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1 / 5 La sainteté selon sainte Thérèse de Lisieux Le Pape Pie XI qualifiait sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus de « plus grande sainte des Temps modernes ». Il la béatifia en 1923, et la canonisa en 1925 (soit 28 ans seulement après sa mort). Et le Pape Jean-Paul II a déclaré en 1997 cette même sainte « Docteur de l’Église ». L’Église a donc reconnu rapidement (en cent ans, ce qui est peu à l’échelle de l’Histoire de l’Église) que Thérèse, d’une part est parvenue à la sainteté, et d’autre part a quelque chose d’unique à apporter à toute la communauté des baptisés : un enseignement tout à fait original. Une « voie de sainteté » qui lui est propre, et qui peut être transmise, enseignée, vécue avec profit pour notre propre sainteté. Thérèse elle-même est consciente d’avoir « ouvert une voie », comme on pourrait le dire d’un parcours en montagne. Voici ce qu’elle écrit : J’ai toujours désiré d’être une sainte, mais hélas ! j’ai toujours constaté, lorsque je me suis comparée aux saints, qu’il y a entre eux et moi la même différence qui existe entre une montagne dont le sommet se perd dans les cieux et le grain de sable obscur foulé sous les pieds des passants. Au lieu de me décourager, je me suis dit : Le Bon Dieu ne saurait inspirer des désirs irréalisables, je puis donc malgré ma petitesse aspirer à la sainteté ; me grandir, c’est impossible ; [...] mais je veux chercher le moyen d’aller au Ciel par une petite voie bien droite, bien courte, une petite voie toute nouvelle. (MsC, 2v°) Cette voie de sainteté n’est pas réservée aux religieuses cloîtrées comme Thérèse. Bien au contraire, elle l’a voulue réalisable quel que soit notre état de vie. Car Dieu nous appelle à être « saints, comme lui est saint » (1P 1,16), ce que le Concile Vatican II a réaffirmé en parlant de la « vocation universelle à la sainteté ». Thérèse a l’ambition d’être, malgré sa petitesse, « une grande Sainte ! » Elle comprend très vite que : ce désir pourrait sembler téméraire si l’on considère combien j’étais faible et imparfaite et combien je le suis encore après sept années passées en religion, cependant je sens toujours la même confiance audacieuse de devenir une grande Sainte, car je ne compte pas sur mes mérites n’en ayant aucun, mais j’espère en Celui qui est la Vertu, la Sainteté Même. C’est Lui seul qui se contentant de mes faibles efforts, m’élèvera jusqu’à Lui et, me couvrant de ses mérites infinis, me fera Sainte. (MsA, 32r°) Ainsi, c’est Dieu seul qui donne la sainteté. Les gens pensent généralement que la sainteté est hors de portée. « Après tout, je ne suis pas un saint », dit-on pour s’excuser... Sainte Thérèse nous montre le contraire. Quand on rencontre sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus, on se dit : « Ouf ! Enfin une sainte à notre portée, enfin la sainteté est possible ! » Pas de visions, transverbération, bilocations, stigmatisation, etc. Au contraire, il n’est question ici que de petite voie, pour les petites âmes qui font des petites choses. On y dort pendant la prière, on y parle d’effeuiller les roses et de ramasser une épingle avec amour. Au point que les esprits forts passent leur chemin ou s’assoient au banc des rieurs : « Comment ? Ce n’est que ça la sainteté ? Des histoires de collégienne au couvent ! » (Claire Hude) Il suffira, pour mieux comprendre la sainteté selon Thérèse, de relever quelques intuitions fondamentales qu’elle exprime, et qui peuvent nous aider à avancer nous-mêmes dans cette « petite voie ». En nous enseignant ainsi, elle accomplit sa tâche actuelle, proposée par le Pape Pie XI en 1927, de « Patronne principale, à l’égal de saint François Xavier, de toutes les missions et des missionnaires » : elle est elle-même missionnaire auprès de nous. Parmi ses dernières paroles (17 juillet 1897) : « Je sens surtout que ma mission va commencer, ma mission de faire aimer le bon Dieu comme je l’aime, de donner ma petite voie aux âmes ». Proximité du Ciel et de la terre « Si le bon Dieu exauce mes désirs, mon Ciel se passera sur terre jusqu’à la fin du monde. Oui, je veux passer mon Ciel à faire du bien sur la terre » (Dernières paroles, 17 juillet 1897).

