoure linquitante disparition de Miss Arabella Folstromp, mais aussi pour nous concerter en vue des mesures prendre pour parer autant que possible aux inconvnients de toute nature qui vont rsulter de la mise en ap-plication du nouveau trait dalliance.

    Pensif, James Nobody rflchit longuement...Et, soudain, se tournant vers le marchal, il lui

    demanda : Que dit ce trait ? Ou, si vous le prfrez, quel

    en est le texte ?Le Haut Commissaire prit dans son portefeuille

    un document quil tendit James Nobody, tout en lui disant :

    Ce texte, le voici. Je ne sais rien de plus dsho-norant pour la vieille Angleterre.

    James Nobody prit le document et, minutieuse-ment, il lanalysa.

    En voici les clauses, qui stipulaient :1. La fin de loccupation militaire de lgypte

    par les troupes britanniques ;2. La conclusion dune alliance destine et

    consacrer lamiti, lentente cordiale et les bonnes relations entre les deux pays ;

    3. LAngleterre soutiendra la candidature de lgypte la S. D. N, ;

    4. Une entente au sujet des arbitrages et conflits possibles avec les diverses puissances ;

    5. Les signataires sengagent ne pas conclure avec une tierce puissance daccord prjudi-ciable aux intrts de lautre partie et ne pas adopter de politique trangre contraire ces intrts ;

    6. Le Gouvernement gyptien assurera la scu-

  • le secret du fellah 5

    rit des trangers et de leurs biens en gypte ;7. Un trait dalliance dfensive au cas o les

    dispositions du paragraphe 4 ne pourraient jouer ;

    8. Linstruction militaire de larme gyptienne ne sera confie qu des sujets britanniques ;

    9. La protection du canal de Suez sera assure par des troupes britanniques ;

    10. Lorsquil sera ncessaire davoir recours aux services de fonctionnaires trangers, le Gouvernement gyptien engagera de prf-rence des sujets britanniques ;

    11. Le Gouvernement anglais sefforcera dame-ner les puissances capitulaires renoncer leurs droits et daccepter la juridiction des tri-bunaux mixtes ;

    12. Les ambassadeurs seront nomms respective-ment Londres et au Caire ;

    13. Le statut du Soudan sera celui qui a t prvu par les conventions de 1899 ;

    14. Le trait envisag ne doit porter atteinte uni aux droits, ni aux obligations des deux pays dcoulant du covenant de la S. D. N. et du pacte Kellogg ;

    15. Les divergences dinterprtation du trait seront rgles suivant les termes du cove-nant dans le cas o les ngociations directes naboutiraient pas ;

    16. La validit du trait sera de vingt-cinq an-nes. Au bout de vingt-cinq ans, il pourra tre reconsidr.

    Quand il en fut arriv l, il redressa la tte et, sadressant au marchal, il lui demanda :

    Que veut dire, en langage diplomatique, le mot reconsidr ?

    En lespce, rpondit le marchal, cela veut dire que, dans vingt-cinq ans, on examinera de nouveau le trait afin de le remanier si on le juge utile. ,

    Bien ! fit simplement le grand dtective, qui se replongea dans sa lecture.

    Les notes complmentaires annexes au trait qui prcde, stipulaient que :

    a). Lgypte accepte de faire construire des ca-sernes pour les troupes britanniques le long du canal de Suez ;

    b). La Grande-Bretagne est prte fournir lgypte une mission militaire ;

    c). Si les officiers gyptiens doivent tre entrans

    ltranger, ils le seront en Grande-Bretagne ;d). Pendant la dure de la rforme intrieure de

    lgypte, le gouvernement du Caire acceptera les services des citoyens britanniques comme conseillers financiers et judiciaires.

    Le grand dtective parcourut une seconde fois le document et, silencieusement, le rendit au Haut Commissaire.

    Eh bien ! Quen pensez-vous ? lui demanda ce dernier, dont lanxit tait visible...

    James Nobody eut une moue expressive et, net-tement, rpondit :

    Mon Dieu ! Je pense quil ny a pas lieu de trop salarmer pour le moment.

    Tout dabord, et cest l lessentiel, le sta-tut du Soudan nest pas modifi. Or, qui tient le Soudan, tient lgypte.

    Ensuite, le trait ne pourra entrer en vigueur avant trois mois au plus tt, et il faudra au moins deux ans pour que soit termin le transfert des troupes britanniques stationnes en Egypte dans la zone du canal.

    Or, il est bien certain, en juger par le train dont vont les choses, que, dans deux ans dici, grce Snowden, Henderson et Mac Donald, le Cabinet travailliste sera pass ltat de lgende.

    De plus, ni au Caire, o les apptits sont grands, ni Londres, o, tout de mme, les Conservateurs ont leur mot dire, la ratification de ce trait nira toute seule.

    De mme quils ont exig de nous leur propre in-dpendance, les nationalistes gyptiens exigeront lindpendance du Soudan, dont la possession est vitale pour eux.

    Ils savent fort bien que, la moindre friction entre lAngleterre et lgypte, rien ne nous serait plus facile que dasscher le Nil.

    Or, sans eau, que feraient-ils ? Cest juste ! fit le Haut Commissaire, rass-

    rn. Et je ne suis pas loign de partager votre optimisme.

    Cet optimisme, hlas ! ne dura gure.En effet, peine Lord Addendy avait-il fini de

    parler, que lun de ses officiers dordonnance ve-nait le rejoindre sur la passerelle.

    Monsieur le Marchal, lui, dclara-t-il, lop-rateur de la T. S. F. vient de capter la proclamation que Mohamed Mahmoud pacha vient dadresser au peuple gyptien.

    Dj ! sexclama le vieux soldat. En voil un

  • 6 les merveilleux exploits de james nobody

    qui ne perd pas son temps au moins ! Et, que dit cette proclamation ?

    Lofficier qui, tandis que loprateur la tradui-sait haute voix, lavait stnographie, la lui lut aussitt.

    Elle tait ainsi conue : Je suis heureux dannoncer quaprs de lon-

    gues et difficiles ngociations, jai russi obtenir des propositions pour le rglement des relations entre lgypte et lAngleterre sur une base den-tente amicale et mutuelle.

    Au cours de ces ngociations, je nai pas man-qu dinsister avec toute lnergie possible sur les aspirations et les esprances de lgypte et jai constat que le Gouvernement britannique dsi-rait sincrement rpondre ces aspirations, tant quelles demeureront compatibles avec les inten-tions anglaises relatives la protection du canal de Suez et certains autres intrts britanniques.

    Jespre ardemment que ces propositions qui seront portes en dtail la connaissance du peuple gyptien en temps opportun, seront examines, sans considration dopinion ou de croyances, par tous les gyptiens patriotes et ai-mant leur pays.

    Je pense, et ma croyance est partage en cela, par le Gouvernement britannique, quun trait renfermant lesdites propositions consolidera lamiti anglo-gyptienne et permettra aux deux pays de cooprer dans lexcution de leurs obli-gations internationales pour le maintien de la paix mondiale.

    Je demande donc tous les patriotes gyp-tiens de ne permettre quaucune opinion ou ide de parti empche lgypte datteindre sa vri-table position comme nation souveraine ind-pendante.

    De nouveau, Lord Addendy hocha la tte... Ce bloc enfarin ne me dit rien qui vaille, dcla-

    ra-t-il, toute son anxit soudain revenue ; car, il est bien vident que ce rus renard quest Mohamed Mahmoud pacha, ne manifesterait pas ainsi sa joie, sil navait quelque ide de derrire la tte.

    Et, sadressant James Nobody, il ajouta : Cest cette ide que je vous charge de dcouvrir,

    car, de toute vidence, la situation politique de de-main sera fonction de sa mise en application.

    Diable ! dclara le grand dtective en se tour-nant vers lui, vous me demandez l de faire lim-

    possible. Je ne puis, en effet, moccuper la fois de rechercher Miss Arabella Folstromp et de dduire de son attitude et de ses actes, ce, que pense le premier ministre dgypte.

    Je ne possde ni le don dubiquit ni le don de double vue. Dailleurs, je nai jamais chass deux livres la fois, et...

    Dun geste courtois, mais ferme, le marchal linterrompit et, aprs avoir renvoy son officier dordonnance, il rpondit au grand dtective :

    Cest prcisment parce que ces deux affaires sont connexes, que je vous demande de vous en occuper.

    James Nobody le regarda, ahuri.... En quoi ces deux affaires sont-elles connexes ?

    Et, dois-je donc attribuer Mohamed Mahmoud pacha lenlvement de cette jeune fille ?

    Encore que cela soit possible, dclara le ma-rchal, je nen crois rien pour le moment. Je crois, par contre, que le Wafd est la base de cette af-faire et que cest lui qui la mene de bout en bout. En ce cas, ce serait catastrophique...

    Pourquoi cela ? Parce que, rpondit Lord Addendy angoiss,

    Miss Arabella Folstromp, laquelle ntait autre que la plus active et la plus intelligente de mes... subor-donnes, ayant russi saffilier au Wafd, celui-ci ne lui pardonnera pas dtre entre en relations, et, en cela, elle ne faisait que se conformer a mes ordres, avec Mohamed Mahmoud pacha, dont, il est lirrductible adversaire.

    Que craignez-vous donc ? demanda vive-ment James Nobody.

    Lord Addendy, aprs avoir jet un coup il souponneux autour de soi, rpondit voix basse :

    Je crains que le coupeur de ttes ne soit pass par l...

    Du coup, James Nobody sursauta... Le coupeur de ttes ! sexclama-t-il, an-

    goiss. Quel est-il, celui-l ?Se penchant alors vers lui, le Haut Commissaire

    rpondit : Je vous saurais un gr infini de me lapprendre...Et, plus bas encore, il ajouta : Car, celui-l, il sait tout, il voit tout et, quoi

    quait fait ma police pour le capturer, il demeure l insaisissable ...

    James Nobody haussa assez irrespectueusement les paules et, posant son regard sur le Marchal,

  • le secret du fellah 7

    il lui demanda : Me chargez-vous de larrter ? Non seulement je vous en charge, rpondit

    vivement Lord Addendy, mais je vous supplie de men dbarrasser.

    Cela fut dit sur un tel ton que James Nobody comprit que laffaire tait srieuse.

    Oh ! oh ! sexclama-t-il, ce... monsieur est-il donc si redoutable que cela ?

    Le Marchal eut un sourire dune tristesse infi-nie et, lentement, rpondit :

    Un dtail vous fixera cet gard : depuis trois mois, le coupeur de ttes a assassin dix-huit personnes qui, toutes, peu ou prou, staient occu-pes de lui...