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La sainteté selon

sainte Thérèse de Lisieux

Le Pape Pie XI qualifiait sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus de « plus grande sainte des Temps modernes ». Il la béatifia en 1923, et la canonisa en 1925 (soit 28 ans seulement après sa mort). Et le Pape Jean-Paul II a déclaré en 1997 cette même sainte « Docteur de l’Église ». L’Église a donc reconnu rapidement (en cent ans, ce qui est peu à l’échelle de l’Histoire de l’Église) que Thérèse, d’une part est parvenue à la sainteté, et d’autre part a quelque chose d’unique à apporter à toute la communauté des baptisés : un enseignement tout à fait original. Une « voie de sainteté » qui lui est propre, et qui peut être transmise, enseignée, vécue avec profit pour notre propre sainteté. Thérèse elle-même est consciente d’avoir « ouvert une voie », comme on pourrait le dire d’un parcours en montagne. Voici ce qu’elle écrit :

J’ai toujours désiré d’être une sainte, mais hélas ! j’ai toujours constaté, lorsque je me suis comparée aux saints, qu’il y a entre eux et moi la même différence qui existe entre une montagne dont le sommet se perd dans les cieux et le grain de sable obscur foulé sous les pieds des passants. Au lieu de me décourager, je me suis dit : Le Bon Dieu ne saurait inspirer des désirs irréalisables, je puis donc malgré ma petitesse aspirer à la sainteté ; me grandir, c’est impossible ; [...] mais je veux chercher le moyen d’aller au Ciel par une petite voie bien droite, bien courte, une petite voie toute nouvelle. (MsC, 2v°)

Cette voie de sainteté n’est pas réservée aux religieuses cloîtrées comme Thérèse. Bien au contraire, elle l’a voulue réalisable quel que soit notre état de vie. Car Dieu nous appelle à être « saints, comme lui est saint » (1P 1,16), ce que le Concile Vatican II a réaffirmé en parlant de la « vocation universelle à la sainteté ». Thérèse a l’ambition d’être, malgré sa petitesse, « une grande Sainte ! » Elle comprend très vite que :

ce désir pourrait sembler téméraire si l’on considère combien j’étais faible et imparfaite et combien je le suis encore après sept années passées en religion, cependant je sens toujours la même confiance audacieuse de devenir une grande Sainte, car je ne compte pas sur mes mérites n’en ayant aucun, mais j’espère en Celui qui est la Vertu, la Sainteté Même. C’est Lui seul qui se contentant de mes faibles efforts, m’élèvera jusqu’à Lui et, me couvrant de ses mérites infinis, me fera Sainte. (MsA, 32r°)

Ainsi, c’est Dieu seul qui donne la sainteté. Les gens pensent généralement que la sainteté est hors de portée. « Après tout, je ne suis pas un saint », dit-on pour s’excuser... Sainte Thérèse nous montre le contraire.

Quand on rencontre sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus, on se dit : « Ouf ! Enfin une sainte à notre portée, enfin la sainteté est possible ! » Pas de visions, transverbération, bilocations, stigmatisation, etc. Au contraire, il n’est question ici que de petite voie, pour les petites âmes qui font des petites choses. On y dort pendant la prière, on y parle d’effeuiller les roses et de ramasser une épingle avec amour. Au point que les esprits forts passent leur chemin ou s’assoient au banc des rieurs : « Comment ? Ce n’est que ça la sainteté ? Des histoires de collégienne au couvent ! » (Claire Hude)