    Et, on na jamais pu lidentifier ! sexclama James Nobody, indign.

    Jamais ! Eh bien ! dclara solennellement le grand

    dtective, je vous donne ma parole que, moi, je lidentifierai.

    Bien mieux ! Ds maintenant, je, prends laffaire en mains, et je jure Dieu, quil aura ma peau ou que jaurai la sienne !...

    Ainsi quon va le voir, ce ntait pas l une vaine menace...

    II

    O James Nobody se met luvre.

    Que faisait donc en gypte le grand dtective, pour quil ait pu rpondre aussi vite lappel que lui avait lanc Lord Addendy ?

    Il se reposait, tout simplement !Mais le repos, si mrit et si ncessaire soit-il, ne

    plat gure certains hommes qui, considrant le travail comme un devoir, tiennent le repos pour du temps perdu.

    James Nobody tait de ceux-l.Cest pourquoi il dcida, ne sachant comment

    employer son temps, tudier sur place le pro-blme si complexe des rapports anglo-gyptiens.

    Encore quil apparaisse dune simplicit ex-trme, rien nest plus complexe en ralit que cet angoissant problme qui met constamment aux prises loppresseur et les opprims et de la solu-

    tion duquel dpend uniquement lindpendance totale de lgypte ou son asservissement dfinitif.

    Approfondir en quelques jours un tel tat de chose nest point si facile quon le pense ; car, non seulement il faut se mfier des impressions pre-mires, mais, par surcrot, il faut toucher, dans un minimum de temps, un grand nombre dindi-vidus, dont, fatalement, les avis sont partags et diffrent totalement, les faire parler le plus pos-sible, flairer les imposteurs, les ignorants ou les partisans de lune ou de lautre thse, comparti-menter les questions afin de les mieux srier ; en-fin, complter son enqute par lexamen impar-tial des faits acquis, partant indiscutables.

    Cest pourquoi, laissant de ct tout ce qui fait le charme de lgypte : lantiquit, le mystre des hypoges, les corps momifis troitement entra-vs par leurs bandelettes, Toutankamon et les normes richesses dcouvertes dans son tom-beau, mille autres choses, enfin, James Nobody se plongea rsolument dans lanalyse de cette politique voulue par le Colonial Office et qui, par suite des fautes commises et ds iniquits voulues par les dirigeants britanniques, en est ac-tuellement arrive un tournant aussi dcisif que dangereux pour la paix du monde.

    Grce son esprit danalyse et ses mthodes de dduction, le grand dtective eut tt fait de pla-cer en pleine clart et dans leur vritable relief, les incidents qui, diffrentes reprises, ensan-glantrent lgypte.

    De mme que tous les Anglais, il savait que, ds la dclaration de guerre, en aot 1914, lAn-gleterre, arrachant lgypte la suzerainet de la Sublime Porte, avait proclam son protectorat sur elle.

    Mais, ce quil ignorait en partie, ctait pour-quoi, malgr les promesses faites par lAngle-terre lgypte, pour la remercier du concours sans limites quelle lui avait accord au cours de la guerre et qui savra total, le peuple gyptien navait pas encore obtenu son indpendance.

    Qutait donc devenue la clbre formule du pr-sident Wilson, que lAngleterre avait faite sienne, et qui proclamait que les peuples avaient le droit de disposer deux-mmes ?...

    Ce quelle tait devenue ?Elle avait t abroge par une dclaration et

    par un statut .Tout simplement...

  • 8 les merveilleux exploits de james nobody

    Ce statut avait pour base la dclaration du 22 f-vrier 1922, laquelle, formule par le Gouvernement britannique dalors, avait le grave dfaut aux yeux des gyptiens dtre unilatrale, et que, cela tant, ils considraient comme attentatoire leur libert.

    En gros, lAngleterre faisait cinq concessions desquelles elle exigeait pour contre-partie quatre rserves.

    Elle supprimait le protectorat. Elle ne soppo-sait pas au rtablissement dun ministre des Affaires trangres. Elle acceptait linstitution dun Parlement. Elle admettait lgypte comme tat souverain et indpendant, tant entendu quelle envisage parfois la souverainet et lind-pendance sous un jour un peu spcial. Elle sup-primait la loi martiale.

    En retour, elle conservait sa discrtion les problmes touchant la scurit des communi-cations de lEmpire. Elle sengageait dfendre lgypte contre une intervention trangre sans que les gyptiens aient la moindre illu-sion se faire sur le dsintressement dun tel en-gagement. Elle prenait la responsabilit de la sur-veillance des intrts trangers. Enfin et surtout, elle sinstallait aux sources du Nil, cest--dire aux sources de vie du pays.

    Point important : elle insinuait en termes vagues que ces rserves pourraient, par la suite, faire lobjet dun accord entre les deux pays. Ctait une promesse du bout des lvres. Mais autour de cette promesse qui veilla tant desprances, toute la politique anglo-gyptienne a tournoy pendant sept ans, parfois dans le calme, parfois aussi dans des cyclones et avec du sang.

    Ainsi quon le voit, lgypte, en escomptant les promesses faites pendant la guerre par ses agres-seurs, avait fait un march de dupe...

    Voyons les faits, maintenant :Le 15 mars 1922, le roi Fouad assume le titre de

    roi et de majest.Le 30 avril 1923, lgypte proclame sa

    Constitution en 170 articles, sur le principe de la sparation des pouvoirs, de la reprsentation parlementaire, de la responsabilit ministrielle devant la Chambre des Dputs, du suffrage universel.

    Le 12 janvier 1924, la premire Chambre des Dputs est lue, amenant le triomphe du parti wafd ou parti de lintransigeance, fond par le c-

    lbre leader Zaghoul pacha, qui devient prsident du Conseil.

    Ds lors, entre lAngleterre et lgypte, la lutte commence...

    En pleine Chambre des Dputs, au Caire, Zaghoul pacha dclare que le Soudan, terre gyptienne depuis les Pharaons, appartient la vieille gypte ; ce quoi, en pleine Chambre des Communes, Londres, Mac Donald rpond que le mme Soudan appartient, de par la force des baonnettes britanniques, la jeune Angleterre.

    Les deux hommes se rencontrent Londres...En vain.Leurs conceptions diffrent ce point quil leur

    apparat impossible de les rapprocher.Zaghoul pacha, outr de tant de mauvaise foi,

    rentre au Caire, furieux...Que se passa-t-il exactement entre les chefs du

    Wafd et lui ?Nul ne le saura jamais sans doute....Toujours est-il que le 18 novembre 1924, le sirdar,

    Sir Lee Stack, commandant en chef des troupes anglo-gyptiennes stationnes au Soudan, tom-bait, de mme que Klber autrefois, sous le poi-gnard dun fanatique.

    Il en rsulta que la flotte anglaise bloqua aus-sitt Alexandrie, tandis que les autorits britan-niques semparaient des douanes, exigeaient le rappel des soldats gyptiens camps au Soudan et incarcrait, tort ou raison, tous les gyptiens partisans du Wafd.

    Cest de ce moment que, humilie et asser-vie, lgypte entra dans la voie douloureuse des attentats.

    Successivement, Zummer pacha, Adly pacha et Saroit pacha, qui avaient consenti former des groupements, seffondrrent sous les hues des fellahs.

    Successivement, deux Chambres furent dis-soutes parce que leurs votes dplurent aux wafddistes .

    Mais, Mahomed Mahmoud pacha tait intervenu qui, aprs avoir assum la dictature et dissout une fois de plus le Parlement, avait dclar au peuple quil se chargeait damener rsipiscence les Anglais.

    Les choses en taient l...Aussi, James Nobody, dont lenqute tait termi-

    ne, sennuyait-il prodigieusement au Caire o il ne savait plus que faire, quand le tlgramme de Lord Addendy vint le tirer daffaire.

  • le secret du fellah 9

    A la bonne heure ! sexclama-t-il, gaiement. Je commenais mennuyer srieusement. Ce nest pas une vie que de ne rien faire.

    Et, bouclant ses valises, il partit pour Ismalia, o le Haut Commissaire faisait une tourne dinspection.

    Quand il sut que la mission politique que lui confiait Lord Addendy se doublait une affaire criminelle, le grand dtective ne se tint pas de joie.

    Mais quand il apprit quil allait avoir lutter contre cet tre aussi redoutable que mystrieux qutait le coupeur de ttes , il exulta.

    Aussi, ds quil eut reu des mains du Marchal les pleins pouvoirs quil sollicita de lui, et qui lui taient indispensables pour mener son enqute bien, se mit-il rsolument louvrage.

    Partant aussitt pour Le Caire o se trouvent les services de la police criminelle, il rquisitionna un bureau et sy installa en compagnie de ses deux se-crtaires et amis, Bob Harvey et Harry Smith qui, on le sait, ne le quittaient jamais, mme quand le grand dtective effectuait un voyage dagrment.

    Ces trois hommes, en effet, offraient ceci de re-marquable, et cela suffisait dexpliquer les re-tentissants succs quils avaient obtenus jusquici, quils se compltaient admirablement, et que, en tout et pour tout, ils avaient la mme faon de voir, de comprendre et de travailler .

    A eux trois ils formaient un bloc homogne, sans lzarde aucune, et que tous ceux qui sy taient essays navaient pu russir dentamer.

    Tout dabord, avant que de pousser, plus avant, James Nobody se fit communiquer les dossiers concernant les dix-huit crimes commis par le coupeur de ttes , et il eut tt fait de constater que chacun de ces crimes avait prcd ou suivi larrestation de lun quelconque des membres du Wafd .

    Bien mieux ! Chaque fois quun crime devait tre commis, le mystrieux meurtrier prvenait la vic-time sur laquelle il avait jet son dvolu, en lui adressant un avis dactylographi, dont le texte ainsi conu tait toujours le mme :

    PARtI DU PEUPLE-----Commission excutivedes groupes de combat.-----SECtION D'EXCUtION

    L'un des ntres ayant t arrt et em-prisonn injustement, nous avons le re-gret de vous informer que de lgitimes reprsailles seront exerces contre votre personne.Vous subirez un traitement identique celui qu'il subira lui-mme.Considr comme otage, vous mourrez si lui-mme est condamn mort.

    LE COUPEUR DE ttES.Les dossiers quexamina James Nobody ne

    contenaient que trois de ces avis.Les autres avaient disparu.Mais le grand dtective nen conclut pas moins

    que les trois avis quil avait en sa possession avaient t taps sur la mme machine crire et provenaient du mme auteur.

    Les f et les y ; notamment, taient uss et ne don-naient quune empreinte imparfaite ; quant au t, il tait absent, et l o il manquait dans le texte, on lavait remplac par un t dessin au crayon chimique.