Il suffira, pour mieux comprendre la sainteté selon Thérèse, de relever quelques intuitions fondamentales qu’elle exprime, et qui peuvent nous aider à avancer nous-mêmes dans cette « petite voie ». En nous enseignant ainsi, elle accomplit sa tâche actuelle, proposée par le Pape Pie XI en 1927, de « Patronne principale, à l’égal de saint François Xavier, de toutes les missions et des missionnaires » : elle est elle-même missionnaire auprès de nous. Parmi ses dernières paroles (17 juillet 1897) : « Je sens surtout que ma mission va commencer, ma mission de faire aimer le bon Dieu comme je l’aime, de donner ma petite voie aux âmes ». Proximité du Ciel et de la terre

« Si le bon Dieu exauce mes désirs, mon Ciel se passera sur terre jusqu’à la fin du monde. Oui, je veux passer mon Ciel à faire du bien sur la terre » (Dernières paroles, 17 juillet 1897).

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A une époque où l’on avait tendance à voir dans la vie terrestre un mal nécessaire mais temporaire, Thérèse accorde une véritable valeur à cette vie. Elle aimait « vraiment la terre des hommes non pas comme un moyen, mais pour elle-même, comme le Créateur » (Jean Guitton, Le Génie de Thérèse de Lisieux, 21). La sainteté, pour Thérèse, n’est pas une montée vers le ciel « hors de la terre », mais une continuation au ciel de l’œuvre de mission dévolue à chacun en ce monde. Sans doute, elle adopte le vocabulaire de son époque : le « beau Ciel », l’attente de la mort... Mais cela ne doit pas nous tromper. Le Ciel auquel elle aspire est le lieu d’un amour universel, non l’endroit où elle oubliera ce monde. Au ciel, elle pourra enfin accomplir ses désirs déraisonnables d’être à la fois missionnaire, martyre, prêtre, croisé (et même « Zouave pontifical » !) : elle agira selon sa mission. Elle remplace le « requiem æternam dona eis, Domine » par l’« actionem æternam ». La vie terrestre imposait à son action des bornes : le ciel sera le domaine de l’amour sans limitation. Mais la terre, et son humble vie de carmélite, sont déjà le lieu de la mission et de l’amour pour Thérèse. La sainteté – le Ciel, en quelque sorte – commence déjà dans la proximité avec Dieu au travers des circonstances de la vie quotidienne ; et Thérèse nous enseigne cela, à nous aussi.

Nous n’avons que les courts instants de notre vie pour aimer Jésus.

Je ne vois pas bien ce que j’aurai de plus après la mort... Je verrai le bon Dieu, c’est vrai, mais pour être avec Lui, j’y suis déjà tout à fait sur la terre.

Tu le sais, ô mon Dieu, pour T’aimer sur la terre, Je n’ai rien qu’aujourd’hui ! [...] Que m’importe, Seigneur, si l’avenir est sombre, Te prier pour demain, oh non, je ne le puis !

Thérèse ne dit pas que « l’ombre soit supérieure à la lumière » (Guitton, 40), bien sûr, ni que la foi soit meilleure que la contemplation de Dieu à laquelle nous sommes appelés. Mais elle veut dire tout de même deux choses. D’abord, que l’éternité est présente dans chacun des moments qui passent ; et ensuite, que la foi dans laquelle nous vivons est un moyen privilégié pour montrer à Dieu notre amour. Un acte de courage, d’autant plus fort que la foi se teinte d’obscurité (comme ce fut son cas à elle, et aussi le cas de Mère Teresa, comme nous venons de l’apprendre). En ce sens, la sainteté est accessible tout simplement par l’exercice de la foi persévérante. La foi qui sauve : Dieu seul rend Saint