    Pour tous les crimes on avait institu une proc-dure identique.

    Tout dabord, on avait interrog les chefs du Wafd, qui avaient jur ntre pour rien dans cette affaire, et qui, sous la foi du serment, avaient d-clar tout ignorer du meurtrier.

    Aprs quoi, on avait simultanment perquisi-tionn chez eux et au sige du Wafd.

    Mais, en aucun cas, on navait obtenu de rsul-tats, et il avait bien fallu classer les dossiers.

    Perplexe, James Nobody examina laffaire sous tous ses angles, et il en vint penser que sil pou-vait dcouvrir la machine dcrire sur laquelle, avaient t dactylographis les avis, en admet-tant mme que celui qui elle appartenait ne ft pas lauteur de ces crimes atroces, par lui, il par-viendrait fatalement au coupable.

    Sadressant alors Bob Harvey, il lui dicta la note que voici, et qui fut dactylographie sur une feuille de papier lettre len-tte du Haut Commissariat :

    Dordre de Son Excellence le Haut Commissaire, Marchal Lord Addendy, MM. les commerants,en rsidence dans la zone du canal sont invits envoyer durgence la Rsidence la liste de leurs employs.

    MM. les propritaires dhtels et dapparte-

  • 10 les merveilleux exploits de james nobody

    ments meubls sont galement pris denvoyer la Rsidence, en mme temps que la liste de leur personnel, la liste des gens qui habitent ou ont pris pension chez eux.

    Autant que possible, ces listes devront tre dactylographies, de manire faciliter le tra-vail des statisticiens, qui ont tout autre chose faire que de dchiffrer des critures manuscrites illisibles.

    Les contrevenants sont informs quils se-ront frapps une amende de cinquante livres gyptiennes, sils nont pas fourni dans les qua-rante-huit heures qui suivront, la liste demande ci-dessus, ou, si layant fournie, elle est illisible.

    Bon Dieu ! fit, en souriant, Bob Harvey, voil qui va produire un certain remue-mnage chez les gens viss par cette note. Elle est destine la presse, nest-il pas vrai ?

    Naturellement ! rpondit le grand dtective. Vous allez vous rendre tous deux dans les diff-rents journaux de la ville, et vous insisterez pour que cette note paraisse pendant quarante-huit heures et dans toutes les ditions de chaque journal.

    Puis, jovial, il ajouta : Cest bien le diable, si dans tout le fatras qui

    va nous parvenir, nous narrivons pas identifier la machine suspecte.

    En tout cas, cela nous permettra de faire une premire slection.

    La seconde, nous lobtiendrons en bouclant les contrevenants.

    Ensuite, sil le faut, nous passerons en revue toutes les machines utilises par les administra-tions de ltat.

    Mais, jespre que nous naurons pas en ar-river l et que, ds le dbut, nous obtiendrons le rsultat recherch...

    Et, tandis que ses deux collaborateurs sen al-laient porter la note aux journaux, James Nobody se rendit chez le colonel Sir George Robinson, chef de la police de sret du Caire, auquel il fit part de sa dcouverte et demanda si ses agents, lors des enqutes prcdentes, staient aperus des anomalies que prsentait la machine em-ploye par le mystrieux bandit.

    Constern, car il sagissait l dune faute pro-fessionnelle dune extrme gravit, Sir George Robinson rpondit que, ni lui, ni ses agents navaient remarqu ce dtail.

    Mais, sempressa-t-il dajouter, nous allons immdiatement faire le ncessaire pour rparer la faute commise par nous.

    Cest alors que James Nobody lui soumit le texte de la note adresse aux journaux.

    Le haut fonctionnaire la lut avec attention et, aprs avoir flicit le grand dtective, lui dclara :

    Il est fort possible que nous recevions sous peu des nouvelles du coupeur de ttes , car, fai-sant tat dune dnonciation anonyme, jai donn des instructions pour que, aujourdhui mme, on arrte un nomm Ali ben Moussah, qui, en croire lauteur de la dnonciation, ne serait autre que lun des agents chargs dassurer la liaison entre les rebelles gyptiens et les dissidents soudanais.

    Oh ! oh ! sexclama James Nobody que cette nouvelle intressa vivement ; vous tes sr de cela ?

    Sr, serait beaucoup dire ! rpondit le colo-nel. Toujours est-il que de lenqute prliminaire, il semble bien rsulter que cet individu, qui tient place Mhemet Ali un magasin de cotonnades as-sez bien achaland, est toujours par monts et par vaux, sous le prtexte de placer ses produits.

    Dautre part, la brigade politique, qui le tient lil , ma signal que, maintes reprises, et tout rcemment encore, il a tenu en public des propos subversifs, qui sont de nature nous faire penser que Ali ben Moussah doit, tre class, non par-mi les rationalistes gyptiens quil tient, tout en les servant, pour incapables de susciter la moindre rvolte, mais bien parmi les anarchistes.

    Serait-il partisan de laction directe ? insista James Nobody.

    Je pense bien ! scria le colonel. Il a mme, dernirement, dans un caf du quartier arabe, fait une apologie vibrante de Lnine, ce qui lui a valu dtre plac immdiatement sous la surveillance de la brigade politique, qui le tient pour un propa-gandiste redoutable.

    Pourquoi, dans ce cas, demanda le grand d-tective, est-il encore en libert ?

    Parce que avant que den arriver cette extr-mit, nous avons voulu savoir quelles taient ses frquentations.

    Et alors ? Alors, nous nous sommes rendu compte

    quil nentretenait aucune relation avec les gens inscrits au parti communiste. Par contre, il fr-quente avec assiduit les lments extrmistes

  • le secret du fellah 11

    de gauche du Wafd, cest--dire ces individus qui mettent leurs espoirs, non dans une volution pacifique des ides quils prconisent, mais dans une rvolution sanglante :

    By Jove ! sexclama James Nobody ; sil en est ainsi, il nest que temps, en effet, de le mettre sous les verrous.

    Et, aprs avoir rflchi un moment, il poursuivit : Quand comptez-vous larrter ? Sir George

    Robinson consulta sa montre et, se tournant vers James Nobody, dclara :

    Si mes instructions ont t suivies la lettre, ce doit tre chose faite lheure actuelle.

    On va lamener ici ; sans doute ? Trs certainement, car je compte procder

    moi-mme a son interrogatoire. Pourrais-je y assister ? Jallais vous en prier !Puis, prenant sur son bureau un dossier copieu-

    sement garni, Sir George Robinson ajouta, tout en le tendant James Nobody.

    Sans doute, vous sera-t-il agrable, mon cher collgue, dexaminer avant son arrive le curri-culum vitae de cet individu ? Vous y trouverez, je crois, matire rflexion.

    Aprs avoir remerci le chef de la sret de son amabilit, le grand dtective se plongea dans ltude du dossier dAli ben Moussah et, tout de suite, il constata que Sir George Robinson, sil avait exactement situ le personnage, avait omis, par contre, de lui signaler que, rgulirement, Ali ben Moussah sabsentait du Caire, du vendredi soir au lundi matin.

    Aussi attira-t-il son attention sur ce point. En effet, reconnut de bonne grce le chef de

    la sret, et je mexplique mal que mes agents naient pas cru devoir complter leur enqute sur ce point.

    Bah ! fit James Nobody, lessentiel est que nous connaissions ce dtail et, pour peu que vous me permettiez de poser quelques questions dAli ben Moussah...

    Voulez-vous procder vous-mme son inter-rogatoire ? offrit poliment le chef de la sret qui, professant pour James Nobody une trs relle admiration, et le sachant investi des pouvoirs les plus tendus, nhsita pas seffacer devant lui.

    Ne serait-ce pas abuser de votre complai-sance ? rpondit James Nobody, que cette offre enchanta.

    Mais, pas le moins du monde, dclara Sir George Robinson. En moins dune heure vous avez avanc ce point votre enqute que je ne puis que mincliner devant votre matrise et me dclarer on ne peut plus satisfait davoir, pour maider, un collaborateur tel que vous.

    James Nobody le remercia dun signe de tte, et rpondit en souriant :

    En ce cas, jaccepte. Mais, comme jai une faon toute personnelle dinterroger les prve-nus, je vous prie de ne point vous mouvoir si quelques-unes des questions que je poserai tout lheure Ali ben Moussah vous paraissaient sor-tir du cadre de cette enqute.

    Sans plus insister, le grand dtective se mit en communication avec lhuissier plac dans son antichambre et lui demanda si ses deux secr-taires taient rentrs.

    Ils viennent darriver linstant, chef, lui r-pondit le brave homme.

    Parfait ! En ce cas, priez-les de venir me re-joindre chez Sir George Robinson.

    Ds quils furent arrivs, leur tendant deux des fiches anthropomtriques de Ali ben Moussah, il leur dit :

    Vous allez vous rendre immdiatement, lun, la gare centrale, lautre, au bureau des messa-geries fluviales, et vous vous efforcerez de savoir en quel endroit lindividu que voil passe son week-end.

    Ds que vous aurez obtenu ce renseignement, dont jai un besoin urgent, vous me le donnerez par tlphone et vous reviendrez immdiate-ment ici.

    Un quart dheure plus tard, Bob Harvey lin-formait que, rgulirement, Ali ben Moussah et quelques-uns de ses amis, une douzaine exac-tement, prenaient un billet pour Edfou.

    Bien ! rpondit le grand dtective qui ajouta aussitt :

    Revenez immdiatement.Quelques instants plus tard, Harry Smith lui

    faisait savoir que ni l Anglo American Nile Steamer , ni la Khedivial Mail Line , on navait reconnu le portrait dAli ben Moussah.

    Peu importe ! dclara James Nobody son collaborateur. Jai le renseignement. Rejoignez-moi de suite.

    Puis, ayant raccroch lcouteur, il se tourna vers Sir George Robinson et senquit :

  • 12 les merveilleux exploits de james nobody

    O se trouve exactement Edfou ? Edfou, rpondit le haut fonctionnaire, est une

    ville qui compte environ 7.000 habitants et qui est situe dans la Haute-gypte. Administrativement, elle appartient la moudirieh (1) dAssouan.

    Dans lantiquit, elle sappelait Tabouit et tait la capitale du nome (2) de Tas-Horou, le deuxime de la Haute-gypte.

    Elle possdait un temple anthistorique qui tait consacr au culte de Horus lan (Haroeris).

    Plus tard, sous les Ptolmes, elle prit le nom dAppolonopolis.

    Les Franais entretinrent dans ce temple une garnison entre 1799 et 1800 ; mais ce nest quen 1864, quil fut dblay et restaur par Mariette, lgyptologue franais.

    A lheure actuelle, les travaux entrepris par Mariette se poursuivent sous la direction de lIns-titut franais dArchologie orientale du Caire.

    By Jove ! sexclama James Nobody qui, tandis que parlait le chef de la sret, avait jet quelques notes sur son calepin ; By Jove ! Vous me parais-sez parfaitement au courant de lhistoire de cette ville.

    Tristement, le haut fonctionnaire hocha la tte et, lentement, il rpondit :

    A cela, il y a une raison. Cest Edfou, en effet, que, au cours dune enqute, ont disparu deux de mes meilleurs collaborateurs, le capitaine Albert Simmons et linspecteur Nat Browns.

    Mais, je les connaissais beaucoup ! scria James Nobody, stupfait. Comment ! Ils, ont dis-paru ! En quelles circonstances, je vous prie ?

    Alors, au grand dtective, qui nen pouvait croire ses oreilles, Sir George Robinson fit les mou-vantes dclarations que voici...

    III

    O James Nobody fait une dcouverte stupfiante...

    Il y a deux ans, cest--dire le 2 novembre 1925 exactement, je reus ici mme, dans ce bu-reau, la visite de larchologue franais Jean du Fourest qui, pour le compte de lInstitut franais

    1 Sous-prfecture.2 Prfecture.

    dArchologie du Caire, dirige les fouilles actuelle-ment entreprises Edfou.

    Ces fouilles, vous le savez, sans doute, ont don-n des rsultats tonnants, et cela, dautant plus que, comme dans la plupart des cits datant de lpoque de la prhistoire, les constructions di-fies au cours des sicles se sont accumules les unes sur les autres, levant ainsi le niveau du sol.

    Cest ce qui explique pourquoi le temple est beaucoup plus bas que le niveau de la ville ac-tuelle, puisque, pour y accder, on a d construire un escalier.

    La ville-moderne est donc construite sur les ruines des villes qui lont prcde et, notam-ment, sur les dblais qui, au cours des sicles ; se sont amoncels autour du temple.

    Comme cest parmi ces dblais, que sont prati-ques les fouilles, il en rsulte naturellement que le dblaiement des couches suprieures, ramne au jour les ruines chronologiquement les plus jeunes.

    Cest ainsi que, par exemple, fut retrouve la cit copte et arabe rige l au Xe sicle de notre re, et dans les ruines de laquelle on a dcouvert de vritables merveilles.

    De quelle nature ces merveilles ? demanda. James Nobody, vivement intress par cet expos.

    Mon Dieu ! Il y avait un peu de tout, vous savez, rpondit Sir George Robinson, notam-ment des toffes de soie et de lin admirable-ment conserves, des vases travaills avec un art consomm, de belles poteries et, parmi celles-ci, une jarre haute dun mtre, remplie de papyrus coptes et arabes, dont la plupart taient encore scells.

    Mais la trouvaille la plus extraordinaire qui fut faite Edfou, fut sans contredit, un livre dont on connaissait lexistence certes, mais qui avait dis-paru depuis des sicles.

    Reli en cuir, ce livre contenait toutes les tra-ditions, relatives au Prophte et, du point de vue coranique, avait une valeur inestimable.

    Comme bien vous le pensez, le premier geste de M. Jean du Fourest fut denfermer dans son coffre-fort ce livre, qui tait dautant plus pr-cieux, quil tait unique au monde.

    Mais, il eut le tort immense de faire part de sa dcouverte la presse, qui sempressa de porter la nouvelle la connaissance du public.

    Il en rsulta que, quelques jours plus tard, en

  • le secret du fellah 13

    rentrant chez lui, M. Jean du Fourest constata que son coffre-fort avait t fractur et que le prcieux bouquin avait disparu.

    Cest alors quil me fit part de ce vol. Son dsespoir tait immense, et il ne parlait de

    rien moins que de se suicider, si on ne le lui ren-dait pas immdiatement.

    Je le consolai de mon mieux et, afin de lui d-montrer que de mon ct rien ne serait nglig pour rcuprer son livre, en sa prsence, je don-nai lordre Albert Simmons et Nat Browns, deux de mes meilleurs inspecteurs, de le retrou-ver, cote que cote.

    Que, se passa-t-il ensuite ? demanda James Nobody.

    Sir George Robinson leva les bras au ciel... Ce qui se passa, Dieu seul pourrait vous le dire, rpon-dit-il, amer.

    Comment cela ? fit James Nobody, surpris. Dois-je donc comprendre que leurs recherches naboutirent pas ?

    Non seulement elles naboutirent pas, rpon-dit le chef de la sret, mais, ainsi que je vous lai dit tout lheure, Albert Simmons et Nat Browns disparurent sans laisser de traces.

    Je suppose, demanda alors le grand dtective, quon a tout de mme essay de sexpliquer cette disparition

    Le haut fonctionnaire haussa les paules, et dune voix attriste, riposta :

    Vous est-il arriv dj, dexpliquer linexpli-cable ?

    James Nobody prit une cigarette dans son tui, lalluma et aprs avoir jet lallumette dans un cen-drier, posant son regard sur Sir George Robinson, rpondit

    Linexplicable ? Mais je passe ma vie lexpli-quer ! Car, et de cela, vous pouvez tre certain, il nest pas dnigme, si complique soit-elle, dont, par la logique et la dduction, on ne puisse venir bout.

    Cingl par le reproche implicitement contenu dans la phrase qui prcde, le haut fonctionnaire courba la tte et, tristement, dclara :

    Je sais, mon cher collgue, que vous en tes en-core subir un chec, mais tout le monde na pas votre talent, ce talent qui fait de vous le plus grand dtective de lunivers.

    Quoi quil en soit, en ce qui me concerne, je puis vous donner lassurance que, en cette affaire,

    jai fait limpossible pour arriver la dcouverte de la vrit.

    coutez plutt... Ds leur arrive Edfou o, bien entendu, ils se

    prsentrent comme des touristes et non comme des policiers, Simmons et Browns qui, je le rpte, taient deux de mes meilleurs agents, se mirent au travail.

    La preuve en est que quarante-huit heures plus tard, ils madressaient un premier rapport dans lequel ils me faisaient part de leur inquitude et de leur stupfaction ; car, massuraient-ils, au-tour deux, tout ntait que mystre et silence ; et ils avaient limpression trs nette quils se trouvaient devant un mur infranchissable .

    Lexpression nest pas de moi, elle est deux. Ne pouvant mieux faire, je leur rpondis de ne

    pas se dcourager et de prendre, en lutilisant de leur mieux, tout le temps qui leur serait nces-saire pour mener leur enqute bien.

    Un second rapport me parvint six jours plus tard, dont le moins quon en puisse dire, est quil me parut incomprhensible ce point que, toute affaire cessante, je partis pour Edfou.

    Que vous disaient-ils, somme toute ? deman-da le grand dtective, qui ne cessait de prendre des notes.

    Jose peine vous le rpter, rpondit Sir George Robinson, tellement vous paratraient grotesques et ridicules leurs assertions.

    Dites toujours, insista James Nobody,Le chef de la sret hsita quelque peu puis, se

    levant, il dclara : Mieux vaut que vous jugiez par vous-mme.

    Je vais donc, si vous le voulez bien, vous donner communication des deux seuls rapports que jaie jamais reus deux.

    James Nobody ayant acquiesc dun signe de tte ; Sir George Robinson se dirigea vers une ar-moire sur laquelle tait peinte, en gros caractres linscription : Affaires momentanment classes.

    Il louvrit et y prit un volumineux dossier quil remit au grand dtective.

    Voil, lui dit-il, qui contient tous les faits , de la cause. Les rapports portent la cote 1 et 2. Ils sont manuscrits.

    Mais, pas du tout ! scria James Nobody, qui venait, aprs avoir rapidement feuillet le dossier, den extraire les deux rapports, ils sont dactylographis !

  • 14 les merveilleux exploits de james nobody

    Et, les tendant Sir George Robinson, il ajouta : Voyez plutt !Atterr, le haut fonctionnaire sexclama ; Oh ! Oh ! Que veut dire cela ? Je suis sr de mon

    fait, pourtant. Les rapports taient manuscrits et non dactylographis ; ceci, pour la raison bien simple que, Edfou, il nexiste quune seule machine crire, celle de la mission archologique franaise.

    Tandis que parlait le haut fonctionnaire, James Nobody, aprs avoir repris les deux documents, stait approch de la fentre, et les tudiait avec une attention profonde.

    Vous tes bien sr, demanda-t-il, soudain, que, Edfou, il nexistait quune seule machine crire ?

    Jai pu men assurer moi-mme lors du voyage que jy fis en 1925, rpondit Sir George Robinson. La machine en question tait une Underwood portative en excellent tat de fonctionnement.

    Cest, sans doute, sur cette Underwood que M. Jean du Fourest tapait les lettres quil vous adressait ?

    Cest certain ! O sont ces lettres ? insista le grand dtec-

    tive. Je ne les ai pas aperues dans le dossier. Elles doivent pourtant sy trouver ?

    Impatient, James Nobody haussa les paules et, schement, rpondit :

    Voyez vous mme. Elles ny sont pas !Sir George Robinson prit le dossier, le feuilleta et

    constata, en effet, que les lettres avaient disparu...Il se prit la tte deux mains et, affol, scria : Ah ! a, que peuvent-elles bien tre deve-

    nues ? La chose est dautant plus surprenante que, mon secrtaire et moi, sommes les seuls possder les clefs de cette armoire et...

    En ce cas, interrompit vertement James Nobody, peut-tre pourriez-vous demander votre secrtaire ce quil en a fait et, par la mme occa-sion, exiger de lui lexplication du mystre qui nous entoure.

    Car, la situation est telle, que nous sommes en-ferms dans ce dilemme : ou cest vous, ou cest lui, qui avez truqu ce dossier !

    Or, comme ce ne peut tre vous, il faut donc que ce soit lui.

    Et, puisque daprs vos dclarations, vous tes les seuls possder la clef de ce meuble, je vous mets au dfi de sortir de ce dilemme.

    Cela est dautant ; plus grave que je viens de faire une dcouverte stupfiante.

    Savez-vous, en effet, sur quelle machine ont t taps les deux rapports de vos agents ?

    Je nen ai pas la moindre ide, rpondit, en proie linquitude la plus vive, linfortun magistrat.

    James Nobody prit un temps et, froidement, d-clara :

    Ils ont t taps sur la machine du cou-peur de ttes

    IV

    O James Nobody se livre quelques dductions...