Depuis la Réforme protestante, il y a un vaste débat autour de la foi et des œuvres. Serons-nous sauvés à travers notre comportement ? Ou bien par notre foi seule, quelle que soit la manière dont nous nous comportons ? Luther, nous le savons, a poussé la logique de la « foi seule » à un point excessif, jusqu’à soutenir que Dieu ne tenait aucun compte de nos péchés, mais qu’il considérait automatiquement tout croyant comme un juste et un Saint. Thérèse retrouve l’intuition luthérienne dans ce qu’elle a de juste et de positif : nous n’avons que nos mains vides à présenter au Seigneur, et c’est Lui qui nous sauve, au-delà de nos actions. En ce sens, être saint n’est pas une tâche difficile ou compliquée, mais davantage un exercice d’abandon, d’amour et de foi. C’est un « effort sans effort » (Guitton, 69). Celui qui fait effort risque la crispation, la raideur et la jalousie ; il faut au contraire demeurer une « petite âme », accepter d’être un enfant qui regarde son Père avant de se regarder soi-même. En ce sens, la sainteté est « facile », peut-on dire. Un exemple peut nous être utile : face à la tentation (colère, orgueil...), nous pourrions penser qu’un véritable Saint fait preuve de courage, et affronte le mal. Mais Thérèse, fidèle à sa petite voie, ne recommande en rien un tel effort. Si elle sent que la grâce de la lutte et de la victoire contre le péché ne lui sera pas donnée au moment requis, elle ne compte pas sur ses propres forces : elle se soustrait à la tentation par la fuite !

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[...] Je sentais aussi que je n’avais pas assez de vertu pour me laisser accuser sans rien dire, ma dernière planche de salut était donc la fuite. Aussitôt pensé, aussitôt fait, je partis sans tambour ni trompette, laissant la sœur continuer son discours... (MsC, 15r°)

La sainteté selon Thérèse n’est pas un effort, parce que Dieu nous a aussi donné la communion des Saints, c’est-à-dire la possibilité de contribuer à la sainteté les uns des autres par la prière, même lorsqu’il semble n’y avoir aucun espoir. (Voir l’exemple de Pranzini, criminel condamné à mort en 1887, dont sainte Thérèse obtint la conversion par sa prière : au pied de la guillotine, il se tourna vers le crucifix que lui présentait l’aumônier). Enfin, en regardant sa propre vie, Thérèse est d’autant plus consciente que la sainteté vient de Dieu seul. Elle-même peut se considérer comme préservée du péché ; non pas à l’égal de la Sainte Vierge, bien sûr ! Mais, à l’occasion de sa première confession comme carmélite,

le Père me dit ces paroles, les plus consolantes qui soient venues retentir à l’oreille de mon âme : « En présence du Bon Dieu, de la Sainte Vierge et de tous les Saints, JE DÉCLARE QUE JAMAIS VOUS N’AVEZ COMMIS UN SEUL PÉCHÉ MORTEL. » (MsA, 70r°)

La grâce de Dieu a donc été particulièrement efficace en Thérèse. Naturellement, elle ne va pas en tirer orgueil ; au contraire, elle constate qu’elle n’est pour rien dans cette « prévoyance » de Dieu à son égard, et que les choses auraient pu être bien différentes. Et elle se place comme naturellement dans les rangs des « pécheurs et des prostituées » auxquels Jésus promet le salut par la conversion. Elle décrit ainsi l’œuvre de Dieu, par une parabole de son invention :

Je sais que Jésus m’a plus remis qu’à sainte Madeleine, puisqu’il m’a remis d’avance, m’empêchant de tomber. [...] Je suppose que le fils d’un habile docteur rencontre sur son chemin une pierre qui le fasse tomber et que dans cette chute il se casse un membre ; aussitôt son père vient à lui, [...] soigne ses blessures... Sans doute cet enfant a bien raison d’aimer son père ! Mais je vais faire encore une autre supposition. Le père ayant su que sur la route de son fils se trouvait une pierre, la retire sans être vu de personne. Certainement, ce fils, objet de sa prévoyante tendresse, [...] l’aimera moins que s’il eût été guéri par lui... mais s’il vient à connaître le danger auquel il vient d’échapper, ne l’aimera-t-il pas davantage ? Eh bien, c’est moi qui suis cette enfant, objet de l’amour prévoyant d’un Père... (MsA, 38v°)