    Quand se fut calme lmotion produite en lui par laffolante dcouverte faite par James Nobody, Sir George Robinson murmura :

    Je ne sais plus que croire, car Sam Webley, mon secrtaire, est au-dessus de tout soupon. Non seulement il a accompli toute sa carrire sous mes ordres, mais je puis dire que depuis vingt ans, je nai jamais eu loccasion de lui adresser une observation.

    Cela est si vrai que, le tenant pour un parfait gentleman, je nai pas hsit lui accorder la main de ma fille,

    Je rponds donc de lui corps pour corps, car je considre quil est le meilleur fonctionnaire qui ait jamais appartenu au service de la sret.

    James Nobody lana un coup dil apitoy a linfortun magistrat, mais il nen rpondit pas moins dune voix ferme :

    Nous ne sommes pas ici pour faire du senti-ment, nest-il pas vrai, mais notre devoir ? Or, jai le regret de vous informer que le plaidoyer que vous venez de prononcer en faveur de votre... gendre, ne ma nullement convaincu.

    Tout lheure je vous dirai pourquoi. Et, montrant Sir George Robinson, qui le regar-

    dait, ahuri, un sous-main form dune plaque de cristal et autour duquel taient soigneusement ran-gs les divers ustensiles de bureau dont se servait au cours de son travail Sam Webley, il poursuivit :

    Cest bien cette place que travaille votre se-crtaire, nest-ce pas ?

    Sir George Robinson ayant rpondu affirmative-ment, James Nobody reprit :

  • le secret du fellah 15

    Sil en est ainsi, je vais vous fournir une preuve immdiate, dores et dj, jen possde dautres, de la flonie de Sam Webley. Jignore si cest lui qui a drob les rapports qui vous avaient t adres-ss par Simmons et Browns, mais, je puis certifier, par contre, quil a eu entre les mains les rapports dactylographis.

    Et, il ne me laurait pas dit ? sexclama, scep-tique, le chef de la sret. Cela, je ne le croirai jamais.

    Mme si je vous en fournissais la preuve imm-diate ? insista le grand dtective.

    Sir George Robinson haussa les paules et, vive-ment inquiet, rpondit :

    Comment pourriez-vous prouver une chose qui nexiste pas ?

    Sans plus insister, James Nobody tira de sa poche une trousse quil ouvrit et dans laquelle, parmi les douze flacons qui la garnissaient, il en prit un qui contenait une poudre gristre.

    Cette poudre, il la rpandit sur la premire page de chacun des deux rapports que, ensuite, il agita rapidement en tous sens, de manire ce que la poudre les recouvrt entirement.

    Aprs quoi, il en parsema entirement la plaque de verre qui servait de sous-main Sam Webley.

    Puis, se tournant vers Sir George Robinson qui, muet, avait assist cette double opration, le grand dtective lui dit :

    Comme, tant parent de Sam Webley, vous ne pouvez tre ni juge ni partie en cette re-grettable affaire, je vous requiers, et au besoin, je vous somme, de convoquer immdiatement deux tmoins asserments et, de prfrence, deux de vos subordonns.

    Effar, on let t moins, Sir George Robinson sexclama

    Deux tmoins ? Quen voulez-vous donc faire ? Et de quoi auront-ils tmoigner ?

    Froidement, James Nobody rpondit Ils auront tmoigner que les empreintes digi-

    tales dcouvertes par moi, tant sur les pseudo-rap-ports que sur la plaque de verre, sont exactement identiques et proviennent du mme individu.

    Comme bien on pense, jamais le grand dtective naurait eu recours ce moyen pour convaincre Sir George Robinson de lexactitude de ses directions.

    Il avait trop bon cur pour agir de la sorte, et il savait trop bien que linfortun magistrat au-

    rait t la premire victime de cette dmonstra-tion, dont sa fille et lui sortiraient salis, sinon dshonors.

    Mais, toute question de sentiment mise part, il nen demeurait pas moins quil fallait que la f-lonie dont stait rendu coupable Sam Webley fut punie.

    Aussi navait-il employ cette ruse que pour mieux convaincre Sir George Robinson quil convenait de prendre au srieux cette affaire.

    Constern, ce dernier murmura : Ainsi, afin de mieux prouver la justesse de vos

    dductions, vous nhsitez pas rendre publics le scandale dont je vais tre clabouss et la catas-trophe imprvue qui sabat sur ma fille et moi ?

    Je ne vous savais pas inhumain ce point et, moins que vous nayez quelque raison secrte de men vouloir, je ne comprends rien aux mobiles qui vous font agir de la sorte.

    Et, avec tristesse, il ajouta : Nayez crainte, si vous me dmontrez que mon

    gendre est coupable, nul autre que moi ne lui de-mandera compte de son forfait. Et, plutt que de voir ma fille dshonore par lui, je labattrai moi-mme comme un chien...

    tant donne la situation, mieux valait videm-ment quil en ft ainsi, car, si James Nobody exi-geait le chtiment du coupable, il admettait fort bien que tout ce linge sale ft lav en famille...

    Cest pourquoi, se tournant vers ce pre infortu-n, il lui dit avec une motion contenue :

    Je serais indigne dtre lhomme que je suis, si, insensible au malheur qui sabat sur vous, je ne faisais limpossible pour en diminuer les effets.

    Jaccepte donc de men rapporter votre jugement.

    Et, lui montrant les empreintes digitales qui, maintenant, se dtachaient en noir sur les rap-ports et sur la plaque de verre, simplement, il lui dit :

    Voyez et comparez !Sir George Robinson se pencha sur les em-

    preintes et, longuement, il les examina.Aucun doute ntait possible quant leur

    concordance. Elle crevait les yeux !Il ne put donc que se rendre lvidence...Satisfait davoir obtenu ce premier rsultat,

    James Nobody se hta de lexploiter et, sadres-sant au chef de la sret, dont le dsespoir tait navrant, il lui dit :

  • 16 les merveilleux exploits de james nobody

    Veuillez noter que je naccuse nullement, jusqu prsent, Sam Webley davoir tap ces deux pseudo-rapports.

    Ce que je lui reproche, cest de ne pas vous avoir signal leur prsence dans le dossier, en mme temps que la disparition des rapports vritables.

    Pourquoi sest-il tu ? Cest ce que, sans doute, un avenir prochain

    nous apprendra. Mais, dores et dj, je suis en droit de dire que

    cette faon de procder, si elle ne constitue pas une preuve de culpabilit, nen est pas moins une forfaiture.

    Ce nest que trop vrai, hlas ! murmura Sir George Robinson, accabl.

    Impitoyable, James Nobody poursuivit : La preuve de sa culpabilit, par contre, res-

    sort nettement de la lecture des rapports de nos camarades Albert Simmons et Nat Browns.

    Analysons-les plutt...Que dit, en effet, le premier en date ? Ceci

    Ds notre arrive Edfou, nous nous sommes et mis en rapport avec M. Jean du Fourest qui nous a fait le meilleur accueil, et qui, comme convenu, nous a prsent son entourage comme si nous tions des touristes et non des policiers.

    Comme il tait fort tard et que nous navions rien de mieux faire, nous acceptmes de souper en sa compagnie.

    Le souper, auquel prirent part un natif (1) du nom de Ahmed el Hassani, lve diplm de lUniversit musulmane El-Ahzar ; lantiquaire grec bien connu, Dmtrius Staphiropoulos, dont le magasin est situ rue Kasr- el-Nil, au Caire, et le savant gyptologue anglais Reginald Talbot fut servi sur la vrandah de la, villa Te f kirah o habite M. Jean du Fourest.

    Ds que nous fmes table, une controverse, dont nous ne pmes rien tirer qui ft de na-ture nous aider dans notre enqute, sins-titua entre MM. Dmtrius Staphiropoulos et Rginald Talbot, relative la valeur scientifique du livre drob M. Jean du Fourest.

    Le Grec prtendait que la plupart des pr-ceptes quil contenait tant dj connus ; lou-vrage ne valait que par son antiquit et seule-ment comme objet de collection.

    Sir Rginald Talbot affirmait au contraire que,

    1 Un gyptien dorigine.

    du point de vue coranique, il avait une valeur immense.

    Soudain, au moment o on nous servait le caf et les liqueurs, un projectile, lanc de lextrieur, vint tomber au milieu de la table, brisant en mille miettes la tasse pose devant M. Staphiropoulos.

    Avant que personne nintervienne, M. Jean du Fourest sempara du projectile et, alors, nous nous apermes avec stupeur quil tait constitu par une pierre autour de laquelle on avait enrou-l et ficel un morceau de papier.

    Ce papier supportait le texte dactylographi que voici :

    Tous, autant que vous tes, et ceci s'adresse plus spcialement mm. Albert Simmons et Nat Browns, qui feraient mieux de retourner immdiatement do ils viennent, vous prirez, si vous continuez vous occuper de l'affaire dont vous discutez prsentement.

    L'heure n'est plus o on puisse encore, s'empa-rer des trsors contenus dans nos temples, et qui sont la proprit du peuple gyptien.

    Ainsi que vous le voyez, pour si anonyme qu'il ft, l'avis n'en tait pas moins premptoire.

    De plus, il nous visait particulirement, ce qui ne laissa pas de nous surprendre, car, maquil-ls et camoufls comme nous l'tions, il tait matriellement impossible de nous identifier.

    Il faut donc qu'une fuite se soit produite au Caire, et cela est d'autant plus stupfiant que, sauf votre secrtaire et vous, nul n'est au courant de la mission dont vous avez bien voulu nous charger...

    Quand il en fut arriv l, James Nobody inter-rompit la lecture du rapport et, se tournant vers Sir George Robinson, il lui dit :

    Vous voudrez bien convenir quil serait difficile dtre plus net ! Laccusation est formelle et, moins dtre de la plus insigne mauvaise foi, nous sommes forcs de traduire ainsi la phrase qui prcde :

    Nous avons t trahis par lun des ntres et, ce-lui-l, sir George Robinson tant labri de tout soupon, ne peut tre que son secr-taire, M. Sam Webley.

    Et, frappant du plat de la main sur le rapport plac devant lui, le grand dtective dclara solennellement :

    La preuve de la trahison commise par votre gendre, la voila !

  • le secret du fellah 17

    Puis, haussant le ton, James Nobody ajouta : Ce qui me surprend, cest que, ds la rception

    de ce rapport, vous nayez pas mis Sam Webley en tat darrestation, car le rapport contient gale-ment dautres accusations, non moins formelles.

    Que dit-il, en effet ? coutez :

    Ainsi que vous le pensez bien, cet incident, il sagit du jet du projectile, prcisa James Nobody, jeta un certain froid dans lassistan-ce. Mais,. quand M. Jean du Fourest eut donn lecture du document et ces menaces quil conte-nait, MM. Staphiropoulos, Talbot et Ahmed el Hassani, pris de panique, senfuirent sans de-mander leur reste.

    Le danger tant patent, nous nous gardmes bien de les imiter et, malgr quil sy oppost de toutes ses forces, nous demeurmes auprs de notre hte afin de le dfendre le cas chant.

    Nous dcidmes donc, Nat Browns et moi, de veiller tour de rle et, comme jtais le moins fatigu des deux, je pris la premire garde.

    Il tait, ce moment, minuit. Jempruntai une paire de babouches (1)

    M. Jean du Fourest, men chaussai et, sans faire le moindre bruit, je minstallai sur la vrandah o, lil et loreille au guet, je me tapis dans un coin dombre.

    La lune qui brillait dun vif clat clairait de sa ple lueur les tres et les choses et, seul, le friselis des palmiers voisins troublant le silence ambiant...

    Soudain, alors que, au loin, sonnait une heure du matin, il me sembla entendre un bruit de pas dans le jardin.

    Rapidement, je me jetai terre et, dissimul derrire la balustrade de la vrandah, jattendis.

    Bientt, japerus deux individus qui, prot-gs par lombre des palmiers savanaient et pas lents, vers la villa.

    Ils sarrtrent au pied de lescalier qui per-mettait daccder la vrandah, et lun dentre eux, un Europen, dit voix basse lindi-gne qui laccompagnait :

    Tu vas aller voir sils dorment et, ds que tu auras acquis cette certitude, tu viendras me rejoindre ici.

    Lgyptien parut hsiter... tes-vous bien sr, demanda-t-il son com-

    1 Sandales indignes.

    plice, que les deux blancs qui sont arrivs hier soir sont des policiers ?

    Lautre ricana... Jen suis dautant plus sr que cest notre

    ami, le policier du Caire, qui ma prvenu de ce quils venaient faire ici. Il ma mme certifi que cest le plus grand des deux, celui qui sappelle Nat Browns, qui a arrt ton frre Mohamed.

    Lindigne poussa un rugissement de fureur et, sans se soucier dtre entendu, clama :

    Sil en est ainsi, il ne prira que de ma main. Et, aprs stre dbarrass de sa gandourah (2),

    poignard en main, il bondit sur lescalier dont il escalada les marches.

    Mais, ces marches, il les redescendit plus vite quil ne les avait montes, car, ds quil mit le pied sur la vrandah, dun coup de poing en pleine fi-gure, je le rejetai en arrire.

    Loin de venir son aide, son complice prit pr-cipitamment la fuite.

    Alarme ! mcriai-je, afin dalerter Nat Brown, et, sans plus attendre, je me lanai la poursuite du fugitif, sur lequel, de temps autre, je tirai un coup de revolver, mais sans latteindre.

    Malheureusement une auto lattendait sur le chemin et, quand, mon tour, je franchis la porte du jardin, je laperus qui dmarrait en quatrime vitesse.

    Cet insuccs ne me dcouragea nullement, car jtais persuad que, tenant lun des bandits, je ne tarderais pas capturer lautre et, toutes jambes, je courus vers la villa afin de massurer de la personne de lindigne.

    Hlas ! Il avait disparu... Et, sa place, gisant au milieu dune mare de

    sang, un couteau plant en pleine poitrine, japer-us M. du Fourest que, dj, entouraient tous ses do-mestiques, en proie laffolement le plus complet.

    O est mon ami ? leur demandai-je vive-ment.

    Il est parti la poursuite du meurtrier, me rpondirent-ils avec ensemble.

    Rassur sur ce point, jenvoyai lun dentre eux chercher un mdecin et ordonnai aux autres de transporter leur matre dans sa chambre.

    Fort heureusement, le couteau ayant gliss sur les ctes, M. Jean du Fourest sen tirera avec plus de peur que de mal. Toutefois, lhmorragie

    2 Sorte de chemise blanche que portent les fellahs et sous laquelle ils sont nus.

  • 18 les merveilleux exploits de james nobody

    conscutive lattentat la tellement affaibli, quil devra garder le lit pendant de longs mois.

    Le rapport se terminait ainsi : A lheure o je vous cris, vingt-quatre heures

    se sont coules depuis le dpart de Nat Browns, et il na pas reparu.

    Depuis midi, et il est minuit, je suis sa recherche.

    Jai le regret de vous informer quil ma t im-possible de recueillir le moindre renseignement le concernant.

    De quelque ct que je me tourne, jai limpres-sion de me heurter un mur...

    Aussi, je vous demande avec instance de mettre immdiatement hors dtat de nuire celui qui, du Caire, renseigne aussi bien nos ennemis.

    Notre vie en dpend !

    Maintenant, James Nobody stait tu...Les yeux rivs sur Sir George Robinson, il le fixait

    ardemment, mais sans parvenir rencontrer son regard.

    Pitoyable, il haussa tes paules et, dune voix pre, demanda :

    Au fait, pourquoi M. Sam Webley nest-il pas son poste ?

    Il est actuellement en cong, rpondit Sir George Robinson.

    Ah ! Ah ! ironisa James Nobody, il a bien de la chance...

    Et aprs avoir rflchi quelques secondes, il insista :

    O se trouve-t-il actuellement ?

    Sir George Robinson courba un peu plus la tte et, dans un murmure, rpondit :

    A Edfou...

    V

    O James Nobody commence agir...

    Cette dclaration stupfia ce point le grand dtective que, tout dabord, il nen put croire ses oreilles.

    Cela, cest un comble ! sexclama-t-il, enfin. Et, que fait-il l-bas ?

    Sir George Robinson jeta un coup dil crain-

    tif James Nobody et, dune voix mal assure, rpondit :

    A len croire, il emploie ses vacances des-sayer de percer le mystre qui entoure la dispari-tion dAlbert Simmons et de Nat Browns. Je dois la vrit, de reconnatre que, jusquici, et malgr tous ses efforts, il ny est pas parvenu.

    James Nobody pouffa... Vous pouvez mme tenir pour certain, railla-

    t-il, quil ny parviendra jamais ; car, si maladroit soit-il, il ne lest pas au point de vous donner des verges pour le fouetter.

    Non ! La vrit est tout autre. La vrit est quil doit se rendre Edfou pour y retrouver ses com-plices et sy livrer, en leur compagnie, je ne sais quelle mystrieuse besogne.

    Et, sans paratre y attacher autrement dimpor-tance, le grand dtective posa son interlocuteur la question que voici :

    Si je ne mabuse, laffaire est momentanment classe, nest-il pas vrai ?

    Elle est classe, en effet, reconnut Sir George Robinson.

    La riposte arriva, rapide comme la foudre : Alors, pourquoi et quel titre Sam Webley sen

    occupe-t-il ? demanda vivement James Nobody. Parce que, rpondit le chef de la sret, le

    gouvernement khdivial a offert une prime de dix mille livres gyptiennes celui dont les rvlations permettraient de retrouver les auteurs de la srie dattentats commis Edfou.

    Oh ! Oh ! sexclama James Nobody, dont cette rvlation boules ersa quelque peu les hypo-thses, la prime est allchante. Comment, diable, ne sest-il pas trouv des gens pour sefforcer de la gagner ?

    Ne croyez pas cela ! scria vivement Sir George Robinson. Au contraire, nous avons reu quinze dnonciations, dont sept taient ano-nymes. Mais quelles fussent anonymes ou non, nous navons jamais pu entrer en relations avec leurs auteurs.

    Pourquoi cela ? demanda James Nobody, stupfait.

    Parce que, rpondit avec tristesse le chef de la sret, soit avant, soit aprs larrestation des membres du Wafd dnoncs par eux, ils avaient t assassins par le coupeur de ttes .

    Le grand dtective effectua un bond sur sa chaise...

  • le secret du fellah 19

    Cest formidable ! scria-t-il. Oui, cest formidable ! rpta Sir George

    Robinson. Et, cela dautant plus que, l encore, Sam Webley et moi tions les seuls connatre le texte de ces dnonciations...

    En ce cas, tout sexplique, fit James Nobody, outr. Cest lui, encore lui, toujours lui, qui les a trahis !

    Et, vivement inquiet, il poursuivit : Dites-moi ! Sam Webley savait-il que Miss

    Arabella Folstromp avait t charge dune mission par Lord Addendy ?

    De blme quil tait, le chef de la sret devint livide...

    Hochant affirmativement la tte, tristement, il rpondit :

    Non seulement il le savait, mais cest sur son insistance que javais mis la disposition du Haut Commissaire, Miss Arabella.

    En ce cas, fit James Nobody, constern, elle est perdue !

    Et, aprs avoir longuement rflchi, posant son regard sur le chef de la sret, il lui dit :

    Peut-tre est-il temps encore de la sauver. Possdez-vous sa photographie et celle de votre gendre ?

    Sans mot dire, Sir George Robinson prit dans un tiroir plac devant lui, un classeur sur la couver-ture duquel les mots Personnel du Service de la Sret stalaient en grosses lettres.

    Il louvrit et, aprs lavoir feuillet ; il en sor-tit deux photographies quil tendit au grand dtective.

    Voil ! fit-il simplement.James Nobody les prit et les examina longuement.Puis, se levant, il se dirigea vers la porte quil

    entrebilla et, dun geste, il appela Bob Harvey et Harry Smith qui, paisiblement assis dans lanti-chambre, conversaient avec lhuissier.

    Ds quils furent entrs dans le bureau, le grand dtective leur exposa laffaire dune faon claire et prcise et, aprs leur avoir remis les photogra-phies, il ajouta :

    Vous allez immdiatement partir pour Edfou et, ds votre arrive, vous vous efforcerez de savoir :

    1. Si cette femme na pas t aperue dans cette ville, au cours des trois derniers jours ;

    2. Ce quoi occupe ses loisirs M. Sam Webley.Tous les jours, midi exactement, vous me ren-

    drez compte par tlphone, ici mme, du point o en sera arriv votre enqute.

    Dans le cas o ma prsence vous paratrait in-dispensable, nhsitez pas men informer.

    Puis, aprs avoir libell un chque leur inten-tion, il ajouta :

    Autant que possible, vitez dentrer en re-lations directes avec M. Jean du Fourest. Au contraire, prsentez-vous l-bas sous laspect de camelots, ce qui vous permettra dentrer partout.

    Vous naurez pour ce faire qu acheter dans un bazar quelconque des objets de pacotille, que vous revendrez perte au besoin.