Nous ne pouvons donc qu’accueillir la sainteté par notre foi, car comme Thérèse, nous ne pouvons nous prévaloir du bien que nous faisons. Thérèse et le jansénisme

La fin du XIXe siècle, époque où se meut spirituellement Thérèse, est marquée très fortement par des relents diffus de jansénisme. Même si l’hérésie janséniste est officiellement terminée et condamnée, elle demeure sous la forme d’un état d’esprit. Le jansénisme affirmait la prédestination d’un petit nombre au salut ; l’ambiance spirituelle qui demeure en France, deux siècles après, manifeste toujours une certaine crainte face au jugement de Dieu.

Le semi-jansénisme consistait, du point de vue doctrinal, à accepter comme le plus probable, le plus convenable, le plus sûr, la thèse du petit nombre des élus. Or, quelle chance peut-il y avoir, si les élus sont en petit nombre, que je sois parmi eux, moi chrétien ordinaire... ? (Guitton, 36)

Seules seront sauvées les « grandes âmes », selon cette tendance spirituelle : les consacrés, les ermites, en un mot les héros de la foi. Une véritable vie chrétienne est impossible à un homme du monde. Les femmes mariées sont moins assurées de leur salut que les moniales. Le mariage est simplement toléré... Remarquons que saint François de Sales avait déjà affirmé le contraire, dans l’Introduction à la vie dévote, trois cents ans plus tôt ! Si Thérèse n’entre pas dans ce mouvement néfaste du semi-jansénisme, elle le doit d’abord à ses parents. Louis et Zélie Martin (qui sont d’ailleurs en instance de béatification) étaient parvenus à insuffler à leur famille une ambiance spirituelle remplie de confiance et de joie. Sur ce plan, il y

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avait un net contraste avec les familles contemporaines ; chez les Martin, on avait compris comme saint Jean que « l’amour parfait bannit la crainte » (1Jn 4,18). Sainte Thérèse demeurera, au couvent, dans la même confiance éperdue en l’Amour de Dieu qu’elle a vécue enfant. Elle n’est pas une « grande âme », elle le sait ; et si elle veut néanmoins être une « grande Sainte », c’est en demeurant une petite âme. Elle ne sera pas une héroïne : elle sera une Sainte ; et elle ôte ainsi la confusion entre sainteté et héroïsme. Le héros méprise la terre, le monde matériel, pour s’élancer vers le haut ; le Saint reçoit toute chose, matérielle et spirituelle, avec amour, et se laisse attirer par Dieu. En rejetant l’atmosphère janséniste, Thérèse met en quelque sorte « la sainteté à la portée de tout le monde ». Deux textes de Thérèse

• « Dans le Cœur de l’Église, ma Mère, je serai l’Amour » Alors qu’elle n’a plus qu’une année à vivre et qu’elle est entrée dans la nuit de la foi, accentuée par l’œuvre en elle de la tuberculose, Thérèse découvre la profondeur de sa vocation. Elle raconte cette découverte dans ce récit brûlant dans lequel elle s’adresse au Christ.

Je sens en moi d’autres vocations, je me sens la vocation de GUERRIER, de PRÊTRE, d’APÔTRE, de DOCTEUR, de MARTYR ; enfin, je sens le besoin, le désir d’accomplir pour toi Jésus, toutes les œuvres les plus héroïques... Je sens en mon âme le courage d’un Croisé, d’un Zouave Pontifical, je voudrais mourir sur un champ de bataille pour la défense de l’Église... [...]