    De plus, vous prendrez mon auto, car rien ninspire plus confiance aux gens que de possder une voiture.

    Bob Harvey et Harry Smith partirent aussitt...A peine avaient-ils disparu que retentissait la

    sonnerie du tlphone.Sir George Robinson porta les couteurs

    ses oreilles et dune voix que lmotion altrait encore :

    Allo ! fit-il, qui ai-je lhonneur de parler ? ... Eh bien ! lavez-vous arrt ? ... Vous dites ? ... Oh ! Quelle horreur ! ... Mais, cest pouvantable ! Attendez-moi ! Je

    viens immdiatement !

    Sir George Robinson raccrocha les couteurs et, se tournant vers James Nobody, livide, il lui dit :

    Le brigadier Walton que javais charg darrter Ali ben Moussa, minforme linstant que ce der-nier tant absent de chez lui, il a requis un serrurier pour ouvrir la boutique, de lintrieur de laquelle se dgageait une odeur infecte...

    Et, aprs ? interrompit vivement le grand dtective.

    Aprs, il pntra lintrieur de la boutique la tte de ses hommes et, sur le sol, derrire le comp-toir, il dcouvrit les cadavres dcapits de deux hommes et dune femme...

    Cette fois, ce fut au tour de James Nobody de blmir !

    Mais, si cette nouvelle le bouleversa, il ny parut gure.

  • 20 les merveilleux exploits de james nobody

    Prenant, son chapeau, sa canne et ses gants ; il se borna dire ce mot

    Partons !

    Mais, il le dit sur un tel ton et avec un tel accent de colre que Sir George Robinson lui-mme se fit tout petit, et murmura :

    Jai dans lide que a va barder !

    VI

    O James Nobody prend les mesures qui simposent

    et assiste un nouveau drame.

    Et, en effet, a barda...Tout dabord, James Nobody fit vacuer la place

    que, la nouvelle du drame, la populace avait envahie.

    Les reprsentants de la presse eux-mmes ne trouvrent pas grce devant lui et cest sans prendre de gants quil les invita aller traner leurs gutres ailleurs...

    Ces messieurs ntant pas habitus tre traits de la sorte, voulurent lever une protestation.

    Sadressant alors celui qui semblait tre leur doyen, le grand dtective lui dclara sans aucune amnit :

    Je vous donne une minute pour dguerpir. Si, ce laps de temps coul vous tes encore l, jau-rai le regret de vous faire reconduire manu milita-ri au del des barrages de police.

    Les journalistes se le tinrent pour dit, et dispa-rurent aussitt...

    Stant ainsi dbarrass des importuns, James Nobody pntra son tour dans la boutique. de Ali ben Moussa et, avec satisfaction, il constata que le brigadier Walton, fidle en cela aux tra-ditions de la police britannique, avait laiss les choses en ltat.

    Il len remercia vivement et, de concert avec le chef de la sret, il procda aux constatations dusage..

    Comme bien on pense, et par cela Mme que les trois cadavres taient dcapits, il tait im-possible de les identifier sur place.

    James Nobody se contenta donc pour le mo-ment de faire photographier par les agents du service anthropomtrique, le thtre du drame,

    aprs quoi, leur dsignant quelques empreintes digitales ensanglantes, il leur demanda de les relever soigneusement.

    Lexamen des cadavres ne lui apprit rien quil ne sut dj.

    Lun dentre eux tait un Europen ; lautre un indigne ; quant la femme, elle tait certaine-ment dorigine britannique, ainsi que ltablirent les divers tatouages quelle portait sur la poitrine, aux bras et sur lune de ses cuisses.

    James Nobody examina attentivement son linge et ses dessous, qui taient de la soie la plus fine ; mais, son vif dsappointement, il saperut que de mme que celui de lEuropen, il avait t dmarqu.

    Il fit donc photographier les tatouages que por-tait cette malheureuse et, se tournant vers Sir George Robinson qui, courb sur le corps de lEu-ropen, lexaminait avec lattention la plus minu-tieuse, il lui dit :

    Verriez-vous un inconvnient quelconque, cher ami, ce que je fasse transporter la morgue, aux fins dautopsie et didentification, les trois ca-davres que voici ?

    Le chef de la sret se redressa et, au lieu de rpondre la demande que venait de formuler le grand dtective, les yeux hagards, il scria, angoiss :

    Aucun doute nest possible ! Cest lui ! Cest bien lui !

    Et, fondant en larmes : Je le savais bien, moi, clama-t-il, quil ntait

    pas coupable, puisque, lui aussi, il est tomb sous les coups du bandit !

    Tout dabord, James Nobody hsita comprendre...

    Quoi ? Que se passe-t-il ? fit-il en sadressant Sir George Robinson. Auriez-vous identifi ce cadavre ? Quel est-il, en ce cas ?

    Qui il est, ne le devinez-vous-pas ? rpondit en sanglotant de plus belle, Sir George Robinson.

    Alors,. James Nobody comprit... Serait-ce Sam Webley ? sexclama-t-il, anxieux... Me verriez-vous dans un pareil tat sil en tait

    autrement ? rpondit linfortun magistrat. Vous tes sr de cela ? scria James Nobody,

    boulevers par cet incident auquel il ne satten-dait certes pas.

    Hlas ! Je nen suis que trop certain, dclara Sir George Robinson qui, leffet de surprise pass, re-

  • le secret du fellah 21

    prenait graduellement ses esprits, et qui poursui-vit aussitt

    Il existait, ma connaissance, trois moyens didentifier Sam Webley :

    1. Bless grivement au ventre pendant la guerre, il avait subi lopration de la laparatomie ;

    2. Aprs la guerre, au cours dune arrestation dif-ficile, il avait eu le bras travers par une balle ;

    3. Il avait un nvus sur la face externe de la cuisse droite.

    Ainsi que vous le pouvez constater vous-mme, le nvus et les deux cicatrices existent bien aux en-droits indiqus par moi.

    De plus, rcemment, il a renvers sur son panta-lon, une fiole dencre Waterman, laquelle, ainsi que vous le savez, est indlbile.

    Or, la trace de cette tche, nous la retrouvons sur le pantalon.

    Que voulez-vous de plus probant ? Dailleurs, pour peu que vous doutiez encore, je

    puis faire venir immdiatement le cordonnier qui, il y a moins de quinze jours, a rpar les chaussures que porte encore le cadavre. Je serais bien surpris sil ne les reconnaissait aussitt...

    Cest parfaitement inutile, rpondit le grand dtective, car les prcisions que vous venez de me fournir me suffisent amplement.

    Et puis, ne possdons-nous pas le moyen de vrifier, sans mme sortir dici, lidentit de ce malheureux ?

    Le chef de la sret le regarda, surpris... A quel moyen faites-vous allusion ?

    demanda-t-il. Les empreintes digitales, parbleu ! Cest juste ! reconnut Sir George Robinson.,

    Aussi, vous serai-je trs oblig si vous vouliez bien procder immdiatement cette vrification.

    Qu cela ne tienne, fit le dtective qui, aprs avoir jet autour de soi un vif coup dil, aperut sur la caisse un tampon imbib dencre grasse.

    Il alla le chercher, revint et, avec prcaution, il posa tour tour les doigts de chacune des mains de la victime sur lencre grasse.

    Aprs quoi, il les appliqua sur une feuille de pa-pier blanc.

    Et, du premier coup dil, il constata que les empreintes ainsi obtenues taient bien celles de Sam Webley ; car elles taient identiques celles quil avait dcouvertes le jour mme dans le propre bureau de Sir George Robinson.

    Cela tant, que convenait-il de penser de la fin tragique de Sam Webley ?

    Encore quil arrive frquemment que, aprs avoir effectu un mauvais coup, les apaches en viennent aux mains au moment du partage, il tait bien vident que tel ntait pas le cas. Non seulement, il existait rien dans la boutique que les trois victimes du coupeur de ttes eussent pu se partager, mais leurs portefeuilles, leurs papier ; et mme leur argent de poche avaient disparu...

    De mme le sac main et le porte-monnaie de la tatoue .

    Fallait-il donc croire quils en savaient trop sur les agissements du bandit, et que, craignant dtre dnonc par eux, ce dernier les avait froi-dement excuts.

    Mais, si cette hypothse tait la bonne, pour-quoi, puisquils taient dans la proportion de trois contre un, ne staient-ils pas dfendus ?

    Ainsi pos, le problme savrait dune solution difficile.

    Mais James Nobody ne se dcourageait pas fa-cilement, et rien ne lui plaisait autant que de r-soudre des nigmes de ce genre.

    Longuement, il envisagea cette hypothse que, de prime abord, il jugea infiniment sduisante ; car elle cadrait admirablement avec la concep-tion quil avait de laffaire.

    Coordonnant toutes les donnes du problme, il en vint penser que, si, les victimes staient pas dfendues, cest que, au pralable, on les avait mises dans limpossibilit de le faire.

    De quelle manire ?En les anesthsiant ! La chose paraissait dautant plus vraisemblable

    que, ni les poignets ni les chevilles des victimes ne portaient nulle trace dun ligotage quelconque.

    Appelant, dun geste discret, le brigadier Walton, James Nobody lui demanda :

    De combien dhommes disposez-vous ? Dix-huit hommes, Sir, dont douze inspec-

    teurs europens et six inspecteurs indignes. En existe-t-il dintelligents dans le nombre ? insista le grand dtective.

    Par cela mme que tous ils appartiennent la brigade du chef , rpondit, en se regorgeant, lexcellent homme, ils constituent une slection.

    James Nobody rprima un sourire et, posant la main sur lpaule du brigadier, il lui donna les ins-tructions que voici :

  • 22 les merveilleux exploits de james nobody

    Vous allez diviser le Caire en quatre secteurs dgale importance et, dans chacun de ces secteurs, vous allez immdiatement envoyer deux de vos hommes.

    Ils auront pour mission de senqurir dans tous les htels et restaurants de premire et seconde im-portance si, dans la soire dhier, ils nauraient pas servi souper dun groupe de quatre personnes, compos dune femme, de deux Europens et dun indigne, ou dune femme, dun Europen et de deux indignes.

    Avant que dexpdier vos hommes, prsentez-leur les victimes de manire ce quils se rendent compte de la manire dont elles taient vtues.

    Celui qui me rapportera le renseignement aura droit dune prime de deux livres.

    Compris ! fit le brigadier. Puis-je disposer ? Mais, pas du tout ! Jai autre chose vous dire,

    rpondit James Nobody qui poursuivit aussitt : Quand ces huit hommes seront partis, vous en

    enverrez quatre autres aux principales stations de taxis.