A l’oraison mes désirs me faisant souffrir un véritable martyre, j’ouvris les épîtres de saint Paul afin de chercher quelque réponse. Les chapitres XII et XIII de la première épître aux Corinthiens me tombèrent sous les yeux... J’y lus, dans le premier, que tous ne peuvent être apôtres, prophètes, docteurs, etc... que l’Église est composée de différents membres et que l’œil ne saurait être en même temps la main... La réponse était claire mais ne comblait pas mes désirs. [...] Sans me décourager je continuai ma lecture et cette phrase me soulagea : « Recherchez avec ardeur les DONS les PLUS PARFAITS, mais je vais encore vous montrer une voie plus excellente. » Et l’Apôtre explique comment tous les dons les plus PARFAITS ne sont rien sans l’AMOUR... Que la Charité est la VOIE EXCELLENTE qui conduit sûrement à Dieu.

Enfin j’avais trouvé le repos... Considérant le corps mystique de l’Église, je ne m’étais reconnue dans aucun des membres décrits par Saint Paul, ou plutôt je voulais me reconnaître en tous... La Charité me donna la clef de ma vocation. Je compris que si l’Église avait un corps, composé de différents membres, le plus nécessaire, le plus noble de tous ne lui manquait pas, je compris que l’Église avait un Cœur, et que ce Cœur était BRULANT d’AMOUR. Je compris que l’Amour seul faisait agir les membres de l’Église, que si l’Amour venait à s’éteindre, les Apôtres n’annonceraient plus l’Évangile, les Martyrs refuseraient de verser leur sang... Je compris que l’AMOUR RENFERMAIT TOUTES LES VOCATIONS, QUE L’AMOUR ETAIT TOUT, QU’IL EMBRASSAIT TOUS LES TEMPS ET TOUS LES LIEUX... EN UN MOT, QU’IL EST ETERNEL !...

Alors, dans l’excès de ma joie délirante, je me suis écriée : O Jésus, mon Amour... ma vocation, enfin je l’ai trouvée, MA VOCATION, C’EST L’AMOUR !... Oui j’ai trouvé ma place dans l’Église et cette place, ô mon Dieu, c’est vous qui me l’avez donnée… dans le Cœur de l’Église, ma Mère, je serai l’Amour... ainsi je serai tout... ainsi mon rêve sera réalisé !!!... (MsB, 2v°-3v°)

En découvrant cette vocation, Thérèse fait en quelque sorte de l’Amour, qui est la vocation universelle de tout chrétien, une vocation particulière : la sienne et celle des « petites âmes ». En recherchant cette vocation, elle dépasse les limites des vocations particulières en montrant ce qui les unit et ce à quoi elles sont toutes appelées. Dans chaque vocation, le ressort de la sainteté est toujours l’Amour. • L’ascenseur divin

Nous sommes dans un siècle d’inventions, maintenant ce n’est plus la peine de gravir les marches d’un escalier, chez les riches un ascenseur le remplace avantageusement. Moi je voudrais aussi trouver un ascenseur pour m’élever jusqu’à Jésus, car je suis trop petite pour monter le rude escalier de la perfection. Alors j’ai recherché dans les livres saints l’indication de l’ascenseur, objet de mon désir, et j’ai lu ces mots sortis de la bouche de la Sagesse éternelle : Si quelqu’un est TOUT PETIT, qu’il vienne à moi (Pr 9,4). Alors je suis venue, devinant que j’avais trouvé ce que je

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cherchais et voulant savoir, ô mon Dieu ! ce que vous feriez au tout petit qui répondrait à votre appel, j’ai continué mes recherches et voici ce que j’ai trouvé : Comme une mère caresse son enfant, ainsi je vous consolerai, je vous porterai sur mon sein et je vous balancerai sur mes genoux ! (Is 66,13) Ah ! jamais paroles plus tendres, plus mélodieuses, ne sont venues réjouir mon âme, l’ascenseur qui doit m’élever jusqu’au Ciel, ce sont vos bras, ô Jésus ! Pour cela je n’ai pas besoin de grandir, au contraire il faut que je reste petite, que je le devienne de plus en plus. (MsC, 2v°-3r°)