    Ils devront sefforcer de savoir si, la nuit dernire, un chauffeur na pas charg le coupeur de ttes et ses victimes.

    Il y aura galement une prime pour celui dentre eux qui me ramnera le chauffeur en question.

    Vous dsignerez ensuite trois autres inspecteurs qui auront pour mission de sinformer dans cet im-meuble et dans les immeubles voisins, si personne na entendu une voiture sarrter devant ce maga-sin, dans le courant de la nuit dernire.

    Dans laffirmative, minformer durgence. Cest bien compris ? Cest compris, Sir, rpondit le brigadier, qui

    sclipsa aussitt...Se tournant ensuite vers Sir George Robinson,

    dont la douleur tait immense et faisait peine voir, pitoyable, James Nobody lui dit :

    Si vous voulez men croire, mon cher ami, vous allez me laisser poursuivre seul cette en-qute, et rentrer chez vous, car votre tche, hlas ! est loin dtre termine.

    Il va falloir, en effet, que vous communiquiez aux vtres la triste nouvelle, et cest vous quil incombera de trouver et de dire les mots qui consolent et qui apaisent.

    Si cela peut vous tranquilliser et temprer votre chagrin, sachez que, quoi quil arrive, le nom de votre gendre ne sortira pas sali de cette affaire.

    Peut-tre mme ne sera-t-il pas prononc. Vous le croyez donc toujours coupable ? de-

    manda avec un tantinet daigreur dans la voix, Sir George Robinson.

    James Nobody luda la rponse... Quil soit ou non coupable, dclara-t-il, je

    vous promets que, sur ses actes et sur lui, de par ma volont, sappesantira le silence.

    Le chef de la sret hocha la tte avec amertume et, dsol, rpondit :

    Soit, je vais aller annoncer aux miens la ca-tastrophe qui sabat sur nous. Mais, auparavant, ne me direz-vous pas ce que vous comptez faire de ces cadavres ?

    Vous opposeriez-vous lautopsie ? demanda James Nobody, inquiet.

    Pas le moins du monde ! fit Sir George Robinson. Serviteur de la loi, je ne saurais la transgresser. Mais, de mme quavec le ciel, il est, avec la loi, des accommodements.

    Au lieu denvoyer ces cadavres la morgue, ne pourriez-vous pas les faire transporter lhpital khdivial o, de mme que, la morgue, lautopsie serait pratique avec soin par le mdecin lgiste ?

    Soyez assur que ma femme et ma fille vous sauraient un gr infini...

    Qu cela tienne, interrompit vivement James Nobodi, il sera fait ainsi que vous le dsirez.

    Et, appelant de nouveau le brigadier Walton, de-vant Sir George Robinson il lui donna des ordres en consquence.

    Linfortun fonctionnaire qui, en lespace dune heure, semblait avoir vieilli de dix ans, remercia chaleureusement le grand dtective et, lente-ment, se dirigea vers sa voiture.

    Soudain, il eut une dfaillance...Et, avant mme que James Nobody ait eu le

    temps matriel de parvenir jusqu lui pour le soutenir, lourdement, il sabattit sur le sol, fou-droy par une attaque dapoplexie.

    Voil qui ne va pas arranger les choses ! mur-mura James Nobody, constern...

    Puis, comme ce moment prcis arrivait, avec le fourgon des pompes funbres qui devait em-porter les cadavres hpital, le brigadier Walton, voix basse, le grand dtective informa ce dernier de la mort foudroyante de son chef.

    Tout dabord, le brigadier nen voulut rien croire. Mais, quand il aperut le corps dans la voiture o James Nobody venait de le dposer, pieusement il

  • le secret du fellah 23

    se dcouvrit.Puis, les larmes aux yeux, il dclara avec une

    motion qui, pour tre contenue, nen tait pas moins poignante :

    Cette mort aussi est inscrire lactif du cou-peur de ttes . Qui donc larrtera celui-l ?

    Dune voix ferme, James Nobody rpondit : Moi ! Et cela ne tardera pas !Cela ne tarda pas, en effet...

    VII

    O le coupeur de ttes trouve enfin qui parler...

    Dix minutes plus tard, et alors que Walton venait de partir pour conduire au domicile du dfunt le corps de Sir George Robinson, lun des inspec-teurs envoys la dcouverte revint Set, sincli-nant respectueusement devant James Nobody, lui dclara :

    Jai trouv, Sir, le restaurant o ont soup les in-dividus recherchs par vous.

    Ah ! ah ! fit le grand dtective, satisfait de voir lune au moins de ses dductions devenir une cer-titude, et ce restaurant, quel est-il ?

    Il se trouve situ sur la place Mehemet pacha, et porte le nom de Taverne dAthnes . Cest l que se runissent de prfrence les membres de la colonie hellnique du Caire.

    La bire y est excellente, la choucroute prsen-table et, par surcrot, on y entend de la fort bonne musique aux heures de lapritif et le soir pendant le souper.

    Le succs de cet tablissement est surtout d ce fait que lon peut y amener sa famille sans craindre dtre expos certaines promiscuits fcheuses.

    Ainsi, par exemple, les femmes ny sont servies que quand elles sont accompagnes.

    Diable ! sexclama le grand dtective, cela ne doit pas tre du got de certains, et cette taverne doit certainement se ressentir de cet ostracisme.

    Non pas ! rpondit linspecteur vivement ; car ce que je viens de vous dire ne vaut que pour les salles installes au rez-de-chausse.

    Au premier tage, en effet, il se trouve une salle commune o les femmes, quelles soient ou

    non accompagnes, ont libre accs, mais o se trouvent galement de nombreux cabinets parti-culiers, dont ltanchit laisse peut-tre dsirer puisque du corridor qui les dessert, on peut voir et entendre tout ce qui sy passe, mais qui, tels que, semblent donner satisfaction la clientle.

    Or, cest dans lun de ces cabinets particuliers, celui qui porte le n 9, que, hier soir, vers onze heures, sont venus sinstaller deux Europens, un indigne et une femme de murs lgres, dorigine anglaise, connue sous le nom de Miss Arabella...

    Vous dites ? sexclama le grand dtective, ahuri...

    Linspecteur le regarda, surpris, et, paisible-ment, poursuivit :

    Je dis que la femme qui accompagnait les trois hommes est connue sous le nom de Miss Arabella, et jaffirme, pour lavoir arrte moi-mme maintes reprises, que, avant quelle nen-trt la Rsidence, en qualit dindicatrice (1), elle se livrait la prostitution.

    En ce qui me concerne personnellement, je persiste croire que, en faisant appel ses ser-vices, Lord Addendy stait lourdement tromp ; car, Miss Arabella, loin de samender, faisait la noce plus que jamais, en la compagnie des indi-vidus les plus tars du Caire.

    Non seulement elle semblait se complaire avec eux ; mais, quand ils lui manquaient, elle ne crai-gnait pas aller les chercher dans les bas-fonds de la ville, cest--dire l o se trouvait leur habitat.

    Combien de fois ne lai-je pas rencontre au petit jour. au sortir des orgies auxquelles elle parti-cipait, titubante, insane, et, si elle net t soutenue par quelque ami de rencontre, prte rouler au ruisseau ?

    De plus, ma connaissance, elle avait, maintes reprises, fourni de faux renseignements Lord Addendy relativement au Wafd que, contraire-ment la vrit, elle lui avait prsent comme un ramassis de coquins, de tratres et de rvolts, alors que chacun sait que ceux qui le dirigent sont lhonneur et la probit mmes.

    On peut fort bien ne pas admettre leurs reven-dications, mais quant oser prtendre que, pour les faire triompher, ils iraient jusquau crime, cest l mettre une contre-vrit.

    Or, Miss Arabella ne sen est pas fait faute.

    1 Auxiliaire appointe de la police criminelle ou politique.

  • 24 les merveilleux exploits de james nobody

    A tel point que si, demain, un conflit clat entre la Rsidence et le Wafd, on pourra nettement lui en attribuer la responsabilit.

    Croyez-men, Sir, Lord Addendy et eu tout avan-tage contrler les dires de cette femme perverse et menteuse, dont le passage la Rsidence, moins quon ny mette ordre auparavant, tra-duira par les pires vnements.

    James Nobody, les yeux rivs sur son interlocu-teur, avait cout avec la plus grande attention les rvlations que ce dernier venait de lui faire.

    Maintenant, il comprenait pourquoi, se trompant du tout au tout, le marchal lord Addendy avait vou une telle haine aux dirigeants du Wafd que, sans aucune hsitation, il leur attribuait les projets les plus insenss et les accusait, des pires mfaits.

    Mais, pour le compte de qui cette femme agissait-elle ?

    Fallait-il en voir en elle une dtraque , trou-vant un plaisir hystrique faire le mal pour le mal, ou bien ne fallait-il pas la considrer comme linstrument docile et inconscient de quelque envoy de ces forces obscures qui, depuis larmis-tice, semblent sacharner dtruire la civilisation occidentale ?

    Encore que la mort de Miss Arabella ait momen-tanment apport une solution ce problme, James Nobody ne sen satisfit pas et dcida aussi-tt de lexaminer de plus prs...

    Quel tait le nom vritable de cette femme ? demanda-t-il soudain son interlocuteur.

    Je lignore, rpondit linspecteur, mais ce que je sais, par contre, cest que, dans les mi-lieux o elle frquentait, on lavait surnomme la tatoue .

    Quoi quil en soit, cest elle qui, hier, a soup en compagnie de lun de nos collgues, M. Sam Webley, actuellement en permission, et en compagnie ga-lement de Ali ben Moussah, propritaire du ma-gasin o nous nous trouvons actuellement, et de M. Dmtrius Staphiropoulos, un Grec qui exerce, parat-il, la profession dantiquaire.

    Vous tes sr de cela ? scria James Nobody, dont la surprise allait croissant...

    Jen suis autant plus sr que cest M Dmtrius Staphiropoulos qui, voyant ses convives en tat complet divresse, ils ltaient ce point que, en croire le grant, ils ne pouvaient mme plus se tenir debout, sest charg de les reconduire chez eux, dans sa propre voiture.

    La dcision de James Nobody fut vite prise...A peine linspecteur avait-il achev de parler

    que, un geste, il rassembla tous les policiers au-tour de lui.

    Deux dentre vous, leur dit-il rapidement, vont maccompagner chez M. Dmtrius Staphiropoulos, rue Kasr-el-Nil, o je vais me rendre immdiatement.

    Les autres resteront ici pour interdire qui que ce soit, sauf leurs collgues, bien entendu, laccs de ce magasin.

    Ds que M. Walton sera arriv, ils linviteront venir me rejoindre u