Conclusion : la Divine Miséricorde et la Sainteté

Le Pape Jean-Paul II a replacé avec insistance la Miséricorde au cœur de la foi chrétienne, en instituant, selon les révélations de sainte Faustine, une fête de la Divine Miséricorde. En effet, la sainteté à laquelle nous sommes appelés ne vient pas d’une perfection morale ; c’est la Miséricorde seule qui fait de nous des Saints – et qui a fait de Thérèse une « grande Sainte », de manière préventive comme nous l’avons vu. A travers notre parcours en compagnie de Thérèse, nous avons bien compris ceci : notre parcours vers la sainteté commence dès le moment où nous acceptons la miséricorde de Dieu, c’est-à-dire dès que nous ne nous croyons plus au-dessus du péché. Être un Saint n’est pas être un pur ! Si nous nous pensons irréprochables, nous n’offrons pas de prise à la Miséricorde, et pour tout dire nous n’avons pas besoin du Christ. Nous faisons de notre élévation morale – de notre propre justice – notre planche de salut, et nous sommes alors prompts à juger les autres. Or, si nous faisons appel à la justice de Dieu, nous ne pourrons rien lui présenter : seulement nos péchés. Notre unique espérance d’être des saints réside dans la miséricorde de Dieu. C’est ce qu’illustre l’anecdote de la Sœur Fébronie, laquelle était sans doute assez influencée par l’ambiance janséniste pour s’estimer elle-même sauvée par les renoncements de sa vie religieuse.

A la sous-prieure, sœur Fébronie de la Sainte Enfance, âgée de 67 ans, la benjamine de la communauté adresse à propos de la vision du Purgatoire une leçon mémorable. Un jour où la vénérable ancienne défendait à outrance les droits de la justice divine et Thérèse ceux de la Miséricorde infinie, cette dernière voyant qu’elle ne gagnait rien et restant toujours dans son sentiment, finit par lui dire sérieusement, et nous dirons, presque divinement : « Ma sœur, vous voulez de la justice de Dieu, vous aurez de la justice de Dieu. L’âme reçoit exactement ce qu’elle attend de Dieu. »

Moins d’un an après cette réplique, sœur Fébronie fut emportée par l’épidémie d’influenza qui décima la communauté en janvier 1892. Le 22 mai suivant, Thérèse a un songe qu’elle va confier à Mère Marie de Gonzague : « Ô ma Mère, ma sœur Fébronie est venue cette nuit demander que l’on prie pour elle, elle est en purgatoire, sans doute pour n’avoir pas assez compté sur la miséricorde du Bon Dieu. Par son air suppliant et son regard profond, elle semblait me dire : Vous avez raison, toute justice s’accomplit sur moi, mais c’est ma faute, si je vous avais crue, j’aurais été droit au ciel ».

Il ne s’agit bien sûr pas de se rassurer à bon compte, ce que l’on fait couramment de nos jours en évacuant la notion de péché. Le péché garde sa dimension tragique, car il est la condition de reconnaissance d’une vraie liberté humaine : si je suis réellement libre, j’ai nécessairement la possibilité de pécher, de refuser Dieu, d’être damné. Face au péché, nous pouvons écouter l’intuition presque déraisonnable du Pape Jean-Paul Ier :

Je risque de dire une « énormité » (sproposito), mais je la dis : le Seigneur aime tellement l’humilité que, parfois, il permet des péchés graves. Pourquoi ? Parce que ceux qui les ont commis, ces péchés, après s’être repentis, restent humbles : on n’est pas tenté de se croire des demi-saints ou des demi-anges, quand on sait avoir commis des fautes graves. (Audience du 6 septembre 1978)

Thérèse est restée dans cette humilité de pécheresse (bien qu’elle ne le fût pas du tout !). Mettant toute sa confiance en Dieu, elle ne s’est jamais crue sauvée avant sa mort ; sa certitude n’était pas d’être sauvée, mais d’être aimée. Elle ne recherchait pas la sécurité – une « assurance de sainteté » –, mais l’amour pur ; et elle y a trouvé la confiance des pauvres et des petits. Là est sa sainteté.